À la base, cet article critique d'un journaliste américain ; dont nous pouvons dire que nous partageons à peu près mot pour mot le point de vue sur ce chercheur que nous avons déjà évoqué un certain nombre de fois dans nos colonnes ; réservé aux abonnés, le voici consultable en PDF : Télécharger « Gilets jaunes pourquoi Guilluy pose problème.pdf »
"De toute façon EN TANT QUE TELLE sa notion de "France périphérique" est déjà floue.
Ça veut dire quoi au juste ?
Les gens qui s'éloignent des centres villes parce qu'ils veulent s'éloigner des ghettos urbains (plutôt en proche banlieue) sans avoir les moyens d'accéder aux centres (d'où les bobos et la gentryfication les chassent également) ? Qui vont vivre à 50 km de Paris plutôt qu'à 10 ? Un peu vers les Monts du Lyonnais ou la frontière iséroise ou le début de l'Ain plutôt que Vaulx en Velin et Vénissieux ?
Dans ce cas ce n'est pas vraiment périphérique et même EN CONTRADICTION avec sa PROPRE carte... :
http://ekladata.com/oIQZzI3_xi-cxgRVoOkxXLkgGUk.jpg
Sur laquelle ce qui tire vers le blanc n'est PAS périphérisé, et on voit bien que c'est le cas de la grande région parisienne et des alentours de Lyon... Tout en voyant bien, par contre, un grosse tache bleue sombre (territoire ultra relégué) au nord-est de la capitale qui n'est autre que le 93.
Par contre on voit bien, très bien même, une France rurale effectivement périphérique... Qui correspond de fait, d'ailleurs, souvent aux nationalités historiquement annexées par l’État français : Bretagne, Occitanie, Lorraine et ch'Nord, Franche-Comté et même dans une certaine mesure Alsace et Alpes arpitanes (du Nord, dont la Savoie), Catalogne et Pays Basque du Nord, Corse (qui n'apparaît pas ici sur la carte) etc.
Mais ça bien sûr, en bon chevènemento-séguiniste, il n'en parle jamais. C'est complètement hors de sa grille d'analyse.
Et de toute façon, bien sûr, en tant que nationalités européennes opprimées-périphérisées elles sont MOINS opprimées que des colonies et néocolonies. Dont les ghettos urbains sont le "prolongement" en métropole.
Donc en fait tout le "génie" de Guilluy c'est que ses travaux donnent une carte qui NOUS donne raison (nous "l'Internationale domestique", si on veut) et le contredit lui."
"Disons qu'il y a de toute façon une stigmatisation du "quartier", c'est à dire concrètement des QPV/ZUS, qui sont pour ainsi dire "faits" pour être le dernier cercle de l'enfer social ; stigmatisation qui peut aussi toucher des indigènes qui se cassent eux aussi dès qu'ils peuvent, quitte à galérer 20 ans comme des malades pour payer leur petite baraque. Déjà on peut estimer que les 2/3 des indigènes ne vivent pas dans ces quartiers qui n'abritent que 7% de la population hexagonale (4,5 millions de personnes, or il y a déjà facilement le triple de non-Blancs). Il y en a, en nombre, dans mon immeuble qui est de standing modeste mais pas du tout QPV, par exemple.
Mais bien sûr aussi et surtout les Blancs, se cassent, déjà parce que même en laissant de côté la motivation ouvertement raciste ("y a plus qu'des Arabes et des Noirs ici, j'en ai marre"), ils en ont globalement plus le POUVOIR... Meilleurs salaires en moyenne, meilleures possibilités de promotion sociale en tout cas, pas de problèmes de discrimination dans la recherche de leur nouveau logement, etc.
Parce que vouloir partir du quartier "prioritaire" c'est une chose ; mais ce qui compte c'est surtout de pouvoir le faire ! Et évidemment on le peut d'autant plus qu'on est blanc.
En fait si on veut parler de France périphérique il faudrait déjà commencer par dire que les pires périphéries, en raisonnant exclusion sociale et pas distance géographique des centres urbains, ce sont les quartiers "prioritaires".
Déjà parce que, comme le dit Guilluy lui-même (je l'ai lu de sa plume), ce sont les premiers "sas" où s'installent en Hexagone les nouveaux immigrés... autrement dit les populations les plus périphériques qui soient : celles qui viennent de l'Empire néocolonial. Quoi de plus périphérisé, relégué, opprimé ?
