• Daesh, fasciste mais fasciste anti-occidental comme jadis le Japon shōwa (sauf qu'il n'y a pas officiellement d'État derrière, ce sont des fortunes privées et des 'États profonds' du Golfe), a été écrasé parce qu'il était la menace stratégique la plus immédiate mais aussi la plus facile à vaincre, même si ça a été un peu plus long que prévu. 

    La question est alors celle de la course de vitesse pour la plus grande part de ce qui était son territoire. L'axe Iran-Syrie (avec le gouvernement chiite de Bagdad), appuyé par les Russes, en a tout de même pris la majeure partie, consacrant le déclin de l'impérialisme occidental. Il y a une continuité terrestre de Téhéran à Lattaquié. Reste alors l'encerclement. Au Sud, Israël, la Jordanie et l'Arabie sont solidement pro-occidentaux. Au Nord, il y avait le Kurdistan d'Irak (qui vient de se prendre une branlée après son référendum...), et maintenant il y a donc Rojava...

    Une préoccupation étant aussi, n'en déplaise, de dresser un barrage sur le chemin de la politique ottomaniste menée par Erdogan depuis 10 ans. La Turquie peut bien ne pas être un élément aussi anti-occidental que l'Iran, il n'empêche, pour l'Occident il n'est pas question qu'il y ait une puissance régionale locale dans la région (clarifications-question-erdogan). Israël en chien de garde, et la domination doit être directe. Il y a déjà le problème de l'Iran, pas question qu'un autre pays de 80 millions d'habitants s'impose comme puissance tutélaire au Machrek. 

    Donc avec le Kurdistan d'Irak, même éclopé, et maintenant Rojava, il y aura ce barrage à la fois anti-turc, anti-arabe et anti-iranien. À partir de là, il ne restera qu'à organiser la défaite d'Erdogan face à Akşener (lire ici une bonne présentation politique de cette "femme providentielle") en 2019 pour re-canaliser les énergies expansionnistes turques vers le Caucase et l'Asie centrale, faisant chier les Russes et les Chinois, et pas l'Ouest. [MàJ : bon finalement elle a fait un flop, et Erdogan a remporté la mise encore une fois (sans doute à grand renfort de trucage) turquie-resultats, mais nous voulons dire, n'importe qui incarnant cette Turquie beyaz ("blanche") laïque, moderniste et tournée vers l'Occident... et que ce dernier compte bien, n'a nullement renoncé, à remettre par tous moyens au pouvoir à Ankara turquie-kurdistan-elections-anticipees.]

    Dans ce Grand Jeu régional, Rojava, qui luttait pour sa survie en 2014, a été choisi comme force qui ne serait redevable QU'À L'AIDE DIRECTE reçue de l'OTAN, et à aucune puissance locale (ni Iran, ni Turquie, ni Arabie etc.), afin d'en faire les tirailleurs parfaits. Et contrairement aux communistes chinois, qui ont reçu une certaine aide contre le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, il n'y avait pas chez le PKK d'Öcalan, loin de là, la ligne idéologique en BÉTON ARMÉ pour permettre d'éviter ce triste dénouement. La 'lueur d'espoir' que pouvait représenter Rojava en 2014-2015 s'est totalement convertie en les troupes au sol de l'Occident pour conquérir la plus grosse part de la région sur les ruines du 'Califat'. Sous les applaudissements des néo-menchéviks qui ont voulu voir en cette expérience la démonstration de l'inutilité du maoïsme pour certains ML, et du marxisme-léninisme pour les anars, trotsks, autres gauchistes etc.


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  • Tout a peut-être commencé entre le début de l'été et le mois de novembre en Arabie saoudite, avec le coup de force, la "révolution de palais" du prince héritier Mohammed bin Salmane. Un coup de force dans le sens d'un réalignement total de cette pièce maîtresse de l'impérialisme occidental dans la région, dont les multiples "États dans l’État" commençaient à paraître trop incontrôlables ; et peut-être d'un prochain établissement de relations diplomatiques avec Israël (ce qu'aucun État arabe n'a jusque-là osé faire, même si leurs politiques sont objectivement pro-israéliennes). 

    Un coup de force, aussi, sous le signe d'une ligne politique "moderniste", alors que depuis 1980, le régime wahhabite avait eu tendance à "forcer le trait" en matière de conservatisme religieux salafiste pour contrer l'influence de l'"islam révolutionnaire" iranien et d'autres forces telles que les Frères Musulmans (c'était l'époque où, de manière générale, l'impérialisme US sous l'égide de Reagan croyait intelligent de jouer l'islam sunnite contre l'URSS et l'Iran chiite ; mais dès la décennie suivante commenceront les retours de flammes de ce petit jeu...). Mais tout cela dans une perspective non moins (au contraire, encore plus) au service du bloc impérialiste occidental, face à Téhéran en premier lieu, et en second lieu mais principalement à long terme, contre la tendance générale à la Révolution arabe (soulèvements contre les régimes en place, lutte palestinienne contre le sionisme etc.).

    Ainsi, bien avant même ce coup de force, la notoriété de Mohammed bin Salmane était essentiellement liée à la guerre contre le pouvoir pro-iranien des rebelles houthistes et en soutien au gouvernement de confiscation de la révolte populaire de 2011 au Yémen, considérée comme "sa" guerre ; un conflit nettement moins médiatisé que la Syrie mais qui aurait déjà fait plus de 10.000 victimes. L'un de ses tout derniers développements (il y a tout juste un mois) étant que l'ancien despote Ali Abdallah Saleh, contraint fin 2011 (après 22 ans de règne) à la démission au profit de son vice-président pour sauver les meubles, et qui s'était allié opportunistement (pour se venger) aux houthistes qui se sont emparés de la capitale Sanaa en 2014, a été liquidé par eux suite à la rupture de cette alliance et une tentative de défection vers le camp saoudien.

    Ceci pourrait suffire à soi seul à illustrer la tendance à la guerre impérialiste totale qu'incarne le nouvel homme fort de Riyad, dans une région du monde soumise à un brutal repartage 100 ans après le dépeçage de l'Empire ottoman vaincu, et qui semble grosse d'évènements révolutionnaires d'importance mondiale (de la même importance que la région a pour l'économie capitaliste planétaire) mais jusqu'à présent avortés par des dispositifs contre-révolutionnaires extrêmement sophistiqués (guerre confessionnelle sunnites/chiites, etc.), dont la conversion de la "lueur d'espoir" de Rojava (nous allons y venir ci-après) en principale force au sol du camp impérialiste de l'OTAN, sous les applaudissements de toute la "gauche radicale" mondiale, est vraisemblablement le chef d’œuvre.

    Quant à Israël lui-même, tout concourt à montrer que depuis l'installation de Trump à la Maison Blanche ; Trump l'"anti-système" "antisioniste" du macaque à cul nu Soral... qui vient de reconnaître Jérusalem capitale de l'État colonial d'occupation sioniste ; son agressivité ne fait que se renforcer de jour en jour. De fait, une nouvelle Intifada vient de commencer. http://www.ism-france.org/

    En Rojava, comme on l'a dit, la ligne "tirailleurs de gauche de l'impérialisme" est en passe de totalement triompher de la ligne révolutionnaire, avec comme toujours l'appui crucial du révisionnisme (MLKP et ses sponsors de l'ICOR notamment), au service de ce qui n'est plus, de façon manifeste, qu'une conquête de la plus grande part possible des régions pétrolières du pays sur les ruines du "Califat" daeshiste et face aux forces du régime Assad. En tant que maoïstes, la force politique auprès de laquelle nous prenons nos "ordres", dont nous nous rangeons à l'analyse quant à cette partie du monde, est le TKP/ML (le glorieux Parti de Kaypakkaya) dont le Comité central LÉGITIME est sur cette position et a décidé le retrait du Parti des opérations militaires et des coalitions politiques liées (HBDH) – mais en étant, pour cela, la cible d'un "puputsch" interne des partisans opportunistes de la poursuite de la "révolution régionale" comme troupes au sol de l'impérialisme occidental... Quant aux maoïstes arabes, peu présents en Syrie elle-même mais non négligeables en Afrique du Nord et dans une certaine mesure au Liban, ils ont toujours eu les plus grandes réticences quant à Rojava, qu'ils soient plutôt des supporters du soulèvement populaire de 2011 (les Kurdes leur paraissant alors trop pro-régime...) ou au contraire d'Assad comme "moindre mal". Peut-être étaient-ils, aussi, plus au fait que nous de la profonde arabophobie qui se dégage des écrits d'Öcalan et de son mentor, le sioniste "de gauche" Murray Bookchin ! [Quand on sait, comme nous le savons, que "la politique commande au fusil" et que c'est l'indépendance IDÉOLOGIQUE vis-à-vis de l'impérialisme qui permet l'indépendance concrète par-delà tous les compromis tactiques, eh ben avec l'idéologie contenue dans le pensum d'"Apo", bonjour !!]

    La prédominance, désormais, des forces arabes dans les FDS de la "Fédération de Syrie du Nord" (de l'ordre de 60%) est bien à regarder comme une incarnation typique des contradictions de la situation : d'un côté, consistant en ce qu'il reste de non-islamiste dans l'opposition armée syrienne, elles sont le symbole de la dilution pro-impérialiste de la "Révolution de Rojava"... mais de l'autre, cette opposition "démocratique" étant tout aussi patriote que les islamistes et le régime, ce pourrait bien être dans leurs rangs que des ruptures pourraient se produire face à la réalité de la situation, bien plus que chez les Kurdes qui pour le moment ont obtenu ce qu'ils demandaient depuis 50 ans ou plus, et n'ont pas de raisons d'être mécontents.

    [MàJ juillet 2018 : ça y est Brigade_des_révolutionnaires_de_Raqqa#cite_ref-AFP240618_12-0 - Syrie : couvre-feu à Raqqa contre l'EI et le mécontentement populaire - syriahr.com/en/?p=95616]

    D'aucuns auront beau jeu, dans une rengaine "terrainiste" des plus typiques de l'opportunisme de droite sous un masque de gauche, d'insulter les "rebelles de salon" qui soulèvent ces questions et ces évidences kurdistan-autogestion-revolution.com/je-tire-ma-révérence-la-lutte-continue ; en attendant, à ce que nous voyons, c'est bien le chemin du retour au bercail qu'ils ont pris, comme si instinctivement ils avaient compris que mieux vaut ne pas trop se compromettre avec la suite des événements là-bas...

    Nous, en attendant, nous sommes et resterons fidèles à cette position qui est celle de nos camarades turcs, KURDES (car il y a beaucoup de Kurdes au TKP/ML, en fait... de l'ordre de 80% !) et arabes, "premiers concernés" s'il en est ! Pour des communistes, soutenir objectivement l'effort de guerre impérialiste, surtout dans une région aussi cruciale pour l'économie capitaliste comme pour la révolution mondiale, est sans aucun doute la pire des fautes possibles. S'il s'agit d'aveuglement, de sentimentalisme, mais animé d'aspirations révolutionnaires sincères, d'"amis qui se trompent", passe encore ; mais s'il s'agit d'un soutien parfaitement conscient et théorisé à cette ligne (et osons le dire, en Occident, animé par un "universalisme" révolutionnaire "intersectionnel" suprématiste blanc), il y aura un jour des comptes à rendre.

    Alors bien sûr, lorsque nous parlons de contre-révolution, de triomphe de la ligne noire, ce sont tout de suite les grands cris ; aussi est-il important de rappeler ceci, qui devrait faire partie des évidences pour les marxistes, mais ne l'est hélas plus : lorsque la révolution avance, et l'on peut effectivement considérer la région du Proche et Moyen Orient comme entrée dans une situation révolutionnaire tout à fait comparable à celle de l'Empire tsariste en 1917, la contre-révolution avance aussi ; mais elle avance sous différentes formes. Il y a la contre-révolution ouvertement réactionnaire, "fasciste". Les forces telles que Daesh ou Al Nosra sont dans cette catégorie. Le régime de Bachar el-Assad est un régime social-fasciste, comprador hier du social-impérialisme soviétique, aujourd'hui des impérialismes russe et chinois principalement. Mais il y a aussi la contre-révolution que l'on appellera MENCHÉVIQUE : la contre-révolution "de gauche", celle qui plaît aux "progressistes" et autres "anti-toutes-les-oppressions"... et, passablement il faut le dire, à L’IMPÉRIALISME, à l'universalisme impérial "démocratique" ! La contre-révolution de Kerenski et Fanny Kaplan (qui tira sur le "dictateur" Lénine en lui reprochant... la paix de Brest-Litovsk avec l'Allemagne et l'Autriche), mais aussi de toutes les petites républiques de "cordon sanitaire" autour de la Russie rouge : Géorgie, Arménie etc., et même dans une certaine mesure l'Ukraine de Petlioura, homme qui venait de la social-démocratie menchévique, tout comme d'ailleurs Pilsudski en Pologne. Des États tout ce qu'il y avait de plus "progressistes", "démocratiques", consacrant le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", et que selon les anticommunistes "de gauche", les "affreux bolchéviks" viendront ensuite "égorger"... Les Arméniens avaient subi l'abominable génocide des nationalistes turcs et ils avaient évidemment droit à l'autodétermination, droit en tant que peuple à disposer d'eux-mêmes, ce que personne chez les bolchéviks ne niait ; mais la Grande Arménie du Traité de Sèvres était le plus objectivement du monde un jouet des impérialistes (les Alliés vainqueurs de 1918) pour à la fois "contenir" la Révolution russe et dépecer le défunt Empire ottoman, et c'est ainsi que les bolchéviks et l'Internationale communiste l'analysaient : marxists.org/zinoviev_19201014.htm. Comme pouvait le déclarer Zinoviev (au nom de l'Internationale), le succès de cette supercherie était rendu possible par le fait de "poser les questions nationales d'un point de vue réformiste" (on notera la frappante proximité des attaques des centristes kautskystes pro-menchéviks, auxquelles il faisait face, avec les ressorts moralistes-humanistes-progressistes du "rojavisme" actuel)...

    C'est dans cette catégorie menchévique que s'inscrit la ligne contre-révolutionnaire "tirailleurs de gauche de l'OTAN" que nous dénonçons en Rojava/Syrie.

    Et c'est très dangereux car pour un marxiste même bien formé, il est évidemment beaucoup plus facile de verser dans le menchévisme (comme le fit en son temps une sommité intellectuelle telle que Kautsky !) que dans la noire réaction ou le rouge-brunisme (encore que ce dernier cas ne soit pas si rare...). Il était facile, normal, et disons-le en grande partie justifié de soutenir Rojava, comme NOUS l'avons soutenu et le Comité central du TKP/ML (décidant d'envoyer la TIKKO) également, à l'époque où les cantons étaient assiégés et promis au massacre ; raison pour laquelle nous présumons toujours a priori de la bonne foi révolutionnaire de la majorité des "rojavistes". Du point de vue occidental où nous nous trouvons, vouloir montrer à travers la résistance de Rojava que la solution au "terrorisme" réactionnaire est dans la révolution anti-impérialiste des peuples concernés et non dans l'"État fort" fascisant, dans un contexte fait d'ascension puis d'élection de Trump aux États-Unis, de déchaînement réactionnaire autour du Brexit en Grande-Bretagne, d'état d'urgence et de Le Pen garantie au 2d tour de la présidentielle en Hexagone, etc. etc., pouvait totalement se comprendre et se défendre... Mais bien sûr, pour cela, encore fallait-il qu'il s'agisse bel et bien d'une révolution anti-impérialiste ! Sans quoi, une politique de troupes de choc de l'impérialisme ne ferait que jeter encore de l'huile sur le feu et alimenter le "terrorisme" dans une Nation arabe en crise politique et sociale profonde et où rien ne serait réglé... Les deux voies, comme en toute chose, existaient en 2015 ; mais c'est malheureusement la dernière qui l'a emporté. Les communistes authentiques ont pour politique de ne pas insulter l'avenir et de toujours laisser sa chance à un processus politique d'essence populaire et "rupturiste" ; sans quoi il faudrait brûler les œuvres complètes de Lénine qui a soutenu D'Annunzio à Fiume et la Guerre nationale turque de Mustafa Kemal, deux processus ayant conduit à des régimes fascistes ; mais ils ont également pour politique de se rendre à l'évidence lorsque l'évidence est là, et dès lors un se divise en deux avec ceux qui veulent persister dans l'aveuglement, et à plus forte raison avec ceux qui l'encouragent !

    En Iran, un nouveau mouvement de contestation a éclaté. Il présente des différences notables avec celui de 2009 : ce n'est pas une protestation post-électorale en faveur du candidat "modéré" favori de l'Occident ; le mécontentement semble avoir des bases profondément sociales (hausse des prix etc.). L'Iran a une structure économique finalement assez proche de la Chine actuelle : gros secteur capitaliste bureaucratique d'État (entreprises sous le contrôle des Gardiens de la Révolution, notamment), et petite sous-traitance y compris pour les entreprises... occidentales ; le régime y est lui aussi le fruit d'une révolution populaire confisquée (tout de suite ou presque, et pas après 27 ans - lire aussi ici, illustration à travers un cas individuel de toutes les contradictions de ce phénomène politique) ; et il connaît probablement le même phénomène d'émeutes locales quasi quotidiennes, le mouvement actuellement en cours pouvant peut-être être vu comme une généralisation simultanée de celles-ci.

    Cependant, dans le contexte actuel d'offensive impérialiste tout azimut, un certaine prudence s'impose et le fait est que Trump et Netanyahou n'ont pas tardé pour apporter leur soutien au soulèvement et appeler au changement de régime. Cet aspect des choses ne peut être ignoré.

    Et il faut aussi, sans vouloir être dogmatiques et clamer que "sans le Parti il n'y a rien", ni prétendre nier qu'"on a raison de se révolter", ni exprimer la moindre sympathie pour le régime (surtout après son rôle joué en Syrie...), rappeler ce fait objectif : que cela plaise ou non à la gauche bobo et postmo-intersec occidentale, la République islamique est POPULAIRE (y compris même, peut-être, parmi certains insurgés qui l'estiment plus "trahie par les corrompus" que problème en soi) et seule une GUERRE POPULAIRE POUR LE COMMUNISME est susceptible de constituer une proposition alternative suivie par les larges masses ouvrières et paysannes ; et certainement pas les mots d'ordre de la bourgeoisie urbaine la plus occidentalisée (quel que soit le mécontentement populaire réel, devant les hausses de prix et autres choses, sur lequel ils peuvent reposer).

    Le régime en Iran ne changera pas à travers une simple "révolution colorée" faisant 50 morts, mais à travers une véritable guerre ; et cette guerre ne pourra être que populaire et révolutionnaire, ayant alors tout notre soutien, ou alors sectaire, réactionnaire et de repartage impérialiste de la région, comme en Syrie depuis 2011, ce qu'il est bien sûr hors de question de soutenir. https://www.monde-diplomatique.fr/2018/01/HALIMI/58241

    Au Basûr (Kurdistan d'Irak), vous savez, là où "ça n'avait pas de sens" de s'opposer au référendum-plébiscite (pour une soi-disante indépendance déjà acquise depuis 25 ans) en faveur du despote pro-impérialiste et pro-sioniste Barzani, eh ben ça y est, c'est le feu, la révolte générale contre la clique au pouvoir : http://www.presstv.com/Detail/2017/12/27/546941/Irak-Kurdistan-Erbil-Bagdad-Barzani. Mais bien évidemment, il faut retourner Google pour trouver un article en français dessus... Pas comme en Iran quoi !

    Voilà le tableau actuel d'une situation aux GRANDES POTENTIALITÉS RÉVOLUTIONNAIRES qu'il faut suivre avec la plus grande attention, et surtout, dans laquelle savoir BIEN CHOISIR SON CAMP est d'une importance absolument capitale.



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  • Par le camarade Ajith, l'un des plus brillants théoriciens maoïstes d'Inde, dirigeant à l'époque (2008) du CPI(ML) Naxalbari qui a fusionné depuis, le 1er mai 2014, dans le CPI (Maoist). Il est prisonnier de l’État fasciste depuis mai 2015

    http://library.redspark.nu/2008_-_Islamic Resistance, the Principal Contradiction and the 'War_on_Terror'

    Quel est le bilan de presque 7 années de "guerre contre le terrorisme" conduite par George W. Bush ? La mort, la destruction, la torture et toute l'inhumanité de l'impérialisme se sont multipliées par mille. Et en dépit de tout cela, les États-Unis et leurs alliés se trouvent encore très loin des objectifs qu'ils s'étaient fixés en Irak, en Afghanistan ou en quelque autre endroit du monde.

    Les deux guerres en Irak avaient été célébrées par la classe dirigeante US comme la fin du "syndrome du Vietnam", c'est à dire, de la crainte de s'engager dans des interventions militaires prolongées et de s'y enliser avec toutes les conséquences que cela implique. Mais à présent, les débats et les dissensions internes semblent indiquer tout le contraire.

    Malgré l'envoi constant de renforts en Irak, le régime de Bush n'a pas réussi à réduire la résistance. Les pertes américaines augmentent chaque année. Aux États-Unis mêmes et parmi leurs alliés, la pression en faveur d'un retrait s'accroît. Mais les choses ne sont pas aussi faciles : retirer les troupes équivaudrait à une acceptation officielle de la défaite dans la "guerre contre le terrorisme". Les répercussions de cela ne se limiteraient pas à la région uniquement. Au-delà de ça, cela supposerait une explosion de la violence sectaire. L'Afrique est malheureusement la preuve que l'impérialisme peut vivre avec cela et même en tirer profit. Mais la violence sectaire en Irak ne resterait pas contenue dans ses frontières. Son extension aurait des implications stratégiques bien plus importantes qu'en Afrique [presque 10 ans après la rédaction de ce texte, on a pu voir oui...]. Un Irak en guerre interne aurait un impact sur les pays voisins, affectant la principale région productrice mondiale de pétrole et causant une déstabilisation dévastatrice de toute l'économie mondiale.

    L'impérialisme US se trouve pris dans une impasse. Il ne peut pas poursuivre dans cette direction encore longtemps, et il ne peut pas non plus se retirer facilement. L'option d'impliquer l'Iran pour utiliser son influence en Irak est encore plus contradictoire. Tout d'abord, pratiquement toutes les études menées par les think tanks impérialistes admettent que le rôle de l'Iran dans la résistance chiite irakienne est mineur. D'autre part, concéder à l'actuel régime iranien un rôle pour garantir la stabilité de l'Irak, serait une considérable estafilade dans les plans américains pour l'Asie occidentale.

    Cela affaiblirait aussi leur contrôle sur les autres régimes compradores de la région. La "guerre contre le terrorisme" supposait pour les États-Unis de tirer tous les bénéfices d'être l'unique superpuissance. Elle avait pour but d'assurer que ni les peuples du monde, ni leurs rivaux impérialistes ne soient en mesure de défier leur suprématie. Mais le bain de sang en Irak et en d'autres lieux a permis d'exposer la faiblesse militaire de l'impérialisme US devant les peuples, et ainsi, leur a donné plus de confiance pour lutter contre lui, sa stratégie apparaissant toujours plus comme un fardeau. À cela s'ajoute la possibilité pour ses rivaux impérialistes, en particulier la Russie, d'avancer leurs pions pendant qu'il est "fixé" en Irak.

    L'Irak et l'Afghanistan ne sont pas strictement comparables au Vietnam. Dans ce pays, il y avait une force révolutionnaire dirigeant une lutte de libération nationale. Ici, la guerre nationale est organisée et dirigée principalement par les forces islamiques. Mais quant à la situation dans laquelle les États-Unis se trouvent aujourd'hui, les similitudes sont frappantes. Ceci prend racine dans la principale source du problème, le développement de la contradiction entre l'impérialisme et les nations et peuples opprimés, qui décrit le contexte et en détermine la dynamique. À la différence du Vietnam, cette contradiction ne se manifeste pas en Asie occidentale et en Afghanistan au travers d'une différenciation aiguë produite par une idéologie révolutionnaire, mais se présente encore embourbée dans un affrontement sectaire de masses contre masses. Mais c'est justement cette complexité, la forme particulière sous laquelle la contradiction de développe, qui exige d'être analysé.

    Il faut pour commencer se pencher sur deux points de vue, qui se complètent entre eux en dépit d'avoir l'air totalement contradictoires. Le premier reconnaît formellement le caractère réactionnaire de l'idéologie des forces islamiques, mais pratique ensuite un suivisme acritique vis-à-vis d'elles. Le second admet formellement qu'elles font partie de l'humanité opprimée et colonisée, mais présente ensuite leur lutte contre l'occupation impérialiste comme un choc entre deux forces réactionnaires. Le point commun entre les deux est une logique d'un genre particulier, qui veut que leurs prémisses ne se retrouvent absolument nulle part dans leurs conclusions... Ce qui est frappant, surtout, est la façon dont ces deux positions cherchent à éviter de faire face à la complexité précédemment évoquée. De telle sorte que l'une et l'autre font obstacle à toute possible intervention maoïste ; dans le premier cas en se mettant à la remorque de "ce qui existe sur le terrain", dans le second en se tenant éloigné d'une réalité "confuse".

