• ... car elle n'est pas seulement une somme d'individus bourgeois, mais aussi et même surtout une IDÉOLOGIE (une CONCEPTION DU MONDE) produite par ces individus et susceptible à tout moment, à travers n'importe quel individu, de devenir FORCE MATÉRIELLE au service du capitalisme, de son maintien en place face aux assauts de la révolution, ou de sa restauration sous la transition socialiste.


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  • C'est donc confirmé : il y a bien une tendance gauchiste dans le MLM international, essentiellement en Europe/Occident, qui "réfléchit" (soi-disant) à la question avec le ferme objectif en tête de proclamer le "gonzalisme" nouvelle 4e et supérieure étape du développement du marxisme (après le léninisme et le maoïsme).

    Ceci, CONTRE GONZALO LUI-MÊME qui a toujours dit et réaffirmé n'être que "celui qui a dit" que le 3e et supérieur stade du marxisme qu'est le maoïsme existait et en quoi il consistait ; et TOUJOURS clairement dit lui-même que ce qu'il (ou son Parti) pouvait dire de portée universelle (généralement présenté comme tel au moment même d'être énoncé) n'était autre que du marxisme-léninisme-maoïsme, principalement maoïste, S'INSCRIVANT dans ce 3e et supérieur développement de la pensée marxiste qui ne se réduit PAS au apports théoriques à portée universelle de Mao, même si ceux-ci y sont principaux, mais en incluent d'autres, dont... ceux-là même de Gonzalo et ses camarades.

    https://lesmaterialistes.com/pcp-marxisme-leninisme-maoisme-1988

    OUI, Gonzalo et le PCP ont apporté des contributions de valeur universelle... au marxisme-léninisme-maoïsme ! Et non à un quelconque fantasmagorique "pré-4e et encore supérieur développement", à peine le 3e synthétisé...

    Des principes universels étant explicitement, pour eux, les conséquences logiques de l'application du MLM dans sa plus correcte compréhension ; rien de moins, mais rien de plus !

    Un nouveau et supérieur développement du marxisme consiste en un ensemble de contributions 1°/ de valeur universelle, 2°/ nouvelles (corrigeant ou complétant quelque chose qui était mal ou incomplètement compris auparavant), et 3°/ en principe, démontrées dans la pratique (ce qui explique que soit toujours débattue à ce jour l'universalité, ou plutôt l'applicabilité de la Guerre populaire prolongée dans les pays développés impérialistes, étant donné qu'aucune GPP n'y a jamais triomphé ni même été menée dans des dimensions conséquentes, mais bon à ce jeu-là la voie "d'Octobre" accumulation de force - insurrection n'y a jamais été démontrée non plus...).

    Et ceci, encore, dans les trois (et non pas seulement un ou deux des trois) domaines différents que sont le socialisme scientifique, l'économie politique et la philosophie.

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/le-maoisme-a114084210

    Non seulement il semble difficile de voir en quoi la production théorique de Gonzalo et du PCP remplit ces critères ; mais il semble encore plus difficile d'imaginer qu'ils aient, entre 1980 et 1988, synthétisé le maoïsme comme troisième et supérieure étape, expliqué que tel ensemble de contributions de Mao et de quelques autres suivant son exemple constituaient un tel dépassement du marxisme-léninisme, et en quoi... pour aussitôt considérer que tout cela serait imparfait/incomplet et nécessiterait un dépassement dans une 4e et encore supérieure étape !

    Quels événements pourraient donc bien justifier la nécessité d'un tel dépassement ; événements comparables à la faillite de la 2e Internationale dans le premier révisionnisme au début du 20e siècle et surtout en 1914, ou à celle de la 3e (Komintern puis Kominform) dans le révisionnisme dès l'après-Seconde Guerre mondiale et surtout après 1956 ; alors que le MLM vient (dans les années 1980) d'être synthétisé comme tel et que depuis lors, le mouvement communiste international se développe à nouveau tout doucement sur cette base ?

    Cette dérive, que l'on peut qualifier de lin-piaoïsme (comme Lin Piao avec Mao : organiser le "culte", l'exagération de l'apport intellectuel d'une personnalité - qui en l'occurrence n'est pas en situation de confirmer ou contredire - dans le but de s'en faire les "grands prêtres"), est bien emblématique et explique beaucoup de choses en particulier quant aux problématiques que soulève depuis des années la transplantation du MLM, aux grands contributeurs tous du "Tiers Monde", en Occident impérialiste...

    Et de fait, représente peut-être l'une des plus redoutables armes du Fascisme Moderne infiltrée au sein même du mouvement communiste de notre époque, le mouvement MLM, pour le torpiller.

    Il est temps de lutter de toutes les forces du maoïsme authentique contre cette déviation typique de la petite bourgeoisie occidentale (en particulier d'Europe germanique et du Nord - mais aussi peut-être d'Amérique du Nord - qui, osons le dire clairement, s'emmerde dans la vie et a besoin de se trouver un tel "titre de gloire", celui d'avoir "synthétisé" à partir de nulle part un nouveau stade du marxisme, pour se sentir importants et exister).

    ["gt" = Gonzalo Thought, Pensée Gonzalo ; c'est à dire la "Pensée" qui constitue l'application concrète du marxisme-léninisme-maoïsme aux conditions concrètes du Pérou (et à la rigueur de l'Amérique latine) ; et qu'il s'agit ici, "tout en subtilité"... de ne pas proclamer directement en "-isme" ("gonzalisme"), mais de rajouter derrière MLM en mode "principalement" (alors que lorsque Gonzalo et les maoïstes péruviens prenaient des positions de validité selon eux universelle, ils les présentaient comme des positions "marxistes-léninistes-maoïstes, principalement maoïstes", autrement dit "avoir vraiment compris ce que signifie le rajout de maoïsme après marxisme et léninisme"...

    "crf" = Comité Red Flag (ou Rote Fahne en allemand), petit groupe maoïste d'Allemagne qui joue un rôle important comme tenant de la ligne "gonzaliste dure" en Europe, tout en ayant aussi joué un rôle, sain celui-là, dans le démasquage de l'imposture "MPP Sol Rojo" (ultra-gauchiste liquidateur péruvien en exil en Suède, en vague lien avec une "ligne opportuniste de gauche en-réalité-de-droite" au Pérou même) qui n'avait que trop duré depuis plus de 10 ans, et dont les principaux porte-voix francophones des élucubrations "maoïstes"-CIA étaient le (bien connu des lecteurs de SLP) "p''c''mlm"-"Voie Lactée"-"lesmatérialistes.com"... Et qui a tout de même, au long de cette décennie avant d'être démasqué, largement donné le "la" au niveau international de ce qu'était censé être "le vrai maoïsme" selon la conception péruvienne, "principalement maoïste", avec limite la tentation (que l'on sentait permanente) de proclamer un nouveau stade "gonzaliste".]

    [Autre exemple, par des "gonzalistes" US (appelons "gonzalistes" ces éléments délétères qui travaillent activement à cette proclamation délirante d'un "marxisme-léninisme-maoïsme-gonzalisme" pour pouvoir s'asperger de la "gloire" de l'avoir proclamé...) :

    "Today Gonzalo Thought is already taking on the former role of Mao Zedong Thought, it is both a demarcation and an application outside of Peru. Once theorized as the specific application of MLM to Peruvian conditions, it has already transcended these parameters, the revolutionary movements of Latin America, Europe, and the US have discovered that certain contributions of Gonzalo Thought are indeed universal (yes, les "potes" : la production théorique de Gonzalo et du PCP, comme on l'a dit, a apporté des contributions de valeur universelle... au maoïsme !! comme Staline, ou Dimitrov - par exemple sur le fascisme, que Lénine n'avait pratiquement pas connu et pas du tout analysé - au léninisme !). This has not been synthesized into a fourth stage yet, but the possibility remains intact. Such a synthesis is well beyond the means of our journal so we will not concern ourselves with this and instead leave this task in the capable hands of the revolutionaries in the storm centers."

    https://struggle-sessions.com/2019/06/30/guiding-thought-the-guarantor-of-victory/]

    [Que l'on se comprenne bien : nous avons, après suffisante réflexion et étude de la question ("sans enquête-étude, pas de droit à la parole"), longuement pris la défense de Gonzalo, de son PCP et de la Guerre populaire au Pérou (années 1980-90) comme grand révolutionnaire et grande expérience révolutionnaire. Nous avons dit stop aux discours du type "c'était un ultra-gauchiste extrémiste fanatique (ou simplement un "stalinieeeeen" pour les trotskystes, anars etc.) qui faisait massacrer les gens et au final, une fois chopé, il a tout balancé par la fenêtre" : que ceux qui n'ont que ce genre de critiques à adresser à une lutte mobilisant des dizaines de milliers de damnés de la terre après un demi-millénaire de servitude et de spoliation coloniale sans pitié, aillent les adresser au FLN algérien ou au Parti communiste vietnamien et après on en reparle ; quant à ce qui est de sa "capitulation" une fois arrêté, il faudrait déjà peut-être se retrouver dans sa situation avant de l'ouvrir à ce sujet, et d'autre part, nous avons expliqué que ce qui est considéré comme tel pourrait bien en réalité relever de l'éthique de responsabilité minimale dans la situation qui était celle de l'époque (voir l'avant-dernier entre-crochet dans l'article en lien ci-dessus).

    Mais bon, après, il faut peut-être aussi se détendre deux minutes à son sujet et arrêter de le sacraliser au-delà de toute rationalité.

    Gonzalo a, c'est incontestable et nous ne l'avons jamais contestésynthétisé les apports théoriques de Mao et plus largement de la "séquence maoïste" de l'histoire du marxisme, qui s'étend globalement des année 1940 (déjà 1930 avec Mao lui-même) jusqu'aux années 1970. 

    Car il a incontestablement, cela ressort de tous les textes où il s'exprime personnellement, l'esprit de synthèse. C'est une grande qualité, qu'il faut savoir reconnaître à sa juste valeur ! Trop de réflexions théoriques marxistes partent trop souvent "trop loin", se rendant difficile d'accès aux masses, décourageant la formation du moindre cadre ; et trop de penseurs, théoriciens, ont trop souvent tendance à "voir chaque arbre dans ses moindres détails, mais pas la forêt".

    Certes. Mais après, il faut se détendre un peu et savoir raison garder. Sa pensée n'est pas non plus ultra "poussée" au-delà de ce qu'il synthétise (brillamment et indispensablement), y compris de "Mariátegui à la lumière de Mao" pour ce qui est de la "Pensée" dédiée au Pérou lui-même ; et au-delà de cela (le marxisme-léninisme-maoïsme, donc), ne jette certainement aucune base d'aucune sorte de "4e et encore supérieur développement" que ce soit ; sauf à considérer comme tel le fait de trancher la question (pas claire chez tous les penseurs de la "séquence maoïste" antérieurs) de la Guerre populaire stratégie universellement valide de conquête du pouvoir ou alors "réservée" aux pays "arriérés" où domine la paysannerie, en faveur de la première position (mais déjà d'autres avant lui, en particulier bien sûr dans les pays industrialisés/"avancés" où elle ne serait selon d'aucuns "pas possible", avaient déjà pris cette position, qu'il s'agisse de maoïstes français ou de communistes combattants italiens, d'éléments de libération nationale basque ou irlandaise, théoriciens divers et variés de la "guérilla urbaine" puisque c'est bien - raisonnablement - sur ces bases qu'une telle stratégie devrait être pensée pour ces pays, etc.).

    Il a tendance, comme tout "synthétiseur", à la rigueur idéologique (au "dogmatisme" diraient certains, à "coller" rigoureusement à ce qui a été synthétisé) ; et laisse peu de place à la (toute aussi nécessaire en marxisme) créativité. Sa pensée tend parfois au mécanisme ; d'autres fois, à la métaphysique telle que déjà reprochée par Mao au marxisme-léninisme tel que conçu et appliqué par la direction soviétique de Staline et le Komintern ("toute-puissance" infaillible de la synthèse idéologique établie et "révélée" "une fois pour toutes") ; et après son arrestation, ses "continuateurs" à travers le monde ("voix" diverses du maoïsme péruvien "ligne rouge", ou organisations MLM d'autres pays) n'ont guère été en reste en la matière. 

    Une "toute-puissance" pourtant largement infirmée, par exemple, par le fait que la gigantesque situation révolutionnaire traversée par l'Amérique latine dans les années 2000 n'a pas signifié la fin du "détour" (tel qu'avait été présenté le revers de son arrestation en 1992, et sa contradiction avec l'idée que la Guerre populaire qu'il menait représentait "la révolution mondiale dans son offensive stratégique"), mais a été au contraire massivement récupérée par des forces réformistes (concrètement : les forces cubanistes du Forum de Sao Paulo)... suscitant envers celles-ci, de la part des organisations MLM-Gonzalo du continent et de la planète, un ressentiment tel qu'il semble parfois, encore aujourd'hui, relever pour elles du déchirement anal de dénoncer et combattre les "retours de bâton" de la droite dure pro-yankee qui peuvent frapper ces gouvernements "de la bourgeoisie bureaucratique" (comme en novembre 2019 en Bolivie, mais déjà en 2016 au Brésil ou encore en 2009 au Honduras).

    C'est pour cela, plus que toute autre chose, que le "MLM selon Gonzalo" attire dans tous les pays (mais avec ses plus insupportables spécimens dans les pays occidentaux) toutes ces proverbiales cohortes de "défenseurs" bornés, dogmatiques, dont il semble littéralement avoir remplacé et faire désormais office de cerveau ; excommuniant tout sur leur passage, et en particulier toute réflexion critique sur des sujets qui les dérangent (qui les dérangent parce qu'ils bousculent, parfois, leurs intérêts de petits bourgeois occidentaux, mais surtout, le plus souvent, parce qu'ils leur demanderaient un effort intellectuel dont ils sont incapables et l'humiliation de cette incapacité ressentie ne fait que décupler leur agressivité).

    AU CONTRAIRE, défendre réellement le MLM une fois "posé" dans ses principes fondamentaux par Gonzalo, c'est le faire vivrepenser avec sa tête et affronter créativementsur ses bases bien sûr, en partant du "socle" qu'il représente, les questions qui se posent à nous pour "penser" nos pays et y faire la révolution... si tant est que cela soit nécessaire, tant parfois, face à la merde idéologique qui nous entoure à l'extrême-gauche, il suffit d'être léniniste, ou même tout simplement marxiste.
    Et c'est peut-être ainsi que, d'ici quelques décennies, l'accumulation de réflexions créatives dans la conception du monde donneront lieu à un nouveau dépassement qualitatif vers une "4e et encore supérieure étape" (le plus probablement, suite et face à une nouvelle trahison-liquidation opportuniste du MLM au nom du MLM, car c'est en général toujours dans ces circonstances que cela se produit, en l'occurrence, après Khrouchtchev et Hoxha pour ce qui est du dépassement du marxisme-léninisme et de la synthèse et "proclamation" du MLM par Gonzalo).

    On imagine aisément, combien ce ne sont certainement pas des gens refusant catégoriquement tout effort intellectuel créatif de ce type (allant par exemple jusqu'à qualifier de "bundistes" ceux qui se confrontent aux questions nationales dans leurs États respectifs...) qui risquent d'avoir la moindre légitimité à proclamer l'existence d'un tel "saut" sur la base d'on-ne-sait trop quoi (de leur si "efficace" et "créative" praxis ?) !]


    Une traduction en anglais, aimablement réalisée par un petit site que nous ne connaissions pas :

    http://ottoswarroom.blogspot.com/2019/09/a-fairly-or-nearly-complete-debate-on.html

    Against the imposture of a so-called "gonzalism" fourth and still higher stage of the development of Marxism

    So it is confirmed: there is indeed a leftist tendency in the international MLM, mainly in Europe / West, which "thinks" (so-called) to the question with the firm objective in mind to proclaim some "Gonzalism" new 4th and higher stage of the development of Marxism (after Leninism and Maoism).

    This, AGAINST GONZALO HIMSELF who has always said and reaffirmed to be only "the one who said" that the third and highest stage of Marxism that was Maoism existed and in what it consisted; and ALWAYS clearly said himself that what he (or his Party) could say of universal scope (generally presented as such at the very moment of being uttered) was none other than Marxism-Leninism-Maoism, mainly Maoist, JOINING in this 3rd and higher development of Marxist thought that is NOT reduced to Mao's universal theoretical contributions, even if these are the main ones, but include others, including... even Gonzalo and his comrades.

    https://lesmaterialistes.com/pcp-marxisme-leninisme-maoisme-1988

    YES, Gonzalo and the PCP have made contributions of universal value ... to Marxism-Leninism-Maoism ! And no to some phantasmagoric "pre-4th and even higher development", hardly the 3rd synthesized...

    Universal principles are explicitly , for them, the logical consequences of the application of the MLM in its more correct understanding ; nothing less, but nothing more!

    A new and higher development of Marxism consists of a set of contributions 1°/ universal value, 2°/ news (correcting or completing something that was badly or incompletely understood before), and 3°/ in principle, demonstrated in practice (This explains why the universality, or rather the applicability of the protracted People's War in the developed imperialist countries is still debated, since no GPP has ever triumphed or even been consequent, but good at this game the way "October" accumulation of strength - insurrection has never been demonstrated either ...).

    And this, again, in the three (and not just one or two of the three) different areas that are scientific socialism, political economy and philosophy.

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/le-maoisme-a114084210

    Not only does it seem difficult to see how the theoretical production of Gonzalo and PCP fulfills these criteria; but it seems even more difficult to imagine that they had, between 1980 and 1988, synthesized Maoism as a third and higher stage, explained that such a set of contributions by Mao and some others following his example constituted such an extension of Marxism- Leninism, and in what way... to immediately consider that all this would be imperfect / incomplete and would require an overtaking in a 4th and even higher stage!

    What events might well justify the need for such an overrun; events comparable to the bankruptcy of the 2nd International in the first revisionism at the beginning of the 20th century and especially in 1914, or that of the 3rd (Comintern then Kominform) in revisionism after the Second World War and especially after 1956; while the MLM comes (in the 1980s) to be synthesized as such and since then the international communist movement has been slowly developing again on this basis?

    This drift, which can be described as Linpiaoism (as Lin Piao with Mao: organize the "cult", the exaggeration of the intellectual contribution of a personality - which in this case is not in situation to confirm or contradict - in order to make it the "high priests"), is well emblematic and explains a lot of things in particular concerning the problems that raises for years the transplantation of the MLM, to the big contributors all of the "Third World ", imperialist West ...

    And indeed, represents perhaps one of the most formidable weapons of the Modern Fascism infiltrated within even the communist movement of our time, the movement MLM, to torpedo it.

    It is time to fight with all the forces of genuine Maoism against this deviation typical of the Western petty bourgeoisie (particularly from Germanic Europe and the North - but also perhaps from North America - which, let us say it clearly, is bored in life and needs to find such a "title of glory", that of having "synthesized" from nowhere a new stage of Marxism, to feel important and exist).

    ["gt" = Gonzalo Thought, Gonzalo Thought; that is, the "thought" which constitutes the concrete application of Marxism-Leninism-Maoism to the concrete conditions of Peru (and, strictly speaking, of Latin America); and that it is here, "all in subtlety" ... not to proclaim directly in "-ism" ("gonzalism"), but to add behind MLM mode "mainly" (whereas when Gonzalo and the Peruvian Maoists took positions of validity according to them universal, they presented them as "Marxist-Leninist-Maoists, mainly Maoists ", in other words "to have really understood what the addition of Maoism means after Marxism and Leninism"...

    "crf" = Red Flag Committee (or Rote Fahne in German), a small Maoist group from Germany that plays an important role as the "hard gonzalist" line in Europe, while also playing a role, healthy this one, in the unmasking of the imposture "MPP Sol Rojo" (ultra-leftist Peruvian liquidator in exile in Sweden, in vague connection with a "left-in-reality-right opportunistic line" in Peru itself) which had lasted too long for more than 10 years, and whose main Francophone mouthpieces of the "Maoists"-CIA were the (well known to SLP readers) "p''c''mlm" - "Milky Way" - "lesmatérialistes.com"... And who still during this decade before being unmasked, largely "set the tone" on international level about what was supposed to be "true Maoism" according to the Peruvian conception, "mainly Maoist", with the temptation (that could be felt permanent) to proclaim a new "gonzalist" stage.]

    [Another example, by "gonzalist" US (let's call "gonzalist" these deleterious elements who are actively working on this delusional proclamation of a "Marxism-Leninism-Maoism-Gonzalism" so that to endow themselves with the "glory" of having proclaimed it...) :

    "Today Gonzalo Thought is already taking over the role of Mao Zedong Thought, it is both a demarcation and an application outside of Peru. of Latin America, Europe, and the US have discovered that certain contributions of Gonzalo Thought are indeed universal (yes, "mates" : the theoretical production of Gonzalo and PCP, as we have said, has made valuable contributions universal ... to Maoism, like Stalin, or Dimitrov - for example fascism , which Lenin had hardly known and not analyzed at all - to Leninism!). This has not been synthesized , but the possibility remains intact . Such a synthesis is well beyond the means of our journal so we can not concern ourselves with this issue of this task in the capable hands of the revolutionaries in the storm centers."

    https://struggle-sessions.com/2019/06/30/guiding-thought-the-guarantor-of-victory/]


    2 commentaires

  • Trouvé sur la Toile, un petit bijou qui, sans partager à 200% tous les points de vue de l'auteur, résume fondamentalement ce que peut être notre point de vue.

    ATTENTION cependant : du fait de la position (en réalité) d'"entre-deux" qu'a occupée historiquement l'URSS de Staline comme après ; et (surtout) de l'héritage "moyen" laissé par la plupart des mouvements communistes "staliniens" (marxistes-léninistes) occidentaux en la matière ; il existe également beaucoup de gens qui vont se réclamer de Staline (marxistes-léninistes), ou même "maoïstes", tout en partageant beaucoup des travers dénoncés ici (certes pas, évidemment, sous la forme caricaturale des délégués du Congrès de Stuttgart ; voire, carrément sous la forme d'un soi-disant "anti-impérialisme" mais dont les choix, les "tris" dans les forces à soutenir - on l'a vu notamment et très clairement avec Rojava - ou encore l'attitude face à la "preuve par la Palestine", vont toujours être déterminés le plus "conformément" possible à leurs intérêts occidentaux).

    Tandis que de leur côté, certains courants trotskystes, notamment d'inspiration cliffiste (Tony Cliff est cité dans le texte pour quelques aberrations proférées dans les années 1950), s'en sont assez fortement éloignés.


    https://www.theorientaldespot.com/article/antistalinism1

    https://www.theorientaldespot.com/article/antistalinism2

    Jay Tharappel (militant anti-impérialiste et doctorant en droits humains et développement à l'Université de Sidney)

    Pourquoi tant de personnes à "gauche" poussent-elles des cris d'horreur, et hurlent-elles au "stalinisme" dès qu'elles entendent quoi que ce soit de positif au sujet de l'URSS, de la Chine ou de n'importe quel pays où un Parti communiste a pris le pouvoir dans l'histoire ? Pourquoi cet "anti-stalinisme" domine-t-il la "gauche" uniquement dans les pays ayant une histoire de colonisateurs ? "Gauche avec des caractéristiques impérialistes" ? La "gauche impériale" peut-être ? Ce dernier terme recouvre sans doute quelque chose de beaucoup plus large. Nous nous concentrerons ici sur la substance géopolitique de l'"anti-stalinisme".

    L'objectif en soulevant de telles questions n'est pas de suggérer que critiquer Joseph Staline serait par nature raciste (ça ne l'est évidemment pas), mais plutôt de montrer que la politique de croisade "anti-stalinienne" conduite par un certain nombre de militants "de gauche" est raciste car elle nie le rôle historique progressiste qu'a pu jouer l'URSS dans la lutte contre le colonialisme, qui est le fondement économique sur lequel le racisme moderne s'est développé.

    Qu'est-ce que le racisme ?

    Le racisme ne se réduit pas à être un instrument du Capital pour diviser les travailleurs (ce qui est la définition dominante que lui donne le gauche du "Premier Monde", occidentale, "développée"). Il est aussi (et avant tout) une arme idéologique employée par les puissances impérialistes pour façonner ce que leurs citoyens pensent des autres nations en accord avec leurs stratégie géopolitique.

    Pour comprendre ce que cela signifie, il est possible de se référer à Edward Said au sujet de l'"orientalisme", ou de regarder Hollywood et les Arabes, un documentaire basé sur l'ouvrage de l'écrivain libanais Jack Shaheen et qui montre comment le portrait négatif des Arabes par Hollywood est motivé par intérêts géopolitiques.

    Affirmer, ainsi, sans recul critique que l'anti-stalinisme est sans rapport avec la politique étrangère anti-soviétique/anti-russe des États-Unis et de leurs alliés au cours du siècle écoulé est tout simplement candide. Il y a deux ans, les États-Unis ont ni plus ni moins qu'opposé leur veto à une résolution des Nations Unies, proposées par la Russie et... condamnant le nazisme.

    Cette même année, un documentaire intitulé Apocalypse affirmait que parce que Joseph Staline était géorgien, "son état d'esprit était proche de celui d'un despote oriental", ce qui est une bien curieuse accusation au moment même où la Russie est accusée de soutenir un "despote oriental" en Syrie, aussi bien par les médias occidentaux mainstream que par les "anti-staliniens" [nous ne partageons pas le parti-pris pro-Assad et pro-Poutine de l'auteur dans le texte, mais ce n'est pas le sujet ici ; l'essentiel du propos n'en reste pas moins tout à fait vrai].

    Pour justifier leurs entreprises impériales, les cultures colonisatrices produisent deux sortes de racisme ; l'un qui justifie les conquêtes au nom de l'intérêt national sans fard, et l'autre qui les justifie en prétendant "civiliser" les peuples conquis et les "sauver" de "despotes", et autres "horribles dictateurs" (le complexe du sauveur). L'"anti-stalinisme" rejoint la deuxième catégorie, au sens où il encourage ses supporteurs à penser qu'il y a "le peuple" d'un côté et "un dictateur" de l'autre... Mais de quel "peuple" est-il question au juste ?

    Dans le conflit syrien, les anti-staliniens actuels soutiennent le renversement du gouvernement d'Assad au nom "du peuple", tout en affirmant également être opposés aux milices armées qui sont la réalité de ce peuple dans cette tentative de renversement.

    "Le peuple" qui "se soulève" contre un "terrible dictateur" pour demander "la liberté et la démocratie" est devenu la rengaine "anti-stalinienne" au cours de la dernière décennie, accompagnée de toute une imagerie de mobilisations de pauvres victimes opprimées maltraitées, pour les soumettre, par un méchant de dessin animé, "oppresseur", "brutal tyran", qu'il s'agisse de Staline, Mao, Kadhafi ou Assad [on pourrait encore ajouter Maduro, voire, loin pourtant d'être notre ami et celui de nos camarades là-bas, Erdogan...] – reproductions à l'infini de la caricature "stalinienne" projetée par les "anti-staliniens".

    Encore une fois, considérer sans recul critique que que l'anti-stalinisme est déconnecté d'une politique étrangère occidentale agressive est pour le moins naïf ; et oublier que le racisme est une hiérarchie basée sur une longue histoire d'agressions coloniales est anhistorique. Cette incapacité à penser de manière logique et conséquente est la raison pour laquelle les "anti-staliniens" (ceci inclut les anarchistes) oublient souvent leur privilège de vivre dans un pays qui n'est pas menacé par d'autres.

    Les nations dominantes peuvent en effet se permettre d'être libérales, en particulier si elles ne sont pas menacées par de puissants ennemis ; tandis que les pays soumis à une telle menace ne peuvent pas s'offrir le luxe d'adhérer aux standards "libéraux" permis par une place privilégiée dans l'arène mondiale.

    C'est peut-être là une pilule difficile à avaler, mais beaucoup des "libertés démocratiques" que les "anti-staliniens" tiennent pour acquises dans leurs pays sont le résultat de toute une histoire de domination coloniale au dehors, et non dûes uniquement aux luttes démocratiques et sociales intérieures. Héritière de la mémoire d'une culture coloniale arrogante, la "gauche" du "Premier Monde" a généralement la plus faible mémoire historique d'avoir combattu une domination étrangère, comparé aux pays socialistes et postcoloniaux auxquels des niveaux extrêmes de violence génocidaire ont été infligés tout au long des derniers siècles.

    Le discours dominant sur la Seconde Guerre mondiale : "démocratie" contre "totalitarisme"

    Les 27 millions de citoyens soviétiques tombés en martyrs dans la lutte contre l'Axe fasciste dirigé par l'Allemagne nazie, n'ont pas seulement résisté à la plus génocidaire des guerres d'agression coloniales de tous les temps : ils l'ont littéralement taillée en pièces.

    Ceci a été la plus décisive de toutes les luttes anticoloniales dans l'histoire de l'humanité. Pour autant, si votre immersion dans l'univers du marxisme s'est faite à travers le culte de l'"anti-stalinisme", il y a de fortes chances que vous l'ignoriez ; et ceci, parce que l'"anti-stalinisme" émerge d'une culture politique qui minimise ce fait et réduit la Seconde Guerre mondiale à une lutte entre "démocratie" et "totalitarisme", dans laquelle les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont affronté les plans agressifs à la fois de l'Allemagne nazie et de l'URSS, et les ont défaits l'un après l'autre en répandant la "démocratie" sur la planète.

    Cette dichotomie, créée de toute pièce par les intérêts anglo-américains durant la Guerre froide, plonge en réalité ses racines dans l'"anti-stalinisme" "de gauche".

    Le terme de "totalitarisme" a été employé à l'origine par Mussolini, pour décrire favorablement l'ordre fasciste qu'il souhaitait établir en Italie. Comment, dès lors, a-t-il pu finir par devenir l'épithète favori de l'anti-stalinisme pour attaquer l'URSS et Staline ?

    C'est Léon Trotsky qui, en 1936, l'utilise trois fois dans son ouvrage La Révolution trahie pour attaquer l'URSS ; faisant de lui l'invective favorite de l'arsenal idéologique "anti-stalinien" depuis lors.

    Deux ans plus tard, en 1938, Winston Churchill utilisera le terme d'"État totalitaire" pour faire référence à "une tyrannie national-socialiste ou communiste", avant de devenir Premier ministre du Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale. C'était juste après que ce pays ait donné son feu vert à l'invasion conjointe allemande, polonaise et hongroise de la Tchécoslovaquie, mieux connue comme la trahison de Munich, qui aux yeux de Staline pouvait sembler une volonté des Britanniques d'encourager la marche d'Hitler vers l'Est, en l'amenant aussi près des frontières soviétiques.

    [Là dessus : Un-autre-recit-des-accords-de-Munich.pdf - il-y-a-75-ans-le-pacte-germano-sovietique-pour-tenter-de-clarifier]

    Suivant les enseignements de Trotsky, le théoricien "anti-stalinien" Tony Cliff dans son ouvrage La Russie stalinienne (1955) affirmait que "le programme le plus probable de l'opposition à Staline" consistait à "établir une démocratie socialiste" ; et à quelle opposition faisait-il référence ? Selon ses propres mots, "le mouvement de Vlassov et l'Armée insurectionnelle ukrainienne (UPA)"... deux milices ayant collaboré avec l'invasion nazie de l'URSS, la dernière complice des massacres de Volhynie contre les Polonais et les Juifs. Cliff cite ces collaborateurs fascistes favorablement, suggérant que leur programme était "progressiste" comparé au "totalitarisme stalinien", terminologie qu'utilisaient aussi les dits collabos.

    Le mot "totalitaire" est utile car il veut tout dire et rien dire à la fois. Il est la clé qui ouvre toutes les portes, et la porte ouverte par toutes les clés.

    Oui, c'est vrai, l'Allemagne nazie et l'URSS avaient toutes deux des défilés militaires au "pas de l'oie", des cultes de la personnalité, de la propagande du parti unique dirigeant, un affichage de leur puissance militaire... Mais ceci en fait-il la même chose en essence ?

    L'URSS faisait parmi ses citoyens la promotion d'un sens de la fierté d'être en train d'œuvrer à un monde socialiste d'égalité raciale libre de colonialisme et de guerre. En face, les patriotismes anglais et américain, français et allemand étaient imprégnés d'une longue histoire de justification du colonialisme et des conquêtes sur la base d'une supériorité raciale auto-proclamée.

    Si l'Armée Rouge avait perdu la guerre, le colonialisme se serait poursuivi indéfiniment

    La grande difficulté dans l'évaluation d'un évènement historique, est l'impossibilité par définition de savoir réellement ce qu'il serait advenu s'il ne s'était pas produit.

    Pour autant, si l'on étudie l'histoire du colonialisme européen, il ne fait guère de doute qu'une défaite soviétique et chinoise dans la Seconde Guerre mondiale aurait ouvert un chapitre extrêmement sombre de l'histoire de l'humanité.

    Que serait-il réellement arrivé si l'Armée Rouge avait perdu la guerre ? La seule réponse plausible est, clairement, une poursuite du colonialisme ; pour la raison évidente qu'une puissance explicitement anticolonialiste, l'URSS, aurait été non seulement vaincue mais colonisée elle-même.

    La "suprématie blanche" de l'Allemagne nazie n'était pas seulement du "nationalisme sous stéroïdes", comme certains à "gauche" l'affirment erronément. Elle était, en réalité, un appel à la solidarité entre puissances coloniales mondiales ; une offensive de soft power allemand dans le but de convaincre la Grande-Bretagne, la France et les peuples de colons anglo-saxons que parce qu'ils appartenaient tous à la "race des seigneurs", ils ne devaient pas seulement préserver mais pousser en avant leurs ambitions coloniales aux dépens des "races inférieures" à travers l'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine.

    Les puissances de l'Axe, Allemagne, Italie et Japon, voulaient se tailler leurs colonies en Afrique et en Eurasie et pour cela voulaient que les puissances anglaise et française acceptent leurs ambitions. Sans surprise, les Britanniques et les Américains étaient relativement blasés devant les projets allemands d'agression de l'URSS.

    Au début de la guerre, Lord Halifax, le grand architecte britannique de la trahison de Munich, avait prédit que l'Armée Rouge serait "liquidée en 8 ou 10 semaines" ; tandis que le sénateur (et futur président) américain Truman était encore plus bassement cynique, affirmant que "si nous voyons que l'Allemagne est en train de gagner, nous devons aider les Russes, et si les Russes sont en train de gagner, nous devrons aider l'Allemagne et ainsi les laisser s'entretuer le plus possible".

    C'est le colonialisme qui a offert au capitalisme les conditions pour se développer, et pas autre chose. La révolution industrielle commencée en Grande-Bretagne, avant de se diffuser à toute l'Europe du Nord-Ouest, reposait totalement sur la fourniture de matières premières bon marché par les Amériques, l'Afrique et l'Inde.

    C'est là quelque chose que Hitler comprenait très bien lorsqu'il disait que "la prospérité de la Grande-Bretagne est le résultat, moins d'une organisation commerciale parfaite, que de l'exploitation capitaliste des 350 millions d'esclaves indiens", et que les Britanniques "savent très bien que c'est de la possession de l'Inde que l'existence de leur Empire tout entier dépend".

    Il disait cela, car il était le représentant des intérêts d'une Allemagne capitaliste furieuse de la perte de son Empire colonial à l'issue de la Première Guerre mondiale. L'une des principales raisons stratégiques pour laquelle l'Allemagne avait perdu ce premier conflit, était que les Britanniques lui avaient imposé un blocus naval à l'origine de centaines de milliers de morts par malnutrition.

    Après qu'elle ait été dépouillée de ses colonies à l'issue de la guerre, l'Allemagne a vu sa monnaie s'effondrer ; et elle a alors développé de nouvelles ambitions voyant dans l'URSS, en particulier les riches terres agricoles d'Ukraine, et la ville portuaire de Bakou en Azerbaïdjan qui produisait en 1900 la moitié du pétrole mondial, les nouvelles colonies qu'elle devait conquérir.

    Le colonialisme britannique était un modèle pour l'Allemagne nazie, ou pour citer directement Hitler, "ce que l'Inde a été pour l'Angleterre, les étendues de Russie le seront pour nous". Ce que l'Allemagne visait en colonisant l'URSS, n'était autre que ce que les Britanniques avaient déjà fait en Inde et en Australie.

    Lorsque les Anglais arrivèrent au Bengale (Inde), celui-ci était l'un des endroits les plus riches du monde ; et lorsqu'ils en partirent, il avait été réduit à la plus pauvre. Lors de la première victoire britannique sur son sol, en 1757, l'Inde représentait environ 24% du produit mondial ; et lors de son indépendance, plus que 4% seulement.

    En colonisant l'Amérique du Nord et l'Australie, les Britanniques avaient déjà accompli ce que l'Allemagne voulait pour elle-même en envahissant l'URSS. Pourquoi donc les opinions raciales de Winston Churchill différaient-elles si peu de celles du Parti nazi ? Pour justifier la partition de la Palestine, afin d'ouvrir la voie à "Israël", Churchill pouvait déclarer "je n'admets pas l'idée, par exemple, qu'un grand tort ait été fait aux Peaux-Rouges d'Amérique, ou aux Nègres d'Australie, par le fait qu'une race plus puissante, une race de plus haut niveau, soit venue et ait pris leur place"...

    Sous la domination britannique, toute entreprise souhaitant faire du commerce avec l'Inde n'avait d'autre choix que de remettre ses bénéfices aux autorités coloniales, en échange de quoi elle recevait des morceaux de papier appelés "bons du conseil" qu'elle pouvait ensuite échanger avec les producteurs locaux indiens, qui l'échangeraient enfin contre des roupies indiennes elles-mêmes tirées des taxes payées par les Indiens au régime colonial.

    De même que la subjectivité des travailleurs européens ne se demandait pas pourquoi les matières premières utilisées dans leurs usines étaient si peu chères, la subjectivité des producteurs indiens acceptait que leurs produits soient payés en roupies indiennes, alors qu'en réalité tout ce qu'il y avait était une distribution inégalitaire de la richesse en Inde tout en renforçant dans le même temps la hiérarchie déjà existante des castes.

    Les exportations quittaient l'Inde sans être payées, avec pour résultat une déflation des revenus causant des famines génocides génocidaires qui ont tué quelques 48 millions d'Indiens.

    Les Allemands eux aussi voulaient leur lebensraum, ou "espace vital" comme les nazis l'appelaient. Ils voulaient des terres et des ressources, afin d'alimenter leur industrie. Il voulaient pouvoir exporter leurs citoyens vers des terres préalablement vidées de leur population autochtone, taxée de "sous-humaine" et "racialement inférieure".

    C'est ce qui aurait été fait en URSS, résultant peut-être en des colonies allemandes à travers toute l'Eurasie, des Allemands prenant le soleil au bord de la Mer Caspienne, buvant de la bière et faisant des barbecues dans leurs jardins ; et peut-être, après un siècle de nettoyage ethnique et d'anéantissement des autochtones, auraient-ils commencé à accuser les Slaves, Roms et autres Juifs d'ingratitude pour la "civilisation" qu'ils leur avaient apportée...

    Est-il réellement si difficile d'imaginer des colons allemands, à travers l'Eurasie, regarder au petit-déjeuner des émissions télévisées où l'on devise tranquillement de la nécessité d'enlever des enfants des peuples colonisés à leurs familles au nom de les "sauver" ?

    En réalité, pour la grande masse de l'humanité qui porte dans sa chair les cicatrices du colonialisme européen, cette uchronie d'un monde où les puissances de l'Axe auraient remporté la Seconde Guerre mondiale ressemble fort... à ce qu'elles ont déjà et très réellement subi.

    A contrario, les cultures coloniales mettent toute leur créativité dans la production de fictions dystopiques au sujet d'un contre-factuel "totalitarisme", fait d'une bonne dose de "pas de l'oie" nazi mixé ensuite avec l'imagerie communiste afin de suggestivement dépeindre l'un et l'autre comme également condamnable.

    Le Mal, pourtant, n'est pas quelque chose d'arbitrairement tombé du ciel. Il est plutôt le sous-produit d'intérêts concrets qui suivent un agenda historique.

    Tout en prétendant combattre à la fois le fascisme et le communisme, l'Occident mène une politique étrangère comparable à celle de l'Axe fasciste en direction des grandes étendues continentales autour de la Russie et de la Chine.

    L'"anti-stalinisme" est un colonialisme inavoué

    L'"anti-stalinisme" dénigre l'URSS et Joseph Staline pour leur tentative de construire le "socialisme dans un seul pays", tout en professant la justesse de la théorie trotskyste de la "révolution permanente" et nécessairement "mondiale".

    Mais en réalité, la raison pour laquelle la "révolution mondiale" était le mot d'ordre dominant dans les années précédant la Première Guerre mondiale, est qu'à cette époque la mappemonde était tout simplement dominée par les Empires coloniaux européens...

    L'idée était par conséquent que si l'Europe devenait socialiste, le monde entier le deviendrait automatiquement puisqu'il était (à l'exception de l'Amérique latine - et encore, dirions-nous, car il faut tenir compte du colonialisme "masqué", du semi-colonialisme...) intégralement sous contrôle européen.

    Rejeter la responsabilité de l'échec de la révolution en Europe, après la Première Guerre mondiale, sur la direction du seul pays a avoir réellement réussi une révolution prolétarienne, est un bien pauvre substitut à la connaissance réelle de pourquoi les choses se sont déroulées de cette manière.

    Lorsque la révolution a échoué en Allemagne (patrie du marxisme), la politique étrangère soviétique s'est retrouvée face à un dilemme : continuer à pousser en avant la révolution en Europe, et s'attirer des hostilités armées ; ou faire la paix avec l'Allemagne dans l'espoir que ceci mettrait fin à la guerre, ce qui était la promesse effective des bolchéviks à leurs supporteurs épuisés de celle-ci.

    L'avant-garde révolutionnaire russe devait se tenir au cri de ralliement qu'elle avait lancé en premier lieu : "le pain, la terre, la paix" ; ce qui n'était pas possible sans établir des relations un minimum normales avec les gouvernements que Lénine avait pourtant dénoncés des décennies durant comme des impérialistes, et appelé les travailleurs européens à les renverser.

    Pourquoi les évènements historiques ne se sont-ils pas déroulés tels que les socialistes européens les avaient prévus ?

    La réponse est tout simplement parce que leurs prédictions ignoraient toutes les évidences suggérant que le conflit entre nations colonisatrices et colonisées était plus fort que celui opposant les exploiteurs et les exploités au sein même des nations colonisatrices.

    Pourquoi donc les classes ouvrières européennes seraient-elles devenues socialistes, si cela signifiait que leurs gouvernements respectifs devaient perdre le contrôle direct des vastes ressources du Tiers Monde ? Qu'auraient-elles donc obtenu des promesses du socialisme après avoir abandonné leurs colonies ?

    Pour les travailleurs européens, le projet de "socialisme international" avait un coût. Plutôt que n'avoir "rien à perdre sinon leurs chaînes", ils n'avaient, de fait, "rien à perdre sinon les colonies qui subventionnaient leurs salaires"...

    Comment donc leurs salaires pourraient-ils augmenter, si les usines dans lesquelles ils travaillaient ne pouvaient plus obtenir leurs matières premières aussi bon marché qu'auparavant parce que les pays nouvellement libérés allaient demander de meilleurs prix, afin de nourrir leurs populations affamées ? Tout le développement du capitalisme européen reposait sur s'emparer des matières premières des colonies, en particulier sous les tropiques, qui sont connues pour leur grande productivité agricoles.

    Qu'un tel dilemme ait pu traverser l'esprit des socialistes européens, particulièrement à l'approche de la Première Guerre mondiale, apparaît clairement dans les archives de la Deuxième "Internationale" qui était dominée par les partis socialistes et travaillistes européens, et dans laquelle la seule nation colonisée représentée était l'Inde (d'où les guillemets ironiques à "Internationale").

    La Deuxième "Internationale" avait toujours appelé à une "révolution mondiale" à partir de l'Europe, mais, lorsque l'occasion se présenta d'unir les classes ouvrières du continent contre la Première Guerre mondiale, ces socialistes européens, en soutenant leurs gouvernements respectifs, firent exactement l'inverse, contribuant ainsi à la plus sanglante guerre qu'ait jamais connu l'humanité.

    Pourquoi ? La réponse peut être recherchée dans cette triste réalité que beaucoup d'entre eux voulaient le socialisme et le colonialisme, autrement dit, une simple distribution plus équitable de la richesse volée dans les colonies.

    Au Congrès de Stuttgart (1907), une motion avait été proposée pour demander que ne soit "pas rejetée par principe la politique coloniale", arguant que le colonialisme "pouvait être une force de civilisation". Cette motion fut rejetée... par un résultat très serré de 108 votes pour et 127 contre. Étant donné que chaque pays disposait d'un nombre de voix proportionnel à sa population, la délégation russe conduite par Lénine, en votant par ses 20 voix contre la motion, se plaça du côté du monde colonisé, donnant lieu à un précédent pour les futurs gouvernements soviétiques qui suivront la même ligne géopolitique.

    Commentant cette proposition de motion, Lénine notera que ceux qui l'avaient défendue étaient des citoyens de puissances coloniales, c'est à dire, de "nations où même le prolétariat a été dans une certaine mesure contaminée par l'appétit de conquête". Pas seulement pour le plaisir de leur taper dessus, mais pour en retirer l'analyse politique fondamentale que "comme résultat de la politique d'expansion coloniale, les prolétariats européens se trouvent eux-mêmes dans la position où ce n'est pas exclusivement leur travail, mais aussi et surtout celui des indigènes pratiquement réduits en esclavage dans les colonies, qui maintient en place l'ensemble de la société".

    Le côté pro-colonial du débat, envisageait un "socialisme" qui pourrait être construit sur la richesse volée du monde colonisé. L'un des délégués, Eduard David du Parti socialiste allemand, était assez honnête pour affirmer que "l'Europe a besoin de colonies (...) elle n'en a pas assez". Et en réponse à Karl Kautsky, qui suggérait que ceci s'accompagne (au moins) d'une "assistance" aux "peuples arriérés", le socialiste néerlandais Henri Van Kol répondait que "en admettant que l'on apporte une machine aux sauvages d'Afrique centrale... qu'en feraient-ils ? Peut-être commenceraient-ils une danse guerrière autour d'elle... Ou peut-être qu'ils nous tueraient, voire, nous mangeraient !" ; tandis que ses partisans poussaient des huées.

    Au vu d'un tel contexte historique, il n'est donc guère surprenant que l'Allemagne ait engendré le nazisme après avoir été dépouillée de toutes ses colonies en 1918... Tout particulièrement, s'il existait le précédent d'Allemands se qualifiant eux-mêmes de "socialistes" (comme le national-"socialisme") tout en justifiant la domination coloniale.

    Et Lénine de conclure : "la bourgeoisie britannique, par exemple, tire plus de profits des centaines de millions d'habitants de l'Inde et de ses autres colonies que des ouvriers britanniques. Dans certains pays, ceci fournit la base matérielle et économique de la contamination du prolétariat par le chauvinisme colonial."

    "Chauvinisme colonial" correspond ici à la définition du racisme donnée précédemment, c'est à dire, comment les citoyens des puissances impérialistes sont socialisés à penser à propos des autres nations en accord avec la stratégie géopolitique de la leur.

    Il peut, donc, être honnêtement concédé au camp "anti-stalinien" que ses vues sont connectées à la pensée socialiste européenne d'autrefois, qui en dépit de ses brillants apports, était en dernière analyse limitée par la subjectivité coloniale de la classe ouvrière européenne.

    Du point de vue des travailleurs européens, les énormes profits amassés par leurs bourgeoisies apparaissaient subjectivement comme uniquement extraits de leur force de travail, ignorant là la question de pourquoi les matières premières auxquelles ils ajoutaient de la valeur étaient si bon marché pour commencer.

    Parce que les classes ouvrières européennes n'avaient, en réalité, aucun réel intérêt à creuser cette question, les premiers socialistes européens ont pu dépeindre le capitalisme comme émergeant de la féodalité, c'est à dire, uniquement de la lutte des classes interne à l'Europe, et s'étendant seulement ensuite autour du globe par la conquête armée afin d'"ouvrir des marchés", d'abord pour les marchandises, ensuite pour les capitaux.

    Cette subjectivité eurocentrique peut être observée y compris dans le Manifeste communiste de Marx et Engels (1848), qui présente le capitalisme comme se répandant à partir des centres industrialisés et impérialistes d'Europe vers les pays colonisés, expliquant que "la bourgeoisie [européenne] contraint toutes les nations, sous peine de disparaître, à adopter le mode de production capitaliste (...) à introduire ce qu'elle appelle la civilisation en leur sein (...) à devenir bourgeoises elles-mêmes. (...) elle façonne le monde entier à son image".

    Ces affirmations initiales aident à comprendre l'analyse du colonialisme britannique en Inde à laquelle arrive Marx en 1853, alors qu'il est journaliste pour le New York Tribune. Selon lui, la conséquence inattendue des "souffrances infligées par les Britanniques à l'Hindoustan" était qu'en détruisant le vieil ordre social, elles créaient les conditions nécessaires au capitalisme pour se développer. La politique britannique aurait ainsi "dissous ces petites communautés semi-barbares, semi-civilisées de l'Inde en balayant leurs bases économiques, donnant ainsi lieu à la plus grande, et pour tout dire la seule révolution sociale jamais vue en Asie". [NDLR des propos similaires ont pu être tenus par lui ou Engels sur la conquête de l'Algérie par la France, ou encore du Mexique du Nord (grande partie du "Far West") par les États-Unis à la même époque.]

    C'est là que Marx se trompait. Ne pas comprendre la relation entre le plus puissant capitalisme impérialiste de l'époque (la Grande-Bretagne) et sa plus profitable colonie (l'Inde), c'est est en essence ne pas comprendre l'impérialisme, particulièrement au vu de l'importance de la population indienne et de l'ampleur de son rôle dans la croissance économique de l'Europe colonialiste par la suite.

    En Grande-Bretagne, la destruction de l'ordre social ancien, en particulier par le biais des enclosures qui avaient privé les paysans de leur accès aux terres communes, les forçant ainsi à n'avoir rien d'autre à vendre que leur force de travail, avait créé les conditions du capitalisme en donnant naissance à la classe ouvrière.

    Marx pensait qu'un processus similaire de "destruction créatrice" était à l’œuvre en Inde. Mais cette idée reposait sur un présupposé nécessairement faux au regard de l'impérialisme, à savoir, que le produit des classes laborieuses d'Inde serait réinvesti en Inde.

    Les officiers coloniaux britanniques, eux, savaient que ceci était faux dès peu après avoir remporté leur première bataille sur le sol indien, la bataille de Plassey (1757) qui leur avait donné le contrôle du Bengale, la région probablement la plus riche au monde. En 1787, Sir John Shore, un officier colonial qui devait se hisser jusqu'au poste de gouverneur général, disait dans un rapport que "la Compagnie est faite de marchands, et en même temps souveraine de pays. Dans le premier rôle, elle alimente son marché, tandis que dans le deuxième elle s'en approprie les revenus". Il s'agissait là de free trade au sens premier du terme, non de free = libre mais de free = gratuit : les Britanniques s'emparaient des biens de l'Inde sans verser pour eux un centime...

    Que le colonialisme britannique "pompait" l'Inde pour alimenter son développement capitaliste est une théorie qui précède le marxisme. L'historien marxiste Irfan Habib suggère en effet, dans son essai La perception de l'Inde par Marx, que Marx avait tiré son idée de "pompe" de Dadabhai Naoroji, un intellectuel phare du mouvement anticolonial indien [qui critiquait le "bilan" de la colonisation britannique en Inde autour des années 1860].

    Bien que situés dans le même camp géopolitique, Naoroji et Lénine avaient une analyse économique différente de l'impérialisme. Lénine caractérisait l'impérialisme européen par l'"exportation de capitaux" vers les colonies, mais, bien que ceci ait très certainement existé, ce n'était pas le mécanisme fondamental par lequel les Empires coloniaux s'enrichissaient.

    Il écrivait que "l'exportation de capitaux influence, et accélère grandement le développement capitaliste des pays vers lesquels il est exporté". Mais alors pourquoi, dans ce cas, cela n'a-t-il pas "accéléré le développement du capitalisme" en Inde comme cela a pu être le cas dans les colonies anglo-saxonnes de peuplement ?

    Sur ce point, c'est Naoroji qui a montré qu'il y avait une distinction à faire entre deux types de colonies britanniques : d'un côté, l'Inde pillée et non-payée pour ses exportations (incomparablement plus importantes que les importations) ; et de l'autre côté, les colonies de peuplement comme les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui étaient des récipients d'investissements de capitaux, et importaient beaucoup plus qu'elles n'exportaient.

    Il n'était pas, en cela, le premier économiste indien à exposer les conséquences de l'impérialisme : dès 1841, avant que Marx n'ait publié quoi que ce soit, l'écrivain nationaliste Bhaskar Tarkhadkar écrivait déjà (s'adressant aux Britanniques) que "rien n'a pris à l'Inde autant de richesse que votre commerce".

    À la question de Ragnar Nurske, un des fondateurs de la discipline du développement économique, "pourquoi dans les années 1920 le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, avec une population totale de 17,4 millions de personnes, importaient deux fois plus de marchandises que les 340 millions d'Indiens" ; la réponse est que ces régimes coloniaux de peuplement n'auraient pas été possibles sans investissements de la métropole qui n'auraient eux-mêmes pas été possibles sans l'alimentation permanente de la Grande-Bretagne en matières premières free = gratuites, impayées, depuis l'Inde ; nourrissant sa révolution industrielle et générant ainsi le capital financier qui développait la production lorsque exporté vers les colonies de peuplement, mais détruisait la capacité de consommer lorsque "exporté" vers l'Inde.

    En 1881 la vision de Marx avait évolué et il avait largement adopté la "théorie de la pompe". Dans une lettre adressé au narodnik russe Nikolaï Danielson, il pouvait écrire que "ce qu'ils ont pris à l'Inde sans aucune contrepartie, s'élève à plus que le total des revenus des 60 millions de travailleurs agricoles et industriels indiens... C'est une véritable saignée !".

    En l'espace de 28 années, Marx est ainsi passé de penser que les Britanniques développaient le capitalisme en Inde à reconnaître une "véritable saignée", synonyme de destruction, et non d'accumulation de capital qui était structurellement impossible dans des conditions coloniales.

    Le colonialisme a garanti l'approvisionnement de l'Europe du Nord-Ouest en matières premières qu'elle n'avait pas en quantités suffisantes à l'intérieur de ses frontières, et sans lesquelles le capitalisme européen n'aurait pas pu exister.

    Cet approvisionnement, depuis ce qu'on appelle aujourd'hui le Tiers Monde, est tout simplement le socle sur lequel l'Europe colonialiste a bâti sa puissance.

    C'est ainsi que, selon Trotsky en 1931, "la division mondiale du travail, la dépendance de l'industrie soviétique vis-à-vis des technologies étrangères, la dépendance des forces productives des pays avancés d'Europe vis-à-vis des matières premières d'Asie, etc. etc., rend la construction d'une société socialiste indépendante dans un seul pays du monde, absolument impossible".

    Ce qui est souligné est important... Car ce que Trotsky tente d'exprimer sans le dire explicitement, c'est que l'Europe ne peut pas connaître le socialisme sans le cadre commercial établi par le colonialisme. Ce qui est effectivement vrai de ces "pays avancés d'Europe" qui "dépendent des matières premières d'Asie" (Allemagne, France, Grande-Bretagne...). Mais ne s'applique évidemment pas aux pays d'où proviennent ces matières premières et dans lesquels, de fait, le "socialisme dans un seul pays" est tout à fait possible, si tant est qu'ils puissent acquérir les technologies requises.

    Si l'histoire s'est déroulée comme elle l'a fait pour une raison, alors c'est qu'au 20e siècle le conflit entre Capital et Travail dans les pays impérialistes est devenu moins important que le conflit entre colonisateurs et colonisés.

    Comme pouvait le dire Lénine au sujet de la question nationale : "les masses votent avec leurs pieds". Eh bien, dans le cas de la Première Guerre mondiale, "avec leurs pieds" les masses d'Europe ont "voté" pour leurs Empires ; tandis que dès cette époque et encore par la suite, les masses d'Afrique et d'Asie ont "voté" pour chasser ces impérialistes de sur leurs dos.

    La Russie, technologiquement le plus faible de tous les Empires coloniaux, ressemblait de fait plus au monde colonisé en termes de standards de vie de la grande masse de sa population. Pour Trotsky, "la dépendance de l'industrie soviétique vis-à-vis de la technologie étrangère" rendait le socialisme en Russie également impossible. Pourtant l'URSS a prouvé qu'il avait tort, non seulement en triomphant de la plus grande guerre d'invasion de toute l'histoire, mais en devenant une superpuissance technologique, le berceau de l'ère moderne de l'information, et le pays qui a fourni au monde post-colonial une grande partie de sa technologie actuelle, brisant ainsi le monopole technologique acquis par l'Europe colonialiste.

    L'"anti-stalinisme" est ce qu'est devenu le marxisme après un siècle de mariage idéologique avec ces réminiscences eurocentriques, sans être "rafraîchi" et dans une certaine mesure corrigé à travers une critique post-coloniale.

    Malgré son analyse initiale erronée, Marx n'en a pas moins soutenu la rébellion indienne de 1857 contre la domination britannique, créant là un important précédent dans le soutien aux mouvements anticoloniaux depuis un discours socialiste européen.

    De même, en dépit de son erreur théorique vue plus haut, Lénine n'en a pas moins mis en œuvre une politique étrangère soviétique fermement tournée vers le soutien aux luttes de libération du Tiers Monde, débouchant sur des décennies de relations économiques mutuellement bénéficiaires et de coopération entre l'URSS et les monde post-colonial ; améliorant les conditions de vie de la grande majorité des habitants de la planète, même si la plupart de ces améliorations sont imperceptibles pour ces "anti-staliniens" habitant les pays du Premier Monde qui ont tiré profit du colonialisme.

    L'"anti-stalinisme" est aussi une réaction d'allergie eurocentrique aux traditions politiques qui dominent la gauche dans le Tiers Monde. Même si les "anti-staliniens" sont en désaccord avec le "stalinisme", ils devraient pour le moins admettre que la croisade "anti-stalinienne" qu'ils poursuivent est totalement insignifiante pour la majorité de ceux qui se définissent comme communistes à travers le monde.

    Lorsqu'un mot décrivant une "abstraction" se manifeste dans la réalité concrète, la signification de ce mot se nie toujours partiellement elle-même, pour la bonne et simple raison que la réalité toujours imparfaite ne peut jamais correspondre parfaitement à l'idéal. C'est la raison pour laquelle, tout comme la seconde venue du Christ,  le "véritable socialisme" des "anti-staliniens" n'adviendra jamais.


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  • (de ce précédent article ici : http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/sur-une-controverse-de-definitions-entre-marxisme-et-decolonialisme-a157559122)

    ... le capitalisme ne serait donc pas "simplement" "l'économie de marché", mais bel et bien un SYSTÈME, une forme sociale TOTALE fondée certes sur une économie marchande... mais de marchandisation de tout ; dépouillant progressivement les masses populaires de TOUT moyen de subsistance autre que la vente de leur force de travail contre salaire ; et avec une tendance intrinsèque à la financiarisation et surtout, à l'EXPANSION TERRITORIALE de ses Centres d'accumulation au détriment les uns des autres ou des territoires encore pré-capitalistes.

    Autrement dit, intrinsèquement oppresseur national et colonialiste ; ce qui rejoint finalement l'"intuition" que nous avons pu exprimer depuis plusieurs années à ce sujet (par exemple, vieux articles : question-nationale-21e-siecle - gros-pave-question-nationale - clarification-centre-peripherie - notes-de-lecture-weil, lire aussi "La lutte pour le droit à l’autodétermination nationale dans les pays impérialistes", par G. Maj du (n)PCI) ; et signifie que quiconque n'est "pas clair" là-dessus ne PEUT PAS faire partie du camp de la révolution et doit en être exclu (pas rétroactivement bien sûr : on pouvait être "limité" là-dessus il y a 150 ans et rester quand même dans l'histoire comme un grand révolutionnaire, mais en 2018, une fois ces choses-là comprises, ce n'est plus acceptable - exemple : critique-d-une-position valable pour ceux qui soutiennent ladite position ici et là dans le monde).

    C'est là une nature, une ESSENCE MÊME que l'on ne peut pas sérieusement prétendre combattre le capitalisme si on ne la combat pas (non seulement en paroles, grandes déclarations de principes dans ses documents organisationnels, mais EN ACTES).

    En un sens, quelque part, cela ferait de ce que nous appelons capitalisme une sorte de "cancer" social, né d'un système tributaire faible, "malade" (celui de l'Europe médiévale, post-romaine), et qui en submergeant (au final) toute la planète aura planétairement "tué" le néolithique tardif de l'humanité qu'était le système tributaire ; pour permettre désormais à une nouvelle forme sociale, le SOCIALISME, de le remplacer là encore sur toute la planète.


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  • ... dans lequel s'expriment leurs différents points de vue et analyses, autrement dit un peu tous les nécessaires "pour" et "contre" pour réfléchir à la question :


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  • Un autre texte sur la notion de Guerre populaire prolongée comme stratégie révolutionnaire universelle du prolétariat et des classes opprimées ; notion comme on le sait particulièrement discutée et attaquée ; publié sur l'excellent site étatsunien Maosoleum du New Communist Party - Liaison Committee (NCP-LC) : http://maosoleum.ncp.lc/2013/10/07/what-is-protracted-peoples-war/


    longmarchmao


    Le 1er octobre 1949 est la date de la création de la République populaire de Chine. Ce jour-là, des centaines des millions d'ouvriers et de paysans chinois se sont levés pour écraser les forces de la réaction. La Révolution chinoise constitue, aux côtés de la Révolution russe, l'un des plus importants évènements de l'histoire de l'humanité. L'exemple de la Chine révolutionnaire a inspiré aussi bien les Black Panthers que nos camarades menant la Guerre populaire en Inde, aux Philippines, au Pérou ou au Népal. Ce texte veut rendre hommage à cette révolution. Pris dans son ensemble, il représente le point du vue du collectif Maosoleum.

    Nul, excepté peut-être le pire euro-marxiste chauvin, n'a jamais prétendu disqualifier le léninisme et l'expérience de l'Union soviétique comme quelque chose de "seulement applicable au Tiers-Monde". Pourtant, sous tous les aspects, la Russie de 1917 faisait partie du "Tiers-Monde" de l'époque, avec seulement 20% de sa population totale travaillant comme ouvrier-e-s industriel-le-s, dont seulement 40% (de ces 20%) employés dans de grandes usines. La question est alors posée : pourquoi ce "seulement applicable au Tiers-Monde" est-il l'argument n°1 de tant de détracteurs du maoïsme ? 

    Peut-être bien que, si Mao était né dans un "pays capitaliste avancé", le maoïsme ne serait pas seulement jugé applicable au "Premier Monde" mais aussi au "Tiers" ! Cette incompréhension du maoïsme repose sur la manière dont les maoïstes font la révolution, à travers la Guerre populaire prolongée, et sur notre vision de cette stratégie comme universelle. Lorsque nous croisons le fer contre cette compréhension erronée du maoïsme, c'est aussi un certain racisme que l'on peut percevoir dans ce débat. Car cette disqualification du maoïsme revient finalement - en dernière analyse - à une peur de ce que la "gauche" du "Premier Monde" ait en réalité à apprendre des Peuples opprimés autour de la planète. Bien sûr nos "amis" "éclairés" connaissent bien Mao, peut-être aussi Kaypakkaya ou même Gonzalo, mais il est peu probable qu'ils aient entendu parler des camarades Ganapathi, Azad ou Kishenji. Peut-être pourrait-on débattre, alors, de ce que nos non-maoïstes considèrent comme la méthode universelle "correcte" pour faire la révolution - dans les États impérialistes en particulier. Le concept d'Armée du Peuple est un apport d'importance et de signification historique mondiale qui a été copié y compris par l'ennemi : Mao est regardé avec beaucoup d'intérêt par les militaires US, bien plus encore que Trotsky (qui est également lu).

    Sur la "Voie d'Octobre" et la distinction entre léninisme et social-démocratie

    La supposée méthode "universelle" pour la révolution dans le Premier Monde devrait donc être la ré-application mécanique de la méthode soviétique, connue sous le nom d'insurrection révolutionnaire, ou la dite "Voie d'Octobre". Avant la Révolution russe de 1917, et après la répression de la Commune de Paris, la social-démocratie avait émergé comme mouvement légal de la classe ouvrière, travaillant en pleine lumière et gagnant du terrain dans les parlements d'Europe - son plus grand succès étant sans doute le premier "État-providence" mis en place par le chancelier Bismarck en Allemagne, en réponse à la pression socialiste. Devant les menaces de guerres qui s'accumulaient dans le ciel européen, le mouvement ouvrier se retrouva face aux conséquences de dizaines d'années de lutte légale sous le capitalisme qui atteignirent leur paroxysme à la Conférence de Zimmerwald en 1915. La fraction révolutionnaire connue sous le nom de "Gauche zimmerwaldienne" et dirigée par Vladimir Lénine se leva avec force contre l'opportunisme de l'époque, qui au lieu de prendre position contre la guerre inter-impérialiste avait soutenu ses propres "patries" bourgeoises sous couvert de "défense nationale révolutionnaire".

    La stratégie pour la prise du pouvoir en Russie est la principale divergence ayant séparé le bolchévisme de la social-démocratie. Tirant les enseignements de l'échec révolutionnaire de 1905 en Russie et de la non-survenue de l'"inévitable" révolution en Europe depuis la Première Internationale (1864-72), Lénine avait conclu que laissée à sa propre initiative spontanée la classe ouvrière était seulement capable de conscience "trade-unioniste" (syndicalo-réformiste) et qu'il y avait besoin de "révolutionnaires professionnels", d'"intellectuels organiques" issus des rangs du prolétariat pour guider celui-ci dans son ensemble vers la prise du pouvoir. Mais même ainsi, malgré toute cette préparation, le succès la Révolution bolchévique était loin d'être acquis en l'absence de certaines conditions et certainement impossible en dehors du contexte de la Première Guerre mondiale. Dans La Maladie infantile du Communisme, Lénine écrit : 

    La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l'impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois.

    insurrection
    Les armes changent, mais pas la base


    Ce que Lénine décrit ici est la notion de "crise révolutionnaire" qui n'affecte pas seulement la classe ouvrière, mais aussi la bourgeoisie et sa capacité à gouverner "à l'ancienne" ; et il pose cela comme une méthode pour le succès de la révolution. L'application de la méthode insurrectionnelle a réussi en 1917, mais seulement grâce au fait que l’État bourgeois avait été décimé par des années de guerre totale et grâce à la défection de l'armée bourgeoise dans le camp des bolchéviks. La conclusion que nous pouvons en tirer par rapport à la "Voie d'Octobre" est qu'il s'agit d'un évènement historique, mais qu'elle n'est nullement universelle et que son succès a finalement pavé la voie à... l'échec de la révolution en Europe, du fait de la volonté de ré-appliquer mécaniquement cette stratégie.

    Une partie de cet échec peut-être attribuée à l'approche subjective vis-à-vis de ce qui constitue une "situation de crise révolutionnaire" ; une autre aux leçons que la bourgeoisie elle-même a apprises de la Première Guerre mondiale et de la Révolution russe. Le Parti communiste révolutionnaire du Canada (PCR-RCP) a mis en évidence quatre grands changements réalisés par l’État bourgeois après la guerre ; changements ayant modifié les conditions objectives de la révolution :

    1. Une modernisation de l’État, l'exécutif ayant centralisé et exerçant désormais directement le pouvoir politique ;
    2. L'armée est devenue un corps professionnel ;
    3. La bourgeoisie a accumulé l'expérience de la lutte contre le communisme au niveau international ;
    4. Le capitalisme dans les pays impérialistes a développé des mécanismes qui lui permettent de se maintenir en dépit des crises économiques.

    La bourgeoisie a finalement démontré être plus créative que le mouvement prolétaire international, ce dernier ayant persisté à voir l'insurrection comme stratégie pertinente et universelle. Le plus grand danger encouru par les Partis révolutionnaires restés accrochés à cette stratégie est que tandis qu'ils attendaient patiemment "leur Octobre", ils se sont trouvés immergés dans la politique bourgeois et ont déblayé le terrain au révisionnisme pour s'emparer d'eux et les corrompre jusqu'à la moëlle. Cela a été particulièrement le cas après la Seconde Guerre mondiale, lorsque des victoires réformistes ont été remportées au nom de la classe ouvrière. Dans le cas du Parti communiste étatsunien (CPUSA) le révisionnisme avait même triomphé bien avant, la ligne économiste d'Earl Browder sanctionnant les communistes qui avaient manifesté trop d'"impatience révolutionnaire" et dont le "désir de renverser le capitalisme" devait cesser. Si le marxisme-léninisme avait reconnu la nécessité de la guerre révolutionnaire face à la "longue lutte légale" de la social-démocratie, ceci différait cependant de la notion maoïste d'Armée populaire dans le sens où une guerre civile révolutionnaire peut être menée à travers la défection de masse de l'armée bourgeoise du côté du prolétariat.


    NPA


    Les étapes de la Guerre populaire prolongée, et le processus prolongé comme principe universel

    Notre devoir en tant que communistes, et en particulier en tant que maoïstes, n'est pas de rejeter quelque tactique que ce soit pouvant mener à la victoire ; et ce serait une erreur de penser que les maoïstes rejettent l'insurrection comme possible tactique. Nous ne la rejetons pas ; simplement, nous ne la considérons pas comme universelle pour les raisons que nous venons de mentionner. La doctrine de la Guerre populaire prolongée est au contraire universelle dans son application et se positionne comme une sérieuse menace pour le Pouvoir bourgeois. Son application va bien entendu prendre des formes différentes selon les conditions des différents pays. En Chine, Mao a commencé à formuler ces thèses dans une série de lectures à l'Association du Yenan pour la Guerre de Résistance contre le Japon, avant qu'elles ne soient compilées dans un seul ouvrage intitulé De la Guerre prolongée, ainsi que dans Problèmes de la Guerre et de la Stratégie.

    La Guerre populaire maoïste n'est pas simplement une guerre de libération nationale, mais aussi une manière fondamentalement différente de faire la guerre. Nous avons déjà abordé cette question par le passé, à travers l'exemple de la Nouvelle Armée du Peuple philippine dont nous opposions la discipline militaire révolutionnaire au concept de "guerre totale" de Gonzalo. La vision classique de la guerre est "comment démoraliser l'ennemi aussi vite que possible pour le vaincre". La Guerre populaire prolongée, elle, pose la question à l'inverse : comment galvaniser le Peuple aussi longtemps que nécessaire jusqu'à la victoire finale de la dictature du prolétariat.

    Lorsque nous débattons de la doctrine de la Guerre populaire prolongée, nous devons reconnaître que mener à bien cette révolution est - comme le souligne le camarade Moufawad-Paul en parlant de la Révolution russe - un "processus prolongé". Il ne peut pas s'agir d'autre chose ; croire autre chose ne peut conduire qu'à négliger les préparatifs pour le lancement de la GP et à entretenir l'illusion d'une Armée populaire surgissant de nulle part de manière spontanée - ce qui s'appelle de l'aventurisme. L'entraînement des révolutionnaires pour prendre le pouvoir était d'ailleurs - en réalité - ce qui séparait réellement les bolchéviks de la social-démocratie ; un entraînement sans lequel les bolchéviks n'auraient jamais pu remporter le succès, tout comme ne le pourrait jamais la Guerre populaire sans un Parti d'avant-garde.

    Bien que, donc, la doctrine de la Guerre populaire prolongée soit valable universellement dans tous les pays, y compris impérialistes, elle prendra dans chacun d'entre eux des formes différentes basées sur ses conditions spécifiques. Elle peut, comme en Chine ou aux Philippines, se dérouler principalement dans les campagnes ; ou adopter comme au Pérou une stratégie de "Guerre populaire unifiée, principalement dans les campagnes, avec son complément dans les villes". Il est intéressant de souligner que le concept de "Guerre populaire unifiée" n'a pas été développé en premier par Gonzalo, mais en réalité par... Enver Hoxha dans L'Impérialisme et la Révolution :

    “En accord avec les conditions concrètes d'un pays donné et la situation en général, le soulèvement armée peut être une explosion soudaine mais aussi un processus révolutionnaire plus prolongé. Les enseignements du marxisme-léninisme sur l'insurrection armée reposent sur une étroite combinaison entre la lutte dans les villes et celles dans les campagnes, sous la direction de la classe ouvrière et de son Parti révolutionnaire”

    Nous voyons là qu'en décrivant ce qui peut être qualifié de "Guerre populaire unifiée", Hoxha réaffirme également l'universalité de l'insurrection révolutionnaire pouvant prendre la forme d'une "Guerre populaire unifiée" (bien qu'il répugne à employer le terme, et préfère parler de la guérilla rurale comme d'une "insurrection armée"). La seconde partie de la citation présente des similitudes avec la stratégie des maoïstes péruviens ; il a d'ailleurs parfois pu être dit que la théorie de la "Guerre populaire unifiée" avait été développée par Gonzalo comme un "appel du pied" aux hoxhistes. Quoi qu'il en soit, la "Guerre populaire unifiée" telle qu'applicable dans certains pays sous certaines conditions n'est pas universelle, mais plutôt un exemple de forme particulière que peut prendre la Guerre populaire dans un pays donné.

    Bien que les conditions puissent modifier la conduite de la Guerre populaire, elles n'en transforment cependant pas la nature prolongée qui peut être décomposée en trois grandes étapes :

    1. Défensive stratégique
    2. Équilibre stratégique
    3. Offensive stratégique

    La défensive stratégique

    Ce stade de la Guerre populaire est caractérisé par un certain nombre d'opérations de guérilla visant à affaiblir l'ennemi par des engagements tactiques, en mettant à profit les points faibles de celui-ci. "Stratégie : un contre dix ; tactique : dix contre un" est un bon résumé de la tactique de l'Armée populaire à cette étape de la lutte prolongée. Au tout début de la GPP l'Armée du Peuple va être numériquement très inférieure à l'ennemi, c'est un fait objectif fondamental mais qui ne doit pas être vu comme une faiblesse. En concentrant une force supérieure pour détruire l'ennemi "petit morceau par petit morceau", en n'engageant le combat que lorsque la victoire est certaine, la Guerre populaire avance petit à petit :  

    “L'ennemi avance, nous reculons ; l'ennemi s'arrête, nous le harcelons ; l'ennemi s'épuise, nous l'attaquons ; l'ennemi recule, nous le pourchassons.” (Mao Zedong, “Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine”).

    India_Red_Corridor_map


    Dans la Guerre populaire d'Inde, jusque récemment, le ratio entre "naxalites" (maoïstes) et éléments des forces de répression (Central Reserve Police Force) tués était de 0,43 "naxalites" pour un policier. Ceci est une démonstration de l'application simple mais géniale de la défensive stratégique dans la Guerre populaire de ce pays. Les centres d'opération pour la défensive stratégique sont appelées "bases d'appui". En Chine elles se trouvaient essentiellement à la campagne, ce qui a aussi été le cas au Pérou et au Népal, et l'est aujourd'hui en Inde et aux Philippines. Les bases d'appui jouent un rôle de centres d'opération pour l'Armée populaire, mais servent aussi l'établissement d'une véritable situation de double pouvoir, pouvoir populaire parallèle au gouvernement bourgeois, "faible encore, embryonnaire, mais qui n'en a pas moins une existence réelle, incontestable, et qui grandit" (V.I. Lénine, Sur la Dualité du Pouvoir).

    En Chine ce double pouvoir avait pu prendre exemple sur l'Association des Paysans du Hunan, dont Mao avait pu directement observer les paysans forçant les grands propriétaires à réparer les routes et à réduire les taxes et autres loyers, commençant à combattre l'illettrisme etc. et dont il disait pour conclure que "les forces de la démocratie rurale se sont levées pour renverser les forces du féodalisme"  (Mao Zedong, Rapport d'investigation sur le mouvement des paysans du Hunan”). Les parallèles entre le Hunan et l'Inde sont ici frappants, comme lorsqu'au Bengale occidental "la démocratie rurale s'est levée pour renverser les forces du féodalisme" sous la forme d'un Comité populaire contre les Atrocités policières (PCAPA) qui couvre un territoire de plus de 2.000 villages.

    Les bases d'appui ne doivent pas être vues comme des "zones libérées", conception révisionniste développée - par exemple - par le FMLN au Salvador, qui voit la force dans le nombre des armes et l'étendue du terrain en possession des révolutionnaires, alors que la véritable force de la révolution ce sont les masses.

    L'équilibre stratégique

    Lorsque la GPP avance à travers un pays, et lorsque les bases d'appui et la situation de double pouvoir s'étendent et chassent l'armée bourgeoise des zones sous contrôle insurgé, l'on atteint ce que Mao appelle l'équilibre stratégique. Ce stade n'implique pas que l'Armée populaire ait déjà atteint l'égalité des forces avec l'ennemi ; il signifie simplement que les bases d'appui ont été stabilisées au point que le gouvernement révolutionnaire puisse jeter les bases de la nouvelle société. L'Armée populaire est déjà montée substantiellement en puissance jusqu'au point de pouvoir mener des opérations de grande échelle, mais pas encore au niveau de ce qui serait une guerre conventionnelle. Elle est devenue plus forte politiquement et idéologiquement, a vu s'accroître le nombre de combattants dans ses rangs et en remportant des batailles contre l'armée bourgeoise, a pu acquérir de meilleures armes ainsi qu'une inestimable expérience du combat. Le stade de l'équilibre stratégique voit toujours la réalité stratégique comme "un contre dix" et "dix contre un" tactiquement, mais il utilise la force des bases d'appui et non plus nécessairement la force primaire de la guérilla mobile comme c'est souvent le cas au stade de la défensive stratégique. Ceci est rendu possible en poussant l'ennemi à s'enfoncer en profondeur, puis en l'encerclant et en le détruisant petit à petit. L'Armée populaire accumule dans le même temps suffisamment de force pour permettre que l'ennemi soit vaincu complètement. En juin 1991, l'Armée péruvienne avait par exemple lancé une offensive dans la région d'Ayacucho afin d'y détruire la principale base d'appui du "Sentier Lumineux" (Parti communiste du Pérou).

    Areas where Shining Path was active in Peru
    Zones d'activité du "Sentier Lumineux" au Pérou


    L'ennemi s'était enfoncé profondément et avait établi son camp de base dans la petite ville de San Miguel. Les unités de l'Ejército Guerrillero Popular (Armée de guérilla populaire, EGP) procédèrent alors à l'encerclement, au siège et finalement à la destruction des militaires. San Miguel avait servi d'importante rampe de lancement pour les escadrons de la mort ronderos, mis en place en "réponse" au Sentier. Plusieurs jours après cet affrontement, l'Armée péruvienne envoya une patrouille militaire pour réorganiser les Ronderos ; celle-ci tomba également dans une embuscade et fut elle aussi anéantie. Une série d'embuscades du Sendero élimina une patrouille militaire à seulement une heure de la ville de garnison de Huanta. Le 24 septembre de la même année, pas moins de quatre patrouilles étaient mises hors de combat. Deux jours plus tard, l'Armée populaire attaquait un convoi de Ronderos transportant une cargaison d'armes. Le 7 octobre, jour anniversaire du Parti communiste du Pérou, le "Sentier Lumineux" menait à bien une série de cinq attaques contre des avant-postes de l'armée, des bases de Ronderos ainsi que des villages partisans du gouvernement ; repoussant même une attaque d'hélicoptères par des tirs de roquettes obtenues en pillant un convoi militaire. Près d'une centaine de soldats et de Ronderos furent tués dans ces attaques. Attirer l'ennemi et l'attaquer en terrain favorable, retournant contre lui sa propre campagne d'"encerclement et suppression", était aussi comme l'expliquait Mao "la principale forme de la guerre civile en Chine".

    L'offensive stratégique

    L'aboutissement final de la GPP est ce que Mao appelle l'offensive stratégique. C'est à ce stade que la Guerre populaire commence à acquérir les caractéristiques d'une guerre conventionnelle. La différence quantitative et qualitative entre l'Armée populaire et l'armée bourgeoise se réduit, puis grandit à niveau mais cette fois au profit de l'Armée populaire, tandis que l'armée bourgeoise subit défaite sur défaite jusqu'à ce qu'elle cesse totalement de fonctionner et que la guerre soit gagnée par les communistes. C'est aussi à ce stade que l'on peut réellement parler de manière certaine de la véritable existence de deux États dans le même pays, chacun avec ses propres forces militaires et institutions. Au Népal ce développement a été annoncé il y a presque dix ans, le 31 août 2004, par le Parti communiste du Népal (maoïste). Les maoïstes contrôlaient alors 80% des zones rurales ; la terre y était redistribuée aux paysans, les taxes collectées, des routes construites et des écoles ouvertes. Comme au Pérou, cette guerre avait pris un aspect de "Guerre populaire unifiée" où la présence maoïste se faisait également sentir dans les villes. Cela s'est particulièrement confirmé avec le soulèvement de Katmandou. Au cours de la première semaine d'août [en fait plutôt la semaine du 18, d'après les sources disponibles NDLR] de cette année-là, une grève conduite par les syndicats noyautés par les maoïstes bloqua complètement la 2425301563_482b1c6d7a_mville et stoppa tout traffic routier entrant et sortant durant une semaine entière. Des actions similaires avaient été menées précédemment dans d'autres villes du pays, mais c'était la première fois concernant la capitale [il y en aura d'autres encore, jusqu'au soulèvement général d'avril 2006 qui verra le début de la fin de la monarchie].

    En conclusion

    La théorie révolutionnaire de la Guerre populaire et de sa succession d'étapes doit être comprise comme chaque étape préparant la suivante et seulement rendue possible par la précédente. Cela signifie que la réalité stratégique de la défensive et de l'équilibre est défensive par nature, le second comportant cependant des éléments de ce que la guerre peut devenir ultérieurement. Au contraire, l'offensive stratégique suggère par son nom même un caractère offensif par nature. La guerre d'usure des deux premiers stades se transforme en offensive conventionnelle contre l'ennemi. En tant que tel, le caractère prolongé de la GP est aussi universel qu'indispensable. Il est nécessaire car l'objectif de la GPP n'est pas seulement de s'emparer du pouvoir d’État, mais aussi de développer la capacité du Peuple à exercer celui-ci. C'est pourquoi le processus doit être prolongé, comme l'est tout processus d'apprentissage : il doit reposer sur le Peuple, qui est le sujet révolutionnaire, lui apprenant et apprenant de lui en même temps.


    Nous ajouterions à tout cela que pour construire ces fameuses bases d'appui (première étape de la Guerre populaire véritable), il faut d'abord aux révolutionnaires IDENTIFIER les "territoires sociaux" où ces bases d'appui sont en premier lieu constructibles (pour les camarades étatsuniens c'est une tâche relativement évidente : ce sont évidemment tout d'abord les minorités - Noirs, Latinos, Premières Nations - et les territoires où elles sont parquées ; puis peut-être dans un second temps les communautés blanches les plus prolétarisées - dans les Appalaches par exemple).

    Ceci est tout et le SEUL sens (et nullement une quelconque tendance au "communautarisme" ou une volonté de "revenir aux duchés féodaux") du travail que nous menons depuis maintenant plusieurs années sur les périphéries de l'État français (qui est notre "théâtre d'opération" révolutionnaire), ces "territoires sociaux" dans lesquels nous voyons les plus évidentes bases d'appui de la révolution de demain : 1°/ les quartiers-ghettos où se concentrent majoritairement les "minorités visibles" racisées, colonisées-intérieures, et 2°/ les territoires "semi-ruraux" (campagnes + petites villes) ou encore les anciens grands bassins industriels sinistrés par la crise (où les "minorités visibles" sont d'ailleurs également présentes et pas peu nombreuses), en particulier ceux où la conscience de cette périphérisation est la plus forte, c'est-à-dire ceux où il y a conscience d'être un pays conquis (pro vincia) dans le cadre de la formation historique de l'État français. Nous considérons l'étude "géo-sociologique" sur la "France des fragilités sociales" (opposée à la "France des métropoles mondialisées") comme un bon - bien que peut-être approximatif - aperçu de ces territoires dont nous parlons.


    Il faut lire aussi à ce sujet le très bon article paru en 2005 dans la revue Arsenal du PCR Canada :


    Les bases urbaines du maoïsme
    (traduction du titre anglais : "Sur la question de la guerre révolutionnaire dans les pays impérialistes")


    Nous publions ces notes de travail qui ont été rédigées à la demande du Bureau politique du PCR(co) dans le but de poursuivre l’étude de la réalité de la Guerre populaire prolongée dans les pays impérialistes.

    «La politique est le point de départ de toute action pratique d’un Parti révolutionnaire et se manifeste dans le développement et l’aboutissement des actions de ce Parti. Toute action d’un Parti révolutionnaire est l’application de sa politique. S’il n’applique pas une politique juste, il applique une politique erronée; s’il n’applique pas consciemment une politique, il l’applique aveuglément. Ce que nous appelons expérience, c’est le processus d’application d’une politique et son aboutissement. C’est par la pratique du peuple seulement, c’est-à-dire par l’expérience, que nous pouvons vérifier si une politique est juste ou erronée, et déterminer dans quelle mesure elle est juste ou erronée. Mais la pratique des hommes, spécialement la pratique d’un Parti révolutionnaire et des masses révolutionnaires, se rattache nécessairement à une politique ou à une autre. Par conséquent, avant de mener une action, nous devons expliquer clairement aux membres du Parti et aux masses la politique que nous avons formulée à la lumière de circonstances données. Sinon, les membres du Parti et les masses s’écarteront de la direction politique donnée par notre Parti, agiront à l’aveuglette et appliqueront une politique erronée.»

    Mao Zedong
    À propos de la politique concernant l’industrie et le commerce, 27 février 1948


    Notre monde est un monde complexe. Tous les jours, des millions de personnes sont affectées par l’exploitation, l’oppression, la faim et la misère. Ici, comme dans tous les autres pays du globe, le capitalisme vient se gaver de sa part de nouvelles victimes. En effet, même les pays impérialistes modernes, qui sont pourtant les citadelles les plus sûres du capitalisme, n’échappent pas à ce système.

    Devant la puissance des capitalistes qui dominent la planète, ceux et celles qui en font les frais semblent avoir peu de moyens d’exprimer leur juste colère, leur révolte, leur désir d’un changement radical et complet. Pourtant, partout dans le monde, renaît constamment la lutte révolutionnaire. Elle peut bien prendre telle ou telle forme, mais elle demeure une activité que déploient directement ou indirectement des milliards de personnes sur la terre.

    C’est cette force qui faisait dire au président Mao que le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest. Il voulait ainsi dire que le désir de libération et de révolution l’emportait sur l’exploitation et le capitalisme. Ce sont les conditions matérielles d’existence qui prévalent à l’échelle du monde, entre autres l’intensification de l’exploitation du prolétariat et l’opposition croissante à cette exploitation, qui donnent vie à la lutte révolutionnaire et à la possibilité de changement.

    Notre point de départ

    Le PCR(co) part du fait que le système capitaliste ne peut être réformé ou mis au service des masses. Par conséquent, il est nécessaire d’éliminer ce système qui cause l’exploitation, la famine et la misère chez la très grande majorité des habitants et habitantes de la planète. Si nous voulons transformer radicalement la société canadienne et changer le monde, la révolution et la violence révolutionnaire sont absolument nécessaires.

    Pour établir les perspectives réelles de développement du mouvement révolutionnaire dans notre pays, encore faut-il savoir quelles stratégies et tactiques peuvent être déployées par le mouvement révolutionnaire pour faire face aux nouvelles conditions apparues avec le développement du capitalisme. En effet, depuis la révolution russe (1917), cette force n’a pas trouvé dans les pays impérialistes une direction politique révolutionnaire suffisamment juste pour briser ses chaînes, comme le disait si bien le Manifeste du Parti communiste.

    L’analyse de l’ensemble des organisations, de leurs programmes et du type de travail qui y est développé révèle plutôt que le facteur principal qui explique notre faiblesse dans les pays impérialistes est un problème de ligne politique. Nous réaffirmons que la révolution communiste doit être la moins aveugle des révolutions. Pour ce faire, il faut savoir apprendre et mettre en pratique le fruit de cet apprentissage.

    Aujourd’hui, trop d’organisations sont encore confuses sur la voie de la révolution et cette confusion explique en grande partie le peu de progrès accompli dans les pays impérialistes. Plus simplement, nous ne voulons pas voir que notre retard est principalement dû au fait que nous n’avons pas réussi à développer une stratégie adéquate pour renverser le capitalisme dans les pays impérialistes.

