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La notion d'ensemble économique tributaire (au Moyen Âge féodal) et la genèse de l'aire linguistique occitane
Pour comprendre la genèse des ensembles linguistiques, comme l'ensemble d'òc par exemple, il faut en fait encore une fois en revenir à Samir Amin : ce sont des résultantes, sur le temps long (plusieurs siècles, un demi-millénaire ou plus), de systèmes économiques TRIBUTAIRES (lire aussi ici) autour d'un Centre ; les gens développant une langue commune d'abord et avant tout dans une relation économique commune.Et alors à ce niveau-là, si l'on remonte loin dans le temps, jusqu'au Haut Moyen Âge (5e-10e siècles) : il y a Tolosa (Toulouse) la capitale des Wisigoths (418-507), puis des largement indépendants États aquitains successifs, ok ok ; mais néanmoins, le Centre économique tributaire de la moitié sud de l'Hexagone devait encore rester à cette époque le triangle Arles-Orange-Nîmes, ces vieilles cités romaines qui étaient auparavant le cœur battant de la Provincia et restaient le siège d’archevêchés et autres institutions tributaires fondamentales ; Narbonne étant un centre plus secondaire, Tolosa-Toulouse avant tout un centre administratif jusqu'à la fin du 1er millénaire, Montpellier n'apparaissant elle aussi que peu avant l'an 1000 (mais sa région est, certes, déjà importante auparavant), etc.
Arles, bien que fréquemment ravagée par divers assaillants en ces temps troublés, est alors un port important (avec son avant-port Fos), comme d'ailleurs sans doute Maguelone, cette île fortifiée par les Wisigoths au milieu d'un étang du littoral languedocien offrant un excellent mouillage naturel (avant que Charles Martel ne la ravage en 737...), sans oublier bien sûr... Marseille la vieille phocéenne, brillante république maritime qui n'a nullement disparu du jour au lendemain avec la fin de l'Empire ; tout ceci s'inscrivant dans un commerce méditerranéen, avec l'Afrique du Nord et l'Orient (Centre... économique du monde connu des Européens de l'époque), qui n'a pas non plus disparu mais reste au contraire florissant (ainsi au sujet d'Arles, on peut lire que "Au VIIe siècle, les marchands orientaux notamment syriens concentrent entre leurs mains le commerce d'importation en Gaule. Un diplôme de Chilpéric II de 716, nous indique par exemple les denrées importées et transitant par Arles ou son port avancé Fos", ou encore que "en 800, Théodulfe (c.750-821), évêque d'Orléans de passage dans la cité, signale tous les produits qu'on peut y trouver grâce à son port : draps de soie, peaux de Cordoue, encens, ivoire et bien d'autres produits de la Syrie, de la Perse et de l'Inde ; Arles est bien à cette époque un port franc prospère ouvert sur le monde méditerranéen").
Ce qui à ce stade tendrait à donner raison à... Mistral, pour qui le "vrai" "pur" "provençal" (terme synonyme pour lui de langue d'òc) était celui de cette région : le rhodanien.
C'est, en effet, très probablement dans ce secteur qui était déjà l'épicentre de la Provincia romaine, que s'est développé dans sa forme la plus "pure" le roman post-latin qui allait devenir le provençal de Mistral c'est à dire l'occitan ; l'aire de langue d'òc consistant ensuite tout simplement en le "bassin versant" économique (tributaire) de ce Centre ; ce que tend d'ailleurs à montrer la géographie de cette aire, son "déploiement" en deux "ailes" (une petite à l'Est et une grande à l'Ouest) autour de cette région précise.
Les (légères) variantes de provençal en sont basiquement la dérivation le long des routes reliant à l'Italie (par la Durance ou par la côte) ; celles de languedocien se développant le long de la Domitia vers l'Espagne et de l'Aquitania entre Narbonne et Bordeaux ; ces deux dialectes étant de fait jumeaux, rien ne permettant vraiment de parler de deux langues différentes.
En s'éloignant plus du Centre (Alpes, Massif Central, Gascogne-Pyrénées), par contre et par la force des choses, la langue occitane "dévie" plus fortement de cette "norme" centrale de la basse vallée du Rhône, l'influence des substrats pré-romans se fait plus sentir etc.
Ainsi par exemple, le "limousin" des ducs troubadours d'Aquitaine (11e-12e siècles) n'était certainement pas le parler des paysans du Limousin, d'ailleurs sans doute, à l'époque, nettement plus gaulois et moins roman que le dialecte d'òc qui a subi l'assaut des hussards noirs de la République parisienne au 20e siècle. Il était simplement nommé ainsi parce que ces ducs avaient l'habitude de résider dans ce secteur entre Poitiers, Limoges, Périgueux, Bordeaux etc. ; mais il s'agissait bel et bien d'un PROTO-LANGUEDOCIEN (sans doute encore plus indiscernable du proto-provençal que ne le sont les deux dialectes aujourd'hui) : la langue noble des élites de la moitié sud de l'ancienne Gaule à l'époque... se communiquant petit à petit aux masses populaires dans leur parler de tous les jours, à mesure que les villes, (re) gagnant en importance après la période troublée entre 400 et 800 de notre ère, "prenaient" de plus en plus les campagnes et les villages dans leur "orbite" économique (mais ce faisant, aussi, sous l'influence des substrats pré-latins basquisants, gaulois ou ligures, elle se différenciait toujours plus de sa "matrice" gallo-romane méridionale originelle).
Il en est allé strictement de même en Gascogne : adoption du "roman du Sud de la Gaule" (proto-occitan) par les élites, y compris d'ailleurs jusqu'au Pays Basque (Bayonne, Saint-Jean-de-Luz etc.) ; sachant qu'à l'origine, lors de la conquête romaine par César et pendant encore plusieurs siècles voire un millénaire ensuite (sous le duché de Vasconie etc.), la langue de la région n'était pas gauloise mais plutôt de type euskara ; puis transmission aux masses (hypothèse possible : adoption par elles dans le cadre de l'alliance de classes Église-paysannerie, contre la noblesse guerrière, de la "Paix de Dieu"), donnant donc le (les diverses variantes de) gascon, SAUF dans le petit secteur des montagnes basques, pour des raisons mal connues mais sans doute en rapport avec la longue existence d'un État basque (royaume de Navarre jusqu'au début du 16e siècle, voire fin pour le petit bout qui appartenait à Henri IV) à l'appareil judiciaire et administratif (les "vieilles lois" - lege zaharra) dans cette langue ; "centré" tributairement sur Pampelune et les ports des estuaires de la côte plutôt que sur l'axe Narbonne-Toulouse-Bordeaux, etc.