    Le problème essentiel avec la principale résistance en Irak ou en Afghanistan n'est pas qu'elle soit islamique, ou pour le dire en termes plus généraux, qu'elle soit dirigée par une idéologie de caractère religieux. Les idéologies religieuses ont maintes fois pu jouer un rôle progressiste dans l'histoire. Elles peuvent encore aujourd'hui se convertir en expressions d'un contenu national et démocratique, car dans les pays opprimés, dans des conditions semi-coloniales et semi-féodales, la religion n'est pas seulement une question spirituelle : elle est aussi un mode de vie étroitement imbriqué dans la culture nationale.

    Par rapport au sujet spécifiquement abordé ici, le principal problème prend source dans l'élaboration de cette idéologie en particulier, les programmes sociaux réactionnaires proposés par les forces les plus décidées de la résistance islamique, leur "fondamentalisme". Pour autant, au-delà de rechercher la raison pour laquelle les idéologies religieuses, au lieu des séculières, obtiennent autant de soutien, nous devons aussi nous demander pourquoi ce courant religieux en particulier avance, au lieu par exemple d'une théologie de la libération.

    Une réponse tentante pourrait être une combinaison de facteurs tels que l'affaiblissement de la foi en la pensée progressiste et la pratique en général, occasionné par les évènements mondiaux (notamment la chute du socialisme), l'échec des maoïstes à défendre le drapeau de la libération nationale dans les pays opprimés, joint à une identification superficielle de la modernisation compradore avec la sécularisation de la société ; la férocité et le rejet inflexible de la situation existante que l'on observe dans la religiosité fondamentaliste et qui offre aux masses une radicalité militante : tous ces facteurs ont certainement joué. Les ravages de la globalisation et de la misère, combinés à l'impulsion consciente donnée parfois aux mouvements religieux par l'impérialisme et les réactionnaires, offrent également sans doute des conditions propices.

    Mais il faut nous garder de donner trop d'importance à cela. Établir une causalité absolue entre l'affaiblissement de la religion et la prolétarisation, et inversement entre la déprolétarisation et son resurgissement, est le pire genre de pensée mécanique et de généralisation hâtive qui puisse exister. En ce qui concerne le rôle de l'impérialisme et de la réaction, même en le retenant comme un facteur important, il n'en pose pas moins la question de pourquoi il rencontre tant de succès, et implique par conséquent, et même à plus forte raison, la nécessité de se pencher sur les facteurs matériels et culturels intrinsèques à chaque société particulière. De même que la vision de la poussée de ces mouvements fondamentalistes comme un pur "stratagème de l'impérialisme et de la réaction" pour "détourner les masses des vrais problèmes" de la globalisation est incapable d'expliquer son authenticité perçue, justement, comme une réponse à la globalisation par la masse de ses partisans ; en plus de rejeter les questions de la foi et de l'idéologie hors de la liste des "vrais problèmes".

    Quelle est donc la centralité de classe des mouvements fondamentalistes islamiques, ou des mouvements fondamentalistes en général dans les pays opprimés ? Elle peut tout à fait être petite-bourgeoise, rurale ou urbaine, y compris d'éducation "moderne". Le marxisme, et les expériences de la vie quotidienne nous montrent que la petite bourgeoisie des pays opprimés est une force sociale importante au niveau national, n'appartenant en aucune manière à des secteurs historiquement retardataires, bien qu'elle soit tout à fait capable d'être réactionnaire. L'expérience historique nous enseigne aussi qu'elle peut parfois déclencher des mouvements de libération nationale. La composition petite-bourgeoise de leur noyau est une raison importante pour laquelle certains mouvements fondamentalistes sont capables de se lier aux larges masses et de se mettre à la tête des légitimes résistances. Mais si, bien sûr, l'analyse se laisse guider uniquement par la répugnance morale, elle ne peut conclure qu'à y voir un ramassis de couches sociales réactionnaires surgies d'âges obscurs - pas même la supposition du contraire n'étant permise.

    [NB : cet article date de 2008 ; à cette époque, le phénomène Daesh n'avait pas encore vu le jour (son prédécesseur, "Al Qaïda en Mésopotamie", était plus en difficulté qu'autre chose). Depuis lors, Daesh a régné entre 2014 et 2017 sur un "Califat" mésopotamien pour le compte (pour leur donner une base d'accumulation où investir) de financeurs milliardaires du Golfe : ce n'est donc pas exactement une force "petite-bourgeoise" ou "bourgeoise nationale". De manière générale, si on lit aussi la très intéressante biographie du turc Necmettin Erbakan, le fait que l'"islamisme" représente une bourgeoisie nationale mais très liée à la grande propriété semi-féodale (qui dans le Golfe est devenue pétro-oligarchie) constitue sa principale limite pour devenir une véritable force de libération révolutionnaire nationale-démocratique, anti-impérialiste.]

    Ceci peut à la rigueur convenir si l'on cherche à gagner une audience parmi les personnes découragées par les opinions et les pratiques des fondamentalistes les plus réactionnaires, mais cela ne va en rien aider les maoïstes à accéder à une compréhension et un traitement correct de ce phénomène, ni à mobiliser une masse révolutionnaire sur cette base, que ce soit dans les pays opprimés ou dans les pays impérialistes. La position affirmant que la résistance dans un pays comme l'Irak est un choc entre deux groupes réactionnaires est à rejeter comme économisme impérialiste, précisément parce que l'aspect de résistance nationale contenu en elle est nié. La distinction apparemment tracée entre colonisés et impérialistes ne peut avoir aucun sens, dès lors qu'est niée son implication dans la contradiction nationale (d'ailleurs, ceux que critiquait Lénine pour leur économisme impérialiste ne niaient pas non plus la distinction entre impérialisme et colonies : le problème était que leur négation du droit à l'autodétermination, incluant la sécession, éliminait cette distinction de leur pratique politique concrète).

    Dans la situation actuelle, un résultat de cela est par exemple le renversement des objectifs prioritaires dans les pays occupés, comme on peut le voir dans l'argument que "pour être réellement avec le peuple d'Afghanistan aujourd'hui, il faut s'opposer à la totalité des ses principaux ennemis : les Talibans, la République islamique d'Afghanistan et, bien sûr, les occupants étrangers".[1] Ce simple ajout des occupants impérialistes en fin de liste des ennemis principaux, au lieu de focaliser sur eux et l’État fantoche, est une expression inévitable de l'économisme impérialiste sous-jacent à toute l'analyse.

    En supposant que le noyau du mouvement fondamentaliste est petit-bourgeois, d'où vient donc son caractère réactionnaire virulent, si contradictoire en apparence avec sa position objective de classe ? Pour aborder cette question, il nous faut distinguer le fondamentalisme du revivalisme. Il n'y a pas de Muraille de Chine qui les sépare. La transformation mise en œuvre lorsqu'ils obtiennent le pouvoir politique est évidente. Mais s'ils présentent une différence importante, c'est dans leur religiosité. La religiosité revivaliste, comme par exemple l'Hindutva de Sangh Parivar en Inde, est assez superficielle. En dépit de la profusion de rituels et de symboles, y compris ceux abandonnés depuis longtemps par les "vrais croyants", il n'y a pas de problème à les accompagner de vulgaires auto-indulgences compradores. Toute religion contient inévitablement une dose d'hypocrisie inconsciente, mais ici cette hypocrisie est consciente, pas que non-reconnue. La poursuite des choses matérielles vulgaires et l'imitation de la culture impérialiste (qui vise pourtant à "affaiblir l'esprit national" pour les forces nationalistes) sont bien accommodées et intériorisées, et sont une part importante du "mode de vie" revivaliste.

    Pour les fondamentalistes (les Khalistanis en étaient un bon exemple, tout comme les Talibans), le retour à une pratique "non-contaminée" de la religion est absolument inflexible. Cette spiritualité doit nécessairement se heurter de plein fouet avec le présent et les pouvoirs qui l'imposent. De fait, la marche arrière est vue comme la seule manière de résister et de vaincre la dégénération du présent. Retourner vers le passé n'implique pas forcément servir la réaction. Un exemple en est la Réforme luthérienne en Europe. Sa spiritualité était étroitement liée au dégoût de la monétarisation de la rédemption et autres actes "anti-chrétiens" de l’Église catholique, et appelait à revenir vers le passé idyllique des premiers temps de la chrétienté. Mais objectivement, la Réforme de Luther a favorisé le développement du capitalisme, une société où l'argent est le gouvernement suprême ; complètement à l'opposé de ce qu'elle se proposait de réaliser. Indépendamment des désirs du rédempteur, les forces sociales de la transition capitaliste l'ont mise à leur service. Si nous regardons à nouveau vers le fondamentalisme des pays opprimés, le caractère désespéré de son projet apparaît clairement. Nous avons là des sociétés où chaque développement du capitalisme bureaucratique ressuscite collatéralement quelques féodalismes ; où la dynamique de transformation sociale est réprimée, désarticulée par l'oppression impérialiste de la nation. Ainsi, le contexte objectif propulse et donne forme aux efforts des fondamentalistes pour surmonter le présent en revenant au passé, dans une juxtaposition réactionnaire des relations sociales existantes, y compris lorsqu'ils se heurtent eux-mêmes à celles-ci.

    C'est l'impossibilité du projet de société fondamentaliste qui lui donne son caractère fanatique rigide, sa féroce spiritualité, sa capacité à susciter un militantisme jusqu'à l'auto-sacrifice, et en définitive la racine de son caractère réactionnaire. En son cœur se rencontre une intense réaction à l'aliénation nationale, culturelle, continuellement aggravée par la domination impérialiste et ses transformations imposées. Tel est son creuset. Réduire le fondamentalisme à l’insatisfaction de quelques éléments féodaux ou claniques, ou un simple resurgissement de leurs idéologies serait perdre de vue un détail très important : son caractère extrêmement moderne, qu'il est un produit de notre temps. Exposer les contenus réactionnaires du fondamentalisme est sans aucun doute nécessaire. La prise de conscience des femmes, des dalits et d'autres secteurs des masses opprimées, enchaînées par les traditions religieuses, offre de puissantes sources d'énergie pour ce faire. Mais sauf à ce que l'espace spirituel occupé par le fondamentalisme soit reconquis par une vision éclairante de libération totale, une vibrante culture nationale laïque et une nouvelle société libre d'exploitation ; et à moins que l'espace physique aujourd'hui occupé par la résistance fondamentaliste soit récupéré sous les drapeaux révolutionnaires d'une Guerre populaire, les maoïstes ne réussiront pas.

    Pour toutes ces raisons, dans le contexte spécifique d'une résistance contre une occupation impérialiste, la relation entre les forces fondamentalistes et les maoïstes ne peut être aussi simple que l'antagonisme ou au contraire la collaboration. Elle peut contenir les deux. Le programme social réactionnaire d'une force fondamentaliste dans un pays opprimé, ne l'exclut pas automatiquement de la résistance nationale. Ses actions contre l'oppresseur de la nation sont justes. À la question de savoir si elle reflète la contradiction du peuple opprimé avec l'impérialisme, ou celle entre une partie des classes dominantes et une puissance impérialiste, il doit être répondu par l'analyse concrète de la composition de classe au centre de la force en question. Les généralités, de toutes les manières, ne servent à rien. 

    Il y a un autre aspect à prendre en compte : dans un contexte d'occupation, la contradiction entre la nation et les occupants devient principale. Toutes les autres contradictions, y compris celles entre les classes dominantes ou certains secteurs de celles-ci et les puissances impérialistes, sont déterminées, conditionnées par cette contradiction principale. Si bien que, même lorsque le noyau d'une force est constitué par des classes dominantes (compradores ou féodales), sa résistance contre l'occupation fait objectivement partie de la résistance nationale. Ceci n'efface certes pas les intérêts réactionnaires qui guident son action, mais même ces intérêts ne l'excluent pas en tant que tels de la résistance.

    En termes politiques, le simple fait qu'une force résiste à l'occupation impérialiste ne signifie pas les maoïstes doivent la ratifier comme une force de libération nationale et s'unir à elle, même lorsqu'ils reconnaissent sa résistance et le rôle objectif qu'elle joue. Mais de l'autre côté, il n'est pas possible de lui dénier ce rôle objectif de résistance contre l'occupation en invoquant le programme social réactionnaire qu'elle pourrait éventuellement défendre.

    Aborder le sujet sous cet angle exige une compréhension correcte des apports de Mao Zedong quant à la voie de la révolution dans les pays opprimés, et particulièrement son analyse de la complexe toile d'araignée de contradictions qui s'observent à travers le monde. Aujourd'hui, il est communément admis dans le mouvement maoïste que la principale contradiction dans le monde est celle qui oppose l'impérialisme et les nations et peuples opprimés. Pour autant, bien souvent, cela ne nous informe guère de façon analytique sur des phénomènes tels que le resurgissement de diverses formes de mouvements religieux dans les pays opprimés. Pire encore, est la situation dans laquelle les impérialistes s'approprient le mot d'ordre de "guerre contre le terrorisme" qui apparaît, du moins dans sa phase actuelle, comme guidé par l'intérêt de la classe dominante US de faire reculer le fondamentalisme islamique. Tel est l'objectif déclaré. Mais un regard plus attentif laisse percevoir autre chose. Jusqu'à la fin du siècle dernier, non seulement l'impérialisme US mais tout le bloc de l'OTAN s'est entièrement dédié à la question d'élaborer des plans pour surmonter des décennies d'agitation révolutionnaire. Une récente étude du Ministère de la Défense du Royaume-Uni le dit de manière assez explicite. [2]

    Il n'est pas difficile de comprendre cette préoccupation si on la situe dans le cadre de la globalisation impérialiste et de la résistance qui grandit contre elle. La promotion de la politique portée en particulier par les néoconservateurs US, formulée après coup comme "guerre contre le terrorisme", fait partie de cette vaste stratégie impérialiste qui est en grande partie directement liée au développement de la contradiction principale mondiale ci-dessus énoncée. Aujourd'hui, la lutte armée est qualifiée de "terrorisme" indépendamment de son contenu politique. La "guerre contre le terrorisme", dans laquelle le fondamentalisme islamique est en apparence l'ennemi désigné, a ses antécédents dans la campagne de contre-insurrection menée en Amérique du Sud sous le nom de "guerre contre la drogue". Elle s'accompagne d'un vaste projet de restructuration du secteur agricole en crise dans le Tiers Monde, identifié comme une source potentielle d'"instabilité", autrement dit de révolution...

    La "guerre contre le terrorisme" est en réalité une guerre contre les peuples du monde, qui cherche à faire reculer la nouvelle vague émergente de la révolution mondiale. Telle est la dynamique qui exige d'être comprise, si l'on veut s'extraire intellectuellement des terminologies imposées par l'establishment impérialiste.

    Les politiques sont naturellement différentes d'un pays à l'autre, et entre les pays opprimés et les pays impérialistes. Il existe néanmoins des similitudes. Le "terrorisme" islamique, comme celui d'autres groupes de résistance, peut être convenablement utilisé par les classes dominantes de ces deux catégories de pays pour légitimer une suppression ou une restriction des droits démocratiques. Lorsque les victimes sont les masses populaires, les actes terroristes les divisent et pousse une grande partie d'entre elles sous les drapeaux des gouvernants. Il faut certes tracer une ligne de démarcation claire entre le terrorisme et la violence révolutionnaire. Mais il nous faut aussi tracer une nette ligne de démarcation entre la position maoïste et la propagande "anti-terroriste" de l'impérialisme et de la réaction. Ceci ne peut se faire qu'avec des arguments montrant qui représente la principale menace pour l'humanité et qui est le principal coupable. Ce qui est nécessaire, c'est surtout une défense ferme et inconditionnelle du droit des peuples à résister par les armes. L'opposition à l'idéologie ou au programme social qu'ils suivent ne doit pas nous détourner de cela. Et la seule manière de s'en assurer est une compréhension pleine et entière de la dynamique de la révolution, de l'opposition au système et en particulier de la principale contradiction dans la situation mondiale actuelle. Lorsque l'agitation actuelle dans le monde n'est vue, dans son ensemble, que sous le prisme des conflits inter-bourgeois ou réactionnaires, lorsque les grands tournants s'analysent et s'expliquent principalement en ces termes et que la révolution est simplement quelque chose que l'on ajoute en bout de chaîne au lieu de l'admettre comme facteur principal, ce qu'elle est en réalité, la défense du droit des opprimés à résister ne peut en ressortir que conditionnelle et faible.

    [1] WPRM-Winnipeg, "Notes sur l’Afghanistan"

    [2] "Les disparités de richesse et, par là, de chances se feront plus évidentes, avec les ressentiments associés, y compris parmi le nombre croissant de personnes qui aspirent à vivre matériellement mieux que leurs parents et grands-parents. La pauvreté absolue et le désavantage comparatif alimentent le sentiment d'injustice parmi ceux dont les aspirations ne sont pas satisfaites, accroissant les tensions et l'instabilité tant à l'intérieur qu'entre les sociétés et aboutissant en expressions de violences telles que les désordres, la délinquance, le terrorisme et l'insurrection. Ils peuvent également donner lieu au resurgissement d'idéologies non seulement anticapitalistes, possiblement liées à des mouvements religieux, anarchistes ou nihilistes, mais aussi au populisme et à une renaissance du marxisme". Programme de Tendances Stratégiques Globales, DCDC, 2007-2006. La DCDC est la Direction générale du Ministère de la Défense britannique. Le document est une source pour le développement de la politique de défense du Royaume-Uni.


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  • #Catalogne : suite au verdict fasciste condamnant à des peines de 9 à 13 ans plusieurs dirigeants indépendantistes

    Un texte très intéressant qui nous vient de Catalunya (pour peut-être servir la RUPTURE politique là-bas... et ailleurs aussi)

    #BreakingNews Catalogne : proposition de référendum d'autonomie par Sanchez

    "Tout changer pour que rien ne change"... (suite au renversement de Rajoy et à l'accession au pouvoir de Pedro Sanchez)

    Carles Puigdemont est incapable de rompre avec la blanchité. Il est par conséquent normal qu'il soit incapable de rompre avec l'entité bourbonique.

    Nouvelles de Catalogne

    Quelques réflexions sur le processus catalan (NÒS-info)

    Continuité... et rupture en Catalogne

    Les communistes de l'État espagnol sur la situation catalane : difficile de faire meilleure résumé synthétique de la position juste qui est la nôtre

    Une arme réactionnaire parmi d'autres en Catalogne : la question de la séparation de la "Tabarnie" (région anti-indépendantiste autour de Barcelone)

    En Catalogne, les résultats du scrutin suscitent l'enthousiasme mais aussi l'inquiétude

    #Catalunya et Des nouvelles des Mélenchon ibériques

    "Entre la négation du droit à l'autodétermination de la Catalogne par l'Espagne et le fascisme, il y a quand même des nuances importantes"

    L'État français aura désormais une frontière avec le fascisme

    Catalogne : ultimatum fasciste de Madrid

    Catalogne : reculade bourgeoise et éclatement des contradictions de classe dans le mouvement pour l'indépendance

    Préférer "'l'unité à la séparation", "les grands ensembles à l'atomisation balkanique", etc. etc.

    Encore des punchlines autour du "séparatisme" national

    Bon récap de la situation en Catalogne sur le blog de Nicolas Maury (PCF) 

    Réflexions d'actualité : la Catalogne... et le Başûr (Kurdistan d'Irak) à l'heure des référendums d'indépendance

    Catalogne, l'heure de vérité (recueil de nos articles, ordre anti-chronologique)


    Grand-père Siset me parlait
    De bon matin sous le porche
    Tandis qu'en attendant le soleil
    Nous regardions passer les charettes

    Siset, ne vois-tu pas le pieu
    Où nous sommes tous attachés ?
    Si nous ne pouvons nous en défaire
    Jamais nous ne pourrons nous échapper !

    Si nous tirons tous, il tombera
    Cela ne peut pas durer très longtemps
    C'est sûr il tombera, tombera, tombera
    Bien vermoulu il doit être déjà.
    Si tu le tires fort par ici
    Et que je le tire fort par là
    C'est sûr, il tombera, tombera, tombera,
    Et nous pourrons nous libérer.

    Mais Siset, ça fait déjà bien longtemps
    Mes mains à vif sont écorchées !
    Et alors que les forces me quittent
    Il est plus large et plus haut.

    Bien sûr, je sais qu'il est pourri,
    Mais, aussi, Siset, il est si lourd !
    Que parfois les forcent me manquent
    Reprenons donc ton chant :

    (Si nous tirons tous...)

    Grand-père Siset ne dit plus rien
    Un mauvais vent l'a emporté
    Lui seul sait vers quel lieu
    Et moi, je reste sous le porche

    Et quand passent d'autres gens
    Je lève la tête pour chanter
    Le dernier chant de Siset,
    Le dernier qu'il m'a appris :

    (Si nous tirons tous...)


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  • 2019 : Le problème "des Kurdes" (PKK-PYD-YPG/J) en Syrie, c'est...Le redécoupage final du Nord syrien - "Retrait" US et invasion turque - Deux articles qui abordent en partie le sujet : 1 ; 2Décidément... (les liquidateurs pseudo-"tkp/ml" n'ont honte de rien) - (quelque temps auparavant) Série "coucou les rojavous", suite et fin ? (drones sionistes lancés sur l'Irak depuis Rojava)

    Quelques considérations sur le confédéralisme démocratique et la question nationale

    Les termes exacts de l'accord conclu entre les forces kurdes YPG-FDS et le gouvernement syrien

    Erdogan est un fasciste, puisqu'il est à la tête d'un État semi-colonial fasciste, MAIS... (son "hitlérisation", désormais par l'hebdo bourgeois de droite Le Point, signifie quelque chose)

    Le néo-menchévisme öcalaniste et rojaviste, et la question de la Palestine

    Rojava - encore un article intéressant  : Le point d'explosion de l'idéologie au Kurdistan par Vivian Petit et Guy-Edern Hallbord, qui rejoint dans l'ensemble et synthétise en quelque sorte toutes nos analyses sur la "Rojavamania" gaucho-impérialiste occidentale...

    Turquie/Kurdistan : élections anticipées, l'heure de vérité approche (quand les rojavalâtres préparent le remplacement d'un fascisme par un autre...) et Voilà, ça y est... (et à l'issue du scrutin et du passage en force d'Erdogan : turquie-victoire-d-erdogan et turquie-quels-que-soient-les-resultats-reels)

    Une position maoïste sur le Kurdistan (extrait d'une déclaration conjointe d'organisations MLM d'Amérique du Sud + Allemagne pour le 1er Mai - un peu "radicale", "dogmato-sectaire" peut-être, mais enfin... que les faits ne semblent-ils pas, encore une fois de plus, leur donner raison !!)

    Chute d'Afrin/Efrin (18 mars 2018)

    Dernières nouvelles #Efrin

    Pour clamer son "soutien" à la Palestine, Soral n'a pas des tribunes dans le Monde ou le Figaro... 

    Pour le coup, on peut prendre une source absolument INATTAQUABLE par nos détracteurs (oui parce que depuis le temps que vous nous suivez, "la souuuurce" quand les gens n'ont pas envie de débattre sur le fond, vous connaissez la chanson)... lorsque cette source fournit autant d'informations pour comprendre la situation

    Clarification sur la question de la CONCEPTION DU MONDE et de l'indépendance IDÉOLOGIQUE comme problème central de Rojava

    De toute façon, la meilleure dans tout ça... c'est que les gaucho-impérialistes dont nous parlons n'en ont rien à foutre des Kurdes

    Clarifications sur la question d'Erdogan

    Les 3 grandes questions de fond (les seules dont il vaut la peine de discuter)

    Éternel retour à la case 2011

    Encore du débat sur Rojava (réponse à des commentaires laissés ici) et À lire absolument, par rapport à l'état d'esprit des volontaires révolutionnaires en Rojava

    #Rojava #Efrin (très important sur l'évolution de la situation après l'offensive turque sur ce canton)

    Moi, ce que je vois...

    Extraits de discussions FB - sur les évènements actuels à Efrin, la question de Rojava et la libération nationale d'un point de vue léniniste en général

    Kobané devait être sauvée des griffes de Daesh,

    Offensive turque à Efrin - Par delà toutes les trahisons... Biji Berwxedana Efrine

    Non, non, non... là ça va trop loin (Fourest est en train de nous chier un film sur Rojava...)

    (Encore un commentaire Facebook bien explicatif, qui permettra à ceux qui ont du mal à suivre d'avoir un bon résumé synthétique)

    L'année 2018 commence fort au Proche et Moyen Orient (un des plus importants)

    La question de Rojava est devenue un enjeu idéologique international et son petit complément #Rojava

    (petite brève) "Tout ce qui bouge n'est pas rouge"...

