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Conception du monde : rebondissement (discussion FB) sur un texte du PC maoïste d'Afghanistan
Organisation que nous respectons mais dont il ne s'agit pas, en toute camaraderie, de nier les limites, et d'éluder le constat de l'incapacité à prendre une place un tant soit peu significative dans la résistance de ce pays à l'occupation impérialiste depuis maintenant 19 ans.Le texte en question (en fait, une interview) est ici : http://www.sholajawid.org/english/neither-imper-nor-islam.html
Notons qu'il s'agit d'une organisation restée (tout de même) longtemps proche des positions de Bob Avakian et du RCP-USA, que l'on peut sans crainte qualifier d'effroyablement nazes dès que le paramètre "islam" entre en ligne de compte... (les Iraniens, eux, sont restés ouvertement dans cette mouvance).
Sur l'histoire du mouvement maoïste en Afghanistan, et la tragédie traversée par ce pays depuis plus de 40 ans, lire : http://servirlepeuple.eklablog.com/35-ans-apres-le-coup-d-etat-pro-sovietique-les-peuples-d-afghanistan-c-a114094334
Ou encore (point de vue "révisio", mais intéressant et factuel) : http://ekladata.com/Retour-sur-l-experience-communiste-en-Afghanistan-Christian-Parenti-Le-Monde-diplomatique
"Bon disons que là je te rejoindrais si tu me parlais de ouin-ouin trotskoïde.
Ouin-ouin les révisionnistes ils ont tout mal fait et puis les féodaux et puis les États réactionnaires étrangers et les impérialistes ouin ouin, du coup les masses elles aiment pas le communisme et elles sont hégémoniquement islamistes (y compris chez les Hazaras d’ailleurs : islamistes chiites pro-Iran), et SI SEULEMENT si seulement si seulement (ma bonne dame) il en avait été autrement, et ben il en serait autrement aujourd'hui...
Sauf que, le gars… il commence par ATTAQUER L’ISLAM et considérer que celui-ci ne peut être QUE totalement incompatible avec la révolution et la nouvelle démocratie ; concrètement, que les gens doivent abandonner plus d’un millénaire de croyances, mais surtout de CULTURE, de CIVILISATION qui est LA LEUR pour pouvoir être communistes !
Comme si le marxisme à la base n’était pas la rationalisation scientifique (matérialiste dialectique) de siècles et de siècles de résistance… CHRÉTIENNE (de fait : fr.wikipedia Ligue des justes... un héritage on ne peut plus direct !) ; contre les pouvoir oppresseurs ET le clergé de régime, l’Église au service du pouvoir, oui, mais au nom des valeurs chrétiennes perçues comme "vraies" : les gens pensant que Dieu n’existait pas et que la parole du Christ n’était que foutaises, même en 1793 c’était encore rarissime, même dans le premier mouvement ouvrier (chartisme anglais) c’était rarissime, et quand c’était le cas c’était souvent antisémite (Dieu et Messie "sémites orientaux" venus parasiter la "vraie culture occidentale gréco-romaine").
Les choses ne tombent pas du ciel, toute idéologie est un produit de l’histoire des idées… et des luttes qui les sous-tendent, et de la culture de l’endroit où elle naît (c’est d’ailleurs en cela, aussi, que je verrais le sens des sauts qualitatifs marxisme -> ML -> MLM : marxisme = idéologie révolutionnaire PUR PRODUIT CULTUREL de l’histoire des luttes sociales en Europe occidentale, ML = "ensemble des premières formes", et MLM = "ensemble des formes abouties" de FUSION des apports universels du marxisme – universels parce que scientifiques, universels comme 2+2=4 – avec les cultures populaires issues de l’histoire des luttes AILLEURS, dans les autres régions du monde).
Et l’islam lui aussi est tout autant traversé par ces luttes depuis des siècles, d’ailleurs il y a bien longtemps (peut-être un millénaire) qu’il n’a plus d’autorité centrale incontestée, que les courants, écoles etc. s’affrontent, largement sur fond de luttes sociales.
"Lorsque la sage-femme aide l'enfant à venir au monde, elle ne fait que l'aider : ce n'est pas elle qui va changer les traits physiques de l'enfant, son poids, son code génétique... Elle peut favoriser des éléments, ou les défavoriser, c'est vrai ; mais il y a un donné qui est déjà là. Pour l'avant-garde révolutionnaire, c'est la même chose : tu peux favoriser un processus révolutionnaire, mais il y a des données qui sont là, historiques. Tu ne peux pas intervenir dans une société sans prendre en compte son histoire politique, sociale, culturelle, tous ces éléments enchevêtrés : l'avant-garde est l'accoucheuse de l'histoire ; mais l'histoire est là. Cela signifie pour moi, avec Marx, que les conditions d'une révolution viennent de l'intérieur d'une société, de son intérieur profond, et ici, dans cet intérieur profond, que tu le veuilles ou non il y a l'islam, qui a été un courant civilisationnel historique, profond. Et qui a fait que quand il y a eu oppression au nom de l'islam, il y a eu en contrepartie une résistance se fondant et s'appuyant sur l'islam. Il y a pour moi dans cette thèse de la ligne de masse, et de l'avant-garde qui ne fait qu'accoucher d'une histoire à laquelle tu ne peux pas échapper, un caractère scientifique profond : la révolution vient du plus profond d'une société, pas d'un parachute. Et certainement pas d'un parachute occidental." – Mounir Chafiq
Ce qui peut être injuste ou carrément inhumain (parfois) dans les sociétés musulmanes aujourd’hui peut comme absolument partout être combattu en s’appuyant sur l’islam qui est synonyme de CULTURE NATIONALE, sans besoin de se dé-nationaliser parce que c’est de ça qu’il s’agit, renoncer à soi pour devenir un Européen du 21e siècle (ou un Moscovite des années 1970-80) parce que ce serait ça être "civilisé".
