• En finir avec la 'France', appareil politico-militaire et idéologique de nos oppresseurs !


    [Le concept-titre de cet article est aujourd'hui, après maturation idéologique, considéré comme une erreur gauchiste de notre part à l'époque. Un rectificatif de cette conception gauchiste comme quoi "la France n'existe pas sinon comme aliénation dans la tête des gens" peut être lu par exemple ici dans la deuxième partie de l'article : 

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/les-francais-selon-nous-ne-sont-pas-les-gens-du-bassin-parisien-a146645518

    Tous les faits historiques mentionnés dans le présent article n'en sont pas moins 100% réels et nous ne renions en aucun cas notre analyse de ces faits comme construction de ce qu'on appelle aujourd'hui la France en tant qu'empire parisien. Nous considérons simplement que cette réalité, nullement remise en cause, se double néanmoins de la constitution au fil des siècles d'une communauté de destin hexagonale, ne serait-ce que... dans la LUTTE partagée contre cet état de fait, cet "impérialisme" parisien oppresseur commun.

    En conséquence, cette communauté de destin populaire ne doit pas être totalement remise en cause (prôner l'indépendance de chaque "nation réelle" citée dans cet article...) dans sa lutte contre le quartier-général bourgeois, monopoliste financier trônant à Paris, et, depuis la seconde moitié du 20e siècle, les "nouveaux niveaux" de concentration du pouvoir financier que sont l'Union européenne, les institutions comme le FMI, l'hégémonie mondiale US etc. ; MAIS, dans cette lutte, elle ne peut tirer sa FORCE que de la reconnaissance et de l'affirmation de ses "petites patries" populaires constitutives dont parlait déjà Jaurès en son temps, dans une lutte pour la conquête populaire de la souveraineté à ce niveau là aussi ("vivre, travailler et décider au pays", en somme) ; tout ceci devant déboucher sur un Hexagone république socialiste fédérative, dans une nouvelle Europe "URSS" ou en tout cas "Comecon" de telles républiques : 

    https://www.facebook.com/groups/946438885830225/]


    Les camarades maoïstes du Pérou n’ont de cesse de le répéter : pour pouvoir déclencher et mener victorieusement à son terme la Guerre populaire dans un pays donné, comme processus de négation du capitalisme par le communisme menant à la prise du pouvoir par les exploité-e-s (après quoi l’on parle de socialisme), les communistes de ce pays doivent d’abord élaborer une PENSÉE. C'est-à-dire une analyse profonde et méthodique, à la lumière de la science marxiste la plus avancée de l’époque (qui, aujourd’hui, est le maoïsme), de la réalité et de l’organisation sociale, politique, économique et idéologique/culturelle qui nous entoure, dans laquelle et souvent CONTRE laquelle nous luttons et qui, en ce qui nous concerne, porte le nom de FRANCE ou ‘République française’. Élaborer une pensée cela veut finalement dire, tout simplement, comprendre la réalité qui nous entoure pour la TRANSFORMER.

    À partir de ce mot d’ordre, différentes interprétations sont possibles... L’on peut, comme certains, étaler sur internet des cours magistraux d’histoire philosophique, littéraire et artistique en général de notre bonne vieille ‘France’ académique : finalement, rien de bien différent de nos bons vieux programmes de lycée ou de fac mais ‘avec un œil marxiste’. OU ALORS on peut se pencher, dans une démarche réellement antagonique (d’abord dans la pensée avant que celle-ci ne ‘rencontre’ les masses et ne s’organise pour agir, devenant ainsi force matérielle), sur le processus matérialiste historique, de lutte des classes, à travers lequel s’est CONSTRUITE cette réalité ‘France’ qui nous entoure. Tel va être l’objet de la longue étude qui va suivre.

    Appartenant au Peuple occitan, nous avons été amenés depuis maintenant plusieurs années à nous pencher longuement sur cette question : celle de la présence, au sein de la ‘République française’ (assimilée presque avec un trait d’égalité à une prétendue ‘Nation’), d’un certain nombre de peuples/nations (Bretons, Basques, Occitans, Corses, Alsaciens etc.) et de l’émergence, depuis les années 1960, de revendications de ces peuples présentant un contenu démocratique, progressiste voire révolutionnaire. D’autre part, ce n’est plus un secret depuis que quelques petites balances ont fait leur office, SLP est basé dans la région de Lyon : une ville qui par sa situation géographique et son rôle économique s’est souvent vue qualifier de ‘capitale de la province’, véritable petite ‘antenne-relais’ de Paris pour tout l’Est et le Sud-Est de l’Hexagone, concentrant à ce titre toutes les contradictions de la construction politique, économique et sociale ‘France’.

    Nous en sommes, au bout du compte, arrivés à la conclusion que ce que l’on appelle ‘France’ (plus ou moins totalement identifiée, depuis une centaine d’années, à ‘la République’) est en réalité et avant tout une CONSTRUCTION POLITICO-MILITAIRE au service de la classe dominante (hier une alliance entre la monarchie capétienne, une partie de l’aristocratie et du clergé et une partie de la grande bourgeoisie, aujourd’hui la grande bourgeoisie devenue depuis près de 150 ans monopoliste) ; ainsi qu’une ARMADA IDÉOLOGIQUE et culturelle en ‘appui’ à cette domination, mobilisant les masses derrière cette classe dominante et ses plans.

    Telle est la conclusion principale de notre analyse ; et non le fait d’avoir déterminé que cette construction politico-militaire/armada idéologique renferme, rien qu’en Europe (sans compter l’outre-mer), une demi-douzaine de peuples et donc de prolétariats, plus les ‘colonies intérieures’ de descendant-e-s de colonisé-e-s : les intérêts de ceux-ci sont de toute manière identiques et indissociables, et distincts et antagoniques de ceux de la bourgeoisie même la plus ‘couleur locale’ qui soit, même ‘beurgoise’ ou ‘black-bourgeoise’, etc. ["Le travailleur socialiste d'un autre pays est un révolutionnaire ami, de même que le capitaliste de mon propre pays est un ennemi naturel" disait Connolly]. Tel est le principal et telle est, selon nous, la véritable rupture et le véritable antagonisme de classe assumé avec la réalité sociale qui nous entoure et nous opprime en tant que personnes du peuple et que nous voulons abattre en tant que révolutionnaires ; réalité qui, quel que soit le sens dans lequel la retourne, converge toujours vers un seul et même mot pour en désigner la globalité : ‘France’.

    Telle est aussi la vraie rupture, la ligne de démarcation qui démasque la pensée de gauche petite-bourgeoise ‘radicale’ ; pensée qui toujours en appelle à ‘l’État’, à ‘la République’ comme entité déifiée au dessus des classes ; et finit toujours inévitablement par glisser sur ‘la Nation’, ‘la France’ et sa ‘grandeur’, ‘patrie des droits de l’homme’ et des ‘lumières’ pour l’humanité qui ne serait pas, mais alors pas du tout ce que ses dirigeants actuels en donnent à voir... Un peu comme les rois, dans l’Ancien régime, n’étaient jamais mauvais mais avaient de ‘mauvais conseillers’, la ‘République’, la ‘France’ n’a pour nos petits-bourgeois ‘radicaux’ que de ‘mauvais gouvernements’. Cette petite-bourgeoisie est souvent fonctionnaire (cadres moyens de l’administration ou des entreprises publiques, enseignants), elle vit de l’appareil politico-militaire et idéologique ‘France’ : ceci explique peut-être cela...

    Et telle est, enfin, la grande rupture et le grand dépassement vis-à-vis des limites du marxisme appliqué à la France depuis la fin du 19e siècle ; limites qui ont empêché la prise de pouvoir révolutionnaire.

    Mais précisément en raison de ce qui précède (hégémonie idéologique de la classe dominante dont la ‘France’ est l’instrument, influence de la pensée petite-bourgeoise ‘social-républicaine’ sur les masses populaires et limites de la conception du monde des marxistes au siècle dernier), cette analyse se heurte aussi à de très nombreux contradicteurs. Il est malheureux par exemple de voir des communistes, sans la moindre analyse marxiste des classes en présence et de leurs contradictions, considérer que les massacres de populations rurales dès lors que menés par la ‘République’ (notamment en Bretagne et Vendée) étaient parfaitement justifiés face à la ‘vermine contre-révolutionnaire’, alors même que celui qu’ils considèrent généralement comme le ‘premier communiste’, Gracchus Babeuf, les avait pourfendus en son temps et alors même que les méthodes utilisées, en rien différentes de celles de la ‘pacification’ de la Corse sous Louis XV ou de la ‘guerre des camisards’ sous Louis XIV (ou encore de la guerre napoléonienne en Espagne) seront les mêmes que reprendront Bugeaud et consorts lors de la conquête de l’Algérie... Les communistes italiens de l’époque de Gramsci, eux, faisaient parfaitement le parallèle entre la ‘pacification’ du Sud après l’Unité (1860-90) et les ‘prouesses’ de leurs troupes coloniales en Libye ou en Éthiopie.

    Et combien n’est-il pas lamentable de voir des ‘maoïstes’ (en principe, les marxistes les plus avancés de notre époque) nous expliquer que ‘La France est une nation, mettre en avant l’Occitanie aujourd’hui, c’est vouloir faire tourner la roue de l’histoire à l’envers’, que c’est ‘nier la lutte des classes en France en niant la France’ ; ou ce ‘marxiste-léniniste plus-ouvrier-que-moi-tu-meurs’ nous affirmer que 'les délires sur la libération de la Bretagne sont affligeants, ce sont des revendications féodalistes qui veulent faire tourner la roue de l'histoire à l'envers’, que ‘c'est nier tout le développement historique qui a conduit à la "nation" bourgeoise qui est un "progrès" historique sur les régionalismes et sur le féodalisme, voilà ce qui s'appelle vouloir faire tourner la roue de l'histoire à l'envers’, et qu’il a ‘des collègues ouvriers bretons’ que ‘sur la question (il) cite : c’est des conneries de bobos intellectuels’ ; comme si toute la mise en avant progressiste et même révolutionnaire de l’Occitanie ou de la Bretagne depuis les ‘années 68’ (1965-75) était une ‘lubie’ sortie d’on-ne-sait où, peut-être sous l’effet de substances hallucinogènes (qui sait, à l’époque…), à moins que ce ne soit le fruit d’un complot de l’impérialisme (comme les révoltes arabes ?)… Mais ce ne sont là, hélas, que des opinions très et TROP répandues.

    Très et trop répandues car justement, les communistes luttant à l’intérieur des frontières géographiques de cette ‘France’ n’ont jamais élaboré cette pensée, cette analyse profonde, méthodique et antagonique de cette réalité sociale, politique, économique et culturelle que l’on appelle ‘France’. Par exemple, les États modernes (ceux qui se sont constitués depuis la fin du Moyen-Âge), ‘France’ en tête, se sont constitués autour d’une ‘nation centrale’ et se sont, généralement, proclamés ‘États-nations’. Ce qui a amené, chez nombre de communistes, une tendance à confondre cette proclamation avec la réalité, et à confondre État et Nation alors que ces deux réalités, ni dans l’Antiquité (Grèce et Gaule divisées en ‘cités’, Empire romain supranational), ni à l’époque moderne et contemporaine, n’ont pratiquement jamais coïncidé. Tendance à confondre, par exemple, une expression culturelle de la classe dominante, celle qui ‘pilote’ la construction politico-militaire, avec une des ‘premières expressions’ d’une prétendue ‘culture nationale française’, comme le PCMLM mettant en avant son ‘Enfin Malherbe vint’ (1674) de Nicolas Boileau – fils d’un magistrat au Parlement de Paris, très-haut bourgeois plus-ou-moins anobli et représentant-type de la classe dominante de l’époque, dont le royaume de ‘France’ était l’appareil politico-militaire.

    C’est donc pourquoi, loin de vouloir s’autoproclamer jefatura de quoi que ce soit, Servir le Peuple a voulu apporter, modestement, sa petite pierre à l’élaboration de cette pensée qui a tant fait défaut au mouvement communiste hexagonal, pour ‘éclairer la route’ de la révolution prolétarienne. Nous affirmons que la ‘France’ n’est pas une nation mais au contraire le cadre, et souvent la prison d’un ensemble de nations ‘constitutives’ : quelles sont ces nations et où, quand, comment, par quel processus historique sont-elles apparues ? Nous affirmons que la ‘France’ n’est pas une nation mais un ‘État moderne’, un appareil politico-militaire et idéologique de domination d’une classe sur les masses du peuple : là encore, où, quand, comment cet État moderne s’est-il constitué ? Et comment tout cela converge-t-il vers la ‘France’ comme réalité sociale, politique et économique qui nous entoure, et que nous voulons renverser et transformer ? C’est ce que nous allons voir à présent. 

