• Tandis que l'intervention impérialiste (sous une forme ou une autre), à moins que Gbagbo finisse par se "coucher", se prépare en Côte d'Ivoire, il ne se dresse (malheureusement) face à elle qu'un gouvernement réformiste social-libéral bourgeois, "mis à l'index" de l'Internationale "socialiste" et qui a fini par se lier à l'impérialisme US hier, chinois et russe aujourd'hui... (intéressant de noter, simplement, que la Françafrique n'est plus en mesure de tolérer même cela).

    C'est pourquoi il est important, plus que jamais, d'étudier le PANAFRICANISME REVOLUTIONNAIRE : la théorie la plus avancée produite par la 1ère vague de la Révolution mondiale (1917-1976) en Afrique. Une théorie qui a, clairement, montré ses limites : ses principaux leaders sont morts (généralement assassinés) et aujourd'hui, toute l'Afrique n'est que sous-préfectures néo-coloniales. Une théorie, donc, qu'il faut dépasser ; mais pour la dépasser, il faut encore la connaître !

    Le texte qui suit est de Ludo Martens, longtemps leader et théoricien du PTB. Nous voyons déjà venir les critiques de ceux/celles qui n'ont que ça à se mettre sous la dent : BIEN SÛR, Servir le Peuple est très éloigné (pour ne pas dire à l'opposé) des positions prises par Martens et le PTB depuis sa fondation (1974) - "trois-mondisme" dans les années 1970, puis "tiers-mondisme" international (pro-Chine, pro-Iran, pro-Corée du Nord, pro-Kabila) et social-démocratie "radicale" en Belgique depuis les années 1990.

    Il faut cependant reconnaître une chose à Ludo Martens : il est extrêmement bien documenté sur l'histoire de mouvement communiste international et sur les "classiques" du communisme ; et il est également un grand connaisseur du mouvement révolutionnaire en Afrique.

    Ce texte est d'une grande importance documentaire : pour Servir le Peuple, il serait inadmissible d'en priver le mouvement communiste francophone renaissant, sous prétexte que l'on a notre opinion sur le PTB. 

    Pour des questions de place, le texte n'est pas reproduit en intégralité : le lien est mis vers les parties non reproduites, mais elles ne parlent pas du panafricanisme révolutionnaire.

    Pour construire, il faut étudier ! Pas de Parti révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ! 

    Source 

    Au milieu du XXième siècle est sorti le fameux livre "Panafricanisme ou communisme?" dans lequel Georges Padmore a tracé la perspective d'une Afrique indépendante, basée sur l'entreprise privée, adoptant une orientation sociale-démocrate et hostile au communisme.(1) Aujourd'hui, nous pouvons dire que ce panafricanisme-là a définitivement échoué.

    Lorsque, bientôt, l'Afrique entrera dans le XXIième siècle, seul un panafricanisme basé sur le marxisme-léninisme pourra exprimer une position révolutionnaire, anti-impérialiste et socialiste.

    En 1970, lorsqu'il a abandonné l'idéologie qu'il avait partagée avec Padmore, Nhrumah écrit: "En Afrique, en Asie et en Amérique latine, l'ébullition économique, politique et sociale doit être expliquée dans le contexte de la révolution socialiste mondiale. Car, aujourd'hui, le processus révolutionnaire réunit trois courants: le système socialiste mondial, les mouvements de libération des peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine et les mouvements ouvriers des pays industrialisés capitalistes".(2) C'est en partageant cette vision, que nous, en tant que communistes oeuvrant en Europe, exprimons notre opinion sur le Panafricanisme du siècle à venir.

    Au cours des quatre décennies passées, les trois courants révolutionnaires mondiaux ont subi de graves défaites dont il s'agit de saisir les causes profondes. Les faiblesses et les erreurs des trois courants ont d'ailleurs exercé une influence réciproque.

    Pourquoi, soixante-dix ans après la grande révolution d'Octobre, le socialisme a-t-il été détruit et le capitalisme restauré en Union soviétique ?

    Pourquoi, trente ans après la grande vague révolutionnaire des indépendances, le néocolonialisme fait-il des ravages jamais vus en Afrique?

    1. La recolonisation de l'Afrique

    La vague révolutionnaire qui a soulevé l'Afrique au cours des années soixante s'est essoufflée depuis longtemps et l'Afrique semble retombée dans la nuit néocoloniale. La presse et les milieux gouvernementaux occidentaux discutent ouvertement de la recolonisation de l'Afrique. Comme à l'époque coloniale, la politique financière et économique africaine est décidée à l'étranger, par le FMI et la Banque mondiale. L'armée française est toujours présente en Afrique, au centre, à l'est et à l'ouest. Les États-Unis aussi disposent de plusieurs points d'appui militaires sur le continent. L'impérialisme a réinventé un "droit d'ingérence militaire pour des raisons humanitaire", droit qu'il avait revendiqué au siècle passé. Un livre commandé par l'armée belge et consacré à l'intervention militaire de la Belgique en Somalie, affirme que la première intervention humanitaire belge eut lieu en 1885 au Congo, sous le règne de Léopold II...

    Comment expliquer un échec aussi fracassant ?

    D'abord, le processus de décolonisation a été le résultat de plusieurs facteurs.

     Il y avait le mécontentement profond et la révolte des populations africaines qui a pris parfois la forme de résistances armées.

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, les puissances coloniales, et notamment la France, la Grande Bretagne et la Belgique, furent gravement affaiblies. L'Union soviétique socialiste, qui avait porté l'essentiel de l'effort de la guerre anti-fasciste, voyait son prestige augmenter parmi les forces nationalistes du tiers monde.

    La politique extérieure révolutionnaire de l'Union soviétique, ainsi que l'exemple de la Chine et du Vietnam qui ont réalisé leur révolution nationale et démocratique, ont encouragé les peuples de l'Afrique et de l'Asie à lutter contre les puissances coloniales, pour leur indépendance.

    Les États-Unis étaient favorables à la fin du régime colonial et à son remplacement par le néocolonialisme qui leur permettrait de remplacer ses concurrents belges, français, anglais et portugais.

    Une fraction de la bourgeoisie des pays colonisateurs, souvent liée à la social-démocratie, comprenait la nécessité d'un changement de tactique pour sauver l'essentiel.

    Ces facteurs ont contribué à ce que la plupart des mouvements de libération n'aient pas eu le temps de mûrir politiquement et organisationnellement.

    Au Congo belge, le premier parti politique a été créé en octobre 1958; un an plus tard, la date de l'indépendance était fixée. Sans formation universitaire, pratiquement sans expérience politique, sans la moindre connaissance du marxisme et du chemin parcouru par les révolution socialistes, les "évolués" n'étaient pas armés pour affronter les difficultés politiques qui les attendaient. La domination intellectuelle de l'Église catholique belge au Congo fut telle qu'un homme comme Lumumba n'avait jamais eu la possibilité de lire un seul ouvrage marxiste-léniniste. Lorsqu'en 1960, il devient un nationaliste révolutionnaire, la Belgique ameute tous les réactionnaires noirs pour dénoncer "l'homme du colonialisme communiste et de l'impérialisme marxiste-léniniste" , comme le disait le porte-parole de Mobutu en septembre 1960.(3) L'anticommunisme fut la clé de la domination intellectuelle du colonialisme et du néocolonialisme au Congo.

