• Lu sur Cameroonvoice

    Des paysans spoliés de leurs terres occupent une plantation de cette saloperie de palmier à huile appartenant à une "figure" du Grand Capital monopoliste bleu-blanc-rouge :

    Des paysans camerounais occupaient jeudi une plantation de la Société camerounaise des palmeraies (Socapalm), dont le groupe français Bolloré est l'un des actionnaires, a constaté un journaliste de l'AFP.

    La Socapalm exploite près de 26.000 hectares de terres pour la culture du palmier à huile au Cameroun. L'entreprise contrôle environ 42% du marché national d'huile de palme brute, selon des ONG.

    "Nous bloquons le travail dans la plantation de Dibombari", dans le sud du Cameroun, a affirmé l'un des organisateur de la manifestation, Emmanuel Elong, assurant que l'activité était paralysée jeudi.

    "Nous demandons (aux responsables de la Socapalm) de rétrocéder aux riverains les terres que l'Etat leur a rétrocédées", a-t-il ajouté.

    Cameroun: des paysans occupent une plantation de Bolloré pour dénoncer l'accaparement de leurs terresSelon M. Elong, le mouvement va se poursuivre jusqu'à samedi à Dibombari, et s'étendre à d'autres plantations de la Socapalm à travers le pays.

    Présents sur place, des responsables de Socapalm ont refusé de s'exprimer devant la presse.

    L'entreprise Socapalm est une filiale de Socfin, une holding luxembourgeoise dont le capital est détenu à 39% par Bolloré, et qui possède des plantations de palmiers à huile et d'hévéas dans plusieurs pays africains ainsi qu'en Indonésie et au Cambodge.

    Cette action au Cameroun est la première d'une série de manifestations que des paysans africains et asiatiques entendent mener pour protester contre l'"accaparement" de leurs terres par la holding luxembourgeoise.

    "Les paysans privés de leurs terres" ont prévu d'occuper les plantations de Socfin au Cameroun, au Liberia, au Cambodge et en Côte d'Ivoire "jusqu'aux assemblées générales des groupes Socfin (27 mai) et Bolloré (4 juin)", selon un communiqué de l'Alliance internationale des riverains des plantations Socfin Bolloré.

    L'expansion de ces plantations est "continue" depuis 2008, affirme l'Alliance des riverains, citant une hausse d'un quart des surfaces cultivées par la société en Afrique entre 2011 et 2014.

    "Ces expansions provoquent de graves conflits avec les populations riveraines qui sont privées de terres et voient leurs conditions de vie sans cesse se dégrader", dénoncent les riverains, qui ont créé l'Alliance en 2013 après avoir été mis en relation par l'ONG française ReAct.

    Le groupe Bolloré est très actif en Afrique via "Bolloré Africa Logistics", un opérateur privé de concessions présent dans 43 pays et qui emploie 22 000 salariés du continent.

    Au Cameroun, le groupe industriel contrôle en grande partie le port autonome de Douala (sud, la capitale économique du pays), les chemins de fer et des plantations de palmiers.


    Cameroun: des paysans occupent une plantation de Bolloré pour dénoncer l'accaparement de leurs terres
    Cameroun: des paysans occupent une plantation de Bolloré pour dénoncer l'accaparement de leurs terres

     


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  • Oui, c'est bon merci, on sait que ça ne va (dans l'immédiat du moins) RIEN CHANGER. On sait que l'Armée a pris le pouvoir et va organiser la "transition", l'appareil de domination néocolonial (dont cette même armée est le pilier) restant absolument intact. De nouveaux gardes-chiourmes "démocratiquement élus" occuperont le devant de la scène...

    Il n'empêche : ON EST TOUT DE MÊME CONTENTS de savoir que l'assassin de son propre "frère" Thomas Sankara (il y a 27 ans presque jour pour jour) sur les ordres de l'impérialisme bleu-blanc-rouge, ce même impérialisme au service duquel il jouera les bases arrières pour les carnages au Libéria (1989-97) et en Côte d'Ivoire (2002-2005 puis 2011), ne MOURRA PAS PRÉSIDENT DANS SON LIT - aux dernières nouvelles il aurait trouvé refuge en Côte d'Ivoire chez son pote Ouattara, qu'il a aidé à monter sa rébellion en 2002 puis à prendre le pouvoir en 2011 (1-2-3-4-5).

    Ceci grâce à la grande et magnifique révolte de la jeunesse populaire burkinabé, qui s'est levée en masse contre le projet du despote de se représenter indéfiniment à la présidence et a même carrément incendié le Parlement :

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    Il convient cependant de souligner quelques petites choses, sachant que cet article sera très lu et partagé notamment par des personnes africaines ou reliées culturellement à l'Afrique :

    1°/ Si Compaoré a été "dégagé" aussi rapidement et sans grande effusion de sang (quelques morts et blessés), c'est aussi parce que l'Armée et la police sont restées relativement "l'arme au pied" face à la mobilisation populaire... Ce qui veut dire qu'un "feu vert" est venu "d'en haut" - de Paris - en faveur d'un renouvellement d'équipe dirigeante à Ouagadougou. Ceci est d'autant plus clair au vu du courrier adressé par Hollande à Compaoré il y a quelques semaines, lui donnant du "cher Blaise" et l'incitant à ne pas s'accrocher au pouvoir en lui offrant même de le "recaser" dans une quelconque instance internationale ou continentale. Voilà qui montre bien la véritable nature de tous ces satrapes (franç)africains : des gouverneurs, des intendants, de véritables commis de la "métropole" !

    Il ne faut donc pas, quelle que soit l'admiration ressentie pour la sublime et combattive jeunesse burkinabé (qui marche toujours dans les pas de Sankara), perdre de vue cet autre aspect des choses - dans un mode de raisonnement dialectique. Ce qui vient de se produire ne peut-être compris que comme une étape, un épisode, un tout petit pas dans une longue marche forcément prolongée vers la libération révolutionnaire ! Mais un petit pas qui vaut mieux, bien sûr, que rien du tout. En d'autres temps, un Houphouët ou un Bourguiba pouvaient "prendre leur retraite" à un âge canonique lorsqu'ils n'avaient plus les capacités physiques de gouverner, il fallait des guerres civiles (dans le cadre de la concurrence inter-impérialiste) pour dégager un Mobutu ou un Habyarimana et il y a encore quelques années à peine, au Togo et au Gabon, les satrapes Bongo et Eyadéma transmettaient tranquillement le pouvoir à leurs rejetons. Tout ceci a changé depuis la grande tempête populaire qui a soufflé sur les pays arabes (donc le Nord du continent africain) en 2011. C'est le signe que tant dans les pays impérialistes que dans leurs semi- et néocolonies (nous employons ce terme lorsque l'"indépendance" est vraiment à un haut degré de bidonnage, comme c'est le cas en (Franç)Afrique avec le franc CFA dépendant de la Banque de France, les bases militaires tricolores jouant le rôle de véritable force de défense etc.) les classes dominantes ne peuvent plus maintenir leur domination sous une forme inchangée, qu'elles ne peuvent plus gouverner (et les masses populaires ne veulent plus être gouvernées !) comme auparavant ; ce qui est l'une des caractéristiques d'une situation révolutionnaire selon Lénine (et il est très clair que le début de la présente décennie a vu le monde entrer dans une telle situation).

    2°/ La "dissidence" et l'"anti-impérialisme" en carton - comme par exemple ce site qui met en avant Kémi Séba etc. - faisaient depuis quelques temps leurs choux gras contre "l'assassin de Sankara" comme pour annoncer leur soutien à un possible soulèvement contre lui. Ceci ne doit pas duper les masses populaires africaines et afro-descendantes. Car ceci s'inscrit en réalité totalement dans la logique de ce qui précède, la logique impérialiste de "printemps démocratique" autrement dit de "ravalement de façade" de la domination néocoloniale, en faisant mine de "dénoncer" des "dictateurs" que l'on a soi-même porté au pouvoir 20 ou 30 ans auparavant et soutenus continuellement depuis - il s'agit en fait de la version fasciste de cela. Par exemple, on sait que Blaise Compaoré a pu prendre le pouvoir puis lancer les hordes de Taylor à l'assaut du Libéria notamment avec la bénédiction et le financement d'un certain Mouammar Kadhafi (le fameux "consortium de Ouaga" Kadhafi-Compaoré-Taylor)... qui était - et reste même après sa mort bien méritée - une idole absolue pour tout ce "panafricanisme" de pacotille. Quand la "communauté internationale" dit "regardez, maintenant il y a un fils de Kényan musulman à la Maison Blanche, vous voyez bien que tout est possible... Yes we can !", eux disent dans le même esprit "vous verrez quand le FN sera au pouvoir et que les américano-sionistes ne seront plus les maîtres à Paris, tout sera différent !" - certains néocolonisés ont en effet finalement (et malheureusement) le même raisonnement que beaucoup de personnes dans les classes populaires hexagonales : tous les partis bourgeois se sont alternés au pouvoir sauf le FN, alors... (bien entendu, comme nous l'avons expliqué, tout cela se terminera forcément en Nuit des Longs Couteaux pour les raisons que nous avons exposées : un véritable fascisme hexagonal AU POUVOIR ne pourra tolérer aucune affirmation militante - même "bourgeoise", même bourrée de "fantaisies réactionnaires" - des néocolonies et de leurs "représentants" en Hexagone, de même qu'aucune affirmation des Peuples historiquement emprisonnés dans l’État). "Tout sera différent" comme peut-être... un certain retour à la fameuse, la sacro-sainte "diplomatie indépendante gaulliste" ? Peut-être... sauf que c'est JUSTEMENT lorsque le champion de cette "diplomatie gaulliste" concernant l'Afrique, Jacques Foccart, était de retour aux affaires auprès de Chirac (première cohabitation 1986-88) que Sankara a été renversé et assassiné ! 

    Tout cela, on le voit bien, n'a absolument aucun sens et n'est que sinistre mascarade et escroquerie intellectuelle. Mais qui sait, peut-être que dans le "nouveau Burkina sans Compaoré", Kémi Séba pourra monter un nouvel hôtel de passe qui marchera mieux que le précédent ! [En tout cas la "transition" est d'ores et déjà saluée sur le site d'E&R...]

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    Intéressant aussi, la prise de position de la veuve de Thomas Sankara :

    Mariam, veuve de Thomas Sankara : Blaise Compaoré «doit répondre de ses crimes»

    Mariam Sankara, la veuve de Sankara relance le débat sur la mort de son mari

              Sankarathomas Sankara
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  • Avec tambours et trompettes, comme d'habitude et 11 mois à peine après l'opération Serval au Mali, l'impérialisme "hollandais" BBR lançait en décembre dernier l'opération Sangaris dans cette ex- et néo-colonie (ancien "Oubangui-Chari") d'Afrique centrale (comme son nom l'indique).

    Officiellement pour "mettre fin aux massacres", ces violences perpétrées par la coalition rebelle Séléka qui a renversé, voici bientôt un an, le président Bozizé, satrape arrivé au pouvoir 10 ans plus tôt avec le "feu vert" de l'impérialisme francouille, et déjà sauvé par celui-ci à plusieurs reprises en 2006 et 2007. Une Séléka que les médias dominants, bien sûr, ne manquent pas une occasion de nous présenter comme "musulmane" dans un pays "à 80% chrétien", sachant pertinemment l'effet mobilisateur d'une telle affirmation sur "l'opinion publique" aliénée (un "petit" pays, en fait plus grand que la "France" mais certes peu peuplé, livré à des "talibans noirs"), et comme auteure d'effroyables massacres alors que, comme dans toute guerre géopolitique africaine, c'est surtout une milice mi-combattants mi-pillards qui "vit sur le pays" en obtenant ce qu'elle veut par l'intimidation.

    En réalité parce que la Séléka (héritière des guérillas anti-Bozizé de 2006-2007, rejointes par de nouveaux transfuges de son propre régime) c'est le Soudan, et le Soudan c'est la Chine, dont il est le premier partenaire et fournisseur de pétrole africain. Le régime tchadien d'Idriss Déby, qui intervient d'ailleurs en appui à Sangaris comme hier à Serval au Mali, avait lui aussi été menacé à la même période 2006-2008 par un rébellion financé par Khartoum, ce qui avait également nécessité une intervention BBR (camouflée sous une opération européenne d'aide aux réfugiés du Darfour). Le triangle Tchad-Centrafrique-Soudan (au Mali, c'est autre chose) est en fait depuis le milieu des années 2000 au cœur d’un grand affrontement géostratégique entre impérialismes français et chinois pour la suprématie sur le continent africain ; et la Séléka au pouvoir cela voulait dire les Chinois à Bangui, situation d'autant plus délicate que le grand voisin, le Congo "démocratique" de Joseph Kabila (avec ses amis angolais), se pose lui aussi (depuis 2006 environ) en grande "porte d'entrée" africaine de Pékin – du coup, l'impérialisme BBR s'est rapproché de l'Ouganda, puis carrément du Rwanda de Kagamé pour entretenir la sécession de fait de la région des Grands Lacs. Pointer la "menace islamiste", cela marche pratiquement à tous les coups, puisque cela amène dans 99,99% des cas à affronter 1°/ soit une expression militarisée du Capital arabe suraccumulé et "rebelle" du Golfe, 2°/ soit, lorsque les forces se rattachent au Soudan ou à l'Iran, des bras armés du nouvel impérialisme chinois (ou du cheval de retour russe) ; autrement dit les deux grandes menaces stratégiques actuelles pour les puissances occidentales [dans certains cas, comme en Syrie, les deux menaces s'affrontent entre elles, la consigne est alors de les laisser s'entre-égorger le plus longtemps possible].

    20 ans après le Rwanda, vers un nouveau GÉNOCIDE FRANÇAIS en Centrafrique ?

    Un scénario qui rappelle terriblement, quelque part, celui du Rwanda il y a 20 ans, lorsque la "racine du mal" pour l'hégémonie BBR en Afrique était l'Ouganda de l'ex-guérillero marxiste (reconverti en chantre du néolibéralisme) Yoweri Museveni ; le "fer de lance" le FPR à direction tutsie "dans un pays à 80% hutu" ; le deus ex machina l'impérialisme US remettant brutalement en cause le quasi-monopole tricolore sur le continent accordé pendant la Guerre froide ; et le discours médiatique – déjà – était si confus que nos jeunes cerveaux pré-adolescents avaient compris, pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois, que c'était le FPR qui perpétrait les massacres. Un scénario si semblable... et aux mêmes conséquences ? Toute conscience progressiste ne peut qu'espérer (ou prier, pour les croyant-e-s) le contraire. Mais c'est malheureusement ce qui semble être en train de se dessiner ; où l'on voit ressurgir dans les mains des antibalakas (ces milices "d'autodéfense" pro-Bozizé formées à partir de 2009, rejointes depuis par des militaires et autres séides de l'ancien régime) les sinistres machettes qui au Rwanda fauchèrent atrocement, pendant trois mois terribles de 1994, près de 10.000 vies par jour :


    La Centrafrique à l'heure de l'épuration ethnique

    Le Monde

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    Ils fuient sans se retourner. Ils entassent ce qu'ils peuvent sauver dans leur voiture et des camions, et partent vers ces pays qu'ils ne connaissent pas, le Tchad et le Cameroun. Ils fuient la haine et les machettes.

    La Centrafrique est en train de vivre la pire « purification ethnique » de son histoire. Le pays, secoué depuis l'indépendance (1960) par une multitude de rébellions et de coups d'Etat, n'avait encore jamais connu une telle hémorragie de sa population, et encore moins sur une base communautaire ou religieuse.

    Ils fuient, les musulmans. Le dernier ghetto musulman de Bangui, le quartier de PK5, se vide. Poumon du commerce traditionnel de la ville, PK5 accueille aussi les réfugiés des autres quartiers qui, tel Miskine récemment, ont été attaqués par des hordes de combattants chrétiens anti-balaka et de pillards.

    Au fur et à mesure que l'étau se resserre, des convois d'évacuation sont organisés, protégés par des hommes en civil de l'ex-Séléka et par des soldats tchadiens de la force africaine, la Misca. Cela dure depuis des semaines.

    Lire : Centrafrique : l'opération « Sangaris » entre dans sa 2e phase

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    LA CURÉE 

    Une gigantesque colonne d'au moins deux cents véhicules a de nouveau quitté Bangui le 7 février, meubles et sacs entassés sur des camions. Sur les bords de la route, les gens crient leur joie de voir les musulmans partir. Certains les insultent pour leur collaboration, réelle ou supposée, avec la Séléka durant son année au pouvoir.

    Juché très haut sur un camion, un jeune homme est renversé sur la route, fauché par un câble électrique. Aussitôt les machettes apparaissent. C'est la curée. Mains, pieds et pénis coupés. D'autres, le même jour, subissent le même sort, au camp de réfugiés musulmans de l'aéroport et en bordure de PK5.

    Lire notre reportage (édition abonnés) : Mémoire pillée en Centrafrique

    Ce sentiment d'une impossibilité de vivre ensemble a gagné tout le pays. A Kaga-Bandoro, il est minuit moins cinq avant l'orage. Cette ville de la province de Nana Gribizi, dans le Nord, où chrétiens et musulmans cohabitaient fort bien jusqu'à il y a un an, est au bord du précipice.

    La Séléka, qui se replie peu à peu de Centrafrique, tient encore la ville. Les milices anti-balaka ont mené une première attaque le 5 février et sont en embuscade dans la brousse. Les civils de chaque communauté sont piégés : les musulmans vivent dans le centre-ville commerçant et fuient chaque jour vers le Tchad, et les chrétiens dorment éparpillés dans la brousse, de crainte que la Séléka ne commette d'ultimes exactions avant de partir.

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    « LES MUSULMANS NOUS EMMERDENT »

    Après la première attaque des anti-balaka, qui se sont installés dans les villages de la commune de Botto, à cinq kilomètres de Kaga-Bandoro, les séléka ont mené un raid, tuant une femme et brûlant une cinquantaine de maisons. Les chrétiens de ces villages se sont réfugiés dans le quartier de Baiko, à la lisière de la ville, autour de l'église de la Nativité-du-Seigneur.

    « Les gens de Botto viennent ici, nous les accueillons, et la nuit, nous dormons tous en brousse,raconte Richard Baganga, un vieux de Baiko. Les anti-balaka sont apparus il y a trois semaines, pour nous défendre. On leur a demandé de rester sur la réserve car s'ils attaquent, c'est nous qui sommes ensuite exposés. Les séléka ont promis de tous nous tuer et de tout détruire avant de partir. Nous sommes certains qu'ils viendront. Même les enfants savent que les séléka vont venir nous tuer… »

    Richard raconte qu'après des décennies de coexistence, depuis 2013, « les musulmans se sont détournés de nous, se sont accolés avec la Séléka, et ils nous emmerdent. Alors oui, même s'ils étaient comme des parents, ils peuvent partir. Peut-être pourront-ils revenir un jour, s'ils changent de comportement, et à moins que toutes leurs maisons soient brûlées… »

    Les chrétiens en veulent à la Séléka d'avoir non seulement commis des crimes et perturbé les relations avec la communauté musulmane locale, mais aussi d'être venue avec des mercenaires tchadiens et soudanais, et des éleveurs peuls. « Les Peuls tchadiens font paître leurs troupeaux dans la région, ils sont armés de kalachnikov et très dangereux », témoigne l'Abbé Martial Agoua, de l'église de Baiko. « S'ils voient l'un d'entre nous aller au champ avec sa machette, ils l'accusent d'être un anti-balaka et lui tirent dessus, raconte Richard. Nous ne pouvons plus cultiver nos champs, ni chasser en brousse, ni aller chercher le miel. Il est donc normal que nous commencions notre petite guerre, nous aussi, pour tuer les séléka et chasser les Peuls. »

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    « C'EST DE LA PURIFICATION ETHNIQUE »

    Au marché de Kaga-Bandoro, où transitent, ce 8 février, des camions partis de Bangui la veille, les musulmans de la ville entassent leurs biens dans les véhicules. « Nous ne savons pas ce que nous allons devenir, se lamentent Hassan et Moussa. Nous ne connaissons pas le Tchad. Et ici, en Centrafrique, c'est fini pour nous. Nos maisons et nos commerces sont systématiquement détruits. »

    « C'est de la purification ethnique, même si personne de la communauté internationale n'a le courage de le dire », s'indigne un responsable de l'ONU à Bangui. Abdou Dieng, le coordinateur humanitaire des Nations unies, prudent, estime qu'« on ne peut pas dire que ce n'est pas du nettoyage ethnique et religieux ». En visite à Kaga-Bandoro, il sait, comme tout le monde, qu'« ici même, ça va basculer, et personne ne réagit ». « Il faudrait une grande réconciliation, mais l'urgence serait d'avoir davantage de troupes étrangères pour stopper cette hémorragie. »

    Partout dans le pays, les anti-balaka, les pillards, les combattants de la dernière heure, et parfois simplement les gosses des voisins effacent les traces de décennies de coexistence, rasant les commerces, les mosquées et les habitations des musulmans. Le règne, bref et sanglant, de la Séléka s'achève en cauchemar pour la communauté qu'elle affirmait vouloir défendre.

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    Lire notre entretien (édition abonnés) : En Centrafrique, « la situation s’aggrave à l’intérieur du pays »

    Rémy Ourdan (Bangui, Kaga-Bandoro, Centrafrique, envoyé spécial )
    Le Monde


    Intéressant aussi à ce sujet, un article du collectif Quartiers Libres qui pointe la manière dont ces grands affrontements géopolitiques, en Afrique, sont dissimulés sous une mythique "sauvagerie tribale" ; cette image hégémonique de l'Africain "bébête", généralement placide ("un rien les amuse, ils sont toujours à rire, ce sont de vrais gamins") mais capable, d'un coup d'un seul et sans raison rationnelle, un peu comme ces chimpanzés auxquels l'assimile l'idéologie raciste blanche, des pires accès de violence (ou des pires pulsions lubriques) :


    Tribus gauloises et continent Africain 


    La course aux matières premières fait rage. Elle dévore le continent africain. Aux millions de morts du Kivu, se rajoutent aujourd’hui ceux de Centrafrique.

    Afin d’expliquer ces lointains massacres, on nous présente dans les médias d’inévitables guerres tribales. Explication confortable pour justifier l’intervention militaire française comme un geste humanitaire, le prélèvement de matières premières n’étant qu’un pourboire pour le gentil pacificateur.

    20 ans après le Rwanda, vers un nouveau GÉNOCIDE FRANÇAIS en Centrafrique ?

    Cette manière de décrire les tensions économiques et sociales qui secouent le continent africain ne font que révéler la manière dont il est perçu depuis la France. C’est une terre de conquête, d’opportunités économiques, et cela parce qu’elle est peuplée de gens dont les dominants français pensent qu’ils sont Lire la suite 


    Plus d'infos (mise à jour 15/02) :

    Le génocide s'intensifie

    Centrafrique : alerte au génocide !

    Un génocide sur le compte de l'intervention militaire française

    Le Nouvel Observateur : CENTRAFRIQUE. Amnesty international dénonce un "nettoyage ethnique"


    Quoi qu'il en soit, génocide ou pas (et nul ne le souhaite bien entendu !) et que les victimes soient principalement chrétiennes ou musulmanes ou quoi que ce soit, en Afrique comme ailleurs, les Peuples sont encore et toujours les sempiternelles victimes de la voracité du Grand Capital.

    Mais LE JOUR APPROCHE où le vent brûlant de la Révolution, de la GUERRE POPULAIRE qui se lève déjà partout de l'Inde à l'Amérique latine, balayera enfin toute cette pourriture et libérera à jamais l'Humanité !

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    « Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d'oppresseurs les récompensent par d'incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d'en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une certaine auréole afin de "consoler" les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l'avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. »   Lénine - L'État et la Révolution 

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    "L'ANC est une organisation terroriste typique, [...] quiconque pense qu'elle va diriger le gouvernement en Afrique du Sud vit au pays des merveilles." - Margaret Thatcher, 1987.

    "Nelson Mandela aurait dû être fusillé." - Teddy Taylor, député conservateur britannique, vers la même époque.

    "Cela ne m'a ni ému ni ravi. J'ai toujours eu une espèce de méfiance envers les terroristes, quel que soit le niveau auquel ils se situent." - Jean-Marie Le Pen, lors de la libération de Mandela en 1990.

    Aux États-Unis, Mandela est resté sur la liste noire du terrorisme jusqu’en… 2008.

    Et aujourd’hui… :

    "Avec la mort de Nelson Mandela, c’est une grande voix de l’Afrique qui s’éteint. Je salue la mémoire de l’homme et de l’ancien président de la République d’Afrique du Sud qui, par patriotisme et par amour de son peuple, avait réussi à sortir son pays de la guerre civile en le préservant des déchirures. Par son autorité, Nelson Mandela a su imposer la paix et la réconciliation : cette victoire sur la division, la haine et la revanche marquera incontestablement l’histoire." - Marine Le Pen, la fille de son père...

    "Nelson Mandela était un homme d'exception qui aura mis toute son intelligence et tout son charisme au service des valeurs les plus nobles : la liberté, l'égalité, la tolérance", une "figure légendaire du XXe siècle" - Jean-François Copé, très thatchérien président de l'UMP.

    En revanche, le Président et le Premier ministre de l’État d’apartheid israélien, Shimon Peres et Benyamin Netanyahu, invoquant des raisons… budgétaires (!!! toute honte bue…), n’iront pas s’incliner sur le cercueil de celui dont le Mossad et le Shin Beth épaulaient les persécuteurs (voir aussi cette photo célèbre), le sinistre régime raciste de Pretoria fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par d'anciens supporters locaux... du Reich nazi. Cohérents avec eux-mêmes, en quelque sorte...

    mandela.jpgAlors certes Mandela n’était pas un marxiste-léniniste, pas même un communiste (bien qu’il y en ait eu dans son entourage, à commencer par Joe Slovo - son n°2 à la tête de la branche armée de l'ANC - ou encore Chris Hani assassiné en 1993 par l'extrême-droite blanche), a fortiori encore moins un maoïste. Il n'a d'ailleurs jamais rien prétendu de tel ; il a mené un combat principalement démocratique, pour l'égalité civile des habitants d'Afrique du Sud quelle que soit leur couleur de peau et sur ce point, grâce à l'ingouvernabilité du pays par le régime permise par la lutte de masse dans les années 1980 (état d'urgence proclamé en 1986) et aux revers militaires subis par celui-ci en Angola, associés à la fin de la Guerre froide supprimant la nécessité pour l'Ouest de tolérer cette "tâche sombre" sur le "Monde libre", il l'a emporté : l'apartheid a été officiellement aboli en 1991 et tous les Sud-Africains sont désormais égaux devant la loi.

    Certes il aura aussi été, avec Yasser Arafat, une figure de ces grandes "réconciliations" des peuples avec leurs bourreaux qui ont marqué la fin de la Guerre froide et la soi-disant "Fin de l’Histoire" ; avant d’assurer 5 ans de présidence fantoche relooké en "Gandhi noir/vieux sage africain" puis 14 ans comme icône "morale" "embaumée vivante" pendant que le capitalisme néocolonial sud-africain se restructurait, s’ouvrant à une mince élite noire (souvent ceux qui étaient déjà des leaders communautaires sous l’apartheid) sous la direction politique de l'ANC et le mythe de la "Nation arc-en-ciel".  

    mandela-et-de-klerk.1263570290C'est sur ce point qu'il a "trahi" : l'exigence de justice sociale que l'alliance avec le Parti communiste (SACP, dont il aurait même été secrètement membre à l'époque de son arrestation) et le COSATU (Congrès des Syndicats) avait imprimée au programme de l'ANC ; et l'exigence de justice tout court contre les assassins et les tortionnaires, pour la plupart toujours en vie et libres comme l'air, d'un régime d'oppression infâme ayant duré plus de 40 ans* (l'un d'entre eux, le nazi Eugène Terre'Blanche, a cependant reçu la Justice du Peuple en 2010).

    Soyons justes : les hommages un peu puants qui lui sont rendus ne viennent pas absolument de nulle part ; sa "canonisation" impérialiste, il ne l'a pas totalement volée... La "Nouvelle Afrique du Sud" qu'il a fondée a certes mené des combats progressistes honorables, comme celui contre les monopoles pharmaceutiques pour la libre production de traitements génériques contre le virus du SIDA (qui ravage le continent) ou pour construire une "Afrique forte" face au "Nord" occidental ("Triade") comme russe ou chinois ; prenant position contre les guerres impérialistes à outrance pour le repartage du monde en crise, contre les crimes (et pour cause !) de l'apartheid sioniste en Palestine etc. etc. Mais la structure sociale demeure celle de ces pays "émergents" comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, avec des inégalités effrayantes nullement réduites voire même creusées en 20 ans, faisant passer en quelques kilomètres d'un centre-ville "européen" au pire "tiers-monde" africain, Hani.pngvivier d'une criminalité mondialement notoire. Le pouvoir économique reste largement aux mains des mêmes familles anglo-saxonnes ou afrikaners que sous l'apartheid, flanquées désormais d'une nouvelle bourgeoisie noire souvent issue... de l'appareil politique même de l'ANC, tandis que dans les campagnes la grande propriété foncière boer engendre son lot de "sans-terres". La révolte du peuple est encore parfois écrasée dans le sang comme à Marikana, ou détournée contre les immigrés des pays voisins comme en 2008 ; quant aux guerres impérialistes en Afrique et ailleurs, le "Pays arc-en-ciel" y a parfois aussi participé, directement ou par ces sociétés de mercenaires qui sont un secteur "phare" de son économie.

    En réalité, dans le rapport de force favorable instauré à la fin des années 1980 par l'Umkhonto et ses alliés namibiens (SWAPO), angolais, mozambicains et (surtout) cubains [l'Afrique australe était, en fait, le seul endroit au monde où le camp "rouge" - rouge bien pâle certes - était militairement gagnant], l'aile modérée (droite) de l'ANC (notamment Thabo Mbeki, futur président de 1999 à 2008 et très lié à la bourgeoisie "libérale" blanche) a tout simplement fait de l'abolition juridique de l'apartheid le prix à payer par l'Ouest pour mettre victorieusement fin à la Guerre froide en Afrique, éliminant ainsi (au passage) un régime exécrable et anachronique qui (avec le Chili de Pinochet) offrait à l'URSS une "dernière carte" de propagande contre l'Ouest malgré la faillite (économique et politique) de son "modèle" capitaliste d’État. Frederik De Klerk joua donc le rôle du Gorbatchev afrikaner et l'archevêque anglican Desmond Tutu celui du Jean-Paul II xhosa... et les "communisteries", les idées de "transformation sociale radicale" du pays furent remisées au rayon souvenirs - l'on peut dire sans crainte que l'assassinat de Chris Hani (1993) et la mort (cancer) de Joe Slovo en 1995 ne furent sans doute pas accueillis sans un "ouf" de soulagement dans certains milieux !   

    Il n’empêche que les mots de Lénine, qui ne faisaient d’ailleurs nullement allusion aux seuls marxistes orthodoxes** (fort peu nombreux dans les livres d’histoire à l’époque), trouvent leur illustration parfaite dans les "hommages" rendus ces derniers jours à l'ancien "plus vieux prisonnier politique du monde" !

    Enfin bon, il en reste quand même pour ne "rien lâcher"

    http://synthesenationale.hautetfort.com/archive/2013/12/06/deces-de-nelson-mandela-terroriste-communiste-anti-blancs-et-5239616.html

    http://medias-presse.info/nelson-mandela-le-communisme-le-racisme-et-le-terrorisme/3457

    ou encore http://www.contre-info.com/mort-du-criminel-mandela-un-terroriste-marxiste-antiblanc ("non, rien de rien, noooon je ne regrette rien" comme chantaient leurs idoles les putschistes d'Alger en 1961).

                               4078502f2c.giffront.jpg

    Nous rappellerons ici haut et fort que la France de Hollande et Sarkozy, qui "salue" l'homme enfermé 27 ans à Robben Island par l'apartheid boer, garde prisonnier depuis bientôt 30 ans GEORGES IBRAHIM ABDALLAH pour sa lutte révolutionnaire héroïque contre l'APARTHEID SIONISTE !

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    * Fondé sur trois siècles de colonialisme et mis en place à partir de 1948 (non sans s'appuyer sur de nombreuses mesures antérieures) par... d'anciens partisans de l'Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale, qui propagandaient voire même sabotaient alors pour le compte du Reich contre l'engagement militaire du dominion aux côtés des Alliés - chose qui ne gênera pourtant nullement (par la suite) leurs amis et soutiens occidentaux et même israéliens... (voir ici un extrait de La Férocité blanche de Rosa Amelia Plumelle-Uribe 1 - 2 - 3).

    ** À cette époque, Lénine ne pouvait en effet parler que de révolutionnaires socialistes n'ayant pas fait de révolution (comme Marx et Engels), ou ayant échoué et été écrasés (les révolutionnaires de 1848, les Communards), ou alors de révolutionnaires démocratiques petits-bourgeois ayant finalement "tout changé pour que rien ne change" (comme Garibaldi, typiquement). Il est évident que ces trois cas de figure pouvaient aisément être "canonisés" après leur mort ; et Nelson Mandela rentre finalement assez bien dans le troisième. Les révolutionnaires qui, en revanche, auront mené pendant des années ou des décennies une véritable tentative de transformation radicale de la société vers le communisme (abolition de toute domination d'une classe sur une autre), non sans erreurs et fautes certes, éventuellement lourdes, car c'est le lot de telles expériences sans précédent dans l'histoire, sont quant à eux bel et bien voués à être couverts de boue par la Réaction pour l'éternité : Lénine ("heureusement" pour lui mort prématurément...), Staline et tous les communistes soviétiques et internationaux de cette époque (sauf ceux "purgés" dans les années 1930 ou 40, soudain parés de toutes les vertus), Mao bien sûr (avec ses "60 millions de victimes") mais aussi Hô Chi Minh ou même Fidel Castro (grand ami de Mandela qui lui réserva sa première visite à l'étranger et soutien décisif de la lutte contre le régime d'apartheid, dont il précipita la chute en l'humiliant militairement à Cuito Cuanavale, mais qui n'aura certainement pas droit au même éloge funèbre...).



     


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  • Voici un article d'un intellectuel démocratique de Guinée-Bissau, Carlos Lopes, publié sur le (bon) site État d'Exception et qui revient de manière très instructive sur la vie et la pensée du grand leader révolutionnaire africain Amilcar Cabral.

    Il y a 40 ans, en novembre 1973, l'Assemblée générale des Nations Unies reconnaissait (fait assez rare) la déclaration unilatérale d'indépendance de la Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert (24 septembre) par le PAIGC de Cabral, qui contrôlait alors les 2/3 de ces territoires après plus de 15 ans de lutte héroïque et acharnée (la métropole portugaise reconnaîtra ces indépendances en 1974 et 1975, après la chute du salazarisme).

    Une victoire que ne verra malheureusement pas Cabral, assassiné en janvier 1973 par des traîtres à la solde des services secrets portugais. Depuis lors, cet assassinat a évidemment porté ses tristes fruits : ni la Guinée ni le Cap-Vert ne retrouvèrent une capacité dirigeante à sa hauteur et petit à petit, jusqu'à la fin des années 1980, les deux pays seront ramenés dans le rang du système impérialiste mondial. Il faut dire que l'élimination de Cabral avait aussi été permise par des complicités africaines : les assassins eux-mêmes, des éléments ‘noiristes’ guinéens de son propre Parti qui n'aimaient pas ce capverdien métis, marxiste et théoricien brillant (ces ‘noiristes’ à la Mobutu dont la sacralisation de l'africanité ‘pure’ n'a d'égale que la prosternation devant l'impérialisme) ; les satrapies françafricaines alentour sans doute ; et peut-être même la Guinée-Conakry du despote pseudo-‘anti-impérialiste’ Sékou Touré, qui se voyait bien vassaliser ce petit voisin.

    Marxiste conséquent, ayant su faire de la science révolutionnaire marxiste une réalité vivante et concrète dans son pays et non une récitation de mantra, Amilcar Cabral fait incontestablement partie de ces dirigeants révolutionnaires comme le Che qui, si les griffes de l’impérialisme ne les avaient pas fauchés trop tôt, auraient pu évoluer vers le maoïsme. Il y a aujourd'hui en Hexagone des très nombreuses personnes colonisées intérieures d'origine capverdienne, et plus largement africaine, qui doivent se réapproprier et s'inspirer de la mémoire de ce grand combattant ; car le traitement colonial intérieur n'est rien d’autre que le reflet, à l'intérieur de l’État impérialiste, du néocolonialisme outre-mer, et les deux libérations sont donc intrinsèquement liées.


    Amilcar Cabral : une source d’inspiration contemporaine

    Amilcar-Cabral-622x413

    L’année 2013 marque le quarantième anniversaire de l’assassinat d’Amilcar Cabral, le révolutionnaire héros de l’émancipation du peuple africain, fondateur et dirigeant du mouvement indépendantiste en Guinée-Bissau et au Cap-Vert. Cabral a été assassiné à Conakry le 20 janvier 1973, trahi par certains de ses propres compagnons agissant pour le compte du régime colonial portugais.

    Les plus de quarante années qui nous séparent de la libération de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert nous aident à comprendre à quel point la contribution de Cabral a été unique, et à quel point sa pensée reste pertinente aujourd’hui. Le monde a considérablement changé, tant sur le plan géopolitique que sur celui de la compréhension historique et sociologique du nationalisme, de l’édification des nations et des valeurs démocratiques. Et pourtant, les principales dimensions auxquelles la mondialisation nous confronte – la réduction des inégalités et de la pauvreté, la viabilité de la planète, les différentiels de pouvoir, les problèmes éthiques et religieux –, si présentes dans le mouvement nationaliste des années 1950 et 60, demeurent familières.

    Cabral a été un point de référence pour beaucoup de gens : depuis les militants passionnés, qui voyaient en lui un modèle pour les chercheurs, aux penseurs et hommes d’État, qui admiraient sa vision et sa capacité à concilier théorie et pratique. Un grand nombre de travaux ont été consacrés à sa mémoire et à sa contribution et aucun n’est superflu. Toutefois, le moment est venu pour un autre type de célébration, qui fasse entrer Cabral dans le cercle de nos préoccupations contemporaines. Vu sa personnalité, Cabral aurait très probablement méprisé toute évocation hagiographique de sa personne et aurait certainement préféré de loin la possibilité de participer à un débat qui confronte les réalités d’aujourd’hui.

    « Réalité » est un mot omniprésent dans le discours pédagogique de Cabral. Une célébration de la contribution de Cabral doit donc s’ancrer dans la réalité. Cabral avait l’habitude de dire qu’il faut se rappeler que les gens ne se battent pas pour des idéaux ou pour ce qui ne les intéresse pas directement. Les gens se battent pour des choses pratiques : pour la paix, pour de meilleures conditions de vie dans la paix et pour l’avenir de leurs enfants. La liberté, la fraternité et l’égalité sont des mots vides de sens s’ils ne signifient pas une véritable amélioration de la vie de ces gens qui se battent. 

    Une vie source d’inspiration

    Amilcar Cabral est né en 1924 à Bafatá, en Guinée-Bissau. Son père, Juvénal Cabral, professeur, et sa mère, Dona Iva Pinhel Evora, petite commerçante indépendante, étaient des Cap-Verdiens ayant émigré vers la Guinée-Bissau à la recherche d’une vie meilleure. Ils avaient laissé derrière eux la sécheresse et le désespoir, mais ils retournèrent finalement sur les îles, donnant à Amilcar une chance de commencer les études qui allaient tant l’enrichir intellectuellement. En 1944, au moment de la Deuxième Guerre mondiale, Amilcar terminait ses études secondaires à S. Vicente et explorait déjà les moyens d’exprimer son amour pour son pays, qu’il clamait dans des poèmes et des interventions culturelles. À l’automne 1945, il obtint, avec beaucoup de difficultés, une bourse pour poursuivre des études universitaires à Lisbonne : Cabral voulait devenir ingénieur agronome. En plus d’être un étudiant brillant, il était extrêmement actif dans le mouvement nationaliste émergent qui militait pour la libération des colonies portugaises. Il devint rapidement une référence pour le petit groupe d’intellectuels africains résidant à Lisbonne, qui mit bientôt en place un centre d’études africaines. 

    Lorsqu’il revint en Guinée-Bissau en 1952, son but dans la vie était clair et son dessein était même connu de la redoutable PIDE (Polícia Internacional e de Defesa do Estado), les services de renseignement et de répression portugais. Cabral fut nommé ingénieur dans la fonction publique à Pessube. Il profita de sa position professionnelle pour entamer des recherches qui lui permirent d’approfondir sa connaissance du pays. Sa participation à un recensement agricole lui aurait donné la chance de se rapprocher du terrain et de se constituer un vaste réseau. Cependant, écoutant des conseils bienveillants, Cabral quitta la Guinée, repartit à Lisbonne et voyagea beaucoup en Angola, où il participa à la fondation du MPLA. En 1956, Cabral fonda le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), événement qui marqua la solidification d’une lutte clandestine ardue et un tournant pour le mouvement nationaliste dans les colonies portugaises. La génération qui a mené la lutte sera plus tard connue comme la « génération Cabral » en reconnaissance de son leadership intellectuel et stratégique et de son investissement personnel dans le rassemblement des mouvements unitaires. 

    En 1960, l’année des « indépendances africaines », Cabral dénonça officiellement le colonialisme portugais et renforça encore la visibilité du mouvement nationaliste pour le monde extérieur. Les événements des années 1960 ont associé le nom de Cabral à ceux de Che Guevara et du général Vo Nguyen Giap, sans oublier Fanon, Nasser, Lumumba et Nkrumah [SLP respecte et admire les trois premiers, et Patrice Lumumba a connu le martyre très et sans doute trop tôt, ouvrant une ère tragique qui se poursuit aujourd'hui pour son Peuple ; mais nous sommes en revanche beaucoup plus réservés sur l'anticommuniste déclaré Nasser, qui a surtout restructuré le capitalisme bureaucratique-compradore égyptien, et le nationaliste bourgeois Nkrumah, qui a toutefois évolué plutôt positivement sur la fin de sa vie].

    Cabral avait compris que les paramètres fondamentaux de la lutte de libération nationale étaient d’ordre politique et qu’il n’y aurait de victoire que si les mouvements de libération pouvaient formuler d’abord des positions politiques, qui justifieraient ensuite l’action militaire [ce que le maoïsme résume par ‘‘la politique commande au fusil’’, ‘‘la politique au poste de commandement’’]. Cabral a développé l’idée selon laquelle la lutte de libération était un acte de culture [conception gramscienne éminemment juste]. Il a propulsé le PAIGC dans une série d’innovations qui ont fait la gloire de sa lutte pour l’indépendance et qui lui ont valu d’être reconnu comme un élément central dans la chute du régime fasciste au Portugal, en avril 1974. Mais Cabral n’était plus en vie à l’indépendance de la Guinée-Bissau, proclamée en septembre 1973, ni lors de la Révolution des œillets, survenue au Portugal un an plus tard, qui ont ouvert la voie à l’indépendance de toutes les colonies portugaises restantes. 

    Dans la nuit tragique du 20 janvier 1973, quelques mois avant que son rêve de proclamer unilatéralement l’indépendance de la Guinée-Bissau ne se réalise, des agents infiltrés de la PIDE ont assassiné Cabral à Conakry. Mais, comme Mario de Andrade l’a dit, l’histoire de la vie d’Amilcar Cabral était déjà entrée dans l’Histoire ! 

    Une contribution théorique source d’inspiration 

    Le nom d’Amilcar Cabral est associé à une lutte de libération victorieuse, une tactique de guérilla innovante, des structures efficaces de gouvernance participative dans les zones libérées, mais aussi à une importante contribution intellectuelle. Cabral n’a jamais opté pour la voie facile. Selon Basil Davidson, il considérait l’émergence de pays indépendants comme une évolution nécessaire dans l’histoire d’une Afrique recouvrant la maîtrise d’elle-même et donc en mesure, le temps et l’effort aidant, d’aller de l’avant pour devenir une véritable société postcoloniale. Il insistait sur le temps et l’effort, étant fermement convaincu qu’une simple continuation de l’héritage colonial, qu’il soit politique, économique ou culturel, serait désastreuse. Selon Cabral, ce n’est que par un processus de longue haleine de révolution sociale et structurelle, capable d’amener des peuples entiers à une participation active, que l’on créerait les conditions nécessaires pour que l’Afrique puisse réaliser son potentiel. 

    D’aucuns soutiendront que la plupart des régions de l’Afrique n’ont pas atteint ces objectifs, un fait qui peut s’expliquer, dans une large mesure, par l’absence d’objectifs et de volonté clairs, la définition que Cabral donne de l’idéologie. Il considérait l’absence d’idéologie comme la caractéristique la plus largement partagée par les élites africaines. Pour contrer cet obstacle, Cabral a beaucoup investi dans l’analyse des différents types de résistance. 

    La résistance est apparue comme le moteur qui pourrait motiver la transformation de l’Afrique. Elle pouvait être politique, économique, sociale ou culturelle. Ainsi, le principal contexte de la résistance pratiquée par le mouvement de libération nationale réside dans l’utilisation des traits positifs de la culture du peuple aux côtés des traits similaires des cultures importées. En offrant une direction, il était possible d’inciter les gens à prendre leur propre destin en main, en faisant de leur résistance culturelle intuitive un facteur de transformation porteur de choix plus larges.

    Les autres contributions importantes de Cabral sur le plan des idées comprennent :

    • la définition des facteurs sous-tendant la domination impérialiste (qui peut prendre l’une des deux formes bien connues : une domination directe, le colonialisme, ou une domination indirecte, le néocolonialisme) ;
    • l’idée de force motivationnelle historique (qui amène Cabral à ébaucher la théorie remettant en question le caractère central de la lutte des classes comme facteur déterminant) [NDLR : c’est ici une caricature petite-bourgeoise de la pensée de Cabral, qui remettait simplement en cause une vision MÉCANISTE de la lutte des classes, analyse rejoignant consciemment ou non celle de Gramsci] ;
    • la discussion sur le « suicide » de la petite bourgeoisie après l’indépendance (qui reconnaît dans la petite bourgeoisie un levier déterminant des sociétés africaines, indispensable à sa transformation) ;
    • et l’idée que la lutte de libération nationale n’est pas seulement un produit de la culture, mais aussi un facteur de la culture. 


    Une orientation pour l’avenir :
    citoyens, citoyenneté et engagement civique

    Par « mondialisation », on entend communément la vague de changements importants qui a transformé le paysage planétaire. Jamais l’humanité n’a été autant en mesure de remédier aux déficiences des modèles traditionnels de croissance et d’accumulation. Nous avons aujourd’hui la capacité de réduire les inégalités, de combattre les grandes maladies transmissibles, de régénérer l’environnement et de créer un avenir meilleur pour tous. Pour y parvenir, nous devons élargir les libertés et les choix de l’individu ; nous devons nous montrer responsables, ensemble, dans la sauvegarde de la planète et la mise en commun des préceptes de vie. Mais, telle n’est pas forcément la manière dont beaucoup perçoivent la mondialisation. Il faut opter pour une mondialisation alternative et inclusive, chose possible à en juger par certaines victoires politiques importantes, dont la plus significative a été la campagne qui a eu raison de l’apartheid [SLP se dissocie évidemment de ces conceptions démocrates-réformistes de l’auteur, qui ne sont pas l’intérêt central du texte] .

    Communication, participation, appropriation et autonomisation sont des concepts qui ont galvanisé certaines des transformations politiques actuelles. Les frontières territoriales se réduisent tandis que de nouvelles frontières s’érigent. Ce qu’il faut, c’est comprendre les principaux facteurs entravant l’expansion des libertés démocratiques. Dans le débat actuel, un ensemble de questions apparaît comme essentiel pour la compréhension des dilemmes et des conflits africains : la définition de la citoyenneté, le rôle des citoyens et la promotion de l’engagement civique. 

    Des chercheurs de renom continuent d’avancer des interprétations historiques importantes sur ces questions. Des pays aussi éloignés les uns des autres que la République démocratique du Congo, le Zimbabwe, la Zambie, le Sénégal, la Sierra Leone, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, l’Érythrée, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Soudan, la Somalie, la Tanzanie, le Tchad, le Maroc, le Sahara occidental, le Mali ou le Niger ont connu ou connaissent des conflits qui ont leur origine dans des interprétations différentes ou dans l’utilisation à des fins politiques de la notion de citoyenneté. Rares sont les pays africains qui peuvent se prévaloir d’un processus constitutionnel inclusif et participatif qui fasse de la citoyenneté un vecteur d’expansion des droits à tous. La lutte mesquine pour le pouvoir, l’ethnicité et les intérêts économiques interviennent souvent pour saper la solidarité, l’engagement civique et le capital social. 

    Au cours des trente dernières années, l’Afrique a vu les mouvements armés sans idéologie (au sens où Cabral l’entend) proliférer, mouvements avides de pouvoir et plus aptes à détruire qu’à construire, capables de commettre certains des pires massacres de l’histoire et capables même d’anéantir totalement les fondements de l’État. La jeunesse africaine grandit, démographiquement et politiquement, souvent sans avoir l’espace nécessaire pour canaliser son énergie dans la bonne direction. Des mouvements sociaux importants ont créé de nouvelles formes de militantisme. 

    Le 20 janvier 1973, il y a précisément quarante ans, Cabral était assassiné devant son épouse par des traitres de son propre mouvement. Il avait détaillé quelques mois avant tous les contours d’un complot visant son élimination physique. Les conspirateurs étaient tous des membres de son mouvement ayant fait objet de sanctions disciplinaires. Et pourtant Cabral avait cruà tort !que la transparence suffirait pour les faire revenir à de meilleures attitudes. Ce choix dans la croyance de la transformation de chaque individu nous a privés de sa présence depuis ; mais il nous a donné une source d’inspiration encore plus forte. 

    Carlos Lopes.

    Carlos Lopes est un chercheur reconnu de la Guinée-Bissau. Il a fait carrière également aux Nations Unies où il est actuellement Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, dont le siège est à Addis Abeba. Il a publié plus d’une vingtaine de livres sur l’Afrique et la thématique du développement.


    Brève notice biographique 

    Amilcar Cabral est né le 12 septembre 1924 à Bafatá, en Guinée alors portugaise.  Fils d’instituteur, il a été l’un des premiers Noirs à avoir accès à une formation universitaire à Lisbonne. Il a fait de brillantes études d’agronomie qui lui ont ouvert des possibilités professionnelles hors du commun dans l’appareil colonial, au Portugal, en Angola et en Guinée portugaise.

    amilcar cabral 0Déjà profondément impliqué dans les mouvements nationalistes, il en a profité pour planter les jalons de plusieurs organisations, dont le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC). Fondé en 1956, ce parti amènera les deux pays à l’indépendance, tout en contribuant significativement à la chute du fascisme au Portugal.

    Amilcar Cabral ne verra pas ces indépendances, atteintes en 1973 et 1974 respectivement, car il a été assassiné juste avant, le 20 janvier 1973 à Conakry. 

    Amilcar Cabral a de facto été le leader de la lutte des peuples des colonies portugaises contre le colonialisme. Sa génération a été désignée par Mário de Andrade, fondateur et premier Président du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), comme la « génération de Cabral », en hommage à son rayonnement intellectuel sur ses compagnons. 

    Les contributions de Cabral ont été fondamentales pour asseoir le concept de panafricanisme.

     

    À lire aussi : Amilcar Cabral et la Révolution panafricaine par Ameth Lo ; ou encore Amilcar Cabral, une lumière éclatante et un guide pour la révolution panafricaine et socialiste par Imani Na Umoja (site Afriques en Lutte).

     

    Des textes d'Amilcar Cabral en anglais sont sur Marxists.org, et quelques uns en français ici :

    Fondements et objectifs de la libération nationale et structure sociale (célébrissime discours à la Tricontinentale de La Havane, janv. 1966)
    Discours à Dar-es-Salaam
    Mettre en pratique les principes du Parti
    Le Portugal est-il impérialiste?

    ainsi que Intervention commune des mouvements de libération des colonies portugaises au festival panafricain d'Alger (1969)

     


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  • jpg Ange Diawara2-300x258Servir le Peuple vous offre aujourd'hui un nouveau document historique, portant sur des faits largement méconnus de cette Françafrique qui, pourrait-on dire en paraphrasant Marx (au sujet de l'Irlande et du prolétariat anglais), est réellement le secret de l'impuissance du prolétariat d'Hexagone métropolitain.

    Il y a 40 ans, en avril 1973, au Congo-Brazzaville, était assassiné dans des conditions particulièrement sordides Ange DIAWARA, héroïque fils du peuple et révolutionnaire marxiste, qui avait pris la tête d'une lutte armée contre le pouvoir en place. Contrairement au cas de Pierre MULELE (lui aussi affreusement assassiné, 5 années plus tôt), au Congo-Kinshasa voisin, ce régime avait la particularité de se vouloir "marxiste", "république populaire", "sur la voie du socialisme", et c'est justement ce qu'il est intéressant d'étudier.

    Retraçons donc rapidement l'histoire de cette néocolonie de l'Empire BBR. Lorsqu'il se voit, en 1960, octroyer sa pseudo 'indépendance' par la métropole impérialiste, le Congo voit placée à sa tête l'une des plus grotesques satrapies néocoloniales de la 'Françafrique' : celle de l'abbé Fulbert YOULOU, anticommuniste rabique, vouant (on ne sait trop pourquoi) une haine toute particulière à la République populaire de Chine ("Le péril qui menace l'Afrique aujourd'hui est teinté du jaune communiste de Pékin (...) C'est la race noire tout entière qui est menacée d'extermination sous l'occupation massive des vagues chinoises"), défenseur de "l'Occident chrétien", ami de Moïse Tschombé au Congo ex-belge voisin, etc. etc. Mais, en août 1963, un soulèvement populaire éclate et en trois jours Youlou est renversé : ce sont les 'Trois Glorieuses', qui donneront leur nom à l'hymne officiel du pays. C'est un enseignant 'de gauche', Alphonse MASSAMBA-DÉBAT, qui assume alors la présidence de l'État congolais. Le régime de Massamba est typiquement le genre de régimes que soutient à cette époque la Chine de Liu Shaoqi : un régime nationaliste bourgeois 'progressiste' et 'non-aligné', refusant aussi bien le néocolonialisme de l'ancienne métropole et des ses alliés occidentaux que l'alignement sur Moscou - pour le coup, les pires cauchemars de l'abbé Youlou semblent se réaliser. Des liens sont également noués avec Cuba : le Che rend visite à Massamba en janvier 1965 et dans la foulée (tandis que lui-même rejoint la Tanzanie puis l'Est du Congo-Léopoldville, futur 'Zaïre'), une brigade internationaliste cubaine baptisée 'Patrice Lumumba' (~ 200 hommes) et commandée par Jorge Risquet vient entraîner et appuyer les forces de Massamba ainsi que les divers mouvements de libération du continent, dont Brazzaville est devenue une 'Mecque' : MPLA angolais, ANC sud-africain et SWAPO namibienne, ZAPU et ZANU du ngouabi.jpgZimbabwe, maquis du Kwilu de Pierre Mulele etc. Mais l'expérience 'progressiste' de Massamba-Débat se révèle instable, traversée par le clivage Nord/Sud du pays (sur lequel nous reviendrons), menacée par la droite youliste (Bernard Kolelas, Pierre Kinganga) et contestée par de jeunes officiers 'marxistes' de l'armée, emmenés par le capitaine Marien NGOUABI. Le pays va vers la guerre civile et, entre août et décembre 1968, Ngouabi démet progressivement Massamba de ses fonctions et prend la direction du pays, à la tête d'un Conseil National de la Révolution. À la toute fin de 1969 celui-ci deviendra le Parti congolais du Travail (PCT), 'parti unique d’avant-garde, d’idéologie marxiste-léniniste', et le Congo sera proclamé 'République populaire'. Alors que les amitiés internationales de Massamba étaient plutôt chinoises et cubaines, le pouvoir de Ngouabi est clairement tourné vers l'URSS et le COMECON (en gardant des liens avec Cuba, qui a entre temps choisi l'orbite soviétique), mais aussi... vers l'ancienne métropole BBR, et notamment son monopole pétrolier ELF Aquitaine qui a ses 'hommes' dans l'aile 'droite' du PCT (Ngouabi lui-même représentant plutôt le 'centre'), en particulier dans la clique autour de Denis SASSOU-NGUESSO. C'est ainsi que, dès octobre 1968, le Congo-Brazzaville ngouabiste livre ignominieusement à son voisin Mobutu le héros révolutionnaire marxiste-léniniste Pierre Mulele, qui est massacré dans des conditions atroces... De fait, Ngouabi restait peut-être dans une certaine mesure un progressiste sincère, mais au fil du temps il se révèle de plus en plus l'otage de la clique Sassou. Quelques années plus tard, en 1977, ce dernier 'bouclera' définitivement la boucle en le faisant assassiner puis en accusant du crime Massamba et ses partisans, qui seront condamnés à mort et exécutés. Il règnera sur le Congo-Brazzaville jusqu'en 1992, puis reprendra le pouvoir en 1997 (son successeur Pascal Lissouba s'étant trop rapproché des Anglo-Saxons) au terme d'une guerre civile qui fera encore des centaines de milliers de victimes (on parle généralement de 400.000...). Il y est toujours. Tout cela au service commandé et au plus grand bénéfice d'ELF Aquitaine devenu TOTAL, ce que résumera parfaitement Albin Denis Sassou NguessoChalandon, PDG de la compagnie entre 1977 et 1983 (avant de devenir ministre RPR de la Justice, puis mentor d'une certaine Rachida Dati...), dans un fameux documentaire : "Il vaut mieux avoir un régime... comment dire... 'communisant', mais stable, que des régimes comme on a eu après... républicains, calqués sur notre République, nos mauvaises méthodes politiques et qui étaient tout le temps renversés. C’est pire que tout pour les industriels...". CQFD. 

