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Un "fondamental" sur la question de la Libération révolutionnaire des Peuples (LRP) et de la révolution prolétarienne : Giuseppe Maj du (n)PCI
La lutte pour le droit à l’autodétermination nationale dans les pays impérialistes
Article de Giuseppe Maj, membre du (nouveau) Parti communiste italien, paru en « Combat breton » no. 214 e 215 (nov. et déc. 2003). Diffusion par le Comité contre la Criminalisation de la Lutte pour la Reconstitution d’un Parti Communiste en Italie
http://www.nuovopci.it/eile/fr/nazstato.html
Dans l’article « La tête de mort » (cf. Combat breton n° 206, mars 2003), Jean-Pierre Le Mat appelle les camarades d’Emgann (le Mouvement de la gauche indépendantiste de Bretagne) à encadrer leur lutte dans le temps (dans l’histoire) et dans l’espace (dans l’actuel contexte social et politique), donc à définir l’objectif de leur lutte : c’est-à-dire ce qu’ils veulent et pas seulement ce contre quoi ils luttent. Autrement dit, Jean-Pierre Le Mat les pousse à ne pas rester un parti de la subversion et à se transformer en vrai parti révolutionnaire.
Je suis un représentant du mouvement communiste italien. Je suis un des communistes qui luttent pour reconstruire un vrai Parti communiste en Italie. Plus précisément, je suis membre de la Commission Préparatoire du congrès fondateur du (nouveau) Parti communiste italien. La bourgeoisie impérialiste italienne a à peu près les mêmes problèmes que la bourgeoisie des autres États européens. La crise générale du capitalisme avance et elle doit éliminer les droits et les conquêtes de civilisation et de bien-être que les masses populaires lui ont arraché au cours des 70 premières années du XXème siècle, pendant la première vague de la révolution prolétarienne. Les masses populaires s’opposent à cette élimination et partout dans le monde la bourgeoisie impérialiste emploie tous les moyens que la situation politique concrète du pays lui permet d’employer pour empêcher la formation des centres d’agrégation, de promotion, d’orientation, d’organisation et’ de direction de la résistance des masses populaires. Le mouvement communiste et le (nouveau) Parti communiste italien sont donc frappé par dès campagnes de répression qui se succèdent les unes après les autres. Suite à la collaboration des autorités françaises avec les autorités italiennes, je suis prisonnier depuis le 23 juin à la maison d’arrêt de Paris-La Santé, tandis qu’un autre membre de la Commission Préparatoire est incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis. À la Santé, j’ai rencontré des prisonniers politiques bretons, corses, basques et musulmans et j’ai pu mieux connaître le Mouvement de la gauche indépendantiste bretonne. Historiquement, la prison est une école pour nous les communistes et les révolutionnaires, la répression pousse à développer la lutte antirépressive. Donc, même si la bourgeoisie ne le veut pas, la contre-révolution aide au développement de la révolution ; comme Marx le disait dans « Les luttes de classes en France, 1848-1850 » : « ... C’est seulement en faisant surgir une contre-révolution compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment révolutionnaire ».
Nous les communistes italiens, nous soutenons les luttes pour le droit à l’autodétermination nationale même dans les pays impérialistes. Pourquoi ? En répondant à cette question, on aborde implicitement les sujets posés par Jean-Pierre Le Mat. À mon avis la réponse peut intéresser les indépendantistes bretons et les communistes de France.
Le droit à l’autodétermination nationale (qui bien sûr comprend le droit à la sécession et à constituer un État indépendant, il s’agit donc d’une chose tout à fait distincte de l’autonomie locale) est un des droits démocratiques des masses populaires. Or la défense et l’élargissement des droits démocratiques des masses populaires dans les pays impérialistes constituent un aspect incontournable de notre lutte pour créer des nouveaux pays socialistes et pour avancer vers le communisme sous les drapeaux du socialisme.