Moi j’ose le dire : on ne peut pas concevoir la nouvelle démocratie dans un pays musulman, autrement que comme un "socialisme dans les principes islamiques" de type Proclamation de la Toussaint 54.
[Lire par exemple "L’Islam et la Révolution algérienne" de Ben Bella]
Le souci jusqu’à présent c’est que ça n’a jamais existé comme VÉRITABLE nouvelle démocratie, c’est-à-dire sous la direction d’un Parti qui l’assure comme révolution ininterrompue vers le socialisme et le communisme – ça n’a jamais existé que sous direction nationale-bourgeoise, donc ne pouvant pas évoluer ainsi de manière ininterrompue et condamné par conséquent à dégénérer en oligarchie capitaliste bureaucratique, que l’on pense à la Révolution verte de Kadhafi en Libye, à l’Algérie, à l’Iran d’autour de 1980 etc. etc. ; mais il n’empêche que C’EST la forme que doit prendre la nouvelle démocratie dans ces pays, et il y a des gens qui doivent sérieusement sortir de leur petit microcosme intellectuel occidentalisé, et l’accepter.
Sinon, ce sera toujours la bourgeoisie nationale islamique qui prendra la main (appelons-la par son nom, et là aussi l’analyse du PCmA est classiquement à côté de la plaque avec ses "féodauuuuux", comme si la féodalité à l’ère du capitalisme mondialisé pouvait être une force politique motrice en quoi que ce soit, bien qu’elle soit, certes, une force ALLIÉE du courant national-islamique de la bourgeoisie nationale et un relais essentiel pour elle dans les campagnes)..."
Lire aussi sur le sujet :
Religion et révolution : un texte essentiel de 2021
(n)PCI - La révolution démocratique anti-impérialiste dans les pays arabes et musulmans
http://ekladata.com/PNdZupD5SrHPLbHL_QBsIu9ibPA/La-theologie-de-la-liberation-de-Munir-Chafiq-_-arabmaoists.pdf (lire aussi ici, génial : Chafiq-nouveau-Bloc-social-historique-pour-l-unite-arabe.pdf)
Sur l'expérience étonnante des "maos de l'islam" au Liban :
http://ekladata.com/aMWtD4biDmduz0KwuECvsQC_eus/2008_12_Dot.pdf
Très intéressant aussi, pour s'y "retrouver" et arrêter de tout confondre (tragédie de l'extrême-gauche occidentale en la matière...), cet excellent dossier publié en 2017 sur Investig'Action :
http://ekladata.com/5lOBWb7wr6Au53wxq2o8UWJX6M4/Islamisme-Lalieu-Hassan.pdf
[Et puis, trotskyste et donc avec les défauts que l'on pourra lui trouver de par cette idéologie ; mais enfin néanmoins, du bon trotskysme (comme il y a le bon et le mauvais cholestérol !) ; le fameux texte de Chris Harman (du SWP britannique) qui devrait vraiment, à notre sens, avoir toute sa place dans la conception communiste du monde de notre époque (et qui n'est, sans doute, pas pour rien honni de tous ceux - des "libertaires" aux ML voire "maoïstes" dogmatos en passant par les trotskystes de type LO - qui peinent à cacher sous un maquillage anticapitaliste leur profonde islamophobie "barbus de Saint Foooons"...) : « Chris Harman - Le prophète et le prolétariat (1994).pdf »
Dans une veine finalement assez proche, il y a d'ailleurs le maoïste indien Ajith : resistance-islamique-la-contradiction-principale-et-la-guerre-contre-l-a136656668]
[Une certaine confusion s'est peut-être installée au fil de nos multiples écrits sur ce sujet. Il est en réalité question de deux choses qu'il importe de bien distinguer :
- Le CAPITALISME islamique, expression du "capitalisme d'en bas" (bourgeois national, des "entrailles de la société" : souk, bāzār, économie informelle des quartiers populaires) opposé au "capitalisme d'en haut" bureaucratique-compradore impulsé par et au service de l'impérialisme, qui essaye de construire son propre circuit d'accumulation national. Évidemment c'est impossible, mais du moins il le tente... Il n'est pas à mettre sur le même plan qu'une pure satrapie "extravertie" vers les Centres financiers impérialistes ; et il peut être la cible d'agressions ou du moins de déstabilisations de la part de ceux-ci (car il ne laisse pas le surproduit, la plus-value "sur-accaparée", "remonter" correctement jusqu'aux monopoles impérialistes) et doit donc alors être défendu ; tout en faisant bien évidemment preuve (comme tous les capitalistes lorsqu'on leur faut miroiter de bonnes affaires ou au contraire les menace de sanctions économiques), d'un strict point de vue anti-impérialiste, d'un grand opportunisme (comme par exemple lorsque le Soudan a livré Illitch Ramirez Sanchez alias "Carlos" à l'impérialisme français, pour prendre un exemple qu'on nous a donné... un peu comme, en fin de compte, lorsque la Bolivie "capitaliste ando-amazonienne" de Morales a livré Cesare Battisti à l'Italie, pareil).