    C'est donc dans ce contexte troublé qu'émerge, au début des années 1970, la figure lumineuse d'Ange Diawara. Marxiste conséquent, homme intègre, il dirige sous Massamba la Jeunesse du Mouvement national révolutionnaire (MNR, le Parti dirigeant) ainsi que la Défense civile, milice populaire formant la garde rapprochée du président progressiste. C'est lui qui, finalement, 'tranche' en 1968 le conflit entre Massamba et Ngouabi en faisant pencher la Défense civile en faveur de ce dernier : elle sera alors intégrée dans l'armée, où Diawara reçoit le grade de lieutenant. Il intègre également le PCT, dont il devient rapidement un chef de file de l'aile gauche.

    Il avait aussi, comme Massamba-Débat et ses partisans, la particularité d'être originaire du Sud du pays ('Pool' autour de Brazzaville et région atlantique de Pointe-Noire), alors que Ngouabi, Sassou et leurs 'jeunes officiers progressistes' prosoviétiques étaient plutôt originaires du Nord (région de la 'Cuvette'). C'est là une autre caractéristique absolue du colonialisme et du néocolonialisme en Afrique : l'hinterland arriéré est le siège de la féodalité tribale, qui engendre la bourgeoisie bureaucratique et la caste militaire garde-chiourme de l'impérialisme ; tandis que les régions côtières, aux forces productives plus avancées, sont le siège de la bourgeoisie nationale (entrepreneuriale, commerçante et intellectuelle), de la classe ouvrière et des classes populaires semi-prolétariennes, donc des forces qui vont contester la domination impérialiste. Nous avons pu voir, dans la dernière décennie, exactement le même schéma en Côte d'Ivoire, avec Ouattara l'aristocrate dioula du Nord et ses 'Forces nouvelles' nordistes, formées en fait... des meilleures troupes de l'armée ivoirienne d'avant-guerre civile (l'armée étant souvent le seul 'ascenseur social' des jeunes hommes de ces régions déshéritées), tandis que Gbagbo 'l'indocile' était typiquement le prof de lycée (petit-bourgeois intellectuel) d'Abidjan, originaire de la 'boucle du cacao' bété (Sud-Ouest, terre de prolétariat agricole produisant le cacao, première richesse du pays), le bourgeois national par excellence qui voulait desserrer l'étau françafricain sur son pays en se tournant vers les impérialismes concurrents, d'abord US/Anglo-saxons et Israël puis Russie/ChineFlag_of_the_Congo_Army_-1970-1992-.png/'émergents' (BRICS). Ou encore, de la même manière, l'une des premières mesures révolutionnaires de Thomas Sankara au Burkina a été d'abolir la chefferie coutumière... et l'une des premières de son assassin Compaoré fut de la rétablir.

    Diawara conceptualisera brillamment cela à travers le terme d'OBUMITRI : oligarchie bureaucratique militaro-tribale ; éventuellement (comme dans le cas congolais) 'socialiste' (voire 'marxiste') et 'anti-impérialiste' en parole, mais toujours et systématiquement garde-chiourme des monopoles impérialistes dans les faits (analyse totalement valable, par ailleurs, dans des pays arabes comme la Syrie ou hier la Libye). Il sera d'ailleurs, pour cela, dénoncé non seulement (on s'en serait douté...) comme un 'agent de la CIA', mais aussi comme un homme de la 'revanche du Sud' massambiste contre les populations du Nord ; alors qu'il voulait au contraire en finir avec cette 'ethno-féodalité', cette 'division régionale et tribale des tâches' au service de l'impérialisme, pour forger, sur le découpage colonial dénommé 'Congo', une base rouge de la révolution anti-impérialiste en Afrique...

    À partir de 1971, donc, Ange Diawara, avec l'aile gauche du PCT, va de plus en plus fustiger l'embourgeoisement, la corruption et les tendances au népotisme 'nordiste' du régime de Ngouabi ; ce qui lui vaudra d'être écarté de tout poste à responsabilité à la fin de l'année. Il tente alors un coup de force le 22 février 1972, qui échoue, et suite à celui-ci (sans doute était-ce prévu), il déclenche une guérilla révolutionnaire dans le 'Pool' autour de Brazzaville, à la tête du M22 (Mouvement du 22-Février). Celle-ci se battra vaillamment pendant un peu plus d'un an, mais, en avril 1973, Ange Diawara et 13 de ses camarades seront capturés et abattus ; sous la pression de Sassou-Nguesso, Ngouabi devra se livrer à la sinistre mise en scène de l'exposition publique des corps, affreusement profanés, dans le Stade de la Révolution à Brazzaville (au moins étaient-ils déjà morts, contrairement à Mulele quatre ans et demi plus tôt !). Il semblerait, en réalité, qu'ils aient été arrêtés au 'Zaïre' par les forces de sécurité de Mobutu, alors qu'ils tentaient d'y fuir après leurs revers militaires ; ce qui serait alors un joli 'renvoi d'ascenseur' de la part du sinistre satrape de Kinshasa, après la traîtreuse livraison de Pierre Mulele par Ngouabi en 1968...

    jpg mobutuL'on pourra bien sûr dire, bien que Diawara ait été (d'après tous les témoignages) un marxiste 'solide', que tout cela est fort éloigné des 'canons' du marxisme-léninisme-maoïsme [et comme le signale un commentaire sous l'article, la Chine du 'retour à la normale' post-Révolution culturelle et pétage de plombs de Lin Piao n'apportera aucun soutien à la tentative de Diawara, qualifiée par elle et ses affidés (PCMLF etc.) d''aventurisme', de 'guérillerisme romantique' etc... il faut bien dire que paradoxalement, malgré les premières prémisses tortueuses de la "théorie des trois mondes" (appel aux prochinois hexagonaux à soutenir De Gaulle en 1965 par exemple), la politique internationale chinoise du milieu des années 1960 était beaucoup plus intéressante et positive que celle des années 1970 !]. Mais SLP a, d'une part, toujours eu pour ligne de témoigner le plus grand respect à ceux et celles qui sont tombé-e-s, sacrifiant leur vie avec abnégation, pour la cause de l'émancipation des travailleurs et des peuples contre les oppresseurs et les exploiteurs. Et d'autre part, dans un Congo-Brazza mis en coupe réglée, devenu la véritable propriété privée du monopole BBR TOTAL et de son contremaître Sassou-Nguesso, la figure héroïque d'Ange Diawara revêt une signification toute particulière, celle d'une lueur d'espoir sur un continent dévasté par la Françafrique, que celle-ci soit ouvertement bourgeoise et garde-chiourme ou peinturlurée de 'rouge'.

    C'est donc d'un sincère élan internationaliste que Servir le Peuple, média communiste révolutionnaire marxiste-léniniste-maoïste, rend un vibrant et rouge hommage prolétarien au héros révolutionnaire Ange DIAWARA, combattant et martyr de la Libération africaine !


    En 2009, l'intellectuel progressiste congolais Pierre EBOUNDIT a rendu hommage, dans un livre, à Ange DIAWARA et à la guérilla du M22 - dont il a, de fait, été un soutien "civil" (dans le milieu lycéen) à l'époque ; avant de présider aujourd'hui la Ligue panafricaine UMOJA.

    Voici la présentation de celui-ci :


    Le M22, une expérience au Congo, devoir de mémoire


    L’histoire contemporaine du Congo Brazzaville, dès l’aube des indépendances, est une histoire effervescente. A l’événement politique brutal, explosif, massif qui détruit les complexités sociales et psychologiques, s’ajoute le diptyque terrible suivant : Violence et Exclusion.

    La Violence qui transforme l’événement politique en événement-traumatisme d’une part ; l’Exclusion, produit d’exclusivismes identitaires centrifuges (tribal, ethnique ou régional), menaçant en permanence l’altérité et le vivre-ensemble d’autre part, sont les deux faces de ce diptyque qui impose à la société congolaise, et plus particulièrement à son élite, des silences et des peurs, parfois, coupables. C’est ainsi qu’à la suite des différents épisodes douloureux qui jalonnent l’histoire du Congo Brazzaville, il n’y a presque pas de témoignages directs des protagonistes, pour la plupart encore en vie, laissant volontiers la place aux légendes et autres mystifications.

    Le « M22 » (le mouvement du 22 février 1972), n’échappe pas à la règle. Le mouvement d’Ange Diawara traîne ainsi son lot de légendes, de mythes, de fantasmagories dans l’imaginaire des congolais, mais aussi, de mensonges nourris souvent par le discours officiel. C’est pourquoi le témoignage de Pierre Eboundit, l’un des acteurs du réseau urbain qui faisait jonction avec le maquis de Goma Tsé-tsé, rompt avec les conséquences du diptyque Violence/Exclusion, mais aussi servira d’aiguillon, nous l’espérons en tout cas, tel un pionnier, à d’autres acteurs encore en vie du « M22 » afin que toutes les facettes de cette histoire soient connues, au nom de la vérité historique.

    Les mensonges du pouvoir d’alors

    Groupe d’aventuriers hirsutes, tribalistes assoiffés de pouvoir, agents à la solde de la CIA (Central Intelligence Agency) donc contre la révolution… tels sont les arguments du régime d’alors pour justifier la répression aveugle contre les dirigeants du « M22 ». Evidemment, le résultat est éloquent : car dès l’échec de l’action du 22 février 1972, le pouvoir opère près de 1600 arrestations [1] sur tout le territoire national, trois camarades, compagnons de Ange Diawara, sont arrêtés et froidement assassinés : Prosper Mantoumpa-Mpollo à Pointe-Noire, Elie Théophile Itsouhou et Franklin Boukaka [2] à Brazzaville. Ensuite, un an plus tard après le lancement du « M22 », Ange Diawara et ses compagnons seront assassinés sans procès, respectivement le 16 mars 1973 pour Jean-Pierre Olouka, le 21 avril 1973 pour Ikoko Jean-Baptiste et Jean-Claude Bakékolo, et enfin le 23 avril 1973 pour Ange Diawara, suivie d’une scène macabre puisque son cadavre sera exposé devant le public au Stade de la Révolution, puis sillonnera par la suite dans les rues de la capitale congolaise.

    Ange Diawara {JPEG}

    Or, à la lecture du témoignage de Pierre Eboundit, on apprend que ceux que l’on a présentés comme étant un groupe d’aventuriers hirsutes, dès l’échec de leur action le 22 février 1972, avec les conséquences que l’on sait en termes de répression, sans en être impressionnés, se sont retirés dans la campagne au sud de Brazzaville, principalement à Goma Tsé-tsé. Leur première réaction est de publier une brochure pour expliquer aux populations le sens de leur combat.

    C’est ainsi qu’un document intitulé « L’Autocritique du M22 », va circuler sous le manteau à Brazzaville et à l’intérieur du pays. Les groupes de discussion se forment clandestinement autour de ce document, preuve de sa puissance d’analyse. Si la verve est révolutionnaire, fruit du discours de l’époque, à savoir : « la destruction de l’appareil d’état bourgeois bureaucratique et néocolonial, instrument de domination et d’exploitation des masses populaires, au service de l’impérialisme et des classes dominantes », on y découvre surtout une dénonciation lucide des contraintes de servages économiques et les infirmités culturelles qui pèsent sur nos « pays nains » affectant ainsi son métabolisme de base. Par conséquent, si l’on peut discuter des moyens choisis par les dirigeants du « M22 » pour arriver à leur fin, on ne saurait par contre honnêtement nier la réalité des problèmes posés par ceux-ci.

    L’autre accusation mensongère du pouvoir d’alors est de traiter les dirigeants du « M22 » de tribalistes assoiffés de pouvoir. Evidemment, dans un pays où 13 ans plus tôt, avait éclaté une guerre civile opposant Youlou le sudiste à Opangault le nordiste, événement que d’aucuns ont qualifié de « déterminisme historique », quand on sait que le président de la république d’alors, Marien Ngouabi était du Nord et Ange Diawara, leader du « M22 », originaire du Sud, les esprits simplistes se laissent naturellement abusés par une telle propagande.

    Cependant, on y voyant de très près, on s’aperçoit que le « M22 » fut un mouvement basé réellement sur des idées, dépassant le cadre ethnique car comment expliquer la présence de nombreux compagnons de Ange Diawara tels que Ikoko et Olouka, assassinés comme lui et originaires de la région de la Cuvette, donc de la même région que le Président de la République ? Et plus particulièrement, le cas de Pierre Eboundit, jugé et condamné, qui n’avait que 21 ans et lycéen encore, neveu du Colonel Yhombi Opango, chef d’État Major Général des armées d’alors, et de surcroit cousin du Président de la République, le Commandant Marien Ngouabi ?

    Par ailleurs, cette instrumentalisation du tribalisme par le pouvoir pour cacher les véritables revendications des insurgés était de bonne guerre d’autant que dans la brochure « l’Autocritique du M22 », Diawara et ces compagnons avaient magistralement mis à nu le tribalisme au sommet de l’Etat qui régnait comme dans une organisation scientifique de travail, à travers le slogan : O.BU.MI.TRI. (Oligarchie Bureaucratique Militaire et Tribale).

    Enfin, agents à la solde de la CIA (Central Intelligence Agency) donc contre la révolution est un autre argument développé par les autorités d’alors pour discréditer le « M22 ». Or, dans un texte intitulé "Lettre du Zaïre", [3] et repris par Pierre Eboundit dans ce livre, on peut lire : (…) Diawara et ses amis s’étaient repliés sur le territoire zaïrois où ils disposaient de « complicités », semble-t-il pour des questions de ravitaillement (les contacts Brazzavillois étaient « grillés »). Ils sont tombés dans un piège sans aucune possibilité de retraite. Pour Mobutu et Ngouabi il ne restait qu’à négocier la livraison du groupe Diawara contre celle du groupe des douze militaires (dont deux généraux et un colonel) qui avaient tenté de renverser Mobutu pendant son voyage en Chine et s’étaient enfuis à Brazzaville à la suite de l’échec de leur tentative.

    Comment alors traiter les dirigeants du « M22 » d’agents à la solde de la CIA, quand on sait qu’ils ont été livrés par Mobutu, élément notoirement reconnu comme étant l’allié des Américains en Afrique centrale, à un pouvoir se réclamant lui-même anti-impérialiste ? La ficelle, n’est-elle pas trop grosse ?

    Le « M22 », vue de l’intérieur et le procès

    A travers le témoignage de Pierre Eboundit, on découvre pour la première fois, l’organisation interne du « M22 », du maquis de Goma Tsé-tsé au réseau urbain avec différents tentacules dans toutes les couches sociales.

    Autant, on est pris d’admiration devant le dévouement et la foi dans l’idéal qui anime les fugitifs dans le dénuement total, ce qui humanise ce combat ; autant, on y découvre aussi des amateurismes criards dus à l’inexpérience des dirigeants du « M22 ». Or, l’existence du maquis dépendant de la capacité du mouvement à trouver un fonctionnement quasiment clandestin, si les héroïsmes et la fidélité des compagnons ne manquent pas, comme le REMO (Réseau Moundélé, essentiellement constitué de ressortissants étrangers, blancs pour la plupart, dont Paule Fioux, Paule Deville, Kempf ou Mathis, Arthur ou Elico, Bernard Boissay ...), on relève aussi malheureusement l’existence de la traitrise, de la lâcheté, des agents doubles…

    Enfin, arrive le procès. L’avant procès est caractérisé par les tortures d’une cruauté inimaginable sur les cadres du réseau urbain décapité. Ce qui donnera lieu, pour certains d’entre eux, aux aveux ; et pour d’autres, au reniement de leur appartenance au « M22 » ou d’une quelconque relation avec Ange Diawara.

    Nous découvrons aussi les tractations entre le président de la Cour, Henri Lopès, représentant d’un pouvoir prétendument progressiste et anti-impérialiste, et l’avocate Gisèle Halimi, chargée de la défense des expatriés, associés au « M22 ». C’est ainsi qu’il y avait une différence dans le traitement des détenus. Les uns "épargnés" parce que ressortissants de la puissance coloniale, les autres (congolais) abandonnés à la merci des agents de la répression locale.

    Hommage internationaliste à Ange DIAWARA, héros révolutionnaire africain méconnu

    Pierre Eboundit, pionnier à contre courant

    Les guerres civiles à répétition subies par les congolais ces dernières décennies ont, non seulement rendu vermoulue une conscience nationale, déjà bien tenue, en la minant avec les larves d’insectes, de plus, elles ont développé une espèce de mentalité conditionnée ethniquement où les faits socio-politiques du passé comme ceux du présent, avec leur lot de déformation, viennent valider. C’est pourquoi, il faut un sacré courage aujourd’hui pour ramer à contre courant tel un pionnier.

    Lucien Febvre, grand historien français, disait, je cite : Le sort du pionnier est décevant : ou bien sa génération lui donne presque aussitôt raison et absorbe dans un grand effort collectif son effort isolé (…) ; ou bien elle résiste et laisse à la génération d’après le soin de faire germer la semence prématurément lancée sur les sillons. (…).

    Dans ce rôle du pionnier contre les conséquences du diptyque Violence/Exclusion, l’hostilité à cette initiative de Pierre Eboundit pourrait d’ailleurs venir des siens propres. Car l’affaire « M22 », à l’instar des autres épisodes douloureux du Congo Brazzaville, a été conscientisée comme une validation d’une mentalité collective conditionnée ethniquement.

    Mais « pionnier hérétique » déjà hier sous la « révolution » en rejoignant le « M22 », pionnier encore aujourd’hui en allant à contre courant d’une société dont la conscience nationale est en lambeau, c’est un nouveau défi à relever pour Pierre Eboundit.

    Car l’Histoire vraie, assumée, peut servir de ciment social en faisant d’une population un Peuple, Uni et Solidaire dans la construction du présent et de l’avenir.

    Panafricainement !

    [1] Gisèle Halimi, “Avocate irrespectueuse”, éd. Plon, février 2002, p.164

    [2] Prosper Mantoumpa-Mpollo est Lieutenant de l’armée - Elie Théophile Itsouhou est membre du Comité Central, ancien Ministre - Franklin Boukaka, Chanteur très populaire dans son pays et à travers l’Afrique pour ses chansons engagées.

    [3] Publié dans l’ouvrage de Woungly-Massaga, « La Révolution au Congo », p.155 - p.157, Ed. François Maspero - Janvier 1974

     

    Autres liens sur le thème :

    http://www.mampouya.com/article-le-m-22-l-assassinat-de-ange-diawara-53368945.html

    http://pierreboundit.unblog.fr/tag/ange-diawara/

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Ange_Diawara

    22 février 1972 – 22 février 2012 : Il y a 40 ans éclata la rupture au sein du P.C.T : récit de l’événement

    22 février 1972, le M22 a 40 ans!

     

    "La question de l'appareil d'État compte incontestablement parmi celles qui se posent communément à tous les pays désireux de lutter contre l'impérialisme. Lorsque nous analysons l’échec de N'Krumah au Ghana, nous constatons que l'erreur la plus importante que commit ce grand militant africain fut de ne pas s'être attaqué radicalement à l'appareil d'État." (Extrait de l'Autocritique du M22, L'Harmattan, p.60)

    AfricaFistZm


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  • INTER-201242-Mali-intervention-vignette.jpgC'en est donc fait. Après des mois à jurer ses 'grands dieux' qu'il n'en ferait rien sans les 'partenaires africains', et moins de deux ans après la sanglante expédition néocoloniale en Côte d'Ivoire (plus de 2.000 mort-e-s rien qu'à Abidjan, massacres innombrables par les tirailleurs 'forces nouvelles' dans l'Ouest du pays, etc.), pour porter au pouvoir le FMIste Ouattara, et le début du 'licenciement musclé' de l'ex-laquais Kadhafi, l'impérialisme BBR est passé à l'offensive directe dans sa néocolonie malienne. Il faut dire que le déclenchement 'surprise', par les forces djihadistes du Nord, d'une attaque massive sur le 'goulet' qui sépare les ailes Nord et Sud du 'papillon' malien, menaçant le Mali 'utile' méridional (dans leur conception mystique du djihad, les islamistes recherchaient sans doute ainsi cet affrontement direct avec les 'Croisés'), a quelque peu bousculé l'agenda politico-militaire. Des frappes aériennes ont donc stoppé cette poussée vers le Sud, avec également des moyens d'intervention plus 'rapprochés' (hélicoptères, un pilote aurait déjà été tué par une riposte à l'arme automatique) et très certainement des troupes terrestres 'd'élite'.

    lepen_desir_cope.jpgPar la voix de politiciens d'extrême-droite ou à la 'gauche de la gauche', Kadhafi ou Laurent Gbagbo bénéficiaient d'un certain nombre de soutiens dans la mouvance des monopoles BBR : 'risque d'instabilité régionale', de 'mettre les islamistes au pouvoir', de 'se battre encore une fois pour Washington et le Nouvel Ordre Mondial' etc. etc. Cette fois-ci, le soutien à l'intervention est assez unanime dans la 'classe' politique, hormis quelques réserves d'ordre formel, du côté de Mélenchon ou de Noël Mamère, sur la nécessité de 'consulter le Parlement' ou 'd'associer les pays africains' (histoire que cela ne fasse pas trop néocolonial...) [depuis s'y sont ajoutés Villepin, qui tente certainement ainsi - encore une piètre fois - d'exister politiquement, ou encore... Giscard d'Estaing, qui met en garde contre une... "dérive néocolonialiste" (!), ce qui ne manque pas de sel pour l'homme de Kolwezi et des diamants de Bokassa...]. Même le Front national soutient à 100%, déplorant simplement que la situation au Mali soit le 'fruit' de la liquidation de Kadhafi (qu'il soutenait) et de la déstabilisation qu'elle a provoqué.

    mali-ansar-dine-combattants-reuters-930620-02.07.12 scalewiIl faut bien souligner ici quelle est la nature de cette guerre contre la 'menace djihadiste'. Cela est important, pour bien tordre le cou, par exemple, à certaines analyses tendant vers le complotisme : les 'islamistes' seraient des 'agents' de l'impérialisme, financés par les pétrodollars du Golfe, servant à 'donner un prétexte' à des expéditions impérialistes pour le contrôle des ressources naturelles (de quel 'prétexte' peut-il y avoir besoin dans un pays aussi néo-colonisé que le Mali ??) ; de même qu'il faut tordre le cou à certaines analyses minoritaires voyant dans les djihadistes des forces 'révolutionnaires' et 'anti-impérialistes'. Comme l'a déjà - et justement - analysé Servir le Peuple, les forces 'djihadistes' à travers le monde sont bel et bien l'expression militaire des grandes oligarchies capitalistes multi-milliardaires basées dans le Golfe arabo-persique et la Péninsule arabique. Ces forces capitalistiques, depuis près d'un quart de siècle, sont avec les grandes puissances impérialistes (occidentales ou "orientales" - Russie, Chine, Japon etc.) dans un rapport d'unité et lutte. Unité car leur base d'accumulation repose entièrement sur leurs ressources hydrocarbures, et donc sur les pays industrialisés qui les leurs achètent (et qui eux-mêmes en dépendent, de manière vitale, pour leur vie productive et sociale en général) : pour cela, l'affrontement direct est impossible et, du côté sud du Golfe, ces pays font figure d'alliés indéfectibles de la 'Triade' Amérique du Nord – Europe occidentale – Asie-Pacifique (sauf Chine) ; l'Iran, lui, penchant plutôt vers l'axe russo-Soldats-intervention-Mali-armee-francaise_pics_390.jpgchinois 'de Shanghai'. Unité... mais LUTTE, car ces États réactionnaires producteurs d'énergies fossiles, 'inféodés' à l'impérialisme occidental, ont aussi leurs propres ambitions, leur propre agenda. La vente de ces gigantesques ressources hydrocarbures génère en effet des milliards et des milliards de pétro-dollars, dont le millième suffit largement à assurer aux pétro-oligarques, ainsi qu'à leurs héritiers pour deux ou trois générations, toute une vie de jet set sans jamais fournir le moindre travail. Et le reste... qu'en faire ? Car, dans le système capitaliste qui domine notre monde, un dollar n'est réellement un dollar que s'il 'vit', s'il fructifie, s'il est investi. Après ce que l'on peut qualifier d''accumulation primitive' de pétro-dollars (globalement, des années 1930 aux années 1970-80), les oligarchies des pays producteurs sont donc en quête de terrains d'investissement, que ce soit à travers leurs 'fonds souverains' ou des initiatives privées. C'est le sens des très nombreux investissements jusqu'au cœur même des métropoles impérialistes, comme les investissements qataris en Hexagone, dans les quartiers populaires (suscitant "l'inquiétude de la droite") ou dans le secteur sportif avec le rachat du PSG, suscitant la colère des identitaires parisiens...

    C'est le sens du soutien aux forces politiques 'islamistes' (Frères musulmans, salafistes etc.) dans le contexte des mouvements populaires arabes qui déstabilisent voire mettent à bas des régimes à la botte aussi bien des Occidentaux (Tunisie, Égypte) que des Russes et des Chinois (Libye, Syrie) - dans ces derniers cas, les agendas 'golfiens' et occidentaux coïncident (et c'est là la grande incompréhension de la grande majorité des forces progressistes et marxistes anti-impérialistes : comment se fait-il donc que 'nous' - notre impérialisme BBR - allions combattre au Mali des 'islamistes' que 'nous' soutenons en Libye et en Syrie ???). Et lorsque 'ça coince', lorsque la contradiction atteint un certain degré d'antagonisme, l'affrontement direct restant impossible, surgit 1815474 5 1769 le-conseil-de-securite-a-demande-un 9c91539balors une force militaire 'par procuration' : les 'djihadistes', animés par la même idéologie wahhabite  que celle des États de la péninsule arabique, une idéologie dont le puritanisme religieux et le messianisme évoquent d'ailleurs – non par hasard, le hasard n'existant pas pour les matérialistes – les temps de l'accumulation primitive capitaliste en Europe (avec le calvinisme, le jansénisme etc.). De même et de plus, dans le panier de crabes que constitue le 'concert' des États fantoches néocoloniaux africains, il est fréquent que les groupes armés soient utilisés par tel ou tel pour déstabiliser ses voisins : il est ainsi de notoriété publique que les 'islamistes' somaliens sont appuyés par l'Érythrée (État à 50% musulman, 50% chrétien et... 100% laïc) pour emmerder son grand rival éthiopien, qui appuie quant à lui le gouvernement 'internationalement reconnu' ; que le Soudan 'islamiste' appuyait les rébellions armées au Tchad et réciproquement ainsi que 'l'Armée de Résistance du Seigneur' (fondamentaliste... chrétienne !) en Ouganda ; que l'Algérie à longtemps appuyé le Front Polisario (Sahara occidental) dans sa rivalité régionale avec le Maroc etc. etc. Au Mali le premier mouvement à être passé à l'action, le MNLA (nationaliste touareg laïc), était à l'origine une 'légion' touarègue de Kadhafi pour 'faire pression' sur ses voisins du Sud, et qui s'est retrouvée 'sans maître' après la chute de celui-ci. L'Algérie soutient certains groupes islamistes et a été l'un des plus farouches opposants à une intervention militaire BBR et/ou CEDEAO...

    Intervention-au-Mali article mainFinalement, après avoir été pendant quatre décennies le 'gendarme' du continent africain face à la 'menace communiste', puis avoir été contesté dans ce 'pré carré' par la superpuissance US (une fois ce rôle devenu obsolète), l'impérialisme BBR se retrouve à nouveau propulsé 'gendarme de l'Afrique' face à la 'menace islamiste' – d'ailleurs, concomitamment à l'intervention au Mali, se déroulait une autre opération plus limitée en Somalie, visant à libérer un otage tricolore, 'détaché' de la DGSE pour former les forces de sécurité de l'État fantoche et enlevé par les 'islamistes' locaux. Une 'menace' qui n'a pas, loin de là, les aspects progressistes de la précédente – et c'est bien tout le dilemme des internationalistes. Il n'y a pas d''islam révolutionnaire', les forces djihadistes sont des forces nationalistes réactionnaires (elles sont généralement d'ancrage national, même s'il y a des 'volontaires' étrangers), leur idéologie wahhabite est celle de leurs maîtres 'golfiens' : amputation des voleurs, lapidation des femmes adultères etc. Ces limites idéologiques, déjà soulignées par un article du (n)PCI, les empêchent de gagner la sympathie des larges masses : au Mali, il est clair que les masses du Sud (80% de la population), musulmanes mais pratiquant un islam maraboutique et 'souple', n'ont aucune sympathie pour les djihadistes du Nord et soutiennent, dans l'ensemble, leur gouvernement et l'intervention BBR. Mais une ‘menace’, néanmoins, - presque - toute aussi STRATÉGIQUE... Car pouvoir investir, valoriser leur masse de pétro-dollars, cela veut dire, pour les pays producteurs, s’émanciper, être en mesure de ‘poser leurs conditions’ dans l’arène impérialiste internationale - or, on l’a dit, les ressources de ces pays sont VITALES pour le système impérialiste mondial.

    D'une manière générale, ce capitalisme "d'en bas" (jailli "spontanément" des "entrailles" de la société où les gens produisent et vendent, bref font du bizness, et certains deviennent riches et d'autres pas...) que représentent les "islamistes" par opposition au capitalisme "d'en haut" bureaucratique-compradore (impulsé par et au service de l'impérialisme - les régimes de tous ces pays) ne va pas permettre au surproduit (plus-value "sur-accaparée") de "remonter" correctement jusqu'aux monopoles impérialistes - qui vont donc le combattre en conséquence, dans leur perspective de domination totale des économies du "Sud". De même que, lors de la première vague de la révolution prolétarienne (1918-années 1980), la ‘menace rouge’, outre son antagonisme avec le système capitaliste en tant que tel, avait aussi le ‘malheur’ d’affecter principalement la ‘Région intermédiaire’ mondiale, région stratégique pour les ressources naturelles de toute sorte, de l’Afrique jusqu’à la Sibérie... Ces considérations entraient nécessairement en ligne de compte, aux côtés de la lutte de classe contre-révolutionnaire de la bourgeoisie monopoliste mondiale. Les champs pétroliers de Bakou étaient un objectif militaire d'Hitler, au même titre que l’anéantissement du Komintern...

    hollande.jpgLe rôle de ‘gendarme’ d’un continent, comme celui de l’impérialisme BBR en Afrique, n’est jamais gratuit : il permet également de faire main basse sur toutes les forces productives (matières premières, ressources énergétiques, force de travail) du continent en question, pour engraisser les caisses des monopoles. En ce qui concerne le Mali, celui-ci est, après l’Afrique du Sud (Azanie) et le Ghana, le troisième producteur africain d’or, métal qui n’a pas de véritable valeur productive en lui-même, mais sert, comme chacun le sait, de ‘mesure’ internationale de la valeur - un instrument sur lequel les impérialistes peuvent s’appuyer dans leurs rivalités. Son sous-sol recèle, en outre, de l’uranium dont on connaît le caractère essentiel pour l’impérialisme BBR (75% de sa consommation énergétique est nucléaire), et des hydrocarbures (pétrole et gaz) qui intéressent évidemment le monopole hexagonal Total... tout comme ses concurrents anglo-saxons, chinois, russes ou encore la compagnie nationale algérienne.

    int-36247Pour tout cela, comme hier en Côte d’Ivoire et en Libye (dans ce dernier cas, il fallait toutefois combattre sur le plan idéologique la ‘kadhafomania’ de certains révisionnistes, le social-libéral Gbagbo n’ayant quant à lui pas la ’chance’ d'un tel engoument), quelle que soit la nature de ‘ceux d’en face’, la position de tous les révolutionnaires et de tous les internationalistes doit être celle d’une OPPOSITION FERME et TOTALE, par tous les moyens, à la ‘politique de la canonnière’ de l’impérialisme, SURTOUT lorsque c’est le nôtre, l’impérialisme BBR, opérant dans son ‘pré carré’ françafricain ! Comme le disait déjà Lénine en 1919 ou 1920 (cité par Staline dans les Principes du léninisme, 1924), « La lutte de l’émir d’Afghanistan pour l’indépendance de son pays est objectivement une lutte révolutionnaire, malgré les conceptions monarchistes de l’émir et de ses lieutenants, car elle affaiblit, désagrège, sape l’impérialisme ; alors que la lutte de démocrates, de « socialistes », de « révolutionnaires » et de républicains comme [toute une ribambelle de Hollande-Ayrault-Le Drian de l’époque], pendant la guerre impérialiste, était une lutte réactionnaire, car elle avait pour résultat de maquiller, de consolider, de faire triompher l’impérialisme ».

    7756804123_des-soldats-francais-ont-ils-ete-deployes-au-sol.jpg

    À BAS L’INTERVENTION IMPÉRIALISTE BBR AU MALI !

    ‘FRANCE’ HORS D’AFRIQUE !

    VICTOIRE AUX PEUPLES OPPRIMÉS D’AFRIQUE ET DU MONDE DANS LEUR LUTTE POUR LA LIBÉRATION !!!

     


    Lire aussi (analyse très proche de la nôtre, par Mohamed Tahar Bensaada de l'Institut Frantz Fanon) :

    https://www.investigaction.net/fr/Les-mensonges-de-la-propagande-de/

    Les premières réactions africaines et internationalistes à l’intervention (attention, SLP n'a pas forcément d'affinité idéologique avec les auteurs de celles-ci ; ces prises de position sont là à titre informatif) : 

    Guerre au Mali : Les dessous d’une "intervention contre le terrorisme"

    Comment se fait-il que lorsque des criminels coupent, au nom d’un certain islam, des mains et des pieds aux gens au Mali, les intérêts de l’Europe seraient en jeu ?.... Pourquoi des mausolées détruits et des coups de fouet administrés aux Nègres qui ne sont "pas assez entrés dans l’histoire" au Mali constituent-ils une menace pour la sécurité de l’Europe ? Eh bien vous allez comprendre ce qui se joue au Mali, territoire où les États-Unis d’Amérique travaillent sur l’ouverture d’une base de lancement de drones après celles ouvertes en Ouganda, en Éthiopie et à Djibouti aux côtés des flottes aériennes de surveillance basées en Mauritanie, Burkina et au Soudan du Sud. 

    Ayant refusé de nous organiser pour acquérir la capacité de lire les évènements et entre les lignes et ainsi savoir de quoi il est question et comment nous positionner, voici ce que dit Yves Le Drian, ministre français de la défense dans Libération : "Nous avons appelé l’attention de nos partenaires sur le fait que la sécurité de l’Europe est en jeu au Mali. Les Britanniques et les Allemands ont répondu présents. Nous avons alors mandaté Catherine Ashton pour qu’elle établisse un concept d’opération, dont nous discuterons le 19 novembre à vingt-sept. Au Mali, ce n’est pas la France qui va aider les Africains à mener cette opération, mais bien l’Europe...On ne peut pas laisser s’installer un sanctuaire terroriste majeur à nos portes." Voilà qui est clair : LA SÉCURITÉ DE L’EUROPE EST EN JEU AU MALI. Ceci pour plusieurs raisons. Mais comme Jean-Yves Le Drian ne mentionne pas ces raisons, nous allons le faire à sa place :

    1- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce que toute la région sahélo-saharienne est en reconfiguration. L’idée étant de morceler davantage l’espace pour mieux le contrôler et maîtriser ses ressources : En 2011, on a eu la naissance du Sud Soudan sous l’instigation du trio Israël, USA et Europe avec l’acceptation de la Chine qui a réussi à sauver sa part d’approvisionnement en pétrole en s’accrochant au Soudan de Béchir. En 2012, on est allé dans le même sens au Mali avec le squelettique Azawad. En toile de fond, l’or et bien d’autres ressources.

    2- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce que pas loin de là l’Europe (l’Allemagne en tête) réalise actuellement un énorme projet d’installation de panneaux solaires géants appelé DESERTEC. Ce parc solaire fournira de l’électricité à l’Europe gratuitement. Donc, il faut faire en sorte que cet espace soit sécurisé.

    3- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce que, des orpailleurs français appelés des chercheurs avaient découvert en début de cette année 2012, de gigantesques réserves d’eau dans le Sahara. La guerre de l’eau qui se déroule actuellement sous nos yeux dans le monde et qui va s’accentuer eu égard à la rareté vers laquelle on se dirige pousse l’Europe à parler de sa sécurité au Mali.

    4- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce que la France qui n’a pas d’uranium sur son sol est quand même le premier exportateur de l’énergie nucléaire au monde. Pourquoi ? Tout simplement parce que la France dispose sur sa préfecture du NIGER des mines gigantesques d’uranium qu’elle exploite depuis 60 ans bientôt gratuitement. Une mine énorme est découverte à Imouraren au Niger. Ce qui a poussé AREVA à investir actuellement au moins 1,5 milliards d’euros en vue de racler proprement cette mine. Des centaines de français et d’européens affluent actuellement dans le coin où ils sont en train de construire une sorte de ville minière. Les prises d’otage et autres révoltes armées peuvent gêner un peu la chose. La Chine n’est pas loin non plus de là. Donc, l’Europe a ici aussi sa sécurité en jeu.

    5- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce qu’il faut que l’Europe démontre à ses ressortissants qui aiment le tourisme exotique que leur sécurité est et sera garantie un peu partout, notamment dans cette région.

    6- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce qu’après avoir armé et utilisé ces islamistes pour détruire la Libye, la France surtout espérait qu’avec ce "geste d’amitié", ces gars libéreraient ses ressortissants. Il n’en est rien. Les gars disent que ce ne sont pas eux qui détiennent les français, mieux qu’ils ne savent pas où ils sont exactement. Parfois, ils disent "on va vous aider à les libérer" puis, c’est Jacques où es-tu ? La patience a ses limites. Même si les otages risquent la mort, eh bien, mieux vaut une fin effroyable qu’un jeu de nerfs sans fin, surtout que l’Europe sait ce qu’elle gagne par rapport à la vie de 3 ou 5 otages.

    Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles les bruits de bottes résonnent là. Qu’on détruise des mausolées ou qu’on coupe des mains, des pieds aux Nègres, ou qu’on viole les filles africaines sous l’autel d’un islamisme poussiéreux là-bas, ça n’est pas le problème de l’Occident. Au demeurant, comme ces faits criminels émeuvent la masse, eh bien, les stratèges les mettent devant pour mieux atteindre, avec le consentement tacite ou expresse des spectateurs que nous sommes, leurs buts. En parlant uniquement de la sécurité de l’Europe avec la mise en avant du TERRORISME qui serait aux portes de l’Europe, le ministre français de la défense nous montre l’arbrisseau qui cache mal la forêt.

    Quant au rôle des petits préfets tels que Blaise Compaoré, Alassane Ouattara, Faure Gnassingbé...et leur CEDEAO, il a suffi qu’on lance la bombe mensongère d’une alliance future avec les coupeurs de mains au Mali avec leurs fameux opposants en vue de leur ravir leur trône pour qu’ils enfilent leurs costumes de petits chefs de guerre. Nul autre que Ouattara, le préfet du territoire de Côte d’Ivoire ne symbole mieux ce petit spadassin au garde-à-vous. On lui a dit que les partisans du président Laurent Gbagbo "sont en contact avec les islamistes" et qu’après le Mali, cette mythique alliance marcherait sur son territoire. Cela a largement suffi pour le mobiliser. Ces gens là également, ce n’est pas les mains et les pieds coupés des Africains du Mali qui les préoccupent. Si ces gars là étaient des "humanistes" ou des Africains de cœur, on l’aurait su. Eux-mêmes sont de grands massacreurs des peuples qu’ils régentent au profit de qui on sait. Qu’est-ce qui mobiliserait un Blaise Compaoré assassin de son compagnon d’armes, Thomas Sankara et de bien d’autres dont Norbert Zongo ? Des petits mains coupées au Mali ? Faure Gnassingbé, le tueur, héritier du trône qu’il conquit en 2005 après avoir sacrifié au moins 1000 personnes et qui depuis lors assassine et qui, par sa soldatesque, fait régulièrement ouvrir le crâne aux populations qui manifestent contre lui ? Ou bien, est-ce Alassane Ouattara, le boucher transporté dans les chars français encadrés par l’ONU qui serait offusqué par des pieds coupés et des mausolées détruits ? Ou encore est-ce Soro Guillaume, l’éventreur, en bon chrétien qui n’a jamais vu couler une goutte de sang qui serait révolté de voir à la télévision pour la première fois de sa vie de moine isolé des mondanités des gouttes de sang ? Allons ! Allons !

    15 novembre 2012 mis à jour le 12 janvier 2013

    KPOGLI Komla.

    Web. http://lajuda.blogspot.com/


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    Parti communiste révolutionnaire de Côte d'Ivoire :  L’intervention militaire française au Mali : un péril pour l’avenir de l’Afrique !  

    La situation au Mali avec la menace d’interventions extérieures constitue un sujet de préoccupation depuis quelque temps. La position des partis communistes d’Afrique de l’ouest a été synthétisée dans une déclaration partagée en date du 10 décembre 2012.  Dans l’ambiance des menaces d’interventions armées annoncées par des gouvernements africains avec la bénédiction des puissances occidentales, les signataires de la déclaration citée ont estimé que la situation était grave et lourde de dangers pour le prolétariat et les peuples du Mali et des autres pays de la sous-région ouest-africaine. Ils ont :

    1) Dénoncé la présence  des troupes d’agression étrangères impérialistes en Afrique de l’Ouest, particulièrement dans la zone sahélo-saharienne et exigé leur départ.

    2) Condamné les pouvoirs fantoches qui ont ouvert leurs territoires à ces troupes (notamment le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Sénégal, la Mauritanie)

    3) Condamné le plan réactionnaire de la CEDEAO, de l’UA et des impérialistes notamment français pour l’envoi des troupes des pays membres de la CEDEAO et de l’UA au Mali.

    4) Condamné la politique aventuriste et criminelle du clan mafieux de Blaise Compaoré qui représente un danger pour le prolétariat et les peuples du Mali, du Burkina Faso et l’ensemble de la sous-région ouest africaine. Dénoncé et condamné la politique de va-t-en-guerre de Boni Yayi, Président en exercice de l’Union Africaine, porte-voix des agresseurs impérialistes français et américains et chaud partisan de l’intervention militaire au Mali.

    5) Condamné la proclamation de l’indépendance de l’État de l’AZAWAD par le MNLA comme  la manifestation d’un complot ourdi par l’impérialisme français contre les peuples du Mali afin de les diviser pour mieux les asservir et les exploiter. Appelé les révolutionnaires maliens à  veiller à la mise en œuvre d’une juste politique nationale permettant à chaque Malien (quelles que soient sa nationalité, sa race, ses origines) de se sentir à l’aise dans un Mali indépendant et unifié) ; car dans tous les pays africains, la question nationale se pose et nécessite d’être traitée avec beaucoup de circonspection sur des bases correctes.

    6) Soutenu fermement les exigences des forces patriotiques et démocratiques maliennes qui s’opposent à toute intervention étrangère sur leur sol et demandé que les propres problèmes du Mali soient réglés en toute souveraineté par le peuple malien lui-même sans ingérence étrangère.

    7) Dénoncé et condamné les crimes perpétrés contre les peuples du Nord-Mali par le groupe terroriste AQMI, le MNLA et les groupes djihadistes Ansar Dine, MUJAO. Soutenu la résistance courageuse des peuples notamment les jeunes contre l’oppression et les politiques moyenâgeuses de ces groupes réactionnaires et obscurantistes.

    8) Réaffirmé leur opposition au terrorisme et au putschisme qui ne sont pas les voies indiquées pour la révolution et l’instauration du socialisme.

    9) Affirmé leur engagement sur  la base de l’internationalisme prolétarien  à :

    - Travailler pour mobiliser et organiser le prolétariat et les peuples de leurs pays respectifs pour lutter contre l’intervention des troupes étrangères au Mali, pour exiger le départ de l’Afrique de l’ouest des troupes d’agression des grandes puissances (USA-France-UE)

    - Soutenir de manières multiformes le prolétariat et les peuples du Mali dans la situation difficile qu’ils connaissent.

    Le rôle du président ivoirien, Alassane Ouattara, en sa qualité de président en exercice de la CEDEAO a été dénoncé en tant que l’un des maîtres d’œuvre de la construction de la coalition paravent de l’intervention impérialiste au Mali et de la consolidation de la domination impérialiste, notamment française en Afrique de l’Ouest.

    Les partis adhérant à la déclaration ont lancé un appel au prolétariat, aux peuples, aux forces démocratiques et révolutionnaires des pays impérialistes pour qu’ils s’opposent à l’intervention militaire de pays impérialistes au Mali, pour qu’ils se solidarisent avec la lutte du prolétariat et des peuples du Mali et de l’ensemble de la sous-région Ouest-africaine.

    L’issue que les partis communistes de la région redoutaient a commencé à se produire le vendredi 11 janvier 2013 avec le début de l’intervention française. Le gouvernement français a décidé d’engager 750 militaires au Mali, des avions et des chars. Les objectifs affichés de cette intervention sont :

    - Stopper la progression des islamistes vers Bamako ;

    - Éviter l’effondrement du pouvoir de Bamako et la déstabilisation de l’Afrique de l’ouest.

    Comme conséquence immédiate de cette situation, l’ONU dénombre déjà 150.000 réfugiés et 230.000 déplacés du fait des affrontements armés. 

    Malgré le caractère salvateur que veulent conférer les acteurs et soutiens de cette autre intervention à leur opération, celle-ci, n’est pas différente de celle qui s’est produite en Côte d’Ivoire et en Libye en 2011. Cette intervention suggère les observations essentielles suivantes :

    - Le caractère néocolonialiste de l’intervention visant à préserver les intérêts économiques et stratégiques de l’impérialisme international, français en particulier, ne peut échapper aux observateurs avisés ;

    - La faillite des régimes néocoloniaux africains n’en est que plus visible ; ces régimes honnis, incapables de défendre leurs peuples, n’ont pas trouver mieux à faire que de transformer les armées nationales en supplétifs de l’armée française ; c’est une raison de plus pour que ces régimes aient de plus en plus de mal à diriger les peuples africains ;

    - Le peuple malien qui voulait, pour préserver l’avenir, engager le combat pour sa souveraineté, en a été empêché ; il a été empêché, par la CEDEAO d’entrer en possession de ses armes qui devaient être débarquées dans différents ports africains ; pour les régimes pro-impérialistes africains et leurs maîtres, il faut empêcher les exemples montrant que les peuples sont capables de se battre pour leur liberté et leur souveraineté ;   

    - En Côte d’Ivoire, tous les bourgeois, sans exception, acclament cette intervention ; même le Front Populaire Ivoirien (FPI), anticolonialiste de circonstance, s’est joint à cet unanimisme, confirmant son caractère pro-impérialiste que le Parti Communiste Révolutionnaire de Côte d’Ivoire a toujours dénoncé ; ces partis sont entrain de légitimer le rôle de l’impérialisme français en tant que gendarme de l’Afrique avec la Côte d’Ivoire  comme plaque tournante de l’intervention française contre la volonté des peuples africains ; ces bourgeois ivoiriens, toute tendance confondue, consciemment ou inconsciemment, préparent le terrain pour le choix du prochain président ivoirien par la France.

    Le peuple malien a été soumis à des pressions de toutes sortes afin que, exténué par les multiples souffrances, l’intervention extérieure apparaisse comme une opération de sauvetage, que l’armée française apparaisse comme le seul recours, comme un « sauveur suprême ». Le peuple malien et avec lui les peuples africains  viennent de perdre une bataille, mais pas la guerre. Comme en Afghanistan, en Somalie et ailleurs,  les armées impérialistes ne feront que disperser les djihadistes et autres terroristes. Ces derniers n’ont d’ailleurs pu s’installer dans le nord Mali et menacer d’autres régions d’Afrique qu’à cause de la misère engendrée par le système capitaliste et sa politique néocolonialiste. La destruction des économies africaines par les programmes d’ajustement structurel depuis les années 1980 et le développement prodigieux de la misère qui a suivi, sont parmi les causes des crises politiques et sociales endémiques et le développement des mouvements djihadistes et terroristes.

    Lorsque les objectifs des impérialistes qui ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des travailleurs et des peuples auront été atteints, ils laisseront ces derniers à leur sort. L’expérience montre que les interventions armées impérialistes ne résolvent pas les problèmes essentiels (Irak, Afghanistan, Somalie, etc.). Les masses maliennes paupérisées seront abandonnées face à leurs difficultés et elles continueront avec l’appui des révolutionnaires et démocrates à chercher des solutions à travers diverses stratégies. Les questions fondamentales de la conquête des libertés politiques, de l’obtention de meilleures conditions de vie demeurent des préoccupations majeures pour les masses africaines et maliennes en particulier. Ces préoccupations seront satisfaites dans l’adoption de stratégies révolutionnaires qui apparaissent de plus en plus incontournables. L’impérialisme et les régimes fantoches qui le servent finiront par apparaître comme les cibles privilégiées à abattre pour ouvrir la voie à des pouvoirs aux mains des travailleurs et des peuples. Les leçons de choses qui se déroulent sous nos yeux accélèrent la conscience que seule la révolution est susceptible de mettre l’Afrique sur le chemin de la sortie de l’asservissement, de la misère et de la honte.

                                                   Fait à Abidjan, le 15 janvier  2013.

                                              Le Parti  Communiste Révolutionnaire de Côte d’Ivoire


    Voir aussi : Déclaration du 20 janvier 2013 de la Ligue Panafricaine - UMOJA

               Communiqué du Parti algérien pour la Démocratie et le Socialisme (PADS)


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    ['Gauche radicale'] 

    Déclaration du PCF Paris 15, repris sur le site Solidarité Internationale PCF

    Le pays et la représentation nationale sont devant le fait accompli.

    François Hollande a déclaré que la France était en guerre au Mali le lendemain des premiers affrontements. Depuis des semaines, il préparait l’opinion à cette intervention. Mais il promettait de placer de la chair à canon africaine en première ligne, ce qui s’est révélé impossible. Il y a déjà un soldat français mort au Mali et au moins deux dans le ratage de l’opération coordonnée en Somalie. Hollande se réjouit de « lourdes pertes chez les adversaires ». Oui la guerre, ça coûte et ça tue !

    Personne ne peut être dupe des raisons avancées le Président. On connaît trop les refrains à la George Bush sur la guerre « humanitaire » et la « lutte contre le terrorisme » et les résultats des guerres d’Irak, d’Afghanistan ou d’ailleurs.

    En Libye, les impérialistes français et britanniques ont servi de sous-traitants à l’impérialisme américain pour des questions principalement de pétrole. Cette guerre a décomposé le pays, ravivé et militarisé des conflits préexistants dans plusieurs pays d’Afrique noire dont le Mali. Elle a fait le lit d’une radicalisation politique « islamiste ».

    Maintenant, les intérêts impérialistes, notamment français, l’accès aux minerais, à l’uranium du Niger par exemple, se trouvent menacés par la déstabilisation de toute la région.C’est là qu’il faut chercher les vrais objectifs de guerre de l’État français. Certainement pas dans les appels à l’aide du président fantoche placé par l’Occident à Bamako.

    Le déroulement militaire et les conséquences politiques de cette nouvelle aventure guerrière , en Afrique mais aussi ailleurs, sont imprévisibles. Afghanistan, Irak, Libye : la terreur de la guerre n’a fait que renforcer les « terroristes » ou les « islamistes » que l’OTAN prétendait combattre. La population du Mali, dans toutes ses composantes, du nord et du sud, vit des heures sombres. Mais l’issue d’une guerre menée par la puissance néocoloniale qui poursuit l’exploitation du pays, le maintient dans une extrême pauvreté et une dépendance politique, condamne une partie de sa jeunesse à l’émigration est douteuse.

    François Hollande se prévaut d’un appui international général. Les puissances impérialistes chinoise et russe n’ont pas d’intérêts économiques et géopolitiques divergents avec les États-Unis et l’UE , dans le cas du Mali, contrairement à celui de la Syrie. Elles ne bloqueront pas les résolutions de l’ONU.

    En France, les médias prétendent qu’il existe un consensus en faveur de cette guerre, de la gauche à l’extrême-droite. Là encore, le changement, ce n’est vraiment pas pour maintenant. Hollande met ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, Sarkozy en Libye et en Côte d’Ivoire, Jospin en Afghanistan, sans remonter la sinistre guerre mitterrandienne au Tchad. 

    Communistes, nous ne rentrerons pas dans cette « Union sacrée », pas plus aujourd’hui qu’hier.

    Nous demandons l’arrêt immédiat des opérations militaires françaises au Mali et l’ouverture de pourparlers de paix entre tous les belligérants.

    Plus que jamais, nous demandons le retour en France de tous les soldats déployés en « opérations extérieures » : Plus un seul soldat français hors de France ! 

    Nous demandons la sortie de la France de l’OTAN et de la politique extérieure intégrée de l’Union européenne.

    Plus un homme, plus un sou pour la guerre impérialiste !


    Toujours dans la mouvance PCF, la position (très voisine) de la JC des Bouches-du-Rhône : Non à la guerre impérialiste française au Mali 

    NPA (communiqué laconique...) :  Non à l'intervention militaire française au Mali 

    Lutte ouvrière : À bas l'intervention militaire française au Mali ! 

    Collectif 'Afriques en Lutte' (proche NPA) : Sur l’intervention de la France au Mali et Mali La France en pompier pyromane

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    [Mouvement ML et MLM] 

    Déclaration de l'OCML - Voie prolétarienne : Non à l'intervention militaire au Mali ! Ceux qui ont mis le feu sont mal placés pour éteindre l'incendie !


    Depuis le vendredi 11 janvier, l’armée française intervient par des moyens aériens et au sol pour bloquer l’avancée des jihadistes vers Bamako. Nous connaissons et condamnons les crimes commis par ces derniers contre les hommes et les femmes maliennes des régions qu’ils contrôlent. Nous savons aussi qu’une bonne partie du peuple malien et parmi eux les travailleurs immigrés en France approuvent cette intervention qu’ils voient comme la seule issue immédiate.