    Ce constat nous oblige à procéder à l’analyse serrée des conditions objectives et subjectives de la révolution dans les pays impérialistes afin de répondre à cette question complexe : quelle stratégie faut-il développer dans un pays impérialiste puissant pour espérer renverser la bourgeoisie capitaliste ?

    En ce sens, parler de révolution et de Guerre populaire, ce n’est pas appeler immédiatement toutes les forces révolutionnaires dans tous les pays à prendre les armes et à attaquer l’ennemi sans préparation et sans compréhension réelle des conditions concrètes.

    Parler de révolution, c’est commencer immédiatement la réflexion sur les questions touchant la guerre révolutionnaire, en mettant son organisation à l’ordre du jour et en préparant maintenant son développement dans le futur.

    Comme il est écrit dans le programme du PCR(co) adopté lors de son premier congrès,

    «se préparer à un tel affrontement, ce n’est pas seulement y penser une fois de temps en temps, entre deux grèves ou deux campagnes électorales, ni simplement écrire sur papier, à la fin d’un article quelconque, qu’il faudra bien, “un jour”, utiliser la violence quand la bourgeoisie s’attaquera à nous. Se préparer à la révolution, c’est aussi et surtout une tâche concrète, une lutte idéologique et politique immédiate.»

    La violence révolutionnaire est nécessaire

    La violence est accoucheuse de l’Histoire. Cette vérité, les grands révolutionnaires l’ont amplement répétée. La révolution, c’est-à-dire l’acte qui consiste pour le prolétariat à arracher des mains de la bourgeoisie le pouvoir d’État, est nécessairement un acte violent et cela oblige les révolutionnaires à se préparer à affronter cette dimension militaire fondamentale et incontournable dans l’activité révolutionnaire, que cette activité se développe dans un pays impérialiste ou un pays dominé. C’est ce que Mao a exprimé dans sa célèbre formule : La tâche centrale et la forme suprême de la révolution, c’est la conquête du pouvoir par la lutte armée, c’est résoudre le problème par la guerre. Ce principe révolutionnaire marxiste-léniniste est valable partout, en Chine comme dans tous les autres pays. (Problèmes de la guerre et de la stratégie, O.C., t. II)

    Dans leurs écrits et leurs actions, les grands penseurs révolutionnaires ont tenté, à leur manière et selon les exigences des conditions historiques où ils agissaient, de comprendre et d’enrichir la doctrine militaire du prolétariat. Pour Lénine, il était important de ne pas se rattacher à une forme de combat unique et déterminée, comme par exemple, la guerre des partisans. Il a aussi précisé que le marxisme exigeait que la question des formes de luttes soit envisagée sous l’aspect historique. Mao est absolument limpide lorsqu’il écrit que sans armée le peuple n’a rien, que le pouvoir naît du fusil, que le problème se résout par la guerre.

    Le fil conducteur de toutes ces réflexions sur la question de la guerre et de la révolution est résumé par Mao dans son texte intitulé Problèmes de la guerre et de la stratégie lorsqu’il écrit :

    «Du point de vue de la doctrine marxiste sur l’État, l’armée est la partie constitutive principale du pouvoir d’État. Celui qui veut s’emparer du pouvoir d’État et le conserver doit posséder une forte armée. Certains ironisent sur notre compte en nous traitant de partisans de “l’omnipotence de la guerre”. Eh bien oui! nous sommes pour l’omnipotence de la guerre révolutionnaire. Ce n’est pas mal faire, c’est bien faire, c’est être marxiste.»

    Mais, en y regardant de plus près, on peut constater que les organisations révolutionnaires dans les pays impérialistes (du moins celles qui reconnaissent la nécessité de la lutte armée) n’anticipent pas cette tâche hautement stratégique et déterminante. Mao dit de la guerre révolutionnaire que c’est la forme suprême de la révolution. Elle devrait donc, normalement, occuper une partie importante de notre action théorique, de nos réflexions. Elle devrait pousser tous et toutes les communistes à inclure une dimension illégale et militaire dans leur travail communiste afin d’en faire stratégiquement le cœur de l’action révolutionnaire.

    La révolution permet le changement, mais c’est aussi un acte de violence qui apporte son lot de dérangements, de destruction et de souffrances. Cependant, comme Mao nous l’a enseigné, dans l’histoire se sont développées différentes sortes de guerres : les guerres justes et les guerres injustes. Les guerres menées par les masses exploitées ont toujours été des facteurs de progrès – prendre le fusil pour qu’il n’y ait plus de fusil. Au contraire, ne pas mener ces guerres prolonge l’existence des systèmes exploiteurs, ce qui représente un obstacle au progrès.

    La stratégie insurrectionnelle

    Avant la révolution chinoise, nous disposions d’une seule stratégie pour développer la révolution prolétarienne : la stratégie de l’insurrection exposée et mise de l’avant par Lénine. Lénine a appliqué cette stratégie en Russie où il existait des rapports de production capitalistes. Le prolétariat, par l’entremise du Parti, dirigeait alors les masses populaires qui ont pris les armes lors de la crise révolutionnaire. Ces dernières se sont emparé du pouvoir politique pour ensuite déclencher une guerre civile contre l’ennemi dans l’ensemble du pays. Après s’être emparé de tout le territoire, le prolétariat a, par la suite, conquis le pouvoir politique dans tout le pays.

    La stratégie insurrectionnelle telle qu’appliquée par les bolcheviques était juste et correspondait aux exigences du moment. Malgré cela, le renversement du pouvoir de la bourgeoisie aurait pu ne pas avoir lieu. Pour y parvenir, Lénine a dû lutter contre les différents courants politiques totalement insérés dans la légalité bourgeoise (IIe Internationale) qui étaient représentés par les mencheviks.

    Lénine écrit dans La maladie infantile du communisme, le gauchisme :

    «La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XXe siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent plus vivre et gouverner comme autrefois.»

    Ce que précise Lénine, c’est que, pour réussir, il faut une crise nationale affectant les exploiteurs et les exploités. Il faut que les classes dirigeantes soient traversées par une crise qui entraîne dans la vie politique les masses les plus arriérées au plan politique tout en affaiblissant le pouvoir de la bourgeoisie, rendant possible pour les révolutionnaires son prompt renversement.

    Lénine a aussi dû convaincre son propre Parti qui hésitait à se lancer à l’assaut du pouvoir. Par exemple, Kamenev et Zioniev, membres du Comité central, ont dénoncé publiquement les préparatifs de l’insurrection, avec les conséquences que cela aurait pu avoir.

    Lénine avait raison de lancer l’insurrection alors que les conditions étaient mûres. Il n’en demeure pas moins que la véritable stratégie des bolcheviques n’était pas la voie insurrectionnelle, mais celle de la guerre civile, incluant la possibilité d’insurrections. Pourtant, le mouvement communiste, dans son ensemble, a développé, sur la base de l’expérience russe, toutes les questions touchant la prise de pouvoir à partir de l’insurrection, évacuant à peu près complètement la question de la guerre civile.

    Lénine, répondant à l’avance aux dogmatiques, qualifiait de déraisonnable ou même criminelle la conduite d’une armée qui n’apprendrait pas à manier toutes les armes, tous les moyens et procédés de lutte dont dispose ou dont peut disposer l’ennemi.

    «On peut moins encore prévoir en politique quel moyen de lutte se révèlera, dans telles ou telles situations futures, praticable ou avantageux pour nous. Ne pas savoir user de tous les moyens de lutte, c’est risquer une grande défaite – pour peu que des changements indépendants de notre volonté, survenus dans la situation des autres classes, mettent à l’ordre du jour une forme d’action où nous serions particulièrement faibles.»

    Or justement, suite à la révolution russe et à la fin de la Première Guerre mondiale, les conditions objectives de la révolution dans un pays impérialiste se sont modifiées et pour la bourgeoisie, et pour le prolétariat.

    Du côté de la bourgeoisie :

    1. l’État s’est modernisé, alors que l’exécutif centralise et assume directement le pouvoir ;
    2. l’armée est maintenant devenue un corps professionnel ;
    3. la bourgeoisie, au niveau international, a l’expérience de la lutte contre le communisme ;
    4. le capitalisme dans les pays impérialistes a développé des mécanismes qui lui permettent de se maintenir malgré les crises économiques.


    Du côté du prolétariat :

    La stratégie insurrectionnelle est devenue l’unique stratégie mise de l’avant dans l’Internationale communiste (IC), elle exigeait une préparation minutieuse et de tous instants. Tous les Partis communistes devaient disposer d’un appareil illégal, de caches d’armes et de milices entraînées afin d’être prêts pour le moment où les conditions seraient réunies pour l’insurrection.

    En général, le bilan de l’application mécanique de cette stratégie n’est que celui d’une longue succession d’échecs coûteux. Défaite à Berlin (1919) – défaite en Hongrie (1919) – défaite à Hambourg (1923) – défaite à Tallin (1924) – défaite en Italie et prise du pouvoir par les fascistes – défaite en Allemagne et prise du pouvoir par les nazis – Lituanie (1926) – Autriche (1933) – Espagne (1936-1939) – Salazar au Portugal, etc. Partout la bourgeoisie, menacée par l’insurrection, a pris les devants et empêché la concentration des forces prolétariennes.

    Le problème de la stratégie insurrectionnelle, c’est qu’elle repose sur une conception stéréotypée de ce qu’est une situation révolutionnaire et qu’elle ne permet pas de faire face à l’État bourgeois moderne et à l’armée bourgeoise moderne des capitalistes. L’expérience historique démontre pourtant que se lancer dans une guerre sans préparation militaire adéquate est non seulement un jeu dangereux, mais que c’est une entreprise vouée à l’échec.

    La théorie insurrectionnelle a eu dans le mouvement communiste deux effets particulièrement destructeurs :

    Premièrement, l’attente d’une crise révolutionnaire dans les pays impérialistes, suite à la Deuxième Guerre mondiale, a débouché sur l’insertion prolongée dans la légalité bourgeoise, ce qui a permis au révisionnisme moderne de bien mener son travail de sape dans les organisations nées de la première vague révolutionnaire (1917-1949).

    Tandis que le capitalisme amorçait une période de croissance et de développement (1945-1975), période qui s’est caractérisée par les grandes conquêtes sociales du prolétariat dans les pays impérialistes et par les victoires des luttes de libération nationale dans les pays dominés, les révisionnistes ont pu bénéficier de ces gains qui cautionnaient leur conception du monde : coexistence pacifique et possibilité d’arriver au socialisme par des moyens pacifiques. Partout, les puissants Partis communistes ont été récupérés par le capitalisme à visage humain et intégrés à l’appareil d’État capitaliste par le biais du parlementarisme.

    Sans direction réellement révolutionnaire, les masses ont tout de même réussi à arracher des améliorations dans les pays impérialistes et dominés. Pourtant ces améliorations, quoique importantes, n’ont pas, dans les faits, altéré le système capitaliste. Au plus, elles ont amélioré le sort des masses temporairement, tout en accentuant les contradictions du système capitaliste.

    Par ailleurs, les conquêtes du prolétariat et le développement du capitalisme ont profondément transformé le prolétariat. Ce dernier a vu ses rangs grossir de façon importante durant le renversement du cycle économique (1975-2005) alors qu’une nouvelle période de crise du capitalisme et d’offensive de la bourgeoisie, tant au niveau international que national, s’est installée.

    Il est à noter que, durant les années 1970, la grande majorité des nouvelles organisations révolutionnaires nées de l’effervescence des masses, incluant le mouvement marxiste-léniniste dans sa presque totalité, n’a pas dépassé ce même horizon du cadre de domestication imposé par le capitalisme. Au plus l’a-t-il débordé de temps à autres sans jamais réellement le menacer.

    Aujourd’hui encore, la majorité des organisations du mouvement communiste croient que la puissance dont dispose la bourgeoisie impérialiste impose la stratégie insurrectionnelle parce que :

    1. Dans les pays impérialistes, la classe dominante est centralisée et dispose d’un État fort qui a des ramifications qui s’étendent sur tout le territoire. Cet État dispose de la technologie et des moyens de transport et de communication qui permettent de déplacer rapidement et massivement les forces armées.
    2. La condition générale des masses ne les pousse pas à être des participantEs actifs et actives dans la guerre révolutionnaire, si ce n’est lors des périodes relativement rares de crises intenses du capitalisme et de toute la société.


    Deuxièmement, pour certains, cela a confirmé l’idée que la révolution suit un mouvement particulier. Selon eux, elle doit se développer en premier lieu dans les pays dominés, puis, quand un nombre suffisant de ces pays (quantitativement et qualitativement) auront réussi leur révolution, les conditions seront là pour que ce mouvement se poursuive dans les pays impérialistes.

    Cela a aussi cautionné l’adhésion à la théorie insurrectionnelle sous la forme de la stratégie du vide qui veut que plus on s’éloigne des pays impérialistes, plus la lutte armée se justifie et que plus on s’en rapproche, plus la lutte armée devient impossible, voire terroriste-élitiste.

    Finalement, toutes ces élaborations ont été autant de freins importants au développement de la révolution dans le monde. Pourtant, la stratégie insurrectionnelle, qui par ailleurs est la seule à avoir été appliquée dans les pays impérialistes, ne repose sur aucune expérience positive significative depuis la révolution russe.

    Dans un cas comme dans l’autre, cela débouche, de façon exclusive, sur un travail révolutionnaire légal. L’objectif, c’est alors d’utiliser l’agitation et la propagande communiste dans les masses jusqu’à ce que les révolutions dans les pays dominés accélèrent les possibilités d’une crise révolutionnaire. Il serait alors possible de profiter d’une situation où la bourgeoisie impérialiste serait suffisamment affaiblie pour lui porter de puissants coups, l’objectif avoué étant de regrouper les éléments d’avant-garde afin d’être à la hauteur de la situation dans la période à venir et de pouvoir relever les défis, et y saisir les occasions qui se dégagent de la crise profonde qui touche d’une façon ou d’une autre toutes les forces impérialistes ou réactionnaires dans le monde.

    Selon nous, cette conception stratégique du travail communiste dans les pays impérialistes retarde l’avance de la révolution.

    1. Elle entretient le refus ou l’incapacité à comprendre les causes qui ont empêché le mouvement communiste de progresser dans les pays impérialistes durant la première vague des révolutions prolétariennes et nous condamne donc à répéter les mêmes erreurs.
    2. Elle permet à l’opportunisme de droite et à l’économisme radical de se développer dans nos rangs.
    3. Elle ne permet d’organiser les masses qu’à l’intérieur du cadre imposé par la bourgeoisie.
    4. Elle retarde la construction, même embryonnaire, d’une armée rouge.
    5. Elle développe un internationalisme passif.


    Même si elle a permis la victoire en Russie, la Voie d’Octobre, c’est-à-dire le processus qui s’amorce par une insurrection urbaine, ou par des insurrections multiples et simultanées débouchant sur une guerre civile, n’est plus valide pour les pays impérialistes comme stratégie de prise de pouvoir. Pour retrouver sa validité, l’insurrection doit s’intégrer dans une stratégie plus vaste.

    L’effet immédiat et visible de l’adhésion à la stratégie insurrectionnelle, c’est qu’après plus de 80 ans de combat communiste, et depuis la révolution russe en particulier, toutes les révolutions se sont développées loin des centres impérialistes du monde.

    Il est possible, voire probable, qu’à terme la prise du pouvoir par le prolétariat comporte une phase insurrectionnelle, que suite au développement de la guerre révolutionnaire, la bourgeoisie se retrouve en crise et qu’elle soit dans l’impossibilité de gouverner. Mais de présupposer que, suite au seul travail d’agitation – même étalé sur plusieurs années – lorsque surgira une situation révolutionnaire, les masses se mettront en mouvement en acceptant d’emblée la direction des communistes, c’est risquer de se faire voler à tous les niveaux l’initiative par la bourgeoisie.

    La Guerre populaire, un point de vue général

    La révolution exige des communistes d’être préparéEs à saisir toutes les occasions. Cette préparation ne doit pas être limitée à la simple agitation et à la propagande, d’autant plus que, depuis la première vague des révolutions, les bourgeoisies des principaux pays impérialistes en ont profité pour engranger une somme importante d’expériences dans la lutte contre le communisme et la révolution, tout en développant des capacités militaires et technologiques gigantesques.

    Pour qu’il soit possible de disposer de forces suffisantes pour saisir toutes les occasions et faire face à toutes les situations, il faut avoir appris à combattre. Et apprendre, c’est aussi une activité pratique, qui se développe quand on en fait l’expérience.

    Toutes les révolutions sont liées les unes aux autres. Les luttes menées par les peuples des pays dominés contre l’impérialisme aident à faire progresser la révolution ici, mais l’inverse est également vrai. Selon nous, si la révolution se développe dans les pays les plus arriérés et difficilement dans les métropoles impérialistes, cela n’a pas seulement à voir avec les conditions matérielles de la lutte, mais aussi avec les conditions subjectives.

    Par exemple, le succès de la révolution russe de 1917 a relancé le combat communiste et propagé le marxisme-léninisme dans le monde, tout comme l’étude et la compréhension des questions militaires touchant l’insurrection. L’Internationale communiste a donné de nombreuses indications théoriques et pratiques concernant cette dernière, confirmant par le fait même son caractère stratégique de la plus haute importance.

    C’est par volonté de faire avancer la révolution ici, par nécessité d’être prêtEs à affronter la bourgeoisie et tout ce qu’elle peut lancer contre nous – ne tue-t-elle pas des millions de personnes à chaque année – que nous appuyons l’expérience la plus forte qui ait existé : la Guerre populaire prolongée (GPP). Selon nous, cette dernière trouve des applications dans les pays impérialistes et l’emporte sur la thèse de la théorie insurrectionnelle qui ne peut plus être la stratégie adéquate pour renverser la bourgeoisie.

    Pour le PCR(co), être pleinement participant au mouvement révolutionnaire signifie :

    1. adhérer pleinement au maoïsme ;
    2. développer la stratégie de la GPP appliquée aux conditions concrètes du Canada, en s’appuyant sur la notion de bases urbaines, afin d’y faire la révolution le plus rapidement possible ;
    3. se lier au niveau international aux autres Partis maoïstes.


    Avec la GPP, les forces révolutionnaires au Canada et dans le monde mettent en application la stratégie la plus élaborée du prolétariat en ce qui a trait à la question de la prise du pouvoir. La GPP permet d’unir tout ce qui peut être uni contre l’impérialisme canadien et mondial.

    La GPP a une valeur universelle, c’est-à-dire qu’elle est applicable partout, dans tous les types de pays, en tenant compte des conditions concrètes qui règnent. C’est exactement ce que nous a démontré le Parti communiste du Pérou et ce que nous démontre le Parti communiste du Népal (maoïste). Ces Partis ont appliqué la GPP (les lois générales de la GPP) aux conditions concrètes (les lois particulières de la GPP), applications qui ont été formulées respectivement dans la pensée Gonzalo et la voie de Prachanda.

    Pour briser tous les obstacles qui se dressent devant nous et qui empêchent le progrès, pour abolir le capitalisme, nous défendons la thèse qu’il faut dans les pays impérialistes mener la guerre révolutionnaire. Aujourd’hui, être révolutionnaire signifie être maoïste et s’appuyer sur les apports du président Mao tant en termes d’approfondissement du marxisme et du léninisme que de la réponse qu’il a su apporter pour les révolutionnaires en ce qui a trait à une stratégie cohérente et réellement révolutionnaire permettant d’abolir le capitalisme. Comme l’indique le programme du PCR(co), nous considérons qu’avec les apports de Mao, la science révolutionnaire du prolétariat a connu un bond important grâce à la théorie de la GPP.

    Mao, tout comme Lénine, est parvenu à expérimenter et à développer une ligne militaire gagnante. Même si Mao a développé la stratégie de la GPP dans les conditions de la Chine des années 1930-1940 – c’est-à-dire dans les conditions de la révolution dite de démocratie nouvelle – il a aussi contribué à faire progresser de façon inestimable la science de la révolution en ce qui a trait aux questions militaires.

    Parmi ces principes, certains ont une valeur universelle.

    1. La guerre révolutionnaire, c’est la guerre des masses. On ne peut la faire qu’en mobilisant les masses, qu’en s’appuyant sur elles. (Soucions-nous davantage des conditions de vie des masses et portons plus d’attention à nos méthodes de travail, O.C., t. I) Elle permet de libérer le plein potentiel des masses. La guerre révolutionnaire repose essentiellement sur l’énergie, la conscience et l’abnégation des masses qui, à travers la Guerre populaire, développent leurs capacités à diriger la société.
    2. Le pouvoir est au bout du fusil.
    3. Le Parti commande au fusil. Le Parti révolutionnaire doit diriger l’armée révolutionnaire et la guerre révolutionnaire. L’armée ne doit jamais diriger le Parti et devenir la force dirigeante de la révolution ou une force indépendante du Parti.
    4. Stratégiquement, il est important de compter sur ses propres forces.
    5. Ce sont les hommes et les femmes des masses qui représentent la force décisive et non les armes, même les plus modernes.

       

      «Les armes sont un facteur important, mais non décisif, de la guerre. Le facteur décisif, c’est l’homme et non le matériel. Le rapport des forces se détermine non seulement par le rapport des puissances militaires et économiques, mais aussi par le rapport des ressources humaines et des forces morales. C’est l’homme qui dispose des forces militaires et économiques.»
      (De la guerre prolongée, O.C., t. II)

    Les aspects universels

    Les lois de la révolution nous enseignent qu’il faut un Parti né et trempé dans la lutte des classes pour diriger le processus révolutionnaire et que ce Parti doit être intimement lié aux masses et aux organisations générées par les masses. Ce Parti maoïste doit guider la mobilisation des masses dans tous les domaines, à tous les niveaux et par tous les moyens. Le Parti doit diriger et susciter la mobilisation des masses pour défendre toutes les conquêtes que la bourgeoisie impérialiste tente d’éliminer. Il doit diriger et promouvoir la mobilisation des masses pour ravir à la bourgeoisie impérialiste toutes les autres conquêtes nécessaires. Le Parti doit apprendre et généraliser les lois selon lesquelles la révolution se déroule. C’est seulement alors, sur la base de cette expérience, que les masses dirigées par le prolétariat mèneront une partie croissante de leurs luttes et de leurs forces dans la guerre. Celle-ci deviendra alors la forme principale de l’antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie.

    L’objectif du Parti est la conquête du pouvoir et sa défense, à travers l’initiation et le développement de la Guerre populaire.

    Les lois de la révolution nous enseignent qu’il faut une armée révolutionnaire pour diriger les masses lorsque celles-ci abandonnent le terrain de la discipline imposée par l’État bourgeois. Mao précise : celui qui veut s’emparer du pouvoir d’État et le conserver doit posséder une forte armée. Mais construire une armée ne s’improvise pas. On ne peut laisser cela à la seule spontanéité.

    Dans la voie qui mène à la révolution, les communistes doivent, sur la question militaire, être à l’avant-garde des masses révolutionnaires décidées à recourir à la violence organisée. La lutte des classes, en s’intensifiant, tant en profondeur qu’en étendue, donne invariablement naissance à un groupe d’hommes et de femmes prêts et prêtes à s’engager directement, avec tous les risques que cela comporte, dans l’action révolutionnaire totale contre le capitalisme et son État afin de renverser le capitalisme.

    Pour le Parti, il s’agit de savoir comment utiliser ces forces naissantes, éparpillées et souvent politiquement confuses, afin qu’elles servent à la révolution au Canada. L’objectif premier, c’est la construction du Parti révolutionnaire dont le prolétariat a besoin pour mener son combat tout en permettant de forger, à même la lutte des classes, les premiers éléments d’une armée populaire.

    Cet embryon de la future armée populaire devrait, à son tour, ouvrir la voie aux masses prolétariennes qui, peu à peu, délaisseront le cadre de domestication imposé par la bourgeoisie. La violence révolutionnaire peut prendre de multiples formes. Il y a celle qui est portée par l’avant-garde et celle qui est générée par la colère des masses. L’une et l’autre sont deux facettes du même phénomène révolutionnaire, l’une étant la forme organisée de cette violence – guérilla, guerre de partisans, guerre révolutionnaire – et l’autre sa forme spontanée.

    Mao a établi les normes de la construction d’une armée révolutionnaire. Cette armée se différencie des armées bourgeoises par le fait qu’elle sert à l’accomplissement des tâches politiques que le Parti établit en fonction des intérêts du prolétariat et du peuple.

    Les lois de la révolution nous enseignent qu’il faut former un front uni entre les masses révolutionnaires et tous les groupements révolutionnaires placés sous la direction d’un tel Parti. Le front permet le rassemblement de toutes les forces révolutionnaires qui luttent contre les forces de la réaction à travers la Guerre populaire. Dans un pays impérialiste moderne, ce front s’appuie sur la direction du prolétariat représenté par le Parti et doit garantir la suprématie du prolétariat dans la révolution, tout en permettant au camp de la révolution de s’accroître au maximum.

    Les aspects particuliers

    • Sur la situation révolutionnaire

    Depuis l’avènement de l’impérialisme, le système capitaliste est traversé par des cycles économiques contradictoires. Les attentats du 11 septembre n’ont fait qu’accélérer le mouvement de crise de la société capitaliste et la difficulté pour les capitalistes, dans le cadre actuel, de poursuivre l’accumulation. Ces derniers doivent enlever aux masses, et au prolétariat surtout, tout ce qu’elles ont pu arracher lors de la période 1945-1975.

    Que comprendre de la situation actuelle? On peut constater qu’au niveau mondial, une étape du capitalisme se termine et qu’une nouvelle émerge. Cela se manifeste dans la mobilisation réactionnaire et dans la mobilisation révolutionnaire des masses. Soit la bourgeoisie conserve son contrôle sur les masses et réussit à les maintenir à l’intérieur de son cadre de domestication – à titre d’exemple, des millions de personnes ont manifesté contre la guerre injuste menée par les États-Unis contre l’Irak sans que cela ne change fondamentalement rien à leurs plans – soit les forces de la révolution dirigeront les masses. La révolution avancera alors et la nouvelle société se séparera de l’ancienne. C’est ce qui se passe présentement au Népal.

    L’ensemble des mobilisations (révolutionnaires et réactionnaires) font du monde actuel, un monde instable où se développe une crise révolutionnaire affectant l’ensemble des pays à différents niveaux. Ainsi, nous nous retrouvons au niveau mondial, avec :

    • un aiguisement des contradictions inter-impérialistes,
    • un aiguisement des contradictions entre les pays impérialistes et les peuples des pays dominés,
    • un aiguisement des contradictions au sein des bourgeoisies nationales,
    • un aiguisement des contradictions entre la bourgeoisie et le prolétariat avec une accentuation de la pression contre le prolétariat et la perte des conquêtes réalisées dans la période précédente.


    Le tout forme un mélange hautement volatile attendant d’exploser sous une poussée révolutionnaire suffisante.

    Nous sommes au début de l’époque des nouvelles tempêtes révolutionnaires où les forces de la révolution, grâce au maoïsme, s’arment adéquatement pour briser l’ordre capitaliste! Cette période, nous devons la rendre la plus profitable possible afin de faire avancer la révolution et de multiplier les gains.

    • Le paysage canadien

    Au Canada comme dans l’ensemble des pays impérialistes et bientôt l’ensemble des pays du monde, la Guerre populaire se déroulera surtout dans les zones urbaines. Le Canada est un pays impérialiste fortement urbanisé, 79,7% de la population vit en ville. Plus de 51% de la population urbaine du Canada est concentrée dans quatre régions :

    • le sud de l’Ontario,
    • Montréal et ses environs,
    • la vallée du bas Fraser et le sud de l’île de Vancouver en Colombie-Britannique,
    • le couloir de Calgary à Edmonton.


    Ces quatre grandes régions représentent aussi le cœur de l’impérialisme canadien.

    L’appareil d’État est puissant et sophistiqué. Une seule classe s’y est assuré une abondance de richesses : la classe des capitalistes. Cette classe hautement parasitaire est très puissante et représente environ 5 à 7% de la population (près de 2 millions de personnes) et elle exploite férocement le prolétariat canadien. En 2004, le Canada comptait environ 60 000 policiers (188 policiers pour 100 000 habitants). Mais cela ne tenait pas compte de la montée fulgurante des agences privées qui, de plus en plus, patrouillent les zones industrielles et les zones urbanisées pauvres des grandes villes comme Toronto en lieu et place de la police.

    Malgré sa petite taille, 83 952 personnes parmi lesquelles on retrouve 62 000 militaires dont près de la moitié sont des membres de la milice (réservistes), l’armée canadienne est une organisation efficace au service de la bourgeoisie. Elle est basée sur une structure régionale de commandement formée de quatre secteurs (l’Ouest, le Centre, le Québec et l’Atlantique) qui couvrent l’ensemble du territoire. Environ 1 500 soldats sont présentement déployés dans différentes opérations internationales, la plus grosse étant l’opération Athéna en Afghanistan. Donc, malgré la cosmétique humanitaire dont elle se pare, le rôle de l’armée canadienne est essentiellement d’assurer la défense du capitalisme au Canada.

    Plus de 65% de la population du Canada se retrouve dans le prolétariat, ce qui lui confère un rôle déterminant comme force dirigeante et force principale de la révolution. De plus, le prolétariat peut et doit rassembler autour de lui d’autres forces qui ont aussi intérêt à la destruction du capitalisme au Canada : les Premières Nations et certaines couches de la petite-bourgeoisie. La somme de toutes ces forces pouvant s’organiser sous la direction du prolétariat et de son Parti confère un caractère populaire à la révolution.

    Le noyau dur du prolétariat se retrouve chez les larges couches, à sa base. Ce sont les millions de travailleurs et de travailleuses qui n’ont vraiment rien à perdre mais au contraire tout à gagner au renversement du capitalisme. Ces couches comprennent :

    • les travailleurs et les travailleuses pauvres et exploitéEs, qui sont reléguéEs au bas de l’échelle,
    • les prolétaires présentement excluEs du marché du travail et qui forment l’armée industrielle de réserve des capitalistes,
    • les nouvelles couches du prolétariat issues de l’immigration,
    • les femmes qui continuent à investir massivement le marché du travail,
    • les jeunes qui font face plus que tous autres au travail précaire et sous-payé,
    • les prolétaires d’origine autochtone pour qui le chômage constitue la règle et qui souffrent de la discrimination la plus éhontée.


    Il faut aussi préciser que la société canadienne est traversée par plusieurs types de contradictions, qui sont d’ailleurs appelées à jouer un rôle plus ou moins important selon les circonstances :

    • contradictions qui opposent certains secteurs de la bourgeoisie entre eux,
    • contradictions inter-impérialistes,
    • contradictions entre la petite-bourgeoisie et les autres classes.


    Quant aux nations autochtones, dont l’oppression et le vol du territoire remontent à l’arrivée des premiers Européens en Amérique, leurs conditions ne cessent de s’aggraver. Les territoires des nations autochtones ont été une condition essentielle dans la formation du capitalisme canadien et maintenant, ils sont devenus pour ainsi dire de véritables colonies intérieures du pays.

    Toute stratégie de destruction du pouvoir de la classe capitaliste doit reposer sur une appréciation juste de ces contradictions et de leur utilisation dans le but de faire croître le camp de la révolution et d’isoler par le fait même les forces de la réaction. L’ensemble de la vie matérielle, politique, idéologique et spirituelle est influencé de façon déterminante par ce combat qui oppose de façon absolue les intérêts du prolétariat et ceux de la bourgeoisie. C’est autour de ces deux grandes classes que se forment les deux vastes camps qui s’opposent – celui de la révolution et celui de la réaction. Cela veut dire qu’aujourd’hui, la stratégie révolutionnaire au Canada doit être entièrement tournée vers la révolution socialiste.

    Première constatation : de par sa position, la bourgeoisie canadienne ne peut continuer à opérer sans changements les conquêtes arrachées par le prolétariat durant l’après-guerre : assurance-chômage, soins de santé, éducation aux frais de l’État, autres programmes sociaux, etc. La bourgeoisie est dans l’obligation, pour se maintenir au niveau mondial, de les transformer en leur contraire (rendre inopérables les programmes) ou de les faire disparaître. C’est pourquoi, depuis de nombreuses années, la bourgeoisie canadienne s’attaque directement au prolétariat et à ses organisations de défense.

    Seconde constatation : le prolétariat ne peut plus arracher, à l’intérieur du capitalisme, de nouvelles conquêtes significatives. Depuis le milieu des années 1970, le prolétariat a vu ses conditions de vie et de travail se dégrader. On assiste, pour la même période, à un important accroissement du prolétariat et à un appauvrissement marqué de larges sections qui le composent.

    Troisième constatation : une crise subite du capitalisme canadien et de son État est peu plausible. Cette possibilité est très réduite pour l’ensemble des pays impérialistes, car, contrairement à la situation de l’époque de la révolution russe, le capitalisme a, depuis, développé des méthodes et des institutions telles que les banques, les associations de capitalistes, les négociations collectives, la fiducie, la politique économique de l’État et les services sociaux.

    Ces mesures et institutions permettent à la bourgeoisie de se maintenir malgré les effets les plus destructeurs propres à l’économie capitaliste et de maintenir une stabilité politique. Bref, sous le capitalisme, les grandes et puissantes crises du début du siècle cèdent la place à de nouvelles formes de crises de longues durées.

    Quatrième constatation : au Canada, les forces de la révolution sont petites. Il existe un potentiel objectif dans le Nord canadien où se trouve une crise révolutionnaire en développement entre le capitalisme canadien et les peuples autochtones. La lutte révolutionnaire des peuples autochtones du Canada a pour objectif de libérer ceux-ci du joug impérialiste canadien. Cette lutte fait partie intégrante des possibilités de réussite de la stratégie de la GPP au Canada. On peut même dire que cette lutte devra être intégrée au front uni dirigé par le prolétariat parce qu’elle est décisivement liée à la révolution prolétarienne.

    La difficulté pour le Parti est de réussir à combiner la lutte révolutionnaire pour le socialisme à la lutte des peuples autochtones. Notre proposition d’Union des Républiques populaires d’Amérique du Nord et la lutte contre le parlementarisme et le nationalisme bourgeois sont des éléments qui favorisent cette combinaison.

    Cinquième constatation : au Canada, l’aristocratie ouvrière est puissante. Politiquement, cette couche est la voie de pénétration de la bourgeoisie dans le prolétariat et, avec la petite-bourgeoisie salariée, elle domine les syndicats. L’aristocratie ouvrière et la petite-bourgeoisie composent et la direction effective, et le gros du membership des organisations de défense du prolétariat. Ces forces sont, pour l’instant, hostiles en majeure partie à la révolution. Elles sont, en règle générale, totalement soumises à la discipline imposée par la bourgeoisie.

    Il faut tenir compte des conditions concrètes qui prévalent au Canada et probablement dans tous les pays impérialistes :

    • la force de la bourgeoisie et de ses institutions, ainsi que des différentes contradictions qui traversent la société,
    • les contradictions qui traversent le prolétariat, entre autres la mainmise idéologique de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie sur les organisations prolétariennes.


    Ceci contribue à imposer un rapport de force défavorable au camp de la révolution. Ce rapport de force (tant en terme qualitatif que quantitatif) est, pour l’instant, défavorable au camp de la révolution. Ceci impose un caractère prolongé, tant dans le temps, que dans le développement de toutes les étapes menant au renversement de la bourgeoisie.

    • La période préparatoire

    Pour réussir, la GPP dans un pays impérialiste doit être précédée par une préparation politique, organisationnelle et militaire. L’accumulation et la formation des forces révolutionnaires se fait graduellement à l’intérieur de ce type de société. Le Parti doit éviter, par une conduite tactique adéquate, d’être contraint à un affrontement décisif tant que les forces révolutionnaires ne seront pas supérieures à celles de la bourgeoisie impérialiste.

    L’étape où l’avant-garde lutte pour créer un Parti révolutionnaire, une armée révolutionnaire et des organisations nouvelles et authentiquement prolétariennes afin que les masses populaires puissent apprendre à organiser le futur pouvoir prolétarien – comités, conseils populaires – correspond à un processus obligatoire d’organisation qui permet, par la suite, d’amorcer la première phase de la GPP : la défensive stratégique. Nous appelons cette phase préparatoire : phase de l’accumulation des forces. La stratégie révolutionnaire dans un pays impérialiste comme le Canada exige cette préparation politique, organisationnelle et militaire.

    Pourquoi une période préparatoire?

    1. Il s’agit de contester le quasi-monopole politique qu’exerce la bourgeoisie en répandant les idées communistes, le programme communiste, en prenant place dans toutes les sphères de l’activité des masses pour qui cette activité se déroule principalement, pour l’instant, dans la légalité bourgeoise.
    2. Il s’agit aussi de contester le monopole complet sur la violence que la bourgeoisie impose. Cette lutte ne peut se développer intégralement dans le cadre de la légalité bourgeoise, sinon de manière partielle et limitée dans le temps. Cela implique que, peu à peu, une rupture radicale d’avec le capitalisme – rupture en terme de projet, mais aussi contestation de l’ordre établi – puisse se matérialiser.


    Le tout correspond à l’unité des contraires. Il nous faut travailler à l’intérieur de la légalité et à l’extérieur de la légalité jusqu’à ce que le second terme devienne le pôle dominant. Cela découle, comme nous l’avons mentionné, des conditions matérielles de la lutte des classes au Canada qui impose un caractère prolongé à la révolution et qui se traduit par le fait que les forces révolutionnaires vont croître dans la mesure ou l’activité des masses se déplacera de l’un vers l’autre.

    Pour l’instant, la violence et les débordements des masses sont spontanés. Cette violence n’est pas consciente. Elle ne vise pas à renverser le système capitaliste, mais n’est qu’une réponse aux effets de l’exploitation. Le Parti doit savoir diriger et canaliser cette violence pour l’orienter, en premier lieu, vers la construction du Parti lui-même.

    L’accumulation de forces devrait, par la suite, permettre au Parti de développer une armée révolutionnaire. L’armée révolutionnaire est la forme supérieure et organisée de la violence spontanée des masses contre le capitalisme. Elle concentre la violence de classe et est la matérialisation d’une rupture radicale d’avec le capitalisme.

    «L’armée révolutionnaire est indispensable pour la lutte militaire et pour donner une direction militaire aux masses populaires contre les restes de la force armée de l’autocratie. L’armée révolutionnaire est nécessaire parce que la force seule peut résoudre les grands problèmes historiques, et parce que l’organisation militaire est, dans la lutte contemporaine, celle de la force.»

    (Lénine)

    Pour parvenir à jouer son rôle, l’armée révolutionnaire doit d’abord exister. Elle doit posséder une existence propre même si elle se place sous la direction du Parti. Cela implique aussi et surtout qu’elle doive développer la lutte armée avant que celle-ci soit la forme principale de combat du prolétariat, précisément pour démontrer la validité de cette voie au prolétariat.

    Dans la première phase de l’accumulation des forces, les forces embryonnaires de l’armée rouge développent une activité politique à partir d’actions militaires que l’on appelle de la propagande armée. Le but de la propagande armée n’est pas de faire la guerre au capitalisme, mais de faire connaître le projet révolutionnaire tout en permettant de faire gagner de l’expérience à ses futurEs cadres.

    À cette étape la guérilla, avec les actions armées, poursuit prioritairement des objectifs idéologiques. L’activité croissante de guérilla permet de mieux démarquer les camps qui s’opposent, d’influencer la lutte des classes et d’accumuler des forces pour tout mouvement révolutionnaire.

    L’expérience des Brigades rouges (BR) en Italie (1971-1976) a démontré que la propagande armée était une méthode efficace pour accumuler des forces dans un pays impérialiste. La même expérience (1976-1982) a aussi démontré que cette activité devait être guidée par une ligne juste pour ne pas sombrer dans le militarisme, l’économisme, le syndicalisme armé ou le subjectivisme.

    Ainsi dans le cas des BR, d’importantes forces ont été accumulées dans la mesure où elles mettaient en pratique la propagande armée pour construire le Parti communiste. Mais lorsque les BR ont quitté ce terrain pour se lancer dans une guerre contre l’État alors que les conditions matérielles n’étaient pas mûres, elles se sont séparées des masses et ont été défaites.

    Au Canada, il y a aussi eu des expériences de guérilla. Ainsi, dans le cadre de la lutte des Métis au Manitoba, la guérilla de Gabriel Dumont a, entre autres, sérieusement défait l’armée canadienne à Duck Lake. Au Québec, le FLQ (1962-1970) a aussi développé une activité de guérilla urbaine, mais celle-ci était fondée sur des conceptions guévaristes et ne visait pas à accumuler des forces, mais plutôt à susciter l’activité des masses par la multiplication de l’exemple.

    Ce que démontrent ces exemples tirés de l’histoire, c’est la nécessité :

    1. de s’appuyer sur une ligne juste,
    2. de construire un Parti séparé de l’organisation de guérilla qui prend en charge tous les aspects de l’activité des masses,
    3. d’avoir une stratégie de renversement du pouvoir,
    4. de la direction et de la participation du prolétariat,
    5. de créer des bases d’appui.


    Cependant, il faut faire attention. Cette période ne correspond pas encore, ni ne peut être confondue, avec le début de la GPP. Celle-ci se mène directement contre la bourgeoisie et son État. Elle vise la prise du pouvoir par le prolétariat révolutionnaire, la destruction de l’appareil d’État bourgeois, l’instauration d’un État prolétarien, le renversement du système capitaliste et l’instauration du socialisme.

    • La défensive stratégique

    La défensive stratégique, c’est à proprement dit l’initiation de la GPP. Les brigades de propagande armée doivent alors se multiplier et le Parti doit construire les premières unités de partisans.

    Comme il est difficile de dissimuler des unités plus importantes, ou même de les soutenir en termes logistiques, le problème suivant se pose : comment réussir, dans un pays impérialiste, à poursuivre la lutte révolutionnaire et à construire des bases stables pour développer la Guerre populaire alors que l’ennemi contrôle tout le territoire?

    En Chine, la guerre révolutionnaire a profité de bases rouges, de zones libérées où les réactionnaires ne pouvaient pas aller et où la transformation révolutionnaire des rapports sociaux commença directement. Dans les métropoles impérialistes, cela ne peut s’appliquer intégralement. Au début, les unités de partisans fonctionneront probablement dans des zones de guérilla. Ce n’est qu’après la prise de centres urbains, que devraient apparaître les bases d’appui temporaires, puis les bases d’appui stables.

    L’expérience du mouvement communiste nous enseigne qu’il est possible de créer de telles bases. Pour ce faire, les révolutionnaires doivent s’appuyer résolument sur les masses et procéder à partir d’elles en construisant les bases politiques permettant la création de bases d’appuis stables, selon la ligne ne pas avoir/avoir, de petit/à grand, d’imparfait/à plus que parfait.

    Pendant la phase de propagande armée, les brigades doivent éviter de se fixer en un lieu. Elles doivent plutôt couvrir un vaste territoire appliquant le principe de mobilité – mordre et fuir. Les bases sont conséquemment limitées au besoin des opérations.

    Mais avec le début de la GPP, les unités de partisans peuvent normalement opérer dans des zones de guérilla. Les zones de guérilla sont formées par des réseaux clandestins et des organismes générés par le Parti ou par les masses prolétariennes qui contestent l’exclusivité du pouvoir bourgeois. L’exemple le plus évident de zones de guérilla est l’Europe sous l’occupation nazie. Des centaines de réseaux, de journaux et de groupes ont alors été organisés par des milliers de personnes en toute clandestinité.

    Durant la Deuxième Guerre mondiale, les actions des partisans étaient appuyées par un vaste travail clandestin dans les milieux prolétariens, allant de la production de journaux pour revendiquer les actions, jusqu’aux sabotages ciblés, le tout formant une toile clandestine entourant l’ennemi.

    En Italie, plusieurs grandes villes – Gênes, Turin, Milan – ont été libérées par les partisans dirigés par le PCI avant même que les forces alliées ne s’en approchent. Les partisans, en Italie, ont, malgré eux, combiné la Guerre populaire avec l’insurrection, à Gênes entre autres.

    Les unités de partisans, en plus de poursuivre l’activité de propagande armée de la première étape, pourront y ajouter des attaques contres les institutions et les personnes qui représentent le pouvoir bourgeois. Le passage de brigades de propagande armée à unités de partisans sous-entend que le Parti se soit solidement implanté dans les masses et que celles-ci acceptent sa direction politique.

    Si l’impérialisme américain s’intéresse plus particulièrement à la situation, c’est-à-dire s’il intervient indirectement puis directement pour appuyer la bourgeoisie canadienne, le Parti communiste révolutionnaire devra avoir prévu cette intervention en dirigeant le front uni qu’il aura construit contre la bourgeoisie canadienne et l’impérialisme américain.

    Cette intervention de l’impérialisme américain va assurément mettre en lumière le caractère stratégique d’une bonne préparation militaire pour faire face à une armée puissante et moderne. Cela exigera des forces de la révolution une préparation importante.

    Parce que les forces de la révolution seront dispersées, le pays ressemblera probablement à un jeu d’échecs où les cases occupées par les forces de la bourgeoisie correspondront à des secteurs précis – quartiers bourgeois, centres de télécommunication, centres financiers, bases militaires – entourés de zones de la guérilla qui, elles, seront invisibles et cachées, mais en opération. Ici, il sera probablement possible de combiner deux stratégies appliquées au Vietnam, celle du guépard – le territoire est tacheté par les zones de guérilla – et celle de la pelure de banane – s’attaquer à la périphérie des zones ennemies.

    La proximité entre les zones de guérilla et les zones contrôlées par la bourgeoisie devrait favoriser la guérilla qui a le loisir de concentrer ses forces pour s’attaquer à des objectifs stratégiques, tout en diminuant les risques d’un encerclement important de l’ennemi, en plus de rendre inutilisable une partie de l’arsenal militaire à cause de cette proximité. À ce moment, la combinaison des attaques stratégiques de la guérilla et de l’insurrection dans une grande ville devrait permettre la création des premières bases d’appui stables et la combinaison à un niveau supérieur de la guerre de guérilla et de la guerre de mouvement menée par des unités régulières de l’armée rouge.

    Avec l’apparition des bases d’appui stables, le nouveau pouvoir révolutionnaire s’afficherait ouvertement. Cela signifie aussi que l’étape de l’équilibre stratégique serait atteinte alors que deux pouvoirs s’affronteraient. Un front stable se dessinerait probablement entre les deux forces qui s’opposent. Cependant, contrairement aux pays dominés, le rôle des bases d’appui stables dans un pays capitaliste comme le Canada, à cause de la proximité, serait totalement tourné vers la guerre et la destruction de l’ennemi et, plus tard seulement, vers la construction du nouveau pouvoir. La lutte pourrait même se poursuivre au sein des bases d’appui.

    Ces bases d’appui seront indispensables, tout comme elles l’étaient en Russie :

    «Le gouvernement révolutionnaire est nécessaire pour assurer la direction politique des masses du peuple d’abord sur le territoire déjà conquis sur le tsarisme par l’armée révolutionnaire, puis dans l’État entier. Le gouvernement révolutionnaire est nécessaire pour procéder immédiatement aux transformations politiques au nom desquelles se fait la révolution, pour établir l’auto-administration révolutionnaire du peuple, pour convoquer une Assemblée émanant réellement du peuple tout entier et réellement constituante, pour instituer les “libertés” sans lesquelles l’expression exacte de la volonté du peuple est impossible. Le gouvernement révolutionnaire est indispensable pour grouper politiquement la partie insurgée du peuple qui a rompu en fait, définitivement, avec l’autocratie.»

    (Lénine)

    Dans ce cadre, certaines villes seront appelées à jouer le rôle de bases d’appui temporaires et doivent nous intéresser plus particulièrement. Au Canada, il existe sur un territoire très vaste, entourant les quatre grandes régions du capitalisme canadien, une multitude de communautés qui ont la caractéristique d’être composées en majeure partie par le prolétariat. Ces villes sont importantes stratégiquement pour la révolution au Canada, par leur composition prolétarienne, le contrôle qu’elles exercent sur les ressources énergétiques et les différentes voies de communication. Elles constitueront peu à peu des bases solides du camp de la révolution et permettront peu à peu de vider des forces ennemies les grandes concentrations urbaines.

    La prise d’une grande ville devrait permettre de constituer et d’entraîner de nouvelles unités de l’armée rouge. Celles-ci pourront renforcer le front. Cela permettra de combiner la guerre de mouvement avec la guerre de guérilla. Cela permettra aussi de passer de la guerre d’usure à la guerre d’anéantissement et de décisions rapides permettant de s’orienter vers l’offensive stratégique qui va probablement être une combinaison de batailles et d’insurrections, jusqu’à ce que l’ensemble du territoire soit sous le contrôle du camp de la révolution.

    Pour mener une guerre révolutionnaire et faire la révolution, il faut avoir dominé et assimilé les lois selon lesquelles elle se mène. Cela est un processus moins simple qu’il n’y paraît. Son apprentissage exige de pouvoir s’appuyer sur une expérience pratique suffisante afin de tirer de justes bilans.

    Connaissance de soi, connaissance de l’adversaire, innover et avancer en matière de tactique et de stratégie, cela exige qu’aujourd’hui nous commencions sérieusement à réaliser les tâches de la révolution en étant conscients et conscientes que chacune de nos avancées fait progresser le mouvement entier.

    Comme l’écrivait Lénine il y a plus de 80 ans,

    «l’histoire en général, et plus particulièrement l’histoire des révolutions, est toujours plus riche de contenu, plus variée, plus multiforme, plus vivante, “plus ingénieuse” que ne le pensent les meilleurs partis, les avant-gardes les plus conscientes des classes les plus avancées.»


    Avril 2005


    Et aussi :

    http://www.pcr-rcp.ca/fr/2560


    Maosoleum (NCP-LC) : Qu'est-ce que la Guerre populaire

    Maosoleum (NCP-LC) : Qu'est-ce que la Guerre populaire


    2 commentaires

  • Si les marxistes-léninistes et les maoïstes s'accordent généralement pour qualifier un certain nombre de pays (ceux que la bourgeoisie appelle "Tiers Monde" ou "en développement") de semi-coloniaux semi-féodaux, cette qualification pose de nombreux problèmes de définition aux conséquences loin d'être anodines ; notamment quant à la question de la méthode révolutionnaire à y appliquer et de l'universalité de la Guerre populaire. Il importe donc de clarifier les choses.

    Les deux points de vue qui s'opposent sont parfois qualifiés de "mariatéguiste" (José Carlos Mariátegui*, le grand théoricien et organisateur communiste péruvien des années 1920) et "sisonien" (José María Sison, fondateur et dirigeant historique du Parti communiste des Philippines refondé en 1968) :

    - Pour les "sisoniens", "semi-féodal" désigne un véritable mode de production en tant que tel, dans lequel prédominent les rapports féodaux sous la houlette du système impérialiste mondial. La révolution dans ces pays doit donc revêtir (principalement même, au début) un aspect de révolution anti-féodale - mais sous la direction du Parti du prolétariat, et non de la bourgeoisie comme en Europe aux 18e-19e siècles.

    - Pour les "mariatéguistes", "semi-féodal" signifie la survivance d'un ensemble de rapports de production et de rapports sociaux en général marqués par la féodalité, mais néanmoins subsumés par le capitalisme qui - à l'ère de l'impérialisme, que d'autres nomment "mondialisation" - domine et régit l'économie planétaire. Il s'ensuit simplement de ces survivances une arriération économique et sociale qui permet que ces pays soient dominés par les monopoles des États impérialistes (d'où le fait qu'à "semi-féodal" l'on accole "semi-colonial").

    Notre point de vue, pour dire les choses clairement, est "mariatéguiste".

    Il est selon nous absurde, en dehors peut-être de quelques régions très périphériques de l'Afrique ou de l'Asie profonde, de rechercher dans les pays semi-coloniaux un mode de production féodal pur comme celui qui pouvait exister en Europe au Moyen Âge, avec des serfs etc. etc. Les campagnes de ces pays ressemblent en réalité plutôt à ce que l'on pouvait trouver en Europe aux 18e et 19e siècles (parfois encore au 20e dans certains pays) : une propriété de la terre très inégalement répartie, avec des grands propriétaires auxquels sont soumis des métayers qui leur payent un "loyer" sous la forme d'un pourcentage de leurs gains et des journaliers agricoles qui sont tout simplement leurs salariés (au salaire de misère bien évidemment) ; les métayers exerçant parfois l'activité de salarié agricole à temps partiel pour pouvoir payer leur "loyer" (un peu comme les serfs du Moyen Âge "devaient" un nombre de jours de travail sur la "réserve" - propriété directe - du seigneur local, mais de manière toutefois considérablement modernisée), etc. La situation est de toute façon très variable selon les pays.

    Dans la plupart des pays n'existent plus d'attributions politiques officielles aux propriétaires terriens, telles que l'exercice d'un droit de justice, comme cela existait et a été aboli en Hexagone en 1789. Néanmoins un pouvoir politique de facto est très fréquemment exercé : en Amérique latine les grands propriétaires se payent généralement des hommes de main armés pour intimider ou terroriser les paysans, ce qui revient à disposer d'une force armée donc d'un pouvoir politique (et en cas de mort d'homme, ils peuvent compter sur la bienveillance des autorités locales pour que l'affaire ne soit jamais jugée ni condamnée). Il arrive encore, même si c'est sans doute moins fréquent depuis une trentaine d'années, que des peones soient punis à coups de cravache (et loin d'eux l'idée d'aller se plaindre aux autorités) ; quant aux amendes pour infraction au règlement de la propriété, sous un autre nom, elles sont encore très fréquentes. Dans d'autres pays, les grands propriétaires ne possèdent pas de pouvoir politique de droit mais s'incrustent dans les institutions chargées d'exercer celui-ci. On pense en particulier à l'Iran, où les mollahs sont généralement à la fois grands propriétaires fonciers (c'est contre une tentative de réforme agraire "par le haut", "développementiste" du Shah qu'ils sont à la base entrés en lutte contre celui-ci)... et détenteurs, de par la Constitution islamique, du pouvoir judiciaire de premier degré. Dans les régions reculées de l’État iranien, un nombre considérable d'exécutions capitales pour "faits de mœurs" (que la presse occidentale relate sans rien y comprendre, sur l'air de "pendue à 17 ans pour rapports sexuels hors mariage") sont en réalité des règlements de comptes des mollahs locaux envers des familles de paysans indociles. C'est ici un cas de figure "officiel" (constitutionnel), mais cette imbrication de la grande propriété avec le pouvoir politique et judiciaire local est omniprésente dans les campagnes du "Tiers Monde". Au-delà de ces rapports strictement productifs, les rapports sociaux dans ces pays-là (puisque nous avons parlé de l'Iran) sont généralement empreints d'un grand conservatisme, avec notamment un grand poids des institutions religieuses.

    Pour autant, quoi qu'il en soit, la production issue de ces rapports sociaux d'un type particulier débouche bel et bien sur un marché local et mondial... CAPITALISTE. C'est en ce sens que nous affirmons que si ces rapports sociaux peuvent bien être qualifiés de "semi-féodaux", imprégnés par la féodalité, ils n'en sont pas moins subsumés par le capitalisme qui domine à l'échelle mondiale. En réalité, ils sont intrinsèques à la nature même du capitalisme qui a besoin, pour exister, d'exploitation mais aussi de surexploitation du travail : ces rapports productifs et sociaux semi-féodaux permettent tout simplement la surexploitation nécessaire au capitalisme, qui n'est autre que son but à travers l'impérialisme (d'où le colonialisme direct comme le semi-colonialisme)**.

    Il ressort de cela qu'il n'y a pas, en réalité, d'opposition entre pays "semi-coloniaux semi-féodaux" et pays capitalistes : les pays semi-coloniaux semi-féodaux sont capitalistes ; "semi-colonial semi-féodal" est un type de pays capitalistes, l'autre étant les pays capitalistes monopolistes-impérialistes. Un État donné (entendu comme espace géographique) est soit l'un soit l'autre ; ce qui ne veut pas dire que certains pays semi-coloniaux semi-féodaux ne puissent pas atteindre - au moins régionalement - un niveau de développement économique (de forces productives) relativement élevé : c'est le cas par exemple de l’État turc, mais aussi d'un nombre croissant de pays d'Amérique latine (à commencer par les "grands" : Brésil, Mexique, Argentine ou Chili, Colombie mais aussi Venezuela et Équateur etc.) ou d'Asie voire d'Afrique (Ghana, Nigeria, sans oublier bien sûr l'Afrique du Sud), sans même parler des pays arabes du Golfe irrigués par la rente pétrolière avec un niveau de vie (pour la population arabe "de souche", pas pour les centaines de milliers de travailleurs immigrés bien sûr) parmi les plus élevés de la planète, mais des rapports sociaux (régis par l'islam wahhabite) complètement "moyenâgeux".

    Le caractère "semi-colonial semi-féodal" d'un pays n'est pas incompatible avec (localement du moins, dans les grandes villes et leurs alentours) un niveau de développement économique élevé, "quasi-occidental". Cela signifie simplement ne pas être impérialiste, c'est-à-dire ne pas être principalement un exportateur mais un réceptacle de capitaux étrangers - lesquels servent précisément à contrôler et dominer l'activité productive. Mais cela se traduit néanmoins - il est vrai - toujours par l'existence d'une "niche" de rapports sociaux "semi-féodaux" de surexploitation, qu'il s'agisse d'une catégorie particulière de la population (comme les travailleurs immigrés semi-esclaves dans les pays du Golfe) ou de régions reculées et périphériques (comme toujours dans le système capitaliste, les pays semi-coloniaux d'une certaine taille ont leurs Centres et leurs Périphéries - tout en étant eux-mêmes la Périphérie planétaire).

    À vrai dire, une certaine (petite) dose de rapports sociaux "semi-féodaux" n'est même pas incompatible avec le fait d'être un État impérialiste, et pas même des moindres : le Royaume-Uni est bien, tous et toutes en conviendront, un pays monopoliste et impérialiste et même (sans doute) le premier à l'avoir été dans l'Histoire. Pourtant, la propriété foncière et immobilière en général y est particulièrement marquée par la féodalité et ceci d'autant plus que l'on va vers les territoires des Peuples celtiques, dont la conquête et l'oppression nationale ont fondé historiquement l’État. Des îles entières d’Écosse sont parfois la propriété d'un seul landlord (qui, "mondialisation" oblige, peut désormais être un prince arabe ou un milliardaire russe), et leurs habitants locataires... Dans le shire (comté) de Cornouailles (Nation cornique), plus de 500 km² sur 3.500 au total sont la propriété exclusive du prince Charles à qui ils fournissent ses revenus, celui-ci ne disposant pas de "liste civile" ("pension" versée par l’État) contrairement à ses parents : il y aurait fondé une entreprise agro-alimentaire... "bio". Bien sûr, ici, pas de coups de cravache ni de miliciens privés ni de quelconque droit de justice pénal sur la population. Mais ce n'en est pas moins la réalité... au cœur d'une des premières puissances impérialistes de la planète. Des situations similaires existent dans l’État espagnol, en particulier dans sa partie sud (Andalousie etc.) ; État qui est pourtant incontestablement (grâce aux dynamiques capitalismes catalan, basque, asturien ou cantabre - et à la métropole madrilène alimentée par ceux-ci) un "petit impérialisme" ; ou encore dans le Mezzogiorno de l’État italien, lequel repose fondamentalement et historiquement sur la conquête du Sud (Royaume des Deux-Siciles) par la bourgeoisie du Nord (au moyen de l'Armée piémontaise et des "Chemises rouges" de Garibaldi), et qui est incontestablement un impérialisme de rang secondaire. Aux États-Unis, les maoïstes dans la lignée d'Harry Haywood considèrent que les Noirs, les Hispaniques (issus de la conquête de la moitié du territoire mexicain en 1846-48, ou alors de l'immigration par la suite) ou encore les Premières Nations ("Indiens") subissent un colonialisme intérieur, qui est encore une forme de rapports sociaux très particulière ; et le métayage qui a succédé à l'esclavage (associé à la ségrégation dans le domaine politique et l'espace public) marque encore profondément la condition des Noirs dans les États ruraux du Sud.

    En réalité, n'en déplaise aux thuriféraires des "Lumières", AUCUNE "révolution" bourgeoise n'a été pleinement anti-féodale - le capitalisme piétinant par définition et en permanence la pensée humaniste et émancipatrice qu'il vient juste de secréter, par souci de se ménager (justement) ces "niches" de surexploitation qui lui sont indispensables : bien souvent, la "semi-féodalité" n'a disparu dans les campagnes (auxquelles elle est par nature liée)... que par la quasi-disparition du secteur productif agricole. Aucune, pas même en France : le célèbre roman Jacquou le Croquant s'inspire de nombreuses révoltes populaires ayant agité l'Occitanie... dans la première moitié du 19e siècle, soit bien après la fameuse Nuit du 4 Août 1789 ; révoltes de métayers (qui constituaient encore la grande majorité des agriculteurs dans ces régions) ne visant généralement pas des nobles "historiques" mais des bourgeois ayant racheté les titres de propriété de ces derniers en se parant (souvent) des titres et autres particules (comme le "Crozat" devenu "comte de Nansac" du roman). Et au milieu du 20e siècle, dans certaines régions, les métayers menaient encore des luttes très dures contre les châtelains locaux sous la direction du Parti communiste... Seule la révolution prolétarienne peut en réalité "parachever" complètement les promesses démocratiques que la bourgeoisie a faites aux masses populaires pour les mobiliser contre les forces féodales, mais qu'elle n'a par définition pas pu tenir.

    Les États qui sont aujourd'hui monopolistes-impérialistes ne le sont pas devenus parce qu'ils auraient "particulièrement éradiqué la féodalité", mais simplement parce qu'ils ont été les premiers à la faire reculer ou à la domestiquer suffisamment pour ménager à la bourgeoisie l'espace nécessaire à sa "révolution industrielle", c'est-à-dire à l'accumulation productive et (surtout) financière permettant de mener au bout de quelques décennies à la constitution de monopoles et, de là, à une domination économique de la planète entière (ces pays eux-mêmes n'ayant pu quant à eux, par définition, "tomber" sous la domination de personne : "premier arrivé premier servi" !). Tel est le cas du Royaume-Uni, de la France, des États-Unis, de l'Allemagne etc. etc. D'autres ont pu par la suite se "glisser entre les mailles du filet" et "rejoindre le club" par des politiques volontaristes et même - pour dire les choses clairement - fascistes (Japon, Italie, Espagne) ; tandis que d'autres encore, suffisamment grands (Russie, Chine), ont connu des expériences socialistes qui se sont "chargées" de mener à bien la "révolution industrielle" et de développer les forces productives de manière radicale, avant d'être trahies et de voir la propriété "collective" (théorique) convertie en monopoles [ces puissances sont désormais des "acteurs" incontournables pour comprendre ce qu'il se passe dans bien des parties du monde ; nous insistons cependant sur le fait qu'elles ne peuvent (pas plus que le bloc soviétique dans les années 1970-80, erreur de beaucoup de "prochinois") être considérées comme les premières fauteuses de misère et de mort sur la planète et donc les "ennemies n°1" de l'humanité, qui demeurent les puissances impérialistes occidentales].

    Si toute cette compréhension des choses revêt autant d'importance, on l'a dit, c'est parce qu'elle impacte directement la question de la GUERRE POPULAIRE comme stratégie révolutionnaire UNIVERSELLE des exploité-e-s et des opprimé-e-s.

    La vision "sisonienne" va, en effet, généralement tendre à un rejet de l'universalité de la Guerre populaire : il y aurait d'un côté des pays semi-coloniaux semi-féodaux où l'on mène la Guerre populaire, et de l'autre des pays monopolistes-impérialistes où l'on "accumulerait des forces" en attendant les conditions propices à un soulèvement et à une prise de pouvoir révolutionnaire. C'est là, finalement, une conception plus marxiste-léniniste pensée maotsétoung que réellement marxiste-léniniste maoïste ; une conception qui a insuffisamment dépassé les limites théoriques du marxisme-léninisme. Elle peut parfois (pour résoudre la quadrature du cercle qu'elle soulève inévitablement, à savoir la question du "que faire" dans les métropoles impérialistes) mener au linpiaoïsme, c'est-à-dire à l'idée que les pays semi-coloniaux semi-féodaux sont les "campagnes du monde" et que les masses des pays impérialistes ("villes" du monde) sont finalement dans une position attentiste, ne devant intervenir (peut-être) que lors de l'"assaut final", lorsque l'impérialisme aura été suffisamment affaibli par la Guerre populaire du "Tiers Monde" (certes... sauf que si les métropoles impérialistes ne sont pas aussi combattues et affaiblies de l'intérieur, elles ne seront jamais assez faibles dans le "Tiers Monde" pour que la révolution prolétarienne et paysanne y triomphe durablement).

    C'est la conception (en toute logique) du Parti communiste des Philippines, ou encore du TKP/ML dans l’État turc.

    La vision "mariatéguiste" en revanche (au terme d'un long processus bien entendu : Mariátegui lui-même n'a jamais dit cela ni même parlé de Guerre populaire...) tend à déboucher naturellement sur l'applicabilité universelle de la Guerre populaire, y compris dans les pays impérialistes les plus avancés. Celle-ci n'est plus conçue comme une "simple" doctrine militaire (guerre de partisans dans un maquis...) : les modalités de la lutte sont particulières et doivent être déterminées dans chaque pays. Elle devient en réalité la compréhension de la révolution comme une lutte PROLONGÉE pour construire des bases rouges de Pouvoir populaire embryonnaire, créer les conditions subjectives (tout aussi importantes que les objectives !) de la prise de pouvoir révolutionnaire et "étrangler" lentement mais sûrement les Centres politiques, économiques et intellectuels du Pouvoir bourgeois. Cela signifie arracher totalement ou partiellement des aires géographiques aux forces du Capital ("territoires perdus" où elles ne vont plus ou alors dans un sentiment d'insécurité permanent) ; y compris (à un certain stade de la lutte) des unités productives arrachées au contrôle du patronat et prises en main par les travailleurs ; mais aussi lutter sur le front intellectuel et culturel pour faire reculer la conception bourgeoise du monde et imposer l'hégémonie de la conception prolétarienne communiste dans les masses du Peuple : c'est véritablement une lutte sur tous les fronts. Cela n'exclut même pas (contrairement à une certaine conception "stricte" du MLM), lorsque les conditions le permettent, de participer aux élections ; car participer aux élections sur une ligne révolutionnaire ferme (et non sur une ligne opportuniste d'avoir à tout prix des élus et de s'incruster dans le système) est aussi un outil de déstabilisation. Le tout étant de reposer en permanence sur une culture d'antagonisme, d'inconciliabilité des intérêts prolétaires et populaires avec ceux de la classe dominante capitaliste - culture qui doit aussi se construire, car elle n'a rien d'évidente en soi dans une société de classe où les dominants dominent et où les dominés suent sang et eau depuis des siècles.

    Cela signifie, dans tous les cas, un rejet de la stratégie consistant en une "accumulation de forces" suivie d'un "moment propice" (dont les conditions ne dépendraient que très peu de l'activité des révolutionnaires) pour lancer un "assaut frontal" et une prise de pouvoir très rapide - autrement dit la stratégie qui a échoué dans un grand nombre de pays au siècle dernier (pas seulement, d'ailleurs, dans des pays impérialistes et très industrialisés !). Cette stratégie est celle dont le trotskysme s'est fait le champion et même le théoricien absolu ; mais aussi celle de la plupart des "stals" (marxistes-léninistes "kominterniens"), car elle repose fondamentalement sur l'"exemple" de la Révolution bolchévique dans l'Empire russe tsariste... laquelle a été en réalité, depuis les évènements de 1905 jusqu'à la prise du Palais d'Hiver en Octobre 1917, une Guerre populaire non-consciente d'elle-même suivie jusqu'en 1921 (au moins) d'une terrible guerre contre les forces contre-révolutionnaires, guerre (là aussi) au caractère éminemment populaire ! [Cette révolution est au demeurant intervenue dans un pays extrêmement arriéré et marqué par la féodalité (comparable à l'Inde aujourd'hui) où aurait bien dû, selon la thèse "sisonienne", avoir lieu une Guerre populaire et non une "accumulation de forces/ insurrection" servant de modèle pour les pays impérialistes...]

    La Guerre populaire est universelle car elle est la première phase de la négation du capitalisme par le communisme, avant la prise de pouvoir révolutionnaire (la seconde phase étant la transition socialiste après celle-ci) ; or tous les pays du monde sont capitalistes (régis par le capitalisme), soit monopolistes-impérialistes (de "rang" variable, plus ou moins puissants, "vassalisés" parfois par d'autres plus puissants mais sans cesse d'être impérialistes) soit semi-coloniaux semi-féodaux (plus ou moins avancés et dynamiques économiquement, parfois "émergents" voire jouant un rôle de "puissance régionale").

    Une position "intermédiaire" (donc erronée, de notre point de vue) va être celle du Parti communiste maoïste (MKP) de l’État turc, qui consiste en fait en une admission partielle des thèses "sisoniennes". Le MKP va affirmer l'universalité de la Guerre populaire et mener celle-ci dans l’État turc ; mais comme celui-ci est "trop" développé, industrialisé et "dé-féodalisé" pour être "semi-colonial semi-féodal" selon la conception "sisonienne" (qui voudrait un véritable mode de production féodal autonome), conception qu'il admet (donc) partiellement, il va le définir comme "capitaliste" (ni monopoliste-impérialiste ni semi-colonial semi-féodal...) et affirmer y mener une "Guerre populaire socialiste" qui serait ainsi la "preuve" que la Guerre populaire est une stratégie de valeur universelle... Les choses seraient pourtant beaucoup plus simples s'il était simplement admis que "semi-féodal" ne signifie pas l'existence d'un mode de production féodal autonome aux côtés du capitalisme, mais simplement de rapports sociaux marqués par la féodalité sous la houlette du capitalisme (rapports sociaux qui ne manquent pas dans un État turc régi par le capitalisme comme l'est la planète entière).

    Ce sur quoi la question de "pays semi-colonial semi-féodal" ou "pays monopoliste-impérialiste", de l'ampleur des rapports sociaux "semi-féodaux" et - en fin de compte - du niveau des forces productives influe en réalité, c'est sur l'"après" Guerre populaire et prise révolutionnaire du pouvoir sur un territoire donné : sur l'ampleur des tâches "démocratiques de nouveau type" ("démocratiques bourgeoises sous la direction du prolétariat" : conquête de l'indépendance véritable et/ou autodétermination nationale sur l'aspect semi-colonial ; lutte contre les obscurantismes, révolution agraire et développement productif de type "NEP" sur l'aspect ) et l'immédiateté ou non des tâches socialistes.

    Le Pays Basque, par exemple, est opprimé nationalement ; mais c'est en dehors de cela un pays hautement industrialisé inclus dans deux États impérialistes, dont l'un est parmi les plus puissants de la planète. Il y a donc pour la future Révolution basque une tâche démocratique essentielle qui est la conquête de l'autodétermination nationale, mais cela s'arrête là : au-delà, les tâches sont immédiatement socialistes. En Andalousie ou dans le Mezzogiorno de l’État italien, peuvent s'y ajouter des tâches de révolution agraire car le secteur agricole demeure aussi important que la grande propriété y est prédominante. Tout va véritablement dépendre de la réalité économique et sociale spécifique de chaque pays et de l'analyse que les révolutionnaires communistes en font. Pour ce qui est de l’État turc, l'on peut effectivement admettre que les forces productives s'y sont considérablement développées depuis une vingtaine d'années et qu'il ne nécessite pas une longue phase de "type NEP" avant de socialiser la production ; mais parler de "Guerre populaire socialiste" n'a pas beaucoup de sens : il n'y a pas "différentes sortes" de Guerre populaire selon l'immédiateté ou non des tâches socialistes par la suite ; il y a la Guerre populaire comme stratégie universelle dont les modalités concrètes sont définies selon les conditions particulières de chaque pays (et bien entendu le niveau des forces productives, d'industrialisation, d'urbanisation etc. pèse lourd parmi ces conditions).

    Par ailleurs et pour conclure, cette compréhension correcte ("mariatéguiste") des rapports sociaux "semi-féodaux" comme subsumés par le capitalisme (et quel capitalisme sinon celui introduit par l'impérialisme pour se livrer à la surexploitation dont il a besoin ?) va également être essentielle pour réfuter la thèse ridicule pour ne pas dire honteuse des clowns du 'p''c''mlm', selon laquelle le semi-féodalisme serait l'"aspect principal" dans les pays concernés et l'impérialisme (= le semi-colonialisme) une sorte de "maladie opportuniste" - en d'autres termes, les Peuples dominés et écrasés par l'impérialisme auraient "mérité" leur condition par leur "arriération féodale", dont ils feraient bien d'avoir l'amabilité de se sortir vite-fait-bien-fait. Alors que c'est bien évidemment (de manière évidente pour tout cerveau normalement constitué...) la domination impérialiste qui maintient ces résidus de rapports féodaux "sous cloche" comme instruments de la surexploitation qui est sa raison d'être - les "sisoniens" sont bien entendu du même avis, mais leur compréhension des choses ne permet pas de "contrer" correctement cette énième thèse grotesque et aberrante de ces "universalistes impériaux" maquillés de rouge***...

    Pays semi-coloniaux semi-féodaux et capitalisme : quelques clarifications indispensables


    "Le semi-féodalisme ne peut pas être correctement recherché dans la persistance d'institutions ou de formes politiques et juridiques féodales. Formellement, le Pérou est une république démocratique bourgeoise. Le semi-féodalisme survit dans les structures de notre économie agraire." (...) "Le capitalisme se développe dans un pays semi-colonial comme le nôtre alors que le stade des monopoles et de l'impérialisme a déjà été atteint, et que l'idéologie libérale correspondant au stade de la libre entreprise a perdu toute sa validité. L'impérialisme ne permettra à aucun de ces Peuples semi-colonisés, qu'il exploite comme marchés pour ses capitaux et produits et comme sources de matières premières, de mettre en œuvre un quelconque programme économique de nationalisations et d'industrialisation ; il les force à se spécialiser et les restreint à la mono-production (au Pérou : pétrole, cuivre et sucre) de sorte qu'ils souffrent d'une crise permanente en termes de produits manufacturés, une crise qui provient tout droit de cette détermination rigide de la production nationale par le marché capitaliste mondial." (J. C. Mariátegui)

    ** L'on peut parler de SUREXPLOITATION lorsque l'on est à la limite permanente de ne même plus permettre la reproduction des conditions d'existence de la force de travail (c'est-à-dire du travailleur...). Une manière de fonctionner qui ne PEUT PAS être la manière générale du capitalisme, car si celui-ci produit c'est pour VENDRE (comment, sinon, dégager des profits et reproduire le Capital ?) et il a donc besoin d'acheteurs, qui ne peuvent pas être simplement 5 ou même 10% de bourgeois et autres personnes aisées. Il lui faut donc des personnes "simplement exploitées", c'est-à-dire à qui leurs revenus laissent une "margeounette" pour consommer. Mais pour que ces personnes puissent exister et exister en quantité conséquente, il est NÉCESSAIRE que d'autres, sur le territoire qu'une bourgeoisie donnée contrôle, soient dans ces conditions de surexploitation (ce qui signifie, en substance, définir et assigner à cette position des "ultra-pauvres" pour que puissent exister des "moins pauvres", que l'on pourra en sus aliéner en leur disant qu'ils ne sont "pas les plus à plaindre").

    [Attention cependant : la surexploitation, vouée à dégager un profit maximal sur investissement (surprofit), intègre aussi des considérations de productivité du travail, de développement technologique (augmentant la productivité) ainsi que d'établissement de situations de monopole (réduction radicale voire élimination pure et simple de la concurrence : quoi de mieux pour les affaires ?). Ceci peut entraîner des situations paradoxales : ainsi par exemple, on imagine difficilement plus surexploités que les esclaves africains des colonies européennes en Amérique ; puisqu'il suffisait souvent de les maintenir en vie quelques années pour tripler ou quadrupler l'investissement représenté par leur achat ("gagner leur tête" disait-on à l'époque). Sauf que voilà : 1°/ comme déjà dans l'Antiquité, la productivité de personnes privées de toute liberté et non-rémunérées pour leur travail s'avérait finalement médiocre comparée à celle d'un travailleur libre, 2°/ pour ces mêmes raisons de productivité, ainsi que pour de simples raisons de sécurité, il était difficile voire impossible de concentrer des centaines et des centaines voire des milliers d'esclaves sur une même plantation (ce qui gênait donc la concentration du travail, et allait contre la constitution de monopoles), 3°/ cette méthode productive était difficile pour ne pas dire impossible à mettre en œuvre en dehors du secteur agricole (certes indispensable à l'économie mais dont la valeur ajoutée, même en agriculture extensive, reste somme toute modeste), dans l'industrie en plein essor notamment, 4°/ elle était incompatible avec le progrès technologique (mécanisation de l'agriculture), voué de toute façon à la faire disparaître, 5°/ les esclaves, qui représentaient le tiers de la population dans le Sud des États-Unis et 80% ou plus dans les Caraïbes, ne pouvaient pas (cf. ce que nous avons dit plus haut) représenter un marché (débouché commercial pour la production) de manière significative. Ce sont toutes ces raisons (et l'on pourrait encore sans doute en citer d'autres), et non des considérations d'"humanité", qui ont amené au 19e siècle les bourgeoisies européennes et américaines à pencher majoritairement en faveur de l'abolition de l'esclavage, bien que celui-ci représentât (à première vue) la forme d'exploitation la plus totale (et donc le profit maximal tiré de la force de travail) que l'on puisse imaginer. Si l'on adopte une vision "arithmétique" de la définition marxiste "classique" de la surexploitation, les paradoxes ne manquent de toute façon pas : les travailleurs les plus exploités pourraient ainsi bien être, par exemple... les footballeurs, si l'on mettait en perspective leurs (multimillionnaires) revenus annuels avec ce qu'ils rapportent à leurs clubs. C'est pourquoi une vision plus "humaine", basée sur la notion de reproduction des conditions d'existence, nous a semblé plus appropriée.]

    *** "Lesmaterialistes.com" ('p''c'F'mlm') ne sont d'ailleurs pas les seuls à avoir cette vision des choses (l'on pourrait encore citer, dans une certaine mesure, "Futur Rouge" ou du moins certains éléments, sans même parler des "gauchistes" dans une vision partiellement ou totalement "antideutsch"). Si l'on veut - donc - résumer en dernière analyse ces deux conceptions du monde qui s'opposent :

    - Pour ces personnes se réclamant du communisme, le pays impérialisés "mériteraient" en fin de compte cette domination parce qu'ils seraient "féodaux", et devraient donc d'abord et en premier lieu lutter contre cette "féodalité" qui les "gangrène" pour pouvoir prétendre se libérer de l'impérialisme.

    - Pour nous, c'est exactement l'inverse : oui, certes, à un moment donné de l'Histoire, l'"arriération" de ces pays (loi du développement inégal des forces productives) a permis aux puissances capitalistes occidentales, soit par les investissements financiers et technologiques, soit par la force militaire soit (le plus souvent) par les deux, d'asseoir leur domination dessus ; mais depuis lors, c'est cette domination impérialiste qui a en quelque sorte "volé" à ces pays tout le processus de luttes démocratiques que l'Occident a pu traverser ces 200 dernières années, les maintenant dans ce qui à nos yeux occidentaux peut apparaître "arriéré", "moyenâgeux" ou encore "obscurantiste"... C'est donc la lutte contre l'impérialisme, l'arrachement à la domination des monopoles impérialistes qui doit primer et qui est la CONDITION pour que ces sociétés puissent "évoluer", se démocratiser, s'émanciper dans tous les sens du terme, en suivant une voie qui n'a d'ailleurs aucune raison d'être parfaitement conforme à nos "canons" occidentaux de la "modernité" et autres "Lumières". Et nous considérons ouvertement qu'à un certain stade (premier, débutant) de cette lutte, des forces "féodales rebelles" peuvent être des alliées tactiques pour - à tout le moins - "secouer le cocotier" de la domination impérialiste ; ou encore des forces expression du "capitalisme d'en bas", "populaire spontané", "des entrailles" de la société ("du souk" ou "du bāzār" dans les pays musulmans) où les gens produisent et vendent, bref font du bizness et certains deviennent riches et d'autres pas, comme l'est typiquement l'"islamisme" ; sans même parler de forces liées en réalité à l'"économie naturelle", à la "société populaire traditionnelle-solidaire", qui ont quasi-systématiquement tendance à être confondues avec la "féodalité" dans la pensée occidentale "progressiste lumiéreuse" qui caractérise tant de nos marxistes ou libertaires...  

     


    2 commentaires

  • Affirmer au sujet de tel ou tel slogan maocqu'il est ou a été "utilisé par les fascistes" (en lien une image publiée sur le site de nos grands "amis" qui en sont friands, mais l'argument est récurrent dans le débat politique d'"extrême-gauche") n'a tout simplement aucun sens.

    Pourquoi ? La réponse tient en une phrase : tout simplement parce que LE FASCISME N'EST PAS LA MÊME CHOSE QUE LA DICTATURE RÉACTIONNAIRE "CLASSIQUE", comme celle qu'il peut y avoir dans les "républiques bananières" du "Tiers-Monde" ou comme ce que l'on a pu connaître sous les différents règnes du "Parti de l'Ordre" en Hexagone au 19e siècle, ou encore sous l'autocratie tsariste qui régnait en Russie avant la Révolution bolchévique : en substance, "fermez vos gueules ou on tire dans le tas".

    Le fascisme se caractérise - c'est même sa première caractéristique - par le fait de chercher à "PARLER AU PEUPLE" et pour cela il s'empare de véritables aspirations populaires, il apporte (pour reprendre les termes d'un dirigeant "socialiste" bien connu) de "mauvaises réponses à de bonnes questions" (de mauvaises réponses qui sont finalement, comme nous l'avons déjà dit dans un précédent article, les défenses immunitaires du système).

    En d'autres termes, le fascisme ne consiste pas seulement en l'écrasement pur et simple d'un des termes de la contradiction : prolétariat par la bourgeoisie, classes dominées-exploitées par la classe dominante-exploiteuse en général, nationalités et autre communautés dominées-subordonnées par la nationalité dominante etc. etc. Il cherche aussi - et même surtout - à nier, à "aplanir", à "arranger" les contradictions dans lesquelles la classe dominante perçoit - à raison - un danger pour sa domination.

    C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il va non seulement agiter le spectre d'"ennemis" fantasmatiques, abstraits et (donc) impossibles à combattre, mais aussi (car cela n'a qu'un temps...) désigner des ennemis bien concrets contre lesquels unir les termes de la contradiction qu'il veut nier - à partir de quoi les personnes incarnant cet "ennemi concret" vont bien sûr souffrir.

    C'est ainsi que par exemple, dans l’État capitaliste et multinational "France" des années 1890 à 1940, le maurrassisme (Action française) a consisté en une proposition stratégique pour unir toutes les classes et les nationalités réelles contre 1°/ les puissances capitalistes-impérialistes étrangères concurrentes (principalement l'Allemagne, mais l'"arrogante" Angleterre - la perfide Albion - n'était pas en reste), 2°/ le socialisme, les "partageux" (révolutionnaires) et la "guerre civile" (lutte révolutionnaire de classe), 3°/ la "juiverie" et la "maçonnerie" autrement dit la bourgeoisie républicaine et libérale, supposée "ouvrir la porte" aux "partageux" et à la "guerre civile" ; tout cela pour - bien sûr - la survie et si possible le triomphe de "la France", autrement dit du système capitaliste organisé sous ce nom. Cette proposition s'opposait à celle de la République de Jules Ferry et Clemenceau, fondée sur l'assimilation-uniformisation "républicaine" "française" des différents Peuples et des classes sociales antagoniques dans un même élan "républicain" et "patriotique"... contre les mêmes ennemis sauf le troisième (puissances concurrentes - en premier lieu les "Boches" - et "spectre de la guerre civile", mais bien sûr pas la bourgeoisie républicaine et libérale puisqu'il s'agissait d'eux-mêmes !), tandis que Maurras et l'Action française prônaient la reconnaissance et la valorisation des différents Peuples de l’État français avec pour "ciment" le Roi et l’Église catholique (d'autres courants, républicains réactionnaires ou bonapartistes ou éventuellement orléanistes, étaient eux aussi sur une ligne d'intégration-négation "française" mais avec un exécutif fort, "césariste" - la plupart des "ligues" des années 1920-30 étaient de fait sur cette ligne-là, les partisans de Maurras étant une minorité).

    Kemi-Seba.jpgEt c'est ainsi que de la même manière, alors que la multinationalité de la "France" a encore été renforcée par l'immigration (importation massive de force de travail pendant la période de croissance capitaliste des "Trente Glorieuses" 1945-75), la nébuleuse Dieudonné-Soral-Séba & co va faire exactement la même proposition stratégique au sujet des "minorités visibles" (prolétaires et petits bourgeois colonisés intérieurs d'origine extra-européenne) ; s'opposant en cela à la proposition d'"intégration"-assimilation "républicaine" et au (plus prosaïque) mainstream d'extrême-droite "la France tu l'aimes ou tu te casses" (le soralisme tend cependant assez souvent vers l'intégrationnisme et l'"intégrationnisme républicain" dérive de plus en plus souvent vers un "cassez-vous" à l'endroit des "réfractaires", comme l'illustre typiquement le cas d'Alain Finkielkraut). Et contre quoi va-t-on unir tout ce "beau monde" ? C'est simple : contre la concurrence capitaliste-impérialiste internationale principalement US/anglo-saxonne, ce qui va forcément séduire les courants du Grand Capital bleu-blanc-rouge qui voient le plus leurs intérêts diverger de ceux d'outre-Atlantique et qui va s'avérer relativement facile auprès de couches populaires chez qui les États-Unis (en raison de leur politique impérialiste) n'ont pas bonne presse ; contre une "finance apatride/mondialiste" désignant en réalité la CRISE du capitalisme (insurrection du Capital contre sa propre crise) ; et puis bien sûr... contre la communauté juive (rebaptisée "sionistes" ou "talmudistes") accusée d'être la "5e colonne" de cet "ordre mondial américano-sioniste" en Hexagone (Israël, honni pour des tas d'excellentes raisons dans les catégories concernées, étant dépeint comme le "quartier général" de ce "talmudisme" et, pire encore que le fer de lance de l'impérialisme US au Machrek arabe, comme le véritable "maître" de celui-ci). Les "gauchistes", c'est-à-dire les RÉVOLUTIONNAIRES qui veulent vraiment le renversement du capitalisme et son remplacement par une autre société collectiviste et égalitaire, la fin de toutes les hiérarchies sociales, les injustices et les oppressions, sont bien entendu des "idiots utiles" du "sionisme" et du "mondialisme"... CQFD.

    Les exemples abondent à travers l'histoire ; de fait, ce sont TOUS les fascismes qui ont ces caractéristiques. Le nazisme allemand prétendait unir le Capital et les travailleurs allemands contre les Juifs, les puissances étrangères rivales (qui avaient vaincu et effectivement humilié l'impérialisme allemand après 1918) elles-mêmes "agents des Juifs", les "agents intérieurs" des Juifs à savoir le communisme, le socialisme et le libéralisme politique bourgeois, un "capitalisme" désignant en réalité les seuls symptômes de la crise capitaliste (spéculation financière etc.) et lui aussi assimilé aux Juifs (et opposé à un "bon" capitalisme appelé "socialisme national"), tout ceci tourné vers un objectif militaire de revanche contre les vainqueurs de l'Ouest et d'expansion impériale à l'Est (anéantissant du même coup l'URSS marxiste-léninste, ce qui n'était pas pour déplaire à la bourgeoisie allemande). Le fascisme italien prétendait de même unir la bourgeoisie et les ouvriers/paysans de l’État italien principalement contre les puissances étrangères concurrentes (qui "méprisaient" et "humiliaient" l'impérialisme "faible" italien : concept de la nation prolétaire développé dès 1914 par le nationaliste monarchiste et conservateur Corradini), dans une démarche d'expansion impériale en Afrique et en Méditerranée et de développement économique fondé sur le pragmatisme ("révolutionnaire ou réactionnaire, socialiste ou libéral selon les circonstances" disait Mussolini), en luttant "pour" cela contre le "spectre de la division" autrement dit de la lutte des classes (situation révolutionnaire de quasi-guerre civile autour de 1920) et donc contre les "agents" de cela (les révolutionnaires socialistes, marxistes, anarchistes etc.). Dans un État fondé - en substance - sur la conquête du Sud (ancien Royaume de Naples) par le Nord (Piémont, Lombardie-Vénétie, Ligurie, Toscane etc.), le régime fasciste cherchera également à s'approprier le principal instrument de contrôle politique des masses méridionales : l’Église catholique (accords du Latran) ; tout en luttant contre les forces centrifuges (en particuliers les mafias) et en flattant le Nord industriel (mais aussi le Sud arriéré) par un "modernisme" effréné. 