    Si l’on suit Ibrahim Kaypakkaya, selon lequel - dans sa très importante étude de la question kurde - les populations humaines, sur un territoire donné, ‘accumulent’ les caractéristiques nationales avant de ‘rencontrer’ l’aube du mode de production capitaliste qui les ‘transforme’ en nations au sens moderne et marxiste du terme* ; alors l’on peut dire que les nations actuelles d’Europe et de Méditerranée sont ‘nées en l’An Mille’, apogée (entre 800 et 1200 de notre ère) du mode de production et de la civilisation féodale, où de grands États féodaux faisaient resplendir la Renaissance médiévale, et où une économie mercantile très avancée commençait à ‘muter’ vers le capitalisme, suivant le processus décrit par Marx et Engels : on ne cherche plus à vendre une marchandise pour obtenir de l’argent et acheter une autre marchandise (M->A->M), mais on investit de l’argent pour produire (ou acquérir) une marchandise, dont la vente (ou revente) va rapporter plus d’argent (A->M->A’ supérieur à A).

    [* Traduction par nous de la citation exacte (source en anglais) : "En outre les nations n'apparaissent pas lorsque le capitalisme a atteint le stade ultime de son développement, mais à ce que l'on peut appeler l’aube du capitalisme. Lorsque le capitalisme pénètre dans un pays et y unifie les marchés dans une certaine mesure, les communautés qui possèdent les autres caractéristiques (énoncées dans "La Question Nationale" de Staline NDLR) sont alors considérées comme formant une nation. Si tel n’était pas le cas, il faudrait alors considérer que toutes les communautés stables situées dans des pays arriérés, des régions où le développement du capitalisme reste encore limité, ne sont pas des nations. Jusque dans les années 1940, il existait encore en Chine un fort morcellement féodal. Dans cette logique, il aurait alors fallu dénier l'existence de nations en Chine à cette époque. Jusqu'à la Révolution de 1917, la féodalité restait fortement implantée dans les campagnes profondes de Russie ; ce raisonnement  devrait donc conduire à rejeter l'existence de nations en Russie. En Turquie, par exemple, durant la Guerre de Libération (la guerre menée par Kemal Atatürk contre le dépeçage de la Turquie par le Traité de Sèvres en 1920 NDLR), la féodalité était beaucoup plus forte qu'aujourd'hui, il faudrait donc en conclure qu'il n'y avait pas de nations en Turquie à cette époque. En Asie, en Afrique et en Amérique latine, la féodalité existe toujours à différents degrés : il faudrait donc rejeter l'existence de nations sur ces continents."]

    Il serait absurde de vouloir (comme certains ‘identitaires’ et autres ‘néo-païens’) faire remonter les nationalités actuelles à une époque antérieure à celle-ci ; antérieure aux grands bouleversements politiques, économiques, sociaux et démographiques (‘grandes invasions’) qui ont accompagné la décadence et suivi la chute de l’Empire romain, entre globalement 250 et 800 de l’ère chrétienne.

    La 'Gaule', au demeurant (que ce soit avant ou après la conquête romaine), était à cette époque une pure expression géographique et n'avait pas plus d'unité que l'ensemble du monde celtique qui allait de l'Écosse à la Pannonie (actuelle Hongrie...) et aux Balkans en passant par la Plaine du Pô : le 'mythe gaulois' (ou gallo-romain) des 'origines de la France' s'est en réalité développé à partir du... 17e siècle (Richelieu) et surtout des décennies précédant la Révolution bourgeoise (qui verra son triomphe), à l'appui de la théorie annexionniste des 'frontières naturelles' (la notion d'Hexagone émergeant vers la même époque pour souligner la 'perfection naturelle' desdites frontières).

    Mais il est tout aussi absurde, sinon plus, de les faire naître à l’époque où Denis Papin (1647-1712), en inventant la machine à vapeur, préparait déjà la révolution industrielle...

    Concernant le fameux Empire romain en question, voici ce que Friedrich Engels nous en disait dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884) :

    "L'appartenance au monde romain, qualité de fraîche date, n'offrait point de compensation : elle n'exprimait pas une nationalité, mais seulement l'absence de nationalité. Les éléments de nations nouvelles existaient partout ; les dialectes latins des différentes provinces se différenciaient de plus en plus ; les frontières naturelles, qui avaient fait autrefois de l'Italie, de la Gaule, de l'Espagne et de l'Afrique des territoires autonomes, existaient encore et se faisaient toujours sentir. Mais nulle part n'existait la force capable de forger, avec ces éléments, de nouvelles nations. (...) L'État romain était devenu une machine gigantesque, compliquée, exclusivement destinée à pressurer les sujets. (...) Voilà où avaient abouti l'État romain et son hégémonie mondiale : celui-ci fondait son droit à l'existence sur le maintien de l'ordre à l'intérieur, et sur la protection contre les Barbares à l'extérieur. Mais son ordre était pire que le pire des désordres, et les Barbares, contre lesquels il prétendait protéger les citoyens, étaient attendus par ceux-ci comme des sauveurs".

    Comme l'explique bien ici le 'père jumeau' du socialisme scientifique marxiste, la longue 'chute de l'Empire romain' entre la fin du 3e et le 5e siècle n'a donc pas été le seul fait d'un assaut d'envahisseurs extérieurs (de fait, la plupart de ces 'envahisseurs' germaniques étaient en réalité... 'invités' par l'Empire lui-même à s'y installer, puis se révoltaient lorsqu'ils ne s'estimaient pas traités correctement), mais aussi d'une situation... révolutionnaire faite de rébellions militaires et de révoltes populaires, à caractère 'national' dans les provinces périphériques, contre l'ordre pourrissant de la 'Ville éternelle'. Il semble ainsi que ce soit à la faveur d'une révolte d'esclaves que le roi wisigoth Alaric s'empare de Rome en 410... Quelques années plus tard, ses successeurs feront de Toulouse et de l'actuelle Occitanie le centre d'un immense royaume s'étendant de la Loire à Gibraltar, siège d'une brillante (mais méconnue) civilisation dont l'héritage ne sera certes pas étranger à celle que connaîtra le Pays d'Òc un demi-millénaire plus tard.

    En Gaule, et plus globalement sur la 'façade ouest' de l'Empire - de l'Hispanie à la (Grande-) Bretagne, ces grandes révoltes d'esclaves et de paysans (aux conditions elles-mêmes proches de l'esclavage) plus ou moins combinées avec des soulèvements militaires séparatistes ('Empires gaulois' de la fin du 3e siècle, Maximus, Constantin III) seront appelées bagaudes (du celte bagad, 'troupe tumultueuse'). Ce sont tous ces évènements réunis, et non la seule 'rupture de la frontière du Rhin le 31 décembre 406' (par les Vandales, les Suèves et les Alains), qui constitueront en Europe (et en Afrique du Nord) la 'révolution' mettant fin à l'Antiquité esclavagiste romaine et jetant les bases de la société féodale.

    Certes, la tendance des villes aux 4e-5e siècles à se replier et se fortifier montre que les ‘barbares’ n’étaient pas toujours si systématiquement accueillis à bras ouverts que cela. Et c’est sans doute en réalité très rapidement, dès (en fait) la fusion de l’élément romain avec les populations conquises que la langue populaire (vulgaire) a commencé à se différencier, tandis qu’en Orient et en Afrique du Nord les cultures et les langues grecque, araméenne (toujours parlée par les chrétiens là-bas), égyptienne (copte) ou amazighe ('berbère') n’ont jamais véritablement disparu (et n'ont seulement reculé, plusieurs siècles après, que devant l’arabe). C’est ainsi que dès les tous premiers siècles de l’ère chrétienne il y a une langue, une culture, une civilisation gallo-romaine, britto-romaine (Grande-Bretagne), ibéro-romaine, italo-romaine, afro-romaine (Afrique du Nord) ou encore grecque, gréco-égyptienne et gréco-araméenne en Orient hellénistique ; de manière nettement différenciée.

    Ce qui varie, en revanche, c’est le degré de romanisation des provinces de l’Empire, qui s’étend à son apogée des confins de l’Écosse jusqu'à l’Égypte et au Sahara et du Portugal jusqu'à la Mésopotamie, fixant sa frontière avec les ‘barbares’ germaniques sur le Rhin et le Danube. En Orient, on l’a dit, les langues et les cultures pré-romaines restent intactes ; les premiers évangiles seront d’ailleurs rédigés en grec, en araméen voire en copte et non en latin ; un Empire séparatiste gréco-araméen de Palmyre verra éphémèrement le jour à la fin du 3e siècle ; et l’Empire d’Orient qui naîtra à la fin du 4e siècle sera un Empire grec. Quant aux régions ‘périphériques’ de l’Empire, près du Rhin et du Danube, en Grande-Bretagne et dans les Balkans, leur romanisation sera très superficielle et elles seront très facilement et rapidement germanisées (ou slavisées) aux 5e-6e siècles ; les quelques îlots 'résistants’ de langue et culture latine étant appelés valachies (comme la province roumaine) ou vallonies (Wallonie), de l’ancien germain wahl désignant une population non-germanisée (on le retrouve aussi pour les Celtes du Pays de Galles, Wales en anglo-saxon). La romanisation restera également assez faible en Armorique (actuelle Bretagne), ce qui permettra aux arrivants celtes grands-bretons du 5e siècle d’imposer leur langue celtique, le brezhoneg (qui reste toutefois la plus ‘latine’ des langues celtes, ainsi ‘liberté’ se dit frankiz (‘franchise’) alors qu’en gallois cela se dit rhyddid rien à voir !) ; tandis que dans l’actuel Bassin parisien elle sera ‘intermédiaire’, laissant fortement subsister les langues gauloises – formant un substrat du gallo-roman médiéval et du futur ‘français’ – ainsi qu'une grande place au superstrat des influences germaniques (franque, alémanique), d’autant plus que l’on va vers le Nord ou l’Est…En revanche, les régions fortement et anciennement romanisées (100 ans avant l’ère chrétienne) que sont le pourtour méditerranéen, la vallée du Rhône et le bassin aquitain sont le domaine de l’occitan – avec, entre les deux, les langues 'transitionnelles' que sont les dialectes arpitans, poitevin-saintongeais, bourbonnais voire berrichon. Par ailleurs, jusqu’à la veille de l’An Mille voire au-delà, existait certainement – comme en Afrique aujourd’hui – une distinction entre langues vernaculaires (au territoire réduit, parfois une vallée voire un village), pour la vie ‘de tous les jours’, et langues véhiculaires (pour la vie sociale ‘plus large’, notamment commerciale), les secondes ‘rétroagissant’ sur les premières pour les ‘standardiser’ mais laissant de profondes variations régionales que sont les dialectes d’oïl et d’oc, arpitans, ‘bas-bretons’, basques etc. d’aujourd’hui.

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    Une autre grande différenciation, comme le souligne Engels, est celle liée aux frontières naturelles (le transport étant alors essentiellement routier et fluvial pour le transport ‘lourd’), aux zones montagneuses et peu praticables en général, aux lignes de partage des eaux qui délimitent de grands bassins d’unité économique.

    La Gaule romaine, que l’on voit ci-dessus, tend ainsi à se différencier entre un ensemble Seine-Loire (le Bassin parisien), un ensemble au sud de la Loire entre Massif central et Pyrénées (bassin aquitain), la vallée du Rhône et le pourtour méditerranéen, et un ensemble Rhin-Meuse-Escaut (peu romanisé, on l’a dit, et même colonisé/re-germanisé dès la fin du 3e siècle par les Francs et les Alamans) ; ensembles qui correspondent approximativement à la Gaule lyonnaise, à la Gaule aquitaine, à la Narbonnaise et à la Gaule belgique avec les Germanies (le découpage administratif romain cherchant simplement, pour des raisons pratiques, à faire converger ces provinces vers Lyon, ‘capitale des Gaules’ : c’est ainsi que le Bassin parisien est directement rattaché à Lyon, la Narbonnaise commence à Vienne - autre grande ville romaine à 30 km au sud, l’Aquitaine commence au sud de Saint-Étienne et la ‘Belgique’ au nord de Bourg-en-Bresse, englobant l'Helvétie - actuelle... Suisse).