    Pourtant, en tant que communistes et anti-impérialistes, nous condamnons cette intervention militaire, car nous savons que ceux qui mettent le feu, et qui prétendent ensuite jouer les pompiers, sont le problème, la cause, et non la solution des crises qui frappent de nombreux pays d’Afrique.

    La déstabilisation du Mali a pour origine immédiate l’éclatement de la Libye dans lequel la France a joué un grand rôle. Elle a permis aux divers groupes islamistes de s’équiper d’un matériel de guerre puissant avec lequel ils ont mis en déroute l’armée malienne. Mais l’incapacité du Mali à se défendre, à assurer la sécurité des étrangers (français) qui y résident n’est pas une fatalité. Le Mali est dit « pauvre » mais son économie est pillée et étouffée par les exigences des impérialistes qui organisent le commerce mondial. Son or est exploité au bénéfice de sociétés étrangères. Son coton est concurrencé par le coton américain subventionné. Ses créanciers pompent ses ressources financières. Ses principales entreprises sont contrôlées par des sociétés étrangères dont beaucoup sont françaises. Ses terres irrigables sont louées à des États étrangers. La faiblesse du Mali est là, aggravée par la corruption de ses bourgeois prêts à brader à leur profit les ressources de leurs pays. La force du Mali est l’énergie de ses travailleurs, de ses paysans, de ses immigrés qui tentent de pallier les défaillances de l’État.

    Pillage de ses ressources et du travail de son peuple : voilà pourquoi le Mali n’est pas en mesure de se défendre, d’assurer son indépendance nationale et doit s’en remettre à un « protecteur impérialiste ». Voilà aussi pourquoi la France ne peut apporter une solution à la crise, car elle défend le système économique (FMI, Banque Mondiale, privatisations) qui appauvrit le pays. Les impérialistes n’ont pas d’amis, seulement des intérêts. Et les gouvernements français, de droite ou soi-disant de gauche, agissent pour préserver ces intérêts.

    La France en intervenant renforce son rôle et sa position dans une région où sa présence économique a régressé au profit d’autres pays, dont la Chine. De plus, la reconquête du Nord du pays, qui sera autrement plus difficile que les opérations récentes d’interception de convois armés, permettra d’affirmer une présence dans une région riche en pétrole et en divers métaux rares. Enfin la stabilité du Sahel est stratégique pour la France qui exploite au Niger l’uranium qui alimente ses centrales et lui assure une soi-disant « indépendance énergétique », assise sur la dépendance du Niger. Enfin, la déstabilisation du Mali entraînerait une immigration nouvelle d’hommes et de femmes en France. La « France généreuse » de « gauche » poursuivant la politique sarkozyste, est l’« amie des maliens », pourvu qu’ils supportent leur misère chez eux.

    L’armée française a contribué à arrêter l’avancée de jihadistes, mais l’intervention étrangère n’est pas la solution, et reste le problème.

    En tant que communistes, nous affirmons notre solidarité avec le peuple malien et nos camarades immigrés. Nous soutenons leur lutte pour le développement d’un Mali véritablement indépendant et juste, ce qu’il ne peut être que si les travailleurs et paysans maliens :
    - contrôlent les richesses qu’ils créent par leur travail et pour cela chassent du pouvoir la bourgeoise corrompue docile aux impérialistes,
    - exproprient les entreprises étrangères qui exploitent les ressources de leur pays,
    - dénoncent la dette qui les saigne,
    - reçoivent l’appui des travailleurs des autres pays, en particulier de leurs camarades de classe d’ici, appui qui implique l’exigence de la régularisation de tous les sans papiers (qu’ils soient maliens ou non) et l’égalité totale des droits politiques et sociaux entre travailleurs français et immigrés.

    Le 13 janvier 2013

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    Déclaration du collectif anti-impérialiste Coup Pour Coup 31.


    Non à l'intervention de l'impérialisme français au Mali ! 


    François Hollande avait déclaré que la Françafrique était finie, s'il fallait une preuve de son hypocrisie la voilà.

    Après avoir joué au grand intermédiaire, défenseur d'une pseudo conciliation pacifique, le voilà qui annonce que la France entre en guerre au Mali.

    On nous vend une intervention contre les islamistes radicaux djihadistes pour «sauver » les musulmans du Sud (80% de la population) qui se réclament d'un islam maraboutique et souple. En somme une guerre de civilisation. Mais derrière cette façade se disant démocratique et en soutien au peuple se cache les vrais enjeux de l'intervention impérialiste.

    Le Mali est, après l’Afrique du Sud et le Ghana, le troisième producteur africain d’or. De plus, son sous-sol recèle de l’uranium (qui sert dans le nucléaire). Uranium qui a un rôle clef dans l'impérialisme français puisque la France créée 75% de son énergie avec. Ce n'est pas pour rien si AREVA vient récemment d'investir 1,5 milliard d'euro au Niger (pays frontalier du Mali). Enfin le sol malien est riche en hydrocarbures (pétrole et gaz) qui intéressent évidemment des groupes comme Total.

    Il est nécessaire pour les impérialistes européens, et en particulier pour l'impérialisme français, de « stabiliser » cette région afin de continuer son pillage tranquillement.

    On le voit cette intervention sous direction française avec ses « alliés » africains repose donc sur des enjeux géostratégiques clairs, stabiliser la région pour pouvoir profiter pleinement du pillage des ressources du Mali ainsi que de pouvoir disposer pleinement de son peuple afin de mieux l'exploiter. Enfin, en retour, François Hollande passe pour le sauveur du Mali contre les terroristes, tout comme les américains qui allaient en Afghanistan pour y sauver les femmes des talibans !

    Arrêt immédiat de l'offensive militaire !

    Troupes impérialistes hors d'Afrique !


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    PCmFÀ bas les interventions impérialistes en Afrique !  

    http://www.archive-host.com/files/1892825/605fe43860be87b04aa41ccaf04344885422138f/afrique-en-lutte.png

    À peine les troupes combattantes d’Afghanistan retirées (1400 restent tout de même sur place pour la « formation » et la « logistique »), l’impérialisme français intervient au Mali.

    Lorsque nous parlons d’intervention militaire :

    • Nous ne saurions oublier que ce sont les impérialistes américains qui ont soutenu les forces réactionnaires en Afghanistan pour lutter contre l’invasion du social-impérialisme soviétique.
    • Nous ne saurions oublier l’intervention impérialiste américaine qui a détruit l’Irak et qui laisse le chaos.
    • Nous ne saurions oublier les résolutions jamais appliquées de l’ONU contre la politique colonialiste d’Israël en Palestine.
    • Nous ne saurions oublier l’intervention des différents impérialistes dans les pays arabes pour soutenir de nouvelles forces réactionnaires, conquérir des marchés et des zones d’influence et dévoyer la juste révolte populaire.


    L’Afrique est devenu le champ de bataille économique entre les impérialistes occidentaux et les nouveaux impérialistes (Chine, Russie) et grands pays émergents (Brésil et Inde). Les anciens impérialistes qui détiennent des intérêts en Afrique grâce à la colonisation et au colonialisme moderne veulent les défendre jusqu’au bout, tandis que les nouveaux impérialistes et les émergents cherchent à tout prix à en conquérir de nouveaux.

    C’est dans ce contexte que l’impérialisme français intervient régulièrement en Afrique sous différentes formes pour préserver ses intérêts, comme récemment en Côte d’Ivoire. Il se prépare aussi à renforcer sa présence en Somalie. Plusieurs pays sont même concernés par des clauses confidentielles d’intervention française en cas de déstabilisation du pouvoir.

    Aujourd’hui l’impérialisme français, qui soutient les anciens chiens de garde au Mali, a pour objectif de préserver les intérêts de la France, c’est-à-dire poursuivre et développer le pillage organisé des matières premières. L’intervention contre les groupes islamistes est le prétexte qui sert à la France pour justifier l’intervention militaire.

    Bien sûr, les forces islamistes fondamentalistes sont réactionnaires et sont des ennemis du peuple qui s’appuient sur la misère causée par l’impérialisme. Mais ce qu’il faut voir ici c’est que le « danger islamiste » est utilisé comme prétexte par les impérialistes pour combattre les révoltes populaires en Afrique et dévier la colère du peuple en Europe et dans les autres pays. Cette manœuvre participe à dresser une partie de la classe ouvrière contre l’autre et à préparer ainsi les solutions fascistes à la crise. A terme, la mobilisation pour une nouvelle guerre de repartage au niveau mondial n’est pas à exclure. L’objectif des gouvernements, de droite ou de gauche, est de maintenir à tout prix la domination du capitalisme sur l’ensemble des peuples du monde.

    Mais dans le monde des forces se dressent contre les exploiteurs et les oppresseurs et mènent la guerre populaire sous la direction des partis communistes maoïstes comme en Inde, aux Philippines, en Turquie, pendant que dans de nombreux pays se développent et se reconstruisent les nouveaux partis communistes maoïstes pour préparer et étendre la guerre populaire contre les impérialistes et les chiens de garde, quel que soit le masque sous lequel ils se dissimulent, laïcs ou religieux.

    Comme il a été déclaré à la Conférence Internationale de Soutien à la Guerre Populaire en Inde, qui a regroupé des représentants des forces révolutionnaires de 20 pays, le meilleur soutien aux peuples en lutte que nous pouvons apporter est de développer la lutte révolutionnaire dans nos pays respectifs. Ici en France, notre tâche première est de nous opposer à notre propre impérialisme. C’est la seule façon d’en finir avec l’impérialisme, le système capitaliste d’exploitation et d’oppression, la seule façon d’en finir avec la guerre.


    À bas les interventions et les manœuvres de l’impérialisme en Afrique !

    Vive la lutte des peuples contre les chiens de garde et les réactionnaires de tous bords ! 


    PC maoïste de France


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    Comité anti-impérialiste : LE MALI NE SERA JAMAIS LIBÉRÉ PAR LES TROUPES DE L’IMPERIALISME FRANÇAIS !

    Vendredi 11 janvier, une intervention française au Mali, baptisée « opération Serval », a été lancée. Chacun a pu en voir les premières images et apprendre la mort au combat de l’officier français Damien Boiteux, membre des forces spéciale [1]. Selon les déclarations de F. Hollande, président de l’Impérialisme Français, cette guerre est justifiée car  il s’agit  de « sauvegarder un pays ami » et de combattre le « terrorisme ». La quasi-totalité des partis politiques a applaudi l’initiative. Comme souvent, les guerres de la France en Afrique consacrent l’Union Sacrée drapée sous les plis du drapeau national.
     
    Pourtant, les pays occidentaux avaient d’abord juré durant des mois qu’ils n’enverraient pas de troupes au sol. Il y a quelques mois, cette mission au Nord-Mali avait même été proposée au Maroc, en sous-traitance, en échange de l’effacement de sa dette militaire. Mais, l’occasion d’intervenir directement a été saisie par les forces françaises et dans une moindre mesure allemandes et anglaises. Une colonne d’une coalition de djihadistes et d’indépendantistes touaregs avançait vers la ville malienne de Mopti, un des derniers verrous sur la route de la capitale Bamako. Cette coalition regroupe Ansar Eddine, Aqmi, Mujao, qui avec le MNLA, contrôle le Nord du pays depuis 10 mois. La colonne  « qui met en cause l'existence même du Mali » est composée de 1000 hommes armés et d’une centaine de 4x4 selon J. M Merchet, journaliste à Marianne et itélé, spécialiste de la Défense.
     
    Les partisans de l’intervention avancent des arguments nobles. Face à l’horreur des mains coupées,  face à la barbarie des viols collectifs pour refus de mariage avec un « djihadiste », face à la lapidation des couples non mariés, face à la destruction des mausolées de Tombouctou, une intervention armée pourrait sembler salutaire à beaucoup. Mais cette guerre n’est pas une guerre juste. C’est une guerre réactionnaire. C’est une guerre impérialiste. Elle peut transformer la région en enfer pour les peuples comme c’est le cas au Moyen-Orient. Elle ne servira pas le peuple malien ni les peuples de la sous-région ouest-africaine. Elle servira le capitalisme français et ses sous-préfets africains et elle renforcera l’islam politique à visage barbare.
     
    Le rôle de notre Comité Anti-Impérialiste est en premier lieu de combattre les mensonges de guerre de notre propre pays. Aujourd’hui, le grand désarroi des populations maliennes, leurs aspirations légitimes à se débarrasser de la barbarie mais aussi l’extrême vulnérabilité d’un État malien en décomposition permettent de faire gober n’importe quoi. La bonne conscience impérialiste fait consensus national et dégouline de partout. Les médias vont couvrir avec excitation les opérations éblouissantes  de « bombardements de choc » et de « frappes chirurgicales » en expurgeant docilement les images gênantes. Mais, la vérité c’est que le Mali ne sera pas libéré de la terreur des fondamentalistes par cette intervention. Les interventions impérialistes faites au nom du combat « contre la terreur islamiste » ont toutes abouti à le renforcer. Les précédents de l’Irak et de  l’Afghanistan et les résultats de la « guerre contre la terreur » devraient vacciner définitivement ceux qui pensent qu’une première « victoire » des impérialistes sera gage de paix civile. Les grands barnums militaires de la démocratie capitaliste renforcent les courants les plus réactionnaires tout en piétinant la dignité des peuples.
     
    Qui sont les « ennemis » au Mali ? Selon le discours de la guerre antiterroriste il s’agit des « terroristes », c’est-à-dire d’Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) ou sa dissidence le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao). Pourtant ces groupes fanatiques sont aujourd’hui liés à des mouvements qui ont un réel ancrage dans les populations locales : Ansar Eddine qui revendique aussi l’instauration d’un régime de l’Islam politique au Mali et d’autre part le Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA) qui est séparatiste touareg. Dans cette situation complexe, la guerre sera indifférenciée et les racines de la rébellion touareg resteront. De nombreux Maliens veulent à juste titre en finir avec ces forces rétrogrades. Mais miser sur l’intervention des puissances impérialistes c’est creuser son propre tombeau.
     
    En dix mois, le Mali s’est vu amputé de 2/3 de son territoire avec une imposition de la charia. Pourquoi cet effondrement si subit? Il faut comprendre que le Mali paye la note de la guerre impérialiste en Libye et des stratégies impérialistes de contrôle du sous-sol sahélien.
    La guerre en Libye a transformé ce qui devait être la protection de la ville de Benghazi en renversement du régime libyen, suivi de la mise mort de Khadafi. Ce viol de la résolution 1973 du Conseil de sécurité s’est réalisé par une alliance entre des mercenaires de « l’islam radical », de l’OTAN et des pétromonarchies (Qatar en tête). Ces mercenaires ont ensuite rejoint les séparatistes touaregs avec un arsenal issu de la guerre en Libye. Les forces qui déstabilisent le Mali ont donc été armées par la France ou par ses alliés. Le Qatar par exemple, que les autorités françaises veulent étrangement intégrer à l’Organisation de la Francophonie, est le sponsor officiel d’Ansar Eddine. Les coupeurs de mains sont financés par le patron du PSG comme l’a révélé le journaliste Claude Angéli du Canard Enchaîné. De son côté, l’État malien est dirigé par une clique bourgeoise véreuse, corrompue et compradore. Elle n’a pu aligner qu’une armée de pacotille, spécialiste des putschs à répétition et des débâcles. En 2012, l’aide extérieure a été supprimée grevant le budget de 429 milliards de francs CFA et créant un drame économique. Les autorités maliennes ont été sommées d’accepter l’intervention militaire pour que l’aide reprenne. Finalement, le président par intérim, Dioncounda Traoré, symbolise bien l’humiliation nationale en mendiant une intervention française. Le Mali de Modibo Keïta, qui depuis 1960 a toujours refusé l’installation d’une base militaire française à Mopti, va se retrouver sous contrôle total de l’ancienne puissance coloniale.
     
    Le contrôle du sous-sol malien et régional est le second aspect à comprendre. Le Mali n’est pas un « État ami » de l’impérialisme français contrairement à ce que dit F. Hollande, c’est un État vassalisé. Un État dont les relations monétaires sont gérées par la Banque de France.  Les rapports France-Mali sont toujours ceux qui existent entre le prédateur et la proie. La région regorge de gisements d’uranium et d’or. F. Hollande ment lorsqu’il dit que la guerre n’a pas « d’autre intérêt et d’autre but que la lutte contre le terrorisme » (déclaration du dimanche 13 janvier). Pourquoi cacher les intérêts économiques et stratégiques français dans cette affaire ? Areva est le groupe nucléaire spécialiste de l’extraction de l’uranium et il gère les immenses mines du Niger. Cette multinationale bataille depuis plusieurs mois pour obtenir l’exploitation du minerai de Faléa à 350 kilomètres de Bamako. Les experts en énergie de la société internationale Golder Associate indiquent que « le Mali offre un environnement de classe mondiale pour l’exploitation d’uranium ». Les entreprises canadiennes Rockgate et française Foraco s’occupent  actuellement des forages. La France semble donc bien engagée sur le dossier de l’uranium malien. D’ailleurs, son ambassadeur au Mali, Christian Rouyer, déclarait il y a quelques mois qu’ « Areva sera le futur exploitant de la mine d’uranium à Faléa ». Il y a aussi d’autres intérêts stratégiques comme  le projet à long terme nommé « Désertec », un projet géant de centrales solaires et éoliennes. C’est un enjeu immense dans la guerre économique avec les groupes asiatiques et américains, c’est-à-dire dans la guerre pour s’emparer des ressources de la planète.
     
    La mise sous tutelle du Mali est une opération de brigandage. Le Mali est un otage des pays impérialistes. Pas seulement des impérialistes français mais aussi des USA qui vont installer des bases de lancement de drones au Mali, via le projet Africom, après ceux déjà installés en Ouganda, en Éthiopie et à Djibouti et des forces de surveillance aériennes US basées en Mauritanie. Transformer le Sahel en « sanctuaire terroriste » permet de légitimer des buts stratégiques planifiés. 
     
    Les impérialistes prétendent mener partout des « guerres contre le terrorisme » qui sont en réalité des prétextes rêvés pour contrôler des ressources et des États fantoches. Là où le chaos n’existe pas, ils lui donnent vie comme en Libye et en Syrie. Pour contrôler des ressources, détruire la résistance des peuples opprimés, installer leurs bases militaires et contrecarrer les appétits des autres pays impérialistes. Notre devoir ici est de dénoncer sans relâche le maintien des pays africains dans un statut de soumission. Notre devoir est de démasquer la soi-disant « guerre contre l’islamisme » qui aboutit à détruire la vie sociale des peuples là-bas, loin de la Métropole, et qui alimente ici une psychose raciste « décomplexée ».  
     
    NON A LA MISE SOUS TUTELLE DU MALI!
     
    A BAS L’IMPÉRIALISME FRANÇAIS !
     
    UN PEUPLE QUI EN OPPRIME UN AUTRE NE SERAIT ÊTRE LIBRE !
     
    Comité Anti-Impérialiste (13 janvier 2013)
     
    [1] La biographie du lieutenant Boiteux diffusée par l'armée de terre confirme pour la première fois de manière officielle la présence, depuis 2010, de militaires français des opérations spéciales en Mauritanie et au Burkina Faso
     
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    Un nouveau communiqué de l'Organisation communiste "Futur rouge" (rien à voir avec le défunt blog qui avait lamentablement attaqué SLP). Celle-ci est issue d'une scission du ROCML-JCML : SLP ne prend aucunement parti dans ces dissensions entre des forces qui ne se réclament pas du MLM. Le communiqué est simplement reproduit parce qu'il dit des choses intéressantes et justes : 

     

    481370 246352992163708 67316163 nAu Mali comme ailleurs, l’impérialisme français n'a pas ôté son costume de colon. Ce jeudi 11 janvier, la France a demandé une réunion d'urgence à l'ONU, dans le but d'organiser l'intervention militaire dans le cadre d'une coalition internationale. L'impérialisme français va donc intervenir, une fois de plus, militairement sur le territoire du Mali, l'une de ses anciennes colonies. Les premiers renforts militaires français et allemands sont déjà arrivés. Une fois de plus, le parti «socialiste» décide de semer la guerre pour défendre les intérêts de la bourgeoisie française, sous couvert bien sûr de lutte contre une «menace terroriste islamiste».

     

    La soit disant «guerre contre le terrorisme» c'est en réalité une guerre contre les classes populaires maliennes, une guerre de rapine menée par l'État français, et ses alliés locaux pour défendre leurs intérêts de classe et s'assurer une main mise toujours plus importante sur les ressources naturelles au Mali (or, uranium, hydrocarbures...). La situation au Mali est depuis un an explosive et la France en est elle même directement responsable. Le mercredi 10 janvier, le président malien Dioncounda Traoré a envoyé une lettre à la France pour demander urgemment son aide militaire. Cela faisait plus d'un an que l'État français cherchait a imposer son intervention militaire au Mali sous prétexte de mettre fin au chaos qu'il avait lui même suscité en envahissant la Libye.

     

    L'intervention en Libye a en effet surarmé les touaregs qui ont ensuite mené une offensive contre le gouvernement malien. Un mouvement séparatiste existe depuis longtemps au Nord Mali., l'Azawad. Après l'intervention en Lybie, les touaregs du MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad) ont mené des opérations militaires contre le gouvernement de Bamako. Un coup d'état militaire a eu lieu contre le gouvernement, accusé d’être corrompu et incapable de rétablir la situation. Pourtant l’armée n’est pas parvenu à reprendre le contrôle du Nord, et le MNLA a perdu à son tour du terrain face à ses anciens alliés islamistes d’Ansar Dine .

     

    La scission du Mali a servi de prétexte à l’État français pour réclamer une intervention militaire. Depuis un an, de fortes résistances se manifestaient au sein des peuples du Mali et des éléments progressistes et patriotes de l'armée pour refuser cette ingérence impérialiste, en mettant en avant l’idée que c’est aux peuples du Mali de régler leurs propres problèmes et non aux impérialistes. Par ailleurs l'État algérien freinait des quatre fers, en exigeant de la France des garanties sérieuses pour que l'armée française ne profite pas d'une guerre pour violer l'intégrité nationale algérienne et mettre la main sur le pétrole du Sahara, dont l'impérialisme français n'avait jamais fait le deuil. Nous ne savons pas ce qu'Hollande a négocié lors de son récent voyage en Algérie, mais nous pouvons d'ores et déjà constater que la fraction de la bourgeoisie malienne la plus soumise à l'impérialisme l'a emporté en soutenant cette intervention de l'ancienne puissance coloniale qui a toujours dénié aux peuples du Mali leur droit à l'indépendance réelle, en s'ingérant régulièrement dans leurs affaires depuis le renversement du président Modibo Keita en 1968.

     

    Les armées coloniales ont toujours été et resterons les bourreaux des peuples. Les guerres impérialistes ne sont jamais justes, en tant que prolétaires nous n'avons jamais à les soutenir. L'intervention au Mali n'est en aucun cas dans l'intérêt des peuples du Mali, elle sert au contraire les intérêts coloniaux de la bourgeoisie impérialiste de l'État français. Dans l'échiquier politique Français, pas une voix ne s'élève pour dénoncer l'agression impérialiste au Mali. Quand il s'agit de piller un peuple, toutes les forces de la bourgeoisie hexagonale oublient leurs querelles pour crier à l'union nationale et chanter à la gloire de la patrie. Même les réformistes du Front de gauche y vont de leurs couplets patriotiques toute en gardant quelques réserves d'ordre formel (il fallait consulter les députés, attendre une résolution de l'ONU...).

     

    Notre rôle en tant que militants communistes est de combattre notre propre impérialisme, où qu'il s'exprime et quelle que soit la forme qu'il prenne. Nous sommes solidaires des peuples du Mali comme de tous les peuples victimes des agressions militaires des impérialistes. Nous reconnaissons le droit à l'autodétermination des Touaregs, pris dans les feux croisés d'impérialismes concurrents depuis la colonisation. Nous ne soutenons pas les islamistes qui sont une force réactionnaire ne portant pas l'intérêt des peuples du Mali. Nous nous étonnons de voir que l'État français prétend faire la guerre a des islamistes soutenus par le Qatar, qui ressemblent comme des frères a ceux que l'État français arme et soutient en Syrie [NDLR c'est simple comme bonjour : en Syrie (comme hier en Libye) les intérêts BBR et qataris convergent, au Mali ils sont contradictoires... tout simplement].

     

    Le MNLA a annoncé son soutien à l'intervention française, il se met ainsi à la traîne des impérialiste et des factions pro-impérialistes des classes dominante du Mali. Nous ne soutenons pas les chiens de guerre de l'État français et leurs alliés sur place. Nous souhaitons la défaite militaire de la France. Notre devoir est d'organiser la résistance face à son intervention militaire au Mali avec l'ensemble des forces anti-impérialistes conséquentes de l'Hexagone. Après la Libye et la Côte d'Ivoire, les interventions militaires se succèdent à un rythme effrayant, à nous de réagir.

     

    Histoire de ne pas faire de "jaloux", le communiqué du ROCML :

    COMMUNIQUE DU ROCML et de La JCML –FRANCE –

    Halte A la recolonisation de l’Afrique

    par l’impérialisme français   

    Après l’intervention armée en Côte d’Ivoire pour écarter Laurent Gbagbo, après l’agression militaire contre la Libye pour éliminer Mouammar Kadhafi, après la guerre internationale menée pour se débarrasser de Bachar El Assad, c’est maintenant le tour du Mali d’être reconquis militairement par l’impérialisme occidental avec l’État impérialiste français aux premiers postes.

    Les prétextes sont toujours les mêmes : combattre les dictatures, combattre les terroristes, installer la démocratie. Qu’en Libye et en Syrie on arme les groupes terroristes de même obédience que ceux qu’on pourchasse au Mali permet pourtant de douter des intentions et des buts réels des puissances impérialistes occidentales [NDLR : ibidem supra].

    Les vraies raisons sont différentes en effet, géostratégiques et économiques. Il s’agit de contrôler l’exploitation (en fait le pillage) des richesses naturelles et humaines des régions du monde où elles se trouvent et leurs voies d’acheminement vers les métropoles impérialistes.

    Le Mali est le troisième producteur d’or d’Afrique, et récemment on a découvert dans le nord du pays d’importantes réserves de gaz et de pétrole. Proche du Niger, le sous-sol du Mali contient sans doute aussi des réserves d’uranium.

    La vraie raison de l’intervention française au Mali est là : rétablir sa domination coloniale sur ce pays africain qui fait partie de son pré carré et où les monopoles français comme TOTAL et AREVA pourront à piller le sol et le sous-sol.

    Dans la situation de crise générale où se trouve désormais l’impérialisme mondial, le contrôle des richesses de la planète est devenu une question de vie ou de mort pour les puissances impérialistes, et la guerre est devenue pour eux la seule solution pour atteindre ce but.

    Le ROCML condamne cette nouvelle aventure militaire menée par l’État français en Afrique. et dénonce les mensonges du gouvernement socialiste qui prétend combattre les terroristes  djihadistes au Mali alors que c’est  l’État impérialiste français qui les a armés en Libye pour supprimer Kadhafi, et alors qu’il les soutient maintenant financièrement et militairement en Syrie.

    Le ROCML observe que des organisations communistes et anti-impérialistes s’opposent à cette nouvelle aventure militaire africaine de l’État impérialiste français. Il souhaite que ces organisations manifestent leur volonté de la combattre dans l’unité d’action. Le ROCML, pour sa part, est prêt à participer à toute initiative allant dans ce sens.

    Paris Le 13 janvier 2013


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    Mouvement libertaire :
    Guerre au Mali, merci AREVA (Alternative libertaire Montpellier)


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    Articles de l'association SURVIE France : Luttes d’influences au Sahara et La France intervient au Mali et réaffirme son rôle de gendarme en Afrique


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    Source : Blog des peuples en lutte

    Thomas Isidore Noël Sankara, considéré par certains comme le Che Guevara africain est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute Volta et mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso. C'était un militaire et un homme politique panafricaniste et tiers-mondiste burkinabé. 

    Il incarna et dirigea la révolution burkinabé du 4 août 1983 jusqu'à son assassinat lors d'un coup d'État qui amena au pouvoir Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987. Il a notamment fait changer le nom de la Haute-Volta, issu de la colonisation, en un nom issu de la tradition africaine le Burkina Faso, le pays des hommes intègres et a conduit une politique d'affranchissement du peuple burkinabé jusqu'à son assassinat. Son gouvernement entreprit des réformes majeures pour combattre la corruption et améliorer l'éducation, l'agriculture et le statut des femmes. Son programme révolutionnaire se heurta à une forte opposition du pouvoir traditionnel qu'il marginalisait ainsi que d'une classe moyenne peu nombreuse mais relativement puissante. 

    L'héritage politique et « identitaire » de Thomas Sankara — tout comme ceux de Patrice Lumumba, Amílcar Cabral ou Kwame Nkrumah — est considérable en Afrique et en particulier dans la jeunesse africaine dont une bonne partie le voit comme un modèle. 

    Biographie 

    Thomas Sankara était un « Peul-Mossi » issu d'une famille catholique. Son père était un ancien combattant et prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Il a fait ses études secondaires au Lycée Ouézin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays. Il a suivi une formation d'officier à Madagascar et devint en 1976 commandant du centre de commando de Pô. La même année, il fait la connaissance de Blaise Compaoré avec lequel il forme le Regroupement des officiers communistes (ROC) dont les autres membres les plus connus sont Henri Zongo, Boukary Kabore et Jean-Baptiste Lingani. 

    En septembre 1981, il devient secrétaire d'État à l'information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo. Il démissionne le 21 avril 1982, déclarant « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! » 

    Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d'État portait au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo. Sankara devint Premier ministre en janvier 1983, mais fut limogé et mis aux arrêts le 17 mai, après une visite de Guy Penne, conseiller de François Mitterrand. Le lien entre la visite de Guy Penne et l'arrestation de Sankara reste sujet à controverse, même si les soupçons d'une intervention française restent forts. 

    Un nouveau coup d'État, le 4 août 1983 place Thomas Sankara à la présidence. Il définit son programme comme anti-impérialiste, en particulier dans son « Discours d'orientation politique », écrit par Valère Somé. Son gouvernement retira aux chefs traditionnels les pouvoirs féodaux qu'ils continuaient d'exercer. Il créa les CDR (Comités de défense de la révolution), qui eurent toutefois tendance à se comporter en milice révolutionnaire faisant parfois régner une terreur peu conforme aux objectifs de lutte contre la corruption. 

    Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara fut assassiné lors d'un coup d'État organisé par celui qui était considéré comme son frère, Blaise Compaoré. Plusieurs jours plus tard, il fut déclaré « décédé de mort naturelle » par un médecin militaire. L'absence de tout procès ou de toute enquête de la part du gouvernement burkinabé a été condamnée en 2006 par le Comité des droits de l’homme des Nations unies .Par ailleurs, le gouvernement français de l'époque (cohabitation entre Jacques Chirac qui gouverne et François Mitterrand qui préside) est soupçonné d'avoir joué un rôle dans cet assassinat, ainsi que plusieurs autres gouvernements africains gouvernés par des amis de la France. Kadhafi pourrait être impliqué et avoir utilisé ce meurtre pour redevenir un ami de la France. C'est notamment la famille Sankara, réfugiée en France, qui soutient ces hypothèses. Cette hypothèse est aussi soutenue par la plupart des historiens africains. Si la décision de condamner l'absence d'enquête constitue une première mondiale dans la lutte contre l'impunité, elle est insuffisante, puisqu'elle n'a conduit à aucune condamnation. Thomas Sankara a été proclamé modèle par la jeunesse africaine au forum social africain de Bamako 2006 et au forum social mondial de Nairobi en 2007. 

    Depuis le 28 décembre 2005, une avenue de Ouagadougou porte son nom, dans le cadre plus général d'un processus de réhabilitation décrété en 2000 mais bloqué depuis lors. Diverses initiatives visent à rassembler les sankaristes et leurs sympathisants, notamment par le biais d'un comité national d'organisation du vingtième anniversaire de son décès, de célébrer sa mémoire, notamment par des manifestations culturelles, tant au Burkina Faso qu'en divers pays d'implantation de l'immigration burkinabé. En 2007, pour la première fois depuis 19 ans, la veuve de Thomas Sankara, Mariam Serme Sankara a pu aller se recueillir sur sa tombe présumée lors des 20es commémorations à Ouagadougou. 

    Actions politiques 

    Thomas Sankara était en premier lieu un des chefs du Mouvement des non-alignés, les pays qui durant la Guerre Froide ont refusé de prendre parti pour l'un ou l'autre des deux blocs. Il a beaucoup côtoyé des militants d'extrême gauche dans les années 1970 et s'est lié d'amitié avec certains d'entre eux. Il a mis en place un groupe d'officiers clandestin d'influence marxiste : le Regroupement des officiers communistes (ROC). Dans ses discours, il dénonce le colonialisme et le néo-colonialisme, notamment de la France, en Afrique (notamment les régimes clients de Côte d'Ivoire et du Mali, lequel lance plusieurs fois, soutenu par la France, des actions militaires contre le Burkina Faso). Devant l'ONU, il défend le droit des peuples à pouvoir manger à leur faim, boire à leur soif, être éduqués. Pour redonner le pouvoir au peuple, dans une logique de démocratie participative, il créa les CDR (Comités de défense de la révolution) auxquels tout le monde pouvait participer, et qui assuraient la gestion des questions locales et organisaient les grandes actions. Les CDR étaient coordonnés dans le CNR (Conseil national de la révolution). Les résultats de cette politique sont sans appel : réduction de la malnutrition, de la soif (construction massive par les CDR de puits et retenues d'eau), des maladies (grâce aux politiques de « vaccinations commandos », notamment des enfants, burkinabe ou non) et de l'analphabétisme (l'analphabétisme passe pour les hommes de 95% à 80%, et pour les femmes de 99% à 98%, grâce aux "opérations alpha"). Sankara est aussi connu pour avoir rompu avec la société traditionnelle inégalitaire burkinabe, par l'affaiblissement brutal du pouvoir des chefs de tribus, et par la réintégration des femmes dans la société à l'égal des hommes. Il a aussi institué la coutume de planter un arbre à chaque grande occasion pour lutter contre la désertification. Il est le seul président d'Afrique (et sans doute du monde) à avoir vendu les luxueuses voitures de fonctions de l'État pour les remplacer par de basiques Renault 5. Il faisait tous ses voyages en classe touriste et ses collaborateurs étaient tenus de faire de même. Il est célèbre aussi pour son habitude de toujours visiter Harlem (et d'y faire un discours) avant l'ONU. 

    À lire :

    Thomas Sankara

    Portrait d'un homme intègre 

    Notes sur la révolution et le développement national et populaire dans le projet de Sankara

    Le "Che" africain. Il y a 20 ans : Thomas Sankara était renversé

    Qui était Thomas SANKARA ? (AGEN)

    Thomas Sankara, précurseur des luttes d’aujourd’hui (du même auteur, MàJ octobre 2014)

    Thomas sankara, leader d'un authentique processus révolutionnaire (Bruno Jaffré, le Monde Diplomatique, 2007) ici au complet :

    Thomas Sankara, leader d’un authentique processus révolutionnaire

    Bruno Jaffré

    Cet article est la première version de l’article écrit pour publication dans le Monde Diplomatique d’octobre 1987, avant les coupures dues aux contraintes de la presse qui font que la longueur est imposée et peut changer au fur et à mesure que s’élabore le journal notamment. On trouvera l’article effectivement publié sous le titre ’Thomas Sankara et la dignité de l’Afrique" sur le site du Monde Diplomatique à l’adresse http://www.monde-diplomatique.fr/2007/10/JAFFRE/15202

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    Le 15 octobre 2007, sera commémoré le 20ème anniversaire de la mort de Sankara dans de nombreux pays. Si Sankara reste largement méconnu hors de l’Afrique, il reste sur le continent dans bien des mémoires, comme celui qui disait la vérité, celui qui vivait proche de son peuple, celui qui luttait contre la corruption, celui qui donnait espoir que l’Afrique renoue avec la confiance, qu’elle retrouve sa dignité bafouée. Mais il était bien plus que cela : un stratège politique ayant dirigé jusqu’à la victoire un processus révolutionnaire, un président créatif, porteur de révolte, d’énergie, qui s’est engagé jusqu’au sacrifice suprême et enfin une voie qui porta haut et fort les revendications du tiers monde.

    Une longue préparation

    Sankara est né le 21 décembre 1949. Son père est revenu infirmier gendarme de la deuxième guerre mondiale dont il lui a rapporté l’horreur. Sa mère lui raconte les injustices dont se rendent responsables les Naabas, les chefs que les révolutionnaires appelleront les "féodaux". Aîné des garçons dans une lignée de douze frères et soeurs, il acquiert vite des responsabilités. A l’école où il côtoie les fils de colons et découvre l’injustice. Il sert la messe mais refuse in extremis de faire le séminaire et opte pour le collège puis entre au Prytanée militaire du Kadiogo en seconde.

    C’est paradoxalement dans cette école militaire que Sankara va s’ouvrir à la politique. Adama Touré militant du PAI, parti africain de l’indépendance, marxiste convaincu y enseigne l’histoire avant d’être le directeur des études. Il poursuit sur sa formation à l’école militaire inter-africaine d’Anstirabé à Madagascar. En plus des cours de stratégies militaires et tout ce qui a trait à la formation d’officiers, l’enseignement y est pluridisciplinaire : sociologie, sciences politiques, économie politique, français, connaissance de la culture malgache, "sciences agricoles". Militaires les civils ensemble entreprennent  dans ce pays des changements radicaux et notamment la rupture avec la France. Il effectue une année supplémentaire de service civique et effectue de nombreux séjours en zone rurale au milieu de la population et y découvre une nouvelle fonction de l’armée au service des populations.

    En 1974, lors de la première guerre avec le Mali, son nom commence à circuler après un exploit militaire. A sein de l’armée il entreprend de regrouper les jeunes officiers de sa génération, d’abord pour défendre leur conditions de vie, leur dignité d’officier alors que tout leur manque pour effectuer leur commandement dans de bonnes conditions, parfois jusqu’à l’eau potable. Puis la politique prend le dessus et ils créent avec ses amis une organisation clandestine au sein de l’armée. Dès 1977, il demande au PAI d’organiser une session de formation politique d’une semaine, tout en entretenant des relations étroites avec des militants d’autres organisations. Il lit beaucoup, de tout, questionne, approfondit, prend goût au débat politique. Son charisme joue le rôle de rassembleur. Son réseau s’étend au sein de l’armée plus souvent par la sympathie que dégage le personnage que par conviction politique.

    Sankara, à force de persévérance, obtient la création et le commandement d’une unité de commandos d’élite à Po.

    Un pays en crise

    Après l’indépendance, se succèdent des périodes d’exception et de démocratie parlementaire. Ainsi, la Haute Volta est le seul pays de la région à élire un président, le général Lamizana, au deuxième tour en 1978. Il procède d’une gestion paternaliste et bon enfant de l’armée comme du pays mais doit affronter plusieurs fois une classe politique composée pour l’essentiel de partis issus du RDA  A gauche, seul le parti de l’historien Ki Zerbo participe aux élections, parfois aussi au pouvoir, tout en étant implantés dans les syndicats.

    C’est durant cette période que vont être créées les conditions des évènements qui aboutiront à la révolution : une exacerbation de contradictions, un puissant mouvement populaire et la montée en puissance d’un militaire révolutionnaire charismatique.

    Plusieurs phénomènes vont en effet évoluer en parallèle pour produire une situation explosive.

    Les politiciens se complaisent dans les joutes parlementaires, délaissant les débats sur les moyens de sortir de la pauvreté et se coupent petit à petit des forces vives du pays constituées alors de la petite bourgeoisie urbaine, tandis les campagnes restent sous la coupe des différentes chefferies. L’armée se divise coupée en deux entre une jeune génération montante ambitieuse et des officiers plus âgés moins éduqués. Les officiers supérieurs qui dans un premier temps rétablissent les finances publiques après 1966 et imposent une rigueur dans la gestion, vont finir d’une part par prendre goût au pouvoir se déconsidérer dans les scandales financiers.

    Une crise des finances publiques se développe à la fin des années 70, d’une part du fait de scandales financiers, d’une gabegie de dépense lors de campagne électorale, mais aussi à la suite de mouvement sociaux puissants qui veillent ce que les promesses d’augmentation de salaires soient tenues.

    Cette période est celle aussi d’une intense activité politique extra parlementaire. Le PAI reste clandestin. Mais il profite des périodes de liberté d’expression pour mettre en place en 1973 une organisation autorisée, la LIPAD, Ligue Patriotique pour le développement, qui développe une activité publique : conférences, diffusion d’un organe de presse, animation en direction de la jeunesse dans les quartiers ou durant les vacances scolaires. Par ailleurs de nombreux étudiants ayant été formés dans les débats politiques passionnés de la puissante FEANF, ou s’affrontent les différentes obédiences se réclamant du marxisme léninisme rentrent au pays. Des scissions successives issues du PAI vont créer d’autres mouvements clandestins, notamment l’ULC, l’Union des Luttes Communistes et le PCRV (Parti Communiste révolutionnaire). Les syndicats, traversés par les luttes de tendance, prennent la tête de puissants mouvements revendicatifs ou politiques, comme par exemple pour lutte contre une constitution jugée trop liberticide.

    Un premier coup d’Etat militaire intervient en novembre 1980, avec le soutien d’une majeure partie de l’armée après une succession de grèves. Il reçoit le soutien de l’opposition politique légale en particulier du parti du Ki Zerbo. Mais le nouveau pouvoir, bénéficiant pourtant d’une certaine popularité va rapidement découvrir un visage répressif obligeant des dirigeants syndicaux à entrer dans la clandestinité. Des officiers vont être mêlés à des scandales. Sankara qui a été nommé secrétaire d’Etat à l’Information démissionne en direct à la télévision prononçant cette phrase devenu célèbre : "malheur à ceux qui bâillonnent le peuple".

    Une situation révolutionnaire

    Lorsqu’intervient le coup d’Etat du CSP (Conseil du Salut du Peuple) en 1982, c’est une nouvelle fraction de l’armée qui se trouve déconsidérée mais aussi le parti de Ki Zerbo. Le clivage va rapidement se faire sentir entre ceux qui souhaitent le retour à des anciens politiciens en avançant comme objectif une vie constitutionnelle normale et les officiers révolutionnaires regroupés autour de Sankara qui fustigent l’impérialisme et les ennemis du peuples. Ces deux groupes d’affrontent d’abord politiquement au sein de l’armée et la nomination de Sankara comme premier ministre est une première victoire. Il en profite pour exacerber les contradictions au cours de meetings publics où il exalte la foule et dénonce "les ennemis du peuple" et "l’impérialisme".

    Il est arrêté le 17 mai 1983, alors que Guy Penne conseiller Afrique de Mitterrand atterrit à Ouagadougou. Blaise Compaoré arrive à rejoindre les commandos à Po dont il a pris le commandement en remplacement de Sankara. Les civils entrent en scène, en particulier le PAI qui organisent des manifestations demandant la libération de Sankara et redoublent d’activité, et dans une moindre mesure l’ULC de Valère Somé en voie de reconstitution. Sankara a su se faire respecter non sans mal par des organisations civiles qui se méfient des militaires mais aussi par les militaires qui reconnaissent en lui l’un des leurs, un militaire fier de l’être, et ce bien au-delà de ses proches qui se sont organisés autour de lui depuis plusieurs années. Sankara libéré, toutes ces forces bien organisées restent en contact permanent et préparent la prise du pouvoir.

    Après plusieurs reports, les commandos de Po, dirigé par Blaise Compaoré, montent sur la capitale le 4 août 1983. Les employés des télécommunications coupent les lignes, des civils attendent les soldats pour les guider dans la ville et participent à différentes missions. 

    Un programme simple et ambitieux

    Sankara a longuement préparé son accession au pouvoir. Il s’y est longuement préparé sans jamais oublié son objectif principal : "Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir. Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance. Tel est notre programme politique.[1]"

    Et la tâche est immense, la Haute Volta est alors parmi les pays les plus pauvres du monde[2] : " Le diagnostic à l’évidence, était sombre. La source du mal était politique. Le traitement ne pouvait qu’être politique.", après avoir donné quelques chiffres : "un taux de mortalité infantile estimé à 180 pour mille, une espérance de vie se limitant à 40 ans, un taux d’analphabétisme allant jusqu’à 98 pour cent, si nous concevons l’alphabétisé comme celui qui sait lire, écrire et parler une langue, un médecin pour 50000 habitants, un taux de scolarisation de 16 pour cent, et enfin un produit intérieur brut par tête d’habitant de 53356 francs CFA soit à peine plus de 100 dollars.[3]"

    La théorie et la pratique

    Sankara cache à peine ses influences marxistes mais il va vite comprendre que ceux qui se pressent autour de lui et se réclament du marxisme sont souvent bien loin de partager ses préoccupations de placer comme priorité l’amélioration des conditions de vie de la population.

    Il regroupe autour de lui à la présidence près de 150 collaborateurs qu’il a minutieusement choisis, quelques idéologues mais surtout les meilleurs cadres du pays les plus motivés. Les projets ne vont cesser de fuser tandis qu’il impose en permanence des délais d’étude de faisabilité jugés souvent irréalisables. Sans doute faut-il voir là, l’origine du "pouvoir personnel" dont on l’accuse alors que d’autres reconnaissent la difficulté à argumenter contre lui. C’est qu’il était par ailleurs un bourreau de travail et qu’il préparait avec minutie ses dossiers avec ses collaborateurs.

    Au-delà de ses influences idéologiques qui vont surtout le guider dans l’analyse du mouvement de la société et des rapports de domination au niveau international, la révolution s’entendait pour lui comme l’amélioration des conditions de vie de la population. Au plus fort de la crise politique il déclare à l’encontre de ceux qui prennent prétexte de divergences idéologiques pour comploter contre : "Notre révolution est et doit être en permanence l’action collective des révolutionnaires pour transformer la réalité et améliorer la situation concrète des masses de notre pays. Notre révolution n’aura de valeur que si, en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant nous, nous pouvons dire que les Burkinabè sont, grâce à la révolution, un peu plus heureux, parce qu’ils ont de l’eau saine à boire, parce qu’ils ont une alimentation abondante, suffisante, parce qu’ils ont une santé resplendissante, parce qu’ils ont l’éducation, parce qu’ils ont des logements décents, parce qu’ils sont mieux vêtus, parce qu’ils ont droit aux loisirs ; parce qu’ils ont l’occasion de jouir de plus de liberté, de plus de démocratie, de plus de dignité. Notre révolution n’aura de raison d’être que si elle peut répondre concrètement à ces questions…  La révolution, c’est le bonheur. Sans le bonheur nous ne pouvons pas parler de succès. Notre révolution doit répondre concrètement à toutes ces questions"[4].

    Une rupture profonde, une authentique révolution

    La Révolution s’analyse avec le recul comme une véritable rupture dans tous les domaines : transformation de l’administration, redistribution des richesses, lutte sans merci contre la corruption, action concrète tout autant que symbolique pour la libération de la femme, responsabilisation de la jeunesse, mis à l’écart de la chefferie quand elle n’est pas combattue en tant que responsable de l’arriération des campagnes et de soutien des anciens partis politiques, tentative presque désespérée de faire des paysans un classe sociale soutenant activement la révolution, transformation de l’armée pour la mettre au service du peuple en lui assignant aussi des taches de production, car un "militaire sans formation politique est un assassin en puissance", décentralisation et recherche d’une démocratie directe à travers les CDR, contrôle budgétaire et mise sous contrôle des ministres et la liste n’est pas exhaustive tant l’action engagé a été multiple et diverse.

    Développement auto centré

    Dès le début de la révolution, le CNR lance le Plan Populaire de Développement. Les provinces déterminent leurs objectifs et doivent trouver les moyens nécessaires pour les atteindre, une méthode que Sankara décrit ainsi : "Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il faut s’asseoir et écrire son développement ; il faut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur."[5]

    Au point de vue économique, le CNR va pratiquer l’auto ajustement, les dépenses de fonctionnement diminuent au profit de l’investissement mais aussi la rationalisation des moyens. Mais le prix à payer va être lourd. L’effort Populaire d’Investissement se traduit par des ponctions sur les salaires de 5 à12%, une mesure tempérée cependant par la gratuité des loyers décrétée pendant un an. Une zone industrielle en friche a ainsi par exemple pu être réhabilitée à Ouagadougou.

    Il s’agit de promouvoir le développement autocentré, ne pas dépendre l’aide extérieure : "ces aides alimentaires qui nous bloquent, qui inspirent, qui installent dans nos esprits cette habitude, ces réflexes de mendiant, d’assisté, nous devons les mettre de côté par notre grande production ! Il faut réussir à produire plus, produire plus parce qu’il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés"[6].  

    Les mots d’ordre "produisons, consommons burkinabé" constituent une des traductions majeures de cette politique.

    Ainsi les fonctionnaires sont incités à porter le Faso Dan Fani, l’habit traditionnel, fabriqué à l’aide de bandes de coton tissées de façon artisanale. Une mesure qui a joué un véritable effet d’entraînement, puisque la production du coton a augmenté, mais surtout de très nombreuses femmes se sont mises à tisser dans les cours, leur permettant ainsi d’acquérir un revenu propre les rendant moins dépendantes de leur mari. Les importations de fruits et légumes ont été interdites dans la dernière période pour inciter les commerçants à faire plus d’efforts pour aller chercher la production dans le sud-ouest du Burkina, difficilement accessible plutôt que d’emprunter la route goudronnée allant en Côte d’Ivoire. Des circuits de distribution ont été mis en place grâce à une chaîne nationale de magasins nationale, mais aussi pour atteindre via les CDR les salariés jusque dans leur services.

    Précurseur

    La défense de l’environnement fait aujourd’hui la une de l’actualité. Déjà à cette époque, Sankara avait pointé les responsabilités humaines de l’avancée du désert dans le Sahel. Le CNR lance dès avril 1985, les trois luttes : lutte contre la coupe abusive du bois, accompagnée de campagnes de sensibilisation pour le développement de l’utilisation du gaz pour la cuisine, lutte contre les feux de brousse et lutte contra la divagation des animaux, reprises non sans parfois quelques mesures coercitives par les CDR

    Par ailleurs, partout dans le pays, les paysans se sont mis à construire des retenues d’eau souvent à mains nues pendant que le gouvernement relançait des projets de barrages qui dormaient dans les tiroirs. Sankara interpellait tous les diplomates ou hommes d’Etat leur soumettant inlassablement se projets, pointant les insuffisances de l’aide de La France en la matière alors que les entreprises françaises étaient les principales bénéficiaires des marchés des gros travaux. Il faudrait encore citer les campagnes de popularisation des foyers améliorés économisant la consommation du bois, tandis que le commerce en était régulé, les campagnes de reboisement dans les villages qui devaient prendre en charge l’entretien d’un bosquet sans oublier les plantations d’arbre comme un acte obligé à chaque évènement social ou politique.

    La mondialisation, le système financier international, l’omniprésence du FMI et de la Banque Mondiale, la question de la dette des pays du tiers monde sont aujourd’hui des thèmes de combat au niveau international depuis le développement du mouvement dit altermondialiste. Dans un discours sur la dette[7], Sankara développe une analyse largement reprise aujourd’hui : la dette trouve son origine dans les « propositions alléchantes » des « assassins techniques ». Elle est devenue le moyen de « reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers ». Et il appelle ses pairs à ne pas la rembourser rappelant au passage la dette de sang due après l’envoi des milliers d’africains envoyés combattre l’armée nazie lors de la seconde guerre mondiale. Si le Burkina Faso est effectivement entré en discussion avec le FMI pour obtenir des prêts, la décision a finalement été prise au cours d’une conférence nationale de ne pas signer avec le FMI qui souhaitait imposer ses conditionnalités. Le Burkina s’est alors lancé seul dans la "bataille du rail", la population étant invitée à tour de rôle à venir poser des rails avec les moyens dont disposait le pays. 

    Construire la démocratie

    Lorsqu’on demande à Sankara ce qu’est la démocratie il répond : "La démocratie est le peuple avec toutes ses potentialités et sa force. Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. Au contraire, là où le peuple peut dire chaque jour ce qu’il pense, il existe une véritable démocratie car il faut alors que chaque jour l’on mérite sa confiance. On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel".

    Les CDR créées très rapidement après le 4 août 1983 sont chargés d’exercer le pouvoir du peuple. S’ils ont été à l’origine de nombreuses exactions, et servi de faire de lance contre les syndicats, il n’en reste pas moins qu’ils ont assumé de nombreuses responsabilités bien au-delà de la seule sécurité publique : formation politique, assainissement des quartiers, gestion des problèmes locaux, développement de la production et de la consommation des produits locaux, participation au contrôle budgétaire dans les ministères. Et la liste n’est pas exhaustive. Ils ont même rejeté après débats, plusieurs projets comme celui de "l’école nouvelle" jugée trop radical  Quant à leurs insuffisances, souvent dues aux querelles que se livraient les différentes organisations soutenant la révolution, Sankara était souvent le premier à les dénoncer[8]. 

    Le complot

    Ce président d’un type nouveau dont tout le monde veut bien louer aujourd’hui le patriotisme et l’intégrité, l’engagement personnel et le désintéressement était à l’époque devant gênant. Son exemple menaçait le pouvoir des présidents de la région et plus généralement la place de la présence française en Afrique. Le complot va s’organiser inéluctablement. Le numéro deux du régime, le président actuel du Burkina Faso, Blaise Compaoré[9] va s’en charger avec le soutien probable de la France, de la Côté d’Ivoire et de la Lybie. Ainsi selon François Xavier Verschave : Kadhafi et la Françafrique multipliaient les causes communes. Cimentées par l’antiaméricanisme. Agrémentées d’intérêts bien compris. L’élimination du président burkinabé Thomas Sankara est sans doute le sacrifice fondateur. Foccart et l’entourage de Kadhafi convinrent en 1987 de remplacer un leader trop intègre et indépendant au point d’en être agaçant, par un Blaise Compaoré infiniment mieux disposé à partager leurs desseins. L’Ivoirien Houphouët fut associé au complot"[10]. On connaît la suite, l’alliance qui se fait jour via les réseaux françafricains mêlant des personnalités politiques, des militaires ou des affairistes de Côte d’Ivoire, de France, de Libye et du Burkina Faso, pour soutenir Charles Taylor responsable des effroyables guerres civiles qui se dérouleront au Libéria puis en Sierra Leone. Blaise Compaoré participera encore à des trafics de diamants et d’armes pour contourner l’embargo contre l’UNITA de Jonas Savimbi. Aujourd’hui, après avoir abrité les militaires qui créeront les "forces nouvelles", Blaise Compaoré est présenté comme l’homme de la paix dans la région. Entre temps il est vrai c’est créé une Association Française d’Amitié Franco-Burkinabé, présidée par Guy Penne, dans laquelle on retrouve Michel Roussin, ancien des services secrets, condamnés pour des affaires de la mairie de Paris où il officiait aux côtés de Jacques Chirac et le numéro de Bolloré en Afrique, mais aussi Jacques Godfrain, présenté par Verschave comme un proche de Foccart[11]. Avec Pierre André Wiltzer, lui aussi ancien ministre de la coopération, mais membre de l’UDF, et Charles Josselin, lui aussi ancien ministre de la coopération mais socialiste, et nous avons là la françafrique reconstitué.

    Tout a été fait pourtant pour effacer Thomas Sankara de la mémoire dans son pays. Rien n’y fait. Inéluctablement, Sankara revient, par le son, les images, les écrits. Internet ne fait qu’amplifier le phénomène. Une nouvelle génération est née qui cherche l’information, questionne, apprend, se mobilise très régulièrement aussi depuis l’assassinat de Norbert Zongo toujours impuni. Et qui commence à demander des comptes à ceux qui ont suivi sans état d’âme Blaise Compaoré jusqu’à aujourd’hui, devenu entre temps un fidèle exécutant des thèses libérales et le successeur d’Houphouët Boigny comme le meilleur allié de la France dans la région.

