• Alors que la cannonière gronde au large d'Abidjan, étudions le Panafricanisme révolutionnaire

    Tandis que l'intervention impérialiste (sous une forme ou une autre), à moins que Gbagbo finisse par se "coucher", se prépare en Côte d'Ivoire, il ne se dresse (malheureusement) face à elle qu'un gouvernement réformiste social-libéral bourgeois, "mis à l'index" de l'Internationale "socialiste" et qui a fini par se lier à l'impérialisme US hier, chinois et russe aujourd'hui... (intéressant de noter, simplement, que la Françafrique n'est plus en mesure de tolérer même cela).

    C'est pourquoi il est important, plus que jamais, d'étudier le PANAFRICANISME REVOLUTIONNAIRE : la théorie la plus avancée produite par la 1ère vague de la Révolution mondiale (1917-1976) en Afrique. Une théorie qui a, clairement, montré ses limites : ses principaux leaders sont morts (généralement assassinés) et aujourd'hui, toute l'Afrique n'est que sous-préfectures néo-coloniales. Une théorie, donc, qu'il faut dépasser ; mais pour la dépasser, il faut encore la connaître !

    Le texte qui suit est de Ludo Martens, longtemps leader et théoricien du PTB. Nous voyons déjà venir les critiques de ceux/celles qui n'ont que ça à se mettre sous la dent : BIEN SÛR, Servir le Peuple est très éloigné (pour ne pas dire à l'opposé) des positions prises par Martens et le PTB depuis sa fondation (1974) - "trois-mondisme" dans les années 1970, puis "tiers-mondisme" international (pro-Chine, pro-Iran, pro-Corée du Nord, pro-Kabila) et social-démocratie "radicale" en Belgique depuis les années 1990.

    Il faut cependant reconnaître une chose à Ludo Martens : il est extrêmement bien documenté sur l'histoire de mouvement communiste international et sur les "classiques" du communisme ; et il est également un grand connaisseur du mouvement révolutionnaire en Afrique.

    Ce texte est d'une grande importance documentaire : pour Servir le Peuple, il serait inadmissible d'en priver le mouvement communiste francophone renaissant, sous prétexte que l'on a notre opinion sur le PTB. 

    Pour des questions de place, le texte n'est pas reproduit en intégralité : le lien est mis vers les parties non reproduites, mais elles ne parlent pas du panafricanisme révolutionnaire.

    Pour construire, il faut étudier ! Pas de Parti révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ! 

    Source 

    Au milieu du XXième siècle est sorti le fameux livre "Panafricanisme ou communisme?" dans lequel Georges Padmore a tracé la perspective d'une Afrique indépendante, basée sur l'entreprise privée, adoptant une orientation sociale-démocrate et hostile au communisme.(1) Aujourd'hui, nous pouvons dire que ce panafricanisme-là a définitivement échoué.

    Lorsque, bientôt, l'Afrique entrera dans le XXIième siècle, seul un panafricanisme basé sur le marxisme-léninisme pourra exprimer une position révolutionnaire, anti-impérialiste et socialiste.

    En 1970, lorsqu'il a abandonné l'idéologie qu'il avait partagée avec Padmore, Nhrumah écrit: "En Afrique, en Asie et en Amérique latine, l'ébullition économique, politique et sociale doit être expliquée dans le contexte de la révolution socialiste mondiale. Car, aujourd'hui, le processus révolutionnaire réunit trois courants: le système socialiste mondial, les mouvements de libération des peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine et les mouvements ouvriers des pays industrialisés capitalistes".(2) C'est en partageant cette vision, que nous, en tant que communistes oeuvrant en Europe, exprimons notre opinion sur le Panafricanisme du siècle à venir.

    Au cours des quatre décennies passées, les trois courants révolutionnaires mondiaux ont subi de graves défaites dont il s'agit de saisir les causes profondes. Les faiblesses et les erreurs des trois courants ont d'ailleurs exercé une influence réciproque.

    Pourquoi, soixante-dix ans après la grande révolution d'Octobre, le socialisme a-t-il été détruit et le capitalisme restauré en Union soviétique ?

    Pourquoi, trente ans après la grande vague révolutionnaire des indépendances, le néocolonialisme fait-il des ravages jamais vus en Afrique?

    1. La recolonisation de l'Afrique

    La vague révolutionnaire qui a soulevé l'Afrique au cours des années soixante s'est essoufflée depuis longtemps et l'Afrique semble retombée dans la nuit néocoloniale. La presse et les milieux gouvernementaux occidentaux discutent ouvertement de la recolonisation de l'Afrique. Comme à l'époque coloniale, la politique financière et économique africaine est décidée à l'étranger, par le FMI et la Banque mondiale. L'armée française est toujours présente en Afrique, au centre, à l'est et à l'ouest. Les États-Unis aussi disposent de plusieurs points d'appui militaires sur le continent. L'impérialisme a réinventé un "droit d'ingérence militaire pour des raisons humanitaire", droit qu'il avait revendiqué au siècle passé. Un livre commandé par l'armée belge et consacré à l'intervention militaire de la Belgique en Somalie, affirme que la première intervention humanitaire belge eut lieu en 1885 au Congo, sous le règne de Léopold II...

    Comment expliquer un échec aussi fracassant ?

    D'abord, le processus de décolonisation a été le résultat de plusieurs facteurs.

     Il y avait le mécontentement profond et la révolte des populations africaines qui a pris parfois la forme de résistances armées.

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, les puissances coloniales, et notamment la France, la Grande Bretagne et la Belgique, furent gravement affaiblies. L'Union soviétique socialiste, qui avait porté l'essentiel de l'effort de la guerre anti-fasciste, voyait son prestige augmenter parmi les forces nationalistes du tiers monde.

    La politique extérieure révolutionnaire de l'Union soviétique, ainsi que l'exemple de la Chine et du Vietnam qui ont réalisé leur révolution nationale et démocratique, ont encouragé les peuples de l'Afrique et de l'Asie à lutter contre les puissances coloniales, pour leur indépendance.

    Les États-Unis étaient favorables à la fin du régime colonial et à son remplacement par le néocolonialisme qui leur permettrait de remplacer ses concurrents belges, français, anglais et portugais.

    Une fraction de la bourgeoisie des pays colonisateurs, souvent liée à la social-démocratie, comprenait la nécessité d'un changement de tactique pour sauver l'essentiel.

    Ces facteurs ont contribué à ce que la plupart des mouvements de libération n'aient pas eu le temps de mûrir politiquement et organisationnellement.

