• Considérations diverses sur les États, les Nationalités, la Subsidiarité et le Pouvoir populaire


    Quelques petites réflexions ‘en vrac’ (ne pas chercher de lien entre les différents points) :

    1. Les États sont superstructurels et subjectifs, se dotant d'une idéologie/culture d’État qui se veut parfois (le plus souvent, même) 'nationale' - en fait, celle de la classe dominante de la nation dominante, qui cherche à modeler toute la société de l’État à son image pour servir ses intérêts, et forge des 'mythes' qui se veulent mobilisateurs.

    Les nationalités, elles, sont infrastructurelles et objectives, comme les classes qui les composent : ce sont des communautés (stables et historiquement constituées, pas éphémères) multi-classes de vie productive et sociale, partageant une langue et une culture communes, précisément forgées dans cette commune vie sociale et productive [lire à ce sujet wiki/Infrastructure_et_superstructure ou encore wikirouge.net/Infrastructure_et_superstructure - les nations sont des ensembles de classes sociales partageant une même langue et une culture nationale communes, ainsi qu'une activité productive dans des conditions de production relativement communes ; donc bel et bien des infrastructures].

    Ce sont (en somme et en dernière analyse) des continuums historico-sociaux qui existent objectivement sur un territoire géographique donné, dont l'existence en soi ne se discute pas plus que le fait que l'herbe soit verte ou le ciel bleu et qui ne sont ni "de droite" ni "de gauche" - en revanche, le regard que l'on porte sur elles et (donc) la manière dont on va les affirmer (ou les nier !) vont avoir quant à eux un caractère de classe et donc être prolétariens ou bourgeois ou petits-bourgeois, révolutionnaires ou démocratiques-progressistes ou réactionnaires.

    marianrepSimplement, par la loi du développement inégal (des forces productives) inhérente au capitalisme et la 'loi de la jungle' qui est son mode de fonctionnement naturel, des nationalités vont en soumettre d'autres - plus précisément, les classes dominantes de certaines nations vont s'inféoder celle d'autres nations pour s'approprier leurs forces productives, en plus de celles qu'elles exploitent déjà mais qui ne suffisent plus, créant un phénomène de surexploitation.*

    De cette manière, elles vont constituer des États, additions géographiques des territoires qu'elles ont subjugués. Et comme mode de domination, dans certaines circonstances (notamment lorsqu'il n'y a pas de séparation géographique ni de différences physiques nettes entre les populations, permettant d'établir des barrières ségrégationnistes), elles vont forger une idéologie (superstructure) dans laquelle elles vont prétendre que l'ensemble de la population de leur État (construction superstructurelle) forme une même nation (réalité infrastructurelle)... la leur. L'exemple le plus abouti de cela est bien sûr le modèle 'français', la construction idéologique (de toute pièce) d'une 'Nation française' depuis Richelieu jusqu'à Napoléon, voire jusqu'aux 'hussards noirs' de la 3e République, mobilisant continuellement les masses contre l''ennemi' allemand. Séparés des Irlandais par la mer et (surtout) par la religion, les dominants anglais ont pu imposer à ceux-ci un régime ségrégationniste d'infériorisation raciale. WilsonBritanniaDetail2Mais sur l'île de Grande-Bretagne elle-même, vis-à-vis des Gallois et des Écossais, ils ont cherché un temps (aux 19e-20e siècles) à forger un patriotisme réactionnaire 'britannique' (cela n'a que relativement 'pris'). En 'Turquie', née comme État moderne entre 1908 et 1923 avec 3 ou 4 bons siècles de retard, les choses sont poussées jusqu'à la caricature et les Kurdes sont qualifiés de 'Turcs des montagnes'...