    Cette génération, quelque peu désemparée devant le manque d’alternatives politiques internes, les partis d’opposition n’en finissant pas de se déchirer, souvent d’ailleurs grâce à quelques millions savamment distribués, conserve intact les traditions de lutte de son pays. Et puis une expérience nouvelle se renforce en Amérique Latine. Le Vénézuela multiplie les initiatives en direction de l’Afrique et reprend certains thèmes de la révolution burkinabé mais avec les moyens de son pétrole en plus. L’espoir doit revenir mais il convient auparavant de bien s’imprégner des réalités et des difficultés auxquelles a été confrontée la révolution burkinabé.

    Bruno Jaffré

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    Du même auteur, en octobre 2014 :

    Thomas Sankara, précurseur des luttes d’aujourd’hui

    Sanka_2306.jpgDe l’Islande à l'Amérique latine des Chavez et Maduro (Venezuela), Evo Morales (Bolivie) et José Mujica (Uruguay), en passant par les pays arabes, les révolutions sont à l’ordre du jour, prenant des formes différentes, des contenus différents, évoluant vers des victoires ou des échecs, sans que rien ne soit jamais acquis. Dans d’autres pays, à travers tous les continents, les peuples se mettent en mouvement, s’organisent, résistent et luttent pied à pied. Ce que nous proposons ici, c’est de prendre un peu de recul sur cette actualité et de nous plonger dans les paroles de Thomas Sankara, le leader de la révolution africaine qui a marqué la fin du 20ème siècle, la Révolution démocratique et populaire. Car ce sont les mêmes ennemis qu’affrontait le peuple du Burkina Faso : les multinationales, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et leurs complices locaux.

    La révolution du Burkina est, en réalité, mal connue, si ce n’est à travers la personnalité de Thomas Sankara, très prisée sur le continent africain. Les T-shirts à son effigie ont fait leur apparition, les artistes de toute discipline s’en inspirent, la jeunesse s’en réclame de plus en plus. Internet a bien sûr favorisé ce phénomène, tout en le confinant dans une imagerie superficielle. Il importe de transformer cette popularité, dont on ne saurait se plaindre, en une appropriation progressive plus approfondie de sa pensée et des leçons de son action, de ses échecs et de ses réussites.

    Car, en réalité, Thomas Sankara était un précurseur des luttes d’aujourd’hui. Sur deux thèmes centraux, on peut même dire vitaux de notre époque, la préservation de la planète et la lutte contre la dette illégitime, que l’on veut faire supporter par les peuples.

    Ainsi, le Conseil national de la révolution (CNR) lance, dès avril 1985, trois luttes : lutte contre la coupe abusive du bois, accompagnée de campagnes de sensibilisation pour le développement de l’utilisation du gaz pour la cuisine, lutte contre les feux de brousse et lutte contre la divagation des animaux. Les Comités de défense de la révolution (CDR) se chargent de traduire ses mots d’ordre dans la réalité, non sans parfois quelques mesures coercitives.

    Par ailleurs, partout dans le pays, les paysans se sont mis à construire des retenues d’eau, souvent à mains nues, pendant que le gouvernement relançait des projets de barrages qui dormaient dans les tiroirs. Sankara interpellait tous les diplomates ou hommes d’État, leur soumettant inlassablement ses projets, pointant les insuffisances de l’aide de la France, alors que les entreprises françaises étaient les principales bénéficiaires du marché des gros travaux. Parmi les autres trains de mesures, signalons les campagnes de popularisation des foyers améliorés, économisant la consommation du bois, ou les campagnes de reboisement dans les villages, qui doivent prendre en charge l’entretien d’un bosquet. Par ailleurs, chaque évènement social ou politique devait être accompagné de plantations d’arbres[1].

    La mondialisation, le système financier international, l’omniprésence et les diktats du FMI et de la Banque mondiale, la question de la dette des pays du Tiers Monde sont aujourd’hui aussi au centre des problèmes internationaux et des mobilisations citoyennes, atteignant maintenant les pays européens.

    En précurseur, Sankara développe, dans un discours sur la dette publié plus loin, une analyse largement reprise aujourd’hui. Et il appelle ses pairs à ne pas la rembourser, rappelant au passage la dette de sang due après l’envoi, par dizaines de milliers, d’Africains pour combattre l’armée nazie lors de la Seconde Guerre mondiale. Si le Burkina Faso avait entamé des discussions avec le FMI, il déclinera la conclusion d’un accord. Le Fonds refusa de financer la construction du chemin de fer vers le nord. Le pays s’est alors lancé seul dans la « bataille du rail », avec l’aide de Cuba et les moyens dont disposait le pays, la population étant invitée à tour de rôle à venir poser des rails.

    Thomas Sankara rappelait à qui voulait l’entendre que les premiers objectifs étaient de donner à la population de l’eau potable, une alimentation saine, la santé, l’éducation, des loisirs, des logements décents, etc. Des objectifs pragmatiques, alors que la direction de la révolution se déchire en 1987 sur des querelles idéologiques. On réalisera plus tard, lorsque fut retrouvée l’intervention que devait prononcer Thomas Sankara le jour où il a été assassiné, qu’il s’agissait pour certains de ces idéologues dogmatiques de pouvoir surtout bénéficier de leurs positions aux plus hautes sphères de l’État, pour s’enrichir.

    Au début des années 1980, le Haute-Volta, ancienne colonie française, traverse une grave crise des finances publiques, doublée d’une crise politique. Différents régimes se sont succédé depuis l’indépendance sans remettre en cause le système néocolonial. L’écrasante majorité de la population, en ville comme à la campagne, survit dans la pauvreté. La tâche est immense, la Haute-Volta figure parmi les pays les plus pauvres du monde.

    Sur quelles forces s’appuyer ? Thomas Sankara regroupe par son charisme personnel et sa clairvoyance politique une nouvelle génération de jeunes officiers, aspirant à un changement radical, tout en développant des relations avec des cercles de jeunes intellectuels marxistes. Ceux-ci, anciens étudiants ayant souvent milité au sein de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), contribuent à la création d’organisations clandestines. Les salariés des villes se mobilisent dans les syndicats, où s’aguerrissent les militants de ces organisations susmentionnées, qui en prennent, ici ou là, la direction. Pour le reste, pays rural à 90%, souvent sous l’influence de la chefferie, la population était jusqu’ici spectatrice et plutôt fataliste, après avoir constaté combien les différents pouvoirs qui s’étaient succédé ne s’intéressaient guère à leurs difficultés.

    Sans la participation active de la population, rien n’était donc possible, car le budget de l’État ne permettait que peu d’investissements, et le pouvoir était décidé à ne pas céder aux diktats du FMI et de la Banque mondiale.

    Pour Thomas Sankara, gagner la confiance de son peuple était une des tâches primordiales du début de la révolution, un gage de son succès.

    Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il faut s’asseoir et écrire son développement ; il faut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur[2].

    Cette citation, extraite d’un film, révèle en quelque sorte la pédagogie de Thomas Sankara, une qualité peu soulignée. Or il exprime ici une démarche qui l’a guidé dès la prise du pouvoir. Il l’avait déjà exprimée, en des termes voisins, quelques jours avant qu’il ne prenne le pouvoir[3].

    Et, sur cet aspect comme sur beaucoup d’autres, il fait ce qu’il dit ou en tout cas tente de le faire. Dès les pouvoirs provinciaux mis en place, après une réforme administrative de décentralisation rondement menée, la population est amenée à se réunir et à se fixer des objectifs réalistes en recherchant d’abord ce qu’elle peut elle-même réaliser, en grande partie par ses propres moyens.

    C’est ainsi qu’est conçu l'ambitieux Programme populaire de développement (PPD), dès octobre 1984, dont la réalisation est programmée jusqu'en décembre 1985. L'objectif affiché est d'améliorer les conditions de vie de la population et d'augmenter les infrastructures du pays : barrages, retenues d'eau, magasins populaires, dispensaires, écoles, routes, cinémas, stades de sport, etc.

    Une fois bouclé le PPD, le gouvernement travaille sans attendre à la conception du premier plan quinquennal en s’appuyant sur les enseignements tirés de ce premier plan expérimental. Réalisé entre 70 et 80%, son principal mérite, en dehors de ses nombreuses réalisations, aura été d’inventorier les besoins, de mieux évaluer les coûts, mais aussi la capacité d’autofinancement.

    Les succès de la révolution sont certes dus en partie à la créativité, au charisme, à la vision politique, aux qualités de dirigeant de Sankara, mais aussi à cette démarche, osons le mot, « participative », en réalité les prémices d’une véritable démocratie. Il s’en est suivi de multiples réalisations, en termes de production, de construction d’infrastructures de toute sorte, barrages et retenues d’eau, écoles, dispensaires, etc. Au-delà des preuves qui n’ont pas tardé à être avancées quant à la volonté du pouvoir révolutionnaire de stopper la corruption, à travers notamment les tribunaux populaires, le pouvoir a convaincu par cette démarche et ses premiers succès de son engagement à vouloir améliorer les conditions de vie de la population. On pourrait citer aussi les dégagements de fonctionnaires corrompus ou champions de l’absentéisme, mais ceux-ci ont aussi donné lieu à quelques excès, notamment au plus fort des luttes politiques entre les différentes organisations engagées dans la révolution, ou contre certains opposants.

    Le pays a pu ainsi résolument s’engager dans son auto-développement ou développement autocentré. Les dépenses de fonctionnement diminuent au profit de l’investissement, en même temps qu’une rigueur implacable s’attache à rationnaliser les maigres ressources. L’économie ne doit pas s’appuyer sur les exportations – rajoutons pour payer la dette –, ce que cherche à imposer le FMI et la Banque mondiale et que refuseront les révolutionnaires burkinabè, mais sur l’exploitation des ressources internes. La production agricole va considérablement augmenter, alors que le gouvernement lance des tentatives de réindustrialisation. Il s’agit de produire la valeur ajoutée dans le pays, créer des filières, s’appuyer sur la transformation des matières premières au lieu de les exporter brutes, ce qui passe par la sollicitation, souvent volontariste, du marché intérieur. Tel est le sens du mot d’ordre « produisons, consommons burkinabè ». Les importations de fruits et légumes sont interdites dans la dernière période pour obliger les commerçants à prendre les pistes de villages burkinabè dans le sud-ouest du Burkina, difficilement accessibles, plutôt que d’emprunter la route goudronnée allant en Côte d’Ivoire. Des circuits de distribution ont été mis en place grâce à une chaîne nationale de magasins sur tout le territoire, mais aussi pour atteindre, via les CDR, les salariés jusque dans leurs services.

    L’Effort populaire d’investissement se traduit par des ponctions sur les salaires de 5 à 12%, une mesure tempérée cependant par la gratuité des loyers décrétée pendant un an. Il s’agit de ne pas dépendre de l’aide extérieure car « il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés[4]. » 

    Ce qui ne va pas manquer de créer des contradictions, puisque ce sont les salariés qui sont sollicités en premier. Les fonctionnaires sont incités à porter le faso dan fani, l’habit traditionnel, fabriqué à l’aide de bandes de coton tissées de façon artisanale. Une mesure qui a joué un véritable effet d’entraînement, puisque la production du coton a augmenté. Mais surtout de très nombreuses femmes se mettent à tisser chez elles, accédant ainsi à l’indépendance économique.

    Aux critiques concernant ces retenues sur salaires et autres cotisations, Thomas Sankara répond qu’il est injuste que ceux-ci reçoivent régulièrement un salaire, contrairement aux agriculteurs. Là encore, dans la redistribution des richesses, la révolution est rapidement passée de la parole aux actes. En plus des salariés, les commerçants et quelques entrepreneurs seront dans l’obligation de contribuer au développement du pays.

    Au-delà des questions économiques, la révolution va se traduire comme une véritable rupture dans tous les domaines. Citons, en plus de ce qui a déjà été relevé : transformation de l’administration, lutte sans merci contre la corruption, action concrète tout autant que symbolique pour la libération de la femme, responsabilisation de la jeunesse, ce qui libérera toute son énergie, mise à l’écart de la chefferie, quand elle n’est pas combattue en tant que responsable de l’arriération des campagnes et soutien des anciens partis politiques, tentative presque désespérée de faire des paysans une classe sociale soutenant activement la révolution, transformation de l’armée pour la mettre au service du peuple en lui assignant aussi des tâches de production, car un « militaire sans formation politique est un assassin en puissance », décentralisation et recherche d’une démocratie directe à travers les CDR, contrôle budgétaire et mise sous contrôle des ministres. Et la liste n’est pas exhaustive, tant l’action engagée a été multiple et diversifiée.

    Lorsqu’on demande à Sankara ce qu’est la démocratie il répond :

    La démocratie est le peuple avec toutes ses potentialités et sa force. Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. Au contraire, là où le peuple peut dire chaque jour ce qu’il pense, il existe une véritable démocratie, car il faut alors que chaque jour l’on mérite sa confiance. On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel[5].

    Les CDR sont chargés d’exercer le pouvoir du peuple. S’ils ont été à l’origine d’exactions et servi de fer de lance contre les syndicats, il n’en reste pas moins qu’ils ont assumé de nombreuses tâches, bien au-delà de la seule sécurité publique : formation politique, assainissement des quartiers, gestion des problèmes de voisinage, développement de la production et de la consommation des produits locaux, participation au contrôle budgétaire dans les ministères, etc. Ils ont même rejeté, après débats, plusieurs projets comme celui de « l’école nouvelle » jugée trop radical. Quant à leurs insuffisances, souvent dues aux querelles que se livraient les différentes factions soutenant la révolution, Sankara était souvent le premier à les dénoncer.

    Dernier élément et non des moindres, Thomas Sankara portait haut la voix des opprimés dans les instances internationales, redonnant fierté à son peuple, rappelant sans cesse l’oppression que subissaient les Noirs d’Afrique du Sud et les Palestiniens, avec la complicité des puissances occidentales, dénonçant sans répit l’impérialisme, comme le montre son discours à l’ONU publié en partie ci-après. Il fit campagne pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, un affront que les dirigeants français ne lui pardonneront pas.

    Ce président d’un type nouveau était à l’époque devenu gênant pour les puissances occidentales. Son exemple menaçait les pouvoirs des présidents de la région et plus généralement la présence française en Afrique.

    Le complot va s’organiser inéluctablement. Le numéro deux du régime, le Président actuel du Burkina Faso, Blaise Compaoré, va s’en charger avec le soutien de la France, de la Côte d’Ivoire et de la Libye. On connaît la suite : l’alliance qui se fait jour via les réseaux françafricains mêlant des personnalités politiques, des militaires ou des affairistes de Côte d’Ivoire, de France, de Libye et du Burkina Faso, pour soutenir Charles Taylor, responsable des effroyables guerres civiles qui vont éclater au Libéria puis en Sierra Leone.

    Tout a été tenté pour effacer Thomas Sankara de la mémoire dans son pays. Rien n’y fait. Inéluctablement, Sankara revient, par le son, les images, les écrits. Internet ne fait qu’amplifier le phénomène. Aujourd'hui son rayonnement, de par sa vision de précurseur, notamment sur les questions de l’environnement, le système financier international et la dette, atteint désormais les militants écologistes et anticapitalistes des pays occidentaux.

    Puisse ce modeste recueil d’extraits de discours, douloureusement choisis, permettre de leur donner un rayonnement à la mesure de leur importance.

    Bruno Jaffré, auteur d’ouvrages sur la révolution burkinabè, est un des animateurs du site thomassankara.net et de la campagne « Justice pour Sankara. Justice pour l’Afrique ».


    [1] Nombre de ces mesures semblent issues du rapport « La République Populaire et Démocratique de Haute-Volta n’est pas ‘en voie de développement’ mais ‘en voie de destruction’ », rapport de René Dumont et Charlotte Paquet, PNUD, janvier avril 1984. René Dumont est le précurseur de l’écologie politique et était « persona non grata » en Afrique tropicale francophone, pour ses livres très critiques sur le développement en Afrique.

    [2] Extrait d'une interview dans le film Fratricide au Burkina, Sankara et la Françafrique de Thuy-Tiên Ho et Didier Mauro, production ICTV Solférino, France, 2007.

    [3] Voir l’annexe de Biographie de Thomas Sankara, la patrie ou la mort de Bruno Jaffré, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 333.

    [4] Discours prononcé devant 1ère conférence nationale des CDR le 4 avril 1986.

    [5] Idem.

    Graf Sankara



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  • Les pro-Ouattara contrôlent la capitale ivoirienne

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    Des combattants pro-Ouattara mardi à Duekoue, dans l'ouest du pays.
    Des combattants pro-Ouattara mardi à Duekoue, dans l'ouest du pays. Crédits photo : ZOOM DOSSO/AFP

    Les forces du président reconnu par la communauté internationale sont entrées mercredi à Yamoussoukro. À Abidjan, capitale économique, le camp Gbagbo se prépare à riposter.

    Au troisième jour de leur offensive, les forces d'Alassane Ouattara ont fait une prise de taille mercredi : Yamoussoukro. Les combattants du président élu le 28 novembre et reconnu par la communauté internationale ont pris le contrôle de la capitale administrative ivoirienne dans l'après-midi, après s'être emparés de la ville de Tiébissou.

    «Tout est OK, la gare routière, la gendarmerie», a témoigné un habitant par téléphone, affirmant qu'on ne voit plus dans la ville de Forces de défense et de sécurité, fidèles au président sortant Laurent Gbagbo. D'autres habitants ont fait état de scènes de liesse dans les rues.

    Vers la côte ouest, les forces d'Alassane Ouattara ont également pris mercredi la ville de Soubré, ont indiqué des habitants. Soubré est située à 130 km au nord de San Pedro, le plus important port d'exportation de cacao du monde. Prochain objectif probable des Forces républicaines (le nouveau nom des forces pro-Ouattara): la capitale économique, Abidjan. 


     

    «C'est à Gbagbo de déposer les armes»

    Désormais le camp Ouattara - qui contrôlait déjà la moitié nord du pays, aux mains depuis 2002 de la rébellion des Forces nouvelles - revendique la mainmise sur «trois quarts» du pays. «Il y a les trois quarts du territoire ivoirien qui sont aujourd'hui entre les mains des Forces républicaines, ce sont des forces de libération», a déclaré sur RTL l'ambassadeur de Côte d'Ivoire en France nommé par Ouattara, Ally Coulibaly. «Il n'y aura pas de guerre civile, les choses vont se régler assez rapidement», a-t-il assuré.

    Rien n'est pourtant moins sûr. Dans leur offensive, les forces pro-Ouattara, équipées notamment de mortiers et de lance-roquettes, progressent sur trois fronts vers Abidjan, coeur du régime Gbagbo. Craignant le pire, de nombreux habitants de la capitale économique ont d'ores et déjà commencé à fuir. Car en face, il y a fort à parier que Laurent Gbagbo ne pliera pas sans combattre. Selon un communiqué officiel lu sur la télévision d'État mardi soir, son armée devait d'ailleurs enrôler de nouvelles recrues à partir de mercredi. Plusieurs milliers de jeunes s'étaient déjà inscrits la semaine dernière pour s'engager, à l'appel du camp Gbagbo.

    Mardi, devant l'avancée de Forces républicaines (Duékoué, Daloa, Bondoukou et Abengourou), le camp du président sortant Laurent Gbagbo avait appelé au cessez-le-feu. «Une diversion», a dénoncé mercredi le camp Ouattara. «C'est à Gbagbo de déposer les armes, c'est à Blé Goudé (leader des jeunes patriotes, fervents partisans du président sortant) d'arrêter de manipuler la jeunesse», a déclaré la porte-parole d'Alassane Ouattara.

    Paris pousse une résolution de l'ONU

    Face au risque de guerre civile, la France fait pression en vue d'un vote mercredi ou jeudi sur un projet de résolution de l'ONU demandant le départ de Laurent Gbagbo, ont indiqué des diplomates mercredi. Mais plusieurs pays ont manifesté des réserves sur certains passages du projet de résolution. La Chine, la Russie, le Brésil et l'Inde seraient ainsi opposés à l'étendue des sanctions proposées.

    Le projet de résolution, soumis par la France et le Nigeria au Conseil de sécurité, prévoit des sanctions à l'encontre de Laurent Gbagbo et de quatre personnes de son entourage, y compris sa femme. Il s'agit d'un gel des avoirs financiers et d'une interdiction de voyager. L'Union européenne et les États-Unis ont déjà imposé des sanctions similaires contre Laurent Gbagbo et son entourage. La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) s'est déjà déclarée favorable à ce que l'ONU adopte des sanctions «plus contraignantes» à l'encontre de Laurent Gbagbo.

     

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    Et sur le chemin des Forces "nouvelles" "républicaines", c'est la FÊTE !!! lien 1 - lien 2

    Dernières news 31/03 : les ouattaristes ont pris le port cacaoyer stratégique de San Pedro et approcheraient d'Abidjan. La PRISE D'ABIDJAN que Chirac avait toujours voulu éviter (privilégiant le dégageage politico-diplomatique de Gbagbo), vu le carnage inter-communautaire que ce serait, est à l'agenda de "Lawrence de Libye" Sarkozy !!!


     

    Côte d'Ivoire : l'impérialisme BBR tombe le masque "impartial" et passe ouvertement à l'action


    Ce qu'il se passe en Libye, à Bahreïn (avec l'occupation émirato-saoudienne) et maintenant en Côte d'Ivoire est bien le signe d'un changement d'époque. Jamais l'impérialisme en général, et l'impérialisme BBR en particulier, n'avait auparavant osé se montrer aussi ouvertement dans un camp lors d'une "guerre civile" en Afrique. Même au Rwanda : sans le travail d'enquêteurs sérieux et obstinés comme François-Xavier Verschave et Odile Tobner, jamais le rôle de la France aux côtés des génocidaires interahamwe n'aurait percé au grand jour, l'opération Turquoise s'étant toujours présentée comme "neutre" et "humanitaire"... Pendant la première guerre de Côte d'Ivoire (2002-2005), Chirac avait toujours pris le plus grand soin de présenter l'armée française comme "neutre", "protégeant les ressortissants français" et "évitant un massacre ethnique" (sauf en novembre 2004, mais là, il pouvait invoquer la "légitime défense")... alors que le moindre début d'analyse sérieuse permettait de comprendre que si les Forces "nouvelles" avaient le Burkina de Compaoré et le Libéria de Taylor comme base arrière, c'est qu'elles étaient un bras armé de la Françafrique. 

    Mais aujourd'hui 4 avril 2011, an IV de l'ère Sarkozy, les forces armées BBR "Licorne" sont OUVERTEMENT entrées en guerre... aux côtés des Forces "républicaines" de Ouattara, contre les dernières forces de Laurent Gbagbo. Alors même que la Croix-Rouge vient de mettre en cause les forces de Ouattara dans d'effroyables massacres à l'Ouest du pays. Toute la réalité des évènements en cours depuis 4 mois éclate au grand jour, sauf qu'il est maintenant trop tard (Gbagbo n'en a plus que pour quelques heures et les morts se comptent par milliers) : le soutien de la "communauté internationale" (en fait, de la Françafrique ayant rallié à son panache blanc les Anglo-saxons et l'Afrique anglophone) au FMIste pseudo-"démocratiquement élu" Ouattara (l'affameur du Peuple ivoirien dans les années 90), n'est rien d'autre que l'offensive finale de ladite Françafrique contre le gêneur, le roublard Gbagbo, qui a essayé de jouer la "concurrence libre et non faussée" entre les impérialismes, hier homme de la "vengeance" de Washington contre Chirac (2002-2004), aujourd'hui homme des monopoles "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) à l'assaut de l'Afrique de l'Ouest. Un soutien offert comptant : il n'y a qu'à voir les équipements flambant neufs des Forces "républicaines" et leur offensive fulgurante, maintenant rejointe ouvertement en plein Abidjan par l'ONUCI et la force Licorne ; tandis que Gbagbo est étranglé financièrement depuis plusieurs mois.

    Les contradictions inter-impérialistes et la peur panique de chaque impérialisme pour son "pré carré" s'expriment de plus en plus à visage découvert, une évolution vers la guerre mondiale qui rejoint la montée actuelle du fascisme dans les métropoles, et dont l'offensive en Côte d'Ivoire n'est que la dernière manifestation en date.

    Une offensive dont voici maintenant l'épilogue : 

    Libération

    Côte-d’Ivoire : Paris à l’assaut du camp Gbagbo


    En appui des Casques bleus de l’Onuci, les forces françaises ont bombardé, hier soir, les bastions tenus par les partisans du président sortant à Abidjan. 

    Par THOMAS HOFNUNG

    Photo prise le 2 avril 2011 montrant les troupes françaises patrouillant à Abidjan.

    Photo prise le 2 avril 2011 montrant les troupes françaises patrouillant à Abidjan. (© AFP Sch Blanchet) 

    Peu avant 20 heures, hier soir, l’ONU et la France sont entrés en guerre contre Laurent Gbagbo. C’est l’Elysée qui a annoncé ce tournant majeur dans la crise qui secoue la Côte-d’Ivoire depuis l’élection contestée de novembre. Paris a précisé avoir autorisé la force Licorne à soutenir l’action militaire des Casques bleus, comme le prévoit une résolution votée en 2004. Cette intervention menée conjointement par l’ONU et une ancienne puissance coloniale est sans doute une première depuis la décolonisation.

    Alors que la nuit tombait sur la lagune, les hélicoptères de l’Onuci (la mission des Nations unies en Côte-d’Ivoire), mais aussi français, sont entrés en action, bombardant plusieurs bastions tenus par les partisans du président ivoirien sortant, qui refuse de céder le pouvoir à son rival, Alassane Ouattara, déclaré vainqueur par la communauté internationale. Parmi les objectifs visés : la résidence de Laurent Gbagbo à Cocody ; le palais présidentiel, situé dans le quartier du Plateau ; le camp militaire d’Agban, dans la commune d’Adjamé ; celui d’Akouédo… Dans la soirée, on apprenait que l’armée française avait tiré des missiles sur un dépôt de munitions du camp Gbagbo.

    Tirs. Paris a justifié son action en vertu de la résolution 1975, adoptée la semaine dernière par le Conseil de sécurité, qui interdit les tirs à l’arme lourde dans la capitale économique ivoirienne. L’Onuci «vient d’engager des actions visant à neutraliser les armes lourdes utilisées contre les populations civiles et les personnels des Nations unies à Abidjan», a déclaré l’Elysée. Un peu plus tard, les Nations unies précisaient, de leur côté, avoir demandé l’intervention des forces françaises. Dans une lettre, citée par l’AFP, adressée à Nicolas Sarkozy dimanche, Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, juge «urgent de lancer les opérations militaires nécessaires pour mettre hors d’état de nuire les armes lourdes qui sont utilisées contre les populations civiles et les Casques bleus».

    Depuis plusieurs semaines, les troupes de Gbagbo n’hésitaient pas, en effet, à tirer des obus en pleine ville, notamment dans le quartier d’Abobo, tombé aux mains d’insurgés pro-Ouattara, faisant de nombreuses victimes civiles. Ces derniers jours, le quartier général de l’ONU à Abidjan avait lui aussi été pris pour cible, tandis que des Casques bleus étaient fréquemment attaqués par des éléments pro-Gbagbo. Quatre soldats onusiens ont ainsi été blessés sérieusement le week-end dernier.

    Mais l’Onuci et Paris se sont résolus à lancer leur opération après l’échec des forces pro-Ouattara à s’emparer du pouvoir dans la ville. Après avoir déclenché une offensive éclair à travers le pays, il y a une semaine, les Forces républicaines de Côte-d’Ivoire (FRCI) ont buté, ce week-end, sur la résistance acharnée du dernier carré des fidèles de Gbagbo, solidement armés, et n’ayant plus rien à perdre.

    Un vide politique et sécuritaire s’est alors installé, plongeant Abidjan, mais aussi le reste du pays, dans le chaos. Depuis plusieurs jours, la capitale économique était en proie aux pillages et à la violence. Des centaines de Français disséminés dans la ville ont appelé au secours la force Licorne. Dimanche, l’Elysée avait décidé de regrouper la communauté française - environ 12 000 personnes, dont plus de la moitié sont binationaux - en trois points, sans ordonner leur évacuation.

    A l’intérieur, notamment dans l’ouest du pays, de nombreuses exactions auraient été commises, par des miliciens pro-Gbagbo mais aussi par des partisans de Ouattara. La révélation d’un carnage commis à Duékoué et imputé par des organisations internationales aux forces soutenant le nouveau président risquait de mettre en porte-à-faux ses soutiens diplomatiques. Avec le risque, en cas de multiplication de telles exactions, de rendre le pays ingouvernable et d’initier un cycle de violences incontrôlable.

    Processus. Hier soir, un conseiller de Laurent Gbagbo, Toussaint Alain, a qualifié les raids menés par les forces française et onusienne d’«actes illégaux», évoquant aussi une «tentative d’assassinat» de Laurent Gbagbo. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a assuré que les frappes visaient seulement à protéger les civils. L’intervention d’hier soir apparaît comme l’aboutissement d’un processus lancé au lendemain de la présidentielle. En opposition au Conseil constitutionnel, qui avait donné Gbagbo vainqueur, l’Onuci avait proclamé la victoire de Ouattara. Dès cet instant, les Nations unies ont pris parti. Paris, réticent à s’impliquer militairement, a dû s’y résoudre face au chaos grandissant. 

    La Françafrique, fluide vital de l'impérialisme bleu-blanc-rouge !

    Pour les Peuples d'Afrique, d'Hexagone, du Monde : À bas la Françafrique !

    Résistance populaire ivoirienne & panafricaine à l'impérialisme BBR et ses séides "ivoiriens" génocidaires ! 

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    La chute de Gbagbo

    http://d.yimg.com/i/ng/ne/figaro/20110405/19/3691167314-gbagbo-refuse-de-se-plier-aux-exigences-de-paris-et.jpg?x=310&y=231&q=75&wc=371&hc=277&xc=62&yc=1&sig=K_JlVIpT4BfOmVT8NFFSIw--

    Le "feuilleton" ivoirien touche donc à sa fin. Après une offensive éclair et spectaculaire (avec des équipements flambant neufs qui laissent présumer de grosses livraisons ces derniers mois), les Forces "républicaines" pro-Ouattara se sont emparée d'Abidjan où elles ont trouvé le renfort... des forces "impartiales" de l'ONUCI et de la force impérialiste BBR ("d'interposition") Licorne. Le bilan serait lourd : 2.300 mort-e-s...

    Laurent Gbagbo, élu d'après son Conseil Constitutionnel par 51% des voix et battu, selon ses adversaires, avec 46% (les "battus" en Afrique tournant en général autour de 2% et les "élus" de 98%...), est désormais terré dans un bunker sous sa résidence présidentielle et sous les roquettes françaises. Sa capitulation, d'après Alain Juppé, serait "inéluctable" mais la résistance de ses dernières forces, et son caractère obstiné empêcheraient de dire si c'est une question de jours ou de semaines. D'après Longuet, l'ancien milicien d'extrême-droite et ministre de la Défense, il pourrait encore compter sur un gros millier d'hommes, dont 200 autour de son refuge.

    L'ère Gbagbo s'achève donc ainsi : sous un déluge de feu sans précédent dans ce pays, terré dans un bunker.

    Laurent Gbagbo, on l'a dit et on le redira, est en fait une sorte de "Chavez africain". Chavez se dit "socialiste" ou "social-démocrate" (par opposition à Fidel Castro qui serait "marxiste-léniniste") ; Gbagbo veut son Front "populaire", membre de l'Internationale socialiste et toujours proche de certaines figures de la "gauche" du PS (Emmanuelli, Guy Labertit etc.).

    Et l'un comme l'autre tiennent un discours de "souveraineté nationale" face à la puissance tutélaire de leur pays. Pour contrer l'hégémonie US sur le continent américain, Chavez s'est tourné vers ses concurrents, non seulement le "nouvel Est" russe et chinois, mais aussi les puissances impérialistes européennes. Gbagbo, pour desserrer les griffes de la Françafrique, a ouvert la Côte d'Ivoire aux investissements chinois et russes (la Russie qui critique vertement "l'ingérence" française actuelle), mais s'était aussi tourné vers les États-Unis de Bush (!), à l'époque ou celui-ci voulait "punir la France" pour son attitude sur le dossier irakien... Ce lien s'est cependant rompu et aujourd'hui Obama, beaucoup plus proche de l'allié-concurrent BBR, s'est rallié (et a rallié le pilier de l'Afrique anglophone, le Nigéria) à la croisade anti-Gbagbo.

    La seule différence, finalement, c'est que l'impérialisme bleu-blanc-rouge n'a pas les moyens de financer des "révolutions colorées" de la "société civile" à coup de millions de dollars : il doit armer des milices et, lorsque celles-ci sont insuffisantes, intervenir directement, militairement, de manière "voyante".

    Donc, on l'a dit, c'en est fini. Mais là encore, il y a de grandes leçons à en tirer pour la lutte de libération des Peuples africains.

    La principale leçon des malheurs de Gbagbo, c'est que quoi que l'on veuille faire (le projet de Gbagbo n'avait rien de révolutionnaire...), on ne peut le faire avec les instruments issus et au service de l'état de fait que l'on combat.

    Laurent Gbagbo voulait mener une politique bourgeoise de redistribution sociale, en instituant une "concurrence libre et non faussée" entre les monopoles impérialistes rivaux en Côte d'Ivoire, afin d'obtenir les meilleurs prix pour les produits du travail ivoirien, ou les meilleurs offres pour des travaux publics par exemple.

    Laurent Gbagbo disait combattre la Françafrique, fidèle au programme initial de son parti, le FPI. Mais combattre la Françafrique, non seulement sans jamais remettre en cause le capitalisme (ce qui est déjà impossible), mais encore, en "affirmant" face à elle la "souveraineté" de l'État et des institutions ivoiriennes... En affirmant face aux monopoles BBR, Bouygues et autres Bolloré, que l'État "souverain" ivoirien a le "droit" de passer contrat avec qui il veut. En affirmant face à la Commission électorale "indépendante" de la "communauté internationale", que l'institution habilitée à proclamer le résultat des élections est le Conseil constitutionnel ivoirien. Etc. etc.

    Or voilà : le hic, c'est que l'État ivoirien "offert" par l'impérialisme français à Houphouët-Boigny est une création de la Françafrique, par et pour la domination françafricaine !!! L'État ivoirien, comme tous les États d'Afrique, est un territoire d'outre-mer qui n'a d'indépendant que le nom. Ses institutions "souveraines" sont une farce, une mascarade, une vague décalcomanie des institutions hexagonales. Il n'a pas ce qui fait la colonne vertébrale de l'État : une force armée digne de ce nom. L'armée nationale ivoirienne (FANCI) est une petite brigade d'infanterie sous équipée, sans grands moyens lourds ni blindés, et dont les maigres moyens aériens ont été détruits par les frappes françaises de novembre 2004.

    Il n'a pas, non plus, le nerf de la guerre : la Côte d'Ivoire n'a pas sa propre monnaie (elle partage le franc CFA avec les autres néo-colonies francophones d'Afrique), elle n'a pas sa propre banque centrale (là aussi, partagée avec ses voisins ouest-africains francophones ; et qui elle-même, ne peut prendre aucune décision sans l'aval... de la Banque de France !).

    En réalité, il a été très facile d'asphyxier financièrement Gbagbo (décimant du même coup ses forces armées, son administration etc.) tout en finançant et armant massivement* les anciens rebelles des "Forces nouvelles", rebaptisées "républicaines", qui le moment venu ont mené une véritable guerre éclair sans rencontrer (pratiquement) aucune résistance.

    Gbagbo a voulu aller dans la confrontation avec l'impérialisme de la Françafrique, dans l'esprit d'une confrontation d'État "souverain" à État souverain. Ce qui était suicidaire, perdu d'avance...

    La leçon à retenir, c'est quelque chose qui serait paru une évidence dans les années 60 ou encore 70, mais qui s'est perdu dans le grand reflux de la révolution mondiale, dans les années 1975-2000. La leçon, c'est que pour vaincre l'impérialisme, il faut la Guerre révolutionnaire du Peuple. La Guerre du Peuple qui construit, à mesure qu'elle avance, le NOUVEL ÉTAT, populaire, révolutionnaire, démocratique, anti-impérialiste et préparant le socialisme, en détruisant le vieil État sur son chemin...

    La Révolution implique de détruire l'État de la classe combattue, comme en 1789 les révolutionnaires bourgeois ont complètement restructuré l'État de Louis XV et Louis XVI, des Parlements féodaux etc. ; comme en 1917 les bolchéviks ont détruit l'État tsariste et construit l'État révolutionnaire prolétarien. Ici, en Côte d'Ivoire, l'ennemi est double : ce sont les classes dominantes locales (les oligarques et bureaucrates intermédiaires de l'impérialisme, mais aussi les notables-caciques locaux), et la bourgeoisie impérialiste bleu-blanc-rouge. Il s'agit de détruire un État, mais aussi de mettre un coup de boutoir dans un Empire, de créer (peut-être, mais cela pourrait être ailleurs) le premier territoire libre d'Afrique.

    Cela, seule la Guerre du Peuple le peut. Par ses limites de classe (un bourgeois national), Laurent Gbagbo n'a évidemment pas pu se montrer à la hauteur de la tâche historique ; alors que la société traditionnelle ivoirienne est constamment avalée (et déstructurée) par le capitalisme "mondialisé" et que les condition sont de plus en plus mures pour un révolution de libération. Ouattara, grand bourgeois "coopté" comme au temps des "élites indigènes" coloniales, ex-dirigeant d'une grande institution inter-impérialiste (le FMI) et pour qui les gens votent "parce qu'il est du Nord", est quand à lui le représentant type (comme son allié et ancien rival Bédié, l'homme du Centre) de cette société traditionnelle, ethno-féodale (les Ouattara sont une lignée aristocratique), qui n'en finit pas de disparaître et d'empêcher le bond qualitatif, maintenant l'Afrique dans la domination impérialiste néo-coloniale.

    Là est le clivage principal, pas ailleurs... Cependant, même si Gbagbo n'a jamais été un partisan de l'ivoirité, le concept fasciste de Konan Bédié (aujourd'hui allié du dioula Ouattara !!!), même s'il y a mis fin en 2005 (permettant à Outtara d'être candidat aux dernières élections), il a pu s'appuyer sur le sentiment ivoiriste de beaucoup de ses partisans, les "Patriotes". Encore une erreur : il aurait fallu au contraire viser la plus large unité populaire, et vis-à-vis des 25% d'"étrangers" (des pays voisins) que compte le pays, le plus strict panafricanisme.

    Gbagbo n'a donc pas été à la hauteur de la situation. Aujourd'hui, Gbagbo c'est fini, mais pas la Côte d'Ivoire, car ce sont les masses qui font l'Histoire. Près, ou un peu plus de la moitié des masses populaires ivoirienne ont voté pour lui, et n'accepteront pas facilement qu'il soit éjecté (ou liquidé !) de manière aussi ouvertement impérialiste, par les blindés et les hélicoptères de l'impérialisme français. Ces masses sont les masses travailleuses, les classes populaires d'Abidjan, de la côte Sud ou encore de la Boucle du Cacao, les masses qui de plus en plus rompent avec l'allégeance ethnique pour développer un sentiment de classe, le sentiment d'être des travailleurs africains écrasés par l'impérialisme.

    Déjà, les grands médias impérialistes de l'Hexagone s'inquiètent de comment Ouattara, arrivé au pouvoir sur un char de la force Licorne, va "gérer l'après-Gagbo"...

    Si Gbagbo reste comme un symbole et un signe de ralliement pour ces masses-là, après tout pourquoi pas, du moment que ses conceptions bourgeoises sont rendues inactives et que se développe le plus important : une résistance populaire à ce qu'il faut bien appeler par son nom, l'occupation impérialiste Licorne-ONUCI avec ses tirailleurs FRCI et son homme de paille Ouattara.

    Puisse dans cette résistance populaire se forger l'organisation et l'armée révolutionnaire, qui un jour, dans 10 ou 20 ans ou pourquoi pas moins, feront de la terre d’ÉBURNIE le premier territoire libre d'Afrique !


    frappes_abidjan.jpg Bombardements sur Abidjan

    http://static.lexpress.fr/pictures/169/86612_les-soldats-francais-de-la-force-licorne-patrouillent-a-abidjan-le-1er-avril-2011.jpg

    * Ce que reconnaît tranquillement le très bourgeois "de gôôôche" Nouvel Obs n° 2422 du 7 avril 2011 : "Les voilà (les forces pro-Ouattara NDLR) soudain dotés de véhicules, de mitrailleuses lourdes, de munitions. 'Leurs pick-up sont neufs, leurs canons aussi, tout est neuf', note un expert militaire. Un matériel livré par le Nigéria (= Shell, BP, Exxon NDLR) et le Burkina Faso (Compaoré, pilier de la Françafrique NDLR) selon plusieurs sources. Plutôt que d'intervenir directement, les deux pays les plus hostiles à Gbagbo ont décidé d'aider Ouattara à former un embryon d'armée. Lui envoient-ils aussi des conseillers militaires ? Une chose est sûre, dans cette guerre de l'ombre, le président élu bénéficie d'un soutien tous azimuts. L'ONUCI, chargée de faire respecter un embargo sur les armes qui s'applique à toutes les parties, ferme les yeux sur les convois qui traversent la frontière nord. 'Les services britanniques et français ont dû apporter une aide en terme de renseignement', présume par ailleurs un ancien de l'Elysée.

    À Abidjan, un mystérieux 'commando invisible' commence à harceler les FDS de Gbagbo. Son chef n'est autre qu'Ibrahim Coulibaly, alias IB, un ex-sergent-chef condamné par le tribunal de Paris pour une tentative de coup d'État contre Gbagbo en 2003. Coïncidence ? Son jugement vient d'être annulé en cassation. Comment IB ressurgit-il à la tête de centaines de combattants dans la mégalopole ivoirienne ? 'Ce sont sans doute les Français qui l'ont remis dans le jeu' avance Antoine Glaser, ex directeur de la meilleure revue confidentielle sur l'Afrique, la Lettre du Continent." CQFD...

    Post-scriptum : un tout récent article du Point, l'hebdomadaire de la bonne droite réac bons-pères-de-famille en costard bien repassé, est un MANIFESTE d'impérialisme "décomplexé", à visage découvert... C'est très important. Car même si, on l'a dit, l'intervention en Libye est loin de faire l'unanimité dans la bourgeoisie impérialiste BBR, elle montre néanmoins, avec les récents évènements en Côte d'Ivoire (2.300 morts !), une FUITE EN AVANT de l'impérialisme tricolore. Qui n'est pas sans lien, qui est même totalement parallèle à la montée du fascisme en métropole hexagonale !


    AfricaFistZm

     
     
    Lire encore à ce sujet l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur ce "dossier" ivoirien, sachant de quoi il parle etc.), ici un entretien autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara 

     ***********************************

    Après coup :

    Les massacres « anti-chrétiens » de Ouattara et les médias de l’impérialisme BBR

    Aujourd’hui, les forces impérialistes BBR de l’opération Licorne sont passées à l’offensive finale pour déloger Laurent Gbagbo de son refuge. 

    Dans le même temps, les massacres commis dans l’Ouest par les Forces « républicaines » pro-Ouattara commencent à faire les choux gras dans la presse… y compris la presse à grand tirage de l’impérialisme bleu-blanc-rouge !

    Sur la Toile, les sites pro-Gbagbo comme Résistances, Bis repetita ou encore DirectScoop s’en font l’écho, pour s’en réjouir mais aussi s’en étonner : « comment cela se fait-il ? Les médias de l’impérialisme, de la Françafrique, révèleraient donc les crimes de ses tirailleurs ? » 

    D’autant que de plus en plus, la web-presse fasciste (notamment catholique) s’en fait aussi la caisse de résonance. Les massacres sont présentés comme « des massacres de chrétiens », par les « troupes musulmanes de Ouattara », représentant la « poussée islamiste vers le Golfe de Guinée », avec l’appui du « mondialisme Sarko-US ».

    Absurdité suprême ! Ouattara est musulman, certes… comme bon nombre « d’amis de la France » : Ben Ali, Moubarak, Mohamed VI et autres Saad Hariri. Il n’a rien d’un djihadiste fanatique, agent d’Al-Qaïda… Et les massacres principaux auraient été commis dans l’Ouest du pays par des miliciens Dozo. Les Dozos sont une confrérie de chasseurs-guerriers traditionnels du Nord-ouest ivoirien, qui formaient une sorte de « corps mercenaire d’élite » des royaumes féodaux d’autrefois (Empire du Mali, Samory Touré etc.). Les Peuples de la région ne sont en fait islamisés ou christianisés que très superficiellement : ils restent avant tout de religion traditionnelle communautaire-primitive. En Afrique, la mobilisation réactionnaire de masse se fait sur une base ethnoféodale, quasiment jamais sur une base confessionnelle religieuse. Les victimes de Duékoué ont été massacrées parce que guérés, une ethnie supposément pro-Gbagbo. Le pays guéré fut le théâtre en 1970 d'une insurrection, réprimée dans le sang par Houphouët, mythe fondateur de la gauche anti-néocolonialiste ivoirienne.

    Alors, que signifie ce buzz médiatique visant Ouattara ? Certes, on peut imaginer que le logiciel idéologique de la « base » d’extrême-droite soit perturbé : abreuvés d’islamophobie du matin au soir, voilà cette fois-ci que les « bons » sont dirigés par un musulman, contre un chrétien aux partisans majoritairement chrétiens (comme le sont la majorité des ivoirien-ne-s !). Mais il y a autre chose. En réalité, Gbagbo étant fini (au dernières nouvelles, les forces spéciales BBR l’auraient arrêté !), le 2e round commence.

    Un 2e round, pour le PARTAGE DU BUTIN entre les « alliés » de la coalition anti-Gbagbo : d’un côté le bloc françafricain (impérialisme BBR et ses valets locaux), de l’autres les Anglo-saxons (Anglais, Américains etc.) et leur « pivot » régional, le Nigéria.

    Eh oui ! N’oublions pas que ces deux blocs ont saigné l’Afrique en se livrant une guerre de 15 ans, de 1990 à 2005, et ne sont en « paix armée » que depuis le milieu des années 2000, face au nouveau venu chinois.

    Dans cette nouvelle partie, Ouattara, formé à Philadelphie et ancien sous-directeur du FMI, bon anglophone, pourrait naturellement pencher du côté anglo-saxon, bien qu’il soit aussi un ami personnel de Sarkozy et de toute une brochette de Françafricains.

    Dans tous les cas, c’est un homme hautement éduqué, maîtrisant son sujet sur le plan économique, commercial international, diplomatique. Il n’a pas le profil habituel des satrapes de la Françafrique, soit purs produits de l’éducation française (comme Houphouët), soit soudards, militaires incultes ou obscurs bureaucrates faits rois… Il pourrait se montrer un interlocuteur difficile, voire versatile.

    En réalité, les véritables relais de la Françafrique en Côte d’Ivoire sont :

    1°/ le relais traditionnel de l’aristocratie baoulé, dirigée par le « dauphin » d’Houphouët-Boigny, HENRI Konan Bédié, promoteur de l’ivoirité xénophobe mais rallié depuis 2005 à Ouattara dans le bloc anti-Gbagbo (RHDP) ;

    2°/ les partisans de feu ROBERT Gueï, le putschiste de Noël 1999, sans doute derrière le coup d’État de septembre 2002 où il trouva la mort, fidèle serviteur d’Houphouët-Boigny et de la Françafrique pour qui il organisa l’invasion du Libéria par les hordes de Charles Taylor et Prince Johnson ; ces milices se trouvent dans l’Ouest du pays, autour du pays yacouba de Gueï. Les Yacoubas sont majoritairement animistes christianisés ;

    3°/ le principal pivot de la Françafrique en Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso de Compaoré. Le Burkina est culturellement proche, non pas du pays dioula (mandingue) de Ouattara (proche de la Guinée et du Mali), mais plutôt des populations voltaïques, gour (comme les Sénoufos) du Nord-Est, majoritairement non-musulmanes. La courroie de transmission du « pivot » Compaoré est bien entendu GUILLAUME Soro, sénoufo catholique de la région de Korhogo. Soro, le général en chef des Forces « nouvelles » devenues « républicaines », qui tiennent la moitié Nord et Ouest du pays en coupe réglée depuis fin 2002…

    En réalité, seul le Nord-Ouest de la Côte d'Ivoire est mandingue-dioula, musulman et massivement pro-Ouattara (issu d'une lignée aristocratique dioula, fondatrice de l'Empire de Kong).

    Les choses apparaissent, maintenant, de manière beaucoup plus limpide ! L’impérialisme BBR et ses médias affidés savent bien que, Gbagbo éliminé, la nouvelle partie commence : même si la France aura joué le rôle militaire principal dans la liquidation de « l’homme des BRIC », le partage du butin va maintenant commencer avec les alliés (de circonstance) Anglo-saxons*. Cela apparaissait déjà, dans le Web d’extrême-droite (rappelons-le pour la 100e fois : les porte-paroles de l’impérialisme le plus réactionnaire), lorsqu’il était question d’une intervention de la CEDEAO (= du Nigéria) : la crainte se manifestait qu’une telle intervention (et l'élimination de Gbagbo par ce moyen) profite à 99% aux Anglo-saxons, et notamment que le (fraîchement découvert) pétrole offshore ivoirien ne tombe dans les mains de Shell et BP, les véritables maîtres de l’État nigérian.

    Donc, l’on commence sans perdre de temps à isoler Ouattara dans « l’opinion publique » hexagonale, sur le thème d’un «soldat de l’islamisation de l’Afrique» derrière laquelle, bien entendu, il y a ces foutus Américains, qui « soutiennent l’islamisation partout où ça les arrange », sans aucune considération pour les Européens « aux premières loges »…

    Le moment venu, il sera facile de justifier médiatiquement une élimination militaire de Ouattara par la coalition Soro (Compaoré) – Konan Bédié – milices pro-Gueï… tous chrétiens, et même bons catholiques romains (pas des évangélistes barjos comme Gbagbo et sa Simone) !!!

    Avec la crise générale du capitalisme qui s’aggrave jour après jour, il ne faut se faire aucune illusion : la lutte la plus brutale pour le repartage impérialiste du monde ne fait que commencer, en particulier dans une région comme l’Afrique de l’Ouest où le pétrole commence à être découvert. Cette aggravation des luttes inter-impérialistes est totalement parallèle à la montée du fascisme et on pourrait presque dire, finalement, que scruter la presse fasciste est la meilleure boule de cristal pour deviner les développements à venir...

    Face à cela, affirmer un anti-impérialisme intransigeant (mais pas aveugle) et scientifique, sur le principe intangible LE CAMP DU PEUPLE EST NOTRE CAMP, est plus que jamais indissociable d’un combat antifasciste conséquent, et du combat pour la révolution socialiste en général !

     

    [* On le voit déjà avec les dénégations du porte-parole ouattariste, Ali Coulibaly, sur le rôle de l'armée française dans la capture de Gbagbo : le camp Ouattara ne veut pas être l'obligé de la Françafrique !]


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  • Tandis que l'intervention impérialiste (sous une forme ou une autre), à moins que Gbagbo finisse par se "coucher", se prépare en Côte d'Ivoire, il ne se dresse (malheureusement) face à elle qu'un gouvernement réformiste social-libéral bourgeois, "mis à l'index" de l'Internationale "socialiste" et qui a fini par se lier à l'impérialisme US hier, chinois et russe aujourd'hui... (intéressant de noter, simplement, que la Françafrique n'est plus en mesure de tolérer même cela).

    C'est pourquoi il est important, plus que jamais, d'étudier le PANAFRICANISME REVOLUTIONNAIRE : la théorie la plus avancée produite par la 1ère vague de la Révolution mondiale (1917-1976) en Afrique. Une théorie qui a, clairement, montré ses limites : ses principaux leaders sont morts (généralement assassinés) et aujourd'hui, toute l'Afrique n'est que sous-préfectures néo-coloniales. Une théorie, donc, qu'il faut dépasser ; mais pour la dépasser, il faut encore la connaître !

    Le texte qui suit est de Ludo Martens, longtemps leader et théoricien du PTB. Nous voyons déjà venir les critiques de ceux/celles qui n'ont que ça à se mettre sous la dent : BIEN SÛR, Servir le Peuple est très éloigné (pour ne pas dire à l'opposé) des positions prises par Martens et le PTB depuis sa fondation (1974) - "trois-mondisme" dans les années 1970, puis "tiers-mondisme" international (pro-Chine, pro-Iran, pro-Corée du Nord, pro-Kabila) et social-démocratie "radicale" en Belgique depuis les années 1990.

    Il faut cependant reconnaître une chose à Ludo Martens : il est extrêmement bien documenté sur l'histoire de mouvement communiste international et sur les "classiques" du communisme ; et il est également un grand connaisseur du mouvement révolutionnaire en Afrique.

    Ce texte est d'une grande importance documentaire : pour Servir le Peuple, il serait inadmissible d'en priver le mouvement communiste francophone renaissant, sous prétexte que l'on a notre opinion sur le PTB. 

    Pour des questions de place, le texte n'est pas reproduit en intégralité : le lien est mis vers les parties non reproduites, mais elles ne parlent pas du panafricanisme révolutionnaire.

    Pour construire, il faut étudier ! Pas de Parti révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ! 

    Source 

    Au milieu du XXième siècle est sorti le fameux livre "Panafricanisme ou communisme?" dans lequel Georges Padmore a tracé la perspective d'une Afrique indépendante, basée sur l'entreprise privée, adoptant une orientation sociale-démocrate et hostile au communisme.(1) Aujourd'hui, nous pouvons dire que ce panafricanisme-là a définitivement échoué.

    Lorsque, bientôt, l'Afrique entrera dans le XXIième siècle, seul un panafricanisme basé sur le marxisme-léninisme pourra exprimer une position révolutionnaire, anti-impérialiste et socialiste.

    En 1970, lorsqu'il a abandonné l'idéologie qu'il avait partagée avec Padmore, Nhrumah écrit: "En Afrique, en Asie et en Amérique latine, l'ébullition économique, politique et sociale doit être expliquée dans le contexte de la révolution socialiste mondiale. Car, aujourd'hui, le processus révolutionnaire réunit trois courants: le système socialiste mondial, les mouvements de libération des peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine et les mouvements ouvriers des pays industrialisés capitalistes".(2) C'est en partageant cette vision, que nous, en tant que communistes oeuvrant en Europe, exprimons notre opinion sur le Panafricanisme du siècle à venir.

    Au cours des quatre décennies passées, les trois courants révolutionnaires mondiaux ont subi de graves défaites dont il s'agit de saisir les causes profondes. Les faiblesses et les erreurs des trois courants ont d'ailleurs exercé une influence réciproque.

    Pourquoi, soixante-dix ans après la grande révolution d'Octobre, le socialisme a-t-il été détruit et le capitalisme restauré en Union soviétique ?

    Pourquoi, trente ans après la grande vague révolutionnaire des indépendances, le néocolonialisme fait-il des ravages jamais vus en Afrique?

    1. La recolonisation de l'Afrique

    La vague révolutionnaire qui a soulevé l'Afrique au cours des années soixante s'est essoufflée depuis longtemps et l'Afrique semble retombée dans la nuit néocoloniale. La presse et les milieux gouvernementaux occidentaux discutent ouvertement de la recolonisation de l'Afrique. Comme à l'époque coloniale, la politique financière et économique africaine est décidée à l'étranger, par le FMI et la Banque mondiale. L'armée française est toujours présente en Afrique, au centre, à l'est et à l'ouest. Les États-Unis aussi disposent de plusieurs points d'appui militaires sur le continent. L'impérialisme a réinventé un "droit d'ingérence militaire pour des raisons humanitaire", droit qu'il avait revendiqué au siècle passé. Un livre commandé par l'armée belge et consacré à l'intervention militaire de la Belgique en Somalie, affirme que la première intervention humanitaire belge eut lieu en 1885 au Congo, sous le règne de Léopold II...