    Lumumba avait autour de lui une poignée d'éléments nationalistes révolutionnaires qui s'opposaient réellement à la continuation de la domination belge sous d'autres formes. Mais ils n'avaient pas le bagage politique pour s'orienter dans une situation interne tout à fait inédite. Le passage du colonialisme au néocolonialisme a transformé en peu de temps et de fond en comble la situation matérielle et la position sociale de quelques milliers de petits bourgeois. D'un coup, ils devenaient membres d'une nouvelle bourgeoisie bureaucratique et compradore. Ces privilégiés de l'indépendance formelle se sont transformés en une force contre-révolutionnaire, opposée à l'approfondissement de la lutte pour une indépendance politique et économique authentique. Les rares dirigeants qui défendaient cette dernière option - Lumumba, Mpolo, Mbuyi, Elengesa et tant d'autres - furent assassinés ou contraints à l'exil, comme Mulele et Bengila. Le discours nationaliste révolutionnaire de Lumumba fut vite récupéré de façon démagogique par ceux-là mêmes qui l'avaient tué, avant tout par Mobutu. À aucun moment, la bourgeoisie belge, épaulée désormais par les États-Unis, n'a perdu le contrôle ni sur l'économie, ni sur l'appareil d'État, ni sur les organisations politiques congolaises.

    Le lumumbisme, idéologie de la lutte anti-impérialiste et démocratique au Congo, n'est pas sorti des limites de la pensée bourgeoise radicale; aussi ne pouvait-il pas affronter les problèmes du néocolonialisme.

    En fait, l'idéologie de Nkrumah, beaucoup plus sophistiquée et élaborée que celle de Lumumba, n'est pas non plus arrivée à dépasser ces limites, du moins pendant la période où il gouvernait le Ghana.

    Nkrumah a été fortement influencé par Padmore, nationaliste africain proche de la social-démocratie internationale et opposé au marxisme-léninisme. Dans sa propre idéologie, le consciencisme, Nkrumah a voulu appliquer les "vraies valeurs" de la société traditionnelle africaine, de l'islam et du christianisme, c'est-à-dire l'humanisme, l'égalitarisme, le collectivisme, à une société en voie d'industrialisation. L'application de ces concepts idéalistes et petit-bourgeois ne permettait pas à Nkrumah d'appréhender les réalités économiques, politiques et sociales qui l'entouraient. À l'époque, il ne reconnaissait pas l'universalité de la science marxiste-léniniste et, par conséquent, il ne pouvait pas cerner les mécanismes de la formation des classes sociales au Ghana, ni développer une lutte de classes anti-impérialiste et anti-capitaliste conséquente, ni adopter les structures d'un parti d'avant-garde, capable d'affronter l'impérialisme et la bourgeoisie.

    Pendant que Nkrumah parlait d'égalitarisme et de collectivisme, une nouvelle classe bourgeoise se développa à l'intérieur de l'appareil de l'État; elle utilisa cet appareil pour s'enrichir de façon légale et illégale; le népotisme, la fraude et la corruption se développèrent.

    Ces bourgeois contrôlaient aussi la machine du Convention People's Party, parti unique. Parmi eux on trouvait des hommes liés à la vieille aristocratie, des hommes sans scrupule capables de tenir n'importe quel discours pour arriver au pouvoir et amasser des fortunes et des partisans de l'entreprise privée. Certains avaient des liens ouverts avec l'ambassade de l'Allemagne fédérale et à travers elle, avec les Américains et les Britanniques. Nkrumah critiquait la corruption des hauts fonctionnaires de son parti mais, adversaire de l'analyse rigoureuse des classes et des intérêts des classes, il croyait que le discours humaniste et collectiviste pouvait "transformer" tous les hommes.

    Nkrumah était l'homme le plus avancé et le plus radical de sa génération. Mais il n'était pas un marxiste-léniniste. Il était seul, entouré de quelques fidèles dans un parti dont les fonctionnaires étaient fondamentalement hostiles à ses idées. Dès lors le coup d'État contre-révolutionnaire, néocolonial du 24 février 1966 était inévitable.

    Le lumumbisme et le consciencisme étaient les idéologies les plus avancées de la petite-bourgeoisie africaine révolutionnaire et anti-impérialiste. Ces courants politiques marquaient une étape nécessaire dans le mûrissement idéologique des peuples africains.

    Entre 1944 et 1956, deux courants principaux du processus révolutionnaire se sont développés avec force. Le premier, celui de la construction du socialisme en Union soviétique, puis en Chine populaire, réalisa une alternative au monde capitaliste. Le second, la lutte révolutionnaire anti-coloniale et anti-impérialiste, attaqua la base des super-profits que le capitalisme occidental empocha dans le tiers monde. Ce second courant porta ainsi des coups mortels à la grande bourgeoisie occidentale.

    Le passage d'une révolution démocratique (révolution bourgeoise, révolution nationale et anti-coloniale) à la phase d'une révolution socialiste, la transformation d'une révolution nationale et démocratique en révolution socialiste, est une question capitale. C'est aussi un processus révolutionnaire très compliqué.

    La révolution anti-coloniale des années cinquante et soixante en Afrique avait deux options stratégiques. Elle pouvait être dirigée par une coalition entre la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie nationales et dans ce cas la rupture avec le système capitaliste mondial ne serait pas radicale. À terme, la bourgeoisie africaine devait alors se réconcilier avec la grande bourgeoisie internationale et réintégrer le marché capitaliste mondial.

    L'autre voie consistait à lutter pour une indépendance totale et pour le socialisme, deux aspects inséparables. La révolution anti-coloniale devait affronter frontalement la grande bourgeoisie occidentale et rompre avec elle dans le domaine politique, militaire, économique et culturel. Dans ce combat, la révolution africaine devait s'allier au socialisme mondial, le principal adversaire de la bourgeoisie occidentale dominant l'Afrique. Pour mener ce combat, la révolution africaine devait s'armer en conséquence. Il fallait passer de l'idéologie révolutionnaire nationaliste à l'idéologie socialiste, du lumumbisme et du consciencisme au marxisme-léninisme.

    Grâce à cette transformation, l'Afrique pouvait tirer profit de certaines expériences fondamentales qui correspondaient assez bien à ses propres conditions. En effet, le passage direct d'une société féodale et dominée à une société socialiste avait déjà été réalisé dans les Républiques asiatiques de l'URSS ainsi qu'en Chine, en Corée et au Vietnam.

    Le passage de l'idéologie nationaliste à l'idéologie marxiste-léniniste s'imposait à tous les révolutionnaires africains, partisans de l'indépendance total. Ainsi, au Congo-Kinshasa, Pierre Mulele, suite à l'assassinat de Lumumba et à la trahison de la plupart des lumumbistes, fit le bilan du nationalisme congolais. Mulele, tout en gardant les aspects révolutionnaires du lumumbisme, assimila le marxisme-léninisme qu'il appliqua à la réalité spécifique de la révolution congolaise. L'insurrection populaire qu'il dirigea entre 1963 et 1968 a atteint un niveau politique et organisationel de loin supérieur au stade lumumbiste. Osende Afana et beaucoup d'autres combattants de l'indépendance africaine ont pris la même option. Cette voie révolutionnaire aurait pu s'imposer en Afrique et en Asie au cours des années soixante, et ainsi contribuer à sceller définitivement le sort à l'impérialisme. Mais c'est ici que se situe la grande trahison de Khrouchtchev.