    Dans l’État espagnol (cas particulier), la Castille, politiquement maîtresse à partir de 1479, conquérante de l'Andalousie (1212-1492) puis des Amériques (1492-1540 environ), aurait pu en profiter pour s'ériger en nation économiquement dominante (ce que la 'vraie France', le Bassin parisien, avait plus ou moins réussi au 16e siècle, et que l'Angleterre était dès le départ). Mais elle y échoua, ses nobliaux partis en colons se comportant en pillards à court terme, ne pensant qu'à leur intérêt personnel et non à l'intérêt 'national' (intérêt général de la classe dominante castillane) : le 'Siècle d'Or' s'évanouit très vite, dès le début du 17e siècle. La bourgeoisie catalane, qui avait 3 ou 4 siècles d'avance, reprit 'naturellement' le dessus sur le plan économique, tandis qu'émergea rapidement (18e-19e siècle), en lien razaavec la 'France' et l'Angleterre, une bourgeoisie basque côtière. Privée de base économique, l'idéologie 'nationale' de l'hispanidad sonna vite totalement creux, et ne dupa rapidement plus personne, ni dans les masses populaires ni (plus grave encore) dans les différentes bourgeoisies nationales. L’État espagnol est donc, depuis fort longtemps, un 'État-nation' avec une assez faible 'société civile' (emprise idéologique sur les masses) : il tend à n'exister que comme 'société politique' (force de coercition), que les bourgeoisies nationales utilisent de manière opportuniste contre les menaces révolutionnaires (comme sous Primo de Rivera puis Franco) et les masses (hors Pays Basque et Catalogne) comme machine à sous ("est-ce qu'une Andalousie/Galice/Asturies/Estrémadure etc. séparée nous verserait les mêmes allocs, retraites etc. etc. ?").

    2. Un cadre politique unifié (même au sein d'un cadre étatique plus grand) est un élément fortement structurant pour une nation, mais pas nécessairement obligatoire.

    À la veille de la Conquista (vers 1200), l'Occitanie était globalement divisée en deux entités politiques : le duché (Plantagenêt) d'Aquitaine-Gascogne, et une sorte de 'confédération' de fiefs relevant en dernière instance du roi d'Aragon ou du comte de Toulouse (lequel se posait de plus en plus en vassal effectif du premier). La Provence restera quasi indépendante jusqu'en 1480, ainsi que le Dauphiné (occitan dans sa moitié sud), bien que placé à partir de 1349 sous l'autorité de l'héritier du trône de France.

    Encore au 16e siècle, la famille d'Albret-Navarre (dont sera issu... Henri IV) est de fait - à la fois par ses possessions propres et par sa position de 'leader' du parti huguenot - la maîtresse de cette vieille Aquitaine-Gascogne que les rois francs du Nord, depuis Clovis, s'étaient juré de soumettre (pensant y être parvenus en 1453, au terme de la Guerre de Cent Ans). La réunion des terres d'Albret-Navarre (et des villes et domaines huguenots en rébellion) au royaume ne se fera réellement que lorsque Henri IV montera sur le trône ; et sera ensuite consolidée par son fils et successeur Louis XIII, avec son célèbre ministre Richelieu.

    Lorsqu'il va à Saint-Jean-de-Luz (1660) pour y épouser l'infante d'Espagne, Louis XIV, guidé par le nobliau gascon D'Artagnan, est en 'expédition' dans une 'colonie' fraîchement conquise de sa couronne, où le sentiment 'français' est proche du zéro absolu...

    france17 1Après l'annexion au royaume de France, dans la plus grande partie de l'Occitanie (Pyrénées du Béarn à l'Ariège en passant par la Bigorre, Languedoc, Quercy et Rouergue, Provence et Dauphiné bien sûr, etc.), les États provinciaux qui décident des impôts et les Parlements, qui tranchent en dernier recours les affaires judiciaires et doivent 'enregistrer' les édits royaux, sont le 'référent politique immédiat' qui fixe la conscience nationale : ils seront progressivement écrasés par le triomphe de l'absolutisme, sous Louis XIV et Louis XV, avant d'être définitivement abrogés en 1789 ; mais cela n'ira pas sans résistances, comme la célèbre 'journée des tuiles' à Grenoble, en 1788, où la population soutient le Parlement du Dauphiné contre une réforme royale visant à le supprimer... En Aquitaine non-pyrénéenne, il n'y a pas d’États provinciaux (on parle de 'pays d'élection', où le roi 'élit' directement les gouverneurs de Bordeaux, Auch et Montauban), mais il y a néanmoins un Parlement, à Bordeaux.