    Après la chute de l’Empire, on retrouvera ces grands ensembles naturels/économiques dans les grands ensembles politiques qui structureront l’époque mérovingienne jusqu’à Charlemagne : Neustrie comme ensemble Seine-Loire à l'ouest et au sud-ouest de Paris (connaissant l'importance primordiale des 'métropoles' religieuses à l'époque : 'bassin' tributaire de Tours ?) ; Austrasie au Nord-Est ('bassin' de Reims ?) jusqu'aux régions fortement germanisées de la Meuse, de la Moselle (avec Metz qui - cible d'Attila en 451 - est une cité importante à l'époque) et du Rhin, origine et encore par la suite siège principal des dynasties franques (secteur de Liège-Herstal berceau des Carolingiens, capitale de Charlemagne à Aix-la-Chapelle) ; Burgondie au Sud-Est (axe Rhône-Saône avec bien sûr Lyon et Vienne) et enfin, au Sud-Ouest, l'immense Aquitaine (Bassin aquitain et Massif central) avec Toulouse, Bordeaux, Agen, Narbonne ; le richissime pourtour méditerranéen, notamment la Provincia-Provence (Nîmes, Arles, Marseille etc.), étant disputé entre maîtres de la Burgondie (burgondes puis francs), de l’Aquitaine (wisigoths puis francs), de l’Espagne (wisigoths puis musulmans) et de l’Italie (romains puis ostrogoths, byzantins, lombards etc.) tout en conservant fermement, sous ces changements de maîtres et partages mérovingiens entre héritiers, ses institutions autonomes (patrices, consulats urbains etc.) et sa singularité.

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    Car tous ces royaumes ‘barbares’ raisonnent en fait administrativement, jusqu’à Charlemagne et même au-delà, en termes ‘romains’ ; ils ne sont d’ailleurs pas des territoires découpés arbitrairement par le sort des armes mais des provinces romaines que Rome, dans sa décadence terminale, a confiées à des chefs germaniques : les Wisigoths reçurent ainsi (en l'an 418) l'administration de l'Aquitaine, les Francs (vers la même époque) celle de la 'Belgique seconde', etc. etc. Ceci d'autant plus que ces territoires, comme on l’a dit, formaient des unités économiques bien définies.

    Jusqu'à plus de 1000 ans après sa disparition, le ‘rêve’ de refonder l'Empire romain sera d'ailleurs la grande ‘course à l'échalote’ des têtes couronnées d'Europe et les tentatives d’unification de vastes territoires seront nombreuses, de Clovis à Charlemagne (dont l’Empire allait de la Catalogne actuelle jusqu’à l’Elbe et de l’Italie centrale jusqu’à la Mer du Nord) jusqu’au Saint-Empire romain germanique (du Rhône et de la Meuse jusqu’à l’Oder et au centre de l’Italie) et à Charles le Téméraire, voire Charles Quint. Mais à chaque fois, elles éclateront et tendront à ‘revenir’ aux grandes unités économiques ci-dessus décrites. C'est que dans ces grandes unités économiques, auxquelles se ‘ramenait’ toujours en définitive la réalité politique, étaient déjà en gestation les actuelles nationalités (différenciation de la langue, de la culture, des 'us et coutumes’ populaires) qui allaient réellement voir le jour autour de l’An 1000 de notre ère, aux premières lueurs de l’aube capitaliste.

    d-cembre-2013-001-3ccf81eLa période suivante, de 814 (mort de Charlemagne) jusqu’en 950 environ, est politiquement troublée - et d’ailleurs marquée par un net recul démographique. Le ‘rêve’ de restaurer l’Empire romain d’Occident s’estompe peu à peu, sauf paradoxalement... chez les rois ottoniens de Germanie. Les titres de ‘duc’ (sorte de gouverneur militaire) et de ‘comte’ (sorte de préfet) commencent à se transmettre héréditairement et s’affranchissent de l’autorité royale ; tandis que les moeurs politiques sont expéditives : la guerre est facilement la continuation de la politique par d'autres moyens. Les grands féodaux se livrent des ‘guerres privées’ sanglantes, de même que leurs vassaux : des ‘hommes de confiance’ (miles bientôt traduit par 'chevaliers') qu’ils rémunèrent en leur confiant un territoire qu’ils administreront, et duquel ils vivront en prélevant toutes sortes d’impôts sur la population productrice. L’Europe fait face à cette même époque à ses dernières grandes invasions : les Vikings (scandinaves) attaquent les régions océaniques et même méditerranéennes ; les Hongrois ravagent la Germanie et mènent des attaques jusqu’à Lyon, la Provence ou la Lorraine tandis que le pourtour méditerranéen est soumis aux raids ‘sarrasins’ (arabo-berbères), qui remontent parfois la vallée du Rhône jusqu'en Bourgogne. Les Scandinaves seront ‘calmés’ par l’attribution de la Normandie en 911, et les Hongrois écrasés par le roi de Germanie à la bataille de Lechfeld (955) ; les raids d’Afrique du Nord, eux, s’atténueront avec les Croisades mais il y en aura encore en Provence jusqu’au 16e siècle, en Italie et en Corse jusqu’au 18e... L’Église, seule autorité 'pan-européenne’ restante, lance alors vers le milieu du 10e siècle le mouvement de la Paix de Dieu’ contre les guerres privées féodales, ouvrant une période relativement pacifiée qui verra la Renaissance médiévale proprement dite (jusque vers 1250-1300). Au sud des Pyrénées, la civilisation d’al-Andalus (califat de Cordoue) est alors à son apogée et exerce un grand rayonnement économique et culturel sur tout l’ouest de la Méditerranée et le sud de l’Europe, de même que la Sicile, arabe du milieu du 9e siècle jusqu’à la fin du 11e (puis normande, mais ces derniers conserveront ce brillant héritage pendant encore près de deux siècles)... 

    guerres feodalLa ‘France’ d’alors, comme le dira bien plus tard de l'Italie un certain Metternich, est une pure expression géographique. Ni les Carolingiens ni leurs successeurs Capétiens ne sont d’ailleurs rois de France, mais rois des Francs ('premiers' des aristocrates francs). ‘France’ (Francia) désigne alors tout simplement les territoires sous l’autorité (plus ou moins réelle ou nominale) de la monarchie franque. Au début du 9e siècle c’est l’Empire franc de Charlemagne (correspondant pratiquement à la Communauté européenne de 1957 !), divisé en 843 (partage de Verdun) entre une Francie occidentale, une Francie orientale (qui deviendra ‘Germanie’, centre du Saint-Empire) et un territoire intermédiaire de l’Italie à la Mer du Nord, une Francie médiane également appelée Lotharingie (d’où la Lorraine tire son nom), qui disparaîtra rapidement. Par la suite, le terme 'Francia’ tendra à ne désigner que la partie occidentale : une bonne partie, certes, de l’actuelle ‘France’, mais aussi des territoires qui n’en font plus partie (Catalogne, Flandre) et sans beaucoup de territoires (au Nord, à l’Est et au Sud-Est) qui ne seront conquis que bien plus tard.

    De manière plus étroite, on tend également à ne désigner ainsi que la partie nord de l’ancienne Gaule, celle où la culture politique et sociale franque (peuple germanique établi de longue date, dès la fin du 3e siècle, comme ‘fédérés’ dans l’Empire romain) a le plus influencé et fusionné avec la culture et la civilisation gallo-romaine, et dont les rois mérovingiens avaient fait le centre de leur (toute relative) autorité : globalement entre la Meuse, la Loire, la Manche, le massif ardennais et le massif armoricain (qui leur échappait sous la conduite des roitelets bretons). De fait, comme on le voit sur la carte du traité de Verdun, il y a un Royaume franc de l'Ouest (vraie signification de Francia occidentalis ou plutôt de Regnum francorum occidentalium, son véritable nom 'juridique' !) donné à Charles le Chauve mais aussi un territoire (une 'province' de l'Empire partagé) strictement appelé France et qui s'étend grosso modo entre la Seine, la Meuse et l'Escaut (plus ou moins le royaume originel de Clovis), tandis qu'une 'Neustrie' s'étend plus au sud-ouest entre Seine, Loire et Bretagne. Un peu auparavant, sous Charlemagne lui-même (carte), ce nom de 'France' recouvrait également la Lorraine et... la totalité du Bénélux actuel. Pour le reste, passé la Loire on parle généralement d’Aquitaine et passé le Morvan de Burgondie/Bourgogne (territoire beaucoup plus vaste que la région actuelle, cf. infra) ; pour la Bretagne et le Cotentin d’Armorique ou (déjà) de ‘Petite Bretagne’, pour la Provence de... Provence (du nom de la Provincia romaine) et pour l’actuel Languedoc de ‘Narbonnaise’, de ‘Gothie’ (car resté territoire wisigoth après Clovis jusqu’en 719, les Arabes l’occupant alors pendant 40 ans) ou de ‘Septimanie’.

    L’acception se réduit encore au 10e siècle, à l’approche de l’An 1000, en même temps que les territoires effectivement soumis à l’autorité politique de la couronne franque : au maximum le Bassin parisien entre l’Argonne, le bocage armoricain, la Normandie (distinction Vexin normand/Vexin français), un peu au sud de la Loire et un peu au nord de la Somme ; ou seulement l’Île-de-France au sens ‘large’, du sud de la Picardie actuelle (Senlis, Soissons, Beauvais) jusqu’à Orléans, Chartres, à la rigueur Sens ; voire uniquement ce que l'on désignera plus tard (justement) par Isle (île) de France au sens strict, ‘île’ car comprise entre la Seine, la Marne et l'Oise. Par ‘pays de France’ on peut même ne désigner que les territoires franciliens au nord-est de Paris... grosso modo l’actuelle Seine Saint-Denis !

    En finir avec la 'France', appareil politico-militaire et idéologique de nos oppresseurs !

    Dans l’acception ‘large’ donc, lorsque le duc des Francs Hugues Capet monte sur le trône en 987 (élu par un aréopage de barons et d'ecclésiastiques du Bassin parisien), la France c’est l’espace en vert sur la carte ci-dessus, avec les ‘tâches’ bleues du domaine capétien proprement dit [voir aussi les cartes ci-dessous montrant bien la "cité-État", le contado de Paris et d'Orléans qu'était alors le domaine et la "zone d'influence" du roi].

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    Le roi des Francs occidentaux n’est même pas le seigneur féodal le plus puissant de cet espace géographique, qui est surtout dominé par les comtes de Champagne, de Blois (actuelle région Centre) et de Vermandois (actuelle Picardie). Au contraire : il a précisément été choisi (par ces derniers et les autres grands féodaux) pour être un souverain faible, purement symbolique.

    Pour le reste, contrairement à une idée fausse mais répandue, l’An Mille n’est pas une époque de morcellement féodal absolu, où les seigneurs règnent sur quelques kilomètres carrés et se font la guerre incessamment. Il y a de grandes unités politiques, subdivisées en fiefs certes, mais où la suzeraineté du grand féodal s’exerce fermement et commence à ressembler à des prérogatives étatiques modernes. Le duché d’Aquitaine, gigantesque, est l’’héritier politique’ du royaume wisigoth annexé par Clovis, à travers les multiples Aquitaines mérovingiennes et carolingiennes (c’était souvent un ‘royaume’ que les rois francs donnaient à leur fils) ; mais parfois aussi autochtone comme sous le vascon - basque - Eudes, celui qui a vraiment  'arrêté les Arabes', non pas à Poitiers en 732 mais à Toulouse en 721. Elle englobe des terres occitanes (Limousin, Auvergne, Périgord, Bordelais) et d'autres considérées aujourd’hui comme non-occitanes (Poitou, Charentes, Bourbonnais/'Allier' et sud du Berry, etc.) mais où l’influence occitane (la langue d'òc y étant en fait parlée jusque tard, avant "oïlisation"...) est importante.

    [Ici une (très importante) carte des variations des aires linguistiques au cours de l'histoire : File Linguae-in-Galloromania.svg]

    Ce sera le siège de la civilisation troubadour, troubadours dont le primus inter pares est bien souvent le duc lui-même. Au sud se trouve le duché de Gascogne, héritier des invasions vasconnes (basques) du 6e siècle, qui est la région occitane portant ce nom aujourd’hui. Il est sous l’influence politique de l’Aquitaine, et rattaché définitivement à celle-ci en 1032. Le comté de Toulouse (héréditaire depuis le milieu du 9e siècle, vassal ‘émancipé’ de l’Aquitaine) et le ‘marquisat de Gothie’ (progressivement absorbé par le précédent aux siècles suivants, ou passant sous la suzeraineté d’Aragon-Catalogne) recouvrent l’Occitanie ‘centrale’, entre Garonne, ‘Massif central’ et Rhône.