Plus au nord, l'aire linguistique arpitane correspond elle à un autre "bassin versant" tributaire, celui de Lyon et Vienne, deux autres anciennes cités romaines et "métropolites" (archevêchés) essentielles (carrément capitale romaine puis primature chrétienne des Gaules pour ce qui est de Lyon) ; "cœur", de fait, du royaume burgonde puis des entités successives (chaque fois que le royaume d'un roi mérovingien sur toute la Gaule se divisait entre ses héritiers après sa mort, on tendait à revenir à un royaume sur ce territoire), dont l'aire arpitane d'ailleurs, étendue à l'origine beaucoup plus au nord qu'aujourd'hui, épousait alors pratiquement les limites. Ce "bassin versant" est sans doute ce qui "enfonce" très au sud (pratiquement jusqu'à Valence, et au sud de Grenoble) la frontière linguistique d'òc de ce côté-là de l'Hexagone, alors qu'elle montre très au nord au niveau du Massif Central. Il est cependant fort possible que la langue de l'époque ait été beaucoup plus proche du proto-occitan qu'elle ne l'est aujourd'hui, et qu'elle ait évolué par la suite sous l'influence économique et politique du Nord (avec pour caractéristique par exemple l'emploi systématique du pronom personnel dans la conjugaison, qui n'est utilisé que pour insister en langue d'òc, comme en espagnol ou en italien, c'est normalement ainsi que les linguistes fixent la "frontière" entre arpitan et occitan).
D'ailleurs, diamétralement à l'opposé de l'Hexagone, sur l'Atlantique, l'aire poitevine-saintongeaise (ancienne région Poitou-Charentes) est elle aussi réputée avoir été de langue d'òc et "oïlisée" après son annexion par Philippe Auguste (et sous l'influence économique du Val de Loire qui était le véritable Centre, plus que Paris, des langues d'oïl dont la version standardisée deviendra le français - le fait d'avoir déjà été, pendant le demi-siècle précédant la conquête capétienne, une possession des Plantagenêt c'est à dire d'Angers, qui était leur véritable capitale, a sans doute aussi joué).
[Ici une (très importante) carte des variations des aires linguistiques au cours de l'histoire : Linguae-in-Galloromania.svg]
Alors ensuite, en plus de ces considérations économiques, il y a l'aspect POLITIQUE qui joue bien sûr un rôle ; mais néanmoins tout de même (surtout avant l'apparition des États modernes) à relativiser.
La grande majorité de l'aire linguistique occitane actuelle correspond, on le sait, à ce qui était après la chute de l'Empire romain (entre 418 et 507) le royaume des Wisigoths, puis les successives entités (duchés, ou royaumes mérovingiens de division entre héritiers) généralement appelées Aquitaine ; d'ailleurs le terme même d'Occitanie (Occitània), qui n'est pas un néologisme récent mais apparaît dans des textes de peu après la conquête capétienne (et encore dans l'Encyclopédie de Diderot en 1765 : "nom commun à tous les peuples qui disent oc pour oui, c'est-à-dire de la Gascogne, de la Provence, du Dauphiné ainsi que du Languedoc"), pourrait être à l'origine une sorte de "jeu de mot" entre òc (les langues) et Aquitania (Aquitaine en latin). Au nord-est, on l'a vu, se trouvait le royaume proto-arpitan burgonde et là aussi ses successeurs, autour de Lyon et sa voisine Vienne.
Pour ce qui est, en revanche, de ce que nous avons vu être jusque très tardivement (début du 2e millénaire) le Centre tributaire de l'aire linguistique, à savoir la basse vallée du Rhône et plus largement le pourtour méditerranéen, la situation s'avère un peu plus complexe.
Au 5e siècle, le Languedoc méditerranéen ET la Provence au sud de la Durance appartiennent aux Wisigoths, tandis qu'au nord ce sont les Burgondes ; puis cette dernière région est annexée un temps par les Ostrogoths, c'est à dire l'Italie, avant d'être conquise par les Francs ce qui signifiait, en fait, rattachée à l'ensemble "burgonde" de l'axe Rhône-Saône. De son côté l'ouest du Rhône, ce qu'on appelait la Septimanie (Languedoc méditerranéen) reste aux Wisigoths repliés en Espagne après leur défaite et la conquête de toute l'Aquitaine par Clovis, puis passe pour une quarantaine d'années environ (720-760) à leurs vainqueurs et successeurs, les Arabes de l'émirat de Cordoue (wilaya de Narbonne), avant d'être à son tour nominalement rattachée à la Gaule franque c'est à dire en réalité à l'ensemble aquitain (duché et parfois, assez souvent même, royaume).
C'est donc (pour le moins) une terre disputée ; ce que sa richesse explique sans doute ; mais qui garde néanmoins à travers toutes ces conquêtes ses institutions propres, ses "patrices de Provence" (comme Mauronte) par exemple, et son autonomie politique.
À l'époque carolingienne (entre la fin du 9e et le milieu du 10e siècle) se constitue un grand royaume de "Bourgogne-Provence" ou "d'Arles", qui finira intégré au Saint-Empire en 1032 et dès lors (son "roi" devenant le lointain et absent empereur germanique) se décomposera. Ceci montre d'ailleurs l'importance "centrale" que conserve cette région d'Arles encore à cette époque. Sa frontière occidentale n'est cependant pas exactement le Rhône, mais plutôt les Cévennes ardéchoises et le secteur de Nîmes ; tandis qu'au nord ce qu'on appelle Provence s'étend jusqu'à la hauteur de la Drôme voire de l'Isère, voire garde dans le langage commun de l'époque son sens de Provincia romaine c'est à dire jusqu'à Vienne (pratiquement Lyon) et même au lac Léman (en distinguant peut-être parfois la Sapaudia future Savoie)... et donc théoriquement, aussi, de toute l'Occitanie du moins méditerranéenne, jusqu'à Narbonne voire Toulouse.
Plus à l'ouest, au sein de l'ensemble aquitain, se développe l'autonomie et s'étend l'influence dans toute l'Occitanie centrale (Languedoc historique) de Toulouse, l'autorité de ses comtes sur leurs vassaux (Trencavel etc.) mais aussi et surtout la force d'attraction de son économie marchande, tandis que s'immisce aussi l'influence politique des rois d'Aragon-Catalogne (qui mettent d'ailleurs la main sur la Provence méridionale, au sud de la Durance, au 12e siècle ; les Toulouse prenant ce qui est au nord - Vaucluse, Drôme - comme "marquisat" ; les Toulouse de fait eux-mêmes d'origine provençale ainsi que leur célèbre croix devenue l'emblème occitan ; bref comme on peut le voir la séparation reste tout sauf nette pour ne pas dire que l'imbrication est totale...). La très importante place intellectuelle et marchande de Montpellier (devenue un Centre tributaire de premier plan) était ainsi leur possession directe (et le restera jusque tard, au 14e siècle).