    Au Pays Basque du Nord ('français', Labourd, Basse-Navarre et Soule), les assemblées provinciales autonomes persistent jusqu'en 1789, tandis qu'au Sud ('espagnol'), où le royaume médiéval de Navarre a été progressivement grignoté puis totalement annexé en 1512, ses fueros (coutumes) sont maintenus et forment le référent politique national, leur suppression au 19e siècle entraînant de violentes guerres de résistance.

    3. Dans tous les cas, ce qu'il faut bien comprendre au sujet de l'organisation socio-politique médiévale, entre disons le règne de Charlemagne et la Guerre de Cent Ans, c'est son profond caractère de SUBSIDIARITÉ : les communautés, urbaines ou villageoises, en principe, s'autogéraient en suivant leur 'coutume' locale. En 'échange' d'impôts, dûment prélevés mais, en principe, conçus pour être supportables, l'autorité seigneuriale et/ou ecclésiastique n'intervenait que comme arbitre, comme 'juge de paix', comme 'garde-fou' contre une éventuelle guerre de tous contre tous ; et les échelons supérieurs, jusqu'au roi ou à l'archevêque ou au pape, comme voie de recours.

    Dans les vallées de montagne (pyrénéennes ou alpines), ce système de 'république' villageoise a d'ailleurs pu persister tardivement, jusqu'à l'époque des révolutions bourgeoises et de la révolution industrielle. L'historiographie bourgeoise, à partir du 18e siècle, a évidemment peint cette époque sous les traits les plus sombres : paysans exploités, affamés, écrasés d'impôts et de corvées, bastonnés ou tn Louis XIVpendus en cas de mécontentement... Mais la réalité était beaucoup plus nuancée, et ce qu''oublie' de dire la bourgeoisie, c'est que c'est en fait sous l’État moderne, sous l'absolutisme, que la pression fiscale et plus largement administrative, non pas seigneuriale mais étatique (royale), s'est réellement faite intolérable pour les masses (urbaines comme rurales) ; phénomène ayant commencé avec les grandes guerres (donc dépenses militaires, donc impôts) dans lesquelles la première crise générale de la féodalité (13e-14e-15e siècles) avait poussé la classe aristocratique, faisant éclater les premières grandes révoltes populaires. La corvée, présentée comme un véritable travail forcé de pauvre serfs faméliques, n'était sans doute pas du tout perçue ainsi à l'époque : c'était plutôt, sous la supervision du seigneur féodal ou ecclésiastique, un effort collectif pour des travaux publics (chemins, ponts, défrichage, assèchement de marais etc.) dont bénéficiait toute la communauté, plus que le seigneur lui-même, occupé à chasser, festoyer et faire (avec ses hommes de main) la guerre à ses voisins.

    Cette subsidiarité de l'autorité supérieure vis-à-vis de la communauté 'immédiate' fut encore revendiquée, contre l’État absolutiste en phase de consolidation, lors des Guerres de Religion, tant par les protestants des Provinces de l'Union que par les catholiques des provinces de la Ligue.

    MacleanDe manière encore plus nette, comme le rappelait le révolutionnaire communiste John MacLean, cette subsidiarité se retrouvait dans l’Écosse médiévale pré-étatique (avant la guerre de libération de 1296-1328 et le règne des Bruce), où les clans 'faisaient leur vie' sur leur territoire et ne s'en remettaient au toísech (seigneur local), au mormaer (comte, seigneur régional), et en dernière instance au roi (rí Alban) que pour les questions qu'ils ne pouvaient gérer directement eux-mêmes. Ou encore, comme le signalait Mariátegui (lire ici), dans l'Empire inca des Andes, où la communauté productive (ayllu) n'avait qu'un rapport très lointain avec l'autorité impériale de Cuzco, se résumant en général au prélèvement annuel d'un impôt en nature. Pour l'un comme pour l'autrecette organisation socio-politique passée (mais encore ancrée dans les esprits populaires) pouvait être, en la portant à un niveau supérieur (armé de toute la science et du progrès technique légué par le capitalisme), la base de la société socialiste et communiste future.