Mais il ne fait pas ce lien. Pour lui les gens viennent un peu pour le plaisir on dirait, si c'est pas carrément pour le plaisir de nous faire chier.
Ces périphéries absolues que sont les quartiers, il choisit de les ignorer dans son analyse. Qui est donc biaisée de base."
"J'ai des bémols avec l'article : comme je l'ai écrit dans mon article, Guilluy sous entends que les non Blancs des villes sont des gagnants de la mondialisation. Ce qui est complément faux. D'ailleurs les plus pauvres se trouvent dans les ZUS. Or l'auteur de cet article ne met pas en doute ce récit de la France périphérique.
Puis oui, c'est faux de dire que les Blancs ont quitté à contre cœur les banlieues. Ils ont vécu leur départ dans des quartiers pavillonnaires et périphériques comme des promotions."
(en réponse) : "On est d'accord sur le fond, mais tu as des passages où il dit vraiment ça ?
Mon impression était plutôt qu'il les ignorait, en l'occurrence que pour lui le "pire du pire" serait la "France périphériques" des culs-du-monde et pas les ZUS (ce qui est faux, comme tu le dis), ce qui serait quelque part "un mythe de la gauche" ; avec peut-être cette déformation que tu évoquais dans ton texte sur les GJ, de sentiment de "plus grande injustice" parce que (les Blancs) "ils sont chez eux" (à condition d'expliquer en quoi tout un tas de Portugais, Espagnols et autres Européens arrivés dans les années 50-60 le seraient plus que les millions de Maghrébins arrivés à la même époque...).
Mais quand même pas qu'il allait jusqu'à les considérer "gagnants" de la mondialisation (comme les bobos). Va-t-il jusqu'à dire, ou en tout cas sous-entendre que les immigrés seraient (du moins) une "arme" des "mondialistes" pour faire chier les classes populaires blanches et les pousser vers les périphéries ? (ce qui là aussi poserait une condition : expliquer en quoi la France des Trente Glorieuses était gouvernée par des "mondialistes néolibéraux", puisque c'est à cette époque qu'est arrivé de loin le plus grand nombre d'immigrés, par millions et en toute légalité si on allait pas carrément les chercher au bled, sans les moindres restrictions qui sont apparues APRÈS).
Faudrait que je lise des trucs de lui là-dessus plus en détail.
"les Blancs ont quitté à contre cœur les banlieues" : oui, ça c'est faux. Pour tout le monde, en fait, c'est une promotion. C'est juste du bon sens.
Disons qu'une confusion vient peut-être du fait qu'au DÉPART, dans les années 1950-60-70, les barres étaient construites dans un esprit de standing "modeste sup" pour les classes populaires BLANCHES (on n'avait aucune conscience des aspects inhumains de cet urbanisme, c'était "le turfu" quoi).
Pour les immigrés en particulier non-blancs, ben c'était bidonvilles, foyers sordides, squats-taudis des centres villes.
ENSUITE, en même temps qu'on se rendait compte qu'on n'arrivait pas à remplir les barres de Blancs, en raison de l'inhumanité de l'urbanisme, on a vidé les bidonvilles EN DIRECTION de celles-ci. Autrement dit ce sont les barres qui se sont retrouvées assignées à la fonction de ghettos coloniaux-intérieurs, et plus les bidonvilles et autres taudis centrurbains.
Et donc à partir de là, logique, c'est devenu une promotion sociale (pour quiconque, mais évidemment surtout pour les classes populaires blanches) d'en sortir. Alors qu'au tout tout début, peut-être en effet, c'était présenté (du moins) comme une promotion sociale d'y aller, de quitter ses vieilles baraques de banlieue rouge humides et mal chauffées, sans salles d'eau voire cuisines individuelles, pour "le turfu" des "grands ensembles"... Et évidemment, d'y aller en venant d'un bidonville."