    NominoeLa Bretagne est solidement installée, depuis le 10e siècle, dans ses frontières des 5 départements actuels ; et l’on y parle le brezhoneg celtique beaucoup plus largement qu’aujourd'hui, jusqu'aux portes de Rennes et Nantes. Cette langue a été amenée, aux 5e-6e siècles, par des Celtes de Grande-Bretagne (jamais réellement romanisée) qui fuyaient en masse l’invasion germanique anglo-saxonne, beaucoup plus brutale que les invasions germaniques en Gaule romaine. Depuis cette époque, l’ancienne Armorique ne fut jamais réellement sous autorité franque, divisée en petits royaumes (semi-légendaires) qui s’unifient vers l'an 800 ; d’ailleurs, la Bretagne n’est un ‘duché’ que depuis 936 (avec Alain Barbetorte) : avant cette date, elle était un ‘duché’ pour les rois carolingiens... mais se considérait elle-même comme un royaume, avec des rois comme NominoëErispoë (851-857) et Salomon (857-874) qui lui donneront son extension historique maximale (Cotentin, Mayenne et jusqu'aux portes du Mans et d'Angers) ou encore Alain le Grand. Loin d’être une terre 'barbare’, elle s'insère à cette époque dans la grande civilisation celtique médiévale, dont l’épicentre est l’Irlande avec ses monastères.

    Au nord se tient le duché de Normandie, fief donné au chef scandinave (normand, de 'northman' : 'homme du Nord') Rollon en 911, d’où son nom. En 1066 (Guillaume le Conquérant) ses ducs deviennent rois d'Angleterre, parlant dès lors 'd'égal à égal' avec les Capétiens ; jusqu'à ce que Philippe II Auguste mette fin à ce royaume anglo-normand en annexant la Normandie au domaine royal (célèbre prise de Château-Gaillard en 1204).

    On remarque tout au sud le comté de Barcelone (Catalogne), ancienne ‘marche d’Espagne’ fondée par Charlemagne. Il a déjà cessé à cette date de prêter toute allégeance féodale aux rois des Francs occidentaux, dont il relève en théorie. Uni au royaume d’Aragon (qui en l’An Mille est encore en gestation dans les vallées pyrénéennes), il deviendra aux siècles suivant le centre d’un grand empire maritime méditerranéen, avant d’être réuni à la Castille en 1479 pour former le royaume d’Espagne.

    royaume-bourgogneLa Francia occidentalis s’arrête au Rhône, aux montagnes d’Ardèche et du Forez, puis peu ou prou sur la Saône. Au-delà commence une entité que l’on nomme royaume de Bourgogne-Provence (à ne pas confondre avec le duché de Bourgogne qui, lui, relève bien de la Francie occidentale – mais sera un important ‘poil à gratter’ pour les Capétiens aux 14e et 15e siècles), ou encore 'd'Arles'. Il englobe ni plus ni moins que la totalité de l’Arpitanie (aire des langues ‘franco-provençales’) - Lyonnais, Forez, Bresse et sud du Jura, Alpes du Nord et Romandie, additionnée de quelques terres de langue comtoise (‘comté de Bourgogne’ actuelle Franche-Comté, langue d’oïl à influences germaniques) et de quelques régions helvétiques germanophones : c’est la ‘Bourgogne proprement dite’ ; ainsi que les terres occitanes vivaro-alpines et provençales : c’est la partie dite ‘Provence’. Ce royaume est rattaché au Saint-Empire en 1032 mais, passant ainsi sous une autorité lointaine et généralement (sauf par intermittence) absente, il se délite alors rapidement pour donner naissance au comté de Provence, au comté de Bourgogne future Franche-Comté, au Dauphiné du Viennois, au comté puis duché de Savoie etc. etc. ; n'ayant de fait plus la moindre réalité politique au milieu du 13e siècle (en 1366 l'empereur germanique Charles IV cède officiellement la désormais toute virtuelle "couronne d'Arles" à Louis d'Anjou... grand-père du fameux "roi René" qui n'était ainsi pas seulement "roi sur le papier" de Naples et de Jérusalem mais - donc - également d'Arles, c'est à dire quelque part - effectivement - de Provence ; mais celle-ci sera en définitive rattachée à la couronne capétienne après sa mort en 1480).

    On notera que pendant un peu plus de 80 ans (890-973), les Arabes d'Andalus ont contrôlé le secteur des Maures et du Golfe de Saint-Tropez (Fraxinetum = la Garde-Freinet) avant que le comte Guillaume de Provence ne le reconquière (il en profite pour affirmer son autorité sur les barons et les petites 'républiques' locales). Avec l'épisode de la Septimanie (719-59), ceci illustre bien que l'Occitanie est une terre du nord de la Méditerranée bien plus que du "sud de l'Europe". Si la reprise de ce petit territoire en 973 sera présentée dans l'historiographie aristocratique provençale comme une "libération" (Guillaume le Libérateur, d'ailleurs encore régulièrement célébré par l'extrême-droite islamophobe locale), il n'est en réalité "pas du tout exclu" selon l'historien et archéologue Philippe Sénac que cette dépendance du califat de Cordoue, avec son modèle connu d'ouverture envers les religions du Livre, "ait été le théâtre d'une certaine symbiose communautaire qui tendrait à expliquer sa longévité"... (la présence de tant de "Sarrasins" dans tout l'arc alpin, jusqu'en Suisse, pourrait même bien potentiellement ne pouvoir s'expliquer... que par la réalité de guerre civile de cette "invasion", autrement dit le ralliement, dans la situation politique chaotique de l'époque, de nombre de gens d'armes locaux à l'islam du Fraxinetum, jusqu'à la victoire du camp chrétien de Guillaume sur eux – cette courte vidéo d'un historien ne formule certes pas cette hypothèse, mais ce qu'elle explique le suggère, en tout cas rend l'hypothèse plausible).

    Ces entités étatiques, relativement stables du 10e jusqu'au 13e siècle, seront le CREUSET des nationalités hexagonales modernes et de leurs 'branches' (disons-le ainsi pour éviter le terme dépréciatif de 'sous-nations') ; dont les caractéristiques nationales [qui sont une communauté humaine stable historiquement constituée, une langue (deux nations différentes pouvant toutefois avoir une même langue, comme les Anglais et les Américains), un territoire défini, une vie économique et une formation psychologique communes se traduisant dans une communauté de culture] vont 'rencontrer', dans la Renaissance médiévale des 11e-13e siècles, les premières lueurs de l'aube capitaliste pour former des NATIONS au strict sens marxiste du terme.

    OïlLa Nation française au sens strict (la "vraie France" selon les mots de Jules Michelet) s'est ainsi formée, grosso modo, sur le territoire de l'ancienne Neustrie mérovingienne. Elle se compose d'une branche francilienne qui vivrait aujourd'hui (globalement) dans l'aire métropolitaine de Paris, se prolongeant jusqu'à la vallée de la Loire entre Gien et Blois ; d'une branche angevine-tourangelle ('Pays de Loire' sans Nantes et la Vendée, plus la Touraine/'Indre-et-Loire') ; d'une branche normande ; d'une branche picarde-ch'ti (terres très tardivement soumises, au 16e voire 17e siècle) ; d'une branche berrichonne-bourbonnaise (au sud de la Loire, jusqu'à l'Auvergne occitane) ; d'une branche poitevine-saintongeaise ('Poitou-Charentes' + Vendée), aquitaine jusqu'au 13e siècle et dont le caractère 'transitionnel' avec l'Occitanie est depuis longtemps discuté par les linguistes ; d'une branche champenoise (Champagne) et d'une branche bourguignonne. C'est l'aire de ce que les linguistes appellent les langues d'oïl. C'est là, donc, que la Nation française proprement dite s'est forgée dans l'émergence du capitalisme autour de la zone d'attraction économique du Paris royal, des "autoroutes" commerciales qu'étaient alors la Marne, l'Oise et bien sûr la Seine (le "verrouillage" du fleuve par les Plantagenêt aux Andelys était donc insupportable) ou encore des fameuses foires de Champagne, contemporaines... et concurrentes de celles du Languedoc (cette concurrence aurait-elle, à tout hasard, plus motivé la Conquista que les considérations religieuses anti-"hérétiques" ? pour un marxiste la réponse est évidente...). C’est aussi à partir de la langue parlée dans ce grand Bassin parisien, entre Île-de-France et Val de Loire (Orléans, Blois, Tours…), dans sa version aristocratique reprise par la grande bourgeoisie, que s’est forgé dans une longue évolution (entre le 13e et le 18e siècle, sa version définitive) le français ‘standard’ : le français académique, langue officielle de l’État depuis 1539 (ordonnance de Villers-Cotterêts, avant c’était le latin) et langue de la culture académique des classes dominantes depuis la fin du Moyen-Âge. S’imposant aux différentes langues nationales et aux variantes dialectales d’oïl (les fameux ‘patois’, terme péjoratif) entre le 18e et le 20e siècle, sans pour autant les faire disparaître, et accueillant au 20e siècle les apports linguistiques divers de l’immigration (européenne et extra-européenne), il a muté sur les différents territoires en français populaires locaux (on parle d’’argot’ en région parisienne et parfois de manière générale, et de francitan en Occitanie), très éloignés dans leur vocabulaire et leur syntaxe du ‘bon’ français académique (que tentent vainement d’imposer les profs…). 

    Arbois01Plus à l'Est, on peut considérer qu'il y a une Nation franc-comtoise et une Nation lorraine, rattachées très tardivement à l’État français (respectivement 1678[1] et 1766), communautés politiques stables et à forte conscience commune jusque-là, parlant des langues d'oïl à forte influence germanique (lorrain et comto-jurassien, également parlé dans le Jura suisse) ; ainsi que dans le sud de la Franche-Comté l'arpitan jurassien (proche du suisse romand) et en Moselle le francique mosellan germanique (ou thiois ou platt), également parlé en Sarre et au Luxembourg. Il y a bien évidemment une Nation alsacienne constituée au Moyen-Âge autour de la ville libre de Strasbourg et de la Décapole ; à mille lieues d'imaginer alors qu'elle serait un jour 'française' (à l'issue de la Guerre de Trente Ans et des guerres de Louis XIV, qui la laisseront dévastée - lire notamment : 5-janvier-1675.pdf) ; et dont la langue est proche du suisse alémanique. Elle a de plus, avec la Moselle voisine (de dialecte germanique platt), la particularité d'avoir été Reichsland de l'Empire allemand entre 1871 et 1918 et d'avoir eu dans ce cadre sa propre constitution autonome en 1911 (et gardé jusqu'aujourd'hui tout un ensemble de particularités juridiques...) ; avant d'être réannexée au terme de la Première Guerre mondiale... non sans avoir connu des évènements révolutionnaires de grande ampleur (soviets d'ouvriers et de soldats etc. etc.) comme dans toute l'Allemagne à la même époque ; évènements auxquels l'Armée française victorieuse par forfait s'empressera de venir mettre un terme.

    ArpitLe royaume de Bourgogne-Provence a été le foyer, la 'matrice' de l'aire nationale arpitane ('Rhône-Alpes' sauf la Drôme et l'Ardèche, Romandie suisse pour l'essentiel - sauf canton du Jura, tiers sud de la Franche-Comté et Val d'Aoste en Italie) ainsi que de la branche 'orientale' (provençale et vivaro-dauphinoise) de la Nation occitane. Entre le 14e et le 16e siècle, une très grande partie de l'Arpitanie sera à nouveau unifiée sous l'autorité des comtes puis ducs de Savoie (qui ont auparavant - dès le 11e siècle - 'lutté à mort' avec les comtes d'Albon dauphins du Viennois, dont les domaines étaient étroitement imbriqués aux leurs - ruiné, le dauphin Humbert II vendra finalement ses terres au roi de France en 1349) : Savoie, actuel Ain (Bresse, Bugey, pays de Gex), Romandie (Genève, Vaud, Fribourg, Bas-Valais) et Val d'Aoste ; puis étendant peu à peu leur emprise sur le Piémont (contrôlé par une branche cadette dès le 13e siècle, totalement rattaché en 1416, c'est justement là qu'ils prennent le titre de ducs) et le comté de Nice occitan qui en 1388 se "dédie" à eux en tant que dernier "réduit" de l'opposition provençale à la prise de pouvoir de la deuxième dynastie d'Anjou (Louis Ier, cf. liens infra). L'actuel Ain n'est annexé au royaume de France qu'en 1601, la Savoie entre 1793 et 1815 et définitivement en 1860. Ce sont les territoires (dans l'entité 'France') où la conscience arpitane est aujourd'hui la plus forte - regardant souvent vers le modèle confédéral de la Suisse voisine (comme les Franc-comtois et les Alsaciens également) ou la très grande autonomie du Val d'Aoste italien. Le reste (Forez/Loire, Lyonnais/Rhône, Dauphiné/Isère) est annexé dans le courant du 14e siècle, tout comme l'Occitanie vivaro-dauphinoise (Ardèche + Drôme et Hautes-Alpes qui font partie du Dauphiné).