    Tout ceci, comme nous le voyons bien, ce n'est donc pas la "révolution" (écrasement du terme réactionnaire, oppresseur-exploiteur de la contradiction : le fascisme peut se prétendre "révolutionnaire" mais il n'est en réalité - on l'a dit - que l'insurrection du capitalisme contre sa propre crise) ; mais ce n'est pas non plus simplement - bien que cela le soit - la réaction (écrasement du terme opprimé-exploité-révolté de la contradiction) : il y a bel et bien une recherche de négation, d'"aplanissement" de la contradiction en amenant la contradiction "ailleurs" qu'entre ses termes réels - l'exploiteur/oppresseur et l'exploité/opprimé réels.

    images Et pour cela... il va bien falloir S'EMPARER des questions et des contradictions qu'elles expriment (question = expression en termes politiques d'une contradiction sociale) afin de les nier, de dire que "tout cela peut s'arranger" et que "le vrai ennemi est ailleurs", et de mettre ceux qui les posent... AU SERVICE de ceux contre qui elles sont posées, dans ce qui s'appelle une MOBILISATION RÉACTIONNAIRE DE MASSE.

    Le fascisme italien est bien entendu arrivé au pouvoir en s'emparant de la question de la misère généralisée et de l'arriération qui frappaient alors l'Italie et en y apportant pour "réponse" que c'était "parce que" les autres puissances ne la "respectaient pas", et qu'en "s'y mettant tous" (sans "bolchéviqueries" cela va de soi...) "on" réussirait à faire de la "nation prolétaire" italienne une puissance respectée où il n'y aurait plus de misère. Le nazisme allemand s'est bien sûr appuyé - de la même manière - sur la misère abyssale qui frappait les ouvriers, les paysans et les autres classes populaires d'Allemagne suite à la défaite de l'impérialisme allemand contre ses concurrents impérialistes ; la "réponse" étant ici de "s'y mettre tous" pour prendre sa revanche contre cette défaite et ses responsables extérieurs (les ennemis victorieux) et intérieurs (socialistes/communistes, Juifs, libéraux, "décadents" etc.).

    Le maurrassisme, comme nous l'avons vu, ne consistait pas à dire aux ouvriers et aux paysans "contentez-vous de travailler dur et de vivre honnêtement de ce que vous gagnez, et surtout de fermer vos gueules sinon ça va barder", ni aux nationalités réelles "prière de parler français et de rester propre", de "ne pas parler patois et cracher par terre". Non, le maurrassisme S'EMPARAIT bel et bien de ces question sociales et nationales pour y "répondre" que la contradiction n'était - en réalité - pas où l'on croyait : centralisme politique, domination économique et négation culturelle n'étaient pas des attributs de la "France" (construction politique historique... de la monarchie capétienne au service de la bourgeoisie d'Île-de-France) mais de la "gauche" (la République "maçonnique" et "juive", les "idées de 1789") ; de même que l'exploitation capitaliste et ses conséquences les plus sombres, les crises (comme le reste du monde, l'Hexagone avait traversé une dure crise entre 1873 et les années 1890). Dans un système politique monarchique et catholique débarrassé de la "juiverie" et de la franc-maçonnerie, patrons et ouvriers, banquiers et entrepreneurs, paysans et propriétaires fonciers de toutes les "petites patries" (nationalités réelles) pourraient travailler en harmonie à la "prospérité générale" et à la grandeur de la "Grande Patrie" française. Autrement dit, le maurrassisme s'emparait des VRAIES et LÉGITIMES questions posées par les contradictions de l'entité politique-économique "France" pour les METTRE AU SERVICE, à coup de MAUVAISE RÉPONSES, de la classe dominante et de ses projets les plus réactionnaires - écrasement du mouvement ouvrier et guerre contre la concurrence impérialiste anglaise et allemande.

    jeunebretagneAujourd'hui l'extrême-droite s'empare toujours et pareillement des souffrances et de la désespérance infligées par le capitalisme aux classes populaires, et la "réponse" mainstream qui y est apportée consiste à montrer du doigt certes la concurrence capitaliste étrangère ("produisons et consommons français !"), certes les symptômes de la crise générale (qui a repris vers 1970) contre laquelle le fascisme est une "insurrection" - "spéculation", "financiarisation" etc. etc., mais surtout l'"immigration" et la "racaille" ("française de papier") qui en est issue. Cette immigration aurait été l"'instrument" d'un "certain patronat" ("plus soucieux de ses profits que de l'intérêt général") "contre les salaires, le droit du travail et les solidarités ouvrières" - et aujourd'hui, non contente d'avoir accompli cela, elle vous brûle votre bagnole ou vous vole votre portable que vous avez saigné sang et eau pour vous payer, tout en servant de vivier électoral à l'"hyperclasse européiste/mondialiste UMPS". C'est initialement l'idéologue fasciste François Duprat qui avait "soufflé" l'idée de cette thématique à Jean-Marie Le Pen, afin de sortir son jeune parti (le Front National...) des vieilles thématiques antisémites, anti-"capital apatride" ou encore "Algérie française" devenues anachroniques (le nazisme avait - pour reprendre les mots de Bernanos - "déshonoré l'antisémitisme", l'Algérie était bel et bien indépendante sans espoir de reconquête et la nouvelle crise tendait plutôt à imposer comme "solution" au capitalisme la liquidation des "solutions" keynésiennes apportées à la précédente, mouvement "néolibéral" que le FN suivra pendant très longtemps, s'affirmant "reaganien" tout au long des années 1980). Elle s'est depuis déclinée au gré de "l'air du temps", encore reprise y compris par Soral et ses affidés... issus de ladite immigration ("Mathias Cardet"), ou encore focalisée sur la question de l'islam - à la fois religion de la grande majorité de "l'immigration" et idéologie de forces perçues comme une menace stratégique par l'impérialisme occidental, ce qui permet en passant à des personnes "pas du tout d'extrême-droite" d'assumer désormais ce discours de manière "tout à fait respectable"... Là encore, comme nous le voyons bien, la question sociale ("misère", "exclusion", "désespérance") est saisie par les fascistes pour y "répondre" que ce n'est pas une question de capitalisme (en tout cas pas entendu dans son sens réel : exploitation, extorsion de la plus-value et recherche de la plus-value maximale), mais SEULEMENT d'un certain patronat (trop "avide" et "égoïste", et/ou "mondialiste")... et des "immigrés" dont il a "rempli la France".

    Mais nous avons également vu qu'un courant, le soralisme, tente quant à lui de répéter la proposition de Maurras (aux Peuples emprisonnés dans l’État "France") à l'attention - cette fois - de ces fameux "immigrés" et de leurs descendants - il pose, donc, la question du colonialisme intérieur (et au-delà de la domination impérialiste sur le "tiers-monde", question intimement liée). Puisque le "problème" ne peut pas être ces "immigrés" et leur descendance en question, on va "réactiver" les vieilles thématiques de l'époque maurrassienne : Juifs, francs-maçons, concurrence impérialiste étrangère (cette fois-ci principalement US/anglo-saxonne). La France serait dirigée par les "siono-maçonno-américano-pédo-<wbr>mondialo-satanistes". Ce sont ces derniers (là, tout de même, on reprend la thèse Duprat) qui ont fait venir les immigrés. Mais aujourd'hui, "tranquilles les gars", il n'est "plus question de vous rejeter physiquement à la mer". La France est "bonne mère", contrairement à ce que prétendent ces gens qui la disent "raciste" alors que ce sont eux qui vous ont entassés dans des ghettos délabrés. Avec "un peu de bonne volonté" de votre part, on a moyen d'être très copains (hop ! la contradiction racisme/racisés et impérialisme/néocolonisés est "surmontée" en deux coups de cuiller à pot...). Catholiques et "latins" d'un côté, musulmans de l'autre, on a beaucoup de valeurs en commun (Soral pense là au sexisme, à l'homophobie etc. dont il est un champion incontesté). Et puis aussi, on partage "beaucoup d'ennemis" : l'Amérique, le sionisme, le "système" satano-maçonno-pédo-sioniste qui (comme on vient de vous l'expliquer) vous a fait venir pour casser les droits ouvriers des Français puis vous a mis dans des ghettos, les "gauchistes" qui se disent antiracistes mais en réalité vous méprisent et vous manipulent, etc. etc. Alors, réconcilions-nous ! Le problème n'est donc plus l'impérialisme français et son reflet en métropole qu'est le colonialisme intérieur : "c'est" l'impérialisme concurrent US, lui-même aux mains du "sionisme international", et s'il y a un "problème indigène" en "France" c'est parce que la "France" est tombée aux mains de ces gens-là via l'"UMPS", le CRIF etc. etc.

    militantPour fonctionner, ce discours va aller s'appuyer sur une certaine "tradition" de fascisme "tiers-mondiste", qui était d'ailleurs celle... de Duprat en son temps : là encore, il s'agit au service des intérêts impérialistes français d'essayer d'"aplanir" une contradiction, celle qui oppose l’État impérialiste qu'est la France aux pays semi-coloniaux africains, arabes ou autres (on s'empare donc de la question de l'impérialisme), en présentant ladite France comme leur "alliée" potentielle contre la superpuissance US et - notamment - l'un de ses principaux alliés qu'est Israël (si telle n'est pas la politique française au moment où l'on parle, c'est bien sûr parce que la France est "aux mains des larbins de Washington et Tel-Aviv", mais cela changera quand "on" sera au pouvoir rassurez-vous !). Tel était le sens du slogan du GUD dans les années 1990 : "Paris-Gaza-Intifada", autrement dit "Palestine, l'impérialisme bleu-blanc-rouge est avec toi" (une fois qu'on l'aura libéré des "atlanto-mondialo-sionistes" qui le "contrôlent" bien sûr...) ; slogan que des camarades antifascistes parisiens ont eux aussi été accusés de "reprendre" ("Paris Gaza Antifa") alors qu'ils cherchaient simplement, justement... à ne plus laisser la question palestinienne à des fascistes comme Dieudonné, le GUD et consorts.

    Allons maintenant plus directement sur ce soi-disant "slogan fasciste" de "Naître, consommer, mourir". De fait, c'est sans aucun doute un slogan qui a pu être utilisé par des groupes fascistes mais ceux-ci ne l'ont nullement inventé ; le slogan complet disant d'ailleurs "Naître, produire (ou travailler), consommer, mourir" : pour les fascistes qui l'ont (soi-disant) repris "produire/travailler" n'était donc manifestement pas un problème, il s'agissait simplement (sans doute) de savoir "vivre simplement", "épargner" et "léguer à ses enfants" (rien qu'un grand classique de l'idéologie française), ou alors que "s'il y avait la guerre" (à l'époque il y avait le "péril rouge", aujourd'hui le "péril islamiste") une société "consumériste" et "superficielle" ne "ferait pas le poids".

    Ce slogan vient en réalité s'emparer de la question des chocs de modernité. À certaines périodes de l'histoire, l'accumulation capitaliste et le développement des forces productives sont tels que "le monde va trop vite" pour les consciences populaires : c'était typiquement le cas de la période allant de la seconde moitié du 19e siècle à 1914 (époque de Maurras...), avec son industrialisation massive de la production et une dépersonnalisation sans précédent de l'acte et de l'individu productif (taylorisme, fordisme etc.) ; et ça l'est encore de celle allant des "Trente Glorieuses" (époque du "slogan fasciste" en question ici) jusqu'à nos jours avec l'automatisation/informatisation de la production et de la vie quotidienne en général, un consumérisme généralisé et omniprésent (cf. ci-dessous), la mondialisation de la production (avec une concurrence internationale suraigüe) et son corollaire qu'est l'arrivée massive de force de travail immigrée extra-européenne, etc. etc. De réelles et concrètes améliorations sont apportées dans la vie sociale quotidienne, mais il n'y en a pas moins un sentiment de malaise... car tout ce progrès est capitaliste et imposé à des masses populaires qui n'en ont pas la maîtrise et qui se sentent - non sans raisons - des "pions" dans le processus, des "bouts de bois ballottés sur les vagues", "machinisées" et/ou "marchandisées" en tant que force de production et/ou de consommation etc. etc.

    Cette problématique est étroitement connectée à d'autres comme celle du fétichisme de la marchandise (dont parlait déjà Marx au 19e siècle) ou encore celle de la société de consommation c'est-à-dire de la transformation du producteur en consommateur frénétique de marchandise produite, seul moyen trouvé pour enrayer la chute du taux de profit : on augmente d'un côté les salaires (part de la valeur produite allouée au travailleur) pour garantir la paix sociale... mais on met tout en œuvre de l'autre pour que le plus possible de cette part de valeur retourne dans les poches du Capital à travers une dépense quotidienne pour acheter les produits de ses entreprises, quitte à induire voire créer de toute pièce la demande (pousser à la consommation par la publicité, la "mode") etc. etc.[1]

    Pour les marxistes, la question n'est en réalité pas celle de la production ou de la marchandise en soi mais le fait que les producteurs (et consommateurs "derrière") n'aient pas la propriété des moyens de produire cette marchandise, la maîtrise des procès de production. La réponse est donc simple : ils doivent s'emparer - collectivement - de cette propriété et de cette maîtrise de la production. La force de travail (qui n'est autre que la personne humaine !) cessera alors d'être une marchandise échangée contre salaire, la production et les besoins iront en coïncidant, le "consumérisme" cessera d'exister puisque le "salaire" consistera en la satisfaction des besoins de chacun et non en un moyen d'acheter de la marchandise (à "tout prix") pour en réaliser la valeur et la transformer en véritable plus-value.

    Mais les fascistes vont, eux aussi, se saisir de ce malaise [2]. Ils l'ont toujours fait, à toutes les époques, d'autant plus que ces périodes d'accumulation et de "choc de modernité" sont généralement suivies de crises (1873-95, années 1920-30, années 1970 à nos jours) au cours desquelles ils surgissent et prospèrent (c'est là que le Capital a besoin d'eux !). Bien entendu, tout ce que nous venons d'expliquer ci-dessus, ils ne peuvent absolument pas y toucher car on est là au CŒUR MÊME du mécanisme capitaliste (que leur but réel est de protéger, pas de remettre en cause)... Alors, ce qu'ils vont généralement faire, c'est inciter les masses populaires à regarder vers un passé idéalisé où l'on "vivait vrai", où la vie sociale reposait (soi-disant) sur le "travail", la "vie honnête des fruits de celui-ci", "l'épargne", les "valeurs" etc. etc. Il arrive que ce passé idéalisé soit lointain : époque des salaf (compagnons du Prophète, soit le 7e siècle) pour certains "islamistes", époque biblique pour certains sionistes, Ancien Régime pour les royalistes etc. etc., ce qui ne va pas empêcher leur activisme politique... d'utiliser tous les moyens offerts par le "monde moderne" honni. D'autres, plus pragmatiquement, vont tourner les regards vers des époques que des personnes en vie ont connues - et qu'elles peuvent raconter aux plus jeunes. Mais là, cela va être "rigolo"... À l'époque du fameux "slogan fasciste des années 1970", il est vraisemblable que ses utilisateurs incitaient à regarder vers "avant la société de consommation", vers la France encore majoritairement rurale et "frugale" des années 1920-30-40 qu'exaltait la "Révolution nationale" de Vichy. Mais aujourd'hui, cela va plutôt être vers la "société de croissance" et en même d'"ordre" et de "valeurs" des années 1950-60... cette même société où a émergé la consommation de masse ! Il faut rappeler ici la règle n°1 avec le fascisme : ne pas chercher la cohérence !

    Nous avons donc vu comment le fascisme consiste à nier ou détourner les contradictions de la société en s'emparant (pour cela) des questions que ces contradictions posent ; mais aussi que les marxistes peuvent et doivent apporter les bonnes réponses à ces vraies et légitimes questions - le marxisme est une science de la réalité sociale et il n'y aucune question du domaine du réel à laquelle il ne puisse répondre (s'il ne le peut pas, c'est qu'il n'a pas cherché et s'il cherche, il trouve !).

    Jeune Bretagne operation nettoyageMais face à cette pratique du fascisme, il y a aussi une autre posture possible : puisque toutes ces questions sont prises en main par des fascistes qui y apportent de mauvaises réponses, c'est donc que les questions EN ELLES-MÊMES sont "mauvaises", "illégitimes", "nulles et non avenues". Cette posture, puisqu'il faut lui donner un nom, nous lui en avons donné un : il s'agit (en ouvrant grands les guillemets) de l'"antifascisme" bourgeois. L'"antifascisme" d'une bourgeoisie "républicaine" et "libérale" qui est ELLE AUSSI, il faut le rappeler, une formidable négatrice de questions et de contradictions sous le (sacro-saint) concept de "citoyenneté républicaine" (dès lors que tout un chacun a une attitude "républicaine" tout va bien, c'est lorsque l'on n'est "pas républicain" que cela ne va pas) et qui ne va donc même pas apporter de mauvaises réponses aux bonnes questions... mais tout simplement refuser qu'elles soient posées [la version "gauchiste" de cela consistant à nier toute autre question que "la lutte des classes", la stricte lutte ouvrier-bourgeois (contradiction à la base des autres, mais pas du tout la seule !) : il faut bien comprendre que beaucoup de "révolutionnaires" ("marxistes" ou "anarchistes") sont en réalité des petits bourgeois dont le système capitaliste qu'ils disent combattre est en même temps le râtelier (un râtelier qui ne leur fait peut-être, simplement, pas assez de place à leur goût) ; il leur faut donc "stériliser" d'entrée de jeu la lutte révolutionnaire qu'ils prétendent mener (l'empêcher d'être victorieuse), et réduire cette lutte à une stricte opposition mondiale prolétaire-bourgeois est la meilleure manière de le faire].

    Si des réponses réactionnaires (maurrassiennes ou carrément séparatistes nazillonnes façon PNB) sont apportées à la question des Peuples emprisonnés et niés dans les États modernes produits du capitalisme, c'est donc que poser cette question est en soi réactionnaire (comme le 'p''c''mlm' le dit ouvertement : "des projets « nationaux » fictifs - Bretagne, Occitanie, etc.")[3]. Si Soral, Kémi Séba ou des réactionnaires religieux ("islamistes") "répondent" de manière réactionnaire à la question "indigène" des colonies intérieures, c'est que poser cette question est en soi réactionnaire. Si des fascistes (Soral-Dieudonné, GUD ou autres) s'affirment "du côté" des Palestiniens contre le sionisme, il n'est donc pas légitime de poser la question de la Palestine colonisée et apartheidisée par le sionisme (avec la bénédiction des fractions bourgeoises - pour le moment - au pouvoir dans les impérialismes occidentaux). Si des fascistes s'emparent de la question de l'angoisse des masses populaires face aux "chocs de modernité", au consumérisme qui emprisonne le producteur (avec son maigre salaire) dans la consommation (lui faisant en quelque sorte... rendre immédiatement au Capital ce que celui-ci lui a "donné" !), à l'individualisme et au recul des solidarités etc. etc., c'est donc que ces questions ne doivent pas être posées. Idem pour la question de l'écologie (des fascistes ayant même tenté d'infiltrer la ZAD du Testet !) et ainsi de suite... Circulez, y a rien à voir ! Poser ces questions c'est être un "fasciste en puissance", un "anticapitaliste romantique" "suintant (généralement) l'antisémitisme par tous les pores"... et elles sont dès lors laissées sur un plateau d'argent aux fascistes qui voudraient s'en emparer (ce qui viendra encore renforcer l'argumentaire "républicain" et ainsi de suite... jusqu'au jour où plus de gens écouteront les fascistes que les "républicains" et là... oups !).

    Mais alors, là, coinçons un peu nos négateurs "gauchistes" de questions/contradictions : si le FN et autres propagandistes xénophobes, islamophobes et "anti-remplacistes" "répondent" (par la xénophobie et l'islamophobie) aux souffrances et à la désespérance sociale des classes populaires "blanches"... est-ce alors qu'il ne faut pas poser la (grande, la fameuse) QUESTION DE CLASSE ??? Là, en général, le "gauchiste" (anarchiste, trotskyste, "stal", luxemburgiste ou autre) est coincé ; il va le plus souvent tenter de s'en sortir en coupant court au débat ("tu mélanges tout", "tes arguments ne veulent rien dire", "ta mauvaise foi t'étouffe" etc. etc.). Le 'p''c''mlm' [4], lui, est plus ou moins sorti de ce "coinçage" : il assume de plus en plus ouvertement que face à l'islam et au "communautarisme" on "peut comprendre" la "classe ouvrière" qui vote Le Pen (ou les "personnes juives" qui se tournent vers la LDJ, le sionisme ultra, émigrent en Israël etc.) - du coup, on n'est plus seulement dans la bonne question mais aussi... dans la mauvaise réponse (apportée par les fascistes) à la souffrance et à l'angoisse sociale : "l'immigration" et ses descendants seraient "effectivement" un "problème" pour la "dignité du réel" populaire.

    En attendant, l'"antifascisme" bourgeois s'est enrichi d'un nouveau terme - assez rigolo il faut dire : "hippie de droite" pour désigner toutes ces (fichues) personnes qui ne savent point cacher ces questions que la République des Lumières, de la culture et de la civilisation ne saurait voir...


    [1] Ce phénomène postérieur à la Seconde Guerre mondiale a fait l'objet d'études marxistes brillantes (bien que d'aucuns les qualifieront sans doute de "post-modernes"...). On peut citer à ce titre et vous inviter à lire (en vous prévenant que le style d'écriture est hélas peu accessible) l'excellent Gouttes de Soleil dans la Cité des Spectres de l'ex-brigadiste rouge italien Renato Curcio. 

    [2] Les religions, dont on connaît le regain populaire depuis une vingtaine d'années (que ce soit l'islam, le catholicisme, les églises évangéliques auprès - surtout - des communautés africaines ou caribéennes ou encore le judaïsme), sont elles aussi une recherche par les masses de réponses face à un sentiment de "perte de sens" dans l'existence sociale, de triomphe du consumérisme et du fétichisme de la marchandise ("matérialisme" selon leurs mots), de l'individualisme etc. etc. ; une manière (également) de réintégrer "artificiellement" une communauté sociale "solidaire" et "sincère" ; bref une quête de "gouttes de soleil dans la Cité des Spectres". Ce sont des réponses idéalistes mais attention, 1°/ tous les courants que ce soit du christianisme, de l'islam ou du judaïsme n'ont pas forcément une vision ultra-réactionnaire/fasciste ou médiévale de la société, ni ne sont des sectes vouées uniquement à enrichir leurs dirigeants et 2°/ les communistes doivent là encore, patiemment et sans posture dogmato-sectaire, se saisir des questions posées pour tenter d'amener peu à peu ces personnes des classes populaires vers le communisme.

    [3] Sur cette question de l'affirmation réactionnaire des Peuples niés par l'État moderne, il faut avoir aussi que pendant très longtemps la MOYENNE BOURGEOISIE nationaliste ou autonomiste a été la seule force sociale à détenir le capital intellectuel nécessaire pour porter cette affirmation, de manière - donc - forcément bourgeoise et généralement réactionnaire. Les classes laborieuses étaient "sans voix" ; les forces s'exprimant au nom du mouvement ouvrier et du prolétariat étant généralement des petits bourgeois, des fonctionnaires, des enseignants ou des (aristocrates-) ouvriers particulièrement "inclus" et se sentant "français", suivant le concept selon lequel "monter à la ville" pour y intégrer la classe ouvrière revenait à "entrer dans la civilisation" et abandonner son "patois", ses petits "obscurantismes" etc. etc. Les choses ont commencé à sérieusement changer à partir des Trente Glorieuses (par exemple en Occitanie avec la grève des mineurs de La Sala/"Decazeville"), mais il y aura malheureusement toujours assez - puisque 10 spécimens suffiraient ! - de petits fachos et autres illuminés réactionnaires à la Yann-Ber Tillenon pour que les jacobinards de tout poil y réduisent nos luttes...

    [4] Lire aussi son dernier article sur la question suite aux évènements insurrectionnels de Tolosa/Toulouse, Naoned/Nantes et quelques autres villes suite à la mort de Rémi Fraisse, plein (comme à l'accoutumée) de morgue et de donnage de leçons envers la jeunesse "petite-blanche" prolétarisée (la fameuse "génération qui vivra moins bien que ses parents") qui est pourtant, avec les "quartiers"-ghettos-à-"indigènes", l'autre grande force révolutionnaire de notre époque en Hexagone (même si nous pouvons admettre que la constructivité d'une certaine "casse" puisse être questionnée, mais pas de cette façon). Ceci montre et confirme bien qu'il n'y a plus grand chose d'ironique à les classer dans la même famille politique que l'UMP, Manuel Valls ou encore Mélenchon - c'est-à-dire la bourgeoisie "républicaine"... Ils réussissent même l'exploit de se retrouver même sur une position identique... à celle d'un site "emblématique" de la mouvance soralienne, le particulièrement pestilentiel Croah.fr de "Joe le Corbeau" : Des antifas dégénérés ravagent le centre-ville de Nantes. Quand on vous dit que toute cette merde croupit dans le même chiotte tricolore, et tend de plus en plus - sous la pression des masses en révolte - à former un seul bloc !


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  • En juillet 2012, le site Arab Maoists publiait un très intéressant texte en 20 points, reprenant d’ailleurs certaines réflexions que nous avions pu émettre sur les réseaux sociaux. Communistes révolutionnaires plutôt basés au Machrek (Liban, Syrie, camps palestiniens), aux portes immédiates des grandes secousses agitant la région (notamment le conflit syrien), ils faisaient alors l’objet de fourbes attaques de la part de la clique internationale autour des illuminés de la Voie Lactée (‘p’‘c’‘mlm’), les accusant d’être une mystification visant à nuire à leurs propres ‘maoïstes arabes’, groupe mystérieux (sans site ni rien) sur lequel couraient pour le coup de nombreuses rumeurs de pratique barbouzarde

    Presque deux ans se sont écoulés, et il semble pourtant valoir la peine de republier certains points de ce texte, abordant notamment la (très vaste) question du rapport entre religion et lutte des classes (ou de libération). Pourquoi cela ? Parce que nous sommes désormais dans une situation que l’on peut résumer en deux phrases :

    - Une très importante et menaçante montée du fascisme, de l’extrême-droite et autres idées réactionnaires ‘‘dures’’ (dans les urnes comme dans la rue), appelant une riposte populaire antifasciste sans concession ;

    - Une tentative, par certains milieux ‘‘antifascistes’’, de jeter UNE NOUVELLE FOIS cette mobilisation antifasciste dans les bras de la ‘‘gauche’’ républicaine bourgeoise (voire de la bourgeoisie autoproclamée ‘‘républicaine’’ dans son ensemble !), comme l’avait déjà fait le PC de Maurice Thorez. Une bourgeoisie républicaine qui aurait une ‘‘différence fondamentale de nature’’ avec le mouvement fasciste, ceci étant éventuellement basé sur un pseudo-argumentaire ‘‘marxiste’’ (du style bourgeoisie ‘‘traditionnelle’’ non-fasciste vs bourgeoisie ‘‘impérialiste’’ fasciste ; alors que le léninisme nous enseigne depuis près d’un siècle que dans un pays impérialiste la bourgeoisie impérialiste est au pouvoir, point).

    Une ‘‘gauche’’ qui, ici en ‘‘France’’, a une particularité fondamentale qu'il faut comprendre : elle ne se contente pas de se ‘‘défendre’’ contre la montée du fascisme ; elle a aussi une CARTE À Y JOUER pour mobiliser en masse, sur une ligne d’‘‘union sacrée républicaine’’, autour de la sacro-sainte ‘‘Républiiiiique’’ des monopoles (dans la vision qu'elle en a, car la droite et désormais l'ultra-majorité de l'extrême-droite sont aussi ‘‘républicaines’’), garante depuis 140 ans (sur les cadavres des Communards) des intérêts capitalistes ; dans le but de :

    1°/ soit (peu probable) conjurer la menace fasciste et déboucher sur une République et une idéologie républicaine ‘‘refondée’’ et renforcée sous son égide ;

    2°/ soit, si la nécessité fasciste s’impose au Capital hexagonal, y trouver sa place avec des ‘‘arguments’’ (en terme de troupes, d'influence dans la société etc.) pour se ‘‘vendre’’ au prix fort, comme elle l’a déjà fait en 1940 (sachant que cette fois-ci il n’y aura probablement pas d’occupation étrangère donc de problème ‘‘patriotique’’… donc un ‘‘frein’’ de moins !) ou, sans vouloir comparer abstraitement les deux situations, en 1958 ;

    3°/ soit enfin, si le fascisme s’impose puis est à son tour vaincu, déboucher non pas sur une situation révolutionnaire mais sur un nouveau ‘‘cycle républicain’’, une nouvelle sacro-sainte République capitaliste-impérialiste, là encore refondée-renforcée… par l’absorption ‘‘antifasciste’’ de ceux et celles qui étaient justement censé-e-s l’abattre ; ce qu'il s'est passé en 1944-46 !

    Pour que cela fonctionne, il y a une condition ; et cette condition est de ne pas dénoncer et affronter la tendance au fascisme en général mais seulement certaines de ses expressions en particulier ; ou carrément des choses directement qualifiées de fascistes alors qu’elles sont un  stade de conscience de masse pouvant tout autant évoluer vers le fascisme que vers l’antifascisme voire la conscience révolutionnaire, mais qui sont perçues (et à juste titre) comme une menace pour la République bourgeoise.

    chapt18img05Parmi ces choses, il y a la religion, les idées politiques mobilisatrices à caractère religieux, auxquelles est opposée la (tout aussi sacro-sainte) ‘‘laïcité républicaine’’. À cela près qu’aujourd’hui, comme tout le monde l’aura constaté, la religion majoritaire et dominante en Hexagone (le catholicisme) est plutôt en recul, largement sécularisée et, à une minorité d’intégristes et de royalistes près, respectueuse des ‘‘valeurs de la République’’ (‘‘cathos de gauche’’, démocrates-chrétiens, cathos conservateurs mais néanmoins républicains comme Christine Boutin etc.). La ‘‘menace’’ religieuse pour la sacro-sainte République viendrait donc, au défi du bon sens mais cela (en Hexagone) n’est pas grave, des religions MINORITAIRES et en particulier de la deuxième religion du pays : l’islam, qui a la particularité 1°/ d’être pratiqué en très grande majorité par des personnes prolétaires ou de classe populaire ; 2°/ d’être issu de pays ayant fait partie de l’Empire colonial bleu-blanc-rouge et restant (souvent) des néocolonies  aujourd’hui ; ses fidèles étant en quelque sorte des ‘‘ambassadeurs’’ de ces pays en Hexagone, soumis (dans leurs rapports au Capital et à l’État) au reflet métropolitain des rapports (internationaux) de domination impérialiste BBR sur les nations d’origine ; ‘‘ambassadeurs’’ aussi (rattachés à cela par l'idéologie dominante même contre leur gré) des grandes contradictions et agitations sociales et anti-impérialistes qui secouent le ‘‘monde arabo-musulman’’, ‘‘coupables’’ notamment (même si ce n'était individuellement pas le cas) du ‘‘crime’’ anti-républicain, intolérable à certains yeux, d'avoir la Palestine au cœur ; si bien qu'en définitive, le regain de sentiment religieux musulman est (avant toute chose) ‘‘coupable’’ d'être synonyme d’affirmation politique et sociale de classe populaire et de ‘‘colonisé-e-s intérieur-e-s’’ (doubles opprimé-e-s). 

    Sur ce point, la ‘‘gauche’’ républicaine et ‘‘laïque’’ va ni plus ni moins que converger totalement avec la droite et une grande partie (la très grande majorité en fait) de l’extrême-droite (désignée comme telle par le camp ‘‘républicain’’, mais se proclamant pour sa part elle aussi ‘‘républicaine’’)…

    Il va y avoir un petit problème, mais d’aucuns vont trouver la parade : cette extrême-droite-là ne sera tout simplement pas vraiment fasciste ; seuls seront réellement fascistes les courants assumant une ‘‘alliance’’ avec l’islam sur une base ‘‘tiers-mondiste’’ et ‘‘antisioniste’’, en y ajoutant éventuellement (pour faire bonne mesure) quelques courants nationaux-catholiques intégristes et autres ultras assumant de manière primaire leur racisme, leur sexisme et leur homophobie. Cela ne fera pas grand-monde et entrera en contradiction (sauf à admettre que tous les électeurs FN partagent en réalité ces idées-là) avec l’idée d’une montée ‘‘colossale’’ du fascisme qui justifierait une alliance avec la bourgeoisie ‘‘républicaine’’ ; mais la parade pourra être trouvée en Dieudonné, porteur de ces idées-là et connaissant (sur son capital d’ancienne ‘‘idole des quartiers’’) un certain succès, avec plusieurs centaines de milliers de ‘likes’ sur ses vidéos etc. Ces ‘likes’ internétiques (sans la moindre organisation de type politique et paramilitaire derrière, mais ce n’est pas grave !) deviendront la ‘‘peste brune’’ en marche,  justifiant de faire front avec le Ministère de l’Intérieur de Manuel Valls.

    D’autres (plutôt à droite, mais parfois voire souvent issus de la gauche jacobine et laïcarde) se prendront encore moins la tête : la nouvelle menace fasciste, associée en plus (c’est commode) avec l’idée d’occupation étrangère (vu que le fascisme, c’est bien connu, ne peut pas être made in France contrairement à la marinière d’Arnaud Montebourg), c’est l’islam, point ; et d’entonner aussitôt le Chant des Partisans… Tout cela nage en plein délire, mais on l’a déjà dit : ce n’est pas grave ! La mobilisation réactionnaire de masse, fasciste comme ‘‘républicaine’’, fait justement appel à l’irrationnel, habilement transformé en certitude absolue d’avoir raison ; et non au raisonnement, à l’étude des faits, à la confrontation des points de vue, à la réflexion et à l’analyse.

    La ‘‘France’’, dont nous avons longuement étudié (1-2-3-4) la formation comme appareil politique et idéologique de classe, est un ensemble social traversé de nombreuses contradictions (pas seulement de classe) ; d’où sa propension à la ‘‘division’’ tant déplorée à longueur de livres d’histoire officiels. L’une de ces contradictions, dès les Guerres de Religion voire dès la naissance du royaume capétien, a été la place de l’Église dans l’appareil d’État et dans la société – reflet, en fait, de très nombreuses autres contradictions, de classe ou tenant à la multinationalité réelle du pays. La 3e République, faisant entrer de plain-pied l’Hexagone dans l’ère des monopoles et de l’impérialisme, a alors décidé d’enterrer cette contradiction sous le concept de ‘‘laïcité’’, mélange de culte de la Raison comme sous la 1ère République conventionnelle et de catholicisme gallican ‘‘déconnecté’’ de la transcendance divine. Cette conception a été (parfois violemment) clivante à l’époque, entre ses partisans et les tenants de ‘‘l’héritage chrétien’’ catholique du pays ‘‘de Clovis et de Jeanne d’Arc’’ ; mais pas assez toutefois pour que le régime de Vichy mette en place une politique de re-catholicisation féroce : déjà confronté à une légitimité problématique (pour rester poli), il ne pouvait déjà plus (au début des années 1940) se permettre de cliver à son tour sur cette question, en s’attaquant frontalement à la partie républicaine, rationaliste et sécularisée du pays. Depuis les années 1960, on peut dire que le concept fait largement consensus et que si certains veulent défendre les ‘‘valeurs catholiques’’ dans le champ politique bourgeois, plus personne ne prône un système où la doctrine chrétienne aurait valeur de loi supérieure.

    Si bien qu’aujourd’hui, et depuis plusieurs dizaines d’années en réalité, la droite et l’extrême-droite mobilisent elles aussi sur le thème de la ‘‘laïcité républicaine’’… mais bien sûr, pas contre n’importe qui : contre le sentiment religieux musulman d’une grande partie des classes populaires. Et, hormis (parfois) de dire que l’islam ‘‘à condition de rester dans la sphère privée’’ n’est ‘‘pas un problème dans sa grande majorité’’ et que ‘‘les fanatiques sont une petite minorité’’, la ‘‘gauche’’ n’a évidemment rien à répondre à cela, quand elle n’y converge pas carrément et allègrement (André Gerin et compagnie). Elle est tout simplement totalement coincée face à un concept dont elle partage, avec quelques forces aujourd’hui de centre-droit, la paternité et qui fait partie de son identité politique ; concept qui se voulait ‘‘progressiste’’ à l’époque (il avait en réalité, bien entendu, ses ambivalences bourgeoises mais nous ne disserterons pas là-dessus cette fois), mais qui sert aujourd’hui ouvertement une mobilisation réactionnaire de masse et la met dans l’embarras. Cela ne l’empêche cependant pas (on revient encore une fois à la question de la rationalité, désormais totalement étrangère à la bourgeoisie ‘‘rationaliste’’) de chercher encore et toujours à mobiliser là-dessus, dans les 3 objectifs ci-dessus visés, aidée en cela par une partie conséquente de l’‘‘extrême-gauche’’.

    Le topo est donc celui-là : d’un côté la question religieuse et ‘‘laïque’’ focalisée sur l’islam va mobiliser pour le fascisme et la ‘‘droite radicale’’ (entre lesquels, contrairement à d’autres, nous ne faisons pas de différence : en un sens la ‘‘droite radical’’ est le parti politique et le fascisme la forme de gouvernement qu’il met en place), avec en prime un cache-sexe ‘‘moderne’’ et même ‘‘progressiste’’ bien commode ; tandis que de l’autre et en même temps, le rejet de ‘‘la religion’’ sans plus de précision (mais la pratique religieuse massive et ‘‘visible’’, encore une fois c’est l’islam) va mobiliser ‘‘républicainement’’ (‘‘à la Fourest’’) pour la ‘‘gauche’’ bourgeoise qui cherche à tirer son épingle du jeu et à utiliser l’antifascisme pour renforcer la République des monopoles, à grand renfort de ‘‘communistes’’, de ‘‘trotskystes’’, d’‘‘anarchistes’’ et même de ‘‘maoïstes’’ en perdition...

    Toutes ces questions méritent donc une réflexion approfondie, dans le but d’y trouver des réponses communistes mais déjà, à beaucoup plus court terme, de briser le halo de fantasmes et d’approches irrationnelles qui les entourent, ce qui revient à briser la mobilisation réactionnaire de masse, en mode ‘‘républicain’’ comme en mode ‘‘dieudo-soralien’’ se voulant ‘‘islamophile’’ (l’une comme l’autre copieusement abreuvées par des personnes se voulant ‘‘révolutionnaires’’).

    Ce texte est une contribution à cette réflexion ; contribution à laquelle nous avons nous-mêmes contribué puisque deux points reprennent des échanges que nous avons eu à l’époque avec ces camarades.

    arabmaoist5- Nous sommes des Révolutionnaires Arabes enracinés sur notre terre et parmi nos masses, groupés sous la bannière du maoïsme comme arme théorique et guide pratique dans la lutte. Nous sommes contre tout dogmatisme. Nous ne suivons pas des personnes : ni même Marx-Engels-Lénine-Staline-Mao… car ces GRANDS révolutionnaires et théoriciens ne sont pas pour nous des Totems ou des Dieux infaillibles. Nous avons dépassé ce stade enfantin et nous croyons que les peuples du monde arabe (et les autres peuples) ont quelque chose à dire et à ajouter pour enrichir le maoïsme comme pour fructifier la réflexion sur la révolution mondiale au XXIe siècle. Nous appelons nos camarades maoïstes à bien réfléchir sur ces paroles de Mao :

    « Il a existé dans notre Parti des camarades, tenants du dogmatisme, qui pendant longtemps ont rejeté l’expérience de la révolution chinoise, nié cette vérité que  le marxisme n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action, et n’ont fait qu’effrayer les gens à l’aide de mots et de phrases isolés, extraits au petit bonheur des textes marxistes.
    Il a existé également d’autres camarades, tenants de l’empirisme, qui pendant longtemps se sont cramponnés à leur expérience personnelle, limitée, sans comprendre l’importance de la théorie pour la pratique révolutionnaire ni voir la situation de la révolution dans son ensemble. Ils ont eu beau travailler avec zèle, leur travail se faisait à l’aveuglette.
    Les conceptions erronées de ces deux groupes de camarades, en particulier les conceptions dogmatiques, ont causé, au cours des années 1931-1934, un préjudice énorme à la révolution chinoise. » (Mao : De la pratique).
     

    7- Nous suivons des idées et des idéaux et non pas des slogans et des pancartes. Nous cherchons la vérité et la justice et non pas plaire ou être « politiquement correct ». Nous exposons toutes les thèses et idées au jugement de la pratique et de l’histoire, au niveau international comme au niveau arabe et local. Pour cette raison nous avons réussi à étudier les résultats des luttes de nos peuples au miroir des réalités concrètes et de l’histoire réelle, et non pas (comme le font tous les Voies Lactées du monde) au miroir du soi narcissique qui se croit le Dieu suprême… Nous avons étudié et appréhendé les transformations qui ont eu lieu depuis l’effondrement du mouvement maoïste international (en Occident) en 1975-1976 et jusqu’à nos jours, et ceci à la lumière de ces paroles de Mao : « Nous luttons dans nos rangs révolutionnaires contre les entêtés dont les idées ne suivent pas le rythme des modifications de la situation objective, ce 00881 PPPAqui, dans l’histoire, s’est manifesté sous la forme de l’opportunisme de droite. Ces gens ne voient pas que la lutte des contraires a déjà fait avancer le processus objectif alors que leur connaissance en reste encore au degré précédent.»
    Cette particularité est propre aux idées de tous les entêtés. Leurs idées sont coupées de la pratique sociale, et ils ne savent pas marcher devant le char de la société pour le guider, ils ne font que se traîner derrière, se plaignant qu’il aille trop vite et essayant de le ramener en arrière ou de le faire rouler en sens inverse.

    Nous sommes également contre les phraseurs “de gauche”.
    Leurs idées s’aventurent au-delà d’une étape de développement déterminée du processus objectif : les uns prennent leurs fantaisies pour des réalités, d’autres essaient de réaliser de force, dans le présent, des idéaux qui ne sont réalisables que dans l’avenir ; leurs idées, coupées de la pratique actuelle de la majorité des gens, coupées de la réalité actuelle, se traduisent dans l’action par l’aventurisme.
    L’idéalisme et le matérialisme mécaniste, l’opportunisme et l’aventurisme se caractérisent par la rupture entre le subjectif et l’objectif, par la séparation de la connaissance et de la pratique. ».
    (Mao : De la pratique).

    8- Nous étions et nous sommes indépendants de tout régime arabe et surtout des régimes criminels de Saddam Hussein en Iraq, Mouammar Qadhdhâfî en Lybie, et de la famille Asad en Syrie. Ces régimes n’ont pas seulement massacré leur peuple et liquidé tous les mouvements révolutionnaires, mais ils étaient aussi les vrais laquais de l’impérialisme et du sionisme qui continuent à soutenir le dernier dictateur Asad. Nous connaissons leurs crimes et nous avons combattus leurs politiques. Pour cela nous ne sommes pas dupes d’un soi-disant anti-impérialisme nationaliste vulgaire et réactionnaire car antipopulaire et anti-démocratique et à la solde du nouveau impérialisme tsariste russe. Plusieurs mouvements arabes de gauche ont utilisé la politique de s’acquérir le soutien d’un régime contre un autre : la Syrie contre l’Iraq et vice-versa, la Libye contre la Tunisie et le Maroc, la Syrie contre l’OLP, l’Algérie contre le Maroc etc. etc. Nous avons refusé et refusons cette politique qui a transformé ces mouvements en agents aux mains des régimes arabes dans leurs luttes intestines… La dépendance totale de ces mouvements (et parmi eux de soi-disant maoïstes) les a coupé des masses et de la réalité de la révolution qui gronde dans leur pays. Nous croyons que le Printemps arabe est l’action des chapt15img04peuples et non pas des Américains ou autres. Nous sommes aux côtés de nos peuples et nous n’entendons que la voix de nos peuples et ne répondons qu’à l’appel de la révolution.

    9- Le MLM est pour nous une recherche constante et permanente pour trouver les idées justes et les bonnes pratiques qui nous permettent de bien servir le peuple. Si nous adhérons à la ligne des masses c’est parce que nous la pratiquons dans toutes nos luttes. Nous visons à résoudre les contradictions au sein du peuple pour renforcer le front uni contre les adversaires du peuple. Nous pratiquons l’étude et l’enquête quotidienne au sein des masses. Nous adhérons aux théories de Mao concernant la contradiction et la pratique. Nous voulons créer notre propre idéologie de lutte et nos propres utiles de combat qui émanent de l’expérience de nos peuples et de nos masses.

    10- Le marxisme et le maoïsme ne furent pas adoptés par simple fascination théorique, mais bien en raison de leur dimension pratique. La recherche d’une voie endogène de libération nationale, de nouvelle démocratie, d’un chemin propre, qui ne soit pas un simple copié-collé d’un marxisme occidental considéré comme non-effectif dans les sociétés du tiers-monde, a encouragé dans les années 1960–1970 l’inspiration du  modèle chinois de libération nationale, puis le modèle maoïste de révolution culturelle. L’inspiration maoïste s’est retrouvée partout dans le monde arabe, en Europe, en Amérique latine, et jusqu’aux États-Unis, dans le mouvement des Blacks Panthers afro-américains qui brandissaient le Petit Livre Rouge de Mao. Le passage du modèle de marxisme occidental au maoïsme n’est, dans ce cadre, pas une anomalie sauvage, bien au contraire : le modèle de la Révolution culturelle, pour nombres de militants arabes, s’inscrit dans une totale continuité stratégique, celle d’élaborer une voie effective, endogène, ancrée dans un terreau social, culturel propre. De même que le marxisme asiatique (chinois, coréen, indien, népalais…etc..) a inventé une nouvelle manière de pratiquer le politique et la libération nationale, la Révolution arabe doit tracer pour ses militants de nouvelles routes et de nouvelles inspirations, mieux adaptées, selon eux, aux conditions internes du monde arabo-musulman.

    plo ira11- Le primat du politique (selon Mao), nous a amené à penser la singulière fonction mobilisatrice des religions dans l’histoire des luttes de libération nationale : l’islam n’en est qu’un exemple. L’IRA irlandaise, même socialisante, puisa une partie de son inspiration dans le catholicisme, l’identification religieuse devant aussi assurer la cohérence et la mobilisation d’une communauté irlandaise s’affrontant frontalement à un adversaire qui n’était pas seulement britannique, mais aussi protestant, le mouvement orangiste en Ulster ne manquant pas d’avancer aussi, pour sa part, une identité politico-religieuse anglicane. L’islam n’est donc pas une religion politique per se : elle l’est dans le cadre de conjonctures politiques précises, ou elle sert de ressource politique mobilisatrice, principale ou secondaire, selon la dominante idéologique de l’époque, et de forme d’identification et de solidarité centrale dans le cadre d’un affrontement que les acteurs politiques définissent aussi comme une guerre nord/sud, centre/périphérie.

    12- Nous sommes fiers d’avoir étudié l’Islam car c’est la culture de notre peuple, et d’avoir pratiqué une autocritique visant à s’approprier de la ligne de nos masses arabes musulmanes. Nous sommes fiers d’avoir combattu pour et avec les Musulmans, comme pour et avec tous les peuples opprimés du monde. Nous sommes fiers d’avoir une vision critique des aspects d’un marxisme euro-centriste, d’un léninisme ultra-partisan, d’un stalinisme ultra-étatique et d’un maoïsme ultragauchiste. Dans cette recherche critique nous n’avons aucun inconvénient à puiser dans les articles et livres et expériences de non-marxistes-léninistes ou de non-maoïstes. Nous sommes contre tout dogmatisme et toute adoration des textes et toute divinisation des personnes.

    « L’histoire de la connaissance humaine nous apprend que de nombreuses théories étaient d’une vérité incomplète, et que c’est leur vérification dans la pratique qui a permis de la compléter. Nombre de théories étaient erronées, et c’est leur vérification dans la pratique qui a permis d’en corriger les erreurs. C’est pourquoi la pratique est le critère de la vérité ». (Mao : De la pratique).

    13- L’islam politique est bien plus pluriel dans ses origines qu’on ne le croit. Il tire son histoire, aussi, des expériences politiques qui l’ont précédé, et des cadres et militants politiques aux parcours diversifiés qui l’ont rejoint. Il ne vient pas ex nihilo. L’espace politique islamique possède son propre parcours, certes, avec l’expérience des Frères musulmans en Égypte, du Parti ad-Dawa’ en Irak, des cercles religieux islamiques autour de l’Ayatollah Khomeyn. En même temps, il croise d’autres parcours politiques : ceux d’une partie de la gauche qui y bascule, ceux du nationalisme arabe, notamment nassérien, qui dans l’ambiguïté fondatrice qu’il garde entre nationalisme et islam prépare déjà, dans les « segments médians  » entre nationalisme et islam, le développement d’un islamisme fort.

    206945 teologia de la liberacion14- Ensuite, la question d’une théologie islamique de la libération (lire aussi ici) est une question non réglée : elle n’existe pas et n’a jamais existé à proprement parler, mais la multiplication des tentatives d’esquisses interroge toujours sur sa pertinence. L’expérience « maos » au Sud-Liban fait office, peut-être, d’utopie concrète non réalisée théoriquement, et trop tôt islamisée pour faire office de véritable synthèse entre marxisme maoïste et islam révolutionnaire. En définitive, il n’est pas possible de transposer le modèle sud-américain de théologie chrétienne de libération (les prêtres marxistes comme Camilo Torres et Manuel Pérez en Colombie, ainsi que les grands penseurs de cette théologie : Gustavo Gutierrez, Leonardo Boff, et Segundo Galilea) sur le Moyen-Orient islamique : cela relèverait d’une imagination rétrospective et fantasmée. Mais en même temps, oublier les expériences concrètes et historiques à l’œuvre reviendrait à éluder une question qui, dans ses tentatives inabouties mais répétées, ne cesse d’interroger le politique et le religieux, la gauche et l’islam, dans leurs rapports contrariés.

    15- « On ne parle jamais de “christianisme politique”. Et pourtant, c’est une réalité : des gens qui basent leur démarche politique dans la société sur leur foi chrétienne. Et ces gens-là, de fait, vont d’ultra-réactionnaires fascistes comme un Franco, un Pétain ou un Degrelle (ou leurs admirateurs actuels) à des quasi-marxistes comme un Camilo Torres ou un Manuel Pérez (prêtres catholiques dirigeants de l’ELN colombienne) ; en passant par des démocrates bourgeois “absolus” à la François Bayrou, des éléments à la fois plus “sociaux” et plus “conservateurs” (sur les “questions de société”) comme Christine Boutin, des réformistes sociaux “cathos de gauche” comme l’actuel Premier ministre Jean-Marc Ayrault, des “humanistes radicaux” comme Mgr cristo-con-fusilRomero qui dénonçait les escadrons fascistes du Salvador (et finit assassiné) ou le père Jean-Bertrand Aristide dans les années 1980 en Haïti [des militants pacifistes de l'égalité des droits comme Martin Luther King et Desmond Tutu ou des anti-esclavagistes partisans de l'action armée comme le célèbre John Brown, etc.] : autant dire que l’éventail est large !
    Il y a un “judaïsme politique” [attention ce terme est aussi employé par des fascistes pour désigner une soi-disante “mainmise juive” sur la politique des États occidentaux ; il n'est pas utilisé en ce sens ici] : des gens qui fondent leur démarche politique sur leur confession juive ou leur “judéité” [appartenance au “peuple juif” même sans croyance religieuse au Dieu d’Abraham, à la Torah etc.]. Cela est historiquement allé, dans sa composante précisément sioniste, du Lehi fascisant à l’Hashomer Hatzaïr “socialiste” ; et plus largement, sans se limiter au courant sioniste, des ultra-orthodoxes hassidiques au Bund marxiste, en passant par les libéraux-démocrates fondés sur la Haskala (les Lumières juives des 18e-19e siècles).
    Il n’en va tout simplement pas autrement pour “l’islam politique”, autrement dit les gens qui fondent leur démarche politique sur leur foi, ou en tout cas sur leur “identité” ou leur imprégnation culturelle musulmane… Nous allons avoir des régimes violemment réactionnaires et répressifs, antipopulaires, comme l’Iran (qui se veut toutefois “social” et nationaliste) ou l’Arabie saoudite. Ou un régime conservateur plus “libéral” comme le Makhzen marocain (qui se veut, rappelons-le, “commandeur des croyants”). Nous allons avoir les salafistes radicaux prônant un ordre moral brutal et un ultra-capitalisme de type calviniste puritain (et qui terrorisent actuellement les mouvements sociaux en Égypte ou en Tunisie), ou leurs relatifs équivalents bassidji iraniens ; ou alors les conservateurs plus “sociaux” et “pragmatiques” de type Frères musulmans, ou l’AKP turc que l’on pourrait qualifier de “démocrate-musulman” comme il y a des démocrates-chrétiens. Et puis l’on va avoir des éléments que l’on peut clairement rapprocher d’une “théologie de la libération” musulmane. La pensée d’éléments comme Ali Shari’ati (chiite iranien) ou Sayyid Qutb (sunnite égyptien), ou encore le "père" fondateur des Frères Musulmans syriens, Moustapha Siba'i
     (ou de Mounir Chafik : maoïste chrétien palestinien converti à l’islam - lire aussi ici, génial ; ou des dizaines d’intellectuels maoïstes égyptiens, iraquiens, soudanais, libanais et syriens convertis à l’islam dans les années 1979-1982) est encore plus complexe, et peut difficilement être schématisée à partir d’une grille de lecture “européenne-chrétienne” ; ce qui est certain, c’est que la résumer à du “fondamentalisme” (entendu comme ultra-conservatisme social) ou carrément à du “fascisme” est proprement ridicule ! ». (Apport très important qui nous a été envoyé par un camarade de « Servir le Peuple »).

    16- « La religion (à distinguer de la “croyance” au surnaturel) est TOUJOURS une idéologie politique, inséparable de la politique, n’en déplaise aux laïcards bourgeois made in France (qui ne sont que des gallicans déguisés). C’est une conception du monde sous-tendant un système cohérent de normes sociales.
    camilo torresMAIS c’est une idéologie politique correspondant à un MODE DE PRODUCTION FÉODAL (aussi bien le christianisme que l’islam et le judaïsme talmudique, ou encore le bouddhisme, le confucianisme qui est plus une philosophie, l’hindouisme moderne etc.). Si bien qu’à partir du moment où le mode de production féodal (et autres modes de productions “archaïques”) cesse d’être dominant, la religion perd TOUTE AUTONOMIE POLITIQUE, c’est-à-dire que, comme idéologie politique, elle se retrouve SUBORDONNÉE à la contradiction motrice de la société (et tend à éclater en une multitude d’interprétations extrêmement divergentes du Texte sacré). Le christianisme, en Europe, s’est trouvé subordonné du 16ème au 19ème siècle à la contradiction entre révolution bourgeoise et contre-révolution féodale, le protestantisme passant pour la “religion bourgeoise type”, mais le catholicisme éclatant lui-même en de multiples tendances “modernistes” ou “obscurantistes”, certaines (comme les Jésuites) se faisant même “sociales” contre une bourgeoisie porteuse des “idées nouvelles” mais aussi (déjà) férocement exploiteuse (démarche que l’on retrouve largement dans “l’islam politique” aujourd’hui). Et depuis la seconde moitié du 19ème siècle, il se trouve subordonné à la nouvelle contradiction motrice : la contradiction entre Grand Capital (qui a agrégé à lui toutes les classes réactionnaires pré-monopolistes et pré-capitalistes) et prolétariat. L'on va ainsi trouver un christianisme de “conservation sociale”, voire de “guerre sainte” contre les “rouges” ; et puis un christianisme qui va partir du message humaniste, égalitariste et charitable du Texte pour aller vers un réformisme social audacieux… voire une idée de “transformation sociale radicale” qui peut être prise dans la force d’attraction du camp de la révolution prolétarienne.
    Et dans les pays musulmans, il n’en va pas autrement : depuis le 19ème siècle, l’islam comme idéologie politique est subordonné aux trois contradictions motrices dans ce type de pays : entre impérialisme et résistance de la nation dominée ; entre féodalité (ou bureaucratie parasitaire d’État) et “économie productive réelle” ; et entre propriétaires des moyens de production (bourgeoisie, propriétaires terriens) et vendeurs de force de travail (prolétariat, ouvriers industriels et agricoles ou “plèbe informelle” survivant au jour le jour). Il en va de même, par exemple, pour le catholicisme en Amérique latine… Toute autre approche de la question n’est qu’idéalisme diffusé par des intellectuels bourgeois occidentaux ou des “marxistes” eurocentristes (et leurs disciples locaux). ».

    (Apport très important qui nous a été envoyé par un camarade de « Servir le Peuple »).

    17- Nous avons appelé et nous appelons tous les vrais maoïstes arabes à lire notre histoire pour la changer, à lire et comprendre notre culture, à partir d’instruments et d’outils conceptuels qu’on doit faire nous-mêmes par un retour à notre propre héritage, à notre histoire, à la pensée arabe et islamique. On lisait Mao, Lénine, Gramsci, tous les marxistes, mais on doit commencer aussi à lire nos penseurs, nos expériences révolutionnaires, notre histoire sociale et économique, et en se posant la question de savoir comment utiliser ces lectures, comment profiter de tous les concepts émanant de notre épistémologie, de manière heuristique, utile. On doit  réinventer un vocabulaire propre. Tout cela doit nous emmener peu à peu vers la reconnaissance de la nécessité de l’étude de l’islam, car c’est un discours effectif, de masse, un discours populaire, qui fait le lien entre le côté intellectuel et l’aspect populaire. « L’éveil islamique » est à comparer à la philosophie nietzschéenne d’affirmation de soi, et devait postimg03permettre au monde arabe de se réapproprier son histoire : « le discours de l’éveil islamique représente le terme de la contradiction qui s’oppose à l’orientalisme et à son ombre, l’intellectuel arabe moderniste. (….) Comment faire face à la domination étrangère, et affirmer l’identité arabe et islamique, non par réaction – l’esclave s’affranchissant par le négatif – mais par une action volontaire – l’islam, maître s’appuyant sur une époque révolue de maîtrise et de domination ? L’action volontaire ressuscite ici positivement le Moi islamique, tout en passant l’Autre (l’Occident) sous silence. Cet Autre voit l’universalisme de sa culture contesté. »

    18- Cet appel quasi mystique au peuple, le maoïsme le partage avec l’islam révolutionnaire. Le Printemps arabe n’a pas été seulement perçu par les militants maoïstes comme un événement anti-impérialiste majeur : il a été, et d’abord, une révolution, c’est-à-dire un processus dans lequel « les masses » font irruption dans l’histoire, d’une manière tout à fait intempestive, et le populaire fait fonction ici de véritable élément déclencheur de la foi religieuse : « il y a eu quelque chose qu’on a ressenti et qui était nouveau : on l’a ressenti profondément. C’était que l’islam était là, et que l’islam pouvait être une source immense de révolution, et une source vraiment populaire. Et là notre point de vue doit vraiment changer, à un niveau personnel comme au niveau théorique et organisationnel. Il faut donc  réfléchir, non pas seulement sur la révolution elle-même : mais surtout sur les effets incroyables de la révolution sur les masses arabes. Ça doit nous toucher tous, ça doit nous troubler tous, car c’est quelque chose de très profond ». Le marxisme ne peut lui-même que construire ses représentations mobilisatrices sur l’image du peuple en insurrection, car il est récalcitrant aux logiques conspiratrices : la polémique des marxistes, au 19e siècle, contre Auguste Blanqui et la logique du coup d’État socialiste n’en est qu’un exemple. Le maoïsme, avec les concepts de « guerre populaire » et de « ligne de masse », conférait en plus au peuple un rôle capital dans la formation de la conscience politique d’une avant-garde révolutionnaire appelée à se fondre en lui. Pour nous, la Révolution viendra donner concrétude à ce peuple en attente, désormais entré sur la scène de l’histoire moyen-orientale.

     

    Intéressant à lire aussi, sur le même sujet (avec d'autres liens encore dans les articles mêmes) :

    Religion et révolution : un texte essentiel de 2021

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/conception-du-monde-rebondissement-discussion-fb-sur-un-texte-du-pc-ma-a182055290

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/encore-une-fois-sur-la-question-de-l-islamisme-a145777528

    (n)PCI - La révolution démocratique anti-impérialiste dans les pays arabes et musulmans

    Au sujet des "maos du Fatah" palestiniens et libanais (cette "utopie concrète non réalisée théoriquement, et trop tôt islamisée pour faire office de véritable synthèse entre marxisme maoïste et islam révolutionnaire") : http://www.religion.info/pdf/2008_12_Dot.pdf

    Très intéressant aussi, pour s'y "retrouver" et arrêter de tout confondre (tragédie de l'extrême-gauche occidentale en la matière...), un excellent dossier publié en 2017 sur Investig'Action : 

    http://ekladata.com/5lOBWb7wr6Au53wxq2o8UWJX6M4/Islamisme-Lalieu-Hassan.pdf

    [Et puis, trotskyste et donc avec les défauts que l'on pourra lui trouver de par cette idéologie ; mais enfin néanmoins, du bon trotskysme (comme il y a le bon et le mauvais cholestérol !) ; le fameux texte de Chris Harman (du SWP britannique) qui devrait vraiment, à notre sens, avoir toute sa place dans la conception communiste du monde de notre époque (et qui n'est, sans doute, pas pour rien honni de tous ceux - des "libertaires" aux ML voire "maoïstes" dogmatos en passant par les trotskystes de type LO - qui peinent à cacher sous un maquillage anticapitaliste leur profonde islamophobie "barbus de Saint Foooons"...) : « Chris Harman - Le prophète et le prolétariat (1994).pdf »

    Dans une veine finalement assez proche, il y a d'ailleurs le maoïste indien Ajith : resistance-islamique-la-contradiction-principale-et-la-guerre-contre-l-a136656668]


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  • En définitive, ce que signifie être "français" peut être résumé par cette courte phrase qu'inscrivaient nos aïeux au tableau noir de l'école de Jules Ferry, au début du siècle dernier, sous l'œil satisfait du "hussard noir" local de la République des monopoles et des égorgeurs de la Commune.

    Un tiers d'entre eux, quelques années plus tard, ne devaient jamais revenir de la boue sanglante des tranchées...

    L'identité "française" c'est "TU SERAS SOLDAT"

    Petit soldat de la production et de la "compétitivité nationale", à l'usine comme aux champs ou au bureau, toujours. Petit soldat aussi - dès le début du sombre 20e siècle - de la consommation, car l'accumulation et la circulation du Capital exige que le cercle de la consommation de marchandise s'élargisse lui aussi à la mesure du cycle de production qui l'a précédé : la valeur générée par le travail est tout d'abord "enfermée" dans la marchandise produite et il faut, par conséquent, écouler celle-ci pour réaliser ce que l'on appelle la plus-value. Petit soldat de plomb, donc, dans la juxtaposition de solitudes vendeuses de force de travail, génératrices de plus-value et consommatrices de marchandises de la Cité des Spectres.

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    Et puis petit soldat sous la mitraille des grandes boucheries impérialistes pour la gloire de la "patrie", hier... et qui sait, peut-être demain. Quelques milliers le sont déjà, dans les vallées afghanes ou les dunes de l'Azawad ; et il faut déjà s'assurer, derrière eux, de la solidité du "soldat opinion" devant son JT de 20 heures.

             14-18La-force-francaise-est-passee-ce-week-end-a-1.600-soldats-e

    Ou encore, petit soldat du bulletin de vote quand il s'agira de reconduire ou d'"alterner" les caciques locaux ou "nationaux", qui s'engraisseront joyeusement sur notre échine courbée...

    Quelqu'un qui ne se sent pas "français" ne sera pas un bon soldat : voilà tout le problème pour le Grand Capital tricolore.

    Endavant pela Revolucion e la Liberacion revolucionari dels Pòbles ; amb l'anma d'un Albigès, d'un Croquant, d'un Camisart, d'un Ailhaud, d'un Guingouin !

    maoc

    [Lire aussi : Ancrages - Leur laisser la France]

     


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  • Voici un article d'Isabelle Garo (philosophe spécialiste de Marx et Engels, mélenchoniste revendiquée mais bon, ce n’est pas le débat ici...), paru sur son site personnel et repris par les camarades de Libération Irlande.

    maocIl est en effet capital de définir clairement ces notions d'un point de vue marxiste authentique, tant elles font l'objet de confusionnismes et de débats contre-productifs. Comme certains "maoïstes" le disent à raison, il est facile d'"escamoter" la bourgeoisie derrière une vague notion de "peuple", ce dont les fascistes sont spécialistes ; mais pas seulement la bourgeoisie en réalité : toute personne non-prolétaire qui va se vouloir "révolutionnaire" va chercher à s'inclure (et inclure sa classe) dans le "peuple" (ou "les travailleurs") et mettre cela particulièrement en avant - aristocrates ouvriers (qui pourront cependant parler souvent de "classe ouvrière"), petits bourgeois divers etc. Mais comme ces mêmes "maoïstes" ne le disent pas (puisqu'ils le font...), il est également vite fait de qualifier tous ceux qui parlent de "peuple" de "populistes" et de fasciste en puissance.

    Voyons rapidement, en synthèse, ce qu'entend Servir le Peuple par ces différents termes :

    - Le prolétariat consiste en les personnes ne possédant que leur force de travail (aucun moyen de production ni "capital" d'aucune sorte, fut-ce sous forme de diplômes, savoir-faire rare etc.) et louant quotidiennement celle-ci (salariat) à un employeur, qui possède les moyens de production, contre en principe le strict nécessaire pour reproduire cette force. Suivant cette définition, il n'y aurait pas beaucoup de prolétaires dans les pays dits "développés", c'est pourquoi nous intégrons la notion de "dignité minimale d'existence", sur la base non seulement de besoins objectifs mais de besoins induits par les maîtres capitalistes de la production, qui rappelons-le remplissent ainsi leurs caisses ("société de consommation" inventée au début du 20e siècle notamment par Henry Ford : on paye le prolétaire plus que le strict nécessaire pour survivre, mais c'est pour qu'il consomme donc participe, non plus comme producteur mais comme acheteur, à la création de plus-value). Par sa force de travail, dans ces strictes conditions salariales, le/la prolétaire crée la plus-value capitaliste (la valeur ajoutée) ou participe à sa réalisation financière (transformation du "capital-marchandise" en plus-value proprement dite : ce sont tou-te-s les agent-e-s de la commercialisation des produits).

    - Le peuple ou masses ou classes populaires (nous parlerons parfois aussi de "travailleurs") désigne les personnes tirant uniquement ou principalement leurs revenus de l'usage qu'elles font de leur force de travail. Ce ne sont pas forcément des salarié-e-s : ce peut être des paysan-ne-s, des artisan-e-s, toutes sortes de personnes "à leur compte". Pour les salarié-e-s, cela n'implique pas qu'ils/elles ne perçoivent que la stricte "dignité minimale d'existence" : le "peuple" inclut l'aristocratie du travail, les petits et moyens cadres etc., qui perçoivent (mais en proportion minime) de la valeur créée par le travail d'autrui, notamment (dans les pays impérialistes) par les travailleurs des pays dominés. On peut aussi dire que le peuple est la nation sans la classe dominante. Dans ce cas, on parle d'un Peuple en particulier et l'on met un P majuscule (Peuple occitan, Peuple breton etc.).

    - La bourgeoisie ou "Capital" ou "classe dominante" ou "possédants", ce sont les personnes qui vivent principalement de la force de travail d'autrui, qu'elles "possèdent" d'une manière ou d'une autre (en possédant des moyens de production et donc "louant" contre salaire la force de travail du salarié, ou encore en possédant une terre agricole exploitée par un fermier ou métayer qui paye sa "redevance" - féodalité mais cela existe encore beaucoup, ou autrefois - esclavage - en possédant directement, en plus des moyens de production, la personne du travailleur, mais cela a en principe quasiment disparu), ou dont elles perçoivent d'une manière ou d'une autre la richesse produite (ce qui constitue l'essentiel de leurs moyens d'existence). Cela implique évidemment un niveau de vie "correct" et n'inclut pas les personnes qui, privées d'emploi (armée de réserve du Capital) ou ne pouvant travailler (invalides, âgées), perçoivent une petite misère de la "solidarité publique" que les luttes des travailleurs ont péniblement conquise au 20e siècle. Cela implique, plus ou moins directement, une notion d'exploitation d'autrui. Dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux, un grande partie de la bourgeoisie/classe dominante est vendue à la bourgeoisie impérialiste de la nation dominante, mais une partie conséquente peut rester en forte contradiction (c'est celle que le marxisme-léninisme appelle "bourgeoisie nationale", dont une partie progressiste/démocratique peut être l'alliée de la révolution jusqu'à un certain point). Dans les provinces périphériques des grands États contemporains, la bourgeoisie "nationale" (au sens d'autochtone) sera généralement totalement intégrée, économiquement et culturellement, à la classe dominante de l’État en question, une petite minorité restera "autonomiste" ou "régionaliste" et encore moins sera indépendantiste, sauf dans des cas particuliers (État espagnol où la bourgeoisie castillane n'est pas dominante économiquement, État britannique où la bourgeoisie anglaise n'est "plus ce qu'elle était" et où de surcroît les bourgeoisies continentales tendent la main aux bourgeoisies périphériques).

    - La nation est une réalité totalement objective et infrastructurelle. Elle se forme sur la base d'un grand "bassin" géographiquement défini (puis éventuellement politiquement "remodelé") de vie économique productive commune, avec une dose minimale d'économie marchande capitalisante (aube du capitalisme, qui unifie le marché dans une certaine mesure - Kayppakaya) – lorsqu'il n'y a pas de capitalisme embryonnaire, on parlera plutôt d'"ethnie", de "tribu", il n'existe plus que très peu de populations dans ce cas sur la planète (on parle toutefois de "Premières Nations" en Amérique du Nord). En Europe, les nations sont apparues au Moyen Âge dit "médian" ou "classique" (entre 1000 et 1300 de l'ère chrétienne) ; on peut en dire autant de la plupart des nations d'Asie et d'une partie de l'Afrique. Ailleurs, elles sont nées avec l'arrivée du capitalisme qui a souvent été celle des Européens. Une nation se caractérise par les critères posés en 1913 par Joseph Staline : communauté de territoire [encore qu'il puisse y avoir selon nous des nations avec éclatement territorial, comme les Yiddish d'Europe de l'Est avant la Shoah ou les Roms], de langue [encore qu'il puisse y avoir des nations avec deux voire trois langues, comme en Bretagne (brezhoneg/gallo/français), en Franche-Comté (arpitan jurassien/comtois d'oïl/français), en Écosse (scots/anglais/gaélique), en Irlande (anglais/gaélique) etc. etc.], de culture et de "formation psychique", donnant naissance à un "sentiment d'appartenance commune". La première chose qui pourrait distinguer "nation" de "peuple", c'est donc déjà ce caractère objectif et le fait que la nation en tant que telle ne "pense" pas, et encore moins met la pensée en action. La nation est mue par une classe donnée, qui pense et agit. Pendant fort longtemps (pratiquement du 11e au 19e siècle) cette classe fut la bourgeoisie, que l'on pouvait considérer alors comme partie et "tête" du peuple, si on limite les classes dominantes à l'aristocratie et au clergé (la bourgeoisie aura toutefois un rôle tout sauf négligeable dans les États modernes "absolutistes" entre le 13e et les 18e-19e siècles). Aujourd'hui, elles ont vocation à être mues par le prolétariat à la tête des masses populaires, du "peuple". Toutes les classes d'une société sont toujours en mouvement, mais c'est lui qui aujourd'hui et demain écrit et écrira l'histoire des nations apparues au Moyen Âge "classique", et déterminera ce qu'elles deviendront (car les nations ne sont pas "intemporelles" ni "éternelles", ainsi il y avait des sortes de "nations" dans l'Antiquité, où existait une sorte de "capitalisme à force de travail esclave", mais elles ont disparu dans les grands bouleversements qui ont secoué l'Europe, l'Asie et l'Afrique du Nord entre le 4e et le 10e siècle). De l'apparition des nations actuelles jusqu'au 19e siècle, toutes les classes étaient en mouvement mais l'histoire était écrite par les bourgeoisies. Même si c'étaient les nobles qui guerroyaient et les religieux qui encadraient les esprits,  ce sont notamment elles qui, par leurs victoires pour les unes (anglaise, française, castillane, piémontaise et lombarde, rhénane et brandebourgeoise) et par leurs défaites pour les autres (occitane ou bretonne, galloise ou irlandaise ou écossaise, corse ou sarde, catalane ou basque, andalouse ou "deux-sicilienne", bavaroise ou hanovrienne etc.), ont construit les États que nous connaissons actuellement. L’on peut dire que la bourgeoisie européenne a globalement construit (par l’activité économique et toute l’activité sociale qui en découle) les nations entre l’An 1000 et le 16e siècle, et les États (pratiquement aucun État européen ne correspondant exactement à une nation) entre le 13e et le 19e, jusqu’aux "petits derniers" de 1919 – résultant de l’effondrement des Empires austro-hongrois, russe et ottoman.


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    La question du peuple chez Marx est une question complexe, en dépit des thèses tranchées qu’on lui prête volontiers sur ce sujet. Au premier abord en effet, on a tendance à penser que Marx construit la catégorie politique de prolétariat précisément contre la notion classique de peuple, trop englobante et surtout trop homogénéisante, qui gomme les conflits de classe. En ce sens, la notion de peuple serait illusoire, voire dangereusement illusionnante lorsqu’elle est politiquement instrumentalisée.

    Pourtant, si Marx se défie bien de toute conception organique du peuple, il reprend le terme à plusieurs occasions et, en particulier, pour penser les luttes nationales de son temps, lorsqu’elles visent à conquérir l’indépendance contre des puissances colonisatrices. Il l’utilise également pour désigner les spécificités nationales, qui caractérisent les rapports de force sociaux et politiques toujours singuliers et que, selon lui, il faut toujours analyser dans un tel cadre national. Enfin, le terme de peuple désigne un certain type d’alliance de classes dans le cadre de conflits sociaux et politiques de grande ampleur.

    Lors de ces trois usages, le terme de « peuple » n’est jamais détaché par Marx de tout clivage social, bien au contraire. Il faut rappeler qu’il est, chez lui, directement hérité de la Révolution française et des œuvres politiques qui l’encadrent, de Rousseau jusqu’à Babeuf et Buonarroti : selon cette tradition, le terme de peuple désigne les groupes sociaux opposés à l’aristocratie, et il n’est pas le substantif indifférenciant que des usages postérieurs valoriseront.

    Je voudrais aborder ici successivement ces différents usages marxiens, en les confrontant à la question du prolétariat, que Marx élabore parallèlement. Au cours de cette élaboration, et surtout à partir de la fin des années 1850, Marx va s’intéresser de façon précise aux luttes d’émancipation et à la colonisation, en Inde et en Chine, s’engageant activement dans le soutien à l’Irlande et à la Pologne, tout particulièrement.

    I. Peuple et prolétariat, des concepts antagonistes ? 

    onheireannIl faut rappeler que l’apparition de la notion de prolétariat est ancienne. Dès l’origine, elle désigne non le peuple mais une fraction du peuple, fraction caractérisée par sa situation sociale. Cette situation peut-être définie de deux façons distinctes : soit comme dénuement et pauvreté ; soit comme situation d’exploitation et de domination, si l’on analyse un mode de production et donc une fonction sociale active, non pas seulement un statut économique subalterne. On peut dire, schématiquement, qu’avec Marx, le terme va transiter irréversiblement de son premier vers son second sens.

    Reprenons rapidement cette histoire : dans le droit romain, les prolétaires, du latin « proles », « lignée », constituent la dernière classe des citoyens, dépourvus de toute propriété et considérés comme utiles seulement par leur descendance. C’est à ce titre qu’ils sont exemptés d’impôts. Repris dans le moyen français, le terme connaît un fort regain d’intérêt au XIXe alors que se développe la critique sociale, politique et économique du monde industriel naissant.

    Dans ce contexte, le substantif "prolétariat" apparaît en 1832 pour désigner l’ensemble des travailleurs pauvres, dont la misère est perçue comme le résultat de l’égoïsme des classes dirigeantes. C’est la thèse défendue par celui qui est premier à l’utiliser, Antoine Vidal, dans le premier journal ouvrier de France, L’écho de la fabrique. Et c’est en référence directe à la révolte des canuts lyonnais de 1831 qu’il invente le terme en 1832. Pour Vidal, la « classe prolétaire » est à la fois la plus utile à la société et la plus méprisée. Il est frappant qu’il revendique aussitôt qu’elle soit « quelque chose », reprenant ainsi les mots et la thématique de Sieyès, dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? (1789), tout en redécoupant les frontières sociales d’une classe populaire qui ne coïncide plus avec les contours juridiques du tiers-état d’Ancien régime.

    Dans un second temps, le terme se trouve transposé en allemand en 1842 par l’économiste Lorenz von Stein qui étudie les courants socialistes, notamment français, tout en étant hostile au communisme. Puis il est repris par le Jeune Hégélien Moses Hess, alors proche d’Engels et de Marx, tous trois revendiquant leur adhésion au communisme. On le rencontre dès 1843 sous la plume de Marx, chez qui il acquiert un sens nouveau et une importance théorique centrale. Sa redéfinition marxienne s’élabore en trois étapes.

    1/ D’abord, le terme apparaît fin 1843, au terme de la critique engagée par le jeune Marx concernant la philosophie hégélienne du droit. Dans la préface qu’il rédige pour le manuscrit de Kreuznach, qui engage la critique de la conception hégélienne de l’Etat, il désigne le sujet social enfin identifié de l’émancipation générale de la société civile moderne. Le prolétariat, parce qu’il est cette classe qui "subit l’injustice tout court", ne peut viser qu’ "une reconquête totale de l’homme".

    2/ Dans l’Idéologie allemande (1845) puis dans le Manifeste du Parti communiste (1848), Marx et Engels affirment le rôle historique moteur des luttes de classe et ils définissent l’antagonisme moderne qui oppose le prolétariat et la bourgeoisie. Ils précisent ainsi une analyse d’abord engagée par Engels dans son étude de la Situation de la classe laborieuse en Angleterre. Le prolétariat se définit par sa place au sein d’un mode de production et des rapports sociaux qui lui correspondent. Il est à la fois la classe qui produit les richesses sans posséder de moyens de production, et celle qui est appelée, de ce fait même, à la transformation radicale du capitalisme.

    3/ Enfin, dans le Capital et dans le vaste ensemble des manuscrits préparatoires, la découverte de la survaleur et de son origine : la fraction de temps de travail non payé que s’approprie le capitaliste, permet à Marx de préciser cette notion et d’en exposer la dimension dialectique. Le prolétariat n’est pas avant tout pauvre, il est dépossédé de la richesse sociale qu’il crée. Par suite, son unité et son identité de classe se construisent en contradiction avec le caractère privé de l’appropriation bourgeoise et visent le communisme. Mais, d’un autre côté, le prolétariat subit aussi une concurrence vive entre ses membres, concurrence entretenue par la classe capitaliste et qui fait puissamment obstacle à sa prise de conscience unitaire et à son rôle révolutionnaire.

    Le prolétariat au sens marxien est une notion qui se veut socialement descriptive mais qui présente toujours en même temps une dimension politique et philosophique constitutive. Je voudrais insister principalement sur le premier moment de cette construction.

    En effet, dès l’Introduction de la contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, rédigée à partir de la fin 1843, Marx développe sa thèse concernant le rôle historique du prolétariat moderne, et plus particulièrement du prolétariat allemand. Or, loin de proposer de substituer le prolétariat au peuple, on y rencontre précisément la mise en relation dialectique des notions de prolétariat et de peuple. D’une part, Marx distingue deux histoires nationales et deux scénarios d’émancipation : « nous avons en effet partagé les restaurations des peuples modernes (die modernen Völker) sans partager leurs révolutions. Nous avons connu des restaurations, premièrement parce que d’autres peuples ont osé faire une révolution, et deuxièmement parce que d’autres peuples ont subi une contre-révolution ».

    Ici, les notions de peuple et de révolution (ou de contre-révolutions) se font immédiatement écho. Il existe des cultures politiques populaires, et ces cultures politiques conduisent à se déterminer pour ou contre la révolution, cette dernière ayant avant tout pour modèle la « grande » révolution anti-féodale française. En rapport avec cet horizon, qui lie peuple et révolution anti-féodale comme des entités politiques associées, indissociables même, Marx va utiliser la notion de prolétariat pour la relier à un nouveau type de révolution, plus avancée, qu’on peut qualifier d’anti-capitaliste ou de communiste, radicalisant la révolution précédente. Il en résulte, d’une part, que les luttes allemandes, aussi arriérées soient-elles, présentent pourtant une portée universelle, au même titre qu’en son temps la Révolution française.

    On retrouvera par la suite, bien plus développée, l’idée que les luttes émancipatrices d’un peuple importent au sort de tous les autres. De ce point de vue, la solidarité avec les peuples opprimés est bien plus que de la philanthropie. Pour le dire autrement, elle n’est pas seulement de nature morale, elle est d’ordre fondamentalement politique : « Et même pour les peuples modernes, cette lutte contre le contenu borné du statu quo allemand ne peut être sans intérêt, car le statu quo allemand est l’accomplissement avoué de l’ancien régime et l’ancien régime est le défaut caché de l’Etat moderne ».

    Ainsi, la notion de peuple conserve-t-elle sa validité, en dépit de ses limites, du fait du maintien de l’Ancien Régime, y compris au sein des nations qui ont réalisé leur révolution anti-féodale. En d’autres termes, cette révolution partielle et inachevée se fait matrice de révolutions plus radicales, de la même manière que les peuples se déterminent comme classes populaires elles-mêmes plus ou moins radicales, le prolétariat étant le nom de cette radicalisation populaire, à la fois sociale et politique.

    STA73515C’est en ce point, qu’on rencontre une définition du prolétariat très originale : à la fois fraction du peuple, elle représente le peuple tout entier et tendanciellement l’humanité même, du fait de la condition qu’elle subit en même temps que des exigences politiques et sociales elle est porteuse. Loin de proposer une sécession sociale, qui isolerait le prolétariat des autres composantes et en ferait une avant-garde sociale et politique, c’est bien comme représentant universel, représentant de fait de la souffrance, de l’exploitation et de la volonté d’émancipation, que le prolétariat se découpe et se singularise, en tant que classe offensive, apte à s’organiser politiquement.

    Mais il faut aussitôt préciser que c’est précisément en vertu de cette dimension universelle que la révolution à venir n’est pas, ne sera pas une simple révolution politique. « Où réside la possibilité positive de l’émancipation allemande ? » s’interroge Marx. Et il répond : « Dans la formation d’une classe aux chaînes radicales, d’une classe de la société civile qui ne soit pas une classe de la société civile, d’un état social qui soit la dissolution de tous les états sociaux, d’une sphère qui possède un caractère d’universalité par l’universalité de ses souffrances (…), qui ne puisse plus se targuer d’un titre historique mais seulement du titre humain (…), d’une sphère enfin qui ne puisse s’émanciper sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans émanciper de ce fait les autres sphères de la société, qui soit, en un mot, la perte totale de l’homme et ne puisse donc se reconquérir sans une reconquête totale de l’homme. Cette dissolution de la société réalisée dans un état social particulier, c’est le prolétariat ».

    Marx ne changera jamais d’avis quant au caractère humain, c’est-à-dire universellement humanisant, de l’émancipation sociale. En revanche, après être entré dans ce qu’il nomme le « laboratoire de la production » c’est-à-dire après avoir engagé la critique de l’économie politique, il développera une conception plus complexe et moins optimiste du prolétariat comme classe offensive, faisant toujours davantage place aux contradictions qui le divisent d’avec lui-même. La concurrence ouvrière est à la fois inscrite dans les rapports de production capitalistes et systématiquement instrumentalisée par la bourgeoisie, en particulier par sa fraction industrielle. Mais il insistera également sur l’émergence, dans le cadre de la grande industrie naissante, du travailleur polyvalent, porteur d’une culture et de facultés humaines développées, loin de tout misérabilisme et de toute « victimisation ». Enfin, il fera place à la complexité du processus politique qui doit parvenir à l’abolition de l’appropriation privée des richesses socialement produites, au communisme donc.

    Quoi qu’il en soit, la conception du rapport entre prolétariat et peuple se révèle dès le départ contradictoire, ou plus exactement : éminemment dialectique, ce qui est bien différent. Car Marx, qu’il traite de politique ou d’économie, ne cesse d’être philosophe. Ici, la singularité est le lieu où émerge l’universel, non le lieu de formation d’une identité séparée et close sur elle-même. Il en ira de même des nationalités : découpage de l’humanité en entités politiques jamais complètement isolées, les nations sont dans certains cas et à certains moments porteuses d’une histoire émancipatrice qui les rend universelles.

    II. Peuples en luttes et libérations nationales 

    Ainsi, parallèlement à la spécification sociale et politique des classes dans le cadre du mode de production capitaliste, la notion de peuple reste pourtant utilisée par Marx pour penser des réalités nationales diverses, irréductibles, où se spécifient singulièrement les rapports de classes. Sur ce point encore, on attribue souvent à Marx une sous-estimation profonde de la question des nationalités et des différences nationales, en vue de penser un prolétariat d’emblée mondialisé, formé d’ouvriers qui « n’ont pas de patrie » comme le proclame le Manifeste du parti communiste en 1848, à la veille du « printemps des peuples » et alors que s’éveillent les consciences nationales. Là encore, l’analyse marxienne est bien plus complexe qu’on ne le dit habituellement.

    D’une part, Marx et Engels, reconnaissent, dès cette époque, cette dimension nationale, constitutive de la construction de mouvements ouvriers distincts, fonction d’un degré de développement économique et social donné, fonction également d’un niveau de culture politique déterminé : « bien qu’elle ne soit pas, quant au fond, une lutte nationale, la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie en revêt cependant d’abord la forme. Le prolétariat de chaque pays doit, bien entendu, en finir avant tout avec sa propre bourgeoisie » .

    Ici, l’idée de nation tend à remplacer l’idée antérieure de peuple, défini par son antagonisme avec l’aristocratie. La nation est le cadre d’un rapport social qui met aux prises toutes les classes, qu’elles soient dominantes ou dominées. Mais l’analyse se situe également à un autre niveau : elle s’arrête sur la capacité d’uniformisation du marché mondial d’un côté, qui entre en contradiction, de l’autre côté, avec le maintien voire le renforcement des spécificités nationales. Ainsi, Marx et Engels continuent-ils pendant un temps de penser que c’est la révolution allemande, d’abord anti-féodale ou bourgeoise, qui « ne saurait être que le prélude d’une révolution prolétarienne ». Ce scénario sera profondément bouleversé par la suite, et à plusieurs reprises.

    Si la dimension nationale est bel et bien prise en considération, Marx et Engels affirment dans le même temps la force d’expansion mondiale du capitalisme, force estimée d’abord socialement homogénéisante, thèse que Marx corrigera par la suite. On peut supposer que dans un texte qui a vocation de manifeste politique, ils s’emploient d’abord à faire valoir une perspective qu’on qualifiera plus tard d’ « internationaliste », de même ampleur que le marché mondial en voie de formation, mais porteuse de perspectives tout autres. De fait, le texte qui prolonge l’affirmation célèbre « les ouvriers n’ont pas de patrie » ajoute: « comme le prolétariat doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale, se constituer lui-même en nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie ». On peut ajouter bien évidemment : nullement au sens où les nationalismes chauvins l’entendront par la suite.

    puño con banderasMarx et Engels continuent : « déjà les démarcations nationales et les oppositions entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions d’existence qui lui correspondent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore ». Et quelques lignes plus loin on lit : « du jour où tombe l’opposition des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles ». Internationales, mais seulement par anticipation, les luttes des prolétariats nationaux ont bien la nation pour cadre mais non pour but.

    Le prolétariat est-il encore ici, au moins pour un temps, la figure du peuple, ou plus exactement : sa reconfiguration sociale et politique ? Oui et non. Non, eu égard à l’argumentaire que je viens de préciser. Oui pourtant, dans le cadre de luttes nationales qui visent l’émancipation. En ce cas, un parallélisme apparaît entre la lutte du prolétariat, dans un cadre national quel qu’il soit, et la lutte de certains peuples, auxquels l’oppression subie confère un rôle historique majeur et, une fois encore, une portée universelle.