    INCASC'est ce que dit notamment le (nouveau) PC italien dans son Manifeste Programme (chapitre 4), lorsqu'il dit que "1. À tout niveau (central, régional, provincial, communal, de zone, d’unité de production, d’entreprise, d’école, d’institution, etc.), tout le pouvoir (législatif, exécutif, judiciaire, économique, militaire, de police, culturel, d’éducation, etc.) appartient à un Conseil unique (assemblée, chambre) composé de délégués élus et révocables à tout moment et sans exception par ceux qui les ont élus. Chaque Conseil nommera et révoquera ses propres organes de travail. (...) 3. Auto-gouvernement à tout niveau (central, régional, provincial, communal, de zone, d’unité de production, d’entreprise, d’école, d’institution, etc.). Élimination de toute autorité locale nommée d’en haut. 4. Organisation générale des masses et prise en charge directe par les organisations de masse des tâches d’organisation et de gestion d’un nombre croissant d’aspects de la vie locale : économie, culture, santé, éducation, administration de la justice, ordre public, défense du territoire, lutte contre la contre-révolution, milice territoriale, politique, administration de la justice, etc." : cela ne signifie rien d'autre que la subsidiarité, la prise en charge par les masses, au niveau local, de tout ce qu'elles peuvent prendre en charge (ceci devant aller croissant...), et la délégation aux échelons supérieurs uniquement de ce qui ne peut être assuré efficacement au niveau local. Ceci est totalement le point de vue de Servir le Peuple, selon lequel la cellule politique de base de la société doit être la Commune populaire, se fédérant démocratiquement à divers échelons supérieurs auxquels elle ne Dazhai-1970 thumb5délègue que ce qu'elle ne peut assurer elle-même (la défense contre des agressions contre-révolutionnaires impérialistes ou de grandes armées blanches, par exemple ; mais la lutte contre la 'petite' contre-révolution locale peut être du ressort de la Commune).

    Trop souvent, malheureusement, les États révolutionnaires du siècle dernier n'ont pas adopté cette conception, et ont pris pour modèle la 1ère République bourgeoise française, la République conventionnelle jacobine. Excepté lorsqu'une question nationale paraissait 'incontournable', ils ont considéré qu'il fallait 'prendre' l’État bourgeois existant, le 'remplacer' par un État prolétarien et le 'dépasser', à long terme, pour atteindre le communisme universel.

    Cette conception est encore souvent, aujourd'hui, celle de nombreux marxistes-léninistes et même maoïstes, pour lesquels la construction monarcho-bourgeoise 'France' doit être 'dépassée'... et non DÉTRUITE. Ils ont perdu de vue deux principes fondamentaux du marxisme révolutionnaire :

    1°/ La négation de la négation : la révolution prolétarienne a vocation à nier le capitalisme pour affirmer le communisme. Elle ne peut donc pas prendre pour modèle la révolution bourgeoise, triomphe final du capitalisme sur la féodalité. Prendre pour modèle Robespierre et Saint-Just ne peut conduire qu'à de nouveaux Bonaparte.

    2°/ (dans la lignée de ce qui précède) La transition révolutionnaire socialiste vise le communisme, société sans classes donc sans État. L’État révolutionnaire du prolétariat vise donc son propre dépérissement, à mesure que les masses, à tous les échelons géographiques, deviennent uniques maîtresses de leur destinée.

    C’est ce qui fait de Mariátegui et Mac Lean des penseurs fondamentaux du marxisme au 20e siècle, absolument incontournables pour Servir le Peuple.

    Frontispice-du-Léviathan-1651-du-philosophe-Thomas-Hobbes14. En fin de compte, il est de bon ton, dans la 'gauche radicale' hexagonale, de pourfendre le 'libéralisme anglo-saxon' par opposition à notre Léviathan étatique, gardien supposé de l''intérêt général', de la 'justice sociale' etc. etc. Mais ce libéralisme 'anglo-saxon' (plus généralement nord-européen), n'est-il pas finalement un pur produit de ce qui a été dit précédemment ? Par une série de circonstances, il se trouve simplement que les sociétés nord-européennes sont restées profondément imprégnées de subsidiarisme politique dans leurs cultures nationales, et ont très vite et violemment (entre le 16e et le 18e siècle) rejeté les tentatives d'absolutisme 'à la française', pour mettre en avant la collectivité et sa 'représentation' face à la toute-puissance arbitraire d'un monarque et de sa cour. Le problème, c'est qu'il a émergé dans une phase d'accumulation capitaliste très rapide, et qu'il en a hérité des tares profondes et des idées particulièrement détestables : suprématisme 'blanc' européen (capitalisme = concurrence, un peuple ne peut donc prospérer qu'au détriment des autres et il est logique que les peuples 'civilisés' prospèrent au détriment des 'sauvages' qui ne 'construisent rien' ; l'exploitation ou l'extermination des 'sauvages' était alors une base fondamentale de l'accumulation capitaliste) ; acceptation de l'inégalité des 'réussites' et darwinisme social ('grâce' calviniste etc.) ; individualisme (la solidarité communautaire est ici brisée 'par le bas', par l'individu ou en tout cas la cellule familiale, et non 'par le haut', par l’État) ; patriarcat (la cellule de base étant plus la famille patriarcale que l'individu lui-même), etc. etc. Aujourd'hui, l'extrême-droite américaine est connue pour défendre ces idées subsidiaristes, 'localistes' (le comté contre l’État fédéré, l’État fédéré contre Washington), face à la 'tyrannie libérale (= gauche caviar) et socialiste' de l'administration fédérale, qui impose depuis shutdown-etats-unis scalewidth 460Lincoln toutes les réformes nécessaires à la défense du capitalisme contre lui-même, mais déplaisant aux esprits attachés à leurs 'libertés' (de l'abolition de l'esclavage à l'assurance-maladie d'Obama, en passant par le New Deal de Roosevelt, la fin de la ségrégation raciale, l'émancipation des femmes, le contrôle des armes à feu etc. etc.).

    Ceci étant, cela n'a jamais empêché de grandes 'éminences' intellectuelles francouilles, avec leur 'haute idée de l’État' toute jambon-beurre, de professer des idées extrêmement similaires : il suffit de lire nos 'saints laïcs' Voltaire, Victor Hugo ou encore Jules Ferry, ou la prose 'scientifique' d'un Paul Bert (homme clairement 'de gauche' à son époque, positiviste, rationaliste, anticlérical, républicain, franc-maçon) pour s'en convaincre. Les mêmes nécessités (d'accumulation capitaliste) produisent généralement les mêmes u8xad52xidées/justifications ; les chiens font rarement des chats... Simplement, les conditions de reproduction de l'existence en Europe du Nord (peuples 'conquérant' leur propre pays, avant même toute colonie, sur la forêt ou sur la mer - comme les Hollandais) a amené cette culture de prééminence du 'peuple' (inégalitaire, divisé en classes et 'naturellement' accepté comme tel), ne remettant entre les mains d'un État central que le strict nécessaire ; tandis qu'en Europe latine, avec son 'dense' (pour l'époque) réseau de villes et de routes, elles ont très tôt (dès l'Empire romain) favorisé l'instauration d'un État-Léviathan fort (le grand 'confédéralisme' médiéval étant plus une parenthèse exceptionnelle qu'autre chose). Rien de nouveau ne se faisant en totale abstraction de l'ancien, lorsque le développement du capitalisme a imposé l'instauration de l’État moderne (ensuite restructuré en État bourgeois contemporain), ces deux cultures ont généré deux modèles d’État et d'organisation socio-politique sensiblement différents (mais qui se sont interpénétrés : les révolutions bourgeoises en Europe 'latine' ont justement consisté à 'importer' du libéralisme nordique dans les vieux États absolutistes, et les pays anglo-saxons et nordiques n'ont jamais été guidés par la seule 'main invisible' et ont dû introduire du 'sens de l’État' latin...).

    5. Le récemment disparu (et regretté) Võ Nguyên Giáp rappelait dans un article de 1965 (L’Homme et l’Arme,  revue théorique Hoc Tap) le b-a-ba du marxisme-léninisme sur l’État et la révolution : ‘‘La révolution prolétarienne ne doit pas conserver l’appareil d’État (police, gendarmes, forces armées et structures bureaucratiques existantes), employé principalement pour opprimer le Peuple, mais doit l’écraser et le remplacer par quelque chose d’absolument nouveau. C’est une des caractéristiques qui marquent la différence entre la révolution prolétarienne et la révolution bourgeoise. La révolution bourgeoise n’écrase pas l’appareil d’État féodal existant, mais se l’approprie, le maintient et le perfectionne. Au contraire, la révolution prolétarienne écrase l’appareil étatique existant du système capitaliste’’

    Ingres, Napoleon on his Imperial throneLes choses ne peuvent pas être dites plus clairement : la République bourgeoise ‘française’ est la CONTINUATION PERFECTIONNÉE de l’État monarchique moderne né sur le cadavre de notre Occitanie et de tant d’autres Peuples, pour mettre cet appareil étatique au ‘diapason’ de l’époque, de la révolution industrielle et, très vite, de l’ère des monopoles. Il n’en a nullement fait table rase. Toutes les révolutions bourgeoises (Pays-Bas, Angleterre, ‘France’, ‘Espagne’ au 19e siècle, ‘unités’ italienne et allemande etc.) ne sont en réalité que le paroxysme de siècles et de siècles de ‘gestation’ et de ‘noyautage’ (par la bourgeoisie) de l’État monarchique, ‘stade suprême’ réactionnaire de la féodalité. La phase montagnarde de la Révolution bourgeoise française (1793-94) était un phénomène ambivalent, à double aspect : une affirmation radicale des revendications démocratiques et sociales du ‘petit peuple’ (prolétariat et semi-prolétariat), principalement des villes et principalement de Paris (la seule ville de plus de 110.000 habitants à l’époque), d’un côté ; mais de l’autre, une affirmation manipulée par la grande bourgeoisie centrale (Paris, Bassin parisien) qui voyait dans les évènements depuis 1789, et particulièrement dans le girondinisme (1792-93), une montée en puissance de la bourgeoisie de ‘province’ et souhaitait ‘reprendre la main’. Ceci engendrera une confusion qui pèsera lourdement sur le mouvement socialiste puis communiste hexagonal, dès sa naissance au milieu du 19e siècle. La révolution prolétarienne, elle, ne peut consister à prendre telle quelle cette République bourgeoise pour en faire une République socialiste ; mais au contraire à en faire table rase pour laisser place à un ordre politique et social totalement nouveau, notamment dans ses relations sociales géographiques entre Peuples et territoires. 

    6. Sur Servir le Peuple, nous avons souvent employé indistinctement les termes ‘absolutisme’ et ‘État (monarchique) moderne’ pour désigner la période allant de la proclamation de Philippe II Auguste comme ‘Roi DE FRANCE’ (début du 13e siècle) jusqu'à 1789. Cela peut nous être reproché, et nous le sera certainement. Mais voilà, qu’entend-on par ‘absolutisme’ ? Entend-on l’absence de ‘représentation nationale permanente’, ‘tempérant’ le pouvoir du souverain ? En ‘France’, il n’y en a jamais eu. Jusqu’en 1614 les États généraux du royaume sont réunis régulièrement (et souvent, aux 14e-15e voire encore 16e siècles, en deux ‘sessions’, l’une pour le Nord d’oïl et l’autre pour le ‘Midi’ d’òc) ; mais toujours au bon vouloir du roi. Ensuite, de 1614 à 1789, ils ne sont plus convoqués, c’est vrai. Mais c’est un cas unique en Europe, vu peut-être comme le seul moyen de ‘garder sous le couvercle’ les contradictions du royaume… notamment entre la ‘vraie France’ (Bassin parisien) et les provinces réputées étrangères, qui se sont multipliées depuis la fin de la Guerre de Cent Ans. Contradictions qui finiront tout de même par exploser après 175 ans, alors que le régime politique français est devenu un anachronisme total.

    1647 Civil War painting Basing HouseEn Angleterre en revanche, le Parlement, créé par la Grande Charte de 1215 sur l'héritage des 'assemblées de guerriers' celtes, germaniques et scandinaves (les peuples qui ont 'fait' la Nation anglaise), avec une Chambre pour les Lords (féodaux importants et ecclésiastiques) et une pour les Communes (grands bourgeois, paysans libres riches et 'chevaliers' de petite noblesse), siège de manière permanente et sans discontinuer, sauf lors de ses conflits avec la politique jugée 'papiste' et pro-française des Stuart (Charles Ier, Charles II et Jacques II) qui pour autant, dans leur pays d'origine, l’Écosse, ne suppriment pas l'institution équivalente (c’est le pouvoir anglais qui le fait en 1707 ; le Parlement d’Irlande – exclusivement composé de colons anglais et écossais – est quant à lui supprimé en 1800). Pourtant, non seulement ces problématiques Stuarts, mais aussi et surtout leurs prédécesseurs Tudor peuvent être sans problème qualifiés de monarques ‘absolus’, pour leur conception ‘affirmatrice’ de l’État central. Il en va de même en ‘Espagne’, de Charles Quint à Ferdinand VII ; pourtant les Cortes (ou Corts dans les pays catalans), généraux ou de chaque royaume constitutif (Aragon, principauté de Catalogne, Valence, Majorque, Navarre, Biscaye, León, Asturies, Grenade, Séville, Murcie etc. etc.), siègent régulièrement jusqu’autour de 1715, lorsque Philippe V supprime ceux d’Aragon et des Pays catalans en représailles à leur rébellion contre lui ; tandis que les autres existent encore… jusqu’en 1833, lorsque le royaume est ‘provincialisé’ (‘départementalisé’) sur le modèle français. Pourtant, l’on peut difficilement qualifier l’‘Espagne’ entre Philippe II (1556-98) et la mort de Ferdinand VII en 1833 autrement que d’absolutisme

    Philippe V roi-espagneOu alors, applique-t-on le critère d’une ‘magnificence’ de l’autorité royale, d’un caractère ‘incontesté’ de celle-ci ? Mais alors, 1°/ à partir de quand considère-t-on cette autorité comme suffisamment ‘magnificente’ ? ‘Saint’ Louis ? Philippe le Bel ? François Ier ? Louis XIII ? Louis XIV ? Ce dernier lui-même était loin d’être incontesté, il dut faire face à la Fronde au début de son règne, et à la résistance des protestants contre sa révocation de l’Édit de Nantes : dans certaines régions, une véritable guerre du peuple de 1685 jusqu’à sa mort, pendant plus de 30 ans, et même encore après ! 2°/ croit-on, à partir du moment où l’on a identifié le ‘premier’ monarque absolu, que cette ‘magnificence’ de l’autorité monarchique est tombée du ciel en un jour, qu’elle ne résulte pas d’un long processus ? En matérialistes dialectiques, nous regardons plutôt le moment où le processus est enclenché, où la tendance générale est à l’affirmation d’un État moderne exerçant sa ‘verticalité’ du haut vers le bas, ‘accompagnant’ et indissociable de l’affirmation de la haute bourgeoisie et du capitalisme ‘en grand’ (le capitalisme ne pouvant pas, de toute manière, rester éternellement ‘en petit’).

    7. En vérité, l'humanisme, qui émerge dans la Renaissance médiévale (entre l'An 1000 et 1300 environ) et ne fait qu'être repris par le Quattrocento italien (15e siècle), la 'Renaissance' 'française' (1480-1560 environ), le 'Grand Siècle' classique (17e) et le 'Siècle des Lumières' (18e), est le produit du capitalisme 'en petit' : celui de "l'air de la ville (qui) rend libre", lorsque les compagnons et les artisans (et leurs associations, puissantes), encore propriétaires de leur force de travail ET de leurs moyens de production (outillage, savoir-faire etc.), contractent sur un relatif pied d'égalité avec l'employeur, ce qui est une révolution culturelle par rapport à la révérence envers le seigneur dans les campagnes ; lorsque les étudiants des facultés forment des 'républiques libres' intellectuelles, etc. etc. Le capitalisme 'en grand', lui, piétine continuellement cela ; le problème étant que la 'mécanique' même du capitalisme lui interdit de rester 'petit' : OBLIGATOIREMENT vont se constituer de grandes fortunes, en entraînant d'autres et toujours plus d'accumulation, jusqu'à la 'révolution' industrielle et l'ère des monopoles. 


                carte des traites-copie-1o-la-france-en-face-facebook-copie-1

     

    * L'on peut parler de SUREXPLOITATION lorsque l'on est à la limite permanente de ne même plus permettre la reproduction des conditions d'existence de la force de travail (c'est-à-dire du travailleur...). Une manière de fonctionner qui ne PEUT PAS être la manière générale du capitalisme, car si celui-ci produit c'est pour VENDRE (comment, sinon, dégager des profits et reproduire le Capital ?) et il a donc besoin d'acheteurs, qui ne peuvent pas être simplement 5 ou même 10% de bourgeois et autres personnes aisées. Il lui faut donc des personnes "simplement exploitées", c'est-à-dire à qui leurs revenus laissent une "margeounette" pour consommer. Mais pour que ces personnes puissent exister et exister en quantité conséquente, il est NÉCESSAIRE que d'autres, sur le territoire qu'une bourgeoisie donnée contrôle, soient dans ces conditions de surexploitation (ce qui signifie, en substance, définir et assigner à cette position des "ultra-pauvres" pour que puissent exister des "moins pauvres", que l'on pourra en sus aliéner en leur disant qu'ils ne sont "pas les plus à plaindre").

    [Attention cependant : la surexploitation, vouée à dégager un profit maximal sur investissement (surprofit), intègre aussi des considérations de productivité du travail, de développement technologique (augmentant la productivité) ainsi que d'établissement de situations de monopole (réduction radicale voire élimination pure et simple de la concurrence : quoi de mieux pour les affaires ?). Ceci peut entraîner des situations paradoxales : ainsi par exemple, on imagine difficilement plus surexploités que les esclaves africains des colonies européennes en Amérique ; puisqu'il suffisait souvent de les maintenir en vie quelques années pour tripler ou quadrupler l'investissement représenté par leur achat ("gagner leur tête" disait-on à l'époque). Sauf que voilà : 1°/ comme déjà dans l'Antiquité, la productivité de personnes privées de toute liberté et non-rémunérées pour leur travail s'avérait finalement médiocre comparée à celle d'un travailleur libre, 2°/ pour ces mêmes raisons de productivité, ainsi que pour de simples raisons de sécurité, il était difficile voire impossible de concentrer des centaines et des centaines voire des milliers d'esclaves sur une même plantation (ce qui gênait donc la concentration du travail, et allait contre la constitution de monopoles), 3°/ cette méthode productive était difficile pour ne pas dire impossible à mettre en œuvre en dehors du secteur agricole (certes indispensable à l'économie mais dont la valeur ajoutée, même en agriculture extensive, reste somme toute modeste), dans l'industrie en plein essor notamment, 4°/ elle était incompatible avec le progrès technologique (mécanisation de l'agriculture), voué de toute façon à la faire disparaître, 5°/ les esclaves, qui représentaient le tiers de la population dans le Sud des États-Unis et 80% ou plus dans les Caraïbes, ne pouvaient pas (cf. ce que nous avons dit plus haut) représenter un marché (débouché commercial pour la production) de manière significative. Ce sont toutes ces raisons (et l'on pourrait encore sans doute en citer d'autres), et non des considérations d'"humanité", qui ont amené au 19e siècle les bourgeoisies européennes et américaines à pencher majoritairement en faveur de l'abolition de l'esclavage, bien que celui-ci représentât (à première vue) la forme d'exploitation la plus totale (et donc le profit maximal tiré de la force de travail) que l'on puisse imaginer. Si l'on adopte une vision "arithmétique" de la définition marxiste "classique" de la surexploitation, les paradoxes ne manquent de toute façon pas : les travailleurs les plus exploités pourraient ainsi bien être, par exemple... les footballeurs, si l'on mettait en perspective leurs (multimillionnaires) revenus annuels avec ce qu'ils rapportent à leurs clubs. C'est pourquoi une vision plus "humaine", basée sur la notion de reproduction des conditions d'existence, nous a semblé plus appropriée.]

     


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