Pendant son essor et la construction de son système social en Europe occidentale, c’est-à-dire dans la période qui s’étire du XIIème jusqu’au XIXème siècle, la bourgeoisie a créé ses États nationaux. Poussée par les besoins de ses affaires et de ses échanges la bourgeoisie a cherché à créer des marchés et des champs d’action toujours plus larges et à les transformer selon ses besoins. Elle a exploité l’héritage culturel et politique que l’histoire lui léguait pour éliminer les barrières entre populations et entre régions. Elle a exploité l’unité politique pour unifier les populations de grands territoires même sur le terrain de l’activité économique, de la langue, du droit civil et pénal, de la culture : dans toutes les relations qui forment la « société civile ». D’une façon ou d’une autre elle a obligé des populations différentes entre elles à former une seule nation.
Il est indéniable que les nations actuelles de l’Europe occidentale sont des formations économico-sociales bâties au cours de la période comprise entre le XIIème et le XIXème siècle. Cela doit être dit face à ceux qui pensent que les nations actuelles sont constituées par une liaison de sang (comme jadis les nobles pensaient que la noblesse était composée par des personnes de « sang bleu ») ou par d’autres caractères naturels, psychologiques, physiques, mystiques qui remonteraient dans le passé lointain.
En règle générale les actuelles nations d’Europe occidentale n’ont pas été formées par agrégation, fédération ou fusion des différentes populations : bien au contraire cela a été un processus de conquêtes, de soumissions, d’annexions, d’assimilations jusqu’à effacer la langue, les usages, les coutumes et à dissoudre les réseaux locaux de relations en tous genres qui différenciaient la population d’une région par rapport à la population dont la bourgeoisie dirigeait le processus.
Cette méthode collait bien à la nature du capital : le capital le plus fort soumet les capitaux plus faibles, il annexe leurs éléments composants (ouvriers, moyens de production, ressources naturelles,...) et les transforme selon ses besoins. La nature du capital réverbère sa lumière sur la formation des nations actuelles de l’Europe occidentale comme sur tous les processus sociaux dirigés par la bourgeoisie.
En plus, de ce côté-là, la nouvelle classe dirigeante collait très bien avec la tradition féodale de conquête et d’annexion, la favorisait et en élargissait le rayon d’action. Ce n’est pas par hasard que jusqu’à la Première Guerre mondiale (1914-18) les intérêts dynastiques des familles royales européennes ont joué un rôle si important dans l’action des États bourgeois ! La création du système colonial et les guerres entre États nationaux européens qui ont ensanglanté l’Europe et le monde ont été les expressions les plus élevées et extrêmes de ce processus de conquête, d’expansion, de soumission, d’assimilation qui a créé les États nationaux de l’Europe occidentale et qui a effacé tant de variétés sociales qui existaient en Europe au commencement du XIIème siècle...
Pour des raisons différentes mais bien déterminées cas par cas, même dans les territoires soumis aux plus grands États nationaux européens (ou dérivés comme les USA, Australie, Canada, et les États de l’Amérique Latine) il y a des petites nations qui ont plus ou moins bien survécu à ce processus d’effacement de leur identité. Elles ont survécu assez longtemps pour que leur résistance ait rejoint la lutte croissante des masses populaires des grandes nations européennes et dérivés, des colonies et semi-colonies contre l’ordre social bourgeois et contre le système impérialiste dans lequel l’ordre social bourgeois a débouché.
Cette lutte croissante est ce qu’on appelle le mouvement communiste. C’est la dénomination donnée dans « L’idéologie allemande » (1845-1846) par Marx et Engels au mouvement pratique qui transforme et dépasse l’ordre social bourgeois et porte vers le communisme. Ils ont fondé la conscience de ce mouvement pratique : le mouvement communiste comme mouvement conscient et organisé. Le mouvement communiste par sa nature a besoin d’avoir cette expression consciente et ce moteur conscient constitué par les Partis communistes. Il ne pourrait pas s’accomplir autrement. Le mouvement communiste a conduit les grandes masses populaires à accomplir, pour la première fois dans toute l’histoire, une action politique autonome par rapport aux classes dominantes : nommément par rapport à la bourgeoisie et aux autres classes réactionnaires.
