• 40 ans après, rétablir la vérité sur le Cambodge et le "génocide khmer rouge"


    Le 17 avril 1975, les forces des Khmers "rouges" faisaient leur entrée dans la ville de Phnom Penh abandonnée par le régime pro-occidental satrapique du maréchal Lon Nol. Il y a tout juste 40 ans commençait donc une période historique de quatre années (1975-79) qui, depuis lors, nous est systématiquement mise sous le nez comme la "preuve" de la "nature intrinsèquement criminelle du communisme".

    Il est donc important, inlassablement et aussi souvent que nécessaire, de rétablir encore et encore la VÉRITÉ sur cette période dite du "génocide khmer rouge".

    Nous partagerons ci-dessous un article publié en l'an 2000 - et republié dernièrement à l'occasion du 40e anniversaire - de l'OCML-VP, en précisant que nous n'en partageons pas totalement la tonalité anti-paysanne "primaire" (qui revient à prôner la révolution à partir des Centres et non l'encerclement des Centres par les Périphéries) : en réalité, le fait d'avoir analysé la société cambodgienne comme une société essentiellement communautaire paysanne à la "capitalisation" finalement récente et superficielle et de voir là une base (une sorte de "fil conducteur direct") pour la construction du communisme au sens marxiste n'était pas réellement le problème dans l'idéologie de Pol Pot et de ses acolytes ; ou alors il faudrait également rejeter des théoriciens de tout premier plan comme MariáteguiJohn MacLean ou Marx lui-même dans sa correspondance avec Vera Zassoulitch, ou encore tout le travail politique des maoïstes indiens auprès des Adivasis (nous avons déjà amplement abordé cette question dans de précédents articles : il s'agit en fait d'un mécanisme de négation de la négation, le capitalisme comme force de modernisation/progrès historique venant nier la communauté populaire "ancestrale" avec ses aspects égalitaires-démocratiques-collectivistes mais aussi arriérés-primitifs, amenant la modernité et le progrès technique-scientifique-culturel mais aussi une inégalité et une exploitation que bien des sociétés n'avaient jamais connues auparavant, avant de se voir nié à son tour par le communisme qui est finalement le "retour" de la communauté populaire égalitaire-collectiviste précédemment niée à un niveau supérieur).

    Sans doute aurait-il mieux valu parler du caractère idéaliste-mythologique de ce "paysanisme", voyant les paysans comme une sorte de "pureté" incarnée et non comme une classe qui en transformant la société se transforme elle-même ; et peut-être souligner plus fortement le caractère ethno-racialiste de l'idéologie du "Kampuchéa démocratique" (caractère à l'origine de la grande majorité des assassinats, tant parmi les minorités ethniques que chez les Khmers jugés "corrompus") ou encore les très grandes rivalités internes et les tendances au "seigneurisme de guerre local" dans le commandement khmer "rouge", tendances qui en tournant à l'affrontement armé (à partir de 1977) firent elles aussi beaucoup de victimes.

    De fait, si elle exaltait la paysannerie comme expression de la "race khmère la plus pure", la direction khmère "rouge" était le plus souvent issue... de cette même élite middle class intellectuelle urbaine qu'elle vouait aux gémonies, ayant généralement fait ses études à l'étranger et notamment dans les universités parisiennes etc. etc. ; et son idéologie ressemblait finalement beaucoup... au populisme (narodnikisme) russe de la fin du 19e siècle, que combattaient les marxistes de Lénine : mise en avant du supposé "communisme intrinsèque" d'une communauté paysanne "ancestrale" et "pure", souvent sur une base très ethnique (mir slave et communauté villageoise khmère "pure"), communauté "communiste" victime d'une "corruption" source de toutes les inégalités, de l'exploitation, de la misère populaire etc. et qui serait fondamentalement d'origine étrangère (occidentalisation de la Russie par les Romanov / du Cambodge par l'impérialisme)*. Mais un narodnikisme enrobé, comme le rappelle justement l'article de VP, de "marxisme-léninisme tendance chinoise" par pur effet de mode dans cette partie du monde à cette époque - quant aux véritables communistes cambodgiens, ils étaient appelés "Khmers issarak" et furent eux aussi durement persécutés comme (supposés) "valets du Vietnam"**.

    En Russie les narodniki seront généralement très vite rejetés par les paysans auprès desquels ils tentaient de s'implanter, restant finalement des cénacles de petits bourgeois intellectuels ultra-radicaux, tandis qu'inversement au Cambodge la situation permettra aux Khmers "rouges" de gagner une certaine base de masse dans les campagnes "tapissées" de bombes par l'impérialisme US ; mais dans les deux cas il s'agit d'une idéologie dont l'approche ultra-idéaliste et essentialiste des contradictions sociales, associée à la certitude "possédée" (pour reprendre le terme de Dostoïevski) d'être les "guides infaillibles" d'un renversement de société sans précédent [il faut rappeler ici le caractère ultra-secret du Parti dirigeant sous le nom d'Angkar ("l'Organisation"), attitude contraire à tous les principes marxistes], ne peut mener qu'aux pires catastrophes en pratique.