    Après son coup d'Etat de 1956, Khrouchtchev changea complètement l'orientation idéologique et politique de l'URSS, révisant tous les principes fondamentaux du marxisme-léninisme. Cette trahison a complètement désorienté les jeunes forces révolutionnaires africaines qui cherchaient encore leur voie. Du temps de Staline, le Parti bolchevik les aidait à réaliser le passage de l'idéologie nationaliste au socialisme scientifique. Krouchtchev et Brejnev, sous un verbiage pseudo-marxiste, les ont repoussés dans l'idéologie petite-bourgeoise.

    Krouchtchev et Brejnev ont nié la nécessité, pour la révolution africaine, de rompre radicalement et totalement avec l'impérialisme. Ils se sont opposés à un travail d'organisation et de conscientisation à long terme au sein des masses ouvrières et paysannes. Ils ont nié la nécessité d'une dictature des ouvriers et des paysans pour mater les forces du néo-colonialisme. Ils n'ont jamais évoqué les luttes de classes complexes qu'il faut mener pour passer du pouvoir ouvrier et paysan à la société socialiste. Ils ont nié la nécessité d'une lutte populaire prolongée contre la bourgeoisie renaissante et contre les intrigues et complots impérialistes.

    Khrouchtchev et Brejnev ont rejeté la thèse que seul un parti marxiste-léniniste peut diriger l'ensemble du processus révolutionnaire aboutissant à l'indépendance et au socialisme. Ils ont rayé l'idée essentielle de Lénine et Staline que le Parti doit mener une lutte incessante contre l'opportunisme, le bureaucratisme, le technocratisme, le carriérisme, le népotisme et le profitariat.

    Ainsi, dans une période cruciale de l'histoire africaine, Krouchtchev et Brejnev ont aidé à désarmer les jeunes forces révolutionnaires au profit de la bourgeoisie.

    Il est donc nécessaire d'examiner les raisons de la dégénérescence de l'Union soviétique, qui a eu des répercussions sur l'ensemble de la situation internationale et notamment sur les révolutions africaines.

    2. La restauration du capitalisme en Union Soviétique

    3. Les leçons de l'expérience historique de l'Union soviétique 

    4. La nature du panafricanisme

    En Afrique, il y a nécessairement autant de mouvements panafricanistes différents qu'il y a de classes sociales. Au delà des frontières africaines, les courants politiques identiques se soutiennent mutuellement, créant un panafricanisme à contenu de classe déterminé.

    Il y a eu tout d'abord le panafricanisme réactionnaire d'inspiration coloniale.

    Au Congo belge, l'Église catholique a été la première force à préparer la période post-coloniale en formant un personnel politique réactionnaire et pro-impérialiste. L'Église catholique, épaulée par les puissances coloniales, a créé aussi des cadres où des Africains réactionnaires des différents colonies se rencontraient et unifiaient leur pensée politique. Joseph Iléo et monseigneur Malula, deux figures de proue des milieux catholiques, ont joué un rôle déterminant dans le renversement du gouvernement Lumumba.

    L'abbé Fulbert Youlou, le président du Congo-Brazzaville, a été un représentant typique de ce panafricanisme réactionnaire.

    Il commence par parler de la grandeur et de la tradition africaine. "Les civilisations du Bénin et du Nigeria témoignent d'un Moyen Age honorable". "Il est temps que les Africains pensent eux-mêmes leur politique". "L'heure des grands ensembles est aussi l'heure de l'Afrique à son éveil". Les vrais nationalistes doivent s'allier aux "représentants traditionnels de l'Afrique". (16)

    Qui est l'ennemi principal du panafricaniste réactionnaire Fulbert Youlou ?

    "Le péril qui menace l'Afrique aujourd'hui est teinté du jaune communiste de Pékin". "C'est la race noire tout entière qui est menacée d'extermination sous l'occupation massive des vagues chinoises". "L'idéologie mondiale communiste qui a diaboliquement poussé l'Homme d'Occident à douter de la valeur de sa civilisation chrétienne, est la cause essentielle du drame africain." (17) Et Fulbert Youlou de dénoncer tous les "collaborateurs" communistes: "Nkrumah, le complice africain de Mao". "Entre Boumedienne et les Chinois, il y a un pacte de sang". "En Tanzanie, c'est un obscur correspondant de presse de l'agence Chine Nouvelle, Babu, qui déclenche l'insurrection. Au Kenya, c'est M. Odinga Oginga, amateur de tourisme russo-chinois".(18)

    Quelle est la voie à suivre pour l'Afrique ?

    Il faut "une grande stratégie de tous les États du continent noir", à mettre en oeuvre avec Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, Tombalbaye du Tchad, Banda du Malawi, Yaméogo de la Haute-Volta, Diori Hamani du Nigeria, Dacko de la République centrafricaine, le roi Mwabusta IV du Burundi et avec Tshombe et Mobutu au Congo-Kinshasa.(19) "L'unité africaine n'est réalisable que dans l'adhésion du continent noir au bloc occidental". "Je me bats pour que le Marché commun soit étendu à tout le continent africain" . Il faut "associer la défense de l'Afrique à celle du Monde libre" en élargissant "la zone couverte par l'OTAN". "La non-intervention est un encouragement à la destruction de la liberté dans le monde".(20)

    Ce qui frappe le plus dans les propos extravagants de Fulbert Youlou, c'est qu'aujourd'hui, l'effondrement du socialisme et l'échec du mouvement nationaliste africain ont créé les conditions de leur réalisation...

    Toute forme de panafricanisme trouve au niveau mondial des alliés qui partagent ses intérêts de classe.

    Les idées de Fulbert Youlou se retrouvent presque mot par mot dans le livre du major Siegfried Müller, nazi allemand, décoré par Hitler, chefs des mercenaires engagés en 1964-1965 contre la révolution muléliste au Congo. Il écrit: "Le monde libre doit choisir en Afrique les Africains qui ne font pas semblant d'imiter nos théories progressistes et miser avec tous nos atouts sur les Africains fidèles à leurs traditions, leurs coutumes, leurs chefs. Voilà le sens que le mercenaire Müller donne à son engagement aux côtés de l'Armée Nationale Congolaise qui, par la valeur de ses chefs et l'idéal africain du gouvernement et de l'homme qu'elle sert, représente pour la subversion rouge en Afrique le plus solide barrage". "Patrice Lumumba voulait congoliser le Congo avec ses idées volées à l'Occident, contre tous les chefs naturels, toutes les tribus, les clans, les traditions qui sont l'Afrique réelle". "Politiquement, l'Afrique peut, en s'associant au Marché commun, faire son avenir". (21)

    Il y a ensuite le panafricanisme de la petite bourgeoisie, rêvant d'une Afrique politiquement indépendante et unie mais refusant de rompre avec le marché capitaliste mondial et donc avec l'impérialisme.

    Le panafricanisme petit-bourgeois a trouvé ses principaux idéologues en Du Bois, Padmore, Nkrumah et Sékou Touré. Il a un caractère révolutionnaire dans la mesure où il vise à briser les chaînes coloniales et à mettre fin à la domination politique directe de l'Occident sur les pays Africains. Mais les idéologues de la petite bourgeoisie ne sont jamais révolutionnaires jusqu'au bout, ils ne s'attaquent pas aux racines économiques de la domination impérialiste.