C'est le cas de l'Iran, ou d'un pays qui serait dirigé par les Frères Musulmans (il n'y en a plus depuis le bref passage de Morsi au pouvoir en Égypte) ou un régime lié (Turquie d'Erdogan, Qatar, Soudan jusqu'en 2019, Malaisie de Mahathir dans une certaine mesure...) ; mais ça l'était à vrai dire aussi... en version "laïciste"-"moderniste", des systèmes nassériens ou baathistes de la "grande époque" (mais en général depuis ils ont fini satrapies).
- Le "SOCIALISME dans les principes islamiques" quant à lui, comme nom de la révolution de nouvelle démocratie dans un pays culturellement musulman (c'est à dire concrètement l'idée que "on ne peut pas intervenir dans une société sans prendre en compte son histoire politique, sociale, culturelle, tous ces éléments enchevêtrés : l'avant-garde est l'accoucheuse de l'histoire ; mais l'histoire est là", "les conditions d'une révolution viennent de l'intérieur d'une société, de son intérieur profond, et ici, dans cet intérieur profond, que tu le veuilles ou non il y a l'islam, qui a été un courant civilisationnel historique, profond" – Mounir Chafiq ; ou encore que "mieux vaut un pas en avant avec le peuple, que 100 pas sans lui" – Thomas Sankara), n'existe pas aujourd'hui ; il n'y a pas d'exemple.
On pourrait à la rigueur citer, par le passé, la Libye de la Révolution verte kadhafiste (avant sa liquidation néolibérale et pro-impérialiste des années 1990-2000, débouchant sur la chute du régime en 2011), ou encore l'Algérie de Boumediene, avant là aussi la liquidation des années 1980-90, notamment au travers de la terrible "Décennie noire" (et peut-être aussi le Yémen du Sud ? - apparemment c'était le cas, ainsi peut-être que le Nord qui à cette époque était anti-impérialiste et envisageait la réunification... et même, comme on peut le voir ici, la Somalie de Siad Barre qui bien que condamnant officiellement le concept de socialisme islamique avait un rapport disons "complexe" à la culture profondément musulmane de 99,99% de la population)...
Mais le truc, c'est que ça s'est toujours dans ces cas-là conçu (explicitement) comme une fin en soi ; jamais dans une perspective ininterrompue vers le socialisme et le communisme (il est important, aussi, de comprendre qu'en réalité et en fin de compte, très peu de régimes anti-impérialistes des années 1960 ou 70 dans les pays musulmans sont réellement "rentrés dans le lard" à l'islam ultra-majoritaire comme avait pu le faire le kémalisme en Turquie, réprimant sa pratique ou son expression publique, ou même se sont payés de provocations stériles tel Bourguiba buvant un jus d'orange devant son auditoire en plein ramadan : c'est, en fait, surtout contre les mécanismes - inéluctables - d'"oligarchisation bureaucratique corrompue" de ces régimes bourgeois nationaux, traduits dans l'esprit des masses par "comportements non-islamiques" ou "mécréance", que se sont développés les mouvements islamistes des années 1980, comme - au fond - revendications d'éthique et de souci du peuple dans la gouvernance, plus que d'une liberté religieuse à laquelle il n'avait que rarement été porté atteinte).
Lire aussi ici : http://ekladata.com/O-Carre-Pensee-politique-arabe-Proche-Orient.pdf ; en particulier le chapitre II, très intéressant sur le sujet (et intéressant, aussi, pour bien voir comment jusqu'à présent les prétentions à un "socialisme islamique" - essentiellement de la part de certains courants des Frères Musulmans - mais aussi et tout autant... à un "socialisme arabe", ont toujours été dans un rejet explicite du marxisme - même si certes, comme on peut le voir dans cet ouvrage ou encore dans les récits de Mounir Chafiq, l'attitude des Partis communistes pro-soviétiques l'a souvent en partie justifié - autrement dit, un refus de la transition ininterrompue vers le socialisme et le communisme).]
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