Autres réflexions, émises dans un discussion avec l'auteur (membre du PIR) de cet article :
http://indigenes-republique.fr/quartiers-populaires-et-gilets-jaunes-memes-galeres-meme-combat/
"L'étude de l'INSEE que tu cites part sur des catégories assez abstraites. Je veux dire que l'urbain (Roubaix ou Cannes...), le périrubain (bassin minier là-haut chez les ch'tis, ou Monts d'Or près de Lyon...), les "petites et moyennes villes" (Saint-Chamond... ou Vichy) comme les communes rurales, comme tu peux le voir avec les exemples que je donne, ça recouvre des réalités très différentes.
Et même la pauvreté, c'est quoi ? J'imagine que c'est être au-dessous du seuil. Mais même ça, en réalité c'est très arbitraire et ça ne dit rien de comment elle se vit, cette pauvreté, de sa violence.
Pour le coup d'ailleurs, c'est plutôt à la campagne qu'on a longtemps considéré la pauvreté moins violente, plus "bucolique". Mais c'est peut-être en train de changer, avec les déserts de services publics et de vie sociale qui s'installent, ça devient peut-être relou. On a aussi tendance à considérer qu'un ghetto aux portes d'une ville riche (comme typiquement l'Ariane à Nice) vit plus violemment sa pauvreté, est plus exclu que dans une ville lambda comme Châlons-sur-Saône, genre. Mais d'un autre côté, une métropole comme Nice offre aussi plus d'opportunités et de "connectivité" à l'économie mondialisée.
Globalement, j'aime quand même bien cette carte qui ne présente pas "bêtement" les taux de pauvreté ou les niveaux de revenus mais des sortes d'"indices de développement humain" locaux :
http://ekladata.com/oIQZzI3_xi-cxgRVoOkxXLkgGUk.jpg
Carte réputée "guilluyste" mais bon, ce n'est pas basé QUE sur ses travaux et ça contredit, même, souvent son discours idéologique puisqu'on voit bien les gouffres d'exclusion que sont certaines banlieues (notamment le 93 au nord-est de Paris).
Au contraire, elle tendrait même à montrer… que le périurbain se porte plutôt bien, car ce que l’on voit en blanc dessus (niveau de vie correct, "fait-bon-vivre"), ce sont concrètement les zones périrubaines autour des principales métropoles !! (Et nous avons déjà eu l’occasion à SLP de noter que ces zones ; ou du moins, les zones de "contact" entre ce blanc et du bleu profond d'exclusion ; recoupent largement la carte du vote Front National : http://ekladata.com/r8Jd9jB02wvVfjKcIB6nd8Wyxmg.png)
[Ici une autre illustration, cartes à l'appui, de la non-correspondance absolue entre "bassins de vie hyper-ruraux" (où effectivement si on n'a pas 2 000 € par mois de revenus, et c'est rare dans ces coins, bonjour la galère, bonjour quand l'essence augmente, aussi, etc.) et vote Front National ; faisant un peu tomber à plat l'analyse de Guilluy (et autres idées reçues courantes qui ne se réduisent pas à lui : "ce sont les vieux", ou "les paysans", "les gens qui n'ont jamais vu un immigré ailleurs qu'à la télé" etc. etc. qui votent Le Pen), et son lancinant et gênant sous-entendu qu'il faudrait au fond, quelque part, "comprendre" ce vote d'"appel au secours" : http://ekladata.com/Z6kscYc-SpjWSyH2J5t0YTKqQMc.png]
Puis bon si l'idée de Guilluy c'est que "France des périphéries" = "France blanche", déjà il plane complètement. Ce n'est même pas la peine de prêter attention à un "scientifique" qui sortirait des conneries pareilles. La France est un pays d'étalement industriel, de petits bassins industriels ou miniers éparpillés, et les indigènes sont allés partout où il y avait de l'industrie donc à peu près partout. Et pas que dans l'industrie d'ailleurs : les ouvriers agricoles ça existe, aussi. Les Pieds-Noirs ont souvent ramené des ouvriers agricoles maghrébins pour reproduire dans leurs nouvelles propriétés les schémas sociaux du bled.
Des indigènes, il y en a partout. Les quartiers, si on dit que c'est les ZUS, c'est 4,5 millions d'habitants, environ 7% de la population (et pas que des indigènes, déjà).
Le pourcentage total d'indigènes non-blancs en Hexagone, on sait que c'est le double ou le triple, entre 15 et 20%. Dont acte. Où sont les autres, ceux qui ne vivent pas en ZUS ? En réalité, on en trouve ÉNORMÉMENT dans la France périphérique "blanche" de Guilluy.