    Après la réalisation de l'indépendance africaine, Du Bois prévoyait "une coopération plus étendue avec les dirigeants blancs du monde". (22) Sa formule "l'autodétermination nationale, la liberté individuelle et le socialisme démocratique" correspondait exactement au programme de la social-démocratie, c'est-à-dire à l'aile réformatrice de la grande bourgeoisie européenne. (23)

    Padmore estimait que les "anticolonialistes britanniques" qui suivaient "une politique conséquente" se trouvaient dans le Parti travailliste.(24) Nationaliste petit-bourgeois, Padmore ne voulait rompre ni avec l'impérialisme, ni avec le capitalisme. S'adressant aux États-Unis, Padmore écrit en 1955: "Je puis offrir une garantie contre le communisme. Cette garantie... rendra à jamais cher aux Africains le peuple de la grande république nord-américaine... Les hommes d'État américains n'ont qu'à faire un geste hardi en faveur des Africains... Ce geste doit revêtir la forme d'un programme d'Aide Marshall pour l'Afrique... Quelle belle façon de réparer les torts jadis infligés aux Africains." Puis Padmore juge positif le "Rapport de la Commission Royale relatif à l'Afrique orientale", mais, dit-il, "même les meilleurs plans économiques et sociaux n'aboutiront pas ... sans la bienveillance et la coopération des Africains". "L'assurance, la confiance et le respect mutuel une fois établis entre les leaders africains et leurs conseillers européens, rien n'empêchera le rapide progrès économique et social de l'Afrique". Puis Padmore développe un programme axé sur "les secteurs à l'initiative privée" . Il conclu sur un credo typiquement petit-bourgeois: "Le panafricanisme offre une alternative idéologique par rapport au communisme... Le panafricanisme porte son regard au-dessus des étroits intérêts de classe et de race... il veut une égalité d'occasion pour tous." (25)

    Pendant longtemps, Sékou Touré a maintenu un discours nationaliste, populiste et révolutionnaire qui avait très peu de rapport avec la réalité sociale et économique changeante de la Guinée. Dès le début des années soixante, la corruption se développa parmi les fonctionnaires et quelques purges spectaculaires ne l'ont nullement freiné. En avril 1962, un nouveau code des investissements offrait d'amples avantages et privilèges au capital étranger auquel des hauts fonctionnaires se sont liés à travers des sociétés mixtes. En 1963, le commerce privé fut réhabilité et les mines de diamant dénationalisées, ce qui offrit de nouvelles possibilités d'enrichissement aux fonctionnaires et aux commerçants, les seuls à posséder les capitaux nécessaires. (26) En novembre 1962, Sékou Touré s'était réconcilié avec le "panafricaniste réactionnaire" Houphouët-Boigny qui s'écria lors de sa visite à Conakry: "Hommage à mon frère Sékou Touré, artisan déterminé de l'Unité africaine; nous faisons le serment que nous ne nous séparerons jamais; nous oeuvrons tous pour une Afrique unie, prospère et fraternelle". Un an plus tard, en mars 1963, Sékou Touré déclarait: "Nous n'avons pas dit 'Non' à la France ni à De Gaulle. Au contraire, nous voulions sitôt notre indépendance acquise et garantie, signer des accords d'association prévus par la Constitution Française".(27)

    De nos jours, l'internationalisation de plus en plus poussée de l'économie capitaliste tend à égaliser les conditions d'exploitation économique sur l'ensemble du continent. Sous l'impulsion du capital financier international s'est développé un "panafricanisme de la grande bourgeoisie".

    La Charte de l'OUA de 1963 fixe comme un objectif majeur la coordination de la politique dans le domaine de l'économie, des transports et des communications. Dans l'Acte final de Lagos en 1980, cet objectif est formulé ainsi: "un marché commun africain, prélude à une Communauté économique africaine" afin "d'assurer l'intégration économique, culturelle et sociale de notre continent" .(28) Mais cette "intégration africaine" se fait dans des conditions où l'Occident exerce un contrôle croissant sur la vie économique et financière de l'ensemble du continent! Nous ne sommes pas loin de la définition de l'"Euroafrique", chère aux colonialistes des années 50, ni de l'association de l'Afrique au Marché commun européen, prônée par des réactionnaires comme Fulbert Youlou et Houphouët-Boigny en 1960.

    Comme cela devait se produire nécessairement, le discours nationaliste radical tenu par la petite bourgeoisie au cours des années soixante a été balayé par le développement inhérent au capitalisme. La nécessité de disposer de marchés plus vastes est devenue le moteur du panafricanisme de la bourgeoisie africaine. Ainsi, le panafricanisme de la grande bourgsoie africaine n'est qu'une facette du mondialisme du capital. Les multinationales sont la force dirigeante du panafricanisme bourgeois. Ainsi, les dernières venues des puissances néocoloniales en Afrique, l'Allemagne et le Japon, qui doivent supplanter la concurrence anglo-américaine et française, présentent des projets "panafricains", des travaux d'infrastructure pouvant lier la Méditerranée au Cap et l'Afrique de l'Ouest à la côte est. Dans leurs revues, pour "vendre" ces projets, ils publient même des articles sur les travaux de Cheikh Anta Diop...

    La bourgeoisie du Nigeria, en poussant à la création de la CEDEAO, espérait rafler les marchés de ses quinze concurrents africains plus faibles. Mais finalement, ce n'est pas la bourgeoisie du Nigéria qui profitera du panafricanisme du marché, mais bien les puissances impérialistes qui se livrent une concurrence de plus en plus acharnée pour tous les marchés du monde.

    À l'approche du vingt-et-unième siècle, le seul panafricanisme révolutionnaire est le panafricanisme du prolétariat africain, comme Elenga Mbuyinga le faisait déjà remarquer en 1975.

    Pendant la vague révolutionnaire des années soixante, ce panafricanisme révolutionnaire s'est manifesté dans l'oeuvre et dans la pratique de Mulele au Congo, d'Osende Afana au Cameroun, d'Amilcar Cabral en Guinée-Bissau et dans les derniers ouvrages de Nkrumah.
    http://mondomix.com/blogs/media/image/Am%C3%ADlcar_Cabral(1).png

    Leur panafricanisme était une concrétisation, sur le terrain africain, de l'internationalisme prolétarien, de l'unité de pensée et d'action du prolétariat mondial, représenté par le mouvement communiste international.

    Ces révolutionnaires africains ont développé leur idéologie en étudiant le marxisme-léninisme, entre autres à travers les expériences de la révolution chinoise et cubaine. Pierre Mulele a suivi une formation politique et militaire en Chine, avant de déclencher, en août 1963, la grande insurrection populaire au Congo. Son compagnon Léonard Mitudidi a fait venir Che Guevara aux maquis du Congo. Mais à l'arrivée de Guevara au front de l'Est, Mitudidi était déjà mort. Le plan de Guevara pour rejoindre le maquis de Mulele au Kwilu n'a pu se réaliser à cause de l'opposition des opportunistes congolais comme de l'OUA.