    Déclaration du TKP/ML au sujet du HBDH et de toutes sortes de points concernant la situation en Turquie et au Kurdistan (FONDAMENTAL pour comprendre les enjeux idéologiques d'un point de vue maoïste)

    Rappel encore une fois nécessaire... (sur la nature de Daesh, et du djihadisme en général puisque tout ceci n'est finalement qu'affaire de "boutiques" qui marchent, puis "passent de mode" et sont remplacées par d'autres)

    Le nouveau Sykes-Picot du centenaire

    [Dossier kurde] Je ne mets pas une seule seconde en doute...

    Pour terminer sur le dossier kurde...

    [Dossier kurde] Discussion Facebook sur Öcalan

    [Dossier kurde] C'est toujours rigolo...

    Récapitulatif des articles sur la question de Rojava (ordre anti-chronologique)


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  • https://www.courrierinternational.com/article/barcelone-peut-il-se-separer-des-independantistes-catalans


    Une arme réactionnaire parmi d'autres en Catalogne : la question de la séparation de la 'Tabarnie' (région anti-indépendantiste autour de Barcelone)


    Réponse à un contact Facebook ayant partagé le truc, comme quoi "le droit à l'autodétermination c'est pour tout le monde" :

    Ce serait un peu comme le fait que la Côte d'Azur se sépare d'une révolution dans l'Hexagone entier ou dans le coin ("Sud", Provence, Occitanie).

    Pourquoi pas, bon vent ! Mais ce serait une séparation comme BASE NOIRE réactionnaire... Qui devrait être prise  et écrasée à un moment où un autre, car c'est une lutte DE CLASSES.

    Au demeurant c'est marrant ton histoire, parce que Barcelone EST précisément tout ce que tu reproches à la Catalogne indépendantiste... "Région la plus riche d'Espagne" ? Enlève ta "Tabarnie" et je ne suis pas sûr que le reste surnage beaucoup au dessus de l'Aragon ou de la Mancha. "50% des industries à forte valeur ajoutée de l'État espagnol" : idem. "Les plus grands et puissants monopoles espagnols" : idem. Et le résultat de cette "exception tabarnaise", c'est une majorité pour Ciutadans... pas pour Puigdemont.

    En fait tu raisonnes exactement comme ce que tu reproches (peut-être effectivement à raison parfois !) à certains indépendantistes : la Catalogne se sépare de l'Espagne, la "Tabarnie" se sépare de la Catalogne, et... quoi ? Tu penses que la lutte des classes s'arrête ?

    Bien sûr que non, car en "Tabarnie" il y aura toujours des classes. Et en dépit du mythe des "pauvres immigrés du reste de l'Espagne qui sont anti-indépendantistes" (quant aux immigrés non-espagnols, ils n'ont pas autant la nationalité donc le droit de vote qu'ici, et j'en connais un paquet qui voteraient indép si ils pouvaient), le vote espagnoliste Ciutadans est un vote de classe. Un vote de bobos péteux comme ceux que tu croises à raison de 200 tous les 100 mètres sur les boulevards parisiens.


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  • Si les gens de l'IFB risquent leurs vies et meurent pour une cause qui n'est pas celle du communisme, alors il est justement du devoir de tout communiste sur la planète de s'élever contre cela et les liquidateurs derrière cela.

    Le matérialisme marxiste conchie les histoires de "premiers concernés". À ce jeu-là, en 1914, 95% des "premiers concernés" étaient favorables à la "guerre juste" qui allait tuer le quart d'entre eux. Tous pensaient défendre la "civilisation" contre la "barbarie". Les "Français" revoyaient déjà les "hordes germaniques" de 1792, 1815 et 1870. Les Allemands revoyaient déjà l'occupation napoléonienne, sans parler des "hordes mongoles" russes.

    Le "droit des peuples", la "petite Belgique occupée" étaient au centre de tous les discours bellicistes, et en premier lieu bien sûr, bellicistes "de gauche".

    Il faut arrêter avec ça. Ce n'est pas une question de "ceux qui sont dans la lutte les armes à la main", "t'as vu", et "toi dans ton canapé" t'as rien à dire. C'est une question de fidélité aux principes du marxisme, du léninisme le plus élémentaire ; il n'est même pas vraiment question de maoïsme, là. Si dans la direction d'une organisation marxiste-léniniste ou maoïste, UN SEUL individu défend ces principes, alors il est légitime et les autres sont en violation de ceux-ci et sur la voie du révisionnisme.

    Défendre Rojava contre la brutalité ultra-réactionnaire de Daesh pouvait être justifié ; servir les buts de guerre du bloc impérialiste occidental, sous le nom commode de "révolution régionale", ne l'est en aucun cas : c'est mourir pour l'impérialisme sous les applaudissements "de gauche" de liquidateurs, et à celles et ceux qui souffrent et meurent, dire cela est faire honneur et rendre service.

    Si des camarades communistes devaient mourir pour ce qui est, appelé par son nom, une part des puits de pétrole de l'Est syrien, la responsabilité des révisionnistes qui ont encouragé cela serait la même que celle des sociaux-traîtres de 1914.

    La lutte sur cette question de Rojava est dans une large mesure une lutte contre les arguments postmodernes et "terrainistes" qui sont, en vérité, TOUJOURS au service de l'opportunisme.

    Une autre chose qu'il est important de pourfendre, c'est ce que nous appellerions le "postmodernisme indépendantiste de gauche" : Rojava est une "lutte de libération", "progressiste", DONC "c'est bien" ; et dire le contraire serait "chauvin", "jacobin" etc.

    NON. Ben non. Dans le monde semi-colonial semi-féodal, soit les continents africain, asiatique et américain au sud du Rio Grande, il y a UN SEUL oppresseur national principal qui est L'IMPÉRIALISME. Toutes les autres oppressions nationales sont des "modalités", des "relais" de sa domination, et sont finalement secondaires. Les Kurdes ont été en quelque sorte laissés comme "os à ronger" aux États fantoches Sykes-Picot : pendant que ceux-ci s'occupent de les opprimer, ils ne s'occupent pas d'autre chose. Tel est le véritable sens de la question nationale kurde. Mais la Nation arabe n'est fondamentalement PAS VRAIMENT moins opprimée par l'impérialisme, ses satrapes, le sionisme etc. que les Kurdes ; il est même possible de dire, ces 20 dernières années, qu'elle a nettement plus morflé.

    Une "libération nationale" kurde qui se mettrait au service de l'oppression de la Nation arabe, n'est donc aucunement acceptable d'un point de vue léniniste anti-impérialiste.

    [Ah oui et puis, une comparaison évidente à laquelle nous n'avions pas pensé, c'est bien sûr Lawrence d'Arabie... Quoi de plus légitime, de plus droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, que la Nation arabe voulant se libérer de la séculaire oppression ottomane ? Et quoi de plus beau, émouvant et héroïque que cet idéaliste british allant l'y aider ? On connaît la suite...

    En tout cas, il n'y a pas plus ridicule que l'argument "si on n'est pas capable de soutenir Rojava, on n'est capable de soutenir personne" : non mais LOL quoi ! Il n'y a justement PAS de cause plus soutenue par des MILLIERS de personnes pour qui "tout se complique" dès qu'il s'agit de soutenir autre chose (Palestine, autodéfense antinazie du Donbass, nationalités opprimées ou racisées dans leur propre État etc.) !!]


    2 commentaires

  • Il fallait sauver les cantons libres de Rojava des griffes de Daesh, oui. Chez les maoïstes de Turquie par exemple, à ce stade, c'était une décision qui faisait absolument consensus.

    Mais Raqqa, puis Deir ez-Zor, puis carrément la frontière irakienne, cela n'a PLUS RIEN À VOIR avec Rojava, et plus rien d'un quelconque objectif militaire "progressiste" ; mais bel et bien TOUT d'un objectif impérialiste au parfum de puits de pétrole...

    [De fait (puisque la comparaison est omniprésente, chez les fana-rojavistes, avec la Seconde Guerre mondiale et ses fascismes et les "nécessaires compromis" des antifascistes avec l'impérialisme), le niveau d'intégration des YPG/J et des FDS au dispositif de l'OTAN est le même que celui que prônait "l'homme du Komintern" Wang Ming pour les communistes chinois dans l'armée du Kuomintang de Tchang Kaï-chek... et que Mao a férocement combattu. Mais la comparaison s'arrête en fait là car au niveau kurde justement, il faut se rendre à l'évidence, le mouvement öcalaniste n'est pas les communistes chinois : c'est le Kuomintang (nationalisme bourgeois) !]

    Comme en Chine en 1927 après la défaite des seigneurs de guerre, ou en 1945 après la défaite du Japon, les communistes doivent alors à ce stade savoir rompre le Front uni avec la bourgeoisie locale pro-impérialiste, et savoir le faire à temps. Ne pas le faire n'est rien d'autre que du révisionnisme, point à la ligne ; et encourager cela, le "chaperonner" est du gaucho-impérialisme.

    Car oui, il y a bel et bien en Occident une nébuleuse, un magma d'opportunisme de droite et de gauche (gauchiste)*, de droite masqué SOUS le gauchisme (bien souvent), qui est L'IMPULSEUR ACTIF de la ligne "tirailleurs de gauche de l'impérialisme" au Proche-Orient. Logique... pour un ramassis de petits gauchistes blancs occidentaux, PETITS BOURGEOIS DU MONDE, qui ont un intérêt MATÉRIEL concret aux miettes de bénéfices des guerres de rapine. Nous en connaissons bien certaines protubérances, qui ne représentent certes que ce qu'elles représentent, c'est à dire pas grand chose, mais qui en sont tout de même très représentatives de l'esprit : en apparence, un "dévouement sans faille à la cause des opprimés", dont il n'est d'ailleurs pas permis de "questionner les choix de lutte" (LOL) ; mais en pratique, un soutien et une impulsion active et permanente aux "choix", aux agendas CONFORMES aux intérêts de la petite bourgeoisie blanche occidentale qu'ils/elles sont.

    Proclamé et exalté "représentant des opprimés" kurdes, nous avons donc le PKK ; un parti dirigé depuis près de 20 ans par un leader incontesté depuis le fond d'une prison de sécurité nationale turque... Ce qui est contraire à tous les principes communistes les plus élémentaires, que nous maoïstes appliquons par exemple à Gonzalo au Pérou : on n'écoute pas un dirigeant emprisonné, sa "voix" qui sort de sa prison passant forcément à travers les "filtres" de ses geôliers !

    STOP. Ça suffit. Les choses sont en train de prendre une tournure gravissime. Elles s'orientent notamment, entre autres multiples choses, vers une coupure profonde et irrémédiable entre les masses arabo-musulmanes de l'immigration coloniale et le mouvement communiste ; on observe déjà des choses en ce sens, des discours du type "les antifas blancs au service du sionisme en Syrie, avec leurs Kurdes à la con là", et il est bien évident que ce n'est pas une ligne politique de tirailleurs de gauche de l'impérialisme qui va remédier à ce sentiment populaire déjà non sans fondement.

    La fidélité aux intérêts des Peuples colonisés et impérialisés de la planète, c'est la fidélité aux principes du matérialisme dialectique ; et pas une identity politics "opprimiste" qui en fin de compte ne soutient ("soutien !!", son grand cri de guerre) jamais que l'opportunisme liquidateur et la conformité aux intérêts petits bourgeois occidentaux.

    C'est un combat politique, idéologique sans merci qu'il nous faut désormais livrer, ici en Europe, contre les opportunistes impulseurs de tous les piétinements de nos principes élémentaires au Proche-Orient.

    Vive la révolution démocratique et populaire, ANTI-IMPÉRIALISTE en Turquie, au Kurdistan et au Machrek arabe !

    ÉCRASONS L'OPPORTUNISME ET LE GAUCHO-IMPÉRIALISME !!


    [* Nous pensons en effet, de plus en plus, que l'opportunisme de droite (réformisme, libéralisme, capitulardisme) et de gauche (ultra-radicalisme gauchiste) n'existent pas de manière pure et monolithique. En pratique, l'un et l'autre s'entremêlent savamment ; et bien souvent les positions les plus droitières, honteusement socedems n'avancent jamais mieux que sous un masque ultra-révolutionnaire : tout ce qui a trait au postmodernisme, à l'"intersectionnalité" et autre "déconstruction" notamment ; ou pour prendre un exemple concret, se chier dessus de l'hypothèse Le Pen mais ne pas oser assumer un appel à voter Macron, alors plutôt que d'assumer - pourquoi pas ? - cette option tactique en mode "nous préférons rester dans la continuité du hollandisme, en terrain connu", dire qu'on ne va pas voter mais qu'on va... "offrir" son droit de vote à une personne étrangère qui en est privée, faisant là un geste super "déconstruit de ses privilèges t'as vu". Par exemple. Dans l’État français, la ville de Lyon où l'organisation hégémonique est la Coordination des Groupes Anarchistes (CGA) est un peu un "laboratoire" de ce "mix", dont l'orga en question est un archétype (discours très radical, "intersec", "déconstruit" en paroles, et économisme syndicalo-protestataire en pratique), mais cela concerne globalement tout le milieu "radical" local. Et c'est ainsi que de la même manière, nous ne pensons pas que la frontière entre "l'ami qui se trompe" et "l'ennemi qui se cache" soit une question de degré de radicalité, de discours révolutionnaire ou au contraire "modéré"/réformiste : des gens de la Jeunesse communiste ou du NPA peuvent, à notre sens, être 100 fois plus des "amis qui se trompent" que des gens au discours beaucoup plus révolutionnaire qui sont des ennemis masqués.]


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  • Les élections autonomiques anticipées convoquées suite au déclenchement de l'article 155 ont vu la consécration comme première force politique des néofranquistes macronisés de Ciutadans, mais l'obtention de la majorité absolue par le bloc indépendantiste précédemment au pouvoir ; malgré l'emprisonnement ou l'exil des principaux dirigeants, le recul en voix comme en sièges est minime (un phénomène de vote utile affectant cependant les résultats de la CUP, de gauche radicale, qui s'effondre).

    Il faudrait vraiment que les contradictions dans le camp indépendantiste soient énormes pour que Ciutadans puisse se retrouver à former un gouvernement minoritaire avec les 57 sièges du bloc espagnoliste (maximum 65 en gagnant les guignols de Podem, mais c'est peu probable) ; mais rien au lendemain du scrutin ne laisse présager une telle situation malgré les prises de bec de ces dernières semaines entre Junqueras (emprisonné) et Puigdemont (réfugié en Belgique).

    On est donc revenu à la case départ, celle d'une majorité électorale nette en faveur de l'indépendance et d'une république ; et la plus grande incertitude règne quant au comportement futur de cette majorité ("calmée" par la répression, ou pas ?) et aux réactions de Madrid.

    Les développements ultérieurs seront à suivre attentivement...


    [Pour aider à situer (un peu) la mutation du fascisme moderne espagnoliste à laquelle nous assistons, lire ici le parcours et les idées programmatiques du fondateur du parti Albert Rivera :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Rivera

    Et ici Ciudadanos#Ligne_politique de fait c'est parfois presque... postmoderne : "faire en sorte que ni l'origine ethnique, ni la langue, ni le sexe, ni la condition économique de l’individu ne détermine de privilège"... (bon il y a aussi des "bruits" quant à un passé néo-franquiste plus "affirmé", mais il n'en est évidemment pas fait mention ici ; l'intérêt de ces articles Wikipédia est plutôt de montrer le macronisme fondamental, le "progressisme au service de l'Ordre" de l'entreprise de rénovation du Régime "fasciste moderne" de 1978 portée par Ciutadans...).]


    [Première ébauche de théorie : on constate que la CUP, qui était l'"impulsion" populaire et radicale du processus, a été victime du vote utile, chutant de 10 à 4 élus (Podem a au demeurant subi le même phénomène du côté anti-indépendantiste...). Et ceci... était peut-être un but très important de la manœuvre. En effet, lors du déclenchement de l'article 155, convoquer très vite des élections était une volonté (et même une condition pour leur soutien à Rajoy) de Ciutadans... qui en bons Macron locaux, avaient probablement très bien compris comment marchent les choses : l'effet vote utile face à un "Nom du Mal", grande et subtile technique de la contre-révolution préventive du 21e siècle.

    Ici, on a le FN. En Catalogne, l'espagnolisme ultra de Rajoy et le 155 antidémocratique jouent ce rôle. Donc, les têtes pensantes de Ciutadans se sont sans doute dit : "on ne gagnera sûrement pas ces élections, ne rêvons pas, même si on arrive premiers, mais le vote utile va renforcer les raisonnables chez les indépendantistes"... Et arrêter (ce qui comptait en tout premier lieu !) la fuite en avant, qui était impulsée par la CUP justement (et l'aile gauche d'ERC, à la rigueur).

    Le PP ce sont des vieux bœufs franquistes, qui ne savent que foncer dans le tas et jeter de l'huile sur le feu. Ciutadans est moderne. Ils ont appris, notamment, des Anglais en Irlande du Nord : repère la droite, les modérés chez tes adversaires, et renforce-les ! Et en prime, cerise sur le gâteau, les voilà première force en sièges au Parlement, chefs naturels de l'opposition espagnoliste, alternance désignée si le procés s'enlise et les gens se lassent de la coalition indépendantiste (dont les mesures sociales et démocratiques, qui étaient de toute façon systématiquement cassées par le Tribunal constitutionnel de Madrid, devraient être nettement moins nombreuses avec le recul de la CUP), et jouant déjà, sur un ton presque postmoderne (LOL), les "victimes" d'un "système antidémocratique qui donne la majorité à ceux qui ne sont pas majoritaires" (la proportionnelle catalane qui n'est pas intégrale mais par circonscriptions que sont les quatre provinces, celle de Barcelone ayant effectivement 63% des députés à élire pour 75% de la population, mais bon, en réalité sur les trois listes arrivées en tête cela ne change pas grand chose, toutes ont à environ un siège près une fois et demi leur pourcentage de voix)...]


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  • Q'ara anqaru ! (Colons dehors !)

    (et souvenons-nous qu'aujourd'hui est peut-être le jour du début de la fin de l'Empire espagnoliste, de son effacement de la page du temps, de la bataille d'anéantissement finale où ses propres Peuples travailleurs briseront son Trône ensanglanté...)



    Al amanecer niño corrias por las pampas alegre
    Nadando en aguas sagradas aymaras
    El dia en que llegaron a sembrar y causar terror
    Entre tu pueblo y entre tus hermanos
    Tu crecias enamorado de
    Bartolina juro amarte
    Ni la muerte consiguio separarlos

    En esta dura vida miserable
    Joven revelde que a su pueblo esclavizado vio

    Por la codicia del poder y la riqueza
    Se vio obligado a sumirse y servir al invasor
    Tus ideas fijas soñando libertad
    Libertad es el grito que se escucha
    Y retumba en toda America
    Ni cuatro caballos callaron tu grito
    Julian Apaza eres hoy el ejemplo

    Libertad es el grito que se escucha
    Y retumba en toda America
    Ni cuatro caballos callaron tu grito
    Julian Apaza eres hoy el ejemplo x2



    Magnifique...Magnifique...


    [Les évènements en cours dans l’État espagnol (actuellement, mais en réalité depuis plus d'un siècle) ont un vague rapport avec son déclin comme puissance coloniale et impériale. Ce déclin est en grande partie dû à des évènements survenus par le passé dans son Empire colonial, même si pour le moment, la caste des colons a réussi à sauver sa peau en passant sous parapluie yankee. Et maintenant que les Peuples mêmes de la Péninsule ibérique ne veulent plus "faire Espagne", c'est ce que l'on peut appeler le coup de grâce ; qui même si l'impérialisme US est désormais l'ennemi déterminant dans l'ancien Empire, aura tout de même des répercussions positives pour celui-ci. Ce qu'a combattu Tupac en son temps aura péri ; et péri par répercussion de proche en proche de sa geste héroïque. L'effondrement final du système Espagne sera AUSSI sa victoire posthume.]


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  • "Nulle part on ne parle aussi volontiers de la ‘religion du patriotisme’ que dans cette république laïque. Tous les attributs dont l’imagination humaine gratifie le Père, le Fils et le Saint-Esprit, le bourgeois français les transfère à sa propre nation. Et comme la France est du genre féminin, elle revêt du même coup les traits de la Vierge Marie. Le politicien apparaît comme un prêtre laïc d’une divinité sécularisée. La liturgie du patriotisme, mise au point avec la dernière perfection, constitue un chapitre indispensable du rituel politique."

    Trotsky, mais c'est quand même bien vrai...

    "Ce que nous avons vu à l’œuvre ces sept derniers jours, c’est une véritable ligue, allant de l’extrême-droite traditionnelle à cette sorte de gauche faussement laïcarde incarnée par Manuel Valls et le Printemps républicain. Sur Twitter, on a quand même pu voir l’annonce de l’éviction de Rokhaya tweetée par Caroline Fourest, elle-même retweetée par Manuel Valls et lui-même retweeté par Robert Ménard. Tout est dit.
    Cette ligue médiatique a des vrais réseaux et un agenda. Et celui-ci est clair. Il faut se rappeler qu’il y a eu, la même semaine, les attaques coordonnées contre Yassine Belattar. Je constate que ces deux tirs sont venus des mêmes réseaux.
    Que ce soit avec Yassine Belattar, Rokhaya Diallo ou même avec Karim Benzema, dès qu’un Noir ou un Arabe ose lever la tête, on voit cette même séquence se répéter, orchestrée par les mêmes réseaux."

    Axiom

    Un peu de Léon de temps en temps, quand il ne dit pas que des conneries, ça va ; tant que c'est avec modération hein !


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  • ... et, SURTOUT dans le monde semi-colonial semi-féodal, tout ce qui s'indépendantise n'est pas libération nationale.

    À bon entendeur !


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  • Nous avons vivement salué, en mars 2016, la création dans l’État turc d'un Mouvement Révolutionnaire Uni des Peuples (HBDH).

    Nous sommes en effet d'avis que la lutte révolutionnaire, face aux urgences posées dans tous les pays par la crise générale du capitalisme, ne peut pas attendre pour être menée que tous les révolutionnaires qui veulent en finir avec le capitalisme et toutes ses oppressions (nationale, raciste, patriarcale) soient d'accord autour d'une direction idéologique unique ; et qu'il faut donc à un moment donné accepter le principe d'une "task force" conjointe, d'une plateforme d'action commune pluraliste ; à partir de quoi, la meilleure ligne idéologique (qui est selon nous le maoïsme) s'imposera d'elle-même devant le "tribunal de la pratique", les idées justes balayeront les idées fausses et il n'y a donc pas à craindre, si l'on croit à son idéologie comme nous y croyons, que la direction de cette ligne ne finisse pas par s'instaurer naturellement.

    MAIS BIEN SÛR, il va de soi qu'une telle chose ne peut pas aller sans contradictions ; que la lutte idéologique existera toujours et ne cessera jamais, et qu'il DOIT en être ainsi ; qu'à un certain stade initial, les forces arrivées (pour diverses raisons) en position prépondérante dans le front d'action commune* et tendant à le considérer comme "leur" front peuvent imposer à celui-ci une ligne incorrecte qu'il est du devoir des maoïstes de critiquer ; et en l'occurrence, le HBDH ne compte en effet (en position très minoritaire) que deux forces réellement maoïstes, le MKP et le TKP/ML.

    La contradiction, comme nous l'enseigne le maoïsme, est en effet la "vie", le cœur palpitant, le MOTEUR de la politique à travers laquelle les masses font l'Histoire.

    Du coup, la contradiction a éclaté... jusqu'au sein même de l'une de ces forces, le TKP/ML...

    Le texte qui suit, traduit par nos soins, est signé du Comité central de ce Parti ; et d'après nos informations, ne représenterait et n'engagerait pas la totalité des effectifs [d'après des infos fraîches et plutôt de première main, il semblerait toutefois s'agir d'une position plutôt majoritaire que l'inverse].

    Il soulève néanmoins selon nous, au regard de la perspective politique adoptée par un certain nombre de forces révolutionnaires dans cette partie du monde secouée par une grande effervescence révolutionnaire, des questions très intéressantes qui méritent de l'être.

    http://ikk-online.org/statement-of-our-party-communist-party-of-turkey-marxist-leninist-tkp-ml.html

    Déclaration de notre Parti, le Parti communiste de Turquie / marxiste-léniniste


    Au sujet de la position adoptée au regard du Mouvement Révolutionnaire Uni des Peuples ; à l'attention des organisations et Partis internationaux frères et amis.


    Le 24 mars 2016, le Bureau international (BI) de notre Parti publiait une déclaration intitulée "Aux organisations et Partis internationaux frères et amis". Cette déclaration portait sur le Mouvement Révolutionnaire Uni des Peuples (HBDH – Halkların Birleşik Devrim Hareketi), dont la création venait d'être annoncée le 12 mars 2016. Notre Parti étant au nombre des signataires de cette nouvelle structure, le BI avait l'obligation d'accomplir cette tâche.

    À la suite de l'annonce publique de la création de cette structure, et que nous étions l'un des Partis la composant, notre Parti s'est trouvé face à une série de tâches consistant à en comprendre correctement le caractère et le contenu. Nous voulons spécifier ici que notre participation à cette structure est le résultat d'un acte décisionnel qui a outrepassé l'autorité de notre organisation.