    Au Congo belge, le premier parti politique a été créé en octobre 1958; un an plus tard, la date de l'indépendance était fixée. Sans formation universitaire, pratiquement sans expérience politique, sans la moindre connaissance du marxisme et du chemin parcouru par les révolution socialistes, les "évolués" n'étaient pas armés pour affronter les difficultés politiques qui les attendaient. La domination intellectuelle de l'Église catholique belge au Congo fut telle qu'un homme comme Lumumba n'avait jamais eu la possibilité de lire un seul ouvrage marxiste-léniniste. Lorsqu'en 1960, il devient un nationaliste révolutionnaire, la Belgique ameute tous les réactionnaires noirs pour dénoncer "l'homme du colonialisme communiste et de l'impérialisme marxiste-léniniste" , comme le disait le porte-parole de Mobutu en septembre 1960.(3) L'anticommunisme fut la clé de la domination intellectuelle du colonialisme et du néocolonialisme au Congo.

    Lumumba avait autour de lui une poignée d'éléments nationalistes révolutionnaires qui s'opposaient réellement à la continuation de la domination belge sous d'autres formes. Mais ils n'avaient pas le bagage politique pour s'orienter dans une situation interne tout à fait inédite. Le passage du colonialisme au néocolonialisme a transformé en peu de temps et de fond en comble la situation matérielle et la position sociale de quelques milliers de petits bourgeois. D'un coup, ils devenaient membres d'une nouvelle bourgeoisie bureaucratique et compradore. Ces privilégiés de l'indépendance formelle se sont transformés en une force contre-révolutionnaire, opposée à l'approfondissement de la lutte pour une indépendance politique et économique authentique. Les rares dirigeants qui défendaient cette dernière option - Lumumba, Mpolo, Mbuyi, Elengesa et tant d'autres - furent assassinés ou contraints à l'exil, comme Mulele et Bengila. Le discours nationaliste révolutionnaire de Lumumba fut vite récupéré de façon démagogique par ceux-là mêmes qui l'avaient tué, avant tout par Mobutu. À aucun moment, la bourgeoisie belge, épaulée désormais par les États-Unis, n'a perdu le contrôle ni sur l'économie, ni sur l'appareil d'État, ni sur les organisations politiques congolaises.

    Le lumumbisme, idéologie de la lutte anti-impérialiste et démocratique au Congo, n'est pas sorti des limites de la pensée bourgeoise radicale; aussi ne pouvait-il pas affronter les problèmes du néocolonialisme.

    En fait, l'idéologie de Nkrumah, beaucoup plus sophistiquée et élaborée que celle de Lumumba, n'est pas non plus arrivée à dépasser ces limites, du moins pendant la période où il gouvernait le Ghana.

    Nkrumah a été fortement influencé par Padmore, nationaliste africain proche de la social-démocratie internationale et opposé au marxisme-léninisme. Dans sa propre idéologie, le consciencisme, Nkrumah a voulu appliquer les "vraies valeurs" de la société traditionnelle africaine, de l'islam et du christianisme, c'est-à-dire l'humanisme, l'égalitarisme, le collectivisme, à une société en voie d'industrialisation. L'application de ces concepts idéalistes et petit-bourgeois ne permettait pas à Nkrumah d'appréhender les réalités économiques, politiques et sociales qui l'entouraient. À l'époque, il ne reconnaissait pas l'universalité de la science marxiste-léniniste et, par conséquent, il ne pouvait pas cerner les mécanismes de la formation des classes sociales au Ghana, ni développer une lutte de classes anti-impérialiste et anti-capitaliste conséquente, ni adopter les structures d'un parti d'avant-garde, capable d'affronter l'impérialisme et la bourgeoisie.

    Pendant que Nkrumah parlait d'égalitarisme et de collectivisme, une nouvelle classe bourgeoise se développa à l'intérieur de l'appareil de l'État; elle utilisa cet appareil pour s'enrichir de façon légale et illégale; le népotisme, la fraude et la corruption se développèrent.

    Ces bourgeois contrôlaient aussi la machine du Convention People's Party, parti unique. Parmi eux on trouvait des hommes liés à la vieille aristocratie, des hommes sans scrupule capables de tenir n'importe quel discours pour arriver au pouvoir et amasser des fortunes et des partisans de l'entreprise privée. Certains avaient des liens ouverts avec l'ambassade de l'Allemagne fédérale et à travers elle, avec les Américains et les Britanniques. Nkrumah critiquait la corruption des hauts fonctionnaires de son parti mais, adversaire de l'analyse rigoureuse des classes et des intérêts des classes, il croyait que le discours humaniste et collectiviste pouvait "transformer" tous les hommes.

    Nkrumah était l'homme le plus avancé et le plus radical de sa génération. Mais il n'était pas un marxiste-léniniste. Il était seul, entouré de quelques fidèles dans un parti dont les fonctionnaires étaient fondamentalement hostiles à ses idées. Dès lors le coup d'État contre-révolutionnaire, néocolonial du 24 février 1966 était inévitable.

    Le lumumbisme et le consciencisme étaient les idéologies les plus avancées de la petite-bourgeoisie africaine révolutionnaire et anti-impérialiste. Ces courants politiques marquaient une étape nécessaire dans le mûrissement idéologique des peuples africains.

    Entre 1944 et 1956, deux courants principaux du processus révolutionnaire se sont développés avec force. Le premier, celui de la construction du socialisme en Union soviétique, puis en Chine populaire, réalisa une alternative au monde capitaliste. Le second, la lutte révolutionnaire anti-coloniale et anti-impérialiste, attaqua la base des super-profits que le capitalisme occidental empocha dans le tiers monde. Ce second courant porta ainsi des coups mortels à la grande bourgeoisie occidentale.

    Le passage d'une révolution démocratique (révolution bourgeoise, révolution nationale et anti-coloniale) à la phase d'une révolution socialiste, la transformation d'une révolution nationale et démocratique en révolution socialiste, est une question capitale. C'est aussi un processus révolutionnaire très compliqué.

    La révolution anti-coloniale des années cinquante et soixante en Afrique avait deux options stratégiques. Elle pouvait être dirigée par une coalition entre la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie nationales et dans ce cas la rupture avec le système capitaliste mondial ne serait pas radicale. À terme, la bourgeoisie africaine devait alors se réconcilier avec la grande bourgeoisie internationale et réintégrer le marché capitaliste mondial.

    L'autre voie consistait à lutter pour une indépendance totale et pour le socialisme, deux aspects inséparables. La révolution anti-coloniale devait affronter frontalement la grande bourgeoisie occidentale et rompre avec elle dans le domaine politique, militaire, économique et culturel. Dans ce combat, la révolution africaine devait s'allier au socialisme mondial, le principal adversaire de la bourgeoisie occidentale dominant l'Afrique. Pour mener ce combat, la révolution africaine devait s'armer en conséquence. Il fallait passer de l'idéologie révolutionnaire nationaliste à l'idéologie socialiste, du lumumbisme et du consciencisme au marxisme-léninisme.