Tout ceci a son importance. La politique a, dans les processus de formation nationale, son importance : si par exemple aujourd'hui tout le monde parle français, et le sentiment d'être "français" est une réalité dont quoi qu'on en pense la ligne de masse doit tenir compte (comme on a pu encore le voir dans le mouvement des Gilets Jaunes), c'est en raison de l’œuvre politique de l’État français auquel nous appartenons tous depuis plusieurs siècles... MAIS il s'agit là d'un État moderne, un État-"nation".
L'importance du rattachement politique ne doit pas non plus être exagérée, a fortiori dans le contexte féodal du Moyen Âge. Les "États" étaient alors d'abord et avant tout des ensembles de terres appartenant et fournissant (par l'impôt) ses revenus à un souverain déterminé. Ce qui faisait de ce souverain, de sa résidence et de sa cour un Centre tributaire important pour les territoires s'y rattachant, certes, mais pas le seul : d'autres importants, pour ne pas dire les principaux Centres tributaires étaient ainsi les Centres ecclésiastiques (évêchés, archevêchés, grandes abbayes), ou les grands ateliers de production monétaire comme Melguèlh-Mauguio (sol melgorien), ou encore les vieilles cités antiques (comme, on l'a vu, Nîmes ou Arles) qui conservaient leur zone d'attraction, de "chalandise" économique (et selon la marchandise concernée, celle-ci pouvait s'étendre très loin !) indépendamment de quel seigneur possédait et tirait ses revenus de telle ou telle terre. S'il fallait fréquemment payer un péage au seigneur des lieux (au passage d'un pont par exemple, ou d'un bac sur un fleuve), mais ceci valait aussi pour le déplacement le plus local qui soit (le pont pouvait d'ailleurs se trouver en plein cœur du domaine d'un seul et même seigneur : ça n'avait réellement rien à voir avec une quelconque question de frontière, c'était simplement une rétribution au seigneur qui l'avait fait construire et se chargeait de son entretien !), les personnes et les marchandises circulaient librement vers le Centre économique sans besoin d'un passeport, ni de droits de douanes, bref sans rien de commun avec le fonctionnement des États-"nations" aux 19e et 20e siècles (avant l'Union européenne).
C'est, ainsi, surtout le découpage administratif FRANÇAIS qui a fixé sur le Rhône une véritable frontière entre le Languedoc d'un côté (définitivement annexé en 1270) et le Dauphiné (annexé en 1349) et la Provence (1480-82 après le règne de la déjà apparentée dynastie d'Anjou) de l'autre ; avec leurs États provinciaux et leurs Parlements différents, règles juridiques et fiscalités différentes, qui sans en faire des vases clos, tendait néanmoins (on parle là de l'Ancien Régime, 16e-18e siècles) à faire de chacun un circuit économique propre (les capitales administratives françaises devenant Centres de chalandise en se substituant aux anciens).
L'histoire et la politique, les entités "étatiques" féodales indépendantes puis administratives françaises d'Ancien Régime, ont sans aucun doute forgé des identités culturelles fortes et singulières, dont toute LIGNE DE MASSE en matière "occitaniste" comme de questions nationales dans l’État français en général, ne peut que devoir tenir compte.
C'est un fait que, si "Occitanie" n'est pas du tout un néologisme, le resurgissement du terme au 20e siècle l'a vu de par sa racine étymologique comme la localisation de ses principaux activistes tendre à se confondre avec "Languedoc" ; venant se surajouter à cela en 2015 l'attribution (après consultation populaire) de ce nom à la nouvelle région couvrant la partie centrale de l'aire de langue occitane (ex Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées), après des décennies déjà d'emploi du terme et de la symbolique (croix) par les anciennes régions, les villes comme Toulouse etc. ; tandis que de son côté le Félibre de Mistral qualifiait de "provençal" l'ensemble de l'aire linguistique d'òc, "annexant" de fait à la Provence tout le "Midi" (et souhaitant faire du provençal rhodanien le seul occitan littéraire et "académique", "digne" d'être écrit...).
C'est un fait que, au-delà de la problématique déjà non sans importance du sentiment d'être "français", il n'est pas évident en ligne de masse, à ce stade, de parler d'Occitanie en Provence : il y a des occitanistes bien sûr, assez nombreux ; de fait les écoles d'enseignement en immersion linguistique, autrement dit de sauvetage pur et simple de la langue (donc du provençal, car on n'y enseigne pas d'"occitan" unifié qui n'existe pas), sont gérées par des associations occitanistes ; mais il s'agit néanmoins de cercles bien particuliers, politisés, "initiés". Si nous voulons parler en termes DE MASSES, c'est bien le drapeau provençal à bandes sang et or que l'on va éventuellement (assez massivement en fait...) retrouver dans les tribunes sportives (Stade Vélodrome de l'OM, RC Toulon pour le rugby), ondoyant au chant mistralien de la Coupo Santo ; sur (souvent flanqué dans ce cas du dauphin des Hautes-Alpes et de l'aigle niçois, c'est à dire le drapeau de la région administrative désormais ignominieusement rebaptisée "Sud") les mairies et autres édifices publics, ou encore les plaques d'immatriculation ; dans les festivités locales etc. etc. Un sentiment de masse, donc, provençal et pas vraiment occitan ; à quoi s'ajoute désormais, comme on l'a dit, le fait que l'Occitanie... "ben c'est l'autre région quoi, celle d'à côté, Montpellier Toulouse tout ça, de l'autre côté du Rhône... ici c'est la Provence !".
Il en va assez largement de même en Gascogne, "propre" (Gers, Landes etc.) ou "particulière" (Béarn, Bigorre, Luchonnais etc.), avec cependant toutefois (historiquement) une implantation occitaniste plus importante ; tout comme en Auvergne et Limousin ; la politique... toute récente jouant parfois aussi son rôle comme avec le travail politique du PNO dans les vallées de langue d'òc du versant piémontais des Alpes, qui se définissent désormais largement comme occitanes et arborent fièrement la Crotz, à quelques exceptions près comme Comboscuro qui préfère revendiquer sa provençalité (sachant que sur le plan linguistique, toutes sont nettement plus éloignées du provençal d'Aix comme du languedocien de Montpellier que ceux-ci ne le sont entre eux...). Le Pays de Nice compte des nissardistes qui ne veulent entendre parler ni d'occitanistes... ni de provençalistes ; mais aussi une assez importante "scène" occitaniste (plus importante, peut-être même, qu'en bien des endroits de Provence proprement dite), plutôt de filiation PNO (Assemblada Occitana bien implantée localement, Republica Federal, Nissa Pantai etc.).