    Lorsque notre Parti a réalisé pleinement le contenu du programme et de la déclaration fondatrice du HBDH, une discussion interne a été initiée. Cette discussion a porté sur divers points incluant l'outrepassement de l'autorité organisationnelle et le programme de la nouvelle formation. Comme vous pourrez le voir dans la déclaration qui va suivre, une grande partie du programme et de la déclaration fondatrice du HBDH n'est pas en accord avec les options programmatiques, les principes fondamentaux et la ligne politique de notre Parti.

    Selon nous, le caractère de cette structure excède celui d'une coordination d'action conjointe. Au regard de la globalité de son programme, de ses objectifs et buts, elle revêt le caractère d'une organisation de type front.

    Notre Parti a discuté de cette question de façon globale, et a finalement pris la résolution qu'il serait inapproprié de faire partie de cette structure au regard tant de nos procédures organisationnelles que de nos principes partidaires. Les procédures et les règles de notre Parti n'autorisent pas la direction à assumer l'autorité de rejoindre une telle formation ; les mêmes documents fondamentaux restreignent même l'autorité des conférences pour accepter les principes et objectifs d'une telle formation ; de telles actions sont expressément prohibées.

    La discussion interne que nous avons menée a réitéré ces principes une fois de plus. Sur le plan programmatique, beaucoup de points théoriques et politiques ne sont pas en accord avec notre Parti.

    Par voie de conséquence, notre Parti a pris la décision de se retirer du HBDH, et de maintenir ses relations avec cette structure et de participer à des actions conjointes avec elle sans en signer le programme.

    Lorsque le BI du Parti a rendu publique la précédente déclaration, il n'a fait qu'agir en responsabilité et remplir une de ses tâches courantes. Cette déclaration précédait, évidemment, les discussions internes que nous avons menées depuis. La déclaration qui va suivre ci-après, rectifie la situation et vous fait également part des positions du Parti au regard de ses relations avec le HBDH et de son opinion sur ladite structure.

    AU PUBLIC ET  ORGANISATIONS ET PARTIS INTERNATIONAUX FRÈRES ET AMIS :

    Le 12 mars 2016, la création d'une structure intitulée Mouvement Révolutionnaire Uni des Peuples (HBDH – Halkların Birleşik Devrim Hareketi) était annoncée. [Explication comme quoi un représentant du Parti dans les discussions constitutives a pris l'initiative d'apposer sa signature sous le programme et la déclaration fondatrice du HBDH, dans des conditions qu'il est inutile d'exposer ici car tout le monde les connaît, rendant difficile la communication avec les plus hautes instances de direction et donc une validation préalable de cette décision.]

    Depuis lors, faire partie du HBDH, qui a été constitué avec des intentions et des préoccupations révolutionnaires indubitables, a été un sujet de controverse sur le plan idéologique, politique et des principes à l'intérieur du Parti. Le programme du HBDH, sa déclaration fondatrice, ses buts et objectifs, et son fonctionnement organisationnel ont été discutés durant une période considérablement longue à l'intérieur de notre Parti ; pour finalement adopter une position définitive au regard de cette structure. Nous allons ici expliquer sommairement et dans les grandes lignes notre réalité, les positions de notre Parti, notre évaluation du HBDH et les relations que nous souhaitons entretenir avec lui.

    Notre Parti en est venu à la conclusion que faire partie du HBDH et être signataire de son programme est inapproprié au regard de ses principes fondamentaux, et de ses perspectives programmatiques qui ne peuvent être modifiées qu'au travers d'une résolution adoptée en congrès. À cet égard, notre Parti le TKP/ML déclare donc en premier lieu à l'attention de nos amis politiques, comme du public que nous ne faisons plus partie intégrante du HBDH.

    Les bases sur lesquelles nous ne souhaitons plus participer sont les suivantes :

    1. Au regard de son fonctionnement, de ses buts et de ses objectifs programmatiques, le HBDH est une organisation de type "front". Il a des assertions, au regard de ses buts et de son style de travail, qui excèdent le cadre d'une simple action conjointe dans laquelle des organisations politiques différentes convergeraient. À ce stade, la question d'un Front populaire uni est une question de principe pour notre Parti. Les conditions de formation d'un tel Front, que nous considérons comme une des trois principales armes du peuple et de la révolution populaire démocratique, sont claires dans le programme de notre Parti comme dans le marxisme-léninisme-maoïsme (MLM) qui est la théorie qui nous guide : notre Parti n'envisage une telle structure que sous sa direction politique et idéologique. Parmi les conditions nécessaires à la formation d'une telle structure, notre Parti doit avoir atteint un certain niveau de direction politique, idéologique et organisationnelle concrète [sur les luttes] et la structure doit être en ligne avec l'objectif de la révolution populaire démocratique et les intérêts de classe du prolétariat. Dans le contexte actuel, ces conditions sont inexistantes.

    2. Le programme du HBDH a élargi la définition de la révolution dans un pays, qui est une des conceptions essentielles de notre Parti. Notre Parti vise la révolution dans notre pays comme tâche immédiate et primordiale. C'est un principe fondamental. Le HBDH, lui, définit sa mission comme faire partie d'une grande révolution générale dans toute la région du Proche-Orient. Une telle définition est contraire à notre compréhension de la révolution en accord avec le MLM, qui envisage de développer les perspectives révolutionnaires conformément aux conditions spécifiques de chaque pays. Nous comprenons le véritable internationalisme comme chaque pays menant à bien sa propre révolution. Apporter un soutien militaire et politique, logistique et organisationnel actif à des révolutions qui peuvent émerger dans les autres pays de notre région du monde, est une autre tâche. De notre point de vue, les révolutions doivent être spécifiquement fomentées dans chaque pays, et tenter d'unifier ces différentes révolutions dans un seul programme révolutionnaire commun est foncièrement incompatible avec la réalité. Nous pensons qu'une telle approche dérive du trotskysme, et fait obstacle au développement des révolutions dans chaque pays. Nous sommes sans l'ombre d'un doute tenus par le principe d'analyse concrète des conditions concrètes, tel que posé par le MLM. Une révolution régionale ne peut être une perspective que sur la base de cette analyse concrète des conditions concrètes. N'observant pas concrètement ce phénomène à l'instant où nous parlons, de notre point de vue cet aspect du programme du HBDH représente une déviation et contrevient à notre idéologie et à nos principes.

    3. Le programme du HBDH présente une approche et une solution à la question nationale kurde. Au-delà de son caractère désordonné et éclectique, en substance, l'aspect sous-jacent du programme sur ce point est une mise en avant de l'autonomie démocratique. Comme nous le savons bien, l'autonomie démocratique est un substitut réformiste au principe léniniste du droit à l'autodétermination nationale. Bien que nous puissions considérer l'autonomie démocratique comme un programme démocratique et progressiste pour la question nationale kurde, de notre point de vue la solution à cette question nationale ne peut être que l'autodétermination sur la base d'une pleine égalité des droits. Telle est notre position de principe en la matière. Nous pensons que toute autre solution n'est pas en mesure d'apporter une liberté totale à la Nation kurde et échouera à assurer l'égalité des nations, risquant au contraire de préserver les privilèges de la nation dominante, ce que nous ne pouvons accepter. Dans ce contexte, nous considérons essentiel de pouvoir maintenir une position critique et une lutte idéologique contre l'autonomie démocratique comme alternative au droit à l'autodétermination nationale, bien que nous puissions reconnaître et soutenir son contenu démocratique. L'approche programmatique du HBDH est donc inacceptable pour nous sur le plan des principes. Elle n'est pas compatible avec l'idéologie prolétarienne que nous représentons : c'est une contradiction. Nous disons oui à l'action conjointe pour toute lutte pour les droits démocratiques, au-delà de nos différences, mais nous ne pouvons cependant accepter une coopération autour de l'axe d'un tel programme.

    4. Au regard de la définition de la révolution, nous avons une différence idéologique essentielle. Nous pensons que définir chaque révolution selon son caractère politique est incontournable. Nous pensons que des définitions imprécises telles que "Révolution de Rojava", "Révolution du Printemps arabe" ou "Révolution moyen-orientale" sont inappropriées. La révolution dite "de Rojava" représente un certain degré de révolution. Toutefois, nous avons défini ce processus comme une lutte de libération nationale [Note SLP : donc interclassiste, et donc soumise à l'impératif de ne pas servir l'oppression des peuples voisins, qui subissent eux aussi la domination impérialiste]. Nous devons aussi attirer l'attention sur le fait que c'est un processus loin d'être achevé. Nous estimons qu'une tentative révolutionnaire de libération nationale est à l'œuvre, et nous avons été d'ardents soutiens de celle-ci. Cependant, nous ne sommes pas d'accord pour élaborer un programme commun autour d'une lutte révolutionnaire sans en avoir déterminé l'essence, le caractère et le contenu de classe. Le HBDH a quant à lui assumé une telle tâche. Sur cette base, nous estimons que le HBDH est de nature à nous éloigner de notre définition de la révolution populaire démocratique et de sa direction. C'est là une question de principe programmatique. C'est par conséquent inacceptable.

    5. La déclaration fondatrice du HBDH contient aussi une assertion quant à un processus qui évoluerait vers une "guerre mondiale totale". Nous persistons à affirmer pour notre part qu'il s'agit d'un processus révolutionnaire. Nous ne voyons pas la "guerre mondiale totale" comme une évaluation politique correcte de la situation dans le contexte où nous nous trouvons. Une telle évaluation devrait exiger de revoir toute la direction générale, la politique d'alliances et la stratégie militaire, ainsi que les plus basiques slogans et objectifs. Nous ne voyons pas une telle reconfiguration comme appropriée au regard des circonstances. C'est donc une assertion problématique.

    6. Le programme du HBDH contient aussi une très problématique analyse du fascisme. Le programme et la déclaration semblent en effet réduire le fascisme à l'actuel gouvernement Erdogan en place, ce qui revient à occulter son caractère de forme étatique. Notre Parti considère l'État turc comme fasciste depuis la création de la république (1923). Nous considérons les gouvernements comme de simples instruments sous l'autorité de l'appareil d'État. Dans ce contexte, une analyse du fascisme réduisant celui-ci à l'AKP ne fait qu'occulter la réelle nature de l'État. De telles simplifications visent sans doute à focaliser la propagande sur une cible bien spécifique. Cependant, nous percevons dans l'analyse du fascisme du programme du HBDH une confusion qui va bien au-delà. Ceci peut conduire à rendre la compréhension des contradictions politiques et sociales émergentes plus difficile, et ouvrir la voie à des erreurs politiques affectant la politique d'alliances. Cette confusion peut affaiblir la lutte stratégique contre les partis fascistes qui s'opposent à l'AKP, et déboucher sur des approches très problématiques à cet égard [on peut penser ici à des perspectives de renversement d'Erdogan qui ne feraient que ramener le fascisme kémaliste "de gauche" tel qu'il régnait avant son accession au pouvoir... kaypakkaya-kemalisme.pdf]. Elle peut conduire à une vision abstraite des alliances stratégiques et tactiques. Notre Parti ne doit pas participer à une telle confusion. Nous considérons cette question comme essentielle pour diriger la classe ouvrière et les couches sociales opprimées vers les cibles politiques correctes, éveiller leur vigilance, conquérir l'avenir et donner confiance au peuple, et saisir la réalité le plus parfaitement possible. Nous ne devons jamais préférer des succès tactiques momentanés qui pourraient aveugler la conscience populaire sur les objectifs stratégiques, aux objectifs stratégiques en question. Nous voyons cette analyse confuse, imprécise et erronée du HBDH sur le fascisme dans notre pays, comme inappropriée. Nous estimons qu'avec une telle approche, attaquer le fascisme comme système politique est impossible, et que cela risque de renforcer les tendances réformistes et les "solutions" intra-système. Une telle éducation politique prodiguée aux larges masses, ne peut que les désarmer politiquement et affaiblir leur conscience révolutionnaire.

    Voilà quels sont nos points essentiels d'objection au programme du HBDH sur la base de nos principes et de notre programme. Parallèlement, nous avons un certain nombre d'autres critiques mais celles-ci sont l'objet d'une plus vaste mais non-essentielle discussion de principe. Nous voulons surtout mettre en avant et nous attaquer aux contradictions qui se situent à un niveau programmatique, c'est dans ce cadre que se situent nos principales objections.

    Nous voulons insister sur le fait que nous considérons le HBDH comme un important et très proche allié, qui agit sur une base révolutionnaire. Nous proposons de mener avec lui une puissante et efficace action conjointe, et accordons la plus grande importance à nous trouver à ses côtés sur tous les terrains de lutte sans pour autant signer son programme. Ne pas participer au HBDH n'est en aucun cas un obstacle pour des actions conjointes avec cette structure, dès lors que ces actions ne contreviennent pas à nos principes et ne portent pas atteinte à notre ligne politique. Nous devons avec la plus grande attention ne rien faire qui puisse empêcher de lutter conjointement avec nos amis contre les attaques fascistes, dans la lutte nationale démocratique de la Nation kurde, face aux problèmes subis par toutes les couches opprimées de la société, et dans la lutte de libération nationale en Rojava. Nous accordons la plus grande importance à la création de conditions favorables à ces actions conjointes contre nos ennemis sur le plan politique, militaire et démocratique. Toutes nos sections doivent regarder le HBDH comme notre plus proche allié et s'efforcer d'unifier les actions et les luttes pratiques, et dans ce contexte établir des relations stables et inébranlables. Partant du principe d'un effort similaire de leur part, nous croyons fermement que ces actions conjointes pourront affaiblir l'ennemi et renforcer nos rangs vers un niveau supérieur de part et d'autre. Nous espérons réussir à mener le plus tenace, décisif et victorieux processus pour élever la lutte à un niveau supérieur, vaincre le fascisme et élargir le domaine de la lutte révolutionnaire démocratique.

    Salutations révolutionnaires.

    Septembre 2016 -  TKP/ML  

    Déclaration du TKP/ML au sujet du HBDH et de toutes sortes de points concernant la situation en Turquie et au Kurdistan

    [* Concrètement, et de manière un peu violente et en spécifiant donc bien que cette analyse n'est EN RIEN celle du TKP/ML et n'engage que nous : le HBDH est un prolongement du Bataillon International de Libération (IFB) qui s'est constitué sur le front de Rojava dans le sillage de la bataille de Kobané (fin 2014, début 2015). Constitué, essentiellement, à l'initiative du MLKP. Le MLKP qui est membre de l'ICOR, dont le parti membre fondateur et dirigeant est le MLPD.

    Le MLPD qui est un parti allemand fondamentalement aristocrate-ouvrier (comparé parfois à LO ici, bien que "stalinien" et non trotskyste, et peut-être un peu plus ouvert au postmodernisme aussi). L'aristocratie ouvrière... ou la "gobeuse" des miettes de surprofits que redistribue l'impérialisme.

    L'impérialisme allemand, européen, occidental... qui est fondamentalement intéressé par le repartage du Proche-Orient actuellement en cours ; et qui semble surfer avec de plus en plus de plaisir sur la bonne image médiatique que confère la lutte kurde, et plus largement la lutte "progressiste" anti-djihadiste, anti-Erdogan, anti-Assad "mais pas trop", anti-"islamofasciste" tout en alignant contre Israël des déclarations aussi lénifiantes qu'une résolution de l'ONU ou une punchline de Jimmy Carter, etc.

    C'est sans aucun doute, selon nous, cette "cascade" d'influences imperceptibles et non-conscientes qui produit ces problèmes idéologiques lourds détectés par les camarades auteurs de la déclaration. Voilà, en toute violence et bousculement des "zones de confort", comment nous analyserions la situation...

    Et puis bien sûr, LA force numériquement hégémonique et qui impose fortement sa ligne idéologique dans le Mouvement est évidemment le PKK, au sujet duquel nous pouvons vous inviter à relire le petit "dossier" publié ces dernières semaines dans nos colonnes :

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/dossier-kurde-c-est-toujours-rigolo-a132618814

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/dossier-kurde-discussion-facebook-sur-ocalan-a132660658

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/pour-terminer-sur-le-dossier-kurde-a132670082

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/dossier-kurde-je-ne-mets-pas-une-seule-seconde-en-doute-a132702816]

    [Puisque cela nous a été demandé, explicitons les choses et notre point de vue dessus point par point :

    Point 1 - Question du front : c'est le point que l'on peut effectivement, à première vue, trouver un peu "dogmato"/"sectos". Mais si nous sommes personnellement très favorables à la collaboration coordonnée de forces révolutionnaires d'idéologies différentes pour affronter l'ennemi commun, il est bien évident, de BON SENS, que le programme doit consister en des tâches et des "cibles" bien précises et ne pas aller sur des théorisations qui vont piétiner les principes fondamentaux de l'une de ces forces, montrer ouvertement l'hégémonie idéologique d'une ou plusieurs autres, sans quoi celle-ci ne va jamais l'accepter et c'est normal aussi. Cela fait partie de la lutte idéologique, moteur de la politique révolutionnaire. L'idée, comme nous l'avons dit, est que dans ce front d'action coordonnée s'imposent petit à petit les conceptions les plus justes. Que ces conceptions soient celles du TKP/ML ou pas, une chose est sûre, c'est qu'elles ne risquent pas de s'imposer s'ils les gardent pour eux ! Il est donc normal qu'ils affirment leurs désaccords, et en tirent éventuellement les conséquences en retirant leur signature au bas d'un programme qu'il n'y a d'autre choix que de signer ou pas.

    Point 2 - "Révolution régionale" : oui, c'est vrai que la région est faite de frontières artificielles tracées après la Première Guerre mondiale. Nous avons déjà abordé de nombreuses fois ici la question du système Sykes-Picot qui modèle le Proche et Moyen Orient depuis cette époque. Il y a des Kurdes, donc, dans l’État turc comme en Syrie et en Irak, parfois très proches, les mêmes clans voire les mêmes familles coupées en deux ; il y a aussi des Turcs (dits "Turkmènes") en Syrie et en Irak, dont il est naturel que ceux de Turquie se sentent proches ; et inversement des Arabes du côté turc de la frontière... On est d'accord. Mais le problème de cette idée de révolution régionale, c'est de prôner une révolution dans toute la région du Proche Orient sur la base d'enjeux turco-turcs ou turco-kurdes de Turquie ; alors que les enjeux et les problématiques dans les pays arabes peuvent être très différents. Ne jouons pas sur les mots, et ne faisons pas semblant de ne pas comprendre que par "un"/"chaque pays" il faut bien sûr entendre un/chaque ÉTAT : un même État comme mainmise géographique d'un même quartier général réactionnaire bourgeois et donc comme "front" particulier de la guerre révolutionnaire mondiale, avec ses problématiques qui lui sont bien propres (y compris, en effet, des oppressions nationales...) et qui ne sont pas transposables telles quelles aux autres États/"fronts" même voisins, même lorsque les mêmes nationalités opprimées s'y retrouvent. Qu'Erdogan fasse de l'expansionnisme en Syrie ne justifie pas de projeter la Guerre populaire de Turquie et Bakur (Kurdistan du Nord) dans le conflit de ce pays, qui a ses propres dynamiques sociales. L'on pourrait même dire que la prépondérance du PKK dans l'affaire pourrait conduire à ce que cette "révolution régionale" soit (mal) perçue, peut-être à tort mais non sans raisons, comme un "expansionnisme révolutionnaire" kurde, comme des "missionnaires armés" (comme disait ce bon vieux Robespierre...) par les autres populations (en même temps, si elles ont le malheur de lire ce que Öcalan dit d'elles... ça pourrait se comprendre !).

    Point 3 - Question kurde : c'est une question très importante et, de fait, l'évolution et le renoncement politique majeur du PKK depuis l'arrestation d'Öcalan en 1999. Ce n'est pas "jouer sur les mots". Le principe du droit à l'autodétermination est un principe fondamental du léninisme (donc du maoïsme) et il faut dire les choses clairement, et ne pas se raconter d'histoires : le TKP/ML a été le PREMIER Parti communiste de Turquie à reconnaître sans ambigüité les Kurdes comme une nationalité opprimée et à affirmer par conséquent leur droit à l'autodétermination (ce face à quoi, dans les années 1980 et 1990, l'attitude du PKK a été... de les chasser par le plomb de "ses" terres kurdes au nom du refus de l'"ingérence" et du "chauvinisme" turc "même rouge", s'abritant derrière le bouclier "question nationale" de la critique politique de ses positions - déjà - révisionnistes). Les autres forces du HBDH (ou leurs prédécesseuses) étaient LOIN d'avoir une position aussi claire lors de leur création. Mais il faut croire qu'avec l'abandon par le PKK du principe léniniste d'autodétermination au profit d'un autonomisme censé "démocratiser" puis "dissoudre" l’État turc, cela a bien changé... Comme c'est étrange !!

    Point 4 - Définition de la révolution et du processus de Rojava : nous serions limite allés encore plus loin, pour dire que Rojava présente certes des caractères éminemment progressistes, en plus d'un caractère d'autodéfense populaire absolument légitime et à défendre ; mais présente aussi des limites qui ne permettent pas de qualifier les choses de révolution au sens marxiste, léniniste et encore moins maoïste bien sûr (ce serait un peu comme qualifier de révolutionnaires les républiques du Donbass, si l'on veut...) ; ce qui dans le texte du TKP/ML n'est pas tout à fait clair ("certain degré de révolution" etc.). Déjà, on pourrait commencer par un coup de pied dans l'utopie anarchiste projetée sur les évènements : Rojava, aujourd'hui Fédération de Syrie du Nord, est une entité née de l'effondrement de l’État syrien dans la région (du fait de la guerre civile)... et consistant à reconstruire un État ; et en aucun cas, donc, la "destruction" d'un État par des révolutionnaires "anti". Ensuite, on pourrait presque dire que la principale limite de cette "révolution" est son caractère cosmétique ; la première "révolution", quelque part, conçue pour être "vendue" sur les médias online et les réseaux sociaux. Au premier abord, tout est formidable : libération des femmes, respect des minorités et rejet des logiques d'affrontement ethnique ou confessionnel qui ensanglantent la région depuis plus d'un siècle, développement d'une économie coopérative et autogérée, démocratie participative... Mais SUR LE FOND ? La région est ce que les maoïstes qualifient de semi-coloniale (dominée par l'impérialisme) et semi-féodale (aux mains, en clair, d'oligarchies et de forces réactionnaires locales ; une concentration particulièrement oligarchique, frisant parfois le droit de vie ou de mort, du pouvoir politique et économique ; et des rapports sociaux, des contradictions au sein du peuple qui n'ont pas la même forme qu'ici, mais la forme qu'ils avaient ici il y a 200 ou 300 ans, du fait que l'impérialisme a "bloqué" toute évolution démocratique endogène de la société). Quid alors de l'impérialisme ? Sans commentaires... Non seulement la collaboration va loin, très loin, jusqu'à l'installation de bases militaires qui pourraient devenir permanentes, faisant de fait (et de plus en plus) de la Fédération du Nord la "part" occidentale du gâteau syrien à l'issue du conflit de repartage de cet espace géographique ; mais si encore il y avait une ligne idéologique en béton armé comme lorsque le PC chinois de Mao recevait une certaine aide impérialiste contre le Japon ("la politique commande au fusil" : c'est l'indépendance IDÉOLOGIQUE qui garantit l'indépendance dans les faits vis-à-vis de l'impérialisme)... Mais non : l'idéologie confédéraliste démocratique est, soyons réalistes, inapte à conserver son indépendance vis-à-vis d'un tel soutien ; il suffit de lire Öcalan à ce sujet, ou (plus rapide et moins indigeste) la critique qu'en a fait l'OCML-VP. Et quid de la lutte anti-(semi)-féodale ? Idem... dans la mesure où tout est censé être "solutionné" dès lors que la minorité de grands possédants, grands propriétaires terriens, chefs claniques et autres potentats participe "comme tout le monde" au régime d'assemblée démocratique sur le principe une personne = un vote, en position (donc) minoritaire. Non mais LOL ! Il semble donc impossible, d'un point de vue marxiste et a fortiori maoïste, de qualifier Rojava de révolution ni nationale (anti-impérialiste sur une ligne en acier à ce sujet) ni démocratique (détruisant le pouvoir des "grands", des potentats "féodaux"... en s'attaquant à la base économique, patrimoniale de ce pouvoir ; et non simplement en les "minorisant" dans des assemblées participatives !!).

    Point 5 - "Guerre mondiale totale" : c'est le plus court, le moins approfondi, et pourtant de notre point de vue le plus important de tous les points abordés. Qualifier la situation de "guerre mondiale totale", en référence bien sûr à la Deuxième Guerre mondiale, est ce qui permet de justifier la collaboration "tactique" avec l'impérialisme "démocratique" contre le fascisme (pour le HBDH : l'"axe" Erdogan-Daesh). Si par contre on qualifie la situation de "révolutionnaire en développement", ce genre de collaboration n'est pas envisageable. C'est absolument fondamental pour comprendre tout le reste, et toute notre critique des développements politiques là-bas et notre impression que les choses vont dans un terrible mur.