    Le mot de « peuple » voit alors coïncider ses deux sens, fondus en une nouvelle définition. Le peuple est à la fois une entité politique délimitée nationalement, mais il est aussi cette entité sociale qui lutte avec et contre d’autres, au plan international : disons que la portée descriptive ou analytique du terme retrouve de nouveau sa dimension politique, ouverte aux radicalisations que Marx appelle de ses vœux. Si le terme de « peuple » ne devient pas pour autant l’occasion d’une théorisation séparée, il ne disparaît pas du vocabulaire marxien parce que lui seul permet de comprendre les mouvements d’indépendance nationale en tant que luttes elles aussi porteuses d’universalité, et cela par-delà même leur composante prolétarienne. C’est bien entendu le cas lorsque des paysanneries luttent contre une puissance coloniale.

    Cette reprise ouvre à une réflexion nouvelle et tout à fait essentielle sur les perspectives de révolution communiste. Car, à partir de là, Marx va s’orienter vers des scénarios qui échappent à toute linéarité et ne font pas de la constitution d’un prolétariat national la condition sine qua non de l’émancipation. Autrement dit, il en vient à penser qu’il est possible d’accéder au communisme sans passer nécessairement par la voie capitaliste. Et la notion de peuple est finalement et de nouveau la plus utilisable pour penser ces processus différenciés.

    En effet, Marx va abandonner au cours des années 1850 la thèse de la portée civilisatrice de la colonisation, dont on trouve quelquefois trace dans ses textes antérieurs. A la lumière en particulier des situations indienne et chinoise, qu’il étudie alors, il juge que la pire barbarie se trouve en réalité du côté des colons britanniques. Parallèlement, il s’intéresse et prendre parti pour la Pologne et l’Irlande, en faveur des anti-esclavagistes américains, avant de se pencher sur la Russie.

    Le cas de l’Irlande est particulièrement intéressant, en ce qui concerne le rapport entre peuple, classe ouvrière et nation tel que Marx s’efforce de le concevoir, modifiant au cours du temps ses conceptions initiales. Je m’appuie ici sur le remarquable ouvrage de Kevin Anderson : Marx at the Margins. Dans ses articles et ses déclarations au sujet de l’Irlande, à cette époque, Marx s’emploie à combiner les questions de classe, d’identité ethnique et de réalités nationales, déjà abordées précédemment.

    En Irlande, le prolétariat se présente comme fraction du prolétariat britannique, fraction surexploitée et dominée. Dans le même temps, l’Irlande se présente comme colonie britannique, luttant pour son indépendance nationale. Face à cette situation complexe, d’une part, Marx et Engels conseillent aux révolutionnaires irlandais de donner toute son importance à la question des classes, et leur reprochent l’utilisation de la violence autant que la fixation religieuse identitaire.

    D’autre part, Marx en vient peu à peu à considérer que le mouvement irlandais est le point d’appui des luttes ouvrières anglaises, et non l’inverse. Dans une lettre à Engels du 10 décembre 1869, il écrit : « longtemps j’ai pensé qu’il était possible de renverser le régime actuel de l’Irlande grâce à la montée de la classe ouvrière anglaise (…) Or une analyse plus approfondie m’a convaincu du contraire. La classe ouvrière anglaise ne fera jamais rien tant qu’elle ne se sera pas défaite de l’Irlande. C’est en Irlande qu’il faut placer le levier. Voilà pourquoi la question irlandaise est si importante pour le mouvement social en général » .

    Présente également sur le sol anglais, la classe ouvrière irlandaise est l’occasion de dissensions internes au mouvement ouvrier, qui paralysent ce dernier et qui sont sciemment entretenues par le patronat anglais, sur le modèle du racisme et de l’esclavagisme nord-américain. Sur ce point, Marx accorde une conscience bien supérieure à la classe capitaliste, tandis que la classe ouvrière, qu’elle soit anglaise ou irlandaise, ne parvient pas à surmonter son antagonisme, la lutte de races, la xénophobie, l’emportant sur les luttes de classe, qui devraient logiquement fédérer prolétariat britannique et sous-prolétariat irlandais.

    Pour conclure sur la portée politique considérable de ces réflexions, deux remarques sur la question du peuple me semblent importantes.

    La première concerne le débat fameux qui opposera Marx à Bakounine au sein de la 1ère Internationale. On connaît l’accusation d’autoritarisme et d’étatisme adressée par Bakounine à Marx. On sait moins que cette opposition concerne aussi la situation en Irlande. Pure diversion, pour les bakouninistes, la cause irlandaise nuit selon eux à la cause révolutionnaire. Pour Marx, elle en est une composante, l’émancipation des peuples opprimés contribuant à l’émancipation ouvrière, et plus largement à l’émancipation humaine.

    La seconde concerne la spécificité de la société irlandaise : l’Irlande est avant tout une colonie agricole de l’Angleterre, qui incite les indépendantistes à faire de l’insurrection paysanne le point de départ de la révolution nationale. C’est contre l’oligarchie foncière anglaise que lutte avant tout le peuple irlandais, Marx donnant alors à la question de la propriété de la terre un rôle politique clé, comme point de départ d’une révolution sociale en Angleterre même.

    eta3.jpgCela pose à la fois le problème des alliances de classes, notamment celui de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, bien loin de l’idée que le prolétariat serait à lui seul la classe destinée à conduire l’histoire et à conduire les révolutions. Par ailleurs, cette analyse s’inscrit dans la réflexion de plus en plus affinée de Marx sur des voies de développement non capitalistes. Dans ces cas, qui concernent bien des sociétés dans le monde, qu’il analyse plus ou moins précisément (Chine, Inde, Russie, Mexique, Pérou, Algérie, etc), la révolution communiste n’a pas pour préalable l’industrialisation capitaliste et la formation d’une classe ouvrière.

    Toute linéarité historique disparaît alors, et la succession obligée des modes de production cède la place à une attention portée à des formes de propriétés traditionnelles, communales. Pour Marx, ces formes persistantes pourraient bien fournir le point de départ concret d’une réorganisation économique et sociale égalitaire, faisant l’économie du passage de certains peuples par le capitalisme et par les souffrances qu’il entraîne.

    Conclusion 

    On le voit, la figure du prolétariat est complexe. Pour la saisir, il faut prendre en compte la spécificité de sa formation nationale et donc la mettre obligatoirement en relation avec l’idée de peuple. Mais, selon Marx, il faut aussi, à terme, viser une émancipation qui sache dépasser les barrières nationales et les antagonismes, sans unifier pour autant les voies politiques, ni les cultures au sein d’un scénario unitaire, pré-écrit, de dépassement du capitalisme. L’attention à la périphérie non-occidentale du capitalisme, dont les enjeux se révéleront pleinement dans le cadre des décolonisations du XXe siècle, se trouve déjà chez Marx lui-même, qui envisage que des sociétés puissent passer au communisme sans passer par le capitalisme, faisant ainsi l’économie de sa violence sociale et de sa barbarie coloniale.

    Au total, on peut conclure que le prolétariat n’est pas une catégorie sociologique stable, encore moins le nom d’un sujet de l’histoire unifié, mais une construction dynamique, toujours définie par son antagonisme avec certaines classes et ses alliances avec d’autres classes sociales. Cet antagonisme autant que ces alliances sont à concevoir avant tout comme des constructions politiques, selon une perspective stratégique qui fera parfois défaut au marxisme ultérieur mais sera reprise par certaines de ses composantes.

    Et c’est en raison même de cette plasticité de la notion, que la catégorie de peuple se maintient, en vue de penser le caractère toujours national d’une telle construction. Pour autant, le peuple n’est jamais lui non plus une entité substantifiée ou figée. C’est donc bien la dialectique prolétariat-peuple, soumise à l’examen précis de ce qu’elle est dans chaque situation historique, qui fait sens, c’est-à-dire qui ouvre (ou qui referme) des perspectives politiques d’émancipation qui, elles, visent bien, au bout du compte, l’humanité tout entière.


    [Valant le coup à lire aussi, un texte de l'organisation communiste basque EHK datant de l'an 2000 (avant la dérive pro-réformiste de cette organisation, bien connue des militants révolutionnaires locaux), qu'avaient publié en leur temps les camarades de Libération Irlande

    https://liberationirlande.wordpress.com/euskal-herria/ehk-le-marxisme-et-la-question-nationale/

    (le propos d'EHK est en italique, les citations de Marx en police normale)

    "Beaucoup d’anti-communistes interprètent de travers la phrase du Manifeste communiste “Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut pas leur enlever ce qu’ils ne possèdent pas” (Le Manifeste du Parti Communiste - il y a beaucoup d’éditions disponibles, nous avons employé celle des Œuvres Choisies des Éditions du Progrès, Moscou, 1973, p. 127).

    [Ce que cela signifie en réalité c'est que] Sous le capitalisme les ouvrier-e-s n’ont pas de patrie ni pouvoir ni moyens de production ni rien ; ils sont la classe opprimée et pour se libérer ils doivent “en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’élever à la condition de classe nationale, se constituer en nation, s’élever à la condition de classe nationale”. Marx et Engels aspirent à des sociétés où la Nation ne s’identifie pas avec les castes gouvernantes ou avec des oligarchies puissantes, mais avec la classe travailleuse. Marx répète à nouveau cette idée centrale dans une autre des ses œuvres : “Le développement du prolétariat industriel dépend en règle générale du développement de la bourgeoisie industrielle. C’est seulement sous la domination de celle-ci qu’il accède à cette existence d’ampleur nationale qui lui permet d’ÉLEVER SA RÉVOLUTION À UNE HAUTEUR NATIONALE”  (Les luttes de classes en France de 1840 à 1850, éd. du Progrès, Moscou, 1979, p. 38).

    En abolissant le capitalisme exploiteur on abolit l’oppression nationale : “Dans la même mesure qu'est abolie l’exploitation d’un individu par un autre, sera abolie l’exploitation d’une nation par une autre. En même temps que l’antagonisme des classes à l’intérieur des nations, disparaîtra l’hostilité des nations entre elles”."

    Eh oui ! Les pseudo-gauchistes et vrais universalistes abstraits ne citent systématiquement de Marx que la première affirmation qui les arrange ; celle qui leur permet, en niant les réalités nationales des travailleurs, de nier le Peuple travailleur lui-même pour lui substituer leur magistère petit-bourgeois. La citation complète est en réalité : "Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ôter ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit d'abord conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national ; mais ce n'est pas au sens bourgeois du mot." – exactement ce que nous venons de dire ci-dessus...

    Lire aussi : La lutte pour le droit à l’autodétermination nationale dans les pays impérialistes, par G. Maj du (n)PCI]


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  • Lire la première partie    


    5. Guerre et crise 

    Autonomi3Dans le §17 du Carnet 13, le sujet est Analyse des situations : rapports de force.(23) Gramsci décrit la situation dans laquelle se déroule la guerre entre classes. Il s'agit de la situation révolutionnaire qui se développe parallèlement à la crise générale par surproduction absolue de capital : Gramsci fait référence à la première crise. Sont évidentes les analogies avec la situation actuelle de la seconde crise générale [NdT : depuis le début des années 1970. Le (n)PCI fait commencer la première ‘autour de 1900’. Pour notre part, nous la faisons commencer au début des années 1870 (une grande crise mondiale, et non localisée à un ou quelques pays, éclate en 1873) et durer jusqu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale (1945), avec une ‘embellie’ au début du siècle dernier (‘Belle Époque’, qui contredit l’affirmation du (n)PCI sur une crise générale au début du 20e siècle) permise par l’expansion coloniale mais celle-ci (en ‘saturant’ le partage colonial de la planète) conduit précisément à la Première Guerre mondiale (avec ses prémisses dès 1898 : guerre hispano-américaine, incident de Fachoda, guerre des Boers, guerre russo-japonaise, crise du Maroc etc.)].  

    23. CP, pp. 1578-1589 (C13 §17). 

    Gramsci parle des polémiques idéologiques, religieuses, philosophiques, politiques qui se déroulent autour des mille phénomènes par lesquels la crise se manifeste (les différentes formes par lesquelles la résistance des ouvriers, des travailleurs, des masses populaires s’exprime, les différentes formes de massacre social des gouvernements de la bourgeoisie impérialiste qui forment une guerre d’extermination non-déclarée contre les masses populaires et, quant aux phénomènes plus éclatants, les suicides, les meurtres de femmes, etc. etc.). Ces polémiques n’ont un sens que si elles convainquent et in fine ne se démontrent vraies que lorsqu’elles vainquent. Dans l’affrontement, les communistes sont autant convaincants que vainquants parce qu’ils relient le phénomène occasionnel à la question générale, c-à-d. à la crise ; parce qu’ils ont une conception du monde qui d’un côté a connaissance de la nature de la crise, de l'autre a la stratégie pour la surmonter (la GPR de LD). Convaincre, c-à-d. conquérir “les cœurs et les esprits” des masses populaires, est ce qui décide de l’issue de la guerre. Il suffit de voir tout l’appareil mis en place par la bourgeoisie impérialiste pour convaincre les masses populaires qu’il est juste d’aller à la misère et à la mort pour sauver une classe politique en putréfaction et le système financier derrière elle, géré par un infime groupe de criminels au niveau international et dans chaque pays, qui se font passer pour ‘Communauté internationale’ (comme ils font passer leurs guerres pour du ‘maintien de la paix’).

    “Une fois réunies les conditions objectives du socialisme, qui existent en Europe depuis plus d’un siècle, le facteur décisif pour la victoire de la révolution socialiste sont les conditions subjectives”. (MP, p. 35) Le mouvement communiste conscient et organisé peut donc construire la révolution socialiste. Gramsci le confirme en disant qu’existent les conditions nécessaires et suffisantes pour que des tâches déterminées puissent et donc doivent être accomplies historiquement, ajoutant que ceci doit être fait car chaque manquement au devoir historique augmente le désordre nécessaire et prépare de plus graves catastrophes, c’est-à-dire que prévale la mobilisation réactionnaire des masses populaires, que la bourgeoisie parvienne à imposer le fascisme et la guerre. 

    greek red hoplitesLes communistes doivent accomplir historiquement leurs tâches, dit Gramsci ne pas le faire prépare de plus graves catastrophes. C’est-à-dire que les tâches que les communistes doivent accomplir sont posées par le cours de l’histoire et identifiables en étudiant le cours de l’histoire. Il faut s’acquitter de ces tâches. La société qui ne s’en acquitte pas ira à des catastrophes toujours plus graves. La crise impose que nous luttions pour faire de l'Italie un nouveau pays socialiste. La classe dominante et le sens commun voient de la crise les aspects négatifs, mais tous les aspects négatifs de la crise ont leur origine dans le refus de faire ce que la crise impose de faire, la volonté de persister dans ce système économique, social et politique, la volonté de maintenir cette condition matérielle, ne pas vouloir croire possible et réaliser le futur que la crise impose comme nécessaire.

    Ne sont ni convaincants ni vainquants les économistes, incapables de voir au-delà du phénomène ; et les dogmatiques, qui substituent à l'examen de la réalité leurs propres schémas.

    jeunesseenlutteGramsci insiste sur le fait qu’il faut absolument tenir compte du lien entre la crise générale et chacune de ses manifestations particulières (chacun des phénomènes locaux, de secteur, du moment, etc.). C’est seulement ainsi que l’on est en mesure d’attaquer l’ennemi de manière efficace. Laisser notre action se perdre dans les détails, nous disperser dans les luttes isolées les unes des autres est une arme de guerre entre les mains de l’ennemi. Qui subit l’influence idéologique de la bourgeoisie (la gauche bourgeoise et ses partisans) tombe facilement victime de cette arme de l’ennemi, car justement la bourgeoisie n’a pas de connaissance théorique du lien entre général et particulier, elle n’a et ne peut pas avoir de science de la réalité économique, sociale et politique (science qui lui montrerait que son règne est fini). L’analyse théorique que fait la bourgeoisie de la réalité est toujours une analyse des détails (analyse unilatérale), ne montrant pas le lien entre ceux-ci, lien qui seul permet de comprendre le véritable rôle et le sens de chaque détail. Tenir compte du lien entre chaque manifestation et la crise générale signifie placer chaque bataille, chaque campagne dans le cadre de la stratégie générale de la GPR de LD, construire la révolution, car il s’agit ici non de reconstruire l’histoire passée mais de construire l’histoire présente et avenir.

    Après l’analyse de la situation, Gramsci passe à l’examen des rapports de force, qui s’articulent en moments.

    Le premier de ces moments est le point de départ, c-à-d. les rapports de force entre classes par rapport à la situation objective, à l’organisation économique de la société et la composition de classe qui en découle.

    Le second moment est celui où une classe commence à prendre conscience d’elle-même comme classe [classe pour soi - NdT]. À ce moment-là, son activité prend place sur le terrain des luttes revendicatives d’abord, puis de la lutte politique qu’il y a, c’est-à-dire de la lutte politique bourgeoise. Ce passage est désigné dans le MP comme le passage de la lutte revendicative à la lutte politique, qui se situe en Europe à la fin du XIXe siècle, avec la formation des grands syndicats et des partis socialistes de la IIe Internationale.

    partigiani1Le troisième moment est le passage de la lutte politique à la lutte révolutionnaire. La classe ouvrière comprend que pour défendre ses intérêts il ne suffit pas d’agir dans le cadre politique prédéterminé par la bourgeoisie. Dans le MP (p. 26) ceci est expliqué comme suit : “Avec le marxisme, les ouvriers atteignirent la conscience la plus pleine de leur propre situation sociale. Leur lutte devint plus consciente, jusqu’à assumer un caractère supérieur. Elle devint lutte politique révolutionnaire, lutte pour abattre l’État de la bourgeoisie, construire leur propre État et, grâce au pouvoir conquis, créer un nouveau système de production et un nouvel ordre social, éliminer l’exploitation et son expression historique : la division de la société en classes. Dans ce troisième moment, la classe ouvrière comprend que ses propres intérêts de classe sont les intérêts de toute la société.

    serragDans ce troisième moment, le rapport entre classes est inévitablement destiné à devenir un rapport de guerre entendu au sens classique, c-à-d. un rapport de force militaire. Gramsci affirme que la confrontation militaire est un passage obligé de la révolution socialiste. C’est précisément sur ce point que s’est concentré le principal travestissement de Gramsci par les révisionnistes modernes, depuis Togliatti et le 8e Congrès du PCI (1956), qui a consacré la voie pacifique et parlementaire au socialisme comme doctrine officielle du Parti.

    Quant à ceux qui, à la différence des révisionnistes, sont pour la révolution socialiste, mais non pour la révolution socialiste qui se construit comme une guerre mais pour la révolution socialiste qui éclate, Gramsci démontre par l’expérience qu’il n’est jamais certain que les crises économiques génèrent automatiquement des insurrections. La dégradation des conditions économiques ne génère pas nécessairement la mobilisation des masses populaires dans un sens révolutionnaire, et à l’opposé la mobilisation des masses populaires dans un sens révolutionnaire ne requiers pas que les conditions économiques soient à un degré déterminé d’intolérabilité [NdT : la situation très ‘chaude’ des années 1968-75 en Europe de l’Ouest le démontre parfaitement. Au contraire, la situation de crise aiguë des années 1930 a souvent plus amené une montée du fascisme que du mouvement révolutionnaire]. Que les masses populaires se mobilisent dans un sens révolutionnaire dépend de l’action d’un Parti qui guide leur parcours de bataille en bataille, de campagne en campagne, jusqu’à culminer dans le rapport militaire décisif, c’est-à-dire jusqu’au moment où la bourgeoisie impérialiste, qui défend son propre régime, est contrainte soit à battre en retraite soit à recourir à la guerre civile. Ce parcours est décrit ici en détail par Gramsci : il s’agit de trouver les points faibles de l’ennemi, là où le coup est le plus efficace, de comprendre quelles sont les opérations tactiques immédiates, … comment peut-on le mieux mener une campagne d’agitation politique, quel langage sera le mieux compris des masses etc.

    servirlepeupleTout ceci est précisément le développement de la GPR de LD dans un pays impérialiste comme l’Italie, dont Gramsci décrit ici la première phase, la phase de défensive stratégique, lorsque la supériorité de la bourgeoisie est écrasante. Le Parti communiste doit accumuler des forces révolutionnaires. Recueillir autour de lui (dans les organisations de masse et le front) et en lui (dans les organisations du Parti) les forces révolutionnaires, étendre sa présence et son influence, éduquer les forces révolutionnaires à la lutte en les menant à lutter. La progression du nouveau pouvoir se mesure à la quantité des forces révolutionnaires recueillies dans le front et au niveau de ces forces. Dans cette phase l’objectif principal n’est pas l’élimination des forces ennemies, mais de recueillir parmi les masses populaires les forces révolutionnaires, étendre l’influence et la direction du Parti communiste, élever le niveau des forces révolutionnaires : renforcer leur conscience et leur organisation, les rendre mieux capables de combattre, rendre leur lutte contre la bourgeoisie plus efficace, élever leur niveau de combattivité.(24)

    24. MP, pp. 203-204. Gramsci se réfère à l’accumulation des forces révolutionnaires en parlant de force organisée en permanence et prédisposée de longue date. (CP, p. 1588 (C13 §17))


    6. La révolution socialiste n’éclate pas

    Il y a la spontanéité et il y a le spontanéisme. Gramsci critique ceux qui par principe refusent de donner au processus révolutionnaire une direction consciente,(25) ceux selon qui une direction de ce genre signifie emprisonner, schématiser, appauvrir le processus révolutionnaire. Un exemple actuel de cette tendance mouvementiste est la tentative de construire un mouvement Anticapitaliste et Libertaire (Assemblée de Bologne, 11 mai 2013).(26)

    25. CP, pp. 328-332 (C3 §48).

    26. Voir la critique diffusée par le nouveau PCI dans l’Avis aux navigants n°18, 5 mai 2013 ici : www.nuovopci.it/dfa/avvnav18/avvnav18.html.

    · Il se proclame mouvement, non dans le sens où il veut seulement unir des organisations et des classes diverses, indépendamment de leur orientation particulière dans d’autres domaines, dans une bataille politique concrète, mais dans le sens où il veut se déclarer contre l’état actuel des choses (le capitalisme), mais refuse l’instauration du socialisme, le Parti communiste et la conception communiste du monde (donc se place sur le terrain de la gauche bourgeoise).

    · Il est contre quelque chose (contre le capitalisme), mais non pour quelque chose (le socialisme et le communisme). Qui veut être “pour”, doit faire des plans, s’organiser, comme chaque fois que l’on veut construire quelque chose, quelle qu’elle soit.

    · Il est libertaire, c’est-à-dire qu’il proclame la liberté en général, mais ne dit pas “liberté des masses populaires vis-à-vis du capitalisme” : il utilise le terme “libertaire” car c’est celui utilisé par les tendances anarchistes qui refusent tout schéma, organisation, imposition, règle, discipline, d’où qu’elles viennent : même celles qu’un collectif se donne, même celles que la lutte elle-même requiert. Elles les refusent au point de renoncer à la lutte et d'en rester au capitalisme. [Servir le Peuple rappelle cependant ici qu’il n’est pas anti-libertaire : les libertaires sont selon nous une ‘piqûre de rappel’ rappelant aux marxistes la vocation de l’État socialiste à son propre dépérissement (par la disparition des classes et de toute division permanente du travail), ce que beaucoup ont eu tendance au siècle dernier, et ont encore tendance aujourd’hui à perdre de vue (d’où, par exemple, la sympathie pour des régimes qui n’ont rien de ‘socialiste’ au sens marxiste, voire rien de ‘progressiste’ au sens léniniste).]

    La liberté et le mouvement dont il s’agit dans cette énième tentative sont ceux de l’eau qui est libre d’aller vers le bas. Il n’y a pas de pensée, pas de réflexion, pas de bilan de l’expérience de ceux qui avant nous ont lutté, du pourquoi et du comment ils ont gagné ou perdu, il n’y a pas de programme pour l’avenir, et donc pas d’élan. Tout se réduit, au final, au contraire de la liberté, à une réaction mécanique (à la manière d’un mécanisme qui ne se meut pas par un mouvement propre, mais par l’impulsion qu’il reçoit d’un autre) à l’attaque de l’ennemi, qui au contraire dispose d’armées organisées (qui depuis l’Antiquité romaine, et même avant, ont démontré pouvoir vaincre des masses en révolte inorganisée, même en nombre dix fois supérieur) et d’un plan pour maintenir son pouvoir, etc.

    autonomia operaiaGramsci explique ici comment ce qui se veut liberté se renverse en riposte mécanique et expression de subalternité vis-à-vis de la classe ennemie, car elle ne se qualifie pas par elle-même, par ce qu’elle veut construire, mais par l’ennemi auquel elle s’oppose, et donc dépend de lui, à la manière dont un travailleur dépend du patron [NdT : c’est ce que Gramsci appelle subversivisme, qui peuple les rangs de ce que le (n)PCI appelle la gauche bourgeoise et nous (plutôt) la gauche petite-bourgeoise (la gauche bourgeoise étant vraiment l’aile gauche de la grande bourgeoisie, les Mélenchon, Montebourg etc.), et que le ‘sens commun’ appelle ‘gauche radicale’... mais aussi les rangs de la mobilisation populiste fasciste. Cette qualification est particulièrement valable pour le mouvement Grillo, particulièrement ‘anti-tout’, qui finira soit dans l’un soit dans l’autre]. Si un groupe ne s’efforce pas de se créer une science propre de la réalité et de l’histoire, ses analyses sont en définitive celles de la propagande bourgeoise, sont tirées des journaux et des livres de la bourgeoisie, fut-ce “lus à l’envers” (en les critiquant, en les dénonçant, en s’indignant, etc.). Ceux qui évoluent dans ce sens ne soupçonnent même pas que leur histoire puisse avoir une quelconque importance, dit ici Gramsci. Quand ils s’occupent de cette histoire, ils le font quant au contenu en utilisant en économie, politique, philosophie les critères et les données fournies par la bourgeoisie, conformes à la conception bourgeoise du monde. Quant à la forme, soit ils parlent et n’agissent pas, et ne courent donc pas le risque d’être démentis, soit ils séparent la parole de l’action, ne reflètent pas la parole dans la pratique, n’apprennent pas des erreurs. Quand ils remportent un succès, ils ne l’utilisent pas comme base pour construire le nouveau Pouvoir, ni comme base pour passer à une lutte de niveau supérieur. Ce que nous avons bien vu l’an dernier : passées les grandes manifestations du 31 mars et du 27 octobre 2012, l’état d’esprit prédominant parmi leurs promoteurs était : et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

    Les conditions objectives qui poussent les masses populaires à se mobiliser pour créer une nouvelle société (qui rendent nécessaire sa création car ne pas la créer amène des catastrophes plus graves encore) existent depuis longtemps, et donc leur mouvement est spontané comme l’eau du fleuve qui va à la mer. Mais elle est différente de l’eau du fleuve qui va à la mer, car il s’agit d’êtres humains. Ceux-ci ont besoin de se représenter le chemin qu’ils parcourent : l’eau ne va à la mer qu’à des conditions déterminées.

    ‘‘Cette unité de la «spontanéité» et de la «direction consciente», c’est-à-dire de la «discipline» est précisément l’action politique réelle des classes subalternes, en tant que politique de masse et non simple aventure de groupes qui se réclament des masses’’ dit Gramsci, et il ajoute que renoncer à leur donner une direction consciente, à les élever à un niveau supérieur signifie laisser le champ libre à la bourgeoisie impérialiste, qui dévie la mobilisation des masses populaires dans un sens réactionnaire. La mobilisation des masses dans un sens réactionnaire (fascisme, guerre) est le fruit de la renonciation des groupes responsables [des communistes, ndr] à donner une direction consciente aux mouvements spontanés et à les faire devenir dès lors un facteur politique positif. Celui qui nie le principe selon lequel la révolution se construit, qu’elle doit être dirigée, et dirigée comme une guerre populaire révolutionnaire, celui qui espère “que les masses bougent” et ne voit pas que les masses sont déjà en mouvement (mais bien sûr, à la manière dont les masses opprimées peuvent l’être lorsqu’elles n’ont ni objectif conscient et juste, ni organisation ni direction), laisse un espace vide qui est occupé par la réaction. Tous ceux qui peuvent aujourd’hui assumer le rôle de gouvernement du pays, en Comités de Libération Nationale, en Administrations Locales d’Urgence, en un Gouvernement de Salut National (2), en somme en organismes qui mobilisent les masses populaires contre la guerre que la bourgeoisie impérialiste leur livre, et hésitent à le faire, sont en hésitant ainsi objectivement responsables de la mobilisation réactionnaire des masses populaires.

    Les mouvementistes s’opposent à faire des plans. Selon eux, dit Gramsci, tout plan préétabli est utopique et réactionnaire.(27) Quiconque s’est adressé aux mouvementistes en leur montrant comme nécessaire un parcours vers l’objectif de la transformation révolutionnaire, s’est entendu répondre que le parcours indiqué était une imposition, une tentative de mettre en cage, de briser les ailes du mouvement spontané, et qu’ainsi le plan était réactionnaire et que prévoir un parcours concret vers la révolution était utopique.

    27. CP, p. 1557 (C13 §1). 

    fighters-of-the-greek-civil-warCe type de réponse est l’expression d’une tendance générale, répandue dans les masses populaires et expression de leur subalternité, expression du fait d’être encore sous l’influence de la conception bourgeoise dans leur conscience. Il est clair que la bourgeoisie a intérêt à combattre l’élaboration de tout plan visant à renverser son pouvoir, et il est encore plus clair que son intérêt est de déclarer cet objectif irréalisable. Le maximum que la bourgeoisie impérialiste peut concéder aux masses populaires est qu’elles rêvent à la révolution comme quelque chose que l’on voudrait, mais qui ne pourra jamais exister. Des héros admissibles sont ceux qui y ont cru et ont perdu (ont été vaincus), ce qui prouverait que ce rêve est irréalisable. Che Guevara en est l’exemple le plus connu. Qui a au contraire guidé les masses populaires à la victoire, comme Staline qui les guida à la victoire contre les nazi-fascistes, est un “dictateur” et un “réactionnaire” a priori.

    Qui est seulement contre, attend l’insurrection et ne fait pas de plans, s’exalte face à chaque mobilisation spontanée des masses populaires pour ensuite tomber en dépression quand cette mobilisation prend fin. Car qu’elle prenne fin est inévitable : si l’on présume qu’elle est une chose naturelle, elle a un début et une fin, comme un orage, s’éparpillant en une infinité de volontés individuelles, dit Gramsci.(28) Telle est l’histoire de beaucoup de regroupements comme Unis contre la Crise, Comité Non à la Dette, Comité NoMontiDay, pour ne citer que les plus connus et actifs ces deux dernières années : des groupes qui surgissent dans des circonstances déterminées, produisent des initiatives où la participation des masses populaires dépasse leurs espérances, ce qu’ils ne savent pas gérer justement parce qu’ils n’ont pas de ligne, pas de “plan préétabli”, leurs promoteurs faisant alors machine arrière comme des apprentis sorciers incapables de gérer les “pouvoirs simples et magiques” dont était capable de parler, le 6 avril 2013, un enfant de cinquième élémentaire [CM2] de la province d’Avellino, faisant référence à la classe ouvrière.

    28. CP, p. 1557 (C3 §1).

    En somme, pour ne pas vouloir se donner des règles conformes aux exigences de la réalité, pour ne pas vouloir apprendre la dialectique entre liberté et nécessité ; pour vouloir rester “libres” dans le sens de ne pas vouloir être encadrés dans aucun parti, de ne vouloir suivre aucun plan, et encore moins tenter une expérience jamais tentée, la révolution dans un pays impérialiste, chose tellement neuve et pleine de risques que la proposer sans analyse et sans plan est d’une irresponsabilité confinant au crime ; pour vouloir garder cette attitude infantile et inacceptable dans toute activité humaine un minimum complexe ; l’on finit par être le contraire de libres, l’on finit par être des marionnettes entre les mains de l’ennemi.

    Dans le §7 du Carnet 13, Gramsci dit que la révolution comme insurrection fonctionne pour la bourgeoisie de la Révolution Française (1789) jusqu’au moment où la classe ouvrière surgit comme nouvelle classe révolutionnaire (1848). Passée cette date, la bourgeoisie cesse d’être une classe révolutionnaire en lutte contre le clergé et les nobles, et se met en état de guerre contre la classe ouvrière. La guerre contre la classe ouvrière, la bourgeoisie la prépare minutieusement et techniquement en temps de paix, avec quantité de tranchées et fortifications dans la structure massive des démocraties modernes, tant comme organisations étatiques que comme ensemble des relations dans la vie civile.(29)

    29. CP, pp. 1566-1567 (C13 §7).

    sinistra prolCette structure massive des démocraties modernes est le régime de contre-révolution préventive. La révolution ‘pousse’, c’est un mouvement objectif, et la bourgeoisie construit un appareil fignolé dans ses moindres détails pour contrer la volonté et la nécessité de participation et d’auto-gouvernement des masse populaires, contre le moindre délégué syndical non asservi, contre le centre social autogéré, contre un Mouvement Cinq Étoiles [de Beppe Grillo] qui n’accepte pas les normes préétablies pour participer au petit théâtre de la lutte politique bourgeoise, et surtout contre la plus grande expression d’autonomie et d’indépendance de la classe ouvrière et des masses populaires, le Parti communiste. Cet appareil est précisément la contre-révolution préventive, appliquée dans les pays impérialistes. Contre cet appareil, la stratégie des communistes est la GPR de LD, par laquelle l'accumulation de forces et la conquête de nouveaux territoires (l'expansion de l’hégémonie sur les masses populaires aux dépens de la bourgeoisie) sont un travail tout aussi minutieux, qui pas à pas amène à l’affrontement militaire proprement dit.

    Gramsci explique combien est impossible une guerre de mouvement qui enfonce les lignes ennemies et par laquelle l’on s’empare des centres de pouvoir, lorsque derrière ces lignes ennemies il y a tout un appareil dont elles ne sont que le premier front.(30) La société, dit-il, est devenue une structure extrêmement complexe et résistante aux “irruptions” catastrophiques de l’élément économique immédiat (crises, dépressions) ; les superstructures de la société civile sont comme le système des tranchées dans la guerre moderne (…) ni le troupes assaillantes, par l’effet de la crise, ne s’organisent [spontanément ou sous une direction ‘insurrectionnelle’ NdT] de manière fulgurante dans le temps et l’espace, ni encore moins elles n’acquièrent un esprit agressif. Le conseil de Gramsci est d’étudier la Révolution d’Octobre à la lumière de la théorie de la GPR de LD. À ceci nous pouvons ajouter que depuis la victoire de la Révolution d’Octobre, la bourgeoisie impérialiste a pris toutes les contre-mesures dont elle est capable pour ne pas se faire surprendre par une quelconque insurrection.

    30. CP, p.1615-1616 (C13 §24).

    Qui a la prétention de faire irruption dans le camp ennemi, de semer parmi les troupes adverses une panique et une confusion irréversible, d’organiser ses propres troupes à l’improviste, de mettre tout aussi à l’improviste ses cadres existants en position de direction immédiatement reconnue par une population en révolte, d’unir immédiatement cette population vers un objectif commun, est un mystique, dit Gramsci.(31) De fait, qui raisonne en ces termes religieux reste statique en attendant que quelqu’un d’autre commence, ou que quelqu’un vienne de l’extérieur apporter la révolution, de Russie ou de Chine hier, des peuples opprimés aujourd’hui (de la Palestine, de l’Inde, du Népal ou de pays comme le Venezuela ou Cuba, selon les tendances préférées).(32)

    31. CP, p. 1614 (C13 §24).

    32. CP, p. 1730 (C14 §68).

    L’examen des positions de Gramsci confirme son anticipation de l’un des fondements de la théorie révolutionnaire, à savoir la stratégie de GPR de LD, l’une des contributions les plus importantes du maoïsme à la science révolutionnaire, à la conception communiste du monde.(33) Gramsci, outre cela, a apporté d’autres anticipations très importantes. L’étude en cours de l’œuvre de Gramsci permet de récupérer ces précieuses anticipations que Gramsci a élaborées, pour donner toute sa valeur à sa stature de dirigeant du mouvement communiste au niveau national et international, et surtout pour continuer son œuvre jusqu’à la réalisation des objectifs pour lesquels il a donné sa vie.

    Folco R.

    33. L’étude est basée sur les références de Gramsci aux deux formes opposées de stratégie pour la révolution, c-à-d l’insurrection et la GPR de LD, appelées ici guerre de mouvement et guerre de position, du Dictionnaire gramscien sous la direction de Guido Liguori et Pasquale Voza (Carocci editore, Urbino, 2011).

     


    (2) Nous sommes entièrement d'accord, et tout aussi enthousiastes que le (n)PCI pour l'exploration de ce territoire inconnu qu'est de vouloir construire consciemment la révolution dans un pays impérialiste, et non faire du militantisme de gauche plus ou moins ‘dur’ en attendant la ‘crise aigüe’ qui sonnera l'heure du Grand Soir. Pour autant, et nous l'avons déjà dit, nous pouvons être grandement en désaccord avec les méthodes proposées.

    3320331108 7316807beeAinsi, appeler à un Front ou ‘Bloc’ populaire (quel que soit le nom qu'on lui donne) implique selon nous un mouvement communiste suffisamment puissant (en quantité et en qualité, c'est-à-dire en influence idéologique sur la société), qui ‘pèse’ assez pour pouvoir en retirer des bénéfices pour lui et pour les masses, sans quoi l’on ne fait qu'‘offrir’ son appui et ses forces ‘sur un plateau’ à la gauche bourgeoise (qui au demeurant s'en contre-cogne). Un Front populaire, c'est quelque chose qui implique certes des concessions de la part des communistes, mais qui N'EXISTE PAS non plus sans eux ; c'est être en mesure de dire à la gauche bourgeoise (sans faire rigoler) : "la mobilisation réactionnaire, le fascisme, vous balayera vous aussi et même les premiers, accepter notre ‘soutien’ (comme la corde soutient le pendu) c'est votre dernière chance" ; en somme, c’est le Front commun avec nous… ou Dachau ! L'émergence d'une ‘gauche’ bourgeoise favorable à l'alliance avec les communistes est en réalité un symptôme 1°/ de l'importance du mouvement communiste et d'un mouvement ouvrier/populaire ‘radical’ d’un côté et 2°/ de l'inquiétude que cela suscite, et de la mobilisation réactionnaire de la droite (la majorité !) bourgeoise de l’autre ; autrement dit de l'imminence de la guerre civile, de la guerre de classe ouverte. Sans cela, il est hautement improbable que les personnalités citées par le (n)PCI (si l'on se base sur leurs équivalents hexagonaux), sans même parler du populiste semi-fascisant Grillo, fassent autre chose que continuer à ‘gérer le malheur’ et écoper désespérément la barque qui prend l'eau pour finalement sombrer avec elle, dans le triomphe de ce que le PCmI appelle ‘fascisme moderne’, c'est-à-dire la bourgeoisie réactionnaire qui répond à la crise et aux explosions sociales qu'elle provoque, mais pas à une menace révolutionnaire conséquente (contrairement au fascisme proprement dit). Souvenons-nous aussi que les Fronts populaires de ‘France’ et d'‘Espagne’ n'ont pas été finalement des expériences si concluantes, puisqu'ils n'ont pas pu réellement gouverner et ont très vite été balayés, en ‘Espagne’ par le coup d’État fasciste et la guerre civile (1936-39) et en ‘France’ par le ‘choix de la défaite’ de 1940 : la vraie mise en œuvre du programme des Fronts populaires, en Europe de l'Ouest (sauf Espagne et Portugal), c'est à la Libération, lorsque le capitalisme ‘purgé’ par la guerre mondiale pouvait se ‘rénover’ de la sorte mais aussi... face à des Peuples en armes, sous direction principalement communiste.

    Ce qu'il faut donc, c'est construire patiemment cette ‘importance’, cette hégémonie même partielle du mouvement communiste sur les masses, sans céder au sentiment de l'urgence. Il est certain que si l'on fait, comme le (n)PCI, englober au prolétariat quelques 36 millions de personnes sur 57, gagnant jusqu'à... 50.000 euros par an, il est fort possible de céder à l'urgence car ces couches moyennes du salariat voient leurs conditions de vie se dégrader à grande vitesse depuis la seconde moitié des années 2000. Mais pour le vrai prolétariat, qui en réalité ne dépasse pas 50% de la population dans un État impérialiste, le capitalisme est en crise depuis les années 1970 (mettant fin à l'amélioration toute relative mais continue du niveau de vie), le reflux/capitulation du mouvement communiste et même réformiste conséquent et la lutte acharnée de la bourgeoisie pour le maintien de ses profits ont amené une situation de ‘fascisme moderne’ depuis les années 1980, et depuis lors la dégradation est certes continuelle mais pas ‘brutale’, et n'implique pas de sentiment d'urgence. Céder à l'‘urgentisme’, c'est de toute façon et dans tous les cas mal faire. Il faut savoir garder son sang-froid comme un capitaine dans la tempête. Toutes les enquêtes d'opinion (et le bon sens minimal face à la merde social-libérale au pouvoir) indiquent sinon la victoire du FN, du moins solidarietàgramigna2celle d'une droite ultra-‘décomplexée’ (se posant en ‘dernier recours’ face à un FN à 25% ou plus) pour 2017, soit dans trois ans et demi... Pour autant, nous ‘gardons le cap’ et avançons patiemment sans céder à l'urgence ni à la panique, car ce serait la voie royale du fiasco.

    Nous sommes totalement en accord avec le Plan Général de Travail du (n)PCI, et comptons bien le faire nôtre pour le Parti que nous voulons créer : faire de chaque action, chaque lutte, chaque initiative une ‘école de communisme’. Nous interviendrons sans problème, nous ‘ferons irruption’ dans le ‘petit théâtre’ de la politique bourgeoise, notamment dans les ‘moments électoraux’ qui sont des ‘moments-clés’ pour la société civile dont parle Gramsci, selon des modalités que nous aurons fixées. Mais pour le (n)PCI, il semble bien que le deuxième front du PGT soit aujourd'hui hypertrophié, au détriment des autres. Et faire du succès électoral de telle ou telle liste ou personnalité une déstabilisation majeure pour le régime/système que l'on combat, c'est faire des assemblées légiférantes électives le ‘cœur de l’État’, ce qui est profondément erroné : ces assemblées sont des machines à faire loi la volonté des dominants, et non les centres de production de cette volonté. L'intérêt des ‘moments électoraux’ pour les communistes, c'est le rôle que jouent ces moments dans la construction de la société civile qui protège le Capital et donc dans sa destruction ; mais ce n'est pas de permettre des ‘attaques’ significatives au ‘cœur de l’État’, qui ne sont de toute façon pas possibles en phase préparatoire/étape zéro. En ‘France’, d'ici la présidentielle (suivie de législatives) en 2017, il y a les européennes et les municipales l'an prochain et les régionales en 2015, ce qui ne fait pas beaucoup (en Italie c'est un peu différent, toutes les régionales et les municipales ne sont pas en même temps et il y a souvent des législatives anticipées). Le reste du temps, SLP garde un ‘œil’ vigilant sur les mouvements de la ‘classe’ politique bourgeoise pour en présenter aux masses une ‘lecture’ marxiste, ce qui est important. Mais tout cela n'est pas plus ni moins important que les autres ‘fronts’ du PGT : lutte contre la répression, à laquelle on peut ajouter la lutte contre le fascisme (répression para-étatique, en dernière analyse) et les luttes démocratiques des secteurs sociaux particulièrement opprimés (LGBT, colonies intérieures, travailleurs ‘sans-papiers’) ; défense intransigeante des droits sociaux des travailleurs (arrachés de dure lutte au siècle dernier) ; et (très important selon nous, le seul peut-être qui soit plus important) construction de l'autonomie populaire contre un capitalisme qui a fini par régir le moindre aspect de la vie des masses ; on pourrait également ajouter l'internationalisme anti-impérialiste, dont le défaut est un ‘secret de l'impuissance’ des prolétariats et des classes populaires occidentales. Tout cela participe à la guerre de tranchées sur le front de la société civile, front fondamental dans les pays impérialistes et avancés, contre la mobilisation réactionnaire impulsée par la bourgeoisie face à la (à sa !) crise (pour ce qui est du front politico-militaire, il est évident qu'un Parti communiste n'en parlera pas publiquement sur un site internet...).

    imagesPour revenir sur le mouvement Grillo, nous le caractérisons comme des cyber-Arditi du 21e siècle, un mouvement petit-bourgeois radical-populiste, "ni droite ni gauche", "tous pourris", antiparlementaire comme si le problème du capitalisme résidait dans le Parlement bourgeois, etc. etc. Un Parti communiste conséquent peut certes gagner à lui des éléments arditi ‘de gauche’, déçus justement par l'évolution droitière inévitable de ce genre de mouvement, comme les Arditi del Popolo de 1921-22. Mais EN AUCUN CAS on ne peut baser une mobilisation révolutionnaire de masse sur des Arditi, sur un mouvement ambigu, contradictoire et voué à l'éclatement. Il ne s'agit pas d'être des ‘analphabètes politiques’ en reprochant aux gens de voter Grillo plutôt que de nous interroger sur nos propres limites ; mais de nous demander en quoi la guerre de position pour l'hégémonie se gagne en cautionnant sans critiques des conceptions aussi ouvertement réactionnaires que "il y a trop d'immigrés en Italie", "Nichi Vendola (un leader de la gauche bourgeoise - NdlR) est un pédé" ou encore "les syndicats nous font chier, vivement qu'on les interdise"... Le (n)PCI rétorque au PCmI que "l'on pourrait en dire autant de beaucoup de forces ayant participé aux Fronts populaires des années 1930 ou à la Résistance en 1940-45". Pour la Résistance, c'est bien possible, puisqu'il y avait une occupation étrangère donc une dimension patriotique incluant des éléments de droite voire d'extrême-droite. Pour les Fronts populaires, avec un Grillo qui proclame publiquement sa sympathie pour des fascistes (Casapound), c'est nettement plus improbable... Et comme l'expliquait Gramsci, il faut vivre et comprendre son époque : la conscience humaine évolue avec les forces productives, la limite entre ‘progressiste’ et ‘réactionnaire’ évolue et des choses qui pouvaient ‘passer’ il y a 80 ans (homophobie, xénophobie) ne le peuvent plus aujourd'hui. D'autre part, la conception kominternienne des Fronts populaires était elle-même l'expression de grandes limites du marxisme-léninisme à cette époque.

    Enfin, parler de "Comités de Libération Nationale" (??) n'a aucun sens si cette ‘libération’ est celle d'un État impérialiste qui n'est pas occupé militairement par un autre. Cela peut en avoir si l'on considère l'Italie comme un État plurinational, où des Peuples sont soumis à UNE bourgeoisie ‘italienne’ (monopoles du Nord, bureaucrates de Rome, clique vaticane etc.) qui les exploite et les opprime... Mais c'est une autre histoire. L'Allemagne de Merkel n'impose pas militairement l’austérité aux ‘PIIGS’, ce qui signifie que l'austérité est une politique acceptée par les bourgeoisies dirigeantes de ces États, et que le problème principal se trouve là. Parler de ‘libération nationale’, c'est vouloir ‘revivre’ la Résistance antifasciste de 1940-45 dans un contexte totalement différent, travers dans lequel tombent beaucoup de communistes d'un côté comme de l'autre des Alpes, et qui mène souvent au social-chauvinisme (car qui dirige, exploite et opprime alors, si ce n'est pas le Grand Capital national ? une ‘hyper-classe mondialisée’ ? la bourgeoisie impérialiste US et elle seule ?). Il ne faut pas chercher, entre ‘Fronts populaires’ et ‘Libération nationale’, à revivre l’histoire, car le marxisme nous enseigne que l’histoire ne se revit que comme farce

    En définitive, nos divergences avec le (n)PCI ne sont pas dans leur travail théorique et stratégique primordial comme (au moins) matériau de réflexion, aspect qui reste principal, mais bien plutôt dans la source même de ce qui (selon eux-mêmes) guide la stratégie et (de là) toutes les tactiques : la conception du monde. Comme l'explique le (n)PCI lui-même, des limites dans la conception-compréhension du monde, si elles ne sont pas rectifiées, amènent une stratégie erronée (dans son contenu, car il n'est pas difficile de dire que c'est "la Guerre populaire", mais quel contenu lui donne-t-on ?). Par exemple, on peut tout à fait être hostile à ce qu'un coup d’État impérialiste renverse un régime ‘de gauche’, réformiste, progressiste en Amérique latine ; mais si l'on considère que la politique de Chávez au Venezuela était du socialisme (ou une nouvelle démocratie le préparant),  au sens scientifique marxiste, alors il y a un problème quant à la conception du but (le socialisme)... donc des moyens pour y parvenir. Ne parlons même pas de considérer comme tels Kadhafi ou encore Assad...

    panthers-e1300317875581De même, sur le bilan du siècle dernier : pour le (n)PCI, il y a l'URSS et l'Internationale communiste de 1917 à 1956 et ensuite, plus guère de salut : la Chine de Mao tente quelques années de ‘raviver la flamme’, de cette ‘croisade’ anti-révisionniste naît le maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme, mais au final, rien de bien concluant. Pour nous, au contraire, cette première partie de la première vague révolutionnaire mondiale a fait de grandes et glorieuses choses, mais a également montré de grandes limites, dont la répétition est pour ainsi dire la cause de tous les échecs ultérieurs, et les tentatives de dépassement sont la cause de tous les succès. Alors que la seconde partie (1956-1993 selon nous, càd jusqu'à la défaite au Pérou) REGORGE LITTÉRALEMENT d'expériences lumineuses et passionnantes, tant par leurs succès que par leurs échecs, et absolument pas seulement dans les pays semi-coloniaux dominés : dans les États impérialistes également, des Black Panthers US aux communistes révolutionnaires italiens des années 1970, des grandes luttes de l’État espagnol sous la 'transition' juan-carliste aux luttes révolutionnaires de libération basque et irlandaise en passant par les maoïstes de l’État français (1968-75), etc. etc. C'est même, serions-nous tentés de dire, la période la PLUS intéressante dans ces pays : dans la précédente, le mouvement communiste avait encore beaucoup de traits du mouvement socialiste 'revendicatif' antérieur, à l'exception peut-être du Biennio rosso italien de 1919-21 et de la situation révolutionnaire allemande de 1918-20 (et de l’État espagnol des années 1930, mais ce n'était pas vraiment un pays impérialiste à l'époque), et bien sûr de la Résistance antinazie mais dans des circonstances très particulières (occupation étrangère, pas la même chose que combattre sa propre bourgeoisie...). C'est également la période la plus intéressante en Amérique latine, ainsi qu'en Afrique : en fait, sur 3 continents sur 5 ! Bref...

    C'est pourquoi nous attachons autant d'importance, dans la ‘première phase’ que le (n)PCI appelle ‘défensive stratégique’ et nous étape zéro préparatoire, à forger la CONCEPTION DU MONDE, conformément aux enseignements de Marx et Engels, de Gramsci et du (n)PCI lui-même, car cette conception/compréhension de la société et du monde qui nous entoure sous-tend, en dernière analyse, tous les ‘axes’ de la lutte pour l'hégémonie idéologique dans la ‘société civile’ capitaliste, pour nous permettre de créer des ‘bases rouges’, c'est-à-dire des territoires populaires LIBÉRÉS de l'emprise idéologique de la classe dominante, de la ‘mental slavery’ vis-à-vis du Grand Capital... Ce manifestation-barcelone pics 809n'est par exemple ni plus ni moins que cela qui fonde notre ‘occitanisme’ révolutionnaire : pour le Peuple occitan, ‘méridional’, se réapproprier sa culture et (surtout) son HISTOIRE, souvent tragique sous la botte de l’État ‘français’, signifie briser les chaînes de l'aliénation vis-à-vis de la ‘république’ et de la ‘nation française’, synonyme d'allégeance à la bourgeoisie monopoliste, à son idéologie et à sa culture, à ses plans impérialistes etc. Il en va de même, selon nous, en Italie (et pas seulement dans le Mezzogiorno), où l'‘italianité’ n'est autre qu’une allégeance à la grande bourgeoisie piémontaise, lombarde, toscane et romaine qui a fait l'Unité politique de la péninsule en s'alliant avec la Maison de Savoie (puis, après quelques frictions, avec la Papauté et l'oligarchie du Sud), et s'est transformée en bourgeoisie monopoliste ‘italienne’. Mais cela, c'est aux communistes d'Italie d'y réfléchir : nous ne pouvons le faire à leur place que de manière très approximative et superficielle. Dans l'État espagnol, les forces révolutionnaires les plus avancées l'ont déjà fait, et cela donne une multitude de groupes marxistes-léninistes au Pays Basque, le Parti communiste maoïste en Galice, Andalucia communiste en Andalousie, Frayando Cadenes en Asturies, le Journal d'une Colonie aux Canaries ou encore Yesca... en Castille.

    En dernière analyse, ce qui a selon nous ‘péché’ dans l’État français au siècle dernier, c'est de vouloir faire la révolution à partir du Centre, sur le ‘modèle’ de la révolution bourgeoise qui d’Étienne Marcel au 14e siècle à Gambetta proclamant la république définitive en 1870, en passant par les Guerres de Religion, la Fronde du 17e siècle, 1789, 1830 et 1848, s'est toujours décisivement jouée à Paris. Il en va de même, à notre avis, pour tous les grands États impérialistes, même si ce n'est pas à nous d'en juger dans les détails. Cela a conduit (selon nous) à mettre la direction révolutionnaire entre les mains de couches sociales comme l'aristocratie ouvrière, la ‘petite-bourgeoisie salariée’ intellectuelle, les fonctionnaires etc., couches qui doivent leur position sociale au capitalisme et à l’État capitaliste moderne-contemporain, et ne sont donc pas les plus aptes à DIRIGER efficacement leur remise en cause et, à terme, leur destruction.

    En synthèse :

    -       Le (n)PCI a une STRATÉGIE, une vision stratégique à long terme, ce que beaucoup d’autres organisations y compris maoïstes n’ont pas. Il a raison de le rappeler à ses contradicteurs. Mais ceci est une condition nécessaire mais non suffisante. Une mauvaise stratégie ou pas de stratégie du tout garantit une pratique erronée (ou de faire du sur-place), mais l’inverse n’est pas automatiquement vrai : une bonne stratégie ne garantit pas, systématiquement et en tout, une bonne pratique.

    -          Ensuite, avant même la stratégie, il y a la CONCEPTION DU MONDE (la ‘pensée’ comme disent d’autres). Le (n)PCI le dit, mais semble avoir beaucoup plus travaillé sur la première que la seconde. Il semble se contenter, comme conception du monde, du marxisme-léninisme-maoïsme tel qu’il le comprend. Au regard, par exemple, de ses prises de position internationales (sur Chávez et consorts, la Libye, la Syrie, la guerre en ex-Yougoslavie hier), bien que d’autres (sur l’Égypte) soient très correctes, ou de son analyse de l’histoire du mouvement communiste (typiquement sur la  vision dithyrambique de l’URSS et de l’Internationale communiste avant 1956), sa conception du monde semble être en fait un ‘bon vieux’ marxisme-léninisme ‘maoïsant’ de type PC des Philippines ou PCR argentin. Sur le champ de bataille où il opère, l’État italien, il a produit une assez bonne réflexion (qui nous a profondément inspirés à l’époque de notre traduction) dans le chapitre 2 de son Manifeste Programme, mais sans aller selon nous jusqu’au bout de toutes les conséquences. Les Gardes rouges chinois des années 1960-70 disaient parfois que la révolution devait ‘‘retourner la Chine comme un gant’’, et le maoïsme c’est effectivement cela : une DÉCONSTRUCTION, une remise en cause permanente de ce que la pensée dominante, qui imprègne toutes les masses populaires, présente comme l’ordre naturel des choses. Le (n)PCI semble vouloir ‘prendre’ l’État italien pour le faire fonctionner au service des masses populaires, et non le détruire, ne pas en laisser pierre sur pierre. Dès lors, les institutions électives (où l’on accède par des élections) deviennent pour eux un champ de bataille essentiel, la ‘fenêtre de tir’ pour ‘infiltrer’ l’État sans recourir, à ce stade ‘défensif’ de la lutte révolutionnaire, à des moyens illégaux ; et non un simple terrain d’agit-prop (sur le front de la société civile) parmi d’autres.

    Pour notre part, notre conception du monde et notre stratégie sont toujours en cours d’élaboration, à travers la réflexion/analyse permanente, le débat franc et ouvert (sans insulte ni ton hautain, c’est la condition) et la pratique. 


    [Concrètement, et après mûre réflexion sur cet épineux sujet, nous en sommes venus à la conclusion que :

    - Le (n)PCI a PENSÉ l'Italie, là-dessus il n'y a pas photo, et c'est peut-être la seule grande organisation ML ou maoïste existante à ce jour à l'avoir fait de manière aussi poussée dans ce pays. C'est l'objet de tout un immense chapitre 2 de leur Manifeste Programme que nous avons traduit ; et dont nous avons repris une bonne part dans notre article sur la construction historique de cet État.

    - Mais attention, les conclusions auxquelles ils aboutissent ensuite sont un peu boîteuses : l'idée que le "vrai" pouvoir en Italie ("République pontificale") serait en fait le Vatican et son (bien réel) empire financier ; lui-même pilier essentiel d'une espèce d'"ordre mondial" aux côtés de l'impérialisme US-UE, du sionisme etc. L'Italie est "pensée", sur la base de Gramsci et d'une très sérieuse étude, mais à l'arrivée on a l'impression que la subjectivité des auteurs, anticléricale et "Italie = colonie du Système impérialiste mondial" (raisonnement très présent dans le mouvement communiste révolutionnaire des années 1970), finit par prendre le dessus. Cela revient un peu, en définitive, à nier l’État italien (qui serait finalement "fantoche"), la bourgeoisie italienne et (puisqu'on a parlé de Gramsci) la "société civile" qui les protège.

    - C'est sans doute là qu'il faut voir la source de la "Guerre populaire révolutionnaire" qui devient in concreto électoralisme pour un "Gouvernement de Bloc Populaire" (GBP) jusqu'au soutien au mouvement populiste de Beppe Grillo (qui est une "grogne" de la "société civile" protégeant l’État et la bourgeoisie, mais nullement une rupture avec celle-ci). L'aboutissement logique de cette erreur finale d'analyse étant que, bien que soit affirmé et réaffirmé le contraire dans le Manifeste et par ailleurs, l'étape première de la lutte en Italie serait finalement une révolution démocratique bourgeoise... qui peut tout à fait, du coup, passer par les urnes (et un activisme démocratique et syndical principalement légal). Des sympathisants du P-CARC avec qui nous avons pu discuter, nous ont d'ailleurs confirmé que le GBP serait quelque chose comme un gouvernement "à la Chávez" : les communistes et les "organisations ouvrières et populaires" prendraient, finalement et en quelque sorte, l’État italien ; puisque celui-ci est en dernière analyse "fantoche" ; et le conduiraient à ne plus être "fantoche" et à l'affrontement ouvert avec (donc) le Vatican et le "Système impérialiste" dont il est un pilier. En gros, c'est de cela qu'il s'agit. Et oui... mais NON !]

     

    * Après les hécatombes de Lampedusa et de Malte, le (n)PCI a tout de même fini par réagir aux sorties anti-immigrés de Grillo : ‘‘Ils se contredisent eux-mêmes : un Italien sur huit n’a pas de quoi manger, disent à raison Grillo et Casaleggio, soit 7 millions de personnes ; le problème n’est donc pas 50 ou 100.000 désespéré-e-s qui arrivent chaque année en Italie ! Si Grillo et Casaleggio persistent à relayer cyniquement les préjugés criminels des fascistes, de Maroni et Bossi, des promoteurs de la mobilisation réactionnaire, des auteurs et supporteurs des lois Turco-Napolitano et Bossi-Fini, ils finiront certainement très mal. S’ils cherchent à faire du M5S le parti de la mobilisation réactionnaire, le mouvement leur explosera entre les mains, car il n’est pas adapté pour cela’’. Certes... et c’est ce que nous disons depuis le début : le M5S est un mouvement contradictoire qui éclatera, certain-e-s suivant la dérive réactionnaire de Grillo, d’autres la rejetant. Il n’est donc pas possible de faire de ce mouvement le ‘centre’ d’une quelconque mobilisation révolutionnaire ou, en tout cas, progressiste de masse.

     


    votre commentaire

  • Voici la traduction d'un article du (nouveau) Parti communiste italien publié dans son organe La Voce n°44 de juillet 2013. Encore une fois, QUELS QUE SOIENT nos désaccords (que nous n'avons jamais cachés) avec la ligne ‘tactique’ actuelle du (n)PCI, dans sa lutte en Italie même comme sur ses positionnements internationaux, nous considérons que cet article apporte une CONTRIBUTION CONSIDÉRABLE à la réflexion communiste quant aux moyens de mener à bien la révolution socialiste en Europe (États impérialistes ou en tout cas économiquement avancés). Les notes encadrées sont celles de l'article du (n)PCI (traduites par nos soins). Nos notes critiques sont en bas de page.

    Le format d’édition OverBlog nous oblige malheureusement à publier cet article en deux parties.


    Gramsci
    et la Guerre Populaire Révolutionnaire
    de Longue Durée
     


    La “guerre de position” de Gramsci est substantiellement une périphrase pour la plus explicite expression Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée (GPR de LD) que nous utilisons, reprenant celle-ci de Mao.(1)

    1. La Voce du nouveau PCI, n° 43, mars 2013, p. 5

    210284 0 1Nous publions avec grand plaisir l'article du camarade Folco R. qui illustre l'apport d'Antonio Gramsci à l'élaboration de la stratégie de Guerre populaire révolutionnaire comme stratégie de la  révolution socialiste dans les pays impérialistes.

    Avant toute chose parce que le mouvement communiste de notre pays a un besoin absolu d'affiner son analyse quant aux formes de la révolution socialiste. Plus notre lutte avance, plus se développe largement la guerre que nous avons commencée avec la fondation du Parti, plus la crise du capitalisme pousse les masses populaires à s'engager dans la Guerre populaire révolutionnaire comme en 1943-45 un nombre croissant de jeunes, d'ouvriers, de paysans et de femmes au foyer s'engagèrent dans la Résistance, le plus il est nécessaire que le Parti apprenne à traduire la conception générale de la GPR en initiatives concrètes : en campagnes, batailles et opérations jusqu'à la mobilisation des larges masses qui instaureront le socialisme en Italie et donneront ainsi leur contribution à la seconde vague révolutionnaire prolétarienne qui avance dans le monde entier.

    En second lieu, pour donner à Antonio Gramsci la place qu’il mérite pour son œuvre dans le mouvement communiste italien et international. Contre le travestissement de son œuvre par Togliatti et ses complices qui ont présenté Gramsci comme un précurseur de la voie pacifique au socialisme, soit concrètement de la renonciation à la révolution socialiste. Mais aussi contre l’usage anticommuniste que cherche à faire de Gramsci, depuis quelques années, la gauche bourgeoise : celle-ci le présente en Italie et dans le monde comme un opposant à la conception et à la ligne personnifiée par Staline, qui a guidé l’Internationale et le mouvement communiste jusqu’en 1956. Alors qu’en réalité, bien qu’enfermé dans les prisons fascistes, Gramsci a élaboré à la lumière des tâches de la révolution socialiste et de l’expérience du mouvement communiste la critique la plus exhaustive des conceptions de Trotsky et de celle de Boukharine, qui furent les principaux opposants à Staline quant à l’orientation à donner à la révolution en URSS et au niveau international et à la ligne avec laquelle la poursuivre.

    Ces deux motifs justifient amplement la publication de la contribution du camarade, bien que son étude de l’œuvre de Gramsci soit encore en cours, ce qui transparaît dans l’incertitude à indiquer les textes principaux utiles à l’assimilation des enseignements de Gramsci sur la GPR.

    La rédaction

    ****************************************

    Dans le n°43 de La Voce, Umberto C. écrit que Gramsci, “unique dirigeant communiste (...) à avoir réfléchi sur la forme de la révolution socialiste dans les pays impérialistes, (...) a élaboré (v. Carnets de Prison (CP) 7 (§ 16), 10 (I) (§ 9), 13 (§ 7) et autres) la théorie de la “guerre de position” que, en nous libérant du langage imposé par la censure de la prison fasciste, nous appellerions aujourd’hui guerre populaire révolutionnaire de longue durée. [NDLR : ces travaux de Gramsci sur la "guerre de position" sont disponibles en français aux éditions La Fabrique]

    La Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée (GPR de LD) est la révolution socialiste qui se construit. La GPR de LD, comme conception, s’oppose à la conception du sens commun (c’est-à-dire des manières courantes de dire et de penser, fruits du rôle dominant du clergé et de la bourgeoisie) selon lesquelles la révolution socialiste éclaterait, c’est-à-dire serait une rébellion spontanée des masses populaires condamnées à des conditions intolérables. Le mouvement communiste à ses débuts (1848) a hérité de cette conception et a compris la révolution socialiste comme révolution qui éclate, à la manière des révolutions du passé. Mais cette conception se heurtait à l’expérience du mouvement communiste, qui allait en se développant. Les communistes se rendirent peu à peu compte de cette contradiction entre leur conception et la pratique de la révolution socialiste.

    EngelsEngels fut le premier à exposer de manière organique, en 1895, le concept que la révolution socialiste avait par sa nature même une forme différente des révolutions du passé, qu’elle n’éclate pas mais se construit.(2) Mais les partis socialistes d’alors (réunis dans la 2ème Internationale) n’accueillirent pas sa découverte. Même parmi ceux qui se proclamaient marxistes, comme le Parti social-démocrate allemand, l’adhésion des dirigeants au marxisme était dogmatique, à des degrés divers. Le communisme, le socialisme et la révolution socialiste étaient des articles de foi, qui ne se traduisaient pas dans les lignes guidant l’activité courante des partis. Précisément pour cette raison, ceux-ci ne surent pas faire face à leurs tâches, comme cela fut théâtralement démontré par les évènements de 1914. Parmi les partis socialistes d’alors, seul celui de Lénine traduisit dans sa pratique la conception d’Engels. Mais il la traduisit sans faire de la conception d’Engels une arme dans la lutte contre le dogmatisme, l’opportunisme et l’économisme.(3) Il construisit la révolution en Russie comme une GPR de LD, mais sans en avoir conscience (ce qui confirme que la pratique est en général plus riche que la théorie). De même, l’Internationale communiste et Staline conduisirent dans la première partie du siècle dernier, avec succès, la révolution socialiste au niveau international comme GPR de LD dont l’Union Soviétique était la base rouge mondiale, mais ils n’atteignirent pas la pleine conscience de ce qu’ils étaient en train de faire. Ceci laissa au sein de l’Internationale communiste le champ libre au dogmatisme, à l’opportunisme et à l’économisme qui apparurent au grand jour dans les années 1950. Mao Tse-tung fut le premier dirigeant de Parti à élaborer la conception de la GPR de LD comme stratégie de la révolution socialiste. Mao Tse-tung énonça cette conception comme stratégie de la révolution en Chine, la liant aux caractères spécifiques de la situation sociale et politique chinoise (Pourquoi en Chine peut exister le Pouvoir rouge ? - octobre 1928 in Œuvres de Mao Tse-tung, Editions Rapporti Sociali vol. 2, disponible sur le site du (n)PCI http://www.nuovopci.it/arcspip/article0c16.html). Par la suite, elle fut indiquée comme stratégie de la révolution pour tous les pays coloniaux, semi-coloniaux et néo-coloniaux où la masse de la population était encore formée de paysans. C’est seulement avec l’affirmation du marxisme-léninisme-maoïsme comme troisième et supérieur stade de la pensée communiste, que fut acquise la conception que la GPR de LD est la stratégie universelle de la révolution socialiste ; la stratégie que les communistes doivent suivre dans tous les pays pour l’emporter.(4)

    2. Manifeste Programme du nouveau PCI, Ed. Rapporti Sociali, Milano, 2008, sous-chap. 3.3 pp. 199-201 et suivantes, avec les notes 133-138 aux pp. 298-299 (p. 127 et suivantes dans la VF en lien)

    3. Trois déviations sont costamment présentes dans les Partis des pays impérialistes qui se disent marxistes :
    - Dogmatisme : avoir une relation au marxisme analogue à celle du croyant envers les doctrines religieuses, l’assumer comme description du monde mais non comme science guidant l’action pour le transformer.
    - Opportunisme : participer à la lutte politique bourgeoise uniquement ou principalement pour saisir les possibilités (opportunités) qu’offre celle-ci d’améliorer la condition des travailleurs dans le cadre du système de relations sociales bourgeoises. [Nous ajouterions : et les opportunités d’ascension pour soi-même dans ledit système !]
    - Économisme : limiter la lutte de classe aux revendications d’améliorations salariales et des conditions de travail.

    4. Voir à ce propos La Huitième ligne de démarcation en La Voce n°9 de novembre 2001 et n°10 de mars 2002.

    Gramsci, dans sa  condition de prisonnier des fascistes de 1926 à sa mort en 1937, n’a pas dirigé le processus révolutionnaire en Italie, mais en recueillant l’expérience de la révolution socialiste en Italie et dans les autres pays impérialistes, et en analysant également la manière dont les bolchéviks avaient vaincu en Russie, il a apporté une contribution importante à la formulation de la stratégie de GPR de LD.(5)

    5. De la transformation du capitalisme en impérialisme et du changement de la forme de la révolution, Gramsci parle dans le Carnet 8 §236 p. 1088 et le Carnet 10 § 9, p. 1226, en Carnets de Prison, Einaudi, Torino, 2001. De là en avant dans les autres CP. 

    Je vais exposer ci-après les principaux aspects de la GPR de LD que Gramsci a plus ou moins largement abordés dans ses Carnets de Prison. Les citations de Gramsci ou d’autres sont en italique. Les évidentiations en gras sont de moi. [Les soulignements sont de SLP]


    1. La révolution prolétarienne dans la phase de l’impérialisme

    gramsciL’impérialisme est la dernière phase du capitalisme, mais aussi la dernière phase de la société divisée en classes. Elle referme donc non seulement une période séculaire (celle du capitalisme), mais millénaire (celle de la division de l’humanité en classes d’opprimés et d’oppresseurs, d’exploités et d’exploiteurs). La révolution socialiste est donc différente de toutes les autres révolutions, dans le sens précis où les précédentes révolutions servaient à une classe pour conquérir le pouvoir dans une société qui restait divisée en classes d’exploités et d’exploiteurs ; tandis que la révolution socialiste sert à la classe ouvrière à conquérir le pouvoir à la tête du reste des masses populaires, pour établir une société qui pas après pas abolit la division en classes. La forme de la révolution est donc différente : ce n’est plus une insurrection qui éclate, au cours de laquelle une classe prend la tête de la révolte des masses populaires et s’en sert pour s’installer au poste de commandement comme nouvelle classe exploiteuse, mais c’est une révolution qui se construit pas à pas, bataille après bataille, campagne après campagne, comme une guerre au cours de laquelle les masses populaires se transforment, car en s’organisant dans le Parti communiste et les organisations de masse, elles commencent à acquérir le rôle de créatrices conscientes de l’histoire. La révolution socialiste commence donc bien avant la conquête du pouvoir politique et en Italie elle est déjà en œuvre. C’est une révolution qui se construit, conquête de l’hégémonie comme extension et enracinement du Nouveau Pouvoir, initiée comme GPR de LD avec la fondation du nouveau Parti communiste italien, en novembre 2004.

    Le pouvoir, ce que Gramsci appelle hégémonie, dans la société italienne comme dans toutes les sociétés modernes, est en dernière analyse la direction de l’activité pratique des masses populaires. La direction combine la conquête des cœurs et des esprits des masses populaires avec l’exercice de la coercition et avec l’organisation de la vie quotidienne dans tous ses aspects.(6)

    6. MP, p. 203.

    Dans notre pays, la GPR de LD suivra un parcours déterminé par des conditions spécifiques, à savoir la voie de l'accumulation des forces révolutionnaires par la constitution et la résistance du Parti clandestin et par sa direction sur les masses populaires, 1. pour qu’elles s’agrègent en organisations de masse de tout type, nécessaires pour satisfaire leurs besoins matériels et spirituels, 2. pour qu'elles participent à la lutte politique bourgeoise pour en subvertir le cours et 3. pour qu'elles conduisent les luttes revendicatives jusqu’au commencement de la guerre civile [c'est-à-dire l'affrontement entre les forces armées des deux camps]. Ceci est dans notre pays l’équivalent de “l'encerclement des villes par les campagnes” dans les pays semi-féodaux. Il est impossible dans les pays impérialistes d’encercler les villes par les campagnes, mais il est tout à fait possible, et la pratique l’a montré, de définir le développement quantitatif spécifique qui constitue la première phase de la GPR de LD et à travers lequel on va vers sa seconde phase. Avec la guerre civile générée par ce développement quantitatif débutera la seconde phase de la GPR de LD. Le commencement de la guerre civile sera caractérisé par la constitution des Forces Armées Populaires, qui a partir de ce moment disputeront le terrain aux forces armées de la réaction.(7) (1)

    7. La Voce du nouveau PCI, n°17, juillet 2004, p. 31.


    2. L’essence de la Guerre Populaire révolutionnaire de Longue Durée

    L’essence de la GPR de LD consiste en la constitution du Parti communiste comme centre du nouveau pouvoir populaire de la classe ouvrière ; en la mobilisation et l’agrégation croissante de toutes les forces révolutionnaires de la société autour du Parti communiste ; en l’élévation du niveau des forces révolutionnaires ; en leur utilisation selon un plan établi pour affaiblir le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste et renforcer le nouveau pouvoir, jusqu’à renverser les rapports de force, éliminer l’État de la bourgeoisie impérialiste et instaurer l’État de la dictature du prolétariat.(8)

    Gramsci décrit ces traits essentiels en parlant :

    1) du Parti comme Prince moderne,

    2) de forces révolutionnaires qui s’agrègent comme volonté collective nationale-populaire dont le Parti est en même temps l’organisateur et l’expression active et opérante,

    3) de l’élévation des forces révolutionnaires comme réforme intellectuelle et morale,(9)

    4) de l’utilisation des forces révolutionnaires jusqu’à l’instauration de l’État socialiste, c’est-à-dire jusqu’à l’accomplissement d’une forme supérieure et totale (c-à-d. regardant tous les aspects de la société, ndr) de civilisation moderne.(10)

    La GPR de LD commence avec la constitution du Parti communiste. Le Parti communiste se fonde sur la conception communiste du monde : “Dans la pratique nous avons besoin d’un Parti uni, discipliné, fort et sur le long terme un Parti révolutionnaire ne peut être uni et discipliné que si ses membres sont unis par une conception du monde (pour les mouvementistes cela s’appelle une secte, mais c’est une accusation à laquelle les communistes sont habitués) et s’il personnifie ce qui unit les ouvriers au delà des différences et des contradictions de catégories et de métiers, de culture, de nationalité, de sexe, de traditions, et les constitue comme nouvelle classe dirigeante des masse populaires : la conception communiste du monde.”(11)

    La conception communiste du monde est l’idéologie qui pas après pas unifie les masses populaires en leur donnant un objectif commun. Gramsci parle de cela comme du Prince de Machiavel : c’est une conception vivante et concrète qui se matérialise dans la pratique, et non une abstraction dogmatique.(12) C’est le matérialisme dialectique et sa forme la plus avancée qu’est le maoïsme, troisième et supérieure étape de la pensée communiste.

    8. MP, p. 203.

    9. Gramsci parle explicitement de la nécessité de donner une direction consciente aux mouvements spontanés des masses populaires, de les élever à un niveau supérieur dans les CP, pp. 328-332 (Carnet 3 §48).

    10. CP, pp. 1560-1561 (C13 §1).

    11. MP, p. 164.

    12. CP, p. 1555 (C13 §1).


    Santi_di_Tito_-_Niccolo_Machiavelli-s_portrait_headcrop.jpgMachiavel désigne comme guide de la collectivité un individu, un condottiere, un Prince, capable de convaincre en parlant “aux cœurs et aux esprits” des masses populaires, c’est-à-dire par la science et l’art, avec le détachement du savant et la participation de l'artiste. [Note SLP : cette idée de gagner ‘‘les cœurs et les esprits’’ a été depuis reprise, pendant la guerre de libération algérienne... par la doctrine FRANÇAISE de guerre contre-révolutionnaire, qui comme chacun(e) le sait a fait le tour du monde (Amérique du Sud etc.). Formulée autrement : Mao dit que les révolutionnaires doivent être dans les masses ‘‘comme des poissons dans l’eau’’, il faut donc vider l’eau. Encore une preuve que l’ennemi a souvent bien mieux compris la stratégie de la révolution que 90% des autoproclamés révolutionnaires !] Aujourd’hui, la direction des masses populaires ne peut plus être un individu, car le processus révolutionnaire n’est plus de substituer une classe dirigeante de ces masses à une autre, mais de conduire les masses à se transformer jusqu’à se diriger elles-mêmes. Le sujet qui dirige ce processus n’est donc plus un individu, mais un collectif, qui déjà en soi, justement parce que collectif, reflète l'exigence (la possibilité et, à certaines conditions, la capacité) que la collectivité se gouverne d’elle-même et expérimente en son sein la manière de le faire. Ce sujet collectif est le Parti communiste, et c’est avec sa constitution que la révolution commence sous la forme de GPR de LD.

    Là où le Parti communiste est absent ou là où il n’est pas encore assez fort pour pouvoir se mettre à la tête de la mobilisation des masses populaires, celle-ci suit d’autres dirigeants, qui peuvent être des groupes arriérés ou réactionnaires, ou des individus qui endossent le rôle de ‘tribun du peuple’ comme Beppe Grillo. Celui qui critique les masses populaires parce qu’elles suivent Grillo est un analphabète politique ou un incapable qui se refuse à analyser ses propres limites, qui ne se demande pas quelles sont ses limites à cause desquelles les masses populaires suivent Grillo, et non pas lui ou son groupe. Il se consolera avec l’idée fausse et absurde que les masses populaires sont arriérées, incapables de progresser, en raisonnant de la même manière que la bourgeoisie impérialiste, c’est-à-dire en partageant le mépris de la bourgeoisie pour les masses populaires.

    Le Parti que décrit Gramsci est aujourd’hui le nouveau PCI avec sa caravane, c’est-à-dire avec les forces qui partagent son parcours en terre encore inexplorée, vers une destination concrète et rationnelle certes, mais d’une concrétude et d’une rationalité non encore vérifiée et critiquée par une expérience historique effective et universellement connue.(13) La caravane du nouveau PCI fait la révolution dans un pays impérialiste, entreprise nouvelle pour le mouvement communiste international, et expérimente une méthode nouvelle dans un pays impérialiste, la GPR de LD. Nous ne pouvons donc compter sur des expériences précédentes effectives, qui auraient été efficaces. Nous n’avons pas d’exemples à apporter à ceux hésitent ou doutent.(14)

    Celui qui continue a hésiter, à garder des réserves, à regarder avec scepticisme la passion qui nous anime, ne peut de toute façon rester tel qu’il est, car l’avancée de la crise lui impose de se transformer. Quand la maison brûle il faut sortir, dit Bouddha dans le poème de Brecht.(15)

    Si nous ne pouvons apporter la preuve d'un résultat avéré, car personne n’a encore fait ce que nous faisons aujourd’hui, nous apportons cependant animés par la passion de celui qui découvre des terres nouvelles et construit quelque chose de nouveau, la conscience que nous sommes en train de réaliser “le rêve d’une chose” que le monde possède depuis longtemps : l’abolition de la division des êtres humains en classes d’exploités et classes d’exploiteurs.(16)

    13. CP, p. 1558 (C13 §1).

    14. Bien entendu, à l’appui et comme “démonstration” de notre ligne, nous pouvons apporter, outre l’analyse de la lutte de classe en cours aujourd’hui, l’expérience de la première vague de la révolution prolétarienne : tant des succès obtenus avec la fondation des premiers pays socialistes (à partir de la Révolution d’Octobre et de la création de l’Union soviétique), qui pour quelques décennies jouèrent le rôle de bases rouges de la révolution prolétarienne mondiale, que des échecs que nous avons subis. Nous sommes radicalement contre l’oubli et à fortiori le dénigrement de l’expérience historique de la première vague de la révolution prolétarienne, et en particulier de celle des premiers pays socialistes. Notre position est scientifique : nous usons de l’expérience,  des réussites et des échecs, pour élever à un niveau supérieur la science de la transformation de la société bourgeoise en société communiste, la science par laquelle nous remporterons la victoire. Cette attitude nous distingue nettement de la gauche bourgeoise, y compris de ses représentant-e-s qui se disent communistes (comme par exemple les fondateurs de Ross@ réunis en Assemblée à Bologne le 11 mai 2013) et y compris des adorateurs du “socialisme du XXIe siècle” d’ici ou d’ailleurs, à la Luciano Vasapollo et à la Martha Harnecker, qui insidieusement présentent l’importante lutte en cours au Venezuela et dans d’autres pays d’Amérique latine principalement comme une alternative et une négation du socialisme du XXe siècle, celui de la première vague de la révolution prolétarienne et des premiers pays socialistes [SLP : Il l’est pourtant, mais dans le mauvais sens du terme, c’est-à-dire non pas d’un dépassement positif des limites du ‘socialisme réel’ du siècle dernier, mais d’un rejet des principes socialistes scientifiques les plus élémentaires, au profit d’une social-démocratie redistributive se voulant ‘radicale’ – en paroles en tout cas. Nous publierons bientôt un EXCELLENT texte vénézuélien à ce sujet...]. Que dirait-on, dans quelque domaine de l’activité humaine que ce soit, de personnes qui se disent décidées à poursuivre un objectif mais qui ignorent, occultent voire dénigrent l’expérience de tous ceux et celles qui l’ont poursuivi avant eux, au prétexte qu’ils et elles ne l’ont pas atteint ?

    15. “Il y a quelque temps je vis une maison. Elle brûlait. Le toit était léché par les flammes. Je m’approchai et je m’aperçus/ qu’il y avait encore des gens, là-dedans. Depuis le seuil/ je leur criai que le toit était en feu, les appelant à sortir et vite. Mais ils ne paraissaient pas être pressés. L’un d’eux me demanda, tandis que le feu déjà lui brûlait les sourcils/ quel temps faisait-il, s’il pleuvait,/ s’il y avait du vent, s’il y avait une autre maison,/ et ainsi de suite. Sans répondre, je m’en allai de là. De tels gens, pensai-je/ devraient brûler avant qu’ils ne cessent de poser leurs questions”. (B. Brecht, La parabole de Bouddha sur la maison en flamme).

    16. “Il sera alors avéré que le monde possède depuis longtemps le rêve d’une chose, et qu’il ne lui manque que d’en posséder la conscience pour la posséder réellement.” (K. Marx, Lettre à Ruge, septembre 1843 - Œuvres complètes, Editori Riuniti 1976, vol. 3 pag. 156).


    3. La révolution se construit

    Selon le sens commun, la révolution socialiste éclate : c’est donc un évènement limité dans le temps, une insurrection, une révolte, un soulèvement populaire spontané, comme dit précédemment. Cette conception s’est sedimentée dans le sens commun car les révolutions jusqu’à un certain moment de l’histoire se sont toujours manifestées, du côté des masses populaires, comme des insurrections, comme des explosions spontanées dues à la maturation de conditions qui rendaient impossible la perpétuation des conditions existantes. Mais dans le sens commun, au concept de la “révolution qui éclate” fait face le concept opposé, celui de “faire la révolution”. Dans le premier cas, les masses populaires s’insurgent face à une situation devenue intolérable. Leur mouvement est donc un mouvement passif : un mouvement que les masses effectuent mues non pas par une transformation internes à elles-mêmes, mais par des facteurs externes déterminés par l’action des autres classes, comme un corps qui se meut parce qu’impulsé par un autre. Dans le second cas, les masses populaires font (c-à-d. construisent) la révolution: c’est un mouvement actif. L’activité requiert une conscience: idéation, programmation, 220px-Black-Panther-Party-armed-guards-in-street-shotgunsexamen en cours d’œuvre, bilan, détermination ; en somme, implication de nos facultés intellectuels et morales au plus haut niveau, car la révolution signifie découvrir des choses nouvelles et inventer, et parce que la classe adverse utilise tous les moyens, infamies et cruautés pour maintenir son propre pouvoir.

    Les deux manières d’entendre la révolution se distinguent comme opposés, car le premier conduit la révolution socialiste à la défaite, tandis que le second la conduit à la victoire. La première manière fonctionne effectivement et depuis des millénaires, dans les sociétés divisées en classes ; mais cesse de fonctionner à un moment donné de l’histoire, précisément lorsque sont mûres les conditions pour l’abolition de la division en classes, c’est-à-dire en Europe au milieu du XIXe siècle. À ce moment-là naît le sujet qui dirige l’abolition des classes : le mouvement communiste conscient et organisé (avec ses Partis, ses syndicats et autres organisations de masse). La publication du Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels, en 1848, en est “l’acte de naissance”. Le mouvement communiste conscient et organisé commence à faire la révolution, et ne l’emporte, que lorsque plus ou moins consciemment il construit la révolution, et lorsqu’il ne le fait pas, il apprend à ses dépens que la révolution, désormais, n’est plus quelque chose qui éclate.

    Le tournant est d’importance historique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un changement social va être pensé par les masses populaires qui le mettent en œuvre, et non déterminé par des causes externes à elles. La conscience (la raison et la volonté) des êtres humains, leur conception du monde, assume un rôle sans précédent. Nous pouvons, et donc devons, réaliser l’antique rêve de construire une société et une civilisation par des méthodes rationnelles, et il appartient à la classe ouvrière de diriger ce processus.(17)

    17. Construire la société et une civilisation selon une méthode rationnelle suscite l’horreur dans le camp de la bourgeoisie impérialiste. Selon la conception bourgeoise du monde, c’est une “limitation de la liberté individuelle” : en réalité c’est une négation de la liberté de la bourgeoisie. Refuser l’usage d’une méthode rationnelle dans la construction de la révolution socialiste, c-à-d. la position de ceux qui considèrent que cette méthode limite la “spontanéité” des masses populaires et de leur “insurrection qu’on attend”, est un expression de la conception bourgeoise du monde.

    Cette conception du monde a parmi ses fondements la conscience que la révolution se développe (se fait) à la manière dont se fait (se promeut et se conduit) une guerre, et aujourd’hui la conscience qu’il s’agit d’une GPR de LD, expérimentée dans les pays opprimés et semi-coloniaux de manière consciente par le Parti communiste chinois. Sur la base de l’expérience de la révolution socialiste en Europe au début du XXe siècle, Gramsci explique que cette stratégie vaut également pour les pays impérialistes, donc également pour l’Italie.


    4. La lutte de classe est une guerre

    Gramsci décrit la lutte de classe comme une guerre. Il dit que le passage de la guerre de manœuvre (et de l’attaque frontale) à la guerre de position advient aussi dans le domaine politique et critique Trotsky qui, d’une manière ou d’une autre, peut être retenu comme le théoricien politique de l’attaque frontale dans une période où celle-ci mène uniquement à la défaite.(18)

    18. CP, pp. 801-802 (C6 §138). Les CP contiennent la critique la plus exhaustive qui ait été faite à ma connaissance de l’acception que Trotsky fait sienne de l’expression “révolution permanente” utilisée par Marx et Engels et de la conception construite par Trotsky à l’enseigne de la “révolution permanente”.  La plus exhaustive dans le sens où la critique est menée non seulement à la lumière des tâches de la révolution socialiste en Russie et de l’Internationale communiste dans les années 1920, mais de toute l’expérience historique du mouvement communiste en Europe et en Russie à partir de sa fondation en 1848.

    Par guerre de manœuvre ou de mouvementGramsci entend celle qui considère l’attaque comme une opération rapide et conclusive, comme une insurrection populaire dont le Parti communiste prend la tête. C’est une guerre destinée à la défaite face à un ennemi qui de son côté conduit une guerre planifiée, avec tous les instruments politiques et militaires dont il dispose en grande quantité.