Si être matérialiste, c'est d'abord et avant tout partir du réel... il n'y a pas grand-chose d'autre à ajouter que : "dont acte" ; ceci étant valable pour les uns ("les provençalistes c'est des pourritures de diviseurs" etc.) comme pour les autres ("ces saloperies de panoccitanistes de merde véritables jacobins en modèle réduit", sachant que les provençalistes veulent eux aussi généralement établir une "Grande Provence" qui "peut tenir" par l'histoire, jusqu'à Valence et Menton, incluant les vallées du Piémont voire l'Ardèche, mais où en bien des lieux le sentiment provençal est bien moins évident qu'il ne peut l'être dans certaines tribunes de l'OM ou du RCT, et que le sentiment occitan ne l'est dans celles-ci).
La politique révolutionnaire, c'est partir de la réalité des masses ; et ceci implique que construire un mouvement de Libération révolutionnaire du Peuple travailleur en Provence ne peut sans doute pas passer par plaquer autoritairement la Croix d'Òc, toute d'origine provençale qu'elle soit, sur des couleurs sang et or qu'il faut déjà tant œuvrer à re-signifier et arracher au pur folklorisme en arrachant la conscience des masses au sentiment "français" ; dans un contexte où, un peu comme la dissolution dans le kafkaïen "Grand Est" a réveillé la lutte et l'affirmation populaire en Alsace, l'ignominie technocratique "Sud" offre l'occasion d'un splendide combat en ce sens.
Mais être matérialiste, c'est aussi être SCIENTIFIQUE ; et donc admettre la vérité scientifique de ce que nous avons vu ici : la genèse "aminienne" de l'aire linguistique d'òc, comme de toute aire linguistique dans le monde, dans un système économique tributaire d'un Centre que nous avons pu situer (dans la toute première genèse, l'étape de "différenciation romane" du Haut Moyen Âge) dans la basse vallée du Rhône ; avec évidemment des variantes, un phénomène de "dégradé" dialectal à mesure que l'on s'éloigne précisément de ce Centre (et que se fait sentir, peut-être, l'influence d'autres Centres, comme le Centre lyonnais arpitan par exemple ; notamment dans ces secteurs comme la Drôme, théoriquement occitans mais où l'accent, qui dit quand même beaucoup de la langue parlée avant le français, est pratiquement identique à celui du Forez arpitan - le fameux accent d'Aimé Jacquet par exemple ; comme il en va d'ailleurs largement de même dans le Puy-de-Dôme auvergnat etc.).
Et donc, l'unité historique claire que revêt aussi cette aire en dépit des différents "États" féodaux d'avant l'annexion ; "États" dont nous avons vu qu'ils n'avaient pas la même signification ni la même logique de frontières entre eux que ceux d'aujourd'hui.
En ce qui nous concerne pour notre part, en tout cas, si toutes ces questions existent bel et bien et méritent d'être réfléchies, ces contradictions entre "panoccitanisme" et "particularismes" (Provence, Gascogne-Béarn, Nice etc.) sont (doivent être) selon nous secondaires, et les crispations, les conflictualités exagérées à leur sujet sont hautement nocives au regard de la priorité ABSOLUE que devrait être pour nous tous d'en finir avec la France comme prison et appareil de domination des Peuples travailleurs ; cette NÉCESSITÉ HISTORIQUE et exigence populaire de "vivre, travailler et décider au pays" qu'est en ce moment même en train de poser, sous ses marées de drapeaux bleus-blancs-rouges et de Marseillaise (qu'il nous faut "déblayer"), le mouvement des Gilets Jaunes...
À moins bien sûr d'avoir affaire (pour ne nommer personne) à de véritables officines de droite ou d'extrême-droite françaises déguisées, capables par exemple de... prendre position contre le processus d'autodétermination de la Catalogne ; mais cette problématique, cette politique du "sous-marin" réactionnaire au service (en général) d'une petite flamme bel et bien tricolore, affecte toutes les nationalités périphériques de l’État français (Bretagne, Corse etc.) sans qu'elles ne soient forcément concernées par ce type de controverse linguistique ; sachant qu'ici les forces de ce type les plus nocives, par leur ambigüité maurrassienne entre "régionalisme" folklorique et nationalisme français, restent d'un côté comme de l'autre du Rhône les Identitaires et leurs divers faux nez ("Ligue du Sud", "Ligue du Midi" etc.) ; et que le "panoccitanisme" peut lui aussi être totalement incrusté, certes plutôt "à gauche" ou tout au plus au centre-droit, dans l'appareil d’État français qu'il prétend dénoncer, petit monde de cénacles universitaires et de strapontins régionaux gentiment laissés par le PS ou autres, qui pour ne pas être proprement fasciste n'en a pas moins plus que sa responsabilité dans la désaffection ou la "surdité" populaire à son endroit que l'on pourra rencontrer par exemple chez un supporter provençaliste de l'OM (ou un Gilet Jaune d'un rond-point du Var arborant lui aussi fièrement le sang et or).
Bref, pour parler clairement : en termes de masses, pour partir typiquement du Gilet Jaune lambda qu'il va déjà y avoir toutes les peines du monde à arracher à ses illusions "citoyennes", "républicaines" et "françaises", le gars il n'en a surtout strictement RIEN À BATTRE de ces bisbilles entre "initiés" qui ne font que COUPER leurs protagonistes, les uns comme les autres, de lui et des masses de comme-lui ; de ces préoccupations populaires concrètes et immédiates dont pourtant, l'analyse sérieuse et poussée renvoie toujours à la même conclusion qu'il faut en finir avec le système tel qu'il est, avec LA FRANCE telle qu'elle est, ce qui est a priori le cœur du programme politique de tous.
IL EST DONC GRAND TEMPS DE POSER LES CHOSES COMME ELLES DOIVENT L'ÊTRE, car la réalité est que toute une conception de l'Occitanie comme (finalement) une espèce d'"anti-nation", d'"anti-France" territorialisée ; conception découlant de la "nation putative" de Lafont-Castan ; a fait en définitive beaucoup de mal, attirant dans le mouvement une prolifération de socedems ou gauchistes vaguement "libertaires", tenants d'une Occitanie "festive" (par exemple) ou on-ne-sait-trop quoi d'autre, etc. etc.