    Une autre caractéristique de ce panafricanisme est qu'il a été forgé à travers une pratique commune basée sur la mobilisation politique des masses ouvrières et paysannes et sur la lutte armée. Au début des années soixante, des cadres révolutionnaires du Congo-Brazza, du MPLA, de l'UPC camerounais et du mouvement muléliste se sont entraidés pour la formation militaire et politique dans des camps au Congo-Brazza. C'est en s'appuyant entre autres sur leur expérience que Nkrumah a pu écrire en 1970: "Le Parti n'arrivera pas à ses fins sans utiliser toutes les formes de la lutte politique, y compris la lutte armée. Si la lutte armée doit être engagée de façon efficace, elle doit être centralisée" .(29)

    5. Nationalisme et internationalisme

    Le panafricanisme petit-bourgeois était essentiellement un nationalisme ; le panafricanisme révolutionnaire est internationaliste.

    Les rapports entre nationalisme et internationalisme constituent un domaine très complexe de la théorie marxiste-léniniste. Ils sont d'un intérêt particulier pour l'Afrique, le continent qui a connu l'oppression nationale la plus longue et la plus cruelle.

    L'impérialisme a créé un marché mondial, un système mondial de production, d'échanges et de communications. Toute production d'une certaine envergure, peu importe où elle se réalise, s'insère dans ce marché mondial. La grande bourgeoisie est une classe internationaliste soudée par le marché mondial et par la volonté commune de protéger partout au monde les conditions de "l'entreprise libre" contre la révolution socialiste.

    Tout en étant internationaliste dans sa conception du monde et dans ses activités économiques, la bourgeoisie de tous les pays soutient le nationalisme bourgeois pour diviser et abrutir les ouvriers et les entraîner derrière ses propres intérêts de classe. Nous assistons à ce phénomène apparemment paradoxal: à mesure que progresse l'internationalisation du capital, nous voyons partout monter des mouvements "nationalistes" extrêmes, de type fasciste: du "nationalisme" prôné par Le Pen en France et du "nationalisme" croate jusqu'au fondamentalisme islamiste, au fondamentalisme hindou et au tribalisme à la Buthelesi...

    L'internationalisation du capital se produit au milieu d'une crise généralisée de surproduction; les mouvements nationalistes de droite permettent à la bourgeoisie de contrôler et de dominer les masses, sans que cela entrave la liberté du capital et son internationalisation.

    Seule la classe ouvrière s'oppose diamétralement à l'internationalisme bourgeois, dans la mesure où elle prend conscience de ses intérêts de classe historiques. Les ouvriers du monde entier se trouvent fondamentalement dans une position commune par rapport aux moyens de production et à la classe capitaliste qui les possède. Seule le socialisme scientifique, idéologie révolutionnaire commune à tous les ouvriers, peut constituer une alternative de classe à l'exploitation capitaliste. Un aspect en est l'internationalisme prolétarien, la solidarité internationale des ouvriers et des travailleurs contre leurs ennemis communs.

    Tout en étant internationaliste dans sa conception du monde, le prolétariat soutient toutes les luttes nationales contre l'oppression et la domination impérialiste.

    Les pays africains ont cinq siècles d'humiliations, de discriminations et d'oppressions nationales derrière eux. Les progressistes et révolutionnaires du monde entier avaient comme devoir de soutenir les peuples africains dans leur lutte nationale contre toutes ces humiliations, discriminations et oppressions. Aucun prétexte ne pouvait être invoqué pour ne pas soutenir la lutte nationale contre la domination esclavagiste, coloniale et néocoloniale.

    Mais c'est là une tâche essentiellement négative. Le prolétariat soutient toute lutte nationale contre la domination impérialiste, mais il ne soutient pas "positivement" le nationalisme. Le nationalisme est toujours l'idéologie par laquelle la bourgeoisie et la réaction nationale essayent de subordonner les travailleurs à leurs propres intérêts cupides. Après avoir tué Lumumba et les lumumbistes, Mobutu reprit un grand nombre de leurs positions sous une forme démagogique, il créa son propre "nationalisme congolais" pour subordonner les masses aux intérêts de la bourgeoisie bureaucratique et pro-impérialiste. Ce n'était plus un nationalisme "négatif" dressant les masses congolaises contre l'oppresseur belgo-américain, mais un nationalisme "positif" unissant les masses à la grande bourgeoisie congolaise, agissant comme intermédiaire aux intérêts impérialistes.

    Lénine a déclaré avec une grande perspicacité: "Le marxiste reconnaît pleinement la légitimité historique des mouvements nationaux. Mais pour que cette reconnaissance ne tourne pas à l'apologie du nationalisme, elle doit se borner très strictement à ce que qu'il y a de progressiste dans ces mouvements, afin que cette reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience socialiste par l'idéologie bourgeoise". "Le nationalisme bourgeois militant abêtit, décervelle, désunit les ouvriers pour les placer sous la houlette de la bourgeoisie". "Le nationalisme bourgeois et l'internationalisme prolétarien sont deux mots d'ordre irréductiblement opposés qui correspondent aux deux grands camps de classe du monde capitaliste". (30)

    Appliquant ces concepts de Lénine à l'Afrique, Amilcar Cabral a déclaré: "Le cas néocolonial ne se résout pas par une solution nationaliste; il exige la destruction de la structure capitaliste implantée par l'impérialisme dans le territoire national et postule justement une solution socialiste". (31)

    À la question du nationalisme est lié celle de la culture nationale.

    Amilcar Cabral a fait remarquer que la culture africaine a constitué "le seul rempart susceptible de préserver l'identité (du peuple dominé)" . Ceci vaut "non seulement pour les masses populaires, mais aussi pour les classes dominantes autochtones - chefs traditionnels, familles nobles, hiérarchie religieuse". Tout cela a facilité "le développement du mouvement de libération". (32) Cabral envisage donc la culture africaine sous l'angle de son importance pour le combat contre la domination coloniale. Et c'est précisément sous cet angle qu'il distingue les éléments positifs et négatifs dans la culture africaine. "Seule la lutte révèle comment et combien la culture est, pour les masses populaires, une source inépuisable de courage, d'énergie physique et psychique, mais aussi, par certains aspects, d'obstacles et de difficultés, de conceptions erronées de la réalité, de déviations dans l'accomplissement du devoir." (33)

    Après la victoire sur le colonialisme, la question de la culture se pose d'une façon nouvelle. Les chefs traditionnels, familles nobles, chefs religieux et nouveaux bourgeois essaient d'imposer leur culture, qui exprime leurs intérêts de classe, comme la "culture nationale".

    À ce propos, Lénine a exprimé la conception commune à tous les révolutionnaires du monde. "Chaque culture nationale comporte des éléments, même non développés, d'une culture démocratique et socialiste, car dans chaque nation, il existe une masse laborieuse et exploitée, dont les conditions de vie engendrent forcément une idéologie démocratique et socialiste. Mais dans chaque nation, il existe également une culture bourgeoise (et qui est aussi, la plupart du temps, ultra-réactionnaire et cléricale), pas seulement à l'état d'éléments, mais sous forme de culture dominante. Aussi, d'une façon générale, la "culture nationale" est celle des grands propriétaires fonciers, du clergé, de la bourgeoisie." "Le mot d'ordre de la culture nationale est une duperie bourgeoise. Notre mot d'ordre à nous, c'est la culture internationale du démocratisme et du mouvement ouvrier mondial". "Nous empruntons à chaque culture nationale uniquement ses éléments démocratiques et socialistes." (34)

    Certains milieux panafricains défendent la thèse que "les Africains noirs et les Noirs de l'Asie, de l'Océanie, des Caraïbes, de l'Afrique du Sud et des États-Unis partagent une âme culturelle commune ".(35) Cette idée va à l'encontre du marxisme et aide les Mobutu, les Eyadema et les Tonton Macoutes à mystifier et opprimer leur peuple au nom de l'authenticité et de "l'âme noire commune".