    À partir du moment, au milieu du XIXe siècle, où sont mûres en Europe les conditions pour l’abolition des classes, la bourgeoisie met en place des instruments politiques et militaires pour empêcher que ceci advienne. Dans les régimes de contre-révolution préventive prévalent les instruments politiques [SLP : c-à-d les instruments d’encadrement pseudo-‘démocratique’ et/ou ‘social’ et, surtout, d’aliénation INTELLECTUELLE, culturelle et morale des masses par l’idéologie dominante du Grand Capital : ce que Gramsci appelle la société civile ; par opposition à la société politico-militaire qui est prosaïquement ‘‘la mitraille pour la canaille’’, l’appareil RÉPRESSIF d’État, les méthodes de gouvernement qui prévalaient encore en 1871 lors de l’écrasement des Communes. L’on peut dire que c’est entre cette répression et le début du 20e siècle (‘Belle Époque’) que s’est mise en place en Hexagone, notamment avec l’école de Jules Ferry et les réformes politiques et sociales de la République, cette société civile. Cette prévalence de la société civile est la marque d’un capitalisme monopoliste ou en tout cas très développé. Le (n)PCI distingue au total cinq piliers de la contre-révolution préventive : aliénation idéologique et culturelle, concessions sociales (récupérées de l'autre main par la "société de consommation"), illusion démocratique avec les élections ("pièges à cons") etc., syndicats et autres structures "jaunes" voire empêcher toute organisation pour ses intérêts (s'organiser serait "d'la meeerde"), et répression ciblée des révolutionnaires - lire le Manifeste traduit p. 33] .(19)

    Plus la crise avance et s’effritent les piliers des régimes de contre-révolution préventive, plus la lutte de classe manifeste ouvertement son caractère de guerre de classe (et plus l’inconsistance du mouvementisme devient évidente).(20) Ici, dit Gramsci, l’on passe à la guerre de siège, éreintante, difficile, demandant des qualités exceptionnelles de patience et d’esprit inventif.(21) La guerre de siège, ou guerre de position est la GPR de LD contre la bourgeoisie impérialiste, et le Parti communiste qui la conduit doit avoir patience, fermeté stratégique face aux attaques de l’ennemi et capacité à combattre pour tout le temps nécessaire, et esprit inventif, flexibilité tactique et capacité d’innovation nécessaire pour qui s’aventure en terrain inexploré, comme c’est le cas de la caravane du nouveau PCI.(22)

    19. Ce que sont les régimes de contre-révolution préventive est expliqué dans le MP, pp. 46 et suivantes.

    20. Mouvementisme : limiter la lutte de classe aux formes d’action conformes au sens commun et aux relations propres à la société bourgeoise, excluant la projectualité et encore plus la conception communiste du monde. En substance, équivaut à du spontanéisme. 

    21. CP, p. 802 (C6 §138).

    22. Gramsci revient sur l’opposition entre guerre de position et guerre de mouvement ou frontale, c-à-d. entre GPR de LD  et insurrection dont l’éclatement est attendu par les spontanéistes, économistes ou mouvementistes, dans les CP, p. 865 (C7 §16). Ici Lénine est désigné comme celui qui a mené la GPR de LD. Du côté opposé Gramsci place Trotsky, Sorel et Rosa Luxemburg.

    Lire la suite 


    (1) Pour nous, il y a ce que nous appelons l'étape zéro de la Guerre populaire, entendue dans un double sens :

    -          La résistance spontanée des masses à l'oppression du Capital (‘‘là où il y a oppression il y a résistance’’, ‘‘on a raison de se révolter’’), atteignant parfois un certain degré d'antagonisme, un degré ‘visible’, mais sans direction ni stratégie visant, pour les masses populaires, à prendre le pouvoir. L'on peut faire, en réalité, remonter le début de cette étape zéro au moment où le prolétariat prend conscience de lui-même et commence à lutter pour ses intérêts propres (en Hexagone, on admet généralement la date de 1848), ou encore au triomphe total de la bourgeoisie capitaliste sur la féodalité (fin 18e-début 19e siècle), ou encore aux débuts du capitalisme lui-même, au Moyen Âge. Mais en réalité, c'est dans tous les cas un conflit diffus, avec ses périodes de grande radicalisation et ses périodes de ‘trêve’, de ‘calme’, de ‘paix sociale’ : les périodes de grande accentuation sont globalement ce que le (n)PCI appelle ‘situation révolutionnaire en développement’, une situation ‘potentiellement révolutionnaire’ comme typiquement le Biennio rosso (1919-21) ou les années 1970 en Italie, ou 1968 et les années suivantes en Hexagone.

    -          Les préparatifs du Parti, lorsqu’il existe, visant par l’élaboration et la diffusion pratique de sa conception du monde à constituer une ‘masse critique’ de soutien populaire où il sera ‘‘comme un poisson dans l’eau’’ ; le ‘‘remplissage du bassin’’ en quelque sorte…

    19Ce que le (n)PCI appelle ici ‘‘première phase de la Guerre populaire’’, c'est en fait le travail préparatoire du Parti prétendant à la direction révolutionnaire des masses, au sein de l'étape zéro, pour passer à l'étape 1 : la défensive stratégique de la Guerre populaire déclarée, proprement dite. C'est le travail de construction de l'antagonisme et de la rupture  sur le terrain de la société civile, et de préparation organisationnelle et opérationnelle sur le terrain politico-militaire. La seconde phase, c'est la Guerre populaire proprement dite ; une guerre d'intensité variable, peut-être faible au début mais allant en s'intensifiant, qui se caractérise par 1°/ un Parti dirigeant et identifié comme tel par les masses, avec sa Force combattive et son/ses Front(s) révolutionnaire(s) et populaire(s) uni(s) (organisations de masses générées, organisations alliées diverses), 2°/ une conception du monde (idéologie), une STRATÉGIE, un PLAN DE TRAVAIL et de lutte clairement établi (modifiable et rectifiable, mais établi dans son principe) pour la conquête du pouvoir par les classes exploitées. C'est l'affrontement clair entre deux camps, deux armées : la bourgeoisie avec principalement son État, mais aussi éventuellement des forces para-étatiques ; et le prolétariat à la tête des masses populaires, avec le Parti, sa Force de combat et son/ses Fronts. C'est à partir de là qu'il y a un sens à parler de défensive, équilibre et enfin, un jour (oser l'espérer, c'est oser lutter donc oser vaincre...), offensive pour la conquête du pouvoir. 

    lenin1917L'erreur du (n)PCI, selon nous, est de qualifier la phase préparatoire au sein de l'étape zéro de défensive stratégique, ce qui est la source de ses erreurs ou en tout cas, des malentendus qu’il suscite au sein des FSR (forces subjectives de la révolution). Par exemple, il qualifie pour le Parti bolchévik la période qui va de sa fondation (1903) à février 1917 de défensive stratégique, la période de février à octobre d'équilibre et la Révolution d'Octobre puis la Guerre civile jusqu'en 1920 voire 1921 d'offensive. Pour nous, 1903 à février 1917 correspond à une phase de préparation dans l'étape zéro, février à octobre 1917 est une situation de défensive parvenant au début de l'automne au bord de l'équilibre (situation de double pouvoir), équilibre atteint avec la Révolution d'Octobre et ensuite c'est l'offensive (la Guerre civile) jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul pouvoir en Russie, celui des soviets et des bolchéviks : défensive et équilibre sont donc très courts, et l'offensive longue et difficile (ainsi que la préparation). Les différentes phases sont d'amplitude variable (de plus, dans l'exemple précis, les bolchéviks n'avaient pas eux-mêmes conscience du plan qu'ils suivaient), selon les milliers de situations révolutionnaires possibles : en Chine, au contraire, c'est la défensive stratégique qui est très longue, du premier Front uni (1924-27) jusqu'au sortir de la Guerre mondiale (1945-46) où l'on avait atteint l'équilibre, puis vint enfin l'offensive (1946-49). La situation fit que les préparatifs (1921-24) furent très courts et le Parti se lança très vite dans la guerre civile qui ravageait le pays. La période de réorganisation 1927-1930 (après le revers sanglant des massacres de Tchang Kaï-chek à Shanghai et Canton) est également assimilable à une phase préparatoire.  Mais ce qui est certain, c'est que dans des pays ‘avancés’ (à forte société civile), la Guerre populaire ouverte et sa préparation tendront certainement à être l'équivalent du papillon et de la chenille... Dans les pays ‘arriérés’ à société politico-militaire ultra-dominante en revanche, comme la Chine des années 1920 ou le Pérou de 1980, le Parti peut se lancer dans la Guerre populaire ouverte assez rapidement après sa création.

    Cela ne veut pas dire que tous les aventurismes sont permis dans le tiers-monde (l'exemple tragique de Che Guevara est là pour le démontrer), et cela ne veut pas dire que dans les pays ‘avancés’ il faille ‘attendre’ tranquillement, dans une activité revendicative légaliste, la ‘situation’ permettant de ‘donner l'assaut’ : une situation permettant de passer à la guerre ouverte contre les dominants, cela se construit. Mais cela veut dire qu'il faut savoir être patients et agir conformément à l'analyse concrète de la situation concrète, même si la situation (misère ou appauvrissement des masses, crise, montée de l’État policier et du fascisme, du militarisme etc.) peut donner un poder popularsentiment d'urgence. Y aller en kamikazes comme les CCC, la RAF ou le PC politico-militaire d'Italie, c'est réellement faire perdre aux masses (en prison ou au cimetière) des cadres révolutionnaires de très haute qualité !

    Néanmoins, et cela reste pour nous le PRINCIPAL, le (n)PCI a l'insigne mérite de nous INDIQUER (même partiellement) la voie, dans une période où, quelles que soient les chansons que certain-e-s se chantent, le mouvement communiste avance encore à tâtons, encore abasourdi par l'onde de choc de la trahison ou de la faillite des expériences du siècle dernier. Il nous montre la voie en rejetant, d'un côté, le militantisme revendicatif ‘plan-plan’ (social/syndical, démocratique, internationaliste, écologiste, peu importe) qui attend désespérément les ‘conditions’ pour le 'Grand Soir' insurrectionnel ; et de l'autre, les appels aussi exaltés (‘possédés’ pour plagier Dostoïevski) que groupusculaires à l'insurrection ou à la ‘Guerre populaire’ (ce qui, comme incantation, revient au même), dont les sacro-saintes conditions ne sont là non plus jamais réunies, puisque les conditions OBJECTIVES de la révolution prolétarienne sont déjà là depuis plus d'un siècle tandis que les conditions SUBJECTIVES (celles qui manquent !) ne tombent pas du ciel mais SE CONSTRUISENT. Il nous indique la voie en rejetant aussi bien le ‘massisme’ (mouvementisme, spontanéisme), sacralisation de l'initiative des masses ou d'une fraction de celles-ci (la ‘classe ouvrière’), ce qui est par exemple le problème du NPA trotskyste ; que le ‘partidisme’, l'ultra-avant-gardisme pour lequel ‘‘sans le Parti il n'y a rien’’, un Parti omniscient et infaillible qui a toujours raison y compris contre les masses et, lorsque la réalité contredit son dogme, c'est la réalité qui se trompe (typiquement le ‘p’‘c’‘mlm’ ou encore les trotskystes de LO). En rappelant, également, le principe marxiste-léniniste essentiel de fermeté absolue dans la stratégie et souplesse absolue dans la tactique, contre les opportunistes qui rejettent la première (voire n'ont PAS de stratégie, voire ne veulent PAS la révolution, ce qui clôt le débat) et les dogmato-gauchistes (‘massistes’ comme ‘partidistes’) qui rejettent catégoriquement la seconde, rejoignant de fait les ‘incantateurs’ de l'insurrection ou de la Guerre populaire cités plus haut et, devant l'absence des ‘conditions’ pour que les masses ou la ‘classe ouvrière’ (fantasmée) mènent la révolution ‘puriste’ qu’ils appellent de leur vœux, tombent de facto dans le militantisme plan-plan ou ne font carrément RIEN.

    Un point reste cependant à éclaircir : lorsque le (n)PCI dit que ce qui a conduit à l'échec de la première vague révolutionnaire mondiale, c'est que les communistes n'ont pas réussi à prendre le pouvoir dans les pays impérialistes. Entendu dans le sens où, en laissant les ‘têtes’ du système impérialiste mondial intactes, celles-ci ont fini par reprendre le dessus (comme une tique ou un ver solitaire), nous sommes d'accord. Si les communistes chinois n'avaient pas réussi à prendre les villes et les avaient laissées au Kuomintang et à l'impérialisme, il est évident que ces derniers auraient fini tôt ou tard par reprendre l'initiative et écraser les campagnes rouges. Ils y ont réussi, car dans les villes il y avait aussi des communistes qui faisaient leur travail. Mais si le (n)PCI entend que la nouvelle vague révolutionnaire mondiale doit PARTIR des pays impérialistes, des pays les plus avancés, que le ‘problème’ de la première vague a été justement de partir de pays arriérés, nous ne sommes pas du tout d'accord. Pour nous, l'universalité de la Guerre populaire est que la révolution (négation du capitalisme par le communisme) se déploie des PÉRIPHÉRIES, là où le IRA quote by ookami no getsueicapitalisme est à la fois le plus violent et le moins fort (et souvent un phénomène récent), vers les CENTRES (là où il est le plus avancé, généralement le plus ancien, et le plus fort). Nous pouvons nous agiter dans tous les sens que nous voudrons, nous pensons qu'il n'y a RIEN À FAIRE : le ‘Tiers-Monde’ (Asie, Afrique, Amérique latine et caraïbe) aura toujours un mouvement révolutionnaire quantitativement et qualitativement plus important que la ‘Triade’ Europe de l'Ouest/Amérique du Nord/Japon (+ Australie et Nouvelle-Zélande) ; et les régions et autres territoires les plus arriérés, ‘sous-développés’, ‘relégués’ d'Europe (péninsule ibérique, Italie du Sud, Balkans et ‘pays de l'Est’, Irlande-Écosse-Galles, Sud occitan, Ouest et bordure Nord de la ‘France’, Borinage wallon, ex-RDA etc., + les grands ghettos urbains) et d'Amérique du Nord (territoires à forte concentration indigène/métis, afro-descendante ou hispanique) auront toujours un mouvement révolutionnaire supérieur aux zones plus avancées, plus ‘développées’. Cela ne veut pas dire que les forces révolutionnaires de ces pays et zones avancés n'aient rien à faire sinon attendre passivement le ‘Messie’ d'une révolution à l'autre bout du monde (ce serait, en l'occurrence, une forme spécifique d'‘attente des conditions’) : au contraire, être aux portes des Centres veut justement dire beaucoup de pain sur la planche révolutionnaire, beaucoup de responsabilités ! Mais il y a un sens historique, objectif de déploiement de la révolution prolétarienne ; un ‘‘sens du vent de l'histoire’’ contre lequel on ne peut rien. Notre tâche est de déterminer dans chacun de nos États impérialistes où sont les périphéries, qui sont en quelque sorte les "failles de la forteresse". Nous y reviendrons dans la note critique n°2, après la deuxième partie de l'article.

     


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  • (1ère partie

    L'organisation sociale médiévale, en résumé, c'est donc :

    olargues castrum2 ll1°/ Une autorité politique féodale (éminente) qui a un rôle essentiellement subsidiaire ; qui n'intervient dans la vie sociale que lorsque l'on fait appel à elle (elle n'a même pas vraiment de percepteurs pour les taxes et redevances, puisqu'elle gère le 'commerce extérieur' du fief et ponctionne à ce moment-là). Le reste du temps, les nobles chassent, ripaillent, font la fête, écrivent des poèmes (troubadours), voyagent (beaucoup !) et font la guerre (leur fonction sociale première) ; les moines et autres hommes d’Église prient Dieu d'épargner au peuple les calamités naturelles ou autres (cela peut sembler ridicule, mais à l'époque c'est ainsi : on n'a pas d'autre 'recours' contre la nature), et compilent le savoir (en recopiant et recopiant à l'infini traités de science ou de jurisprudence et 'annales' historiques, les écrits d'alors ne se conservant que quelques dizaines d'années). Si leurs décisions sont contestables et donc contestées, on fait appel au suzerain (comte, duc), puis au roi ou à l'Empereur (dans l’Empire romain germanique), à l'évêque puis à l'archevêque puis carrément au Pape. Issus de l'administration (toute théorique) des royaumes germaniques (burgondes, wisigoths, mérovingiens, carolingiens), qui a elle-même succédé... à l'administration romaine (depuis le niveau le plus local jusqu'à celui de la grande province), ils assurent certes, politico-militairement et idéologiquement (religion, 'valeurs chevaleresques'), la cohésion de la société. Mais il faut s'enlever de la tête l'idée d'une autorité omniprésente dans la vie quotidienne des masses populaires : cela n'apparaît qu'avec l’État moderne, indissociable du capitalisme qui transforme la collectivité sociale en une somme d'individus, mode de production instable par nature qui doit en permanence être défendu de ceux qu'il exploite et gruge... et de lui-même, de ses propres contradictions, de la concurrence acharnée qui est son essence même. Les 'libéraux' ultra-capitalistes fantasment sur un ’État minimal' qui jouerait un rôle purement subsidiaire ; mais en réalité, si celui-ci est possible dans une féodalité 'qui va bien' (pas en crise), il est totalement impossible dans le capitalisme, qui a au contraire besoin d'une puissance publique maximale (la seule question étant, en réalité, de savoir si cette puissance publique doit faire du social ou se limiter au 'régalien').

    2°/ Une communauté sociale et productive (urbaine et villageoise) qui l'essentiel du temps s'administre elle-même, en 'républiques' (avec des 'rangs' en fonction du patrimoine) qui ont leurs conseils, leurs magistrats élus etc. Les bourgeois urbains sont devenus la classe dominante, qui a paysansauchamppris totalement le pouvoir en 1789 ; ce sont donc eux qui ont laissé des 'traces' de cela ; mais il est certain que les villages de campagne ou les vallées de montagne fonctionnaient sur un mode similaire – dans ce dernier cas des exemples ont subsisté jusque très tard (1789), avec par exemple les Escartons des Alpes occitanes ou les 'républiques pyrénéennes', voire jusqu'aujourd'hui puisque la 'principauté' d'Andorre (en fait une république, l'autorité des ‘coprinces’ étant purement symbolique) ou encore les cantons suisses ne sont à l'origine rien d'autre. Ce rôle de la géographie dans le maintien tardif de l'organisation communautaire est évidemment à souligner, puisqu'avec les moyens techniques de l'époque une géographie montagneuse était un sérieux obstacle à l'imposition d'une autorité étatique moderne (n'oublions pas que si les Capétiens y ont finalement réussi, les grands féodaux avant eux avaient également essayé). Une géographie accidentée était également incompatible avec la grande villa romaine, devenue au Moyen-Âge le type de domaine féodal où la condition paysanne était la plus dure, la plus proche de l'esclavage antique (qui est l'étymologie de serf : servus = esclave) ou de l’hilotisme spartiate. Il suffit de regarder une carte de l’État français pour voir dans quelle partie de celui-ci le relief est le plus montagneux... 

    Alors, peut-on parler d'ayllu, de communauté populaire 'communiste' en Europe médiévale ? Cela dépend, à vrai dire, du lieu et de l'époque.

    C'est sans doute beaucoup plus vrai au Haut Moyen-Âge (avant l'An Mille) qu'ensuite, lorsque la féodalité entre dans sa première crise générale (12e-15e siècles), et a fortiori dans la féodalité 'en survie artificielle' de l'époque absolutiste (après 1500).

    escartouLe paysan occitan est souvent plus libre (alleu, tenure libre ou servage réel) : à la veille de la Conquista, vraisemblablement près de la moitié des paysans sont ainsi alleutiers ; surtout dans les régions montagneuses plus difficiles d'accès où même prélever l'impôt relève pour l'autorité féodale de la gageure, au point que parfois elle y renonce en échange d'un tribut annuel symbolique (comme celui que versait, encore récemment, la principauté d'Andorre à la République française et à l'évêque d'Urgell, mais on trouvait aussi le cas dans d'autres vallées pyrénéennes et dans les Escartons alpins). Là, l’économie de type pastorale et forestière présente évidemment des caractéristiques collectivistes marquées, et les populations vivent en complète république villageoise. La majorité des autres est en tenure plutôt libre et même le servage est considérablement adouci par le droit écrit, hérité de Rome et des Wisigoths, qui limite l'arbitraire seigneurial [dès l'époque wisigothique (Bréviaire d'Alaric), le servus dispose librement quoi qu'il arrive de la moitié de ses biens]. "Paradoxalement", 6 siècles plus tard, au lendemain de la "Révolution", les départements occitans seront ceux qui compteront la plus forte proportion de métayers, statut paysan le plus défavorable : cherchez l'erreur ! "Que diable" a-t-il donc bien pu se passer... Mais quoi qu'il en soit, l'individualisation de la parcelle et de la production est donc, dès l'époque des comtes de Toulouse, bien prononcée dans les plaines de tenure.

    De l'autre côté de la barrière de classe, ces conditions ainsi qu'un système d'héritage complexe affaiblissent considérablement l'aristocratie... qui est aussi l'institution militaire : c'est la cause du grand développement de l'économie marchande et de la civilisation urbaine dès avant l'An 1000, mais aussi sans doute l'une des causes de la défaite du 13e siècle face à des chevaliers francs féroces et déterminés, appuyés sur une masse de paysans quasi-esclaves.

    Car au Nord de la Loire, en 'vraie France' (Bassin parisien), on l'a dit, le grand domaine féodal tend beaucoup plus vers la villa romaine esclavagiste (servage personnel, 'dur').

    Dans tous les cas, la communauté villageoise médiévale est sans doute plus 'solidaire' que réellement collectiviste ; la propriété familiale (d’abord lopin de subsistance, puis s’étendant avec la tenure) y cohabite, à des degrés divers selon les régions, avec la propriété collective (pâturages, forêts etc.) et avec la propriété directe du seigneur (réserve), que l'on cultive dans des conditions qui peuvent être quasiment ‘asiatiques’ tributaires comme, au contraire, de servage 'dur', semi-esclavagiste (à la fin de l’Ancien Régime, la réserve directe du châtelain – ni affermée ni en métayage – sera surtout cultivée par des journaliers, des ouvriers agricoles au salaire de misère : au moins les choses étaient devenues claires)... Tout dépend !

    Les villes, quant à elles, sont des républiques BOURGEOISES, à tendances oligarchiques, avec de fortes hiérarchies de fortunes et de privilèges, des 'grandes familles' etc. : pas l'ombre d'un collectivisme ici (d'ailleurs, si un mouvement politique met en avant cette organisation sociale corporatiste, ce sont les fascistes, pas les communistes !). La conquête capétienne s'appuiera rue_marchande.jpgd'ailleurs largement sur ces contradictions internes entre rangs sociaux, sur les rivalités entre grandes familles patriciennes urbaines etc. pour asseoir son autorité (on se vend à la monarchie pour devenir 'calife à la place du calife', pour prendre sa revanche ou éliminer ses rivaux etc.). 

    Ce qu'il faut, selon nous, retenir de l'organisation sociale/politique médiévale, c'est plutôt son idée de subsidiarité, de la communauté politique locale vers l’autorité supérieure et encore supérieure, qu'un véritable mode de vie 'communiste' des communautés.

    La communauté du pagus, qui a la propriété utile (concrète) des moyens de production (la terre, les semences, les troupeaux, les outils) répartie de manière variable entre le collectif et les familles individualisées, organise son travail de manière, une fois versé au seigneur (baron, abbaye, grand patricien vivant en ville) ce qui lui est ‘dû’, à garder le plus possible pour elle. Rien n’empêche le seigneur, sur sa réserve directe, de faire travailler ses serfs personnels (c’est la personne qui est servile, pas la terre qu’il travaille) comme des esclaves, avec des contremaîtres etc., mais cette organisation du travail a déjà montré ses limites sous l’Empire romain, et l’a conduit à la décadence. On ‘sait’ donc, en principe, que plus la communauté est librement organisée plus elle est productive ; et globalement, le servage personnel a pratiquement disparu à la veille de la Guerre de Cent Ans en 'vraie France', et bien avant la Conquista en Occitanie. Parfois, la communauté villageoise ‘fait sa vie’ pendant la plus grande partie de l'année, et ‘doit’ un certain nombre de jours de travail à la réserve seigneuriale (plus les redevances pour utiliser les équipements banaux : moulin, four, pressoir etc.) : les systèmes varient et abondent, il n’y a pas de ‘modèle’ établi. Et lorsque, dans la vie interne du village, un problème ne peut pas être résolu par l’application collective de la coutume, le seigneur intervient en juge de paix.

    victorian UKDans le capitalisme, en revanche, l’individu possède sa force de travail (il n’y a plus aucune ambigüité là-dessus)… mais ne possède généralement QUE celle-ci. Il ne possède strictement plus rien des moyens de production (à la campagne, de plus en plus de tenures tendent vers cela, le seigneur devenant propriétaire terrien au sens moderne, le paysan locataire et la part laissée au paysan revenant à un salaire, cela jusqu’à la quasi-disparition de la paysannerie en Europe au 20e siècle), et, pour remplir les objectifs de valorisation du capital investi par l’employeur (la fameuse ‘compétitivité’ que l’on nous sert à toutes les sauces), il n’a AUCUNE PRISE sur l’organisation du travail, confiée à des ‘superviseurs’, des chefs d’ateliers et ingénieurs en tout genre.

    [Lire : http://partage-le.com/2018/10/linvention-du-capitalisme-comment-des-paysans-autosuffisants-ont-ete-changes-en-esclaves-salaries-pour-lindustrie-par-yasha-levine]

    L’organisation sociale politique prend alors la forme de l’organisation sociale productive : la société comme l’atelier est une somme d’individus vendeurs de force de travail en concurrence, ou acheteurs/exploiteurs de force de travail également en concurrence ; en conséquence, pour défendre le capitalisme contre ses exploités comme contre lui-même (les coups bas que chaque capitaliste est susceptible de faire aux autres), l’État à son service doit devenir tout-puissant, s’immiscer au plus profond de la vie productive et sociale en général, au service des deux préoccupations essentielles que sont l’ordre (la ‘stabilité’) et la productivité (valorisation du capital). Dès ses débuts le capitalisme a été confronté à cette double menace qui, si elle n’avait pas les outils idéologiques pour instaurer un nouveau mode de production (socialiste), pouvait en tout cas amener la destruction de toutes les classes en présence (le retour ‘à la case départ’, à l’An Mille justement !).

    leviathanL’État devient le Léviathan de Hobbes : une fois qu’il est investi du Pouvoir par ‘la société’ (en réalité la/les classe(s) dominante(s) exploitant la force de travail ; il est peu probable que Hobbes envisage une autre ‘société’ que celle-là !), il l’exerce en majesté, sans entraves, du haut vers le bas, sans aucune place pour l’auto-organisation, pour le génie des masses. L’État français, qui s’incarnait hier dans le Roi-lieutenant-de-Dieu-sur-terre et aujourd’hui dans la ‘République’ avec sa statue de Marianne, est profondément et culturellement hobbesien. Certains États, anglo-saxons ou d’Europe du Nord, tentent de tempérer cela avec du ‘contrat social’ entre société (classe dominante) et État, une plus grande nécessité pour celui-ci de rendre des comptes, une plus grande marge laissée à la ‘puissance privée’ (le patron capitaliste) et à la gouvernance ‘horizontale’ de celle-ci, à la ‘main invisible’, ce qui n’est en définitive que de la treue germanique : appelons cela système lockien-smithien, mais dans le fond cela revient au même (ce libéralisme s’est implanté en France avec les philosophes du 18e siècle, mais il est toujours resté superficiel et dans les pays anglo-saxons et nordiques la réalité finit toujours par revenir au galop, tandis que les nouvelles puissances capitalistes russe ou asiatiques sont 300% hobbesiennes). Cela dit, on en a encore vu un exemple récemment au sujet de l’intervention en Syrie, puisque l’anglais David Cameron a dû reculer devant un vote défavorable du Parlement alors qu’en France absolument aucun aval parlementaire n’est nécessaire pour décider d’une telle intervention militaire.

    À ce Léviathan, Hobbes opposait (dans une œuvre moins connue) une autre créature biblique : Béhémoth, synonyme de dissolution de l’État tout-puissant que Hobbes glorifie ; de tout, en fait, ce que redoutait le possédant de l’époque (après les terribles guerres civiles anglaises)… comme d’aujourd’hui : ingouvernabilité, ‘anarchie’ (= pouvoir auto-organisé des masses), révolte et guerre civile (= révolution !) ; en un mot, désordre sous le ciel ! Il est facile de voir combien toute la pensée politique bourgeoise d’aujourd’hui découle de cela (Hobbes est souvent présenté comme un théoricien de l’absolutisme, ce qui n’est pas faux, mais c’en est un théoricien bourgeois, pour qui le pouvoir souverain découle d'un ‘contrat’ – d’une délégation par la classe dominante – et non d’une onction divine surnaturelle) ; et combien il est grand temps de libérer le Béhémoth de la révolution contre le Léviathan de l’État moderne, devenu État contemporain du Capital pour le Capital !

    1 8f6foLe prolétariat qui peuple aujourd’hui nòstra Occitània et tout l’État français n’est pas tombé du ciel avec l’apparition de la grande industrie, à partir du 17e siècle et aux suivants. C’est tout simplement la paysannerie arrachée à sa communauté villageoise (par l’individualisation de la propriété utile et sa ‘sélection naturelle’, l’appropriation aristocratique ou… bourgeoise rurale – ‘notable’ – de la ‘terre du commun’, la pression croissante des taxes et redevances etc. etc.) qui a été transvasée dans les villes et les grands bassins industriels, puis rejointe par des travailleurs immigrés d’abord européens, puis extra-européens, eux aussi généralement arrachés à une communauté villageoise traditionnelle. D’ailleurs, longtemps, si le prolétaire allemand ou des Îles Britanniques était réellement arraché à la terre, dans l’État français on a pu être ouvrier et paysan (c’était l’une de ses spécificités) : soit que l’on allait chercher du travail à la ville pendant les ‘périodes creuses’ de l’activité agricole, ou tout simplement à l’usine locale (elles étaient très nombreuses dans les campagnes encore au début du 20e siècle) ; soit que l’on y envoyait ses ‘jeunes’ lorsque l’on avait pas trop besoin d’eux, en attendant qu’ils puissent reprendre la terre familiale (ceux ‘en trop’ devenant ouvriers définitivement) ; soit que même sans exploitation agricole proprement dite, la famille ouvrière ‘provinciale’ avait gardé un lopin de subsistance, ce que l’on retrouvait d’ailleurs même au cœur des grandes villes, avec les jardins ouvriers : autant dire que les patrons n’avaient pas la vie si facile, car en cas de mécontentement et de grève, il y avait les moyens de tenir longtemps sans salaire !

    article_0609-PAR02-GREVE.jpgCe n’est qu’avec les ‘Trente Glorieuses’ 1945-75 que le capitalisme a réussi à enfermer la grande majorité des masses populaires dans un métro-boulot-dodo citadin, ou même à la campagne qui est devenue de plus en plus souvent un ‘dortoir’ des grandes villes, ou carrément le lieu d’implantation de zones d’activité (bénéficiant de taxes légères) employant des travailleurs qui ne sont plus guère capables de faire pousser un chou. Le travailleur, seul face à la vie, n’a strictement plus aucune autre ressource que son salaire, tout en étant étranglé de charges et crédits en tout genre ; ce qui a évidemment rendu très difficile de mener de grandes luttes sociales comme il y a encore 50 ou 60 ans – et des ‘social’-fascistes, comme on pouvait s’y attendre, mettront évidemment cela sur la compte de l’’immigration’ qui aurait ‘brisé l’unité de la classe ouvrière’, alors que les derniers à faire encore un peu grève sont justement ces prolétaires d’origine ‘immigrée’, qui ont gardé des solidarités communautaires que le ‘Français moyen’ n’a plus. Pour beaucoup, que ce soit pour s’en réjouir ou pour le déplorer sur un ton aigri, c’est ‘la fin de la lutte des classes’, ce qu’évidemment nous contesterons, car 1°/ il y a selon nous d’autres terrains de lutte que l’entreprise : le capitalisme est partout, fait des profits partout et s’affronte partout, 2°/ il y a d’autres moyens de faire grève que ‘dans les règles’ (cesser le travail en se déclarant gréviste et ne plus être payé) : faire mal son travail par exemple, ou multiplier les arrêts-maladie pour ‘souffrance psychique au travail’, faire la ‘grève du zèle’, saboter la production ou voler de la marchandise (dans le commerce) etc. etc., toutes choses qui frappent le capitaliste dans son taux de profit – d’ailleurs ces phénomènes (absentéisme, ‘démotivation’ etc.) inquiètent aujourd’hui beaucoup plus le patronat que les grèves proprement dites, y compris les conflits ‘durs’ en cas de ‘plan social’ ou délocalisation, vus comme des ‘formalités’ incontournables.

    30910.jpgPour autant, cette organisation sociale ‘solidaire’ continue à vivre largement dans les aspirations des masses qui, quelle que soit la faible conscience qu’elles en ont, ont soif de communisme. Un sentiment guère mieux résumé que par le slogan occitan des années 1970 : "Volem viure e trablhar al païs" ("Nous voulons vivre et travailler au pays"), véritable cri de guerre contre le déracinement, contre un capitalisme en phase terminale broyant la vie sociale, la communauté populaire ouvrière et paysanne, pour jeter les individus vers ses grands Centres économiques, armée impersonnelle de petites forces de travail isolées sur le grand ‘marché’ du métro-boulot-dodo. Au point que les fascistes, dans leur stratégie contre-révolutionnaire, tentent de s’en emparer, mettant en avant la ‘patrie charnelle’ locale comme les Identitaires (et de plus en plus de groupes à la droite du FN) ou encore un ‘solidarisme’ racial-corporatiste comme Troisième Voie, concepts opposés bien sûr à un ‘mondialisme’ unissant sous un même terme l’extension mondiale du capitalisme et l’internationalisme prolétarien – pour nous bien sûr, au contraire, la Commune populaire locale n’est conçue que comme un marchepied vers la Commune universelle. Cela ne veut nullement dire, comme l’affirmeraient des ‘marxistes’ à la petite semaine, qu’il faut rejeter cet attachement ‘nostalgique’ (‘anti-moderne’ patati patata) des classes populaires ; mais bien au contraire, cela ne fait que prouver sa réalité, son importance et son potentiel de mobilisation, dont les communistes doivent savoir s’emparer pour le porter à un niveau supérieur : vers une conscience socialiste de masse.

    Étudier cette communauté sociale précapitaliste, que l’émergence et le développement accéléré du capitalisme (et la transformation de la propriété féodale qu’il a induite) a broyé et balayé, est donc d’une grande importance pour notre lutte révolutionnaire de classe et de libération populaire dans chacun de nos Peuples de ‘France’ ; elle peut et doit inspirer notre conception de la société future, avec sa solidarité, sa culture du bien et de l’intérêt collectif, et surtout sa subsidiarité des échelons politiques du bas vers le haut, contre la verticalité du haut vers le bas de l’État centraliste bourgeois.  Dazhai-1970 thumb5La Guerre populaire, négation du capitalisme par le communisme se déployant des zones périphérisées, où le capitalisme a concentré misère, exploitation et relégation, vers les Centres du pouvoir, amènera la Commune populaire qui ne sera, finalement, rien d’autre que cette communauté populaire précapitaliste ‘traditionnelle’ à un niveau supérieur.

    À une nuance près toutefois : à la différence de la plupart des pays européens, où a subsisté très longtemps (parfois jusqu’au 20e siècle) la dichotomie/contradiction entre une communauté villageoise ‘solidaire’ et une propriété féodale qui, devenant soit capitaliste agraire soit courtisane parasite et criblée de dette, accentuait sur la première une pression quasi-esclavagiste et la jetait vers les villes et l’industrie ; dans l’État français, les exigences de la vie de Cour (autour du roi à Versailles ou autour de ses fondés de pouvoir en ‘province’) et la course aux offices (charges administratives ou militaires que l’on achetait au roi) ont poussé l’aristocratie (et la très nombreuse bourgeoisie anoblie !) à développer la tenure libre contre redevance, l’affermage etc. etc. pour s'assurer des revenus conformes à leurs besoins (le noble, en principe, ne pouvant vivre que des rentes foncières de ses terres et pas de vil négoce, même si en pratique beaucoup 'dérogent') ; en un mot l’individualisation familiale de la propriété de la terre, tendance déjà bien en place depuis les 12e-13e  siècles (notamment en Occitanie), finalement ratifiée par la Nuit du 4 Août 1789. De là l’importance, soulignée par Marx dans ses écrits sur les révolutions et contre-révolutions de 1848-51, de la petite propriété paysanne dans l’État français : encore en 1930, 60% des terres agricoles étaient exploitées par leurs propriétaires, environ un tiers en fermage (bail rural à perpétuité et à loyer fixe, où le fermier se sent quasi-propriétaire), et seulement un peu plus de 5% en métayage (le bail ‘féodal’ par excellence, où le loyer est un pourcentage du produit). C’est en réalité l’exode rural d’après la Seconde Guerre mondiale (les ‘Trente Glorieuses’) qui a peu à peu fait ‘exploser’ la proportion du fermage, jusqu’à représenter près des deux tiers aujourd’hui (tandis que le métayage disparaissait). Et de là l’origine, dans une société encore à majorité rurale à la veille de la Seconde Guerre mondiale, avec ses industries rurales où l’on était à la fois ouvrier et paysan, etc. etc. (configuration unique en Europe), de l’idéologie républicaine, à la fois hostile aux ‘gros’ (grands propriétaires terriens et, par extension, de ico-commune-1moyens de production, 'privilégiés') et attachée à la propriété individuelle, hostile à l’égalitarisme et au collectivisme ‘partageux’. S’il est faux et injuste de caricaturer, comme l’ont beaucoup fait les marxistes, la ‘ruralité’ comme un ramassis de Versaillais réactionnaires (ce que dément une grande quantité de faits entre 1789 et nos jours), il est néanmoins vrai que les révolutions populaires, sociales et égalitaristes de 1848 et 1870-71 ont pu être écrasées en s’appuyant sur une frange de la paysannerie moins ‘catholique et royale’, à vrai dire, que bonapartiste et/ou partisane d’une république bourgeoise ‘modérée’ (à la Thiers ou Cavaignac), défenseuse de l’ordre et de la propriété, 'modèle' qui triomphera finalement dans les années 1870. On peut aussi y voir la source des épopées militaires napoléoniennes, ou encore du colossal effort de guerre consenti en 1914-18 et même (bien que non-victorieux) en 1870-71 : les soldats ‘français’, très majoritairement paysans (les ouvriers étaient généralement réformés pour leur mauvaise santé), ne se battaient pas seulement pour ‘la France’ comme une abstraction patriotique chauvine, mais pour une terre sur laquelle se situait la leur ; alors que les armées d’en face étaient, sous Napoléon, des serfs enrôlés de force et, en 1914-18, majoritairement des ouvriers industriels et des journaliers agricoles qui finiront par s’insurger et conduire l’Empire allemand à l’armistice. Au fil des exodes ruraux, cette conception idéologique s’est ‘transvasée’ dans les villes et les bassins industriels, contaminant même durablement le mouvement socialiste et communiste du 20e siècle, pour lequel la ‘République’ était finalement une rupture avec le capitalisme en soi, et briser le pouvoir néfaste des ‘200 familles’ suffirait à mettre ‘tranquillement’ le pays sur la voie du socialisme – aujourd’hui, les ‘200 familles’ ont été remplacées par l’‘aristocratie de la finance’ (à laquelle se résumerait le ‘problème capitaliste’), dans le discours d’un Mélenchon par exemple. À vrai dire, à l’exception de peut-être 1% de royalistes (dont certains au demeurant ne se définissent pas comme d’extrême-droite, mais de ‘centre-droit’ voire de ‘centre-gauche’) et des quelques % de révolutionnaires prolétariens conséquents, cette idéologie ‘républicaine’ couvre aujourd’hui l’intégralité du champ politique bourgeois, de l’extrême-droite fasciste (FN et même à la droite de celui-ci) jusqu'à la ‘gauche de la gauche’ mélenchoniste.

    Le prolétariat d’un pays (abstraction faite de l’immigration et quelque part, en ‘France’, heureusement qu’il y a les immigrés !) n’étant en fin de compte rien d’autre que sa paysannerie pré-industrielle jetée vers l’industrie (puis de l’industrie vers l’économie ‘tertiaire’ aujourd’hui dominante), cette longue (de la fin du Moyen-Âge au milieu du 20e siècle !) histoire de la petite propriété rurale est un paramètre que nous devons évidemment prendre en compte, et sur les implications culturelles/idéologiques duquel nous devons être vigilants.


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    Petit lexique pour s’y retrouver : 

    Dans la Haute-Antiquité (et bien au-delà selon les régions), au sortir de la communauté primitive, lorsque la production devient nettement supérieure au nécessaire pour la reproduction des conditions d’existence (‘survie’), il y a deux grands types d’organisation sociale (que l’on trouvait encore dans les Amériques à l’arrivée des Européens) :

    -       Dans les zones ‘fertiles’ et massivement sédentaires ; ASIATISME [1] : une ‘caste’ (autochtone par fonction sociale ‘détachée’ de la production, ou issue d’envahisseurs) ‘coiffe’ un ensemble de communautés de producteurs demeurant collectivistes, qui lui versent régulièrement une partie de la production (‘tribut’), en échange de quoi la ‘caste’ se porte garante de la paix sociale, assure les grands travaux (routes, irrigation etc.), développe la science et les techniques, joue les ‘intermédiaires’ avec les ‘dieux’ (les forces de la nature, auxquelles l’humanité est encore totalement soumise). Les castes dominantes égyptienne, inca ou maya sont vraisemblablement autochtones, en revanche les Grecs (Achéens/Mycéniens puis Doriens) et les Aztèques sont des envahisseurs, en Crète (Minoens) les historiens en discutent encore.

    -       Dans les zones ‘rudes’ au mode de vie nomade ou semi-nomade ; organisation GENTILICE : la communauté est divisée en gentes ou clans familiaux qui tendent à se hiérarchiser en ‘pyramide’ avec un clan dominant ; néanmoins la propriété des moyens de production (terres cultivables, troupeaux) reste propriété collective, au moins de chaque clan (qui compte des dizaines voire centaines de personnes). 

    Lorsque ces formes sociales et productives entrent en crise générale (à la fin du 2e millénaire avant l’ère chrétienne), l’asiatisme évolue vers l’HILOTISME (terme employé en Grèce, en particulier à Sparte, mais valable pour l’Égypte tardive, la Perse, la Chine ou l’Inde, de grandes parties de l’Europe etc.) : la condition des communautés productives se ‘durcit’ pour se rapprocher de l’esclavage, leur humanité est niée etc. Les peuplades gentilices (comme les Indo-Européens) se lancent quant à elles à l’assaut des zones fertiles, et se substituent à leur caste dominante en important leur système ‘pyramidal’.

    L’ESCLAVAGISME proprement dit, c’est lorsqu’au terme de cette crise générale (entre les 8e et 5e siècles avant J-C. en Europe-Méditerranée) la propriété des moyens de production (surtout la terre) et des producteurs s’individualise : elle n’est plus (même si cela persiste, jusque sous l’Empire romain) collectivement  celle de la Cité ou de l’État, mais celle de propriétaires particuliers, sur leurs propriétés (latifundia, villa etc.). L'évolution se traduit aussi au niveau de l'organisation de la production : ainsi, par exemple, les 'équipes' d'esclaves au travail ont un régisseur, un contremaître qui surveille et diligente la production ; ce que les hilotes n'avaient pas : ils s'organisaient à leur guise pour produire, du moment qu'ils pouvaient verser à la Cité la (lourde) contribution demandée, et garder suffisamment pour survivre. La main d’œuvre esclave provient soit des guerres (prisonniers), soit de producteurs misérables tombés en prolétariat (origine du terme, à Rome), s’endettant auprès des riches et finissant par se vendre à eux. Dans ce système, donc, non seulement les moyens de production mais également la force de travail (les travailleurs) sont la propriété privée du maître qui les exploite. D’abord principalement agricole et extractif (mines), l’esclavage englobe petit à petit (Grèce classique et surtout Empire romain) toutes les activités productives (artisanat, manufacture etc.) ; le petit peuple (plèbe) libre étant réduit à l’oisiveté. Sur cette base productive commence à se développer un premier capitalisme, où l’on fait produire mais aussi achète de la marchandise pour la vendre ou revendre avec un bénéfice – la monnaie fait alors son apparition, car une telle opération nécessite une mesure claire et précise de la valeur.

    Mais cette main d’œuvre esclave s’avère à terme peu productive et d’une productivité limitée dans le temps, ce qui oblige à la renouveler en permanence (par des guerres) dès lors que l’économie en dépend totalement : c’est la principale cause de l’effondrement de ce système (hypertrophie militaire et tout ce qui en découle).

    Lorsque des peuples gentilices (Germains et Arabes) se lancent à nouveau à l’assaut des Empires romain, byzantin et perse, et que triomphent le christianisme et l’islam qui sont des réactions intellectuelles à la cruauté de ce système, on entre alors dans la FÉODALITÉ. L’on comprend alors qu’une relative ‘liberté’ et dignité humaine du producteur sont des facteurs de productivité ; et de toute manière, généralement, cette ‘liberté’ le producteur la prend à la faveur de la confusion générale et des grandes contradictions (entre chefs ‘barbares’, entre Église et ‘barbares’ etc.). En (futures) Occitanie et Arpitanie, les Wisigoths et les Burgondes sont réputés avoir passé de véritables alliances de classe avec les esclaves agraires et la petite plèbe contre les potentats gallo-romains ; tout ceci finissant gravé dans le marbre juridique du Bréviaire d'Alaric (506) et de la Loi Gombette (501-502). L’organisation gentilice des envahisseurs (mais aussi l’héritage clientéliste du substrat romain, peuple également gentilice et ‘pyramidal’ à l’origine ne l’oublions pas !) donne à la classe dominante féodale une organisation ‘pyramidale’ de relations complexes vassal-suzerain, où la soumission du subordonné au supérieur n’a rien d’une évidence ; tandis que pendant un temps (5e-10e siècles) les villes périclitent (au nord des Pyrénées et des Alpes en tout cas), puisque s’effondrent tant l’autorité politique romaine que le proto-capitalisme esclavagiste qui fondaient leur existence.

    Au niveau des producteurs, le SERVAGE (qui vient à l’origine du terme romain – servus – pour ‘esclave’) recouvre en fait des réalités très diverses, avec pour caractéristique comme qu’un territoire donné (le domaine) et sa population sont la propriété éminente d’un seigneur (noble ou religieux), mais que les producteurs sont censés avoir une propriété utile sur la terre et autres moyens de production. Le servage personnel, sur les anciens grands domaines (villae) romains devenus réserves seigneuriales, est au début du Moyen-Âge un esclavage ou un hilotisme amélioré : la terre et le paysan qui la travaille sont propriétés du seigneur. Le servage réel signifie que c’est la terre qui est servile, soumise à la propriété du seigneur et à tout un ensemble de droits et redevances, mais que le paysan et sa famille ne sont pas vraiment sa propriété, qu’ils sont libres d’aller et venir etc. Il y a aussi des terres libres ou semi-libres (tenure, alleu etc.) où le paysan n’est tenu qu’à des redevances symboliques, aux taxes communes à tout le domaine (péages, usages des équipements banaux – four, moulin, pressoir etc., denier de l’Église) et à certaines corvées. De manière générale, le grand distinguo avec l’asiatisme ou sa forme ‘dure’ hilotiste, c’est qu’au sein de la communauté productive la propriété est beaucoup plus (et de manière croissante) individualisée par famille, même si des terres du commun se maintiennent longtemps (parfois jusqu’au 18e voire 19e siècle) aux côtés des lopins familiaux et de la réserve directe du seigneur. En résumé, la féodalité consiste fondamentalement en la coexistence/contradiction, sur les moyens de production (surtout la terre) et la force de travail, d’une propriété éminente féodale et d’une propriété utile du producteur dans des rapports diversement en faveur de l’une ou de l’autre. La propriété féodale est personnelle (le fief appartient en propre au seigneur et à sa famille, qui a des suzerains mais cela n’est pas réellement un ‘titre de propriété’, ceux-ci ayant aussi leur domaine propre) ; la propriété utile des producteurs voit cohabiter et s’articuler propriété individuelle familiale (qui se développe au fil des siècles) et propriété collective (terre du commun, qui recule). Il est néanmoins possible de parler d’asiatisme à un niveau supérieur, dans le sens où l’on retrouve le même caractère tributaire de la communauté productive (taxes, redevances, corvées) vis-à-vis de la noblesse et du clergé, au service et en ‘échange’ de fonctions sociales assez similaires : protection militaire et judiciaire, ‘intercession’ avec le divin, organisation des grands travaux d’infrastructure, ‘temps libre’ pour se consacrer à la science, au progrès technique, à l’art etc. (cela surtout dans les pays musulmans, peu en Europe avant l’An Mille).

    Dans les villes en revanche, l’esclavage artisanal/manufacturier a presque totalement disparu (après le 10e siècle en tout cas, sauf dans les ‘zones de contact’ chrétienté/islam puisqu’il est permis – de part et d’autre – de mettre les ‘infidèles’ en esclavage) : l’on revient à la plèbe romaine libre à un niveau supérieur, de manière très hiérarchisée et petit à petit organisée en corporations de métiers. C’est dans ce cadre qu’émerge à nouveau, sur une main d’œuvre ‘libre’ donc plus productive, le CAPITALISME. La grande accumulation de richesse et de ‘capital’ technique et scientifique par ce système permet aux villes, assez rapidement (entre le 11e et le 14e siècle), de s’émanciper quasi totalement de la propriété éminente seigneuriale (‘l’air de la ville rend libre’) ; mais il renforce également (à un niveau bien supérieur à l’Empire romain) la contradiction entre celles-ci et les campagnes (de plus en plus réservoirs de main d’œuvre). La bourgeoisie de Paris et des alentours s’allie avec la monarchie capétienne (dont l’autorité, en l’An 1000, était devenue toute symbolique) pour devenir la bourgeoisie dominante du Royaume de France (État français moderne) qui se forme progressivement ; puis elle s’en débarrasse à la fin du 18e siècle. Dans le capitalisme, la séparation passe entre les moyens de production, qui sont propriété d’un employeur (ou d’un propriétaire terrien, dans le capitalisme agricole), et la force de travail, propriété exclusive du travailleur, mais sa seule propriété : il ne peut donc pas (sans moyens, outils etc.) produire, et doit alors en quelque sorte ‘louer’ ses bras à celui qui les détient, mais aux conditions de ce dernier, car posséder sa force de travail pèse peu de chose face à la propriété des moyens de production, et (qui n’a jamais entendu cela de son patron ?) face aux ‘milliers prêts à prendre votre place’ en cas d’exigences excessives (la concurrence dans la location quotidienne de sa force de travail)… Nous avons donc ce que les marxistes ont pu souvent appeler un esclavage salarié ; et une organisation sociale, étatique et impériale rappelant l’Empire romain, à un niveau supérieur (avec tout le progrès technologique et scientifique depuis, et une plus grande productivité de la main d’œuvre juridiquement ‘libre’). Dans les plantations coloniales d’outre-mer (qui apparaissent au 16e siècle), le capitalisme en accumulation primitive, partant de la conception chrétienne qu’il est possible de mettre les ‘païens’ en esclavage, rétablira même l’esclavage de masse (comme main d’œuvre quasi-exclusive) pour les Africain-e-s, ce continent étant vu comme un réservoir inépuisable de paires de bras. Dès le départ des voix en souligneront la cruauté et (surtout) la faible productivité, mais celle-ci (par rapport à l’Antiquité romaine) était compensée par les nouveaux moyens techniques modernes, et l'esclavage des Africain-e-s ne sera finalement aboli qu’au 19e siècle (généralement au profit d’un métayage très dur). Pour ‘suivre le mouvement’, les États musulmans développeront eux aussi la traite à travers le Sahara (mais l’esclavage comme rapport de production gardera quand même un caractère ‘d’appoint’) ; tandis que l’Europe de l’Est mettra ses communautés paysannes (mir) dans un servage très dur (comparable au servage personnel de l’Hexagone médiéval).

    [À lire aussi, très intéressant pour compléter et aider à la compréhension de tout cela : Samir-Amin-developpement-inegal-et-question-nationale.pdf]

    [Lire aussi, sur l'Occitanie et sa "genèse" historique dans ce contexte : http://servirlepeuple.eklablog/la-notion-d-ensemble-economique-tributaire-au-moyen-age-feodal-et-la-g-a161070402]

    En ‘droit’ féodal médiéval ;

    -         Le fief est le territoire où s’exerce l’autorité politique d’un seigneur (aristocrate ou ecclésiastique) et, sous des formes variables, sa propriété économique dite éminente : lorsque les Mérovingiens puis les Carolingiens tentent de maintenir ou restaurer l’État romain, le seigneur (duc, comte, marquis, baron, bailli, sénéchal etc. etc. et leurs équivalents religieux abbé, évêque, archevêque etc.) est en principe un administrateur, équivalent d’un préfet, préfet de région ou sous-préfet ; mais comme la monnaie est devenue extrêmement rare, il ne peut être rémunéré qu’en ayant un pouvoir économique sur son territoire. C'est l'origine du fief et du système féodal européen. Mais par la suite, ces tentatives de restaurer l'État romain échouant, le seigneur s'affranchit de l'autorité qui lui a confié ce domaine, il le rend (dans le cas de l'aristocratie guerrière) héréditaire de plein droit (transmissible à ses enfants sans confirmation du souverain), et il en devient le ‘petit roi’, ne devant guère de comptes à son supérieur (suzerain), et en même temps le propriétaire éminent de la terre, des habitants et de tout ce qui s'y trouve, selon des formes diverses : sur certaines terres il est le propriétaire direct et fait travailler sous ses ordres des serfs personnels quasi-esclaves (voir ci-dessous), sur d'autres les cultivateurs ne lui doivent qu'une partie de la production (redevances) et/ou des journées de travail (corvée), etc. Sur certaines terres, cependant, son autorité est purement politique et on ne lui doit rien ou presque (alleux, cf. ci-dessous). Il commence également, à son tour, à confier des terres avec leurs habitants à des hommes de main qui l'ont bien servi (et continueront, en vertu d'un ‘contrat’, l'hommage), qui deviennent ses vassaux.   

    -         Le servage personnel est l’héritier direct de l’esclavage latifundiaire romain (villa), ‘humanisé’ par le christianisme. C’est la personne du serf qui est propriété du seigneur, pas sa terre (d’ailleurs généralement il n’en a pas, sinon un petit potager de subsistance). Le serf personnel vit et travaille sur la réserve ‘directe’ du seigneur. Ce qui le distingue du hilote grec antique (ou gaulois), c’est que la propriété seigneuriale est individuelle (familiale), et non collective (d’une ‘caste’). C’est un système surtout répandu en plaine (logique), et surtout au nord du Massif ‘central’, dans le Bassin parisien, en ‘vraie France’ (où il n’y a ‘nulle terre sans seigneur’) ; et c’est surtout un système du Haut Moyen Âge (époque mérovingienne et carolingienne), qui tend à disparaître totalement entre l’An Mille (en Europe du Sud, dont l'Occitanie) et la Guerre de Cent Ans (Europe du Nord).

    -         Le servage réel est la propriété seigneuriale éminente d’une terre, exploitée par une famille paysanne contre une redevance (cens, taille), qui est une portion de la production (généralement lorsqu’est utilisé un équipement du domaine : tant de farine pour utilisation du moulin ou du four, tant de raisin pour utilisation du pressoir etc.), et une corvée (jours de travail obligatoire et gratuit sur la réserve ‘directe’ du seigneur), qui tend à disparaître à la fin du Moyen Âge (devient payée en monnaie) ; éventuellement dans certains cas un service militaire (‘gens à pied’), mais en principe la fonction militaire est un attribut de la noblesse. C’est finalement l’ancêtre de la forme juridique bourgeoise du métayage (bail agricole à loyer variable : un pourcentage du bénéfice), qui subsistera jusque très récemment (Trente Glorieuses !). L’autorité politique du seigneur (droit de justice) s’y applique évidemment. Cette forme prédomine en Occitanie après l'An Mille (si tant est qu'il en ait sérieusement existé une autre), les tenants bénéficiant du droit écrit, d'origine gallo-romaine et repris par les rois germaniques, qui offre une certaine protection contre l'arbitraire contrairement au droit coutumier franc du Nord. En Europe du Nord, elle ne se développe et supplante totalement le servage personnel qu'entre le 13e et le 16e siècle (yeomanry en Angleterre, fournissant à ce royaume ses redoutables régiments d'archers). Elle se prolonge sous l’Ancien Régime (métayers ou ‘ménagers’), avec cette fois une redevance monétisée.

    -         La tenure est un terme juridique désignant la terre que l’on tient de quelqu’un. Ce peut donc être une tenure noble : la châtellenie, la baronnie confiée par un suzerain à son vassal, à un chevalier/gentilhomme, contre hommage et assistance militaire. Mais ce peut être aussi une tenure ‘vile’, roturière. Une tenure libre voit le paysan libéré de la plupart des redevances, corvées (celles qui touchent à la réserve seigneuriale, pas celles qui touchent les travaux d’intérêt public), etc. ; mais reste néanmoins précaire (puisque l’on tient la terre de la volonté seigneuriale). La notion de tenure servile tend quant à elle à se confondre avec le servage réel. Parfois s’instaure une redevance annuelle fixe (libérant le paysan de toute autre obligation) : c’est l’origine du fermage.

    -         L’alleu est un autre terme juridique, désignant la terre que justement l’on ne ‘doit’ à personne, que l’on transmet de plein droit et sans aucune contrainte à ses enfants, etc. Ce peut être là encore un alleu noble (ou ecclésiastique) : une terre pour laquelle on ne doit aucun hommage ni service à un suzerain, comme ‘dégagée’ de la hiérarchie féodale (rare). Mais ce peut être aussi la terre d’un paysan ‘affranchi’, et ‘privilégié’ au sein de la communauté, généralement de condition aisée (possédant un cheval et une charrue, on commencera à parler petit à petit de laboureur) ; ou encore des communautés entières (villages, vallées) soumises juridiquement/politiquement à un seigneur (droit de justice) mais ne lui devant rien économiquement, sinon parfois un ‘tribut’ annuel collectif et symbolique, et la ‘corvée’ d’entretien des ouvrages publics (généralement exécutée sans contrainte, de manière coutumière). Ces communautés alleutières sont très répandues en Occitanie (particulièrement en région montagneuse), où l'on a pu parler de la moitié de la population rurale sous ce régime au début du 13e siècle ; ou encore dans les régions jurassiennes (Franche-Comté), vosgiennes et ardennaises (Alsace, Lorraine, Ardennes, Wallonie etc.). C’est là aussi une forme (sans doute) plutôt répandue au Haut Moyen Âge et (de source plus sûre) jusqu’au 13e siècle, sous l’autorité/’protection’ vague et lointaine du comte ou de l’évêque local, reculant ensuite à la fois face à l’individualisation de la propriété paysanne et à l’affirmation de l’autorité étatique moderne, certaines ne disparaissant toutefois qu’avec la révolution bourgeoise (les ‘droits’ de propriété seigneuriaux, qui ne voulaient plus dire grand-chose, étant ‘nationalisés’ puis rachetés par les notables, qui en font des exploitations capitalistes). Une ville ‘franche’ (comme il s’en multiplie à partir de 1150-1200), organisée en ‘république’ bourgeoise plus ou moins oligarchique, est quant à elle un grand ‘alleu’ urbain.

    Dans tous les cas, ce qu’il faut retenir c’est que :

    1°/ Hors la propriété directe (réserve) du seigneur, où sous l’Ancien Régime les journaliers ou ‘brassiers’ (ouvriers agricoles) remplacent les serfs personnels, la propriété paysanne se décompose en a/ une propriété individuelle (familiale) qui évolue au fil des siècles du lopin de subsistance vers la parcelle (libre/propriétaire, fermière ou métayère), plus ou moins grande donc inégalitaire, b/  une terre du commun, propriété collective de la communauté ‘libre’ ou propriété éminente du seigneur, mais dont celui-ci laisse le droit d’usage (pleine jouissance) à la communauté ; ce qu’aboliront peu à peu les domaines d’État ou de grands ‘pairs’ du royaume sous l’Ancien Régime puis (surtout) les ‘racheteurs’ bourgeois après la Révolution, dans un processus comparable aux enclosures britanniques qui verra triompher la propriété clôturée (tant seigneuriale que roturière) d'où vaine pâture et glanage sont bannis (au 19e siècle, les communes héritières des 'républiques' villageoises croiseront encore le fer là-dessus avec l'État, condottiere de la propriété privée).

    2°/ Avant l’État moderne, qui émerge au 13e siècle mais se consolide définitivement entre 1450 et 1600 environ, l’autorité politique est caractérisée par sa SUBSIDIARITÉ du bas vers le haut, l’autorité supérieure étant finalement la ‘juridiction d’appel’ de l’autorité inférieure, totalement au contraire de ce que nous connaissons actuellement et depuis le 17e siècle.

    3°/ L’affirmation du capitalisme, accumulation primitive (appuyée sur l’État monarchique moderne) puis 'révolution' bourgeoise (instaurant l'État bourgeois 'pur'), a été une guerre de classe et cette guerre de classe s'est menée sur deux ‘fronts’ : une guerre contre l'aristocratie et le clergé pour liquider leur suprématie sociale/politique/idéologique et abattre leur propriété éminente (donnant ‘droit’ à redevances) sur les terres et les populations, perçue comme arbitraire et (à mesure que s'effaçait leur utilité sociale) de plus en plus parasite ; mais aussi une GUERRE CONTRE LE PEUPLE pour arracher les producteurs aux moyens de production (terres, bêtes, outils), à leur propre force de travail (leur en laissant la propriété ‘symbolique’... et l'obligation de la vendre quotidiennement sur le ‘marché de l’emploi’) ainsi qu'aux moyens de subsistance collectifs offerts par la nature, afin de les enfermer totalement dans les chaînes du salariat (dépendance totale vis-à-vis de l'employeur capitaliste) voire carrément de l'esclavage colonial pour les peuples 'non-blancs'. 

    [Lire : http://partage-le.com/2018/10/linvention-du-capitalisme-comment-des-paysans-autosuffisants-ont-ete-changes-en-esclaves-salaries-pour-lindustrie-par-yasha-levine]

    [Les Douze Articles, rédigés en 1525, de la Guerre des Paysans qui a secoué le Sud de l'Allemagne, la Suisse mais aussi le Nord-Est de l'Hexagone (Alsace, Lorraine, Franche-Comté) à cette époque, offrent également dans les doléances qu'ils expriment une bonne illustration des processus alors en cours (accaparement des terres jusque-là communautaire, poids grandissant des prélèvements seigneuriaux et ecclésiastiques etc.) : http://www.recherche-clinique-psy.com/spip.php?article193]

    La masse des producteurs représentant plus de 90% de la population contre 1 ou 2% pour l'aristocratie et le clergé réunis, ce deuxième ‘front’ verra naturellement une guerre beaucoup plus dure et brutale que le premier, se prolongeant jusqu’à la fin du 19e siècle et que le premier marxisme, dans un contexte d'hégémonie intellectuelle de la bourgeoisie 'révolutionnaire', tendra parfois à oublier ou à minimiser au profit des aspects positifs du capitalisme (contre l’arriération économique/technologique et l’obscurantisme intellectuel), bien qu'il soit faux de dire qu'il n'en parle jamais : Marx l'évoque très clairement dans le Capital [2] par exemple. Il n'y a absolument aucun problème et même au contraire une absolue nécessité à dire cela ; l'erreur à éviter est simplement de tourner cette dénonciation du 'progrès' capitaliste vers les anciennes classes dominantes féodales et leurs reliquats idéologiques, qui ne représentent en aucun cas une perspective sociale d'émancipation et d'avenir.

    4°/ Notre Peuple occitan est le dépositaire d’un double héritage : des villes gardiennes d’un peu d’‘esprit civilisé’ romain au bon sens du terme (force du droit plutôt que de l’épée) et lieux de brassage culturel-intellectuel de toute la Méditerranée occidentale ; et des communautés rurales (surtout en montagne) ‘libres’, très ‘déliées’ d’une autorité féodale lointaine et symbolique, s’organisant de manière autonome, démocratique et solidaire. La fusion de ces deux héritages en une FORME SOCIALE SUPÉRIEURE peut et doit être la matrice de l’Occitanie révolutionnaire que nous voulons.

    Tout ceci est TRÈS IMPORTANT car JAMAIS l’organisation sociale, les formes de la propriété etc. et la culture collective dans une société capitaliste ne sont ‘sans lien’ avec les formes de la propriété féodale et de la propriété utile paysanne de la société précapitaliste. Pour une illustration concrète de tout cela, il faut lire attentivement Illustration de la théorie par un exemple historique : la Guerre des Demoiselles en Ariège. 

      


    [1] Sur ce mode de production assez 'controversé' entre les marxistes, lire cet article (social-démocrate) plutôt complet et bien sourcé : http://www.gauchemip.org/spip.php?article1174

    [2] "Quant au travailleur, au producteur immédiat, pour pouvoir disposer de sa propre personne, il lui fallait d’abord cesser d'être attaché à la glèbe ou d'être inféodé à une autre personne; il ne pouvait non plus devenir libre vendeur de travail, apportant sa marchandise partout où elle trouve un marché, sans avoir échappé au régime des corporations, avec leurs maîtrises, leurs jurandes, leurs lois d'apprentissage, etc. Le mouvement historique qui convertit les producteurs en salariés se présente donc comme leur affranchissement du servage et de la hiérarchie industrielle. De l’autre côté, ces affranchis ne deviennent vendeurs d'eux-mêmes qu'après avoir été dépouillés de tous leurs moyens de production et de toutes les garanties d'existence offertes par l'ancien ordre des choses. L'histoire de leur expropriation n'est pas matière à conjecture - elle est écrite dans les annales de l'humanité en lettres de sang et de feu indélébiles." K. Marx, Le Capital Livre 1, Huitième section 'L'accumulation primitive', à lire ici (c'est l'une des parties les plus passionnantes et faciles à lire de l'ouvrage) : 

    Huitième section : l'accumulation primitive

    1.   Le secret de l'accumulation primitive
    2.   L'expropriation de la population campagnarde
    3. La législation sanguinaire contre les exprorpiés à partir de la fin du XV° siècle. - Lois sur les salaires.
    4.   Genèse des fermiers capitalistes
    5.   Contrecoup de la révolution agricole sur l'industrie. Etablissement du marché intérieur pour le capital industriel.
    6.   Genèse du capitaliste industriel
    7.   Tendance historique de l'accumulation capitaliste.
    8.   La théorie moderne de la colonisation

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  • maocNous sommes des marxistes, c'est-à-dire des socialistes scientifiques, des matérialistes DIALECTIQUES. Selon nous l’histoire avance en spirale, par un processus valable pour tous les phénomènes vivants, que Marx et Engels ont appelé négation de la négation. Dans ce processus, la nécessité historique du développement (qualitatif) de la production, du ‘progrès’ c'est-à-dire d’une meilleure maîtrise humaine (technique, scientifique) des conditions de reproduction de l’existence, conduit une organisation sociale supérieure à s’affirmer et à nier une organisation sociale qualitativement inférieure qui a atteint ses limites, le ‘point indépassable’ de ses contradictions (un mode de production, comme tout phénomène vivant, est animé par ses contradictions, dont une contradiction principale). Puis, cette organisation sociale (de la production et de l’ensemble des rapports sociaux sous-tendus par celle-ci) est à son tour niée par une autre, supérieure.

    Or, il se trouve que dans l’Histoire, l’organisation sociale qui en nie une autre ressemble beaucoup à celle que cette dernière a précédemment niée, mais à un niveau supérieur. C’est pourquoi nous, communistes révolutionnaires d’Occitanie, pensons de plus en plus clairement que la société socialiste et communiste pour laquelle nous luttons doit en fait prendre appui sur les organisations sociales (au niveau populaire, productif !) précapitalistes, que l’affirmation du capitalisme a broyées dans les conditions décrites par Marx et Engels dans leurs travaux sur la guerre des paysans en Allemagne (16e siècle) ou sur la Grande-Bretagne où ils vivaient (8e section du Livre I du Capital), en les portant à un niveau supérieur… Et nous ne sommes pas les seuls à penser ainsi : en effet, de nombreux théoriciens communistes sont arrivés par le passé à des conclusions similaires ; d’autre part, l’on sent bien que cette conception existe de manière diffuse dans ce que Gramsci appelle le ‘bon sens’ populaire [1].

    La littérature communiste comporte, essentiellement, trois grands exemples de cette 'communauté primitive subsistante' qui pourrait former la base d'une société communiste de demain :

    ayllu- L'ayllu andin, étudié par le marxiste-léniniste péruvien José Carlos Mariátegui (lire aussi ici). C'est la communauté productive paysanne de l'Empire inca, qui se gère elle-même et ignore pratiquement la propriété privée ; elle travaille collectivement la terre d'un secteur donné, l'Empire se contentant de prélever sur elle un tribut annuel : exemple typique de mode de production dit asiatique ou 'tributaire' (Wikipédia). La latifundia coloniale espagnole (encomienda) se greffera dessus et lui imposera une exploitation féroce. Son équivalent mexicain était le calpulli, que la réforme agraire (suite à la situation révolutionnaire des années 1910) a tenté de rétablir sous le nom d'ejido (c'est généralement une forme de 'féodalité bureaucratique' déguisée).

    - Le mir russe, évoqué par Marx dans une correspondance avec Vera Zassoulitch, à une époque où le débat fait rage entre le socialisme scientifique marxiste et le 'populisme' russe (ou 'nihilisme') qui considère qu'avec le mir la société russe est 'déjà' communiste de fait, mais qu'il faut simplement la 'débarrasser' des couches parasitaires de nobles, administrateurs tsaristes, religieux etc. qui se sont greffées dessus avec leur ‘modernité’ exploiteuse (modernité vue de surcroît comme étrangère, puisque les Romanov au pouvoir veulent imiter l'Occident). C'est là aussi une communauté 'communiste primitive' qui prévalait chez les Slaves avant que les Varègues ('Vikings' suédois) et l’Église 800px-Yuriev dayorthodoxe n'instaurent la féodalité. Mais sous le premier Empire russe (à l'époque d'Ivan le Terrible et consorts), cette féodalité avait encore un caractère nettement 'asiatique' : le mir était ponctionné collectivement par les nobles (boyards) et autres monastères orthodoxes. Puis l'absolutisme Romanov imposera à la paysannerie russe (pour sa magnificence et pour 'compenser' l'absence de colonies outre-mer) un régime de servage très dur, quasi-esclavagiste, qui ne sera aboli qu'en 1861. Dans sa correspondance avec Zassoulitch (ancienne 'populiste' russe en rupture), Marx rompt assez nettement le matérialisme historique 'linéaire' et l'euro-industrialo-centrisme de ses débuts (lire ici un bon article de Contretemps sur son évolution à ce sujet) : il en vient à penser que la Russie, avec sa société féodale basée sur le mir et l''irruption' subite de la modernité venue de l'Ouest, pourrait peut-être 'sauter' l'étape du grand capitalisme industriel et passer directement au socialisme, sur la base de cet 'esprit' collectiviste qui imprègne la paysannerie. En réalité, dans cet écrit, le vieux Marx au soir de sa vie commence à effleurer l’idée que la révolution prolétarienne, négation du capitalisme par le communisme, ne partira pas des Centres (là où le capitalisme est le plus ancien et avancé mais aussi - donc - puissant : Paris, Londres, Belgique ou Pays-Bas etc.) mais a au contraire vocation à se déployer depuis les Périphéries, où le capitalisme est encore directement aux prises avec l’organisation sociale antérieure, vers les Centres ; ce qui sera confirmé 35 ans plus tard par le fait que la première vague révolutionnaire serf russemondiale parte de Russie, pas précisément le pays d’Europe au capitalisme le plus ancien et avancé. Malheureusement, il meurt deux ans plus tard. Lénine, lui, ne partagera pas ce point de vue : selon lui, avec l'absolutisme Romanov le mir a cessé d'exister ; "le paysan était asservi au propriétaire du sol, il ne travaillait pas pour lui-même mais pour le boyard, le monastère, le propriétaire foncier" – certes... mais en était-il autrement dans l'Amérique espagnole de l'encomienda ? Dans l’Écosse ou l'Irlande des landlords (cf. ci-dessous) ? Il est bien évident que dans les Amériques de Mariátegui (années 1920) il ne restait plus vraiment trace de l’ayllu ou du calpulli ‘libre’ (contre tribut annuel) des Empires aztèque ou inca, que la terre était sans l’ombre d’un doute la propriété des grands latifundiaires criollos, que les paysans indigènes travaillaient comme des bêtes de somme non pas ‘pour eux-mêmes’ mais bien ‘pour le propriétaire foncier’  ; exactement comme les moujiks russes de la fin du 19e siècle. Mais cela voulait-il dire pour autant que la communauté paysanne collectiviste, subjuguée par le propriétaire foncier (transformé parfois en gentleman farmer capitaliste agricole), avait cessé de vivre dans le souvenir des masses et d'y être un ferment de résistance, de révolte et d’inspiration pour une société future libérée de l'exploitation ?

    Maclean.jpg- Moins connu, le clan écossais selon John MacLean – l'un des premiers communistes écossais à considérer que le socialisme dans ce pays était indissociable de sa libération de l'impérialisme britannique. Pour lui, écrivant vers 1920, "le bolchévisme n'est autre que l'expression moderne du communisme du mir" et donc "le communisme des clans doit être ré-établi sur une base moderne", l’Écosse socialiste devant être "un seul clan, un peuple uni travaillant en coopération et partageant la richesse qu'il produit", concluant par le slogan "de retour au communisme, en avant vers le communisme" : là on est vraiment très proche de notre conception des choses, d'autant plus qu'il s'agit d'un pays 'avancé', industrialisé, ouest-européen, coupant court à l'incontournable argument des 'orthodoxes' qui avanceront que la Russie arriérée des tsars et a fortiori le Pérou de Mariátegui étaient des 'cas très particuliers' etc. etc. En l'occurrence, le clan écossais était plutôt ce qu'Engels (dans L'Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’État) appelle une organisation sociale gentilice, comme chez les indigènes Garenin Black House Village Isle of Lewis Outer Hebrides Scd'Amérique du Nord ou les anciens Germains : les clans (gentes en vieux latin) sont des groupes humains relativement consanguins, prétendant en tout cas descendre d'un même ancêtre mythique, qui se fédèrent ensuite à des niveaux territoriaux divers, avec une tendance à la hiérarchisation des clans en 'pyramide' (avec un clan dominant, 'royal'). Chaque clan formait néanmoins une communauté productive collectiviste où la propriété des moyens de production était très peu individualisée. Par la suite, des chefs de clans tendront à se 'vendre' aux Anglais pour supplanter leurs rivaux et mettre le pays en coupe réglée (s'appropriant les terres claniques dont ils n'étaient jusque-là que les possesseurs symboliques, éminents), aux côtés d'autres landlords venus directement d'Angleterre. Le premier d’entre eux sera le roi ‘régional’ de Strathclyde et Cumbrie, David Ier, qui pour succéder à son défunt frère le Alban (roi ‘suprême’ de toute l’Écosse) Alexandre Ier en évinçant son neveu, fera alliance en 1124 avec le roi d’Angleterre Henri Ier - à la Cour duquel il s’était formé politiquement. Il inspirera sa monarchie du ‘modèle’ mis en place par Guillaume le Conquérant et implantera en Écosse la féodalité ‘à l’européenne’, en saorpatroltribalsm1.jpgfaisant venir du sud des centaines de barons anglo-normands, ainsi qu’un embryon de capitalisme en fondant de nombreux bourgs (burghs) là encore essentiellement peuplés de marchands anglais ou normands voire flamands, allemands etc. Puis leurs chefs de file lors de la première tentative de mainmise anglaise (13e-14e siècles) seront les Balliol, opposés aux Bruce farouches défenseurs de l’indépendance… les deux familles étant elles-mêmes d’origine anglo-normande ! L’Écosse indépendante des Bruce et des Stuart (14e-17e siècles) est donc déjà une Écosse très féodalisée et éloignée de l’Écosse ‘communiste’ clanique des premiers légendaires, et le phénomène ira en s’accentuant de siècle en siècle jusqu’à l’Union de 1707, et du Sud (Lowlands) vers le Nord (Highlands et îles) où des phénomènes de liquidation de la terre collective clanique se produiront encore très tard, au début du 19e siècle, notamment avec la sinistre duchesse de Sutherland qui entre 1814 et 1820 chasse quelques 15.000 highlanders (3.000 familles) de leurs terres ancestrales[2]. L’Écosse est aujourd’hui l’un des pays les plus industrialisés d’Europe (au sud, avec Glasgow et la Clydeside)… mais aussi l’un des plus marqués par la féodalité dans son organisation sociale, l’un des plus inégalitaires, notamment, dans la répartition de la propriété foncière (pas seulement agricole), avec parfois des îles entières propriété privée (et leurs centaines d’habitant-e-s locataires) d’un landlord qui désormais, 'mondialisation' oblige, se trouve parfois être un oligarque russe, un prince arabe ou un nabab indien…

    Un dernier texte de référence que l'on pourrait citer est La lutte contre l'économie naturelle de Rosa Luxemburg, chapitre 27 de son ouvrage de 1913 L'accumulation du Capital, développant principalement les cas (coloniaux) de l'Inde et de l'Algérie ; mais il porte plus sur la question de la destruction (capitaliste, en l'occurrence coloniale) de ce collectivisme populaire précapitaliste que sur celle de sa "restauration" à un niveau supérieur par la révolution prolétarienne - ce n'en est pas moins un texte très intéressant et enrichissant à lire.

    Si l’on en revient maintenant à ce qui nous intéresse, l’État français et en son sein l’Occitanie, il faut revenir au plus profond de son processus historique. Il est évident que comme toutes les parties du monde il a connu, à la préhistoire, le communisme primitif. Au Néolithique, des sociétés avaient peut-être une hiérarchie sociale, une caste dominante vivant d’un ‘tribut’ socialement ‘convenu’ (entre assentiment et coercition) prélevé sur la communauté productive collectiviste, comme les populations qui ont bâti les fameux monuments mégalithiques (alignements de menhirs, dolmens, cairns et autres tumulus), nombreux en Breizh comme en Occitània [cette civilisation s'étendant sur plusieurs millénaires avant l'ère chrétienne est sans doute celle qui a inspiré à Platon son "Atlantide"]. À l’Âge du Bronze, les Ligures qui vivaient dans l’actuelle Provença et les régions alpines (et peut-être au-delà, avant de reculer devant les Celtes) fonctionnaient très certainement ainsi. Ensuite, l’Hexagone français entre pleinement dans village2l’Histoire (et ses livres) avec les fameux, les incontournables "nos ancêtres les Gaulois" : Astérix et Obélix dans leur ‘village’ avec le chef sur son bouclier, le druide et son gui, le barde qui chante faux etc.

    Seulement, là, l’histoire véritable et sérieuse est ‘troublée’ par le mythe idéologique, car "nos ancêtres les Gaulois" sont avant tout un mythe ‘national’ construit pendant et après la Révolution bourgeoise pour trouver une autre ‘origine’ à la ‘nation’ que les Francs, ‘ancêtres’ des aristocrates et de surcroît allemands d’origine, ainsi que pour justifier (du même coup) par la ‘Gaule de César’ (notion pourtant mouvante, très imprécise...) la politique expansionniste des ‘frontières naturelles’ poursuivie depuis Richelieu (l'un des premiers d'ailleurs à invoquer le ‘mythe gaulois’ - sur ce sujet, lire ici et ici). Dans une très large mesure, l’image de ‘cette’ Gaule (que César mettait toujours au pluriel, leS GauleS, expression géographique plus qu'autre chose) dans les manuels scolaires, caricaturée à l’extrême dans le village d’Astérix, n’était qu’une allégorie de la ‘France profonde’ glorifiée par le nationalisme 3e-République (... et son successeur de Vichy !) : petit village ou bourgade avec ses échoppes de commerçants et d’artisans, son chef/maire, son druide mélange de curé et d’instituteur (selon la sensibilité politique plus ou moins anticléricale) etc. etc. Une image d’Épinal à des années-lumière, on s’en doute, de toute réalité historique sérieuse.

    paysan gauloisLe 'village gaulois' d'Astérix et Obélix, cela n'a jamais existé ! Il n'y avait pas de villages en Gaule pré-romaine (ni par la suite en Gaule romaine, d'ailleurs). Il y avait l'oppidum (petit bourg fortifié) où vivaient les Gaulois proprement dits (Celtes) : druides, nobles, guerriers de moindre rang et une foule d'artisans et de commerçants gravitant autour ; et il y avait des hameaux de huttes de branchages où vivait le substrat populaire productif (autochtone, d'origine préhistorique), communauté primitive collectiviste qui cultivait la terre, exploitait la forêt, élevait des bêtes, chassait, pêchait et versait son tribut annuel... à l'oppidum : système typiquement 'asiatique' (au pire hilotiste comme à Sparte : la population paysanne, dans une condition proche de l’esclavage, est la propriété collective de la cité aristocratique - groupe qui s'est imposé aux autres notamment par la maîtrise du fer - et non individuelle d'une famille de maîtres, à la différence des esclaves proprement dits ; et organise son travail au service des dominants de manière communautaire-collectiviste et non sur des lopins individualisés comme les serfs du Moyen Âge). Peut-être, sous l'influence des Grecs et des Romains, quelques nobles de certaines tribus avaient-ils déjà un domaine privé où ils faisaient travailler des esclaves (prisonniers de guerre ou personnes endettées envers eux), mais cela restait marginal. Il en allait de même dans toute l'Europe non-grecque et non-romaine, sauf en Germanie où l'on était encore plus proche de la communauté primitive, organisation tribale et semi-nomade hiérarchisée en mode 'pyramide de clans' (comme chez les Arabes ou les Écossais médiévaux). Le village tel que le représentent Goscinny et Uderzo n'apparaît, en réalité, pas avant le Moyen-Âge…

    paysan gaulois villa romaineCe sont les conquérants romains (eux-mêmes ou en romanisant les élites gauloises) qui introduisent le modèle de la villa, grand domaine agricole privé (sans doute) semi-esclavagiste et semi-tributaire ('asiatique', persistance des communautés paysannes collectivistes ponctionnées annuellement par le propriétaire). Les villes ont une fonction purement administrative, commerciale 'en grand' (marchés sur lesquels s'écoule la production rurale) et militaire (garnisons).

    À mesure que l'Empire s'étend, se renforce et développe une économie marchande axée sur le profit dont le débat sur sa nature "proto-capitaliste" fait encore rage aujourd'hui parmi les historiens marxistes, et voit ainsi ses "coûts de fonctionnement" et le souci de maintenir ces profits aller croissant année après année ; outre les milliers et les milliers de captifs de guerre ou de "barbares" achetés d'une manière ou d'une autre et réduits en esclavage, aux côtés des traditionnels individus devenus trop pauvres pour faire face à leurs dettes, et qui peuplent les villes (aucune civilisation antique, hormis peut-être l'Athènes classique, n'a jamais connu une telle proportion de force de travail non-libre, esclave...) ; la condition des masses rurales travailleuses de la terre se "hilotise", tend constamment vers le statut de bête de somme vouée à produire et produire encore sous le fouet.

    Selon César lui-même, et bien qu'il soit connu qu'il ne faille pas toujours prendre ces chiffres strictement au pied de la lettre, sur environ 3 millions d'habitants que comptait la Gaule au début de sa guerre de conquête, un tiers, soit un million (!) périssent au combat ou d'une manière ou d'une autre au cours de celle-ci ; et un autre tiers, un autre million, sont réduits en esclavage : sans doute faut-il y voir non seulement les vaincus militaires envoyés en Italie ou ailleurs pour y être vendus, mais aussi les paysans producteurs locaux "confiés" aux légionnaires victorieux installés en colons (le terme naît à cette époque) sur les terres nouvellement conquises ; les élites gauloises soumises et progressivement romanisées ne tardant pas à s'y mettre elles aussi. Étant donnée la rentabilité apparente et immédiate de la force de travail esclave (bien qu'elle pose sur le temps long des problèmes qui se révèleront insolubles à terme), il est de toute manière logique que dans l'optique de profit maximum qui préside à l'économie impériale romaine, elle tende progressivement à supplanter dans les champs les communautés "collectivistes" libres versant simplement une part de leur produit à l'oppidum.

    Grande étude historique : du païs à la Commune populaire, de la communauté populaire précapitaliste à la société communiste

    Bien entendu, et "paradoxalement" après nous avoir chanté "nos ancêtres les Gaulois", les manuels scolaires de la Républiiiique deux millénaires plus tard ne nous parleront pas de tout cela : il faut dire qu'il ne fallait pas entrer en contradiction trop flagrante avec le discours sur les "bienfaits civilisateurs de la colonisation" qui régnait au même moment (et encore aujourd'hui avec la loi de 2005) ; en gros "nous sommes ce que nous sommes parce que nous avons, bien que nous saluions l'héroïsme de la résistance de Vercingétorix, bénéficié des bienfaits d'une colonisation, alors soyez sages et faites en autant !" ; sans oublier aussi les "bienfaits" de la centralisation jacobino-bonapartiste sous une autorité étatique forte et bureaucratique ("comme les Romains empêchent les Gaulois de se faire la guerre entre eux, les habitants achètent, vendent, se promènent tranquillement" dans la nouvelle ville romaine, sur l'image ci-dessus : référence claire au "morcellement"/"chaos" féodal auquel l’État moderne aurait mis fin...).

    maquette-de-villa-gallo-romaine-noyal-chatillon-sur-seicheLorsque l'Empire se désagrège (fin 3e-5e siècles), les villes dépérissent (puisqu'elles n'existent que par et pour l'Empire...) et à la campagne, l'hypothèse la plus probable est que les esclaves... se carapatent, 'marronnent' (en Occitanie sans doute plus qu'ailleurs, grâce au relief escarpé), voire… se révoltent (on les appelle alors bagaudes), et vont rejoindre les communautés 'libres' subsistantes, ou forment les leurs propres. Elles se placent sous la ‘protection’ des nouveaux venus, les chefs de guerre germaniques, ou de l’Église, qui affirme rejeter l'esclavage (pour les baptisés chrétiens en tout cas), combattre l'injustice et aider les faibles. Si, d’ailleurs, certains peuples germaniques (sur les ‘marges’ de l’ancien Empire) conservent un mode de vie ‘barbare’ (Francs, Alamans, Angles et Saxons en Grande-Bretagne), la plupart (Wisigoths, Ostrogoths, Burgondes etc.) adoptent et reproduisent le mode de vie romain tardif, établissent des codes juridiques basés sur les anciennes lois romaines, reprennent le découpage administratif impérial (de ces provinces, diocèses et civitas confiées à leurs cousins et beaux-frères naîtront les duchés, comtés et autres seigneuries féodales) etc. etc. Et la dignité d’‘Empereur d’Occident’ (nécessitant le sacrement du Pape) restera la ‘course à l’échalote’ de tous les grands monarques ‘barbares’ jusqu’en… l’An Mille et même au-delà : c’est encore ainsi (‘Empereur des Romains’) que s’intitulent les souverains du Saint-Empire ‘romain’ germanique, du 10e siècle jusqu’à sa dissolution… par Napoléon en 1806 (c’étaient alors les archiducs d’Autriche, rois de Bohême et de Hongrie qui avaient le titre).

    DESSIN-BELLAN-MediumLe domaine féodal c'est donc, en fin de compte, une villa romaine profondément transformée sous le choc des invasions couplées à l'humanisme chrétien. On peut y distinguer, globalement, les types suivants de propriété :

    - une propriété de subsistance individuelle (familiale) : le petit lopin dont la famille tire sa nourriture de tous les jours, d'une surface (généralement) de quelques centaines de mètres carrés ; et pour lequel le principe est de verser un "loyer" (à l'origine, la monnaie étant rare, une part de la production en nature) appelé le cens – le paysan en a (telle est la distinction qui s'est opérée) la propriété utile, le seigneur la propriété éminente ;

    - l’ancien latifundium resté gallo-romain ou repris par les conquérants 'barbares' ou par l'Église ; c'est à dire les 'grandes' cultures (céréales, vigne, oliviers etc.) et les équipements (pressoir, four, moulin, ateliers d’outillage) qui y sont liés (et où, de par leur fonction, est prélevé le ‘tribut’) ; devenus la réserve seigneuriale : les équipements sont l'équivalent de "services publics" mis à disposition de la population contre paiement d'un taxe (là aussi souvent en nature : une part de farine pour le moulin par exemple) ; les terres propres du seigneur sont exploitées soit par des descendants directs des anciens servi, les serfs personnels, mais ceux-ci tendent à disparaître à partir de la fin du 11e siècle, soit par des ouvriers agricoles salariés tout simplement, mais surtout, par les jours de corvée des paysans du fief, une certaine quantité de jours par an (généralement une huitaine) de travail dû sur ces terres, qui sont avec le cens une autre façon de nourrir celui qui est pour eux "l'État", le "juge de paix" et le "ministre de la défense" contre les agressions extérieures ; 

    - une propriété de subsistance commune, la 'terre du commun' proprement dite : pâturages pour les bêtes (vaine pâture), bois (il y a aussi des bois seigneuriaux, 'réserves de chasse' des aristocrates, dont les paysans sont proscrits ; au fil des siècles - à l'époque moderne - la grande majorité des bois tendent à devenir seigneuriaux, saufs quelques uns justement appelés 'communaux') et même champs, vignes ou vergers en dehors des récoltes (droit de glanage). Cette terre 'communale' assure la subsistance d'une part considérable de la population, qui serait réduite à la famine autrement ; c'est justement celle-ci qui va peu à peu être démantelée à l'époque moderne (Ancien Régime), à travers un processus comparable aux enclosures britanniques culminant dans la seconde moitié du 18e siècle (succession d'édits comme celui de 1761 concernant le Béarn, la Bourgogne, la Champagne et la Lorraine, supprimant l'interdiction expresse de clôturer donc les droits de vaine pâture et de glanage) et bien sûr couronné/parachevé par la "révolution" bourgeoise (alors même que le rétablissement de ces droits était au cœur des doléances de 1789...) et au siècle suivant (on verra là encore les communautés, devenues communes, défendre bec et ongles ces droits face à l’État - monarchique 'constitutionnel' comme bonapartiste comme 'républicain' - pesant quant à lui de tout son poids législatif et réglementaire dans le sens inverse, celui de la propriété !).