(...) La notion de QP est en effet extrêmement restrictive, et d'ailleurs, quelles que soient ses arrière-pensées réactionnaires évidentes, si Guilluy existe c'est aussi parce qu'il a cet angle d'attaque. Ce simplisme de la vision de gauche (son nouveau misérabilisme pourrait-on dire) qu'il se fait plaisir à attaquer.
(...) De manière générale, au-delà de la pauvreté réelle il y a la pauvreté symbolique, qui est en principe plus violente en ville (près de la richesse parce que "où vivent les riches" ça aussi ce serait intéressant).
En fait tout est sur le terrain de la pauvreté symbolique je pense.
Symbolique qui rejoint "subjectif", autrement dit tout sauf une science exacte.
Guilluy essaye de faire la pire des pauvretés de celle qui est de moins en moins "moins pénible", sinon "au soleil", du moins dans les champs, la "convivialité" (en voie de disparition) des villages et des petites villes etc. : la pauvreté des zones rurales paumées loin de tout qui se désertifient, où tout lien social disparaît, et (là je cite Houria Bouteldja) "trop pauvres pour intéresser la droite, et pas 'les quartieeeeers' pour intéresser la gauche" (y compris radicale…).
Les concernés diront sans doute qu'il a raison. Mais c'est totalement subjectif et en effet, non sans subjectivité raciste ("nous on est la France qu'est chez elle, les autres ben y z'avaient qu'à rester chez eux").
Il essaye aussi d'associer la pauvreté symbolique à l'immobilité, et de démontrer que les quartiers ghettos ne sont en réalité pas des zones d’assignation à perpétuité mais des 'tapis roulants' où personne ne reste plus de 10 ans, où arrivent en permanence notamment de nouvelles vagues d'immigration (après les Maghrébins des années 1960-70 et encore 80, les Africains des années 1990-2000) tandis que les plus anciens se barrent vers un peu plus de standing... Là-dessus, je ne saurais dire si il a raison (mais il prétend que oui chiffres à l'appui). Et dans tous les cas, faire de l'immobilité un caractère central de l'exclusion, c'est son point de vue et sa subjectivité, et ça fait plus que se discuter. À une époque pas si lointaine, on avait plutôt tendance à associer l'exclusion absolue à la mobilité absolue : vagabondage, prolos itinérants de ville en ville en quête d'un job etc.
[En fait déjà, avec sa théorie du "tapis roulant" à "flux tendu", avec des gens qui arrivent en permanence notamment de l'étranger et d'autres qui se cassent en permanence dès qu'ils peuvent, je pense que quand il dit QP il parle des ZUS... Mais tous les quartiers populaires ne sont pas des ZUS, déjà. Même les quartiers à forte population indigène sont loin d'être tous classés ZUS. À Lyon par exemple, tout ce qui est à l’Est du Rhône sauf le 6e arrondissement et un peu vers Montchat est globalement populaire, avec une large population indigène (au moins un quart de la population facile), mais loin d’être totalement ZUS (ce n’est le cas que de quelques quartiers : Guillotière, Mermoz, États-Unis et Gerland à Lyon même, Parilly à Bron, Tonkin à Villeurbanne etc.). Les 50% les plus pauvres de la population peuvent être considérés classes populaires et leurs quartiers des quartiers populaires. Ou même seulement les 30% les plus pauvres si on veut ; mais les ZUS c'est 7% de la population, des territoires bien précis et délimités.]
Mais dans un autre registre de violence sociale symbolique (car ils sont plusieurs, les registres), l'affirmation qu'il y a des violences symboliques que le blanc précaire à ~ 800€ de rentrées par mois ne subit pas, et que l'indigène à boulot stable à 1300€ par mois subit, est tout aussi vraie (sinon plus)."
On pourrait encore ajouter, à toutes ces critiques, celle d'une certaine ANHISTORICITÉ.
C'est à dire que comme tout son courant de pensée disons "républicain à l'ancienne", pour Christophe Guilluy tout tourne autour de "la mondialisation", depuis 30 ou 40 ans, et les "gagnants" et "perdants" de celle-ci.