    Grâce à cette transformation, l'Afrique pouvait tirer profit de certaines expériences fondamentales qui correspondaient assez bien à ses propres conditions. En effet, le passage direct d'une société féodale et dominée à une société socialiste avait déjà été réalisé dans les Républiques asiatiques de l'URSS ainsi qu'en Chine, en Corée et au Vietnam.

    Le passage de l'idéologie nationaliste à l'idéologie marxiste-léniniste s'imposait à tous les révolutionnaires africains, partisans de l'indépendance total. Ainsi, au Congo-Kinshasa, Pierre Mulele, suite à l'assassinat de Lumumba et à la trahison de la plupart des lumumbistes, fit le bilan du nationalisme congolais. Mulele, tout en gardant les aspects révolutionnaires du lumumbisme, assimila le marxisme-léninisme qu'il appliqua à la réalité spécifique de la révolution congolaise. L'insurrection populaire qu'il dirigea entre 1963 et 1968 a atteint un niveau politique et organisationel de loin supérieur au stade lumumbiste. Osende Afana et beaucoup d'autres combattants de l'indépendance africaine ont pris la même option. Cette voie révolutionnaire aurait pu s'imposer en Afrique et en Asie au cours des années soixante, et ainsi contribuer à sceller définitivement le sort à l'impérialisme. Mais c'est ici que se situe la grande trahison de Khrouchtchev.

    Après son coup d'Etat de 1956, Khrouchtchev changea complètement l'orientation idéologique et politique de l'URSS, révisant tous les principes fondamentaux du marxisme-léninisme. Cette trahison a complètement désorienté les jeunes forces révolutionnaires africaines qui cherchaient encore leur voie. Du temps de Staline, le Parti bolchevik les aidait à réaliser le passage de l'idéologie nationaliste au socialisme scientifique. Krouchtchev et Brejnev, sous un verbiage pseudo-marxiste, les ont repoussés dans l'idéologie petite-bourgeoise.

    Krouchtchev et Brejnev ont nié la nécessité, pour la révolution africaine, de rompre radicalement et totalement avec l'impérialisme. Ils se sont opposés à un travail d'organisation et de conscientisation à long terme au sein des masses ouvrières et paysannes. Ils ont nié la nécessité d'une dictature des ouvriers et des paysans pour mater les forces du néo-colonialisme. Ils n'ont jamais évoqué les luttes de classes complexes qu'il faut mener pour passer du pouvoir ouvrier et paysan à la société socialiste. Ils ont nié la nécessité d'une lutte populaire prolongée contre la bourgeoisie renaissante et contre les intrigues et complots impérialistes.

    Khrouchtchev et Brejnev ont rejeté la thèse que seul un parti marxiste-léniniste peut diriger l'ensemble du processus révolutionnaire aboutissant à l'indépendance et au socialisme. Ils ont rayé l'idée essentielle de Lénine et Staline que le Parti doit mener une lutte incessante contre l'opportunisme, le bureaucratisme, le technocratisme, le carriérisme, le népotisme et le profitariat.

    Ainsi, dans une période cruciale de l'histoire africaine, Krouchtchev et Brejnev ont aidé à désarmer les jeunes forces révolutionnaires au profit de la bourgeoisie.

    Il est donc nécessaire d'examiner les raisons de la dégénérescence de l'Union soviétique, qui a eu des répercussions sur l'ensemble de la situation internationale et notamment sur les révolutions africaines.

    2. La restauration du capitalisme en Union Soviétique

    3. Les leçons de l'expérience historique de l'Union soviétique 

    4. La nature du panafricanisme

    En Afrique, il y a nécessairement autant de mouvements panafricanistes différents qu'il y a de classes sociales. Au delà des frontières africaines, les courants politiques identiques se soutiennent mutuellement, créant un panafricanisme à contenu de classe déterminé.

    Il y a eu tout d'abord le panafricanisme réactionnaire d'inspiration coloniale.

    Au Congo belge, l'Église catholique a été la première force à préparer la période post-coloniale en formant un personnel politique réactionnaire et pro-impérialiste. L'Église catholique, épaulée par les puissances coloniales, a créé aussi des cadres où des Africains réactionnaires des différents colonies se rencontraient et unifiaient leur pensée politique. Joseph Iléo et monseigneur Malula, deux figures de proue des milieux catholiques, ont joué un rôle déterminant dans le renversement du gouvernement Lumumba.

    L'abbé Fulbert Youlou, le président du Congo-Brazzaville, a été un représentant typique de ce panafricanisme réactionnaire.

    Il commence par parler de la grandeur et de la tradition africaine. "Les civilisations du Bénin et du Nigeria témoignent d'un Moyen Age honorable". "Il est temps que les Africains pensent eux-mêmes leur politique". "L'heure des grands ensembles est aussi l'heure de l'Afrique à son éveil". Les vrais nationalistes doivent s'allier aux "représentants traditionnels de l'Afrique". (16)

    Qui est l'ennemi principal du panafricaniste réactionnaire Fulbert Youlou ?

    "Le péril qui menace l'Afrique aujourd'hui est teinté du jaune communiste de Pékin". "C'est la race noire tout entière qui est menacée d'extermination sous l'occupation massive des vagues chinoises". "L'idéologie mondiale communiste qui a diaboliquement poussé l'Homme d'Occident à douter de la valeur de sa civilisation chrétienne, est la cause essentielle du drame africain." (17) Et Fulbert Youlou de dénoncer tous les "collaborateurs" communistes: "Nkrumah, le complice africain de Mao". "Entre Boumedienne et les Chinois, il y a un pacte de sang". "En Tanzanie, c'est un obscur correspondant de presse de l'agence Chine Nouvelle, Babu, qui déclenche l'insurrection. Au Kenya, c'est M. Odinga Oginga, amateur de tourisme russo-chinois".(18)

    Quelle est la voie à suivre pour l'Afrique ?

    Il faut "une grande stratégie de tous les États du continent noir", à mettre en oeuvre avec Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, Tombalbaye du Tchad, Banda du Malawi, Yaméogo de la Haute-Volta, Diori Hamani du Nigeria, Dacko de la République centrafricaine, le roi Mwabusta IV du Burundi et avec Tshombe et Mobutu au Congo-Kinshasa.(19) "L'unité africaine n'est réalisable que dans l'adhésion du continent noir au bloc occidental". "Je me bats pour que le Marché commun soit étendu à tout le continent africain" . Il faut "associer la défense de l'Afrique à celle du Monde libre" en élargissant "la zone couverte par l'OTAN". "La non-intervention est un encouragement à la destruction de la liberté dans le monde".(20)

    Ce qui frappe le plus dans les propos extravagants de Fulbert Youlou, c'est qu'aujourd'hui, l'effondrement du socialisme et l'échec du mouvement nationaliste africain ont créé les conditions de leur réalisation...