    - MAIS AUSSI tout simplement, du fait de l'effondrement de la grande propriété latifundiaire esclavagiste en tant que classe (après la chute de l'Empire), dans des proportions plus ou moins importantes selon les régions (très importantes en Occitanie et Arpitanie, à la géographie montagneuse, ou encore dans le nord-est de l'ancienne Gaule particulièrement touché par les invasions), des communautés héritières des anciens servi "marrons" restés sur les anciens domaines ou partis défricher la forêt et s'y installer : ce sont les alleux ; véritables petites républiques qui s'auto-administrent (gèrent leur justice, leur sécurité en partie, leur ouvrages et équipements publics) et éventuellement dans certains cas (pas tous) "payent" cette liberté et la "protection" seigneuriale d'un tribut annuel symbolique – ces "contrats" commencent à partir du 13e siècle à être couchés par écrit, et sont ainsi parvenus à notre connaissance... l'un des plus célèbres étant par exemple tout simplement le statut de la co-principauté d'Andorre (1278), ensemble de communautés montagnardes pyrénéennes placées sous la double "protection" de l'évêque d'Urgell et du comte de Foix (puis des rois de France, et enfin de notre République actuelle...), ou, aujourd'hui disparu, celui des Escartons du Briançonnais (1343) avec le Dauphiné du Viennois.

    la-cuisson-du-pain-au-four-du-castrum 409080 510x255L'on en revient donc quelque part, à un niveau supérieur, à l'organisation 'asiatique' qui prévalait chez les anciens Gaulois [pour Samir Amin cependant, c'est l'inverse : la féodalité européenne médiévale, comme d'ailleurs l'Empire romain avant elle est selon lui une forme très 'imparfaite', 'inachevée', donc inférieure d'organisation tributaire - 'asiatique' - dont il voit en la Chine le modèle d'achèvement absolu] ; jusqu’à ce que le développement de la tenure vile (attribution claire et nette de terres cultivables à chaque famille paysanne, à charge de les exploiter et de payer dessus leurs redevances), dans la seconde partie du Moyen-Âge (pas avant le 12e siècle), ne la fasse voler en éclat en une myriade de parcelles dûment individualisées et cadastrées (les tenures ‘libres’ deviendront la petite propriété paysanne, tandis que les tenures serviles deviendront… les baux ruraux, fermage ou métayage)…

    Sous l’Empire romain, le territoire d’une grande ou de plusieurs petites villae, soit la superficie d’un ou de quelques cantons actuels, en tout cas moins d’un quart de département, était désigné sous le nom latin de pagus, d’où découlent aujourd’hui les mots pays (qui désigne à l’origine un tel échelon territorial), paysan et… païen (christianisation tardive des populations rurales, bien après la fin de l’Empire). Le terme reste en vigueur sous les Mérovingiens et les Carolingiens comme découpage administratif (équivalent ou subdivision d’un comitatus/comté) puis se transmet au Moyen-Âge et jusqu’à l’Époque moderne, sous le nom de pays (occitan : païs), pour désigner un ‘bassin’ agricole duquel ne se détache qu’une seule véritable bourgade importante (qui lui donne généralement son nom). En Italie en revanche, un paese désigne un village, et le ‘pays’ d’une cité est le contado (‘comté’) qui désigne encore aujourd’hui la campagne (paysan = contadino). D’autres termes existent en lenga d’òc, comme lo vic (mais celui-ci désigne plutôt la bourgade dominante du ‘pays’ que le ‘pays’ lui-même : Vic-en-Bigorre, Vic-Fézensac) ou encore lo parçan. En tout cas, quelle que soit sa dénomination, c’est bien dans ce pagus, ce ‘bassin de vie productive’, que s’organise la vie sociale populaire à l’époque dont nous parlons.

    [Sur l'Occitanie et sa "genèse" historique dans ce contexte, lire : http://servirlepeuple.eklablog.com/la-notion-d-ensemble-economique-tributaire-au-moyen-age-feodal-et-la-g-a161070402]

    paysans01C'est donc cette communauté paysanne qui est encore la cellule de base de la société (à 95% rurale) au début du millénaire dernier, à l’aube de la 'Renaissance médiévale', avec cependant une propriété des moyens de production sans doute un peu plus individualisée (familiale) que dans la communauté productive 'asiatique' proprement dite, mais néanmoins toujours beaucoup de 'terres du commun' : pâturages, forêts ; ainsi que les cultures 'en grand' appartenant juridiquement au seigneur ou à l'abbaye locale et cultivées par l’ensemble de la communauté (qui ‘mutualise’ et ainsi réduit, en même temps, les risques) dans des conditions sans doute plus ou moins ‘dures’ selon les seigneurs et les régions. Il est plus juste, en fait, de parler de communauté 'solidaire' (ou d'économie naturelle, comme Rosa Luxemburg) que réellement collectiviste. Un reflet de cela dans la culture populaire, ce sont par exemple les traditionnelles (‘folkloriques’ dirait-on aujourd’hui...) danses villageoises en cercle, symbole d’unité et de coopération entre les habitants.

    Les villes (nouvelles ou anciennes cités romaines), où émerge le capitalisme, sont elles aussi organisées en 'républiques' autonomes, mais avec une société évidemment beaucoup plus inégalitaire et hiérarchisée (selon la richesse, le 'rang' dans les corporations de métiers etc.). Elles arrachent petit à petit de plus en plus de prérogatives et d'indépendance au princeps (comte, duc, évêque ou archevêque) local : ainsi, c'est en 1189 que Tolosa/Toulouse obtient de son comte l'indépendance politique totale (pouvoir de justice, de police, de libre administration, de lever l'impôt et de constituer une milice pour se défendre), sous l'égide de douze capitouls. République bourgeoise oligarchique, elle étend également sa... seigneurie sur la campagne alentour (près de 12.000 hectares, en fait peu ou prou le territoire de la municipalité actuelle), dont elle est le 'seigneur' percevant les redevances, puis, au cours des décennies suivantes, son influence économique sur de nombreuses petites bourgades (dans un rayon de 50 km environ) avec lesquelles elle passe des traités (inégaux, suite à des guerres...) pour constituer finalement quelque chose d'assez semblable à une république urbaine italienne avec son contado (cf. ci-dessous). La lutte de l'autorité royale capétienne, après la Conquista, contre le pouvoir des capitouls sera de longue haleine... Mais parfois aussi, cette 'libération' des villes sera le cheval de Troie du pouvoir capétien, comme dans le cas de Lyon : en 1312, le traité de Vienne tranche un conflit de près (voire plus) de deux siècles entre l'archevêque (reconnu 'primat des Gaules' en 1079 par le Pape et seul seigneur de la ville en 1157 par l'Empereur romain-germanique, malgré les revendications des comtes du Forez) et les grandes familles bourgeoises lyonnaises... qui se sont tournées vers le roi de 'France' Philippe le Bel, que le traité consacre (donc) suzerain du Lyonnais. La ville devient 'libre', république bourgeoise oligarchique... mais 'française'. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres : ce type de 'recours au roi' contre le seigneur féodal direct sera extrêmement fréquent du 12e au 15e siècle (... pour parfois le regretter ensuite, mais trop tard !).

    1 1274189469C’est dans ces villes, on le sait, que va peu à peu émerger le capitalisme, par ‘saut’ du processus mercantile marchandise-> monnaie-> autre marchandise vers le processus capitaliste argent-> marchandise-> plus d’argent (investissement-> production-> vente-> retour sur investissement). Un tel capitalisme existait sans doute déjà dans l’Antiquité grecque et romaine, mais la base esclavagiste de la production de marchandise était trop fragile et peu rentable, et il s’était donc effondré en même temps que celle-ci. Au Moyen-Âge, sur la base productive (rurale) d’un mélange flou de propriété utile familiale, de propriété ‘commune’ villageoise et de propriété éminente seigneuriale, il peut enfin se développer au-delà d’un niveau élémentaire. Mais ce développement va précipiter la crise générale de la féodalité qui engendrera l’État moderne, lequel soumettra à son autorité centralisatrice ces petites ‘républiques’ urbaines : la cité bourgeoise médiévale périra des contradictions qu’elle aura elle-même engendré.

    Car une autre chose qui distingue nettement l’ordre féodal médiéval du système ‘asiatique’ (l’Antiquité esclavagiste étant passée par là), c’est une plus nette (et bien sûr croissante de siècle en siècle) division du travail, et donc contradiction entre villes et campagnes. Une telle division/contradiction n’existe pas dans le système ‘asiatique’ ; il n’est à vrai dire même pas possible d’y parler de ‘villes’ : la ‘ville’ de Mexico que découvrent les Castillans en 1519 (entre 150.000 et 200.000 habitants selon les archéologues) est en réalité une concentration de villages autosuffisants (calpulli) qui se sont agglomérés (comme ‘aimantés’) autour de la cité impériale aztèque (où vivent prêtres, fonctionnaires, le roi et sa cour de guerriers, leurs ‘suivantes’ etc.) et que celle-ci a tenté de ‘rationnaliser’ (‘aménager le territoire’, en somme), mais qui sont absolument semblables à tous les calpulli isolés de Mésoamérique, à cela près que les grands temples et palais se dressent à l’horizon. Au contraire, la ville médiévale (comme avant elle la cité romaine) dépend de la campagne pour son approvisionnement alimentaire (ses conditions élémentaires d’existence !) et la campagne, même si les villages ont aussi leurs artisans, dépend de plus en plus de la ville pour toute une série de produits essentiels. L’émergence du capitalisme rendra évidemment totale cette division/contradiction, puisque le paysan passé en tenure (parcelle individuelle, ne pouvant lui assurer tout le nécessaire) n’aura pas d’autre circuit que le capitalisme (basé en ville) pour transformer sa production en valeur d’échange.

    Cas particulier : en Italie, dans la continuité de Rome, ce qui fait office d’aristocratie terrienne vit généralement en ville, exploitant les terres du contado (campagne) alentour et alimentant autour d’elle (de ses devises) artisanat et commerce en tout genre. Très vite absorbée d’ailleurs par la ‘politique’ urbaine (luttes d’influence et règlements de compte entre ‘grandes familles’), elle tend à se désintéresser du contado qui n’est pour elle qu’une pure source de revenus et se gère lui-même (sous l’œil distant des régisseurs seigneuriaux). De là vient le fait qu’en Italie les grandes villes (sauf les grands centres industriels conçus comme tels) sont généralement huppées, bourgeoises, tandis que les classes populaires sont ailleurs : si le pays a effectivement une population ‘urbaine’ relativement faible pour l’Europe (69%), il a surtout le plus dense réseau de petites villes, bourgades et gros villages gravitant autour des grands centres urbains : il a, en fait, la plus importante population RURBAINE d’Europe ; et la paysannerie devenue prolétariat y a gardé cette culture que l’on nomme là-bas autonomia.

    CASTRUM-DE-NEYRANAu-dessus de tout cela, l'autorité éminente (noble, évêque, abbé) a, en échange de l'impôt régulier, un rôle de 'protecteur' et de 'juge de paix' ; elle intervient en recours pour trancher les conflits, elle est la 'gardienne du temple' du droit coutumier ; mais l'essentiel du temps, les communautés (villes et villages) s'auto-administrent en 'républiques des chefs de famille'.

    Il y a beaucoup d'idées reçues sur cette époque ! Les paysans misérables, affamés et écrasés d'impôts... largement FAUX : évidemment que le seigneur a ses besoins, de vie de tous les jours et, lorsqu'il est noble, ses dépenses militaires (service militaire dû au suzerain), qui vont croissantes avec la crise générale du mode de production (à partir de la fin du 11e siècle) ; et il faut les satisfaire. Mais l'impôt (alors très largement en nature, il y a encore peu de masse monétaire) est tout de même conçu pour être supportable : une famille de paysans qui meurt de faim, c'est une famille qui ne produira plus l'année suivante. Si les paysans meurent, c'est d'abord et avant tout en raison d'aléas climatiques ou d'épidémies, de circonstances naturelles face auxquelles l'humanité n'a alors (encore) aucun recours (ce à quoi la libération des forces créatrices techniques et scientifiques par le capitalisme, son véritable apport historique, remédiera progressivement, par 'sauts' successifs, jusqu'à nos jours) ; et c'est déjà bien suffisant pour que le seigneur en rajoute. L'impôt féodal devient insupportable, en réalité... lorsque se forme l’État moderne, avec sa fiscalité royale toujours plus avide (à cause des guerres, notamment), État dont le noble et l'ecclésiastique deviennent des rouages de l'appareil politico-militaire et idéologique, accroissant exponentiellement leurs prélèvements tout en n'ayant plus rien (bien au contraire…) de l'utilité sociale qui justifiait ceux-ci : ils deviennent totalement parasitaires. Ceci est déjà difficilement supportable pour les paysans (dont la propriété familiale concrète, et donc le sentiment d'être volés, image001s'accroît continuellement du 11e au 17e siècle) ; ça l'est encore plus pour les bourgeois des villes, qui ont certes (jusqu'au 18e siècle) besoin de l'appareil politico-militaire et idéologique royal pour protéger leurs affaires, mais qui ont de plus en plus le sentiment de ne rien devoir qu'à eux-mêmes et voient (à raison) dans la pression et l’incohérence fiscale une entrave à l'accumulation capitaliste et au 'saut' vers la révolution industrielle. C'est ce qui conduira à la révolution bourgeoise, mais la 'féodalité' des 17e-18e siècles n'a plus qu'un très lointain rapport avec celle du 11e ou 12e ! La corvée, autre symbole de l''arbitraire' et de l'oppression féodale, confond en réalité deux choses. D'une part, la corvée privée est une forme de redevance, consistant non pas à verser une part de son produit, mais à servir un certain nombre de jours (rarement beaucoup) sur la réserve seigneuriale, pour les paysans qui n'y étaient pas directement affectés (les serfs personnels). Par exemption ou rachat (transformation en prélèvement financier), elle se raréfie à partir des 11e-12e siècles en Europe du Sud (dont Occitanie) et des 14e-15e au Nord, se réduisant à quelques jours par an faciles à racheter ; elle a pratiquement disparu lorsque la Nuit du 4 Août 1789 l'abolit juridiquement (sur ses terres propres, le seigneur a alors recours aux journaliers ou brassiers, autrement dit au salariat agricole). Mais d'autre part, la corvée publique n'est en réalité que la continuation de ce qu'était la fonction de l'autorité politique dans la société 'asiatique' : organiser et mettre en œuvre les grands travaux nécessaires à tous (au-delà de l'aire géographique d'une seule petite communauté paysanne), voies de communication, ponts, irrigation, assainissement de marais etc. Il n'y a alors pas de corps spécialisé dans le génie civil, et lorsqu'il faut mener ce genre de travaux, tout le monde met la main à la pâte ! Le seigneur noble ou ecclésiastique (autorité politique) s'assure que personne ne s'y soustraie, que tout le monde s'acquitte de son 'service' (en jours de travail, généralement quelques jours par an) pour les infrastructures essentielles à la communauté (la communauté 'large', celle du fief, du 'pays'). Le paysan quel que soit son statut, même 'libre', y est astreint ; cependant, avec le développement de la monnaie, elle est de plus en plus souvent 'rachetée' (on y échappe contre une somme d'argent) au fil des siècles ; et avec le développement de l’État moderne, des corps spécialisés prennent de plus en plus en charge ces travaux. Elle a pratiquement disparu à la Renaissance (16e siècle), néanmoins des formes existent encore et jouent un rôle parfois important au 18e siècle (et même,  comme forme d''impôt local' en 'nature'... dans certaines communes rurales jusqu'au milieu du 20e !). Dans les villes, ce sont les magistrats élus (échevins, consuls, capitouls) qui supervisent et imposent aux corporations et autres jurandes ces travaux publics nécessaires, avant que l'administration royale ne les prenne là aussi en charge. Là encore, c'est donc le développement du capitalisme (et de l’État moderne avec lui) qui a rendu profondément injuste (puisque ceux qui pouvaient payer s'y soustrayaient... et gagnaient ainsi des jours de travail pour eux, donc de l'argent, tandis que les plus pauvres restaient corvéables à merci) une institution féodale devenue symbole du 'ténébreux âge gothique'... mais qui était peut-être, en réalité, l'une des plus justes et égalitaires (puisque aucune distinction entre paysan libre et serf 'personnel' ou 'réel')  ! 

    250px-Gauvain et le pretreÀ la fin du 10e siècle se produit une autre ‘révolution’, ‘culturelle’ celle-là, sous la forme d’un triomphe (hégémonie) idéologique de l’Église sur la vie sociale ; ce que les historiens bourgeois du 19e siècle (Jules Michelet et autres) mettront sur le compte d’une ‘terreur millénariste’ à l’approche de l’An Mille. Il n’en est bien sûr rien : cette ferveur religieuse des masses populaires est en réalité le résultat du fameux mouvement de la ‘Paix de Dieu’. Aux 9e et 10e siècles, la féodalité européenne a traversé non pas une crise générale, mais plutôt une sorte de ‘crise d’ajustement structurel’, de ‘saut’ dans le mode de production : l’autorité féodale aristocratique va se revendiquer héréditaire de plein droit, acquise par la seule naissance sans nécessiter de nomination par quiconque (roi ou pape ou empereur) ; et va de surcroît totalement se confondre avec la propriété féodale stricto sensu, la propriété éminente sur les terres et les populations du fief, donnant naissance à ce que l'on appelle le pouvoir banal. C’en est donc fini du dernier avatar du centralisme impérial romain, la monarchie carolingienne ; et avec la fusion totale entre autorité politique et propriété (éminente) économique, l’on entre dans la féodalité ‘parfaite’, proprement dite. Mais cet ‘ajustement’ passe par un grand développement de la violence pour le partage aristocratique des terres et des populations, sous la forme de guerres privées qui ne sont pas vraiment des guerres avec de grandes armées, mais plutôt des règlements de comptes mafieux entre nobles et leurs bandes calligraphie02d’hommes de main, que l’on commence à appeler miles (qui sera traduit plus tard par ‘chevaliers’). Elles n’en affectent pas moins durement la vie productive, notamment parce que les bandes d’hommes de main se nourrissent alors sur la population ou encore parce que, faute d’avoir vaincu le rival, on incendie les champs et tue les troupeaux de son fief, etc. etc. : une ambiance de Far West… Mais cette violence va voir se dresser contre elle l’AUTRE grande autorité féodale de l’époque, l’autorité RELIGIEUSE qui a elle aussi des domaines que les guerres privées dévastent, et que la noblesse (ces descendants de ‘barbares’, de ‘païens’…) prétend de surcroît soumettre à son autorité. L’Église va donc montrer les dents… Mais, dira-t-on, quelles ‘dents’ si les religieux ne sont, par définition, pas des guerriers ? Par quelle force armée va-t-elle s’opposer aux féroces miles ? Et bien, l’Église va vraisemblablement s’appuyer sur la plus grande armée qui soit : la grande masse du peuple. Elle va se poser en protectrice des faibles, des pauvres, des ‘petits’ qui produisent tout et sans lesquels les guerriers nobles ne sont rien, et elle va s’appuyer sur eux ; non pas qu’elle les excite à l’insurrection violente (qui pourrait se retourner contre elle), mais peut-être à une sorte de ‘grève’ des taxes et redevances féodales, pourquoi pas sous la forme de ‘dons’ au culte (qui effectivement affluent, à l’époque, vers les églises et monastères) réduisant la part versée au baron local, qui ne peut protester puisque ce qui est donné l’est à ‘Dieu’ et abbaye-de-gellone-saint-guilhem-le-desert-herault-le-languene peut être repris. Cela fera sourire qui l’on veut, mais c’est la seule lecture des évènements compatible avec le principe marxiste : "les masses font l’histoire". Ainsi, de ‘conférences’ en ‘sommets régionaux’ avec les suzerains des miles, l’Église impose à la société féodale la ‘Paix de Dieu’ : sous peine de sanctions très ‘dures’ pour l’époque (acte de contrition, pénitence, amendes, excommunication), les guerres privées sont interdites à certaines périodes de l’année (généralement les périodes de semailles ou de récoltes), il est interdit de toucher aux édifices religieux (qui deviennent, du coup, des ‘banques alimentaires’ pour la population), etc. etc. Ceci (et non les irréductibles Gaulois...) va donner naissance aux villages, la population se rassemblant autour (et sous la protection) d'un lieu de culte, et va également gonfler la population (donc la force de travail) des villes, puisque ces reliques de l'époque romaine abritent généralement l'autorité religieuse (évêques, archevêques). Puis, le même phénomène se fera jour autour des castrum de la chevalerie ‘pacifiée’ : on parlera alors plutôt de bourgs (burg = château en langue germanique, qui a influencé les langues romanes) ; ce sont tous les lieux appelés aujourd'hui "XXX-le-Château" ou Château- (Castel- en Occitanie)-quelque-chose. L’effet sur la production et tout ce qui en découle est radical, marquant le véritable début de la Renaissance médiévale. Le mode de production féodal atteint proprement son ‘apogée’, dans le sens où la maîtrise de ses pires défauts (violence de ‘tous contre tous’, en l’absence d’État centralisé) permet l’épanouissement de toutes ses qualités : ‘humanité’ de la condition du producteur par rapport à l’esclave antique (donc meilleure productivité), grande autonomie politique locale, foisonnement intellectuel et artistique etc. etc. … mais aussi, en même temps, le développement du capitalisme qui sera son fossoyeur.

    3-Saint-Sernin-3Ce qui apparaît encore une fois, c’est que les historiens bourgeois ont dépeint comme la plus ‘sombre’ période du Moyen-Âge (le terrible ‘An Miiiiille’) celle qui est en réalité la plus ‘lumineuse’, l’une des plus prospères et heureuses (dans la limite des forces productives de l’époque) pour les masses, celle où la vie intellectuelle de la ‘société civile’ sous l’hégémonie du clergé (qui ne s’est pas encore transformé en bras idéologique de l’appareil d’État) est peut-être la plus brillante et la plus libre ! Peut-être ne supportent-ils pas dans cette période la prépondérance de l’Église, qu’ils ne conçoivent que dans un rôle réactionnaire et subordonné, soit au service de l’aristocratie contre eux, soit à leur service pour l’encadrement des masses ; certainement pas dans un rôle dirigeant et… objectivement progressiste. Ou peut-être leur mépris des masses productrices (ancêtres du prolétariat) les conduit-il à ne voir dans la ‘ferveur religieuse’ populaire qu’ignorance et superstition, et non une claire et consciente alliance de deux classes contre les agissements d’une troisième, pour une société plus stable, 'juste', 'vivable' et prospère. Peut-être, enfin, que le ‘morcellement féodal’ qu’ils décrivent à cette époque ne désigne rien d’autre que l’absence de cet État centralisateur qui leur est si cher (et l’autonomie populaire qui en résulte !), la subsidiarité politique du bas vers le haut, le fait que le (titulaire) roi ‘de France’ ne règne réellement que d’Orléans à Compiègne, contesté par ses ‘vassaux’ jusque dans son propre Bassin parisien, alors que les systèmes féodaux du ‘Midi’ (duché d’Aquitaine, Gascogne, comté de Toulouse, royaume de Bourgogne-Provence etc.) fonctionnent beaucoup plus harmonieusement… Il faut dire que la ‘Paix de Dieu’ est d’abord, très largement, partie du ‘Midi’ occitan, où il restait des traces romaines de droit écrit, de contrat et de formalisme juridique ; face à la treue germanique du Nord (‘engagement’ d’homme à homme), qui n’avait guère d’autre sanction que le règlement de compte en cas de manquement. En résumé, peut-être la bourgeoisie a-t-elle un peu de mal à concevoir une société décentralisée, à forte autonomie populaire locale et sous hégémonie ‘cléricale’, c’est-à-dire, peut-être, animée par d’autres valeurs que vendre sa force de travail ou (surtout) exploiter celle des autres pour en retirer un profit !

    Ceux et celles qui ont été à l’école se souviennent sous quels traits effroyables Voltaire, ce grand ‘saint laïc’ de notre République (pour qui Philippe Val continue à se prendre le matin en se rasant, mais qui a aussi donné son nom à deux sites internet… d’extrême-droite, le ‘réseau’ de Thierry Meyssan et le ‘boulevard’ de Robert Ménard), décrivait dans Candide les ‘réductions’ (missions) jésuites du Paraguay, qui étaient en réalité des communautés indigènes autonomes sous ‘parrainage’ religieux, au fonctionnement extrêmement juste et démocratique. Il ne mettait pas la même ardeur à dénoncer la traite esclavagiste, dans laquelle il trempait au demeurant ; d’ailleurs, ce sont justement des marchands d’esclaves espagnols et portugais, à la solde des hacenderos/fazeinderos (grands propriétaires fonciers) et avec l’appui de leurs monarchies respectives, qui ont liquidé les ‘réductions’ à l’époque même où Voltaire écrivait !

    bucher_saint_louis.jpgEn fait, lorsque l’on met l’Histoire ‘grand public’ bourgeoise en perspective avec la réalité historique (soigneusement confinée dans les couloirs décrépis du CNRS, section ‘histoire des sociétés’), l’on s’aperçoit que la bourgeoisie a en réalité dépeint les ‘âges obscurs’ médiévaux sous les traits… de la période dont elle est directement issue et dont elle a profité pour devenir ce qu’elle est : la première crise générale de la féodalité (13e-15e siècles) qui a donné naissance à l’État moderne, puis la survie artificielle (15e-18e siècles) de celle-ci sous l’absolutisme et sa deuxième crise générale (des Guerres de Religion à 1789), conduisant aux révolutions bourgeoises. L’Inquisition avec ses chambres de tortures raffinées n’apparaît qu’en 1199 et ne se développe réellement qu’un voire deux siècles plus tard… comme police et tribunal politique des grandes monarchies étatiques modernes. C’est au début du 17e siècle qu’une Papauté aux abois (notamment face à la Réforme protestante) brûle Giordano Bruno, menace d’en faire autant avec Galilée et emprisonne Campanella pendant 27 ans, moins pour leurs découvertes scientifiques (qui finiront par être admises par l'Église) ou leurs thèses philosophiques au demeurant plus ou moins discutables (Campanella) que parce que leurs conclusions tendent vers l’inexistence d’un Dieu créateur, ‘pensant’ et ‘commandant’, et donc vers l’illégitimité de ses ‘lieutenants’ sur terre : Pape et monarques (et bon, Calvin à Genève, avec l'exécution effroyable de Michel Servet pour critique du dogme de la Trinité, c'était "pas mal" non plus !).

    Ce n’est pas avant le 15e, et surtout au 16e et encore 17e siècle que l’on pourchasse et brûle massivement ‘sorcières’ et ‘sorciers’, ‘guérisseurs’, ‘sodomites’ (alors que les Églises chrétiennes du Moyen Âge célébraient fréquemment des sortes de ‘Pacs’ entre personnes du même sexe), supposés ‘loups-garous’ etc. etc. ; bref toutes les dernières expressions de la culture communautaire traditionnelle à la campagne, sans oublier les ‘hérétiques’ (contestataires sociaux avant tout, qui ne sont pratiquement pas persécutés avant le 13e siècle, de même que les Juifs). C’est à partir du 14e siècle (Guerre de Cent Ans) et protestants_heretiques_bucher.gifjusqu’au… 17e voire début du 18e siècle que les guerres incessantes déciment la population à coup de famines et d’épidémies. Et à la même époque que l’arbitraire de l’administration royale ou seigneuriale (devenue un rouage de la première) et la pression des impôts et autres taxes font se multiplier les révoltes populaires… Tout cela, la bourgeoisie de 1789 et postérieurement l’a bien entendu rejeté et condamné. Mais ses aïeux de l’époque en ont-ils fait autant ? Certainement pas : ils avaient certes leurs contradictions avec la monarchie absolue et sa Cour d’aristocrates parasites, mais ils s’appuyaient bien confortablement sur elle pour écraser tout ce qui dans les masses ressemblait à un début de ‘dissidence’ et de perturbation de l’ordre social, et pour étendre le territoire du royaume (leur ‘grand marché’ et base première d'accumulation !) par la guerre. Alors hypocritement, comme toute classe dominante qui réécrit l’Histoire à son avantage, elle met en avant une série de personnages (d’Étienne Marcel à Voltaire) pour exagérer son rôle de ‘contestation’ sous l’absolutisme, alors qu’elle a généralement appuyé celui-ci contre la féodalité locale (même si dans les nations annexées comme la Bretagne ou l’Occitanie/Arpitanie l’inverse a aussi été vrai) jusqu'à ses ultimes et indépassables limites historiques des années 1780 ; et elle fait de la féodalité une ‘longue nuit’ sans le moindre ‘apogée’ progressiste… Il ne s’agit pas pour nous de faire du milieu du Moyen-Âge (l'An 1000) un ‘paradis perdu’ et encore moins (comme pourraient le dire certains) de vouloir y revenir mais seulement, dans une démarche révolutionnaire scientifique, de rendre justice aux faits !


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    [1] Compréhension du monde issue de l’activité productive, sociale, et qui exprime même de manière « embryonnaire » les intérêts réels des producteurs - lire par exemple ici

    [2] Lire notamment ici (il y a quelques inexactitudes historiques et une vision quelque peu ‘angélique’ de la révolution bourgeoise  cromwellienne, notamment son caractère colonialiste ANGLAIS et son génocide en Irlande, mais bon…) : http://www.lutte-ouvriere.org/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/grande-bretagne-grande-propriete ; partie ‘Écosse : la révolution importée’ (mais le reste aussi, notamment sur la situation à Londres, est édifiant !). La principale source de l'article est le chapitre XXVII du Capital de Marx : L'expropriation de la population campagnarde

    Les Douze Articles, rédigés en 1525, de la Guerre des Paysans qui a secoué le Sud de l'Allemagne, la Suisse mais aussi le Nord-Est de l'Hexagone (Alsace, Lorraine, Franche-Comté) à cette époque, offrent également dans les doléances qu'ils expriment une bonne illustration des processus alors en cours (accaparement des terres jusque-là communautaire, poids grandissant des prélèvements seigneuriaux et ecclésiastiques etc.) : http://www.recherche-clinique-psy.com/spip.php?article193

    [À lire aussi, très intéressant pour compléter et aider à la compréhension de tout cela : Samir-Amin-developpement-inegal-et-question-nationale.pdf]


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  • 63546-simone-weil-1,bWF4LTY1NXgwVoici un nouvel extrait de ce que l'on peut appeler les réflexions occitanes de la philosophe - 'marxiste libertaire' passée 'catho de gauche' - Simone Weil.

    Tout d'abord, il faut situer le contexte : lorsqu'elle rédige ces lignes, Simone Weil est installée en Occitanie (dans la région de Marseille) avec sa famille, au début de l'Occupation nazie et de la 'révolution nationale' de Vichy (1940-42) qui les menacent (bien sûr) directement en tant que Juifs 'ethniques'. Elle s'y plonge dans la rédaction de Cahiers où elle se penche, notamment, sur l'histoire de cette terre occitane qui lui offre un précaire refuge (non-occupée par les nazis, les Juifs y sont discriminés mais pas encore systématiquement pourchassés et envoyés vers les camps de la mort... jusqu'à l'été 1942 en tout cas, où Vichy prend alors l'initiative d'une grande rafle - 7.000 Juifs au total - dans toute la zone 'libre', sans la moindre présence militaire allemande...).

    À ce stade, sa compréhension très idéaliste du marxisme - comme, finalement, un 'humanisme radical' - a déjà 'craqué' ; et elle s'est tournée vers la foi chrétienne et le catholicisme 'de gauche', pensant y trouver les 'réponses' que le marxisme, mal compris par elle mais aussi... caricaturé, parfois, par d'autres, ne lui avait pas apportées.

    [Une bonne présentation de sa pensée ici : «Toute sa vie, Simone Weil se refuse à toute doctrine, elle n’est que du côté de la vérité.pdf »]

    C'est donc un texte imprégné d'idéalisme et même, à bien des moments, mystique que nous avons là : tout, pour elle, dans le panorama historique qu'elle dresse, procède de l'idée - ce qu'elle appelle l''inspiration' ou la 'vocation' (de transcendance divine), véritable maîtresse d'œuvre de l'histoire, sans aucun fondement dans la réalité matérielle (qu'elle 'précède'). ET POURTANT... Encore une fois, comme dans les extraits publiés il y a quelques temps par les camarades de Sheisau Sorelh, une lecture ATTENTIVE de ce qui est écrit montre combien Weil, indirectement, à travers le prisme (déformant !) de son idéalisme religieux, saisit superbement, de manière matérialiste-dialectique, l'histoire de notre Occitanie et de son négateur l’État français... bien mieux que bien des personnes qui (aujourd'hui même !) se considèrent comme les 'gardiens du temple' de la science marxiste ! Il suffit, en fait, de traduire en 'langage' matérialiste dialectique ce que décrit Weil ; de le rattacher à une analyse marxiste de la réalité matérielle (modes de production et crises, classes et contradictions entre elles), pour s'en convaincre... 

    Nous ne reproduirons pas ici le texte (on l'a dit, baigné d'idéalisme et de mysticisme 'philosophique') dans son entier ; mais seulement les passages selon nous les plus significatifs, ceux qui rejoignent notre analyse matérialiste/marxiste de la question.

    Grèce AntiqueCe qui fonde, à la base, l''occitanophilie' de Simone Weil, c'est que l'Occitanie médiévale a été selon elle l'héritière véritable de la Grèce antique, dont elle aurait failli ("si on ne l'avait pas tuée") 'rééditer le miracle' : "Chaque pays de l'antiquité pré-romaine a eu sa vocation, sa révélation orientée non pas exclusivement, mais principalement vers un aspect de la vérité surnaturelle. Pour Israël ce fut l'unité de Dieu, obsédante jusqu'à l'idée fixe. Nous ne pouvons plus savoir ce que ce fut pour la Mésopotamie. Pour la Perse, ce fut l'opposition et la lutte du bien et du mal. Pour l'Inde, l'identification, grâce à l'union mystique, de Dieu et de l'âme arrivée à l'état de perfection. Pour platon et aristote1286365236la Chine, l'opération propre de Dieu, la non action divine qui est plénitude de l'action, l'absence divine qui est plénitude de la présence. Pour l'Égypte, ce fut la charité du prochain, exprimée avec une pureté qui n'a jamais été dépassée ; ce fut surtout la félicité immortelle des âmes sauvées après une vie juste, et le salut par l'assimilation à un Dieu qui avait vécu, avait souffert, avait péri de mort violente, et était devenu dans l'autre monde le juge et le sauveur des âmes. La Grèce reçut le message de l'Égypte, et elle eut aussi sa révélation propre : ce fut la révélation de la misère humaine, de la transcendance de Dieu, de la distance infinie entre Dieu et l'homme" : Weil énumère ici les civilisations qui, à leur endroit du monde et à leur époque donnée, ont été l'apogée progressiste de l'organisation sociale antique ("esclavagiste" ou plutôt et plus largement, selon les mots d'un Samir Amin qu'il est d'ailleurs absolument fascinant de mettre en face de tout ce qui va être dit, tributaire : texte-de-samir-amin), pour la mission historique qui était la sienne : dégager des tâches laborieuses de la reproduction de l'existence une fraction de la population pour lui permettre de ce consacrer exclusivement à la pensée, à la compréhension scientifique et philosophique du monde qui nous entoure.

    La Grèce classique (entre 600 et 300 avant Jésus-Christ) est décrite comme le réceptacle et la synthèse (en Europe-Méditerranée) de cette toutes ces pensées et connaissances techniques et scientifiques, qui font faire à l'humanité un 'grand bond en avant' : l'on cesse alors de subir le réel en lui arrachant quotidiennement sa subsistance ; l'on s'efforce (et commence) désormais à le COMPRENDRE (la prochaine étape, comme le dira Marx environ 2000 ans plus tard, sera de commencer à le TRANSFORMER). Ceci dit, à ce stade, la mutation de l’organisation sociale ‘asiatique’ ou communautaire-patriarcale (gentilice) vers l’esclavagisme est totalement consommée : la ‘démocratique’ cité d’Athènes compte 10% de citoyens pour 90% d’esclaves, et il en va à peu près de même dans toutes les autres cités (y compris nostra Marselha). Mais, comme la quasi-totalité de louangeurs bourgeois (ou même prétendument ‘communistes’) de la Grèce classique, Weil fait complètement l’impasse sur ce point. La suraccumulation d’esclaves est pourtant le premier signe annonciateur du fait que l’organisation sociale esclavagiste antique va entrer en crise mortelle…

    0.367EPuis, elle nous dit que : "Rome détruisit tout vestige de vie spirituelle en Grèce, comme dans tous les pays qu'elle soumit et réduisit à la condition de provinces. Tous sauf un seul. Contrairement à celle des autres pays, la révélation d'Israël avait été essentiellement collective, et par là même beaucoup plus grossière, mais aussi beaucoup plus solide ; seule elle pouvait résister à la pression de la terreur romaine. Protégé par cette carapace, couva un peu d'esprit grec qui avait survécu sur le bord oriental de la Méditerranée. Ainsi, après trois siècles désertiques, parmi la soif ardente de tant de peuples, jaillit la source parfaitement pure. L'idée de médiation reçut la plénitude de la réalité, le pont parfait apparut, la Sagesse divine, comme Platon l'avait souhaité, devint visible aux yeux. La vocation grecque trouva ainsi sa perfection en devenant la vocation chrétienne. Cette filiation, et par suite aussi la mission authentique du christianisme, fut longtemps empêchée d'apparaître. D'abord par le milieu d'Israël et par la croyance à la fin imminente du monde, croyance d'ailleurs indispensable à la diffusion du message. Bien plus encore ensuite par le statut de religion officielle de l'Empire romain. La Bête était baptisée, mais le baptême en fut souillé. Les Barbares vinrent heureusement détruire la Bête et apporter un sang jeune et frais avec des traditions lointaines. À la fin du Xe siècle la stabilité, la sécurité furent retrouvées, les influences de Byzance et de l'Orient circulèrent librement. Alors apparut la civilisation romane. Les églises, les sculptures, les mélodies grégoriennes de cette époque, les quelques fresques qui nous restent du Xe et du XIe siècle, sont seules à être presque équivalentes à l'art grec en majesté et en pureté. Ce fut la véritable Renaissance. L'esprit grec rome jeux cirquerenaquit sous la forme chrétienne qui est sa vérité"  ; et effectivement, c'est vrai : la Rome impériale, que l'on peut faire débuter au 2e siècle avant Jésus-Christ (avec la conquête de l'Afrique du Nord, de la Grèce et de l'Anatolie, de l'Espagne méditerranéenne et du sud de la Gaule etc.), fut en Euro-Méditerranée non pas l'apogée progressiste de l'Antiquité esclavagiste, mais son 'stade suprême' décadent et réactionnaire, une sorte de crise générale de la société antique : la 'libération' d'une élite de la population envers les tâches 'bassement productives' n'était plus mise au service de l'élévation intellectuelle et civilisationnelle, mais de la décadence, de l'orgie et des jeux de cirques, du pouvoir pour le pouvoir et de la richesse pour la richesse (l'esprit capitaliste d'investir, de faire fructifier la richesse accumulée, n'en était alors qu'à ses balbutiements).

    Ceci conduisit à l'effondrement ; et Weil reprend là la position d'Engels dans L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, faisant des 'invasions barbares' un évènement positif et historiquement nécessaire, une 'régression féconde' d'ailleurs saluée comme une 'libération' dans la plupart des pays où les 'barbares' arrivèrent. Bien sûr, à cette époque où l'humanité entendait comprendre la réalité (et sa propre condition), mais pas encore la transformer, cet effondrement fut spontané, sous une multitude de 'coups' produits par les contradictions du mode de production esclavagiste : révoltes d'esclaves et des peuples conquis, guerres civiles et 'anarchies militaires' résultant de l'hypertrophie de la force armée (première fournisseuse d'esclaves par ses guerres, donc de la principale force de travail), et enfin les invasions de ces peuples 'barbares' relégués derrière les limes, comme réservoirs rome_antique_image789.jpgd'esclaves. Il n'y eut pas de 'révolution' consciente et organisée instaurant la féodalité. Il y eut un effondrement inexorable et finalement brutal, une régression 'féconde' certes, mais une régression, et la civilisation autour de la Méditerranée dut se reconstruire, ce qui fut long et laborieux. Ce furent les religions 'révélées' chrétienne au Nord de la mer, et musulmane au Sud qui accompagnèrent comme idéologies de progrès cette reconstruction. Le principe était simple : humaniser la condition du producteur, paysan (sur lequel tout reposait alors) ou 'ouvrier' artisanal, pour le rendre plus productif. L'esclave agricole devient un serf plus ou moins libre, qui peut produire en partie pour lui-même et sa famille ; l'esclave d'atelier ou de mine devient un 'compagnon', un proto-ouvrier rétribué pour sa force de travail, pouvant espérer devenir (un jour) 'maître' à son tour. L'esclavage ne disparaît pas (il est toujours permis de mettre en esclavage les non-chrétiens en Chrétienté et les non-musulmans en Islam), mais devient marginal comme rapport de production – avant d’être rétabli dans les colonies d'outre-mer pour les indigènes et les Africains à partir du 16e siècle… pour les besoins de l’accumulation primitive capitaliste (!), sous les hourras des penseurs ‘libéraux’ de l’époque (du hollandais Grotius aux anglais Locke et Smith, des ‘pères fondateurs’ américains Washington, Franklin, Adams ou Jefferson aux français Voltaire ou Tocqueville) ; tandis que l'Europe de l'Est, pour 'donner le change', remettait ses paysans dans un servage de fer[1]... Nous reviendrons sur ces ‘paradoxes’ de l’’humanisme’ libéral de l’époque moderne.

    gran al andalusWeil souligne ici à juste titre comment la pensée grecque classique, qui avait profondément imprégné les rives orientales de la Méditerranée, 'accouplée' au monothéisme hébreu, a été directement la matrice de la religion/idéologie chrétienne (et tout autant de la religion/idéologie islamique) ; contrairement aux affirmations de 'philosophes' bobos, se croyant 'rebelles' et 'géniaux' à la Michel Onfray, faisant du christianisme et de l'islam des 'tsunamis' obscurantistes balayant les 'lumières' antiques - poursuite acharnée de l'erreur théorique anti-matérialiste fondamentale des Lumières, et des pré-Lumières ('Renaissance', classicisme) depuis le 16e siècle : Grèce et Rome antiques sacralisées (en ignorant délibérément leurs contradictions fatales) ; 'invasions barbares' et triomphe du christianisme et de l'islam ouvrant un 'âge des ténèbres'. Weil rappelle, en passant, que le christianisme s'est toutefois 'dénaturé' en devenant, sur les derniers siècles (à partir du 4e), la religion d’État de l'Empire romain finissant puis de son hériter byzantin, d'où, dès cette époque, la multiplication des 'hérésies' (arianisme, nestorianisme, monophysisme, gnosticisme etc.) contestant (sous couvert de théologie) le dogme officiel fixé au concile de Nicée (325 ap. J-C) ; tandis que dans les campagnes d'Europe profonde, le paganisme résistait et résistera encore pendant des siècles, sous le nom de 'sorcellerie'... L'islam, au contraire, 'surgi du désert' sans prévenir au 7e siècle, et doté (en plus) d'un véritable programme politique de gouvernement, aura cette dimension 'révolutionnaire' qui lui permettra la conquête rapide d'immenses territoires sur les Byzantins, les Perses et les Wisigoths (en Espagne) ; les populations se ralliant massivement aux 'envahisseurs' (en particulier les communautés 'hérétiques', comme les ariens d'Espagne).

    Aux 10e-11e siècles, la reconstruction est achevée et c'est alors (au nord de la Méditerranée) l'âge ROMAN et la 'Renaissance médiévale', la 'vraie Renaissance' selon Weil : l'apogée du mode de production féodal en tant que mode de production supérieur aux précédents, porteur de progrès pour l'humanité euro-méditerranéenne. Une Renaissance dont l'Occitanie d'alors est un très important CENTRE ; lié via la Catalogne à l'Andalus ibérique, via les Alpes à la péninsule italienne, et via l'Arpitanie (alors 'royaume de Bourgogne') à l'Europe rhénane. Weil aborde cette période dans son texte sous l'angle de l'organisation socio-politique, de l'art (religieux) et de la littérature/poésie 3-Saint-Sernin-3(courtoise), etc. etc. - bien sûr, tout cela est décrit à travers le prisme de son idéalisme catho-mystique, donc forcément très éloigné d'une analyse scientifique marxiste (analyse des classes, de leurs relations et de leurs contradictions, du pouvoir politique et de la 'conscience collective' - dont la culture, l'art font partie - comme 'gestion' de ces relations et contradictions etc.).

    [Sur la "genèse" de l'Occitanie dans ce contexte médiéval, lire : la-notion-d-ensemble-economique-tributaire-au-moyen-age-feodal-et-la-g-a161070402]

    Weil nous dit ensuite : "Il y avait encore alors un lien vivant avec les traditions millénaires que de nouveau aujourd'hui nous essayons de découvrir avec peine, celles de l'Inde, de la Perse, de l’Égypte, de la Grèce, d'autres encore peut-être. Le XIIIe siècle coupa le lien. Il y avait ouverture à tous les courants spirituels du dehors. Si déplorables qu'aient été les Croisades, du moins elles s'accompagnèrent réellement d'un échange mutuel d'influences entre les combattants, échange où même la part des Arabes fut plus grande que celle de la chrétienté. Elles ont été ainsi infiniment supérieures à nos guerres colonisatrices modernes. À partir du XIIIe siècle l'Europe se replia sur elle-même et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire".

    Nous ne sommes pas d'accord. Pour nous, le début des Croisades (1095) marque de fait l'entrée dans la première crise générale du mode de production féodal, dont elles sont en fait une 'soupape' qui prolonge, pour un siècle encore, la Renaissance médiévale romane [une crise de "surproduction absolue d'atomisation micro-tributaire" en quelque sorte, surproduction de baronnies rétives à toute autorité supérieure et se faisant la guerre en permanence, causant une instabilité généralisée, d'où l'idée d'envoyer tous ces petits barons "propager la foi chrétienne par le glaive" au loin... et se tailler pour près de deux siècles les premières (quelque part) "colonies" européennes hors d'Europe qui seront la base, notamment dans les cités marchandes italiennes, de mécanismes relevant déjà de l'accumulation primitive – rejoignant donc, comme manifestation concrète, ce que dit Amin des racines de la Modernité capitaliste dans l'instabilité du système tributaire de la féodalité européenne médiévale ; et au demeurant, n'oublions pas qu'ont aussi été des Croisades la Reconquista espagnole, qui s'accélère à cette époque, la conquête de la Sicile à partir de 1060 par des chevaliers normands, ainsi que... la conquête de l'Occitanie au 13e siècle, dont il est essentiellement question dans ce texte].

    Le mode de production féodal, qui connaît son apogée au 11e siècle, a traversé en réalité deux crise générales, entrecoupées par ce que l'on appelle classiquement la 'Renaissance' : la première de la fin du 11e jusqu'au milieu du 15e siècle (Croisades, deux 'Guerres de Cent Ans' en Europe occidentale etc.), avec une petite stabilisation vers la fin du 13e/début du 14e siècle ; la seconde du milieu du 16e jusqu'au début du 19e siècle (avec les Guerres de Religion, la Guerre de Trente Ans puis toutes les guerres européennes de Louis XIV et Louis XV jusqu'à la Révolution et l'Empire ; et la première grande expansion coloniale de l'Europe), là encore avec des périodes de stabilisation de quelques décennies maximum. La première donne naissance à l’État moderne (absolutiste) ; la seconde se 'résout' par les révolutions bourgeoises et donne donc naissance à l’État bourgeois (contemporain).

    Maintenant, il est vrai que l'époque des Croisades a été marquée par une interpénétration intellectuelle, qu'elle s'est caractérisée par une importation (par pillage violent !) en Europe de connaissances scientifiques et techniques voire (même) de conceptions humanistes du monde musulman attaqué, choses que l'on ne retrouve pas dans les conquêtes coloniales du 16e siècle jusqu'à nos jours, avec un Occident sûr de lui et 'supérieur', qui prétend 'civiliser' les peuples qu'il soumet.

    1726705-cathedrale notre dame de rouen-rouenEt entre les deux, que s'est-il passé ? Weil nous dit que "À partir du XIIIe siècle l'Europe se replia sur elle-même et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire", et que "Le Moyen Âge gothique, qui apparut après la destruction de la patrie occitanienne, fut un essai de spiritualité totalitaire. Le profane comme tel n'avait pas droit de cité. Ce manque de proportion n'est ni beau ni juste ; une spiritualité totalitaire est par la même dégradée. Ce n'est pas là la civilisation chrétienne. La civilisation chrétienne, c'est la civilisation romane, prématurément disparue après un assassinat. Il est infiniment douloureux de penser que les armes de ce meurtre étaient maniées par l'Église. Mais ce qui est douloureux est parfois vrai. Peut-être en ce début du XIIIe siècle la chrétienté a-t-elle eu un choix à faire. Elle a mal choisi. Elle a choisi le mal. Ce mal a porté des fruits, et nous sommes dans le mal. Le repentir est le retour à l'instant qui a précédé le mauvais choix." : eh oui ! L'âge gothique (13e-15e siècles) voit la mise en place des États modernes et, dans chacun de ces États, l’Église passe au service du pouvoir monarchique ; elle perd son caractère 'universaliste' euro-méditerranéen pour devenir un pur 'bras' de l'appareil d’État, elle devient donc ce que Weil appelle 'totalitaire'. C'est l'époque où naît l'Inquisition, laquelle, contrairement à ce que l'on pense souvent, n'est pas un instrument du pape, indépendant voire en contradiction avec les monarchies : elle a un caractère national et agit totalement au service des jeunes États modernes, comme ce qu'il convient d'appeler une police politique, une Gestapo agitant de manière politique les accusations d'hérésie, de sorcellerie, de 'sodomie' et autres joyeusetés. Bernard Gui (début du 14e siècle), de naissance limousine, sévit en Occitanie pour le compte de la monarchie capétienne comme avant lui le tristement célèbre légat Arnaud Amaury/Amalric du massacre de Béziers (de naissance vraisemblablement languedocienne, en tout cas le nom Amalric est languedocien) ; tomas de torquemada Torquemada (fin du 15e siècle), castillan, sévit dans la péninsule ibérique pour la monarchie de Castille-Aragon ; etc. etc. [on peut aussi évoquer, plus tard (1609), la 'chasse aux sorcières' en Pays Basque (Lapurdi) menée par les collabos bordelais d'Espagnet et de Lancre - ce dernier lui-même d'origine basque souletine...]. Là où, par la suite, c'est le protestantisme qui deviendra religion d’État, il existera également des formes d''inquisition protestante' comme le montrent les procès en sorcellerie de Salem en Nouvelle-Angleterre (colonie anglaise d'Amérique du Nord) tandis qu'à Genève, Calvin fera brûler vif Michel Servet - opposant politico-théologique aux thèses radicales...

    En réalité, les choses se sont déroulées comme suit :

    - L'ÂGE ROMAN (950-1200) correspond à la Renaissance médiévale, 'âge d'or' et apogée du mode de production féodal. Le régime seigneurial (éventuellement ecclésiastique) exploite la terre, première source de reproduction des conditions d'existence, de manière plus ou moins brutale (servile) ou 'libre' (alleutière) selon les régions (en fait, selon les climats et la fertilité des sols) [lire à ce sujet : grande-etude-historique-pais-commune-populaire]. Les artisans transforment la matière en marchandise ; les commerçants la commercialisent : le capitalisme apparaît. L'Église se charge d'encadrer et de 'pacifier' les comportements sociaux ('Paix de Dieu' etc.). La société est cohérente ; il y a des contradictions bien sûr mais la complémentarité des fonctions dans l'organisation sociale productive est principale ; et, lorsque les conditions climatiques et la fertilité des sols (forces productives essentielles à l'époque !) le permettent, comme en Occitanie ou en Andalousie, l'on atteint de hauts degrés de civilisation et de 'bien-être général', peut-être sans précédent dans l'histoire (Weil évoque fréquemment la Grèce antique, mais en est-elle si sûre ? 90% de la population de celle-ci n'était-elle pas esclave ou semi-esclave ?). Cette période donne naissance aux nations modernes/contemporaines ; comme la Nation occitane. Mais tout cela est forcément éphémère et, à un moment donné, le mode de production féodal va atteindre ses limites et voir ses contradictions exploser.

    Assassinat Etienne Marcel- L'ÂGE GOTHIQUE (1200-1450) correspond à la première crise générale de la féodalité qui va donner naissance à l’État (et à l'époque) moderne, à l'absolutisme. Comme tout mode de production ayant atteint les limites de ses capacités historiques, la féodalité tend à la concentration par élimination : elle tend à l'accumulation de domaines entre quelques mains dynastiques, de manière de moins en moins pacifique (mariage, achat) et de plus en plus violente (guerre, conquête). Toute classe ou fraction de classe appelée à jouer un rôle historique à un moment donné produit son 'grand dirigeant', son 'homme providentiel' ; et la fraction de la classe aristocratique constituée par la maison capétienne et ses fidèles va le produire en la personne du roi Philippe II Auguste : en un peu plus de 40 ans de règne, celui-ci va étendre l'imperium (autorité effective) des Capétiens d'une région située entre la Loire, la Somme et la Meuse (à l'Ouest de la Touraine et de la Normandie), jusqu'à... l'actuel Hexagone entier, sauf les régions à l'Est de la Meuse, de la Saône et du Rhône, et un petit l5xyx6ko7wqbj1p8bi-474px-france 1154-frréduit (anglais, Plantagenêt) en Gascogne. Il donne naissance à la France dont il devient le premier roi, et non plus un symbolique 'roi des Francs occidentaux'. Il conquiert directement l''Empire plantagenêt', qui s'étendait de la Normandie aux Pyrénées en passant par l'Anjou, le Poitou etc. ; et indirectement, par le biais d'une 'Croisade contre l'hérésie albigeoise', l''Empire' arago-toulousain qui s'étendait du Rhône à la Garonne et du 'Massif central' aux Pyrénées. Ses successeurs (Louis VIII, 'Saint' Louis IX, Philippe III et Philippe IV le Bel) poursuivent et consolident son œuvre (mettant également la main sur le Dauphiné, la Provence, la région lyonnaise etc.). Après la mort de Philippe le Bel, les rois d'Angleterre (ses descendants par sa fille) tenteront de s'emparer de l’œuvre en invoquant cette filiation, mais ils seront mis en échec par la branche cadette des Valois et définitivement expulsés du continent.

    Conquetes Philippe AugusteDe son côté, comme chacun-e le sait, le capitalisme ne peut se développer que dans la concurrence : un capitaliste ne peut JAMAIS accumuler et valoriser 'mieux' son capital autrement qu'aux dépens des autres. Et, dans ce processus que nous venons de décrire... les capitalistes, les grands bourgeois de Paris et alentours, ayant les faveurs de la maison capétienne, vont évidemment profiter de l'expansion territoriale, de l'accumulation de domaines de celle-ci ; tandis que, de leur côté, les bourgeois 'de second rang' des territoires conquis vont, souvent, pactiser avec elle contre les très-grands-bourgeois ayant les faveurs du comte ou du duc local (des petits féodaux mécontents pactiseront aussi pour les mêmes raisons).

    Le même processus s'accomplit dans les autres régions de l'Europe ; sauf en Italie où quelques tentatives (comme celle des Médicis auxquels Machiavel dédie son Prince) se heurteront à l'opposition papale soutenue par l'Autriche et l'Espagne, à la Contre-Réforme, à la rivalité des grands empires maritimes de Venise et Gênes etc. etc. (Gramsci dira notamment que "la Papauté fut trop faible pour faire l'unité, mais assez forte pour l'empêcher") et en Allemagne, où la Réforme achève la désagrégation politique commencée au 13e siècle (il y aura deux grands États moderne, l'Autriche et la Prusse, dont la conclusion de la lutte sera la naissance des États contemporains d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie - laquelle disparaît en 1918).

    LouisXjuifscharte-copie-1.jpgLorsque le processus s'achève, l’État moderne ainsi constitué par le 'mariage' du féroce ost (armée royale) et des grands capitalistes/argentiers de Cour apparaît nettement comme l'appareil/cadre politico-militaire adéquat dans lequel le développement capitaliste va pouvoir se poursuivre et (même) s'accélérer [de leur côté, les éléments féodaux et cléricaux suffisamment 'pragmatiques' y trouvent un cadre de survie, au sein de l'appareil qui leur offre moult 'niches écologiques']. Car il ne faut pas oublier que, contrairement au noble, le bourgeois n'est à l'origine (et par définition) pas un guerrier : la totalité de son activité est consacrée aux 'affaires'. Les villes, certes, ont leurs milices bourgeoises et peuvent parfois se défendre vaillamment, mais de là à 'tenir' un État de la taille de la 'France', de l'Angleterre etc., c'est une autre paire de manche... Or, la force armée est l'instrument indispensable pour qu'une classe dominante puisse défendre ses intérêts, contre ses concurrents comme contre ceux qu'elle exploite - et qui se révoltent. C'est donc l'aristocratie qui se verra 'déléguer' cette tâche, sous l'absolutisme (aristocratie pro-monarchie) et même encore longtemps après les révolutions bourgeoises, lorsque la bourgeoisie sera seule au pouvoir : les aristocrates sont encore très nombreux dans le corps des officiers en Europe lors de la 2de Guerre mondiale.

    Le bourgeois n'est d'ailleurs pas non plus, pour les mêmes raisons, un idéologue... C'est fondamentalement un cynique, qui ne croit qu'en l'accroissement de son capital. La tâche d'encadrement idéologique de la société, il va donc pendant longtemps la confier à l’Église, qui, selon les propres mots d'Adolphe Thiers, "propage cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir, et non cette autre philosophie qui lui dit au contraire : jouis" ; faisant d'elle une religion d’État qu'elle n'était pas en l'An 1000 (où l’État tel que nous le concevons, de toute manière, n'existait pas !)[2]. Il est en fait possible de dire que, depuis les débuts de l'accumulation capitaliste, toute la praxis idéologique et culturelle de la bourgeoisie est en définitive une quête de sa 'virilisation' comme classe dominante (alors que la 'virilité' du seigneur médiéval 'coulait de source') ; d'abord par la quête de l'anoblissement (sous l'Ancien régime, mais très vite 'noble' devient synonyme de 'parasite décadent'), puis par des 'épopées' militaires (guerres de Cromwell avec sa  New Model Army, guerre d'indépendance US, guerres révolutionnaires et napoléoniennes - Valmy,  Grande Armée et tout le tralala ; rambo10guerres de l'Unité italienne et allemande, conquêtes coloniales, conquête de l'Ouest américain etc.), tentant d'établir un parallèle avec des 'mythes' du passé (Sparte, Rome, les Germains et les Chevaliers Teutoniques, etc. etc.) ; et la recherche, également, d'une idéologie cohérente et 'englobante', 'totale'. Le fascisme (et l'impérialisme en général) ne seront pas autre chose, avec la brutalité sauvage de ce stade où le capitalisme a perdu absolument tout caractère progressiste.

    - IL Y AURA TOUJOURS DES CONTRADICTIONS PAR LA SUITE ; et, après la période communément qualifiée de 'Renaissance' (milieu 15e-milieu 16e siècle), la féodalité entre une nouvelle fois en crise générale (cette fois-ci, les classes féodales sont devenues totalement parasitaires, elles n'ont plus aucune utilité sociale à moins de se transformer en capitalistes - agraires, par exemple... mais en France, édits et ordonnances se succèdent aux 16e et 17e siècles pour le leur interdire, sous peine de perdre leurs privilèges et d'être 'ramenées en roture'). Ces contradictions vont notamment éclater dans les Guerres de Religion, qui marquent souvent, guerresreligionque ce soit du côté 'huguenot' ou du côté de la Ligue, l'expression d'un refus du centralisme et de l'absolutisme monarchique dans les terres conquises depuis le 13e siècle : l'Occitanie, l'Arpitanie et l''Ouest' poitevin-saintongeais et normand deviennent des bastions de la Réforme ; tandis que la Provence, la Bretagne, la région lyonnaise, la Picardie ou encore la Bourgogne deviennent des bastions catholiques anti-protestants, en même temps que Paris et sa région qui contestent également l'absolutisme ; les uns accusant la monarchie d'être trop anti-protestante, les autres de ne pas l'être assez. CEPENDANT, on notera qui si la politique du roi peut à tel ou tel moment être violemment contestée, le principe monarchique et le principe de l'unité du royaume n'est jamais remis en question : l'on défend ses 'libertés' locales (privilèges)... ou l'on dénonce celles du voisin ; on déplore que le roi écoute de 'mauvais conseillers' ; on souhaite, au pire, qu'il passe rapidement de vie à trépas et que lui succède un fils plus avisé (quitte à lui 'forcer' un peu la main, ce que fit Ravaillac...) ; mais JAMAIS l'on ne remet en cause le Royaume de France en tant que tel, qui apparaît sans l'ombre d'un doute comme le cadre politico-militaire dans lequel, à la fois, la bourgeoisie capitaliste peut se développer et l'aristocratie et le clergé prolonger leur existence sociale. C'est l'époque où, dit Weil, "Richelieu, dans son travail d'unification, eut tué en France tout ce qui n'était pas Paris" et où "Louis Richelieu1XIV imposait à ses sujets une soumission qui ne mérite pas le beau nom d'obéissance"...[3] Lorsque la Révolution bourgeoise viendra balayer ces privilèges anachroniques et parasitaires, elle ne remettra pas non plus en cause ce cadre essentiel à son existence : d'abord, parce que la bourgeoisie révolutionnaire n'était majoritairement pas républicaine (mais pour une monarchie libérale/ constitutionnelle/parlementaire ou une 'solution Bonaparte'), jusqu'en 1870 en tout cas ; ensuite, parce que même la bourgeoisie républicaine la plus 'avancée', 'démocratique-radicale', mettra en avant, en lieu et place de la 'souveraineté de droit divin', la 'République une et indivisible' comme cadre du 'progrès' dont elle remplissait (comme toutes les autres fractions bourgeoises) ses coffres-forts. L'alliance objective entre cette bourgeoisie 'radicale' et le mouvement ouvrier naissant contaminera durablement ce dernier avec les conceptions de la première (c'est très net, notamment, dans les déclarations des Communes de 1871), en Hexagone mais aussi internationalement. L''accord de principe' sur la 'République une et indivisible' est encore aujourd'hui une passerelle essentielle entre les franges droitistes, opportunistes du mouvement ouvrier (les plus corrompues par les bénéfices de l'impérialisme !) et la 'gauche' de la bourgeoisie... voire le fascisme, lorsque celui-ci se présente comme 'ni droite ni gauche', 'social' etc. !

    dragonnades- LE CAPITALISME SE DÉVELOPPE DONC pendant toute cette période entre la fin du 15e et la fin du 18e siècle, réalisant son ACCUMULATION PRIMITIVE jusqu'à la Révolution bourgeoise qui permet le 'saut' vers la révolution industrielle. Cependant, même si (pour rester en 'France') de très importants territoires seront encore annexés pendant cette période (ni plus ni moins que l'actuel Nord-Pas-de-Calais, l'Alsace et la Lorraine, plus le Roussillon, la Franche-Comté ou encore la Corse, sans parler de la Savoie, du Comtat/Vaucluse et de Nice annexés après la Révolution !), l'expansion territoriale en Europe même 'sature' : tout simplement parce que cela veut dire... se heurter à d'autres États modernes, dans des guerres longues, meurtrières et coûteuses, pour des gains territoriaux très en dessous de l''investissement'. C'est donc HORS D'EUROPE que vont se poursuivre (en symbiose) l'accumulation de domaines par les maisons monarchiques (féodalité totalement dépassée historiquement, parasitaire) et l'accumulation primitive du Capital. Évidemment, l'une comme l'autre vont se faire avec une brutalité sans précédent, et sans commune mesure avec les Croisades qui n'étaient pourtant pas, elles-mêmes, des parties de plaisir... C'est ce que dit Weil lorsqu'elle dit que "à partir du XIIIe siècle, l'Europe se replia sur elle-même, et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire" : en effet, la construction des États modernes est un processus long, laborieux et souvent guerrier, où les grandes dynasties construisent leurs "États-nations" (en réalité, leurs États/cadres 03 ventepolitico-militaires où une nation - les grands possédants d'une nation - en dominent d'autres) ; et ce processus tend à fermer les États en construction sur eux-mêmes, mettant fin à l''universalité chrétienne' euro-méditerranéenne qui prévalait en l'An 1000, et a fortiori aux relations extra-continentales. Il ne faut pas oublier que cette période est aussi la phase de transition où, comme l'explique Samir Amin, l'Europe cesse d'être une périphérie d'un 'système-monde' dont le Centre s'étend du Maghreb à la Chine en passant par le Machrek, la Perse et l'Inde, pour devenir le Centre du nouveau monde moderne post-1500 : comme le dit Weil, elle se replie quelques siècles (200 à 250 ans) sur elle-même (en fait, chaque État en son sein se replie sur lui-même, ne communiquant avec les autres que par la guerre) ; puis, lorsque l'accumulation primitive capitaliste nécessite d'autres 'terrains' que ceux fournis par le 'Vieux Continent', elle va à nouveau les chercher par delà les mers, mais plus trop vers l'Orient (qui, avec l'Empire ottoman, s'est un temps ressaisi) : ce sera vers 'les Indes', que l'on va aller chercher par la navigation au long cours, le Portugal et la jeune 'Espagne' ouvrant le bal à peine achevée la 'Reconquista' de la péninsule par la prise de Grenade... L'Europe sort alors à nouveau de son continent, mais exclusivement "pour détruire" - ou plutôt, pour asservir.

    françois 1Cette période coïncide, sur le continent même, avec ce que nous appelons communément la 'Renaissance'. De cette 'Renaissance' de 1450-1550, et des siècles qui suivirent, Weil nous dit : "Quelques siècles plus tard eut lieu l'autre Renaissance, la fausse, celle que nous nommons aujourd'hui de ce nom. Elle eut un point d'équilibre où l'unité des deux esprits fut pressentie. Mais très vite elle produisit l'humanisme, qui consiste à prendre les ponts que la Grèce nous a légués comme habitations permanentes. On crut pouvoir se détourner du christianisme pour se tourner vers l'esprit grec, alors qu'ils sont au même lieu. Depuis lors la part du spirituel dans la vie de l'Europe n'a fait que diminuer pour arriver presque au néant. Aujourd'hui la morsure du malheur nous fait prendre en dégoût l'évolution dont la situation présente est le terme. Nous injurions et voulons rejeter cet humanisme qu'ont élaboré la Renaissance, le XVIIIe siècle et la Révolution. Mais par là, loin de nous élever, nous abandonnons la dernière, pâle et confuse image que nous possédions de la vocation surnaturelle de l'homme". Là Montaigneencore, elle a raison : contrairement à la première, la 'vraie' des 11e-12e siècles, cette 'fausse Renaissance' (comme le classicisme louis-quatorzien qui suivra) ne fut pas l'expression spontanée ('d'en bas') d'un mode de production féodal à son apogée progressiste (au regard de l'histoire). Elle fut l'expression d'une féodalité 'pourrissante', historiquement dépassée, à son 'stade suprême' décadent-réactionnaire de concentration du pouvoir féodal sous la forme de l’État moderne ; dans le cadre et à l'abri duquel le capitalisme réalisait son accumulation primitive et, tout à cette préoccupation s'embarrassant fort peu de bons sentiments, était encore loin de son apogée progressiste à lui... Elle fut une 'séquence culturelle' de l'histoire totalement pilotée et encadrée 'd'en haut', par le mécénat des grands monarques ; et la très grande majorité de sa production culturelle, artistique et philosophique (Machiavel, Bodin etc.) est machiavelvouée à magnifier et justifier l'absolutisme, désormais consolidé. Le développement accéléré du capitalisme... et, déjà, de ses contradictions avec les masses productrices (dont il a cependant conscience, contrairement aux autres modes de production, d'avoir un besoin vital) amène l'émergence d'une certaine pensée 'humaniste', 'contestataire' (de l'absolutisme et des privilèges), 'républicaine' (courants calvinistes de la Réforme, mais aussi courants catholiques comme notamment les Jésuites) voire 'démocratique' (Thomas More, Campanella), qui ouvre la voie aux Lumières (la véritable apogée progressiste du capitalisme) ; mais tout cela reste encore très marginal (et sévèrement réprimé comme le montre le sort de Thomas More, Campanella, Michel Servet, Giordano Bruno etc.). Comme nous le dit Weil, un 'point d'équilibre' est effleuré, mais finalement pas trouvé - car introuvable. Le courant luthérien (Martin Luther) de la Réforme s’accommode tout à fait de l'absolutisme, et sera fait religion d’État par de jeunes monarchies absolues comme le Danemark, la Suède ou la Prusse. Plus 'républicaines', les thèses de Calvin resteront limitées - comme religion officielle - à quelques républiques (ou fédérations de républiques) urbaines aristo-grand-bourgeoises comme les cantons suisses ou les Provinces-Unies des Pays-Bas. Ce qui est indéniable (et se poursuivra aux siècles suivants), c'est rabelaisle progrès scientifique et technique de l'époque, avec Ambroise Paré, Galilée, Copernic et d'autres ; mais, en plus de se heurter aux dogmes 'scientifiques' de l’Église, dont l'importance pour l'organisation sociale est encore trop grande pour qu'elle puisse être ainsi remise en question, ce progrès est tout entier mis au service de l'absolutisme et de l'accumulation primitive capitaliste que celui-ci abrite sous son aile, quand bien même un 'subversiviste' de l'époque, Rabelais, peut s'écrier que 'science sans conscience n'est que ruine de l'âme'. Ce que Weil explique, de manière alambiquée, c'est que finalement du christianisme on rejette l'humanisme roman, pour ne garder que le 'principe d'autorité' ('émanant de Dieu' à travers son représentant sur Terre, le roi) et le 'droit naturel' (qui rejette la tyrannie, mais tout autant l''anarchie', c'est-à-dire la démocratie authentique) ; et de l'Antiquité classique l'on reprend surtout le 'sens de l’État' et de sa magnificence, à laquelle tou-te-s doivent se soumettre sans broncher - les 'classiciste' de l'époque sont en réalité bien plus 'Romains' que 'Grecs'.

    Tout ceci est, de fait, à mettre en parallèle avec le processus complexe et contradictoire d'émergence du capitalisme et de sa "Modernité" tel que nous avons pu l'analyser à la lumière des thèses d'Amin, notamment dans ce passage : img.over-blog-kiwi.com/3803.png.

    rousseauCe n'est donc qu'à partir de la fin du 17e siècle, et surtout du milieu du 18e, qu'émerge massivement, dans ce que l'on appelle les Lumières, une pensée réellement libérale voire 'démocrate-humaniste' ; expression du stade où le développement du capitalisme 1°/ doit à tout prix se débarrasser des vieilles reliques féodales parasitaires, qui empêchent la révolution industrielle, 2°/ a déjà BEAUCOUP de contradictions à gérer avec les classes populaires laborieuses (et le prolétariat naissant), tout en ayant un besoin capital de leur alliance contre les forces féodales (et en ayant, on l'a dit, contrairement aux modes de productions précédents, conscience de ces contradictions qui 'creusent sa tombe'). Pour autant, le refus (fondamental) de remettre en cause la propriété privée des moyens de production et la liberté 'sacrée' d'entreprendre laisse, en pratique, les idées démocratiques/humanistes les plus radicales au stade de vain mot... Depuis lors, l'histoire des deux derniers siècles est en dernière analyse sous-tendue par la contradiction entre ces idéaux démocratiques, égalitaires et 'fraternels' que la bourgeoisie a utilisés pour prendre le pouvoir pour elle seule, et la réalité, qui est le pouvoir absolu du détenteur capitaliste de moyens de productions et/ou de capital financier sur la société. La solution de cette contradiction réside évidemment dans l'élimination du second, c'est à dire la Révolution prolétarienne : ALORS, comme nous l'enseignent les marxistes depuis plus de 150 ans, la démocratie qui règnera aura bien plus de réalité et de sens que tout ce qu'ont pu promettre aux masses les plus 'radicaux' des révolutionnaires bourgeois.

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    Mais, nous l'avons vu, au moment où elle écrit ces lignes, Weil a totalement rejeté cette perspective au profit d'un idéalisme catho-humaniste de 'contrat social' basé sur le 'consentement' et non 'la force' ; un 'consentement' (elle dit 'obéissance') qui serait finalement le reflet terrestre du lien à Dieu - ce Dieu auquel on obéit, non parce qu'il nous pointe une arme sur la tempe, mais parce qu'il est Dieu... Toute la belle démonstration tombe à plat, dans un tortueux salmigondis philosophico-mysticoïde où tout repose sur la 'pureté' de l''idée' (elle parle d''inspiration' ou de 'révélation'), qui 'tomberait du ciel' (en l'occurrence, de Dieu).

    L'Occitanie de la 'Renaissance médiévale', nous dit-elle, ne H063 Monfortressuscitera pas : "on l'a, par malheur, trop bien tuée". Elle a là à la fois raison et tort : pour nous non plus, l'Occitanie soumise dans le sang au 13e siècle, l'Occitanie des fiefs féodaux d'Aquitaine, de Toulouse et d'Aragon, ne renaîtra pas à l'identique (ce serait une absurdité au regard du matérialisme dialectique), et ne renaîtra pas non plus sous la forme d'un État tel que nous l'entendons communément, un État moderne... qu'elle n'a jamais été (voir note de bas de page ci-dessous) et qu'elle n'aurait, selon nous, JAMAIS PU ÊTRE. Comme il a été expliqué dans l'article de Sheisau Sorelh, le 'Sud' occitan (avec ses imprégnations latines, grecques voire orientales, que vomissait le fasciste Céline) a sans aucun doute, dans l'actuel Hexagone, 'inventé' le capitalisme (avant même les régions de l'axe Rhône-Saône-Rhin-Meuse), et l'humanisme 'spontané' qui va avec, qui en naît spontanément. MAIS le 'Nord', avec sa féroce féodalité guerrière franque (la 'vraie France', 'germanique et celte' du même Céline : voilà un bel exemple de cette quête de virilité de la bourgeoisie dont nous avons parlé), a fourni et pouvait seul 1768486817fournir, à ce capitalisme, le cadre politico-militaire lui permettant de se développer au-delà d'un niveau élémentaire ; et il ne pouvait pas en être autrement, car le capitalisme ne PEUT PAS (par nature) en rester à un tel niveau élémentaire. Il en a été ainsi dans toute l'Europe et, finalement, ce furent de nouvelles 'invasions barbares', une nouvelle 'régression féconde' : une nouvelle fois, la 'barbarie', les 'moins civilisés', ont amené aux terres 'plus civilisées' le 'fer' politico-militaire permettant aux forces productives de faire un 'bond'. Le capitalisme, peut-on dire en quelque sorte, sécrète spontanément de l'humanisme, car il met forcément (par nature) en valeur l'individu, il arrache l'individu aux liens de dépendance et de subordination personnelle (à justification divine) pour mettre en présence un vendeur et un acheteur, en principe égaux... Mais pour se développer, pour faire des 'bonds' (nécessaires) dans l'accumulation et la valorisation de son capital, il doit en permanence piétiner cet humanisme qu'il a précédemment sécrété.

    Weil oppose au capitalisme monopoliste, impérialiste, militariste et fasciste de son temps, au capitalisme de 'minuit dans le (20e) siècle', un 'autre' capitalisme, le capitalisme tel qu'il aurait été 'si' l'Occitanie médiévale n'avait pas été égorgée par les hordes de Montfort... Pour nous, c'est de l'idéalisme complet. Cette Occitanie 'ne ressuscitera pas', ce avec quoi nous sommes d'accord... et alors, pour Weil devenue finalement 'démocrate-chrétienne de gauche', la 'Renaissance médiévale' des 10e-12e siècles dont cette Occitanie était l'un des 'centres' renaîtra sous la forme de "l'Europe de la paix et du droit" blablablabla ; cette Europe qui, elle n'en doute pas, naîtra forcément de la victoire certaine sur la Nouvelle Bête nazie (Simone Weil est, également, considérée comme une 'mère' de l''idéal' européen). Aujourd'hui, cette Europe existe, elle se 'construit' depuis 60 ans... et l'on voit bien ce qu'elle a donné ! Il est d'ailleurs probable que, percevant elle-même l'impossibilité de cet 'idéal', Simone Weil se soit donné la mort à Londres où elle avait rejoint la 'France libre', par refus d'alimentation et de soins (elle était tuberculeuse). 18 mars - Art de la Renaissance - Vue de la cité idéale (Finalement, ce que Weil la parigao en exil écrit ici sur notre Occitanie et sa perspective historique, pourrait tout à fait être repris par nos courants 'euro-régionalistes' petits bourgeois à la POc ou PNO - à vrai dire, il est pratiquement impossible qu'ils n'en aient pas connaissance et ne s'en réclament pas.

    POUR NOUS au contraire, l'Occitanie de la Renaissance médiévale, qui ne renaîtra pas sous la forme d'un État moderne qu'elle n'a jamais été et n'aurait jamais pu être, le fera sous celle d'une Fédération socialiste démocratique de Communes populaires (ce qu'envisageait une partie du mouvement 'communard' de 1871), qui sera elle-même un bataillon de la grande Révolution prolétarienne mondiale et, à terme, une (petite) partie de la Cité universelle communiste.

    Pour autant, jusqu'au 'crash' européiste-humaniste-catho-de-gauche final, Simone Weil n'en met pas moins impeccablement en avant les 'bonnes' (progressistes) et les 'mauvaises' (réactionnaires, antipopulaires) périodes historiques de l'Occitanie et de la 'France' depuis un millénaire. Puisque nous avons parlé de ces auto-proclamés 'gardiens du temple' marxiste, et puisque nous en avons aujourd'hui même des 'spécimens' sous nos yeux, dans la mouvance marxiste-léniniste-maoïste mais aussi 'ML tout court' ou encore trotskyste, que mettent-ils, eux, en avant ? Ils aiment bien, certes, l'âge roman de la 'Renaissance médiévale'. Mais ils n'en aiment pas moins l'âge gothique, celui de la construction pseudo-'nationale' totalitaire de l’État moderne absolutiste. Ils mettent, surtout, en avant l'absolutisme, de cet âge gothique jusqu'aux Lumières (qui, on l'a dit, n'était majoritairement pas républicaines et encore moins démocrates, mais pour une monarchie absolue 'tempérée' par une représentation 'nationale' permanente), en passant par la Renaissance et le conrad1classicisme : l'absolutisme, ce mariage de cinq siècles (non sans 'scènes de ménage', certes !) entre une féodalité dépassée et parasitaire (concentrée dans la royauté et sa Cour) et un capitalisme en accumulation primitive sauvage, ne s'embarrassant guère de bons sentiments - à peine gratte-t-on un peu le vernis 'humaniste' d'un Montaigne ou d'un Rabelais, d'un Descartes ou d'un Spinoza, ou d'une poignée d'Encyclopédistes... Ils célèbrent des serviteurs fondamentaux de cet absolutisme, intellectuels comme le grand bourgeois anobli Nicolas Boileau (Enfin Malherbe vint), ou artistes comme le jardinier royal Le Nôtre ou le bouffon de cour Molière. Ils célèbrent, évidemment, la période révolutionnaire bourgeoise (1750-1850), éclair de lumière où une bourgeoise sûre d'elle-même et de sa position voulait faire régner sur l'humanité (enfin, l'humanité 'civilisée', européenne-chrétienne !) le droit au bonheur... mais dût vite, très vite se raviser, car face à elle se dressait déjà la pléthorique 'vile multitude' du jeune prolétariat. Dès lors que le prolétariat révolutionnaire est entré en lice (1848 est la date communément admise), nos 'phares' du marxisme rejettent alors les idéologues de la bourgeoisie, avec des figures comme Victor Hugo etc... peu importe que ces idéologues ne disent absolument rien d'autre, sous une forme 'moderne', que ce que dit la bourgeoisie depuis la 'Renaissance' du 16e siècle (qu'ils encensent) : ne cherchez pas à comprendre ! Pour eux, dans leur compréhension linéaire et antidialectique de l'histoire marxiste, toutes ces phases, 'Renaissance médiévale' après les 'temps obscurs' du Haut Moyen-Âge, construction 'gothique' de l’État moderne, absolutisme, révolutions bourgeoises, s'enchaînent et sont 'nécessaires', elles représentent chaque fois un 'progrès'. Mais, si l'on regarde uniquement les forces productives, les sciences et les techniques, la 'culture' et la 'civilisation' (notions ultra-subjectives s'il en est)... hormis quelques phases comme la décadence de l'Empire romain, la décadence de la monarchie absolue au 18e siècle ou la décadence du capitalisme monopoliste aujourd'hui, QUELLE ÉTAPE HISTORIQUE n'a pas été un 'progrès', quelle étape historique n'a pas été 'nécessaire' ? Elles ont existé précisément PARCE qu'elles étaient nécessaires !!!

    Mais peu leur importe que, pour qu'à chaque étape la classe dominante développe les forces productives, il ait dû y avoir des DOMINÉ-E-S ; que ceux et celles-ci aient pu avoir leur mot à dire et, souvent, l'aient dit ; que ceux et celles-ci, les masses populaires, aient aussi LEUR PROPRE HISTOIRE. Et que ce soit cette histoire qui, l'ancien se mettant au service du nouveau, guide les masses du peuple, prolétariat en tête, en Occitanie comme au 'Nord' et dans tous les pays du monde, dans leur titanesque tâche historique de faire triompher le communisme !

    communismeRien d'étonnant, en réalité, pour de tels 'marxistes' ; vu que du capitalisme et de toute l'histoire de son développement, LEUR CLASSE EST UN PUR PRODUIT : la classe des 'petits mandarins' intellectuels donneurs de leçons, des fonctionnaires, des profs, des bureaucrates et autres petits chefs 'ouvriers', BREF les petits bourgeois 'français' et occidentaux dont le 'confort de vie' repose sur les épaules de 6 milliards d'exploité-e-s à travers la planète. Quoi d'anormal à ce qu'ils admirent cette période, du 13e au 19e siècle, où derrière le vernis de quatre humanistes qui se courent après (chaque 'bond en avant' du capitalisme, on l'a dit, piétinant l'humanisme qui l'a précédé), apparaît très vite la réalité d'une féodalité absolutiste pourrissante et d'une accumulation primitive capitaliste sauvage se nourrissant dialectiquement l'une de l'autre (jusqu'à ce que la seconde se débarrasse de la première, comme un serpent fait sa mue) ? Il suffit, à vrai dire, de lire leurs positions (sur le Honduras, la Syrie ou quelque sujet que ce soit), pour voir à quel point ils en sont dénués, d'HUMANISME. Qu'ils se réclament de Trotsky ou de Staline, leur matérialisme 'dialectique' est linéaire, leur idéologie est celle du 'progrès', reconvertie en la lamentable 'théorie des forces productives'[4]. Alors que de cet humanisme, produit de ce que le capitalisme a eu de progressiste (libérer la personne humaine des rapports de dépendance personnels 'de droit divin', valoriser l'individu sur un pied d'égalité 'de principe' avec ses semblables) ou alors, de la prise de conscience de ses propres contradictions et de la volonté (impossible) de les résoudre pour y survivre, le marxisme n'est rien d'autre que la systématisation scientifique, portée à un niveau supérieur. Le marxisme est l'ARME SCIENTIFIQUE (jamais vraiment maîtrisée, et finalement rejetée par Weil) du prolétariat révolutionnaire, rendant enfin possible, PARCE QUE scientifique, la réalisation ici sur Terre et dans les tous prochains siècles de ce mot d'ordre phare de l'humanisme chrétien : "les derniers seront les premiers" ; ou, comme disaient les maoïstes chinois, "la révolution, c'est retourner la société comme un gant" !

    En vérité, il ne faut pas avoir peur des mots : si une personne du niveau intellectuel de Simone Weil s'est détournée du marxisme pour se tourner vers l'idéalisme religieux... ce sont plutôt les marxistes, en tout cas certains prétendus 'phares' de la pensée marxiste comme ceux précités, qui devraient se remettre en question ; même si l'on sait qu'hélas, l'autocritique, toujours prônée pour les autres, n'est pas vraiment leur fort !


    SLP dédie, au risque (assumé) de surprendre, cette longue étude à la mémoire du camarade antifasciste assassiné Clément MÉRIC, tombé le 5 juin 2013 sous les coups de merdes fascistes arborant fièrement, dans leurs meetings, croix celtiques et drapeaux tricolores ; hérauts de la ‘France éternelle’ et (sans doute) lecteurs assidus de Louis-Ferdinand Céline. Clément a rejoint dans l’éternité de nos mémoires les milliers de héros, connus ou anonymes, de son Finistère prolétarien natal comme des maquis partisans de notre Occitanie et d'ailleurs. Nous lui dédions cet article car, lorsque l’on découvre certaines connexions, tout ce qui y est dit s’éclaire dans une magistrale illustration ; et apparaît clairement le ventre fécond d’où a surgi la Bête immonde qui a emporté notre camarade.

    Nous avons critiqué ici l’idéalisme de Simone Weil, mais nous n’oublions pas qu’il y avait un monde pour lequel elle se battait, le même que nous et que Clément ; et puis il y avait le monde pour lequel se battaient les Céline et les Brasillach, et se battent aujourd’hui les nervis d’Ayoub et de Gabriac, du Bloc identitaire et de Marine Le Pen : deux mondes définitivement antagoniques, et le temps de la GUERRE DES MONDES est désormais venu !


    maoc


    [1] En Grande-Bretagne, les paysans chassés de leurs terres par les enclosures, devenus ‘vagabonds’, sont quant à eux assignés au travail forcé dans les workhouses, gigantesques ateliers de confection semi-esclavagistes, donnant ainsi naissance au prolétariat britannique ; ou envoyés dans les colonies sous le régime très dur de l’’engagisme’ - indenture (ils y deviendront les ‘petits blancs’). Des choses similaires - mais pas aussi institutionnalisées - existèrent dans toute l’Europe occidentale (ateliers de charité en 'France' et 'engagisme' pour les Antilles ou le Canada, etc.).

    [2] L'autorité politique, du seigneur local jusqu'au grand duché et au-delà au roi ou à l'Empereur germanique, et de l'abbé jusqu'à l'évêque, l'archevêque et le Pape, fonctionnait sur un mode de subsidiarité (l'autorité supérieure étant le 'recours' face à l'autorité inférieure) ; le seigneur ou l'autorité religieuse locale étant elle-même souvent un simple 'arbitre supérieur' des communautés villageoises ou urbaines s'administrant elles-mêmes : l'autonomie locale était énorme.