Par conséquent, il a donné une nouvelle impulsion aussi à la résistance des petites nations qui n’avaient pas encore été effacées par le rouleau, dans le creuset, par le moulin de l’essor de la bourgeoisie. À partir de cette conjonction, la résistance des petites nations à la bourgeoisie est devenue une lutte pour l’autodétermination nationale, tandis qu’avant c’était une lutte pour revenir au passé ou pour le perpétuer. Elle a acquis un nouveau caractère créé par le contexte différent qui l’encadre (cela est un fait objectif, même si ses protagonistes n’en sont pas conscients), par les influences réciproques qui de toutes façons se sont réalisées et se réalisent entre les différents fronts de lutte contre l’ordre social bourgeois, par les liaison mêmes organisationnelles et idéologiques qui se sont nouées entre les luttes des petites nations et les autres luttes qui forment le mouvement communiste.
Ce n’est pas par hasard que les petites nations dont nous parions s’éveillent à une nouvelle vie après la moitié du XIXème siècle et le commencement du XXème siècle, quand on entre dans l’époque des révolutions prolétariennes. Ce n’est pas par hasard que la lutte de ces petites nations pour leur survie cesse d’être une lutte dirigée par le clergé, la petite noblesse locale et d’autres classes et couches réactionnaires et cesse d’avoir comme perspective la conservation ou la restauration d’un monde révolu et qu’elle devient une lutte toujours plus placée sous la direction de la bourgeoisie nationale, des travailleurs autonomes (paysans et artisans) et des ouvriers dont la perspective subjective se tourne plus ou moins clairement vers la création d’une nouvelle société nécessairement supérieure à la société bourgeoise. Le mouvement de ces petites nations qui ont survécu au déluge bourgeois fait désormais partie du mouvement communiste en tant que mouvement pratique de subversion et de dépassement de la société bourgeoise.
Quand le mouvement communiste (en tant que mouvement conscient et organisé c’est-à-dire en tant que Partis et Internationale) a-t-il compris que la lutte pour l’autodétermination nationale des petites nations des pays impérialistes avait cette nouvelle caractéristique et qu’elle était partie de lui-même ? Grosso modo au commencement de l’époque impérialiste, lorsque l’époque des révolutions prolétariennes commence et que la classe ouvrière prend le rôle de diriger toutes les autres classes des masses populaires des pays impérialistes (et avant tout de la couche la plus nombreuse des travailleurs autonomes, les paysans) et de les guider à abattre l’État bourgeois, créer des pays socialistes et commencer en tant que pays socialiste à marcher vers le communisme. Dans la même période le mouvement communiste assume comme composante de lui-même également la lutte des peuples des colonies et semi-colonies pour abattre le système colonial, la lutte des femmes pour leur émancipation, la lutte contre la discrimination raciale, etc. Tout cela fait partie du léninisme et donc du marxisme-léninisme, la seconde étape de la pensée communiste.
Le mouvement communiste avait été dès son début sensible à la revendication de l’indépendance de la part de certaines nations opprimées. La première internationale fut fondée (1864) lors d’une assemblée de soutien à l’indépendance de la Pologne. Marx et Engels appuyèrent toujours activement la lutte des Irlandais pour leur indépendance face à l’Angleterre. Mais jusqu’au début de l’époque impérialiste, le mouvement communiste appuyait ces luttes dans le sens que le mouvement communiste faisait partie du mouvement démocratique. En effet, son devoir principal alors était de constituer la classe ouvrière comme classe distincte face aux autres classes de travailleurs, de marquer la différence entre la lutte pour son émancipation collective de la bourgeoisie par le dépassement du capitalisme face aux luttes plus ou moins réactionnaires des autres classes de travailleurs et de doter la classe ouvrière de sa conception du monde et de son organisation : en synthèse d’asseoir les prémisses nécessaires pour que la classe ouvrière puisse prendre la direction de tout le mouvement populaire contre la bourgeoisie pour construire des pays socialistes.