    6. Leçons de l'échec africain

    Nous pouvons maintenant formuler quelques leçons supplémentaires de l'échec du nationalisme africain et du panafricanisme du début des années soixante, des leçons qui sont abordées dans l'oeuvre de Mulele, d'Osende Afana, d'Amilcar Cabral et de Nkrumah.

    D'abord: "Pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire".

    Ce critère fondamental se trouve dans l'ouvrage "Que Faire?" de Lénine qui élabore cette thèse en ces termes: "l'indifférence à l'égard de toute théorie, est une des causes principales du peu de progrès du mouvement ouvrier, du trouble et de la confusion". "Le socialisme, depuis qu'il est devenu une science, veut être traité, c'est-à-dire étudié comme une science".(36) Ainsi, Lénine demande aux cadres supérieurs de tout mouvement révolutionnaire d'étudier la science marxiste avec la même application qu'il faut pour maîtriser les sciences physiques ou médicales.

    Lorsqu'il était au pouvoir, sous l'influence de la social-démocratie, Nhrumah ne s'est jamais fixé la tâche d'étudier consciemment la science de la révolution, la doctrine de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong. Ce n'est qu'après le coup d'État qui le renversa, qu'il s'est orienté vers l'étude systématique du socialisme scientifique.

    Il s'agit non seulement de bien connaître la méthode, la façon d'analyser et les thèses du marxisme, mais aussi de savoir reconnaître le pseudo-marxisme. "L'idéologie marxiste ne peut obtenir et conserver la suprématie que par une lutte inlassable contre toutes les autres idéologies. L'idéologie bourgeoise est bien plus ancienne que l'idéologie socialiste, elle est plus amplement élaborée et possède infiniment plus de moyens de diffusion." "La tendance opportuniste implante, dans le socialisme, les idées bourgeoises et les éléments bourgeois".(37)

    Nkrumah ne s'est jamais démarqué complètement du vieil opportunisme de la social-démocratie. Et lorsqu'il a évolué vers des positions communistes, après le coup d'État qui le renversa, il a été influencé par Khrouchtchev et Brejnev qui dénaturaient l'essence révolutionnaire de la doctrine de Lénine. Mulele et Osende Afana, pour s'engager dans l'insurrection populaire contre le pouvoir néocolonial, ont dû affronter l'opposition catégorique des révisionnistes soviétiques. Ils n'ont pas seulement assimilé le marxisme-léninisme, mais ils se sont engagés aussi dans une critique de l'opportunisme et du révisionnisme.

    Finalement, Lénine insiste sur le fait qu'on ne peut pas maîtriser le marxisme en s'enfermant dans des livres. Il faut, en quelque sorte, "digérer" le marxisme-léninisme à partir de sa propre expérience révolutionnaire. Il faut appliquer de façon créatrice la science politique de Marx, Lénine et Mao Zedong à la réalité spécifique de son propre pays. En rentrant de Chine, Mulele a traduit les leçons de la révolution chinoise dans le langage des ouvriers agricoles et des paysans de sa région natale. Pour faire comprendre des notions essentielles du marxisme-léninisme, il les a adaptées à la mentalité des villageois, utilisant des proverbes traditionnels, des chansons du tribunal et des contes africains.

    Deuxièmement: "Pour déterminer si un intellectuel est révolutionnaire, non révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, il y a un critère décisif: c'est de savoir s'il veut se lier et s'il se lie effectivement aux masses ouvrières et paysannes." (38)

    Mao Zedong a défini ce critère en pleine guerre anti-japonaise, en 1939.

    Un révolutionnaire authentique ne peut pas s'enfermer dans les milieux de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie aisée ; l'éducation des masses fondamentales du peuple, leur organisation et leur mobilisation constitue l'axe essentiel de son travail. C'est précisément sur ce point que Mulele, Bengila et Mitudidi se sont séparés de la plupart des autres lumumbistes. Ces derniers ont été propulsés à la tête de l'État, entourés de politiciens engagés dans la course aux richesses et aux privilèges. Rapidement, ils ont perdu tout lien avec les masses travailleuses. À son retour de Chine, Mulele a lancé un appel à tous les lumumbistes afin qu'ils dans leur région natale et y organisent les jeunes, les ouvriers, les villageois, les femmes. Mais finalement ils n'ont été qu'une dizaine à le suivre. Et ils ont soulevé des millions d'opprimés congolais !

    La révolution nationale et démocratique, puis la révolution socialiste est l'oeuvre des masses. Seules les masses peuvent constituer une force politique suffisante pour battre l'impérialisme et la grande bourgeoisie. Seuls les intérêts des masses constituent le point de départ pour l'édification d'une société fondamentalement différente qui met fin à l'exploitation de la majorité. Les révolutionnaires doivent donc concevoir un projet à long terme, capable de permettre aux masses de constituer des forces politiques et militaires suffisantes pour renverser l'ordre néocolonial. Il s'agit d'aider les masses à se libérer par leur propre effort, à devenir la force consciente qui brisera l'oppression exercée par l'impérialisme et la grande bourgeoisie.

    Troisièmement: l'édification d'un parti d'avant-garde authentique est le problème crucial, le problème le plus difficile de la révolution africaine.

    Dans ses ouvrages, Staline a systématisé les principes léninistes du Parti qui ont été la clé de la victoire, aussi bien de la révolution soviétique que de la révolution chinoise. Il a formulé les caractéristiques et les principes d'"un Parti de type nouveau, un Parti marxiste-léniniste, un Parti de la révolution sociale, capable de préparer le prolétariat aux combats décisifs contre la bourgeoisie".(39)

    Les faiblesses des révolutions africaines se reflètent surtout dans les faiblesses des partis révolutionnaires. Nkrumah était devenu un "étranger" dans son propre parti. Mulele, faute de cadres intellectuels révolutionnaires, n'a pas été en mesure de créer un parti marxiste-léniniste. Une des raisons de l'échec de Sankara au Burkina est qu'il s'est embourbé dans les luttes entre différentes organisations communistes, ne sachant pas reconnaître les communistes des carriéristes. Il a souvent combattu des forces marxistes-léninistes et soutenu des opportunistes pour se retrouver finalement isolé.

    Seul un parti armé d'une ligne marxiste-léniniste et oeuvrant patiemment parmi les ouvriers, les travailleurs et les paysans, est en mesure de faire front à la violence de l'impérialisme. Il doit observer les règles rigoureuses de la discipline léniniste s'il veut survivre à la répression. Ces règles sont obligatoires pour tous les membres, et surtout pour les cadres dirigeants. Il doit vérifier et corriger ses décisions en écoutant la voix des masses travailleuses. Il doit utiliser la critique et l'autocritique pour éduquer en permanence ses membres et ses dirigeants.