    3-Saint-Sernin-3Le comté de Toulouse et la 'Gothie' ('Septimanie') ont engendré la branche languedocienne de la Nation occitane. De fait, au début du 13e siècle, à la veille de la Conquista, l'ensemble Languedoc-Provence est devenu une sorte de 'confédération' de fiefs toulousains et arago-catalans ; deux branches dynastiques issues à l'origine du même comté bosonide indivis (avec la fameuse croix) de Provence, établi à la fin du 10e siècle, qu'elles finiront par se partager par traité en 1125 : au nord de la Durance (grosso modo le Vaucluse et la Drôme actuels), un marquisat de Provence aux mains des Toulousains ; au sud le comté proprement dit, uni en 1112 à la Catalogne (elle-même unie un peu plus tard à l'Aragon) par le mariage de son héritière Douce avec le comte de Barcelone Raimond Bérenger ; les terres de l'autre côté du Rhône (voir carte ci-dessous) consistant elles aussi en une mosaïque de possessions directes ou vassales de l'une ou l'autre maison (globalement, depuis la fin de leur contentieux provençal, fermement alliées). Une 'confédération' qu'Engels qualifiera de 'république aristocratique' et dans laquelle émerge notamment, autour de la commune bourgeoise de Toulouse ('libre' en 1189), une Patria tolosana, véritable république urbaine à l'italienne... et d'autres encore, similaires à plus petite échelle, autour de Montpellier, d'Aix ou encore d'Avignon (dont le Comtat sera finalement le 'cadeau' des Capétiens au Saint-Siège pour son soutien dans la Conquête). L'Aquitaine et la Gascogne (unifiées à partir de 1032) engendreront quant à elles la branche gasconne (entre Garonne et Pyrénées) et la branche nord-occitane (Auvergne, Limousin, Périgord) ainsi que, on l'a dit, l'aire poitevine-saintongeaise (branche d'oïl ou 'Arpitanie de l'Ouest' intermédiaire entre oïl et òc ?). Le capitalisme se développe très tôt (dès autour de l'An Mille) dans cette grande Occitanie, autour des deux axes essentiels que sont les vallées du Rhône et de la Garonne reliées entre elles par le "couloir languedocien" (Toulouse-Narbonne-Nîmes), où les vieilles voies romaines (Domitia et Aquitania) sont encore en assez bon état. Nous ne pourrons hélas pas nous étendre kilométriquement ici sur cette brillante civilisation d'Òc, véritable Andalus du Nord à la croisée de l'Europe et de la Méditerranée, de l'Italie et de la Péninsule ibérique voire de l'Afrique, où cohabitaient en harmonie chrétiens, juifs, musulmans et 'hérétiques' comme les cathares et où fleurissait la culture et l'humanisme, près de quatre siècles avant la Renaissance 'officielle'...

    [Sur la "genèse" de l'Occitanie comme ensemble culturel-linguistique dans ce contexte médiéval, lire : la-notion-d-ensemble-economique-tributaire-au-moyen-age-feodal-et-la-g-a161070402]

    L'on voit donc bien que l'on est loin d'un quelconque (soi-disant) "morcellement féodal total" à cette époque, sauf (bien sûr) à n'avoir rien compris au fonctionnement de l'institution "étatique" médiévale, à son tributarisme et sa subsidiarité. Peut-être est-il éventuellement possible de dire que ce trio ducs d'Aquitaine - comtes de Toulouse - rois d'Aragon et leur lutte pour l'hégémonie tout au long du 12e siècle (parfois qualifiée de "grande guerre" ou "guerre de cent ans méridionale") est ce qui a "empêché" une unification politique complète de l'aire occitane ; ou plutôt, pour être exacts, qu'elle en était le processus qui a été interrompu par l'invasion nordiste : aurait-elle duré encore un siècle, un siècle et demi de plus, que l'une de ces trois maisons aurait fini par triompher et établir à son profit un État occitan (ou "catalaragoccitan" dans le cas de l'Aragon-Catalogne) unifié et moderne ; mais... voilà.

    Tous ces territoires occitans seront unifiés – paradoxalement – par la politique d'annexion française, entre le règne de Philippe Auguste (1180-1223, premier à se faire appeler 'roi de France' et non 'des Francs', véritable père fondateur de l’État moderne français) et - définitivement - la fin de la Guerre de Cent Ans (1453), alors (donc) que l'aube du capitalisme est déjà bien affirmée en Europe ; et seront même (d'ailleurs) reconnus comme nation par la monarchie elle-même dès le début du 14e siècle - au terme de ce processus, cependant, le capitalisme occitan aura été subordonné à celui du Nord et plié à ses intérêts. Par la suite, la conscience nationale du 'Midi' (son appellation fréquente, de la Renaissance jusqu'à nos jours) s'exprimera au cours de Guerres de Religion (1562-98, 1621-29, 'dragonnades' et camisards 1680-1710) et dans de colossaux soulèvements paysans comme celui des Croquants (fin du 16e siècle puis surtout 1624-48) ou des révolutions démocratiques urbaines radicales comme l'Ormée de Bordeaux (1650-53) ; dans le soutien au 'fédéralisme' girondin sous la Convention, la résistance massive et armée au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1851 (bonapartisme et Parti de l'Ordre étant vus comme synonymes des préfets et de Paris tout-puissant, et la République démocratique et sociale, "la Bonne", comme celle de souveraineté populaire et de pouvoir des élus directs locaux, des communes etc.) ou encore la Grande Révolte languedocienne de 1907...  À ce sujet, nous ne pouvons que vous conseiller l'acquisition et la lecture du passionnant "700 ans de révoltes occitanes" de Gérard de Sède.

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    La Provence passe dès 1246 à la maison capétienne d'Anjou (frère cadet de "Saint" Louis, Charles Ier d'Anjou, qui en a épousé l'héritière), première dynastie angevine qui reviendra à partir de 1266 à un rattachement de fait à... Naples (dont Charles devient alors roi), à laquelle succèdera en 1382 une seconde après l'adoption de Louis (frère de Charles V de France) par la reine Jeanne (Naples étant alors, par contre, perdue) ; mais elle restera assez indépendante jusqu'à son rattachement au domaine royal sous Louis XI (1481, après la mort du célèbre bon roi René) et encore relativement autonome jusqu'à la Révolution bourgeoise, ce qui explique sans doute un certain particularisme provençal au sein de l'Occitanie, beaucoup ayant tendance à se considérer 'provençaux' et à réserver le terme d'Occitanie à 'l'autre côté du Rhône'. De même, la Gascogne 'survit' (partiellement) plus longtemps dans les 'réduits de Guyenne' sous souveraineté anglaise jusqu'en 1453 (en particulier la 'principauté d'Aquitaine' confiée au Prince Noir héritier d'Angleterre, dans une quasi-indépendance vis-à-vis de Londres, en 1362), le Béarn souverain (sans suzerain) et autres possessions de Gaston Phébus puis, dans la descendance de ce dernier, les très indépendants domaines d'Albret-Navarre (voir aussi ici) finalement réunis à la France par leur dernier héritier Henri IV à la fin du 16e siècle : le particularisme gascon (et/ou béarnais) est également assez affirmé.

    Les régions nord-occitanes (Limousin, Auvergne, Velay-"Haute-Loire", Vivarais-"Ardèche", Dauphiné occitanophone de Drôme, Isère, Hautes-Alpes...) ont en général subi une annexion précoce dès l'époque de Philippe Auguste (début du 13e siècle), en même temps que l'essentiel du duché d'Aquitaine, ou guère plus tard (soumission complète du Vivarais et du Velay au début du 14e siècle, achat du Dauphiné en 1349) et se trouvent dès cette époque fortement dans l'orbite économique de Paris (ou de Lyon au rattachement contemporain et qui sert très vite de "petite capitale" à toutes ces nouvelles possessions). Elles pourront cependant, en tant que "fiefs mouvants" de la Couronne, garder encore une certaine autonomie comme le petit "empire" auvergnat des ducs de Bourbon au 15e siècle et jusqu'en 1531 (Auvergne, bonne partie du Limousin, Bourbonnais-"Allier" dont ils sont la dynastie historique, Forez-"Loire", Beaujolais et Dombes de langue arpitane) ; les possessions limousines d'Albret-Navarre (voir lien plus haut) ou encore la vicomté de Turenne (carte), très autonome quant à elle jusqu'en 1789 (et parmi les terres premières des Croquants) ; développant leurs consciences propres qui font la richesse de ce que l'on peut appeler l'"unidiversité" occitane.

    Enfin, tout à l'Est il y a comme on l'a dit le Pays de Nice, avec son "dégradé" de dialectes transitionnels entre provençal, alpin et ligure ; rattaché comme on l'a dit volontairement à l'ensemble Savoie-Piémont en 1388 ; et annexé une première fois tout comme ceux-ci par les armées de la Révolution bourgeoise et de Napoléon (1793-1815, résistance des Barbets) puis définitivement, comme la Savoie, par référendum honteusement truqué en 1860 (faits totalement oubliés aujourd'hui, en février 1871 et dans les mois précédents, soit à peine plus de 10 ans après cette annexion et dans un contexte d'effondrement de l’État face à la victoire prussienne et de montée des Communes, le jeune département des Alpes-Maritimes connaissait des troubles et donnait une écrasante majorité aux élections législatives à des candidats autonomistes voire carrément séparatistes ou rattachistes à l'Italie - dont ni plus ni moins que Garibaldi himself...).

    Le duché de Bretagne a évidemment été la matrice de la Nation bretonne. Aux 5e-6e siècles des Celtes de Grande-Bretagne s'y sont implantés, fuyant l'invasion germanique de l'île, et ont fusionné avec des populations gauloises armoricaines déjà très peu romanisées. Cela a donné une langue celtique, la seule d'Europe continentale, le brezhoneg. Cependant, autour et à l'est de Rennes et Nantes, les liens économiques et culturels avec la Normandie et le Val de Loire puis le règne (à partir du 12e siècle) de dynasties du Bassin parisien (Plantagenêt 1156-1221, Dreux 1221-1341 puis Blois et Montfort) favorisent cavalier-roi bretonle développement d'un oïl populaire de Bretagne, le fameux parler gallo (gallo-roman de Bretagne). Celui-ci se déplace progressivement vers l'Ouest, du 11e au 19e siècle, pour atteindre une ligne reliant peu ou prou le golfe de Saint-Brieuc à celui du Morbihan. Puis, au 20e siècle, la grande francisation forcée de la  IIIe république fait encore reculer les deux langues au profit d'un français populaire de Bretagne [comme il y a un français populaire d'Occitanie, d'Alsace, du Nord, de la région lyonnaise, du Forez (fouyâââ !) ou encore de Savoie, etc.]. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'il n'y ait pas de Nation bretonne : en Irlande la situation du gaélique est encore pire, il est confiné dans l'Ouest de l'île et n'a plus que 300.000 locuteurs (sans doute encore moins le parlant couramment) pour une population totale de 6 millions d'habitant-e-s ; la langue d'expression courante est l'anglais populaire irlandais ; et pourtant il ne viendrait à l'idée de personne (surtout pas face aux intéressé-e-s) de dire que les Irlandais sont des Anglais (il en va de même en Écosse, avec moins de 2% de gaélophones). De même, il ne faut pas être dogmatique avec "Le Marxisme et la Question nationale" de Staline, selon lequel deux nations différentes peuvent parler une même langue mais 'en aucun cas' une nation ne pourrait avoir deux langues différentes : selon nous, si la superstructure politique est stable pendant une assez longue période, peu contestée en tant que telle voire associée à un 'âge d'or' dans la conscience collective, et qu'elle n'installe pas de rapport de domination d'un groupe linguistique sur l'autre, elle peut rétroagir sur la réalité sociale et forger une conscience nationale commune même s'il y a deux langues différentes. C'est selon nous le cas en Bretagne, stable dans ses frontières ducales du 9e siècle jusqu'à l'Union de 1532 et relativement autonome ensuite jusqu'en 1789 ; ou encore dans le comté de Bourgogne devenu Franche-Comté, entité stable dans ses frontières de la fin du 9e siècle jusqu'à son annexion en 1678 et même ensuite jusqu'en 1789 ; ainsi qu'en Lorraine. Les deux langues doivent, simplement, être traitées démocratiquement sur un strict pied d'égalité, les autres aspects de la culture populaire étant globalement partagés[2].