C’est seulement lorsque le mouvement communiste eut atteint sa maturité qu’il assuma en lui-même toutes les luttes contre l’ordre social bourgeois qui dès ce moment, dans ce nouveau contexte, devinrent des luttes progressistes : elles ne cherchaient plus à faire revenir en amère l’histoire mais contribuaient à porter les hommes vers le communisme ; le débouché nécessaire, le seul débouché possible de la société bourgeoise. Entre temps la bourgeoisie était devenue la classe dominante au niveau mondial, son ordre social était devenu la base principale commune sur laquelle s’appuyaient pour leur survivance toutes les vieilles institutions et tous les vieux instituts : l’oppression nationale, la discrimination raciale, l’oppression des femmes et des enfants, l’oppression coloniale, l’obscurantisme clérical, toutes les forces, les institutions et les idées réactionnaires : du Vatican, au royaume wahhabite de l’Arabie, au Dalaï Lama.
Avec le léninisme, le mouvement communiste acquit la compréhension développée du fait que la lutte pour le droit à l’autodétermination nationale des petites nations non assimilées dans les pays impérialistes (jusqu’à la sécession et la constitution d’un État indépendant) est devenue un composant de la révolution prolétarienne au même titre que la lutte pour éliminer le système coloniale et semi-colonial, la lutte pour l’émancipation des femmes et des enfants, la lutte pour en finir avec la discrimination raciale, la lutte pour l’autonomie des communautés de base à tous les niveaux, toutes les luttes pour réaliser pratiquement les droits démocratiques des masses populaires, pour les élargir et pour pousser en avant leur participation à la gestion de la société.
Dans son écrit de Juillet 1916 « Bilan d’une discussion sur le droite des nations à disposer d’elles mêmes » Lénine résumait : « La révolution en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement – sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible – et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de touts (bien que pour des raisons différentes) et réaliser d’autres mesures dictatoriales, dont l'ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, lequel ne s’épurera pas d’emblée, tant s’en faut, des scories petites-bourgeoises ».
À partir de ce moment, dans et au nom du mouvement communiste il a encore pu y avoir des prises de position contraires au droit à l’autodétermination des petites nations des pays impérialistes, au même titre qu’il a pu y avoir des prises de position de soutien à l’oppression coloniale (pour exemple les trotskistes dans les années 30 prônèrent l’occupation de la Chine par le Japon, le PCF dans les années 50 s’opposa à la guerre de libération nationale en Algérie, etc.) Mais il s’agit toujours de pas en arrière qui sur le plan théorique faisaient partie d’une plus large opposition au léninisme et d’une déviation du cours principal du mouvement communiste sur le plan pratique (le révisionnisme moderne, le trotskisme, le bordighisme, etc.).
On ne rappellera jamais assez que le Parti communiste français des années 20 et 30 soutenait activement le droit à l'autodétermination et les droits linguistiques des nations soumises à l’État français, au point de défendre dans « l’Humanité » les poseurs de bombes bretons de Gwenn ha Du. Son évolution rétrograde jusqu’au chauvinisme français est bien à interpréter comme une victoire de la ligne bourgeoise en son sein. Les fauteurs de ces pas en arrière les ont justifiés au nom du développement des forces productives : l’oppression par de grandes nations impérialistes aurait été la condition nécessaire du développement économique des nations arriérées. Cette justification s’appuyait sur une interprétation du marxisme que Lénine avait déjà démontré comme étant « Une caricature de marxisme » et de l’« économisme impérialiste ».
Les lois économiques du capitalisme poussent la bourgeoisie à fouler aux pieds les droits démocratiques des masses populaires. Selon les partisans de l’« économisme impérialiste » il ne faut pas mobiliser les masses populaires contre cette tendance de la bourgeoisie impérialiste parce que de toute façon il s’agirait d’une lutte sans issue (voir Lénine « À propos d’une caricature de marxisme » et « À propos de la brochure de Junius », 1916). Bien sûr, la direction bourgeoise de la société rend les relations internationales de plus en plus hostiles à l’indépendance et à l’autodétermination des nations tout comme elle ronge et efface les droits démocratiques dans les relations sociales internes de chaque pays. Mais cela ne signifie pas qu’il est absolument impossible de conquérir des victoires dans les deux domaines tout en restant dans le cadre de la société bourgeoise : toujours plus difficile oui, mais pas impossible. Cela signifie encore moins que les luttes des masses populaires dans ces domaines ne sont pas efficaces pour entraîner les masses populaires dans un mouvement pratique qui les mobilise et les éduque à la lutte révolutionnaire sous la direction de la classe ouvrière et de son Parti communiste.
