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Il y a 390 ans (1624-48) : la France du "Grand Siècle" tremble devant les Croquants d'Occitània !
Le nom de Croquants vient originellement du village de Crocq (Limousin), d'où partit sous Henri IV (1594-95) une première révolte qui s'étendra brièvement aux provinces voisines. C'est à la base un nom donné par l'ennemi : les révoltés s'intitulent eux-mêmes les "Tard-Avisés", c'est-à-dire ceux qui en ont beaucoup supporté avant d'en venir à la révolte. Cependant, comme c'est souvent le cas dans l'Histoire, il sera peu à peu repris par les masses populaires à leur compte.Mais le mouvement qui entrera dans l'Histoire sous ce nom est surtout celui qui débutera 30 ans plus tard et durera près d'un quart de siècle (1624-48), touchant principalement les provinces du Périgord, de la Guyenne et du Quercy soit un pays compris entre la Garonne, le Tarn, la vallée de la Dordogne et celle de l'Aveyron contemporainement avec d'autres révoltes en Gascogne, dans le Languedoc (plus bourgeoise et aristocratique, emmenée par le gouverneur Montmorency qui sera vaincu et décapité à Toulouse en 1632) ou en Provence (Cascavèus, 1630), et bien sûr la réduction des places-fortes protestantes comme Montauban ou La Rochelle. Les années 1620 à 1640... ou l'époque du sinistre Richelieu (auquel succèdera en 1642 le tout aussi sinistre Mazarin), tout-puissant "Ministre principal" de Louis XIII et personnage phare de la "Grande Histoire" francouille, dont Simone Weil dira trois siècles plus tard qu'il avait "tué en France tout ce qui n'était pas Paris".
C'est en effet cette époque qui voit la consolidation définitive de la construction monarcho-aristo-bourgeoise "France", prélude au règne du "Roi Soleil" Louis XIV. C'est dans ce cadre que l'État royal supprime (1621-29) les "places du sûreté" que l'Édit de Nantes d'Henri IV avait accordées aux nobles et aux bourgeois protestants du "Midi" (environ 150 places pour la grande majorité en Occitanie : Montpellier, Nîmes, Aigues-Mortes, Nyons, Privas dont 1.500 défenseurs seront sauvagement massacrés après deux semaines de siège en 1629) et qu'un mouvement s'engage pour transformer les "pays d'États" (dotés d'assemblées régionales autonomes, certes très oligarchiques mais endogènes) en "pays d'élections", directement administrés par des "élus" (fonctionnaires nommés !) de Paris. Le refus de cela est directement à l'origine de la révolte du Quercy (actuels Lot et Tarn-et-Garonne) en 1624, ainsi que des Cascavèus aixois en 1630 et du soulèvement de Montmorency en Languedoc (les deux derniers imposant d'ailleurs au pouvoir central de reculer, les assemblées provinciales resteront en place jusqu'en 1789) ; et indirectement du reste car cela permet à la monarchie d'imposer l'arbitraire fiscal aux "provinces" alors que l'entité France est engagée dans une "Guerre de Cent Ans" (commencée sous François Ier et qui durera jusqu'en 1659) contre sa rivale espagnole, ce qui grève lourdement le budget de l'État. Pour autant, dire que "le peuple était écrasé d'impôts" ne peut se suffire à soi-même comme explication : le "croquandage" est bel et bien un rejet populaire généralisé de la transformation du païs occitan en "province" de l'État français. On ne soulignera jamais assez combien ce 17e siècle que célèbrent les historiens de la bourgeoisie (et certains "maoïstes" !), et pour cause vu qu'il est celui de la consolidation définitive de la France autrement dit de leur base d'accumulation première, du grand râtelier auquel ils bouffent tous, n'a pratiquement pas connu une année sans révolte du peuple dans une "province" ou une autre de l'Hexagone.