Mais il n'y a pas, AVANT ce phénomène dit de "mondialisation", la FRANCE, la "République une et indivisible" et l'Empire "civilisateur", là encore avec leurs "gagnants" et leurs "perdants", en CONTINUITÉ avec ceux d'aujourd'hui...
Pourtant, sans même aller chercher les colonies (serait-ce d'ailleurs nécessaire, tant tout le monde est censé savoir ce qu'il s'y est passé ?), il y a des géographies qui ne mentent pas... Comme par exemple celle des faits émeutiers collectifs contre les forces de l'ordre au 19e siècle :
http://ekladata.com/D8YydCMnLVR-a_C68PJRgCFYyB4.jpg
[Ces quelques réflexions ont été postées sur une page Facebook dédiée au géographe, et une personne (du moins) y a répondu, permettant à un débat de s'engager :
"Sans être béat d'admiration pour les travaux de Guilluy, il me semble que votre propos peine à convaincre car votre argumentation n'est pas très rigoureuse (dans ce post facebook en tout cas). Peut-être que le problème principal vient de votre mécompréhension (assumée) du terme de "périphérique" tel qu'il est utilisé par Guilluy. Cet adjectif peut et doit être compris à différents niveaux (ce que fait pourtant bien Guilluy dans ses textes). Un niveau de lecture essentiel qui semble vous échapper est la disparition des classes populaires rurales dans l'ensemble de la production médiatique, culturelle, académique et scolaire (et aussi quasiment du champ politique), ce qui est attesté par ailleurs par d'autres travaux dans d'autres champs disciplinaires (je pense notamment à François Chevalier dans le "Mépris de soi", mais qui également marginal dans son champ). Il nous vous aura pas échappé que cette disparition totale ne concerne pas les "banlieues" et autres quartiers à acronymes qui monopolisent depuis plusieurs décennies l'ensemble des discours publiques du champ social, ainsi que les subventions qui en découlent. L'adjectif de périphérie doit aussi, et peut-être surtout s'entendre au sens des représentations, il s'agit de 30% ou plus de la population du pays qui est passée hors-champ, qui a disparue entièrement de tous les indicateurs, de toutes les études, de tous les discours. Et je vous confirme que les gamins de cette périphérie ne bénéficient d'aucun "privilège racial" puisque c'est surtout cela qui semble vous obséder."
"Ah d'accord, il s'agirait donc d'une exclusion avant tout des représentations, discours médiatiques, champs d'études universitaires...
Là dessus on peut être d'accord alors. Comme dirait une copine : trop pauvres pour intéresser la droite (à part une séance de touchage de cul des vaches de temps en temps)... et trop blancs pour intéresser toute une gauche qui essaye désespérément depuis 30 ans au moins de jouer la "pote" de non-blancs qui s'en branlent d'elle, de son paternalisme et de ses sermons, et qui ne l'ont jamais attendue pour s'organiser et lutter... Et ce faisant, a totalement oublié et s'est complètement coupée de SES peuples, sa responsabilité première, les peuples travailleurs blancs d'Hexagone qui eux oui attendaient d'elle, et qu'elle a de facto laissé au FN."
""Avant tout" je ne sais pas, mais que cette dimension soit très importante, c'est certain. Il ne faut pas évacuer la géographie, la sociologie et l'économie qui restent des déterminants fondamentaux de cette "périphérisation". Mais cette disparition est un élément qui revient aussi dans les études cinématographiques actuelles. Il n'est pas rare dans la production audiovisuelle française que des "étudiants pauvres" ou des chômeurs soient représentés habitants un deux pièces au centre de Paris. Pour ceux qui croient que cela concerne la majorité, c'est clair que ça doit alimenter le ressentiment, notamment des individus racisés qui sont représentés sous d'autres stéréotypes. L'ignorance des réalités sociales du pays est flagrante dans les représentations que la société se donne d'elle-même, et ce n'est sans doute pas le moindre des problèmes que pointent les travaux de Guilluy."
"Disons que le privilège racial existe toujours, c'est juste la base, affirmée même par quelqu'un d'aussi islamo gauchiste que Lyndon B. Johnson : que dans la pire misère les gens puissent se dire "au moins je suis blanc, je suis le corps légitime de cette nation".
Mais c'est vrai que le néolibéralisme a peut-être battu en brèche cela, par rapport à ce qui était disons le schéma 'républicain' classique.