    40ème anniversaire de la prise de Phnom Penh par les Khmers Rouges


    L'article revient aussi sur la fameuse évacuation de la capitale cambodgienne, décrite par l'historiographie occidentale comme le "coup d'envoi" du "génocide" : en réalité, si elle fut menée de manière incontestablement brutale et (sans doute) dans un violent esprit de revanche, elle était absolument nécessaire alors que la ville, confrontée à l'afflux de réfugiés fuyant les bombardements, était passée en quelques années de 600.000 à presque 3 millions de personnes dans une situation humanitaire catastrophique.

    Et puis, de source un peu craignos sur les bords (que nous donotlinkerons donc...) et dans un esprit idéologique plutôt révisio (voir l'affirmation à la fin comme quoi "ils essaient de construire [le socialisme] en Amérique latine et en Chine"), un article qui n'en est pas moins très intéressant et remet beaucoup de points sur les i, c'est-à-dire beaucoup de choses dans leur contexte - car c'est, nous le savons tout-e-s, le grand "truc" de l'historiographie bourgeoise occidentale, y compris au sujet du nazisme hier et des nouveaux monstres comme l'"État islamique" aujourd'hui, que de dénoncer les "génociiiiides" et les "idéologies totalitaiiiiires" qui les portent en les déracinant complètement de leur contexte et de tous leurs tenants et aboutissants ("des fous" semblant surgir de nulle part pour s'emparer brutalement d'un pays entier et le livrer aux pires horreurs) ; ce qui permet efficacement et astucieusement de garder "propres" des mains très loin de l'être et de s'ériger en éternel "Camp du Bien", mais assurément pas d'avoir une compréhension scientifique des choses (fut-ce pour les dénoncer, les rejeter et en tirer les leçons ; mais la seule leçon que veut imposer l'impérialisme occidental est que le "communisme" et plus généralement tout ce qui s'oppose à lui est "le Mal").


    Le Cambodge, ou comment l’Occident a fabriqué l’Histoire

    Nous partageons particulièrement, outre le rappel que la grande majorité de la mortalité de l'époque provient en réalité... des bombardements américains ("dans toute l’histoire de l’humanité, aucun autre pays n’a été autant bombardé que le Cambodge durant cette période" selon Raoul Marc Jennar) et de leurs conséquences (munitions non-explosées continuant à tuer jusqu'encore aujourd'hui, cultures inexploitables d'où famine etc.)***, la description du Cambodge de 1975 comme une nation en état de choc post-traumatique, analyse tout à fait transposable à des situations actuelles comme celle de l'Irak livré à l'"État islamique", ou plus antérieurement à celle de l'Afghanistan des talibans : la valeur de la vie humaine était devenue proche de zéro, l'esprit de revanche phénoménal et les vrais responsables étant loin (impérialistes US) ou ayant pris la fuite (clique de Lon Nol), cet esprit se retournera contre les (supposés) "mauvais Cambodgiens", "occidentalisés" ou simplement récalcitrants au nouveau pouvoir.

    En plus d'être devenus une gigantesque arme de propagande capitaliste (à grand renfort d'amalgames, de manipulation des chiffres et de décontextualisation) contre le communisme en général et le maoïsme en particulier (puisque Pol Pot et ses comparses clamaient leur alignement sur Pékin), ces tragiques évènements auront porté en outre un coup très concret et fatal à la première vague révolutionnaire mondiale en Asie, en parachevant irrémédiablement la rupture entre la Chine et le Vietnam jusqu'au conflit armé ouvert (ces contradictions hégémonistes réactionnaires sino-vietnamiennes étant aussi un grand facteur dans la dérive meurtrière) et en transformant le second en puissance occupante (jusqu'en 1989) confrontée à une guérilla principalement... khmère "rouge" et appuyée... par l'Occident !

    Il ne ressort pas moins, de ces études un peu sérieuses, que la tragédie cambodgienne des années 1970 ne peut assurément pas se résumer à "des communistes/maoïstes fanatiques prennent le pouvoir et massacrent un quart de la population au nom de leur utopie meurtrière". Les choses, comme souvent lorsque l'on confronte le discours dominant capitaliste-impérialiste à l'étude sérieuse de la réalité, apparaissent nettement plus compliquée que cela...