Face à quoi, les anti-occitanistes "régionaux" (gasconistes, béarnistes, provençalistes) ont beau jeu avec leurs "vraies nations qui elles ont une vraie base historique"... !
Tandis que nos masses populaires, face à leurs problèmes liés à la domination nationale (dont elles n'ont même plus conscience...) et non-empoignés par les tenants de l'"anti-nation libertaire festive", cherchent refuge (comme c'est hélas trop souvent le cas) dans le nationalisme de droite ou "de gauche" (ou "ni l'un ni l'autre")... français.
Non, l'Occitanie ce n'est pas un "ensemble mouvant de références culturelles festives" (qui rejoindraient en fin de compte celles de la "scène" d'extrême-gauche) : l'Occitanie c'est le territoire d'un ensemble de problématiques sociales LOURDES ; que l'on peut certes retrouver ailleurs (la France d'Europe, l'Hexagone, a bien d'autres périphéries) sauf qu'ailleurs c'est une autre langue populaire (breton, corse, ch'ti, platt etc.) qui était parlée et qui est en train de disparaître, donc voilà ; et des problématiques dont il faut enfin arriver à dire qu'elles prennent racine dans une histoire, qui est celle d'une CONQUÊTE NATIONALE (par Paris) dans un but bien précis : (nous) EXPLOITER.
[Lire : qu-est-ce-que-l-occitanie-que-sont-les-occitans-a145587828]
Il nous faut donc oser (enfin) affirmer ici que l'Occitània (ou les Pays ou les Terres d'Òc, allez, ne chipotons pas !) EST UNE NATION comme peut l'être l'Allemagne ("composite", "plurielle" et donc à vocation fédérative) ; voilà.
Une nation actuellement divisée et même pire (que l'Allemagne d'avant 1870), en fait : "unifiée" du fait de l'appartenance... à une autre (qui l'occupe et l'exploite).
Une nation qui à l'époque historique actuelle (contrairement encore à l'Allemagne au 19e siècle) ne peut avoir de réalisation que ROUGE, révolutionnaire anticapitaliste.
Et qui sera donc une nation... comme l'aurait été l'Allemagne rouge victorieuse en 1919, avec ses républiques socialistes comme celle de Bavière = les anciens royaumes confédérés de l'Empire, devenus républiques prolétariennes.
Provence rouge, Béarn rouge, Auvergne rouge etc. etc. = République des Conseils de Bavière (et autres, d'Alsace-Moselle par exemple...) ; Occitanie rouge = Union allemande des Républiques des Conseils (qui se dessinait avant son écrasement par les socedems épaulés par les futurs nazis).
[On laissera ici de côté le cas de l'Autriche, dont la séparation de l'Allemagne résulte de circonstances historiques précises allemagne-autriche que nous "éviterons" bien sûr de reproduire ; autrement dit, ce n'est pas parce que nous sommes une nation "comme l'Allemagne" qu'il s'agit de faire du "pangermanisme" agressif et réactionnaire...]
Annexes à lire :
http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/apres-8-segles-a114065314
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Le seul argument réellement "solide" qui a pu être opposé aux thèses développées dans cet article, est celui d'une langue gasconne qui de manière "prouvée" par les "archéo-linguistes" serait "née par différenciation du latin" (car en effet les langues romanes ne "naissent" pas : elles se séparent à un moment donné du latin) "plusieurs siècles" (2 ou 3) avant les reste des dialectes d'òc.
En réalité, cette affirmation ne contredit pas vraiment notre analyse et voilà ce qui a pu y être répondu :
"Il n’a jamais été question de quelque chose d’aussi mécanique qu’une langue qui naît entre Arles et Nîmes et est « importée » en Novempopulanie future Gascogne. Déjà rappelons (tu le rappelles d’ailleurs à ta façon) que la seule « naissance » de la sorte qu’on puisse enregistrer est celle qui intervient presque 1 000 ans avant l’ère chrétienne sur les bords du Tibre, celle du latin lui-même ; et avant ça on ne sait pas trop (la thèse des plaines ukrainiennes est contestée, etc.).
Tout ce qui est dit dans cet article de SLP ne te contredit pas plus que tu ne te contredis toi-même quand tu parles d’un côté d’une différenciation précoce du proto-gascon et de l’autre d’archaïsmes latins dans le vocabulaire (un esprit simpliste pourrait à ce moment-là te répondre : ton roman proto-gascon, il se différencie plus vite ou moins vite du latin de Cicéron alors ?).
Ce n’est pas contradictoire, c’est juste la complexité de la naissance des langues en lien avec l’économie politique.
Le latin on l’a dit est né en Italie centrale. Il s’importe au-delà des Alpes avec l’impérialisme romain. Politico-économiquement, Rome établit sa tête de pont entre Provence occidentale et Languedoc maritime oriental, à côté de son alliée Marseille et de ses comptoirs qu’elle est venue secourir : la Provincia.
C’est donc de là que le latin se diffuse dans TOUT ce qu’on appelle la Gaule transalpine (la cisalpine c’est la Plaine du Pô). Il se diffuse d’abord par adoption par les élites (il est probable que même avant la guerre de César, le bilinguisme était de bon ton chez nombre d’élites gauloises jusqu’à la Loire et la hauteur de Vesoul..), puis par « pénétration » progressive dans les masses.
À PARTIR DE LÀ (surtout) vont forcément jouer les influences de substrat dans la différenciation du latin populaire « de tous les jours » par rapport au latin littéraire classique. Ça et aussi l’importance de la colonisation de peuplement. Rome envoie des Italiens centraux s’installer sur des terres qu’elle leur offre, mais évidemment, ils préfèrent les climats auxquels ils sont habitués, méditerranéens. Donc le pourtour méditerranéen et la vallée du Rhône jusqu’à la rigueur Vienne, terres qui "ressemblaient plus à l'Italie que toute autre province", dixit Pline l'Ancien. Ailleurs, ceux qu’on appelle gallo- (ou aquitano-) romains sont surtout des membres romanisés des élites autochtones.