    Toute forme de panafricanisme trouve au niveau mondial des alliés qui partagent ses intérêts de classe.

    Les idées de Fulbert Youlou se retrouvent presque mot par mot dans le livre du major Siegfried Müller, nazi allemand, décoré par Hitler, chefs des mercenaires engagés en 1964-1965 contre la révolution muléliste au Congo. Il écrit: "Le monde libre doit choisir en Afrique les Africains qui ne font pas semblant d'imiter nos théories progressistes et miser avec tous nos atouts sur les Africains fidèles à leurs traditions, leurs coutumes, leurs chefs. Voilà le sens que le mercenaire Müller donne à son engagement aux côtés de l'Armée Nationale Congolaise qui, par la valeur de ses chefs et l'idéal africain du gouvernement et de l'homme qu'elle sert, représente pour la subversion rouge en Afrique le plus solide barrage". "Patrice Lumumba voulait congoliser le Congo avec ses idées volées à l'Occident, contre tous les chefs naturels, toutes les tribus, les clans, les traditions qui sont l'Afrique réelle". "Politiquement, l'Afrique peut, en s'associant au Marché commun, faire son avenir". (21)

    Il y a ensuite le panafricanisme de la petite bourgeoisie, rêvant d'une Afrique politiquement indépendante et unie mais refusant de rompre avec le marché capitaliste mondial et donc avec l'impérialisme.

    Le panafricanisme petit-bourgeois a trouvé ses principaux idéologues en Du Bois, Padmore, Nkrumah et Sékou Touré. Il a un caractère révolutionnaire dans la mesure où il vise à briser les chaînes coloniales et à mettre fin à la domination politique directe de l'Occident sur les pays Africains. Mais les idéologues de la petite bourgeoisie ne sont jamais révolutionnaires jusqu'au bout, ils ne s'attaquent pas aux racines économiques de la domination impérialiste.

    Après la réalisation de l'indépendance africaine, Du Bois prévoyait "une coopération plus étendue avec les dirigeants blancs du monde". (22) Sa formule "l'autodétermination nationale, la liberté individuelle et le socialisme démocratique" correspondait exactement au programme de la social-démocratie, c'est-à-dire à l'aile réformatrice de la grande bourgeoisie européenne. (23)

    Padmore estimait que les "anticolonialistes britanniques" qui suivaient "une politique conséquente" se trouvaient dans le Parti travailliste.(24) Nationaliste petit-bourgeois, Padmore ne voulait rompre ni avec l'impérialisme, ni avec le capitalisme. S'adressant aux États-Unis, Padmore écrit en 1955: "Je puis offrir une garantie contre le communisme. Cette garantie... rendra à jamais cher aux Africains le peuple de la grande république nord-américaine... Les hommes d'État américains n'ont qu'à faire un geste hardi en faveur des Africains... Ce geste doit revêtir la forme d'un programme d'Aide Marshall pour l'Afrique... Quelle belle façon de réparer les torts jadis infligés aux Africains." Puis Padmore juge positif le "Rapport de la Commission Royale relatif à l'Afrique orientale", mais, dit-il, "même les meilleurs plans économiques et sociaux n'aboutiront pas ... sans la bienveillance et la coopération des Africains". "L'assurance, la confiance et le respect mutuel une fois établis entre les leaders africains et leurs conseillers européens, rien n'empêchera le rapide progrès économique et social de l'Afrique". Puis Padmore développe un programme axé sur "les secteurs à l'initiative privée" . Il conclu sur un credo typiquement petit-bourgeois: "Le panafricanisme offre une alternative idéologique par rapport au communisme... Le panafricanisme porte son regard au-dessus des étroits intérêts de classe et de race... il veut une égalité d'occasion pour tous." (25)

    Pendant longtemps, Sékou Touré a maintenu un discours nationaliste, populiste et révolutionnaire qui avait très peu de rapport avec la réalité sociale et économique changeante de la Guinée. Dès le début des années soixante, la corruption se développa parmi les fonctionnaires et quelques purges spectaculaires ne l'ont nullement freiné. En avril 1962, un nouveau code des investissements offrait d'amples avantages et privilèges au capital étranger auquel des hauts fonctionnaires se sont liés à travers des sociétés mixtes. En 1963, le commerce privé fut réhabilité et les mines de diamant dénationalisées, ce qui offrit de nouvelles possibilités d'enrichissement aux fonctionnaires et aux commerçants, les seuls à posséder les capitaux nécessaires. (26) En novembre 1962, Sékou Touré s'était réconcilié avec le "panafricaniste réactionnaire" Houphouët-Boigny qui s'écria lors de sa visite à Conakry: "Hommage à mon frère Sékou Touré, artisan déterminé de l'Unité africaine; nous faisons le serment que nous ne nous séparerons jamais; nous oeuvrons tous pour une Afrique unie, prospère et fraternelle". Un an plus tard, en mars 1963, Sékou Touré déclarait: "Nous n'avons pas dit 'Non' à la France ni à De Gaulle. Au contraire, nous voulions sitôt notre indépendance acquise et garantie, signer des accords d'association prévus par la Constitution Française".(27)

    De nos jours, l'internationalisation de plus en plus poussée de l'économie capitaliste tend à égaliser les conditions d'exploitation économique sur l'ensemble du continent. Sous l'impulsion du capital financier international s'est développé un "panafricanisme de la grande bourgeoisie".

    La Charte de l'OUA de 1963 fixe comme un objectif majeur la coordination de la politique dans le domaine de l'économie, des transports et des communications. Dans l'Acte final de Lagos en 1980, cet objectif est formulé ainsi: "un marché commun africain, prélude à une Communauté économique africaine" afin "d'assurer l'intégration économique, culturelle et sociale de notre continent" .(28) Mais cette "intégration africaine" se fait dans des conditions où l'Occident exerce un contrôle croissant sur la vie économique et financière de l'ensemble du continent! Nous ne sommes pas loin de la définition de l'"Euroafrique", chère aux colonialistes des années 50, ni de l'association de l'Afrique au Marché commun européen, prônée par des réactionnaires comme Fulbert Youlou et Houphouët-Boigny en 1960.