Bien sûr nous allons vers une fusion au niveau mondial de toutes les nations et de toutes les races dans un seul organisme social. Mais il y a deux manières bien distinctes pour marcher dès maintenant vers la future fusion (tout comme il y a deux manières bien différentes de marcher dès à présent vers la future disparition des artisans, des paysans individuels, des petits commerçants...) :
1° ) La manière bourgeoise. Son essence est la soumission des nations et des peuples les plus faibles, leur oppression et leur effacement. Des gens hypocrites et trompeurs justifient et acceptent cette manière car le résultat serait inéluctable, et ils se dressent avec haine contre ceux qui s’opposent à la manière bourgeoise (souvent en arguant des formes de luttes désespérées bien qu’héroïques qu’ils emploient quand ils ne voient pas d’autres voies).
2° ) La manière prolétarienne. Son essence est la mobilisation à tous les niveaux de chaque couche des masses populaires pour élargir ses droits et ses pratiques démocratiques et résoudre les problèmes de son développement civil en collaborant avec les masses populaires de toutes les nations pour construire ensemble une société mondiale plus avancée. La manière prolétarienne d’avancer aujourd’hui n’est plus seulement une hypothèse raisonnable et souhaitable.
Pendant la première grande vague de la révolution prolétarienne (dans les premières 70 années du XXème siècle), le mouvement communiste a démontré et déployé pratiquement et sur une grande échelle cette manière. La construction de pays socialistes, l’élimination du système colonial, les révolutions de nouvelle démocratie, les démonstrations de la puissance de la ligne de masse (1) comme méthode de transformation et de direction de la société dans tous les domaines sont là pour montrer la manière prolétarienne d’avancer. Bien sûr, les ennemis du communisme et les abrutis qui subissent leur influence cherchent à effacer cette démonstration pratique sur une grande échelle en clamant les centaines de « faits » qui la contredisent. Mais ces « faits », même lorsqu’ils ont réels (et bien sûr il y en a) relèvent des traces de la société bourgeoise que la révolution n’efface pas du jour au lendemain, des difficultés réelles de la transformation, des erreurs de révolutionnaires qui s’éveillent peu à peu de l’abrutissement dans lequel la bourgeoisie et les autres classes dominantes ont depuis toujours éduquées les masses populaires, des limites de compréhension par les communistes des conditions et des méthodes nouvelles dans lesquelles se déroule la nouvelle phase de l’histoire des hommes. Les empiristes (2) ont beau jeu dans tous les domaines de l’expérience de trouver des « faits » qui contredisent le cours principal des choses décrit par la science, ses lois et ses règles. Mais les choses vont de toutes façons dans leurs directions au grand dommage des empiristes ! Après la restauration des nobles et du clergé en 1815, combien de gens intelligents y compris de grands intellectuels comme Hegel juraient que les forces bourgeoises étaient foutues pour toujours (3)? Le mouvement communiste a démontré dans la pratique même qu’il marche vers la fusion des nations justement en réalisant universellement le droit à l’autodétermination nationale et, de manière plus générale, les droits démocratiques, l’initiative et la libération des masses populaires.
La conception jusque là illustrée de la nature et du rôle historique de la lutte des petites nations des pays impérialistes pour leur droit à l’autodétermination nationale nous oblige nous les communistes à suivre deux lignes différentes selon notre position pratique, mais les deux relevantes de l’internationalisme qui est partie constituante incontournable de notre conception de la société... Les socialistes et les communistes qui ont laissé tomber l’internationalisme, sont toujours et pour cause passés au service de la bourgeoisie impérialiste... On le voit dans l’histoire du fascisme italien, du national-socialisme allemand, du sionisme, de Jacques Doriot et ses amis en France et partout ailleurs.