    Comment expliquer un échec aussi fracassant ?

    D'abord, le processus de décolonisation a été le résultat de plusieurs facteurs.

     Il y avait le mécontentement profond et la révolte des populations africaines qui a pris parfois la forme de résistances armées.

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, les puissances coloniales, et notamment la France, la Grande Bretagne et la Belgique, furent gravement affaiblies. L'Union soviétique socialiste, qui avait porté l'essentiel de l'effort de la guerre anti-fasciste, voyait son prestige augmenter parmi les forces nationalistes du tiers monde.

    La politique extérieure révolutionnaire de l'Union soviétique, ainsi que l'exemple de la Chine et du Vietnam qui ont réalisé leur révolution nationale et démocratique, ont encouragé les peuples de l'Afrique et de l'Asie à lutter contre les puissances coloniales, pour leur indépendance.

    Les États-Unis étaient favorables à la fin du régime colonial et à son remplacement par le néocolonialisme qui leur permettrait de remplacer ses concurrents belges, français, anglais et portugais.

    Une fraction de la bourgeoisie des pays colonisateurs, souvent liée à la social-démocratie, comprenait la nécessité d'un changement de tactique pour sauver l'essentiel.

    Ces facteurs ont contribué à ce que la plupart des mouvements de libération n'aient pas eu le temps de mûrir politiquement et organisationnellement.

    Au Congo belge, le premier parti politique a été créé en octobre 1958; un an plus tard, la date de l'indépendance était fixée. Sans formation universitaire, pratiquement sans expérience politique, sans la moindre connaissance du marxisme et du chemin parcouru par les révolution socialistes, les "évolués" n'étaient pas armés pour affronter les difficultés politiques qui les attendaient. La domination intellectuelle de l'Église catholique belge au Congo fut telle qu'un homme comme Lumumba n'avait jamais eu la possibilité de lire un seul ouvrage marxiste-léniniste. Lorsqu'en 1960, il devient un nationaliste révolutionnaire, la Belgique ameute tous les réactionnaires noirs pour dénoncer "l'homme du colonialisme communiste et de l'impérialisme marxiste-léniniste" , comme le disait le porte-parole de Mobutu en septembre 1960.(3) L'anticommunisme fut la clé de la domination intellectuelle du colonialisme et du néocolonialisme au Congo.

    Lumumba avait autour de lui une poignée d'éléments nationalistes révolutionnaires qui s'opposaient réellement à la continuation de la domination belge sous d'autres formes. Mais ils n'avaient pas le bagage politique pour s'orienter dans une situation interne tout à fait inédite. Le passage du colonialisme au néocolonialisme a transformé en peu de temps et de fond en comble la situation matérielle et la position sociale de quelques milliers de petits bourgeois. D'un coup, ils devenaient membres d'une nouvelle bourgeoisie bureaucratique et compradore. Ces privilégiés de l'indépendance formelle se sont transformés en une force contre-révolutionnaire, opposée à l'approfondissement de la lutte pour une indépendance politique et économique authentique. Les rares dirigeants qui défendaient cette dernière option - Lumumba, Mpolo, Mbuyi, Elengesa et tant d'autres - furent assassinés ou contraints à l'exil, comme Mulele et Bengila. Le discours nationaliste révolutionnaire de Lumumba fut vite récupéré de façon démagogique par ceux-là mêmes qui l'avaient tué, avant tout par Mobutu. À aucun moment, la bourgeoisie belge, épaulée désormais par les États-Unis, n'a perdu le contrôle ni sur l'économie, ni sur l'appareil d'État, ni sur les organisations politiques congolaises.

    Le lumumbisme, idéologie de la lutte anti-impérialiste et démocratique au Congo, n'est pas sorti des limites de la pensée bourgeoise radicale; aussi ne pouvait-il pas affronter les problèmes du néocolonialisme.

    En fait, l'idéologie de Nkrumah, beaucoup plus sophistiquée et élaborée que celle de Lumumba, n'est pas non plus arrivée à dépasser ces limites, du moins pendant la période où il gouvernait le Ghana.

    Nkrumah a été fortement influencé par Padmore, nationaliste africain proche de la social-démocratie internationale et opposé au marxisme-léninisme. Dans sa propre idéologie, le consciencisme, Nkrumah a voulu appliquer les "vraies valeurs" de la société traditionnelle africaine, de l'islam et du christianisme, c'est-à-dire l'humanisme, l'égalitarisme, le collectivisme, à une société en voie d'industrialisation. L'application de ces concepts idéalistes et petit-bourgeois ne permettait pas à Nkrumah d'appréhender les réalités économiques, politiques et sociales qui l'entouraient. À l'époque, il ne reconnaissait pas l'universalité de la science marxiste-léniniste et, par conséquent, il ne pouvait pas cerner les mécanismes de la formation des classes sociales au Ghana, ni développer une lutte de classes anti-impérialiste et anti-capitaliste conséquente, ni adopter les structures d'un parti d'avant-garde, capable d'affronter l'impérialisme et la bourgeoisie.

    Pendant que Nkrumah parlait d'égalitarisme et de collectivisme, une nouvelle classe bourgeoise se développa à l'intérieur de l'appareil de l'État; elle utilisa cet appareil pour s'enrichir de façon légale et illégale; le népotisme, la fraude et la corruption se développèrent.

    Ces bourgeois contrôlaient aussi la machine du Convention People's Party, parti unique. Parmi eux on trouvait des hommes liés à la vieille aristocratie, des hommes sans scrupule capables de tenir n'importe quel discours pour arriver au pouvoir et amasser des fortunes et des partisans de l'entreprise privée. Certains avaient des liens ouverts avec l'ambassade de l'Allemagne fédérale et à travers elle, avec les Américains et les Britanniques. Nkrumah critiquait la corruption des hauts fonctionnaires de son parti mais, adversaire de l'analyse rigoureuse des classes et des intérêts des classes, il croyait que le discours humaniste et collectiviste pouvait "transformer" tous les hommes.

    Nkrumah était l'homme le plus avancé et le plus radical de sa génération. Mais il n'était pas un marxiste-léniniste. Il était seul, entouré de quelques fidèles dans un parti dont les fonctionnaires étaient fondamentalement hostiles à ses idées. Dès lors le coup d'État contre-révolutionnaire, néocolonial du 24 février 1966 était inévitable.

    Le lumumbisme et le consciencisme étaient les idéologies les plus avancées de la petite-bourgeoisie africaine révolutionnaire et anti-impérialiste. Ces courants politiques marquaient une étape nécessaire dans le mûrissement idéologique des peuples africains.

    Entre 1944 et 1956, deux courants principaux du processus révolutionnaire se sont développés avec force. Le premier, celui de la construction du socialisme en Union soviétique, puis en Chine populaire, réalisa une alternative au monde capitaliste. Le second, la lutte révolutionnaire anti-coloniale et anti-impérialiste, attaqua la base des super-profits que le capitalisme occidental empocha dans le tiers monde. Ce second courant porta ainsi des coups mortels à la grande bourgeoisie occidentale.

    Le passage d'une révolution démocratique (révolution bourgeoise, révolution nationale et anti-coloniale) à la phase d'une révolution socialiste, la transformation d'une révolution nationale et démocratique en révolution socialiste, est une question capitale. C'est aussi un processus révolutionnaire très compliqué.

    La révolution anti-coloniale des années cinquante et soixante en Afrique avait deux options stratégiques. Elle pouvait être dirigée par une coalition entre la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie nationales et dans ce cas la rupture avec le système capitaliste mondial ne serait pas radicale. À terme, la bourgeoisie africaine devait alors se réconcilier avec la grande bourgeoisie internationale et réintégrer le marché capitaliste mondial.

    L'autre voie consistait à lutter pour une indépendance totale et pour le socialisme, deux aspects inséparables. La révolution anti-coloniale devait affronter frontalement la grande bourgeoisie occidentale et rompre avec elle dans le domaine politique, militaire, économique et culturel. Dans ce combat, la révolution africaine devait s'allier au socialisme mondial, le principal adversaire de la bourgeoisie occidentale dominant l'Afrique. Pour mener ce combat, la révolution africaine devait s'armer en conséquence. Il fallait passer de l'idéologie révolutionnaire nationaliste à l'idéologie socialiste, du lumumbisme et du consciencisme au marxisme-léninisme.

    Grâce à cette transformation, l'Afrique pouvait tirer profit de certaines expériences fondamentales qui correspondaient assez bien à ses propres conditions. En effet, le passage direct d'une société féodale et dominée à une société socialiste avait déjà été réalisé dans les Républiques asiatiques de l'URSS ainsi qu'en Chine, en Corée et au Vietnam.

    Le passage de l'idéologie nationaliste à l'idéologie marxiste-léniniste s'imposait à tous les révolutionnaires africains, partisans de l'indépendance total. Ainsi, au Congo-Kinshasa, Pierre Mulele, suite à l'assassinat de Lumumba et à la trahison de la plupart des lumumbistes, fit le bilan du nationalisme congolais. Mulele, tout en gardant les aspects révolutionnaires du lumumbisme, assimila le marxisme-léninisme qu'il appliqua à la réalité spécifique de la révolution congolaise. L'insurrection populaire qu'il dirigea entre 1963 et 1968 a atteint un niveau politique et organisationel de loin supérieur au stade lumumbiste. Osende Afana et beaucoup d'autres combattants de l'indépendance africaine ont pris la même option. Cette voie révolutionnaire aurait pu s'imposer en Afrique et en Asie au cours des années soixante, et ainsi contribuer à sceller définitivement le sort à l'impérialisme. Mais c'est ici que se situe la grande trahison de Khrouchtchev.

    Après son coup d'Etat de 1956, Khrouchtchev changea complètement l'orientation idéologique et politique de l'URSS, révisant tous les principes fondamentaux du marxisme-léninisme. Cette trahison a complètement désorienté les jeunes forces révolutionnaires africaines qui cherchaient encore leur voie. Du temps de Staline, le Parti bolchevik les aidait à réaliser le passage de l'idéologie nationaliste au socialisme scientifique. Krouchtchev et Brejnev, sous un verbiage pseudo-marxiste, les ont repoussés dans l'idéologie petite-bourgeoise.

    Krouchtchev et Brejnev ont nié la nécessité, pour la révolution africaine, de rompre radicalement et totalement avec l'impérialisme. Ils se sont opposés à un travail d'organisation et de conscientisation à long terme au sein des masses ouvrières et paysannes. Ils ont nié la nécessité d'une dictature des ouvriers et des paysans pour mater les forces du néo-colonialisme. Ils n'ont jamais évoqué les luttes de classes complexes qu'il faut mener pour passer du pouvoir ouvrier et paysan à la société socialiste. Ils ont nié la nécessité d'une lutte populaire prolongée contre la bourgeoisie renaissante et contre les intrigues et complots impérialistes.

    Khrouchtchev et Brejnev ont rejeté la thèse que seul un parti marxiste-léniniste peut diriger l'ensemble du processus révolutionnaire aboutissant à l'indépendance et au socialisme. Ils ont rayé l'idée essentielle de Lénine et Staline que le Parti doit mener une lutte incessante contre l'opportunisme, le bureaucratisme, le technocratisme, le carriérisme, le népotisme et le profitariat.

    Ainsi, dans une période cruciale de l'histoire africaine, Krouchtchev et Brejnev ont aidé à désarmer les jeunes forces révolutionnaires au profit de la bourgeoisie.

    Il est donc nécessaire d'examiner les raisons de la dégénérescence de l'Union soviétique, qui a eu des répercussions sur l'ensemble de la situation internationale et notamment sur les révolutions africaines.

    2. La restauration du capitalisme en Union Soviétique

    3. Les leçons de l'expérience historique de l'Union soviétique 

    4. La nature du panafricanisme

    En Afrique, il y a nécessairement autant de mouvements panafricanistes différents qu'il y a de classes sociales. Au delà des frontières africaines, les courants politiques identiques se soutiennent mutuellement, créant un panafricanisme à contenu de classe déterminé.

    Il y a eu tout d'abord le panafricanisme réactionnaire d'inspiration coloniale.

    Au Congo belge, l'Église catholique a été la première force à préparer la période post-coloniale en formant un personnel politique réactionnaire et pro-impérialiste. L'Église catholique, épaulée par les puissances coloniales, a créé aussi des cadres où des Africains réactionnaires des différents colonies se rencontraient et unifiaient leur pensée politique. Joseph Iléo et monseigneur Malula, deux figures de proue des milieux catholiques, ont joué un rôle déterminant dans le renversement du gouvernement Lumumba.

    L'abbé Fulbert Youlou, le président du Congo-Brazzaville, a été un représentant typique de ce panafricanisme réactionnaire.

    Il commence par parler de la grandeur et de la tradition africaine. "Les civilisations du Bénin et du Nigeria témoignent d'un Moyen Age honorable". "Il est temps que les Africains pensent eux-mêmes leur politique". "L'heure des grands ensembles est aussi l'heure de l'Afrique à son éveil". Les vrais nationalistes doivent s'allier aux "représentants traditionnels de l'Afrique". (16)

    Qui est l'ennemi principal du panafricaniste réactionnaire Fulbert Youlou ?

    "Le péril qui menace l'Afrique aujourd'hui est teinté du jaune communiste de Pékin". "C'est la race noire tout entière qui est menacée d'extermination sous l'occupation massive des vagues chinoises". "L'idéologie mondiale communiste qui a diaboliquement poussé l'Homme d'Occident à douter de la valeur de sa civilisation chrétienne, est la cause essentielle du drame africain." (17) Et Fulbert Youlou de dénoncer tous les "collaborateurs" communistes: "Nkrumah, le complice africain de Mao". "Entre Boumedienne et les Chinois, il y a un pacte de sang". "En Tanzanie, c'est un obscur correspondant de presse de l'agence Chine Nouvelle, Babu, qui déclenche l'insurrection. Au Kenya, c'est M. Odinga Oginga, amateur de tourisme russo-chinois".(18)

    Quelle est la voie à suivre pour l'Afrique ?

    Il faut "une grande stratégie de tous les États du continent noir", à mettre en oeuvre avec Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, Tombalbaye du Tchad, Banda du Malawi, Yaméogo de la Haute-Volta, Diori Hamani du Nigeria, Dacko de la République centrafricaine, le roi Mwabusta IV du Burundi et avec Tshombe et Mobutu au Congo-Kinshasa.(19) "L'unité africaine n'est réalisable que dans l'adhésion du continent noir au bloc occidental". "Je me bats pour que le Marché commun soit étendu à tout le continent africain" . Il faut "associer la défense de l'Afrique à celle du Monde libre" en élargissant "la zone couverte par l'OTAN". "La non-intervention est un encouragement à la destruction de la liberté dans le monde".(20)

    Ce qui frappe le plus dans les propos extravagants de Fulbert Youlou, c'est qu'aujourd'hui, l'effondrement du socialisme et l'échec du mouvement nationaliste africain ont créé les conditions de leur réalisation...

    Toute forme de panafricanisme trouve au niveau mondial des alliés qui partagent ses intérêts de classe.

    Les idées de Fulbert Youlou se retrouvent presque mot par mot dans le livre du major Siegfried Müller, nazi allemand, décoré par Hitler, chefs des mercenaires engagés en 1964-1965 contre la révolution muléliste au Congo. Il écrit: "Le monde libre doit choisir en Afrique les Africains qui ne font pas semblant d'imiter nos théories progressistes et miser avec tous nos atouts sur les Africains fidèles à leurs traditions, leurs coutumes, leurs chefs. Voilà le sens que le mercenaire Müller donne à son engagement aux côtés de l'Armée Nationale Congolaise qui, par la valeur de ses chefs et l'idéal africain du gouvernement et de l'homme qu'elle sert, représente pour la subversion rouge en Afrique le plus solide barrage". "Patrice Lumumba voulait congoliser le Congo avec ses idées volées à l'Occident, contre tous les chefs naturels, toutes les tribus, les clans, les traditions qui sont l'Afrique réelle". "Politiquement, l'Afrique peut, en s'associant au Marché commun, faire son avenir". (21)

    Il y a ensuite le panafricanisme de la petite bourgeoisie, rêvant d'une Afrique politiquement indépendante et unie mais refusant de rompre avec le marché capitaliste mondial et donc avec l'impérialisme.

    Le panafricanisme petit-bourgeois a trouvé ses principaux idéologues en Du Bois, Padmore, Nkrumah et Sékou Touré. Il a un caractère révolutionnaire dans la mesure où il vise à briser les chaînes coloniales et à mettre fin à la domination politique directe de l'Occident sur les pays Africains. Mais les idéologues de la petite bourgeoisie ne sont jamais révolutionnaires jusqu'au bout, ils ne s'attaquent pas aux racines économiques de la domination impérialiste.

    Après la réalisation de l'indépendance africaine, Du Bois prévoyait "une coopération plus étendue avec les dirigeants blancs du monde". (22) Sa formule "l'autodétermination nationale, la liberté individuelle et le socialisme démocratique" correspondait exactement au programme de la social-démocratie, c'est-à-dire à l'aile réformatrice de la grande bourgeoisie européenne. (23)

    Padmore estimait que les "anticolonialistes britanniques" qui suivaient "une politique conséquente" se trouvaient dans le Parti travailliste.(24) Nationaliste petit-bourgeois, Padmore ne voulait rompre ni avec l'impérialisme, ni avec le capitalisme. S'adressant aux États-Unis, Padmore écrit en 1955: "Je puis offrir une garantie contre le communisme. Cette garantie... rendra à jamais cher aux Africains le peuple de la grande république nord-américaine... Les hommes d'État américains n'ont qu'à faire un geste hardi en faveur des Africains... Ce geste doit revêtir la forme d'un programme d'Aide Marshall pour l'Afrique... Quelle belle façon de réparer les torts jadis infligés aux Africains." Puis Padmore juge positif le "Rapport de la Commission Royale relatif à l'Afrique orientale", mais, dit-il, "même les meilleurs plans économiques et sociaux n'aboutiront pas ... sans la bienveillance et la coopération des Africains". "L'assurance, la confiance et le respect mutuel une fois établis entre les leaders africains et leurs conseillers européens, rien n'empêchera le rapide progrès économique et social de l'Afrique". Puis Padmore développe un programme axé sur "les secteurs à l'initiative privée" . Il conclu sur un credo typiquement petit-bourgeois: "Le panafricanisme offre une alternative idéologique par rapport au communisme... Le panafricanisme porte son regard au-dessus des étroits intérêts de classe et de race... il veut une égalité d'occasion pour tous." (25)

    Pendant longtemps, Sékou Touré a maintenu un discours nationaliste, populiste et révolutionnaire qui avait très peu de rapport avec la réalité sociale et économique changeante de la Guinée. Dès le début des années soixante, la corruption se développa parmi les fonctionnaires et quelques purges spectaculaires ne l'ont nullement freiné. En avril 1962, un nouveau code des investissements offrait d'amples avantages et privilèges au capital étranger auquel des hauts fonctionnaires se sont liés à travers des sociétés mixtes. En 1963, le commerce privé fut réhabilité et les mines de diamant dénationalisées, ce qui offrit de nouvelles possibilités d'enrichissement aux fonctionnaires et aux commerçants, les seuls à posséder les capitaux nécessaires. (26) En novembre 1962, Sékou Touré s'était réconcilié avec le "panafricaniste réactionnaire" Houphouët-Boigny qui s'écria lors de sa visite à Conakry: "Hommage à mon frère Sékou Touré, artisan déterminé de l'Unité africaine; nous faisons le serment que nous ne nous séparerons jamais; nous oeuvrons tous pour une Afrique unie, prospère et fraternelle". Un an plus tard, en mars 1963, Sékou Touré déclarait: "Nous n'avons pas dit 'Non' à la France ni à De Gaulle. Au contraire, nous voulions sitôt notre indépendance acquise et garantie, signer des accords d'association prévus par la Constitution Française".(27)

    De nos jours, l'internationalisation de plus en plus poussée de l'économie capitaliste tend à égaliser les conditions d'exploitation économique sur l'ensemble du continent. Sous l'impulsion du capital financier international s'est développé un "panafricanisme de la grande bourgeoisie".

    La Charte de l'OUA de 1963 fixe comme un objectif majeur la coordination de la politique dans le domaine de l'économie, des transports et des communications. Dans l'Acte final de Lagos en 1980, cet objectif est formulé ainsi: "un marché commun africain, prélude à une Communauté économique africaine" afin "d'assurer l'intégration économique, culturelle et sociale de notre continent" .(28) Mais cette "intégration africaine" se fait dans des conditions où l'Occident exerce un contrôle croissant sur la vie économique et financière de l'ensemble du continent! Nous ne sommes pas loin de la définition de l'"Euroafrique", chère aux colonialistes des années 50, ni de l'association de l'Afrique au Marché commun européen, prônée par des réactionnaires comme Fulbert Youlou et Houphouët-Boigny en 1960.

    Comme cela devait se produire nécessairement, le discours nationaliste radical tenu par la petite bourgeoisie au cours des années soixante a été balayé par le développement inhérent au capitalisme. La nécessité de disposer de marchés plus vastes est devenue le moteur du panafricanisme de la bourgeoisie africaine. Ainsi, le panafricanisme de la grande bourgsoie africaine n'est qu'une facette du mondialisme du capital. Les multinationales sont la force dirigeante du panafricanisme bourgeois. Ainsi, les dernières venues des puissances néocoloniales en Afrique, l'Allemagne et le Japon, qui doivent supplanter la concurrence anglo-américaine et française, présentent des projets "panafricains", des travaux d'infrastructure pouvant lier la Méditerranée au Cap et l'Afrique de l'Ouest à la côte est. Dans leurs revues, pour "vendre" ces projets, ils publient même des articles sur les travaux de Cheikh Anta Diop...

    La bourgeoisie du Nigeria, en poussant à la création de la CEDEAO, espérait rafler les marchés de ses quinze concurrents africains plus faibles. Mais finalement, ce n'est pas la bourgeoisie du Nigéria qui profitera du panafricanisme du marché, mais bien les puissances impérialistes qui se livrent une concurrence de plus en plus acharnée pour tous les marchés du monde.

    À l'approche du vingt-et-unième siècle, le seul panafricanisme révolutionnaire est le panafricanisme du prolétariat africain, comme Elenga Mbuyinga le faisait déjà remarquer en 1975.

    Pendant la vague révolutionnaire des années soixante, ce panafricanisme révolutionnaire s'est manifesté dans l'oeuvre et dans la pratique de Mulele au Congo, d'Osende Afana au Cameroun, d'Amilcar Cabral en Guinée-Bissau et dans les derniers ouvrages de Nkrumah.
    http://mondomix.com/blogs/media/image/Am%C3%ADlcar_Cabral(1).png

    Leur panafricanisme était une concrétisation, sur le terrain africain, de l'internationalisme prolétarien, de l'unité de pensée et d'action du prolétariat mondial, représenté par le mouvement communiste international.

    Ces révolutionnaires africains ont développé leur idéologie en étudiant le marxisme-léninisme, entre autres à travers les expériences de la révolution chinoise et cubaine. Pierre Mulele a suivi une formation politique et militaire en Chine, avant de déclencher, en août 1963, la grande insurrection populaire au Congo. Son compagnon Léonard Mitudidi a fait venir Che Guevara aux maquis du Congo. Mais à l'arrivée de Guevara au front de l'Est, Mitudidi était déjà mort. Le plan de Guevara pour rejoindre le maquis de Mulele au Kwilu n'a pu se réaliser à cause de l'opposition des opportunistes congolais comme de l'OUA.

    Une autre caractéristique de ce panafricanisme est qu'il a été forgé à travers une pratique commune basée sur la mobilisation politique des masses ouvrières et paysannes et sur la lutte armée. Au début des années soixante, des cadres révolutionnaires du Congo-Brazza, du MPLA, de l'UPC camerounais et du mouvement muléliste se sont entraidés pour la formation militaire et politique dans des camps au Congo-Brazza. C'est en s'appuyant entre autres sur leur expérience que Nkrumah a pu écrire en 1970: "Le Parti n'arrivera pas à ses fins sans utiliser toutes les formes de la lutte politique, y compris la lutte armée. Si la lutte armée doit être engagée de façon efficace, elle doit être centralisée" .(29)

    5. Nationalisme et internationalisme

    Le panafricanisme petit-bourgeois était essentiellement un nationalisme ; le panafricanisme révolutionnaire est internationaliste.

    Les rapports entre nationalisme et internationalisme constituent un domaine très complexe de la théorie marxiste-léniniste. Ils sont d'un intérêt particulier pour l'Afrique, le continent qui a connu l'oppression nationale la plus longue et la plus cruelle.

    L'impérialisme a créé un marché mondial, un système mondial de production, d'échanges et de communications. Toute production d'une certaine envergure, peu importe où elle se réalise, s'insère dans ce marché mondial. La grande bourgeoisie est une classe internationaliste soudée par le marché mondial et par la volonté commune de protéger partout au monde les conditions de "l'entreprise libre" contre la révolution socialiste.

    Tout en étant internationaliste dans sa conception du monde et dans ses activités économiques, la bourgeoisie de tous les pays soutient le nationalisme bourgeois pour diviser et abrutir les ouvriers et les entraîner derrière ses propres intérêts de classe. Nous assistons à ce phénomène apparemment paradoxal: à mesure que progresse l'internationalisation du capital, nous voyons partout monter des mouvements "nationalistes" extrêmes, de type fasciste: du "nationalisme" prôné par Le Pen en France et du "nationalisme" croate jusqu'au fondamentalisme islamiste, au fondamentalisme hindou et au tribalisme à la Buthelesi...

    L'internationalisation du capital se produit au milieu d'une crise généralisée de surproduction; les mouvements nationalistes de droite permettent à la bourgeoisie de contrôler et de dominer les masses, sans que cela entrave la liberté du capital et son internationalisation.

    Seule la classe ouvrière s'oppose diamétralement à l'internationalisme bourgeois, dans la mesure où elle prend conscience de ses intérêts de classe historiques. Les ouvriers du monde entier se trouvent fondamentalement dans une position commune par rapport aux moyens de production et à la classe capitaliste qui les possède. Seule le socialisme scientifique, idéologie révolutionnaire commune à tous les ouvriers, peut constituer une alternative de classe à l'exploitation capitaliste. Un aspect en est l'internationalisme prolétarien, la solidarité internationale des ouvriers et des travailleurs contre leurs ennemis communs.

    Tout en étant internationaliste dans sa conception du monde, le prolétariat soutient toutes les luttes nationales contre l'oppression et la domination impérialiste.

    Les pays africains ont cinq siècles d'humiliations, de discriminations et d'oppressions nationales derrière eux. Les progressistes et révolutionnaires du monde entier avaient comme devoir de soutenir les peuples africains dans leur lutte nationale contre toutes ces humiliations, discriminations et oppressions. Aucun prétexte ne pouvait être invoqué pour ne pas soutenir la lutte nationale contre la domination esclavagiste, coloniale et néocoloniale.

    Mais c'est là une tâche essentiellement négative. Le prolétariat soutient toute lutte nationale contre la domination impérialiste, mais il ne soutient pas "positivement" le nationalisme. Le nationalisme est toujours l'idéologie par laquelle la bourgeoisie et la réaction nationale essayent de subordonner les travailleurs à leurs propres intérêts cupides. Après avoir tué Lumumba et les lumumbistes, Mobutu reprit un grand nombre de leurs positions sous une forme démagogique, il créa son propre "nationalisme congolais" pour subordonner les masses aux intérêts de la bourgeoisie bureaucratique et pro-impérialiste. Ce n'était plus un nationalisme "négatif" dressant les masses congolaises contre l'oppresseur belgo-américain, mais un nationalisme "positif" unissant les masses à la grande bourgeoisie congolaise, agissant comme intermédiaire aux intérêts impérialistes.

    Lénine a déclaré avec une grande perspicacité: "Le marxiste reconnaît pleinement la légitimité historique des mouvements nationaux. Mais pour que cette reconnaissance ne tourne pas à l'apologie du nationalisme, elle doit se borner très strictement à ce que qu'il y a de progressiste dans ces mouvements, afin que cette reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience socialiste par l'idéologie bourgeoise". "Le nationalisme bourgeois militant abêtit, décervelle, désunit les ouvriers pour les placer sous la houlette de la bourgeoisie". "Le nationalisme bourgeois et l'internationalisme prolétarien sont deux mots d'ordre irréductiblement opposés qui correspondent aux deux grands camps de classe du monde capitaliste". (30)

    Appliquant ces concepts de Lénine à l'Afrique, Amilcar Cabral a déclaré: "Le cas néocolonial ne se résout pas par une solution nationaliste; il exige la destruction de la structure capitaliste implantée par l'impérialisme dans le territoire national et postule justement une solution socialiste". (31)

    À la question du nationalisme est lié celle de la culture nationale.

    Amilcar Cabral a fait remarquer que la culture africaine a constitué "le seul rempart susceptible de préserver l'identité (du peuple dominé)" . Ceci vaut "non seulement pour les masses populaires, mais aussi pour les classes dominantes autochtones - chefs traditionnels, familles nobles, hiérarchie religieuse". Tout cela a facilité "le développement du mouvement de libération". (32) Cabral envisage donc la culture africaine sous l'angle de son importance pour le combat contre la domination coloniale. Et c'est précisément sous cet angle qu'il distingue les éléments positifs et négatifs dans la culture africaine. "Seule la lutte révèle comment et combien la culture est, pour les masses populaires, une source inépuisable de courage, d'énergie physique et psychique, mais aussi, par certains aspects, d'obstacles et de difficultés, de conceptions erronées de la réalité, de déviations dans l'accomplissement du devoir." (33)

    Après la victoire sur le colonialisme, la question de la culture se pose d'une façon nouvelle. Les chefs traditionnels, familles nobles, chefs religieux et nouveaux bourgeois essaient d'imposer leur culture, qui exprime leurs intérêts de classe, comme la "culture nationale".

    À ce propos, Lénine a exprimé la conception commune à tous les révolutionnaires du monde. "Chaque culture nationale comporte des éléments, même non développés, d'une culture démocratique et socialiste, car dans chaque nation, il existe une masse laborieuse et exploitée, dont les conditions de vie engendrent forcément une idéologie démocratique et socialiste. Mais dans chaque nation, il existe également une culture bourgeoise (et qui est aussi, la plupart du temps, ultra-réactionnaire et cléricale), pas seulement à l'état d'éléments, mais sous forme de culture dominante. Aussi, d'une façon générale, la "culture nationale" est celle des grands propriétaires fonciers, du clergé, de la bourgeoisie." "Le mot d'ordre de la culture nationale est une duperie bourgeoise. Notre mot d'ordre à nous, c'est la culture internationale du démocratisme et du mouvement ouvrier mondial". "Nous empruntons à chaque culture nationale uniquement ses éléments démocratiques et socialistes." (34)

    Certains milieux panafricains défendent la thèse que "les Africains noirs et les Noirs de l'Asie, de l'Océanie, des Caraïbes, de l'Afrique du Sud et des États-Unis partagent une âme culturelle commune ".(35) Cette idée va à l'encontre du marxisme et aide les Mobutu, les Eyadema et les Tonton Macoutes à mystifier et opprimer leur peuple au nom de l'authenticité et de "l'âme noire commune".

    6. Leçons de l'échec africain

    Nous pouvons maintenant formuler quelques leçons supplémentaires de l'échec du nationalisme africain et du panafricanisme du début des années soixante, des leçons qui sont abordées dans l'oeuvre de Mulele, d'Osende Afana, d'Amilcar Cabral et de Nkrumah.

    D'abord: "Pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire".

    Ce critère fondamental se trouve dans l'ouvrage "Que Faire?" de Lénine qui élabore cette thèse en ces termes: "l'indifférence à l'égard de toute théorie, est une des causes principales du peu de progrès du mouvement ouvrier, du trouble et de la confusion". "Le socialisme, depuis qu'il est devenu une science, veut être traité, c'est-à-dire étudié comme une science".(36) Ainsi, Lénine demande aux cadres supérieurs de tout mouvement révolutionnaire d'étudier la science marxiste avec la même application qu'il faut pour maîtriser les sciences physiques ou médicales.

    Lorsqu'il était au pouvoir, sous l'influence de la social-démocratie, Nhrumah ne s'est jamais fixé la tâche d'étudier consciemment la science de la révolution, la doctrine de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong. Ce n'est qu'après le coup d'État qui le renversa, qu'il s'est orienté vers l'étude systématique du socialisme scientifique.

    Il s'agit non seulement de bien connaître la méthode, la façon d'analyser et les thèses du marxisme, mais aussi de savoir reconnaître le pseudo-marxisme. "L'idéologie marxiste ne peut obtenir et conserver la suprématie que par une lutte inlassable contre toutes les autres idéologies. L'idéologie bourgeoise est bien plus ancienne que l'idéologie socialiste, elle est plus amplement élaborée et possède infiniment plus de moyens de diffusion." "La tendance opportuniste implante, dans le socialisme, les idées bourgeoises et les éléments bourgeois".(37)

    Nkrumah ne s'est jamais démarqué complètement du vieil opportunisme de la social-démocratie. Et lorsqu'il a évolué vers des positions communistes, après le coup d'État qui le renversa, il a été influencé par Khrouchtchev et Brejnev qui dénaturaient l'essence révolutionnaire de la doctrine de Lénine. Mulele et Osende Afana, pour s'engager dans l'insurrection populaire contre le pouvoir néocolonial, ont dû affronter l'opposition catégorique des révisionnistes soviétiques. Ils n'ont pas seulement assimilé le marxisme-léninisme, mais ils se sont engagés aussi dans une critique de l'opportunisme et du révisionnisme.

    Finalement, Lénine insiste sur le fait qu'on ne peut pas maîtriser le marxisme en s'enfermant dans des livres. Il faut, en quelque sorte, "digérer" le marxisme-léninisme à partir de sa propre expérience révolutionnaire. Il faut appliquer de façon créatrice la science politique de Marx, Lénine et Mao Zedong à la réalité spécifique de son propre pays. En rentrant de Chine, Mulele a traduit les leçons de la révolution chinoise dans le langage des ouvriers agricoles et des paysans de sa région natale. Pour faire comprendre des notions essentielles du marxisme-léninisme, il les a adaptées à la mentalité des villageois, utilisant des proverbes traditionnels, des chansons du tribunal et des contes africains.

    Deuxièmement: "Pour déterminer si un intellectuel est révolutionnaire, non révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, il y a un critère décisif: c'est de savoir s'il veut se lier et s'il se lie effectivement aux masses ouvrières et paysannes." (38)

    Mao Zedong a défini ce critère en pleine guerre anti-japonaise, en 1939.

    Un révolutionnaire authentique ne peut pas s'enfermer dans les milieux de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie aisée ; l'éducation des masses fondamentales du peuple, leur organisation et leur mobilisation constitue l'axe essentiel de son travail. C'est précisément sur ce point que Mulele, Bengila et Mitudidi se sont séparés de la plupart des autres lumumbistes. Ces derniers ont été propulsés à la tête de l'État, entourés de politiciens engagés dans la course aux richesses et aux privilèges. Rapidement, ils ont perdu tout lien avec les masses travailleuses. À son retour de Chine, Mulele a lancé un appel à tous les lumumbistes afin qu'ils dans leur région natale et y organisent les jeunes, les ouvriers, les villageois, les femmes. Mais finalement ils n'ont été qu'une dizaine à le suivre. Et ils ont soulevé des millions d'opprimés congolais !

    La révolution nationale et démocratique, puis la révolution socialiste est l'oeuvre des masses. Seules les masses peuvent constituer une force politique suffisante pour battre l'impérialisme et la grande bourgeoisie. Seuls les intérêts des masses constituent le point de départ pour l'édification d'une société fondamentalement différente qui met fin à l'exploitation de la majorité. Les révolutionnaires doivent donc concevoir un projet à long terme, capable de permettre aux masses de constituer des forces politiques et militaires suffisantes pour renverser l'ordre néocolonial. Il s'agit d'aider les masses à se libérer par leur propre effort, à devenir la force consciente qui brisera l'oppression exercée par l'impérialisme et la grande bourgeoisie.

    Troisièmement: l'édification d'un parti d'avant-garde authentique est le problème crucial, le problème le plus difficile de la révolution africaine.

    Dans ses ouvrages, Staline a systématisé les principes léninistes du Parti qui ont été la clé de la victoire, aussi bien de la révolution soviétique que de la révolution chinoise. Il a formulé les caractéristiques et les principes d'"un Parti de type nouveau, un Parti marxiste-léniniste, un Parti de la révolution sociale, capable de préparer le prolétariat aux combats décisifs contre la bourgeoisie".(39)

    Les faiblesses des révolutions africaines se reflètent surtout dans les faiblesses des partis révolutionnaires. Nkrumah était devenu un "étranger" dans son propre parti. Mulele, faute de cadres intellectuels révolutionnaires, n'a pas été en mesure de créer un parti marxiste-léniniste. Une des raisons de l'échec de Sankara au Burkina est qu'il s'est embourbé dans les luttes entre différentes organisations communistes, ne sachant pas reconnaître les communistes des carriéristes. Il a souvent combattu des forces marxistes-léninistes et soutenu des opportunistes pour se retrouver finalement isolé.

    Seul un parti armé d'une ligne marxiste-léniniste et oeuvrant patiemment parmi les ouvriers, les travailleurs et les paysans, est en mesure de faire front à la violence de l'impérialisme. Il doit observer les règles rigoureuses de la discipline léniniste s'il veut survivre à la répression. Ces règles sont obligatoires pour tous les membres, et surtout pour les cadres dirigeants. Il doit vérifier et corriger ses décisions en écoutant la voix des masses travailleuses. Il doit utiliser la critique et l'autocritique pour éduquer en permanence ses membres et ses dirigeants.

    Un tel parti ne peut pas être édifié sans la participation des intellectuels révolutionnaires. À ce propos, Amilcar Cabral a formulé un principe fondamental: "La petite bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe, pour ressusciter comme travailleur révolutionnaire, entièrement identifié avec les aspirations les plus profondes du peuple auquel il appartient".(40) Cabral fait ici référence à la nécessité d'une transformation continue des intellectuels, grâce à l'étude du marxisme-léninisme, aux liens avec les masses et à la participation au combat. Et Nkrumah a donné cette définition de la révolution: "le prolétariat, sous la direction d'un parti d'avant-garde guidé par les seuls principes du socialisme scientifique, renverse le système de classes".(41)

    Quatrième point: "Le premier problème fondamental de la révolution est le rôle dirigeant de la classe ouvrière". "L'alliance des ouvriers et des paysans est un principe stratégique qui revêt une importance particulière". "En s'appuyant sur ces forces fondamentales, le Parti a la possibilité d'élargir les rangs des révolutionnaires jusqu'aux autres classes et couches sociales de tendance nationale et démocratique", notamment les intellectuels et les étudiants. (42)

    C'est ainsi que Le Duan, sur base de l'expérience de la révolution vietnamienne, a indiqué quelles sont les classes sociales capables de mener la révolution anti-impérialiste jusqu'au bout. Il nous apprend dans quelles classes sociales les révolutionnaires doivent faire un travail concret, quotidien, à long terme, un travail d'organisation syndicale, un travail d'organisation coopérative pour la défense des intérêts économiques, un travail d'éducation, un travail de conscientisation à partir de l'aide médicale ou juridique, etc.

    Cette analyse rigoureuse des classes et des positions politiques des différentes classes n'a pas été faite par les révolutionnaires africains du début des années soixante. Lumumba comme Nkrumah était obnubilé par la formule: Tous les Noirs sont mes frères. C'est à leurs propres dépens qu'ils ont découvert que les classes et la lutte des classes existaient autour d'eux. "La lutte des classes est au coeur du problème" , dira Nkrumah en faisant le bilan de son échec.(43) À partir de sa propre expérience, Amilcar Cabral a confirmé les thèses de Le Duan. Cabral écrit: "La classe laborieuse composée d'ouvriers de la ville et de prolétaires agricoles, tous exploités par la domination indirecte de l'impérialisme, constitue la vraie avant-garde populaire de la lutte de libération nationale".(44)

    Cinquièmement: Il y a un critère pour distinguer le combat réel contre le néocolonialisme des impostures purement verbales: est-ce qu'on vise à la destruction de la dictature exercée par l'impérialisme et par la grande bourgeoisie sur le peuple travailleur ?

    La destruction de cette dictature nécessite l'organisation de luttes révolutionnaires de masse prolongées sous différentes formes, culminant dans la guerre populaire et l'insurrection qui briseront le pouvoir néocolonial.

    Si le néocolonialisme n'est pas défini comme la dictature conjointe de l'impérialisme et de la grande bourgeoisie, ce mot perd son sens. Alors, on peut voir un Tshombe lutter contre le "néocolonialisme", c'est-à-dire contre le pouvoir d'Adoula. On peut entendre un Thomas Kanza proposant une alliance entre Mobutu et les lumumbistes pour "combattre un ennemi commun: le néocolonialisme personnifié par Moïse Tshombe".(45) On peut écouter Mobutu fulminer contre le "néocolonialisme" pour que l'impérialisme lui cède une part plus large du butin commun.

    "L'État, dit Nkrumah, est l'expression de la domination d'une classe sur les autres". (46) C'est pourquoi aucune "démocratisation" aussi "radicale" ou "totale" qu'elle soit, ne peut résoudre les problèmes d'une société dominée. Seule la dictature des ouvriers et des paysans, s'alliant la petite bourgeoisie et les forces patriotiques, peut mettre fin à la domination conjointe de l'impérialisme et de la grande bourgeoisie.

    7. Sous le Nouvel Ordre Mondial 

    Notes

    (1) Padmore Georges: Panafricanisme ou communisme, éd. Présence Africaine, Paris, 1960, pp.383-384; 387.
    (2) Nkrumah Kwame: La lutte des classes en Afrique, Présence Africaine, Paris, 1972, p.101.
    (3) Monheim F: Mobutu, l'homme seul, Bruxelles, 1962, p.154-155.
    (4) Pour les chiffres et citations de ce chapitre, sauf autrement indiqué, voir: Martens Ludo: L'URSS et la contre-révolution de velours, EPO, Anvers, 1991.
    (5) Sekou Touré: L'Afrique en marche, tome X, 1967, p.323.
    (6) Sékou Touré: Stratégie et Tactique de la Révolution, tome XXI,p.193.
    (7) Staline: Le marxisme et la question nationale et coloniale, Ed. Norman Béthune, Paris, 1974, p. 344.
    (8) James Klugmann: From Trotski to Tito, Publ. Lawrence and Wishat, London, 1951.
    (9) Padmore, op.cit.,p.332.
    (10) Sékou Touré: Stratégie et tactique, p.328-329.
    (11) Khrouchtchev: Recueil des Documents du XXIIe Congrès, Moscou, 1961, p.526-527.
    (12) Nkrumah: Challenge of the Congo, publ. Panaf, 1969, p.292.
    (13) Mao Zedong: Le Pseudocommunisme de Khrouchtchev - 14 juillet 1964, dans: Le Débat sur la Ligne Générale, éd. Pékin, 1965, p.482-492.
    (14) Kim Il Sung: A propos du djoutche; De l'élimination du dogmatisme et du formalisme, 28 déc. 1955, Pyongyang, 1980, pp.171; 177; 180; 182.
    (15) Kim Il Sung: Oeuvres choisies, tome V, Pyongyang, 1975, p. 584.
    (16) Fulbert Youlou: J'accuse la Chine, éd Table Ronde, Paris, 1966, pp.132; 146; 137; 138.
    (17) Ibidem, pp.121; 13; 15.
    (18) ibidem, pp.81; 69; 115.
    (19) Ibidem, p.123.
    (20) Ibidem, pp. 138; 151; 158; 142.
    (21) Müller Siegfried: Les nouveaux mercenaires, éd France-Empire, 1965, pp.200-201; 232.
    (22) Padmore, op.cit., p.131.
    (23) Ibidem, p.118.
    (24) Ibidem, p.373.
    (25) Ibidem, p.383-387.
    (26) Ameillon: La Guinée, bilan d'une indépendance, Maspéro, Paris, 1964, p.185-187.
    (27) Ibidem, pp.12; 197.
    (28) Ba Abdoul, Bruno Koffi, Sahli Fethi: L'Organisation de l'Unité Africaine, éd. Silex, 1984, pp. 22; 217.
    (29) Nkrumah: La lutte des classes en Afrique, éd. Présence Africaine, Paris, 1972, p.105.
    (30) Lénine: Notes critiques sur la question nationale, tome XX, pp.27; 18; 19.
    (31) Amilcar Cabral: Unité et Lutte, éd Maspéro, Paris, 1980, p.165.
    (32) Ibidem, p.176.
    (33) Ibidem, p.188.
    (34) Lénine, op.cit., p.16-17.
    (35) Africa World Review, nov 92-april 93, London, p. 28.
    (36) Lénine, Oeuvres Choisies, tome V, pp.376; 378; 379.
    (37) Ibidem, pp.393; 361.
    (38) Mao Zedong, Oeuvres choisies, Pékin, 1968, p. 264.
    (39) L'Histoire du Parti communiste bolchevik, Moscou, 1949, p.397.
    (40) Cabral, op.cit., p.169.
    (41) Nkrumah, op.cit., p.98.
    (42) Le Duan: Ecrits, Hanoi, 1976, pp. 194; 196; 197.
    (43) Nkrumah, op.cit., p.10.
    (44) Cabral, op.cit., p.164.
    (45) Martens Ludo: Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba, éd. EPO, 1985, p.321.
    (46) Nkrumah, op.cit., p.20.
    (47) Alexandre T. Samorodov, Revue Internationale du Travail, (Bureau International du Travail) vol.131, 1992, n 3, p.357-358.
    (48) De Volkskrant, 3 april 1993: Jeffrey Sachs: Rusland kan...
    (49) The Guardian, 8/3/1993.
    (50) NRC-Handelsblad, 16/12/93: Schok zonder therapie.
    (51) The Reform Prescription for Russians is Stronger Democracy. By Anders Aslund IHT, 25/11/1993.
    (52) Michel Chossudovsky Le Monde Diplomatique, p.12-13, janvier 1993.
    (53) Alexandre T. Samorodov, Revue Internationale du Travail, (Bureau International du Travail) vol.131, 1992, n 3, p.359.
    (54) NRC, 16/12/93: Schok zonder therapie.
    (55) Amnon Kapeliouk écrit dans Le Monde Diplomatique, p.3, septembre 1993.
    (56) Ibidem
    (57) Echos de Russie, p.3, juli-augustus 1992.
    (58) Amnon Kapeliouk Le Monde Diplomatique, p.3, septembre 1993.
    (59) Le Monde, p.13, 16/12/1992.
    (60) Le Soir, 9/1/1993: Drame en Asie; Le Monde, 27/1/1993, p.4.
    (61) Le Monde, 24 déc.93: Le président Aliev déclare...
    (62) Mbuyinga Elenga, Panafricanisme et néocolonialisme, publications de l'UPC, 1979, pp. 347; 389; 398; 411.
    (63) Nkrumah, op.cit., p.103.

     

    Intéressant à lire aussi : Amilcar Cabral et la Révolution panafricaine par Ameth Lo.

     

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  • Toute la journée, les dépêches d'agences ont soufflé le chaud et le froid : tantôt parlant d'"impasse", tantôt annonçant que Gbagbo s'ouvrait à la négociation, acceptait de rencontrer Ouattara, de lever le blocus de l'hôtel du Golf où celui-ci est retranché etc. 

    Finalement, le bilan de la journée est tombé aux JT du soir : Gbagbo "n'a rien proposé de nouveau" aux émissaires africains (présidents kényan, cap-verdien, sierra-léonais et béninois) qui ont négocié avec lui toute la journée d'hier et aujourd'hui, il s'en tiendrait aux mêmes offres (recompte des votes etc.). De son côté, Ouattara a refusé de rencontrer Gbagbo, "tant qu'il ne reconnaîtra pas (sa) victoire". Guillaume Soro, Premier ministre de Ouattara et leader idéologique des "rebelles", répète encore une fois son discours : "nous avons épuisé la négociation, il faut employer la force". Les Etats-Unis ont proposé à Gbagbo l'asile politique s'il quitte le pouvoir ; tandis que Sarkozy, de son côté, a exclu une action militaire française directe mais réaffirmé qu'il "n'y a qu'un seul président en Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara"... CQFD. 

    On ne peut jurer de rien avec Gbagbo mais, si on a pu penser ces derniers jours qu'il faisait seulement monter les enchères pour s'en tirer aux meilleures conditions, il semble maintenant qu'il est déterminé à conserver un pouvoir qu'il considère légitimement acquis, à travers les dernières élections mais aussi à travers 30 ans de luttes. Il semble résolu à tenir tête aux grands impérialismes et à leurs tirailleurs néo-coloniaux de la CEDEAO, principalement du Nigeria. Il semble penser que son Armée nationale (les FANCI) et ses partisans "Patriotes" sont en mesure de résister à une offensive militaire.

    Comme l'ont plusieurs fois affirmé autant le leader pro-Ouattara Guillaume Soro que le président nigérian (et de la CEDEAO) Goodluck Jonathan, la négociation épuisée, l'option de la guerre est désormais claire.

    La raison des tergiversations actuelles est, simplement, qu'une guerre ne se lance pas du jour au lendemain, même pour la plus puissante armée d'Afrique de l'Ouest, l'armée du Nigeria. Pour attaquer l'Irak, les USA, première puissance militaire du monde, ont fait "durer le suspense" pendant 6 mois en 1990-91, 1 an en 2002-2003 ! 

    Mais il y aura la guerre. La guerre néocoloniale aura bien lieu, car la Françafrique soutenue par l'ensemble des impérialismes européens et nord-américains veut imposer Ouattara, tandis que Gbagbo se considère légitime. Il l'est d'ailleurs, nettement, dans la moitié Sud du pays, et n'accorde aucune valeur au vote de la moitié Nord aux mains des "rebelles"... 

    Solidarité internationale contre la guerre impérialiste !

    Solidarité avec le Peuple ivoirien ! 

    La Françafrique veut faire couler le sang pour imposer son laquais. L'impérialisme veut, encore une millième fois, faire couler le sang africain, "sudiste" comme "dioula", ivoirien comme nigérian, installer la haine "ethnique" pour des générations comme au Rwanda, pour s'abreuver tel un vampire des richesse et de la sueur de l'Afrique ! 

    L'impérialisme ne passera pas !

    100 ans de colonialisme, 50 ans de néocolonialisme : la Françafrique n'a que trop duré !

     

    Servir le Peuple reproduit ici l'appel d'un certain nombre de Partis et d'organisations marxistes et progressistes africaines, appel auquel s'est joint le ROC-ML :

     

    PAS D’INTERVENTION MILITAIRE ETRANGERE :

    NI DE LA CEDEAO, NI DE L’ONU, NI DE LA FRANCE !

    TROUPES ETRANGERES HORS DE LA CÔTE D’IVOIRE !

    UNITE ET SOLUTION NATIONALE IVOIRIENNE SOUVERAINE,

    DEMOCRATIQUE ET PACIFIQUE DE LA CRISE POST-ELECTORALE ! 

     

    Après les menaces à peine voilées de Sarkozy et Obama au nom de la dite « communauté internationale » qui se résume en fait à la France, l’Angleterre, l’Allemagne et les Etats-Unis, voilà l’envoi en forme d’ultimatum des chefs d’état du Cap-Vert, du Bénin et de la Sierra Léone en Côte d’Ivoire.

    Comme si c’était convenu dans un partage des rôles, les puissances occidentales poussent la CEDEAO à prendre la relève en décidant le 24 décembre 2010 d’une intervention armée en Côte-d’Ivoire pour déloger GBAGBO du pouvoir si ce dernier ne cédait pas aux injonctions que doit lui porter une ultime mission de ces trois présidents au nom de la CEDEAO.

    Ainsi, les puissances occidentales qui ne peuvent intervenir directement s’arrangent dans les coulisses pour pousser leurs hommes au pouvoir en Afrique à aller commettre les forfaits qu’ils n’osent pas assumer publiquement.

    Les USA, l’UE, le FMI, la Banque Mondiale, la Cour Pénale Internationale, les mêmes qui ont pactisé et financé la junte militaire qui a renversé le président légal et légitime Zélaya du Honduras utilisent des fantoches Africains serviles pour tuer et imposer au peuple Ivoirien une guerre criminelle.

    Les mêmes puissances et institutions financières impérialistes ont menti au monde entier sur les « armes de destruction massive et la complicité avec Al Quaïda » pour agresser, renverser, occuper l’Irak et assassiner son Chef d’Etat.

    C’est pourquoi, les organisations signataires réaffirment que les solutions à la crise post-électorale que traverse la société ivoirienne viendront avant tout du peuple Ivoirien lui-même.

    C’est pourquoi nous dénonçons toute intervention armée étrangère en Côte d’Ivoire et exigeons le départ de toutes les forces étrangères présentes sur le territoire Ivoirien, qu’elles soient officielles (ONU-CI, Licorne, 41ème BIMA) ou officieuses (mercenaires).

    Vive la souveraineté du peuple ivoirien ! Vive la solidarité panafricaine et internationaliste !

    Fait le 27/12/10 

    Signataires : Ferñent/Mouvement des Travailleurs Panafricains-Sénégal (F/M.T.P-S), Yoonu Askan Wi Sénégal, RTA-Sénégal, Parti Communiste Révolutionnaire de Côte d’Ivoire, Parti Communiste du Bénin, Actus/Prpe Tchad, PC Togo, PC Tunisie, Voie Démocratique Maroc, Pads Algérie, UP Cameroun, Sanfin Mali, PC Congo, Parti Communiste des Ouvriers de France (PCOF).

    ******************************* 

    Pendant ce temps, des milliers d'Ivoirien-ne-s (ainsi que de Libérien-ne-s accusé-e-s d'être des mercenaires pro-Gbagbo) fuient les zones tenues par les tirailleurs françafricains des "Forces nouvelles" de Soro :

    Les milliers de réfugiés qui fuient le pays

    Là aussi, il y a vraiment lieu de se poser des questions sur l’objectivité, voire l’honnêteté intellectuelle de certains médias français avides de phrases chocs, et qui font très peu de travail de recherche. Personne, mais vraiment personne parmi ces journalistes ne prend la peine de préciser que TOUS les réfugiés fuient les zones sous contrôle de la rébellion armée de M. Ouattara. Oui! Toutes les populations qui fuient vers le Liberia, la Guinée et le sud de la Côte d’Ivoire s’enfuient des zones dites CNO (Centre Nord-Ouest: Man, Bouaké, (en rouge sur la carte) qui sont totalement contrôlées par les tristement célèbres seigneurs de guerre des Forces Nouvelles qui sont très connus pour les exactions et barbaries commises depuis 2002 jusqu’à pendant les élections de Novembre 2010, nous en voulons pour preuve les multiples rapports des observateurs africains et des ONG internationales (International Watch).

    Les populations de l’ouest fuient la rébellion de Ouattara
    Selon une dépêche de l’AFP ,14 000 personnes de l’ouest de la côte d’ivoire seraient en fuite vers la Guinée et le Liberia. Selon la dépêche, des rebelles de Ouattara et de Soro Guillaume tenteraient de les empêcher de franchir la frontière. Ces informations procèdent de la vaste opération d’intoxication. La vérité est que les populations de l’ouest de la Côte d’Ivoire assiégé depuis 2002 par la rébellion de Ouattara fuient justement les exactions de cette rébellion après la proclamation de la victoire de Laurent Gbagbo par le Conseil constitutionnel .On dénombre 6 000 réfugiés à la mission catholique de Duekoué fuyant les rebelles de Bangolo et de la sous préfecture de Zou ou un burkinabé du nom de Amandé entretien une milice de 600 hommes dans la foret classée du mont Peko. La réalité de la crise ivoirienne est là. Les bourreaux se transforment très facilement en victimes avec la bienveillante complicité de medias internationaux.