    [4] Théorie selon laquelle une fois que le prolétariat (enfin bon... EUX-MÊMES prétendant incarner le prolétariat) a pris le pouvoir, le système politique est 'parfait', 'supérieur' ; tout ce qu'il reste à faire est de développer les forces productives, qui sont 'en retard' sur l'organisation politique de la société ; c'est cette contradiction qui est la contradiction principale du 'socialisme' tel qu'ils le conçoivent. Cette théorie a démontré, une fois mise en pratique, être une véritable usine à nouveaux bourgeois, ces bourgeois qui émergent au sein même de l'appareil - Parti, État - révolutionnaire ; car tous les rapports sociaux inégalitaires hérités du passé restent en place voire, même, sont renforcés comme prétendument 'nécessaires' à l'effort productif. Le maoïsme (le vrai, pas le fana-stalinisme vite fait repeint !) nous enseigne au contraire que le développement des forces productives, le 'progrès', ne PEUT PAS aller sans la transformation révolutionnaire de tous les rapports sociaux dans le sens du communisme : la révolution MARCHE SUR SES DEUX JAMBES, le mouvement de l'une accompagnant le mouvement de l'autre. Si l'on ne marche que sur une seule jambe, on ne peut pas avancer. La mise en pratique de cet enseignement fut la Grande Révolution culturelle prolétarienne (GRCP).

    Lire à ce sujet : La théorie des forces productives à la base du révisionnisme moderne (texte de la "Cause du Communisme", brochure de l'OCML-VP, 1980)

    Destroy the old world Cultural Revolution poster

    [3] À ce sujet, l'on peut encore (aussi) lire ce texte, édifiant par rapport à tout ce que nous venons de voir (on passera généreusement sur le petit passage contre Staline "limite pire" que Hitler, le propos n'en reste pas moins intéressant) :

    La France éternelle

    Ce bref rappel de faits universellement connus résout déjà la question posée en ce qui concerne la France. Il n’y a pas de « France éternelle », tout au moins en ce qui concerne la paix et la liberté. Napoléon n’a pas inspiré au monde moins de terreur et d’horreur qu’Hitler, ni moins justement. Quiconque parcourt, par exemple, le Tyrol, y trouve à chaque pas des inscriptions rappelant les cruautés commises alors par les soldats français contre un peuple pauvre, laborieux et heureux pour autant qu’il est libre. Oublie-t-on ce que la France a fait subir à la Hollande, à la Suisse, à l’Espagne ? On prétend que Napoléon a propagé, les armes à la main, les idées de liberté et d’égalité de la Révolution française ; mais ce qu’il a principalement propagé, c’est l’idée de l’État centralisé, l’État comme source unique d’autorité et objet exclusif de dévouement ; l’État ainsi conçu, inventé pour ainsi dire par Richelieu, conduit à un point plus haut de perfection par Louis XIV, à un point plus haut encore par la Révolution, puis par Napoléon, a trouvé aujourd’hui sa forme suprême en Allemagne. Il nous fait à présent horreur, et cette horreur est juste ; n’oublions pas pourtant qu’il est venu de chez nous.

    Sous la Restauration, plus encore sous Louis-Philippe, la France était devenue la plus pacifique des nations. Pourtant à l’étranger, le souvenir du passé faisait qu’on continuait à la craindre, comme nous avons craint l’Allemagne après 1918, et à regretter que ses vainqueurs ne l’eussent pas anéantie en 1814 ou 1815. Parmi les Français eux-mêmes beaucoup désiraient ouvertement la guerre et la conquête, et se croyaient un droit héréditaire à l’empire du monde. Que penserait-on aujourd’hui, par exemple, de ces vers écrits en 1831 par Barthélemy, poète alors populaire :

    ... Berlin est le domaine / Que la France a pour but lorsqu’elle se promène.

    Et que penser d’ailleurs de tant de vers de Hugo à l’éloge des conquêtes françaises, où l’habitude ne nous laisse plus voir qu’un exercice littéraire ? Par bonheur, ce courant ne l’emporta pas ; pour des raisons mystérieuses la France avait cessé d’être une nation conquérante, du moins en Europe. Le Second Empire même ne put par ses folies en faire une nation conquérante, mais seulement une nation conquise. La victoire de 1918 l’a rendue, si possible, moins conquérante qu’avant, de sorte qu’elle croit ne l’avoir jamais été et ne plus pouvoir le redevenir. Ainsi changent les peuples.

    Si l’on remonte plus haut dans le passé, il y a analogie entre Hitler et Louis XIV, non certes quant à leur personne, mais quant à leur rôle. Louis XIV était un roi légitime, mais il n’en avait pas l’esprit ; les misères de son enfance, environnée des terreurs de la Fronde, lui avaient donné pour une part l’état d’esprit des dictateurs modernes qui, partis de rien, humiliés dans leur jeunesse, n’ont cru pouvoir commander leur peuple qu’en le matant. Le régime établi par lui méritait déjà, pour la première fois en Europe depuis Rome, le nom moderne de totalitaire. L’abaissement des esprits et des cœurs pendant la seconde partie de son règne, celle où a écrit Saint-Simon, est quelque chose d’aussi douloureux que tout ce qu’on a pu voir par la suite de plus triste. Aucune classe de la nation n’y a échappé. La propagande intérieure, malgré l’absence des moyens techniques actuels, atteignait une perfection difficile à dépasser ; Liselotte, la seconde Madame, n’écrivait-elle pas qu’on ne pouvait publier aucun livre sans y insérer les louanges du roi ? Et pour trouver aujourd’hui quelque chose de comparable au ton presque idolâtre de ces louanges, ce n’est pas même à Hitler, c’est presque à Staline qu’il faut penser. Nous avons aujourd’hui l’habitude de voir dans ces basses flatteries une simple clause de style, liée à l’institution monarchique ; mais c’est une erreur ; ce ton était tout nouveau en France, où jusque-là, sinon dans une certaine mesure sous Richelieu, on n’avait pas coutume d’être servile. Quant aux cruautés des persécutions et au silence établi autour d’elles, la comparaison se soutient facilement. L’emprise du pouvoir central sur la vie des particuliers n’était peut-être pas moindre, quoiqu’il soit difficile d’en juger.

    La politique extérieure procédait du même esprit d’orgueil impitoyable, du même art savant d’humilier, de la même mauvaise foi que la politique d’Hitler. La première action de Louis XIV fut de contraindre l’Espagne, à qui il venait de s’allier par mariage, à s’humilier publiquement devant lui sous menace de guerre. Il humilia de la même manière le Pape ; il contraignit le doge de Gênes à venir lui demander pardon ; il prit Strasbourg exactement comme Hitler a pris Prague, en pleine paix, parmi les larmes des habitants impuissants à résister, au mépris d’un traité tout récemment conclu et qui avait fixé des frontières théoriquement définitives. La dévastation atroce du Palatinat n’eut pas non plus l’excuse des nécessités de la guerre. L’agression non motivée contre la Hollande faillit anéantir un peuple libre et fier de l’être, et dont la civilisation à ce moment était plus brillante encore que celle de la France, comme les noms de Rembrandt, Spinoza, Huyghens le montrent assez. On aurait peine à trouver dans la littérature allemande contemporaine quelque chose de plus bassement cruel qu’un petit poème gai composé à cette occasion par La Fontaine pour prédire la destruction des cités hollandaises . Que La Fontaine soit un grand poète rend seulement la chose plus triste. Louis XIV devint enfin l’ennemi public en Europe, l’homme par qui tout homme libre, toute cité libre se sentaient menacés. Cette terreur et cette haine, on les voit dans les textes anglais de l’époque, par exemple le journal de Pepys ; et Winston Churchill, dans sa biographie de son illustre ancêtre Marlborough, témoigne rétrospectivement à Louis XIV les mêmes sentiments qui l’animent contre Hitler.

    Mais le véritable, le premier précurseur d’Hitler depuis l’Antiquité est sans doute Richelieu. Il a inventé l’État. Avant lui, des rois, comme Louis XI, avaient pu établir un pouvoir fort ; mais ils défendaient leur couronne. Des sujets avaient pu se montrer citoyens dans le maniement des affaires ; ils se dévouaient au bien public. L’État auquel Richelieu s’est donné corps et âme, au point de n’avoir plus conscience d’aucune ambition personnelle, n’était pas la couronne, encore moins le bien public ; c’était la machine anonyme, aveugle, productrice d’ordre et de puissance, que nous connaissons aujourd’hui sous ce nom et que certains pays adorent. Cette adoration implique un mépris avoué de toute morale, et en même temps le sacrifice de soi-même qui accompagne d’ordinaire la vertu ; ce mélange se trouve chez Richelieu, qui, disait, avec la merveilleuse clarté d’esprit des Français de cette époque, que le salut de l’État ne se procure pas par les mêmes règles que le salut de l’âme, parce que le salut de l’âme se fait dans, l’autre monde, au lieu que les États ne peuvent se sauver que dans ce monde-ci. Sans recourir aux pamphlets de ses adversaires, ses propres mémoires montrent comment il a appliqué ce principe, par des violations de traités, des intrigues destinées à prolonger indéfiniment les guerres les plus atroces, et le sacrifice de toute autre considération, sans exception aucune, à la réputation de l’État, c’est-à-dire, dans le mauvais langage d’aujourd’hui, à son prestige. Le cardinal-infant, dont on a pu voir récemment à Genève le visage courageux, lucide et triste, peint avec amour par Vélasquez, fit précéder ses armes en France d’un manifeste qu’il suffirait aujourd’hui de traduire, sans changer aucun mot que les noms de Français et de Richelieu, pour en faire une excellente proclamation au peuple allemand. Car c’est une erreur grave de croire que la morale de cette époque, même en matière internationale, différât de la nôtre ; on y trouve, et même dans des discours de ministres, des textes qui ressembleraient aux meilleurs textes d’aujourd’hui à l’éloge d’une politique de paix s’ils n’étaient mieux raisonnés et infiniment mieux écrits. Une partie des ennemis de Richelieu, de son propre aveu, étaient animés par une horreur sincère de la guerre. On avait la même morale qu’aujourd’hui ; on la pratiquait aussi peu ; et comme aujourd’hui tous ceux qui faisaient la guerre disaient, à tort ou à raison, qu’ils la faisaient pour mieux l’éviter.

    Si l'on remonte plus haut dans l’histoire de la France, on voit notamment que sous Charles VI les Flamands se disaient entre eux, pour s’encourager à maintenir leurs droits les armes à la main : « Voulons-nous devenir esclaves comme les Français ? » À vrai dire, depuis la mort de Charles V jusqu’à la Révolution, la France a eu en Europe la réputation d’être la terre d’élection non pas de la liberté, mais bien plutôt de l’esclavage, du fait que les impôts n’étaient soumis à aucune règle et dépendaient exclusivement de la volonté du roi. L’Allemagne, pendant la même période, fut regardée comme étant éminemment une terre de liberté ; qu’on lise plutôt les notes de Machiavel sur la France et l’Allemagne. Il en est de même de l’Angleterre, bien entendu, quelques moments pénibles mis à part. L’Espagne n’a perdu toutes ses libertés que lorsque le petit-fils de Louis XIV en eut occupé le trône. Les Français eux-mêmes, depuis Charles VI jusqu’à l’écrasement de la Fronde, ne perdirent jamais le sentiment qu’ils étaient privés de leurs droits naturels et légaux ; le XVIIIe siècle n’a pas fait autre chose que reprendre une longue tradition anéantie pendant plus d’un demi-siècle par Louis XIV. C’est au XIXe siècle seulement que la France s’est regardée elle-même et a été regardée comme étant par excellence un pays de lumière et de liberté ; les hommes du XVIIIe siècle, dont la gloire a tant contribué à donner à la France cette réputation, pensaient cela, eux, de l’Angleterre. Du reste, jusqu’au XVIIe siècle, la culture occidentale formait un tout ; nul, avant le règne de Louis XIV, n’eût songé à la découper par nations. La « France éternelle » est de fabrication très récente.

    https://www.matierevolution.fr/spip.php?article893

    [* Certes sur le volet du "concert de louanges" envers sa personne (et c'est peut-être vrai que Hitler était relativement "sobre" en la matière, le culte étant d'abord voué à la Nation et à la Race) ; pas de la criminalité proprement dite envers des gens qui n'ont fait que naître ce qu'ils sont, ce sur quoi Hitler reste hors catégorie...

    Il n'empêche que ce courant "antitotalitaire" (lire ici, très intéressant : critique-de-la-categorie-totalitarisme-losurdo), grillé à juste titre par ses collaborations maccarthystes d'après-guerre (mais Weil, en l'occurrence, n'aura pas vécu assez longtemps pour cela), est tout de même peut-être celui qui s'est le premier penché, de manière assez intéressante, sur la question de l'État "totalitaire" en relation avec la Modernité ; Weil regardant en l'occurrence plutôt du côté du "colonialisme intérieur" (alors qu'Arendt, dans la deuxième partie "Sur l'impérialisme" de ses "Origines du totalitarisme", plutôt du côté du colonialisme proprement dit, "extérieur").

    Il fallait tout de même un sacré culot, au beau milieu des gaullistes de Londres en 1940, pour oser proclamer que le totalitarisme est né... avec Richelieu et Louis XIV.

    Elle oublie simplement le fait qu'un changement aussi radical qu'une révolution socialiste, comme le rêve ultra-démocratique égalitaire de 1793, implique forcément dans un premier temps une "dictature de salut public" et donc un prolongement temporaire, toujours chargé d'un potentiel très dangereux, mais inévitable, de l'État moderne... D'où à première vue, si on veut être idéaliste et ne pas voir cela, la qualification de "totalitaire" que l'on peut tout à fait coller sur l'URSS de l'époque - une dictature de salut public qui doit, bien entendu, savoir être transitoire et prendre fin, mais comme on l'a déjà vu http://ekladata.com/Staline-et-la-lutte-pour-la-reforme-democratique.pdf il y a eu des débats là-dessus au moment de la Constitution de 1936 et les Premiers Secrétaires locaux, déjà consolidés dans leurs privilèges de camarillas, ont gagné et empêché cette démocratisation ; embrayant immédiatement sur la Grande Terreur vite suivie de la guerre, un peu dans le même enchaînement que Grande Terreur de Prairial - Thermidor 1794 ici en Hexagone.]


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  • m05-nbp2-trotsky-250S'il y a bien un concept indissociablement attaché au trotskysme, c'est celui de 'révolution permanente'. D'abord par les trotskystes eux-mêmes, bien sûr, qui en revendiquent la paternité et le 'monopole intellectuel'. Mais aussi par les 'anti-trotskystes' (sauf les anarchistes, qui ont de toutes autres références), marxistes-léninistes et maoïstes, pour lesquels l'épithète de 'trotskyste' est (trop) souvent devenu le point final à toute argumentation, une sorte de 'point Godwin' ; et qui reprennent souvent à tort et à travers les concepts attachés au trotskysme pour les lancer à la face de leurs contradicteurs. Ainsi, pour les 'vieux ML', ceux qui reconnaissent l'URSS comme socialiste jusqu'à la perestroïka comme ceux qui ne la reconnaissent comme telle que jusqu'au 20e Congrès de 1956, mais qui dans tous les cas rejettent le maoïsme (les hoxhistes), Mao et les maoïstes, avec leurs concepts de révolution ininterrompue (révolution démocratique ininterrompue vers le socialisme et le communisme) ou encore de nécessaires révolutions culturelles (2, 3, 4 ou plus) pour écarter, régulièrement, les partisans de la stagnation ou du retour en arrière (ce qui revient au même) et réaliser les 'bonds' qualitatifs nécessaires vers le communisme, sont en réalité des trotskystes tenants de la 'révolution permanente'. Mais pour certains maoïstes aussi (qui ne savent polémiquer que comme cela), leurs contradicteurs qui pensent, par exemple, que dans une situation de mouvement révolutionnaire trahi par des révisionnistes (comme au Népal) ou de processus réformiste montrant ses limites de classe (comme en Amérique du Sud), des forces militantes saines peuvent (ce n'est évidemment pas certain !) 'faire rupture' et réaliser un 'saut qualitatif' vers une meilleure conception communiste du monde, vers la ligne rouge communiste internationale (selon le principe que les communistes authentiques, au niveau mondial, doivent renforcer la gauche, isoler la droite et gagner ou au moins neutraliser le centre), sont des tenants de la 'révolution permanente' trotskyste ! Il est donc nécessaire d'éclaircir les choses.

    En réalité, le concept de 'révolution permanente' a été développé par Trotsky ou encore Parvus à partir de citations récurrentes où Marx, lui-même, emploie ce terme comme ici : "Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite et après avoir tout au plus réalisé les revendications ci-dessus, il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu'à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays régnants du monde l'association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s'agir pour nous de transformer la propriété privée, mais seulement de l'anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d'abolir les classes ; ni d'améliorer la société existante, mais d'en fonder une nouvelle" (adresse du Comité central à la Ligue des Communistes, 1850) ; ou encore "Le but de l'association est la déchéance de toutes les classes privilégiées, de soumettre ces classes à la dictature du prolétariat en maintenant la révolution en permanence jusqu'à la réalisation du communisme, qui doit être la dernière forme de constitution de la famille humaine" (Statuts de la Société universelle des Révolutionnaires communistes, même année). Autrement dit : la révolution prolétarienne est un processus ininterrompu, permanent, de longue durée, pour nier le capitalisme et affirmer le communisme ; elle se poursuit tant qu'elle n'a pas atteint ce but (le communisme) ; tant que cela n'est pas accompli, "c'est reculer que d'être stationnaire", c'est régresser que d'affirmer, à la manière d'un Napoléon (pour la révolution bourgeoise), que "la révolution a atteint ses buts, elle est terminée". Affirmer, par exemple, qu'il n'y a 'plus de classes' puisque plus de propriété privée d'aucun moyen de production, et que la transition socialiste vers le communisme se limiterait alors à 'développer les forces productives' dont le faible niveau (dans un pays comme la Russie des années 1920 ou la Chine des années 1950) serait en contradiction avec le 'système politique très avancé', ce qui serait la 'contradiction principale' ; et à lutter contre les 'agents de la contre-révolution internationale'... alors que le socialisme véritable et le communisme ce n'est pas cela, et que la société abrite encore une multitude de rapports sociaux sur lesquels peuvent se reformer des rapports de domination, d'appropriation du travail d'autrui, donc, en définitive, des rapports de classe. Entendu comme cela, ce ne sont donc certainement pas Lénine et Mao qui auraient renié la 'révolution permanente', et le concept maoïste de 'révolution ininterrompue' ne dit pas autre chose - surtout dans le contexte chinois où, comme lorsque Marx écrit en Europe en 1850, la lutte révolutionnaire du prolétariat est encore étroitement imbriquée avec les luttes démocratiques de la petite-bourgeoisie, de la mao-zedong-1.jpgpaysannerie etc. Le processus révolutionnaire est un processus prolongé de négation du capitalisme par le communisme : il ne s''arrête' pas tant que l'on n'a pas atteint cet objectif ultime. La phase visant à porter le prolétariat révolutionnaire, à la tête des masses populaires laborieuses, au pouvoir est la Guerre populaire et celle-ci ne cesse pas tant que le pouvoir n'est pas conquis ; la phase conduisant de la conquête du pouvoir au communisme est la transition socialiste, et elle ne s'arrête pas jusqu'à la transformation totale de la société en société communiste - sans classes, sans division du travail, sans 'sachants' et exécutants, sans dirigeants et dirigés etc. 

    En réalité, ce n'est absolument pas cela que l'Internationale communiste, alors que Staline était encore très loin de quoi que ce soit ressemblant à un 'pouvoir absolu', a rejeté dans la 'révolution permanente' de Trotsky. Ce qui a été rejeté, c'est son interprétation particulière de cela, en particulier dans les rapports entre classe ouvrière et paysannerie, dans un pays à dominante rurale comme la Russie de l'époque. Comme par exemple : « De ce que nous avons dit plus haut résulte clairement ce que nous pensons d'une dictature du prolétariat et de la paysannerie. La question n'est pas de savoir si nous considérons qu'une telle forme de coopération politique est admissible en principe, si nous la souhaitons ou ne la souhaitons pas. Nous pensons simplement qu'elle est irréalisable, au moins dans un sens direct et immédiat » (L. Trotsky, Bilan et perspective, 1905). Cela, il est évident que ni Lénine ni Mao ne l'auraient jamais affirmé ! La position du PC bolchévik d’Union soviétique et de l'Internationale communiste était, dans les années 1920, que "la « révolution permanente » n’est pas une simple sous-estimation des possibilités révolutionnaires du mouvement paysan ; c’est une sous-estimation du mouvement paysan qui mène à la négation de la théorie léniniste de la dictature du prolétariat. La « révolution permanente » de Trotsky est une des variétés du menchévisme" ; car "la dictature du prolétariat, c'est le pouvoir qui s'appuie sur l'alliance du prolétariat et des masses laborieuses de la paysannerie pour le renversement complet du capital, pour l'édification définitive et l'affermissement du socialisme" [voir par exemple ici dans les Questions du léninisme, page 48 et suivantes :

    "Mais, nous dira-t-on, s'il en est ainsi, pourquoi Lénine a-t-il combattu l'idée de la « révolution permanente » ?

    Parce qu'il voulait utiliser à fond les capacités et l'énergie révolutionnaires de la paysannerie pour la liquidation complète du tsarisme et le passage à la révolution prolétarienne, alors que les partisans de la « révolution permanente » ne comprenaient pas le rôle important de la paysannerie dans la révolution russe, sous-estimaient son énergie révolutionnaire ainsi que la force du prolétariat et son aptitude à entraîner la paysannerie à sa suite et, par là, empêchaient, dans une certaine mesure, cette dernière de se libérer de l'influence bourgeoise et de se grouper autour du prolétariat.

    Parce qu'il voulait couronner la révolution par l'avènement du prolétariat au pouvoir, alors que les partisans de la révolution permanente voulaient commencer directement par l'instauration du pouvoir du prolétariat, ne comprenant pas que, par là-même, ils fermaient les yeux sur l'existence des survivances du servage, négligeaient une force aussi importante que la paysannerie et entravaient ainsi le ralliement de cette dernière au prolétariat.

    Ainsi donc, Lénine combattait les partisans de la révolution permanente, non pas parce qu'ils affirmaient la permanence de la révolution, thèse qu'il ne cessa jamais lui-même de soutenir, mais parce qu'ils sous-estimaient le rôle de la paysannerie, qui est la plus grande réserve de force du prolétariat, parce qu'ils ne comprenaient pas l'idée de l'hégémonie du prolétariat.

    L'idée de la révolution permanente n'est pas nouvelle. Elle a été exposée pour la première fois par Marx, en 1850, dans l'Adresse à la Ligue des communistes. C'est là que nos « théoriciens » russes sont allés la chercher, mais la modification qu'ils lui ont fait subir a suffi à la rendre impropre à l'usage pratique. Il a fallu la main exercée de Lénine pour réparer cette erreur, dégager l'idée de la révolution permanente de ses scories et en faire une des pierres angulaires de la théorie de la révolution. Voici ce que dit Marx sur la révolution permanente, dans son Adresse, après avoir énuméré les revendications démocratiques révolutionnaires que doivent poser les communistes :

    Alors que les petits-bourgeois démocrates veulent, par la satisfaction du plus grand nombre des revendications précitées, terminer le plus vite possible la révolution, nos intérêts et notre tâche consistent à rendre la révolution permanente tant que toutes les classes plus ou moins possédantes ne seront pas écartées du pouvoir, que le prolétariat n'aura pas conquis le pouvoir d'État, que les associations des prolétaires dans les principaux pays du monde ne se seront pas développées suffisamment pour faire cesser la concurrence entre les prolétaires de ces pays et que les principales forces de production, tout au moins, ne seront pas concentrées entre les mains des prolétaires.

    Autrement dit :

    1° Marx, quoi qu'en disent nos partisans de la « révolution permanente », n'a pas proposé de commencer la révolution dans l'Allemagne de 1850 directement par l'instauration du pouvoir prolétarien ;

    2° Marx a proposé uniquement de couronner la révolution par le pouvoir politique prolétarien en jetant à bas du pouvoir successivement toutes les fractions de la bourgeoisie pour allumer, après l'avènement du prolétariat au pouvoir, l'incendie de la révolution dans tous les pays.

    Or, cela est en conformité parfaite avec tout ce qu'a enseigné Lénine, avec tout ce qu'il a fait au cours de notre révolution prolétarienne sous l'impérialisme.

    Ainsi, nos partisans russes de la « révolution permanente » non seulement ont sous-estimé le rôle de la paysannerie dans la révolution russe, mais ont modifié l'idée de la révolution permanente de Marx et lui ont enlevé sa valeur pratique.

    Voilà pourquoi Lénine raillait leur théorie et les accusait de ne pas vouloir « réfléchir aux raisons pour lesquelles la vie, durant des dizaines d'années, avait passé à côté de cette magnifique théorie ».

    Voilà pourquoi il considérait cette théorie comme semi-menchéviste et disait qu'elle « emprunte aux bolchéviks l'appel à la lutte révolutionnaire décisive et à la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, et aux menchéviks la négation du rôle de la paysannerie »."]

    C'est on-ne-peut plus limpide. On imagine difficilement plus grande négation de la réalité concrète dans laquelle opérait le mouvement révolutionnaire russe, que cette "révolution permanente" version Trotsky. Mais cette thèse est surtout, finalement, dans les conditions spécifiques à l'Empire russe de l'époque, une négation totale du sens de déploiement de la révolution prolétarienne ; même si ses adversaires léninistes (Staline et ses partisans autour de 1925, mais aussi Gramsci au fond de sa geôle fasciste, ou encore Mao en Chine contre Chen Duxiu) n'avaient peut-être pas formulé les choses de cette manière... D'où peut-être le relatif succès que ces conceptions trotskystes ont pu connaître à travers le monde ; notamment dans les pays les plus industrialisés, avec une certaine aristocratie ouvrière dans laquelle, outre le social-chauvinisme (envers l'État et l'Empire), la classe dominante capitaliste entretenait le chauvinisme de classe pour détourner la classe ouvrière de sa mission historique qui est de prendre la tête de tou-te-s les opprimé-e-s contre toutes les oppressions, sans quoi elle reste prisonnière de l'économisme : les lambertistes du POI ou encore les 'classistes' de Lutte Ouvrière sont les représentants typiques de cette pensée en 'France' - avec une conception de la 'classe ouvrière' très élastique, incluant 'petits cadres', fonctionnaires etc. - mais des courants similaires existent en Grande-Bretagne, en Amérique du Nord, en Argentine etc.

    155473725Il allait pourtant de soi que non seulement la première vague de la Révolution prolétarienne mondiale devait partir de Russie parce que celle-ci était une périphérie de l'Europe et du système capitaliste mondial, mais encore qu'en Russie même, le 'niveau' de conscience, d'organisation et de mobilisation révolutionnaire devait être d'autant plus important dans les sections des masses populaires touchées en dernier par le capitalisme, là où celui-ci était le plus "frais" ; dans les sections de la classe ouvrière les plus récentes et en même temps les plus opprimées ou, en tout cas, les plus conscientes de leur oppression justement par ce caractère périphérique ; les territoires/masses où ne régnait pas la pax capitalista en quelque sorte, comme typiquement les champs pétroliers de Bakou en Azerbaïdjan, où le jeune Staline fit un intense travail d'agit-prop associé à une mobilisation contre l'oppression nationale grand-russe des peuples du Caucase (qui formaient la masse ouvrière). Des sections ouvrières et populaires - également - profondément imbriquées avec l'immense masse paysanne qui constituait encore 80% de la population de l'Empire. Faut-il s'étonner si la Révolution bolchévique fut dirigée par un Tatar de la Volga (Lénine) puis par un Caucasien (Géorgien : Staline), si les nationalités opprimées y avaient des représentants importants comme le polonais Dzerjinsky ou le Tatar musulman Sultan-Galiev et si les Juifs qui, de la Baltique à la Mer Noire, vivaient dans des conditions proches de l'apartheid y étaient surreprésentés (comme Trotsky lui-même) ?

    C'est donc cela qui a été critiqué par le PC bolchévik d'Union soviétique et l'Internationale communiste : la conception (notamment) anti-paysanne qu'avait Trotsky de la révolution permanente, revenant en dernière analyse (mais non-compris en ces termes à l'époque) à une conception 'centriste' anti-périphéries (car 'arriérées' etc. etc. on connaît la chanson...) de la lutte des classes ; et non le concept lui-même, selon lequel (pour résumer) pendant tout le processus de négation du capitalisme par le communisme, "c'est reculer que d'être stationnaire" - ce que Mao ne fera pas autre chose que réaffirmer sous une autre appellation : la révolution ininterrompue, la marche du peuple vers le communisme comme guerre prolongée.

    Il est vraiment fondamental de s'arrêter et d'insister sur cela : Trotsky est, en dernière analyse, le théoricien "marxiste" absolu de la révolution à partir des Centres (voir l'article en anglais en lien en bas de l'article) ; à partir de là où le capitalisme est le plus ancien, industriellement avancé... mais aussi le plus SOLIDE, objectivement (pouvoir politico-militaire) comme subjectivement (pouvoir idéologique et culturel, aliénation des esprits, "sens commun", "société civile").

    Pour lui, une révolution dans un pays "arriéré" comme la Russie de l'époque ne pouvait être qu'un "bug", un "accident" de l'histoire condamné à être très vite suivi de révolutions dans les pays industriellement avancés, sous peine de "dégénérer bureaucratiquement"... Alors qu'en réalité, si la négation du pré-capitalisme par le capitalisme s'est bien déployée à partir des villes où celui-ci est né, la négation du capitalisme par le communisme part au contraire des régions du monde où le pré-capitalisme a été le plus fraîchement nié, voire où cette négation est encore en cours. Comme Mao l'a très bien expliqué, plus le capitalisme est "frais" dans un pays, meilleures sont les conditions pour y faire la révolution ; alors que c'est beaucoup plus difficile (rejoignant là l'analyse de Gramsci sur l'hégémonie et la "société civile") lorsque le  capitalisme est solidement ancré depuis 2 ou 300 ans comme en Europe de l'Ouest - là, il faudra plus de temps [1]. C'est la raison pour laquelle la première révolution marxiste de l'histoire a éclaté dans l'Empire russe et s'est ensuite diffusée principalement vers l'Asie et tout le Sud global colonisé et semi-colonisé de la planète, et non vers l'Occident.

    Le trotskysme voit en fait (en d'autres termes) comme une "anomalie historique" ce qui est en réalité le sens objectivement NORMAL de déploiement de la négation du capitalisme par le communisme.

    C'est là tout le contraire de notre conception marxiste-léniniste-maoïste qui fait de la révolution une lutte prolongée se déployant à partir des Périphéries, là où le capitalisme est plus "frais", où il "imprègne" moins la société, où le souvenir de la communauté populaire "solidaire" antérieure est plus vivant, là aussi où son règne est plus violent pour les masses (misère, "exclusion", répression etc.), vers les Centres ; conception déjà esquissée par Lénine avec sa théorie du "maillon faible" .

    [Il existe deux passages dans l’œuvre de Trotsky, relativement peu connus mais commençant un peu à l'être à travers notamment le trotskysme lié à la mouvance décoloniale, qui pourraient sembler démentir cette vision occidentalo-centrique :

    - "Il règne aujourd'hui au Brésil un régime semi-fasciste qu'aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l'Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serai du côté du Brésil « fasciste » contre l'Angleterre « démocratique ». Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n'est pas de démocratie ou de fascisme qu'il s'agirait. Si l'Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l'emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l'Angleterre porterait en même temps un coup à l'impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais."

    - "Admettons que dans une colonie française, l'Algérie, surgisse demain un soulèvement sous le drapeau de l'indépendance nationale et que le gouvernement italien, poussé par ses intérêts impérialistes, se dispose à envoyer des armes aux rebelles. Quelle devrait être en ce cas l'attitude des ouvriers italiens ? Je prends intentionnellement l'exemple d'un soulèvement contre un impérialisme démocratique et d'une intervention en faveur des rebelles de la part d'un impérialisme fasciste. Les ouvriers italiens doivent-ils s'opposer à l'envoi de bateaux chargés d'armes pour les Algériens ? Que quelque ultra-gauche ose répondre affirmativement à cette question ! Tout révolutionnaire, en commun avec les ouvriers italiens et les rebelles algériens, rejetterait avec indignation une telle réponse. Si même se déroulait alors dans l'Italie fasciste une grève générale des marins, en ce cas, les grévistes devraient faire une exception en faveur des navires qui vont apporter une aide aux esclaves coloniaux en rébellion ; sinon ils seraient de pitoyables trade-unionistes, et non des révolutionnaires prolétariens."

    Il peut être intéressant de connaître ces citations pour pouvoir les opposer aux omniprésents trotskystes gauchistes, (généralement) rois du "ni-ni" lorsque l'impérialisme se jette sur un pays gouverné par un "terrible dictateur" ou aux mains de forces "obscurantistes" ou "soutenues" par des régimes "peu recommandables"... Ces deux textes datent au demeurant de la toute fin de sa vie (1938) et peut-être dénotaient-ils une certaine évolution de sa pensée (dans un contexte où, il faut le dire, les raisonnements purement "antifascistes" amenaient l'URSS et les Partis de la 3e Internationale à de grandes compromissions avec l'impérialisme et le colonialisme) ; évolution dont les plus "orthodoxes" de ses continuateurs, plus proches des "ultra-gauches" qu'il critiquait que de lui, n'auraient par la suite pas tenu compte.

    Pour autant, ce qu'il dit là n'a rien d'extraordinaire d'un point de vue anti-impérialiste : il dit en substance qu'un impérialisme britannique embourbé dans une longue guerre contre le Brésil fasciste de Vargas, ou un impérialisme français dans une contre-insurrection en Algérie, servirait objectivement les perspectives de prise de pouvoir de la classe ouvrière en Grande-Bretagne ou en France. C'est, encore une fois, "là que ça se passe" de son point de vue. Toute lutte, toute résistance, toute situation révolutionnaire dans le monde colonisé ou dominé par l'impérialisme, "arriéré", ne peut avoir comme vocation ultime que de "faciliter" la révolution prolétarienne dans les pays les plus industrialisés, dans une vision utilitariste [2] ; aucune révolution populaire démocratique ne peut y fonctionner (pas plus que dans l'ex-Empire russe) et construire le socialisme et aller vers le communisme de manière ininterrompue ; raison pour laquelle, d'ailleurs, le régime que défendraient les résistants brésiliens (il évoque une vague "conscience démocratique et nationale" qui "pourrait renverser la dictature de Vargas") ou la conception du monde des insurgés algériens aidés par Mussolini (que les ouvriers italiens solidaires "appelleraient à ne pas faire confiance à leur perfide allié"...) lui sont relativement indifférents (il ne "sert à rien" qu'ils se revendiquent du marxisme ou d'un quelconque socialisme, puisque "ça ne peut pas fonctionner" chez eux...).]

    Mais Trotsky et ses partisans (jusqu'aujourd'hui) réussiront, face aux graves dérives de la 'révolution par étapes' et de la 'construction du socialisme dans un seul pays' prônées par Staline (qui ne faisait là que continuer Lénine tel qu'il le comprenait), à s'approprier la 'propriété intellectuelle' de l'idée même de 'révolution permanente' ; au point qu'aujourd'hui même des marxistes confirmés ignorent qu'elle fut formulée par Marx lui-même, et en font (pour la défendre ou pour l'attaquer) un 'fondement' de l''identité' trotskyste face aux marxisme-léninisme de Staline.

    Il faut dire que Trotsky était ce qu'il convient d'appeler un contorsionniste politique de première.

    a1Lui qui jusqu'à l'été 1917 n'était même pas bolchévik, mais prônait l''unité' des bolchéviks révolutionnaires avec les réformistes menchéviks - droitiste, donc ; lorsque la lutte pour la direction du Parti se dénouera en sa défaveur (face, alors, à un 'bloc' Staline-Kamenev-Zinoviev-Boukharine), se révèlera subitement un défenseur acharné de la 'pureté' bolchévique, reprochant à Staline d'avoir 'embauché' des centaines d'anciens menchéviks ou socialistes-révolutionnaires...  

    Lui qui avait passé sa vie politique, exceptées les années de guerre civile à la tête de l'Armée rouge (où il se révèlera efficace), à s'opposer aux vues de Lénine, se fera le 'champion' de son héritage, pour ne pas dire son seul et unique héritier, ignoblement dépossédé par des usurpateurs. Lui qui était un summum de déviation partidiste ; lui qui dans une vision ultra-autoritaire et 'verticale' de la révolution considérait que "hors le Parti, il n'y a rien" (ça ne vous rappelle personne ?), que ce ne sont pas les masses qui font l'histoire mais le Parti s'en proclamant l'avant-garde, ayant toujours raison même contre elles ; lui qui aux dires de Boris Souvarine (qui avait été de ses proches) n'avait "qu'un seul mot d'ordre à la bouche : fusiller !", et qui le mit en pratique plus qu'à son tour (des makhnovistes d'Ukraine aux marins de Kronstadt) ; lui qui au sortir de la guerre civile voulait 'militariser les syndicats' pour encadrer la production et faire de la Russie soviétique une sorte de grande 'caserne' de l''armée de réserve de la révolution mondiale' ; se découvrira soudain une vocation de défenseur des soviets de travailleurs, 'dépouillés de tout pouvoir' par une 'bureaucratie'... 'produit du communisme de guerre' (dont il fut l'organisateur n°1 pendant 3 ans !) : il se fera subitement conseilliste (l'autre grande déviation : "les soviets/conseils ont toujours raison" vs "le Parti a toujours raison")... C'était décidément un grand comique, ce Léon !

    En définitive, son activité politique d''opposition de gauche', ce sera de dire 'blanc' lorsque le PCbUS et le Komintern disaient 'noir' : quand le PCbUS et le Komintern défendaient (de manière excessive, gauchiste) le 'classe contre classe', il prônait l'unité de la base au sommet (et non 'à la base') avec la social-démocratie ; puis, lorsqu'ils abandonneront cette ligne au profit des Fronts populaires (qui dériveront, en général, vers la subordination des Partis 'staliniens' à la 'gauche' bourgeoise), il défendra une position très proche du 'classe contre classe' qu'il rejetait en 1930 ou 32... Au bout du compte, il n'est pas difficile, en 15 ans d'activité politique de ce type (puis 70 ans par ses continuateurs jusqu'à nos jours), de trouver des 'dossiers' sur lesquels il a eu raison : une horloge cassée ne donne-t-elle pas l'heure juste deux fois par jour ? Mais rien ne dit, par contre, qu''aux commandes' il n'aurait pas fait exactement ce qu'il ne fallait pas faire.... Passons.

    Ce qui seul doit retenir, en fin de compte, notre attention ; ce qui fonde la 'pensée' et (surtout) l'activité trotskyste depuis trois quarts de siècles, c'est le Programme de Transition (1938) ; et celui-ci repose tout entier sur deux affirmations-aberrations mémorables :

    1/ "Les forces productives de l'humanité ont cessé de croître"... !!! : elles ne cessent JAMAIS ; ce qui peut se produire est qu'un mode de production dépassé et en crise entrave leur croissance, ce qui nécessite alors une révolution ; mais le mode de production peut malgré tout parvenir à surmonter une grave crise générale de ce type, en se 'refondant' dans de grandes convulsions - mais 'pas grave', ce sont 'ceux d'en bas' qui trinquent !

    2/ "La crise historique de l'humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire du prolétariat" : aux oubliettes la théorie léniniste de l'impérialisme ; l''achat' par les surprofits de l'impérialisme, via une 'aristocratie laborieuse', de larges pans du prolétariat par la bourgeoisie (dans les pays impérialistes voire dans certains pays dominés 'suffisamment riches') ; exit toute l’œuvre de Gramsci sur l'hégémonie intellectuelle/culturelle, la 'société civile', la construction pas seulement répressive de l''acceptation de l'exploitation' - tout ce qui, en définitive, préfigure et confluera dans la théorie maoïste authentique du déploiement Périphéries->Centres de la lutte de classe révolutionnaire.

    Et en conclusion de cette 'brillante analyse' : il faut 'entrer' dans les syndicats... voire les partis (!) réformistes pour y former des 'noyaux' révolutionnaires et, 'de là', mettre en avant un 'programme maximal' (le fameux programme de transition) qui mettrait le capitalisme et les directions social-traîtres 'au pied du mur', car ces revendications impliqueraient un 'suicide' du système capitaliste s'il les accepte... Alors les directions traîtresses se démasqueront, ce qui mettra à l'ordre du jour l'affrontement révolutionnaire direct avec la bourgeoisie capitaliste. Bien, très bien, SAUF QUE :

    - Encore faut-il que le capitalisme soit vraiment incapable de satisfaire (même partiellement) ces revendications (c'est tout le problème de l'affirmation sentencieuse et erronée que "les forces productives ont cessé de croître"), satisfaction qui même partielle démobiliserait totalement les troupes (voir point suivant) ;

    - Encore faut-il qu'une masse significative de militant-e-s suivent ces 'revendications maximales' (que fait-on lorsque 7% du salariat est syndiqué, et encore en grande majorité des fonctionnaires, salariés du public, cadres intermédiaires etc.) ; et/ou suivent la transformation de leur rejet en mobilisation révolutionnaire : là c'est toute la question de l'hégémonie idéologique/culturelle selon Gramsci, dont nous avons vu comment elle est totalement passée à la trappe (tout étant 'la faute des directions') ;

    - Encore faut-il pouvoir, de l'intérieur des organisations certes 'ouvrières' (encore que, les syndicats aujourd'hui...) mais totalement, hégémoniquement réformistes, mettre en avant une telle plate-forme 'maximale' sans se faire immédiatement gicler ou au moins marginaliser et traiter en parias (ce qui a été le cas pour les trotskystes jusqu'aux années 1980 au moins, quand bien même ils aient pu parfois avoir raison) ;

    - Si le réformisme ne 'tient' plus les masses, l'histoire a systématiquement montré ce qu'il se passe : la classe dominante descend sur le terrain de la guerre civile, ce que l'on a coutume d'appeler le fascisme. Les 'noyaux' révolutionnaires trotskystes seront-ils alors prêts... militairement, s'entend ??

    Nous avons là le deuxième aspect fondamental du trotskysme, dans sa stratégie ("révolution permanente") comme dans son plan général de travail pratique ("programme de transition") : Trotsky, comme l'écrivait déjà Gramsci dans ses Cahiers de Prison, est en fait le théoricien absolu de la révolution comme "assaut frontal" contre le Pouvoir capitaliste ; et non comme guerre de tranchées, comme lutte prolongée sur le terrain de l'hégémonie (idéologie/culture) comme sur le terrain politico-militaire, construisant patiemment le Pouvoir du Peuple dans le feu de la lutte ; ainsi que l'ont théorisé Gramsci et (bien sûr) Mao Zedong et les maoïstes après lui.

    affiche-NPA-tousLà réside tout le secret de ce qu'est devenu le trotskysme après 80 ans d'existence : en dernière analyse, une social-démocratie économiste 'radicale', 'dure', 'de combat'... Car l'ordre du jour n'est évidemment pas à 'noyauter' les grosses machines réformistes qui ne visent (et n'ont jamais visé) qu'à défendre les travailleurs des attaques du Capital, et jamais à permettre leur prise de pouvoir ; pour essayer de 'pousser en avant' celles-ci sur des 'revendications maximales' dont la satisfaction impliquerait 'automatiquement' le socialisme, et le rejet 'automatiquement' l'affrontement révolutionnaire décisif. L'ordre du jour est à CONSTRUIRE patiemment L'ANTAGONISME, dans un processus PROLONGÉ, entre les exploité-e-s et les exploiteurs ; antagonisme idéologique et physique ; et à CONSTRUIRE ainsi les CONDITIONS d'une prise du pouvoir à l'ordre du jour, dans un long processus qui est la GUERRE POPULAIRE, avec son 'étape zéro' faite de la somme de toutes les luttes et résistances populaires antagoniques, puis, lors qu’apparaît un Parti révolutionnaire en lien réel avec les masses, la défensive stratégique, puis l'équilibre (prise du pouvoir à l'ordre du jour) et enfin l'offensive ('mère de toutes les batailles' et prise du pouvoir elle-même). Les luttes sociales et leurs trahisons (et l'agit-prop là-dessus) peuvent, certes, être un outil dans ce combat prolongé, mais c'est un outil tactique, pas une ligne stratégique !

    Aujourd'hui que le Capital lance ses offensives tous azimuts, "c'est en défendant les conquêtes d'hier que l'on prépare celles de demain... et finalement la révolution" nous disent-ils (alors que les troupes des syndicats et organisations 'anticapitalistes' sont clairsemées... et petite-classe-moyenne comme jamais !). Mais en fin de compte ils ne font que cela : défendre, avec un succès variables, les 'conquêtes d'hier'. Pas l'ombre d'un début de conquête révolutionnaire du pouvoir par les prolétaires en vue, faute d'un début de commencement de stratégie révolutionnaire conséquente pour cela ! On 'résiste' et l'on essaye (maigrement) d''accumuler des forces', en attendant non pas Godot, mais les mythiques 'conditions objectives' (là on récite son petit Lénine par cœur) pour le 'Grand Soir' insurrectionnel. Sauf que ces 'conditions objectives', jadis énoncées par Lénine... ne sont en fait pas vraiment des conditions objectives : la SEULE vraie condition objective au renversement du capitalisme, c'est sa crise générale, c'est le fait qu'il ait cessé d'apporter quoi que ce soit de positif à l'humanité et qu'il pourrisse sur pied (condition n° 2 de Lénine, quelque part). Les 'conditions objectives' 1 et 3 de Lénine sont en fait plutôt la concrétisation matérielle de conditions SUBJECTIVES... qui, elles, ne s''attendent' pas, mais se construisent ! [les conditions objectives d'une situation révolutionnaire selon Lénine sont 1/ Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du sommet, crise de la politique de la classe dominante ; […] que la base ne veuille plus vivre comme auparavant et que le sommet ne le puisse plus ; 2/ Aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées ; et 3/ Accentuation marquée de l'activité des masses, qui se laissent tranquillement piller en des temps «pacifiques», mais qui, en période orageuse, sont poussées, tant par la crise dans son ensemble que par le « sommet» lui-même, vers une action historique indépendante.]

    Mais surtout, au-delà de tout ceci, il y a fondamentalement la nature et la conception de classe du trotskysme, base de toutes ses oscillations entre ultra-purisme gauchiste et opportunisme éhonté, auxquelles l'on peinerait à trouver une cohérence autrement : les petits néo-bourgeois en puissance, c'est à dire les personnes qui 'entrent' dans la lutte révolutionnaire non pas pour servir le peuple, mais parce qu'elles y voient un moyen (ou le seul) d'accéder à l''importance sociale' qu'elles estiment mériter (mais n'obtiennent pas dans le capitalisme, tel qu'il est à l'instant t) ; une engeance qui peut voir le jour dans la petite-bourgeoisie en déclassement, dans l'aristocratie ouvrière mais aussi jusque dans des catégories très opprimées de la population, comme la communauté juive de Russie qui était, à cette époque, comparable aux Noirs des États-Unis dans les années 1950, et dont était issue Trotsky.

    SCHIVARDIEt il y a une conception de la révolution, et du matérialisme historique, horriblement linéaire, anti-dialectique, incapable de saisir le sens de déploiement périphérie->centre de la révolution prolétarienne, incapable, finalement, de comprendre que la révolution prolétarienne pour le communisme, c'est la réalisation sur Terre de ce mot d'ordre que les chrétiens réservaient au 'Ciel' : "les derniers seront les premiers". La révolution prolétarienne est conçue comme un prolongement de la révolution bourgeoise (c'est très net en 'France', où le 'mythe' de 1789 et 1793-94 est fort), dans un enchaînement 'mécanique' des modes de production : féodalité, capitalisme, socialisme (qui n'est pas un mode de production, mais c'est pas grave...), communisme... Et non pas comme la négation totale du monde que cette révolution bourgeoise (et l'État moderne absolutiste avant elle) a construit ! Il est parfaitement logique que le trotskysme soit ainsi porté par une certaine aristocratie ouvrière et surtout une certaine petite-bourgeoisie ; pas celle des boutiquiers, des petits entrepreneurs et des artisans (qui est spontanément réactionnaire, 'poujadiste', bien que des éléments soient gagnables à la révolution), mais celle des intellectuels, des 'encadrants' de la force de travail, des fonctionnaires etc. : des couches sociales qui DOIVENT leur existence sociale à la révolution industrielle et au stade des monopoles (donc à la révolution bourgeoise, condition de la révolution industrielle)... mais une existence sans pouvoir, que certains éléments veulent donc conquérir. Une conquête passant forcément par un 'prolongement' de la révolution bourgeoise version 'radicale' (1793-94), puisque ces classes sont les purs produits de la révolution bourgeoise et de la révolution industrielle qui a suivi (la classe ouvrière aussi, mais un produit dans l'oppression... et voué au pouvoir dans une révolution prolétarienne véritable, alors que les 'petits chefs' et autres 'petits mandarins' sont voués à la disparition) ! Une révolution bourgeoise 'radicale' caractérisée notamment par le 'ratage' de l'alliance entre la proto-classe ouvrière et la paysannerie (puisque ni l'une ni l'autre ne dirigeaient de toute façon, mais une petite et moyenne-bourgeoisie 'éclairée' et paternaliste), secret de sa faillite thermidorienne et dont Lénine tirera précisément les leçons en théorisant la dictature démocratique conjointe


    Pour les speakenglish, ce document du site MLM Mayhem! est absolument EXCELLENT...

     

    [1] Il est très difficile de faire la révolution et de construire le socialisme dans les pays occidentaux, car dans ces pays l'influence pernicieuse de la bourgeoisie est très profonde et s'est déjà infiltrée partout. En Chine, la bourgeoisie n'existe que depuis trois générations tandis que dans les pays comme l'Angleterre ou la France, elle existe depuis des dizaines de générations. Dans ces pays la bourgeoisie a une histoire vieille de 250 à 260 ans, voire de plus de 300 ans ; l'idéologie et le style de travail bourgeois ont des influences partout et dans toutes les couches sociales. C'est pourquoi la classe ouvrière anglaise ne suit pas le Parti communiste, mais le Parti travailliste.
    Lénine a dit : "Plus un pays est arriéré, plus difficile est son passage du capitalisme au socialisme". Vue d'aujourd'hui, cette thèse n'est pas correcte. En réalité, plus un pays est arriéré économiquement plus son passage du capitalisme au socialisme est facile, et non difficile. Plus un homme est pauvre, plus il veut la révolution. Dans les pays capitalistes occidentaux, le niveau de l'emploi et les salaires sont plus élevés et l'influence de la bourgeoisie sur les travailleurs est plus profonde. Dans ces pays, la transformation socialiste est moins facile qu'on ne le croit.
    Mao Zedong, "Notes de lecture sur le Manuel d'économie politique de l'Union soviétique" (1960). Le même raisonnement peut évidemment s'appliquer entre les différentes régions - les Centres et les Périphéries - d'un même État... http://ekladata.com/m2ZvyhotBW-5-39bNwfYd4vBK-8.png

    [2] -  Thèse "utilitariste" : les luttes des Peuples opprimés sont "utiles" aux travailleurs des Centres de la domination dans leur lutte contre leurs exploiteurs... et soutenues par eux pour autant qu'elles sont ainsi jugées "utiles", mais en perdant de vue que ces travailleurs constituent eux-mêmes un groupe social dominant et privilégié ("construit" dans le privilège sur le dos des opprimés) qui risque donc de "plier" sa conception de l'utilité/intérêt pour lui de ces luttes à la défense de cette position sociale.

    - Thèse "fondamentaliste" : les luttes des Peuples opprimés, selon l'agenda d'eux-mêmes, sont FONDAMENTALES pour "de proche en proche", "en cercles concentriques" (gagnant peu à peu les Peuples "moins" dominés), encercler et ÉTRANGLER les Centres du Pouvoir et enfin les abattre.

    Chez Lénine, on peut estimer qu'il y a un "saut qualitatif" de l'"utilitarisme" vers le "fondamentalisme" entre les "Notes critiques sur la question nationale" (1913) et "La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes" (1916).


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  • Le texte de Kaypakkaya en (quasi) intégralité, traduit de l'anglais ; absolument FONDAMENTAL car en définitive tous ces régimes "laïcs"/"progressistes" des pays musulmans, encensés par la gauche occidentale contre les "islamiiiiistes" (y compris, on peut maintenant le dire, celui qui aura régné quelques années au Nord de la Syrie sous le nom de "Rojava"), sont en dernière analyse des kémalismes déclinés à l'infini (Mao y comparait aussi en son temps le Kuomintang de Tchang Kaï-chek, qui d'ailleurs s'y comparait volontiers lui-même) ; et donc des ennemis de la révolution démocratique anti-impérialiste authentique, qui dans la grande "région intermédiaire" qui court de l'Afrique du Nord jusqu'à l'Asie centrale, jouent dans le dispositif de domination impérialiste un rôle aussi fondamental que l'Entité sioniste... Et quelque part aussi, sachant que le kémalisme (et les Jeunes Turcs avant lui) se sont énormément inspiré du "modèle" français, une illustration magistrale et récente du concept "du jacobinisme à Thermidor" :

    http://ekladata.com/Kaypakkaya-sur-la-nature-du-kemalisme.pdf


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  • Matérialisme dialectique et matérialisme historique

    Cet article publié il y a peu donne un aperçu des principales notions du matérialisme dialectique et de la "dialectique matérialiste de l'histoire", avec des liens renvoyant vers des documents explicitant ces notions : La "négation de la négation" et le maoïsme 

    On peut se référer aussi au texte de référence de Staline : Matérialisme dialectique et matérialisme historique. 

    Ou encore cet exposé assez clair et précis (de communistes suisses) : Le matérialisme dialectique.

    Servir le Peuple a également donné un exposé du processus dialectique de la révolution prolétarienne dans les deux articles suivants :
    -
    Sur le processus révolutionnaire
    - Sur le processus révolutionnaire (2) : vers le communisme

    Engels.jpgLa conception matérialiste dialectique/historique de SLP repose sur l'idée que l'histoire humaine, comme tout phénomène vivant, progresse par des "cycles", des processus complexes de négation de l'ordre social existant qui ne se referment, cependant, pas "à la case départ" mais à un niveau supérieur. Chaque "grand cycle" se subdivisant en "petits cycles" qui en sont les étapes, chacun rapprochant de l'objectif final de l'humanité qui est le communisme. Le point de rupture de chaque "grand cycle" étant le moment où le rapport de force entre les deux classes principales formant l'"unité sociale des contraires" (l'unité des contraires qu'est la société) s'inverse ; où la classe dominée principale devient la classe dominante. Ainsi, si l'on prend l'espace géographique appelé "France" : la négation de l'ordre social féodal par le capitalisme commence avec le mouvement communaliste du Moyen-Âge (12e-13e siècles) et s'achève, pour ainsi dire, dans le "capitalisme triomphant" de la fin du 19e siècle, symbolisé par exemple par l'Exposition universelle de 1889 à Paris ; ou peut-être carrément au 20e siècle, lorsque le capitalisme a finalement englobé toute la société, tous les rapports sociaux. Son "point de rupture" est la Révolution de 1789 : lorsque la bourgeoisie est devenue la classe dirigeante de l’État. Mais la Renaissance et son "humanisme", le siècle des Guerres de Religion puis l'absolutisme sur lequel celui-ci débouche (et où la monarchie se fait objectivement l'alliée du développement capitaliste), ou encore les révolutions de 1830 et 1848, ou enfin la "révolution républicaine" de 1870-1905 (négation des dernières traces féodales, dont le pouvoir de l’Église) sont des "petits cycles" de ce "grand cycle". Avec les luttes ouvrières du 19e siècle (en 1848 notamment, lorsque le mouvement ouvrier rompt définitivement avec le mouvement démocratique bourgeois) commence le "grand cycle" de la Révolution prolétarienne, de la négation du capitalisme pour instaurer, cette fois-ci, le communisme. Mais la négation capitaliste de la féodalité a elle-même rapproché l'humanité du communisme, en développant le caractère social de la production (en grands collectifs de travail) et une société basée sur la connaissance scientifique, la technologie etc.

    Cette vision rejette la vision "étapiste mécanique" des processus historiques, qui a été celle des mencheviks mais aussi, malheureusement, de beaucoup de ML (il faut d'abord une révolution démocratique bourgeoise, puis on fera une révolution socialiste, etc.) ; mais aussi la vision d'un processus révolutionnaire "linéaire et sans accroc", qui est celle de certains trotskystes (la "révolution permanente") mais aussi de certains "maoïstes", pour lesquels à la première embûche, "tout est fini", "les carottes sont cuites"... NON, messieurs les doctes "gardiens" de la "science MLM", au Népal "tout" n'est pas fini ! Au Népal, il y a eu un CYCLE (1990-2010), un "petit" cycle du grand processus qui est celui de la libération démocratique et anti-impérialiste des masses travailleuses. Comme la période 1911-27 a été un cycle du même processus en Chine. Aujourd'hui, le "bloc" Prachanda-Bhattarai a rejoint l'UML et d'autres groupes "marxistes" révisionnistes dans le camp de la Réaction, de l'oligarchie et de Lgtang2-28l'impérialisme, comme le Kuomintang chinois en 1927 ; mais cela ne veut nullement dire que "tout est fini" ! Un nouveau cycle s'ouvre (le rejet de l'état de fait actuel est déjà puissant dans les masses), un nouveau Parti révolutionnaire émergera, et il mènera cette fois-ci les masses populaires opprimées, sous la conduite du prolétariat, au pouvoir... 

    Réforme et Révolution

    L'histoire des sociétés humaines est un phénomène dont la force motrice est la lutte des classes : la contradiction déterminante (à chaque époque) entre une classe dominante et une classe dominée principale, dirigeante dans la lutte contre la dominante (car il y a, toujours, plusieurs classes dominées). Sous la féodalité, étaient dominées et opprimées la bourgeoisie, la paysannerie (plus ou moins riche ou pauvre) et les ancêtres de la classe ouvrière (compagnons etc.) ; mais la classe dirigeante de la lutte contre les féodaux était la bourgeoisie, ainsi qu'une certaine paysannerie aisée (fermiers etc.). Sous le capitalisme, au stade des monopoles, toutes les classes (même une certaine "moyenne bourgeoisie" : patrons de PME etc.) sont d'une certaine manière "dominées" par la bourgeoisie monopoliste ; néanmoins, la seule classe révolutionnaire jusqu'au bout est le prolétariat.

    Dans cette lutte entre classes, ce qui anime chaque classe en présence est, en définitive, la reproduction de ses conditions d'existence. Sachant que l'espèce humaine est douée d'intelligence, et ne se limite donc pas à des motivations communes à tous les animaux (se nourrir etc.), mais a aussi des motivations spécifiquement humaines : la connaissance et la compréhension du monde qui l'entoure (culture), le divertissement et autres plaisirs qui ne sont pas strictement nécessaires à la survie (mais le sont à l'équilibre mental), etc.

    Globalement, "parallèlement" (en quelque sorte) à cette contradiction entre classe dominante et classes dominées, la contradiction motrice de chaque mode de production est qu'il développe les forces productives (qui ne cessent jamais de se développer, contrairement à l'affirmation de Trotsky dans le "Programme de transition"), que ce développement génère des besoins, des aspirations, un "seuil minimum de satisfaction/tolérance" dans l'existence, et en définitive une conscience collective ; et qu'en fin de compte les rapports de production et l'ensemble des rapports sociaux (y compris non-liés au procès de production), bref l'organisation sociale créée par la classe dominante se retrouve obsolète, dépassée. Comme si un adolescent en pleine croissance avait les mêmes vêtements qu'à 12 ans : il est évident que ceux-ci craqueraient de toute part.

    Cela amène parfois à dire, "parallèlement" à la contradiction de classe bourgeoisie monopoliste / prolétariat, que la contradiction motrice du capitalisme est celle entre le caractère social de la production (en grands collectifs de travail, permettant un grand développement des forces productives) et la propriété privée des moyens de production (qui permet l'accaparement capitaliste de la plus-value, fait de la force de travail une marchandise et sous-tend toutes les relations humaines et l'organisation sociale). Dans la féodalité, c'était la contradiction entre la propriété utile du bourgeois et du paysan sur ses moyens de production, et la propriété éminente du seigneur qui lui permettait de s'accaparer une partie de la production (en taxes, "taille", péages etc.) ou carrément une partie de la force de travail, Paysans5gratuitement (corvées) ; d'où l'expression "taillable et corvéable". Au début de la féodalité, cette propriété éminente était justifiée par la protection du roturier par le seigneur, contre les guerres incessantes, invasions ou crises alimentaires ; mais il est clair qu'au 15e ou 16e siècle elle était devenue complètement inutile et parasitaire, permettant uniquement aux aristocrates et aux religieux de vivre grassement sans travailler, en entravant le développement de la production et de l'échange (commerce).

    C'est la même chose pour le capitalisme : au début, la nécessité de rentabiliser son capital a donné une impulsion colossale au développement de la production, de la science, des techniques, des échanges ; mais aujourd'hui, la propriété capitaliste des moyens de production permet surtout à une classe de rentiers (actionnaires, dirigeants sociaux, banquiers etc.) de vivre parasitairement en ne travaillant pas ou peu (uniquement pour assurer la survie de leur affaire) tandis que des millions de gens se lèvent le cul à 5 heures du matin embouteillage-sur-le-peripherique_940x705.jpgpour gagner 1000 € par mois (ici) ou carrément 200 ou 300 € (ailleurs). Et le développement des forces productives développe parallèlement la conscience, dans les masses, de mériter mieux que cette vie-là. Cette conscience se heurte aux rapports de production (patron/salariés, cadres/exécutants) et à l'ensemble des relations sociales découlant de la propriété privée des moyens de production (et de l'accaparement capitaliste de la plus-value) : elle entre en lutte et, en s'organisant pour agir, devient une force matérielle.

    À partir de là, le mouvement réel de la lutte a deux débouchés possibles :

    => soit la classe principale des classes dominées (ici, le prolétariat) renverse la classe dominante, sa propriété des moyens de production et son État, qu'elle remplace par sa propre propriété (collective dans le cas du prolétariat) et son propre État : c'est la révolution, on change de classe dominante et de mode de production (progressivement, les rapports de production et tous les rapports sociaux capitalistes sont abolis et remplacés par des rapports collectivistes, égalitaires, solidaires, amenant au communisme) ;

    => soit la classe dominante s'adapte et réussit à améliorer l'organisation sociale, pour la faire "coller" (ou presque) au niveau des forces productives et au niveau de conscience engendré : c'est une réforme, un processus réformiste. C'est le cas des grandes réformes de la Libération (reprenant celles de 1936, abolies par Vichy, et en ajoutant d'autres). Ou encore, les réformes sociales post-Grenelle (1968) et de 1981-82, couplées aux réformes politiques et "sociétales" entre (globalement) 1975 et 1985 (sous Giscard et "Mitterrand I").

    Dans le langage politique courant, la partie de la bourgeoisie qui "milite" pour cette nécessaire adaptation est appelée la GAUCHE (plus ou moins modérée ou "radicale"). La partie qui y résiste, plus ou moins fort, est la DROITE (plus ou moins modérée ou réactionnaire). Il s'agit d'une contradiction au sein de la classe dominante (comme peut l'être la concurrence entre entreprises au quotidien), elle peut parfois prendre un caractère très aigu (par exemple la droite éliminant physiquement la gauche, comme au Chili en 1973), mais c'est une contradiction secondaire : elle n'est pas motrice en tant que telle de l'histoire ; elle est subordonnée, déterminée par la contradiction bourgeoisie/prolétariat, caractère social de la production/propriété privée des moyens.

    Le mouvement réel de la lutte des classes ne se déroule pas de manière linéaire, "en ligne droite" : il a des cycles, des fluctuations ; comme parallèlement le développement des forces productives par le capitalisme a des cycles, des fluctuations. Le capitalisme, par sa nature même, traverse des CRISES.

    Certaines sont des crises cycliques de surproduction de marchandise (excès de l'offre par rapport à la capacité d'absorption de la demande). Ces crises sont généralement temporaires : le capitalisme "fait le ménage tout seul", par la "sélection naturelle", les faillites suffisent à réajuster l'offre avec la demande. Depuis le 20e siècle et jusqu'à nos jours, l'intervention de l’État, avec divers "amortisseurs", suffit à en limiter les conséquences humaines (chômage et tout ce qui en découle).

    Mais d'autres, beaucoup plus graves et longues, sont les crises de SURPRODUCTION ABSOLUE DE CAPITAL. Il y a trop de Capital (C) accumulé, on ne sait plus qu'en faire ; le réinjecter dans la production ne donne pas un profit (P) supérieur (ou alors, très faiblement) et, donc, un taux de profit (P/C) inférieur à ce qu'il était avant (P/C', avec un C' < C et un P inchangé ou presque)... Le taux de profit s'effondre.

    Ce sont des crises terribles, qui s'étalent sur plusieurs dizaines d'années. Elles ne touchent pas seulement l'économie (le secteur productif), mais l'ensemble de la société et des rapports sociaux : ce sont des crises économiques, politiques, sociales et morales (culturelles).

    Ces crises sont : celle (relativement courte) qu'a traversé le monde capitaliste dans les années 1870-80 ; celle qui a dominé la première moitié du 20e siècle (avec les deux guerres mondiales) [après réflexion, nous pensons que l'on peut regrouper ces deux premières en une seule première crise générale du capitalisme 1870-1945, ayant simplement connu une "accalmie" entre 1895 et 1914] ; et celle toujours en cours, qui dure depuis les années 1970.

    Pour ces crises, il n'existe que deux voies de sortie :

    => une refonte complète et planétaire de l'organisation productive et sociale capitaliste, pour déboucher sur un "monde neuf" où peut reprendre l'accumulation du capital. C'est un processus terriblement douloureux pour les masses de l'humanité, qui passe par des guerres locales ou mondiales exterminatrices, des destructions colossales de forces productives, des régimes fascistes qui balayent tous les acquis humanistes et démocratiques des révolutions bourgeoises, une tendance du Capital (monopoliste) à modeler toute la société à son image et selon ses intérêts. Cette réorganisation de l'organisation sociale peut prendre la forme de grandes concessions démocratiques et économiques aux masses populaires : c'est ce que l'on appelle la social-démocratie. Mais alors, le pays concerné se transforme en "cité grecque" qui a besoin, pour son confort de vie et sa prospérité, d'une masse 10 fois plus nombreuse de "hilotes" ou d'"esclaves"... Cette foule "esclave", il va la trouver dans les pays dominés par l'impérialisme (Lénine abordait déjà la question dans son ouvrage de 1916...). Le fascisme, lui aussi, ne peut assurer le niveau de vie qu'il veut offrir aux masses (sans l'aspect démocratique) qu'à travers la conquête et le pillage. Au final, les guerres sur lesquelles débouchent obligatoirement ces tentatives débouchent elles-mêmes sur un monde reconfiguré. La crise de 1873 fut résolue, assez rapidement, par le partage du monde entre grands pays capitalistes (Conférence de Berlin en 1885 etc.), l'exploration et la colonisation de régions jusque là "vierges" (c'est-à-dire encore dans la société primitive ou féodale) etc. etc. Ce fut l'entrée totale et définitive dans l'époque de l'impérialisme (l'exportation de capitaux devenant principale sur l'exportation de marchandise). Mais une fois le monde partagé, comme l'explique bien Lénine dans 1914-18.jpgL'Impérialisme, il ne restait plus que le repartage ; donc la GUERRE MONDIALE. C'est donc par les deux guerres mondiales, et des dizaines d'autres "petits" conflits localisés entre 1898 et 1945 (guerre hispano-US, guerre des Boers, guerre russo-japonaise, guerres balkaniques, guerres gréco-turques, guerre du Chaco, guerre sino-japonaise, guerre d’Éthiopie et même guerre d'Espagne, qui fut aussi une lutte d'influence entre italo-allemands et franco-anglais) que se résolut la grande crise générale du capitalisme. Elle déboucha sur un repartage des zones d'influence, l'émergence d'une superpuissance (les États-Unis) dont les autres impérialismes devinrent des "vassaux" (plus ou moins fidèles ou turbulents) ; superpuissance contrebalancée uniquement (jusqu'en 1990) par l'URSS, mais celle-ci devint progressivement une puissance impérialiste comme les autres ; la fin des grands Empires coloniaux (et leur remplacement par une domination indirecte) ; la transformation des pays impérialistes et avancés (Europe de l'Ouest, Amérique du Nord, Japon et Asie-Pacifique, Australie etc.) en sociétés de consommateurs ; et surtout, l'inclusion (progressivement, jusqu'à la fin du siècle) de la quasi-totalité de l'humanité dans les rapports de production capitalistes (dominés par les monopoles européens, anglo-saxons et japonais), donnant lieu à une nouvelle division internationale du travail. La dernière crise, commencée dans les années 1970, est entrée depuis le milieu des années 2000 dans sa phase terminale ; et l'on ignore comment elle se terminera.

    OU ALORS

    => la révolution prolétarienne ; l'abolition du mode de production capitaliste et l'instauration de rapports sociaux transitoires ("socialistes") vers le communisme. En plus de la crise elle-même (effondrement du taux de profit), le fait que la révolution soit à l'ordre du jour renforce la férocité des dominants, leurs massacres et guerres d'extermination, et la nécessité d'une réorganisation totale des rapports sociaux.

    La crise générale de la première moitié du 20e siècle déboucha sur une PREMIÈRE VAGUE de révolutions prolétariennes, qui couvrirent au milieu du siècle jusqu’à 1/3 de la population mondiale. Mais, pour de multiples raisons, les "cadres" de ces États révolutionnaires se muèrent en néo-bourgeoisie et rétablirent le capitalisme. Le vague "mourut" dans les années 1975-90. Aujourd'hui, avec la nouvelle crise générale, une DEUXIÈME vague de révolutions prolétariennes se lève dans le monde. On peut dire que la Guerre populaire au Pérou (1980-93) a été la "passerelle" entre la première et la deuxième vague ; laquelle a ensuite pris son essor avec la Guerre populaire au Népal (1996-2006), la reprise de Guerre populaire aux Philippines (fin des années 1990) et maintenant en Inde.

    En résumé :

    Gdes-conquetes-sociales-PC-36-.jpg> Réforme = adaptation des rapports de production et de l'ensemble de l'organisation sociale, par des mesures politiques ("droits", "libertés" etc.) et économiques (augmentation des salaires, diminution du temps de travail, congés payés, salaire minimum etc.), au niveau de conscience de masse induit par le niveau des forces productives. L'ensemble de ces mesures a un coût élevé. Elles sont permises par l'exploitation accrue des pays dominés, de leurs ressources et de leur force de travail. En temps de crise, elles sont intenables et conduisent à la guerre. Dans les pays dominés, elles peuvent être permises par une certaine réappropriation du produit national (comme au Venezuela avec Chavez) mais mènent au conflit avec l'impérialisme (et au renversement des réformistes, ou à leur "retour dans le rang"). Dans les pays "émergents", elles peuvent être permises par le fait que les pays impérialistes en crise vont y transférer la production pour essayer de maintenir le taux de profit (coût du travail moindre), permettant une forte croissance du PIB (cependant, cela restera très limité : dans chacun des B-R-I-C-S, la pauvreté relative du prolétariat par rapport aux classes favorisées reste terrible - idem dans les "dragons" et "tigres" asiatiques, les pays du Golfe etc.).

    Dans les pays impérialistes, la première grande crise générale du capitalisme a liquidé les forces politiques bourgeoises traditionnelles, "conservateurs", "libéraux" ou "radicaux", et polarisé la politique bourgeoise autour de la social-démocratie bourgeoise (symbolisée par Keynes, le New Deal, le Front populaire, la Suède) et du fascisme. Après 1945, le fascisme (de temps de crise et de guerre) a été remplacé en période de paix et de croissance par un "social-conservatisme" plus ou moins autoritaire (gaullisme, "système DC" en Italie, "système PLD" au Japon, "système CDU-CSU" en Allemagne etc. ; recyclant les vieux personnels fascistes - pétainistes en France - voire carrément les programmes - le programme du gaullisme était totalement repris des Croix-de-Feu des années 1930).

    Dans la nouvelle crise générale (depuis les années 1970), l'option social-démocrate/keynésienne semble se réduire comme une peau de chagrin (et ses forces politiques avec). Les deux partis qui (en général) polarisent la vie politique bourgeoise glissent inexorablement vers la droite, dans la liquidation des conquêtes démocratiques et sociales, le contrôle et la répression "préventive" des masses populaires ; tandis que les forces fascistes (parfois rebaptisées "droites populistes") ressurgissent en force.

    > Révolution = renversement de la classe dominante et de tout l'ordre social existant ; négation du mode de production et des rapports sociaux capitalistes ; affirmation d'un mode de production et de rapports sociaux communistes ; dans une phase de transition appelée SOCIALISME. Organisés démocratiquement, les prolétaires et les autres classes populaires autour d'eux exproprient et lenin1917s'emparent des moyens de production ; ils détruisent le vieil État bourgeois (n'en laissant pas "pierre sur pierre") avec toutes ses institutions, son organisation administrative, ses "relations sociales entre territoires" etc. ; et fondent leur propre État sur ces nouvelles bases.

    Un grand débat, dans le mouvement communiste, depuis les origines (en tout cas, depuis le début du 20e siècle), consiste en l'analyse des "réformes" : lorsque le "système" de domination capitaliste, sous la pression de la lutte du prolétariat et des classes populaires comme de sa propre crise, est amené à se réorganiser ainsi, a-t-on avancé ou reculé par rapport à l'objectif (conquête du pouvoir) ? Beaucoup pensent que l'on a reculé, que le système de domination capitaliste est renforcé, "plus fort que jamais"... C'est une thèse erronée, pessimiste et anti-dialectique. Aucun "cycle", aucun "processus" de négation du capitalisme par le prolétariat (par le caractère social de la production) ne "ramène en arrière". La défaite est éclatante en apparence : on n'a pas réussi à renverser la classe dominante / conquérir le pouvoir ; les consciences sont "endormies" par les concessions accordées... Mais c'est une défaite temporaire. Ne serait-ce que parce que les concessions accordées vont créer un "niveau de conscience supérieur" : une conception d'une "vie digne", des attentes et des aspirations, des notions d'"acceptable" et d'"inacceptable" plus élevées, plus avancées vers le socialisme et le communisme. Et lorsque, sous l'effet d'une nouvelle crise (brusque chute du taux de profit), la bourgeoisie va tenter de "reprendre de la main droite ce qu'elle a accordé de la main gauche", elle va se heurter à une nouvelle résistance acharnée du prolétariat et des masses, qui peut déboucher sur une situation d'ingouvernabilité, une situation révolutionnaire, si les communistes savent la conscientiser et l'organiser dans la durée. C'est ce que l'on voit en Grèce, où il greek-riots-2n'y a malheureusement pas de Parti communiste à la hauteur des enjeux (car la prise du pouvoir serait possible), mais où le pays entier est en feu. Le capitalisme, aujourd'hui en France, se donnerait beaucoup d'air en ramenant les masses populaires à leur condition de 1920 ou 1930 (48 heures de travail par semaine, pas de congés, pas de protection sociale etc.)... mais ce n'est pas possible sans provoquer une situation d'ingouvernabilité du pays, sans compter que cela impacterait la consommation (qui ne pourrait plus absorber l'offre) ; et c'est une contradiction intenable.

    Si, aujourd'hui, la remise en cause du "modèle social" dans les pays impérialistes ("grand chantier" des bourgeoisies depuis les années 1980) ne débouche pas sur une situation révolutionnaire, c'est en raison de la faiblesse du mouvement communiste et (partant de là) du mouvement ouvrier/populaire organisé en général. C'est parce que (cf. ci-dessous) beaucoup préfèrent regarder les places à prendre au niveau électoral (ou bureaucratique-syndical) tandis que d'autres préfèrent se regarder le nombril en s'imaginant être Lénine réincarné, plutôt que de reconstruire un mouvement communiste digne de ce nom. Partant de là, les travailleurs luttent pour sauver ce qu'ils peuvent, sous la conduite de partis et syndicats réformistes (chargés de négocier le "moindre mal" avec la bourgeoisie) toujours plus tirés vers la droite. Prière, donc, de ne pas faire porter le chapeau de sa propre incompétence, aux conquêtes que les masses en lutte ont (malgré tout) réussi à arracher au siècle dernier...

    Le Parti révolutionnaire

    partisans.jpgLe Parti révolutionnaire communiste, guidé par la conception communiste du monde et la stratégie révolutionnaire adaptée à la situation concrète (élaborées à la lumière de la science marxiste de notre époque : le marxisme-léninisme-maoïsme) ; est l'avant-garde la plus consciente et organisée de la seule classe révolutionnaire jusqu'au bout : le prolétariat.

    Le Parti ne descend pas du ciel, apporté par le "génie" de quelques cercles "éclairés" : il naît, se forge et grandit dans le mouvement réel de la lutte des classes au quotidien, dans la résistance quotidienne (pas seulement lors de "grands mouvements" médiatisés) du prolétariat et des classes populaires opprimé-e-s contre l'oppression de la classe dominante ; car "là où il y a oppression, il y a résistance", tel est le mouvement dialectique de toutes les luttes entre classes sous tous les modes de production ; et "le marxisme comporte de multiples principes, mais ils peuvent tous se ramener en dernière analyse à une seule phrase : on a raison de se révolter contre les réactionnaires" (Mao).

    Ainsi, du mouvement dialectique de résistance (du prolétariat) contre l'oppression (capitaliste), naît la conscience de classe (d'être opprimé en tant que classe), la volonté d'en finir avec "ce qui cause nos misères", et la nécessité de s'organiser et d'agir pour cela. Lorsque la conscience s'organise pour agir, elle devient une force matérielle. Ensuite, dans le mouvement réel de la lutte, de la résistance à l'oppression, différents degrés de conscience (des problèmes et des buts) et d'organisation se détachent au sein des masses...

    pce---cartell.jpgAinsi naît une avant-garde à la conscience (de la situation et des objectifs, du problème - le capitalisme - et de sa solution - son renversement révolutionnaire) et à l'organisation plus avancée, et qui, en forgeant encore dans la science marxiste ET dans la pratique sa conception du monde et sa stratégie révolutionnaire, devient le Parti ; et agrège alors autour d'elle toutes les luttes des opprimé-e-s et des exploité-e-s dans la grande lutte pour le renversement de la domination : la GUERRE POPULAIRE.

    Ce phénomène, appelé le Parti, est, il faut le dire, beaucoup plus rare en réalité qu'en apparence. Il ne suffit pas de se dire "Parti" pour l'être ; il ne suffit pas de se dire communiste pour être communiste. C'est malheureusement ce que de nombreux-ses jeunes (ou moins jeunes) prolétaires, venus frapper à telle ou telle porte sur laquelle est écrit "communiste", expérimentent tous les jours.

    Sur l'ensemble du mouvement se déclarant "communiste", pris au sens le plus large (incluant les anarcho-communistes ou les communistes libertaires), que pouvons nous distinguer ?

    Nous pouvons dire, en dernière analyse, qu'il existe deux sortes de personnes se proclamant "communistes" ou plus largement "révolutionnaires" :

    - les vrais révolutionnaires, qui correspondent à la définition du Parti donnée plus haut, sont les personnes à la conscience forgée dans le mouvement réel oppression/résistance, qui se donnent pour but de SERVIR LE PEUPLE (les masses du prolétariat et des autres classes populaires opprimées), d'en  élever la conscience et l'organisation jusqu'à leur permettre de balayer la cause de leurs souffrances :  la classe dominante - en ce qui nous concerne, les capitalistes (et leurs cadres supérieurs et dirigeants, leurs politiciens, leur appareil d’État, leurs serviteurs blackpanther bébé sertlepeupleidéologiques, leurs agents de répression etc.). Pour être plus précis : le Parti est l'élément moteur et directeur de ces forces révolutionnaires, car il possède la meilleure conception révolutionnaire du monde et la meilleure stratégie pour la victoire ; toutes deux forgées dans la lutte réelle de classe, à la lumière de la science marxiste. Le Parti ne peut donc être que les révolutionnaires armés de la science marxiste la plus élaborée de notre époque, qui est le marxisme-léninisme-maoïsme.

    - et puis, il y a les personnes qui ne mènent la lutte révolutionnaire que pour ELLES-MÊMES, pour s'auto-satisfaire. Chez un grand nombre de personnes, existe une divergence entre l'importance qu'elles se donnent à elles-mêmes et l'importance que leur offre la société capitaliste en son sein. Ces personnes vont donc affronter le capitalisme, afin d'essayer de "conquérir" l'importance sociale qu'elles estiment mériter. Ce serait une grave déformation du marxisme que de considérer que l'être humain est motivé uniquement par des considérations matérielles : bien sûr, le rôle de "dirigeants révolutionnaires" dans lequel se voient certain-e-s n'est sans doute pas exempt d'avantages matériels ; mais la reconnaissance par les autres, la satisfaction que l'on a de soi, la "vibration existentielle" d'être sur le pavois sont également des moteurs importants du comportement humain.

    À partir de là, ces personnes se subdivisent en deux catégories :

    > Les personnes qui, dans le mouvement réel de la lutte, s'aperçoivent qu'une simple réforme de la société capitaliste actuelle, une simple mise à niveau de l'organisation sociale avec les forces productives et la conscience engendrée peut suffire à satisfaire leurs ambitions. Ces personnes sont les OPPORTUNISTES, elles sont la direction réformiste d'une grande partie du mouvement ouvrier/prolétaire/populaire organisé. D'autres (de culture suffisamment réactionnaire) peuvent devenir des cadres fascistes.

    44569466 prachanda body apLeur "base" va être constituée par les larges masses dans lesquelles domine le sentiment possibiliste : l'idée que, lorsque l'on souffre (de la misère, de l'exploitation, de l'oppression en tout genre etc.), il vaut mieux améliorer sa condition "un peu, tout de suite" que d'espérer en une révolution que l'on ne verra peut-être jamais de son vivant. Bien sûr, les communistes ne s'opposent pas à la conquête d'améliorations immédiates pour la vie des masses (sachant que la bourgeoisie cherchera tôt ou tard à les reprendre "de la main droite", et que ce sera l'occasion de nouveaux affrontements de classes). Mais les réformistes sont ceux qui font des ces conquêtes immédiates la fin en soi de leur militantisme. Les opportunistes (ceux qui se cherchent une place, un strapontin dans une politique réformiste de la bourgeoisie) et leurs troupes possibilistes forment le réformisme.

    En définitive, ils vont se placer, et placer leurs troupes, sous l'hégémonie idéologique et culturelle de la gauche réformiste bourgeoise : la frange de la bourgeoisie qui considère que pour se maintenir il faut faire des concessions (démocratiques et sociales) aux masses, essayer de mettre les rapports sociaux en adéquation avec la conscience collective engendrée, dans les masses, par le niveau des forces productives. C'est le destin qu'ont connu, pratiquement sans exception, tous les Partis communistes issus de la IIIe Internationale, à partir d'une interprétation erronée du Front populaire antifasciste dans les années 1930, et du triomphe du révisionnisme dans les années 1950. Dans l’État bourgeois "France", le dernier aboutissement de ceci est le Front de Gauche.

    > Les personnes pour qui même une réforme importante de l'organisation sociale n'offrirait pas de "place" conforme à l'importance qu'elles se donnent. Elles sont donc condamnées à la "surenchère" révolutionnaire. Ce sont ceux que l'on appelle les "gauchistes", les "dogmato-sectaires" et autres gourous "ultra-maximalistes", "plus rouge que moi tu meurs". Plusieurs choses les caractérisent. D'abord le sentiment de frustration qui les anime, confinant à la névrose, les pousse à une grande agitation, une Kakashi_Rouge2.jpggrande surenchère "radicale", à l'impatience, à ne pas se satisfaire devant la "lenteur", la "timidité" apparente du mouvement réel, qui ne trouve par conséquent jamais grâce à leurs yeux.

    Ensuite, ils ne peuvent tolérer aucun mouvement réel qu'ils ne dirigent pas (c'est à dire aucun tout court). Forcément, si un tel mouvement se transformait en situation révolutionnaire, ils n'en seraient pas les glorieux dirigeants ! Ainsi, s'ils peuvent parfois fantasmer sur telle ou telle cause lointaine et/ou ancienne (la Guerre populaire au Pérou, l'Autonomie italienne), ils rejetteront et vomiront toujours sur les avancées du mouvement réel se déroulant à leur porte (en Europe, ou juste au Sud de la Méditerranée). Une autre caractéristique est que leurs rapports avec les autres forces révolutionnaires ne sont pas sur le registre du "débat franc et ouvert" et du "voyons ce que nous pouvons faire ensemble", mais de la concurrence de boutiquier et de l'attaque, du crachat systématique.

    Enfin, à la frustration causée par le capitalisme lui-même s'ajoute celle du rejet qu'ils suscitent, instinctivement, dans les masses populaires. Celle-ci débouche sur l'aigreur et sur le repli sectaire, considérant que si tout le monde les rejette c'est qu'ils ont raison contre tout le monde.

    Leurs "troupes" sont ce que l'on peut appeler les "petit-e-s névrosé-e-s occidentaux-ales" : cette frustration existentielle dont nous venons de parler touche en effet - aussi - de nombreuses personnes du prolétariat et des classes populaires. Face au "néant" apparent de l'existence, beaucoup de ces personnes sont tentées de "vivre leur vie comme un jeu de rôle" : comment résister à l'attrait d'un groupe, qui vous propose (rien de moins !) que d'être les nouveaux bolchéviks !?

    Parfois, les groupes ne survivent pas à leur leader "charismatique". Parfois, cependant, ils sont auto-reproductifs (il se trouve toujours de nouveaux "cadres éclairés" pour remplacer les anciens) et peuvent même atteindre une certaine taille, comme certaines organisations trotskystes bien connues.

    Il arrive également, assez souvent, que ces groupes "lâchent l'affaire" après un certain temps et versent dans le réformisme (si la bourgeoisie sait leur proposer des strapontins).

    Dans tous les cas, ils sont (heureusement) infiniment moins nombreux que les opportunistes et leurs troupes possibilistes...

    Malheureusement, les organisations, le mouvement communiste et le mouvement ouvrier/populaire en général peuvent être complètement prisonniers de ce "dialogue du berger et de la bergère" entre opportunistes et sectaires, entre ceux que parviennent à capter les opportunistes et les disciples des gourous gaucho-sectaires. Lorsque les uns passent sous la coupe de la gauche réformiste bourgeoise et que les autres, en réaction, se replient sur le dogme et le sectarisme ; il est clair que la classe dominante a remporté une grande victoire. Ainsi l'explique le (nuovo)PCI dans son Manifeste Programme : "Ils [la gauche réformiste bourgeoise] ne sont un danger pour notre cause que dans la seule mesure où ils réussissent à influencer la conduite du Parti communiste [on pourrait dire : du mouvement communiste en général], à alimenter dans nos rangs l'opportunisme et le révisionnisme par émulation, timidité idéologique ou corruption, ou le sectarisme et le dogmatisme par réaction défensive : en somme, dans la mesure où ils parviennent à agir sur nos contradictions internes."    

    D'une manière générale, les forces ouvertement réformistes ou gauchistes sont incapables de mener à bien la révolution, d'assurer la prise du pouvoir par le prolétariat.

    Pour autant, lorsque le Parti accomplit cette tâche, et remplace l’État du Capital par l’État révolutionnaire du prolétariat, il emmène automatiquement avec lui des contradictions importantes du capitalisme et de la société de classe en général : dirigeants/dirigés, cadres/exécutants, etc. C'est sur la base de ces contradictions que peut se reformer, à tout moment, une nouvelle bourgeoisie qui ramènera le pays sur la voie du capitalisme. Contre cela, c'est un enseignement essentiel du maoïsme, de nouvelles révolutions devront avoir lieu.

    MAIS, sans Parti, il n'est pas possible de conduire le mouvement réel de la lutte de classe jusqu'au renversement de la classe dominante. Tout au plus obtiendra-t-on une grande réforme de l'organisation sociale, qui tentera de mettre les rapports de production et l'ensemble des rapports sociaux, l'organisation sociale, "à la hauteur" du niveau des forces productives et de la "conscience de masse" qu'il engendre (aspirations des masses, notion de "ce qui est acceptable" et ce qui ne l'est pas, etc.), afin d'abaisser le niveau de contestation. Telle est la limite du spontanéisme, qui considère qu'un mouvement social suffisamment massif et déterminé peut suffire à renverser la classe dominante. Lénine nous a enseigné, sur la base de l'expérience concrète, que "les masses sont spontanément trade-unionistes" (c'est-à-dire réformistes, se contentant de petites améliorations immédiates de leurs conditions de vie, et rentrant dans leurs chaumières une fois satisfaction obtenue). Seul le Parti rend possible de maintenir la conscience et l'organisation du prolétariat dans la durée, dans un processus prolongé.

    lenineToutefois, l'erreur inverse serait le "partidisme", la croyance élitiste en la "supériorité" du Parti, considérer que le Parti a "toujours raison", y compris contre les masses. Comme nous l'enseigne (là encore) Lénine : "Une des plus grandes erreurs des communistes (comme généralement de tous les révolutionnaires qui ont accompli victorieusement le début d'un grande révolution), c'est l'idée qu'une révolution peut-être faite par les révolutionnaires seuls.
    Au contraire, tout travail révolutionnaire sérieux nécessite, pour son succès, la compréhension et la traduction en actes de l'idée que les révolutionnaires sont seulement capables de jouer le rôle d'avant-garde de la classe vraiment dynamique et avancée.
    Une avant-garde ne remplit sa tâche d'avant garde qu'en se montrant capable d'éviter le divorce d'avec les masses qu'elle mène et quand elle est vraiment capable de mener toute la masse en avant. Sans une alliance avec les non-communistes dans les domaines les plus divers, il ne peut être question d'une œuvre constructive communiste couronnée de succès.
    "

    Ou encore, comme disait Mao Zedong : "Les masses sont les véritables héros, alors que nous-mêmes, nous sommes souvent d'une naïveté ridicule. Faute de comprendre cela, il nous sera impossible d'acquérir les connaissances même les plus élémentaires".