Comme les Camisards des Cévennes trois quarts de siècle plus tard (années 1700, sous Louis XIV), c'est une véritable guerre engageant des milliers de combattants et mobilisant des régiments royaux entiers contre elle ; et une guerre profondément POPULAIRE (même lorsqu'elle met à sa tête des petits bourgeois, comme le médecin Joan Petit, ou des nobliaux dans la continuité des faidits comme La Mothe) qui de surcroît, à la différence des Camisards, ne reste pas "repliée" sur l'identité religieuse protestante : les paysans, artisans, manœuvres et autres "gueux" qui la mènent sont aussi bien protestants que catholiques et, à vrai dire, écœurés par les possédants de l'un comme l'autre des deux camps qui se sont affrontés pendant près d'un demi-siècle, mettant le "Midi" à feu et à sang (ainsi le vicomte de Turenne, sur le territoire duquel se trouve Crocq, est un grand aristocrate protestant). Passé un premier temps où fonctionne encore le fameux mythe du "bon roi mal conseillé" (surtout que le roi gascon Henri IV jouit en Occitanie d'un préjugé favorable), les revendications et les actions des Croquants se font extrêmement radicales pour l'époque et les notables épouvantés les accusent de vouloir établir une "démocratie à la mode des Suisses" ou pire encore, un véritable communisme populaire comme "la secte des enragés anabaptistes" de Thomas Münzer en Allemagne, qui avait mené une redoutable Guerre des Paysans au siècle précédent.
C'est que, après la première crise générale de la féodalité (12e-15e siècles) qui a donné naissance aux grands États modernes en Europe (sauf l'Allemagne et l'Italie), une nouvelle crise vient dès le milieu du 16e siècle mettre à mal ces constructions "bâtardes" de féodalité et de capitalisme. Les grandes révoltes qui (dans toutes les "provinces") émailleront le "Grand Siècle" d'Henri IV, Louis XIII et Louis XIV seront finalement toutes matées, mais elles mettront à l'ordre du jour la "révolution" bourgeoise (prise en main de l'État par la bourgeoisie pour elle-même). Lorsque celle-ci éclatera enfin en 1789, comme nous l'avons déjà expliqué, elle verra s'exprimer de manière savamment enchevêtrée les aspirations populaires à la démocratie et à l'égalité sociale et les aspirations bourgeoises à faire triompher l'accumulation du capital et enclencher la "révolution" industrielle ; mais elle verra aussi s'affronter la bourgeoisie centraliste du Bassin parisien, souhaitant conserver et même renforcer sa prééminence historique, et celle (fédéraliste) de "province" voulant réaffirmer les "libertés" (autonomies) médiévales dont l'Ancien Régime l'avait progressivement dépouillée. Comme nous le savons tou-te-s, la seconde (les célèbres girondins) sera défaite et les masses populaires de Paris seront happées derrière "leur" bourgeoisie au service de ses plans centralistes, tandis que celles de "province" seront happées derrière les résidus des vieilles classes féodales (clergé ou noblesse encore "ancrée dans le terroir" et traditionnellement respectée) luttant pour le retour de la monarchie. On trouvera encore le reflet de ces contradictions, au siècle suivant, dans l'opposition entre les communes (dépositaires de la communauté populaire pré-capitaliste et des "droits communaux" sur les pâturages, les forêts, les ressources en eau etc.) et les préfets de l’État instaurés par Napoléon, serviteurs zélés du Grand Capital dans sa guerre pour arracher la force de travail aux moyens de production et à tout moyen de subsistance autre que le salaire [s'il est encore (et nous pensons qu'il est encore) besoin d'illustrer la notion sociale de Centre et de Périphérie, on peut aussi regarder cette très intéressante carte des rébellions collectives contre les forces de répression pour la période 1800-1859... évocateur !].
L'Occitanie, partagée durant la Révolution et l'Empire suivant divers clivages (comme celui entre catholiques et protestants dans le Languedoc) entre "bleus" républicains et "blancs" royalistes et/ou entre jacobins centralistes (nombreux furent les Occitans dans leurs rangs : Barère de Vieuzac - notable bigourdan, grand propriétaire terrien et opportuniste politique de première, par ailleurs pourfendeur acharné des langues populaires nationales ; Carrier, Barras etc.) et girondins fédéralistes, sortira du dilemme en 1848 en se ralliant massivement à une ligne "rouge" démocrate-socialiste d'esprit fortement décentralisateur. Mais c'est une autre histoire, bien que se situant dans la stricte continuité.
Certains meneurs croquants comme l'artisan Buffarost, le médecin de campagne Joan Petit ou (surtout) le paysan Pèire Grellety seront de véritables génies guérilleros dignes prédécesseurs de Mao, Giap, Che Guevara ou Amilcar Cabral ! Malheureusement, l'absence de véritable perspective révolutionnaire organisée (même "démocratique" bourgeoise) fera que même victorieux, ils arracheront tout au plus quelques concessions fiscales et vagues promesses... et/ou avantages pour eux-mêmes : invaincu et après avoir défilé triomphalement dans Périgueux à la tête de 200 hommes (le célèbre ouvrage 700 ans de révoltes occitanes de Gérard de Sède évoque même des... drapeaux rouges !), Grellety se voit... intégré à l'armée royale qu'il a jusque-là combattue, avec le grade de capitaine, et finira même gouverneur de Vercelli dans le Piémont (alors occupé par les troupes françaises). C'était pourtant l'un des leaders les plus "socialistes" de l'insurrection !