    40 ans après, rétablir la vérité sur le Cambodge et le "génocide khmer rouge"

    Dans un esprit de débat franc et ouvert entre communistes, un document (en PDF) qui se positionne quant à lui en défense totale de l'expérience khmère "rouge" et dont nous ne partageons pas (par conséquent) toutes les conclusions, mais qui souligne tout de même des points intéressants par rapport à ce qui a déjà été exposé plus haut (terrible guerre impérialiste US 1970-75, mensonges et falsifications impérialistes, volonté de construire à tout prix et de toute pièce un "génocide communiste" etc.) :


    Il y a 40 ans, la LIBÉRATION de Phnom Penh

     

    * Les narodniki russes étaient réellement (selon nous) ce qu'il y a de plus proche des conceptions de Pol Pot : les Romanov (à partir du 17e siècle) auraient imposé la "modernité occidentale" avec son aristocratie arrogante, son capitalisme et la servitude pour les masses (n'ayant pas de colonies où pratiquer l'esclavage, la Russie durcit effectivement le servage de ses paysans pour trouver la surexploitation nécessaire à l'accumulation primitive...) ; mais la communauté slave originelle (mir) serait quant à elle "pure", démocratique, égalitaire, en un mot communiste et simplement "parasitée" - il faudrait donc la "déblayer" de la modernité "pourrie" qui la "parasite", avec une forte perception de cette modernité comme "étrangère". C'est là une vision extrêmement simpliste de la contradiction et de la négation de la négation (l’État moderne au service de l'émergence du Capital a nié - détruit - la communauté populaire précapitaliste, le communisme doit maintenant nier à son tour le capitalisme par la révolution socialiste mais ce n'est pas un "retour" à la communauté "ancestrale", c'est l'instauration de quelque chose de supérieur) ; et une vision très nationaliste et ethno-chauvine aussi - la plupart des anciens narodniki soutiendront la guerre contre l'Allemagne et l'Autriche en 1914, au nom d'un sentiment "slaviste" contre les "Germains" synonymes d'introduction de la modernité oppressive en Russie.

    ** En revanche, l'étrange et assez fascisant drapeau que l'on voit sur la plupart des photos de l'entrée des Khmers "rouges" à Phnom Penh (y compris dans l'article de VP) est en fait le résultat d'une erreur journalistique : ces photos montrent en fait le MONATIO ("Mouvement national"), des éléments du régime de Lon Nol qui paradèrent dans la capitale quelques heures avant l'arrivée des Khmers "rouges" et tentèrent de s'emparer du pouvoir puis de pactiser avec eux (ils furent bien sûr pour la plupart arrêtés et liquidés...). Cette confusion demeurera par la suite et l'on trouve encore fréquemment aujourd'hui ce drapeau présenté comme le "drapeau khmer rouge". Quant à la persécution de la communauté vietnamienne, si elle fut une réalité incontestable sous le "Kampuchéa démocratique", il faut aussi rappeler qu'elle avait largement commencé sous Lon Nol (les Vietnamiens étant supposément une "cinquième colonne" de la "subversion communiste").

    *** On citera à ce sujet les mots de l'intellectuel radical états-unien Noam Chomsky : "Il faut être un peu prudent à propos de cette affaire de 'génocide'. (...) Il n’est pas évident que Pol Pot ait tué tellement plus de gens – ou même simplement plus de gens – que les États-Unis n’en ont tués au Cambodge dans la première moitié des années 1970. Nous ne parlons de 'génocide' que lorsque ce sont les autres qui massacrent. Il y a donc beaucoup d’incertitude quant à l’échelle exacte du massacre perpétré par Pol Pot, mais la meilleure étude qui existe aujourd’hui estime les décès au Cambodge, toutes causes confondues, durant la période de Pol Pot à un chiffre de plusieurs centaines de milliers, un million au maximum. Alors, jetez simplement un coup d’œil au massacre qui a eu lieu au Cambodge entre 1970 et 1975, la période dont nous sommes responsables : c’était aussi dans les centaines de milliers [NDLR : entre 600 000 et 1 million, comme dit plus haut]. De plus, si l'on veut vraiment prendre cette histoire au sérieux – disons qu’un million de personnes sont mortes pendant les années Pol Pot, pour prendre le chiffre supérieur – il faut garder à l’esprit que lorsque les États-Unis mirent fin à leurs attaques à l’intérieur du Cambodge en 1975, des officiels américains ont prédit que dans l’après-guerre environ un million de Cambodgiens supplémentaires périraient des seuls effets de la guerre américaine. À l’époque où les États-Unis se retirèrent du Cambodge, rien qu’à Phnom Penh – oublions le reste du pays – les gens mourraient de faim au rythme de 100 000 personnes par an. La dernière mission de l’USAID au Cambodge prédisait qu’il faudrait deux années d’un travail d’esclaves et de famine avant que le pays puisse à peine recommencer à fonctionner. Ainsi il n’est pas si simple de calculer le nombre de décès qu’on doit attribuer aux États-Unis durant la période Pol Pot. C’est manifestement un grand nombre : lorsque l’on anéantit le système agricole d’un pays et que l’on déplace un million de gens de chez eux vers des villes où ils deviennent des réfugiés, bien sûr que beaucoup de gens vont mourir. Et la responsabilité de leur mort n’est pas celle du régime qui a pris la suite, mais bien celle de ceux qui ont tracé le chemin. Bref, si nous étions honnêtes à propos du terme 'génocide', nous distinguerions dans les décès au cours de l’ère Pol Pot une partie principale qui est de notre responsabilité, de la responsabilité des États-Unis." (Comprendre le Pouvoir - Tome 1)

     


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