    Point 6 - Fascisme réduit à Erdogan : c'est une question que nous avons déjà maintes fois abordée dans ce blog (lire aussi ici : Qu'est-ce que l'AKP ?), et notre entre-crochet en rouge dans le texte explicite à notre avis suffisamment bien le problème. Cela rejoint de toute façon le point précédent : Erdogan-qui-soutient-Daesh est le "Hitler" de cette "guerre mondiale totale" censée justifier toutes les alliances, et de là (potentiellement) toutes les liquidations. Et si en 2019 il devait perdre le pouvoir face à l'ultra-fasciste Meral Akşener (lire cette bonne présentation ici), à la tête d'un "mix" de toutes les forces opposées à lui ("bunker" kémaliste "de gauche" CHP ; ex-Mère Patrie et Juste Voie dont il avait "siphonné" l'électorat, mais celui-ci pourrait bien revenir en partie vers Akşener ; MHP "Loups Gris" ultra-fascistes, bien que ceux-ci aient un peu fait mine de le soutenir ces dernières années), qu'en serait-il, de quoi s'agirait-il ? De la "Libération" ? Il ne manquerait plus que, forte de son autorité sur les "faucons" nationalistes et kémalistes, Akşener parvienne à un "accord" sur la question kurde (par exemple avec les réformistes du HDP, en leur rendant la gestion des municipalités du Bakur - celles gagnées en 2014 étant actuellement toutes ou presque sous tutelle) pour que d'aucuns soient tentés de se poser la question, vous verrez !]

    On pourrait dire aussi, puisque la comparaison chinoise est appréciée par certains, que dégager le Nord de la Syrie des griffes de ce qui était en dernière analyse des seigneurs de guerre, et reconstruire un État qui s'était effondré, correspond plutôt à la période du 1er Front uni en Chine (1924-27) ; et que désormais les communistes authentiques, les maoïstes, doivent savoir rompre ce front avec les nationalistes bourgeois de plus en plus clairement pro-impérialistes ; le refus de cette rupture, sous la considération que le processus politique en cours en Rojava serait soi-disant une "révolution nationale démocratique", constituant un opportunisme politiquement dangereux.


    11 commentaires

  • http://lvsl.fr/nazis-nont-rien-invente-ont-puise-culture-dominante-de-loccident-liberal-entretien-johann-chapoutot


    « Les nazis n’ont rien inventé. Ils ont puisé dans la culture dominante de l’Occident libéral » – Entretien avec Johann Chapoutot



    Johann Chapoutot est professeur d’histoire à l’Université Paris-Sorbonne, spécialiste de de l’Allemagne nazie. Il a consacré de nombreux  ouvrages à l’étude de l’idéologie nationale-socialiste (La loi du sang, le nazisme et l’Antiquité…). Il s’intéresse aux fondements philosophiques, historiques et (pseudo-)scientifiques du nazisme ; il étudie les moyens par lesquels cette vision du monde a pu devenir hégémonique en Allemagne à partir de 1933. Ses analyses mettent en lumière certains aspects peu connus de ce phénomène historique ; nous avons décidé de le rencontrer.


    « La race, les colonies, une conception darwiniste du monde : toutes ces catégories formaient un monde commun entre les démocraties occidentales et les nazis »

    LVSL : Les programmes scolaires présentent le national-socialisme comme une rupture radicale, presque comme une énigme, un monstre né au milieu de nulle part au sein de l’Occident libéral, l’Europe des Lumières. Dans votre livre Fascisme, nazisme et régimes autoritaires, vous suggérez pourtant que l’idéologie nazie trouve ses racines dans la pensée dominante et la culture de l’Europe du XIXème et XXème siècle…

    Johann Chapoutot – Radicalité et rupture il y a eu en effet, dans la mesure où les nazis ont agi avec une violence extrême, dès 1933, contre leurs opposants politiques, c’est-à-dire la gauche sociale-démocrate, communiste et syndicale ; puis contre des personnes considérées comme biologiquement malades, qui ont été stérilisées dans un premier temps. Les nazis incarnent donc une rupture dans et par l’action.

    Mais au niveau des idées, si l’on fait une analyse de la vision du monde nazie, si on décompose le nazisme en ses éléments constitutifs : le racisme, l’antisémitisme, l’eugénisme, le darwinisme social, le capitalisme version enfants dans les mines, le nationalisme, l’impérialisme, le militarisme… on découvre que ces éléments sont d’une grande banalité dans l’Europe, et plus largement dans l’Occident de l’époque. Les nazis puisent largement dans la langue de leurs contemporains, et c’est ce qui les rend fréquentables jusqu’au début de la guerre. On se demande pourquoi les démocraties n’ont pas réagi face au nazisme ; d’une part, elles avaient autre chose à faire. D’autre part, elles considéraient que ce que faisait Hitler dans son pays était honorable : plus de gauche, plus de syndicats … l’Allemagne est devenu un paradis pour les investisseurs à partir de 1933. Dans ce climat de lutte contre le communisme, l’Allemagne apparaissait en outre comme un rempart contre l’Est.

    Lorsque Hitler évoquait ses intentions en politique étrangère, ses déclarations étaient reçues à l’étranger et actées. Un exemple : en mars 1939, Hitler envahit le reste de la Tchécoslovaquie, violant ainsi les accords de Munich. Protestation de Roosevelet devant cet homme si peu fiable qu’il déchire les traités ; Hitler répond à Roosevelt et aux chancelleries occidentales dans son discours du 23 avril 1939 au Reichstag. Il déclare qu’il est responsable du sort de 80 millions de « Germains » (au sens racial) et qu’il doit les nourrir ; que l’Allemagne abrite 150 habitants au kilomètre carré, contre 15 au kilomètre carré aux États-Unis : l’Allemagne a donc besoin de conquérir un espace, un espace vital. Hitler ajoute que les démocraties occidentales, elles, ont leurs colonies. Que les États-Unis possèdent leur propre colonie intérieure, née du massacre des Indiens. Hitler déclare donc que les trois grandes démocraties du monde (les États-Unis, l’Angleterre et la France) n’ont rien à dire à l’Allemagne, parce que ce qu’elles pensent en terme d’hinterland colonial (des espaces dont les métropoles tirent subsistance), l’Allemagne nazie le pense en terme de biotope.

    Ce discours est structuré par deux logiques sous-jacentes. D’une part, une logique de darwinisme social : un peuple blanc doit pouvoir s’étendre au détriment d’autres peuples moins évolués et moins civilisés. D’autre part, une logique encore plus clairement biologique: il doit y avoir une adéquation entre l’espace et l’espèce, entre le territoire et la race. Quand les chancelleries se trouvent face à ce genre de discours, que voulez-vous qu’elles trouvent à répondre ? Surtout de la part de pays qui ont conclu un Traité sans que l’Allemagne y ait son mot à dire, volé 15% de son territoire et confisqué ses colonies… Hitler joue sur deux choses : la mauvaise conscience des Occidentaux, vainqueurs d’hier, et le fait qu’il existe un monde commun entre eux. Il existe entre eux des catégories communes : la race, le Juif, l’hinterland, une vision darwiniste du monde. Ce qu’ils font de ces catégories est différent, mais dire que les Juifs posent problème est un discours que personne ne conteste. En 1938, à la conférence d’Évian, chargée de statuer sur le sort des Juifs, aucun pays au monde ne veut accueillir les réfugiés ; seule la République dominicaine (sous le dictateur Trujillo) accepte d’accueillir les Juifs, pour des raisons racistes : il s’agissait de blanchir la population de la République dominicaine… Toutes ces catégories communes forment un monde commun entre l’Allemagne nazie et l’Occident libéral.

    Il y a un saut épistémique dans la mesure où les nazis reprennent ces idées, très banales, très communes, qui constituent depuis le XIXème siècle la grille de lecture des Occidentaux, et les mettent en cohérence, dans une vision du monde très organisée, et surtout en application. Prenons la stérilisation des malades, par exemple ; ce n’est pas l’Allemagne nazie qui l’a inventée : on la pratiquait aux États-Unis, en Suisse, en Scandinavie. Mais cette stérilisation a atteint une échelle inégalée en Allemagne nazie : 400.000 personnes ont été stérilisées jusqu’en 1945, contre quelques dizaines de milliers auparavant. Les nazis agissent très massivement, très violemment et très rapidement. Pourquoi? Parce que (autre idée propre aux nazis) les nazis pensent que l’Allemagne est en train de mourir, qu’elle est en train de s’éteindre biologiquement. Et que s’il n’y a pas une réaction violente, l’Allemagne va s’éteindre en tant que peuple.

    « L’idée que toute vie est combat est d’une banalité absolue dans l’Europe du XXème siècle »

    LVSL : Vous mentionnez à plusieurs reprises l’importance du darwinisme social dans la vision du monde nationale-socialiste, ce courant de pensée selon lequel les individus les plus faibles d’une société sont destinés à mourir, en vertu de la loi impitoyable de la sélection naturelle. À l’origine, c’était une grille de lecture utilisée par des penseurs libéraux anglo-américains, destinée à justifier la mortalité que causait le capitalisme au sein des classes populaires… Existe-t-il une continuité entre ce courant de pensée, et l’eugénisme racialiste propre au national-socialisme ?

    Totalement. Les nazis sont des gens qui n’inventent rien. Lorsque j’ai commencé à étudier le nazisme il y a quinze ans, je l’ai fait dans l’idée qu’il était un phénomène monstrueux, maléfique, incompréhensible, en rupture radicale avec ce qui l’avait précédé… Mais quand j’ai lu les nazis, j’ai découvert qu’ils disent des choses tout à fait banales par rapport aux penseurs de leur temps. L’idée que toute vie est combat est d’une banalité absolue dans l’Europe du XXème siècle. Le darwinisme social a été introduit en Allemagne par un britannique, Houston Stewart Chamberlain, gendre de Wagner et mélomane. Il avait lu Darwin et surtout les darwinistes sociaux : Spencer, Galton… En 1897, il rédige les Fondements du XIXème siècle, un livre qui pose les bases du darwinisme social allemand. Cet ouvrage est la passerelle culturelle entre le darwinisme social anglo-saxon et sa version allemande.

    Cette idée d’une lutte pour la vie, et d’une vie comme zoologie, d’une lutte zoologique pour l’existence en somme, qui passe par la sécurisation des approvisionnements et de la reproduction, se retrouve partout, singulièrement en Grande-Bretagne et en France ; en effet, le darwinisme social est la théorie d’une pratique politique – l’ordre capitaliste, et géopolitique – la colonisation. Il se trouve qu’au XIXème siècle, l’aventure coloniale allemande n’est pas très importante par rapport à ce qu’elle est en France et en Grande-Bretagne. Elle a donc été introduite tardivement dans ce pays, par Houston. Cette idée prospère rapidement, se développe, et nourrit les argumentaires pangermaniques : les Germains sont supérieurs aux Slaves comme les Britanniques le sont aux « Nègres » ; par conséquent, les Germains doivent conquérir leur espace vital au détriment des Slaves. Les nazis récupèrent ces idées banales radicalisées par la Grande Guerre. La guerre de 14-18 prouve que les darwinistes sociaux ont raison : tout est guerre, lutte et combat. Les nazis décident de faire de cette expérience une politique : si les Allemands ne veulent pas mourir, ils doivent être réalistes, et laisser choir l’humanisme et l’humanitarisme. Il faut accepter que toute vie est combat, sous peine de mourir.

    J’irais plus loin que le cadre de votre question. Je trouve que ce darwinisme social se porte très bien aujourd’hui. Il se retrouve dans des petits tics de la langue qui se veulent bienveillants (« t’es un battant toi« …). Il se retrouve dans la bêtise de certaines personnes que l’on prétend philosophes et qui vous parlent des gens qui ne sont rien, des assistés, des fainéants… Si l’on se retrouve au sommet de la société parce qu’on a été banquier, haut fonctionnaire, président de la République, alors on a tendance à croire que c’est un ordre naturel qui nous a élu, que l’on est là parce qu’on est le meilleur, naturellement ; que l’on s’est affirmé dans la lutte pour la vie, en somme. Cela part d’un manque de lucidité stupéfiant sur la fabrique sociale de la « réussite ».

    « La grande industrie et la finance allemande ont évidemment trouvé tout leur intérêt à l’arrivée des nazis au pouvoir »

    LVSL : Les historiens marxistes mettent l’accent sur une autre forme de continuité : la continuité économique et sociale qui existe entre l’ordre pré-nazi et le IIIème Reich, c’est-à-dire la perpétuation de la domination d’une classe de financiers et d’industriels sur celle des travailleurs. Que pensez-vous de la thèse marxiste classique, qui analyse le fascisme et le nazisme comme « expressions politiques du capitalisme monopolistique » ?

    C’est la thèse officielle du Komintern à partir de 1935. Les membres du Komintern se sentent fautifs, car jusqu’alors c’est la stratégie « classe contre classe » qui a prévalu ; elle a abouti à ce que les communistes combattent les sociaux-démocrates davantage que les nazis. L’arrivée d’Hitler au pouvoir a constitué un vrai choc pour eux. D’où l’abandon de la stratégie « classe contre classe » au profit de la tactique du « Front Populaire ».

    Les communistes allemands ont été traumatisés par la disparition de la gauche la plus puissante d’Europe, la gauche allemande. Pour penser ce traumatisme, ils ont élaboré cette herméneutique, en stricte orthodoxie marxiste, qui consiste à dire que le “fascisme” constitue la dernière tentative d’une bourgeoisie aux abois pour se maintenir en position de domination sociale, économique, politique, financière… Le « fascisme » devient un terme générique qui désigne tout aussi bien la doctrine de Mussolini que celle des nationaux-socialistes allemands (en Europe de l’Est, on parlait de « deutsche Faschismus« , fascisme allemand), alors que ce n’est pas du tout la même chose. Dans sa formulation la plus résumée et la plus dogmatique, cette grille de lecture devient un catéchisme un peu idiot. Cette lecture orthodoxe issue du Komintern est demeurée celle d’une historiographie de gauche fortement marquée par l’histoire sociale, qui n’est pas à rejeter, car elle a produit de grands travaux.

    La grande industrie allemande et la finance allemande ont évidemment trouvé tout leur intérêt à l’arrivée des nazis au pouvoir. Les répercussions de la crise de 1929 sont terribles en Allemagne. L’Allemagne est le pays le plus touché, parce qu’il était le mieux intégré au circuit du capital international ; il a beaucoup souffert de la fuite brutale des capitaux américains. À l’été 1932, l’Allemagne compte 14 millions de chômeurs ; si on prend en compte les chômeurs non déclarés, elle en compte 20 millions. La crise signifie pour les Allemands la famine et la tuberculose. Les nazis ont été vus comme les derniers remparts possibles contre une révolution bolchévique. D’où la lettre ouverte de novembre 1932 à Hindenburg qui l’appelle à nommer Hitler chancelier, signée par des grands patrons de l’industrie et de la banque. Le parti nazi reçoit des soutiens financiers considérables. C’est grâce à eux qu’il peut fournir à des centaines de milliers de SA des bottes, des casquettes, des chemises, de la nourriture. Les campagnes électorales des nazis coûtent une fortune, notamment du fait de l’organisation de leurs gigantesques meetings ; Hitler ne cesse de se déplacer en avion, à une époque où l’heure de vol est hors de prix. Les mécènes qui financent le parti nazi voient en lui le dernier rempart contre le péril rouge. Ils sont gâtés, car d’une part les nazis détruisent de fait la gauche allemande, les syndicats, l’expression publique ; de l’autre, ils relancent l’économie comme personne ne l’avait fait avant eux par la mise en place de grands travaux d’infrastructure à vocation militaire, et par des commandes d’armement inédites dans l’histoire de l’humanité. Les commandes d’armement font travailler le charbon, l’acier, la chimie, les composants électriques, le cuir, la fourrure, la mécanique, l’aviation…

    Les industriels savent très bien que l’État allemand ne peut pas financer ce qu’il est en train de faire. L’État commande des chars, des avions, mais ne paie pas ; il joue un jeu assez complexe et plutôt malin (je vais simplifier, mais le principe est là). Il paie les industriels en bons à intérêt… et leur déclare que ceux-ci seront versés grâce au pillage de l’Europe. Tout le monde est au courant, les industriels au premier rang, parce qu’ils ne sont pas payés, ou très peu : l’heure des comptes va sonner plus tard, quand le Reich aura les moyens d’envahir l’Europe. Les industriels ont donc été les complices et les bénéficiaires du Reich.

    Ne parlons même pas de ce qu’est devenue leur activité après 1940. Leurs commandes augmentent, et l’industrie obtient via Himmler que l’on mette le système concentrationnaire à son service. On en arrive à la loi d’airain des salaires de Karl Marx : vous ne rémunérez la force de travail qu’autant que nécessaire, afin qu’elle puisse se renouveler pour se maintenir. La loi d’airain des salaires dans les années 1940, c’était les camps de concentration, c’est-à-dire l’exploitation jusqu’à son terme de travailleurs que l’on n’a même pas besoin maintenir en vie, parce qu’il y avait une telle rotation que si un travailleur mourait en deux jours, un autre le remplaçait aussitôt.

    « Comparer les années 30 à la période actuelle n’est pas pertinent »

    LVSL : Aujourd’hui, on assiste à une montée de l’extrême-droite partout en Europe. On ne compte plus les références faites aux « années 30 » pour parler de la situation actuelle. Peut-on comparer ces deux époques s’agissant de la montée de l’extrême-droite en Europe ?

    Le parallèle est pertinent entre les extrêmes-droites actuelles et celles des années 20 et 30. D’une part, parce que les extrêmes-droites actuelles en sont les héritières en filiation sociale. On connaît l’histoire du Front National ; on sait que des anciens Waffen SS ont contribué à sa création, ou que d’ex-nazis ont participé à fondation du FPÖ autrichien. En termes de genèse, il y a bien une filiation sociale et intellectuelle. Il y a en effet une filiation idéologique, parce que leurs dirigeants se réclament des mêmes réflexes, font appel aux mêmes lieux communs, aux mêmes angoisses, aux mêmes aspirations : critique de la modernité cosmopolite, critique de la mixité des sexes, nationalisme ultra, alliance avec les intérêts financiers et industriels… Cela ne veut pas dire, par exemple, que le Front National est une organisation fasciste, c’est une extrême-droite qui n’a pas besoin d’aller chercher ailleurs ses références. Zeev Sternhel a très bien démontré qu’elle les puise dans la France des XIXème et XXème siècles (Boulanger, Maurras, Barrès, l’OAS…).

    Comparer les périodes, en revanche, est non pertinent. Bien qu’il y ait des éléments similaires (remise en cause de la démocratie, doutes politiques, sociaux, éthiques, etc…), on ne vit pas dans le même monde, ne serait-ce que parce que l’Europe des années 30 était un monde informé, créé par la Grande Guerre. L’Europe des années 30 était habitée par 80 millions d’hommes à qui l’on a dit qu’il était bien de tuer, de frapper, de blesser. Ils avaient un rapport à la violence et à la mort qui n’est pas le nôtre aujourd’hui. Nous (je parle des Européens de l’Ouest et du centre, je n’inclus pas les Balkans qui ont connu une guerre civile au début des années 90) avons un rapport et à la mort qui ne vient pas encourager quelque chose comme le nazisme. Le nazisme se nourrit de cette fascination pour la mort, de ce romantisme héroïque à la fois mortifère et morbide… [Raison pour laquelle nous avons maintes fois écrit que si l'on attend le fascisme dans ses habits des années 1930, on risque de se réveiller alors qu'il est déjà là... Car par contre, ce qui est sûr c'est que face à sa crise généralisée, le capitalisme ne va pas renoncer à imposer une pression réactionnaire, surexploiteuse (pour maintenir son taux de profit) et répressive toujours plus forte sur les masses populaires.]

    *************************************************************************

    Il pourrait également être utile d'ajouter ici ce texte, publié une première fois en 2008, de Domenico Losurdo ; autre grand spécialiste de cette lecture "anti-exceptionnaliste" du phénomène nazi que nous partageons à 200%. Ce texte nous offre des clés de compréhension très importantes : assimilation de l'URSS à un "ramassis" d'Asiatiques, de Juifs et de "traîtres" à la race blanche et un "quartier général" de la "guerre" contre celle-ci ; admiration pour les politiques raciales anglo-saxonnes, mais reproche aux États-Unis et à la Grande-Bretagne de s'être "abâtardis par le sang juif" ; reproche à l'impérialisme français de son emploi de troupes coloniales, et donc de "lancer l'Afrique noire à l'assaut de l'Europe blanche" ; calquage des politiques de colonisation de l'Europe de l'Est sur l'esclavage des déportés africains et le génocide des indigènes en Amérique du Nord ; etc. etc. 

    http://indigenes-republique.fr/le-nazisme-comme-projet-de-white-supremacy-au-niveau-planetaire/

    Le texte qui suit est extrait d’un essai du philosophe et historien italien Domenico Losurdo, intitulé « White supremacy e controrivoluzione. Stati Uniti, Russia bianca e Terzo Reich », publié une première fois en 2008. Nous remercions chaleureusement Domenico Losurdo d’avoir accepté de le voir mis en ligne sur notre site. Nous remercions également notre ami Valerio Starita d’avoir bien voulu le traduire pour les Indigènes de la république. Parmi les nombreux ouvrages de Domenico Losurdo publiés en France, nous vous recommandons particulièrement « Le révisionnisme en histoire. Problèmes et mythes », Albin Michel, 2006, et, plus récemment, « Contre-histoire du libéralisme », éd.La Découverte, 2013, qui souligne le lien entre libéralisme et production des races sociales. Pour ceux qui n’aiment pas trop lire, on ne saurait trop conseiller un petit livre intitulé « Le péché originel du XXème siècle », éditions Aden, Bruxelles, 2007.

    Hitler lui-même fait implicitement référence aux théoriciens de la white supremacy [En anglais dans le texte (NdT)] quand en 1928 il s’exprime très positivement sur l’« union américaine » qui, « stimulée par les doctrines de certains chercheurs raciaux, a fixé des critères déterminés pour l’immigration [Hitler 1961, p. 125] ». C’est un exemple dont il est nécessaire de tirer profit : « Introduire en pratique dans la politique appliquée les résultats déjà disponibles de la doctrine de la race sera un devoir du mouvement national-socialiste ». D’autre part les enseignements venus d’outre-Atlantique sont également précieux sur le plan proprement théorique ; nous sommes en présence de « connaissances et résultats scientifiques », d’une « doctrine de la race » générale qui illumine l’ « histoire mondiale [Hitler 1961, p. 127] ». Voilà une clef précieuse désormais à notre disposition pour lire de façon adéquate, au-delà des apparences, les conflits politiques et sociaux non seulement du présent mais aussi du passé.

    Il convient de prêter particulièrement attention à l’influence exercée par Stoddard sur la réaction allemande et sur le nazisme. Nous avons vu la grande considération que lui vouaient en particulier Ratzel, Spengler et Rosenberg : mais il s’agit également d’un auteur encensé par deux présidents états-uniens (Warren Gamaliel Harding et Herbert Hoover). L’interprétation du premier en particulier donne à réfléchir : « Quiconque prendra le temps de lire attentivement le livre de Lothrop Stoddard, Le Flot montant des peuples de couleur contre la suprématie mondiale des blancs, se rendra compte que le problème racial présent dans les États n’est rien d’autre qu’un aspect du conflit racial auquel le monde entier fait face». On comprend alors l’intérêt reconnaissant et même l’enthousiasme du nazisme. Alors qu’il passe quelques mois en Allemagne, Stoddard rencontre non seulement les plus grands « scientifiques » de la race, mais également les plus grands dirigeants du régime, c’est-à-dire Himmler, Ribbentropp, Darré et le Fürher en personne [Kühl 1994, p. 61; le procès de Harding est mentionné dans l’introduction de Stoddard 1925a].

    Tout cela ne doit pas nous étonner. Le Troisième Reich se présente comme la tentative, développée dans les conditions de la guerre totale et de la guerre civile internationale, de réaliser un régime de white supremacy à l’échelle planétaire et sous hégémonie allemande, en ayant recourt à des mesures eugénistes, politico-sociales et militaires.
    Il convient d’éviter – observe Rosenberg en 1927 – la confrontation suicidaire qui a eu lieu pendant le premier conflit mondial :

    « Le programme peut être ainsi synthétiquement formulé : l’Empire britannique prend en charge la protection de la race blanche en Afrique, en Inde et en Australie, l’Amérique du Nord prend en charge la protection de la race blanche sur le continent américain, tandis que l’Allemagne la prend en charge dans toute l’Europe centrale en étroite collaboration avec l’Italie, laquelle obtient le contrôle de la Méditerranée occidentale afin d’isoler la France et de vaincre les tentatives françaises de conduire l’Afrique noire à la lutte contre l’Europe blanche [Cité par Hildebrand 1969, p. 85] ».