Les communistes des nations dominantes doivent appuyer sans condition le droit des petites nations des pays impérialistes à l’autodétermination ; nommément pour les communistes italiens, je pense aux nations ladine, sud-tyrolienne, de la Vallée d’Aoste, sarde, occitane, albanaise et grecque et pour les communistes français je pense aux nations basque, bretonne, corse, occitane et alsacienne ainsi que tous les peuples et nations des DOM-TOM, et ce jusqu’à la sécession et à la constitution d’un État indépendant (bien sûr le droit au divorce ne veut pas dire que l’on est obligé de divorcer !).
Nous devons soutenir les organisations qui luttent pour faire reconnaître ce droit. Nous ne devons pas fléchir dans notre soutien quelques soient les formes de lutte que ces organisations emploient : si elles sont efficaces, c’est sûr que la bourgeoisie impérialiste, qui est systématiquement maître de la terreur contre les masses populaires, les classera comme « terroristes ». Nous devons tracer notre première ligne de démarcation sur des bases politiques. On peut débattre des formes de lutte plus ou moins efficaces seulement avec les gens qui se battent pour le même objectif. La bourgeoisie au contraire veut toujours mettre en avant les formes et les moyens de lutte parce qu’elle veut conserver le monopole de la violence et des armes. Si on accepte cette condition préalable de la bourgeoisie on ouvre nos rangs à l’action désagrégeante à travers ceux qui s’opposent aux moyens de lutte tout simplement parce qu’ils se fichent de l’objectif, de la victoire et on accepte ainsi le diktat de la bourgeoisie pour savoir qui sont nos amis et qui sont nos ennemis. Les communistes des nations dominantes qui ne suivent pas cette ligne, se livrent sûrement à l’économisme (4) et à la stérilité politique, même si ils en appellent au niveau actuel de compréhension des masses ouvrières. Les masses ouvrières à l’heure actuelle ne croient pas non plus que la création de pays socialistes soit possible et ne le souhaitent peut-être même pas !
J’appelle les camarades des organisations communistes se réclamant du marxisme de l’Europe occidentale à expliquer avant tout à eux-mêmes pourquoi ils appuient le droit à l’autodétermination des nations autochtones des USA, d’Amérique latine, d’Australie etc. ; mais pas le même droit pour les Basques, les Sardes, les Corses, les Bretons... C’est-à-dire chez eux.
Les communistes des petites nations doivent prendre la tête des masses populaires même dans la lutte pour le droit à l’autodétermination nationale tout comme ils prennent la tête des luttes pour défendre et élargir les autres droits démocratiques des masses populaires et des luttes économiques. Avec leur direction ils doivent porter les indépendantistes à ne pas regarder en arrière, à ne pas chercher à puiser la justification de leurs buts dans le lointain passé, dans la mystique ou dans le sang. Leurs buts sont justifiés par les possibilités créées par les acquis matériels, intellectuels et spirituels de la société moderne, par le rôle nouveau que les masses populaires doivent assurer dans la société communiste.
L’expérience pratique de la première vague de la révolution prolétarienne a fait progresser beaucoup les masses populaires... Elles ont toujours plus de mal à subir bien des conditions et d’agissements qu’avant elles trouvaient « naturelles » : la violence contre les femmes et les enfants, la pollution de l’environnement, l’extermination des populations vaincues et des races prétendument « inférieures », la toute puissance des riches et des autorités, la souffrance, ‘l’écrasement des petites nations, etc. Le mouvement pour le droit à l’autodétermination nationale est donc devenu lui aussi un composant de la marche des hommes et des femmes vers le communisme.
Les communistes des petites nations qui ne s’engagent pas dans la lutte en faveur du droit à l’autodétermination nationale n'assument pas leur rôle. Ils n’assument pas la défense de tous les droits démocratiques des masses populaires et ils renoncent à la lutte politique révolutionnaire et vivotent grâce à l’économisme. Ils laissent la porte ouverte aux groupes et aux États impérialistes qui emploient les revendications d’autodétermination nationale des petites nations soumises à des États concurrents comme armes dans les luttes inter-impérialistes, comme moyens d’échange dans leur accord.