    Comme cela devait se produire nécessairement, le discours nationaliste radical tenu par la petite bourgeoisie au cours des années soixante a été balayé par le développement inhérent au capitalisme. La nécessité de disposer de marchés plus vastes est devenue le moteur du panafricanisme de la bourgeoisie africaine. Ainsi, le panafricanisme de la grande bourgsoie africaine n'est qu'une facette du mondialisme du capital. Les multinationales sont la force dirigeante du panafricanisme bourgeois. Ainsi, les dernières venues des puissances néocoloniales en Afrique, l'Allemagne et le Japon, qui doivent supplanter la concurrence anglo-américaine et française, présentent des projets "panafricains", des travaux d'infrastructure pouvant lier la Méditerranée au Cap et l'Afrique de l'Ouest à la côte est. Dans leurs revues, pour "vendre" ces projets, ils publient même des articles sur les travaux de Cheikh Anta Diop...

    La bourgeoisie du Nigeria, en poussant à la création de la CEDEAO, espérait rafler les marchés de ses quinze concurrents africains plus faibles. Mais finalement, ce n'est pas la bourgeoisie du Nigéria qui profitera du panafricanisme du marché, mais bien les puissances impérialistes qui se livrent une concurrence de plus en plus acharnée pour tous les marchés du monde.

    À l'approche du vingt-et-unième siècle, le seul panafricanisme révolutionnaire est le panafricanisme du prolétariat africain, comme Elenga Mbuyinga le faisait déjà remarquer en 1975.

    Pendant la vague révolutionnaire des années soixante, ce panafricanisme révolutionnaire s'est manifesté dans l'oeuvre et dans la pratique de Mulele au Congo, d'Osende Afana au Cameroun, d'Amilcar Cabral en Guinée-Bissau et dans les derniers ouvrages de Nkrumah.
    http://mondomix.com/blogs/media/image/Am%C3%ADlcar_Cabral(1).png

    Leur panafricanisme était une concrétisation, sur le terrain africain, de l'internationalisme prolétarien, de l'unité de pensée et d'action du prolétariat mondial, représenté par le mouvement communiste international.

    Ces révolutionnaires africains ont développé leur idéologie en étudiant le marxisme-léninisme, entre autres à travers les expériences de la révolution chinoise et cubaine. Pierre Mulele a suivi une formation politique et militaire en Chine, avant de déclencher, en août 1963, la grande insurrection populaire au Congo. Son compagnon Léonard Mitudidi a fait venir Che Guevara aux maquis du Congo. Mais à l'arrivée de Guevara au front de l'Est, Mitudidi était déjà mort. Le plan de Guevara pour rejoindre le maquis de Mulele au Kwilu n'a pu se réaliser à cause de l'opposition des opportunistes congolais comme de l'OUA.

    Une autre caractéristique de ce panafricanisme est qu'il a été forgé à travers une pratique commune basée sur la mobilisation politique des masses ouvrières et paysannes et sur la lutte armée. Au début des années soixante, des cadres révolutionnaires du Congo-Brazza, du MPLA, de l'UPC camerounais et du mouvement muléliste se sont entraidés pour la formation militaire et politique dans des camps au Congo-Brazza. C'est en s'appuyant entre autres sur leur expérience que Nkrumah a pu écrire en 1970: "Le Parti n'arrivera pas à ses fins sans utiliser toutes les formes de la lutte politique, y compris la lutte armée. Si la lutte armée doit être engagée de façon efficace, elle doit être centralisée" .(29)

    5. Nationalisme et internationalisme

    Le panafricanisme petit-bourgeois était essentiellement un nationalisme ; le panafricanisme révolutionnaire est internationaliste.

    Les rapports entre nationalisme et internationalisme constituent un domaine très complexe de la théorie marxiste-léniniste. Ils sont d'un intérêt particulier pour l'Afrique, le continent qui a connu l'oppression nationale la plus longue et la plus cruelle.

    L'impérialisme a créé un marché mondial, un système mondial de production, d'échanges et de communications. Toute production d'une certaine envergure, peu importe où elle se réalise, s'insère dans ce marché mondial. La grande bourgeoisie est une classe internationaliste soudée par le marché mondial et par la volonté commune de protéger partout au monde les conditions de "l'entreprise libre" contre la révolution socialiste.

    Tout en étant internationaliste dans sa conception du monde et dans ses activités économiques, la bourgeoisie de tous les pays soutient le nationalisme bourgeois pour diviser et abrutir les ouvriers et les entraîner derrière ses propres intérêts de classe. Nous assistons à ce phénomène apparemment paradoxal: à mesure que progresse l'internationalisation du capital, nous voyons partout monter des mouvements "nationalistes" extrêmes, de type fasciste: du "nationalisme" prôné par Le Pen en France et du "nationalisme" croate jusqu'au fondamentalisme islamiste, au fondamentalisme hindou et au tribalisme à la Buthelesi...

    L'internationalisation du capital se produit au milieu d'une crise généralisée de surproduction; les mouvements nationalistes de droite permettent à la bourgeoisie de contrôler et de dominer les masses, sans que cela entrave la liberté du capital et son internationalisation.

    Seule la classe ouvrière s'oppose diamétralement à l'internationalisme bourgeois, dans la mesure où elle prend conscience de ses intérêts de classe historiques. Les ouvriers du monde entier se trouvent fondamentalement dans une position commune par rapport aux moyens de production et à la classe capitaliste qui les possède. Seule le socialisme scientifique, idéologie révolutionnaire commune à tous les ouvriers, peut constituer une alternative de classe à l'exploitation capitaliste. Un aspect en est l'internationalisme prolétarien, la solidarité internationale des ouvriers et des travailleurs contre leurs ennemis communs.

    Tout en étant internationaliste dans sa conception du monde, le prolétariat soutient toutes les luttes nationales contre l'oppression et la domination impérialiste.

    Les pays africains ont cinq siècles d'humiliations, de discriminations et d'oppressions nationales derrière eux. Les progressistes et révolutionnaires du monde entier avaient comme devoir de soutenir les peuples africains dans leur lutte nationale contre toutes ces humiliations, discriminations et oppressions. Aucun prétexte ne pouvait être invoqué pour ne pas soutenir la lutte nationale contre la domination esclavagiste, coloniale et néocoloniale.

    Mais c'est là une tâche essentiellement négative. Le prolétariat soutient toute lutte nationale contre la domination impérialiste, mais il ne soutient pas "positivement" le nationalisme. Le nationalisme est toujours l'idéologie par laquelle la bourgeoisie et la réaction nationale essayent de subordonner les travailleurs à leurs propres intérêts cupides. Après avoir tué Lumumba et les lumumbistes, Mobutu reprit un grand nombre de leurs positions sous une forme démagogique, il créa son propre "nationalisme congolais" pour subordonner les masses aux intérêts de la bourgeoisie bureaucratique et pro-impérialiste. Ce n'était plus un nationalisme "négatif" dressant les masses congolaises contre l'oppresseur belgo-américain, mais un nationalisme "positif" unissant les masses à la grande bourgeoisie congolaise, agissant comme intermédiaire aux intérêts impérialistes.