    Enfin, l’actuelle entité ‘France’ compte trois ‘portions’ de nations, qui sont principalement établies sur le territoire d’un État voisin mais ‘débordent’ à l’intérieur de ses frontières. Ce sont :

    Maison-basque1°/ La partie nord (Iparralde) de la Nation basque, dont la matrice entre le 8e et le 12e siècle a été le royaume de Navarre (que l’on voit ici, en marron, vers l’an 1000) ; celui-ci, ‘grignoté’ peu à peu (dès le 12e siècle) par la Castille (qui deviendra ‘Espagne’) et la Gascogne (qui deviendra ‘française’), est finalement annexé par le royaume d’Espagne en 1512 (celui-ci en respectera officiellement les fueros, lois et coutumes particulières, jusqu’au 19e siècle). Une petite partie, la Basse-Navarre (partie centrale d'Iparralde), subsiste au nord des Pyrénées ; c’est de celle-ci qu’Henri IV est le roi lorsqu’il monte sur le trône de France en 1589 (et la réunit alors à cette dernière).

    drapeau cat perpi2°/ La partie nord de la Nation catalane (Roussillon, longuement disputé avant d’être définitivement rattaché en 1659), dont la matrice est le comté de Barcelone, comté carolingien s’émancipant assez rapidement de la suzeraineté franque. Celui-ci participe (1000-1300 environ) à la Reconquista et s’étend jusqu’aux îles Baléares [il y aura même (1229-1349) un éphémère 'royaume de Majorque', dont fera partie le Roussillon] et de l'Èbre jusqu'au sud d’Alicante ('royaume de Valence') ; tout en asseyant (par mariage) son influence sur la Provence (de 1112 à 1245) et le Languedoc (seigneurie de Montpellier, vicomté de Carcassone, comté de Foix...) au début du 13e siècle ; le catalan et l'occitan 'moyen' (languedocien et provençal) étant d'ailleurs considérés comme des langues 'sœurs', 'quasi-jumelles'. Il s’unit d’autre part (1137) au royaume d’Aragon et devient ainsi le centre d'un vaste empire maritime méditerranéen, avant d’être réuni (avec l’Aragon) au royaume d’Espagne en 1479. La Catalogne gardera toutefois son gouvernement particulier, la Generalitat, jusqu’en 1714 – les nouveaux rois Bourbons, appliquant le modèle centralisateur français, la suppriment alors (décrets de Nueva Planta).

    beffroi.jpg3°/ enfin, dans le département du Nord entre Lille et la mer, une mince frange de la Nation flamande. Celle-ci est née au sein du comté de Flandre, grand domaine très indépendant de la Francie occidentale qui commençait en l’An Mille un peu au nord de la Somme – mais Philippe Auguste le ‘repoussera’ sur la frontière actuelle entre Nord et Pas-de-Calais, les terres conquises devenant comté d’Artois et étant rapidement 'francisées' (c’est aujourd’hui le domaine du ch’ti). Le reste s'indépendantisera définitivement des Capétiens, notamment à la célèbre bataille des Éperons d'Or (Courtrai, 1302) où les milices bourgeoises flamandes étrillent l'ost (armée) royal de Philippe le Bel ; et n'aura dès lors plus aucun lien politique avec Paris – une frange (alors appelée 'Pays-Bas français') sera cependant reconquise par Louis XIV, elle forme de nos jours l'essentiel du département du Nord. On y parle une langue germanique extrême-occidentale proche du hollandais et c'est aujourd’hui – surtout – une nation constitutive de l’État belge [3].

    Tout ceci sans oublier (bien sûr) la Nation corse dans son île au cœur de la Méditerranée, ‘vendue’ par Gênes à Louis XV en 1768 et (alors) férocement conquise puis ‘pacifiée’ durant le demi-siècle suivant ; mais comme le proclame sa devise "toujours conquise, jamais soumise" (nous reviendrons un peu plus loin sur ce cas particulier)...

    CEPENDANT, parallèlement à ce processus qui voit l'aube du capitalisme donner naissance aux nations modernes, va s'en dérouler un autre, dans toute l'Europe, qui est la formation des grands États modernes.

    Ce processus correspond à la concentration ultime, extrême, des domaines et du pouvoir (qui va avec) féodal entre les mains de quelques grandes ‘maisons’ : c’est en réalité le stade suprême de la féodalité, équivalent pour celle-ci de l’impérialisme pour le capitalisme, et qui dans de nombreuses parties du continent va directement fournir au capitalisme naissant sa première base d'accumulation (la cité entourée de son "pays" et de ses éventuelles bourgades "clientes", comme par exemple Toulouse au début du 13e siècle, étant devenue un cadre bien trop étroit à ce stade du développement historique). Il est la traduction d’une CRISE profonde, structurelle du mode de production féodal, avec la disparition de sa base productive essentielle, le servage, et l’émergence puissante des futures classes révolutionnaires qui en seront les fossoyeuses : la bourgeoisie urbaine, organisée dans de puissantes corporations, guildes etc. et qui met en avant des revendications communales (autonomie politique des villes sous la forme de petite ‘républiques’) ; et la paysannerie aisée, libre (propriétaire) ou fermière (le fait, à l’époque, de payer un droit fixe sur sa terre est déjà un privilège considérable).

    C’est un processus marqué par les GUERRES et leur cortège de fléaux liés (famines, épidémies) : pour se donner une idée il suffit d’observer le ‘yo-yo’ de la population ‘française’ entre le début du 14e et le début du 18e siècle, après une période de croissance soutenue depuis l'époque carolingienne ! Alors que, du milieu du 10e au milieu du 12e siècle, le mouvement de la Paix de Dieu avait fait de l’An Mille (contrairement aux idées reçues) une période relativement paisible permettant la Renaissance médiévale, on voit dès la fin du 11e débuter les Croisades (de fait "soupape" à la "prolifération" - "surproduction" si l'on veut - de chevaliers et de domaines avec leurs destructrices guerres privées au cours des décennies précédentes - "surproduction absolue d'atomisation micro-tributaire", aurait pu dire Amin... - et donnant naissance pour près de deux siècles à des États chrétiens 'francs' au Proche-Orient, premières 'colonies' européennes hors d'Europe en quelque sorte... et sources pour les cités marchandes italiennes d'un enrichissement relevant déjà d'un mécanisme d'accumulation primitive), et s’accélérer la Reconquista espagnole ; puis c’est la ‘première Guerre de Cent Ans’ (1159-1259) entre Capétiens et Plantagenêt (rois d’Angleterre depuis 1154) et la ‘Croisade contre les Albigeois’ (1208-1221) ; la Guerre de Cent Ans proprement dite (1337-1453) suivie des luttes contre la Bourgogne (ex-alliée des Anglais) jusqu’en 1477 ; puis les guerres d’Italie (fin 15e-milieu 16e siècle) qui voient s’affronter le royaume de France et le jeune royaume d’Espagne, les Guerres de Religion (deuxième moitié du 16e siècle, en France, Pays-Bas, Allemagne etc.), pour finir par déboucher dans la terrible Guerre de Trente Ans (1618-48), conflit d’ampleur continentale où les terres d’Empire perdent entre 3 et 4 millions d’habitants sur 17 (certaines régions comme la Poméranie ou la Franche-Comté perdant près des deux tiers de leur population), et qui s’achève (traités de Westphalie) sur l’ère du triomphe apparent de l’absolutisme… et (en réalité) du début des révolutions bourgeoises.

    [Au sujet de cette émergence du capitalisme (et de ses États modernes !) dans la crise de la féodalité européenne médiévale, il est absolument fondamental de lire Samir Amin : un-texte-de-samir-amin-qui-rejoint-notre-vision]

    Car de cette accumulation frénétique de domaines par la maison royale, en "symbiose" avec celle-ci en quelque sorte, va également profiter au cours de ces siècles une autre classe : la bourgeoisie capitaliste et en particulier la bourgeoisie du Bassin parisien (la plus liée à la Couronne, subordonnant les autres et leur imposant petit à petit sa culture etc.) qui va trouver, pour sa part, dans ces domaines accumulés sa base première d'accumulation (forces productives + force de travail) et le grand marché unifié dont elle a besoin pour écouler sa production (et en réaliser ainsi la valeur marchande, donc la plus-value) ; profitant également de l'autorité étatique "forte" de la monarchie pour réaliser l'opération première et essentielle du Capital, celle d'arracher la masses des producteurs à tout moyen de production et de subsistance autre que sa force de travail - à "échanger" contre salaire. Une "symbiose" qui ne prendra fin que dans la seconde moitié du 18e siècle...

    [Pour citer encore une fois Kaypakkaya : "Quel est l'objectif de l'oppression nationale ? Cet objectif, de manière très générale, est de maîtriser la richesse matérielle de tous les marchés du pays sans avoir de rivaux, pour gagner de nouveaux privilèges, étendre les limites des privilèges actuels et s’en servir. Dans ce but, la bourgeoisie et les propriétaires issus de la nation dominante, afin de conserver les frontières politiques du pays font d’énormes efforts pour empêcher par tous les moyens les régions dans lesquelles vivent plusieurs nationalités de se séparer du pays. Dans les mots du camarade Staline : “Qui dominera le marché ?” [la bourgeoisie du Bassin de la Seine ou occitane, lyonnaise, de Flandre-Artois, ou encore anglo-normande ? les foires de Champagne ou du Languedoc ? etc.]. C’est l’essence de la question. (...) L’oppression des travailleurs des peuples minoritaires acquiert de cette manière une double qualité : premièrement il y a l’oppression de classe utilisée contre les travailleurs afin d’exploiter et d’éradiquer la lutte de classe ; deuxièmement, il y a l’oppression nationale mise en œuvre pour les objectifs mentionnés plus haut contre toutes les classes des nations et des nationalités minoritaires. Les communistes font la distinction entre ces deux formes d’oppression parce que, par exemple, tandis que les bourgeois kurdes et les petits propriétaires s’opposent à la seconde forme d’oppression, ils supportent la première. En ce qui nous concerne, nous sommes opposés aux deux formes d’oppression. Afin d’éradiquer l’oppression nationale, nous supportons la lutte de la bourgeoisie kurde et des petits propriétaires, mais, d’un autre côté, nous devons nous battre contre eux pour mettre un terme à l’oppression de classe."]

    TOUTE LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT 'FRANCE' (comme de tous les grands États européens actuels !) entre le 13e siècle et la fin de l'Ancien Régime (1789) résulte en dernière analyse du développement parallèle et en symbiose de ces deux logiques : concentration de la propriété féodale entre les mains de la Couronne comme 'stade suprême du féodalisme' et construction/expansion par la bourgeoisie naissante de sa base première d'accumulation (une base d'accumulation centrée sur la région parisienne et au service de la bourgeoisie de celle-ci, directement liée à la monarchie) ; l'une et l'autre convergeant pour donner naissance à des 'mythes mobilisateurs' comme l''Hexagone ce cristal parfait' (tel que le géographe grec Strabon aurait soi-disant décrit la Gaule romaine au 3e siècle... pur mythe bien sûr) ou les 'frontières naturelles' (Alpes, Pyrénées et surtout Rhin, thème qu'aurait commencé à agiter Richelieu au 17e siècle).

    Voyons quelles vont être, en ‘France’, les principales étapes de ce processus.

    Tout d’abord, au 11e et jusqu’au milieu du 12e siècle, les Capétiens vont lutter pour affermir leur autorité sur ‘leur’ moitié orientale du Bassin parisien, la ‘France de chez France’ si l'on peut s'exprimer ainsi (Île-de-France, Champagne, Brie, Beauce, sud de la Picardie, Orléanais et Blésois), où leurs vassaux (souvent - on l'a dit - plus riches donc puissants qu'eux) oscillent entre loyauté et ‘turbulence’. C’est à cette époque (Louis VI, 1108-1137) que la capitale se fixe définitivement à Paris (auparavant les Capétiens ‘allaient et venaient’ entre Paris, Orléans, Étampes etc.) et que commence à se sceller un pacte entre la monarchie et la bourgeoisie de cette ville, pacte qui se démentira peu par la suite (sauf en période de grande crise : Guerre de Cent Ans, Guerres de Religion, Fronde) jusqu’en 1789. Puis, on l’a dit, c’est la première Guerre de Cent ans contre l’Empire plantagenêt. Au 12e siècle, cette maison qui régnait originellement sur le Maine-Anjou-Touraine s’empare de la Normandie en 1144 (permettant peut-être, à ce stade, de parler de ‘nouvelle Neustrie’), de l’Aquitaine-Gascogne en 1152 par mariage avec la fameuse Aliénor, puis finalement de la Couronne d’Angleterre en 1154. Cet Empire tentait, peut-être, de renouer avec l’époque de la fin de l’Empire romain (4e-5e siècles) où de nombreux empereurs ‘gaulois’ avaient régné à la fois sur la Gaule et la Grande-Bretagne... Il faut dire que l’Angleterre, comme nation, est unifiée politiquement depuis la fin du 9e siècle (Alfred le Grand) et l’est restée jusqu’à nos jours (comme nation constitutive du Royaume-Uni), n’ayant pu dès lors chercher à s’étendre que de manière extranationale (vers l’Écosse, le Pays de Galles, l’Irlande… et le continent) ; alors que les Capétiens ne contrôlaient même pas (au 12e siècle) l’intégralité de la ‘France proprement dite’ (Bassin parisien), dont l’unification accompagnera la formation de l’État moderne parallèlement à la conquête des terres ‘non-franques’.