Et c'est vrai que l'autre côté, ces classes populaires ont perdu le 'privilège' qui était d'être au moins le centre d'intérêt de la gauche : 'la classe ouvrière' patati patata."
"Je n'ai pas spécialement étudié le sujet mais je ne pense pas qu'aucun blanc ne se soit jamais dit "au moins je suis blanc, je suis légitime" et ce pour plusieurs raisons. Un argument qui vient je crois des théoriciens du racisme d’État est que le blanc n'est pas une couleur mais une norme (c'est-à-dire que le blanc comme le noir ne se pense pas comme tel avant que la société le mette en face du racisme structurel qui fait émerger la conscience d'incarner une race, puisque le blanc n'y est pas confronté il ne va jamais se dire "ah tiens je suis blanc" à moins d'un contexte particulier. C'est aussi cela qui alimente l'impression que les blancs ignorent leurs privilèges, d'où la nécessité évoquée par certains de le leur rappeler). À cet argument (que je considère avec distance mais intérêt) je rajouterai volontiers que le pauvre blanc rural ne se sent pas légitime depuis sa prime scolarisation qui lui fait bien sentir l'absence de légitimité ("l'école c'est pas pour moi"). Seul le bourgeois se sent légitime dans ce pays j'ai l'impression, mais pas grâce à sa couleur mais grâce au fait que la culture de ses parents est également la culture rentable scolairement (d'où le fait qu'il se sente comme chez lui à l'école, à l'université, dans le monde académique. Culture que sa classe s'échine à faire passer pour naturelle, "nous sommes doués, c'est de famille, c'est dans le sang"). C'est d'ailleurs le fond de commerce d’Édouard Louis actuellement : le pauvre doit travailler (au sens de faire un travail sur soi aussi) pour obtenir sa légitimité sociale et pour se sentir légitime, mais chez le transclasse elle ne devient jamais consciente ou évidente d'après Chantal Jacquet reprenant Hoggart, et demeure ad vitam ce sentiment d'être étranger à la fois à sa classe d'origine et à sa classe d'arrivée. Ce sont les Nègres blancs au "sang impur" chantés par la Marseillaise, esclaves dans leur pays depuis 2000 ans."
"Oui, les identités blanche, noire etc. sont socialement construites bien sûr, rien de biologique.
Après, je pense quand même qu'aujourd'hui même au fond de la Lozère on est au courant de l'existence de non-blancs sur Terre et d'une immigration importante de ceux ci en Hexagone, des conflits qui peuvent opposer l'Occident à d'autres aires culturelles etc.
Maintenant c'est vrai (et d'ailleurs ça contredit aussi un peu Guilluy) que les cartes du vote FN montrent quand même une certaine, relative, proximité géographique de l'électeur FN avec ces populations qu'ils rejettent.
Ce seront, souvent, les fameux périurbains qui se sont activement éloignés des villes pour les fuir.
Contrairement à cette rengaine, un peu ancrée dans l'antiracisme moral SOS que le vote Le Pen serait une affaire de bouseux complets du fin fond de la cambrousse, qui n'ont 'jamais vu' un Arabe ou un Noir de leurs vies (car sous entendu, s'ils en connaissaient ils deviendraient tolérant). Ce n'est pas ce que montrent les cartes, qui tendent même à montrer... Mélenchon en tête dans une masse considérable de communes rurales occitanes lol.
Et ça contredit donc aussi la carte basée sur les travaux de Guilluy, puisque son bleu le plus profond de relégation rurale ne recoupe pas le bleu marine des cartes du vote FN. Celles ci tendent plutôt à montrer des zones où le blanc de l'insertion dans la 'métropole mondialisée' commence à se mêler de bleu relégation."]
Et un article qui remet un peu les choses en perspective par rapport à cette question de "l'exclusion rurale" :
https://www.inegalites.fr/La-pauvrete-du-rural-est-surestimee-entretien-avec-Louis-Maurin-directeur-de-l
"Les campagnes seraient-elles plus touchées par la pauvreté que les grandes villes ? Un entretien avec Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, réalisé par Vincent Grimault. Extrait du magazine Alternatives Économiques.
L’idée que le rural est pauvre est de plus en plus prégnante dans l’opinion publique. Pourquoi ?