    Mais ce qui est essentiel, c’est le discours d’Hitler (cité plus haut) aux industriels allemands à la veille de la prise du pouvoir. À ses yeux, la question décisive, autour de laquelle tournent toutes les autres, est claire: « l’avenir ou le crépuscule de la race blanche [Hitler 1965, p. 78 (27 janvier 1932)] ». Afin de déjouer les menaces qui pèsent sur la « position dominante de la race blanche » il convient de renforcer à tous les niveaux son « aptitude à la domination » (Herrensinn) [Hitler 1965, p. 75]. Il faut d’autre part identifier clairement l’ennemi, sans perdre de vue le fait que c’est la néfaste agitation bolchévique (ou plutôt judéo-bolchévique) qui stimule d’un coté la révolte des peuples coloniaux et de l’autre dégrade la bonne conscience des blancs se considérant détenteurs d’un droit naturel à la domination. C’est elle qui promeut la « confusion de la pensée blanche européenne » c’est-à-dire de la « pensée européenne et américaine » et vise en définitive à « détruire et éliminer notre existence en tant que race blanche [Hitler 1965, p. 77] ». La lutte menée par la race et la civilisation blanche contre ses ennemis est la clef de la compréhension de tous les conflits : l’Espagne conquise par Franco est une Espagne tombée « dans une main blanche [Hitler 1965, p. 753 (5 novembre 1937)] », et ce malgré le fait que les troupes coloniales marocaines aient largement contribué à la victoire.

    Plutôt que de « blancs », Hitler préfère parfois parler de « nordiques », d’« aryens » c’est-à-dire d’ « occidentaux » : « Notre peuple et notre État ont été eux aussi édifiés en faisant valoir le droit absolu et la conscience seigneuriale de cet homme dit nordique, des composantes raciales aryennes que nous possédons encore aujourd’hui au sein de notre peuple [Hitler 1965, p. 80] ». Mais les termes en question sont utilisés dans une large mesure comme synonymes aussi chez les théoriciens états-uniens de la white supremacy. Il reste clair que pour Hitler, restent exclus de l’espace sacré de la civilisation les peuples coloniaux (y compris les « indigènes » de l’Europe orientale où l’Allemagne est appelée à édifier son empire continental), les bolchéviques et, naturellement, les Juifs, étrangers à la race blanche, à l’Occident et à la civilisation pour de multiples raisons : ils viennent du Moyen-Orient, ils sont concentrés au sein de l’Europe orientale, sont les principaux inspirateurs de la barbarie bolchevique orientale et, de plus, font tout ce qu’ils peuvent pour alimenter le conflit au sein des peuples blancs et occidentaux.

    À la lumière de la trahison consommée d’un pays comme la France envers la race blanche, il est clair qu’il est du « devoir en particulier des États germaniques » de bloquer le processus d’ « abâtardissement [Hitler 1939, p. 444] ». Comme nous le savons, en ayant évité la contamination raciale qu’ont subi les latins, les États-Unis ont obtenu une position dominante sur le continent américain. Grâce à la cohérence et à la radicalité dont elle fait preuve dans sa lutte pour la suprématie blanche et aryenne au niveau planétaire l’Allemagne est destinée à jouer un rôle hégémonique en Europe et, par extension, dans le monde. La conclusion de Mein Kampf est éloquente : « un État qui, à l’époque de l’empoisonnement des races, se dédie à l’entretien de ses meilleurs éléments raciaux, deviendra nécessairement le patron de la terre [Hitler 1939, p. 782 (Schlusswort)] ». L’obstination des autres pays germaniques à refuser de faire front commun avec le Troisième Reich contre la menace représentée par la révolte des peuples coloniaux et par la conspiration judéo-bolchévique n’est pas seulement l’expression d’un aveuglement politique mais également d’un abâtardissement racial. Sur son journal, Goebbels note : les élites anglaises « sont tellement infectées de judaïsme à cause des mariage juifs qu’en pratique elles ne sont plus en mesure de penser de façon anglaise [Goebbels 1991, p. 1764 (12 mars 1942)] ». Aux yeux du Führer, le ministre anglais de la guerre est un « juif marocain » et du « sang juif » coule dans les veines de F.D. Roosevelt, dont la femme a d’ailleurs un « aspect négroïde [Cf. Losurdo 2007, chap. I, § 2] ».

    Avec le développement de la guerre contre les États-Unis, ces derniers commencent a être décrits de façon analogue à celle dont les théoriciens états-uniens de la white supremacy et Hitler lui-même avaient décrit l’Amérique Latine : la république nord-américaine est désormais elle aussi caractérisée par un « mélange de sang juif et négrifié [Hitler 1965, p. 1797 (11 décembre 1941)] ». Alors que la défaite se profile déjà pour le Troisième Reich, son leader se comportera jusque à la fin en champion de la white supremacy : il continue à se prononcer pour la « domination blanche » et à célébrer l’expansion des « blancs » en Amérique ; malheureusement, l’ « américanisme » se trouve désormais être « judaïsé» et dégénéré [Hitler 1981, pp. 124-5 et 55-6]. La « désaryanisation » dont Stoddard avait parlé à propos de l’Amérique Latine est désormais mobilisée pour expliquer la guerre que la république nord-américaine mène contre un autre peuple germanique et l’alliance qu’elle a noué avec l’ennemi mortel de la race blanche (la Russie bolchévique et juive).

    Progressivement, le nazisme trouve des sources d’inspiration dans le langage (ainsi que dans les institutions et dans les pratiques) des États-Unis de la white supremacy. Il ne s’agit plus seulement de l’Untermensch et de la Esbgesundheitslehre et de l’horreur envers la Rassenmischung et la Rassenschande, ou Blutschande. Le Troisième Reich prive les juifs de la citoyenneté politique : de même que l’Amérique était réservée aux blancs, l’Allemagne est désormais le pays des aryens. Ceux qui se trouvent être contaminés par du sang juifs sont considérés comme « mulâtres » (Mischlinge) [Hilberg 1988, pp. 149 sqq], tout comme sont « mulâtres » (Mischlinge) aux États-Unis ceux que l’on soupçonne d’avoir la moindre goutte de sang noir dans les veines. Par ailleurs, quand pendant quelque temps les dirigeants nazis ont pensé à introduire la ségrégation raciale dans les trains contre les juifs, il est clair que l’antécédent des mesures analogues appliquées aux États-Unis (et en Afrique du Sud) contre les noirs [Hilberg 1988, pp. 146-7] joue un rôle non négligeable.

    Hitler ne perd pas de vue non plus le sort réservé aux Amérindiens. À son époque, Ratzel avait observé : « Mal située, la réserve (Reservation) fonctionne comme une prison voire pire étant donné qu’elle ne garantie même pas le maintien en vie » ; « les Indiens sont contraints de rester sur leurs terrains arides et stériles, et on leur interdit de chercher une nouvelle situation ailleurs». Selon Hitler ce sont les Polonais, les indigènes de l’Europe orientale qui doivent être enfermés dans une « réserve » (Reservation) ou encore dans un grand « camp de travail » (Arbeitslager) [Hitler 1965, p. 1591 (2 octobre 1940)]. Plus précisément, Hans Frank, qui dirige le « gouvernement général » (Governatorato générale) (les territoires polonais n’ayant pas été incorporés directement au Reich), déclare que les Polonais sont appelés à vivre dans « une sorte de réserve » : ils sont « soumis à la juridiction allemande » sans être des « citoyens allemands » [Cité par Ruge, Schumann 1977, p. 36] (c’est-à-dire précisément le traitement qui était réservé aux Peaux-Rouges).

    Si les Polonais et les habitants de l’Europe orientale appelés à être expropriés, déportés ou décimés sont les Indiens de la situation, les survivants, destinés à alimenter le travail servile ou semi-servile, sont les Noirs : il n’est pas permis au Allemands de « se mélanger (…) au niveau du sang » avec une race servile [Hitler 1965, p. 1591].

    Un destin encore plus tragique attend les Juifs. Ceux-ci – comme l’avait observé Stoddard – occupent une position élevée « dans le ”corps des officiers” de la révolte » bolchévique et coloniale [Stoddard 1984, p. 152]. C’est la logique qui guide le Troisième Reich dans la « solution finale ». Il est intéressant de noter que cette expression apparaît déjà aux Etats-Unis aux XIXème et le XXème siècles, dans des livres qui, bien que d’une manière encore vague et sans la cohérence génocidaire de Hitler, invoquent la « solution finale et complète » (final and complete solution) ou encore la « solution finale » (ultimate solution) du problème respectivement des « peuples inférieurs » et des Noirs en particulier [Cf. Losurdo 2005, chap. 10, § 4].

    Au début du XXème siècle, dans les années qui précèdent la formation du mouvement nazi en Allemagne, l’idéologie dominante du Sud des États-Unis est exprimée lors des « Jubilés de la suprématie blanche », qui voyaient défiler des hommes armés et en uniforme, inspirés par « une profession de foi raciale » ainsi formulée :

    « 1) « C’est le sang qui comptera » ; 2) la race blanche doit dominer ; 3) les peuples teutoniques se déclarent pour la pureté des races ; 4) le nègre est un être inférieur et restera comme tel ; 5) « Ceci est un pays de l’homme blanc » ; 6) Aucune égalité sociale ; 7) Aucune égalité politique (…) ; 10) Que l’on inculque au nègre cette instruction professionnelle qui lui permette de servir le blanc au mieux (…) ; 14) Que l’homme blanc de la condition la plus basse compte plus que le nègre de la condition la plus élevée ; 15) Les précédentes déclarations indiquent les directives de la Providence» [Dans Woodward 1963, pp. 334-5].

    Ceux qui professent ce catéchisme sont des hommes qui s’emploient à affirmer dans la théorie et la pratique l’absolue « supériorité de l’aryen » et sont même prêts à « envoyer en enfer » la Constitution pour pouvoir déjouer « la menace nationale épouvantable, malheureuse » que représentent les Noirs. Oui – observent des voix critiques isolées – terrorisés comme ils le sont, « les Noirs ne font de mal » à personne et de toute façon les bandes racistes sont prêtes à « les tuer et les effacer de la surface de la terre » ; elles sont décidées à instaurer « une autocratie absolutiste de race », avec « l’identification stricte de la race la plus forte avec l’exigence même de l’État [Dans Woodward 1963, p. 332] ».

    On comprend alors que, après avoir souligné les points communs entre le Ku Klux Klan et le mouvement nazi (entre les hommes en uniforme blanc du Sud des États-Unis et les « chemises brunes » allemandes), une chercheuse états-unienne contemporaine considère que l’on peut arriver à cette conclusion : « Si la Grande dépression n’avait pas frappé l’Allemagne avec toute la force avec laquelle elle l’a frappée, le national-socialisme pourrait être traité comme on traitait auparavant le Ku Klux Klan : comme une curiosité historique, dont le destin était déjà scellé [MacLean 1994, p. 184] ». Ainsi, plutôt que l’histoire idéologique et politique (assez semblable dans les deux pays), ce qui explique l’échec de l’instauration de l’ « autocratie absolutiste de race » aux États-Unis et le triomphe de la dictature hitlérienne en Allemagne serait la diversité de la situation objective et la différence d’impact de la crise économique. Il est probable que cette affirmation soit excessive. Pour autant, les rapports d’échange et de collaboration restent fermes, à l’image du racisme anti-noir et anti-juif, qui s’établissent dès les années 1920 entre le Ku Klux Klan et les cercles allemands d’extrême droite. On peut même se demander si, pour comprendre la réalité du Troisième Reich, la catégorie d’ « autocratie absolutiste de race » ne serait pas plus précise que celle de « totalitarisme ». Initiée dans le Sud des États-Unis et développée ultérieurement à partir de la lutte contre un pays, la Russie soviétique qui, comme le dit Stoddard, avait vu en son sein l’ascension au pouvoir des « renégats » de la race blanche, ou encore, comme le dit Spengler, qui avait jeté le « masque blanc » et faisait désormais partie du « peuple de couleur de la terre », la contre-révolution déclenchée au nom de la white supremacy débouche finalement sur le nazisme.

    Domenico Losurdo

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    À lire aussi, sur le volet - cette fois - économique et social interne au Peuple allemand "aryen" ; dans l'autre logique de l'époque, fondamentale pour comprendre le phénomène, d'association Capital-Travail pour surmonter la crise (une "association" cependant, dans cet esprit de "sacrifice" et de "mobilisation générale" pour "redresser l'économie", loin d'être toujours paradisiaque pour les travailleurs même les plus "aryens" qui soient - à mettre en parallèle avec l'actuelle politique néolibérale d'"efforts" demandés aux travailleurs pour "maintenir la compétitivité" et "sauver le modèle social" etc. etc. ; mais néanmoins bien réelle et, comme l'expose bien ce document, VOULUE par les plus hautes institutions financières des pays concernés et internationales de l'époque - les ancêtres de nos actuels FMI, BCE etc. !) :


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  • ... qui "traverse" pas mal le mouvement maoïste international, entre ce que l'on peut appeller les "péruviens"/"gonzalistes" et les "philippins"/"sisoniens" ; je veux parler de la question du rapport à certains régimes tels que (concrètement) le Venezuela chaviste, la Bolivie du MAS ou encore (tout simplement) Cuba ; régimes que certaines organisations (sur la ligne "péruvienne"/"gonzaliste") qualifient tout simplement de "fascistes" ou "social-fascistes" :

    Un critère très "bête" pour ce qui est de critiquer/attaquer ce type de régimes ("bourgeois", "social-fasciste" ou tout ce que l'on voudra), pourrait aussi être tout simplement de le faire dans une perspective et avec une stratégie claire, en sachant où l'on va : si la ligne de démarcation ainsi tracée donne lieu à un saut qualitatif vers quelque chose de grandiose, comme le Parti communiste du Pérou qui s'est en grande partie forgé contre la junte militaire réformiste et pro-soviétique de Velasco Alvarado et le soutien de la gauche et de la plupart des autres "Partis communistes" à celle-ci (mais, on le notera aussi, n'a pas déclenché sa Guerre populaire à ce moment-là, mais au moment du retour au pouvoir de la droite oligarchique et néolibérale...), alors OUI ; mais si c'est pour faire de la merde parce qu'on a de toute façon une ligne politique pourrie, comme les hoxhistes vénézuéliens de "Bandera Roja" contre Chávez ou burkinabés ("voltaïques", pardon !) du PCRV contre Sankara, et ne servir au final que l'offensive impérialiste réactionnaire contre ces pays, alors non !

    Depuis 2009, la ligne de Servir le Peuple a pu se résumer en substance à "(défendre ces régimes) TOUJOURS contre l'impérialisme occidental (hégémonique au niveau mondial), JAMAIS contre le peuple" (bien sûr ce n'est pas toujours aussi simple car bien souvent les choses s'imbriquent : en Syrie par exemple, le soulèvement populaire a été récupéré au profit d'une manœuvre de déstabilisation impérialiste et d'expansionnismes voisins ; cela dit, l'importance et l'efficacité du soutien russe et iranien à Assad peut peut-être permettre de ramener la situation à un "14-18" dans lequel des impérialismes et expansionnismes réactionnaires s'affrontent par Syriens interposés et il n'y a finalement aucun camp à soutenir).

    Mais c'est vrai que l'on peut aussi rajouter cette considération...

    Finalement, c'est un peu comme la libération nationale (et là on peut penser typiquement aux Kurdes) : OUI, et le droit à l'autodétermination est TOUJOURS juste en soi ; et bien évidemment que la lutte de classe des prolétaires, de tou-te-s les exploité-e-s contre la bourgeoisie est elle aussi TOUJOURS juste en soi ; mais ATTENTION... (surtout) dans les pays semi-coloniaux dominés par l'impérialisme, il n'est pas permis de faire de la merde – une perspective politique EN ACIER TREMPÉ est requise, la POLITIQUE AU POSTE DE COMMANDEMENT.

    Bon, disons plus prosaïquement que "là où il y a oppression, il y a résistance" et que nous ne pourrons bien sûr jamais empêcher (à l'autre bout du monde...) des masses opprimées de s'insurger contre ce qui les opprime (raison pour laquelle une révolution qui veut triompher doit justement éviter ces situations, en mettant hors d'état de nuire les agitateurs contre-révolutionnaires MAIS AUSSI et surtout en ne donnant pas aux masses de raisons de les suivre), et il ne fait hélas guère de doute que même au Venezuela, les fils-à-papa réactionnaires et racistes de toujours ont vu ces dernières années leurs rangs grossis de travailleurs révoltés par la misère qu'ils subissent ; mais la perspective politique qui affaiblit l'impérialisme ou au contraire le sert va DÉTERMINER NOTRE ATTITUDE INTERNATIONALISTE : simplement dire que "c'est mal de massacrer les gens, le régime qui fait cela est antipopulaire et ne peut pas avoir notre soutien" ; ou mobiliser et organiser une solidarité ACTIVE en faveur d'une force politique donnée, éventuellement l'envoi de volontaires pour prêter main forte voire se battre, etc.

    La bourgeoisie "de gauche", réformiste, peut être chassée du pouvoir ; mais elle doit l'être au profit de quelque chose de supérieur : la véritable démocratie populaire anti-impérialiste, le véritable socialisme en marche vers le communisme. Pas au profit d'un retour en force de l'exploitation impérialiste dont le pays s'était même très maigrement dégagé.


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  • Il y aurait des tonnes d'analyses marxistes intéressantes à faire sur ces évènements historiques, mais là, encore une fois, c'est idéologique réac : http://hiddenrebellion.com/fr/

    "Le premier génocide “progressiste” commis au nom de la justice sociale"

    => Alors si on imagine que leurs références sont les "grands rois très catholiques qui ont fait la France" (le film s'inspire d'une œuvre de Patrick Buisson...), on pourrait peut-être leur parler des campagnes et des massacres tout à fait similaires (sinon pires) de Louis XIII et Richelieu contre les Croquants et les villes protestantes et leurs alentours, et de leur littérale division par 2 ou 3 des populations d'Alsace, de Lorraine ou de Franche-Comté... De Louis XIV contre les régions protestantes (Cévennes mais pas seulement) de 1685 à sa mort... La Bretagne aurait-elle moins souffert pendant la répression des Bonnets Rouges (1675) que sous l'assaut des "hordes progressistes" de 1793-94 ? Pas sûr. Je ne sais même pas si à ce stade il serait encore utile d'ajouter la conquête-massacre, par Louis XV, de la Corse, première république démocratique d'Europe. On peut aussi imaginer que la conquête de l'Algérie et ses centaines de Vendées, c'était cool... Les bienfaits de la civilisation, n'est-ce pas !

    Et qui furent d'ailleurs, au juste, les massacreurs de Vendée-Bretagne-Maine ? D'affreux "gauchistes", "fanatiques de la justice sociale" qui finiront guillotinés soit avec les hébertistes en mars, soit avec Robespierre et Saint-Just en juillet 1794 ? Que nenni. Westermann, auteur du terrifiant "il n’y a plus de Vendée (...) j’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui au moins pour celles-là n'enfanteront plus de brigands ; je n’ai pas un prisonnier à me reprocher, j’ai tout exterminé", sera exécuté en avril 1794 comme "droitier", avec les dantonistes. Une consigne d'extermination de "cette race rebelle" donnée en juillet 1793 par Barère de Vieuzac, que les historiens décriront plus tard... comme une "tête pensante" du 9 Thermidor. Turreau, dont le nom est associé aux "colonnes infernales" qui firent entre 20 et 40.000 victimes en quatre mois, sera acquitté en décembre 1795 et poursuivra une brillante carrière sous le Directoire, le Consulat et l'Empire et même jusque sous la Restauration, décédant en 1816 peu avant la remise de la Croix de Saint-Louis. Carrier, le noyeur de Nantes, participera activement à Thermidor avant d'être liquidé (principalement par Fouché) dans les règlements de comptes qui s'ensuivirent. Kléber, après une relative disgrâce sous le Directoire, suivra Napoléon en Égypte et c'est là qu'il trouvera la mort pour ses crimes (tout à fait similaires à ceux de Vendée-Bretagne-Maine), par la main d'un moudjahid. Napoléon lui-même n'était pas en Vendée, mais participa aux côtés de Barras et Fréron à la violente répression de Provence (fin 1793). Globalement, la plupart des thermidoriens de 1794 étaient des "représentants en mission" bouchers de province énervés contre Robespierre qui les avait rappelés à Paris, ulcéré par leurs exactions accompagnées de spoliations et d'accaparements personnels en tout genre ; et il est pratiquement possible de dire qu'un VRAI jacobin de 1792-94, c'est un futur thermidorien voire parfois baron d'Empire ! Bref.

    Oui, il y a eu d'épouvantables massacres en Vendée-Bretagne-Maine, qui furent le prolongement et le parachèvement de la politique d'Ancien Régime de centralisation française sur ces terres, les bourgeois "racheteurs" se substituant simplement aux aristocrates et aux abbayes. Mais en les mettant en avant, comme (dans une vision ultra-simplifiée et manichéenne de l'histoire réelle) "braves paysans catholiques attachés à la terre-qui-ne-ment-pas" et affrontant la "tyrannie de l'égalitarisme", la droite réactionnaire fait montre encore une fois (comme s'il fallait s'attendre à autre chose de sa part) d'une mémoire bien sélective...

    The Untold Story Behind the French Revolution
    hiddenrebellion.com



    [* "La 1ère République jacobine (1793-94) "ratera" l'alliance ouvrière-paysanne ou plutôt, pour être exact, telle ne fut jamais son intention puisque la "manip" consistait justement, pour la bourgeoisie "centrale" francilienne, à reprendre la main en s'appuyant sur une démagogie "sociale" en direction du petit peuple de Paris (rien n'a bien changé avec les jacobins actuels, Mélenchon en tête...) puis à en éliminer les promoteurs une fois la tâche accomplie (Thermidor). Campagnes parmi les plus pauvres d'Hexagone (terres de bocage aux sols acides), les provinces de Bretagne (surtout la Haute-Bretagne, la Bretagne gallo), du Maine et du Bas-Poitou (Vendée), déjà échaudées par la politique anti-catholique sectaire de la Convention (l'Église jouait alors un rôle considérable d'"amortisseur social" et de "confidente" des misères du petit peuple paysan - une bonne réflexion sur ce catholicisme populaire armoricain se trouve dans l'ouvrage d’Émile Masson au chapitre IV "Foi") et soumises à l'arrogance des nouveaux riches "racheteurs" de biens seigneuriaux, se soulèveront contre la conscription en masse de 300.000 jeunes hommes à l'approche de la belle saison et des travaux des champs, tandis qu'une crise alimentaire guettait. Ce soulèvement, sans autre idéologie que le refus du rouleau compresseur de l'État capitaliste triomphant sur la société traditionnelle (mouvement d'arrière-garde donc), mit à sa tête des nobles royalistes et autonomistes ou des religieux réfractaires à la Constitution civile du clergé (les uns comme les autres ayant peu émigré, forcément, vu la distance des frontières) mais aussi - apparemment - des membres des loges maçonniques locales qui furent, dit-on, de véritables "viviers de Chouans" : des BOURGEOIS donc, ou en tout cas des aristocrates et des religieux "modernes", pas des gens vivant au milieu des vieilles armures, des hallebardes et des toiles d'araignées... N'oublions pas que les "élites" locales, si elles pouvaient être libérales voire républicaines, étaient également (très généralement) fédéralistes, fortement anti-centralistes : ainsi le marquis de La Rouërie, monarchiste libéral et franc-maçon, héros de la guerre d'indépendance américaine et fervent partisan de 1789, fondera deux ans plus tard (1791) l'Association bretonne pour défendre l'autonomie de la "province" liquidée par la départementalisation - cette association est considérée par les historiens comme une matrice de la Chouannerie.

    Et par ailleurs (au demeurant), lorsque ces Chouans et autres Vendéens défendaient bec et ongles "leurs" nobles locaux et "leur" Église (une Église indépendante, "non-jureuse"), était-ce vraiment par "obscurantisme" et par amour de la taille, du cens et de la dîme... ou n'était-ce pas plutôt par attachement à ce qui était vu comme des contre-pouvoirs face à un  État central qui (les institutions provinciales dissoutes) semblait s'annoncer tout-puissant (et allait effectivement le devenir avec Bonaparte quelques années plus tard) ? C'est bien la deuxième réponse qui s'impose à tout raisonnement sensé : la quête (faute d'établir soi-même un Pouvoir du Peuple) de contre-pouvoirs face au Capital triomphant ; le même genre de contre-pouvoirs que les sans-culottes parisiens voyaient (sans doute) dans leurs "sections" et dans la (première) Commune de Paris... CQFD.