    Un tel parti ne peut pas être édifié sans la participation des intellectuels révolutionnaires. À ce propos, Amilcar Cabral a formulé un principe fondamental: "La petite bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe, pour ressusciter comme travailleur révolutionnaire, entièrement identifié avec les aspirations les plus profondes du peuple auquel il appartient".(40) Cabral fait ici référence à la nécessité d'une transformation continue des intellectuels, grâce à l'étude du marxisme-léninisme, aux liens avec les masses et à la participation au combat. Et Nkrumah a donné cette définition de la révolution: "le prolétariat, sous la direction d'un parti d'avant-garde guidé par les seuls principes du socialisme scientifique, renverse le système de classes".(41)

    Quatrième point: "Le premier problème fondamental de la révolution est le rôle dirigeant de la classe ouvrière". "L'alliance des ouvriers et des paysans est un principe stratégique qui revêt une importance particulière". "En s'appuyant sur ces forces fondamentales, le Parti a la possibilité d'élargir les rangs des révolutionnaires jusqu'aux autres classes et couches sociales de tendance nationale et démocratique", notamment les intellectuels et les étudiants. (42)

    C'est ainsi que Le Duan, sur base de l'expérience de la révolution vietnamienne, a indiqué quelles sont les classes sociales capables de mener la révolution anti-impérialiste jusqu'au bout. Il nous apprend dans quelles classes sociales les révolutionnaires doivent faire un travail concret, quotidien, à long terme, un travail d'organisation syndicale, un travail d'organisation coopérative pour la défense des intérêts économiques, un travail d'éducation, un travail de conscientisation à partir de l'aide médicale ou juridique, etc.

    Cette analyse rigoureuse des classes et des positions politiques des différentes classes n'a pas été faite par les révolutionnaires africains du début des années soixante. Lumumba comme Nkrumah était obnubilé par la formule: Tous les Noirs sont mes frères. C'est à leurs propres dépens qu'ils ont découvert que les classes et la lutte des classes existaient autour d'eux. "La lutte des classes est au coeur du problème" , dira Nkrumah en faisant le bilan de son échec.(43) À partir de sa propre expérience, Amilcar Cabral a confirmé les thèses de Le Duan. Cabral écrit: "La classe laborieuse composée d'ouvriers de la ville et de prolétaires agricoles, tous exploités par la domination indirecte de l'impérialisme, constitue la vraie avant-garde populaire de la lutte de libération nationale".(44)

    Cinquièmement: Il y a un critère pour distinguer le combat réel contre le néocolonialisme des impostures purement verbales: est-ce qu'on vise à la destruction de la dictature exercée par l'impérialisme et par la grande bourgeoisie sur le peuple travailleur ?

    La destruction de cette dictature nécessite l'organisation de luttes révolutionnaires de masse prolongées sous différentes formes, culminant dans la guerre populaire et l'insurrection qui briseront le pouvoir néocolonial.

    Si le néocolonialisme n'est pas défini comme la dictature conjointe de l'impérialisme et de la grande bourgeoisie, ce mot perd son sens. Alors, on peut voir un Tshombe lutter contre le "néocolonialisme", c'est-à-dire contre le pouvoir d'Adoula. On peut entendre un Thomas Kanza proposant une alliance entre Mobutu et les lumumbistes pour "combattre un ennemi commun: le néocolonialisme personnifié par Moïse Tshombe".(45) On peut écouter Mobutu fulminer contre le "néocolonialisme" pour que l'impérialisme lui cède une part plus large du butin commun.

    "L'État, dit Nkrumah, est l'expression de la domination d'une classe sur les autres". (46) C'est pourquoi aucune "démocratisation" aussi "radicale" ou "totale" qu'elle soit, ne peut résoudre les problèmes d'une société dominée. Seule la dictature des ouvriers et des paysans, s'alliant la petite bourgeoisie et les forces patriotiques, peut mettre fin à la domination conjointe de l'impérialisme et de la grande bourgeoisie.

    7. Sous le Nouvel Ordre Mondial 

    Notes

    (1) Padmore Georges: Panafricanisme ou communisme, éd. Présence Africaine, Paris, 1960, pp.383-384; 387.
    (2) Nkrumah Kwame: La lutte des classes en Afrique, Présence Africaine, Paris, 1972, p.101.
    (3) Monheim F: Mobutu, l'homme seul, Bruxelles, 1962, p.154-155.
    (4) Pour les chiffres et citations de ce chapitre, sauf autrement indiqué, voir: Martens Ludo: L'URSS et la contre-révolution de velours, EPO, Anvers, 1991.
    (5) Sekou Touré: L'Afrique en marche, tome X, 1967, p.323.
    (6) Sékou Touré: Stratégie et Tactique de la Révolution, tome XXI,p.193.
    (7) Staline: Le marxisme et la question nationale et coloniale, Ed. Norman Béthune, Paris, 1974, p. 344.
    (8) James Klugmann: From Trotski to Tito, Publ. Lawrence and Wishat, London, 1951.
    (9) Padmore, op.cit.,p.332.
    (10) Sékou Touré: Stratégie et tactique, p.328-329.
    (11) Khrouchtchev: Recueil des Documents du XXIIe Congrès, Moscou, 1961, p.526-527.
    (12) Nkrumah: Challenge of the Congo, publ. Panaf, 1969, p.292.
    (13) Mao Zedong: Le Pseudocommunisme de Khrouchtchev - 14 juillet 1964, dans: Le Débat sur la Ligne Générale, éd. Pékin, 1965, p.482-492.
    (14) Kim Il Sung: A propos du djoutche; De l'élimination du dogmatisme et du formalisme, 28 déc. 1955, Pyongyang, 1980, pp.171; 177; 180; 182.
    (15) Kim Il Sung: Oeuvres choisies, tome V, Pyongyang, 1975, p. 584.
    (16) Fulbert Youlou: J'accuse la Chine, éd Table Ronde, Paris, 1966, pp.132; 146; 137; 138.
    (17) Ibidem, pp.121; 13; 15.
    (18) ibidem, pp.81; 69; 115.
    (19) Ibidem, p.123.
    (20) Ibidem, pp. 138; 151; 158; 142.
    (21) Müller Siegfried: Les nouveaux mercenaires, éd France-Empire, 1965, pp.200-201; 232.
    (22) Padmore, op.cit., p.131.
    (23) Ibidem, p.118.
    (24) Ibidem, p.373.
    (25) Ibidem, p.383-387.
    (26) Ameillon: La Guinée, bilan d'une indépendance, Maspéro, Paris, 1964, p.185-187.
    (27) Ibidem, pp.12; 197.
    (28) Ba Abdoul, Bruno Koffi, Sahli Fethi: L'Organisation de l'Unité Africaine, éd. Silex, 1984, pp. 22; 217.
    (29) Nkrumah: La lutte des classes en Afrique, éd. Présence Africaine, Paris, 1972, p.105.
    (30) Lénine: Notes critiques sur la question nationale, tome XX, pp.27; 18; 19.
    (31) Amilcar Cabral: Unité et Lutte, éd Maspéro, Paris, 1980, p.165.
    (32) Ibidem, p.176.
    (33) Ibidem, p.188.
    (34) Lénine, op.cit., p.16-17.
    (35) Africa World Review, nov 92-april 93, London, p. 28.
    (36) Lénine, Oeuvres Choisies, tome V, pp.376; 378; 379.
    (37) Ibidem, pp.393; 361.
    (38) Mao Zedong, Oeuvres choisies, Pékin, 1968, p. 264.
    (39) L'Histoire du Parti communiste bolchevik, Moscou, 1949, p.397.
    (40) Cabral, op.cit., p.169.
    (41) Nkrumah, op.cit., p.98.
    (42) Le Duan: Ecrits, Hanoi, 1976, pp. 194; 196; 197.
    (43) Nkrumah, op.cit., p.10.
    (44) Cabral, op.cit., p.164.
    (45) Martens Ludo: Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba, éd. EPO, 1985, p.321.
    (46) Nkrumah, op.cit., p.20.
    (47) Alexandre T. Samorodov, Revue Internationale du Travail, (Bureau International du Travail) vol.131, 1992, n 3, p.357-358.
    (48) De Volkskrant, 3 april 1993: Jeffrey Sachs: Rusland kan...
    (49) The Guardian, 8/3/1993.
    (50) NRC-Handelsblad, 16/12/93: Schok zonder therapie.
    (51) The Reform Prescription for Russians is Stronger Democracy. By Anders Aslund IHT, 25/11/1993.
    (52) Michel Chossudovsky Le Monde Diplomatique, p.12-13, janvier 1993.
    (53) Alexandre T. Samorodov, Revue Internationale du Travail, (Bureau International du Travail) vol.131, 1992, n 3, p.359.
    (54) NRC, 16/12/93: Schok zonder therapie.
    (55) Amnon Kapeliouk écrit dans Le Monde Diplomatique, p.3, septembre 1993.
    (56) Ibidem
    (57) Echos de Russie, p.3, juli-augustus 1992.
    (58) Amnon Kapeliouk Le Monde Diplomatique, p.3, septembre 1993.
    (59) Le Monde, p.13, 16/12/1992.
    (60) Le Soir, 9/1/1993: Drame en Asie; Le Monde, 27/1/1993, p.4.
    (61) Le Monde, 24 déc.93: Le président Aliev déclare...
    (62) Mbuyinga Elenga, Panafricanisme et néocolonialisme, publications de l'UPC, 1979, pp. 347; 389; 398; 411.
    (63) Nkrumah, op.cit., p.103.