Plusieurs facteurs l’expliquent. Le premier est politique. Des chercheurs, mais aussi une partie de la classe politique, défendent une vision misérabiliste de la France rurale et « périphérique ». C’est une façon de se rapprocher des catégories populaires, une nouvelle « France profonde » en quelque sorte. En parallèle, ils mettent en avant le fait que les banlieues bénéficieraient naturellement des effets positifs de la métropolisation, alors qu’on y trouve les catégories les plus pauvres de France.
Le second facteur est géographique. De nombreux analystes se laissent abuser par le biais de la densité [1]. Sur une carte de France classique, des espaces ruraux quasiment déserts occupent une place considérable. En banlieue, la densité dépasse souvent 10 000 habitants au km2. On surestime la pauvreté en milieu rural parce que visuellement, elle prend plus de place sur une carte. Lorsqu’on tient compte de la densité de la population, on voit bien que les pauvres vivent surtout en ville et en périphérie proche.
Le dernier facteur est sociologique. Pendant longtemps, on a disserté sur la « moyennisation » de la société française. On l’a tellement surestimée qu’on a ensuite tenu en réaction une analyse opposée tout aussi exagérée. C’est la théorie de la société en sablier avec, en haut, des riches qui seraient dans les métropoles, au milieu, peu ou pas de classe moyenne et, en bas, des pauvres relégués dans le périurbain et le rural. Or, les banlieues sont moins favorisées que le périurbain et, dans une moindre mesure, le rural. Ceci n’empêche pas qu’il y ait des difficultés à l’extérieur des villes bien sûr, mais il ne faut pas en faire des martyrs non plus.
Quelle est donc l’étendue des difficultés ?
On trouve beaucoup plus de pauvres dans les villes, mais il existe dans les campagnes une pauvreté structurelle. Notamment – mais pas uniquement bien sûr – de femmes d’agriculteurs à la retraite et de personnes âgées en général. Ce n’est pas la même chose d’être pauvre à vingt ans et à 80 ans. À cet âge, vous n’avez plus d’espoir de refaire votre vie, à part peut-être en gagnant au Loto. Cette situation est d’autant plus marquée que les services publics sont lointains à la campagne. Il faut aussi prendre en compte cette dimension.
Logement moins cher d’un côté mais coût des déplacements plus élevé de l’autre... Qui est gagnant en matière de coût de la vie ?
Le coût du logement est de loin le plus déterminant et la vie est beaucoup plus chère de ce fait en centre-ville. Ce sont des dépenses essentiellement contraintes, notamment pour une partie des jeunes qui subissent des prix exorbitants pour des petites surfaces. C’est un transfert massif de richesses, notamment des jeunes vers des bailleurs, qui sont souvent de vieux actifs ou des seniors. On parle beaucoup de la hausse des coûts du logement, mais on ne signale jamais que les loyers versés ne tombe pas dans un puis sans fond : certains en profitent largement.
Le carburant a un impact moins élevé sur le budget des ménages. C’est loin de rattraper le coût du logement, même si ce poste de dépenses n’est pas négligeable pour les 5 % des Français qui vivent dans le rural isolé, surtout quand le prix du pétrole s’envole, que l’euro se déprécie face au dollar et que les taxes sur les carburants progressent. Quand le litre d’essence à la pompe flambe, ceux qui sont dépendants de l’automobile se sentent piégés. Cela dit, c’est aussi, pour certains d’entre eux, le prix qu’ils consentent à payer pour avoir de la tranquillité et une bonne qualité de vie.
La cohésion sociale, supposée supérieure en milieu rural, est-elle un atout non monétaire majeur en matière de condition de vie ?
Le concept de « cohésion sociale » est une notion très vague qui n’a pas beaucoup de sens pour moi et, quoi qu’il en soit, il est très difficile à mesurer. En schématisant, la ville, c’est à la fois la perte des repères, une forme « d’anomie » disent les sociologues, mais aussi une formidable liberté : elle permet à de nombreux individus d’échapper au contrôle social du voisin. À la campagne, on se connaît mieux, on s’entraide car on sait qu’il est moins facile d’avoir de l’aide, mais on sait aussi tout ce que vous faites, ce qui est loin d’être toujours facile. L’exode rural a aussi correspondu à une forme de libération des individus à l’égard de relations de proximité pesantes. Ne poussons pas tout de même trop loin le raisonnement : de nouvelle formes de contrôle arrivent en ville et n’idéalisons pas les liens sociaux en milieu rural…
Être pauvre à Bobigny ou à Guéret, est-ce la même chose ?