    Débutant sous la forme de conflits ‘frontaliers’ entre les deux domaines, cette guerre se déroule principalement sous Philippe Auguste (1180-1223), que l’on peut considérer, on l’a dit, comme le véritable père fondateur de la ‘France’ comme État moderne. Voici deux cartes comparatives de la construction politico-militaire ‘France’, entre le début et la fin de son règne :

    600px-Conquetes Philippe Auguste

    Concrètement, Philippe Auguste va d'abord (jusqu'en 1205 environ) unifier sous son autorité la 'vraie France', le Bassin parisien creuset de la Nation française proprement dite, pays des 'autoroutes' fluviales Loire et Seine-Marne-Oise que les Plantagenêt verrouillaient insupportablement au niveau des Andelys et de Tours ; en s'emparant (donc) de la Normandie et du Val de Loire (Maine-Touraine-Anjou). Puis (jusqu'aux années 1220) il va se lancer avec son fils Louis à l'assaut des terres occitano-poitevines du duché d'Aquitaine (Auvergne, Limousin, Poitou et Saintonge, Périgord et Guyenne) qu'ils soumettent jusqu'à la Garonne, réitérant en quelque sorte l'invasion de Clovis sept siècles plus tôt (ce qui pour le 'mythe franc', il faut le dire, avait 'de la gueule' !). Par la suite, au 14e siècle, le ‘réduit aquitain’ anglais se réduira encore, couvrant seulement l’actuelle Gironde, les Landes et le Labourd (Lapurdi) basque.

    C’est également sous son règne (et celui de son successeur Louis VIII) qu’a principalement lieu la Croisade des Albigeois (1208-29) qui voit la conquête de l’Occitanie centrale (‘Languedoc’), et non, contrairement à une idée reçue, sous celui de ‘Saint’ Louis IX (1226-70, par ailleurs inventeur de la rouelle pour les juifs, ancêtre de l'étoile jaune, 7 siècles avant Hitler...) qui voit 'seulement' l’écrasement sanglant des cathares (Montségur 1244 etc.) et le 'parachèvement' de la conquête jusqu'à l’union ‘officielle’ du Languedoc à la Couronne (1271), mais pas la conquête proprement dite.

    [Sur cet épisode historique fondamental, véritable acte de naissance de l’État français tel que nous le connaissons, lire : invasion-de-l-occitanie-centrale-croisade-contre-l-heresie-premiere-partie]

    Il s'agit là d'un cas assez particulier (soit dit en passant) où une nation moins avancée (la 'vraie France' du Bassin parisien) devait en soumettre une autre beaucoup plus développée, comme nous l'avons vu précédemment, sur le plan économique (rien qui puisse se comparer, comme le fait erronément Gérard de Sède dans son ouvrage, avec la conquête espagnole des civilisations aztèque ou inca, certes brillantes mais ignorant le métal et même la roue - et a fortiori l'artillerie et les armes à feu) ; fondant ainsi sa propre puissance future ; mais il faut dire que les Capétiens et les barons 'croisés' du Nord avaient un appui de taille : celui de la Papauté elle-même, ce qui était loin d'être 'rien' à l'époque (exemple simple : cela signifiait que les terres d’Église - d’évêché, d'abbaye etc. - cessaient automatiquement de fonctionner pour le compte des suzerains excommuniés - Toulouse, Trencavel etc. ; tandis que de nombreux chevaliers ou patriciens urbains se ralliaient à la croisade ou demeuraient - à tout le moins - neutres pour éviter l'excommunication et la 'damnation' dans l'au-delà, choses auxquelles les gens croyaient profondément en ce temps-là).

    Celle-ci escomptait peut-être, ainsi, maintenir le Sud de l'ancienne Gaule dans un tributarisme vis-à-vis de Rome et de l'Italie centrale dont il n'était jamais vraiment sorti au cours des siècles suivant la fin de l'Empire, mais commençait avec sa puissance économique des 12e-13e siècles à s'extraire (sans compter la "concurrence" avec la force d'attraction de la Péninsule ibérique, déjà dans les échanges commerciaux avec la civilisation d'Andalus - Sud de l'Espagne centre concurrent déjà sous les Wisigoths et encore plus sous les Arabes - et désormais avec la consolidation d'un ensemble Occitanie-Aragon-Catalogne). Mais ce faisant, elle n'aura au bout du compte servi les intérêts que de celui dont elle avait fait son "bras séculier" dans cette entreprise : le monarque de Paris.

    Au terme de cette première phase, sous les règnes de Louis IX, Philippe III le Hardi et Philippe IV le Bel, l’État monarchique se consolide dans une période de relative prospérité économique – particulièrement pour la ‘France’/Bassin parisien, conquérante victorieuse d’immenses territoires devenus ses provinces (du latin pro vincia : pays "précédemment vaincu", pays conquis !). Le règne de Philippe le Bel voit la soumission à la Couronne franque de la région lyonnaise (1312), à l'issue d'un long conflit opposant la bourgeoisie de la ville à l'archevêque ('Primat des Gaules') ; conflit au cours duquel celle-ci avait maintes fois fait appel au (désormais puissant) monarque parisien.

    Mais les fils de ce dernier meurent les uns après les autres sans héritier. Va alors commencer la deuxième phase, la Guerre de Cent Ans proprement dite (1337-1453)[4]. Celle-ci débute comme une lutte dynastique par laquelle le roi Édouard III d’Angleterre va tenter de rétablir l’Empire plantagenêt et même prétendre à la ‘France’ entière puisqu’il est, par sa mère, l’héritier direct (petit-fils) de Philippe le Bel. Mais la haute bourgeoisie ‘de Cour’ et les féodaux du Bassin parisien (ses ‘producteurs primaires’) ne veulent pas de ce monarque d'outre-mer, qui favoriserait inévitablement leurs homologues et rivaux de sa sphère d’influence littorale. Ils vont donc appuyer Philippe VI de Valois (qui n’est que le neveu de Philippe le Bel) : c’est alors qu’est mise en avant la fameuse loi salique qui veut que la Couronne ne puisse se transmettre par les femmes… Un autre grand enjeu de ce conflit est la Flandre, comté faisant originellement partie de la Francia occidentalis mais qui a toujours fièrement affirmé son indépendance (les territoires conquis sur lui par Philippe Auguste devenant l’Artois, donné au frère de Louis IX), et a développé depuis la fin du 11e siècle une puissante industrie textile indissociablement liée à l’Angleterre, grande productrice de laine (c’est ainsi que les caractéristiques nationales anglaises, ‘parfaites’ dès le 10e siècle, ont ‘rencontré’ le capitalisme naissant). Le port et la région de Calais seront ainsi l’objet de nombreuses batailles, avec le fameux épisode de ses bourgeois capitulant la corde au cou devant Édouard III. Lorsque le duché de Bourgogne héritera de la Flandre (1384), il passera alors dans l’alliance anglaise (ce que l’on peut considérer comme le début de la deuxième phase du conflit).

    Les cartes suivantes montrent le mouvement de ‘va-et-vient’, pendant cette centaine d’années, entre expansion anglaise et reconquête française :

                              423px-Guyenne 1330.svg423px-Traité de Bretigny.svg
                                      Au début du conflit (années 1330)                       Traité de Brétigny (1360)

                        481px-Reconquète Charles V.svg425px-Traité de Troyes.svg
                             Les reconquêtes de Charles V (1364-80)           Après le traité de Troyes (1420)

    En Occitanie, au cours d'un long règne de près d'un demi-siècle (1343-91), le célèbre Gaston Phébus de Foix et Béarn saura tirer profit de la situation pour assurer le plus d'indépendance possible à son petit 'Empire' pyrénéen (indépendance qui se perpétuera dans une certaine mesure jusqu'à son lointain descendant Henri IV) ; le Languedoc et l'Auvergne étant de leur côté le théâtre de la révolte des Tuchins et la Provence d'une première tentative d'invasion (avec Du Guesclin, 1368) puis d'une prise de possession définitive (1382-88) par Louis Ier d'Anjou, frère de Charles V, face à une farouche résistance des villes et de la noblesse locale qui trouvera notamment son épilogue (déjà évoqué plus haut) dans la sécession de Nice et son rattachement au Piémont-Savoie.

    Les Capétiens (devenus ‘indirects’ : Valois) s’étendent également au Sud-Est par l’acquisition du Dauphiné (donné à l’héritier du trône, d’où le terme de ‘dauphin’ entré dans le langage courant) sur le Saint-Empire, plutôt allié de Paris contre l’Angleterre. Il faut relever comment, à cette époque, le Saint-Empire (actuelles Allemagne et Autriche, Suisse, Tchéquie et Italie du Nord) qui était la grande puissance politique de l’An Mille s’est atomisé politiquement sous le poids des contradictions féodales – et de l’ingérence des États modernes en formation tout autour ; processus que la Réforme protestante viendra encore accélérer. Les Habsbourg y formeront l’État moderne qui deviendra l’Autriche-Hongrie (en plus de conserver symboliquement la couronne impériale jusqu’en 1806), mais c’est seulement la bourgeoisie, sous l’impulsion de la Révolution bourgeoise française, qui ‘refera’ l’unité politique de l’Allemagne et de l’Italie au 19e siècle.

    Au terme du conflit, en 1453, le royaume d’Angleterre ne contrôle plus sur le continent que le port de Calais (pour faire transiter sa laine vers la Flandre), finalement rendu en 1558. Le ‘Grand Ouest’, du Pas-de-Calais jusqu’aux Pyrénées, est définitivement sous contrôle ; et c'en est notamment fini, donc, de l'Aquitaine indépendante (ce vieil objectif militaire du Nord depuis Clovis !), qui d'expansions en rétrécissements aura donc vécu là ses derniers feux (la conquête, en 1450-53, de la région de Bordeaux sera d'ailleurs l'occasion de grands massacres, une chronique de l'époque relatant que "tous ceux qui étaient trouvés de la langue de Gascogne avaient la tête tranchée"...).

    Assassinat Etienne MarcelLes révoltes paysannes (jacqueries) franciliennes de 1358, reliées à l’insurrection bourgeoise parisienne du prévôt des marchands Étienne Marcel, traduisent l’aiguisement des contradictions sociales dans un système féodal en crise profonde, au cœur même (parisien) de la construction politique ‘France’. Il faut dire que si la relation entre la monarchie et la bourgeoisie parisienne/francilienne est motrice du processus de construction de l’État monarchique moderne entre le 12e et le 17e siècle, c’est une relation entre forces sociales différentes et qui, donc, ne va pas sans antagonismes et frictions régulières : si le roi appuie, dans les ‘provinces’, les revendications communales de la bourgeoisie pour affaiblir les seigneurs féodaux (fussent-ils ses propres frères ou cousins...), il n’en va pas du tout de même dans les territoires placés directement sous son autorité, où il défend brutalement ses prérogatives. La revendication de Marcel, extrêmement radicale pour l’époque (la 3e République en fera d’ailleurs un ‘héros révolutionnaire’ bourgeois de la première heure), était celle d’une monarchie ‘contrôlée’ par le déjà puissant ‘patriciat’ bourgeois de Paris et de sa région. Mais, et c’est intéressant à souligner, il ignorera une profonde réalité de son époque, ce qui le mènera à sa perte : ‘pragmatique’, il se lie avec Charles le Mauvais de Navarre, cousin pro-anglais du roi de France et prétendant à la couronne, et ouvre la ville à des milliers de mercenaires et d’archers anglais qui susciteront l’hostilité de la population ; la bourgeoisie parisienne se retourne alors contre lui en faveur du futur Charles V, l’isole politiquement et finalement l’élimine (Charles V rentre alors triomphalement dans la capitale)… Ce dénouement peut être considéré, avec l’épisode de Jeanne d’Arc quelques décennies plus tard, comme l'une des premières manifestations d’une conscience nationale française dans le Bassin parisien. 

    jeanne-d-arcDans la dernière phase du conflit donc, après Azincourt (1415) et le traité de Troyes (1420), l’épisode de Jeanne d’Arc (1429-31), née à Domrémy dans la vallée de la Meuse ('Barrois mouvant') alors sous contrôle anglo-bourguignon, révèle la réalité d’une conscience nationale populaire ‘française’ dans la moitié nord de l’Hexagone (en tout cas, à l’Est de Paris : Champagne, Aisne, Barrois 'mouvant', Nord-Ouest de l'actuelle Bourgogne, régions commerçant principalement avec la capitale via la Seine et ses affluents) ; conscience nationale dans sa dimension (également) socio-économique : l’attachement des laboureurs, paysans propriétaires libres et relativement aisés (comme la famille d’Arc), à la monarchie parisienne – attachement qui ne se démentira plus jusqu’au 18e siècle, où il s’affaiblit puis passe au bonapartisme, au républicanisme ‘juste milieu’ et patriotard de la ‘Belle époque’ et enfin au gaullisme. Pour autant, ce ‘sentiment national’ n’a encore rien de général sur le territoire du royaume : ainsi l’évêque Cauchon (qui fera brûler Jeanne d’Arc), pro-bourguignon et pro-anglais, est à l’origine un bourgeois de Reims, devenu évêque de Beauvais ; la bourgeoisie des régions côtières de l'Atlantique et de la Manche est farouchement pro-anglaise (intérêt économique évident) et le Languedoc se révolte violemment contre l’autorité de Paris en 1381-84.