    Être révolutionnaire, être communiste, être marxiste

    Être révolutionnaire est une conscience qui se développe, chez les individus, dans le mouvement dialectique entre l'oppression de la classe dominante et la résistance des classes exploitées, en particulier la plus exploitée, qui dans le capitalisme est le prolétariat. Être révolutionnaire est un sentiment "viscéral", qui "vient des tripes" ; il vient du fait que l'espèce humaine est une espèce sociale qui, à l'origine, est programmée pour ne pas être insensible à la souffrance de ses semblables - en plus d'avoir, comme tout être vivant, le souci individuel d'assurer sa propre existence matérielle.

    che cigareLa meilleure définition en a été donnée par Ernesto "Che" Guevara de la Serna qui, bien que de famille bourgeoise, se rangea dans le camp de la Révolution prolétarienne mondiale et y fit don de sa vie : "Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. C'est la plus belle qualité d'un révolutionnaire".

    Ceci est le prérequis : si l'on n'est pas un révolutionnaire, on ne peut pas être un communiste, encore moins un marxiste. On peut avoir "toujours une citation au coin de la bouche", connaître par cœur ses "classiques", on n'en reste pas moins qu'un phraseur. Exemple : on peut regretter que des forces réactionnaires et/ou pro-impérialistes aient pris la direction des masses populaires en Libye et en Syrie. Pour autant, ne ressentir aucune émotion, aucune révolte lorsque Kadhafi et Assad font massacrer les masses populaires, car, après tout, "Marx a expliqué que la fonction de l’État, c'est de maintenir par la violence la domination d'une classe", ce n'est pas être marxiste ni communiste. Car on n'est pas un révolutionnaire.

    Être communiste, c'est avoir déjà une vision précise de ce que l'on veut à la place de la société actuelle : une société sans classes et sans exploitation, sans oppression, où "le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous", "de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins". Ce terme regroupe les communistes marxistes et les communistes libertaires. Les marxistes considèrent que l'instauration du communisme sera le fruit d'un long processus de négation du capitalisme, par la lutte révolutionnaire prolongée (Guerre populaire) puis par la transition socialiste : un long processus de liquidation des rapports de production, de tous les rapports sociaux et de la culture capitaliste, et de remplacement par des rapports et une culture communiste. Les libertaires et les anarcho-communistes considèrent qu'il est possible de renverser la classe dominante "d'un coup", par une "grève générale insurrectionnelle" se transformant en "Grand Soir" ; et d'instaurer immédiatement le communisme.

    Enfin, être marxiste, c'est être armé d'une théorie scientifique élaborée, permettant d'avoir une compréhension scientifique du monde et du pays dans lequel on vit, et d'élaborer une stratégie révolutionnaire adaptée, se déclinant en tactiques correctes dans les différentes étapes du processus révolutionnaire. Le meilleur exposé de cela est peut-être dans ces mots du "radical" anglais Bertrand Russell, au sujet de Lénine : "Dans les révolutions, on relève habituellement trois groupes d'hommes : ceux qui animent la révolution parce qu'ils ont un tempérament anarchique et turbulent ; ceux que les souffrances personnelles ont rendu amers ; puis il y a ceux qui ont une conception définie d'une société différente de celle qui existe, ce qui, si la révolution triomphe, leur permet de travailler à la création d'un monde stable, en accord avec leurs conceptions. Lénine appartenait à ce troisième type d'hommes, le plus rare, mais aussi, de loin, le plus utile".

    En somme, ce qui définit un marxiste, c'est la scientificité de sa démarche. En presque 170 ans d'existence (depuis les années 1840), la théorie scientifique marxiste a avancé par bonds, toujours sur la base de l'expérience pratique du mouvement réel et de l'analyse concrète de la situation concrète. Marx et Engels (et d'autres encore, mais essentiellement eux) ont élaboré la théorie marxiste, dont l'ouvrage phare est bien sûr Le Capital. Au début du 20e siècle, pourtant, cette théorie se révéla insuffisante, car nous étions entrés dans l'ère de l'impérialisme, des monopoles, du capitalisme réactionnaire sur toute la ligne, et les dirigeants socialistes d'alors, impuissants à comprendre la réalité qui les entourait, en mao-zedong-1.jpgétaient venus à rejeter les thèses mêmes du marxisme (nécessité d'une révolution au profit d'une "évolution pacifique, réformiste" vers le socialisme etc.). En comprenant ce passage de l'humanité à l'ère impérialiste, Lénine enrichit la compréhension scientifique marxiste du monde : son apport deviendra le marxisme-léninisme et sera mis en pratique par les dirigeants communistes des années 1920-30-40, tels que Staline, Dimitrov, Gramsci, Hô Chi Minh, Mariategui etc. Mais ce n'était pas encore suffisant : après la Seconde Guerre impérialiste mondiale, le capitalisme connut un nouveau cycle d'accumulation, la révolution prolétarienne ne parvint toujours pas à gagner les pays impérialistes d'Europe de l'Ouest, les révolutions nationalistes bourgeoises dans les colonies et les semi-colonies maintinrent ces pays dans les griffes de l'impérialisme ; et, surtout, une nouvelle bourgeoisie prit le pouvoir en URSS et, véritables capitalistes d’État, ramenèrent celle-ci vers le capitalisme pur et simple (processus achevé en 1990). Face à tout cela, Mao Zedong en Chine et d'autres à travers le monde après lui (Mazumdar en Inde, Sison aux Philippines, Kaypakkaya en Turquie, Gonzalo au Pérou, d'autres en Italie etc. etc.) enrichirent encore la théorie pour aboutir au marxisme-léninisme-maoïsme, qui est le marxisme révolutionnaire de notre époque.

    Le Che, que l'on a cité plus haut, était assurément un communiste, de formation marxiste-léniniste. Mais sa démarche manqua de scientificité, elle fut imprégnée d'idéalisme et de volontarisme ; il crut que l'on pourrait répéter indéfiniment la prise de pouvoir très rapide réalisée à Cuba (dans des conditions très particulières), et ces erreurs finirent par lui coûter la vie. Ceci est une illustration de l'importance de la scientificité dans la direction du processus révolutionnaire.

    Pour autant, la science marxiste (socialisme scientifique) ne doit pas devenir un dogme. Comme toute science, elle est un phénomène vivant, appelée à se développer encore et encore dans l'analyse concrète de la situation et dans la pratique ; c'est une science JEUNE (un siècle et demi) qui a encore devant elle mille et une situations concrètes qui n'ont pas été affrontées et analysées à ce jour. Dans l'Anti-Dühring, Engels appelait à faire preuve de la plus grande prudence, dans la prétention à la vérité scientifique absolue : même dans les sciences exactes et, a fortiori, dans les sciences humaines, nous devons être méfiants à l'égard de nos connaissances, car "nous sommes encore plutôt au début de l'histoire de l'humanité et que les générations qui nous corrigeront doivent être bien plus nombreuses que celles dont nous sommes en cas de corriger la connaissance, - assez souvent avec bien du mépris". Si Engels avait une grande sympathie pour les théories de Darwin, il affirmait ainsi que "la théorie de l'évolution elle-même est encore très jeune et on ne saurait donc douter que la recherche future ne doive modifier très sensiblement les idées actuelles, voire les idées strictement darwiniennes, sur le processus de l'évolution des espèces"... Le marxisme étant une science, il en va de même pour le marxisme. On l'oublie souvent mais Galilée ne fut pas jugé (et Giordano Bruno brûlé !) en vertu d'obscures superstitions ne reposant sur rien, mais au contraire en vertu d'une théorie parée de toute la scientificité de son époque : le "système de Ptolémée" ; d'un astronome gréco-égyptien du 2e siècle après Jésus-Christ qui considérait que la Terre était le centre de l'Univers et que la Lune, le Soleil et tous les astres et la voûte céleste tournaient autour... ce qui est effectivement la première impression que l'on a si l'on observe l'Univers depuis la Terre ! On voit bien que la connaissance humaine est vivante et évolutive, et que les "vérités" les plus "établies" peuvent être complètement à côté de la réalité. Il en va de même avec la compréhension de l'évolution des sociétés humaines qu'est le marxisme.

    Mao a dit et répété, dans ses travaux sur la dialectique, que dans toute chose la stabilité, l'immuabilité, la "finitude" étaient l'exception, forcément momentanées, tandis que le mouvement, l'évolution, l'élaboration DANS LA LUTTE étaient la norme. Il en va donc nécessairement de même pour la science marxiste, dont le caractère "parfait" et "fini" ("tout est dit") est forcément exceptionnel et momentané et dont l'état normal est l'évolution et l'élaboration permanente à travers les enseignements de l'expérience concrète, la confrontation "fraternelle, franche et ouverte" entre idées justes et idées fausses, la lutte plus ou moins antagonique (aussi antagonique que nécessaire !) contre les positions liquidatrices opportunistes ou gauchistes, etc. etc.

    C'est ainsi que pour nous le marxisme, le léninisme et le maoïsme donnent les noms de personnalités particulièrement marquantes (Marx, Lénine et Mao) à des ÉTAPES, des JALONS du développement de la science révolutionnaire du prolétariat (socialisme scientifique) sans que cela ne signifie en aucun cas que la pensée et la pratique concrète de ces personnalités aient été exemptes de toute erreur, totalement infaillibles et qu'elles soient insusceptibles de critique (surtout avec le recul historique), comme l'explique fort bien cet excellent article maoïste canadien dont nous partageons totalement le point de vue : Marxisme au-delà de Marx, léninisme au-delà de Lénine, maoïsme au-delà de Mao.

    Un communiste doit donc d'abord, avant tout et en toutes circonstances PENSER AVEC SA TÊTE - en s'appuyant, certes, sur ce que les 170 années d'expérience antérieure ont apporté comme enseignements et "outils" universels et intemporels de compréhension des choses ; "outils" synthétisés par les "grands auteurs" (les fameux "classiques") et notamment leurs trois grands "jalons" Marx, Lénine et Mao, mais se trouvant (dans l’œuvre de ces "classiques") au milieu de propos parfois erronés, ou (beaucoup plus souvent) justes mais intransposables en dehors du contexte (lieu et époque) de l'auteur, etc. etc.

    Rien n'est plus insupportable que ces "communistes" se drapant dans la "scientificité" alors qu'ils ne font que réciter un dogme... Cela renvoie à ces personnes étudiée plus haut, qui ne cherchent pas à SERVIR LE PEUPLE (et donc à donner au marxisme la meilleure compréhension du monde possible) mais à satisfaire leur égo en se posant en "Gardiens du Temple".

    Attention cependant : il y a aussi, toujours pour satisfaire leur égo, des gens qui prétendront au contraire "repenser" ou "dépasser" le marxisme. Des exemples récents sont Toni Negri, ou encore Bob Avakian (du PCR-USA) avec sa "nouvelle synthèse". Mais, dans ce cas, le rapprochement avec des théories révisionnistes passées permet assez facilement de les démasquer ; ainsi que leur pratique (chercher la reconnaissance des médias et des intellectuels bourgeois ; ou carrément devenir un notable bourgeois dans toute sa splendeur, comme Prachanda). La pratique est souvent bien plus parlante que les discours théoriques en ce qui concerne les motivations de tel ou tel "génial leader"... Là encore (cf. plus haut), le résultat pratique de ces "révisions" du marxisme est de placer le prolétariat organisé sous la coupe de la "gauche" de la classe dominante.

    [À lire aussi à ce sujet, passionnant, cet entretien-débat de 1977 entre Charles Bettelheim, l'ex-GP Robert Linhart et deux membres de la revue Communisme, dans lequel s'expriment leurs différents points de vue et analyses, autrement dit un peu tous les nécessaires "pour" et "contre" pour réfléchir à la question : http://ekladata.com/Sur-le-marxisme-et-le-leninisme.pdf]

    L’État révolutionnaire, le socialisme

    revolution-culturelle.jpgIl faut reconnaître que les expériences révolutionnaires du siècle dernier ont été soumises à des attaques et des manœuvres d'encerclement contre-révolutionnaires féroces. Pour autant, une grande limite de la conception communiste du monde, au 20e siècle, est sans doute de n'avoir pas assez saisi la vocation de l’État révolutionnaire (et du Parti à sa tête) à viser son propre dépérissement. Même en Chine, la Révolution culturelle, plus exaltante expérience révolutionnaire du siècle, a finalement donné lieu à une "reprise en main" (1969-71) sous le prétexte d'éviter le "chaos"... Les partisans de la ligne d'une Révolution culturelle comme "mobilisation de masse contre la clique révisionniste" l'emportèrent sur les partisans d'une Révolution culturelle comme négation gigantesque et sans précédent de tous les vieux rapports sociaux, les vieilles habitudes, mentalités et pratiques bourgeoises et féodales qui traversaient la société chinoise millénaire, et formaient le terreau matériel, concret, des idées révisionnistes (les partisans de cette deuxième vision des choses étaient essentiellement la "Bande des Quatre", autour de Jiang Qing, l'épouse de Mao).

    C'est sur cette limite de la conception communiste du monde que purent s'infiltrer ou se former (c'est la condition matérielle qui détermine la conscience...) des éléments néo-bourgeois, ne voyant la société socialiste ou "démocratique populaire" que comme le moyen d'être "importants", d'être des "cadres", de "diriger", et au final de prospérer en "dignitaires" sur l'accaparement d'une fraction (toujours plus importante) de la richesse produite par les travailleurs.

    Le problème, en réalité, est que le socialisme ne doit pas être vu comme un mode de production en tant que tel. Le socialisme, pour SLP, est un processus de négation du mode de production et des rapports sociaux capitalistes, et d'affirmation de la propriété collective (démocratique) des moyens de production et de rapports sociaux communistes : "de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins". Un processus qu'il est facilement possible, à son début (dans les 40, voire 50 premières années) d'inverser ; et dans lequel, d'une manière générale, c'est reculer que d'être stationnaire.

    brejnev_honecker.jpgLe révisionnisme, justement, désigne (dans les pays socialistes ou de "démocratie populaire") cette inversion du processus ; une liquidation graduelle de la propriété collective-démocratique et des rapports sociaux collectivistes déjà institués, un renforcement des rapports de production et des rapports sociaux capitalistes persistants (notamment sous la forme d'un capitalisme d’État), puis carrément une remise en vigueur des formes de propriété et de production capitalistes abolies - pour finir, comme en URSS en 1991-92, par une "mise à la découpe" de la propriété (formelle, non-démocratique) d’État, constituant d'immenses monopoles attribués à des "oligarques".

    Ce processus est permis par une dynamique insuffisante de la ligne rouge révolutionnaire, qui empêche les "sauts qualitatifs" nécessaires pour transformer la société (hier capitaliste et/ou féodale) en société égalitaire communiste, empêche la "relance" régulière du processus socialiste de négation du capitalisme et d'affirmation du communisme ; et permet, au final, aux néo-bourgeois de s'affirmer à la tête du Parti et de l’État, ramenant la société vers le capitalisme. Certes, ce processus ne ramène jamais au point de départ (1917 en Russie et dans les autres ex-Républiques, 1949 en Chine) : en général, il a permis une formidable modernisation du pays, une "révolution" industrielle, technologique et scientifique, l'anéantissement total des formes sociales féodales etc. Mais ce qui, à son terme, est au pouvoir, correspond à la définition marxiste d'une bourgeoisie (que ce soit en Russie - où le capitalisme est "officiellement" rétabli - ou en Chine, au Vietnam etc.).

    Face à cela, la solution, ébauchée par les maoïstes dans les années 1960, est ce qu'ils appelaient de "nouvelles révolutions" : une relance par les masses (et non par des "purges" internes au Parti) de la "marche au communisme", de la transformation révolutionnaire, socialiste, de la société en une société communiste (collectiviste, démocratique, égalitaire, où "le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous").

    L'encerclement du Centre par les Périphéries

    Ce n'est pas un "substitut" à la lutte des classes, qui serait remplacée par une "lutte du Centre et des Périphéries". Il s'agit du "sens d'où le vent souffle", du sens de déploiement de la Révolution prolétarienne mondiale.

    Et pour savoir d'où le vent souffle, pas besoin d'un présentateur météo (don't need a weatherman to know which way the wind blows): il suffit d'ouvrir les yeux.

    Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir qu'il souffle de l'Inde et de l'Asie du Sud, des Philippines, de l’État turc ; des révoltes populaires qui ont secoué les pays arabes et se poursuivent ; de celles qui éclatent à leur tour en Afrique (dernièrement au Sénégal) contre l'ordre néo-colonial ; de la Palestine qui résiste encore et encore sous la botte des héritiers fascistes de Jabotinsky ; de l'Amérique latine où les gouvernement "de gauche" parviennent de moins en moins à contenir les aspirations des peuples à la justice et à la dignité ; et il souffle en direction de la "forteresse Europe" et de la "citadelle yanqui" qui tirent les ficelles de l'exploitation.

    En Europe même, il souffle de la Grèce en feu, il se lève d'Italie, de l’État espagnol, du Portugal et d'Irlande, et bientôt sans doute d'Europe de l'Est ; vers l'axe impérialiste franco-allemand et leurs marionnettes de la BCE et de la Commission de Bruxelles. Dans chaque pays, il se lève de ces territoires déshérités, relégués et "tiers-mondisés", du Mezzogiorno et des corons du Nord, de Marseille et de Glasgow, du Borinage wallon et de Sardaigne, vers les capitales politiques et économiques. Dans chaque grande métropole, il se lève des quartiers populaires, des ghettos de relégation du prolétariat, vers les centres bourgeois où brillent les néons et les vitrines du capitalisme.

    zone tempêtesCe n'est pas de la théorie pour le plaisir de la théorie ; c'est un constat de fait, objectif. Le même constat de fait que celui de Mao, dans les années 1930, lorsqu'il arriva à la conclusion que la guerre révolutionnaire devait naître et grandir dans les campagnes écrasées par la misère, par les féodaux et les bureaucrates à la solde de l'impérialisme ; pour encercler et étrangler les villes, forteresses du pouvoir, et enfin y faire leur jonction avec la classe ouvrière pour l'assaut final...

    La réalité est que le capitalisme (devenu monopoliste, impérialiste) s'appuie sur des Centres, où se concentrent non seulement la richesse mais aussi le POUVOIR, politique, économique et culturel ; généralement là d'où est partie la "révolution" et le développement capitaliste. À partir de là, le capitalisme a "rayonné" progressivement, par cercles concentriques, en "aménageant" toujours le territoire et en pliant toujours la société à ses intérêts, à SON objectif existentiel : l'accumulation du capital. Ce phénomène s'est amplifié au 20e siècle, lorsque la haute bourgeoisie, devenue monopoliste, a voulu modeler toute la société à son image.

    Ainsi, en cercles concentriques, le capitalisme a pénétré et déstructuré les vieilles sociétés paysannes et mercantiles (voire primitives, outre-mer) et créé des Périphéries où se concentrent l'exploitation, l'oppression et l'aliénation.

    À la périphérie des grandes métropoles économiques se trouvent les quartiers populaires, les ghettos pour prolétaires. Dans les pays impérialistes s'y concentre la force de travail importée des ex- et néo-colonies, et ces ghettos font parfois l'objet d'un véritable "traitement colonial intérieur" par les autorités. Dans les pays dominés, pauvres ou "émergents", ce sont les fameux "bidonvilles", "slums", "favelas", "townships", "barriadas" etc.

    Dans chaque pays (impérialiste comme dominé ou "émergent") se trouvent des régions périphériques (pas forcément au sens géographique : c'est une image) où se concentrent le taux de pauvreté et de chômage, les "déciles inférieurs de revenus", l'espérance de vie au dessous de la moyenne, l'illettrisme et/ou la faible qualification, le manque d'infrastructures et de services publics, etc.

    Enfin, au niveau mondial, il y a évidemment les pays "développés" et les pays "en développement", le "tiers-monde" ; pour les marxistes, il y a des pays impérialistes (ou "dépendants" mais hautement avancés, comme la Corée du Sud, Taïwan ou les pays du Golfe) et des pays dominés, exploités et affamés. Telle est la répartition mondiale des richesses par l'impérialisme. Ces pays du "tiers-monde" (possessions directes des États impérialistes ou pseudo-"indépendants" mais sous contrôle de fait) ont envoyé, depuis le milieu du siècle dernier surtout, de la force de travail (travailleurs immigrés) vers les pays impérialistes, ce qui a formé des "colonies intérieures" qui sont en quelque sorte les "ambassadeurs" du "tiers-monde" au "cœur du monstre" impérialiste.

    Tout cela a formé des cercles concentriques et, dans l'idéologie qui sert de ciment à tout cela, une "hiérarchie" des peuples. À partir de là (c'est capital de le souligner), rien n'est plus facile pour le capitalisme-impérialisme que de dresser les cercles les plus proches du Centre contre les cercles plus éloignés, afin d'assurer sa domination sur l'ensemble. L'Occitanie, par exemple, n'est pas aussi uniformément lepéniste qu'on le dit ; de fait on y trouve les plus hauts scores FN d'Hexagone mais aussi les plus bas ; pour autant le racisme envers les "non-blancs", les personnes issues des colonies et des semi-colonies, est bel et bien présent. Cela permet à l'Occitan de se sentir "français" par opposition aux Arabes et aux Noirs, et donc d'entrer dans cette prison mentale qu'est la "francité" tricolore...

    À présent, "la balle revient à l'envoyeur" et c'est des Périphéries vers les Centres que se déploie la négation du système capitaliste et impérialiste sur la planète.

    GPP IndeAu niveau planétaire, dans la division internationale du travail qui s'est mise en place au cours du 20e siècle impérialiste, il est évident (sauf pour un aveugle, ou celui qui ne veut pas voir) que les masses les plus exploitées et opprimées se trouvent dans les pays du "tiers-monde" : Afrique, Asie, Océanie et Amérique latine. Les luttes révolutionnaires des masses de ces continents vont donc encercler et étrangler les métropoles impérialistes (Europe de l'Ouest, Amérique du Nord, Japon, Australie etc.), dans lesquelles va grandir à son tour la conscience et la lutte de classe. 

    Ensuite, dans chaque pays, les communistes travaillant à la Guerre populaire doivent déterminer  quelles sont les "villes" et les "campagnes". Dans les pays dominés et arriérés, ou même "émergents" comme l'Inde ou le Brésil ou l'Afrique du Sud, ou "jeunes impérialismes" comme la Russie et la Chine, c'est généralement assez évident. En Chine, les "villes" sont les gratte-ciels de Pékin, Shangaï, Canton, Shenzen etc. ; en Russie, Moscou et Saint-Pétersbourg : dans ces pays la classe ouvrière est très clairement la force principale, et les "campagnes" sont les bassins ouvriers géants comme Chongqing, Chengdu et la Mandchourie en Chine, ou l'Oural en Russie. En Inde, les grands centres sont Bombay ou Delhi ; au Brésil, Rio ou São Paulo ; en Afrique du Sud, Johannesbug et Le Cap. Dans chacun de ces pays, les luttes ouvrières et paysannes doivent se combiner et c'est aux communistes de définir les tâches de chacune. En Inde, les luttes paysannes, des sans-terres et du prolétariat rural (et des populations "premières") ont été définies comme principales par les maoïstes, qui déploient en même temps un important travail de mobilisation et d'organisation en direction de la classe ouvrière des grands centres industriels.

    Dans les pays impérialistes (ou, en tout cas, hautement industrialisés et avancés), c'est également aux communistes de définir, dans chaque cadre étatique bourgeois (Italie comme État espagnol, Royaume-Uni comme État français), quelles sont les "campagnes". Il est évident qu'avec 5 à 10% de paysans, même s'ils sont généralement très pauvres et doivent être défendus (contre les géants de la distribution et leurs centrales d'achats, les banques et leurs prêts hypothécaires etc.), la question paysanne ne peut être que corollaire : la force motrice est le prolétariat, la classe ouvrière et les autres salariés pauvres (30% de la population touche moins de 1200 € par mois, 50% moins de 1500€) qui sont ses alliés naturels.

    oc-antifa1.gifPour Servir le Peuple, l’État bourgeois "France" a la particularité (historique) d'avoir une importante industrie rurale, des "bassins ouvriers" et autres "vallées industrielles" de "province" entourés (et étroitement imbriquées) de campagnes à la petite agriculture peu rentable, qui sont des zones particulièrement reléguées ; situées au Nord, Nord-Est, Ouest ou Sud de l'entité étatique. Ceci recoupant parfois une question nationale (occitane, bretonne, picarde/ch'ti, lorraine, basque, corse, arpitane (Alpes du Nord) etc.), ou en tout cas d'"identité culturelle populaire forte" ; c'est même quasi-systématique, car la "France" est quelque part l’État d'une bourgeoisie (bleu-blanc-rouge) dominant plusieurs peuples. Ces questions démocratiques nationales, ou ces sentiments culturels populaires forts, sont un point d'appui important pour la mobilisation révolutionnaire, en plus de l'oppression de classe proprement dite (rapports de production) : nombre de prolétaires ont le souvenir d'un-e grand-père/mère puni-e à l'école "républicaine" pour avoir "parlé patois", par exemple. La culture populaire d'entraide, de solidarité, de coopération est également une base d'appui forte pour une culture révolutionnaire, en comparaison avec l'individualisme des grandes métropoles. Dans certains secteurs, comme le Limousin ou d'autres parties d'Occitanie, le Nord/Picardie ou encore l'Allier, malgré la faillite du vieux PC, il peut rester une empreinte de culture communiste (associée, par exemple, au souvenir de la Résistance antifasciste) qui peut être également une solide base d'appui.

    breizh gwenhadu komunourEnsuite, il y a les ghettos urbains, où la question de classe recoupe celle des colonies intérieures : la force de travail importée d'Afrique, du Maghreb, d'Anatolie, des Caraïbes ou d'ailleurs, notamment durant les "Trente Glorieuses", et qui se voit reléguée dans des cités-ghettos et appliquer un traitement de type colonial, de véritable "territoire occupé".

    Ce sont les deux "campagnes" essentielles du "bateau France" dans lequel nous sommes tou-te-s embarqué-e-s, de l’État bourgeois dans lequel nous vivons. Le racisme, qui se traduit par un fort vote FN dans les zones "ouvrières semi-rurales" (à dominante "blanche"), est notamment une arme de la classe dominante pour les diviser. Le rôle du Parti est de relier, de coordonner ces "Périphéries" pour les faire étrangler les Centres (régionaux et parisien) comme les anneaux d'un serpent !

    En définitive, et pour résumer, on peut dire que :

    - dans chaque grande région, la "métropole" locale est encerclée, d'abord par ses quartiers-ghettos urbains, puis par les zones de relégation (poches de misère/précarité, exploitation, oppression) alentour ;

    - dans chaque État, les régions "pauvres" (où se concentrent la relégation, l'exploitation et l'oppression, les "problèmes sociaux" comme disent les bourgeois) encerclent les régions "riches" (où il fait "mieux vivre") ; dans certaines régions ceci se couple à une question nationale. Ce raisonnement peut être élargi à l'échelle d'un continent relativement "intégré" comme l'Amérique du Nord ou l'Europe : en Europe, il n'est pas difficile de voir que les pays méditerranéens sont particulièrement écrasés et "à la pointe" de la lutte de classe ;

    - au niveau mondial ; les pays dominés, écrasés, affamés par l'impérialisme encerclent les pays impérialistes.

    euskal herria drapeaurougeLe NIVEAU de la lutte de classe, d'antagonisme révolutionnaire assumé, va crescendo du premier cas au troisième (sauf, peut-être, dans les colonies intérieures des ghettos urbains occidentaux, où le niveau pourrait être supérieur au "deuxième cercle" (régions "pauvres") même dans les régions "riches" (comme l'Île-de-France ou Rhône-Alpes) ; mais c'est parce que ces "colonies intérieures" se rattachent, quelque part, au "troisième cercle").

    L'étau des 3 "cercles" se resserre concentriquement pour étrangler les "Centres", les "donjons" du capital impérialiste.

    Rappelons que Lénine disait, de la révolution prolétarienne, qu'elle ne devait "pas laisser pierre sur pierre" du vieil appareil d’État bourgeois. On pourrait étendre ce raisonnement à l'ensemble de la superstructure, des institutions et des "normes" écrites et non-écrites de l'organisation sociale capitaliste : la révolution doit renverser totalement l'ordre existant. Et, dans cette organisation sociale réactionnaire, il y a notamment l'organisation territoriale de la construction étatique bourgeoise ; avec ses zones concentrant la richesse, le pouvoir, la culture, les infrastructures, le "bien-vivre" ; et celles concentrant la pauvreté, l'exploitation, l'oppression, le désert culturel et l'absence de services, le mal-être existentiel (toxico-dépendances, suicides) ; en plus de la négation des cultures nationales ou "populaires régionales" !

    big provence flagDans cette optique, Servir le Peuple est d'avis que, comme en URSS (ni plus ni moins), le nouveau Parti   communiste révolutionnaire "de France" devra, en réalité, fédérer plusieurs Partis communistes nationaux. Tout comme le PCbUS était composé d'un PC de Russie, d'un PC d'Ukraine, d'un PC de Géorgie etc., notre futur PC révolutionnaire du prolétariat devra être composé d'un PC d'Occitanie, un PC de Bretagne (Strollad Komunour Vreizh), un PC d'Elsass, un PC de Corse, un PC d'Ipar Euskal Herria, etc. etc.

    Sur le fascisme

    Les thèses fondamentales de Servir le Peuple sur le fascisme sont que :

    1 - En opposition aux thèses de Zeev Sternhell, qui met en avant un fascisme "venant de la gauche anti-libérale" en se basant sur quelques cas célèbres mais minoritaires (Mussolini, Otto Strasser, Georges Valois, Doriot) ; SLP défend les thèses de Gossweiler et Robert Soucy (pour le fascisme français) : le fascisme s'inscrit clairement dans le prolongement de la tradition de droite réactionnaire bourgeoise (avec laquelle il présente une différence de degré - dans la brutalité assumée - plus que de nature). Le terme de "national-socialisme" (en Allemagne) ne doit pas porter à confusion : il ne fait que reprendre, pratiquement mot pour mot, le nom d'un parti réactionnaire de la fin du 19e siècle, le Nationalsoziale Partei  de Friedrich Naumann et Helmut von Gerlach, scission du Deutschkonservative Partei du pasteur Stöcker, parti ultra-conservateur à tendance "sociale" (prônant une "politique sociale monarchiste et chrétienne") et profondément antisémite (les Juifs incarnant à la fois le libéralisme politique bourgeois et le mouvement socialiste, le premier "ouvrant les portes" - dans la tradition politique fasciste - au second). L'antisémitisme "marqueur identitaire" (s'il en est) de l'idéologie nazie était donc déjà agité et diffusé depuis l'époque de Bismarck par la droite ultra-conservatrice luthérienne (contre une communauté juive qui avait connu une ascension sociale spectaculaire), tandis qu'à la même époque le mouvement socialiste d'August Bebel lui assénait la sentence définitive de "socialisme des imbéciles"... Tous les leaders de la prétendue "gauche" du NSDAP (Goebbels, Röhm, Gregor Strasser etc.) avaient fait partie des "corps-francs" (Freikorps), milices d'extrême-droite qui écrasèrent la Révolution allemande de 1918-20, et ne faisaient que prôner ce "socialisme" petit-bourgeois réactionnaire allemand. De même le fascisme italien de Mussolini s'inspirait-il essentiellement des thèses d'Enrico Corradini, politicien nationaliste plutôt monarchiste et conservateur dont le concept de "nation prolétaire" visait à "hisser" l'Italie au rang de puissance impérialiste "respectée" par les "nations ploutocrates" (les grandes puissances de l'époque : France, Grande-Bretagne, États-Unis etc.) en se faisant une "place au soleil" dans le partage impérialiste du monde (le concept fut plus ou moins développé lors de l'entrée en guerre contre l'Empire ottoman en 1912, guerre dans laquelle Rome conquis la Libye).

    Et contrairement (encore et toujours) aux thèses sternhelliennes, le fascisme n'est nullement une idéologie "anti-Lumières" (qui unirait par là droite réactionnaire ultra et gauche anti-libérale) mais bel et bien le pur prolongement de ce que l'on peut qualifier d'"aile droite" du mouvement philosophique du 18e siècle (Voltaire, Frédéric II de Prusse, Rivarol, Burke, Napoléon pour qui l'admiration des fascistes est à-peu-près générale etc.).

    2 - (en lien avec ce qui précède) Le fascisme n'est pas l'expression d'une "autre classe" que la classe dominante (une "bourgeoisie financière/impérialiste" qui s'opposerait à une "bourgeoisie traditionnelle/industrielle", par exemple) : pour tout léniniste ou prétendu tel (y compris les trotskystes !), la seule et unique classe dirigeante depuis la fin du 19e siècle est la bourgeoisie monopoliste. Le fascisme n'est en rien une "alternative révolutionnaire" à la révolution prolétarienne, comme si les masses avaient deux "voies" révolutionnaires devant elles, l'une rouge et l'autre brune. Le fascisme est l'expression de la frange la plus réactionnaire de la classe dominante, dont les rangs grossissent en temps de crise (effondrement du taux de profit, guerre impérialiste et révolution à l'ordre du jour), et qui s'oppose aux courants "moins réactionnaires", "libéraux" ou encore "sociaux-humanistes".

    3 - Le fascisme est une idéologie composite et mouvante, difficile à caractériser par son discours, qui permettrait parfois de classer une grande partie des progressistes et même des marxistes comme "fascistes" (les fascistes reprenant des thèmes sociaux sur l'air des "petits" contre les "gros") : le fascisme doit être avant tout identifié par son programme de gouvernement, qui est une dictature terroriste ouverte de la classe dominante contre les masses prolétaires et populaires (même si cette dictature peut commencer "soft"), et généralement un militarisme chauvin poussant à la guerre impérialiste (même si ce discours peut parfois se camoufler : ainsi les fascistes américains des années 1930 étaient "neutralistes", tout en soutenant en sous-main l'effort de guerre et de propagande nazi ; les fascistes français étaient "pacifistes" pour ne pas favoriser le Front populaire contre Hitler et Mussolini...).

    mussolini.jpgLe fascisme s'inscrit en réalité totalement dans la tradition idéologique la plus réactionnaire, conservatrice autoritaire éventuellement à tendance "sociale", des différents pays ; tout en étant en même temps profondément "moderne", car la crise générale du capitalisme (surproduction absolue de capital) exige une restructuration complète de l'organisation sociale capitaliste (à l'intérieur comme au niveau "impérial").

    Sa réorganisation totale de la société (économique, politique, culturelle), visant notamment à faire des métropoles impérialistes des sociétés de "producteurs-consommateurs" assises sur les surprofits de l'exploitation impérialiste, se différencie du keynésianisme en ce que pour Keynes (militant du Parti libéral britannique) cette réorganisation est indissociable du libéralisme politique (uniquement dans la métropole impérialiste, bien entendu). Le fascisme (et le conservatisme autoritaire fascisant à la Henry Ford), au contraire, prône un encadrement répressif et idéologique "dur" des masses populaires.

    C'est pourquoi le modèle social-démocrate, social-libéral ou "humaniste social" keynésien est plutôt adapté en période de prospérité (lorsque la guerre impérialiste mondiale a permis de relancer l'accumulation, de résoudre la surproduction de capital) alors que le modèle fasciste est plutôt lié à la crise générale, et à ses nécessités de guerre et de lutte contre-révolutionnaire. En période d'accumulation (de "forte croissance") le fascisme cède le pas à un "social-conservatisme autoritaire" de type gaulliste, "régime DC" en Italie ou "franquisme final" (des années 1960-70) dans l’État espagnol.

    Finalement, dans la réorganisation sociale du capitalisme au 20e siècle, en sociétés de "citoyens producteurs-consommateurs", la démocratie social-libérale keynésienne est "Athènes" et le fascisme "Sparte" ; mais dans les deux cas, il faut la masse esclave autour de la "cité grecque" impérialiste (ce seront les peuples du "tiers-monde", massivement intégrés dans la chaîne de production capitaliste mondiale, et soumis à des régimes "gardes-chiourme" sanguinaires).

    grand_messe_nazie.jpgDans tous les cas, le fascisme n'est jamais ni "anticapitaliste" ni "révolutionnaire". L'"anticapitalisme" dont il peut parfois se parer, par un discours contre la "banque" ou la "finance", contre les "gros", les "nantis" et autres "élites" (surtout intellectuelles), se situe dans le prolongement de deux traditions ultra-réactionnaires du 19e siècle, déjà décrites et dénoncées par Marx et Engels :

    - le "socialisme" féodal et clérical, dénonçant le capitalisme... car celui-ci a remis en cause la position sociale de l'aristocratie et du clergé (il dénonce alors un "monde sans valeurs", "tout pour l'argent", alors que l’Église et la noblesse d'autrefois "protégeaient les faibles") ;

    - le "socialisme" petit-bourgeois, "socialisme" de la petite et moyenne bourgeoisie (ou paysannerie) écrasée par le Grand Capital, regrettant l'époque "protectrice" des corporations.

    L'un comme l'autre tendent bien sûr à l'antisémitisme ; l'irruption des Juifs dans l'économie nationale (avec leur émancipation par les révolutions bourgeoises) étant pour eux indissociable et emblématique des "malheurs de l'époque", d'un monde qui "fout le camp" avec la disparition de la société immuable des privilèges et des corporations... [Cet antisémitisme ne peut plus être aussi explicite aujourd'hui, mais les mêmes ressorts apparaissent en filigrane dans la dénonciation des "élites mondialistes", de l'"hyper-classe" et des "lobbies" etc.]

    Ces deux courants fusionnent (en Allemagne, comme en France ou en Italie) entre 1870 et 1910, à l'époque de la "deuxième révolution industrielle" et de l'entrée dans l'impérialisme, en un "conservatisme social autoritaire" qui pourfend aussi bien le libéralisme politique bourgeois (parlementarisme, franc-maçonnerie, république radicale en France etc.) que les idées socialistes.

    PUIS, avec la crise générale du capitalisme, cette composante idéologique du fascisme rejoint les intérêts de la bourgeoisie impérialiste la plus réactionnaire. En effet :

    - la dénonciation de "la banque", des "financiers", de l'"hyper-classe" etc. (toujours avec "le Juif" en filigrane) rejoint l'"insurrection" du Grand Capital contre sa propre crise générale, qui est une surproduction absolue de capital ; elle rejoint la nécessité d'une "caporalisation" de l'économie capitaliste et d'une réorganisation complète de la société pour fonder une nouvelle base d'accumulation, pour lutter contre cette surproduction absolue ;

    - la dénonciation du libéralisme politique bourgeois, de la bourgeoisie "décadente" (bourgeois libéraux, démocrates, hédonistes, "complaisants" envers le marxisme) et des "élites" intellectuelles, du parlementarisme, rejoint les nécessités d'un régime politique "fort", autoritaire, pour mener cette réorganisation et contrer efficacement la poussée révolutionnaire des masses populaires ;

    - le discours viril, chauvin, exaltant les valeurs militaires et "spartiates", méprisant la "décadence", la "faiblesse" et la "mignardise", rejoint les nécessités de mobilisation de masse pour la guerre impérialiste, la contre-révolution et la réorganisation totale (économique, politique, culturelle) de la société ;

    - enfin, bien sûr, cet "anticapitalisme" réactionnaire est profondément hostile au mouvement socialiste/communiste et au prolétariat organisé en général ; il rejoint donc les nécessités d'une lutte contre-révolutionnaire sans pitié.

    Bien sûr, la bourgeoisie monopoliste la plus réactionnaire va "modeler" le mouvement fasciste selon ses intérêts, et donc limiter les expressions les plus "radicales" de cet héritage "anticapitaliste" féodal et petit-bourgeois : c'est le sens du "virage à droite" de Mussolini fin 1919 et de sa rupture avec les Arditi et autres éléments "révolutionnaires", ou de l'élimination des SA en Allemagne (1934).

    Bossi_pugnoR400_4ott10.jpgEn fin de compte, on peut dire que le fascisme est une insurrection de la bourgeoisie capitaliste contre sa propre crise (par surproduction absolue de capital), crise qui fait s'effondrer le taux de profit et met la révolution prolétarienne à l'ordre du jour ; exigeant une restructuration complète de l'organisation sociale, la guerre impérialiste pour le repartage du monde et la militarisation contre-révolutionnaire de la société : la dictature terroriste ouverte conduite par la frange la plus réactionnaire, chauvine et militariste des monopoles. En période de crise générale, c'est ce "pôle" le plus réactionnaire de la classe dominante qui exerce sa force d'attraction sur l'ensemble de celle-ci, attirant à lui la droite conservatrice "traditionnelle" et même des éléments de la "gauche" bourgeoise, comme les néo-socialistes de Déat (ou aujourd'hui des gens comme Gerin ou certains éléments de "Riposte laïque"). Cette force d'attraction est encore plus forte aujourd'hui que lors de la crise des années 1930, car l'option keynésienne (alliant politique sociale généreuse et libéralisme politique dans les métropoles impérialistes) ne semble à présent plus viable.

    À l'inverse, en période d'accumulation/croissance, ce sera plutôt la "gauche" social-libérale et réformiste de la grande bourgeoisie qui exercera sa force d'attraction sur l'ensemble de la classe dominante, la "droite" bourgeoise devenant alors essentiellement un conservatisme paternaliste à coloration "sociale" ("association Capital-Travail" etc.).

    Une autre thèse fondamentale de Servir le Peuple est qu'il ne faut pas attendre le fascisme dans les mêmes habits que ceux des années 1930. Certains mouvements, en Hongrie notamment, reprennent effectivement (et ouvertement) les uniformes de l'époque ; mais celui qui, au 21e siècle, attend de voir des défilés en chemises noires ou brunes pour dire "voilà le fascisme", risque de ne le voir... que lorsqu'il aura un pistolet derrière la nuque ! Peut-être justement qu'au siècle dernier, le problème a été que les marxistes et les progressistes n'ont réalisé l'existence du fascisme que lorsque celui-ci s'est manifesté sous la forme de milices paramilitaires.Jobbiks-Hungarian-Guard-a-001.jpg

    Aujourd'hui, avec l'expérience du passé, les communistes et les progressistes peuvent être plus attentifs au glissement réactionnaire général de la classe dominante et des ses représentants politiques, glissement qui pousse en avant (y compris de manière non-voulue et non-contrôlée, pour les éléments les plus extrémistes de type néo-nazi ou Breivik) la frange ultra-violente et paramilitaire du fascisme.

    Des facteurs nouveaux entrent aussi en ligne de compte. Ainsi, nous sommes aujourd'hui dans une "société de consommateurs" alors que, dans les années 1920-30, il s'agissait justement de construire celle-ci (chose rendue possible après-guerre par une nouvelle division internationale du travail, en "déplaçant" l'exploitation la plus dure vers les pays dominés du "tiers-monde" - comme pouvait déjà l'entrevoir Lénine dans son ouvrage de référence en 1916) ; de même, pour lutter contre la chute du taux de profit, existe à présent une "marge" sur le "coût du travail" : celle des conquêtes sociales arrachées par les luttes (et accordées par la bourgeoisie pour "conjurer" des luttes plus dures encore), qui dans les années 1930 n'existaient pas (ou si peu) et que la classe dominante s'efforce (depuis les années 1980) de reprendre au prolétariat et aux travailleurs en général ; ceci est une composante nouvelle (et essentielle !) du glissement réactionnaire général. Le mouvement ouvrier organisé n'a plus, dans ce contexte, la force et la combativité de l'entre-deux-guerres ; il a été happé par l'effondrement (dans le révisionnisme puis la restauration capitaliste ouverte) des expériences révolutionnaires du 20e siècle. Cette combinaison entre effondrement du mouvement communiste, de la "menace" communiste mondiale pour la bourgeoisie et du mouvement ouvrier organisé en général (y compris réformiste) ; crise générale du capitalisme entraînant la liquidation par la bourgeoisie des concessions du passé ; et "répression permanente de basse intensité" contre la résistance des masses populaires à cette paupérisation ; forme ce que le PCmF et le PCm d'Italie (Proletari Comunisti) appellent le fascisme moderne. Cette thèse peut-être débattue et critiquée ; elle a cependant le mérite de poser la question du fascisme à notre époque, des éléments nouveaux qui différencient notre 21e siècle des années 1920-30 du siècle dernier, et de mettre en garde contre l’"attente" du fascisme dans les "mêmes habits" qu’à l’époque d’Hitler et Mussolini. Elle évite de tomber dans le schématisme qui, comme l'expliquait Dimitrov, "désarme la classe ouvrière contre son pire ennemi".

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  • Autant prévenir : l'article qui suit va être COMPLEXE. Lecteurs, lectrices, il va falloir faire l'effort de suivre. Nous allons en effet toucher là au CŒUR, aux tréfonds de la théorie marxiste ; le matérialisme dialectique.

    Pour certain-e-s, cela pourrait même sembler être de la "théologie sur la Lune"... MAIS, pourtant, cette réflexion théorique est d'une extrême importance : vous allez découvrir pourquoi dans ce qui suit. 

    Si l'on veut résumer à l'extrême : le matérialisme dialectique est la théorie scientifique qui sous-tend toute la pensée marxiste. Classiquement, de l’œuvre théorique de Marx et Engels, ressortent 3 lois essentielles du matérialisme dialectique. Ce sont :

    1- Première et principale (les autres ne font qu'en découler), la loi de la contradiction ; dite aussi "de l'unité relative des contraires". C'est le principe qui veut que toute chose, tout phénomène, soit déterminé par une contradiction principale. Avant que cette contradiction existe, le phénomène n'existait pas. Si la contradiction disparaît, le phénomène disparaît sous sa forme actuelle ; c'est à dire qu'il se transforme en quelque chose d'autre, qui sera déterminé par une nouvelle contradiction principale. La chose / phénomène a aussi des contradictions secondaires, qui ne sont pas "sans importance" (chacune est susceptible de devenir un jour principale !), mais sont subordonnées à la contradiction principale, déterminées par elle. Les deux principaux aspects en contradiction forment un tout, une unité (par exemple, une société), mais sont en LUTTE et cette lutte est ABSOLUE, déterminante, jusqu'à devenir antagonique et transformer la chose/phénomène en "autre chose". L'unité est seulement relative (on parle donc d'"unité relative des contraires").

    2- La loi de la transformation de la quantité en qualité et inversement. Pour faire simple : l'évolution des choses et des phénomènes procède par accumulation quantitative, qui entraîne à un moment donné un saut qualitatif vers "autre chose". Attention cependant : cela ne doit pas mener (et a trop souvent mené) à des raisonnements mécanistes. Ainsi, durant la construction socialiste en URSS, on avait tendance à considérer que "développer la production", "accroître les forces productives" etc., sous la dictature du prolétariat, suffirait à conduire (en quelques générations) au communisme. De la même façon, il était considéré par les social-démocrates de la IIe Internationale (Bernstein etc.) que la simple accumulation de conquêtes démocratiques et sociales suffirait, un jour, à produire le "saut" de l'humanité dans le socialisme, sans le processus révolutionnaire (luttes violentes, guerre civile, dictature du prolétariat) décrit par Marx...

    3- Enfin, la loi de la négation de la négation ; que nous allons étudier plus loin.

    Le fond du débat est que, pour bon nombre de maoïstes, Mao aurait rejeté la loi de la "négation de la négation" (et, également, la loi de la quantité/qualité : en fait, toute autre loi que la contradiction). Mais d'autres (comme nous allons le voir) contestent la réalité de cette prise de position. D'autres, encore, affirment que Mao a simplement subordonné la transformation quantité/qualité et la "négation de la négation" à l'"unité relative des contraires"... ce qui est certes vrai, et que cautionne totalement Servir le Peuple ; mais était déjà le cas chez Marx, Engels, Lénine et tous leurs contemporains marxistes ! [En réalité, les 3 lois décrivent des caractères différents du mouvement dialectique des choses : l'unité relative des contraires en est le moteur, la transformation de la quantité en qualité en est la "mécanique", et la "négation de la négation" en est l'aspect extérieur (pour un observateur externe) ; nous y reviendrons plus loin.]

    mao-zedong-1.jpgLa question de la "négation de la négation" n'a jamais fait l'objet d'un ouvrage spécifique de Mao. Mao a rédigé un ouvrage de référence sur le matérialisme dialectique : De la contradiction (1937), ainsi qu'un essai en 1938, Le Matérialisme dialectique.

    Il y fait, très clairement, de la contradiction la loi déterminante de la dialectique ; de fait, cette loi sous-tendra toute son œuvre théorique. Mais on n'y voit nul rejet, explicite, des autres lois posées par Marx et (surtout) Engels. Pas plus que dans un autre ouvrage... Les Notes de "De la contradiction" comportent même plusieurs références à l'Anti-Dühring d'Engels (cf. ci-dessous), chapitre 12 "Quantité et qualité", sans que nulle part dans cet ouvrage Mao ne conteste cette loi-là. Le Matérialisme dialectique contiendrait même [mais il est impossible de trouver la source sur internet, il n'est que très incomplet ici] une énumération des "lois fondamentales" du matérialisme, telles qu'exposées ci-dessus : loi de l'unité des contraires, loi de la transformation de la qualité en quantité et inversement, loi de la négation de la négation [Mao Zedong ji, Vol. 6, p. 300 ; Mao Zedong ji bujuan, Vol. 5, p. 237]. En 1938, donc...

    Le rejet explicite de la "négation de la négation" (et, en fait, de toute autre chose que la loi de la contradiction) aurait, d'après les sources qui l'évoquent, été formulé en 1964 "entre la poire et le fromage", au cours d'une discussion très informelle avec quelques responsables du Parti (Kang Sheng, Chen Boda, Lu Ping...). Cette conversation est notamment rapportée par un certain Stuart Schram, dans son ouvrage Mao Zedong Unrehearsed (qu'on pourrait traduire par "Mao Zedong apocryphe" ou "Mao Zedong 'off'")... Vous pouvez trouver cette citation en français ici, page 19 ; et en anglais dans le document en lien plus bas, page 3.

    La réalité et (plus encore) l'exactitude des propos tenus sont donc sujettes à caution, puisque ces propos n'apparaissent nulle part dans ses Œuvres choisies. Mais partons du principe de leur réalité et de leur exactitude, et voyons ce qui a/aurait précisément été dit.

    Ce qu'aurait en réalité dit Mao, c'est : "L'unité des contraires est la loi la plus fondamentale. La transformation de la quantité en qualité et inversement, n'est que l'unité des contraires "qualité" et "quantité". Il n'existe rien de tel que la "négation de la négation". Affirmation, négation, affirmation, négation... dans le développement de toute chose, chaque maillon de la chaîne des évènements est à la fois une affirmation et une négation. La société esclavagiste niait la société primitive mais, en revanche, vis-à-vis de la société féodale elle constituait une affirmation. La société féodale constituait une négation de la société esclavagiste mais était en revanche une affirmation vis-à-vis de la société capitaliste. Le capitalisme était la négation de la société féodale mais, en revanche, l'affirmation vis-à-vis de la société socialiste...".

    Ce que Mao semble vouloir dire par là, c'est que toute chose qui en nie une autre est en même temps une affirmation, affirmation (en fin de compte) d'elle-même face à ce qui vient (à son tour) la nier... Bref, rien de plus ni de moins que la pure et simple logique. Mais, si la féodalité est la négation de l'esclavagisme, lorsque le capitalisme vient à son tour nier la féodalité, il nie la négation de l'esclavagisme : c'est bien une négation de la négation. Ce que semble viser ici Mao, c'est plus le terme employé ("négation de la négation") qui semble selon lui porter à confusion - évoquant un "retour à la case départ" et non le passage à un stade supérieur de la matière - que la substance, le signifié du terme [en tant que Chinois, insister sur cette notion de (non) "retour à la case départ" était sans doute particulièrement important car c'est ce qui distingue la dialectique marxiste du taoïsme].

    Dans ce document en anglais sont énumérées un nombre considérable d'occasions, depuis les années 1930 jusqu'aux années 1960, dans lesquelles Mao met en avant soit explicitement (nommément) soit implicitement (comme, finalement, dans ce qui précède) la négation de la négation.

    En réalité, que nous dit la théorie de la négation de la négation ? Il faut bien comprendre, ici, que par "négation" on entend le fait de "faire disparaître", "supprimer", "abolir" ; ou "affronter jusqu'à détruire" (dans une contradiction antagonique) ; ou encore "rejeter dans les poubelles de l'histoire" (lorsqu'il est question d'un processus historique).

    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b5/Friedrich_Engels_HD.jpg/170px-Friedrich_Engels_HD.jpgL'image la plus connue est celle donnée par Engels dans l'Anti-Dühring : celle du grain de blé  qui donne une plante, disparaissant lui-même (nié), puis la plante, disparaissant (niée) à son tour, donne un épi, soit plusieurs dizaines de grains de blé. Ainsi, par un processus de négation de la négation (la plante nie le grain puis est niée elle-même), le grain de départ s'est multiplié par plusieurs dizaines. Ainsi, on est revenu au stade de la graine, mais "à un niveau supérieur" (des dizaines de graines).

    Bien sûr, toutes les plantes ne fonctionnent pas comme cela, et certaines vivent plusieurs années (voire des siècles) en donnant des graines ou des fruits tous les ans... Mais l'idée était de donner une image simple et claire. C'est la même chose (pour prendre un autre exemple) lorsque l'on marche : chaque jambe effectue un mouvement de flexion, puis d'extension, chaque extension nie la flexion qui précède et inversement, et chaque pas de la jambe droite nie le pas précédent de la jambe gauche. Pourtant, comme vous pouvez le constater tous les jours, on ne fait pas du surplace : on avance.

    Ce que veut exprimer Engels (qui en vient, ensuite, à l'exemple de l'esclavagisme, de la féodalité et du capitalisme), c'est que les sociétés humaines (comme toutes les choses et le phénomènes de la nature) avancent EN SPIRALE, par CYCLES, par des PROCESSUS qui débutent et s'achèvent (comme la plante de blé germe, grandit, fane et meurt) ; mais qui ne ramènent pas la communauté humaine au "point de départ" : ils l'amènent À UN NIVEAU SUPÉRIEUR (de forces productives, de conditions de vie, de culture, de civilisation)...

    Et, ce qu'explique le marxisme, c'est que le MOTEUR de ces processus, dans toute chose, c'est la CONTRADICTION, c'est "l'unité relative des contraires", c'est l'unité et la LUTTE des contraires ; l'unité étant relative et la lutte étant ABSOLUE. Dans les sociétés humaines, le moteur de tout processus d'évolution est la LUTTE DES CLASSES. La société est une unité formée de contraires : une CLASSE DOMINANTE, et des classes dominées, mais parmi lesquelles il y a UNE classe principale dans son affrontement avec la classe dominante. Cet affrontement, cette LUTTE entre les classes fait l'histoire de la société en question.

    http://s4.e-monsite.com/2011/05/30/01/resize_550_550//sans-culotte-copie-1.jpgDans la féodalité, la classe dominante est l'aristocratie (flanquée du clergé) et la classe principale qui l'affronte (et dirige les masses à l'affronter) est la bourgeoisie. À partir du moment où la bourgeoisie s'affirme en tant que classe (avec la Réforme et l'humanisme, puis les Lumières), on rentre dans le processus de négation de la féodalité et d'affirmation (d'abord contre la féodalité, ce qu'oublie de dire Mao !) du capitalisme. La Révolution bourgeoise (comme 1789 en France) marque le moment où l'unité des contraires s'inverse : le moment où la bourgeoisie DEVIENT la classe dominante et où l'aristocratie perd cette position (elle disparaît alors, en moins d’un siècle, pratiquement en tant que classe ; sa contradiction avec la bourgeoisie devient secondaire ; la contradiction bourgeoisie/prolétariat devient motrice de l’histoire). Au terme de ce processus (qui débouche sur la Révolution industrielle, toutes les avancées scientifiques et technologiques du 19e siècle et nous amène pratiquement au début du 20e), il va sans dire que l'humanité (dans son ensemble, jusqu'aux classes les plus opprimées !) a grandement progressé depuis l'époque de l'Inquisition et des Guerres de Religion ! En terme de productivité du travail, de connaissances scientifiques et technologiques, tout ceci se répercutant sur la vie quotidienne des masses, leur bien-être, leur accès aux activités spécifiquement humaines (culture etc.).

    Mais, à un moment donné, le capitalisme a fait son temps : ce qu'il apporte, ou a apporté à l'humanité, ne vaut plus le prix qu'il lui coûte... À partir du moment où le prolétariat s'affirme en tant que classe, avec le SOCIALISME SCIENTIFIQUE (marxisme), commence le processus de NÉGATION DU CAPITALISME.

    Le SOCIALISME n'est pas exactement, comme le dit Mao, la "négation du capitalisme". Penser cela est sans doute une grande limite de la conception marxiste-léniniste au 20e siècle. Il serait plus exact de dire que le socialisme est le processus de négation du capitalisme et d'affirmation du communisme, à partir du moment où le prolétariat a renversé la bourgeoisie et l'a remplacée comme classe dominante (la phase précédente du processus de négation/affirmation, lorsque le prolétariat n'a pas encore pris le pouvoir, est la GUERRE POPULAIRE).

    Prenons, puisqu'on en a beaucoup parlé ces derniers temps, l'exemple du Népal. Ce petit pays a, finalement, l'"avantage" d'avoir connu une évolution rapide (en moins de 3 siècles) qui donne un aperçu en "modèle réduit" d'une série d'affirmations-négations, qui dans d'autres pays ont pu s'étaler sur 1000 ans, 1500 ans ou plus.

    Au début du 18e siècle, le Népal n'était encore, pratiquement dans chaque vallée, qu'un ensemble de royaumes féodaux archaïques (avec, globalement, une caste dominante, une famille principale en son sein, et une masse paysanne servile) ; guerroyant entre eux. Au terme de ces guerres incessantes, le royaume de Gorkha finit par unifier le pays dans ses frontières actuelles, en 1768. À cette époque, toutefois, ce genre d'unification était généralement éphémère et, effectivement, le royaume commençait déjà à se désintégrer au début du 19e siècle ; lorsque sa destinée rencontra celle de l'EMPIRE BRITANNIQUE DES INDES. Celui-ci permit à l’État monarchique népalais de se consolider, et de se maintenir jusqu'à nos jours (après 1947, la tutelle britannique fut remplacée par celle de l'Inde "indépendante"). Ce processus, nous sommes tous d'accord, a donc consisté en une négation de la féodalité archaïque ; et en l'affirmation d'un État moderne, le Népal que nous connaissons actuellement. En termes de forces productives, de développement économique, de connaissance scientifique et technique, de diffusion de la connaissance, il a conduit le Népal à un niveau bien supérieur à celui du 18e siècle, époque des petits royaumes archaïques.

    Mais justement, dans ce processus, s'était formée une bourgeoisie, flanquée d'une classe intellectuelle (celle à qui s'était diffusée la connaissance, à son niveau mondial d'alors). Et celle-ci débuta, au milieu du 20e siècle, un processus de négation de l’État monarchique et de ses tuteurs impérialistes. Elle constitua des partis "libéraux", comme le Congrès népalais ; des éléments plus avancés, toutefois, s'emparant des idées marxistes qui étaient très fortes, dans le monde, entre les années 1950 et 1970 (ce gens constituent aujourd'hui, globalement, des partis comme l'UML).

    Le maoïsme nous enseigne que, dans les pays actuellement dominés par l'impérialisme, il n'y a plus d'étape bourgeoise, d'étape capitaliste "nationale indépendante" possible entre la situation actuelle (domination du Capital étranger à travers ses intermédiaires locaux, restes de féodalité, bourgeoisie bureaucratique de "gardes-chiourme", absence totale de démocratie bourgeoise telle que conçue en Occident) et la révolution prolétarienne : si une révolution se veut "bourgeoise", elle ne sera qu'une réforme du vieil État légué par l'impérialisme ; c'est la prise de pouvoir par le prolétariat qui permet l'accomplissement des tâches démocratiques bourgeoises, et qui "embraye" ensuite immédiatement sur les tâches socialistes, les tâches de transition vers le communisme.

    C'est un principe absolu, mais, justement, on imagine l'ampleur et la complexité d'un tel processus de luttes ! Il va donc de soi que celui-ci ne peut avancer que par cycles, "en spirale". Chaque "cycle" se refermant à un point plus avancé, pour les masses, sur le chemin de l'émancipation démocratique, du socialisme et du communisme. Et, à chaque cycle qui se referme, une grande partie de ce qui a fait (hier) partie du nouveau, de la lutte pour l'émancipation, se retrouve désormais dans le camp de l'ancien, de la réaction, de ce qui "empêche d'aller de l'avant". Ces éléments sont alors niés par les forces qui, elles, continuent d'aller de l'avant vers l'émancipation humaine.

    Entre 1950 et 1990, la lutte au Népal fut principalement dirigée contre le caractère absolutiste de la monarchie. Cette lutte s'acheva en 1990 par l'instauration d'un régime parlementaire. Fin d'un premier cycle. Les forces qui s'étaient limitées à cet objectif, comme le Congrès (rallié rapidement par l'UML et d'autres forces "marxistes"), cessèrent alors de faire partie du nouveau, pour se retrouver dans le camp de l'ordre établi, que d'autres continuaient à combattre. Après avoir nié l'absolutisme au profit de la monarchie parlementaire, elles furent alors niées à leur tour, comme composantes de celle-ci, par les forces souhaitant l'abolition pure et simple de la monarchie et l'instauration d'une république démocratique.

    La force dirigeante de ce combat, souhaitant même (en principe) une République démocratique populaire, vous l'aurez reconnue : c'était le PC maoïste de Prachanda. Mais celui-ci abandonna peu à peu ses objectifs initiaux, pour se replier sur les mots d'ordre d'"abolition de la monarchie et élection d'une Constituante". Ce qui fut fait (respectivement) en 2006 et 2008. Dès lors (après quelques valse-hésitations), on peut considérer que l'année dernière, en 2011, un deuxième cycle de la longue marche des masses népalaises vers l'émancipation (démocratique, socialiste puis communiste de manière ininterrompue) s'est refermé. Désormais, aux côtés de ceux qui s'étaient contentés d'une monarchie parlementaire (et ralliés à la République in extremis, contraints et forcés, pour sauver leur peau), il y a une grosse aile droite du Parti maoïste qui se contente (comme soi-disant "étape") de la République parlementaire bourgeoise actuelle, et une petite aile gauche qui doit (sans plus attendre) choisir son camp. Ceux qui composent aujourd'hui ce régime républicain bourgeois, et ceux qui feront le choix de le rallier demain, sont et seront dès à présent niés par les forces qui dirigeront le dernier cycle du processus : la nouvelle Guerre populaire qui ne peut plus, désormais, viser autre chose que la prise du pouvoir par le prolétariat et ses alliés paysans, indépendants pauvres, intellectuels progressistes, bref les masses populaires...

    Cette négation (de la négation qu'avait été, en 1994, la fondation du PCN(m) et le lancement deux ans plus tard de la Guerre populaire !) pourra prendre la forme d'une scission des éléments révolutionnaires de l'actuel PCNU, ou de la formation totalement externe d'un nouveau Parti... nous verrons bien.

    Quoi qu'il en soit, irait-on affirmer que le cycle qui se referme (par la capitulation d'une majorité du Parti de 1994, dont son leadership), se referme "à la case départ" ? Soyons sérieux ! La nepalconscience révolutionnaire, la combattivité, la culture d'organisation (pour se libérer des chaînes de l'exploitation) sont aujourd'hui à un niveau bien supérieur et bien plus vaste (dans tout le pays, et non les seules grandes villes) qu'au début des années 1990, il y a 20 ans !

    Ces "petits" cycles (à l'échelle historique... 40 ans et 20 ans tout de même !) sont en quelque sorte des "sous-cycles" d'un grand processus, commencé vers le milieu du siècle dernier, lorsque le Népal fut totalement entré dans le "monde moderne" : le processus de négation de l'état de fait de l'époque (qui perdure encore de nos jours...), l'état de fait semi-colonial semi-féodal. Le moteur de ce processus, dans son entier comme dans chacun de ses cycles, est toujours le même : c'est la contradiction, la LUTTE entre les masses exploitées, opprimées, affamées ; et leurs affameurs, qui sont la grande bourgeoisie oligarchique locale, le Capital impérialiste (directement ou par l'intermédiaire de l'Inde) et la féodalité rurale. Ce processus s'achèvera au COMMUNISME (car tel est, à notre époque, le seul destin commun à toute l'humanité) : la phase précédant la prise de pouvoir des masses populaires sous la direction du prolétariat est la GUERRE POPULAIRE ; la phase suivant cette prise de pouvoir (dans le cas du Népal) est la NOUVELLE DÉMOCRATIE et le SOCIALISME (sous lesquels il y aura encore de grandes luttes, de grandes conflagrations sociales contre les partisans d'un rétablissement du capitalisme à leur profit).

    Si l'on prend maintenant (puisqu'il est, au départ, question de Mao) l'exemple de la Chine... Nous n'allons pas, bien sûr, revenir ici sur des millénaires de civilisation chinoise. Nous dirons simplement que, au travers de ces millénaires, la civilisation chinoise a connu des cycles entrecoupés de périodes de décadence, de décomposition, qui ne l'ont toutefois jamais ramenée "à la case départ", à un niveau de développement inférieur à celui du début du cycle. Tout le monde a entendu parler du très haut niveau technologique et scientifique de la Chine comparativement à l'Europe de l'an 1000, par exemple.

    Néanmoins, la dernière période de décadence, à partir du 17e siècle, se traduisit d'abord par la prise de pouvoir d'une dynastie "périphérique" (les Qing mandchous), puis par l'installation d'une DOMINATION OCCIDENTALE. Celle-ci se consolida, globalement, au milieu du 19e siècle, dans les années 1840-60. Après quelques guerres, la dynastie Qing se fit l'alliée des impérialistes. Le capitalisme occidental, ses marchandises, puis ses capitaux pénétrèrent ainsi dans le vieil Empire du Milieu : ce fut la négation de la Chine millénaire.

    Ensuite, qu'a-t-on eu ? Dans un premier temps, des révoltes populaires spontanées, sans forcément de projet politique bien établi, parfois d'inspiration mystique (comme les Tai'ping), et souvent appuyées par des éléments féodaux hostiles à l'intrusion occidentale. La dernière en date fut celle des Poings de Justice, vers 1900. C'est à cette même époque que commença à se constituer un nationalisme bourgeois, partisan d'une République bourgeoise qui abolirait la dynastie des Qing et, en même temps, libérerait le pays de la mainmise occidentale. Celui-ci se concrétisa dans le parti du KUOMINTANG.

    Ce fut la révolution Xinhai, la révolution bourgeoise de Sun Yat-sen, et l'instauration de la République de Chine en 1911-12. Mais la contre-révolution, appuyée par les impérialistes et les partisans de la monarchie défunte, veillait au grain : le général Yuan Shikai renversa et exila Sun Yat-sen, puis se proclama... empereur, mais mourut l'année suivante ; et la Chine se désagrégea en territoires de "seigneurs de la guerre" (chacun appuyé par une ou plusieurs puissances impérialistes).

    Le Kuomintang, avec son Armée Nationale Révolutionnaire, se lança alors à la reconquête du pays sur les "seigneurs de la guerre", dans les années 1920. Reconquête à laquelle participa le Parti communiste (fondé en 1921), aux côtés du Kuomintang... eh oui ! On connaît des "maoïstes" qui seraient bien incapables de comprendre pourquoi, dans la Chine de Mao (et encore aujourd'hui, mais c'est une autre histoire^^), on élevait des statues à Sun Yat-sen et on lui vouait une grande vénération, alors qu'il avait fondé le parti... renversé par Mao en 1949 !!!

    http://www.chine-informations.com/images/upload2/Communists_enter_Beijing_28194929.jpgC'est tout simplement que le GRAND processus de négation de l'ordre des choses "semi-féodal semi-colonial" qui régnait en Chine au début du 20e siècle (un Empire millénaire pourrissant, passé sous domination impérialiste étrangère) ; avec, pour contradiction motrice, la contradiction masses populaires / impérialisme + serviteurs locaux ; s'est lui-même composé de plusieurs cycles (*) : le cycle des "révoltes spontanées et mystiques" (des Tai'ping aux "Boxers") ;  le cycle 1911-27, durant lequel la bourgeoisie Kuomintang était objectivement du côté des masses ; et le cycle 1927-49 où, malgré l'intermède du "Front uni" contre les Japonais, le KMT était globalement (mis à part une petite fraction ralliée au PC) du côté de l'impérialisme et de ses agents locaux (tels de nouveaux Qing)... En rompant avec le KMT (par la force des choses, après les massacres de 1927...) et en engageant bientôt la Guerre populaire, le PC de Chine a nié la République de Chine du KMT, pour affirmer la République populaire. Et même après 1949, la lutte des classes se poursuivant sous la dictature du prolétariat, il y eut d'autres cycles : le "cycle de la démocratie nouvelle" s'achevant par la mise en retrait de Mao au début des années 60 (et un "premier triomphe révisionniste"), puis le "cycle de la Révolution culturelle" 1966-76, de loin la plus exaltante expérience révolutionnaire du 20e siècle...

    En fait, si l'on essaye de décrypter la pensée de Mao, ce qu'il semble avoir voulu dire, c'est que la "négation de la négation" ne signifie pas un "retour à la case départ" : c'est pourquoi il tient à souligner que toute négation est en même temps une affirmation. En somme : nier ne veut pas dire annuler. La négation de la négation ne signifie pas N + (-N) = 0.

    Si l'on reprend l'exemple des modes de production, la négation de la féodalité, "négation de la négation" de l'esclavagisme, signifie le capitalisme, pas le retour à l'esclavagisme ! Et, dans le processus de la Révolution chinoise, la négation du "cycle KMT" ne signifie pas le retour aux Qing, mais la Guerre populaire avec la Démocratie Nouvelle au bout !

    Voilà ce que feraient bien (et l'on revient ici à l'exemple du Népal) de méditer certains "maoïstes"... Mais non : ils préfèrent affirmer que "la négation de la négation n'existe pas", car c'est pour eux le moyen de renier toute notion de tactique, toute notion d'étape, de "cycle" dans un processus révolutionnaire prolongé.

    Mais, allez-vous nous dire, la révolution chinoise a finalement été vaincue ! Deng Xiaoping n'a-t-il pas rétabli le capitalisme ? La Chine n'est-elle pas aujourd'hui le pays le plus capitaliste au monde ? C'est vrai... Mais, sur tous les plans, entre la condition des masses chinoises aujourd'hui et en 1900 ou 1920, y a-t-il photo ? Soyons sérieux... Malgré les inégalités intolérables qui se sont réinstallées, la main du progrès est clairement passée par là. La Chine n'est plus un pays arriéré, féodal et dominé par l'impérialisme : c'est un pays hautement développé, sans doute impérialiste, ce qui signifie que la révolution doit désormais être SOCIALISTE (il n'y a plus de féodalité ni de domination étrangère à éliminer). Au niveau universel, la lutte du prolétariat a gagné un apport considérable à sa théorie scientifique : le maoïsme. Armé du maoïsme, le mouvement révolutionnaire est maintenant plus fort qu'il ne l'a jamais été.

    Bref... La défaite de la révolution chinoise s'inscrit dans un contexte mondial, celui du reflux de la première vague de révolutions prolétariennes. Le processus de la révolution prolétarienne, commencé au 19e siècle, a culminé (globalement) entre 1917 et 1976, mais, dans le dernier quart du 20e siècle, on peut dire qu'un cycle s'est refermé. POUR AUTANT, NI pour la Chine NI pour le monde dans son ensemble, les choses ne sont (et ne seront jamais) comme avant la révolution chinoise, et comme avant ce cycle de révolutions qui va des années 1910 aux années 1970. Sur la route du communisme, la Chine a reculé par rapport à 1970, mais n'est pas revenue en 1910, 1920, ni même 1945 ! Le Népal a reculé, sans aucun doute, par rapport à la veille de la chute de la monarchie, en 2005-2006, quand seule Katmandou échappait au Pouvoir rouge ; mais il n'est pas revenu au début des années 90 (encore moins à avant 1990)... La fin d'un cycle ramène au-dessous de son point culminant, mais jamais au point de départ.

    En définitive, toute la question de l'activité des communistes, de la justesse de la ligne suivie, est la question d'à quel point (de la "marche vers le communisme") va nous "déposer" le cycle de luttes de classe dont nous sommes partie prenante. On en revient à ce qui était expliqué ici, dans l'article "Sur le processus révolutionnaire" : soit on change de classe dominante, donc de mode de production, et c'est une révolution ; soit on reste dans le même mode de production, mais on a une mise à niveau de l'organisation sociale avec le niveau des forces productives (et de la "conscience collective engendrée"), et c'est une réforme. En France il n'y a pas eu, à ce jour, de révolution socialiste. Il y a eu, après la Libération, des réformes, une mise à niveau de l'organisation sociale (ainsi que, dans une moindre mesure, dans les années 70-80, suite à l'"effervescence" post-68). Il n'y a pas eu de révolution, de prise du pouvoir par la classe ouvrière, parce qu'aucune organisation révolutionnaire n'a suivi une ligne correcte, suffisante. Pour autant, celui qui irait dire que ces cycles de luttes du 20e siècle, que le PC révolutionnaire des années 20-30-40 ou encore le mouvement de Mai 68 n'ont "servi à rien" ; que nous sommes "plus éloignés du communisme qu'auparavant" ; serait volontiers invité à remonter le temps et à aller passer quelques jours dans un coron du Nord en 1910...

    Au Népal, le "cycle maoïste" des années 1990-2000 a amené à l'abolition de la monarchie et à une république parlementaire "démocratique" bourgeoise, sans remettre en cause la domination impérialiste et l’oligarchie locale, et très partiellement seulement la féodalité. Bien sûr, si le PCN(m) avait eu une meilleure compréhension du marxisme-léninisme-maoïsme, ce "cycle" aurait pu "déposer" directement le peuple népalais dans une République populaire, une république "démocratique bourgeoise de nouveau type", avec au pouvoir le prolétariat et ses alliés paysans, petits-bourgeois aux conditions de vie prolétariennes etc. Il y aurait eu une révolution et non une réforme. Mais les communistes ne sont pas là pour "refaire l'histoire" avec des "si"... Leur rôle serait plutôt de rechercher, en tirant les leçons de l'expérience, les moyens de lancer un nouveau cycle qui, cette fois-ci, amènera le prolétariat népalais au pouvoir.

    Aujourd'hui, nous sommes entrés dans la NOUVELLE VAGUE DE LA RÉVOLUTION MONDIALE. Dans les dernières décennies du siècle dernier, les limites de la compréhension du monde (entre autres, de la compréhension de tout ce qui précède...), par les communistes, ont conduit la totalité des États révolutionnaires, socialistes ou de démocratie populaire, qui s'étaient construits, à disparaître. Mais, à présent, la dynamique est à nouveau ascendante. Peut se poser, bien sûr, la question des souffrances que l'humanité aura à traverser (et c'est une question que les communistes doivent prendre en compte : une de leurs tâches est, justement, d'essayer de limiter autant que possible ces souffrances). Tel est le sens du mot d'ordre "socialisme ou barbarie". Mais, c'est une certitude, la fin de ce siècle verra une humanité bien plus proche du communisme qu'elle ne l'est aujourd'hui !

    EN RÉSUMÉ :

    - Le rejet, par Mao, de la "négation de la négation", semble être plus un rejet du TERME, que de la substance de celui-ci (ce que Marx et Engels entendaient par ce terme). Dans son histoire, le PC de Chine a très fréquemment fonctionné par "négation de la négation" : négation du "premier Front uni" (contre les seigneurs de guerre) en 1927, négation du Front antijaponais en 1946, négation de la "démocratie bourgeoise de nouveau type" par le Grand Bond en 1958 et la Révolution culturelle en 1966 (pour avancer dans le socialisme, vers le communisme). Mais il est vrai que le terme peut prêter à confusion : laisser entendre que, par la "négation de la négation", on revient "à la case départ". C'est bien entendu faux. Il vaut mieux parler de "cycles", de "processus" qui amènent la société humaine, l'organisation sociale, la reproduction des conditions d'existence, la civilisation, à un niveau supérieur.

    - Mao affirme que la "négation de la négation" est, dans tous les cas, subordonnée à la loi de la contradiction. C'est exact : on peut dire, plus clairement, que la "négation de la négation" est l'apparence vue de l'extérieur, le rythme que prend l'évolution de la société humaine (et le mouvement dialectique de toute chose en général) ; tandis que la loi de la contradiction, l'"unité relative des contraires" (unité et lutte, principalement lutte) en est la FORCE MOTRICE (dans la société humaine, c'est la lutte des classes).

    - Sous ce point de vue, il y a de GRANDS cycles, qui font passer l'humanité d'une classe dominante, d'un mode de production et d'un type de société à un autre (par exemple : de la féodalité au capitalisme, ou bien sûr du capitalisme au communisme) ; et des petits cycles qui sont les subdivisions du grand. Chacun amenant l'humanité plus près de son but (négation de la féodalité par le capitalisme, négation du capitalisme par le communisme), l'évènement déterminant étant bien sûr le changement de classe dominante aux commandes de l’État. Les petits cycles qui échouent à accomplir ce changement, débouchent sur une réforme de l'organisation sociale (dans le cadre du même mode de production). Le rôle des communistes, dans les luttes présentes qu'ils vivent, est bien sûr de faire en sorte qu'il n'en soit pas ainsi, mais qu'il y ait bien prise de pouvoir par le prolétariat. Si cela échoue, ils doivent faire en sorte que cet objectif soit beaucoup plus proche qu'il ne l'était au début du cycle (c'est le cas au Népal : l'objectif est beaucoup plus proche qu'il ne l'était en 1990 ; toutefois, il aurait pu y avoir prise du pouvoir par le prolétariat, et c'est ce qui est douloureux à supporter pour beaucoup de communistes à travers le monde).

    - Cette distinction entre "grands" et "petits" cycles recoupe, finalement, la distinction stratégie/tactique. La stratégie des communistes, c'est la négation du capitalisme par le communisme, essentiellement en deux phases : la GUERRE POPULAIRE jusqu'à la prise du pouvoir par le prolétariat (dans un pays donné) ; le SOCIALISME (ou la démocratie nouvelle puis le socialisme) ensuite. Au sein de ce grand processus prolongé (très long), chaque période historique immédiate a ses grands affrontements de classe, ses grandes luttes contre la classe dominante (puis, sous le socialisme, contre la restauration capitaliste, les anciens et néo-bourgeois), avec leurs flux et reflux. Dans chacune de ces périodes historiques, les communistes déterminent leurs TACTIQUES, avec pour objectif, à l'issue de chaque cycle, de rapprocher au maximum le prolétariat, et les masses populaires derrière lui, de leur objectif (conquête du pouvoir, puis communisme)**.

    Il est donc parfaitement logique que les prétendus "maoïstes" (ultragauchistes petits-bourgeois) qui veulent nier toute idée d'étape, de flux et de reflux, de tactique, afin de satisfaire leurs fantasmes "puristes" d'intellectuels, affirment que Mao a rejeté la théorie de la "négation de la négation". Pour eux, le Parti est une "Lumière" qui descend du ciel sur les masses, produit de leur "Génie éclairé" ; et non l'avant-garde (la plus consciente et organisée) des exploité-e-s, qui se forge dans le mouvement réel de la lutte de classe, avec ses avancées et ses reculs, avec ses cycles... Si "tout n'est pas parfait" dès le départ, alors "tout est foutu" : il va sans dire que l'histoire du PC de Chine suffit, à elle seule, à démentir une telle conception.

    - Une "question-piège" pourrait alors être posée : comment se fait-il, comment s'est-il fait (au siècle dernier), qu'il ait pu y avoir restauration capitaliste (en URSS et Europe de l'Est, en Chine, au Vietnam, à Cuba : partout) ; autrement dit, négation du socialisme par le capitalisme ? Comment le socialisme peut-il être nié par le capitalisme ? Ne doit-il pas l'être (logiquement) par le communisme ?

    Eh bien, c'est tout simplement (et c'est peut-être là une grande limite de la compréhension communiste au 20e siècle) que la négation du capitalisme n'est pas le socialisme, mais le COMMUNISME : le socialisme est le processus de cette négation, après la conquête du pouvoir par le prolétariat (avant, c'est la Guerre populaire). Un processus qui, lui aussi, avance par cycles ; chaque cycle amenant la société plus près du communisme qu'à son commencement. Mais, à ses débuts, le Pouvoir prolétarien est fragile, surtout si nous sommes dans la première vague de révolutions prolétariennes de l'histoire humaine (pas ou peu d'expérience antérieure, donc) et surtout si (justement) il y a une mauvaise compréhension de ce qu'est le socialisme. Il peut donc être défait, non seulement par la Réaction extérieure et les vieilles classes déchues, mais (grand acquis du maoïsme) par la néo-bourgeoisie se formant au sein même du Parti et de l’État révolutionnaire. En URSS, le "cycle révolutionnaire bolchévik" a amené le prolétariat au pouvoir et culminé avec le lancement de la collectivisation (vers 1930), mais le Pouvoir prolétarien a commencé à se déliter, processus achevé à la fin des années 50. En Chine, la Révolution maoïste a mis les ouvriers et les paysans pauvres au pouvoir, a culminé dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, mais s'est aussi délitée et la contre-révolution a triomphé à la fin des années 70.

    Ces processus ont amené (comme toujours) les masses populaires plus près du communisme qu'au départ, mais les ont ramenées dans le capitalisme, après que le prolétariat ait été au pouvoir pendant une certaine période. Au final (de ce qui reste aujourd'hui, ce qui n'a pas été détruit), seules auront été accomplies les tâches révolutionnaires bourgeoises, dans des pays encore arriérés et féodaux : cela aura été la révolution industrielle de la Russie et de la Chine, en définitive. Pour autant, les masses populaires chinoises, les masses populaires russes (et ukrainiennes, etc.) sont objectivement plus près du communisme qu'elles ne l'étaient sous Tchang Kaï-chek et Nicolas II. Si l'on prend l'exemple de la révolution bourgeoise en France : la Restauration de 1815 a-t-elle ramené la société au Moyen-Âge, ou même sous Louis XIV ou Louis XV ? Bien sûr que non... Elle n'aura été qu'un recul (temporaire) dans le processus bourgeois de négation de la féodalité et d'affirmation du capitalisme (et du système politique parlementaire-libéral). Quelques "ultras" monarchistes auront simplement tenté de ramener le capitalisme au 18e siècle : un capitalisme "encadré" par une bureaucratie féodale (noblesse d'office), vivant sur son dos en parasite... Mais sans succès (la révolution bourgeoise reprendra le dessus en 1830 et 1848).

    De la même manière, le rétablissement du capitalisme, dans tous les pays engagés sur la voie socialiste au 20e siècle, n'est qu'un recul temporaire (dû aux limites de la compréhension du monde, des mécanismes de la transition vers le communisme etc.). En prenant appui sur l'expérience passée, la nouvelle vague de la révolution mondiale saura éviter le rétablissement du capitalisme, la prise de pouvoir par une néo-bourgeoisie, dans les pays où le prolétariat aura conquis le pouvoir : elle saura dans ces pays (et, à terme, dans le monde entier !) poursuivre la négation socialiste du capitalisme jusqu'au communisme !

     


    [(*) Ainsi que l'expose Mao, justement, dans De la contradiction, chapitre 3 "Le caractère spécifique de la contradiction" : "Bien que la nature de la contradiction fondamentale du processus pris dans son ensemble, c'est-à-dire le caractère de révolution démocratique anti-impérialiste et antiféodale du processus (l'autre aspect de la contradiction étant le caractère semi-colonial et semi-féodal du pays), n'eût subi aucun changement, on vit se produire au cours de cette longue période des événements aussi importants que la défaite de la Révolution de 1911 et l'établissement du pouvoir des seigneurs de guerre du Peiyang, la création du premier front uni national et la révolution de 1924-1927, la rupture du front uni et le passage de la bourgeoisie dans le camp de la contre-révolution, les conflits entre les nouveaux seigneurs de guerre, la Guerre révolutionnaire agraire (19), la création du second front uni national et la Guerre de Résistance contre le Japon - autant d'étapes de développement en l'espace de vingt et quelques années."]

    [(**) Le "destin" communiste de l'humanité est inéluctable. La valeur d'un Parti communiste se mesure à combien, dans le mouvement réel auquel il participe (n'est pas un Parti communiste un Parti qui n'y participe pas...), il réussit à avancer les masses de son pays vers cet objectif. Combien chaque cycle se referme loin, ou au contraire ridiculement près, de son point de départ : élever (beaucoup ou peu) la conscience et l'organisation révolutionnaire dans les masses (dans l'objectif de la conquête du pouvoir), conquérir ou non le pouvoir, réussir (lorsqu'il est conquis) à le conserver ou au contraire laisser le capitalisme se rétablir dans les rapports sociaux, puis à la tête de l’État, etc. Une grande question, qui traverse le mouvement communiste depuis longtemps, étant : l'humanité peut-elle avoir un autre avenir que le communisme ? On pense notamment à une régression vers la barbarie... Servir le Peuple ne le croit pas, il ne croit pas à ces scénarios post-apocalyptique de cinéma, à la "Mad Max". Le slogan "socialisme ou barbarie", parfois mis en avant par SLP, fait simplement référence au niveau de souffrances que l'humanité devra traverser d'ici à la chute du capitalisme, niveau que les communistes doivent se donner pour objectif, même si cela semble "impossible", de rendre minimal. "Socialisme ou barbarie" signifie que le plus vite, et le plus largement nous ferons triompher le socialisme sur la Terre, le plus nous pourrons éviter à l'humanité, ou limiter dans l'espace et dans la durée, les souffrances des crises (comme en Grèce), des guerres exterminatrices (comme en Afrique centrale ou en Irak), du fascisme et autres dictatures terroristes réactionnaires (comme celles qui écrasent les peuples arabes, de nombreux peuples d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine etc.). Mais l'humanité s'ouvrira, quoi qu'il arrive, la voie vers le communisme. La seule "variable" consiste en les souffrances qu'il faudra endurer pour y parvenir. L'humanité actuelle ne peut régresser à un niveau pré-capitaliste, encore moins archaïque ou primitif. Ainsi, les "invasions barbares" et les "âges obscurs" (du 5e-6e siècles de notre ère) sont très largement un mythe de la bourgeoisie (qui célébrait l'Antiquité gréco-romaine, et voyait dans les féodaux les descendants des "barbares") : c'est l'Empire romain qui était décadent, et cette décadence s'est simplement poursuivie avant que ne se "stabilise" la féodalité (vers le règne de Charlemagne) ; en aucun cas la civilisation n'a régressé au niveau (par exemple) de la Gaule pré-romaine ; et la Méditerranée (avec les Byzantins, l'Espagne wisigothique, puis les Arabes) a même gardé un très haut niveau de civilisation (au 8e siècle, de l'Espagne à l'Irak, la civilisation arabe dépassait déjà largement la civilisation romaine antique). Ce processus de "négation" de l'Antiquité par la féodalité court globalement du 3e au 8e siècle de notre ère. Tout au plus, la brutalité et les dévastations des "invasions" (mais aussi, déjà, des guerres civiles du Bas-Empire romain décadent) sont les équivalentes des grandes dévastations guerrières que le capitalisme inflige à l'humanité depuis plus d'un siècle ; mais l'humanité euro-méditerranéenne s'est néanmoins frayée un chemin vers un niveau de civilisation supérieur, celui du califat de Bagdad et d'Al-Andalus, de l'Occitanie, de l'Italie et de la Flandre des 12e-15e siècle, etc. Il en sera de même pour la négation du capitalisme par le communisme !] 


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