C’est difficilement comparable. Globalement, vivre avec 500 ou 600 euros par mois, cela ne revient pas au même en matière de modes de vie, de logement, de consommation. À Guéret, les prix du logement sont moindres, mais vous n’avez pas accès aux mêmes services, au même bassin d’emploi. Si vous êtes jeune, l’intégration dans l’univers professionnel n’est pas simple. C’est pour cela que l’on compte peu de jeunes dans la Creuse, en proportion de la population.
Au-delà, la question qui est posée est celle de « l’effet territoire ». Le plus souvent, les inégalités territoriales sont des inégalités entre milieux sociaux dont on ne veut pas dire le nom. Elles n’ont rien à voir avec la géographie physique. Si, par exemple, la réussite scolaire est moindre dans certains territoires, c’est d’abord parce qu’ils sont peuplés de catégories sociales défavorisées, même si la concentration de pauvreté peut avoir un effet propre. Même chose avec la santé : c’est essentiellement la composition sociale du territoire qui détermine par exemple l’espérance de vie, les pratiques locales ne jouent que très marginalement. Pourtant, l’effet du territoire n’est pas nul, notamment quand on concentre des populations modestes entre elles. C’est par exemple le cas à l’école : la ségrégation scolaire pénalise les élèves en difficulté et joue sur le niveau éducatif global de notre pays.
Propos recueillis par Vincent Grimault.
Entretien extrait d’Alternatives Économiques, publié le 2 janvier 2019."
[=> Ce qui finalement pourrit la question ce n'est pas tant de reconnaître, comme le fait implicitement à un moment Maurin, que la ruralité arrive sans doute en deuxième position en termes de bas revenus et autres critères d'exclusion derrière les banlieues (sous-entendu) "difficiles" ("les banlieues sont moins favorisées que le périurbain et, dans une moindre mesure, le rural"). Et même pourquoi pas, selon les endroits, le périurbain et les petites villes (puisqu'on peut considérer les "Hauts de France" d’Édouard Louis comme intégralement du périurbain, en fait).
Ce qui la pourrit c'est plutôt le premier point qu'il cite et qui est le plus important : une démarche POLITIQUE, qui consiste à comparer et OPPOSER ces pauvretés/exclusions. En clair : à mettre en avant la pauvreté rurale/provinciale comme plus illégitime et injuste parce que eux, hein m'sieur, "ils sont chez eux", va savoir si leurs ancêtres n'étaient pas déjà là à l'arrivée de Jules César (et tant pis si l'inexistence absolue d'indigènes dans ces territoires, en considérant "gaulois" les Blancs espagnols ou portugais arrivés il n'y a pas bien longtemps non plus, reste largement à prouver...).
Démarche classique de la droite et de l'extrême-droite ; de plus en plus rejointes, dans le climat de droitisation ambiant, par une "gauche" qui a pendant 30 ans voulu jouer "les quartiers"/"les victimes du racisme" comme nouvelle clientèle électorale (donnant effectivement aux classes populaires blanches une impression de désintérêt pour elles), mais comprend qu'elle s'y est cassée les dents et se met donc à la remorque des "impertinents" du Prix Zemmour, bref change d'option misérabiliste.
Il est surtout là le problème. Pas dans une bataille de statistiques qui d'un côté feront toujours apparaître les mêmes faits objectifs (pire pauvreté dans les "quartiers prioritaires", raison même de leur caractère "prioritaire", en fait, mais loin d'être inexistante ailleurs) ; mais de l'autre ne résoudront jamais la question des subjectivités, car quand on galère assez objectivement on ne pense jamais spontanément à celui qui est dans une pire situation que soi (les Somaliens qui meurent de faim qu'on te sort quand tu as 8 ans pour te faire "t'estimer heureux", les Rroms quand on est arabe ou noir de cité, ou les non-Blancs colonisés intérieurs de cité quand on est Gisèle 80 ans au minimum vieillesse au fond de la Haute-Loire, ou ses enfants témoins de sa situation).]