    Jacques coeur galeeC’est à cette même époque que vit un autre personnage célèbre, symbole de l’importance prise par la bourgeoisie capitaliste et de son influence (dès le 13e siècle, notamment à partir de Philippe le Bel) auprès de la Couronne dans la construction de l’État moderne : le négociant berrichon Jacques Cœur, qui a accumulé une fortune colossale dans le commerce maritime avec le ‘Levant’ (Proche-Orient) ; promu en 1439 ‘grand argentier du royaume’ par Charles VII. Cependant, comme avant lui Enguerrand Le Portier de Marigny (petit baron semi-roturier normand, ‘bras droit’ de Philippe le Bel destitué et pendu à la mort de ce dernier), il sera victime en 1451 d’une réaction aristocratique, tombant en disgrâce et échappant de peu à la peine de mort ; preuve de l’acuité des contradictions de classe au sein même de cette construction politique ‘équilibriste’ que voulait être l’État monarchique.  

    L’Angleterre évincée du continent (et entrant en crise profonde, avec la guerre civile des Deux Roses jusqu’en 1485), la lutte se poursuit contre son ancien allié, le duc de Bourgogne. Celui-ci est pourtant lié par le sang aux rois de France, puisque le duché a été donné en 1363 au fils cadet de Jean II le Bon, Philippe le Hardi. Mais il est porté par une puissance financière considérable depuis qu’il a mis la main sur la Franche-Comté, unifiant ainsi l’ensemble économique de la vallée de la Saône, puis sur la riche Flandre d’industrie textile, l’Artois (actuel Pas-de-Calais) et la Picardie, le Luxembourg et finalement tous les ‘Pays-Bas’ (correspondant à l'actuel Bénélux), exerçant également une forte influence sur la Lorraine, etc. Il peut se prendre à rêver de restaurer à son profit l’ancienne Lotharingie, royaume carolingien qui allait du Golfe de Gênes et de la Plaine du Pô jusqu'à la Mer du Nord, rapidement disparu… mais dont l'ancien territoire était devenu, depuis le 11e siècle, la colonne vertébrale du capitalisme européen naissant (correspondant encore aujourd’hui à ce que l’on appelle la ‘banane bleue’).

    Bourgogne-duche-XVeCes ambitions, qui culminent avec Charles le Téméraire (1467-77), se heurtent inévitablement au roi Louis XI (1461-83), fils du vainqueur de la Guerre de Cent Ans (Charles VII), qui vise évidemment la consolidation de cette victoire. Le Téméraire prend ainsi la tête d’une ligue féodale contre la monarchie, qui met à mal Louis XI, mais l’intelligence politique de celui-ci (et la nouvelle puissance financière du royaume…) lui permet de tenir le choc : il fait, finalement, moins la guerre (coûteuse et risquée) qu’il n’achète, habilement, les territoires et les alliances. Ce n’est finalement pas lui directement, mais une ligue révoltée des Suisses, des Alsaciens et des Lorrains qui a raison de Charles le Téméraire, tué devant Nancy. Le roi de France s’empare ainsi de la Bourgogne, et récupère la Picardie et la côte entre la baie de Somme et Calais (Boulonnais). Mais, le Téméraire ayant marié sa fille à l’héritier des Habsbourg (archiducs d’Autriche et empereurs germaniques), Maximilien, ces derniers récupèrent le reste de l’’Empire bourguignon’ (Franche-Comté, Pays-Bas, Luxembourg, Artois). Maximilien de Habsbourg sera le grand-père d’un certain Charles Quint, héritier – en sus – du royaume d’Espagne, qui sera l’ennemi numéro un des rois de France au 16e siècle…

    Si l’on s’arrête un instant sur cette ‘expérience’ bourguignonne, il ressort de l’analyse que son échec est dû principalement à son caractère antihistorique (à ‘contresens’ de l’histoire) : c’était un rêve impérial ‘à la Charlemagne’, d’un Empire formé uniquement par accumulation de territoires sous une même autorité monarchique. Or, cela n’était absolument plus possible à la fin du 15e siècle, après que l’émergence du capitalisme ait donné naissance aux nations : si les États monarchiques modernes pouvaient être (et étaient généralement) plurinationaux, ils ne pouvaient exister qu’autour d’un centre national bien défini (Angleterre dans le Royaume-Uni, Castille dans l’État espagnol , nation ‘française proprement dite’ du Bassin parisien en ‘France’). L’État bourguignon n’avait pas un tel centre : ses ducs étaient des ‘Valois dissidents’ ; il n’était ni bourguignon ni comtois, ni flamand ni wallon ni luxembourgeois ; la puissance économique des acquisitions (Pays-Bas) était sans comparaison avec celle du ‘point de départ’ Bourgogne/Franche-Comté ; et il périra finalement face à une révolte… nationale des Suisses (alémaniques), des Alsaciens et des Lorrains. Dernier souverain européen à porter ce ‘rêve’, son héritier Charles Quint se heurtera au même mur : dès sa mort, son ‘Empire universel’ sera partagé entre Habsbourgs d’Espagne et d'Autriche, se heurtera au luthérianisme comme affirmation nationale allemande (ou tchèque ou hongroise), à des révoltes en Italie, à la guerre d’indépendance victorieuse des Hollandais calvinistes (1568-1648), au développement et à la consolidation de la Confédération suisse, à la résistance finalement victorieuse du Portugal (annexé par l’Espagne, avec son Empire, entre 1580 et 1640), etc. etc. Déjà au 9e siècle, la ‘Lotharingie’ (que voulait recréer le Téméraire) avait largement éclaté sous les forces centrifuges pré-nationales de son vaste territoire (populations germaniques, franco-gallo-romanes, italiennes, 'burgondes' arpitanes et provençales etc.). Lire la suite>>>


    [1] Après une première tentative d'annexion sous Louis XIII, la 'Guerre de Dix Ans' (1634-44), authentique guerre d'extermination qui verra mourir les 2/3 de la population comtoise de l'époque... La Lorraine connaîtra par ailleurs à-peu-près au même moment (Guerre de Trente Ans) des affres similaires (certains parlent même de "génocide lorrain") face aux troupes françaises et (surtout) à leurs alliés suédois, avec des pertes du même ordre ; tragédie qui s'inscrit pleinement dans la 'longue conquête' du pays par la France entre 1552 et 1766 [lors de la création des départements en 1790, comme une ultime humiliation, on fera faire à sa frontière avec la Haute-Marne (département champenois) un détour de plusieurs kilomètres afin de lui arracher les vestiges de l'ancienne citadelle de La Mothe, dangereux symbole de sa résistance passée face aux tentatives d'annexion...]. Globalement, avec également l'Alsace (ravages-guerre-30-ans-alsace - 5-janvier-1675.pdf), c'est toute la façade Nord et Est de l'actuel Hexagone ('cœur' proto-industriel de l'Europe d'alors et futur 'poumon' de l'industrie 'nationale') qui aura été annexée dans ce contexte ultra-meurtrier des guerres des 16e-17e et encore 18e siècles.

    [2] Il faut peut-être, à vrai dire, prendre la question ‘à l’envers’ : ce n’est pas la langue qui fait une nation… c’est la nation qui fait une langue, ou plutôt, les deux sont dans une interaction dialectique (la nation engendre la langue qui ensuite, renforce l’unité et la conscience nationale). Si à partir d’un ‘tronc’ commun (comme le latin ou l’ancien germain) la langue comme moyen de communication entre les personnes se différencie au-delà du dialectal (au-delà de l’’argot’, du ‘patois’ ou de la prononciation de certains phonèmes), ou encore si une langue comme le basque ou le breton 'résiste’ à tous les envahisseurs successifs, c’est bien qu’il y a à la base une vie économique commune (vie économique productive, les liens commerciaux, eux, ayant toujours existé entre nations différentes) et distincte des autres groupes humains parlant une autre langue – le critère essentiel de Staline. Cette vie économique n’est pas nécessairement capitaliste, mais l’émergence du capitalisme (ou le ‘contact’ avec celui-ci) fonde la nation au sens MODERNE. De même, il y a souvent un sentiment de communauté politique distincte, même soumis à une autre nation, la communauté politique étant alors ressentie dans l’oppression. Par la suite, à l’époque des États modernes, le critère ‘langue’ peut régresser considérablement, sans que le sentiment de communauté économique et politique ne disparaisse. Mais un sentiment de communauté productive et politique peut aussi être amené à englober deux populations parlant un idiome différent, ou à séparer (au contraire) deux populations parlant une langue quasi identique. C’est ainsi que les Irlandais restent une nation, alors même que le gaélique a pratiquement disparu et qu’ils parlent ultra-majoritairement anglais. C’est ainsi, comme l’explique Staline, que des populations séparées par des milliers de kilomètres, rendant la vie productive commune impossible, comme les Américains ou les Australiens avec l’Angleterre, les Québécois avec la France, les latino-américains avec l’Espagne ou les Brésiliens avec le Portugal ne peuvent en aucun cas former une même nation, même si la langue est pratiquement la même, ne variant qu’au niveau ‘argotique’ et de la prononciation. Et c’est ainsi, selon SLP, qu’avec une vie productive et politique commune pendant plusieurs siècles, un ensemble humain parlant deux langues différentes (comme les Bretons ou les Franc-comtois) peut constituer une nation.

    [3] Tout cela est absolument fascinant, et se constate également dans les pays voisins, par exemple en Europe germanique. Ainsi, si l’on compare cette carte du diasystème (ensemble de dialectes fortement intercompréhensibles) allemand, avec celle-ci des duchés du Saint-Empire vers l’An 1000, les correspondances sont absolument surprenantes... La Bavière, l’Ostmark et la Carinthie correspondent quasi parfaitement au groupe dialectal austro-bavarois, le duché de Souabe au groupe alémanique (Suisse, Bade-Wurtemberg, Alsace), la Haute-Lorraine et la Franconie au groupe francique rhénan/franconien (dont fait partie le mosellan), le duché de Saxe au groupe bas-saxon/westphalien/ostphalien, la Basse-Lorraine et la Frise (plus le comté de Flandre, en Francie occidentale) au groupe néerlandais (hollandais, flamand, bas-rhénan, limbourgeois) - sauf la Wallonie de langue romane, la Nordmark au groupe 'makois’, etc. etc. Autant de correspondances qui tendent encore à démontrer que 'les nations (et leurs 'branches’) sont nées en l’An Mille’.

    [4] Cette période des 14e-15e siècles marque en fait l’expression et l’EXPLOSION de toutes les contradictions de la féodalité en Europe. La Guerre de Cent Ans (voir ici la liste des belligérants) touche également la Péninsule ibérique (guerre civile de Castille dans les années 1370, alliance navarro-portugo-anglaise et arago-française), l'Ecosse (alliée de la 'France'), et se prolongera contre les ducs de Bourgogne jusqu’en 1477 (soit un total de 140 ans de conflit en ‘France’), tandis que l’Angleterre sera ravagée par la guerre civile des Deux Roses de 1455 à 1485. Elle verra l'apparition de techniques militaires nouvelles : d'abord le recours massif aux archers ; puis (à la fin du conflit) l'artillerie. Concomitamment (et même dès le 13e siècle), le Saint-Empire est déchiré par les Reichskrieg et - surtout - l’Italie par l’affrontement entre guelfes (partisans du Pape) et gibelins (partisans de l’Empereur romain germanique) et entre cités maritimes (Gênes, Pise, Venise) ; puis la chrétienté entière par le Schisme d’Occident (papauté d’Avignon, 1378-1417), qui exprime l’affrontement entre les Capétiens et le Saint-Siège. Jusqu’à cette période (jusque vers 1300 environ), on peut schématiquement parler de mode de production principalement féodal et d’époque des grands domaines féodaux (qui se concentrent par mariage et héritage, acquisition, guerre) ; ensuite (à partir de la fin du 15e siècle), on peut parler de mode de production capitalo-féodal (à l’équilibre, l’aristocratie/clergé remplissant des tâches bureaucratiques et militaires, et vivant - économiquement - de manière rentière parasitaire) et d’époque des États modernes absolutistes ; jusqu’à la fin du 17e siècle qui ouvre l’époque du triomphe du capitalisme, des révolutions bourgeoises et des États bourgeois contemporains.


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