    Lénine a déclaré avec une grande perspicacité: "Le marxiste reconnaît pleinement la légitimité historique des mouvements nationaux. Mais pour que cette reconnaissance ne tourne pas à l'apologie du nationalisme, elle doit se borner très strictement à ce que qu'il y a de progressiste dans ces mouvements, afin que cette reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience socialiste par l'idéologie bourgeoise". "Le nationalisme bourgeois militant abêtit, décervelle, désunit les ouvriers pour les placer sous la houlette de la bourgeoisie". "Le nationalisme bourgeois et l'internationalisme prolétarien sont deux mots d'ordre irréductiblement opposés qui correspondent aux deux grands camps de classe du monde capitaliste". (30)

    Appliquant ces concepts de Lénine à l'Afrique, Amilcar Cabral a déclaré: "Le cas néocolonial ne se résout pas par une solution nationaliste; il exige la destruction de la structure capitaliste implantée par l'impérialisme dans le territoire national et postule justement une solution socialiste". (31)

    À la question du nationalisme est lié celle de la culture nationale.

    Amilcar Cabral a fait remarquer que la culture africaine a constitué "le seul rempart susceptible de préserver l'identité (du peuple dominé)" . Ceci vaut "non seulement pour les masses populaires, mais aussi pour les classes dominantes autochtones - chefs traditionnels, familles nobles, hiérarchie religieuse". Tout cela a facilité "le développement du mouvement de libération". (32) Cabral envisage donc la culture africaine sous l'angle de son importance pour le combat contre la domination coloniale. Et c'est précisément sous cet angle qu'il distingue les éléments positifs et négatifs dans la culture africaine. "Seule la lutte révèle comment et combien la culture est, pour les masses populaires, une source inépuisable de courage, d'énergie physique et psychique, mais aussi, par certains aspects, d'obstacles et de difficultés, de conceptions erronées de la réalité, de déviations dans l'accomplissement du devoir." (33)

    Après la victoire sur le colonialisme, la question de la culture se pose d'une façon nouvelle. Les chefs traditionnels, familles nobles, chefs religieux et nouveaux bourgeois essaient d'imposer leur culture, qui exprime leurs intérêts de classe, comme la "culture nationale".

    À ce propos, Lénine a exprimé la conception commune à tous les révolutionnaires du monde. "Chaque culture nationale comporte des éléments, même non développés, d'une culture démocratique et socialiste, car dans chaque nation, il existe une masse laborieuse et exploitée, dont les conditions de vie engendrent forcément une idéologie démocratique et socialiste. Mais dans chaque nation, il existe également une culture bourgeoise (et qui est aussi, la plupart du temps, ultra-réactionnaire et cléricale), pas seulement à l'état d'éléments, mais sous forme de culture dominante. Aussi, d'une façon générale, la "culture nationale" est celle des grands propriétaires fonciers, du clergé, de la bourgeoisie." "Le mot d'ordre de la culture nationale est une duperie bourgeoise. Notre mot d'ordre à nous, c'est la culture internationale du démocratisme et du mouvement ouvrier mondial". "Nous empruntons à chaque culture nationale uniquement ses éléments démocratiques et socialistes." (34)

    Certains milieux panafricains défendent la thèse que "les Africains noirs et les Noirs de l'Asie, de l'Océanie, des Caraïbes, de l'Afrique du Sud et des États-Unis partagent une âme culturelle commune ".(35) Cette idée va à l'encontre du marxisme et aide les Mobutu, les Eyadema et les Tonton Macoutes à mystifier et opprimer leur peuple au nom de l'authenticité et de "l'âme noire commune".

    6. Leçons de l'échec africain

    Nous pouvons maintenant formuler quelques leçons supplémentaires de l'échec du nationalisme africain et du panafricanisme du début des années soixante, des leçons qui sont abordées dans l'oeuvre de Mulele, d'Osende Afana, d'Amilcar Cabral et de Nkrumah.

    D'abord: "Pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire".

    Ce critère fondamental se trouve dans l'ouvrage "Que Faire?" de Lénine qui élabore cette thèse en ces termes: "l'indifférence à l'égard de toute théorie, est une des causes principales du peu de progrès du mouvement ouvrier, du trouble et de la confusion". "Le socialisme, depuis qu'il est devenu une science, veut être traité, c'est-à-dire étudié comme une science".(36) Ainsi, Lénine demande aux cadres supérieurs de tout mouvement révolutionnaire d'étudier la science marxiste avec la même application qu'il faut pour maîtriser les sciences physiques ou médicales.

    Lorsqu'il était au pouvoir, sous l'influence de la social-démocratie, Nhrumah ne s'est jamais fixé la tâche d'étudier consciemment la science de la révolution, la doctrine de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong. Ce n'est qu'après le coup d'État qui le renversa, qu'il s'est orienté vers l'étude systématique du socialisme scientifique.

    Il s'agit non seulement de bien connaître la méthode, la façon d'analyser et les thèses du marxisme, mais aussi de savoir reconnaître le pseudo-marxisme. "L'idéologie marxiste ne peut obtenir et conserver la suprématie que par une lutte inlassable contre toutes les autres idéologies. L'idéologie bourgeoise est bien plus ancienne que l'idéologie socialiste, elle est plus amplement élaborée et possède infiniment plus de moyens de diffusion." "La tendance opportuniste implante, dans le socialisme, les idées bourgeoises et les éléments bourgeois".(37)

    Nkrumah ne s'est jamais démarqué complètement du vieil opportunisme de la social-démocratie. Et lorsqu'il a évolué vers des positions communistes, après le coup d'État qui le renversa, il a été influencé par Khrouchtchev et Brejnev qui dénaturaient l'essence révolutionnaire de la doctrine de Lénine. Mulele et Osende Afana, pour s'engager dans l'insurrection populaire contre le pouvoir néocolonial, ont dû affronter l'opposition catégorique des révisionnistes soviétiques. Ils n'ont pas seulement assimilé le marxisme-léninisme, mais ils se sont engagés aussi dans une critique de l'opportunisme et du révisionnisme.

    Finalement, Lénine insiste sur le fait qu'on ne peut pas maîtriser le marxisme en s'enfermant dans des livres. Il faut, en quelque sorte, "digérer" le marxisme-léninisme à partir de sa propre expérience révolutionnaire. Il faut appliquer de façon créatrice la science politique de Marx, Lénine et Mao Zedong à la réalité spécifique de son propre pays. En rentrant de Chine, Mulele a traduit les leçons de la révolution chinoise dans le langage des ouvriers agricoles et des paysans de sa région natale. Pour faire comprendre des notions essentielles du marxisme-léninisme, il les a adaptées à la mentalité des villageois, utilisant des proverbes traditionnels, des chansons du tribunal et des contes africains.