    Au sujet de toute cette "problématique bretonne" durant la "révolution" bourgeoise "française", un bon résumé ici http://breizhcb.free.fr/fr.htm#B12a ou encore ici http://ablogjeanfloch.over-blog.com/article-29966859.html ; lire aussi ici au sujet de l'analyse "socio-économique" du phénomène chouano-vendéen : "Dès les années 1920, Albert Mathiez considère que les causes de l'insurrection vendéenne, au printemps 1793, sont à chercher dans les conditions économiques et sociales de l'époque. Au début des années 1950, Marcel Faucheux montre que les causes profondes de l’insurrection sont à chercher bien au-delà de la constitution civile du clergé, de l'exécution de Louis XVI ou de la levée en masse, et qu'elles doivent être reliées à ce qu’il nomme le « paupérisme vendéen ». La Révolution n'a pas su satisfaire les espérances engendrées par la convocation des États généraux en 1789 : les métayers, majoritaires en Vendée, ne bénéficient pas de l’abolition des droits féodaux, qui sont rachetables (jusqu'en 1793), les biens nationaux profitent essentiellement aux bourgeois et aux marchands. À partir de là, le bouleversement des structures sociales traditionnelles, la réforme autoritaire du clergé et la levée en masse constituent tout au plus l’étincelle qui a provoqué l'explosion d'un mécontentement plus ancien. Se fondant sur l'analyse détaillée de la Sarthe, Paul Bois approfondit la question, en mettant en valeur la haine qui oppose alors le paysan au bourgeois et montre l’existence d’un profond clivage social entre urbains et ruraux, très antérieur à la Révolution, qui constitue l'une des causes majeures du soulèvement." (...) "Ces travaux ont été largement confirmés par les travaux du sociologue américain Charles Tilly, pour qui la croissance des villes françaises du XVIIIe siècle, l'agressivité économique de celles-ci et leur tendance à accaparer le pouvoir politique local ont suscité des résistances et des haines paysannes, dont l'insurrection vendéenne n'est qu'un exemple exacerbé." (...) "De son côté, Albert Soboul décrit des masses paysannes dans la gêne, prédisposées « à se dresser contre les bourgeois, très souvent fermiers généraux en ce pays de métayage, négociants en grains et acquéreurs de biens nationaux », (...) enfin l'assimilation, par les paysans, du tirage au sort pour la levée des 300 000 hommes à la milice, institution de l'Ancien Régime particulièrement honnie. S'il considère que « le caractère simultané du soulèvement autorise à penser qu'il fut concerté », il explique que les paysans « n'étaient ni royalistes, ni partisans de l'Ancien Régime » et que les nobles furent d'abord surpris par le soulèvement, avant de l'exploiter à leurs fins." (...) "Plus récemment, Jean-Clément Martin a indiqué que, si les paysans sont passés à la contre-révolution, selon les provinces, pour des raisons très diverses, y compris entre les différentes zones de la Vendée, les mots d'ordre religieux et de la défense communautaire leur sont communs. Ces mots d'ordre sont dus au maintien du poids des impôts et des fermages, à l'aggravation du sort des métayers, à l'incapacité des petites élites rurales à acheter des biens nationaux, accaparés par les élites urbaines, à la perte de l'autonomie des petites communes rurales face aux bourgs, où sont installés les pouvoirs politique (le district) et économique, aux atteintes de la Constitution civile du clergé aux libertés des communautés, qui défendent leur prêtre et leurs cérémonies religieuses. Les tensions montent jusqu'en mars 1793, sans trouver d'exutoire, quand la levée en masse fournit l'occasion aux communautés de s'unir contre les agents de l'État, dans un mouvement qui renvoie aux jacqueries traditionnelles, et de former des bandes à la tête desquelles les élites locales sont placées, de plus ou moins bon gré." (...) "Albert Mathiez, un jacobins partisan plus que quiconque de « l’unité française », mais qui fut un grand et véridique historien, a montré les vrais caractères de la Chouannerie en Bretagne et en Vendée : si les paysans se soulevèrent, ce fut beaucoup moins pour défendre les prêtres et le roi, que pour lutter contre les bourgeois et les robins qui s’emparaient des biens nationaux." (Daniel Renoult dans l'Humanité, 1932)]

    [Nous avons là un mythe de (très à) droite sur cette période de l'histoire hexagonale ; au sujet plus général de la "Grande Révolution" bourgeoise comme mythe central du "roman national" DE GAUCHE, lire : http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/annexe-a-l-etude-en-finir-avec-la-france-quelques-verites-sur-la-grande-revolution-bourgeoise]

    [Ou pour citer encore, sur toute cette problématique bretonne, cet excellent passage de Samir Amin : "La bourgeoisie qui, dans l'ensemble français, est parvenue à faire la jonction avec les paysans contre la féodalité, échoue en Bretagne : elle se heurte à la jonction révolte paysanne/contre-révolution aristocratique. Les restaurations qui suivent 1793 opèrent un compromis : elles laissent l'hégémonie en Bretagne au bloc rural (aristocratie et paysans), à condition que celui-ci accepte à l'échelle française l'hégémonie de la haute bourgeoisie (parisienne, s'entend). Pendant un siècle fonctionne de la sorte une alliance de classes particulière. À l'échelon breton, le bloc rural (les Blancs) domine, isolant le bloc urbain constitué des Bleus (la bourgeoisie locale) et des Rouges (la petite bourgeoisie locale). L'hégémonie de la bourgeoisie industrielle à l'échelle française aide et contraint en même temps la propriété rurale aristocratique à se moderniser (produire pour le marché, s'équiper, etc.). Celle-ci le fait sans perdre le leadership rural qui fonctionne au plan idéologique grâce au Concordat, par des formules paternalistes (démocratie chrétienne etc.)." (...)

    "Le développement capitaliste résultant de ce compromis (entre aristocratie bretonne et grande bourgeoisie parisienne), s'accélérant à partir de 1914 et surtout de 1945, finit par faire voler en éclats les alliances qui l'ont fondé. L'industrie et l'apparition d'un prolétariat ouvrier détachent progressivement les héritiers des Rouges de leur dépendance traditionnelle à l'égard des Bleus, qui, de leur côté, font la paix devant le péril socialiste avec les Blancs (abandon de l'anticléricalisme). Dans les campagnes, le processus de modernisation accélère la désintégration du monde rural (émigration massive) et substitue à l'ancienne paysannerie, relativement fermée sur elle-même (polyculture d'autosubsistance), une petite propriété modernisée et spécialisée, fortement soumise à la domination du capital agro-industriel (domination formelle). La grande propriété capitaliste a perdu son importance politique comme moyen d'encadrement des paysans ; la prépondérance électorale passe aux zones urbaines ; l'alliance Blancs-Bleus se substitue à l'alliance Bleus-Rouges ; le capital industriel intervient directement dans l'économie des paysans sans passer par l'intermédiaire des aristocrates. De cette désintégration des vieilles alliances émerge le mouvement autonome de la petite paysannerie soumise à la domination formelle." (…) 

    "Si nous sommes convaincus de la justesse de l'analyse des luttes de classes proposée par Yannick Guin (dont c’est l’analyse qui est citée jusque-là) et de leur articulation aux luttes nationales, nous ne sommes pas toujours convaincus par les conclusions qu’il en a tiré.

    La résistance contre-révolutionnaire des Chouans (l'échec de la bourgeoisie à séparer les paysans de l'aristocratie) ne résulte-t-elle pas de la volonté même des fractions dirigeantes de la bourgeoisie (avant Thermidor et surtout après) de ne pas soutenir une révolution paysanne radicale dont les germes existaient ? Dans ce cas n'est-il pas unilatéral de qualifier la Chouannerie de contre-révolutionnaire ? L'analogie avec les Tchèques et les Croates n'attendant rien de la révolution bourgeoise (autrichienne) timorée de 1848 ne s'impose-t-elle pas ?

    Enfin, soit, on ne refera pas la Révolution française. On ne peut que constater la carence de l'embryon de prolétariat, carence qui découlait de l'immaturité objective des rapports capitalistes de l'époque. Ce prolétariat, malgré son courage, a été écrasé par la bourgeoisie et n'a pas réussi à faire le pont avec les paysans pauvres de Bretagne.

    Mais après ? Pourquoi de 1914 à nos jours les Rouges ne sont-ils pas parvenus à s'allier aux paysans pour les détacher de l'aristocratie embourgeoisée ? N'était-ce pas ce qui aurait dû être la stratégie du mouvement ouvrier ? Pourquoi celui-ci a-t-il laissé l'initiative à la bourgeoisie et s'est-il retrouvé gros-jean comme devant lorsque les Bleus l'ont abandonné pour aller retrouver les Blancs ?

    Et lorsque les paysans, à leur tour abandonnés par les Blancs et entraînés dans le capitalisme, soumis à sa domination formelle, ont commencé à se révolter, n'était-ce pas la tâche du mouvement ouvrier de s'allier à eux, puisqu'il s'agit d'une lutte contre le capital ? Est-il correct de juger cette lutte perdue d'avance parce qu'elle irait contre le «développement des forces productives» ? La lutte de la classe ouvrière elle-même, en réduisant le profit, ne va-t-elle pas elle aussi contre l'accumulation maximale ? Est-ce le rôle des exploités de faciliter aux exploiteurs, par leur silence, la gestion d'un développement maximal des forces productives ?

    Ne doit-on pas aussi regarder différemment le soutien de la petite bourgeoisie à cette révolte paysanne ? De quelle petite bourgeoisie s'agit-il ? De petits producteurs (artisans, commerçants) menacés par le Capital, ou de cette nouvelle petite bourgeoisie de travailleurs non manuels, employés prolétarisés, déjà exploités par le Capital ? S'il en est ainsi, son alliance avec les paysans (dont elle est de fait, en Bretagne… souvent issue !), désormais également exploités par le Capital n'est-elle pas juste ? Et pourquoi la classe ouvrière ne s'y joindrait-elle pas ?

    Priorité au développement des forces productives ou à la lutte des classes ? La tâche du prolétariat est-elle de ne rien faire qui s'oppose objectivement au développement des forces productives ? N'est-ce pas là une manière sociale-démocrate de voir cette tâche ? Le prolétariat ne doit-il pas se moquer de cet objectif qui est celui des classes exploiteuses, et s'occuper exclusivement de mobiliser les contradictions dans ce développement pour constituer un bloc révolutionnaire efficace ?

    La revendication de régionalisation peut-elle être considérée unilatéralement comme une stratégie nouvelle de la haute bourgeoisie ? Cette revendication, comme tant d'autres, n'est-elle pas ambivalente ? Elle peut certes être récupérée par la bourgeoisie, du moins si elle s'inscrit dans une stratégie globale sociale-démocrate ; mais ne peut-elle pas aussi être un levier de mobilisation anticapitaliste ?

    L'idéologie bretonne aujourd'hui, même si hier elle a été au service du bloc agraire blanc aristocrates-paysans, peut-elle être qualifiée unilatéralement de réactionnaire dans les conditions de luttes anticapitalistes qui encadrent sa renaissance ? Pourquoi ? Parce qu'elle s'opposerait au développement des forces productives et au rouleau compresseur de l'homogénéisation culturelle qui n'est que la généralisation de l'idéologie bourgeoise de l’homo consumens universalis ? S'agit-il de réveiller un mort, ou un mourant (la langue bretonne) ; ou d'une protestation contre l'idéologie bourgeoise qui se cache derrière le rideau de fumée de l'universalisme ?"]


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  • ... ce qu'expriment les élections en Corse ces dernières années, c'est ce que j'appellerais un cas aigu de schizophrénie de petits blancs. Localement (municipales, cantonales, territoriales) et même maintenant pour les députés, on vote pour des nationalistes affirmateurs de la réalité nationale corse, enfin bon, pas des gauchistes échevelés non plus, "respectables", sachant être islamophobes quand il le faut, et autonomistes en majorité (mais néanmoins c'est la seule liste politique de ce potentiel électoral à compter des partisans déclarés de l'indépendance "à terme"). Et aux présidentielles, ou aux européennes (avec la grande circo Sud-Est où l'on sait que les nationalistes ne peuvent pas peser bien lourd), on vote dans des proportions considérables pour le FN... parti de l'extrême-France, radicalement hostile à la moindre velléité même vaguement autonomiste.

    On pourra certes dire que les bastions de l'un et l'autre vote ne sont pas (du tout) les mêmes zones, mais il n'en reste pas moins que les chiffres sont là et impliquent forcément un recoupement important des électorats, à moins d'envisager un vote des morts dont je doute quand même qu'il ait encore cours...

    En Occitanie (le long des grands axes), dans le Nord ou en Lorraine, il y a aussi ce paradoxe entre un fort sentiment d'appartenance et de fierté locale, une aspiration à "vivre, travailler et décider au pays", et le vote pour un parti qui incarne l'inviolabilité du système capitaliste bleu-blanc-rouge c'est à dire de la CAUSE de tous les problèmes de relégation périphérique subis ; mais du moins, on trouve ce comportement électoral à TOUTES les élections.

    On a l'impression d'assister à une sorte de grand écart de psychologie politique : d'un côté la crise pousse à la rupture, à vouloir sortir de la prison dans laquelle on est enfermé depuis deux siècles et demi, pour chercher sa propre voie politique-économique-sociale en accord avec les besoins visibles du peuple ; et de l'autre, il y a comme une peur du grand saut qui s'exprime dans le fait que les nationalistes soient majoritairement des autonomistes conciliants, et surtout dans le fait qu'aux élections non-locales on vote pour la ligne la plus dure de l'unitarisme français sauce bonapartiste, comme (aussi, ce qui est l'explication centrale du vote FN dans les périphéries du continent) un accrochage à son petit privilège blanc, tout "taillé" de blagues et de caricatures charliesques qu'il soit.

    C'est là l'illustration suprême du fait que le vote Front National exprime l'"intersection" entre l'"oppression sociale" (traduit du postmo : l'exploitation capitaliste des travailleurs, renforcée par la crise pour maintenir le taux de profit), la relégation des "sans dents", et le privilège blanc (être considéré, bien qu'un peu fainéant, haut en couleur et mafieux, comme un Européen bénéficiaire légitime de la domination impérialiste sur le Sud global).

          


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  • Daesh n'est pas une "création de l'impérialisme", "de la CIA et du Mossad" comme il arrive encore de le lire régulièrement (et probablement pas, non plus, "d'Assad pour se donner le beau rôle", comme peut le soutenir un petit courant pro-ASL et... pro-sioniste dans la gauchisterie hexagonale).

    Daesh est une force politico-militaire ENDOGÈNE qui résulte de la conjonction d'intérêts entre une élite irakienne arabe sunnite, anciennement pro-Saddam (l'Armée baasiste de la Naqhsbandiyya d'Ezzat Ibrahim al-Douri en a même été une proche alliée dans les opérations irakiennes de 2014, avant de rompre et de commencer à l'affronter), et des multimilliardaires voire des secteurs d’État "profond" de la Péninsule arabique et du Machrek (y compris probablement de Turquie). Cette conjonction d'intérêts a levé une armée de mercenaires sur la base du mécontentement local (Irak central contre l'occupation impérialiste puis le pouvoir chiite, Euphrate syrien contre Assad) et de l'idéalisme réactionnaire de jeunes musulmans (de naissance ou convertis) autour du monde, appelés dans une démarche rappelant le sionisme à "rejoindre le territoire du vrai islam". C'est la raison pour laquelle des manœuvres telles que l'abdication surprise de l'émir du Qatar en 2013, ou l'actuelle révolution de palais de "MBS" (prince Mohammed bin Salman) en Arabie saoudite, sont en réalité des manœuvres de reprise en main de ces pays par l'impérialisme occidental et Israël, qui ne sont donc en rien "derrière Daesh" mais cherchent au contraire à faire réprimer ses soutiens financiers.

    Le problème, qui exclut un soutien au nom de l'"anti-impérialisme", c'est que ces forces sont réactionnaires au possible (déjà à la base, et encore plus dans le projet qu'elles se sont données), et que leur projet est "impérial" : conquérir un territoire pour que les "investisseurs" dans l'opération puissent y faire fructifier leurs capitaux suraccumulés.

    C'est pour cela que la comparaison la plus pertinente que nous ayons trouvée, c'est en version "mini" et non-étatique ("para"-étatique) celle avec le Japon shōwa des années 1930 et de la Seconde Guerre mondiale : une démarche (étatique pour le coup) expansionniste, impériale, ultra-réactionnaire, criminelle barbare, pour établir une "Sphère de coprospérité asiatique" visant comme le "Califat" à créer une base d'accumulation et un circuit économique totalement indépendants du Centre occidental de l'économie planétaire (avec par contre à sa tête un État capitaliste "officiel", le Japon, et non des financiers privés et "occultes") ; MAIS également appuyée, "surfant" sur un très réel ressentiment anticolonial contre l'Occident en Asie-Pacifique (de fait, c'est en centaines de milliers de combattants que se compteront les forces armées collaboratrices du Japon à cette époque, que ce soient l'Armée indienne libre de Subhas Chandra Bose, l'Armée nationale birmane d'Aung San, les Défenseurs de la Patrie en Indonésie, les Volontaires Takasago à Taïwan etc. (et plus "incroyable" et méconnu encore, de nombreux "soldats japonais restants" s'engageront après la guerre dans les mouvements de libération, notamment le Viêt Minh !) [et l'on pourrait même aller plus loin encore, dans le trigger Godwin, et parler de l'engagement aux côtés de l'Allemagne nazie des nationalistes irakiens de Rachid al-Gaylani par exemple, ou d'Algériens comme le colonel Mohammedi futur commandant de premier rang de l'ALN, sans oublier bien sûr des Palestiniens comme le mufti al-Husseni... tous engagés dans ce qui est aujourd'hui le "Nom du Mal", en réaction à l'impérialisme britannique ou français !].

    Un projet finalement anéanti militairement en 1945... mais sans pour autant que ses vainqueurs impérialistes occidentaux ne fassent bien long feu dans le coin : dans les 10 années qui suivirent, toutes les colonies et semi-colonies d'Asie obtiendront leur indépendance (un certain nombre avec des régimes pas totalement serviles) ; la Chine, le Vietnam et la Corée du Nord deviendront communistes, etc.

    C'est là tout le bien que l'on puisse souhaiter à la grande région du Machrek, maintenant que la "barbarie" de Daesh y a été vaincue et balayée !!

    Nous tiendrons également à mettre au clair, face au gauchisme occidental toujours en quête de "Blancs d'honneur" à soutenir dans la région (pour ce qui est des motivations des populations locales, notre approche est évidemment différente), que :

    - les Kurdes de Rojava (YPG/YPJ, PYD branche locale du PKK) sont des forces auprès desquelles, certes, on peut comprendre que des communistes se soient engagés contre la violence réactionnaire de Daesh et des "rebelles" syriens mercenaires d'Erdogan ; mais également des forces qui derrière le folklore révolutionnaire "prêt-à-consommer" qu'elles mettent en avant, se sont considérablement éloignées idéologiquement de leurs positions révolutionnaires (marxistes-léninistes) originelles des années 1970-80-90 ; et qui ayant agrégé autour d'elles, dans les "Forces démocratiques syriennes" (FDS), tout ce que l'opposition armée à Assad comptait de "potable" c'est-à-dire de non-salafiste, sont devenues de fait LES forces du bloc impérialiste occidental dans la guerre de repartage de la Syrie ;

    - Assad, héritier dynastique de son père à la tête de l'oligarchie clanique qui dirige la Syrie depuis 1970, et marionnette locale de l'impérialisme russe ayant succédé au social-impérialisme soviétique, est un boucher fasciste qui reste responsable malgré les exactions sans nom de Daesh de la majorité des victimes du conflit ; ainsi par exemple, en dehors même des centaines de milliers de victimes des combats (bombardements d'artillerie ou par hélicoptères), ce sont quelques 13 000 prisonniers qui auraient été pendus ces 6 dernières années dans la sinistre prison de Saydnaya, littéralement à la chaîne... Mais il y a encore des personnes pour le soutenir et ce y compris à gauche, y compris même parmi des soutiens de Rojava qui vont vous expliquer que si on n'a pas la chance de vivre au pays merveilleux des YPG/YPJ, alors à tout prendre il vaut mieux vivre en zone Assad...

    Oui, nous avons nous-mêmes pu dire ici (en commentaires) "souhaiter sa victoire dans les zones dont les FDS ne s'empareront pas"... mais dans une perspective humanitaire et non politique : parce que c'est de toute façon déjà une certitude acquise, et parce que, toute autre possibilité étant de toute façon inexistante, c'est (un partage de la Syrie entre ses forces et les FDS) ce qui fermera le plus vite possible les vannes de sang qui se déversent depuis 2011 ; et qui (politiquement cette fois) permettra au plus vite de "tout reprendre à zéro". Mais croyez-nous bien, qu'en être à devoir souhaiter une telle chose nous fait l'effet de nous couper un bras !

    "Blancs d'honneurs" de la gauchisterie plus ou moins postmodernoïde, vs "Blanc d'honneur" de la droite radicale islamophobe et de la "gauche" mélencho-chevènementiste ; nous c'est simple, c'est sans nous !

    *********************

    BREF, EN RÉSUMÉ :

    Armée mercenaire d'intérêts oligarchiques privés et para- (ou "profondo-") étatiques de la Péninsule arabique et du monde musulman en général, Daesh est comparable à une sorte de mini-Japon de la Seconde Guerre mondiale : expansionniste brutal, meurtrier, "fasciste" si l'on veut par ses agissements antipopulaires, mais SURFANT sur un réel sentiment anti-occidental (et anti-russe) des populations ; comme l'Empire du Soleil Levant l'avait fait en Extrême Orient (se gagnant même comme collaborateurs une fraction, en fait l'ex-fraction non-anticommuniste des nationalistes chinois, pays qu'il a pourtant le plus martyrisé entre tous !).

    Servir le Peuple ne soutient pas ce "surfeur" ; mais en revanche ne nie pas et oui, SOUTIENT la "vague" sur laquelle il surfe ; et refuse que l'on nie que c'est ELLE et bien elle qui est visée à travers lui, Y COMPRIS sous les couleurs "progressistes" du rojavisme (si Daesh ne surfait pas sur cette vague, mais sur celle des intérêts des monopoles impérialistes, il serait "bombardé" par l'OTAN et la Russie... de financements, d'armes, et probablement d'ores et déjà le nouvel État en Syrie et en Irak !).

    [Au sujet des théories complotistes sur le djihadisme :

    "Je dirais que ce que font certaines (en tout cas) forces djihadistes comme Daesh n'est pas joli joli, et certainement pas un projet de société que l'on peut défendre ; maintenant, je pense qu'il y a surtout une forme... d'amertume, en fait, à voir de telles forces capables de ce dont la gauche est incapable depuis des années, dans les pays du Sud et a fortiori en Occident : prendre possession d'un vaste territoire à la face du monde entier qui leur est hostile, et y bâtir un État "en rupture" radicale avec l'ordre existant, même si cette rupture est ultra réactionnaire.

    De cela la gauche n'est depuis longtemps plus capable, ah si pardon : en Rojava... avec l'appui aérien des bombardiers de l'OTAN.

    Du coup, "verts" de voir des ultra réacs en être capables, on préfère s'inventer que tout est voulu et manigancé, qu'ils ont "en réalité" le soutien de la CIA et du Mossad..."]


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  • Déconstruction de la déconstruction :
    un point de vue antiraciste


    Le terme de « déconstruction », et celui de « déconstruit » qui lui est associé, s’est imposé dans le champ militant ces dernières années. Que ce soit dans l’antiracisme, le féminisme ou dans les différentes autres sphères de lutte, il est devenu un adjectif incontournable, partageant le monde entre les « déconstruits » et les autres. Dans cet article je souhaite m’attaquer à utilisation de ce terme qui, en plus de dénaturer son usage premier, mène à des dérives qui sont théoriquement fragiles et  stratégiquement inefficaces. En effet, nous assistons à une récupération par la logique libérale de la notion de « déconstruction », amenant le champ militant dans une vision individualiste de la lutte, où il ne s’agit non plus de « déconstruire » des idéologies mais des individus. Bien entendu, pour rester fidèle au principe du « premier concerné » auquel tiennent les « déconstructionnistes », je vais émettre cette critique d’un point de vu antiraciste. Mais, sans outrepasser mon rôle de second-concerné, il me semble que celle-ci pourrait aisément être adaptée aux autres sphères militantes, d’autant plus que les apôtres de la déconstruction se revendiquent habituellement de l’intersectionnalité.


    La déconstruction, son origine.

    Lorsque nous entendons le terme « déconstruction » nous pensons immédiatement au philosophe qui a popularisé ce terme, Jacques Derrida, et au mouvement du déconstructivisme. Pour résumé assez grossièrement cette pensée, Derrida, s’opposant au structuralisme, et notamment à la vision saussurienne du langage et de la relation signifiant/signifié,  propose à travers le concept de « déconstruction » une critique de l’histoire de la pensée occidentale qui serait basée sur des dichotomies hiérarchisées (jour/nuit, même/autre, logos/pathos etc.). Dans ce sens, déconstruire signifie d’abord renverser puis  neutraliser les rapports de domination qui existent dans ces dualismes.  Mais cette déconstruction n’était encore appliquée qu’aux textes, révisant les classiques de la philosophie à travers cette méthode et une écriture de la « différance ».