Le substrat en Provincia, à la base il est celte ou ligure, éventuellement ibère à partir des environs de Narbonne jusqu’aux Pyrénées, ou encore grec (Marseille et ses annexes) ; mais surtout, on a une romanisation des élites qui commence en 120 avant JC (conquête du reste de la Gaule par César : 50 av. JC et encore de la pacification plusieurs décennies ensuite), et une colonisation de peuplement bien plus importante qu’ailleurs (on peut peut-être même envisager, sans toutefois de preuve irréfutable, que l'élément autochtone et grec ait été totalement absorbé par la masse considérable de colons romains et que, peut-être dès le 2e voire 1er siècle de notre ère, on n'y parlait plus le moindre gaulois, ligure, grec, ibère ou quoi que ce soit d'autre que latin).
Telle est la « tête de pont » de Rome en Gaule. En Aquitaine, on a pas des masses de gens qui viennent du Latium pour peupler, la romanisation c’est d’abord l’adoption du latin par les autochtones qui sont un peu des Basques. Forcément, la « fusion » du latin avec les masses locales va déboucher sur un latin populaire aux traits particularistes marqués. Peut-être encore plus marqués dans le réellement parlé qu’à l’écrit, sans parler des larges masses rurales ou montagnardes qui de toute façon ne parlent pas latin mais toujours aquitain, encore longtemps après la fin de l’Empire.
Par la suite, alors que ce qu’on parle en Italie centrale même n’est plus le latin de Cicéron, ce qu’on parle du côté de Marseille-Arles-Nîmes l’est encore moins ; tout simplement parce que les langues ne sont jamais immuables. C’est désormais du roman de Provincia.
Et parallèlement la latinisation se poursuit en Novempopulanie, dans une mouvement de « fusion » avec des masses de langue aquitaine qui donne AUTOMATIQUEMENT une langue plus différente du latin classique que celle qu’on parle en Provincia ou en Italie, sans que ça n’exclue comme tu l’as dit des archaïsmes latins (emploi de racines latines que les gens d’Arles ou de Rome n’utilisent plus), etc.
Il va alors se passer qu’un linguiste « tâtillon » qui va regarder des textes en latin vulgaire (admettons qu’il y en ait) de la MÊME époque, disons vers 600 après JC, va éventuellement pouvoir dire que la tablette arlésienne « c’est encore dans les grandes lignes du latin » mais par contre, et à fortiori si c’est ce qu’il a envie à la base d'y déceler, que la tablette novempopulanienne présente des déformations « marquées » qui en font « presque du proto-gascon ».
En attendant, si la Novempopulanie échappe sans doute moins que quiconque au nord des Pyrénées (hormis la Septimanie) à l’orbite économique de l’Espagne wisigothe de Tolède ; IL N’EN RESTE PAS MOINS que Rome qui ne s’est pas faite n’a pas non plus disparu en un jour et reste le grand Centre économique de la Méditerranée occidentale ; en tout cas l’Italie, sans compter que Byzance y a repris pied ainsi qu’en Espagne du Sud et Afrique du Nord (sans probablement y imposer le grec : en tant que provinces byzantines la langue restait latine vulgaire, mais elles faisaient interface économique avec le grand Centre de l'Empire d'Orient) ; et que la « tête de pont » de tout cela en Gaule du Sud restait les ports de Marseille, Arles, Maguelone puis Melguèlh (avant Montpellier qui n'apparaîtra que plus tard), Narbonne etc. (en alternance en fonction des éventuelles attaques qui les ruinent pour quelques décennies).
[Mais c'est vrai qu'à la limite, si on voulait donner une explication rapide à cette divergence que tu affirmes précoce du roman gascon et pyrénéen, on pourrait évoquer tout simplement un tropisme économique majoritairement en direction de la Péninsule ibérique et non vers l'Italie comme dans la vallée du Rhône et plus à l'Est, ou "partagé" entre les deux comme en Septimanie - si on parle des 6e et 7e siècles ; et ensuite, bien qu'il serait totalement absurde de prétendre une "fin" de toute économie transpyrénéenne lorsque la Péninsule - et même pendant une quarantaine d'années la Septimanie - devient musulmane, une tendance plus marquée au "vase clos" aquitain. L'important c'est que le raisonnement soit toujours guidé par l'économie politique et non que les choses semblent résulter d'une "magie" inexplicable.]
À LA RIGUEUR un truc que personne n’a évoqué jusque-là mais qu’on pourrait creuser, comme venant « parasiter » le processus, c’est l’épisode de la Vasconie. C’est-à-dire des BASQUES qui vont établir leur pouvoir politique sur la Novempopulanie ; des Basques parlant (donc) la langue des paysans et non des élites urbaines… peut-être dans une forme de lutte des classes, une présence permise par un éventuel accueil en libérateurs de la part de ces paysans, contre leurs ponctionneurs urbains romanisés (les Wisigoths, eux, avaient globalement respecté les élites romanisées). Mais là ça irait plutôt dans le sens d’un « retardement » de l’acquisition de la langue romane, en tout cas par les masses paysannes. Un « retardement » qui, cela dit, pourrait aussi expliquer que quand la romanisation reprend et qu’on commence (époque carolingienne) à voir se multiplier les textes* en latin vulgaire déjà roman, on trouve en Gascogne un roman assez nettement divergent de celui du reste de la Gaule méridionale."
[* "On a très peu de textes (tendance à écrire en latin ou dans une koinè romane) et évidemment aucun enregistrement des gens en train de parler à l'époque haut-médiévale. Raison pour laquelle les estimations citées dans ton document divergent entre elles de plus... que les 2 ou 3 siècles d'antériorité à l'occitan 'central' que tu prêtes au proto-gascon. Et tout cela encore une fois passe à côté du facteur essentiel qui est QUI parlait ces diverses langues romanes en voie de différenciation régionale du latin ; autrement dit la question de L'ACQUISITION DE MASSE de ces langues... Qui forcément va encore jouer un peu plus sur leur différenciation. Mais qui va aussi, en général, intervenir nettement plus tard que d'éventuelles 'traces' attestant l'usage d'un roman nettement différencié du latin par des élites urbaines, propriétaires terriennes, marchandes, intellectuelles etc."]