    Source Ivoire-dépêche

    "La nuit, des hommes venaient piller nos jardins, ils détruisaient tout et volaient nos bêtes"

    Source

    Hubert, instituteur ivoirien, a fui le village de Yéalé, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, aux abords de la réserve de Nimba (une zone montagneuse bordée par la Guinée et le Liberia). Yéalé est situé dans une région contrôlée par les ex-Forces nouvelles (FN), les anciens rebelles qui soutiennent Alassane Ouattara.

    "Certaines personnes du village ont été frappées par des rebelles, qui étaient parfois habillés en civil. Ils n’ont jamais tiré mais ils nous terrorisaient. La nuit, des hommes venaient piller nos jardins, ils détruisaient tout et volaient nos bêtes. Avec d’autres pères de familles du village, on a décidé de se sauver."
    "Nous avons marché deux jours entiers dans la brousse"

    "Nous sommes partis en fin d’après-midi mercredi 8 décembre, par petits groupes. Comme il fallait aller vite, je n’ai pris avec moi que ma carte d’identité et mon acte de naissance. Nous avons marché deux jours entiers dans la brousse. Certains allaient en direction de Nzoo-Guela, d’autres allaient vers Nyon [deux villages guinéens frontaliers de la Côte d'Ivoire, ndrl]. Parfois, nous nous croisions sur notre route. 
    Je suis parti avec ma femme et mes deux enfants, mais l’un d’eux n’est pas arrivé à Bossou avec nous. Il est resté à Nzoo-Guela pour se faire soigner, je sais qu’il y est en sécurité. J’espère que les équipes du HCR vont le ramener bientôt.

     Depuis que nous sommes au camp de Bossou, nous mangeons à notre faim. Les enfants jouent dans la cour toute l’après-midi. Je remercie vraiment le HCR d’avoir mis en place ce dispositif. Je ne compte pas retourner en Côte d’Ivoire tant que la situation ne sera pas apaisée. Pour le moment, je projette d’organiser des classes pour les enfants ivoiriens de Bossou. Il faut continuer de vivre."

    **********************************

    Rappelons que déjà, en 2002-2003, entre 500.000 et 1 million de personnes avaient fui les zones tenues par les "Forces nouvelles" et leurs alliés "tayloristes" libériens et sierra-léonais. La population de la zone "rebelle" (Centre-Nord-Ouest - CNO) à cette époque ne devait pas dépasser les 5 ou 6 millions de personnes...

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    Lire encore à ce sujet l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur ce "dossier" ivoirien, sachant de quoi il parle etc.), ici un entretien autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara


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  • Les évènements s'enchaînent en Côte d'Ivoire et la perspective, non seulement d'une guerre "civile" fomentée par les impérialistes, mais d'une action militaire impérialiste directe, se précise (avec l'ONUCI, composée de la force impérialiste française Licorne - 1000 hommes - et des "tirailleurs" des pays ouest-africains). 

    Aujourd'hui, le chef "rebelle" des Forces Nouvelles et Premier ministre de Ouattara, Guillaume Soro, a appelé l'ONU à chasser Gbagbo du pouvoir par la force. Il est clair qu'après 8 ans (depuis septembre 2002), le constat s'impose que les seules "Forces nouvelles" ne peuvent venir à bout des FANCI, l'armée régulière. 

    Dans le même temps, les gouvernements de plusieurs pays européens, dont la France, appellent leurs ressortissants à quitter le pays "temporairement"... Signe clair qu'une opération militaire d'envergure s'annonce. 

    La marche à la guerre impérialiste est donc engagée pour installer au pouvoir le candidat que, quels que soient ses scores réels (là n'est pas la question !), la majorité des puissances impérialistes (sauf la Chine et peut-être la Russie) et des organisations au service de l'impérialisme comme l'ONU, l'Union Africaine et la CEDEAO soutiennent. 

    Il ne s'agit pas de soutenir un camp impérialiste contre un autre : SLP ne soutient pas l'impérialisme chinois ; en tant que maoïstes, nous avons toujours dénoncé la "contre-révolution permanente" imposée par la droite capitaliste du P"c" chinois depuis 1976, en Chine comme à l'extérieur.

    Mais il s'agit, comme Servir le Peuple s'y est toujours attaché, d'être dans LE CAMP DU PEUPLE. Lorsque les horreurs de la guerre se seront (à nouveau !) déchaînées sur le territoire - issu du découpage colonial - nommé Côte d'Ivoire, il n'y aura plus de Krous, d'Akans, de Dioulas ni de Sénoufos, plus de chrétiens, de musulmans ni d'animistes, mais seulement des hommes et des femmes qui souffrent et meurent POUR RIEN, sinon pour les juteux profits des impérialistes ! 

    Pour ceux et celles qui n'en seraient pas convaincus, voici quelques illustrations, particulièrement tournées vers ceux que nos impérialistes présentent comme les "gentils" (puisqu'à en croire la presse internationale, les horreurs du camp Gbagbo ne sont plus à démontrer...) : 

    Côte d'Ivoire : qui sont les "Rwandais" en puissance ? 

    Source

    Les massacres à la machette, aux fusils sont perpétrés actuellement un peu partout dans le pays, par qui ? En tous cas les cibles sont jusqu’ici les sièges du FPI, les militants LMP. A Alépé le samedi où j’allais voter, j’ai eu une sacrée chance. Mon GBAKA n’a rien eu mais le Gbaka de 16 heures a vu ses passagers, des jeunes d’AKOURE et Oguedoumé et Montézo, tailladés à la machettes. Des villages sont incendiés; le papa de ta cousine C. a dû quitter son quartier sous la menace des bandes en machette parce qu’il est un responsable FPI; ta tante A. a vu sa voiture cabossée, pare-brise brisée, n’eut-été son sang froid qui l’a fait foncer dans la foule en arme…elle y serait restée…Elle avait eu le tort d’avoir à bord de sa voiture des affiches de GBAGBO… Voici la situation un peu. On dort à moitié, tout le monde est sur la qui-vive…

    Extrait d’un mail, d’un membre de ma famille, témoignant  des élections certifiées par l’ONU en Côte d’Ivoire. Précisons tout de même que les localités en question dans ce témoignage sont situées dans une partie de la zone gouvernementale massivement favorable à Gbagbo et à moins de 50 km d’Abidjan, donc du siège de l’ONUCI…

    Du grain à moudre pour Amnesty

    Cette vidéo montre comment les Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN) rendent la “justice à Touba sous le contrôle Guillaume Soro, premier ministre de Ouattara en république du Golf Hôtel (âmes sensibles, s’abstenir): Après avoir torturé et exécuté sommairement une dizaine de prétendus voleurs de moutons en public, le bourreau est félicité par le reporter qui a probablement réalisé ce film afin de terroriser les populations du nord, et rendre compte de la “bonne gestion” du pays aux cadres des forces nouvelles.

    Ces atrocités ont été commises par les Forces Nouvelles seulement deux mois avant le premier tour des élections. Comment peut-on imaginer des élections libres dans un tel contexte, de surcroît sans isoloir ? Est-ce là la justice et la légitimité que la communauté internationale réserve aux Ivoiriens ?

    Voilà ce qui doit aussi inquiéter Amnesty international qui envoyait hier une dépêche à l’AFP :

    “Au moins 20 personnes ont été tuées dans des “incidents violents” en Côte d’Ivoire depuis le second tour de la présidentielle le 28 novembre, a annoncé lundi Amnesty International dans un communiqué.

    L’organisation de défense des droits de l’Homme appelle “les forces de sécurité en Côte d’Ivoire à protéger les civils alors qu’au moins 20 personnes ont été tuées par balles dans des incidents violents après le second tour de l’élection présidentielle”.

    Amnesty, qui s’appuie sur des témoignages, a recensé ces 20 morts à Abidjan et dans l’intérieur du pays, notamment dans l’ouest.”

     Il est intéressant de constater qu’Amnesty appelle les Forces De Sécurité supposées pro-Gbagbo à défendre la population, et non pas les “Forces Nouvelles” pro-Ouattara. Peut-être qu’Amnesty a appris quel sort était réservé aux pauvres voleurs de moutons au nord de la Côte d’Ivoire ?

    Il serait aussi souhaitable qu’Amnesty enquête sur les exactions dont été victimes les militants et scrutateurs LMP lors du second tour dans le nord de la Côte d’Ivoire (voir les témoignages en vidéo) et au centre (voir les témoignages en vidéo) pour constater combien les élections y ont été libres et démocratiques :

    • BOUAKE : Dars es SALEM : les soldats FAFN se sont rendus dans les bureaux de vote pour brutaliser les représentants du candidat LMP. C’est une situation qui s’est généralisée dans toute le ville de BOUAKE.
    • le QG de BAMARO à BOUAKE à été attaqué, tout à été emporté, pillé et volé, les membres du QG ont été menacés de mort.
    • BOUAKE : AIR France 1 : GBËKËKRO : DLC Mr BERTHE à été battu par les militants du RDR, les militants sont empêchés de voter.
    • BOUAKE : BELLEVILLE : le listing est arraché aux représentants LMP dans les bureaux de votes.
    • BOUAKE KONANKRO : EPP 1, 2, 3, les listing de CINQ bureaux de vote ont été arrachés par les soldats des FAFN et les militants du RDR.
    • ZIKISSO : GODIEKO : Représentant LMP Alain GNAKALA a été tailladé à la machette par un militant du RDR.
    • Koumassi / COLLEGE aliko : 21 bulletins de votes déjà cochés, les superviseurs empêchent les représentants LMP de vérifier les cartes d’électeurs.
    • SAMATIGUILA : Kélébadougou : les chefs et les notables sont installés dans les bureaux de votes et empêchent les militants LMP de prendre part au vote.
    • SAMATIGILA : tchessirika : le représentant LMP, Sindou Bamba a été attaqué en rentrant de Mafélé.
    • Samatiguila : banagro : les dozos dans les bureaux de votes empêchent les militants LMP de voter.
    • SEGUELA : MASSALA : accès aux bureaux de vote refusé aux représentants du candidat du LMP.
    • MONONGO : S /P KOLIA : le petit frère du chef du village supervise le vote et oblige les électeurs à voter pour le RDR avec l’accord des soldats FAFN.
    • KORHOGO : superviseurs du LMP ont été agressés dans TROIS centre de vote (Franco –Arabe, EPP Nalo Bamba, Nalo BAMBA) leurs motos ont été confisquées.
    • KORHOGO : aux alentours de midi le Directeur de Campagne COULIBALY MAMOUROU, et le ministre lanciné GON ont dû sous la menace du RDR se réfugier à L’ONUCI, les représentants du candidats du LMP ont été molestés et chassés des bureaux de votes, leurs motos ont été arrachées.
    • KANI : Collège Mawa Kone 2 : le RDR fait voter 200 personnes après 17H sans tenir compte des remarques des représentants LMP.
    • DALOA : niboua : les jeunes du RDR ont tué deux personnes dont un représentant des forces de l’ordre.
    • TORTYA : le DDC Koné Katina molesté et enlevé par les rebelles et pris en Otage dans leur camp.
    • KOUTO : KONE Doféré menacé de lynchage avec sa suite composée d’une soixantaine de personnes, à besoin d’escorte pour sortir de Kouto.

    via criseivoirienne.livejournal.com

     

    À bas l'impérialisme, à bas la Françafrique ! 

    VICTOIRE AUX PEUPLES DE CÔTE D'IVOIRE !

    VICTOIRE A L'AFRIQUE !

     

    Info de dernière minute : arrivée probable de forts contingents de la CEDEAO, l'organisation régionale dominée par le Nigéria...

    Lire encore à ce sujet l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur ce "dossier" ivoirien, sachant de quoi il parle etc.), ici un entretien autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara


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  • Repoussées pendant des années, les élections présidentielles en Côte d’Ivoire se sont enfin tenues et ont connu leur « épilogue »… si l’on peut dire.

    Car voilà la situation : la Commission électorale « indépendante » (il faut toujours des guillemets à ce mot) donne vainqueur l’opposant Alassane Ouattara avec 54% des voix, résultat avalisé par la « communauté internationale ». Mais, de son côté, le Conseil « constitutionnel » (idem) a invalidé le résultat et donne vainqueur le président sortant, Laurent Gbagbo. [Voir en fin d'article, sur ce sujet et sur d'autres, le lien vers l'entretien avec l'énorme Grégory Protche]

    Des violences ont déjà éclaté entre les partisans des deux hommes, et le pays est en état de siège.

    Alassane Dramane Ouattara (ADO) est un pur produit de la Françafrique, et des réseaux françafricains de la droite chiraquienne. Le nom de son parti, le RDR, est calqué presque lettre pour lettre sur le RPR, prédécesseur de l’UMP. Economiste au FMI, il est, comme Premier ministre de 1990 à 1993, le « père » de la terrible cure d’austérité infligée aux Ivoiriens lors de la crise économique des cours du cacao. Il est originaire du Nord du pays, à majorité musulmane, qui est son fief électoral, et il s’appuie sur les personnes originaires du Nord dans tout le pays. Il a la particularité d’avoir été écarté pendant près de 10 ans de la vie politique pour « ivoirité douteuse », autrement dit, mise en doute de sa nationalité réellement ivoirienne de père et de mère. C’est le cas de nombreux-ses Ivoirien-ne-s : à l’époque coloniale, la frontière n’existait pas réellement entre les ethnies du Nord et les pays voisins, Mali ou « Haute-Volta » (Burkina).

    Accusé d’être le chef politique, ou au moins l’instigateur de la rébellion militaire qui a ensanglanté le pays entre 2002 et 2007, il a vécu réfugié en France à cette époque.

    Laurent Gbagbo, lui, est un social-réformiste et opposant de longue date au régime d’Houphouët-Boigny et de son successeur Konan Bédié. Il est issu d’un groupe ethnique minoritaire du Sud-Ouest du pays. Après le coup d’État qui a renversé Henri Konan Bédié à Noël 1999, il a remporté à la surprise générale l’élection présidentielle en octobre 2000. Fondateur et leader incontesté du « Front populaire ivoirien », il était historiquement lié aux réseaux françafricains du PS (bien que ceux-ci aient longtemps gardé leur soutien à Houphouët)… Mais peu après son élection, en mai 2002, ses réseaux socialistes (déjà affaiblis par l’affaire Jean-Christophe Mitterrand) perdent le pouvoir à Paris. Peut-être aussi que sa politique « ingrate » envers les intérêts français, nationaliste et axée sur la « repentance » lui avait déjà fait perdre pas mal de soutiens du côté « gauche » de l’échiquier bourgeois…

    Gbagbo va alors se tourner vers les concurrents impérialistes de la France en Afrique, les Chinois et surtout les Américains, pour chercher des soutiens. À cette époque, la France et les États-Unis se livrent une guerre meurtrière (par Africains interposés) pour le contrôle du continent depuis la fin de la Guerre froide (soit plus de 15 ans) et Washington cherche à faire payer à la France son sabotage de l’intervention en Irak.

    Ce retournement d’alliance, en particulier la volonté de mettre fin à l’exclusivité française sur tout un ensemble de marchés publics, va provoquer la colère de Paris. La suite des évènements est décrite ici, dans un des articles d’analyse les plus lus de ce blog.

    Après 5 ans d’affrontements meurtriers, culminant dans le massacre d’Abidjan par l’armée française (force Licorne) en novembre 2004, l’épilogue de la guerre « civile » ivoirienne arrive en 2007 avec les accords de Ouagadougou.

    Ouagadougou, au Burkina Faso : le despotat de Blaise Compaoré, un pilier de la Françafrique et de tous ses coups tordus depuis l’assassinat de son « frère » le révolutionnaire anti-impérialiste Sankara, en 1987, jusqu’au soutien (avec Kadhafi) aux « guerres de Taylor » au Libéria et en Sierra Léone. Le Burkina où s’est organisée et armée la « rébellion » de 2002 qui a ensanglanté le Nord et l’Ouest de la Côte d’Ivoire.

    Ces accords prévoyaient : 1°/ que le chef de la rébellion, Guillaume Soro, devienne Premier ministre, 2°/ l’organisation de nouvelles élections et 3°/ la réforme de la Constitution sur la question de la nationalité des candidats, pour permettre à ADO d’y être candidat.

    Autant dire que l’élection de Ouattara était pour ainsi dire une « clause non écrite » des accords…

    Elle a d’ailleurs été permise par un troisième larron qui n’est autre que… Konan Bédié, qui a offert à Ouattara son fief électoral du centre (région de Yamoussoukro), le pays baoulé, et ses 25% des suffrages (Ouattara ayant recueilli 32% et Gbagbo – en tête – 38%). Tragi-comique lorsque l'on sait que Konan Bédié est celui qui a monté le fameux concept d’’ivoirité’ pour exclure son rival Ouattara de la succession d’Houphouët, en 1995 ! Disons-le : les 54% d’ADO et la défaite de Gbagbo sont crédibles, d’un point de vue arithmétique cela "colle". Mais une arithmétique typique du semi-féodalisme des néo-colonies africaines, avec leurs « fiefs politiques » régionaux sur une base ethnique.

    Dernier fait en date : le Premier ministre et ancien rebelle Soro a reconnu la victoire d’ADO, qui l’a reconduit dans ses fonctions. Reste, sans doute, à gratifier les houphouëtistes de quelques beaux strapontins… La boucle est bouclée.

    Car le fond des accords de Ouaga est absolument clair et Servir le Peuple l’a toujours clairement exposé : c’est un revirement dans les alliances entre impérialistes pour la mainmise sur l’Afrique. C’est l’irruption des ambitions chinoises sur le continent, au détriment des Occidentaux, qui a poussé la France et les États-Unis à mettre fin à leurs guerres meurtrières et à faire cause commune. Notamment le soutien de Pékin au Soudan, qui déstabilise le Tchad et la Centrafrique mais pourrait aussi s’en prendre à l’Ouganda ou au Kenya (traditionnellement pro-US) ; ou encore l’achat par les monopoles chinois de régions entières du Congo-Kinshasa.

    Depuis 2005-2006, les gestes de « pacification » franco-US se sont succédés : lâchage et arrestation du libérien (et créature françafricaine via Compaoré et Houphouët) Charles Taylor au Nigéria en 2006, lâchage et arrestation du chef tutsi pro-rwandais (donc pro-US) Laurent Nkunda en 2008… et bien sûr les accords de Ouagadougou, qui marquent de fait une retraite de Gbagbo devant la rébellion et la force d’occupation française Licorne ; avec à la clé le retour du « joyau de la couronne » ivoirien dans la Françafrique.

    Une situation à mettre en parallèle, peut-être (et en beaucoup plus pacifique…), avec les récentes élections au Chili où la social-libérale pro-européenne Bachelet a « cédé la politesse » au néo-pinochettiste Piñera, plutôt pro-US ; et d’une manière générale le recul des gauches, « modérées » ou « radicales bolivariennes », avec de nombreuses défections de « modérés », qui marque un apaisement de l’offensive UE sur le « pré carré » américain des USA.

    Mais bien sûr, les partisans de Gbagbo ne l’entendent pas de cette oreille. Des violences contre les partisans de Ouattara ont déjà fait des dizaines de morts de part et d’autre. Il faut dire que Gbagbo, issu d’une population minoritaire (les Krous, 10% de la population ivoirienne), a su par sa politique social-populiste et nationaliste se gagner le soutien de larges couches de la population, en particulier à Abidjan la populaire et multiethnique. Dans les quartiers populaires de Yopougon, Abobo ou Adjamé, « dioula » (sénoufo ou mandingue du Nord) n’est plus automatiquement synonyme de pro-Ouattara...

    Les chiffres parlent d’eux-mêmes : issu d’un groupe ethnique représentant 10%, il a remporté 46% au second tour, en progression par rapport au premier (38%, en tête) tandis que Ouattara régresse par rapport à l’addition de ses voix et de celles de Bédié (32+25). Quelle que soit sa nature de classe de bourgeois parvenu, de populiste et de mafioso, Gbagbo a su devenir la seule figure politique multiethnique de Côte d’Ivoire, et peut-être l'une des seules d’Afrique de l’Ouest.

    De son côté, expliquent les merdias françafricains, Ouattara serait détesté parce que « dioula » musulman du Nord, « ivoirien douteux »… La réalité c’est que ces conceptions chauvines existent, un peu comme ce que l’on entend parfois en France sur les origines étrangères de Sarkozy. Mais surtout, Ouattara est resté dans les mémoires comme l’homme de la cure d’austérité (made in FMI) suite à la crise du cacao, au début des années 1990, qui a étranglé les masses populaires ; puis comme l’homme de Chirac et un soutien intellectuel de la rébellion, et donc de l’occupation française venue en appui.

    Disons-le clairement : l’élection de Ouattara est une reconquista de la Françafrique en Côte d’Ivoire, contre l’homme qui a défié l’empire bleu-blanc-rouge en bombardant le camp militaire de Bouaké et en faisant partir des milliers d’expatriés, petits agents du néo-colonialisme.

    D’ailleurs l’extrême-droite, notamment par la voix de son « Monsieur Afrique » Bernard Lugan, sait parfaitement reconnaître les siens…

    Il ne s’agit pas d’apporter un quelconque soutien à Laurent Gbagbo, membre de l’Internationale social-traître et démagogue corrompu. D’ailleurs, la crise va trouver son épilogue incessamment sous peu. La victoire de Ouattara est une clause non-écrite du traité de paix africain entre la France et les États-Unis, qui ont d’ores et déjà demandé à Gbagbo de se démettre. Le « Monsieur Bons Offices » de toutes les crises du continent, le sud-africain Thabo Mbeki, est arrivé à Abidjan et va trouver à Gbagbo une porte de sortie honorable ou au pire (comme au Kenya ou au Zimbabwe) une solution de partage du pouvoir… À la rigueur, s’il souhaite vraiment s’accrocher au pouvoir, il peut se tourner vers la Chine qui semble lui vouer une « neutralité bienveillante ». Mais c’est peu probable : Gbagbo est un roublard, pas un héros, même « malgré lui ».

    Mais comprendre les ramifications de la Françafrique est quelque chose d'absolument fondamental. L’État profond français puise ses ramifications dans le profondeurs de l’Afrique pillée et saignée. Quatre grands réseaux françafricains exercent de fait une influence, parfois déterminante, sur les combinaisons de la politique bourgeoise : les réseaux « socialistes » (les expat’s votent en proportion notable pour le PS), les réseaux gaullistes récupérés par Chirac et maintenant disputés par ses successeurs à l’UMP, ceux récupérés par Pasqua, et ceux du FN (essentiellement tournés vers les « affreux », le mercenariat).

    Sarkozy n’est pas un bourgeois « industriel » ou « traditionnel » non-impérialiste : aucune autre classe que la bourgeoisie monopoliste ne peut diriger un pays impérialiste. Sarkozy est un américanophile, mis au pouvoir par les monopoles pour incarner le rapprochement franco-américain rendu impératif dès 2005 par (essentiellement) la menace chinoise en Afrique et la menace iranienne (la Chine en arrière-plan) au Proche/Moyen-Orient.

    Mais à l’époque de la guerre qui a ensanglanté la Côte d’Ivoire, Villepin était ministre des Affaires étrangères - puis Premier ministre. Ses appels à une « république solidaire » ne doivent pas leurrer les jeunes éduqués issus de minorités qui détestent à juste titre Sarkozy : Villepin est un néo-colonialiste comme les autres. Il ne faut pas se leurrer non plus sur Mélenchon, un homme qui trouve que Zemmour a de l’esprit et qui pourrait bien converger avec Villepin dans un « pôle républicain » contre le « pôle de l’argent » de Sarkozy et Strauss-Kahn… Mais un « pôle » tout aussi françafricain, plongeant ses racines comme une liane suceuse de sang dans le ventre de l’Afrique martyre.

    Notre ennemi, c’est l’impérialisme français et sa bourgeoisie monopoliste !

    Abattre l’impérialisme français, c’est abattre la Françafrique !


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    Lire encore à ce sujet l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur ce "dossier" ivoirien, sachant de quoi il parle etc.), ici un entretien autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara


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  • L'Humanité 

    689.jpgAu lendemain de la guerre d’Indochine et parallèlement à celle d’Algérie, l’État français en a mené une autre, celle qu’il faudra bien reconnaître sous le nom de guerre du Cameroun. Extrait du hors-série Afrique, le temps des indépendances édité par l’Humanité, disponible chez votre marchand de journaux.

    Douala (Cameroun), envoyé spécial.

    « On a décidé de mettre le feu à la brousse ; c’était la seule solution pour les avoir. On s’est mis dans le vent et on a balancé des grenades au phosphore dans le ci-sangho (herbe à éléphant). Le ci-sangho s’embrase comme de l’essence. Les rebelles sont partis en courant, mais ils ont vite été rattrapés (…). On a attendu que le feu meurt de lui-même et, quand ça s’est refroidi, on s’est posé pour voir le résultat. » Récit signé Max Bardet, adjudant du corps expéditionnaire au Cameroun en 1962-1964 (1). Pilote d’hélicoptère, il a pris part aux frappes visant à raser humainement et matériellement toute une partie du pays. De cette intervention militaire, note-t-il avec une certaine amertume, « la presse n’a pas parlé. Les Français aident un peu ces pays quand il y a ce genre de guerre, mais ils ne veulent pas savoir exactement ce qui se passe. On faisait plaisir au président Ahidjo parce qu’il fallait que le Cameroun garde ses liens avec la France ».

    Après l’ANC et le Parti communiste sudafricains, l’Union des populations du Cameroun (UPC) est le plus ancien parti politique du continent. Sa création fut précédée, dès 1938, par celle de la Jeucafra (Jeunesse camerounaise française). Parmi les membres fondateurs de cette dernière, Ruben Um Nyobé, commis greffier au tribunal de Yaoundé. En 1944, cette organisation pense pouvoir prendre appui sur la conférence de Brazzaville pour faire aboutir ses revendications dans le domaine de la liberté de parole et de la presse. Dans la même période émerge un fort mouvement de syndicalisation soutenu par des salariés cégétistes français expatriés (enseignement et chemins de fer), au premier rang desquels Gaston Donnat. L’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC) se constitue avec la participation active de Ruben Um Nyobé. Une grève éclate le 27 septembre 1945 ; un groupe de colons armés ouvrent le feu sur des manifestants (au moins 60 morts). Mars 1947, la Jeucafra laisse place au Racam (Rassemblement camerounais, interdit un mois plus tard), qui réclame ouvertement un État indépendant. Sur cette lancée, Um Nyobé participe, le 10 avril 1948, à la fondation de l’UPC. Il se fait très vite dénoncer comme agent du communisme international. Face au haut-commissaire André Soucadaux, Um Nyobé dénonce la discrimination raciale dont l’institutionnalisation « fait beaucoup pour renforcer notre méfiance et notre combativité » (2). L’UPC fait vite souche dans les pays bassa (dont est originaire Um Nyobé) et bamiléké (ouest du pays), ainsi que dans la ville portuaire de Douala. Soucadaux, proche de la SFIO, et Louis-Paul Aujoulat (secrétaire d’État à la France d’outre-mer), MRP, suscitent un bloc des démocrates camerounais (BDC), qui joue de l’arme favorite de l’impérialisme français, la division ethnique, agitant l’épouvantail bamiléké à destination notamment des Doualas. Élections de 1951 et de 1952, la restriction du corps électoral et la fraude permettent au Bloc de devancer l’UPC. Um Nyobé dénonçant les bourrages d’urnes massifs se voit qualifier d’adversaire de la démocratie !

    gal_3155.jpgMai 1955, la répression d’un rassemblement UPC dans le quartier New Bell, à Douala, ensanglante toute la région ; plusieurs centaines de morts, certains Camerounais parlant même en milliers. Le 13 juillet suivant, Roland Pré, successeur de Soucadaux, lance un mandat d’arrêt contre Um Nyobé et interdit l’UPC, contraignant celle-ci à la clandestinité et au passage « sous maquis ».

    À son tour haut-commissaire, Pierre Messmer réaffirme « le maintien de la tutelle confiée à la France », mais esquisse une médiation via un prélat camerounais. La négociation tourne court, l’UPC confirmant sa double volonté de réunification du Cameroun (ancienne colonie allemande divisée après 1918 en deux tutelles, française et britannique) et de souveraineté nationale. L’Église missionnaire dénonce Um Nyobé, de confession protestante, pour ses liens avec le « communisme athée condamné par le souverain pontife ». Ancien séminariste et leader du Bloc, André-Marie Mbida s’en prend à la « clique de menteurs » qu’incarnerait l’UPC. Sous la direction de Maurice Delauney – un proche de Jacques Foccart, lequel sera plus tard préposé aux affaires africaines par de Gaulle –, les troupes françaises organisent la « pacification ». Le 13 septembre 1958, Um Nyobé est exécuté au terme d’une opération menée par une troupe coloniale franco-tchadocamerounaise. Le docteur Félix Moumié lui succède à la tête de l’UPC. Implanté jusque-là en pays bassa, le maquis s’étend aux montagnes du pays bamiléké et forme l’ALNK (armée de libération nationale kamerunaise, orthographe héritée de la colonisation allemande). À l’ONU, l’UPC est soutenue par une majorité d’États africains et asiatiques.

    Début 1958, empêtré en Algérie, Paris entend bien empêcher l’ouverture d’un second front. L’indépendance est annoncée pour le 1er janvier 1960, mais Mbida, trop ostensiblement pion des Français, est remplacé par Ahmadou Ahidjo. Un homme en faveur duquel le pouvoir colonial mettait « des paquets de bulletins dans l’urne », selon une formule de l’ambassadeur Guy Georgy (3). Dans son étude, le Mouvement nationaliste au Cameroun (Karthala, 1986), Richard Joseph souligne qu’il s’agit là d’une première : un pays où ceux qui se sont battus pour l’indépendance sont écartés du pouvoir lorsqu’elle est officiellement prononcée au profit de ceux qui s’en déclaraient auparavant les adversaires…

    Contre les « bandes rebelles », Foccart suit la situation en permanence, se faisant remettre un rapport quotidien par le Sdece (services français de renseignements extérieurs, ancêtre de la DGSE). En 1960, son premier couteau, le colonel Maurice Robert, crée le service Afrique de cette officine barbouzarde. Le Sdece Afrique se forge aussitôt une filiale camerounaise, le Sedoc (service de documentation et d’études de la sécurité camerounaise). Dirigé par Jean Fochivé, commissaire formé par la France, le Sedoc s’illustre par sa pratique de la torture et des exécutions sommaires. Côté police, un Français, Georges Conan. Sur le plan militaire, deux conseillers encadrent Ahidjo, le colonel Noiret et le capitaine Leroy. Foccart expédie une véritable armée avec blindés, hélicoptères de combat et chasseurs bombardiers T 26. À sa tête, le général Max Briand, ancien d’Indo et d’Algérie. La « guerre révolutionnaire » théorisée par Trinquier et les officiers vaincus d’Indochine puis d’Algérie fait preuve de son atroce efficacité au Cameroun. Avec une stratégie en deux volets : les déplacements de population et la concentration de cette dernière dans des camps de regroupement ; la politique de la terre brûlée dans les régions ainsi censées avoir été évacuées. Napalm, puis opérations de nettoyage au sol.

    Dans un ouvrage aussitôt interdit sur intervention de Foccart (4), Mongo Beti cite Charles Van de Lanoitte, alors correspondant de Reuters à Douala, parlant de 40 000 morts pour le pays bassa et les seules années 1960-1961. Le même dénonçait « le régime effroyable des camps de torture et d’extermination » dont il avait été « le témoin horrifié ». Ahidjo demande à Michel Debré, alors chef du gouvernement, de maintenir des administrateurs français après l’indépendance. « Je décide, écrit l’hôte de Matignon, d’entreprendre une véritable reconquête. » Dans ses Mémoires, le même révèle une certaine frustration face au secret dont il avait dû entourer son action : « L’intervention militaire de la France au Cameroun est peu connue. L’attention des journalistes n’a pas été attirée par la décision que j’ai prise et son exécution. Jusqu’à présent, les historiens ont fait preuve de la même discrétion. Cet oubli est sans doute dû au fait que cette intervention s’est terminée par un succès. » Bref, l’ex-premier ministre regrette de ne pouvoir se tresser publiquement la couronne du vainqueur. Pour la première fois, les troupes françaises intervenaient dans une ancienne colonie pour sauver un régime serve en difficulté.

    Partage des rôles. Le Sedoc camerounais se charge du militant de base (arrestations par milliers), le Sdece français des têtes pensantes. Le 15 octobre 1960, Félix Moumié est empoisonné à Genève par un agent des services français, William Bechtel. L’assassinat aurait été commandité par Ahidjo à la Main rouge, organisation passerelle entre les services français et l’extrême droite liée aux milieux colonialistes d’Afrique du Nord, en fait le service action du Sdece.

    Une direction bicéphale de l’UPC se met en place : Abel Kingue en exil au Ghana, Ernest Ouandié dans le maquis. L’armée franco-camerounaise multiplie les massacres de villageois jusqu’en 1963. Deux noyaux de guérilla se maintiennent néanmoins et se manifestent sporadiquement. Installé dans les forêts proches de la frontière congolaise, le premier est décimé en 1966, son chef Afana Osendé décapité et sa tête ramenée à Yaoundé. Ernest Ouandié dirigera en pays bamiléké un petit groupe de maquisards jusqu’à son arrestation (août 1970). Il sera fusillé sur une place de Bafoussam en janvier 1971. La « reconquête » peut être considérée comme achevée, à la grande satisfaction d’Ahidjo.

    Encore une fois le bilan humain de ces quinze années d’atrocités demeure ponctuel. Max Bardet, le pilote cité en début de cet article, estime que sur les seules années 1962-1964 et dans le seul pays bamiléké, l’armée francocamerounaise a fait trois ou quatre cent mille morts. « Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race », constate-t-il froidement. Max Bardet ayant fait ses premières armes en Algérie et achevé sa carrière militaire au Tchad en 1969-1973, nul ne saurait lui contester le titre d’expert en ce domaine.

    JEAN CHATAIN

    (1) OK Cargo, de Max Bardet et Nina Thellier, (Grasset, 1988). (2) Le Problème national camerounais, recueil de discours de Ruben Um Nyobé, publié par Achille Mbembé chez l’Harmattan (1984). (3) Propos cités par François-Xavier Verschave : La Françafrique. Le plus long scandale de la République (Stock, 1998). (4) Main basse sur le Cameroun, de Mongo Beti, (Maspero, 1972)

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    Après 1960, le temps des déportations…

    Jeune instituteur en 1958, Iloga Thomas Mbee se souvient des affrontements qui ont éclaté au lendemain de l’indépendance d’un pays coupé en deux. Il raconte la répression féroce.

    Instituteur débutant en 1958 à Ngambe, un arrondissement du département d’Edea (ville située à une soixantaine de kilomètres de Douala), Iloga Thomas Mbee, garde un souvenir cruel du 1er janvier 1960, date qui pour lui, comme pour des dizaines de milliers de ses concitoyens, évoque moins l’idée d’indépendance que celle de déportation.

    « En 1958, à Ngambe, il n’y avait pas véritablement de troubles, mais une pression de tous les instants. Ici, tout le monde ou presque était nationaliste. Et lorsque l’indépendance a été proclamée, cela a éclaté chez nous. Le jour même. »

    Des maquisards sortent de la forêt pour rencontrer ceux qui s’apprêtaient à fêter l’événement. Ils font référence à la charte des Nations unies ainsi qu’à l’exigence de réunification du pays (le Cameroun était toujours divisé en deux parties : francophone et anglophone) pour dire que « l’indépendance est suspendue car elle n’est ni totale ni inconditionnelle  ». Vers quinze heures, les militaires arrivent avec véhicules blindés et mortiers. «  La bataille a éclaté avec des morts des deux côtés. » Les maquisards se retirent, mais, dès les jours suivants, vont de village en village délivrer leur message.

    « À partir de 1961, le gouvernement fait évacuer les villages lointains. Parfois dans un rayon d’une centaine de kilomètres. Les populations sont regroupées soit au bord d’une route, soit à proximité de l’arrondissement. Le villageois qui refusait était pourchassé ; s’il n’était pas tué, il lui fallait gagner le maquis. Les villages abandonnés étaient fichus après une saison des pluies. » Outre ceux qui étaient originaires du Cameroun, les soldats étaient tchadiens, centrafricains, sénégalais, l’encadrement français, « même si sa présence est devenue moins ostensible après 1962 ». Dans les villages dits regroupés, « un jour vous était fixé pour aller chercher de la nourriture dans vos plantations, sinon interdit de gagner la brousse ». Racket et pillage étaient de règle : « Des militaires s’improvisaient commerçants. Pétrole, savon, riz… Chaque foyer devait entretenir une lampe tempête, de jour comme de nuit, avec interdiction de la laisser s’éteindre sous peine de sanction. Vous étiez bien obligé d’être client chez le militaire ! »

    « La base s’installait là où il y avait l’église et l’école. J’étais une fois dans une petite école où, les militaires étant temporairement absents, les maquisards sont venus. Vers 1962 ou 63. L’un d’eux me prend à parti : “ On a dit que l’indépendance était suspendue, pourquoi continuez-vous à enseigner ? ” Je lui fais remarquer qu’il m’a parlé en français, donc que lui-même a reçu une éducation. Les maquisards repartent en emmenant une dizaine d’élèves et moi-même. Colère de leur chef : “ Qui vous a dit d’amener le directeur ici ? Ramenez-le ! ” Ils nous ont reconduits au camp, mais là tous les autres s’étaient enfuis, redoutant le retour prévisible des militaires. Lesquels reviennent effectivement vers 6 heures du matin. Ils me contrôlent puis lancent des appels à travers la brousse. Les villageois réapparaissent un à un, à pas lents. »

    Pour être moins visible, la présence des Français imprégnait l’atmosphère du camp. « Ce sont eux qui, éventuellement, vous interpellent pour une enquête » sur la foi des « renseignements colons » (les informations fournies par les indicateurs). Un exemple des méthodes d’interrogatoire : « On met un fût ; on met du charbon ; on met ce qu’on appelle le piment ; on allume… Vous, vous êtes suspendu la tête en bas, juste au-dessus. Coupable, pas coupable, au courant, pas au courant, vous parlez. »

    Cette vie, Iloga Thomas Mbee l’a subie jusqu’en 1972, date où les villages regroupés furent fermés. « La période a été très difficile, très menaçante et il y a eu beaucoup d’exilés. Durant tout ce temps, il n’y a eu qu’un vent qui est venu et ce vent s’appelait l’UPC. »

    J. C.


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    Lire aussi :  https://visionscarto.net/la-guerre-du-cameroun

    Ici un excellent documentaire :


     


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  • Le 2 octobre 1968 était sauvagement assassiné par les sbires de Mobutu le leader révolutionnaire Pierre Mulele, héros du peuple congolais.

    Congolite - biographie des leaders

    Mulele Pierre Mulele naquit le 11 juillet 1929 à Isulu-Matende, un petit village situé dans le secteur de Lukamba sur le territoire de Gungu (Bandundu). Son père, Benoît Mulele, avait fait des études d’infirmier. Il était l’un des premiers intellectuels de la région. Sa mère s’appelait Agnes Luam. Le jeune Pierre bénéficia de bonnes conditions d’éducation ; son père lui avait appris l’alphabet avant qu’il n’aille à l’école. Benoît Mulele était très aimé par la population de la région d’Idiofa. Il prenait à coeur le sort des malades les plus démunis. C’est dans cet esprit qu’il éleva ses enfants. À l’école, le jeune Mulele était connu pour son aversion de l’injustice. Désigné comme surveillant du dortoir des plus jeunes élèves à l’école moyenne de Leverville (actuelle Lusanga), il ne dénoncera jamais un seul élève.

    En janvier 1951, Mulele, jugé «rebelle» et anticolonialiste, fut renvoyé de l’Ecole d’Agriculture. Le directeur l’envoya à l’armée, où il obtint après six mois le grade de caporal.

    Très jeune, Mulele était déjà un organisateur. Il comprit très tôt que les opprimés devraient s’organiser pour devenir une force. En 52, il demanda à son ami Fernand Nima de regrouper les anciens élèves de la mission de Leverville qui résidaient à Léopoldville. Nima fonda l’Unamil, l’Union des anciens élèves de la mission Leverville. Après sa démobilisation, Mulele arriva, début 1953, à Léopoldville. Il y fut engagé par la Direction générale des bâtiments civils comme commis de deuxième classe.

    Dès son arrivée, Mulele organise au sein de l’Unamil des causeries contre le colonialisme. Il fut aussi actif dans l’Apic, l’Association du personnel indigène de la colonie, une organisation syndicale. Dès 1953, il se lance dans une campagne visant à obtenir l’égalité des droits entre les fonctionnaires blancs et noirs. Cette campagne pour «le statut unique» impulse la prise de conscience nationaliste de nombreux « évolués ». Le 10 octobre 1958, Lumumba fonde le Mouvement National Congolais (MNC). Mulele estime que ce parti est trop lié aux colonisateurs puisque des éléments comme Ileo et Ngalula, proches de l’Eglise catholique et de l’administration coloniale, se trouvent à sa direction. Ce n’est qu’en juillet 1959 après les défections de Ileo, Ngalula, Kalonji et Adoula. que le parti de Patrice Lumumba trouvera grâce aux yeux de Mulele qui va encourager le rapprochement avec le Parti Solidaire Africain, à la naissance duquel il a participé.

    C’est la révolte de Léopoldville, qui a précipité la fondation du Parti Solidaire Africain, comme en témoigne Pierre Mulele : «Les nôtres se sont vaillamment battus sans armes. S’ils avaient disposé d’une bonne organisation et d’armes en suffisance, ils auraient pu libérer la ville».

    La mort de Lumumba pousse Mulele à entrer au maquis

    L’assassinat de Patrice Emery Lumumba en janvier 1961 a profondément révolté Pierre Mulele. Ce qui le conduira quelques années plus tard à prendre le maquis dans sa région natale du Bandundu pour poursuivre l’œuvre du « maître ». De décembre 1967 à septembre 1968, Pierre Mulele et ses lieutenants, dont sa fidèle compagne Léonie Abo, installés à Matende-Lukamba, animent le mouvement insurrectionnel. Harcelé par les troupes de Mobutu et ses mercenaires, Pierre Mulele qui doit faire face à d’insurmontables difficultés logistiques, continue inlassablement à poursuivre la formation politique et idéologique de ses partisans. Mais les renforts en armes, en hommes et en cadres lumumbistes qu’il attend de Brazzaville tardent à venir.

    Le maquis - deboutcongolais.info 

    Le manifeste de Mulele et Bengila

    À partir d'avril 1962, Mulele et son ami Theodore Bengila suivent des cours politiques et militaires en Chine. À leur retour à Kinshasa, ils publient en juin 1963 un manifeste pour annoncer la révolution populaire qu'ils apprêtaient de déclencher.

    "Peuple congolais, le pays est en train de mourir à cause des manoeuvres colonialistes. Les colonialistes veulent nous imposer une nouvelle forme de domination, le néo-colonialisme, c'est-à-dire une domination par l'intermédiaire de nos propres frères traîtres et corrompus, c'est-à-dire les réactionnaires de la bourgeoisie.

    Il n'est pas besoin de vous démontrer la barbarie, la cruauté de cette nouvelle forme de colonialisme. Les néo-colonialistes utilisent diverses méthodes: tueries, assassinats, empoisonnements, la corruption avec des sommes colossales d'argent en dollars, la propagande mensongère par radio, journaux, tracts.

    Beaucoup de dirigeants qui, hier, étaient vos défenseurs acharnés, ont trahi la cause du pays. Le pays est tombé entre les mains d'une caste qui ne cherche qu'à s'enrichir d'une manière scandaleuse, rapide, révoltante, impitoyable au détriment des intérêts réels du peuple qui continue à mourir de faim.

    La stratégie américaine au Congo s'appuie sur nos divisions, nos querelles, nos luttes tribales, provoquées et entretenues d'ailleurs par les sociologues et psychologues américains qui sont partout dans le pays.

    Il nous faut parer à cette situation menaçante.

    Sur le plan interne, nos efforts doivent tendre à balayer toutes les traces du colonialisme. Il va de soi que nos frères traîtres, qui servent d'intermédiaires aux capitalistes et qui constituent le support d'une politique étrangère doivent subir les rigueurs de notre lutte de libération totale. cette lutte doit se mener sous la direction d'un pouvoir populaire et démocratique.

    C'est aussi une fausse conception que l'indépendance équivaut à prendre la place des anciens dirigeants coloniaux pour ne rien changer quant à la structure économique du type colonialiste.

    L'indépendance, si l'on la veut entière et totale entraîne une lutte héroïque et implacable du colonisé parce que sa réalisation implique un changement radical. C'est une lutte systématique de décolonisation. Elle est dure et de longue haleine.

    C'est une utopie de croire que la décolonisation totale et réelle puisse se réaliser sans casse. L'histoire de l'humanité nous le prouve avec éloquence. Notre détermination dans la lutte nous conduira à la victoire et celle-ci est inéluctable."

    7. Le début du maquis du Kwilu

    Le 3 juillet 1963, Mulele revient clandestinement de Chine à Kinshasa via Brazzaville. "La stratégie parlementaire a définitivement échoué à Lovanium, dit-il. Tous les nationalistes doivent quitter la capitale et rentrer chez eux. Il faut se préparer pour déclencher dans toutes les régions du pays un soulèvement populaire."

    Mulele promet d'accueillir au Kwilu tous les dirigeants qui veulent s'engager dans la lutte armée et de les former pour qu'à leur tour ils créent des bases d'entraînement. "Il faut d'abord former des cadres et préparer la population. Je ne veux pas agir avant 3 ans."

    Les débuts du maquis

    Début août, Mulele et quatre compagnons, Bengila, Mukulubundu, Mukwidi et Mitudidi arrivent au Kwilu dans la région de Nkata. Très tôt le matin, ils y tiennent la première réunion du maquis. Mukwidi et Mitudidi doivent aller à Léopoldville dès le mois d'août pour contacter les cadres nationalistes susceptibles de s'engager dans la lutte. Mitudidi, traducteur chez Mabika Kalanda, doit aussi garder le contact avec les pays progressistes africains, avec la Chine et Cuba.

    Dès le 6 août, Mulele commence à recruter des partisans. Parmi le premier groupe de dix jeunes, Valère Etinka, le petit frère de Bengila et une seule fille Léonie Abo. À la fin du mois, le camp compte 580 partisans, dont 150 jeunes filles.

    La répression s'abat sur tous les villageois: le sang coule

    Le 3 septembre déjà, le gouvernement proclame la "mise à prix de la tête de Mulele" et décide d'envoyer des troupes vers "les régions troublées".

    L'abbé Placide Tara témoigne de la répression qui sévit dès septembre dans le triangle Kikwit-Idiofa- Gungu: "Le chef de clan chez qui manque un enfant, fille ou garçon, paie l'absence. Il est torturé, les parents de l'enfant de même. On leur inflige de fortes amendes et on parvient à ravir les habits des chefs de clan. Les scènes sont parfois horribles à voir. Tous les hommes doivent se coucher à plat ventre. Les militaires et les policiers marchent sur le dos des villageois couchés par terre. Ils les rouent de coups de bâton. Le sang coule."

    Mulele déclenche l'insurrection populaire

    Le 1er janvier 1964, Mulele donnait l'ordre de passer à l'action. Pendant tout le mois de janvier les équipes menaient dans la province du Kwilu des opérations ponctuelles dans le but de se procurer des armes et de punir les réactionnaires les plus endurcis.

    Le 13 janvier, Jérome Anany, ministre de la Défense, prit la charge des opération au Kwilu, où il se rendaient en compagnie de Mobutu. Le 14 janvier, une compagnie de l'ANC, envoyée en renfort, débarquait à Kikwit. le 18 janvier, Kasavubu décrétait l'état d'exception dans toute la province du Kwilu.

    La terreur était horrible. À Mungindu, les policiers organisaient des razzias et entassaient par centaines leurs victimes ensanglantées dans la prison. La revue belge "La Relève" du 1 février écrit: " Un camion maculé de sang est arrivé de Mungindu. Le chauffeur a raconté qu'il a dû emporter 87 cadavres pour les faire enterrer. Ils ont péri asphyxiés, parce qu'ils étaient entassés à 124 dans un local trop petit. "

    L'abbé Tara, qui par la suite a rejoint le maquis, témoigne: " Les militaires incendient les cases, tuent tout être humain qu'ils voient, attrapent des chèvres, des poules. Le gros bétail sur leur passage attrape aussi des balles. " Tarra avait entendu une conversation entre soldats, qui disaient: " On a tué des policiers, mais nous devons tuer 500 civils. Un policier vaut 500 civils. Si c'était un militaire qui avait été tué, alors nous allions massacrer le village entier. "

    Le premier territoire libéré

    Le 22 janvier, Mulele donnait l'ordre à toutes les unités combattantes de passer à une offensive générale. Les partisans détruisaient les ponts et les bacs. Ils creusaient de larges fosses dans les routes. De cette manière, ils voulaient empêcher les déplacements militaires et obliger l'armée à se diviser en unités plus réduites.

    En même temps, des équipes de 100 à 200 partisans, souvent renforcés par des villageois, s'emparaient des personnalités particulièrement détestées dans les villages et les exécutaient.

    À la fin de février 1964, les partisans de Mulele exerçaient un contrôle réel sur un territoire de 300 km de long sur l'axe nord-sud et de 120 km de large sur l'axe est-ouest. Mulele avait eu trois mois pour former ses premiers cadres. Rentrés chez eux, ceux-ci ne disposaient que de deux mois pour organiser et entraîner les équipes locales et pour préparer les masses.

    Le 20 janvier, le mouvement muléliste toucha le centre minier et diamantaire au Kasaï, Tshikapa. Au nord de la province du Kwilu, les mulélistes traversèrent le fleuve Kasaï en direction d'Oshwe. Ils étaient même arrivés dans la région de Coquilhatville. Le 19 février le gouvernement central annonça que plus aucune autorisation ne serait accordée pour se rendre au Kwilu.

    Le maquis s'étend et la répression s'aggrave

    Début octobre, il y avait déjà 940 partisans. C'était trop, il fallait se diviser en trois groupes: un groupe de 380 combattants sous la direction de Mukulubundu part vers le Nord, entre Kalanganda et Bulwem. Mulele et Bengila dirigent une section centrale de 350 hommes, à une bonne trentaine de kilomètres d'Idiofa. Le troisième groupe, commandé par Louis Kafungu s'établit d'abord près de Yassa-Lokwa, pour se déplacer ensuite vers Kilembe.

    Entre temps, la répression mobutiste continue. Partout où passent ses troupes, les villages sont pillés: manioc, légumes, cochons, poules sont emportés. Le 19 décembre, Mobutu arrive à Kikwit accompagné des colonels belges Marlière et Noël. Des jeunes, soupçonnés d'être des partisans de Mulele, sont pendus. Conscient que les conditions ne sont pas mûres pour la confrontation, Mulele ne riposte pas. Il donne la priorité à la préparation politique. Fin décembre, il y a déjà plus de 5.000 partisans.

    En novembre et décembre, des partisans impatients lancent des actions sporadiques contre les représentants du gouvernement anti-populaire. Des bâtiments appartenant à des Blancs sont attaqués à Kakobola, Mungindu, Yassa-Lokwa, Kanga et Kilembe.

    8. La formation dans le maquis

    D'abord il y avait l'entraînement physique et militaire. Ensuite, il y avait des leçons politiques, dont le premier objectif était de susciter parmi les masses la haine et le mépris du régime existant et l'amour du peuple. Un commissaire politique raconte: "Il suffit de vivre parmi les masses, de voir ce qui les tracasse, d'écouter leurs plaintes, pour trouver les thèmes et le matériel d'une leçon politique. Une fois qu'on a suscité la haine des injustices, on se met ensemble pour trouver les moyens de changer cette situation."

    Mulele et Bengila expliquaient les principes de la guérilla, de l'organisation et du renseignement. La solidarité entre combattants est la pierre d'angle du mouvement: les partisans partagent leurs joies et leurs peines; les dirigeants doivent vivre de la même façon que les maquisards et donner l'exemple en tout. Les partisans doivent être dans le peuple comme le poisson dans l'eau: l'organisation puise toute sa force dans les masses populaires. Elles constituent la principale source de renseignements. Le partisan doit toujours privilégier l'action politique en expliquant les méfaits et les crimes des réactionnaires. La lutte armée en sera grandement facilitée, parce que les masses, conscientes de leur rôle, rapporteront aux partisans tous les événements dont elles sont les témoins. Le combattant tentera de nouer des relations avec le plus grand nombre possible de villageois. 

    "Ils sont comme des moustiques qui nous sucent tout notre sang"

    Une leçon politique de Pierre Mulele sur les classes sociales

    Mulele enseignait que celui qui veut faire une politique pour les masses populaires, doit d'abord analyser les classes sociales qui existent dans la société.

    Il faut toujours étudier qui possède les moyens de production et de circulation (la terre, les usines, les machines, les camions) et qui contrôle l'Etat. Les classes exploiteuses possèdent les moyens de production et possèdent l'Etat; c'est pour cette raison qu'elles peuvent exploiter les ouvriers, les paysans, les petits commerçants et les petits fonctionnaires. Pascal Mundelengolo se distinguait par sa faculté d'exposer les leçons politiques sous forme de dialogue, compréhensible pour les villageois. Voici comment il expliquait les idées de Mulele.

    "Il y a maintenant chez nous trois classes de vie.

    La première classe, c'est nous qui produisons, les coupeurs de fruits de palme.

    Qu'est-ce que nous recevons pour nos fruits? Est-ce que nous pouvons encore acheter les pagnes pour les femmes avec notre salaire? Non, nous ne pouvons plus acheter de wax.

    Quand nous vieillirons, est-ce que nous aurons une pension? Non, nous n'y avons pas droit.

    La deuxième classe, ce sont les Blancs qui achètent nos fruits. Est-ce que nous savions ce que les Blancs pourraient faire avec nos produits? Personne parmi nous ne le savait. Avec nos fruits, le Blanc fabrique de l'huile de palme, du savon, des bougies, du beurre. Les coques, il les vend comme bois de chauffage. Il mélange les déchets avec le maïs pour obtenir du fourrage pour la volaille.

    Tout cela, est-ce que nous le savions? Nous ne connaissions pas la vraie valeur de nos fruits de palme. C'est nous qui faisons le travail dangereux, mais nous ne recevons presque rien. Le Blanc vole nos richesses. Les impérialistes sont comme les moustiques. Vous avez travaillé et peiné toute la journée. Avec votre argent, vous mangez pour vous procurer du sang qui est nécessaire pour vivre. Alors, les moustiques viennent et ils sucent votre sang, et ils ne laissent plus une seule goutte dans votre corps. Ils deviennent très gras. Mais, dites-moi, est-ce que c'est eux qui ont travaillé?

    Les richesses sont produites par nous, mais nous n'en profitons pas. Est-ce que vous êtes contents de cette situation? Non, on n'est pas contents. Les Blancs viennent et eux ils fixent les prix.

    Mais pourquoi est-ce que vous ne pouvez pas fixer les prix? Ah oui, quand est-ce qu'on aura ce pouvoir-là? Oui, voilà ce qu'on cherche. Nous ne voulons plus travailler comme avant.

    Alors, nous faisons la connaissance d'une troisième classe. Il y a des personnes qui se mettent du côté du Blanc et qui nous disent: vous n'avez pas le droit de faire grève. Nous revendiquons une juste cause, mais eux, ils nous mettent en prison. Entre le Blanc et nous, se trouve le réactionnaire noir.

    Dans un régime normal, le gouvernement doit prendre les mesures pour satisfaire les besoins du peuple. Mais nos chefs ne savent que donner des amendes, lever des impôts, arrêter et torturer. Les Blancs les paient pour ça. Le Blanc corrompt nos frères qui sont réactionnaires pour nous causer du tort. Le militaire qui a tué toute sa vie aura sa pension et retournera au village. Est-ce qu'il va continuer à exterminer ses propres parents? Non, le militaire doit aussi apprendre pourquoi ses parents luttent. Quand il aura compris, il rejoindra notre combat." 