C'est que le Peuple travailleur ouvrier et paysan n'avait bien sûr, à cette époque, aucune idée de comment conserver et tirer parti d'un rapport de force favorable : il n'avait pas de stratégie de conquête/instauration du Pouvoir populaire, que le prolétariat et les autres classes populaires possèdent désormais avec le marxisme-léninisme-maoïsme. Les cantons alpins suisses y avaient "réussi" aux 13e-14e siècles : pour être exact, ils avaient maintenu la république solidaire-égalitaire montagnarde contre la tentative (autrichienne) d'instaurer un pouvoir étatique fort. Le capitalisme était alors dans ces régions plus qu'embryonnaire ; en se développant, il différenciera les classes sociales et transformera ces républiques paysannes en États bourgeois oligarchiques (les cantons plus urbains qui adhéreront par la suite comme Zurich, Berne, Vaud, Genève etc. seront du même acabit). Pour les hussites tchèques (au 15e siècle) ou les paysans allemands de Münzer (au suivant), en revanche, il était déjà trop tard : bien que parfois hostiles à un arbitraire monarchique excessif, les bourgeois, aristocrates et autres notables et possédants locaux se retourneront systématiquement contre les masses populaires pour préserver leurs intérêts de classe. Il n'en ira pas autrement pour les Croquants en Terre d'Òc ; et face à cela les masses n'avaient pas encore les "armes" intellectuelles et politiques pour établir un ordre social égalitaire. Encore deux siècles plus tard (décembre 1851), ayant tenu en échec les troupes de Louis-Napoléon "Badinguet" Bonaparte, les ouvriers et les paysans de Haute-Provence (bercés de sornettes sur l'"indivisibilité de la Républiiiiique") prétexteront de l'échec du soulèvement républicain à Paris pour déposer les armes, au lieu de maintenir et "bétonner" leur BASE ROUGE derrière le verrou infranchissable des Mées. En 1871, le même type de stratégie hésitante conduira les Communes de Paris et d'Òc (Marseille, Narbonne, Limoges etc.) au massacre que l'on connaît.
La condition paysanne ne s'améliorera guère dans les campagnes du Périgord-Quercy-Guyenne au cours des siècles suivants, la région comptant encore au 19e siècle l'une des plus fortes proportions de métayers misérables d'Hexagone (c'est le cadre temporel du célèbre Jacquou le Croquant d'Eugène Le Roy, où le hobereau est en l'occurrence un bourgeois "racheteur" plus ou moins auto-anobli après la "révolution"), avant que la "révolution" industrielle et l'exode rural allant de pair n'achèvent de la désertifier et de transformer tout ce beau monde en prolétaires ouvriers... Mais le souvenir des héroïques révoltés continuera à vivre dans le cœur des masses populaires jusqu'à nos jours : en 1967, d'anciens FTP de la Résistance antifasciste déposeront à Saint-Mayme (son village natal) une plaque rendant hommage à Pierre Grellety ; et encore en 1980, dans une manifestation à Sarlat, une jeune manifestante pouvait scander "je suis fille et petite-fille de Croquants" !!! Voilà quelque chose que certains "maoïstes", à n'en pas douter, auraient qualifié de "dimension identitaire allant de pair avec la teneur corporatiste des revendications" : comme tant d'autres "avant-gardes" d'aujourd'hui comme d'hier, leur vision du "socialisme" n'est nullement d'en finir avec l'exploitation de la force de travail et la négation des Peuples qui l'accompagne, mais bien de la perpétuer à la place de l'actuelle bourgeoisie, que malgré toutes leurs "grandes études" ils n'ont pas réussi à intégrer...
La vérité c'est que Croquants et Camisards, démocrates-socialistes de 1851 et partisans de 1940-44 (contre l'envahisseur nazi et ses kollabos BBR) doivent être nos figures tutélaires, et leur geste héroïque la RÉPÉTITION GÉNÉRALE de la Guerre populaire prolongée que nous devons et voulons mener, pour une Occitanie libre et socialiste !
Ci dessous, nous vous invitons à parcourir une très intéressante petite étude sur le sujet (source) qui s'appuie, pour l'essentiel, sur l'ouvrage de Gérard de Sède (qui n'est hélas pas trouvable en version numérisée) :
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