Tout juste maintenant nous voyons les groupes impérialistes US, qui nient avec force chez eux tout droit national aux nations indiennes, aux afro-américains, aux portoricains, qui offensent l’indépendance nationale de centaines de nations, qui ont des détachements militaires dans plus de 140 pays du monde et qui sont le gendarme de l’ordre social bourgeois dans chaque coin du monde, se placer dans la posture du promoteur des droits nationaux des albanais du Kosovo et des Kurdes du Nord de l’Irak (mais bien sûr pas des Kurdes de l’Est de la Turquie, tant que la bourgeoisie turque obéit aux ordres). Les groupes et les États impérialistes peuvent exploiter d’autant plus facilement les petites nations quand le rôle du clergé, de la bourgeoisie nationale et des autres notables locaux est important dans le mouvement indépendantiste.
Et le rôle de ces gens-là est inversement proportionnel au rôle des communistes, de la classe ouvrière, et des autres couches de travailleurs exploités. Les groupes et les États impérialistes s’appuient tantôt sur la bourgeoisie nationale, le clergé, et les notables, tantôt sur les masses populaires exploitées par ceux-là, selon les circonstances. Le mouvement indépendantiste peut devenir un mouvement vraiment populaire et donc invincible seulement si il mobilise sur la base de leurs intérêts de classe spécifiques les classes exploitées et opprimées, qui, en ligne générale, forment la partie majeure de la population dans les petites nations.
Les mouvements pour l’autodétermination nationale des petites nations sont face à deux voies. Une voie est celle de la direction des masses populaires par la bourgeoisie nationale, le clergé, les autres notables locaux. Ceux-ci, à leur tour, sont liés par mille intérêts à la bourgeoisie impérialiste de la nation dominante ou d’autres pays. C’est la voie qui porte le mouvement indépendantiste à subir les manœuvres et les intrigues des groupes et États impérialistes... L’autre voie est celle de la direction de la classe ouvrière qui entraîne le reste du prolétariat et des masses populaires et oblige même la bourgeoisie nationale, le clergé et les notables locaux à suivre à la traîne le mouvement indépendantiste pour ne pas se couper des masses populaires d’où ils puisent leur force contractuelle face à la bourgeoisie impérialiste. La direction de la classe ouvrière dans le mouvement pour le droit à l’autodétermination implique aussi une liaison étroite avec le mouvement révolutionnaire des masses populaires de la nation dominante. Dans l’actuelle situation de faiblesse du mouvement communiste, il implique aussi l’aide à son développement auquel presque tous les mouvements indépendantistes de l’Europe occidentale rechignent. Ce qui est aussi, en ligne générale, une condition nécessaire pour la victoire du mouvement national. II est en effet difficile, bien que pas absolument impossible, que des mouvements nationaux comme ceux des peuples basques, bretons, etc. puissent vaincre contre les États impérialistes français, espagnol, etc. si ceux-ci ne sont pas cibles aussi du mouvement révolutionnaire des masses populaires françaises, espagnoles, etc.
C’est cette conception de la société et cette ligne que nous les communistes italiens suivons face aux luttes pour l’autodétermination des petites nations qui ont survécu au rouleau de la bourgeoisie qui dans la période comprise entre le XIIème et le XIXème siècle a effacé bien des variétés sociales qu’abritaient l’Europe, les deux Amériques et l’Australie.
Bien sûr nous ne demandons pas aux protagonistes des mouvements nationaux d’accepter a priori la direction des communistes. Nous appuyons leur lutte et là où c’est possible nous y jouons le rôle qui est le nôtre à nous les communistes dans toutes les luttes des masses populaires contre la bourgeoisie : le rôle que Marx et Engels avaient indiqué au début du chapitre 2 du « Manifeste du Parti communiste » (1948).
Nous sommes sûrs que tous ceux qui continueront à se battre pour le droit à l’autodétermination de leur nation, sans reculer face aux difficultés et à la répression et avec la volonté de tirer les leçons de l’expérience, y compris de l’expérience des défaites, comme tous ceux qui lutteront pour défendre et élargir les autres droits démocratiques des masses populaires, tôt ou tard reconnaîtront que la voie indiquée par les communistes est la seule voie qui les conduit à la victoire et qu’ils joindront le front révolutionnaire anticapitaliste des masses populaires dont nous les communistes de toutes les nations prônons la création et la victoire.