    Deuxièmement: "Pour déterminer si un intellectuel est révolutionnaire, non révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, il y a un critère décisif: c'est de savoir s'il veut se lier et s'il se lie effectivement aux masses ouvrières et paysannes." (38)

    Mao Zedong a défini ce critère en pleine guerre anti-japonaise, en 1939.

    Un révolutionnaire authentique ne peut pas s'enfermer dans les milieux de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie aisée ; l'éducation des masses fondamentales du peuple, leur organisation et leur mobilisation constitue l'axe essentiel de son travail. C'est précisément sur ce point que Mulele, Bengila et Mitudidi se sont séparés de la plupart des autres lumumbistes. Ces derniers ont été propulsés à la tête de l'État, entourés de politiciens engagés dans la course aux richesses et aux privilèges. Rapidement, ils ont perdu tout lien avec les masses travailleuses. À son retour de Chine, Mulele a lancé un appel à tous les lumumbistes afin qu'ils dans leur région natale et y organisent les jeunes, les ouvriers, les villageois, les femmes. Mais finalement ils n'ont été qu'une dizaine à le suivre. Et ils ont soulevé des millions d'opprimés congolais !

    La révolution nationale et démocratique, puis la révolution socialiste est l'oeuvre des masses. Seules les masses peuvent constituer une force politique suffisante pour battre l'impérialisme et la grande bourgeoisie. Seuls les intérêts des masses constituent le point de départ pour l'édification d'une société fondamentalement différente qui met fin à l'exploitation de la majorité. Les révolutionnaires doivent donc concevoir un projet à long terme, capable de permettre aux masses de constituer des forces politiques et militaires suffisantes pour renverser l'ordre néocolonial. Il s'agit d'aider les masses à se libérer par leur propre effort, à devenir la force consciente qui brisera l'oppression exercée par l'impérialisme et la grande bourgeoisie.

    Troisièmement: l'édification d'un parti d'avant-garde authentique est le problème crucial, le problème le plus difficile de la révolution africaine.

    Dans ses ouvrages, Staline a systématisé les principes léninistes du Parti qui ont été la clé de la victoire, aussi bien de la révolution soviétique que de la révolution chinoise. Il a formulé les caractéristiques et les principes d'"un Parti de type nouveau, un Parti marxiste-léniniste, un Parti de la révolution sociale, capable de préparer le prolétariat aux combats décisifs contre la bourgeoisie".(39)

    Les faiblesses des révolutions africaines se reflètent surtout dans les faiblesses des partis révolutionnaires. Nkrumah était devenu un "étranger" dans son propre parti. Mulele, faute de cadres intellectuels révolutionnaires, n'a pas été en mesure de créer un parti marxiste-léniniste. Une des raisons de l'échec de Sankara au Burkina est qu'il s'est embourbé dans les luttes entre différentes organisations communistes, ne sachant pas reconnaître les communistes des carriéristes. Il a souvent combattu des forces marxistes-léninistes et soutenu des opportunistes pour se retrouver finalement isolé.

    Seul un parti armé d'une ligne marxiste-léniniste et oeuvrant patiemment parmi les ouvriers, les travailleurs et les paysans, est en mesure de faire front à la violence de l'impérialisme. Il doit observer les règles rigoureuses de la discipline léniniste s'il veut survivre à la répression. Ces règles sont obligatoires pour tous les membres, et surtout pour les cadres dirigeants. Il doit vérifier et corriger ses décisions en écoutant la voix des masses travailleuses. Il doit utiliser la critique et l'autocritique pour éduquer en permanence ses membres et ses dirigeants.

    Un tel parti ne peut pas être édifié sans la participation des intellectuels révolutionnaires. À ce propos, Amilcar Cabral a formulé un principe fondamental: "La petite bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe, pour ressusciter comme travailleur révolutionnaire, entièrement identifié avec les aspirations les plus profondes du peuple auquel il appartient".(40) Cabral fait ici référence à la nécessité d'une transformation continue des intellectuels, grâce à l'étude du marxisme-léninisme, aux liens avec les masses et à la participation au combat. Et Nkrumah a donné cette définition de la révolution: "le prolétariat, sous la direction d'un parti d'avant-garde guidé par les seuls principes du socialisme scientifique, renverse le système de classes".(41)

    Quatrième point: "Le premier problème fondamental de la révolution est le rôle dirigeant de la classe ouvrière". "L'alliance des ouvriers et des paysans est un principe stratégique qui revêt une importance particulière". "En s'appuyant sur ces forces fondamentales, le Parti a la possibilité d'élargir les rangs des révolutionnaires jusqu'aux autres classes et couches sociales de tendance nationale et démocratique", notamment les intellectuels et les étudiants. (42)

    C'est ainsi que Le Duan, sur base de l'expérience de la révolution vietnamienne, a indiqué quelles sont les classes sociales capables de mener la révolution anti-impérialiste jusqu'au bout. Il nous apprend dans quelles classes sociales les révolutionnaires doivent faire un travail concret, quotidien, à long terme, un travail d'organisation syndicale, un travail d'organisation coopérative pour la défense des intérêts économiques, un travail d'éducation, un travail de conscientisation à partir de l'aide médicale ou juridique, etc.

    Cette analyse rigoureuse des classes et des positions politiques des différentes classes n'a pas été faite par les révolutionnaires africains du début des années soixante. Lumumba comme Nkrumah était obnubilé par la formule: Tous les Noirs sont mes frères. C'est à leurs propres dépens qu'ils ont découvert que les classes et la lutte des classes existaient autour d'eux. "La lutte des classes est au coeur du problème" , dira Nkrumah en faisant le bilan de son échec.(43) À partir de sa propre expérience, Amilcar Cabral a confirmé les thèses de Le Duan. Cabral écrit: "La classe laborieuse composée d'ouvriers de la ville et de prolétaires agricoles, tous exploités par la domination indirecte de l'impérialisme, constitue la vraie avant-garde populaire de la lutte de libération nationale".(44)

    Cinquièmement: Il y a un critère pour distinguer le combat réel contre le néocolonialisme des impostures purement verbales: est-ce qu'on vise à la destruction de la dictature exercée par l'impérialisme et par la grande bourgeoisie sur le peuple travailleur ?

    La destruction de cette dictature nécessite l'organisation de luttes révolutionnaires de masse prolongées sous différentes formes, culminant dans la guerre populaire et l'insurrection qui briseront le pouvoir néocolonial.