    Le capitalisme ne vivra pas éternellement

    Une leçon politique
    donnée par Théodore Bengila

    "L'impérialisme est venu au Congo, mais il faut savoir que chez lui, il s'appelle d'abord le capitalisme. En Belgique aussi, il y a un petit nombre de personnes qui ont le pouvoir et qui commandent le gouvernement et l'armée. Ce petit nombre possède les usines du pays, les machines et les outils avec lesquels le travail peut s'effectuer. Là-bas en Belgique, la terre manque, tu ne peux pas aller labourer les champs pour avoir quelque chose à manger. Donc, si un patron ne te donne pas du travail, tu peux même mourir. Le travailleur est ainsi obligé de se vendre pour une faible somme d'argent, mais le patron l'oblige à bosser durement. De cette façon, tous les patrons ont gagné beaucoup d'argent. Tant d'argent qu'ils ne savent plus quoi en faire en Belgique ou en Europe. Ca, c'était à la fin du siècle passé. Alors, cet argent des capitalistes est venu ici au Congo et l'impérialisme a pris naissance. Ces capitalistes ont pensé qu'au Congo, il y a encore beaucoup de richesses, des palmeraies, du cuivre, du diamant. Ils viennent nous prendre par la force pour que nous coupions des noix de palme, pour que nous creusions la terre pour en sortir le cuivre. Ils nous accordent un salaire de rien du tout et ils transportent toutes nos richesses chez eux. Ainsi, ils gagnent encore plus d'argent. Puis, avec les matières premières qu'ils ont volées chez nous, ils fabriquent du savon et d'autres produits qu'ils réexportent au Congo. Avec notre petit salaire, nous sommes obligés d'acheter ces produits et les capitalistes en profitent une fois de plus. Bref, l'impérialisme, c'est un voleur qui dévalise deux peuples, les travailleurs belges et le peuple congolais.

    Mais le capitalisme ne va pas vivre éternellement. Tout a un début et une fin. Maintenant que le capitalisme exploite toute la planète, c'est le monde entier qui est entré en lutte contre lui. Dans le capitalisme, il y a le petit nombre qui possède tout et qui décide de tout. Il y a des classes, des riches et des pauvres, des oppresseurs et des opprimés. Sur la terre entière, les gens qui travaillent durement vont chasser le capitalisme et le remplacer par le socialisme. Dans le socialisme, il n'y a pas de classes, tous les gens ont les mêmes chances, peuvent faire des études et devenir dirigeants. Les usines ne sont plus pour la petite minorité mais pour le peuple. Les richesses produites servent à nourrir, vêtir et éduquer tout le monde pour qu'il n'y ait plus de maîtres et d'esclaves, plus de riches et de mendiants."

    (Abo, Pages 111-112)

    Pas de révolution sans les femmes

    Une leçon de Mulele sur le rôle des femmes

    " Les femmes mettent les enfants au monde; pourquoi doivent-elles laisser la lutte aux seuls enfants et rester derrière eux? Elles souffrent avec les enfants, elles doivent lutter avec les enfants, mourir ensemble ou connaître le bonheur ensemble. Les femmes connaissent beaucoup de choses Elles ont l'habitude de bien réfléchir, elles peuvent nous donner conseil. Si les hommes agissent seuls, ils feront des bêtises. La mère de Marc Katshunga, à l'indépendance, était déjà très vieille, mais elle écoutait chaque jour les nouvelles à la radio. La femme doit s'intéresser au sort du pays. Sinon, elle ne comprendra pas pourquoi son enfant lutte, elle dira qu'il est bandit.

    Les femmes sont toujours avec les enfants, elles les éduquent Si la femme ne connaît pas les misères du pays et ne sait pas comment lutter, les enfants ne l'apprendront pas non plus. Il y a des pays ou les femmes ont lutté à côté des hommes. Angela Davis est une Noire américaine qui a beaucoup lutté. Valentina Terescova a été la première femme astronaute.

    En Chine, j'ai vu des femmes travailler comme ingénieur, directeur d'entreprise, pilote d'avion, j'en ai vu commander dans l'armée, conduire des chars. Avant la révolution, la femme chinoise ne pouvait pas sortir de sa maison. Dès l'enfance, on lui bandait les pieds pour qu'ils restent petits, atrophiés. Sur ses pieds déformés, la femme ne pouvait pas s'enfuir. C'est le président Mao qui a combattu tout cela. "

    (Abo, Page 83-8)

    9. Le Conseil National de Libération et l' agression belgo-américaine de 1964

    Le 25 septembre 1963, des députés du Parlement manifestent à Léopoldville pour la libération de Gizenga, le président du PSA. Mukwidi, Yumbu, Mulundu, Masena, Tumba Mwasipu, Bocheley et Gbenye sont arrêtés. Le 19 octobre, le gouvernement déclara l'état d'exception.

    Tous les pouvoirs sont à ce moment concentrés entre les mains de Kasavubu, Mobutu, Nendaka, Anany, Maboti, Kandolo et Bomboko. Le MNC-L et le PSA-Gizenga sont interdits. Un Conseil National de Libération est formé le 3 octobre 1963 sous l'impulsion de Mitudidi et de Mukwidi, qui ont commencé la révolution avec Mulele.

    Une ordonnance-loi signée le 16 décembre 1963 définit dans son article 202 que "sera puni de mort quiconque, en vue de troubler l'Etat, en faisant attaque ou résistance envers la Force publique, se sera mis à la tête de bandes armées."

    Après leur libération, les parlementaires lumumbistes se retirent à Brazzaville. Chassé de son siège parlementaire, Gbenye se laisse convaincre par Mukwidi, Mitudidi et Yumbu à accepter la création d'un Conseil National de Libération. Mais très vite, il y a un désaccord entre Gbenye et ceux qui suivent les conseils de Mulele. Les nationalistes radicaux ne veulent à aucun prix que Gbenye dirige le CNL, parce qu'ils le tiennent pour responsable de la capitulation à Lovanium et parce qu'il a signé l'arrestation de Gizenga.

    Le programme de Libération Nationale

    Le 5 février 1964, les nationalistes radicaux retirent le mandat de président provisoire à Gbenye. Bocheley devient le nouveau président du CNL.

    C'est au nom de cette organisation que Léonard Mitudidi, Thomas Mukwidi et Abdoulaye Yekodia rédigent le programme du CNL, publié le 15 avril 1964. Quelques extraits.

    "La solution à la crise congolaise a son fondement dans les masses populaires et exclut tout recours à un simple changement d'hommes par une mascarade électorale ou à la suite d'un coup d'Etat militaire. La solution du problème congolais implique un changement complet et radical des formes d'organisation économique et des options politiques de notre pays. ... Aucune solution viable ne peut voir le jour à la suite d'élections ou d'un référendum dans le cadre politique actuel caractérisé par le fascisme, la soumission aux USA, l'abus des pouvoirs, la fraude. ... Le CNL préconise toutes les formes de lutte susceptible de renforcer l'action révolutionnaire armée: protestations, manifestations, agitation, comités de solidarité avec les combattants. ... Le gouvernement révolutionnaire adoptera une orientation économique inspirée d'une connaissance scientifique des lois sociales: l'expérience socialiste, adaptée aux conditions de notre pays, est la voie sûre de développement pour nos masses laborieuses."

    Les troupes mobutistes chassées de deux tiers du territoire national

    À l'exemple de l'insurrection du Kwilu-Kwango, tout l'Est du Congo s'enflamma à partir d'avril 1964. Toutes les masses, à l'Est du Congo, étaient lumumbistes. Elles étaient inspirées par l'insurrection que Mulele avait déclenchée à l'Ouest, fin 1963.

    Les révolutionnaires à l'Est n'avaient jamais vu Mulele, mais ils allaient au combat sous le cri: "Mulele maï!". Le général Olenga déclara: "Le Lumumbisme est une doctrine, tandis que le Mulelisme est une force. Les deux éléments conjugués donnent une arme invincible pour délivrer le peuple congolais de la servitude des impérialistes."

    En août, les troupes mobutistes sont déjà chassées de deux tiers du territoire national. Les troupes de Mobutu étaient en pleine débandade. Seul Tshombe disposait encore d'une force combattante redoutable: 10.000 mercenaires katangais gardés en réserve à l'ombre des fascistes portugais en Angola.

    Tshombe, premier ministre à Kinshasa

    Tshombe est le principal responsable de la mort de Lumumba. Il était une marionnette que les Belges ont utilisée pour créer le soi-disant: "Etat Indépendant du Katanga".

    L'impérialisme belge et américain se sont mis d'accord pour placer Tshombe au poste de premier ministre à Kinshasa. Tshombe reçoit ses ordres à Bruxelles, où il rencontre, le 24 juin 1964, Spaak et l'ambassadeur américain Douglas Mc Arthur. Le 10 juillet, Tshombe prête serment "aux lois du Congo et au chef de l'Etat" entre les mains de Kasavubu.

    Thsombe, Kasavubu et Mobutu organisent une véritable terreur contre les masses insurgées. Mais ils ne peuvent pas contenir la volonté de libération des masses populaires, inspirées par Mulele. Alors ils demandent aux gouvernements belge et américain d'intervenir militairement pour écraser la révolution.

    À partir du 14 septembre 1960 jusqu'au 24 novembre 1965, le Congo a été dirigé essentiellement par Kasavubu, Mobutu et Tshombe. Ces trois personnages ont été les principaux instruments du néocolonialisme dans sa lutte contre les nationalistes. Il est faux de prétendre que "la démocratie" existait au Congo jusqu'au coup d'Etat de Mobutu en 1965.

    C'est lélimination de Lumumba le 14 septembre 60 qui a marqué le début de la dictature néocoloniale exercée contre les masses lumumbistes.

    La contre-offensive pour écraser l'insurrection muleliste

    Le colonel Vandewalle, l'attaché militaire de l'Ambassade belge à Kinshasa, envoie, le 3 septembre 64, une note à Spaak. Il constate que Mobutu n'a plus d'armée. "Il faut considérer que sauf quelques détachements, l'ANC actuelle est, soit mutinée, soit passée à la rébellion, soit accrochée dans des camps, loin du front, d'où elle refuse de sortir. Les autorités congolaises, notamment Tshombe et Mobutu, sont d'accord pour déclarer qu'elle doit être remplacée."

    La Belgique dépêche 390 officiers et techniciens au Congo, auxquels elle ajoute 320 paras lors de l'opération Dragon Rouge du 24 novembre 1964. En mars 1965, Mobutu a à son service 637 mercenaires blancs.

    Début novembre 64, le colonel Vandewalle dit à ses hommes: "La liquidation du gouvernement révolutionnaire s'impose au plus tôt."

    À l'Est du Congo, les forces nationalistes sont écrasées lors de l'Opération Ommegang exécutée par la colonne Vandewalle. Ce corps compte 65 officiers belges, 390 mercenaires blancs, 65 officiers katangais et 4.200 soldats noirs, essentiellement des mercenaires katangais venus de l'Angola.

    Vandewalle ne cache pas qu'il revit les journées de grandeur coloniale. "Tous les membres de l'État-major de la 5ième Brigade mécanisée (colonne Vandewalle) avaient servi à la Force publique. Ce fut la dernière fois qu'un groupe d'officiers des anciennes troupes coloniales belges, conduisit des opérations en Afrique centrale." 

    Le général sans soldats Joseph-Désiré Mobutu a signé personnellement l'ordre de recruter 1.000 mercenaires. Il déclara : " Au départ et en principe, je n'étais pas très chaud pour engager des mercenaires. Et puis, la situation militaire est devenue telle que j'ai dû engager moi-même des mercenaires pour combattre la rébellion. Mais il n'y en a jamais eu plus de mille. Ce sont des hommes valables qui aident réellement les populations de l'intérieur. Cela me peine qu'on les traite comme des mercenaires à chasser. On ne les chassera pas. Je sais qu'ils viennent ici pour gagner de l'argent, mais beaucoup d'entre eux travaillent avec un grand idéal. Blancs et Noirs, tous sont officiers et exercent effectivement leur commandement. C'est indispensable. Et les soldats sortis de Kitona sont maintenant sans complexes : ils trouvent tout normal d'être commandés par des officiers blancs et noirs. Ici au quartier général, les officiers belges exercent des responsabilités réelles, comme s'ils se trouvaient dans l'armée belge. "

    10. L'organisation est la clé de la victoire

    L'organisation créée par Mulele en 1963 constitue un progrès essentiel par rapport aux partis nationalistes des années '59-'60. Chacun avait sa responsabilité dans le maquis

    La lutte pour l'indépendance a été une explosion spontanée après 80 années d'oppression coloniale. Toute la masse s'est lèvée pour soutenir les "évolués" qui lui promettent la liberté et le bien-être. Mais le peuple n'avait pas encore une compréhension de l'histoire et une connaissance des forces qui exploitent le Congo. Le peuple ne participait pas de façon organisée et disciplinée à la lutte.

    Mulele a dirigé, aux côtés de Lumumba, cette lutte et il en senti les limites. À l'étranger, et surtout en Chine, il a étudié l'expérience des révolutions populaires victorieuses et il a étudié le marxisme-léninisme qui résume l'expérience révolutionnaire de tous les peuples opprimés.

    Mulele est revenu au Congo avec une approche toute nouvelle du combat pour la libération.

    Retourné au Kwilu, Pierre Mulele réussit à organiser chaque villageois et à le faire participer consciemment à la lutte. Il met sur pied une double structure d'encadrement. Le comité de village dirige les affaires des villageois. L'équipe de partisans est responsable de la lutte armée contre l'ennemi.

    Cette double structure permet une politisation profonde des masses et une participation active à toutes les tâches de la révolution.

    L'organisation muleliste est constituée de quatre niveaux: la Direction générale, les commandants de zone, les sous-directions et les équipes de partisans et les comités de villages.

    Un noyau de cadres supérieurs dirige l'ensemble du mouvement. Ils sont groupés autour du commandant en chef Mulele àla Direction générale. Mulele et Théodore Bengila supervisent tout le travail politique et militaire.

    Laurentin Ngolo, Pascal Mundelengo et Godelieve Madinga parmi sont les principaux collaborateurs de Mulele et Bengila dans le domaine politique.

    Théotime Ntsolo et Ngwensungu donnent la formation militaire aux meilleurs combattants regroupés dans le bataillon de l'état-major. Louis Kafungu dirige l'état-major général.

    L'organisation des structures de la direction

    Au premier niveau de la Direction générale, plusieurs bureaux assument des tâches précises.

    Le bureau d'études et de documentation élabore les textes qui servent de base aux leçons politiques.

    Le bureau d'information et de presse présente chaque jour à Mulele, Bengila et Ngolo un résumé de toutes les informations. Les rédacteurs écoutent les émissions de Pékin, de Cuba, de Moscou, de Bruxelles, Paris et Londres. Ils assurent la publication de La voix de la révolution.

    Le bureau de politique intérieure forme les instituteurs et les autres intellectuels à leur responsabilité de commissaires politiques.

    Il y a un tribunal, un département de santé et un dépôt central où l'on enregistre et garde le matériel confisqué à l'ennemi ainsi que les biens offerts par les masses populaires.

    Le bureau technique est consacré à la fabrication des pupus, des fusils de chasse et des explosifs. En plus il y a une prison, un bivouac où six à sept prisonniers résident et reçoivent des leçons politiques. Il existe également un important service de garde qui doit signaler la présence éventuelle de militaires dans un rayon de 10 à 20 km du camp. À une certaine période, l'abbé Tarra dirige la sécurité du camp.

    Dans la cuisine collective, on prépare la nourriture pour les deux mille personnes qui vivent à la direction générale.

    Le deuxième niveau de la structure est formé par les commandants de zone. Le territoire libéré compte sept zones. Chaque zone est dirigée par un commandant qui a son bureau à la Direction générale. Là, les commandants disposent d'un petit noyau de collaborateurs. Ils se rendent régulièrement dans leur zone pour y conduire ou superviser les opérations. Ils consultent Mulele, Bengila et Kafungu pour toutes les affaires importantes.

    Les tâches des équipes et des comités villageois

    Les équipes de partisans représentent le noyau de base du maquis muléliste. Une équipe compte en moyenne 53 combattants et il y eu au total entre 90.000 et 100.000 personnes organisées dans les équipes. Entre 20 et 35% étaient de jeunes filles. Chaque Equipe est dirigée par un commissaire politique et un commissaire militaire. Le commissaire militaire est en général élu à cette fonction par les partisans. À l'intérieur de chaque équipe, il y a une division des tâches: l'information, le renseignement, l'intendance; la santé, le service de garde, etc...

    Les comités comptent trois responsables principaux : le chef du comité, le responsable militaire et le responsable de l'agriculture. De nombreux liens existent entre l'équipe et le comité de village. L'équipe est le noyau armé du village qui défend les villageois contre les militaires réactionnaires.

    Le troisième niveau est la sous-direction. Elle tient le milieu entre l'équipe de village et la Direction générale. L'équipe la plus vaillante d'une région, qui dispose des meilleurs cadres formés à la Direction générale, se voit parfois chargée des fonctions de sous-direction. Elle coordonne et dirige la lutte d'une dizaine de villages et elle est aidée et supervisée par le Commandant de Zone.

    Dieudonné Ndabala, élu commissaire politique de la sous-direction Ibubu explique: "Les dirigeants de la sous-direction sont choisis par cinq cents délégués de toutes les équipes de la région de Ngosos. Plusieurs candidats, jugés par les partisans comme étant les plus courageux et les plus aptes à diriger, sont proposés aux différents postes de responsabilité."

    11. Mulele dans le maquis: éducateur et organisateur

    Un instituteur qui arrive à la Direction, passe devant la cuisine. On lui dit : " Celui-là, c'est Mulele ". On lui montre un homme en train de travailler dans la cuisine comme tout le monde. D'abord, il ne croit pas que c'est lui, le chef de la révolution. Plus tard, il comprend que Mulele donne ainsi une leçon : les dirigeants doivent vivre et travailler avec les masses. Le responsable de la justice au maquis déclare : " Les partisans mangent d'abord, ensuite les dirigeants. Mulele mange toujours le dernier, après s'être assuré que tout le monde a mangé ". Ce détail montre que Mulele était l'opposé de Mobutu. Mobutu a 'mangé' et dévoré tout le Congo, laissant les enfants du pays affamés.

    Un enseignant qui a vécu longtemps à la Direction générale raconte: "Pierre Mulele était villageois parmi les villageois. Il s'asseyait par terre, entouré de paysans et de coupeurs. Il était un des plus grands intellectuels de notre pays, mais il restait un homme de la masse. D'autres se vantaient qu'ils avaient fait des grandes études, voyagé en Europe. Lui, tout ce qu'il avait appris à l'étranger, il voulait le partager avec la masse."

    Mulele sur l'armée du peuple : Les huit commandements

    "La faiblesse de l'armée réactionnaire réside dans le fait qu'elle opprime la masse et qu'elle brime le soldat. À l'inverse, la clé de notre victoire se trouve dans l'organisation et l'éducation de la masse et dans la politisation du soldat.

    Les dirigeants et les combattants poursuivent le même but qui consiste à servir les masses populaires. Pour cette raison, dans l'armée révolutionnaire, officiers et soldats sont politiquement égaux. Les officiers doivent vivre et lutter aux côtés de leurs hommes et se soucier d'eux.

    Pour faire face à l'ennemi, l'armée révolutionnaire doit s'appuyer sur une discipline à toute épreuve. Il faut observer rigoureusement les règlements et obéir strictement aux ordres des supérieurs. la méthode fondamentale pour instaurer cette discipline de fer est l'éducation idéologique et politique."

    Voici les huit commandements des partisans notés lors d'une leçon.

    "1. Donnez le respect à tous les hommes, même les hommes vilains.

    2. Achetez les objects des villageois en toute honnêteté et sans vol.

    3. Remettez à temps les objets empruntés et sans faire de problèmes.

    4. Payez les objets que vous avez détruits et faites-le de bon coeur.

    5. Ne frappez pas et n'injuriez pas d'autres personnes.

    6. Ne détruisez pas et ne piétinez pas, ne marchez as sur les champs des villageois.

    7. Respectez les femmes et ne vous amusez pas avec elles comme vous le voulez.

    8. Ne faites pas souffrir ceux que vous arrêtez pendant les combats, ne confisquez pas leurs biens personnels, par exemple anneaux, argent, montres."

    Mulele sur l'unité congolaise et africaine :"Pas de place pour le tribalisme"

    "Le Congo est pour nous tous, enfants du Congo. Quand les Belges ont envoyé leur armée, en 1931, ravager le Kwilu, est-ce que leurs balles cherchaient seulement une race? Non, des Bambala, des Bapende, des Bakwese, des Bambunda ont été tués. Des Bapende en fuite devant cette terreur sont arrivés dans notre village. Nos ancêtres leur ont donné de la terre. Les Bapende avaient beaucoup d'huile de palme que nous ne savions pas bien produire; ils avaient aussi des légumes, qu'on appelle élin, en abondance. Nous, en échange, nous leur donnions du millet et du maïs. Dans la révolution, il n'y a pas de place pour le régionalisme, le sectarisme ou le tribalisme. Nous, les partisans, devons montrer l'exemple. Et la population prendra exemple sur nous.

    "Je n'ai jamais dit de faire la révolution avec une seule race, commence Mulele. La révolution est pour tout le monde. Mulele avec les Bambunda, Kandaka avec les Bapende, quelle sorte de révolution pourrait-on faire de cette manière? Je sais que Kandaka ne durera pas longtemps. Maintenant que je suis arrivé dans la région, il pourra peut-etre laisser tomber cette affaire et revenir à la direction.

    "Vous, les vieux, vous connaissez les événements de chez nous avant l'indépendance. Kasavubu a d'abord envoyé ses hommes à Brazzaville, pour s'entendre avec Youlou, un abbé, afin de créer ensemble une république pour les Bacongo.

    "Un an plus tard, Kasavubu a proposé à Gizenga, à Kama et à moi, de proclamer l'indépendance d'une République du Congo Central ne regroupant que le Bas-Congo et le Kwango. Les enfants du Congo allaient se diviser pour se battre entre eux, au grand profit des Belges. Mais nous avons créé le Parti Solidaire Africain pour affirmer que nous sommes Africains et que nous ne voulons pas diviser les différentes races." (Abo, pages 152-153)

    Mulele sur la persévérance et la fidélité : "Une calebasse qui a contenu du poivre"

    "Maintenant, nous sommes traqués par l'ennemi et certains sont découragés et fatigués. Le proverbe dit: "Dans une calebasse qui a contenu du poivre, il reste toujours son odeur." Moi, j'ai amené l'esprit de la révolution et je l'ai mis dans une calebasse; même si elle se vide, même si elle se casse, les idées de la révolution resteront toujours. Certains sont déjà fatigués, même si notre lutte ne dure que depuis deux ans. Ne pensez pas que vous aurez la vie plus tranquille en vous réfugiant auprès de l'armée. Partout où le gouvernement réactionnaire imposera sa volonté, vous souffrirez doublement. La souffrance s'aggravera aussi longtemps que durera ce gouvernement vendu aux étrangers." (Abo, page169)

    Mulele sur le coup d'Etat de 1965 : "Mobutu est le chien de l'impérialisme"

    "Mobutu, qui est-il? Quand il était avec Lumumba, c'est l'impérialisme qui se trouvait derrière lui. Il nous a toujours combattus, il continuera à nous faire la guerre. Tu entres dans la forêt avec ton chien pour chasser les animaux. Le chien amène le gibier. Mais est-ce que le chien va te diriger? Mobutu est un surveillant de l'impérialisme. Il veille sur toutes les richesses dont disposent les étrangers blancs. Mobutu n'est toujours que le chien de l'impérialisme et le chien ne commande pas au maître. Il travaille comme un capita sous les ordres du Blanc."

    (Abo, page 175)

    Mulele sur le combat anti-impérialiste: "La lutte réformiste et la lutte révolutionnaire"

    "Il y a longtemps, des étrangers sont venus dans notre pays pour nous dire que désormais ils dirigeraient le Congo. Ils ont fait les lois et organisé une armée pour les faire respecter. Au tout début, ils ont fait la chasse à l'homme et ils ont vendu les Noirs comme esclaves. Il y a eu beaucoup de morts.

    Après, ils nous ont obligés à leur apporter de l'ivoire et du caoutchouc naturel. Nous avons refusé et il y a eu encore plus de tués. Ensuite, ils ont pris nos palmeraies et les richesses de notre sous-sol et ils ont instauré le travail forcé.

    Chaque fois que les Noirs ont refusé, ils ont envoyé l'armée pour commettre des massacres. Nos parents ont payé beaucoup d'impôts pour entretenir le gouvernement et l'armée des Belges. Ils ont effectué des travaux forcés pour enrichir les compagnies étrangères.

    Quand la souffrance est devenue insupportable, Lumumba nous a dirigés pour obtenir l'indépendance. Il voulait que les enfants du Congo gouvernent le pays, que les lois soient faites pour les Noirs qui ont souffert et que l'armée protège les villageois et les travailleurs

    Mais après l'indépendance, les compagnies étrangères, les impérialistes ont encore envoyé leur armée pour nous faire la guerre. Ils ont corrompu une partie de nos frères, ceux qui étaient depuis toujours les amis des Blancs, pour être leurs auxiliaires.

    Aujourd'hui, le Congo est toujours aux mains des capitalistes étrangers qui font exécuter leurs basses besognes par leurs boys, les réactionnaires noirs du gouvernement et de l'armée. Les lois sont faites pour que les grands capitalistes étrangers puissent continuer à voler nos richesses et à opprimer la grande masse du peuple.

    L'armée est composée de Noirs qui travaillent pour les étrangers et qui sont formés et dirigés par eux. Il y a donc une lutte perpétuelle entre l'impérialisme qui s'appuie sur la réaction noire et la masse du peuple qui veut se libérer de la domination et de l'exploitation étrangères.

    Mais il y a deux sortes de luttes, la lutte réformiste et la lutte révolutionnaire. Les réformistes croient qu'il faut seulement lutter pour changer certaines choses dans l'ordre actuel. Ils ne veulent pas détruire cet ordre imposé par les impérialistes. Ils font des propositions au parlement, écrivent contre le gouvernement dans des journaux, organisent des grèves

    Ils peuvent obtenir de petits succès mais ceux-ci ne durent pas. Puisque les impérialistes restent les maîtres, ils peuvent à tout moment reprendre ce qu'ils ont accordé. Les réformistes ne connaissent pas la vraie nature de l'impérialisme et des hommes à son service.

    L'impérialisme est une sangsue qui vide le Congo de son sang. L'impérialisme ne peut pas être amélioré. Il doit être chassé L'impérialisme est venu il y a cinq siècles avec sa violence et ses fusils. Il faut une lutte violente pour le chasser.

    Pour qu'il y ait lutte révolutionnaire, il faut que les masses populaires participent et qu'elles utilisent tous les moyens, y compris les fusils, pour en finir avec la réaction et l'impérialisme

    Pour qu'une lutte aussi importante puisse réussir, les masses doivent être organisées et unies dans un parti révolutionnaire qui a des idées progressistes et socialistes.

    Ce parti doit accorder de l'importance aux syndicats, aux journaux, aux grèves, aux manifestations, mais la forme principale de lutte est la lutte armée. Toute la masse populaire doit aider à mener cette lutte armée pour nous libérer de l'impérialisme et de la réaction noire. Alors les lois seront faites pour les masses populaires et l'armée sera là pour les protéger."

    (Abo, pages 134-136)

    12. Avancée, défaite et ses causes

    Pendant huit mois, entre début avril et fin novembre 1964, la révolution muleliste se développe victorieusement.

    À Idiofa, Nkara, Kilembe, Gungu et Kikwit, les partisans lancent des opérations pour chasser l'armée de Mobutu. Ensuite, ils mènent des offensives d'envergure contre les points d'appui stratégiques de l'ANC.

    En juin 1964, le colonel Eugène Ebeya, chef d'état-major de l'ANC, est tué dans une embuscade sur la route Kikwit-Gungu.

    La plus grande bataille que les mulelistes ont livrée se déroule le 30 juin à Kimpata Eku. Mulele ordonne à toutes les équipes d'envoyer des combattants pour cette bataille. Plusieurs milliers de partisans se réunissent pour ce combat. Les habitants des villages environnants doivent apporter à manger aux militaires mobutistes. Les partisans reçoivent des villageois tous les renseignements nécessaires pour préparer l'attaque. C'est une importante victoire, l'armée prend la fuite, plusieurs soldats sont tués.

    Le mois suivant, en juillet, une opération du même genre contre la ville de Kikwit échoue. Les équipes mobilisées pour cette attaque ne sont pas bien préparées. Elles s'installent près de la ville pour se reposer et manger avant l'attaque. Mais le bruit causé par plusieurs centaines de combattants avertit les militaires. Ceux-ci attaquent et chassent les partisans.

    De décembre 1964 jusqu'en février 1965, les troupes mobutistes réussissent à s'implanter sérieusement dans plusieurs points stratégiques de la zone libérée. Les partisans sont poussés dans la défensive: ils tendent des embuscades aux groupes de l'ANC. Mais ces soldats se risquent toujours plus nombreux dans la zone libérée. Vers la fin du mois de février 1965, les militaires peuvent entraver le contact régulier entre la Direction de Mulele et les différentes équipes des partisans.

    L'individualisme et le tribalisme, deux ennemis dangereux de la révolution

    Dès le mois de mars 1965, une lutte interne divise et affaiblit le mouvement. Pierre Damien Kandaka, commandant de la zone du sud, est un combattant nationaliste courageux. Mais il ne respecte pas la règle de remettre toutes les armes et autres biens pris à l'ennemi. En août 1964, des dépôts clandestins se constituent. Kafungu juge Kandaka et le condamne à quelques semaines de prison. Kandaka gardera de cette sanction une grande rancune.

    En septembre 1964, dans la bataille de Kikwit, Kandaka se montre très courageux. Il prend beaucoup de risques et un grand nombre de ses hommes tombent. Revenu à la Direction, il exige que Kafungu, qu'il accuse d'avoir mal dirigé le combat, soit jugé. Excitant les sentiments tribalistes, il déclare à ses hommes: "Ce sont toujours les Bapende qui se font tuer au combat. Nous ne reviendrons plus ici à la Direction où les Bampunda commandent. Nous ferons notre propre révolution." Les services de guerre psychologique de Mobutu lancent des tracts à partir d'avions. Ces tracts appellent "les Bapende" à ne pas se soumettre "aux Bampunda"!

    Début décembre 1964, Mulele envoie une expédition de 120 partisans, commandée par Lievin Mitu, pour arrêter Kandaka. La nuit, ils sont attaqués par des combattants de Kandaka et perdent vingt hommes. Cette tuerie marque la rupture totale.

    D'âpres combats se déroulent entre les partisans de Kandaka et ceux de Mulele. Les masses comprennent que Kandaka les a trompées et lui disent: "Mulele n'est pas venu avec une telle révolution." Kandaka écrit alors une lettre à Mulele pour demander la réconciliation. Mais peu après, Kandaka tombe lors d'un affrontement. À la mi-juin, l'attention de la Direction générale est toujours entièrement concentrée sur la lutte contre les partisans de Kandaka.

    L'attaque décisive de l'armée mobutiste

    Le 19 juin, à 16 heures, l'ANC surprend les hommes de Mulele et prend le camp de la Direction générale situé devant Kifuza. Une répression brutale règne alors dans la région. Un témoin raconte: "À Mukedi, les militaires fauchent avec des mitraillettes les gens qui sortent de la forêt. Ma petite soeur a vu une rangée de plus de dix personnes, supposées être des partisans: les militaires les ont achevées une par une en leur défonçant le crâne avec des bâtons. Ils ont brûlé la brousse aux environs de Mukedi et on voyait partout des cadavres d'hommes et de femmes sommairement abattus par les militaires."

    En 1966, Daniel Monguya est le vice-gouverneur de Bandundu. Il déclare: "Au camp militaire règne le colonel Monzimba, un homme sanguinaire qui appelle ce camp 'la boucherie nationale de Kikwit'. On y coupe les mains et les bras à un grand nombre de rebelles. Les autorités n'ont aucun recours contre ces militaires qui se comportent comme de vrais chacals. On enterre les gens vivants. Trois mille personnes y ont été tuées."

    En mars 1966, trois cents combattants sont toujours regroupés autour de Mulele. Il faudra vingt mois, jusqu'en novembre 1967, pour que l'ANC, dotée d'une suprématie écrasante en armes, arrive à disperser ce noyau central. Seule la volonté farouche des villageois de protéger l'avenir de la révolution, explique que ce faible noyau ait pu tenir tête à l'armée mobutiste pendant une période aussi longue.

    C’est ainsi que le 12 septembre 1968, en compagnie de Léonie Abo et de Joseph Makindua, Pierre Mulele embarque dans une petite pirogue pour Brazzaville. Arrivés dans la petite capitale congolaise le 13 septembre, Mulele et ses compagnons sont immédiatement placés en résidence surveillée au « Camp de la milice ».

    À plusieurs reprises, le chef maquisard va s’entretenir avec de nombreux officiels de Brazzaville. Le 27 septembre, il est enfin autorisé à rencontrer ses compatriotes, des camarades lumumbistes résidant à Brazzaville. Mais les autorités du Congo-Brazzaville [NDLR : à l'époque le Congo-Brazzaville était dirigé par une junte de jeunes officiers pro-soviétiques... dont un certain Sassou Nguesso, devenu par la suite un pilier zélé de la Françafrique] déjà en pourparlers avec leurs collègues de Kinshasa intiment pratiquement à Pierre Mulele l’ordre de rejoindre la rive gauche du fleuve pour prendre part au processus de réconciliation nationale dans le cadre de l’amnistie générale proclamée par le président Mobutu. Selon plusieurs témoignages, de nombreux cadres lumumbistes exilés à Brazzaville vont essayer, en vain, de convaincre les autorités de ce pays de ne pas tomber dans le piège que leur tendait Mobutu.

    Le 28 septembre, Justin Marie Bomboko, le ministre des Affaires étrangères de Mobutu signe avec son collègue de Brazzaville un accord secret qui garantit la sécurité de Pierre Mulele et de ses compagnons. À la sortie de l’audience que lui accorde le président Marien Ngouabi, le ministre Bomboko déclare : «L’amnistie générale décrétée à Kinshasa par le général Mobutu, est valable pour tous. Nous accueillons donc M. Mulele en frère. Il travaillera avec nous pour la libération totale de notre pays».

    Le retour à Kinshasa

    Le 29 septembre à 11 heures, Justin Marie Bomboko offre une somptueuse réception sur le yacht présidentiel que Mobutu a mis à sa disposition pour ramener au pays Pierre Mulele. Le tout Brazzaville et le héros du jour, Pierre Mulele, y participent. En début d’après-midi, l’imposant yacht met le cap sur Kinshasa. À son bord Pierre Mulele, Léonie Abo, Joseph Makinda, et deux autres compagnons, Théodore Kabamba et Zénon Mibamba.

    Pierre Mulele et sa femme, hôtes de Justin Marie Bomboko, passeront la nuit dans la résidence officielle du ministre des Affaires étrangères. Les trois jours suivants, Pierre Mulele recevra dans cette résidence des dizaines d’amis venus le saluer. La seule formalité qu’ils ont à accomplir est de faire enregistrer leur nom auprès des soldats commis à la garde.

    Un des visiteurs, Germain Mwefu, un ami d’enfance, fait à Mulele cette confidence : «À l’extérieur, nous entendons des rumeurs disant que l’on va te tuer. La situation est grave, il faut que tu prennes la fuite.» Ce qui lui vaut cette réponse énigmatique de Pierre Mulele: «Je ne suis pas allé à Brazzaville pour arriver à Kinshasa. Il y a eu un changement là-bas et cela m’a amené ici. Il y a trois choses: la naissance, la vie et la mort. J’ai fait tout ce que je pouvais, j’ai semé les bonnes graines, elles ne sont pas tombées sur les rochers mais dans la bonne terre. J’attends maintenant mon dernier jour.»

    Le 2 octobre, soit le quatrième jour de son retour à Kinshasa, vers 17 heures, Pierre Mulele, sa compagne Abo, une de ses soeurs Thérèse et son camarade Zénon Mibamba prennent place à bord d’un véhicule mis à leur disposition par le ministre Bomboko. Après avoir traversé le boulevard du 30 juin, le chauffeur qui a reçu des ordres, emprunte l’avenue du 24 Novembre et les conduit enfin au camp militaire Lieutenant colonel Kokolo où les a déjà précédé Théodore Bengila. Ce dernier apercevant Mulele lui lance : «Vous aussi, vous êtes venus pour qu’ils nous tuent tous ensemble?

    Toutes les personnes qui étaient venues cet après-midi là rendre visite à Pierre Mulele dans la résidence de Bomboko, sont également amenées au camp militaire. Parmi elles la mère de Mulele, Mama Agnes Luam et Annie, la fille de Bengila. Toutes ces personnes seront tenues au secret pendant trois mois au camp Kokolo, sans savoir ce qu’il sera advenu de Pierre Mulele.

    Pierre Mulele et Théodore Bengila sont immédiatement séparés de leurs compagnons et enfermés dans un petit local.

    Un assassinat barbare

    Pierre Mulele et Théodore Bengila vont être assassinés au cours de cette nuit du 2 octobre 1968. La cruauté et la bestialité avec lesquelles Mulele et son compagnon d’infortune vont être mis à mort couvriront à jamais d’ignominie et de honte le régime qui a ordonné une telle sauvagerie. Avant de mourir, Pierre Mulele connaîtra des souffrances extrêmes. Alors qu’il est toujours vivant, les bourreaux lui arrachent les oreilles, lui coupent le nez, retirent ses yeux de leurs orbites. Ils lui arrachent ensuite les organes génitaux. Alors qu’il est toujours vivant, ils lui amputent les bras et les jambes. Les restes de son corps seront ensuite jetés dans un sac et immergés dans le fleuve. Théodore Bengila a subi le même sort. Ce meurtre illustre toute la cruauté et toute la bestialité du néo-colonialisme qui, depuis 1960, a ravagé et détruit le Congo. Le devoir de mémoire nous impose de revisiter ces témoignages insoutenables et d’évoquer l’horreur et la barbarie de la mise à mort de Pierre Mulele.

    Le président Mobutu prétendra quelques années plus tard, que la mise à mort de Pierre Mulele avait été l’initiative d’un petit groupe d’officiers indisciplinés qui voulaient venger leurs camarades tombés dans les combats contre les maquisards au Bandundu. Ce qui est une flagrante contrevérité, car Pierre Mulele a été assassiné le jour même où le général Mobutu qui était à l’étranger, est rentré à Kinshasa.

    À juste titre, le livre du belge Ludo Martens « Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba », publié en 1985, se termine sur ces phrases: «Lumumba et Mulele assassinés, on n’a jamais retrouvé leurs corps. Mais rien ne pourra empêcher les révolutionnaires du Congo-Kinshasa de retrouver la pensée de Lumumba et de Mulele. Le jour où l’avant-garde des forces nationalistes aura assimilé cette pensée, un nouvel espoir naîtra dans le coeur des millions d’opprimés, rendus muets depuis vingt ans. (...) Dans cet immense cimetière qu’est devenu le Congo mobutiste, la vie rejaillira immanquablement et avec impétuosité sous le drapeau des deux héros nationaux qui font à jamais la fierté du peuple congolais: Patrice Lumumba et Pierre Mulele.»

    Tel fils, Telle mère

    Dix ans après l’assassinat de Pierre Mulele, Mobutu juge nécessaire d’exécuter sa vieille mère, Agnès Luam. En janvier 1978, dans la région de Lukamba, un prophète du nom de Martin Kasongo Mimpiepe prétend être Mulele ressuscité. L’armée, qui fait la chasse aux nouveaux mulelistes qui se sont réfugiés dans la forêt massacre quelque deux mille paysans de la région d’Idiofa. Tous les membres du clan et toute la parenté lointaine ou proche de Mulele sont particulièrement traqués. C’est ainsi que Mama Agnès Luam, la mère de Pierre Mulele, est arrêtée et exécutée devant les villageois de Lukamba.Dans un texte rédigé par des témoins le 28 avril 1978, on lit: «Les militaires lièrent la maman avec des cordes en formant une croix ». Avant qu’elle ne soit fusillée, elle interpella les soldats en ces termes: « Vos mamans vous ont mis au monde; est-ce qu’elles savaient que vous deviendriez des militaires? ». Les soldats tireront à plusieurs reprises sur elle avant que leurs balles ne l’atteignent. Ils couperont ensuite, avec des poignards, son corps en plusieurs morceaux qu’ils enterreront en différents endroits.

    Au coeur de Kinshasa, l'avenue Pierre Mulele

    Le matin du 8 février 2002, le gouverneur de la ville, le professeur Loka Ne Kongo, signe l’arrêté suivant : «Considérant le combat historique mené par Pierre Mulele dans la lutte de libération de la République démocratique du Congo, considérant le martyre subi par ce combattant de la révolution pour la sauvegarde de l’indépendance et de la souveraineté, considérant le devoir de l’immortaliser dans l’histoire de la ville de Kinshasa, le gouverneur arrête: Article Un, - l’Avenue de la Libération est rebaptisée Avenue Pierre Mulele.»

    C’est un événement de taille, comme l’affirme le général major Faustin Munene, neveu de Pierre Mulele: «C est une très grande, une très belle journée!». Ce 8 février 2002, une cérémonie émouvante a lieu au centre de Kinshasa. L’avenue qui, en 1968, a conduit Pierre Mulele à la mort au Camp Kokolo a été rebaptisée du nom du martyr. Le ministre Abdoulaye Yerodia, qui préside la cérémonie commence son discours par des mots très simples: «J’ai hâte de dévoiler cette plaque de l’Avenue Pierre Mulele». La voix brisée par l’émotion, il poursuit «Il n’y a pas beaucoup de gens à qui ça fait quelque chose d’entendre le nom de Pierre Mulele. Ce qui n’est pas le cas pour nous qui l’avons suivi dans sa lutte… ».

    En effet, le choix de cette rue n’est pas un fait de hasard. Cette avenue de la Libération, qui va porter désormais le nom du chef du maquis du Bandundu s’est appelée autrefois «avenue des Victimes de la Rébellion» et ensuite «avenue du 24 Novembre», jour du coup d’Etat de Mobutu en 1965. C’est bien une revanche qu’elle devienne aujourd’hui l’«avenue Pierre Mulele». Car, comme le rappelle Abdoulaye Yerodia, «Pierre n’a pas de tombe. Sa tombe, ce sont les flots du fleuve, les flots multipliés par le nombre de morceaux de son corps puisque Mulele, vivant, fut découpé en tranches, taillé en pièces dans un endroit qui est toujours là, sur cette avenue qui porte maintenant son nom ».

    Adapté des articles de Rich Ngapi (Le Potentiel)

    ***********************************************************

    L'assassinat barbare de Pierre Mulele est à la hauteur de la barbarie de l'impérialisme et de ses séides, en Afrique et ailleurs, hier comme aujourd'hui : les Mobutu, Compaoré, Biya, Bozizé et Déby ; les Sassou-Nguesso, Conté et Obiang Nguema ; les Taylor et Habyarimana ; les Tchang Kai-chek, Suharto, Chun Doo-hwan et Ferdinand Marcos ; les Pinochet, Videla et Somoza ; les Garcia, Uribe et Micheletti.

    Mais ne sentez-vous pas un vent nouveau souffler ?

    C'est la tempête de la Guerre Révolutionnaire des Peuples qui se lève, des Andes au Bengale, de Mindanao aux forêts de l'Afrique, et qui balayera la barbarie impérialiste de la surface de la Terre !

    Les masses sont la lumière même du Monde !

    Commençons à abattre les vieux murs, et à déployer l'Aurore !

    zone tempêtes


    1 commentaire

  • (rédigé en novembre 2009)

    Depuis mars 2007, les accords de paix de Ouagadougou (Burkina) ont ramené le calme en Côte d'ivoire, sous un gouvernement d'union nationale.

    La "crise" (pour ne pas parler de guerre civile) a commencé le 19 septembre 2002, par une rébellion militaire dans le Nord du pays (venue du Burkina voisin) ainsi qu'à Abidjan, la capitale économique (où elle échouera), contre le président "mal élu" Laurent Gbagbo.

    Il est curieusement impossible, sur Internet, de trouver un bilan réel des affrontements et des exactions commises de part et d'autre. Mais le bilan se chiffre probablement en dizaines de milliers de morts.

    Nous sommes parfois accusés, pas spécifiquement SLP, mais les "anti-impérialistes" en général, de ne voir que l'impérialisme américain, et de servir au fond les autres impérialismes et en particulier l'impérialisme français.

    Il est donc important de souligner que, bien avant l'existence de ce blog, nous avons été parmi les rares à l'époque (2002-2005) à ne pas céder à la sympathie (naturelle, il est vrai) pour les "rebelles", "musulmans" de surcroît (les choses ne sont en réalité pas si simple, nous y reviendrons), et à dénoncer là une nouvelle guerre françafricaine.


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    Rappelons brièvement les faits : Laurent Gbagbo a été élu président de Côte d'Ivoire en octobre 2000, dans des circonstances troublées.

    En réalité, c'est toute la situation du pays qui était troublée depuis le coup d'État de Noël 1999, et même depuis la fin des années 1980, quand la chute des cours du cacao a plongé la "perle de l'Afrique" dans la crise économique, suivie d'une "libéralisation" du régime au début des années 1990, sur ordre de Mitterrand.

    Le 25 décembre 1999, donc, un putsch militaire mené par le général Gueï renverse le président, corrompu et haï, Henri Konan Bédié, successeur du "père de l'indépendance" (laquais néo-colonial en chef) Houphouët Boigny.

    Rarement depuis l'"indépendance", en 1960, on aura vu de fin d'année plus festive, et un vrai "vent de changement" souffle alors sur le pays.

    Une fois n'est pas coutume, la promesse de tenir rapidement des élections est tenue. Mais bien sûr, le général Gueï va s'y présenter, et en refuser le résultat. Trois hommes sont principalement en lice : le général, et deux opposants de longue date au pouvoir précédent, Laurent Gbagbo ("socialiste") et Alassane Ouattara (libéral). Mais ce dernier va être exclu de la compétition électorale, au nom du concept de l'"ivoirité", développé sous Konan Bédié pour - déjà - lui barrer la route.

    Le pays compte en effet 25% d'étrangers des pays voisins, qui se sont mêlés à la population et en particulier aux populations du Nord, elles-mêmes musulmanes. Il s'est donc développé, dans les années 90, un concept xénophobe exigeant que l'on puisse prouver son ascendance ivoirienne ("pays" qui n'existe, en tant que tel, que depuis 1960 !) pour pouvoir jouir de la citoyenneté... et notamment se présenter aux élections. Ouattara est dans ce cas. Ces conditions de nationalité sont reprises dans la nouvelle constitution adoptée en juillet 2000. 

    En réalité, le coup d'État de Noël 1999, totalement avalisé par Paris (d'un commun accord Elysée (droite) / Matignon (PS)), contre un Bédié devenu un boulet, était un coup d'État Gueï-OUATTARA... Ce dernier rentre en Côte d'Ivoire (il vivait à Paris), parle de "révolution des œillets" et son parti, le RDR (appellation quasi calquée sur le RPR français...) occupe la majorité des fauteuils du "gouvernement provisoire" de Gueï, au point que le FPI (Front populaire ivoirien) de Laurent Gbagbo refuse initialement d'y participer. Mais, au fil des mois, les ambitions personnelles de Gueï le poussent à réactiver l'"ivoirité" et à marginaliser Ouattara et le RDR. Il a peut-être été poussé, dans ce sens, par des réseaux françafricains gaullistes particulièrement "franco-français", Ouattara passant pour l'homme du "mondialisme", du FMI, des Anglo-saxons etc. Gueï fut notamment, en 1989, le coordonnateur de l'invasion, depuis la Côte d'Ivoire, du Libéria par les troupes sanguinaires de Charles Taylor ; invasion 100% françafricaine contre un régime (Samuel Doe) originellement lié aux USA.

    Bien sûr, Konan Bédié est également exclu des élections : on ne l'a pas retiré du pouvoir à Noël pour l'y remettre en octobre...

    Mais voilà : les masses ivoiriennes se divisent, globalement, en 2 grands blocs ; un Nord paysan arriéré (avec ses migrants au Sud) plutôt pro-Ouattara et un Sud ouvrier (urbains et agricoles) plutôt pro-Gbagbo, l'opposant "mythique" au régime de Houphouët.

    Ouattara exclu, tout comme l'ex-président Konan Bédié, ne restent que Gueï et Gbagbo. Il fallait alors s'attendre à une abstention massive, dans le Nord "dioula" favorable à Ouattara comme dans le Centre baoulé pro-Bédié ; ouvrant la voie à Gbagbo, fort de ses bases populaires dans la région d'Abidjan, le Sud-Ouest krou (il est lui-même Bété, une ethnie krou) et le Sud-Est akan de son épouse Simone, ainsi que de puissants relais dans la "gauche" bourgeoise alors à Matignon. Gueï, lui, n'ayant de réel appui que dans sa région de l'Ouest.

    C'est effectivement ce qui va se passer : Gbagbo va remporter l'élection avec 59% des voix, contre 32% à Gueï, mais seulement 37% de participation... Le "coup d'État" de Gbagbo, il est là : c'est tout simplement une conséquence du coup de force de Gueï, qui s'est tiré une balle dans le pied.

    Gueï refuse alors de reconnaître les résultats et se proclame vainqueur. Mais un vaste mouvement populaire, des partisans de Gbagbo comme de Ouattara, le fait reculer et il doit se retirer.

    Ce mouvement de masse dégénère, ensuite, en affrontements entre partisans de Gbagbo et de Ouattara. Le 26 octobre, 56 corps (probablement des partisans de Ouattara) sont retrouvés dans un terrain vague. Ont-ils été tués par des partisans de Gbagbo, ou de Gueï ? On ne le saura probablement jamais.

    Gbagbo a-t-il repris à son compte le sinistre concept d'ivoirité, qu'il a pourtant combattu comme opposant à Konan Bédié ? Ce qui est sûr, c'est que ce concept l'a grandement servi.

    Gbagbo est le leader du Front Populaire Ivoirien, "social-démocrate" (cette notion ne peut avoir aucun sens dans une néo-colonie). Il est, donc, naturellement lié aux réseaux françafricains du PS (en France, les réseaux françafricains sont étroitement liés aux partis, ou aux "clans" politiques). À l'inverse de Ouattara, qui fut Premier Ministre de Houphouët, zélé applicateur des mesures du FMI et dont le parti, le RDR, est réputé proche de la droite française et de Jacques Chirac. 

    En 2001, Gbagbo rend visite à ses amis du gouvernement PS à Paris : tout le monde pense alors que Lionel Jospin sera le prochain président de la République bleu-blanc-rouge... Dans la foulée, il organise avec les principales forces politiques ivoiriennes (FPI, RDR de Ouattara, PDCI de Bédié, UDCI de Gueï) un "Forum de réconciliation nationale" où toutes les parties font leur mea culpa pour leurs coups tordus, et promettent qu'on ne les y reprendra plus. Une des principales décisions du forum est de rendre son éligibilité à Alassane Ouattara, considérant que "la fracture politique et sociale dont souffre aujourd’hui la Côte d’Ivoire trouve fondamentalement sa cause dans les controverses sur la nationalité d’Alassane Ouattara [et] que la persistance de cette fracture est de nature à compromettre l’unité nationale, le développement économique et social, et l’avenir de la nation".

    Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes...

    Mais, un certain 21 avril 2002, les "réseaux" de Gbagbo à Paris vont subitement s'envoler... Le PS perd le pouvoir. Et Chirac est proche du désormais opposant juré, Ouattara !

    C'est là que tout va se jouer. Il n'y a pas d'éléments précis, mais il semble que Gbagbo, confronté à un adversaire politique à Paris et souhaitant réaliser des réformes (couverture maladie etc.), va se tourner vers les rivaux impérialistes de la France : les USA, à qui la France dispute pied à pied le continent depuis le début des années 90, et la Chine, qui commence à prendre pied en Afrique.

    Il rompt, pour les marchés publics, avec la tradition de "gré à gré", en faveur des grandes entreprises françaises, et commence à lancer des appels d'offres internationaux. Une affaire de retrait, au géant français Bolloré, de la concession du port d'Abidjan aurait été le déclencheur. On parle aussi d'une mise en concurrence de Bouygues avec des compagnies américaines et chinoises pour divers grands travaux, comme le 3e pont d'Abidjan ou l'aéroport. Les monopoles français perdent pied dans leur tête de pont africaine...

    C'est alors qu'éclate une rébellion militaire, le 19 septembre 2002, écrasée à Abidjan mais contrôlant rapidement la moitié Nord du pays, tandis que des groupes plus ou moins mercenaires venus du Libéria s'emparent de l'Ouest. Gueï, dont on ignore le rôle exact dans cette affaire (mais ce pourrait être un rôle... assez central, du côté de la tentative de coup de force bien sûr), est retrouvé mort à Abidjan ; tandis que les "rebelles" du Nord proclament leur attachement à Alassane Ouattara. Rapidement, 60% du pays est sous contrôle de la "rébellion".

    Immédiatement, la machine de propagande se met en place : les rebelles ne sont pas de doux agneaux, certes, mais Gbagbo l'aurait bien cherché, il s'est emparé du concept néfaste d'ivoirité, ses partisans sont des génocidaires rwandais en puissance, la rébellion représente et défend les populations musulmanes du Nord menacées d'un massacre...

    Seulement voilà... Wikipédia est normalement une arme de désinformation massive, un espace où chacun peut "librement" recracher toute la propagande médiatique dûment ingurgitée. Cependant, l'article consacré à la "crise politico-militaire" est (volontairement ou involontairement ?) édifiant sur certains passages :

    "Durant les jours qui suivent et jusqu'au mois de novembre, de nombreux syndicalistes, étudiants, opposants politiques du RDR ou des partis proches du RDR, soupçonnés d'être à l'origine de la rébellion, ou militants d'organisations communistes sont exécutés par les forces de l'ordre ou par des miliciens. Trois cent personnes au total ont ainsi été assassinées à l'automne 2002 (par l'armée et les partisans de Gbagbo NDLR). Des centaines d'étrangers ou de personnes suspectes sont également massacrées par les FANCI ou les mercenaires libériens. Des massacres similaires ont lieu dans la zone rebelle, entraînant la fuite vers le Sud d'un million d'Ivoiriens alors appelés déplacés."

    Donc, les "gentils" rebelles, censés défendre les populations musulmanes ultra-majoritaires dans la moitié nord qu'ils contrôlent, on provoqué l'exode de plus d'un million de ces personnes ! Rappelons que la Côte d'Ivoire comptait alors 17 ou 18 millions d'habitants, donc maximum 8 ou 9 millions en territoire rebelle....

    Mieux : "Selon le rapport Leliel :

    • le pouvoir ivoirien et la rébellion se sont rendus coupables des pires atteintes aux droits de l’homme » ;
    • le gouvernement de Laurent Gbagbo s’illustre par des assassinats ciblés de personnes enlevées le plus souvent à leurs domiciles à Abidjan, par les "escadrons de la mort" et des milices "à sa solde" ;
    • la rébellion en revanche s’illustre par des tueries en masse ."


    Ou encore : "L'Ouest de la Côte d'Ivoire est envahi début décembre 2002 à partir du Libéria par deux nouveaux mouvements rebelles qui exterminent plusieurs milliers d'Ivoiriens. Ces nouveaux rebelles sont constitués principalement de troupes libériennes commandées par le rebelle sierraléonais Sam Bockarie (il est notoire que les rebelles sierra-léonais étaient soutenus par la France via la Libye NDLR) mais également par des éléments de la rébellion du MPCI (Kass, Adam's) et des militaires partisans de Gueï."

    Il semble donc que les "Rwandais" soient plutôt à chercher du côté des "gentils" rebelles, sans chercher aucunement à défendre le concept ignoble d'ivoirité, les "escadrons de la mort" xénophobes ni même le bourgeois compradore "de gauche" Laurent Gbagbo....

    La France est liée à la Côte d'Ivoire par un accord de défense. Pourtant, alors que ce genre d'accord joue à plein, aujourd'hui même, au Tchad ou dans d'autres pays, elle va cette fois-ci invoquer une "affaire intérieure", se contenter d'abord de sécuriser ses (très nombreux) ressortissants, puis seulement au bout de plusieurs semaines stopper l'avance rebelle qui contrôle déjà près de 60% du pays, et établir une ligne de cessez-le-feu.

    Les rebelles, qui n'ont jamais été plus de 10.000, auraient pu être balayés en quelques heures par un simple bataillon d'infanterie de marine et quelques Mirages ! Comme cela a été le cas, il y a peu, au Tchad ou en Centrafrique.

    De même, les troupes françaises stationnées à Abidjan n'ont pas bougé lors du soulèvement militaire dans la ville.

    C'est absolument transparent : la France de Chirac n'a jamais eu l'intention d'arrêter la rébellion... puisqu'elle l'a elle-même fomentée !!!

    La rébellion a été organisée, principalement, par des militaires partisans de Ouattara, exilés au Burkina Faso après des putschs manqués contre le général Gueï, rejoints après octobre 2000 par des partisans... de Gueï, et des dissidents du FPI de Gbagbo.

    Et elle s'est organisée au Burkina sous l'égide de l'inénarrable Compaoré, président du pays et assassin (commandité par la France du PM Chirac, dont il est un grand ami) de Thomas Sankara en 1987 !!! 

    Dès les premiers affrontements, Ouattara, quant à lui, se disant "menacé" (Gueï a été tué, rappelons-le), a trouvé refuge... à l'ambassade de France, d'où il gagne Paris.

    Quand aux mouvements armés qui surgissent dans l'Ouest (les plus meurtriers de tous), ils sont composés comme on l'a dit de mercenaires libériens et sierra-léonais appartenant aux "réseaux Charles Taylor", le despote libérien lié (via la Libye) à la Françafrique pour s'emparer de ces pays anglophones d'Afrique de l'Ouest. Taylor est, en outre, réputé comme un proche ami de Robert Gueï, qui aurait "supervisé" son invasion du Libéria, en 1989, depuis le territoire ivoirien.

    [On parle parfois de "consortium de Ouaga" pour la triade criminelle Compaoré-Kadhafi-Taylor, liée aux réseaux françafricains gaullistes (Foccart-Chirac), scellée dans le sang du capitaine Sankara en 1987 et responsable des guerres meurtrières du Libéria et de Sierra Leone - 200.000 morts].

    Voyons cette photo de l'article Wikipédia :

    Le général Bakayoko, Chef d'État-Major des Force nouvelles de Côte d'Ivoire (rebelles), passe en revue ses troupes à Odienné. On constate l'organisation, et l'équipement flambant neuf des "forces nouvelles" rebelles, qui tranche avec les habituels soudards dépenaillés des guerres africaines (comme au Libéria ou en Sierra Leone). Il y a forcément de gros sous derrière, et ce n'est pas le petit et misérable Burkina qui pourrait assurer une telle chose. Et comment pourrait-on croire une seconde que Blaise Compaoré, le "sous-préfet" néo-colonial de Ouagadougou, aurait pu organiser une rébellion dans un pays voisin sans l'aval de Paris ?

    Quant à la question "ethnique", elle ne tient pas non plus franchement la route : le chef des forces rebelles, Guillaume Soro, est chrétien ; le Premier Ministre de Gbagbo, Mamadou Koulibaly, est musulman.

    Après avoir stoppé, pour la pure forme, l'avancée des rebelles sur Abidjan, l'objectif de la France va être d'amener les "parties" autour d'une table et de forcer Gbagbo à partager le pouvoir avec ses adversaires : autrement dit, d'abdiquer ses pouvoirs (et tout ses projets déplaisants pour Paris), pour devenir une "reine d'Angleterre".

    Nous l'avons dit, ce scénario rappelle furieusement celui du putsch au Honduras, dans un autre "pré carré" - américain celui-là.

    Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu.

    Gbagbo sait qu'il jouit d'une solide base populaire, hostile aux rebelles et à Ouattara (qui appliqua de très dures mesures d'austérité, comme Premier Ministre, pendant la crise du cacao), et surtout du soutien de la communauté internationale qui le considère comme le dirigeant légitime, en particulier les États-Unis. Les relations de Washington avec Paris sont exécrables suite à l'affaire irakienne : la ligne US est de "pardonner la Russie, ignorer l'Allemagne et punir la France".

    Il dénonce aussitôt les "accords" qui lui ont été imposés à Marcoussis, le 26 janvier 2003. Des manifestations anti-françaises éclatent à Abidjan en février, et en quelques mois le gouvernement de "réconciliation nationale" se délite, quitté par le PDCI de Konan Bédié, puis par les rebelles de Guillaume Soro, tandis que manifestations et affrontements secouent la capitale.

    Dans la limite de ce qui peut être permis à un chef d'État néo-colonial, Gbagbo fait de la résistance, contre ce qu'il estime (à juste titre) être une amputation de sa victoire électorale, acquise après 20 ans d'opposition, de séjours dans les prisons d'Houphouët etc. La France cherche à internationaliser l'affaire, l'ONU et la CEDEAO (Communauté des États d'Afrique de l'Ouest) sont chargés du dossier mais les négociations à Accra (Ghana) traînent en longueur.

    Fin 2004, la tension remonte et le gouvernement Gbagbo lance une offensive "finale" contre la rébellion... et les forces françaises (force Licorne). Le bombardement, le 6 novembre, par la (petite) aviation ivoirienne, du QG français à Bouaké (zone tampon entre les rebelles et la zone gouvernementale), avec 9 militaires tués, est le plus grave revers  militaire subi par l'armée impérialiste bleu-blanc-rouge depuis l'attentat du Drakkar à Beyrouth (en 1983, 58 morts) et avant l'embuscade d'Uzbin en Afghanistan en 2008.

    Bien sûr, la riposte va être sévère : le jour même, l'aviation française réduit à néant l'aviation ivoirienne. Des affrontements opposent, à l'aéroport d'Abidjan, les troupes françaises et les soldats ivoiriens.

    Surtout, une foule de nationalistes, emmenés par les Jeunes Patriotes partisans de Gbagbo, assaillent le "Bima", le QG de l'infanterie de marine à Abidjan, ainsi que l'Hôtel Ivoire où sont stationnées des troupes françaises arrivées d'urgence du centre du pays. L'armée française riposte à tirs tendus : on relève 67 morts et plus de 2000 blessés, au cours de ces journées noires du 6 au 9 novembre.

    Côte d'Ivoire : une guerre françafricaine Les intérêts français (l'économie ivoirienne est littéralement tenue par des entrepreneurs expatriés français, ainsi que des Libanais et des Marocains) sont également pris d'assaut, des centaines de Français se réfugient sur les toits des immeubles et sont évacués par les hélicoptères de la force Licorne.

    Les jours suivants, ce sont 8000 "expats" qui quittent définitivement la Côte d'Ivoire. Les mesures prises pour les rapatriés d'Algérie, en 1962, sont remises en vigueur.

    Pour autant, la France ne peut pas se débarrasser militairement de Gbagbo, comme elle l'a fait de Bokassa (opération Barracuda en 1979). Il a beaucoup trop de soutiens populaires et internationaux, à commencer par les États-Unis. Non seulement les "patriotes" ivoiriens, mais les peuples et même (à mots couverts) certains dirigeants d'États du continent le voient comme un héros qui a défié la puissance impérialiste bleu-blanc-rouge.

    Elle ne peut pas non plus le laisser tomber comme le tchadien Hissène Habré ou le centrafricain Patassé, se retirer en ouvrant la route de la capitale aux rebelles : la bataille d'Abidjan serait un terrible carnage, le "nouveau Rwanda" tant redouté. Et les médias mondiaux ont le regard braqué sur le petit pays.

    Alors, elle va jouer le pourrissement. Le départ des entrepreneurs français et libanais a de graves conséquences économiques. Et à partir de 2005, s'amorce un rapprochement franco-américain, sur des dossiers comme l'Iran ou le Soudan, derrière lesquels se profile un nouveau bloc Russie-Chine, une "nouvelle guerre froide".

    L'Union Africaine entre en lice avec le président sud-africain Mbeki, véritable Monsieur Bons Offices de tous les conflits du continent depuis 1999. Gbagbo autorise la modification constitutionnelle sur l'ivoirité (il faut désormais être ivoirien de père OU de mère, et plus des deux).

    En 2005, un mouvement nationaliste (le MILOCI - Mouvement ivoirien de libération de l'Ouest de la Côte d'Ivoire - du "pasteur Gammi") surgit dans l'Ouest du pays, attaquant les Forces Nouvelles rebelles et promettant "un nouveau Dien Bien Phu aux Français". La France envoie des renforts et (bien sûr) le Dien Bien Phu promis fait long feu.

    C'est dans ce contexte qu'a lieu l'affaire Mahé. Cet ivoirien, soi-disant "coupeur de route" (bandit de grand chemin) a été exécuté par les militaires français. En réalité, il aurait été éliminé en raison de son engagement nationaliste et contre la rébellion. Dans un souci d'apaisement, des militaires français, dont un général, seront inculpés pour homicide volontaire.

    Les pourparlers reprennent en 2006, et aboutissent en mars 2007 aux accords de Ouagadougou, les émissaires ivoiriens ayant refusé les "représentants de la France" (comme si Compaoré n'en était pas un !).

    Le chef rebelle Guillaume Soro est nommé à la tête d'un gouvernement "de transition", en attendant des élections (qui doivent toujours se tenir).
    La force Licorne se retire progressivement.

    La "fronde" de Gbagbo et des "Patriotes" a vite rencontré ses inévitables limites. L'exode des expatriés français a mis l'économie à genoux et l'a forcé à négocier, faute d'avoir un semblant d'embryon de projet révolutionnaire, national-démocratique, appuyé sur les masses.

    Cet accord s'inscrit dans une politique globale, franco-américaine, de règlement des conflits africains dans lesquels les deux puissances impérialistes sont impliquées depuis le début des années 90.
    Fin 2008, après le baroud d'honneur de Laurent Nkunda en République Démocratique du Congo (arrêté en janvier 2009), un accord congolais-rwandais (la France et les USA en arrière plan) met fin à 12 ans de guerre dans la région des Grands Lacs (5 millions de morts).

    Telle est, selon nous, l'analyse correcte de la situation concrète, dans ces 4 ans et demi de conflit qui ont ravagé l'ancien "modèle de stabilité" de l'Afrique de l'Ouest.

    D'analyse communiste "de l'intérieur", nous n'avons trouvé que celle du PCR de Côte d'Ivoire. Bien que n'étant pas nous-mêmes en Côte d'Ivoire, elle nous semble erronée.

    Le problème n'est pas que les attaques se concentrent contre le FPI "social-chauvin" de Gbagbo et les "patriotes" xénophobes, pour lesquels nous n'avons évidemment aucune sympathie et que nous ne soutenons pas. Il est évident que, basés pour l'essentiel autour d'Abidjan, les communistes ivoiriens ont été principalement victimes des exactions "patriotes", puisque les rebelles ne contrôlaient pas cette région. Le problème vient de leur analyse de la situation, produit de leur idéologie. Le PCRCI est marxiste-léniniste "pro-albanais" : les ML qui ont rejeté les théories de Mao.

    Pour eux, tous les pays du monde sont capitalistes et la contradiction principale y est, au fond, entre les masses et la bourgeoisie. Une phrase est révélatrice : "De ce fait, le pouvoir FPI, social chauvin ne lutte pas en réalité contre l'impérialisme. Il tente, grâce à cette mobilisation des masses, d'obtenir un soutien français plus ferme dans son combat contre les autres fractions bourgeoises"... ce qui est tout simplement ahurissant ! Comme si un chef d'État africain pouvait "faire pression", pour obtenir "plus de soutien", sur une puissance impérialiste mondiale en bombardant ses soldats !!!!

    La question principale serait l'affrontement entre "fractions bourgeoises", dans lequel l'impérialisme n'aurait qu'une "influence", ne serait qu'une "tierce partie"...

    Au contraire, ce que nous enseigne Mao Zedong, c'est que les pays des Trois Continents, d'Afrique par exemple, sont semi-coloniaux (et semi-féodaux). Les "indépendances" sont factices, les gouvernements sont des hommes de paille, des sous-préfets des Empires néo-coloniaux ! Il n'y aucune différence entre la Nouvelle-Calédonie (juridiquement française) et la Côte d'Ivoire (juridiquement indépendante).

    Les "fractions bourgeoise" n'ont aucune autonomie vis à vis des impérialismes, bien loin de faire "pression" sur ceux-ci. Et les "rébellions", sauf à assumer un programme révolutionnaire national-démocratique (il n'y en a actuellement pas, à notre connaissance, en Afrique), ne sont que des agents d'un impérialisme contre un autre ! Car aujourd'hui, les puissances mondiales, nucléaires, ne s'affrontent plus directement : les pays semi-coloniaux sont leurs nouveaux champs de bataille, les nouvelles tranchées de la guerre impérialiste.

    En l'occurence, Gbagbo, privé de ses "amis" (marionettistes) socialistes à Paris, a "tourné casaque" et pris bouche avec les Américains. La rébellion n'était que la force mercenaire de la France pour reconquérir sa néo-colonie ! Gbagbo = USA (+ peut-être Chine), Forces Nouvelles = France. Ni plus ni moins.

    De la même façon, les "pro-albanais" ont (moins que les anars ou les trotskystes, mais quand même...) un problème avec la question de la libération nationale. Ils ont un problème avec la contradiction principale et la contradiction secondaire. Pour eux, l'aspect capitaliste des néo-colonies est l'aspect principal, toujours, et ne s'affrontent que des fractions bourgeoises. L'impérialisme, le caractère dominé et dépendant de ces pays est au fond toujours secondaire...

    Voilà pourquoi l'homologue du PCRCI au Burkina (le PCR Voltaïque) a eu beaucoup de mal à soutenir le "processus révolutionnaire" sankariste. Ils ont du mal à comprendre qu'à un moment donné, une contradiction (masses travailleuses/bourgeoisie) peut passer au second plan, derrière la contradiction nation dominée/impérialisme dominant.

    En l'occurence, Gbagbo est clairement un ennemi du peuple, personne ne peut croire une seconde à sa "social-démocratie" africaine. Il s'agit tout simplement d'une modernisation de l'État instrument de l'impérialisme, au "mieux" en changeant d'impérialisme de tutelle. Ses soutiens "patriotes", qui rejettent un quart de la population comme "étrangère", ne portent clairement aucune perspective panafricaniste révolutionnaire.

    Mais à un moment donné, la contradiction avec ces bourgeois-là, et leurs soutiens US, peut passer au second plan : quand l'impérialisme français, qui écrase l'Afrique de l'Ouest depuis plus de 100 ans, soutient manifestement une "rébellion" meurtrière au service de ses intérêts, qu'il attaque les forces armées ivoiriennes, se comporte en force d'occupation et massacre le peuple !

    Le PCRCI finit par le dire, mais c'est laborieux ! En tout cas, pour nous communistes français, la défaite de notre impérialisme dans son "pré carré" est bien sûr la priorité. Mais il va de soi que sitôt cet objectif atteint, la contradiction avec les agents de l'impérialisme adverse redevient principale...

    Quelles perspectives pour les masses exploitées d'Afrique ? Nous connaissons la faiblesse des forces révolutionnaires sur ce continent. Mais il n'en existe qu'une seule : la Guerre du Peuple, la guerre révolutionnaire sur un programme anti-impérialiste et démocratique-populaire !


    Vidéo : les massacres de l'armée française devant l'hôtel Ivoire :



    Images ici : attention certaines sont insoutenables !!!

     
    Cet article étant très lu, voici un LIEN vers un dossier d'analyse, qui permet d'y voir relativement plus clair sur le rôle et les connexions des uns et des autres.
     

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    Ou encore cet entretien avec l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur le sujet, sachant de quoi il parle etc.), autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" (sur la crise finale de 2010-2011) : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara ; des propos qui confirment peu ou prou tout ce que nous avons dit dans cet article.

    "Novembre 2010. Au terme du second tour des élections présidentielles qui opposait Laurent Gabgbo à Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire plonge dans le chaos. Avec l’aide de la France et des Nations unies, c’est finalement l’opposant au président sortant qui prend les rennes du pays. Faut-il toutefois parler d’élections ou de coup d’État ? La paix est-elle revenue en Côte d’Ivoire maintenant que le pays n’est plus dans l’œil du cyclone médiatique ? Gbagbo pourrait-il être jugé devant la CPI ? Quel rapport entre la crise ivoirienne, la guerre en Libye et la partition du Mali ? Nous avons posé ces questions à Grégory Protche, spécialiste de la Côte d’Ivoire et auteur d’un livre salutaire : « On a gagné les élections mais on a perdu la guerre ». Dans son célèbre discours à Cotonou, Sarkozy avait promis de bâtir une relation nouvelle avec l’Afrique et de ne pas collaborer avec les gouvernements corrompus. Paris tenu ?

    D’après la version officielle, Gbagbo, en bon dictateur et en mauvais perdant, a refusé de reconnaitre sa défaite aux élections. Finalement, grâce à un petit coup de pouce de la France, la démocratie a pu triompher en Côte d’Ivoire et Ouattara est devenu président. Mais vous contestez la légitimité de ces élections. Pourquoi ?

    Tout d’abord, parce que l’élection de Ouattara ne s’est pas imposée au terme d’un processus démocratique mais par la force. En Côte d’Ivoire, la crise électorale n’a pas pu être résolue par un procédé très courant et employé il y a peu en Haïti et en 2000 aux USA : le recompte des voix. Ce recompte, Laurent Gbagbo l’avait proposé à plusieurs reprises dès décembre 2010. Mais le camp Ouattara s’y est opposé à chaque fois. Et le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a eu une réaction étonnante en déclarant que recompter les voix serait une injustice. Cette rigidité de l’ONU, inqualifiable et inexplicable, est responsable en grande partie de milliers de morts.

    Vous dites aussi que ce scrutin a été forcé. Pourquoi Laurent Gbagbo ne voulait-il pas organiser les élections alors que son mandat avait officiellement pris fin en 2005 ?

    Depuis 2002, Laurent Gbagbo et l’État ivoirien ne contrôlaient plus que 40% du territoire national. Le reste du pays était aux mains d’une rébellion sponsorisée par la France et le Burkina Faso, le petit État africain servant en quelque sorte de courroie de transmission. Petit État africain qu'on retrouve, étonnamment présent, aux premières loges de la crise malienne aujourd'hui...

    Or, pour organiser les élections, il fallait que les rebelles soient désarmés. Cette condition avait été fixée dans les accords d’Accra et de Ouagadougou entre les rebelles et Laurent Gbagbo. Les soldats rebelles devaient réintégrer l’armée régulière ivoirienne ou la société civile. Ça n’a jamais été fait, en dépit des engagements pris par la France et la Nations unies.

    Cette situation a perturbé la bonne tenue des élections en 2010 ?

    En effet. Sur 60% du territoire au moins, le scrutin ne s’est pas déroulé dans des conditions normales et transparentes. On a ainsi pu voir des observateurs de l’Union européenne quitter en catastrophe des bureaux de vote dans le nord. Ils ont fui dans des avions privés alors qu’ils étaient poursuivis. La télé ivoirienne a également diffusé les images d’une femme violée dans un bureau de vote. Enfin, on a constaté d’énormes aberrations parmi les premiers répertoires électoraux qui sont sortis. A Bouaké par exemple, dans le Centre-nord du pays, on a recensé 250.000 votants alors qu’il n’y avait que 159.000 inscrits !

    Bref, il y a eu toute une série de problèmes rendus possibles par le fait que l’État ivoirien n’a jamais pu restaurer son autorité sur tout le pays. C’est la raison pour laquelle Laurent Gbagbo, dont le mandat était arrivé à terme en 2005, avait reporté l’organisation des élections depuis. Mais il était mis sous pressions par la France et une certaine communauté internationale.

    Les élections seraient-elles un objectif à atteindre, quelque soit le contexte ?

    C’est l’idée. En 1990, François Mitterrand prononçait le célèbre discours de la Baule lors de la 16ème conférence des chefs d’État d’Afrique et de France. Depuis ce discours, l’aide au développement est conditionnée à la bonne gouvernance en Afrique. Il faut donc absolument organiser des élections, même si elles doivent se résumer à un jeu de dupes. En Côte d’Ivoire particulièrement, le contexte ne se prêtait pas à une expression démocratique normale.

    Voilà pour les conditions de déroulement du scrutin. Vous contestez aussi la probabilité du résultat qui a donné Ouattara vainqueur à 54 %. Pourquoi ?

    Il y a tout d’abord un problème avec le taux de participation. Lors du premier tour, ce taux était de 83%. Le dimanche 28 novembre 2010, au soir du second tour, c’était la déception : le taux n’était plus que de 70%. Le lendemain, ce taux en baisse a été confirmé par la presse ivoirienne, toutes tendances confondues. Mais aussi par Young-jin Choi, le représentant du Secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, ainsi que par Gérard Latortue, chef de la mission d’observation de la Francophonie.

    Or, il faut comprendre que ce taux de participation en baisse ne pouvait affecter mécaniquement qu’Alassane Ouattara. En effet, le FPI de Laurent Gbagbo est un parti très organisé, qui milite depuis de nombreuses années et qui peut compter sur un électorat fidèle. Il n’y a pas eu de problèmes de reports de voix observés entre les deux tours pour le FPI. Il n’y a pas eu d’électeurs qui auraient voté Gbagbo au premier tour avant de brusquement virer pro-Ouattara lors du second.

    Quels électeurs ont manqué à l’appel du second tour alors ?

    Ce sont principalement ceux du PDCI d’Henri Konan Bédié. Bédié est arrivé troisième au premier tour. Après sa défaite, il s’est rallié à Ouattara. Mais tous ses électeurs n’ont pas suivi, ce qui explique la chute importante du taux de participation entre les deux tours.

    Or, toutes les projections allaient dans le même sens : pour gagner, Ouattara devaient bénéficier d’un report de 80% des voix du PDCI de Bédié. Si le taux de participation tombe à 70% pour le second tour, il est impossible d’atteindre ces 80% de voix reportées. C’est mathématique, la victoire de Ouattara ne colle pas.

    C’est pourtant lui le président de la Côte d’Ivoire aujourd’hui…

    Il y a eu un tour de passe-passe. Alors que tout le monde reconnaissait un taux de participation de 70% le 29 novembre 2010, on a soudainement annoncé un taux de 83% le 03 décembre ! Il y avait une différence de 439.000 voix qui permettaient de donner Ouattara vainqueur à 54%.

    D’où sortaient ces 439.000 voix ?

    Il faut comprendre qu’il y a un véritable business autour la logistique électorale en Côte d’Ivoire. Ce pays compte une population immigrée très importante. Cette particularité a donné lieu à toutes sortes de trafics sur les identités et les cartes d’électeurs durant toute la dernière décennie. Et c’est malheureusement inquantifiable. Pour les élections de 2010, on s’était entendu sur un fichier de 6 millions d’électeurs, ce qui est très peu au regard de la vingtaine de millions d’habitants.

    Il faut ensuite comprendre toutes les controverses qui ont entouré les actions de la Commission électorale indépendante (CEI) d’une part et du Conseil constitutionnel (CC) d’autre part.

    Ces deux organes avaient chacun proclamé un résultat différent, si bien que le pays s’est trouvé avec deux présidents !

    Oui. Suite aux accords d’Accra et de Ouagadougou entre le président Gbagbo et les rebelles, la CEI a été créée pour contrebalancer le pouvoir supposé du CC. En effet, le président du CC est nommé par le président de la république. On a donc considéré que le CC était pro-Gbagbo alors que vous avez la même institution avec la même configuration en France !

    Soi-disant pour rééquilibrer les rapports de force, on a donc créé la CEI composée à 80% de ouattaristes. Ce rééquilibrage a été opéré sous la houlette de la France. Il fallait impérativement procéder à l’union nationale entre Gbagbo et les rebelles. En cas de crise politique, l’union nationale est toujours prônée comme la solution politique ultime. En réalité, même si ça semble agréable à l'œil démocratique occidental, je pense que l’union nationale est un mythe. La démocratie est sanctionnée par la victoire d’un camp sur l’autre. Pourquoi faudrait-il rééquilibrer les rapports de force en faveur du perdant ? Concrètement, l’union nationale entraîne une paralysie politique absolue et marque les premiers pas d’un pays vers sa mise sous tutelle par les puissances internationales. C’est ce qui arrive en Afrique et ailleurs chaque fois que l’union nationale est prônée.

    Et c’est ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire donc ? On a vu les élections bloquées à cause des contradictions entre la CEI et le CC. Et la communauté internationale s’est octroyé la compétence de valider les résultats des élections.

    Tout à fait. Officiellement, la CEI valide le bon déroulement du scrutin tandis que le CC proclame les résultats définitifs. En outre, la CEI doit certifier le processus électoral sur base du consensus entre ses membres. Ce qui était difficilement imaginable puisque Gbagbo dénonçait des irrégularités dans sept régions au moins et que la CEI comptait quelques membres du camp Gbagbo dans ses rangs.

    Cette impossibilité d’obtenir le consensus a offert une scène qui a fait le tour du monde. On a pu voir un membre pro-Gbagbo de la CEI arracher des feuilles des mains du vice-président de la commission qui tentait d’annoncer les résultats.

    On a donné à ces images le sens qu’on voulait leur donner : le camp Gbagbo ne reconnait pas sa défaite et refuse que la démocratie s’exprime en Côte d’Ivoire. Comme toujours, il y a la séquence d'avant et la séquence d'après qui manquent ! En réalité, si Damana Pickass a arraché les feuilles des mains de Bamba Yacouba, c’est justement parce que le processus démocratique n’était pas respecté. Le même Bamba Yacouba, la veille, avait tenté exactement le même passage en force, en avait été empêché et s'en était même excusé devant ses collègues ! Cette CEI voulait certifier la validité du processus démocratique et annoncer ses résultats alors que le consensus n’était pas atteint et que le camp Gbagbo dénonçait des irrégularités.

    Mais ce n’est pas la seule scène surréaliste que la CEI nous a offerte. Cette commission avait jusqu’au 2 décembre pour annoncer les résultats partiels. Mais le mercredi 1er décembre, à 23h45, son président Youssouf Bakayoko était incapable de donner ces résultats en conférence de presse. « Votre mandat se termine dans quinze minutes, vous serez hors-délais » lui lançaient les journalistes ivoiriens. « Il n’est pas encore minuit » répétait inlassablement Bakayoko. Finalement, la CEI a effectivement rendu ses résultats en retard. Le lendemain, Youssouf Bakayoko a été emmené par les ambassadeurs de France et des États-Unis pour prononcer les résultats depuis le siège de l’ONUCI. Voulant sans doute préserver son image de pseudo-neutralité, le représentant Choi les a remballés. On a donc emmené Bakayoko à l’hôtel du Golfe, le quartier-général de campagne d’Alassane Ouattara. Je ne sais pas si vous imaginez : la Commission électorale « indépendante » a proclamé les résultats depuis le QG d’un des deux candidats ! En l'absence des médias nationaux et en présence de ceux de l'Audiovisuel extérieur français (France 24) ! Et, bien évidemment, ces résultats n’ont pas eu l’aval nécessaire du Conseil constitutionnel. Quelques jours plus tard, Bakayoko déclarera sur RFI qu’il ignorait que l’hôtel du Golfe était le QG de Ouattara !

    Il faut ajouter que début 2010, cette CEI a été confondue suite à une enquête pour tricherie : elle essayait de faire entrer de force 450.000 noms dans le fichier électoral. Son président avait alors été remplacé. A-t-on jamais entendu un journaliste français rappeler ce fait, parmi combien d'autres ?

    Donc la CEI a un passé trouble. Elle n’a pas obtenu le consensus comme c’était prévu. Elle n’a pas respecté les délais. Elle n’est pas habilitée à donner les résultats définitifs des élections. Et c’est pourtant sur son travail que la France et les Nations unies se sont appuyées pour déclarer Ouattara vainqueur !

    Sur le média interne des Nations unies, le représentant Choi a reconnu qu’il y avait eu des irrégularités mais qu’elles ne remettaient pas en cause les résultats. Ce qui, moralement, pose un problème politique réel : un candidat convaincu de tricheries peut-il gagner une élection ?

    De son côté, le Conseil constitutionnel, l’unique institution habilitée à le faire, a proclamé Laurent Gbagbo vainqueur des élections. Voilà comment nous avons débouché sur une crise où le pays s’est trouvé avec deux présidents. Sur base de tous les éléments que je viens de mentionner, je peux difficilement concevoir que Ouattara a gagné les élections.

    En tout cas, il a gagné la guerre ! Ce conflit est le point d’orgue d’une crise plus profonde que vous faites débuter en 1990 dans votre livre. Pouvez-vous replacer les événements dans ce contexte historique pour nous aider à mieux comprendre ?

    En 1990, Félix Houphouët-Boigny qui régnait sur la Cote d’Ivoire depuis l’indépendance, accepte d’organiser des élections. Suite au discours de la Baule de Mitterrand et parce qu'une opposition, incarnée par le FPI et Laurent Gbagbo, n'a de cesse de réclamer le multipartisme. C’est l’occasion pour Laurent Gbagbo de revenir de son exil français. Après avoir été emprisonné par Houphouët-Boigny dans les années 70, Gbagbo avait dû fuir la répression politique.

    Houphouët-Boigny gagne ces élections avec un score de 84%. Laurent Gbagbo et son FPI se font tout de même remarquer mais ils refusent d'entrer au gouvernement malgré l’offre proposée. Gbagbo rompt ainsi avec cette pratique habituelle qui consiste à intégrer les opposants et à les salarier.

    Ouattara par contre devient Premier ministre à cette époque.

    Il le devient après un passage généralement peu évoqué. Ouattara est passé en Haïti auparavant. Il travaillait pour le compte du FMI mais n’est pas resté longtemps car la famille Duvalier, qui dirigeait l’île des Caraïbes, lui reprochait de trop s’immiscer dans les affaires du pays.

    Toujours pour le compte du FMI, Ouattara retourne donc en Afrique où il prépare, entre autres, la dévaluation du franc CFA de 1994 et les ajustements structurels qui le porteront à la primature ivoirienne. En tant que Premier ministre, Ouattara procède à une libéralisation outrancière de l’économie : il applique les recettes du FMI faisant la part belle à la monoculture, il vend les actifs nationaux à des multinationales étrangères, souvent pour une bouchée de pain, il multiplie les contrats nationaux sans appel d’offres… Du véritable gangstérisme d’État ! Les rapports parlementaires de l'opposition de l'époque, il faut les relire, sont accablants.

    Ces recettes du FMI ont été appliquées partout en Afrique avec les résultats désastreux que l’on connait. Maintenant, c’est au tour de la Grèce : elle pourra sans doute bientôt intégrer l’Union africaine !

    En 1991, peu de temps après l’élection d’Houphouët-Boigny, des mouvements sociaux éclatent. Comment expliquez-vous cette crise ?

    C’est d’abord une crise des ressources. Durant les années précédentes, on a beaucoup parlé du "miracle ivoirien". Le pays suivait les recettes du FMI et ses indicateurs économiques rendaient les experts néolibéraux enthousiastes. C’était en réalité un miracle artificiel qui reposait sur la monoculture cacao-café. Mais au début des années 90, le cours de ces matières premières a commencé à baisser, provoquant une crise que la Côte d’Ivoire, "structurellement ajustée", ne pouvait affronter. Encore aujourd’hui, le pays pourrait difficilement sortir de cette crise car il n’y a toujours pas eu d’industrialisation ni une grande diversification des cultures. Rendez-vous compte : la Côte d’Ivoire est le premier producteur de cacao mais vous n’y trouverez pas une seule chocolaterie !

    En 1991 donc, les gens descendent dans la rue pour manifester leur mécontentement. Le FPI est très actif à ce moment-là et la répression est très forte. Gbagbo et d’autres fondateurs du FPI, dont Simone Gbagbo, sont jetés en prison. Les manifestations sont pourtant pacifiques, le FPI étant réputé pour combattre à mains nues.

    Deux ans plus tard, Houphouët-Boigny s’éteint. Il y a alors une lutte pour la succession…

    Ouattara cherche à prendre le pouvoir en force mais bute sur le dauphin de l’ancien président : Henri Konan Bédié. Comme Houphouët-Boigny, Bédié était originaire de l’ethnie Baoulé. La grille ethnique ne suffit pas à comprendre la situation en Côte d’Ivoire mais elle a une certaine importance à l’époque. En effet, pour écarter Ouattara, Bédié va pervertir un concept qui était d’abord culturel : l’ivoirité. Le dauphin va en faire un argument racial contre son concurrent. Il va prétendre que Ouattara n’est pas ivoirien et ne peut donc pas se présenter aux élections.

    On a souvent accusé Gbagbo de xénophobie à l’encontre de Ouattara mais il semble que c’est Bédié le champion dans ce domaine !

    Tout à fait. Non seulement Gbagbo va boycotter les élections par solidarité, mais c’est aussi lui qui va rendre son éligibilité à Ouattara en 2005.

    En 1995 donc, Bédié a la voie libre pour devenir président.

    Il le devient mais son bilan est nul. C’est un personnage assez vide, très obéissant, qui n’a pas réalisé grand-chose. Quatre ans plus tard, un coup d’État le renverse. Il est organisé par des rebelles et des soldats qu’on retrouvera ensuite parfois aux côté de Ouattara. Bédié est donc déposé et fuit par un petit tunnel qui relie la résidence présidentielle à l’ambassade de France.

    Comment réagit la France à ce coup d’État ?

    Elle n’intervient pas pour soutenir Bédié qui est pourtant un grand ami de Chirac. Il faut se rappeler qu’à l’époque, c’est la cohabitation en France : Chirac est à l’Élysée tandis que Jospin occupe Matignon. Peut-être que Jospin était moins interventionniste et qu’il a pu neutraliser Chirac.

    En tout cas, la France laisse faire les événements et ne s’oppose pas non plus à l’élection de Gbagbo. En effet, lorsque Bédié est renversé en 1999, les putschistes mettent au pouvoir le général Guéï. Et celui accepte assez rapidement d’organiser des élections que Gbagbo remporte. Mais Guéï ne reconnait pas sa défaite. Le FPI met alors la foule dans la rue. Des centaines de milliers de personnes descendent pour protester. Très vite, les soldats ivoiriens refusent de s’opposer aux manifestants. Et même les médias français reconnaissent la victoire populaire de Gbagbo. Ils vont pourtant s’acharner, durant les dix années suivantes, à prouver que le président n’est pas populaire.

    Comment se passe l’arrivée au pouvoir de Gbagbo ?

    Il n’est pas pleinement satisfait de sa victoire car il juge que les conditions sont calamiteuses. Ouattara n’a pas pu se présenter, Guéï n’a pas reconnu sa défaite et des combats ont éclaté à Abidjan. Ces combats sont d’ailleurs le point de départ de la mauvaise réputation internationale de Laurent Gbagbo puisque les Ouattaristes ont fabriqué une histoire de charnier à Yopougon. Cette histoire circule encore aujourd’hui. Pourtant, le président Gbagbo a laissé la Fédération Internationale des droits de l’homme (FIDH) et Reporters sans Frontières (RSF) enquêter librement sur le soi-disant charnier de Yopougon. Ces deux organisations, qu’on peut difficilement soupçonner de « gbagbisme aïgu », ont conclu qu’il était impossible d’établir qu’il y avait effectivement eu un charnier à Yopougon : il y avait moins de corps que ce qu’on avait dit, les morts n’étaient pas tous de la même ethnie, ils n’avaient pas été tués de la même manière et pas au même moment. Certains cadavres avaient même été déplacés d’une dizaine de kilomètres !

    Cette histoire - et quelques autres, sur-interprétées, comme le meurtre de Jean Helène de RFI en 2003, ou la disparition de Guy-André Kieffer (qui avait en réalité mis à jour la participation du clan Ouattara aux spéculations sur le cacao) - a médiatiquement terni les premières années du mandat de Gbagbo. Son équipe n’a pas été capable de fournir un tir de barrage médiatique, elle a trop négligé la communication sur le plan international.

    De son côté, Ouattara est écarté du jeu politique depuis 1995. Que fait-il pendant tout ce temps ?

    Il passe beaucoup de temps à Paris. Dans son livre sur le coup d’État de 2010, le journaliste Charles Onana rapporte un document de l’ambassadeur français qui a rencontré Ouattara à cette époque. Le diplomate est stupéfait par la « neurasthénie du personnage » et son « peu d’appétence pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens ». Il ajoute que Ouattara semble être plus porté sur le whisky que sur l’islam, ce qui ne manque pas de piquant. En effet, suite aux attaques de Bédié sur le concept d’ivoirité, Ouattara va se poser comme l’ardent défenseur des Dioulas et des musulmans qui seraient persécutés en Côte d’Ivoire. Mais ça tient plus de la manœuvre tactique que de la réelle vocation : Ouattara est musulman quand ça l’arrange, surtout quand des caméras bienveillantes trainent dans les parages. En réalité, sa religion est plus celle du FMI.

    Quand le général Guéï tombe en 2000, Ouattara retourne à Abidjan même s’il n’est toujours pas éligible. On sait qu’il est alors lié avec les jeunes rebelles du nord, c’est un fait établi. Il y a notamment ce commandant de zone, Koné Zaccharia, qui a déclaré en 2004 que c’est Ouattara qui les nourrit, qui leur donne de l’argent et qui les chapeaute. De retour en Côte d’Ivoire, Ouattara commence donc à mettre en place des réseaux dans le nord du pays et au Burkina Faso qui servira de base-arrière pour les rebelles.

    Qui sont ces rebelles ? Comment sont-ils apparus ?

    Ils viennent du nord du pays mais présentent une certaine diversité sur les plans ethnique et religieux. Au départ, ils ont des revendications qui peuvent sembler légitimes : ils s’estiment lésés socialement et économiquement par le pouvoir politique. En conséquence de quoi ils ont participé au coup d’État contre Bédié en 1999. Si leurs revendications sont audibles, la prise des armes est plus problématique. Dès 2000, il va y avoir des assassinats politiques. Les tentatives de coup d’État se multiplient et elles sont accompagnées d’actions très violentes. Surtout en 2002, lorsque les rebelles tentent de prendre le pouvoir alors que Laurent Gbagbo est en voyage diplomatique en Italie. Notez que Chirac vient d’être réélu avec un score de dictateur africain et qu’il n’y a plus de Jospin à Matignon. Je pense que ce contexte était favorable aux rebelles qui avaient ainsi les mains libres.

    Ces rebelles tentent donc de renverser le pouvoir. Beaucoup de dirigeants politiques sont abattus dont Émile Boga Doudou, le ministre de l’Intérieur proche de Gbagbo. Ce dernier rentre précipitamment et, toute proportion gardée, il se passe alors quelque chose de semblable à ce qui s’était produit quelques mois plus tôt au Venezuela : c’est la foule qui descend dans la rue pour soutenir son président et empêcher le coup d’État. Finalement, les rebelles sont repoussés d’Abidjan et leur état-major s’installe à Bouaké. Guillaume Soro prend alors la tête du commandement de la rébellion.

    Quelle est l’attitude de la France durant cette crise ?

    Elle joue un drôle de jeu. En vertu des accords de coopération qui date du pacte colonial de 1961, le gouvernement ivoirien sollicite l’aide de la France pour stopper les putschistes. Mais le gouvernement français refuse d’intervenir, il est redevenu « neutre ».

    Les rebelles prennent donc leur position dans le nord, une zone tampon est instaurée dans le centre du pays et la Côte d’Ivoire se retrouve de fait coupée en deux. A partir de là, une grande partie de l’État ivoirien plonge dans la terreur. Pour subvenir à leurs besoins, les rebelles imposent une fiscalité parallèle, rackettent, commettent des délits et des actions violentes, terrorisent les populations, s'emparent et revendent à leur profit une partie de la production de cacao…

    De plus, si la France était une mauvaise camarade de Gbagbo en 2002, elle en devient une franche adversaire en 2004. Cette année-là, le gouvernement ivoirien procède à l’opération Dignité. Il pense avoir soutiré des informations importantes aux renseignements français : des rebelles se trouveraient dans un camp français de Bouaké pour y tenir une réunion secrète et le gouvernement ivoirien aurait carte blanche pour les bombarder.

    Le problème, c’est qu’il n’y avait pas de rebelles dans ce camp mais des soldats français !

    Je pense que les renseignements français ont enfumé les Ivoiriens et que les neuf soldats tués n’avaient rien à faire là. Les Ivoiriens pensaient bombarder une réunion de rebelles se déroulant dans un local, un foyer, du campement de l'armée française de Bouaké. Pas des soldats français. Je signale que l'avocat des familles des soldats français tués à Bouaké est à peu près convaincu de l'innocence de Laurent Gbagbo dans cette tragique affaire.

    Pour les Ivoiriens, c'est presque religieux : on ne tire pas sur les Français.

    (C'est d'ailleurs aussi pour cette raison qu'en 2011, l'Afrique du Sud n'a pas "plus" soutenu militairement la Côte d'Ivoire : Zuma savait que Gbagbo empêcherait, comme il l'a toujours fait, l'armée ivoirienne de tirer sur les Français, de s'en prendre aux Français. Non pas que Zuma ait particulièrement souhaité se battre avec les Français, mais comment imaginer gagner une guerre qu'on ne veut militairement pas faire ?).

    J'ai souvent entendu dire et lu qu'au fond, Chirac n'était pas nécessairement au courant des détails techniques de l'opération barbouzarde d'intoxication des Ivoiriens pour les pousser à la faute. Qu'il vaudrait sûrement mieux enquêter du côté de Villepin… un Villepin qui prétend quasiment ne plus se souvenir de rien ! Un Villepin que l'écrivain Claude Ribbe a publiquement et plusieurs fois accusé d'avoir œuvré, avec la complicité de Régis Debray, son BHL, à l'arrestation et à la déportation du président d'Haïti Aristide à la même époque.

    Vous expliquez aussi que le gouvernement français n’était pas très fier de ce qui est arrivé à ses soldats.

    Les soldats français tués à Bouaké ont été enterrés sans autopsie et sans le minimum d’égard pour leur dépouille. En effet, la mère d’un des défunts a obtenu de faire exhumer le corps de son fils. On s’est alors rendu compte que ce n’était pas le bon ! Les neufs corps ont bien été enterrés là mais n’importe comment : on s’est mélangé dans les tombes, les cadavres portent encore leur treillis déchiré, ils n’ont pas reçu de soins, ils sont encore tachés de sang… Personne ne semble très fier de cette histoire.

    De plus, les deux pilotes qui ont bombardé le camp français de Bouaké ne sont pas poursuivis alors qu’on en a les moyens. Ce sont deux Biélorusses qui travaillaient pour l’armée ivoirienne. Après l’opération, ils sont retournés à la base. Les soldats français les ont filmés, retenus quelques heures puis relâchés sans même, semble-t-il, les interroger. Les deux pilotes ont alors rejoint le Togo où ils ont tranquillement séjourné pendant trois semaines. C’est inédit dans l’histoire de l’armée française : on savait où étaient ces personnes qui avaient tué des soldats français, mais on ne les a pas appréhendés. Un ministre togolais s’est même ému auprès du gouvernement français de la présence de ces gens dans son pays. Mais Paris n’a pas bougé. Finalement, les deux Biélorusses ont disparu dans la nature. On m’a dit qu’ils étaient morts mais personne n’a pu me confirmer.

    En représailles à l’opération Dignité, les troupes françaises détruisent l’aviation militaire ivoirienne. Des affrontements éclatent à Abidjan entre les supporters de Gbagbo et les soldats français qui, finalement, se retirent.

    Sous ses faux airs de neutralité, il apparaît que la France avait clairement choisi son camp dans la crise ivoirienne. Une position qui se confirmera avec les élections de 2010. Quel intérêt avait Paris à remplacer Gbagbo ?

    Objectivement, aucun. Et c’est le plus troublant dans cette affaire. Gbagbo est un vieux briscard. Je ne le dis pas au sens péjoratif du terme, c’est un malin, un roublard. Ces adversaires rebelles les plus violents disent eux-mêmes qu’il vaut mieux ne pas s’asseoir à côté de Gbagbo au risque de se mettre à discuter et de perdre inévitablement.

    Le boulanger !

    Oui, c’est le surnom qu’on lui a donné pour ses aptitudes à rouler ses adversaires dans farine. Gbagbo est donc une bête politique, mais ce n’est pas un révolutionnaire enragé, un utopiste radical ou même un indépendantiste frénétique. Si bien que lorsque son mandat a officiellement pris fin en 2005, il a veillé à ménager certains intérêts français en Côte d’Ivoire. Il a soigné Bolloré et il n’a pas remis en question les affaires de Bouygues ou d’Orange. Il aurait sans doute progressivement cherché à commercer davantage avec d’autres puissances internationales. Mais il n’était pas assez fou pour faire table rase du passé et éjecter les Français de Côte d’Ivoire.

    Pourquoi Sarkozy a-t-il donc été si violent avec un président qui, d’une certaine façon, défendait les intérêts de la France en Côte d’Ivoire ?

    On a dit que Sarkozy était un très bon ami de Ouattara. C’est vrai mais c’est un peu court pour expliquer ce qui s’est passé. En réalité, il faut voir le problème d’un point de vue régional. Après le coup d’État en Côte d’Ivoire, il y a eu la guerre en Libye. Et maintenant la partition du Mali. Ouattara, qui dirige à présent la Communauté Économique Des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), est l’homme de la situation. C’est un pion parfaitement à sa place pour servir les intérêts occidentaux. En quand je dis les intérêts occidentaux, ce sont plus ceux des États-Unis que ceux de la France. La position de Sarkozy sur la crise électorale en Côte d’Ivoire a été critiquée jusque dans les rangs de l’UMP par quelques vieux briscards gaullistes.

    Il semble en effet que Washington manifeste un intérêt croissant pour l’Afrique en général et l’Afrique occidentale en particulier.

    Dans le cas de la Côte d’Ivoire, il y a une raison très prosaïque mais néanmoins importante : le cacao. La multinationale anglo-saxonne Armajaro a la mainmise sur cette ressource. Le beau-fils de Ouattara travaille d’ailleurs pour la filiale ivoirienne. En 2002 et 2010, Armajaro a spéculé à hauteur de 400.000 tonnes de cacao qui ont été achetées avant les crises politiques. Elle les a ensuite revendues lorsque les cours du cacao ont explosé suite aux événements.

    N'oublions pas que qui contrôle la Côte d'Ivoire contrôle quasiment le Golfe de Guinée, réputé pétrolifère...

    Par ailleurs, on constate de manière générale un émiettement du pré carré français dont les États-Unis semblent être les marionnettistes. L’objectif peut être de contrer les Chinois ou, au minimum, de s’accaparer les ressources. La Côte d’Ivoire est très riche et destinée à l’être plus encore grâce à sa capacité de développement.

    Enfin, les crises ivoirienne, libyenne et malienne étant liées, elles vont à nouveau poser la question de l’Africom : ce centre de commandement militaire US pour l’Afrique qu’aucun pays du continent n’a accepté d’accueillir est actuellement basé à Stuttgart. Maintenant qu’il y a l’AQMI, menace réelle ou supposée, la crise malienne va devenir une question étasunienne. Et avec Ouattara à la tête de la CEDEAO, l’installation d’Africom dans la zone du Mali ne devrait pas poser problème.

    Que se passe-t-il maintenant en Côte d’Ivoire ? On imagine que tout va bien puisque les médias n’en parlent plus…

    Pas vraiment, non. Sur l’éducation, le bilan est cinglant : des universités ont été fermées deux années de suite : les étudiants sont globalement perçus comme potentiellement pro-Gbagbo. Par ailleurs, on a rouvert quelques écoles dans le nord.

    Dans les divers gouvernements qui se sont succédé sous la présidence de Ouattara, on constate un phénomène que le chef d’État qualifie lui-même de rattrapage ethnique. On ne choisit donc plus le personnel politique en fonction de ses compétences mais en fonction de ses origines. C’est justement ce qu’on reprochait à Gbagbo. Ça donne des scènes cocasses. L’actuelle ministre de l’Éducation, la nordiste Candia Kamara, n’est sans doute pas la plus qualifiée pour cette fonction. Elle invente régulièrement des néologismes comme « capturation » ou « recrutation » !

    Et les violences ont-elles cessé ?

    Pas du tout. La ville d’Abidjan a été divisée entre tous les commandants des zones rebelles qui étaient fidèles à Ouattara depuis 2002. Ces commandants mènent la belle vie car ils bénéficient des largesses du régime. Mais pour les petits soldats, c’est le racket, les exactions, etc.

    Sur l’ensemble du pays aussi il y a encore beaucoup de violence. On recense chaque semaine des meurtres ethniques ou politiques. Si bien que plusieurs centaines de milliers de réfugiés ivoiriens ont quitté le pays pour rejoindre le Ghana, le Bénin ou le Togo. D’autres ont bougé à l’intérieur-même du pays. On constate que beaucoup d’habitants de l’ouest, là où on cultive le cacao, ont été dépossédés de leurs terres au profit de paysans burkinabés. Ça permet d’assurer un meilleur contrôle sur l’exploitation du cacao.

    Tous ces réfugiés posent aussi le problème de l’élite de la nation. On a coutume d’évoquer la fuite des cerveaux en Afrique. En Côte d’Ivoire, cette fuite est manifestement orchestrée. Parmi les réfugiés que j’ai rencontrés au Ghana, il y avait beaucoup de cadres, d’ingénieurs, de responsables politiques, d’enseignants, etc.

    Tout cela, les médias français n’en disent pas un mot. La presse ivoirienne couvre-t-elle mieux les événements ?

    La liberté de la presse est bafouée quotidiennement. Chaque semaine ou presque, un ou deux titres sont suspendus. De nombreux journalistes ont été jetés en prison. Herman Aboa y est resté plus de trois mois.

    Vous avez sans doute vu la photo du couple Gbagbo malmené par des rebelles dans une chambre d’hôtel. En Côte d’Ivoire, les journaux n’ont pas le droit de publier cette photo.

    Autre exemple : le Nouveau Courrier a reçu un blâme pour avoir rapporté les propos du politologue français Michel Galy qui, à propos des élections de 2010, parlait de « coup d’État franco-onusien ».

    Justement, la victime de ce coup d’État a été arrêtée et doit passer devant la Cour Pénale Internationale (CPI). Pensez-vous que Laurent Gbagbo pourrait être jugé pour les crimes qu’on lui reproche ?

    Luis Moreno Ocampo, le procureur de la CPI, est quand-même un des personnages les plus troubles de notre époque. Dans le dossier qu’il a monté contre Gbagbo, il y a des charges assez grotesques. Par exemple, dans un discours de campagne, Gbagbo avait déclaré : « On gagne ou on gagne ». Il avait ainsi repris, certes un peu de façon démagogique, les paroles d’une chanson populaire ivoirienne. Mais pour Ocampo, cela constitue une preuve que Gbagbo est un dictateur ! On trouve des éléments aussi ridicules que celui-là dans le dossier du procureur.

    Si on s’en tient aux charges crédibles, le problème est qu’une seule peut suffire à fonder le procès. Sans manquer de respect aux nombreuses personnes qui sont mortes, on peut espérer que le niveau de l’instruction va s’élever pour poser les vraies questions.

    Quelles sont ces vraies questions ?

    Il y a deux façons de présenter l’enjeu de ce procès. La première, celle que semble avoir choisi l’avocat de Laurent Gbagbo, dénonce l’incompétence de la CPI à juger le président ivoirien. En effet, depuis 2003, cette juridiction est autorisée à enquêter en Côte d’Ivoire. C’est Laurent Gbagbo lui-même qui l’avait autorisé pour mettre un terme aux fausses accusations sur les charniers. Cependant, si la CPI a le droit d’enquêter, sa juridiction n’est pas reconnue par la Côte d’Ivoire.

    La deuxième façon d’aborder l’enjeu du procès est plus politique mais se défend juridiquement. Du 28 novembre 2010 au 11 avril 2011, on peut considérer que Laurent Gbagbo n’a jamais cessé d’être président de la Côte d’Ivoire. Il avait en effet été nommé par le président du Conseil constitutionnel, Paul Yao N’Dré. C’est ce même président du CC qui a ensuite nommé Ouattara en mai 2011. Si on reconnait à Paul Yao N’Dré la légitimité de nommer Ouattara président en mai 2011, c’est qu’il avait aussi la légitimité de nommer Gbagbo en novembre 2010.

    De plus, au moment des faits, le président Gabgbo était suivi par l’ensemble de son administration. Toutes les entités, corps constitués et administrations sur lesquelles il avait autorité le reconnaissaient comme président. Par conséquent, si Gbagbo était bien le président de la Côte d’Ivoire au moment des faits qui lui sont reprochés, toutes les accusations de la CPI tombent d’elles-mêmes. Voilà les deux questions importantes à trancher : la CPI est-elle compétente et Gbagbo était-il président ?

    On vient d’apprendre ce 12 juin que l’audience de confirmation des charges prévue le 18 juin était reportée au 13 août.

    La Présidente de la cour a désavoué Ocampo qui prétendait s'opposer à cette demande de report. Ocampo avait, délibérément, remis très tardivement un dossier énorme, accumulation de "preuves" que la défense de Gbagbo ne pouvait techniquement pas étudier dans le délai imparti. Pour la première fois depuis le début de la crise post-électorale, on a écouté Laurent Gbagbo. Ce qui m'inspire une question : la CPI aurait-elle été aussi diligente si Nicolas Sarkozy était encore aux affaires à Paris ? En outre, en marge du report la défense de Laurent Gbagbo a formulé une demande de mise en liberté provisoire.

    Finalement, cette crise électorale ne montre-t-elle pas que l’Occident n’est pas prêt à laisser le jeu démocratique s’exprimer librement et sans ingérence en Afrique ? Le temps des colonies ne semble pas fini…

    À l'ingérence humanitaire ont succédé l'ingérence politique, l'ingérence économique, l'ingérence judiciaire, l'ingérence militaire… La communauté internationale a pris pour argent comptant les résultats de la Commission électorale indépendante tout en écartant ceux du Conseil constitutionnel. Alors que c’est la deuxième institution qui est habilitée à nommer le président. Ça témoigne d’un certain mépris pour les institutions ivoiriennes.

    De plus, j’ai eu l’occasion de discuter avec des personnalités politiques en France, dont Alain Bauer, proche conseiller de Sarkozy. Pour ces personnes, le fait que Gbagbo ait porté plainte pour tricheries au second tour et que Ouattara ne l’ait pas fait n’est pas important : « Vous savez, la justice là-bas… », « L'État, là-bas... », etc.

    On voit donc que tout ce qui touche à la démocratie, à la Constitution, aux institutions républicaines, bref, tout ce qui est sacré ici, ne l’est pas dans leur esprit là-bas. C’est sans doute un bel héritage de la mentalité coloniale.

    Source : Investig'Action"


    Sur la crise finale de décembre 2010 - avril 2011 :

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/nouvelle-crise-deux-presidents-en-cote-d-ivoire

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/cote-d-ivoire-la-guerre-imperialiste-approche

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/l-hallali-est-sonne-en-cote-d-ivoire

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/l-intervention-bbr-en-cote-d-ivoire-et-la-chute-de-gbagbo-avril-2011


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