Giuseppe Maj
(membre de la Commission Préparatoire du congrès fondateur du (nouveau) Parti communiste italien)
1er octobre 2003 – 54ème anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine.
Notes:
(1) La ligne de masse est une méthode de travail politique et de direction pratiquée depuis longtemps par les Partis communistes et théorisée par Mao Tse-toung. On peut résumer cette méthode des manières suivantes :
a) Pour aller de l’avant le Parti communiste doit chaque fois recueillir les idées des masses concernées, leurs sentiments, aspirations et états d’âme. Les élaborer à la lumière de la situation objective et de la conception communiste jusqu’à les traduire en objectifs, lignes et mesures. Porter celles-ci aux masses de façon à ce qu’elles les assimilent et les réalisent et recommencer.
b) Quand le PC doit accomplir une tâche il doit dans chaque couche des masses trouver et mobiliser la gauche pour qu’elle rallie à elle le centre et isole la droite.
c) Dans chaque situation et dans tout groupe social il y a toujours deux tendances : une qui porte à progresser plus ou moins directement vers le socialisme et l’autre qui le lie plus étroitement à la bourgeoisie. Le PC doit comprendre clairement et concrètement les deux tendances et travailler de façon à renforcer la première et à affaiblir la seconde. Pour plus d’explications voir : « la ligne de masse » dans « Rapports sociaux » n° 8 à commander au Point du Jour, 58 rue Gay Lussac, 75005 Paris ou chez Edizioni rapporti sociali, via Tanaro 7, 20128 Milano (ltalia) email : resistenza@carc.it
(2) Les empiristes isolent chaque « fait » et ne cherche pas à comprendre d’où il vient, la raison de sa naissance, ses relations avec le contexte, son destin : c’est-à-dire qu’ils nient toute science des faits. Ils isolent arbitrairement chaque fait tandis qu’en réalité chaque fait est partie d’une chaîne générique et sa signification est déterminée par le contexte auquel il appartient. En conséquence, les empiristes donnent des interprétations arbitraires à chaque fait. Le même fait peut être employé pour démontrer une thèse et aussi son contraire. Je pousse mon voisin : si on ne considère pas le contexte, on peut dire que je voulais le tuer et au même titre on peut dire que je voulais le sauver. Le fait est réel mais celui qui le comprend ou bien le présente d’une manière erronée fait de lui un faux. C’est justement ce que font les bourgeois dans leurs critiques des premiers pays socialistes. Ce n’est pas par hasard (par exemple) que dans leurs critiques actuelles à « la dictature de Fidel Castro » à Cuba, ils évitent d’expliquer comment il est cependant possible que Cuba soit le seul pays d’Amérique où personne ne meurt de faim ou d’une maladie soignable, où tous les gamins vont à l’école, etc. Ils glissent et doivent glisser sur le contexte des faits qu’ils exhibent. Tandis qu’un révolutionnaire cherche justement à comprendre et à expliquer tous les faits, même les plus contradictoires à sa thèse.
(3) Pour une analyse scientifique à la lumière du Maoïsme de l’expérience des pays socialistes je conseille l’article «L’expérience historique des pays socialistes » dans « Rapports sociaux » n° 8 et la brochure « I primi paesi socialisti » de Marco Martinengo (Edizioni rapporti sociali 2003) : on peut le trouver en castillan sur le site web de la CP : http://lavoce.samizdat.net (section EiLE)
(4) Là avec le mot « économisme » on désigne la mouvance qui met en 1ère place toujours les luttes revendicatives soit contre les patrons soit contre l’État des patrons et pense qu’on peut aller vers la révolution socialiste en généralisant les luttes revendicatives ou en radicalisant les formes de lutte dans les luttes revendicatives ou bien en y avançant des objectifs toujours plus élevés (cf. Lénine « Que faire ? »).
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