    Si le néocolonialisme n'est pas défini comme la dictature conjointe de l'impérialisme et de la grande bourgeoisie, ce mot perd son sens. Alors, on peut voir un Tshombe lutter contre le "néocolonialisme", c'est-à-dire contre le pouvoir d'Adoula. On peut entendre un Thomas Kanza proposant une alliance entre Mobutu et les lumumbistes pour "combattre un ennemi commun: le néocolonialisme personnifié par Moïse Tshombe".(45) On peut écouter Mobutu fulminer contre le "néocolonialisme" pour que l'impérialisme lui cède une part plus large du butin commun.

    "L'État, dit Nkrumah, est l'expression de la domination d'une classe sur les autres". (46) C'est pourquoi aucune "démocratisation" aussi "radicale" ou "totale" qu'elle soit, ne peut résoudre les problèmes d'une société dominée. Seule la dictature des ouvriers et des paysans, s'alliant la petite bourgeoisie et les forces patriotiques, peut mettre fin à la domination conjointe de l'impérialisme et de la grande bourgeoisie.

    7. Sous le Nouvel Ordre Mondial 

    Notes

    (1) Padmore Georges: Panafricanisme ou communisme, éd. Présence Africaine, Paris, 1960, pp.383-384; 387.
    (2) Nkrumah Kwame: La lutte des classes en Afrique, Présence Africaine, Paris, 1972, p.101.
    (3) Monheim F: Mobutu, l'homme seul, Bruxelles, 1962, p.154-155.
    (4) Pour les chiffres et citations de ce chapitre, sauf autrement indiqué, voir: Martens Ludo: L'URSS et la contre-révolution de velours, EPO, Anvers, 1991.
    (5) Sekou Touré: L'Afrique en marche, tome X, 1967, p.323.
    (6) Sékou Touré: Stratégie et Tactique de la Révolution, tome XXI,p.193.
    (7) Staline: Le marxisme et la question nationale et coloniale, Ed. Norman Béthune, Paris, 1974, p. 344.
    (8) James Klugmann: From Trotski to Tito, Publ. Lawrence and Wishat, London, 1951.
    (9) Padmore, op.cit.,p.332.
    (10) Sékou Touré: Stratégie et tactique, p.328-329.
    (11) Khrouchtchev: Recueil des Documents du XXIIe Congrès, Moscou, 1961, p.526-527.
    (12) Nkrumah: Challenge of the Congo, publ. Panaf, 1969, p.292.
    (13) Mao Zedong: Le Pseudocommunisme de Khrouchtchev - 14 juillet 1964, dans: Le Débat sur la Ligne Générale, éd. Pékin, 1965, p.482-492.
    (14) Kim Il Sung: A propos du djoutche; De l'élimination du dogmatisme et du formalisme, 28 déc. 1955, Pyongyang, 1980, pp.171; 177; 180; 182.
    (15) Kim Il Sung: Oeuvres choisies, tome V, Pyongyang, 1975, p. 584.
    (16) Fulbert Youlou: J'accuse la Chine, éd Table Ronde, Paris, 1966, pp.132; 146; 137; 138.
    (17) Ibidem, pp.121; 13; 15.
    (18) ibidem, pp.81; 69; 115.
    (19) Ibidem, p.123.
    (20) Ibidem, pp. 138; 151; 158; 142.
    (21) Müller Siegfried: Les nouveaux mercenaires, éd France-Empire, 1965, pp.200-201; 232.
    (22) Padmore, op.cit., p.131.
    (23) Ibidem, p.118.
    (24) Ibidem, p.373.
    (25) Ibidem, p.383-387.
    (26) Ameillon: La Guinée, bilan d'une indépendance, Maspéro, Paris, 1964, p.185-187.
    (27) Ibidem, pp.12; 197.
    (28) Ba Abdoul, Bruno Koffi, Sahli Fethi: L'Organisation de l'Unité Africaine, éd. Silex, 1984, pp. 22; 217.
    (29) Nkrumah: La lutte des classes en Afrique, éd. Présence Africaine, Paris, 1972, p.105.
    (30) Lénine: Notes critiques sur la question nationale, tome XX, pp.27; 18; 19.
    (31) Amilcar Cabral: Unité et Lutte, éd Maspéro, Paris, 1980, p.165.
    (32) Ibidem, p.176.
    (33) Ibidem, p.188.
    (34) Lénine, op.cit., p.16-17.
    (35) Africa World Review, nov 92-april 93, London, p. 28.
    (36) Lénine, Oeuvres Choisies, tome V, pp.376; 378; 379.
    (37) Ibidem, pp.393; 361.
    (38) Mao Zedong, Oeuvres choisies, Pékin, 1968, p. 264.
    (39) L'Histoire du Parti communiste bolchevik, Moscou, 1949, p.397.
    (40) Cabral, op.cit., p.169.
    (41) Nkrumah, op.cit., p.98.
    (42) Le Duan: Ecrits, Hanoi, 1976, pp. 194; 196; 197.
    (43) Nkrumah, op.cit., p.10.
    (44) Cabral, op.cit., p.164.
    (45) Martens Ludo: Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba, éd. EPO, 1985, p.321.
    (46) Nkrumah, op.cit., p.20.
    (47) Alexandre T. Samorodov, Revue Internationale du Travail, (Bureau International du Travail) vol.131, 1992, n 3, p.357-358.
    (48) De Volkskrant, 3 april 1993: Jeffrey Sachs: Rusland kan...
    (49) The Guardian, 8/3/1993.
    (50) NRC-Handelsblad, 16/12/93: Schok zonder therapie.
    (51) The Reform Prescription for Russians is Stronger Democracy. By Anders Aslund IHT, 25/11/1993.
    (52) Michel Chossudovsky Le Monde Diplomatique, p.12-13, janvier 1993.
    (53) Alexandre T. Samorodov, Revue Internationale du Travail, (Bureau International du Travail) vol.131, 1992, n 3, p.359.
    (54) NRC, 16/12/93: Schok zonder therapie.
    (55) Amnon Kapeliouk écrit dans Le Monde Diplomatique, p.3, septembre 1993.
    (56) Ibidem
    (57) Echos de Russie, p.3, juli-augustus 1992.
    (58) Amnon Kapeliouk Le Monde Diplomatique, p.3, septembre 1993.
    (59) Le Monde, p.13, 16/12/1992.
    (60) Le Soir, 9/1/1993: Drame en Asie; Le Monde, 27/1/1993, p.4.
    (61) Le Monde, 24 déc.93: Le président Aliev déclare...
    (62) Mbuyinga Elenga, Panafricanisme et néocolonialisme, publications de l'UPC, 1979, pp. 347; 389; 398; 411.
    (63) Nkrumah, op.cit., p.103.

     

    Intéressant à lire aussi : Amilcar Cabral et la Révolution panafricaine par Ameth Lo.

     

    AfricaFistZm


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :