-
Notes de lecture sur 'En quoi consiste l'inspiration occitanienne ?' de Simone WEIL
Voici un nouvel extrait de ce que l'on peut appeler les réflexions occitanes de la philosophe - 'marxiste libertaire' passée 'catho de gauche' - Simone Weil.Tout d'abord, il faut situer le contexte : lorsqu'elle rédige ces lignes, Simone Weil est installée en Occitanie (dans la région de Marseille) avec sa famille, au début de l'Occupation nazie et de la 'révolution nationale' de Vichy (1940-42) qui les menacent (bien sûr) directement en tant que Juifs 'ethniques'. Elle s'y plonge dans la rédaction de Cahiers où elle se penche, notamment, sur l'histoire de cette terre occitane qui lui offre un précaire refuge (non-occupée par les nazis, les Juifs y sont discriminés mais pas encore systématiquement pourchassés et envoyés vers les camps de la mort... jusqu'à l'été 1942 en tout cas, où Vichy prend alors l'initiative d'une grande rafle - 7.000 Juifs au total - dans toute la zone 'libre', sans la moindre présence militaire allemande...).
À ce stade, sa compréhension très idéaliste du marxisme - comme, finalement, un 'humanisme radical' - a déjà 'craqué' ; et elle s'est tournée vers la foi chrétienne et le catholicisme 'de gauche', pensant y trouver les 'réponses' que le marxisme, mal compris par elle mais aussi... caricaturé, parfois, par d'autres, ne lui avait pas apportées.
[Une bonne présentation de sa pensée ici : «Toute sa vie, Simone Weil se refuse à toute doctrine, elle n’est que du côté de la vérité.pdf »]
C'est donc un texte imprégné d'idéalisme et même, à bien des moments, mystique que nous avons là : tout, pour elle, dans le panorama historique qu'elle dresse, procède de l'idée - ce qu'elle appelle l''inspiration' ou la 'vocation' (de transcendance divine), véritable maîtresse d'œuvre de l'histoire, sans aucun fondement dans la réalité matérielle (qu'elle 'précède'). ET POURTANT... Encore une fois, comme dans les extraits publiés il y a quelques temps par les camarades de Sheisau Sorelh, une lecture ATTENTIVE de ce qui est écrit montre combien Weil, indirectement, à travers le prisme (déformant !) de son idéalisme religieux, saisit superbement, de manière matérialiste-dialectique, l'histoire de notre Occitanie et de son négateur l’État français... bien mieux que bien des personnes qui (aujourd'hui même !) se considèrent comme les 'gardiens du temple' de la science marxiste ! Il suffit, en fait, de traduire en 'langage' matérialiste dialectique ce que décrit Weil ; de le rattacher à une analyse marxiste de la réalité matérielle (modes de production et crises, classes et contradictions entre elles), pour s'en convaincre...
Nous ne reproduirons pas ici le texte (on l'a dit, baigné d'idéalisme et de mysticisme 'philosophique') dans son entier ; mais seulement les passages selon nous les plus significatifs, ceux qui rejoignent notre analyse matérialiste/marxiste de la question.
Ce qui fonde, à la base, l''occitanophilie' de Simone Weil, c'est que l'Occitanie médiévale a été selon elle l'héritière véritable de la Grèce antique, dont elle aurait failli ("si on ne l'avait pas tuée") 'rééditer le miracle' : "Chaque pays de l'antiquité pré-romaine a eu sa vocation, sa révélation orientée non pas exclusivement, mais principalement vers un aspect de la vérité surnaturelle. Pour Israël ce fut l'unité de Dieu, obsédante jusqu'à l'idée fixe. Nous ne pouvons plus savoir ce que ce fut pour la Mésopotamie. Pour la Perse, ce fut l'opposition et la lutte du bien et du mal. Pour l'Inde, l'identification, grâce à l'union mystique, de Dieu et de l'âme arrivée à l'état de perfection. Pour la Chine, l'opération propre de Dieu, la non action divine qui est plénitude de l'action, l'absence divine qui est plénitude de la présence. Pour l'Égypte, ce fut la charité du prochain, exprimée avec une pureté qui n'a jamais été dépassée ; ce fut surtout la félicité immortelle des âmes sauvées après une vie juste, et le salut par l'assimilation à un Dieu qui avait vécu, avait souffert, avait péri de mort violente, et était devenu dans l'autre monde le juge et le sauveur des âmes. La Grèce reçut le message de l'Égypte, et elle eut aussi sa révélation propre : ce fut la révélation de la misère humaine, de la transcendance de Dieu, de la distance infinie entre Dieu et l'homme" : Weil énumère ici les civilisations qui, à leur endroit du monde et à leur époque donnée, ont été l'apogée progressiste de l'organisation sociale antique ("esclavagiste" ou plutôt et plus largement, selon les mots d'un Samir Amin qu'il est d'ailleurs absolument fascinant de mettre en face de tout ce qui va être dit, tributaire : texte-de-samir-amin), pour la mission historique qui était la sienne : dégager des tâches laborieuses de la reproduction de l'existence une fraction de la population pour lui permettre de ce consacrer exclusivement à la pensée, à la compréhension scientifique et philosophique du monde qui nous entoure.
La Grèce classique (entre 600 et 300 avant Jésus-Christ) est décrite comme le réceptacle et la synthèse (en Europe-Méditerranée) de cette toutes ces pensées et connaissances techniques et scientifiques, qui font faire à l'humanité un 'grand bond en avant' : l'on cesse alors de subir le réel en lui arrachant quotidiennement sa subsistance ; l'on s'efforce (et commence) désormais à le COMPRENDRE (la prochaine étape, comme le dira Marx environ 2000 ans plus tard, sera de commencer à le TRANSFORMER). Ceci dit, à ce stade, la mutation de l’organisation sociale ‘asiatique’ ou communautaire-patriarcale (gentilice) vers l’esclavagisme est totalement consommée : la ‘démocratique’ cité d’Athènes compte 10% de citoyens pour 90% d’esclaves, et il en va à peu près de même dans toutes les autres cités (y compris nostra Marselha). Mais, comme la quasi-totalité de louangeurs bourgeois (ou même prétendument ‘communistes’) de la Grèce classique, Weil fait complètement l’impasse sur ce point. La suraccumulation d’esclaves est pourtant le premier signe annonciateur du fait que l’organisation sociale esclavagiste antique va entrer en crise mortelle…
Puis, elle nous dit que : "Rome détruisit tout vestige de vie spirituelle en Grèce, comme dans tous les pays qu'elle soumit et réduisit à la condition de provinces. Tous sauf un seul. Contrairement à celle des autres pays, la révélation d'Israël avait été essentiellement collective, et par là même beaucoup plus grossière, mais aussi beaucoup plus solide ; seule elle pouvait résister à la pression de la terreur romaine. Protégé par cette carapace, couva un peu d'esprit grec qui avait survécu sur le bord oriental de la Méditerranée. Ainsi, après trois siècles désertiques, parmi la soif ardente de tant de peuples, jaillit la source parfaitement pure. L'idée de médiation reçut la plénitude de la réalité, le pont parfait apparut, la Sagesse divine, comme Platon l'avait souhaité, devint visible aux yeux. La vocation grecque trouva ainsi sa perfection en devenant la vocation chrétienne. Cette filiation, et par suite aussi la mission authentique du christianisme, fut longtemps empêchée d'apparaître. D'abord par le milieu d'Israël et par la croyance à la fin imminente du monde, croyance d'ailleurs indispensable à la diffusion du message. Bien plus encore ensuite par le statut de religion officielle de l'Empire romain. La Bête était baptisée, mais le baptême en fut souillé. Les Barbares vinrent heureusement détruire la Bête et apporter un sang jeune et frais avec des traditions lointaines. À la fin du Xe siècle la stabilité, la sécurité furent retrouvées, les influences de Byzance et de l'Orient circulèrent librement. Alors apparut la civilisation romane. Les églises, les sculptures, les mélodies grégoriennes de cette époque, les quelques fresques qui nous restent du Xe et du XIe siècle, sont seules à être presque équivalentes à l'art grec en majesté et en pureté. Ce fut la véritable Renaissance. L'esprit grec renaquit sous la forme chrétienne qui est sa vérité" ; et effectivement, c'est vrai : la Rome impériale, que l'on peut faire débuter au 2e siècle avant Jésus-Christ (avec la conquête de l'Afrique du Nord, de la Grèce et de l'Anatolie, de l'Espagne méditerranéenne et du sud de la Gaule etc.), fut en Euro-Méditerranée non pas l'apogée progressiste de l'Antiquité esclavagiste, mais son 'stade suprême' décadent et réactionnaire, une sorte de crise générale de la société antique : la 'libération' d'une élite de la population envers les tâches 'bassement productives' n'était plus mise au service de l'élévation intellectuelle et civilisationnelle, mais de la décadence, de l'orgie et des jeux de cirques, du pouvoir pour le pouvoir et de la richesse pour la richesse (l'esprit capitaliste d'investir, de faire fructifier la richesse accumulée, n'en était alors qu'à ses balbutiements).
Ceci conduisit à l'effondrement ; et Weil reprend là la position d'Engels dans L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, faisant des 'invasions barbares' un évènement positif et historiquement nécessaire, une 'régression féconde' d'ailleurs saluée comme une 'libération' dans la plupart des pays où les 'barbares' arrivèrent. Bien sûr, à cette époque où l'humanité entendait comprendre la réalité (et sa propre condition), mais pas encore la transformer, cet effondrement fut spontané, sous une multitude de 'coups' produits par les contradictions du mode de production esclavagiste : révoltes d'esclaves et des peuples conquis, guerres civiles et 'anarchies militaires' résultant de l'hypertrophie de la force armée (première fournisseuse d'esclaves par ses guerres, donc de la principale force de travail), et enfin les invasions de ces peuples 'barbares' relégués derrière les limes, comme réservoirs d'esclaves. Il n'y eut pas de 'révolution' consciente et organisée instaurant la féodalité. Il y eut un effondrement inexorable et finalement brutal, une régression 'féconde' certes, mais une régression, et la civilisation autour de la Méditerranée dut se reconstruire, ce qui fut long et laborieux. Ce furent les religions 'révélées' chrétienne au Nord de la mer, et musulmane au Sud qui accompagnèrent comme idéologies de progrès cette reconstruction. Le principe était simple : humaniser la condition du producteur, paysan (sur lequel tout reposait alors) ou 'ouvrier' artisanal, pour le rendre plus productif. L'esclave agricole devient un serf plus ou moins libre, qui peut produire en partie pour lui-même et sa famille ; l'esclave d'atelier ou de mine devient un 'compagnon', un proto-ouvrier rétribué pour sa force de travail, pouvant espérer devenir (un jour) 'maître' à son tour. L'esclavage ne disparaît pas (il est toujours permis de mettre en esclavage les non-chrétiens en Chrétienté et les non-musulmans en Islam), mais devient marginal comme rapport de production – avant d’être rétabli dans les colonies d'outre-mer pour les indigènes et les Africains à partir du 16e siècle… pour les besoins de l’accumulation primitive capitaliste (!), sous les hourras des penseurs ‘libéraux’ de l’époque (du hollandais Grotius aux anglais Locke et Smith, des ‘pères fondateurs’ américains Washington, Franklin, Adams ou Jefferson aux français Voltaire ou Tocqueville) ; tandis que l'Europe de l'Est, pour 'donner le change', remettait ses paysans dans un servage de fer[1]... Nous reviendrons sur ces ‘paradoxes’ de l’’humanisme’ libéral de l’époque moderne.
Weil souligne ici à juste titre comment la pensée grecque classique, qui avait profondément imprégné les rives orientales de la Méditerranée, 'accouplée' au monothéisme hébreu, a été directement la matrice de la religion/idéologie chrétienne (et tout autant de la religion/idéologie islamique) ; contrairement aux affirmations de 'philosophes' bobos, se croyant 'rebelles' et 'géniaux' à la Michel Onfray, faisant du christianisme et de l'islam des 'tsunamis' obscurantistes balayant les 'lumières' antiques - poursuite acharnée de l'erreur théorique anti-matérialiste fondamentale des Lumières, et des pré-Lumières ('Renaissance', classicisme) depuis le 16e siècle : Grèce et Rome antiques sacralisées (en ignorant délibérément leurs contradictions fatales) ; 'invasions barbares' et triomphe du christianisme et de l'islam ouvrant un 'âge des ténèbres'. Weil rappelle, en passant, que le christianisme s'est toutefois 'dénaturé' en devenant, sur les derniers siècles (à partir du 4e), la religion d’État de l'Empire romain finissant puis de son hériter byzantin, d'où, dès cette époque, la multiplication des 'hérésies' (arianisme, nestorianisme, monophysisme, gnosticisme etc.) contestant (sous couvert de théologie) le dogme officiel fixé au concile de Nicée (325 ap. J-C) ; tandis que dans les campagnes d'Europe profonde, le paganisme résistait et résistera encore pendant des siècles, sous le nom de 'sorcellerie'... L'islam, au contraire, 'surgi du désert' sans prévenir au 7e siècle, et doté (en plus) d'un véritable programme politique de gouvernement, aura cette dimension 'révolutionnaire' qui lui permettra la conquête rapide d'immenses territoires sur les Byzantins, les Perses et les Wisigoths (en Espagne) ; les populations se ralliant massivement aux 'envahisseurs' (en particulier les communautés 'hérétiques', comme les ariens d'Espagne).
Aux 10e-11e siècles, la reconstruction est achevée et c'est alors (au nord de la Méditerranée) l'âge ROMAN et la 'Renaissance médiévale', la 'vraie Renaissance' selon Weil : l'apogée du mode de production féodal en tant que mode de production supérieur aux précédents, porteur de progrès pour l'humanité euro-méditerranéenne. Une Renaissance dont l'Occitanie d'alors est un très important CENTRE ; lié via la Catalogne à l'Andalus ibérique, via les Alpes à la péninsule italienne, et via l'Arpitanie (alors 'royaume de Bourgogne') à l'Europe rhénane. Weil aborde cette période dans son texte sous l'angle de l'organisation socio-politique, de l'art (religieux) et de la littérature/poésie (courtoise), etc. etc. - bien sûr, tout cela est décrit à travers le prisme de son idéalisme catho-mystique, donc forcément très éloigné d'une analyse scientifique marxiste (analyse des classes, de leurs relations et de leurs contradictions, du pouvoir politique et de la 'conscience collective' - dont la culture, l'art font partie - comme 'gestion' de ces relations et contradictions etc.).
[Sur la "genèse" de l'Occitanie dans ce contexte médiéval, lire : la-notion-d-ensemble-economique-tributaire-au-moyen-age-feodal-et-la-g-a161070402]
Weil nous dit ensuite : "Il y avait encore alors un lien vivant avec les traditions millénaires que de nouveau aujourd'hui nous essayons de découvrir avec peine, celles de l'Inde, de la Perse, de l’Égypte, de la Grèce, d'autres encore peut-être. Le XIIIe siècle coupa le lien. Il y avait ouverture à tous les courants spirituels du dehors. Si déplorables qu'aient été les Croisades, du moins elles s'accompagnèrent réellement d'un échange mutuel d'influences entre les combattants, échange où même la part des Arabes fut plus grande que celle de la chrétienté. Elles ont été ainsi infiniment supérieures à nos guerres colonisatrices modernes. À partir du XIIIe siècle l'Europe se replia sur elle-même et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire".
Nous ne sommes pas d'accord. Pour nous, le début des Croisades (1095) marque de fait l'entrée dans la première crise générale du mode de production féodal, dont elles sont en fait une 'soupape' qui prolonge, pour un siècle encore, la Renaissance médiévale romane [une crise de "surproduction absolue d'atomisation micro-tributaire" en quelque sorte, surproduction de baronnies rétives à toute autorité supérieure et se faisant la guerre en permanence, causant une instabilité généralisée, d'où l'idée d'envoyer tous ces petits barons "propager la foi chrétienne par le glaive" au loin... et se tailler pour près de deux siècles les premières (quelque part) "colonies" européennes hors d'Europe qui seront la base, notamment dans les cités marchandes italiennes, de mécanismes relevant déjà de l'accumulation primitive – rejoignant donc, comme manifestation concrète, ce que dit Amin des racines de la Modernité capitaliste dans l'instabilité du système tributaire de la féodalité européenne médiévale ; et au demeurant, n'oublions pas qu'ont aussi été des Croisades la Reconquista espagnole, qui s'accélère à cette époque, la conquête de la Sicile à partir de 1060 par des chevaliers normands, ainsi que... la conquête de l'Occitanie au 13e siècle, dont il est essentiellement question dans ce texte].
Le mode de production féodal, qui connaît son apogée au 11e siècle, a traversé en réalité deux crise générales, entrecoupées par ce que l'on appelle classiquement la 'Renaissance' : la première de la fin du 11e jusqu'au milieu du 15e siècle (Croisades, deux 'Guerres de Cent Ans' en Europe occidentale etc.), avec une petite stabilisation vers la fin du 13e/début du 14e siècle ; la seconde du milieu du 16e jusqu'au début du 19e siècle (avec les Guerres de Religion, la Guerre de Trente Ans puis toutes les guerres européennes de Louis XIV et Louis XV jusqu'à la Révolution et l'Empire ; et la première grande expansion coloniale de l'Europe), là encore avec des périodes de stabilisation de quelques décennies maximum. La première donne naissance à l’État moderne (absolutiste) ; la seconde se 'résout' par les révolutions bourgeoises et donne donc naissance à l’État bourgeois (contemporain).
Maintenant, il est vrai que l'époque des Croisades a été marquée par une interpénétration intellectuelle, qu'elle s'est caractérisée par une importation (par pillage violent !) en Europe de connaissances scientifiques et techniques voire (même) de conceptions humanistes du monde musulman attaqué, choses que l'on ne retrouve pas dans les conquêtes coloniales du 16e siècle jusqu'à nos jours, avec un Occident sûr de lui et 'supérieur', qui prétend 'civiliser' les peuples qu'il soumet.
Et entre les deux, que s'est-il passé ? Weil nous dit que "À partir du XIIIe siècle l'Europe se replia sur elle-même et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire", et que "Le Moyen Âge gothique, qui apparut après la destruction de la patrie occitanienne, fut un essai de spiritualité totalitaire. Le profane comme tel n'avait pas droit de cité. Ce manque de proportion n'est ni beau ni juste ; une spiritualité totalitaire est par la même dégradée. Ce n'est pas là la civilisation chrétienne. La civilisation chrétienne, c'est la civilisation romane, prématurément disparue après un assassinat. Il est infiniment douloureux de penser que les armes de ce meurtre étaient maniées par l'Église. Mais ce qui est douloureux est parfois vrai. Peut-être en ce début du XIIIe siècle la chrétienté a-t-elle eu un choix à faire. Elle a mal choisi. Elle a choisi le mal. Ce mal a porté des fruits, et nous sommes dans le mal. Le repentir est le retour à l'instant qui a précédé le mauvais choix." : eh oui ! L'âge gothique (13e-15e siècles) voit la mise en place des États modernes et, dans chacun de ces États, l’Église passe au service du pouvoir monarchique ; elle perd son caractère 'universaliste' euro-méditerranéen pour devenir un pur 'bras' de l'appareil d’État, elle devient donc ce que Weil appelle 'totalitaire'. C'est l'époque où naît l'Inquisition, laquelle, contrairement à ce que l'on pense souvent, n'est pas un instrument du pape, indépendant voire en contradiction avec les monarchies : elle a un caractère national et agit totalement au service des jeunes États modernes, comme ce qu'il convient d'appeler une police politique, une Gestapo agitant de manière politique les accusations d'hérésie, de sorcellerie, de 'sodomie' et autres joyeusetés. Bernard Gui (début du 14e siècle), de naissance limousine, sévit en Occitanie pour le compte de la monarchie capétienne comme avant lui le tristement célèbre légat Arnaud Amaury/Amalric du massacre de Béziers (de naissance vraisemblablement languedocienne, en tout cas le nom Amalric est languedocien) ; Torquemada (fin du 15e siècle), castillan, sévit dans la péninsule ibérique pour la monarchie de Castille-Aragon ; etc. etc. [on peut aussi évoquer, plus tard (1609), la 'chasse aux sorcières' en Pays Basque (Lapurdi) menée par les collabos bordelais d'Espagnet et de Lancre - ce dernier lui-même d'origine basque souletine...]. Là où, par la suite, c'est le protestantisme qui deviendra religion d’État, il existera également des formes d''inquisition protestante' comme le montrent les procès en sorcellerie de Salem en Nouvelle-Angleterre (colonie anglaise d'Amérique du Nord) tandis qu'à Genève, Calvin fera brûler vif Michel Servet - opposant politico-théologique aux thèses radicales...
En réalité, les choses se sont déroulées comme suit :
- L'ÂGE ROMAN (950-1200) correspond à la Renaissance médiévale, 'âge d'or' et apogée du mode de production féodal. Le régime seigneurial (éventuellement ecclésiastique) exploite la terre, première source de reproduction des conditions d'existence, de manière plus ou moins brutale (servile) ou 'libre' (alleutière) selon les régions (en fait, selon les climats et la fertilité des sols) [lire à ce sujet : grande-etude-historique-pais-commune-populaire]. Les artisans transforment la matière en marchandise ; les commerçants la commercialisent : le capitalisme apparaît. L'Église se charge d'encadrer et de 'pacifier' les comportements sociaux ('Paix de Dieu' etc.). La société est cohérente ; il y a des contradictions bien sûr mais la complémentarité des fonctions dans l'organisation sociale productive est principale ; et, lorsque les conditions climatiques et la fertilité des sols (forces productives essentielles à l'époque !) le permettent, comme en Occitanie ou en Andalousie, l'on atteint de hauts degrés de civilisation et de 'bien-être général', peut-être sans précédent dans l'histoire (Weil évoque fréquemment la Grèce antique, mais en est-elle si sûre ? 90% de la population de celle-ci n'était-elle pas esclave ou semi-esclave ?). Cette période donne naissance aux nations modernes/contemporaines ; comme la Nation occitane. Mais tout cela est forcément éphémère et, à un moment donné, le mode de production féodal va atteindre ses limites et voir ses contradictions exploser.
- L'ÂGE GOTHIQUE (1200-1450) correspond à la première crise générale de la féodalité qui va donner naissance à l’État (et à l'époque) moderne, à l'absolutisme. Comme tout mode de production ayant atteint les limites de ses capacités historiques, la féodalité tend à la concentration par élimination : elle tend à l'accumulation de domaines entre quelques mains dynastiques, de manière de moins en moins pacifique (mariage, achat) et de plus en plus violente (guerre, conquête). Toute classe ou fraction de classe appelée à jouer un rôle historique à un moment donné produit son 'grand dirigeant', son 'homme providentiel' ; et la fraction de la classe aristocratique constituée par la maison capétienne et ses fidèles va le produire en la personne du roi Philippe II Auguste : en un peu plus de 40 ans de règne, celui-ci va étendre l'imperium (autorité effective) des Capétiens d'une région située entre la Loire, la Somme et la Meuse (à l'Ouest de la Touraine et de la Normandie), jusqu'à... l'actuel Hexagone entier, sauf les régions à l'Est de la Meuse, de la Saône et du Rhône, et un petit réduit (anglais, Plantagenêt) en Gascogne. Il donne naissance à la France dont il devient le premier roi, et non plus un symbolique 'roi des Francs occidentaux'. Il conquiert directement l''Empire plantagenêt', qui s'étendait de la Normandie aux Pyrénées en passant par l'Anjou, le Poitou etc. ; et indirectement, par le biais d'une 'Croisade contre l'hérésie albigeoise', l''Empire' arago-toulousain qui s'étendait du Rhône à la Garonne et du 'Massif central' aux Pyrénées. Ses successeurs (Louis VIII, 'Saint' Louis IX, Philippe III et Philippe IV le Bel) poursuivent et consolident son œuvre (mettant également la main sur le Dauphiné, la Provence, la région lyonnaise etc.). Après la mort de Philippe le Bel, les rois d'Angleterre (ses descendants par sa fille) tenteront de s'emparer de l’œuvre en invoquant cette filiation, mais ils seront mis en échec par la branche cadette des Valois et définitivement expulsés du continent.
De son côté, comme chacun-e le sait, le capitalisme ne peut se développer que dans la concurrence : un capitaliste ne peut JAMAIS accumuler et valoriser 'mieux' son capital autrement qu'aux dépens des autres. Et, dans ce processus que nous venons de décrire... les capitalistes, les grands bourgeois de Paris et alentours, ayant les faveurs de la maison capétienne, vont évidemment profiter de l'expansion territoriale, de l'accumulation de domaines de celle-ci ; tandis que, de leur côté, les bourgeois 'de second rang' des territoires conquis vont, souvent, pactiser avec elle contre les très-grands-bourgeois ayant les faveurs du comte ou du duc local (des petits féodaux mécontents pactiseront aussi pour les mêmes raisons).
Le même processus s'accomplit dans les autres régions de l'Europe ; sauf en Italie où quelques tentatives (comme celle des Médicis auxquels Machiavel dédie son Prince) se heurteront à l'opposition papale soutenue par l'Autriche et l'Espagne, à la Contre-Réforme, à la rivalité des grands empires maritimes de Venise et Gênes etc. etc. (Gramsci dira notamment que "la Papauté fut trop faible pour faire l'unité, mais assez forte pour l'empêcher") et en Allemagne, où la Réforme achève la désagrégation politique commencée au 13e siècle (il y aura deux grands États moderne, l'Autriche et la Prusse, dont la conclusion de la lutte sera la naissance des États contemporains d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie - laquelle disparaît en 1918).
Lorsque le processus s'achève, l’État moderne ainsi constitué par le 'mariage' du féroce ost (armée royale) et des grands capitalistes/argentiers de Cour apparaît nettement comme l'appareil/cadre politico-militaire adéquat dans lequel le développement capitaliste va pouvoir se poursuivre et (même) s'accélérer [de leur côté, les éléments féodaux et cléricaux suffisamment 'pragmatiques' y trouvent un cadre de survie, au sein de l'appareil qui leur offre moult 'niches écologiques']. Car il ne faut pas oublier que, contrairement au noble, le bourgeois n'est à l'origine (et par définition) pas un guerrier : la totalité de son activité est consacrée aux 'affaires'. Les villes, certes, ont leurs milices bourgeoises et peuvent parfois se défendre vaillamment, mais de là à 'tenir' un État de la taille de la 'France', de l'Angleterre etc., c'est une autre paire de manche... Or, la force armée est l'instrument indispensable pour qu'une classe dominante puisse défendre ses intérêts, contre ses concurrents comme contre ceux qu'elle exploite - et qui se révoltent. C'est donc l'aristocratie qui se verra 'déléguer' cette tâche, sous l'absolutisme (aristocratie pro-monarchie) et même encore longtemps après les révolutions bourgeoises, lorsque la bourgeoisie sera seule au pouvoir : les aristocrates sont encore très nombreux dans le corps des officiers en Europe lors de la 2de Guerre mondiale.
Le bourgeois n'est d'ailleurs pas non plus, pour les mêmes raisons, un idéologue... C'est fondamentalement un cynique, qui ne croit qu'en l'accroissement de son capital. La tâche d'encadrement idéologique de la société, il va donc pendant longtemps la confier à l’Église, qui, selon les propres mots d'Adolphe Thiers, "propage cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir, et non cette autre philosophie qui lui dit au contraire : jouis" ; faisant d'elle une religion d’État qu'elle n'était pas en l'An 1000 (où l’État tel que nous le concevons, de toute manière, n'existait pas !)[2]. Il est en fait possible de dire que, depuis les débuts de l'accumulation capitaliste, toute la praxis idéologique et culturelle de la bourgeoisie est en définitive une quête de sa 'virilisation' comme classe dominante (alors que la 'virilité' du seigneur médiéval 'coulait de source') ; d'abord par la quête de l'anoblissement (sous l'Ancien régime, mais très vite 'noble' devient synonyme de 'parasite décadent'), puis par des 'épopées' militaires (guerres de Cromwell avec sa New Model Army, guerre d'indépendance US, guerres révolutionnaires et napoléoniennes - Valmy, Grande Armée et tout le tralala ; guerres de l'Unité italienne et allemande, conquêtes coloniales, conquête de l'Ouest américain etc.), tentant d'établir un parallèle avec des 'mythes' du passé (Sparte, Rome, les Germains et les Chevaliers Teutoniques, etc. etc.) ; et la recherche, également, d'une idéologie cohérente et 'englobante', 'totale'. Le fascisme (et l'impérialisme en général) ne seront pas autre chose, avec la brutalité sauvage de ce stade où le capitalisme a perdu absolument tout caractère progressiste.
- IL Y AURA TOUJOURS DES CONTRADICTIONS PAR LA SUITE ; et, après la période communément qualifiée de 'Renaissance' (milieu 15e-milieu 16e siècle), la féodalité entre une nouvelle fois en crise générale (cette fois-ci, les classes féodales sont devenues totalement parasitaires, elles n'ont plus aucune utilité sociale à moins de se transformer en capitalistes - agraires, par exemple... mais en France, édits et ordonnances se succèdent aux 16e et 17e siècles pour le leur interdire, sous peine de perdre leurs privilèges et d'être 'ramenées en roture'). Ces contradictions vont notamment éclater dans les Guerres de Religion, qui marquent souvent, que ce soit du côté 'huguenot' ou du côté de la Ligue, l'expression d'un refus du centralisme et de l'absolutisme monarchique dans les terres conquises depuis le 13e siècle : l'Occitanie, l'Arpitanie et l''Ouest' poitevin-saintongeais et normand deviennent des bastions de la Réforme ; tandis que la Provence, la Bretagne, la région lyonnaise, la Picardie ou encore la Bourgogne deviennent des bastions catholiques anti-protestants, en même temps que Paris et sa région qui contestent également l'absolutisme ; les uns accusant la monarchie d'être trop anti-protestante, les autres de ne pas l'être assez. CEPENDANT, on notera qui si la politique du roi peut à tel ou tel moment être violemment contestée, le principe monarchique et le principe de l'unité du royaume n'est jamais remis en question : l'on défend ses 'libertés' locales (privilèges)... ou l'on dénonce celles du voisin ; on déplore que le roi écoute de 'mauvais conseillers' ; on souhaite, au pire, qu'il passe rapidement de vie à trépas et que lui succède un fils plus avisé (quitte à lui 'forcer' un peu la main, ce que fit Ravaillac...) ; mais JAMAIS l'on ne remet en cause le Royaume de France en tant que tel, qui apparaît sans l'ombre d'un doute comme le cadre politico-militaire dans lequel, à la fois, la bourgeoisie capitaliste peut se développer et l'aristocratie et le clergé prolonger leur existence sociale. C'est l'époque où, dit Weil, "Richelieu, dans son travail d'unification, eut tué en France tout ce qui n'était pas Paris" et où "Louis XIV imposait à ses sujets une soumission qui ne mérite pas le beau nom d'obéissance"...[3] Lorsque la Révolution bourgeoise viendra balayer ces privilèges anachroniques et parasitaires, elle ne remettra pas non plus en cause ce cadre essentiel à son existence : d'abord, parce que la bourgeoisie révolutionnaire n'était majoritairement pas républicaine (mais pour une monarchie libérale/ constitutionnelle/parlementaire ou une 'solution Bonaparte'), jusqu'en 1870 en tout cas ; ensuite, parce que même la bourgeoisie républicaine la plus 'avancée', 'démocratique-radicale', mettra en avant, en lieu et place de la 'souveraineté de droit divin', la 'République une et indivisible' comme cadre du 'progrès' dont elle remplissait (comme toutes les autres fractions bourgeoises) ses coffres-forts. L'alliance objective entre cette bourgeoisie 'radicale' et le mouvement ouvrier naissant contaminera durablement ce dernier avec les conceptions de la première (c'est très net, notamment, dans les déclarations des Communes de 1871), en Hexagone mais aussi internationalement. L''accord de principe' sur la 'République une et indivisible' est encore aujourd'hui une passerelle essentielle entre les franges droitistes, opportunistes du mouvement ouvrier (les plus corrompues par les bénéfices de l'impérialisme !) et la 'gauche' de la bourgeoisie... voire le fascisme, lorsque celui-ci se présente comme 'ni droite ni gauche', 'social' etc. !
- LE CAPITALISME SE DÉVELOPPE DONC pendant toute cette période entre la fin du 15e et la fin du 18e siècle, réalisant son ACCUMULATION PRIMITIVE jusqu'à la Révolution bourgeoise qui permet le 'saut' vers la révolution industrielle. Cependant, même si (pour rester en 'France') de très importants territoires seront encore annexés pendant cette période (ni plus ni moins que l'actuel Nord-Pas-de-Calais, l'Alsace et la Lorraine, plus le Roussillon, la Franche-Comté ou encore la Corse, sans parler de la Savoie, du Comtat/Vaucluse et de Nice annexés après la Révolution !), l'expansion territoriale en Europe même 'sature' : tout simplement parce que cela veut dire... se heurter à d'autres États modernes, dans des guerres longues, meurtrières et coûteuses, pour des gains territoriaux très en dessous de l''investissement'. C'est donc HORS D'EUROPE que vont se poursuivre (en symbiose) l'accumulation de domaines par les maisons monarchiques (féodalité totalement dépassée historiquement, parasitaire) et l'accumulation primitive du Capital. Évidemment, l'une comme l'autre vont se faire avec une brutalité sans précédent, et sans commune mesure avec les Croisades qui n'étaient pourtant pas, elles-mêmes, des parties de plaisir... C'est ce que dit Weil lorsqu'elle dit que "à partir du XIIIe siècle, l'Europe se replia sur elle-même, et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire" : en effet, la construction des États modernes est un processus long, laborieux et souvent guerrier, où les grandes dynasties construisent leurs "États-nations" (en réalité, leurs États/cadres politico-militaires où une nation - les grands possédants d'une nation - en dominent d'autres) ; et ce processus tend à fermer les États en construction sur eux-mêmes, mettant fin à l''universalité chrétienne' euro-méditerranéenne qui prévalait en l'An 1000, et a fortiori aux relations extra-continentales. Il ne faut pas oublier que cette période est aussi la phase de transition où, comme l'explique Samir Amin, l'Europe cesse d'être une périphérie d'un 'système-monde' dont le Centre s'étend du Maghreb à la Chine en passant par le Machrek, la Perse et l'Inde, pour devenir le Centre du nouveau monde moderne post-1500 : comme le dit Weil, elle se replie quelques siècles (200 à 250 ans) sur elle-même (en fait, chaque État en son sein se replie sur lui-même, ne communiquant avec les autres que par la guerre) ; puis, lorsque l'accumulation primitive capitaliste nécessite d'autres 'terrains' que ceux fournis par le 'Vieux Continent', elle va à nouveau les chercher par delà les mers, mais plus trop vers l'Orient (qui, avec l'Empire ottoman, s'est un temps ressaisi) : ce sera vers 'les Indes', que l'on va aller chercher par la navigation au long cours, le Portugal et la jeune 'Espagne' ouvrant le bal à peine achevée la 'Reconquista' de la péninsule par la prise de Grenade... L'Europe sort alors à nouveau de son continent, mais exclusivement "pour détruire" - ou plutôt, pour asservir.
Cette période coïncide, sur le continent même, avec ce que nous appelons communément la 'Renaissance'. De cette 'Renaissance' de 1450-1550, et des siècles qui suivirent, Weil nous dit : "Quelques siècles plus tard eut lieu l'autre Renaissance, la fausse, celle que nous nommons aujourd'hui de ce nom. Elle eut un point d'équilibre où l'unité des deux esprits fut pressentie. Mais très vite elle produisit l'humanisme, qui consiste à prendre les ponts que la Grèce nous a légués comme habitations permanentes. On crut pouvoir se détourner du christianisme pour se tourner vers l'esprit grec, alors qu'ils sont au même lieu. Depuis lors la part du spirituel dans la vie de l'Europe n'a fait que diminuer pour arriver presque au néant. Aujourd'hui la morsure du malheur nous fait prendre en dégoût l'évolution dont la situation présente est le terme. Nous injurions et voulons rejeter cet humanisme qu'ont élaboré la Renaissance, le XVIIIe siècle et la Révolution. Mais par là, loin de nous élever, nous abandonnons la dernière, pâle et confuse image que nous possédions de la vocation surnaturelle de l'homme". Là encore, elle a raison : contrairement à la première, la 'vraie' des 11e-12e siècles, cette 'fausse Renaissance' (comme le classicisme louis-quatorzien qui suivra) ne fut pas l'expression spontanée ('d'en bas') d'un mode de production féodal à son apogée progressiste (au regard de l'histoire). Elle fut l'expression d'une féodalité 'pourrissante', historiquement dépassée, à son 'stade suprême' décadent-réactionnaire de concentration du pouvoir féodal sous la forme de l’État moderne ; dans le cadre et à l'abri duquel le capitalisme réalisait son accumulation primitive et, tout à cette préoccupation s'embarrassant fort peu de bons sentiments, était encore loin de son apogée progressiste à lui... Elle fut une 'séquence culturelle' de l'histoire totalement pilotée et encadrée 'd'en haut', par le mécénat des grands monarques ; et la très grande majorité de sa production culturelle, artistique et philosophique (Machiavel, Bodin etc.) est vouée à magnifier et justifier l'absolutisme, désormais consolidé. Le développement accéléré du capitalisme... et, déjà, de ses contradictions avec les masses productrices (dont il a cependant conscience, contrairement aux autres modes de production, d'avoir un besoin vital) amène l'émergence d'une certaine pensée 'humaniste', 'contestataire' (de l'absolutisme et des privilèges), 'républicaine' (courants calvinistes de la Réforme, mais aussi courants catholiques comme notamment les Jésuites) voire 'démocratique' (Thomas More, Campanella), qui ouvre la voie aux Lumières (la véritable apogée progressiste du capitalisme) ; mais tout cela reste encore très marginal (et sévèrement réprimé comme le montre le sort de Thomas More, Campanella, Michel Servet, Giordano Bruno etc.). Comme nous le dit Weil, un 'point d'équilibre' est effleuré, mais finalement pas trouvé - car introuvable. Le courant luthérien (Martin Luther) de la Réforme s’accommode tout à fait de l'absolutisme, et sera fait religion d’État par de jeunes monarchies absolues comme le Danemark, la Suède ou la Prusse. Plus 'républicaines', les thèses de Calvin resteront limitées - comme religion officielle - à quelques républiques (ou fédérations de républiques) urbaines aristo-grand-bourgeoises comme les cantons suisses ou les Provinces-Unies des Pays-Bas. Ce qui est indéniable (et se poursuivra aux siècles suivants), c'est le progrès scientifique et technique de l'époque, avec Ambroise Paré, Galilée, Copernic et d'autres ; mais, en plus de se heurter aux dogmes 'scientifiques' de l’Église, dont l'importance pour l'organisation sociale est encore trop grande pour qu'elle puisse être ainsi remise en question, ce progrès est tout entier mis au service de l'absolutisme et de l'accumulation primitive capitaliste que celui-ci abrite sous son aile, quand bien même un 'subversiviste' de l'époque, Rabelais, peut s'écrier que 'science sans conscience n'est que ruine de l'âme'. Ce que Weil explique, de manière alambiquée, c'est que finalement du christianisme on rejette l'humanisme roman, pour ne garder que le 'principe d'autorité' ('émanant de Dieu' à travers son représentant sur Terre, le roi) et le 'droit naturel' (qui rejette la tyrannie, mais tout autant l''anarchie', c'est-à-dire la démocratie authentique) ; et de l'Antiquité classique l'on reprend surtout le 'sens de l’État' et de sa magnificence, à laquelle tou-te-s doivent se soumettre sans broncher - les 'classiciste' de l'époque sont en réalité bien plus 'Romains' que 'Grecs'.
Tout ceci est, de fait, à mettre en parallèle avec le processus complexe et contradictoire d'émergence du capitalisme et de sa "Modernité" tel que nous avons pu l'analyser à la lumière des thèses d'Amin, notamment dans ce passage : img.over-blog-kiwi.com/3803.png.
Ce n'est donc qu'à partir de la fin du 17e siècle, et surtout du milieu du 18e, qu'émerge massivement, dans ce que l'on appelle les Lumières, une pensée réellement libérale voire 'démocrate-humaniste' ; expression du stade où le développement du capitalisme 1°/ doit à tout prix se débarrasser des vieilles reliques féodales parasitaires, qui empêchent la révolution industrielle, 2°/ a déjà BEAUCOUP de contradictions à gérer avec les classes populaires laborieuses (et le prolétariat naissant), tout en ayant un besoin capital de leur alliance contre les forces féodales (et en ayant, on l'a dit, contrairement aux modes de productions précédents, conscience de ces contradictions qui 'creusent sa tombe'). Pour autant, le refus (fondamental) de remettre en cause la propriété privée des moyens de production et la liberté 'sacrée' d'entreprendre laisse, en pratique, les idées démocratiques/humanistes les plus radicales au stade de vain mot... Depuis lors, l'histoire des deux derniers siècles est en dernière analyse sous-tendue par la contradiction entre ces idéaux démocratiques, égalitaires et 'fraternels' que la bourgeoisie a utilisés pour prendre le pouvoir pour elle seule, et la réalité, qui est le pouvoir absolu du détenteur capitaliste de moyens de productions et/ou de capital financier sur la société. La solution de cette contradiction réside évidemment dans l'élimination du second, c'est à dire la Révolution prolétarienne : ALORS, comme nous l'enseignent les marxistes depuis plus de 150 ans, la démocratie qui règnera aura bien plus de réalité et de sens que tout ce qu'ont pu promettre aux masses les plus 'radicaux' des révolutionnaires bourgeois.
Mais, nous l'avons vu, au moment où elle écrit ces lignes, Weil a totalement rejeté cette perspective au profit d'un idéalisme catho-humaniste de 'contrat social' basé sur le 'consentement' et non 'la force' ; un 'consentement' (elle dit 'obéissance') qui serait finalement le reflet terrestre du lien à Dieu - ce Dieu auquel on obéit, non parce qu'il nous pointe une arme sur la tempe, mais parce qu'il est Dieu... Toute la belle démonstration tombe à plat, dans un tortueux salmigondis philosophico-mysticoïde où tout repose sur la 'pureté' de l''idée' (elle parle d''inspiration' ou de 'révélation'), qui 'tomberait du ciel' (en l'occurrence, de Dieu).
L'Occitanie de la 'Renaissance médiévale', nous dit-elle, ne ressuscitera pas : "on l'a, par malheur, trop bien tuée". Elle a là à la fois raison et tort : pour nous non plus, l'Occitanie soumise dans le sang au 13e siècle, l'Occitanie des fiefs féodaux d'Aquitaine, de Toulouse et d'Aragon, ne renaîtra pas à l'identique (ce serait une absurdité au regard du matérialisme dialectique), et ne renaîtra pas non plus sous la forme d'un État tel que nous l'entendons communément, un État moderne... qu'elle n'a jamais été (voir note de bas de page ci-dessous) et qu'elle n'aurait, selon nous, JAMAIS PU ÊTRE. Comme il a été expliqué dans l'article de Sheisau Sorelh, le 'Sud' occitan (avec ses imprégnations latines, grecques voire orientales, que vomissait le fasciste Céline) a sans aucun doute, dans l'actuel Hexagone, 'inventé' le capitalisme (avant même les régions de l'axe Rhône-Saône-Rhin-Meuse), et l'humanisme 'spontané' qui va avec, qui en naît spontanément. MAIS le 'Nord', avec sa féroce féodalité guerrière franque (la 'vraie France', 'germanique et celte' du même Céline : voilà un bel exemple de cette quête de virilité de la bourgeoisie dont nous avons parlé), a fourni et pouvait seul fournir, à ce capitalisme, le cadre politico-militaire lui permettant de se développer au-delà d'un niveau élémentaire ; et il ne pouvait pas en être autrement, car le capitalisme ne PEUT PAS (par nature) en rester à un tel niveau élémentaire. Il en a été ainsi dans toute l'Europe et, finalement, ce furent de nouvelles 'invasions barbares', une nouvelle 'régression féconde' : une nouvelle fois, la 'barbarie', les 'moins civilisés', ont amené aux terres 'plus civilisées' le 'fer' politico-militaire permettant aux forces productives de faire un 'bond'. Le capitalisme, peut-on dire en quelque sorte, sécrète spontanément de l'humanisme, car il met forcément (par nature) en valeur l'individu, il arrache l'individu aux liens de dépendance et de subordination personnelle (à justification divine) pour mettre en présence un vendeur et un acheteur, en principe égaux... Mais pour se développer, pour faire des 'bonds' (nécessaires) dans l'accumulation et la valorisation de son capital, il doit en permanence piétiner cet humanisme qu'il a précédemment sécrété.
Weil oppose au capitalisme monopoliste, impérialiste, militariste et fasciste de son temps, au capitalisme de 'minuit dans le (20e) siècle', un 'autre' capitalisme, le capitalisme tel qu'il aurait été 'si' l'Occitanie médiévale n'avait pas été égorgée par les hordes de Montfort... Pour nous, c'est de l'idéalisme complet. Cette Occitanie 'ne ressuscitera pas', ce avec quoi nous sommes d'accord... et alors, pour Weil devenue finalement 'démocrate-chrétienne de gauche', la 'Renaissance médiévale' des 10e-12e siècles dont cette Occitanie était l'un des 'centres' renaîtra sous la forme de "l'Europe de la paix et du droit" blablablabla ; cette Europe qui, elle n'en doute pas, naîtra forcément de la victoire certaine sur la Nouvelle Bête nazie (Simone Weil est, également, considérée comme une 'mère' de l''idéal' européen). Aujourd'hui, cette Europe existe, elle se 'construit' depuis 60 ans... et l'on voit bien ce qu'elle a donné ! Il est d'ailleurs probable que, percevant elle-même l'impossibilité de cet 'idéal', Simone Weil se soit donné la mort à Londres où elle avait rejoint la 'France libre', par refus d'alimentation et de soins (elle était tuberculeuse). Finalement, ce que Weil la parigao en exil écrit ici sur notre Occitanie et sa perspective historique, pourrait tout à fait être repris par nos courants 'euro-régionalistes' petits bourgeois à la POc ou PNO - à vrai dire, il est pratiquement impossible qu'ils n'en aient pas connaissance et ne s'en réclament pas.
POUR NOUS au contraire, l'Occitanie de la Renaissance médiévale, qui ne renaîtra pas sous la forme d'un État moderne qu'elle n'a jamais été et n'aurait jamais pu être, le fera sous celle d'une Fédération socialiste démocratique de Communes populaires (ce qu'envisageait une partie du mouvement 'communard' de 1871), qui sera elle-même un bataillon de la grande Révolution prolétarienne mondiale et, à terme, une (petite) partie de la Cité universelle communiste.
Pour autant, jusqu'au 'crash' européiste-humaniste-catho-de-gauche final, Simone Weil n'en met pas moins impeccablement en avant les 'bonnes' (progressistes) et les 'mauvaises' (réactionnaires, antipopulaires) périodes historiques de l'Occitanie et de la 'France' depuis un millénaire. Puisque nous avons parlé de ces auto-proclamés 'gardiens du temple' marxiste, et puisque nous en avons aujourd'hui même des 'spécimens' sous nos yeux, dans la mouvance marxiste-léniniste-maoïste mais aussi 'ML tout court' ou encore trotskyste, que mettent-ils, eux, en avant ? Ils aiment bien, certes, l'âge roman de la 'Renaissance médiévale'. Mais ils n'en aiment pas moins l'âge gothique, celui de la construction pseudo-'nationale' totalitaire de l’État moderne absolutiste. Ils mettent, surtout, en avant l'absolutisme, de cet âge gothique jusqu'aux Lumières (qui, on l'a dit, n'était majoritairement pas républicaines et encore moins démocrates, mais pour une monarchie absolue 'tempérée' par une représentation 'nationale' permanente), en passant par la Renaissance et le classicisme : l'absolutisme, ce mariage de cinq siècles (non sans 'scènes de ménage', certes !) entre une féodalité dépassée et parasitaire (concentrée dans la royauté et sa Cour) et un capitalisme en accumulation primitive sauvage, ne s'embarrassant guère de bons sentiments - à peine gratte-t-on un peu le vernis 'humaniste' d'un Montaigne ou d'un Rabelais, d'un Descartes ou d'un Spinoza, ou d'une poignée d'Encyclopédistes... Ils célèbrent des serviteurs fondamentaux de cet absolutisme, intellectuels comme le grand bourgeois anobli Nicolas Boileau (Enfin Malherbe vint), ou artistes comme le jardinier royal Le Nôtre ou le bouffon de cour Molière. Ils célèbrent, évidemment, la période révolutionnaire bourgeoise (1750-1850), éclair de lumière où une bourgeoise sûre d'elle-même et de sa position voulait faire régner sur l'humanité (enfin, l'humanité 'civilisée', européenne-chrétienne !) le droit au bonheur... mais dût vite, très vite se raviser, car face à elle se dressait déjà la pléthorique 'vile multitude' du jeune prolétariat. Dès lors que le prolétariat révolutionnaire est entré en lice (1848 est la date communément admise), nos 'phares' du marxisme rejettent alors les idéologues de la bourgeoisie, avec des figures comme Victor Hugo etc... peu importe que ces idéologues ne disent absolument rien d'autre, sous une forme 'moderne', que ce que dit la bourgeoisie depuis la 'Renaissance' du 16e siècle (qu'ils encensent) : ne cherchez pas à comprendre ! Pour eux, dans leur compréhension linéaire et antidialectique de l'histoire marxiste, toutes ces phases, 'Renaissance médiévale' après les 'temps obscurs' du Haut Moyen-Âge, construction 'gothique' de l’État moderne, absolutisme, révolutions bourgeoises, s'enchaînent et sont 'nécessaires', elles représentent chaque fois un 'progrès'. Mais, si l'on regarde uniquement les forces productives, les sciences et les techniques, la 'culture' et la 'civilisation' (notions ultra-subjectives s'il en est)... hormis quelques phases comme la décadence de l'Empire romain, la décadence de la monarchie absolue au 18e siècle ou la décadence du capitalisme monopoliste aujourd'hui, QUELLE ÉTAPE HISTORIQUE n'a pas été un 'progrès', quelle étape historique n'a pas été 'nécessaire' ? Elles ont existé précisément PARCE qu'elles étaient nécessaires !!!
Mais peu leur importe que, pour qu'à chaque étape la classe dominante développe les forces productives, il ait dû y avoir des DOMINÉ-E-S ; que ceux et celles-ci aient pu avoir leur mot à dire et, souvent, l'aient dit ; que ceux et celles-ci, les masses populaires, aient aussi LEUR PROPRE HISTOIRE. Et que ce soit cette histoire qui, l'ancien se mettant au service du nouveau, guide les masses du peuple, prolétariat en tête, en Occitanie comme au 'Nord' et dans tous les pays du monde, dans leur titanesque tâche historique de faire triompher le communisme !
Rien d'étonnant, en réalité, pour de tels 'marxistes' ; vu que du capitalisme et de toute l'histoire de son développement, LEUR CLASSE EST UN PUR PRODUIT : la classe des 'petits mandarins' intellectuels donneurs de leçons, des fonctionnaires, des profs, des bureaucrates et autres petits chefs 'ouvriers', BREF les petits bourgeois 'français' et occidentaux dont le 'confort de vie' repose sur les épaules de 6 milliards d'exploité-e-s à travers la planète. Quoi d'anormal à ce qu'ils admirent cette période, du 13e au 19e siècle, où derrière le vernis de quatre humanistes qui se courent après (chaque 'bond en avant' du capitalisme, on l'a dit, piétinant l'humanisme qui l'a précédé), apparaît très vite la réalité d'une féodalité absolutiste pourrissante et d'une accumulation primitive capitaliste sauvage se nourrissant dialectiquement l'une de l'autre (jusqu'à ce que la seconde se débarrasse de la première, comme un serpent fait sa mue) ? Il suffit, à vrai dire, de lire leurs positions (sur le Honduras, la Syrie ou quelque sujet que ce soit), pour voir à quel point ils en sont dénués, d'HUMANISME. Qu'ils se réclament de Trotsky ou de Staline, leur matérialisme 'dialectique' est linéaire, leur idéologie est celle du 'progrès', reconvertie en la lamentable 'théorie des forces productives'[4]. Alors que de cet humanisme, produit de ce que le capitalisme a eu de progressiste (libérer la personne humaine des rapports de dépendance personnels 'de droit divin', valoriser l'individu sur un pied d'égalité 'de principe' avec ses semblables) ou alors, de la prise de conscience de ses propres contradictions et de la volonté (impossible) de les résoudre pour y survivre, le marxisme n'est rien d'autre que la systématisation scientifique, portée à un niveau supérieur. Le marxisme est l'ARME SCIENTIFIQUE (jamais vraiment maîtrisée, et finalement rejetée par Weil) du prolétariat révolutionnaire, rendant enfin possible, PARCE QUE scientifique, la réalisation ici sur Terre et dans les tous prochains siècles de ce mot d'ordre phare de l'humanisme chrétien : "les derniers seront les premiers" ; ou, comme disaient les maoïstes chinois, "la révolution, c'est retourner la société comme un gant" !
En vérité, il ne faut pas avoir peur des mots : si une personne du niveau intellectuel de Simone Weil s'est détournée du marxisme pour se tourner vers l'idéalisme religieux... ce sont plutôt les marxistes, en tout cas certains prétendus 'phares' de la pensée marxiste comme ceux précités, qui devraient se remettre en question ; même si l'on sait qu'hélas, l'autocritique, toujours prônée pour les autres, n'est pas vraiment leur fort !
SLP dédie, au risque (assumé) de surprendre, cette longue étude à la mémoire du camarade antifasciste assassiné Clément MÉRIC, tombé le 5 juin 2013 sous les coups de merdes fascistes arborant fièrement, dans leurs meetings, croix celtiques et drapeaux tricolores ; hérauts de la ‘France éternelle’ et (sans doute) lecteurs assidus de Louis-Ferdinand Céline. Clément a rejoint dans l’éternité de nos mémoires les milliers de héros, connus ou anonymes, de son Finistère prolétarien natal comme des maquis partisans de notre Occitanie et d'ailleurs. Nous lui dédions cet article car, lorsque l’on découvre certaines connexions, tout ce qui y est dit s’éclaire dans une magistrale illustration ; et apparaît clairement le ventre fécond d’où a surgi la Bête immonde qui a emporté notre camarade.Nous avons critiqué ici l’idéalisme de Simone Weil, mais nous n’oublions pas qu’il y avait un monde pour lequel elle se battait, le même que nous et que Clément ; et puis il y avait le monde pour lequel se battaient les Céline et les Brasillach, et se battent aujourd’hui les nervis d’Ayoub et de Gabriac, du Bloc identitaire et de Marine Le Pen : deux mondes définitivement antagoniques, et le temps de la GUERRE DES MONDES est désormais venu !
[1] En Grande-Bretagne, les paysans chassés de leurs terres par les enclosures, devenus ‘vagabonds’, sont quant à eux assignés au travail forcé dans les workhouses, gigantesques ateliers de confection semi-esclavagistes, donnant ainsi naissance au prolétariat britannique ; ou envoyés dans les colonies sous le régime très dur de l’’engagisme’ - indenture (ils y deviendront les ‘petits blancs’). Des choses similaires - mais pas aussi institutionnalisées - existèrent dans toute l’Europe occidentale (ateliers de charité en 'France' et 'engagisme' pour les Antilles ou le Canada, etc.).
[2] L'autorité politique, du seigneur local jusqu'au grand duché et au-delà au roi ou à l'Empereur germanique, et de l'abbé jusqu'à l'évêque, l'archevêque et le Pape, fonctionnait sur un mode de subsidiarité (l'autorité supérieure étant le 'recours' face à l'autorité inférieure) ; le seigneur ou l'autorité religieuse locale étant elle-même souvent un simple 'arbitre supérieur' des communautés villageoises ou urbaines s'administrant elles-mêmes : l'autonomie locale était énorme.
[4] Théorie selon laquelle une fois que le prolétariat (enfin bon... EUX-MÊMES prétendant incarner le prolétariat) a pris le pouvoir, le système politique est 'parfait', 'supérieur' ; tout ce qu'il reste à faire est de développer les forces productives, qui sont 'en retard' sur l'organisation politique de la société ; c'est cette contradiction qui est la contradiction principale du 'socialisme' tel qu'ils le conçoivent. Cette théorie a démontré, une fois mise en pratique, être une véritable usine à nouveaux bourgeois, ces bourgeois qui émergent au sein même de l'appareil - Parti, État - révolutionnaire ; car tous les rapports sociaux inégalitaires hérités du passé restent en place voire, même, sont renforcés comme prétendument 'nécessaires' à l'effort productif. Le maoïsme (le vrai, pas le fana-stalinisme vite fait repeint !) nous enseigne au contraire que le développement des forces productives, le 'progrès', ne PEUT PAS aller sans la transformation révolutionnaire de tous les rapports sociaux dans le sens du communisme : la révolution MARCHE SUR SES DEUX JAMBES, le mouvement de l'une accompagnant le mouvement de l'autre. Si l'on ne marche que sur une seule jambe, on ne peut pas avancer. La mise en pratique de cet enseignement fut la Grande Révolution culturelle prolétarienne (GRCP).
Lire à ce sujet : La théorie des forces productives à la base du révisionnisme moderne (texte de la "Cause du Communisme", brochure de l'OCML-VP, 1980)
[3] À ce sujet, l'on peut encore (aussi) lire ce texte, édifiant par rapport à tout ce que nous venons de voir (on passera généreusement sur le petit passage contre Staline "limite pire" que Hitler, le propos n'en reste pas moins intéressant) :
La France éternelle
Ce bref rappel de faits universellement connus résout déjà la question posée en ce qui concerne la France. Il n’y a pas de « France éternelle », tout au moins en ce qui concerne la paix et la liberté. Napoléon n’a pas inspiré au monde moins de terreur et d’horreur qu’Hitler, ni moins justement. Quiconque parcourt, par exemple, le Tyrol, y trouve à chaque pas des inscriptions rappelant les cruautés commises alors par les soldats français contre un peuple pauvre, laborieux et heureux pour autant qu’il est libre. Oublie-t-on ce que la France a fait subir à la Hollande, à la Suisse, à l’Espagne ? On prétend que Napoléon a propagé, les armes à la main, les idées de liberté et d’égalité de la Révolution française ; mais ce qu’il a principalement propagé, c’est l’idée de l’État centralisé, l’État comme source unique d’autorité et objet exclusif de dévouement ; l’État ainsi conçu, inventé pour ainsi dire par Richelieu, conduit à un point plus haut de perfection par Louis XIV, à un point plus haut encore par la Révolution, puis par Napoléon, a trouvé aujourd’hui sa forme suprême en Allemagne. Il nous fait à présent horreur, et cette horreur est juste ; n’oublions pas pourtant qu’il est venu de chez nous.
Sous la Restauration, plus encore sous Louis-Philippe, la France était devenue la plus pacifique des nations. Pourtant à l’étranger, le souvenir du passé faisait qu’on continuait à la craindre, comme nous avons craint l’Allemagne après 1918, et à regretter que ses vainqueurs ne l’eussent pas anéantie en 1814 ou 1815. Parmi les Français eux-mêmes beaucoup désiraient ouvertement la guerre et la conquête, et se croyaient un droit héréditaire à l’empire du monde. Que penserait-on aujourd’hui, par exemple, de ces vers écrits en 1831 par Barthélemy, poète alors populaire :
... Berlin est le domaine / Que la France a pour but lorsqu’elle se promène.
Et que penser d’ailleurs de tant de vers de Hugo à l’éloge des conquêtes françaises, où l’habitude ne nous laisse plus voir qu’un exercice littéraire ? Par bonheur, ce courant ne l’emporta pas ; pour des raisons mystérieuses la France avait cessé d’être une nation conquérante, du moins en Europe. Le Second Empire même ne put par ses folies en faire une nation conquérante, mais seulement une nation conquise. La victoire de 1918 l’a rendue, si possible, moins conquérante qu’avant, de sorte qu’elle croit ne l’avoir jamais été et ne plus pouvoir le redevenir. Ainsi changent les peuples.
Si l’on remonte plus haut dans le passé, il y a analogie entre Hitler et Louis XIV, non certes quant à leur personne, mais quant à leur rôle. Louis XIV était un roi légitime, mais il n’en avait pas l’esprit ; les misères de son enfance, environnée des terreurs de la Fronde, lui avaient donné pour une part l’état d’esprit des dictateurs modernes qui, partis de rien, humiliés dans leur jeunesse, n’ont cru pouvoir commander leur peuple qu’en le matant. Le régime établi par lui méritait déjà, pour la première fois en Europe depuis Rome, le nom moderne de totalitaire. L’abaissement des esprits et des cœurs pendant la seconde partie de son règne, celle où a écrit Saint-Simon, est quelque chose d’aussi douloureux que tout ce qu’on a pu voir par la suite de plus triste. Aucune classe de la nation n’y a échappé. La propagande intérieure, malgré l’absence des moyens techniques actuels, atteignait une perfection difficile à dépasser ; Liselotte, la seconde Madame, n’écrivait-elle pas qu’on ne pouvait publier aucun livre sans y insérer les louanges du roi ? Et pour trouver aujourd’hui quelque chose de comparable au ton presque idolâtre de ces louanges, ce n’est pas même à Hitler, c’est presque à Staline qu’il faut penser. Nous avons aujourd’hui l’habitude de voir dans ces basses flatteries une simple clause de style, liée à l’institution monarchique ; mais c’est une erreur ; ce ton était tout nouveau en France, où jusque-là, sinon dans une certaine mesure sous Richelieu, on n’avait pas coutume d’être servile. Quant aux cruautés des persécutions et au silence établi autour d’elles, la comparaison se soutient facilement. L’emprise du pouvoir central sur la vie des particuliers n’était peut-être pas moindre, quoiqu’il soit difficile d’en juger.
La politique extérieure procédait du même esprit d’orgueil impitoyable, du même art savant d’humilier, de la même mauvaise foi que la politique d’Hitler. La première action de Louis XIV fut de contraindre l’Espagne, à qui il venait de s’allier par mariage, à s’humilier publiquement devant lui sous menace de guerre. Il humilia de la même manière le Pape ; il contraignit le doge de Gênes à venir lui demander pardon ; il prit Strasbourg exactement comme Hitler a pris Prague, en pleine paix, parmi les larmes des habitants impuissants à résister, au mépris d’un traité tout récemment conclu et qui avait fixé des frontières théoriquement définitives. La dévastation atroce du Palatinat n’eut pas non plus l’excuse des nécessités de la guerre. L’agression non motivée contre la Hollande faillit anéantir un peuple libre et fier de l’être, et dont la civilisation à ce moment était plus brillante encore que celle de la France, comme les noms de Rembrandt, Spinoza, Huyghens le montrent assez. On aurait peine à trouver dans la littérature allemande contemporaine quelque chose de plus bassement cruel qu’un petit poème gai composé à cette occasion par La Fontaine pour prédire la destruction des cités hollandaises . Que La Fontaine soit un grand poète rend seulement la chose plus triste. Louis XIV devint enfin l’ennemi public en Europe, l’homme par qui tout homme libre, toute cité libre se sentaient menacés. Cette terreur et cette haine, on les voit dans les textes anglais de l’époque, par exemple le journal de Pepys ; et Winston Churchill, dans sa biographie de son illustre ancêtre Marlborough, témoigne rétrospectivement à Louis XIV les mêmes sentiments qui l’animent contre Hitler.
Mais le véritable, le premier précurseur d’Hitler depuis l’Antiquité est sans doute Richelieu. Il a inventé l’État. Avant lui, des rois, comme Louis XI, avaient pu établir un pouvoir fort ; mais ils défendaient leur couronne. Des sujets avaient pu se montrer citoyens dans le maniement des affaires ; ils se dévouaient au bien public. L’État auquel Richelieu s’est donné corps et âme, au point de n’avoir plus conscience d’aucune ambition personnelle, n’était pas la couronne, encore moins le bien public ; c’était la machine anonyme, aveugle, productrice d’ordre et de puissance, que nous connaissons aujourd’hui sous ce nom et que certains pays adorent. Cette adoration implique un mépris avoué de toute morale, et en même temps le sacrifice de soi-même qui accompagne d’ordinaire la vertu ; ce mélange se trouve chez Richelieu, qui, disait, avec la merveilleuse clarté d’esprit des Français de cette époque, que le salut de l’État ne se procure pas par les mêmes règles que le salut de l’âme, parce que le salut de l’âme se fait dans, l’autre monde, au lieu que les États ne peuvent se sauver que dans ce monde-ci. Sans recourir aux pamphlets de ses adversaires, ses propres mémoires montrent comment il a appliqué ce principe, par des violations de traités, des intrigues destinées à prolonger indéfiniment les guerres les plus atroces, et le sacrifice de toute autre considération, sans exception aucune, à la réputation de l’État, c’est-à-dire, dans le mauvais langage d’aujourd’hui, à son prestige. Le cardinal-infant, dont on a pu voir récemment à Genève le visage courageux, lucide et triste, peint avec amour par Vélasquez, fit précéder ses armes en France d’un manifeste qu’il suffirait aujourd’hui de traduire, sans changer aucun mot que les noms de Français et de Richelieu, pour en faire une excellente proclamation au peuple allemand. Car c’est une erreur grave de croire que la morale de cette époque, même en matière internationale, différât de la nôtre ; on y trouve, et même dans des discours de ministres, des textes qui ressembleraient aux meilleurs textes d’aujourd’hui à l’éloge d’une politique de paix s’ils n’étaient mieux raisonnés et infiniment mieux écrits. Une partie des ennemis de Richelieu, de son propre aveu, étaient animés par une horreur sincère de la guerre. On avait la même morale qu’aujourd’hui ; on la pratiquait aussi peu ; et comme aujourd’hui tous ceux qui faisaient la guerre disaient, à tort ou à raison, qu’ils la faisaient pour mieux l’éviter.
Si l'on remonte plus haut dans l’histoire de la France, on voit notamment que sous Charles VI les Flamands se disaient entre eux, pour s’encourager à maintenir leurs droits les armes à la main : « Voulons-nous devenir esclaves comme les Français ? » À vrai dire, depuis la mort de Charles V jusqu’à la Révolution, la France a eu en Europe la réputation d’être la terre d’élection non pas de la liberté, mais bien plutôt de l’esclavage, du fait que les impôts n’étaient soumis à aucune règle et dépendaient exclusivement de la volonté du roi. L’Allemagne, pendant la même période, fut regardée comme étant éminemment une terre de liberté ; qu’on lise plutôt les notes de Machiavel sur la France et l’Allemagne. Il en est de même de l’Angleterre, bien entendu, quelques moments pénibles mis à part. L’Espagne n’a perdu toutes ses libertés que lorsque le petit-fils de Louis XIV en eut occupé le trône. Les Français eux-mêmes, depuis Charles VI jusqu’à l’écrasement de la Fronde, ne perdirent jamais le sentiment qu’ils étaient privés de leurs droits naturels et légaux ; le XVIIIe siècle n’a pas fait autre chose que reprendre une longue tradition anéantie pendant plus d’un demi-siècle par Louis XIV. C’est au XIXe siècle seulement que la France s’est regardée elle-même et a été regardée comme étant par excellence un pays de lumière et de liberté ; les hommes du XVIIIe siècle, dont la gloire a tant contribué à donner à la France cette réputation, pensaient cela, eux, de l’Angleterre. Du reste, jusqu’au XVIIe siècle, la culture occidentale formait un tout ; nul, avant le règne de Louis XIV, n’eût songé à la découper par nations. La « France éternelle » est de fabrication très récente.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article893
[* Certes sur le volet du "concert de louanges" envers sa personne (et c'est peut-être vrai que Hitler était relativement "sobre" en la matière, le culte étant d'abord voué à la Nation et à la Race) ; pas de la criminalité proprement dite envers des gens qui n'ont fait que naître ce qu'ils sont, ce sur quoi Hitler reste hors catégorie...
Il n'empêche que ce courant "antitotalitaire" (lire ici, très intéressant : critique-de-la-categorie-totalitarisme-losurdo), grillé à juste titre par ses collaborations maccarthystes d'après-guerre (mais Weil, en l'occurrence, n'aura pas vécu assez longtemps pour cela), est tout de même peut-être celui qui s'est le premier penché, de manière assez intéressante, sur la question de l'État "totalitaire" en relation avec la Modernité ; Weil regardant en l'occurrence plutôt du côté du "colonialisme intérieur" (alors qu'Arendt, dans la deuxième partie "Sur l'impérialisme" de ses "Origines du totalitarisme", plutôt du côté du colonialisme proprement dit, "extérieur").
Il fallait tout de même un sacré culot, au beau milieu des gaullistes de Londres en 1940, pour oser proclamer que le totalitarisme est né... avec Richelieu et Louis XIV.
Elle oublie simplement le fait qu'un changement aussi radical qu'une révolution socialiste, comme le rêve ultra-démocratique égalitaire de 1793, implique forcément dans un premier temps une "dictature de salut public" et donc un prolongement temporaire, toujours chargé d'un potentiel très dangereux, mais inévitable, de l'État moderne... D'où à première vue, si on veut être idéaliste et ne pas voir cela, la qualification de "totalitaire" que l'on peut tout à fait coller sur l'URSS de l'époque - une dictature de salut public qui doit, bien entendu, savoir être transitoire et prendre fin, mais comme on l'a déjà vu http://ekladata.com/Staline-et-la-lutte-pour-la-reforme-democratique.pdf il y a eu des débats là-dessus au moment de la Constitution de 1936 et les Premiers Secrétaires locaux, déjà consolidés dans leurs privilèges de camarillas, ont gagné et empêché cette démocratisation ; embrayant immédiatement sur la Grande Terreur vite suivie de la guerre, un peu dans le même enchaînement que Grande Terreur de Prairial - Thermidor 1794 ici en Hexagone.]
-
Commentaires