    Derrida a connu un succès relativement limité en France, c’est aux États-Unis que ses travaux ont été davantage reconnus, restant tout de même restreint au milieu universitaire et intellectuel, mais participant à la popularisation de la French Theory. Pour autant le retour du terme de « déconstruction » dans le champ militant n’est pas directement dû à des lectures directes des œuvres de Jacques Derrida, mais plutôt  à celles d’intellectuels qui ont été fortement influencés par ce dernier. C’est d’abord dans le milieu féministe qu’il fera son apparition – ce qui peut paraître logique quand on sait que Derrida s’est aussi beaucoup attaché à dénoncer le « phallogocentrisme » de la pensée occidentale et plus précisément de la psychanalyse – avec les retentissants livres de Judith Butler Trouble dans le genre et Défaire le genre, dans lesquels elle propose de déconstruire la notion de genre. Dans les subaltern studies c’est Gayatri Chakravorti Spivak, qui a fortement été influencée par Derrida, elle a d’ailleurs traduit, de l’anglais au français, l’ouvrage de Derrida De la grammatologie, et on retrouve le ton derridien dans Les subalternes peuvent-elles parler ?.

    À travers elles la déconstruction va peu à peu sortir du cadre de la philosophie et de la psychanalyse pour s’insérer de plus en plus dans le champ d’étude des sciences humaines et avoir une visée beaucoup plus large. Il ne s’agit plus de déconstruire des textes, mais des idéologies, des systèmes (capitalisme, racisme, patriarcat etc.) et leurs institutions. Comme les normes qui sont diffusées dans nos sociétés n’ont rien de « naturelles » et qu’elles sont au contraire « construites », il s’agit dorénavant de les « déconstruire », c’est à dire de faire la genèse de leurs productions, démontrer leurs aspects oppressifs mais aussi la façon dont nous les incorporons tous (de manière implicite) et, ce qui constitue objectif final, défaire l’emprise qu’elles ont et les dépasser proposant des valeurs plus égalitaires.

    Jusque-là, la déconstruction pouvait dans un certain sens avoir un intérêt pour le cadre d’analyse et la théorisation des luttes militantes. C’était le cas pour l’antiracisme politique, puisqu’elle permettait d’historiciser le racisme, et donc de rendre compte de son aspect « construit », non-naturel, évitant alors son essentialisation, nous amenant logiquement à penser que, vu que le racisme à un début, il peut très bien avoir une fin. Elle permettait aussi de cerner les raisons de son apparition, sa mécanique, son mode de fonctionnement, son imposition et la façon dont les institutions le diffusent, pénétrant l’ensemble de la société et de ses individus. Articulé à une analyse matérialiste (qui fait défaut parfois à des auteurs comme Judith Butler), le déconstructionnisme était susceptible d’offrir, malgré ses défauts, une perspective d’analyse intéressante sur le racisme.

    Mais il me faut ici insister sur un point avant d’aller dans le cœur de ma critique sur la dérive individualiste que va connaître le déconstructionnisme : tous les individus incorporent l’idéologie raciste, tout simplement parce qu’aucun individu ne vit hors des institutions. Personne ne se socialise en dehors des structures et celles-ci sont racistes. Ainsi, tout le monde s’est « construit » à travers ces normes, et a donc des attitudes, des façons de penser, un imaginaire, des représentations etc. racistes. Les déconstructionnistes font (à peu près) le même constat, mais ils vont en faire une déduction que je souhaite remettre en cause : si les individus sont construits, il faut alors les déconstruire.

    La déconstruction et l’inévitable dérive individualiste

    À travers le champ militant nous sommes donc passés de l’idée de déconstruire des idéologies, une hégémonie culturelle raciste, à déconstruire des individus. Nous avons là, je pense, une incorporation des sciences sociales, et notamment de la sociologie, dans le concept de la déconstruction. Comme nous sommes socialisés dans une société raciste, nous incorporons son schéma raciste. Qu’on le veuille ou non, la socialisation est un processus que connaît tout être humain, nous n’avons pas vraiment d’emprise sur celui-ci, nous ne pouvons « choisir » de nous socialiser (surtout pour la socialisation primaire) de telle ou telle manière, et cela se fait de manière implicite. Mais pour autant, dans le discours déconstructionniste, nous pouvons (et nous devons) renverser ce déterminisme social. Il faut prendre conscience de la façon dont nous avons été construits pour pouvoir, ensuite, nous déconstruire. Si nous souhaitons parvenir enfin à une société qui n’est plus raciste, nous devrions alors chacun faire ce devoir de déconstruction. Ce qui nous conduit à un paradoxe étrange, pour des personnes qui ne cessent de nous répéter que le racisme est un phénomène systémique (ce qui fait que nous ne prenons pas au sérieux le « racisme anti-blanc »), qui consiste à penser que si nous voulons transformer la société et ses institutions, il faut d’abord changer les individus, et même, se changer soi-même. En paraphrasant Gandhi, je pourrais résumer cette logique à : Sois la déconstruction que tu veux voir dans le monde.

    Pour ce faire il faut tout d’abord « prendre conscience » du fait que l’on est « construit », ou, pour le dire plus sociologiquement, prendre conscience de son déterminisme. Nous ne sommes pas nés « comme ça », avec nos idées, avec nos représentations, avec nos façons de penser. Il est nécessaire de s’en rendre compte afin d’éviter de nous auto-essentialiser, mais aussi pour nous permettre de comprendre les facteurs qui nous ont conduits à être ce que nous sommes. Plus précisément, les déconstructionnistes nous invitent à « checker nos privilèges ». Vivre dans un système raciste implique que des personnes subissent le racisme et que, donc, d’autres en profitent, en tirent des « privilèges ». Chaque personne devrait alors prendre conscience des oppressions qu’elle subit mais aussi des privilèges qu’elle a. Je peux être victime du racisme, mais profiter du patriarcat, comme être victime du patriarcat et du racisme, mais tirer profit, pour reprendre leurs termes auxquels je n’adhère pas, du « classisme ». Autre exemple, je peux être un homme cisgenre, bourgeois, blanc, hétérosexuel, mais être victime du validisme, ou bien de l’âgisme etc. Cette intersectionnalité abstraite conduit à un relativisme qui condamne les individus à un combat perdu d’avance puisqu’il s’agit de combattre, en même temps et avec la même énergie, absolument toutes les discriminations, tout en se dépouillant de toutes les normes oppressives incorporées. Deux exigences impossibles à satisfaire.

    Le terme « problématique » revient souvent dans le champ militant pour désigner les personnes qui ne seraient pas totalement « déconstruites » vis-à-vis d’un système d’oppression. « Untel est problématique » signifie alors qu’Untel n’a soit pas pris conscience des privilèges qu’il peut tirer, par exemple, du racisme, soit en a conscience mais n’a pas pour autant « abandonné » ses privilèges, n’a pas refoulé toute sa socialisation de dominant, et ne manifeste pas assez son opposition à cette discrimination. À ce titre, on pourrait étiqueter tout le monde, mêmes les plus « conscients » (synonyme de « déconstruit » dans le langage déconstructionniste) des militants, de « problématique », car il me semble que la probabilité de connaître un individu totalement déconstruit sur absolument tous les types d’oppressions possibles est très faible. Se considérer déconstruit est alors tout à la fois inconcevable, présomptueux et improductif. Pour le dire différemment, et pour reprendre une sentence courante dans les milieux marxistes, tout comme il ne peut exister de « consommation éthique », il ne peut exister d’individus « déconstruits » sous  notre Modernité capitaliste.

    La comparaison avec la « consommation éthique » n’est pas un simple clin d’œil, elle permet de souligner les ressemblances frappantes entre les logiques déconstructionnistes et d’autres pratiques militantes petite-bourgeoises qui mettent l’action de l’individu, et non plus du groupe, au centre du militantisme. La lutte écologique est probablement le champ politique le plus touché par cette logique libérale et individualiste. Alors qu’elle était portée, dans les années 1970, par des groupes aux doctrines radicales et révolutionnaires, qui pensaient que la solution face à la crise écologique qui nous attendait ne pouvait passer que par une refondation complète de nos modes de productions, cette lutte va peu à peu se voir être prise en main par des groupes et des personnalités qui vont aseptiser ce combat et distiller une vision beaucoup plus réformiste et individualiste. L’oxymore du « capitalisme vert » en est un exemple frappant, mais ce que je vise plus particulièrement ce sont les logiques que l’on peut retrouver dans de nombreuses organisations de ce champ, comme le « Mouvement Colibris » [1], dans lequel le changement ne doit pas venir des institutions mais de tous les citoyens. À la façon du colibri qui, bien que petit, fait sa part des choses pour préserver la forêt, cette mouvance nous enseigne que si tous les individus qui composent nos sociétés faisaient « leur part », alors le monde serait un endroit bien plus agréable à vivre. Chacun doit donc adopter des gestes, des attitudes, des habitudes etc., en somme  un style de vie qui respecterait l’environnement, ce qui entraînera, petit à petit,  un changement de société, plus en phase avec la nature. Ne militez plus pour un changement de système, recyclez juste votre part, prenez des douches courtes, et la planète sera sauvée [2].

    C’est cette philosophie autant inconséquente qu’inefficace  que nous voyons s’introduire dans l’antiracisme avec la déconstruction qui se focalise sur les individus, la rapprochant alors davantage de l’antiracisme moral quelle prétend combattre que de l’antiracisme politique. L’antiracisme ne devient plus une question de rapport de force, mais de rapport interindividuel, dans lequel nous devons tous faire attention aux dominations, même imperceptibles, que nous pouvons exercer sur l’autre. L’oppression elle-même n’est plus mesurée par des faits objectifs, par une analyse des conditions matérielles, mais est focalisée de plus en plus sur le subjectif et le ressenti. De ce fait, nous sommes tous des oppresseurs et des oppressés en puissance. Être déconstruit devient donc une façon de se démarquer de la masse « construite », et d’effectuer un travail personnel pour minimiser les coercitions que l’on peut exercer sur autrui. Comme pour le mouvement Colibri, il s’agit d’adopter des gestes, des habitudes, des comportements moins coercitifs et plus respectueux des dominés. Le « safe », langage inclusif, la bienveillance, le respect du ressenti,  la non-contradiction de la parole d’un premier concerné etc. Bref, une multitude de codes que chacun doit respecter. L’antiracisme ne devient ainsi plus une lutte politique, mais un changement personnel, un style de vie. Il y a des gens qui mangent bio pour « sauver la planète », et d’autres qui « check leurs privilèges » pour lutter contre le racisme.

    On peut me rétorquer que même Frantz Fanon s’attachait à montrer que le racisme a de fortes conséquences sur le psychisme des non-blancs, ces derniers incorporant le sentiment d’infériorité, et que donc là l’individualité devait être prise en compte. Il n’est pas question ici de contredire ce fait, mais Fanon a toujours rattaché ces analyses psychologiques à des faits objectifs, à un point de vue matérialiste des causes qui conduisent à ces troubles psychologiques. Il reliait directement ses observations à la domination coloniale, et n’a jamais mis en avant un travail à faire sur soi-même pour lutter contre celle-ci, mais seulement une lutte qui devait se dérouler sur le champ politique, en usant même de la violence. Car le vrai problème de la déconstruction c’est qu’elle est tout aussi impossible à réaliser totalement (sur soi) qu’inefficace (contre le Pouvoir blanc). Elle exige des individus une chose inconcevable : lutter contre sa socialisation, se dépouiller de toutes les normes incorporées jusqu’ici, se défaire de tout ce qui a fait son identité, et intégrer de nouvelles valeurs, qui sont à contre-courant des institutions. Autrement dit, on demande à l’individu d’être plus fort que les institutions, que la société, d’être au dessus de tous les déterminismes sociaux. Un tel surhumain n’existe pas.

    Une idéologie aussi irréalisable qu’inefficace

    Se considérer déconstruit dans notre modernité capitaliste relève  soit d’une naïveté qu’il faut corriger, soit d’une fatuité qu’il faut tempérer. En effet, c’est prétendre avoir réussi à se sortir des structures et avoir supprimé toutes les normes incorporées. Autrement dit, c’est prétendre être une sorte de surhumain qui aurait une emprise complète sur les déterminismes sociaux, même les plus indiscernables. Il y a un parallèle ici à faire avec le mouvement new-wave très en vogue dans la petite-bourgeoisie et qui a réussi à allier un idéalisme progressiste avec une idéologie libérale. L’émancipation ici se fait à titre individuel, il s’agit de se « conscientiser », d’être « woke », « réveillé » sur le monde qui nous entoure, voir même de faire un « retour sur soi-même ». Ainsi, la désaliénation passera très souvent par un retour à un passé indigène imaginaire, idéalisé et essentialisé , que Frantz Fanon, tout en comprenant ce mécanisme, critiquait déjà en affirmant qu’on ne devait pas « se laisser enfermer dans la Tour substantialisée du Passé »[3]. Se distinguant de la masse construite, le déconstruit peut mettre en avant une personnalité plus « authentiquement » indigène mais aussi plus progressiste et égalitariste que la moyenne, une personnalité qui prendrait en compte toutes les discriminations que notre société opère et qui met un point d’honneur à ne participer à aucune. Sauf que dans la pratique cela se borne très souvent à de simples positions de principes idéalistes qui n’ont pas de grandes répercussions concrètes. À vouloir dénoncer absolument toutes les oppressions, on ne lutte concrètement contre rien, comme dit Sadri Khiari, à trop vouloir tout articuler, on ne fait plus qu’additionner et s’épuiser [4]. Au fond, le plus souvent ces prises de positions ne sont que des manières de s’auto-complaire dans une position imaginaire de rebelle contestant l’ordre établi. Peu importe pour le déconstructionniste  que sa condamnation individuelle n’ait aucun intérêt tant elle n’a aucun impact, le plus important est de manifester sa position afin d’afficher à quel point il est un individu « bon » et « conscient » des malheurs du monde qu’il souhaite résoudre, à son niveau. C’est notamment le cas lorsqu’il s’attaque à une oppression qu’il ne subit pas, comme lorsqu’un Blanc dénonce le racisme. Bien souvent l’intérêt n’est pas de lutter contre ce racisme, mais plutôt de signaler qu’il est un allié exemplaire, quand bien même cela ne va rien changer au racisme que nous subissons. Un Blanc peut être autant déconstruit qu’il le souhaite, la société restera raciste, et les non-Blancs en seront toujours victimes. Sa déconstruction n’a donc aucun intérêt pour moi.

    J’approche ici le nœud du problème car, outre le fait que se considérer comme déconstruit surévalue la maîtrise de l’individu sur le social, dans l’hypothèse même qu’une telle personne existe – c’est-à-dire une personne qui aurait anéanti toutes les représentations oppressives qu’elle avait en elle – cela est simplement improductif et superflu. Il faudrait d’abord clarifier ce processus de déconstruction : Comment procède-t-on ? Avec quels outils ? Comment se déroule-t-il ? Quelles sont les étapes ? Est-ce un processus par palier ? Comment pouvons-nous jauger de notre évolution dans la déconstruction ? À quel moment puis-je me considérer comme déconstruit ? Qui décide ? Etc. Autant de questions auxquelles il n’est pas possible de répondre car ce concept de « déconstruction » n’est qu’une idéologie et non un outil théorique, un concept scientifique. Mais plus que cela, c’est une idéologie inopérante. Nous ne pouvons pas « décider » d’abandonner nos privilèges et les voir disparaître du jour au lendemain. Quand bien même nous aurions conscience des profits que nous pouvons tirer d’une situation inégalitaire, s’en rendre compte ne va pas les effacer. Un Blanc peut être le plus déconstruit du monde, le meilleur allié de l’antiracisme politique, il profitera tout de même de ses privilèges de Blanc. Quoi qu’il fasse, tout simplement parce que nous vivons dans un système favorisant les Blancs, et un seul individu ne peut rien y faire. Certains, tentant de donner une réalité pratique à cette théorie bancale, vont alors demander à l’allié de « combler » en quelque sorte l’écart qui existe entre les dominants et les dominés. Ce sera à travers des micro-actions, comme aider les dominés à accéder à des positions de pouvoirs, laisser les « premiers concernés » parler, éviter l’humour oppressif, voir même inviter un dominé au restaurant pour combler les écarts de salaires qui peuvent exister… Loin de moi l’idée de dire aux alliés qu’ils n’ont pas à faire ça, mais juste de souligner la portée extrêmement faible de ce genre d’actions, qui sont en adéquation avec la philosophie colibriste. Elles ne vont se manifester que dans quelques relations interindividuelles et ne vont avoir aucune, ou relativement peu, de conséquences sur le système raciste. Cela ne va en aucun cas faire trembler le champ politique blanc, au contraire, ce genre de petites compensations portées par quelques Blancs alliés lui conviennent parfaitement, tant qu’il n’a pas à changer.

    Avec cette perspective l’action n’est plus orientée dans la création d’un collectif fort qui va œuvrer dans un renversement total du Pouvoir blanc, mais plutôt vers un repli individuel où l’intérêt est davantage de se créer un espace « safe » où l’on ne fréquenterait plus que des personnes « déconstruites », ménageant le plus possible notre ressenti. Tant pis pour les autres. On assiste ainsi peu à peu à une sorte d’élite militante qui légitimerait sa supériorité par son degré de « conscientisation » et qui mettrait sur le banc des accusés toutes personnes « problématiques » n’ayant pas atteint le même degré sur l’échelle de l’émancipation individuelle. En appliquant leur cadre d’analyse, je pourrais alors rétorquer que même ce processus de déconstruction est un privilège qui n’est accordé généralement qu’à des personnes ayant eu la chance d’avoir accès à des études supérieures (il ne faut pas oublier que le champ militant est composé en grande partie de personnes qui ont un  en général capital culturel relativement important), où à une formation militante, ce qui n’est le cas que d’une minorité de la population. Mais ce serait entrer dans un débat sur le terrain de la déconstruction, ce que je veux éviter, car la déconstruction des individus n’est pas mon objectif.

    Combattre le racisme avec les individus tels qu’ils sont aujourd’hui

    Comme je l’ai montré plus haut, la probabilité de voir des gens totalement déconstruits, et pis celle d’en voir en nombre suffisant pour pouvoir bouleverser le Pouvoir blanc, est proche du zéro. C’est donc une stratégie qui nous mène droit au mur. Les prémisses théoriques de celle-ci étaient déjà faussées. Adoptant un point de vue idéaliste qui prétend que c’est à partir de l’individu que nous pouvons combattre le racisme, autrement dit que c’est en changeant la mentalité d’un petit nombre d’entre eux, qui à leur tour vont changer la mentalité d’autres et ainsi de suite… que le racisme disparaîtra car il n’y aura simplement plus assez de personnes pour maintenir ce racisme. C’est de l’utopisme pur. Un retour au réel, au concret est nécessaire, et surtout, pour paraphraser Lénine, « Nous, nous voulons la révolution [antiraciste] avec les hommes tels qu’ils sont aujourd’hui »[5], et ne pas attendre d’eux un degré de conscience politique poussé à la perfection, et qu’ils se soient débarrassés en même temps de toutes leurs prénotions. Je rajouterais, dans notre cas, qu’il ne faut pas attendre d’eux qu’ils aient la capacité sur-humaine de se dépouiller de la totalité de leurs déterminismes sociaux, qu’ils soient déjà tous libérés de l’idéologie de la Modernité occidentale, car personne ne l’est. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, il ne faut pas attendre les résultats de nos combats, avant même de les mener et de les gagner.

    D’autant plus que le plus gros souci du déconstructionnisme c’est qu’il ne peut être entrepris que par des personnes qui le désirent, qui ont la volonté d’engager ce processus. Cela place alors l’antiracisme dans une position de quémandeur, où l’on attend que le Pouvoir blanc (et les Blancs en général) prenne en compte nos injonctions au nom de principes moraux et humanistes, et qu’il se mette enfin à se déconstruire. Je pense que personne ne me contredira si je dis que cela n’arrivera jamais. Un dominant n’a aucun intérêt à renoncer à ses privilèges, il n’y a pas énormément de raisons pour lesquelles un Blanc peut décider de déconstruire son racisme. D’ailleurs, en général il ne le fait pas, ce qui est compréhensible. C’est pourquoi je ne lui demande pas de le faire. J’ose même dire que je me fiche de savoir s’il le fait ou pas, allié ou non. Ce que j’attends de lui ce n’est pas un travail sur lui-même, mais qu’il rejoigne la lutte antiraciste, qu’il s’engage réellement dans ce combat, qu’il se tienne du « bon côté » de la barricade. Le racisme est une question de pouvoir, de rapport de force, pas de bonne volonté, ni de position morale. C’est ce que soulignait Kwamé Turé (Stokely Carmichael), lorsqu’il disait « Si un homme blanc veut me lyncher c’est son problème. S’il a le pouvoir de me lyncher, c’est mon problème. Le racisme n’est pas une question d’attitude, c’est une question de pouvoir ».

    Il faut absolument que l’antiracisme politique revienne à cette vision que portait l’auteur de Black Power. Je ne pourrai jamais changer tous les hommes, et je ne cherche pas à le faire. Comme disait Saïd Bouamama « Moi je m’en fous que les gens n’aiment pas les arabes » [6], cela relève de l’opinion personnelle, et je n’ai pas le pouvoir ni l’envie de la changer. Par contre, ce qui me dérange c’est qu’ils aient les moyens de m’opprimer, tout en étant favorisés. Je ne focalise pas ma lutte à pointer du doigt les comportements oppressifs que peuvent avoir mes concitoyens, mais plutôt les moyens institutionnels qui sont mis en place pour qu’ils puissent en tout quiétude exercer leur racisme, et que je sois défavorisé parce que non-Blanc. Ce qui m’intéresse ce n’est pas la subjectivité raciste des individus, mais plutôt les faits racistes objectifs (violences policières, discrimination à l’embauche, agressions de femmes voilées etc.) et qui sont tous reliés à un racisme d’État. Il faut s’attaquer à la cause, et non aux symptômes. Il faut revenir à une analyse matérialiste du racisme, il est le seul moyen de l’éradiquer. C’est ce à quoi nous invitait déjà Fanon lorsqu’il disait que «  la véritable désaliénation du Noir implique une prise de conscience abrupte des réalités économiques et sociales. »[7] L’intériorisation du sentiment d’infériorité n’intervient qu’ensuite, il n’en est qu’une conséquence. Si des actes racistes sont nombreux, c’est seulement parce qu’ils ont les moyens de se produire sans trop de répression. C’est ce que Kwamé Turé pointait du doigt en distinguant le « racisme individuel » du « racisme institutionnel », le premier est plus « visible » et « marquant », alors que le second « est moins franc, infiniment plus subtil, on le reconnaît moins facilement parce qu’il ne s’agit pas d’actes accomplis par des individus particuliers »[8], mais il détruit pourtant bien plus de vie que le racisme individuel pur. Tout en condamnant le racisme individuel et en encourageant l’auto-défense (même violente) face aux actes racistes, Turé centrait son attention sur ce racisme institutionnel qui permettait au racisme individuel direct de prospérer. Se focaliser sur le racisme institutionnel permettait aussi d’engager la responsabilité de l’ensemble de la société, et pas seulement celle de quelques individus, considérés comme marginaux, revendiquant clairement leurs idées racistes. Ce n’est pas en demandant aux individus de déconstruire le racisme que nous allons le stopper, c’est en imposant un rapport de force, c’est un luttant contre le Pouvoir blanc sur le champ politique. C’est seulement en ôtant au champ politique blanc le pouvoir que nous allons efficacement lutter contre le racisme, tout simplement parce qu’ils n’auront plus les moyens de mettre en pratique le racisme qu’ils auront incorporé, tout simplement parce qu’ils seront obligés de le réprimer, tout simplement parce que nous briserons toutes les conditions d’existence du racisme. Il ne faut pas déconstruire le Pouvoir blanc, il faut le détruire.


    Wissam Xelka


    [1] https://www.colibris-lemouvement.org/
    [2] « Oubliez les douches courtes », mini-documentaire réalisé à partir d’un texte de Derrick Jensen, qui explique très simplement l’absurdité et l’inefficacité de la vision individualiste dans la lutte écologique : lhttps://www.youtube.com/watch?v=QqnC2avyNAk  –
    [3] Frantz Fanon, Peau noire, masque blanc, Editions du Seuil, Paris, 1952. p 208
    [4] Sadri Khiari, « Les mystères de l’« articulation races-classes » », publié sur le site du PIR le 22 juin 2011 : http://indigenes-republique.fr/les-mysteres-de-l-articulation-races-classes/
    [5] Lénine, L’Etat et la révolution, Editions La Fabrique, Paris, 2012.
    [6] https://www.youtube.com/watch?v=WNZ0E4BgOvs&t=55s
    [7] Frantz Fanon, Peau noire, masque blanc, Editions du Seuil, Paris, 1952. p 23
    [8] Stokely Carmichael, Charles V. Hamilton, Le Black Power. Pour une politique de libération aux Etats-Unis, Editions Payo & Rivages, 2009. p 38


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