DEUX POINTS, donc, au terme de tous ces échanges :
- Si l'on part de l'idée que naissance d'une langue romane = séparation, différenciation de celle-ci du latin... il serait en effet tout à fait possible de dire, d'un point de vue linguistique, que les dialectes d'òc sont nés en périphérie de l'aire occitane, et non "diffusés à partir d'un centre" qui serait la Provincia entre Narbonne, Orange et Marseille. Car en effet, ce qui caractérise l'òc en général et sa plus grande "pureté" centrale en particulier c'est d'être moins différent, moins séparé du latin originel que les langues du Bassin parisien. Donc en fait, le premier "centre de diffusion" qu'a été cette région dans son rôle de Centre tributaire économique, c'est d'abord celui du latin... qui en se répandant vers les périphéries de l'aire (et même, disons-le, vers le Nord, l'aire d'oïl... car si l'on regarde par exemple le roman des Serments de Strasbourg en 842, langue noble - s'agissant de rois et de leurs guerriers - à l'époque, c'est tout de même encore très "occitanisant" voire "italianisant", montrant bien d'où vient la genèse linguistique via l'élite... à moins qu'il ne s'agisse - cf. carte plus bas - de la langue de terres situées plus au sud) ; et en y "pénétrant" les masses populaires avec leurs langues antérieures non-latines, a forcément commencé à "diverger" du latin "pur", plus à chaque instant t que l'on pourrait considérer (disons : 200 ou 300 après Jésus-Christ, puis 500, puis 800 etc.) que la langue parlée dans la Provincia ; pouvant donc donner cette vision, apparemment contradictoire avec notre propos, que les langues romanes "naissent" = se distinguent du latin à la périphérie de la Gaule (entre substrat gaulois, ligure, aquitain etc. autochtone et apports extérieurs germaniques, vascon...) et que si la Provincia d'Arles, Nîmes etc. est un centre, d'un point de vue linguistique, c'est plutôt de résistance à l'évolution à partir du latin d'origine. Tout en (quand même) évoluant aussi, bien sûr, soit par innovations endogènes, soit par importation des innovations du latin d'Italie... Mais même passé ainsi à "autre chose" que du latin (en abandonnant le système de déclinaisons par exemple), il pourra toujours être perçu par les archéo-linguistes comme plus "conservateur", moins "détaché" de la souche latine que les dialectes des périphéries nord-occitane, alpine ou gasconne-pyrénéenne, sans parler des langues arpitanes et bien sûr d'oïl (qui avec les royaumes francs ou de Bourgogne, leurs capitales politiques et métropoles religieuses comme Orléans, Tours, Reims ou Lyon, commencent entre le 7e et le 10e siècle à développer leurs "centres de production" linguistique autonomes).
- Si nous avons défini le pourtour méditerranéen et la basse vallée du Rhône comme Centre économique et (du coup) centre culturel et de formation linguistique de l'actuelle aire occitane, pour ne pas dire dans une certaine mesure de toute la Gaule, cela ne veut évidemment pas dire que c'est un mouvement absolument à sens unique. C'est plutôt comme une sorte d'épicentre produisant des vagues (à commencer par la toute première, celle du latin, après la conquête et la forte latinisation de la région) qui vont "mourir" sur les rivages alentours (perte de la "pureté" latine), puis refluent... et reviennent, en permanence. Si ce Centre, d'ailleurs, est d'abord défini de manière économique, il est bien évident que les flux économiques sont à double sens, qu'il y a un mouvement permanent de va-et-vient. Si bien que si des innovations peuvent naître au Centre (ou y être importées d'Italie) et ensuite être diffusées vers les périphéries, d'autres peuvent très bien être un produit de ces dernières, "ramenées" par un mouvement de reflux vers le Centre et "validées" au fil du temps par lui. C'est d'ailleurs, ici, un point sur lequel il ne faut jamais perdre de vue le caractère de classe de la langue et de sa formation. Au cœur de la Provincia, il est probable que dès le 1er ou 2e siècle un latin plus ou moins vulgaire est la langue généralisée, du plébéien voire de l'esclave jusqu'au grand propriétaire de villa, sans que plus personne ne parle de langue pré-latine ; mais ailleurs c'est la langue des élites, des lettrés, qui ne va que lentement s'imposer à l'usage populaire. En le faisant, elle va généralement produire des innovations, des "déviations" importantes par rapport à la norme classique qui seront considérées comme de l'argot, ou un "créole" et refusées par les tenants de la "bonne" langue, non-validées par le Centre... dans un premier temps, mais finissant parfois au fil du temps par l'être. Ou parfois, ce seront au contraire les élites latinistes des périphéries qui vont se montrer conservatrices et refuser des innovations apparues dans le Centre (qui "brasse" avec ses ports, ouvert sur la Méditerranée etc.). Les villes, sièges des lettrés, sont en principe celles qui diffusent le latin (puis le "beau" roman) vers les campagnes... Sauf que les campagnes ont aussi une tendance au mouvement migratoire vers les villes, qu'elles vont peupler dans les période de croissance urbaine (Renaissance carolingienne, Renaissance des 11e-12e siècles) en y apportant leur roman "rustique", populaire, paysan, qui va finir par y faire partie du paysage (c'est ainsi que Bordeaux s'est retrouvée linguistiquement dans l'aire gasconne : par peuplement rural, et non - selon toute vraisemblance - d'origine...).
C'est un processus complexe. Ce qu'il faut retenir, c'est néanmoins que toutes les aires linguistiques où que ce soit dans le monde sont le résultat d'un tel rapport d'"import-export" permanent, économique et culturel, entre un Centre et des périphéries (jusqu'à être tellement périphérique... que l'on passe dans l'orbite d'un autre Centre) ; et que la Provincia romaine, une sorte de triangle Narbonne-Orange-Marseille, a été ce Centre pour l'actuelle aire occitane, et même à vrai dire pour toute la Gaule, mais ensuite les langues très différenciées de la souche latine apparues loin de lui ont commencé à se développer et se systématiser autour de leurs propres Centres autonomes (métropoles mérovingiennes puis carolingiennes - Reims, Soissons, Orléans etc. et petit à petit et de plus en plus Paris, puis la Champagne et ses foires etc., Lyon en "Burgondie" matrice de l'Arpitanie etc. etc.).
Il ne s'agissait en tout cas pas de dire, comme ont pu l'entendre certaines personnes, que l'occitan languedo-provençal ou le rhodanien seraient "nés" dans l'ancienne Provincia, se seraient constitués tels (ou presque) qu'ils sont aujourd'hui, puis auraient "engendré" les autres dialectes d'òc. Non, ce qui a engendré ces dialectes (ou leurs ancêtres immédiats, leurs "proto"-versions) n'était pas, à l'époque en question, du languedocien ou du provençal ou du rhodanien d'aujourd'hui : c'était tout d'abord, sous l'Empire romain, du latin (plus ou moins vulgaire), puis du "roman de Provincia" déjà différencié de lui (ayant, par exemple, abandonné le système de déclinaisons) mais pas encore, loin de là, du languedocien ou du provençal actuel ; et il n'a de toute façon, on l'a dit, pas "engendré" ces dialectes de manière unilatérale mais il s'est développé (vers la langue actuelle) en même temps qu'ils se développaient (vers le gascon, limousin, auvergnat, alpin actuels) jusqu'à l'apogée culturel précédant immédiatement la conquête (13e siècle), dans un échange dialectique permanent avec eux au sein de cette aire économique tributaire dont il était le Centre et eux les périphéries. En apparaissant effectivement à chaque instant t des deux derniers millénaire, si l'on raisonne en termes de "radicalité" de la séparation avec le latin, moins "radicalement" séparé de lui qu'eux, qui seraient donc "nés comme langues" avant lui.
Voici une carte qui, peut-être, pourrait exprimer de façon "visuelle" ce que nous cherchons à expliquer :
[Légende nécessaire pour comprendre :
- Serments de Strasbourg (842) où Louis le Germanique s'adresse aux soldats de son frère Charles le Chauve (enfin, peut-on imaginer, des guerriers féaux - futurs chevaliers, seigneurs féodaux - relativement nobles), et ceux-ci lui répondent, dans leur langue courante... qui, à la lecture et bien qu'on ne sache rien de sa prononciation, "sonne" franchement peu d'oïl. De fait : "en 839, à l'assemblée de Worms, Louis le Pieux (son père) lui donne une partie de la Francie occidentale comprise entre la Meuse et la Seine, l'ouest et le sud de la Bourgogne, la Provence, la Neustrie, la marche de Bretagne, le royaume d'Aquitaine, la Gascogne et la Septimanie" => potentiellement, les guerriers de Charles le Chauve pouvaient venir de tous ces territoires... La liste est longue !
- Séquence de Sainte Eulalie rédigée vers 880 dans la région de Valenciennes et "sonnant" nettement plus d'oïl (sans que, dans un intervalle de 40 ans, la langue des Serments ait pu à ce point évoluer si elle était celle de cette région) ; dans un contexte où plusieurs synodes se sont réunis pour traiter de la langue du culte chrétien et en ont conclu de demander aux prêtres de s'adresser aux fidèles en langue germanique là où celle-ci domine ; en latin, mais un latin plus simple dans les futurs pays de langue d'òc (synode d'Arles) et en Burgondie (synode de Chalon-sur-Saône) ; et enfin (synodes de Reims et Tours) dans la "langue particulière", la "langue romane rustique" (rusticam romanam linguam) locale, au nord de la Loire.
- Le concept de médioroman/Médioromanie, développé par le géographe auvergnat Pierre Bonnaud, rejoint largement l'idée de la "bande intermédiaire" présentée sur la carte, et qui était très vraisemblablement la langue des Serments.
Bonnaud est anti-occitaniste ("auvergniste"), mais cela ne rend pas pour autant ses thèses totalement ineptes : simplement, il refuse peut-être d'aller au bout de ses propres conclusions. De fait, si l'on compare les 3 cartes, on ne peut que constater qu'il y a bien une poussée languedocienne au sud de l'aire médioromane, qui rejoint totalement notre carte. Une poussée qui d'ailleurs, tiens tiens, entre 500 et 1000 va plutôt affecter la Lozère et l'Ardèche... Pas très loin de Nîmes et Arles, tout ça ! À partir de la "corne" de l'Aveyron, le "front" reste plutôt stable à cette époque. Par contre, entre 1000 et 1500 (on va dire que dire maintenant c'est dire 1500), la poussée affecte plutôt la Dordogne, le Lot, l'Aveyron et jusqu'au Cantal. Pas très loin de Toulouse... dont on connaît l'importance comme Centre occitan entre le 11e et le 13e siècle. Ce qui ne lui traverse pas (à ce stade) l'esprit, c'est que cette poussée depuis les grands Centres languedociens, poussée languedocienne au sens que c'est ce dialecte qui s'impose, s'accompagne AUSSI d'une occitanisation de ce qui reste non-languedocien... Raison pour laquelle on classe aujourd'hui l'auvergnat et le limousin dans les langues d'òc, sauf à considérer que tous les linguistes autres que lui sont des cons... ou des stipendiés d'on ne sait quelle "puissance occitane" occulte. De son côté, l'arpitan reste l'arpitan autour de Lyon (en reculant tout de même fortement au nord, comme tout le médioroman), et la façade atlantique subit à partir de 1150 environ une déferlante d'oïl depuis les centres d'abord d'Angers-Tours (Plantagenêt) puis bien sûr de Paris, qui pousse aussi au nord du Limousin et de l'Auvergne mais les fières montagnes résistent.]
Et puis de toute façon, nous nous sommes engagés là sur le terrain d'un débat linguistique de haut niveau ; mais nous avons eu l'occasion de dire et répéter sur ce site que la question fondamentale pour nous ne se situait pas sur ce terrain-là, où l'obsession pour fixer des "frontières" linguistiques (qui sont en réalité tout sauf nettes entre langue d'òc et arpitan ou oïl du Berry ou de Charente par exemple, ou même entre gascon et languedocien, sur quelque critère qu'on prenne) ou encore déterminer ce qui est une langue ou un dialecte régional, tourne parfois au ridicule. Pas plus, bien évidemment, que sur celui d'une "pureté" de la langue latine amenée par les conquérants romains ; dont la Bretagne et l'Alsace par exemple, loin d'être les "gardiennes", ont été au contraire le théâtre de la disparition ; et le Pays Basque carrément de la jamais-apparition ; sans moins mériter pour autant d'être défendus dans leur lutte contre le centralisme parisien ! La lutte contre le centralisme parisien, précisément, voilà la question qui est pour nous fondamentale au service de la révolution populaire dans l’État français ; et c'est pour cette raison que nous sommes d'abord allés sur le terrain de l'économie politique afin de montrer, dans un raisonnement "aminien", la genèse historique d'un Pays d'Òc à la fois uni et divers ("unidiversité") comme "bassin versant" d'un Centre tributaire (comme toute nation ou en tout cas ensemble linguistique d'intercompréhension)... à mettre en perspective avec (dans nos autres articles sur la question depuis des années, voir liens ci-dessus) sa SOUMISSION politique et économique au Nord parisien (13e-17e siècles en laissant de côté Nice et les Alpes maritimes) ; soumission FONDATRICE de l’État et du Système "France" que nous connaissons et combattons, en parallèle avec le "glissement" du Centre de gravité économique de l'Europe vers le Nord-Ouest qu'Amin (toujours) associe indissociablement avec l'émergence du capitalisme proprement dit et de la Modernité.
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