     

    Intéressant à lire aussi : Amilcar Cabral et la Révolution panafricaine par Ameth Lo.

     

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  • Toute la journée, les dépêches d'agences ont soufflé le chaud et le froid : tantôt parlant d'"impasse", tantôt annonçant que Gbagbo s'ouvrait à la négociation, acceptait de rencontrer Ouattara, de lever le blocus de l'hôtel du Golf où celui-ci est retranché etc. 

    Finalement, le bilan de la journée est tombé aux JT du soir : Gbagbo "n'a rien proposé de nouveau" aux émissaires africains (présidents kényan, cap-verdien, sierra-léonais et béninois) qui ont négocié avec lui toute la journée d'hier et aujourd'hui, il s'en tiendrait aux mêmes offres (recompte des votes etc.). De son côté, Ouattara a refusé de rencontrer Gbagbo, "tant qu'il ne reconnaîtra pas (sa) victoire". Guillaume Soro, Premier ministre de Ouattara et leader idéologique des "rebelles", répète encore une fois son discours : "nous avons épuisé la négociation, il faut employer la force". Les Etats-Unis ont proposé à Gbagbo l'asile politique s'il quitte le pouvoir ; tandis que Sarkozy, de son côté, a exclu une action militaire française directe mais réaffirmé qu'il "n'y a qu'un seul président en Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara"... CQFD. 

    On ne peut jurer de rien avec Gbagbo mais, si on a pu penser ces derniers jours qu'il faisait seulement monter les enchères pour s'en tirer aux meilleures conditions, il semble maintenant qu'il est déterminé à conserver un pouvoir qu'il considère légitimement acquis, à travers les dernières élections mais aussi à travers 30 ans de luttes. Il semble résolu à tenir tête aux grands impérialismes et à leurs tirailleurs néo-coloniaux de la CEDEAO, principalement du Nigeria. Il semble penser que son Armée nationale (les FANCI) et ses partisans "Patriotes" sont en mesure de résister à une offensive militaire.

    Comme l'ont plusieurs fois affirmé autant le leader pro-Ouattara Guillaume Soro que le président nigérian (et de la CEDEAO) Goodluck Jonathan, la négociation épuisée, l'option de la guerre est désormais claire.

    La raison des tergiversations actuelles est, simplement, qu'une guerre ne se lance pas du jour au lendemain, même pour la plus puissante armée d'Afrique de l'Ouest, l'armée du Nigeria. Pour attaquer l'Irak, les USA, première puissance militaire du monde, ont fait "durer le suspense" pendant 6 mois en 1990-91, 1 an en 2002-2003 ! 

    Mais il y aura la guerre. La guerre néocoloniale aura bien lieu, car la Françafrique soutenue par l'ensemble des impérialismes européens et nord-américains veut imposer Ouattara, tandis que Gbagbo se considère légitime. Il l'est d'ailleurs, nettement, dans la moitié Sud du pays, et n'accorde aucune valeur au vote de la moitié Nord aux mains des "rebelles"... 

    Solidarité internationale contre la guerre impérialiste !

    Solidarité avec le Peuple ivoirien ! 

    La Françafrique veut faire couler le sang pour imposer son laquais. L'impérialisme veut, encore une millième fois, faire couler le sang africain, "sudiste" comme "dioula", ivoirien comme nigérian, installer la haine "ethnique" pour des générations comme au Rwanda, pour s'abreuver tel un vampire des richesse et de la sueur de l'Afrique ! 

    L'impérialisme ne passera pas !

    100 ans de colonialisme, 50 ans de néocolonialisme : la Françafrique n'a que trop duré !

     

    Servir le Peuple reproduit ici l'appel d'un certain nombre de Partis et d'organisations marxistes et progressistes africaines, appel auquel s'est joint le ROC-ML :

     

    PAS D’INTERVENTION MILITAIRE ETRANGERE :

    NI DE LA CEDEAO, NI DE L’ONU, NI DE LA FRANCE !

    TROUPES ETRANGERES HORS DE LA CÔTE D’IVOIRE !

    UNITE ET SOLUTION NATIONALE IVOIRIENNE SOUVERAINE,

    DEMOCRATIQUE ET PACIFIQUE DE LA CRISE POST-ELECTORALE ! 

     

    Après les menaces à peine voilées de Sarkozy et Obama au nom de la dite « communauté internationale » qui se résume en fait à la France, l’Angleterre, l’Allemagne et les Etats-Unis, voilà l’envoi en forme d’ultimatum des chefs d’état du Cap-Vert, du Bénin et de la Sierra Léone en Côte d’Ivoire.

    Comme si c’était convenu dans un partage des rôles, les puissances occidentales poussent la CEDEAO à prendre la relève en décidant le 24 décembre 2010 d’une intervention armée en Côte-d’Ivoire pour déloger GBAGBO du pouvoir si ce dernier ne cédait pas aux injonctions que doit lui porter une ultime mission de ces trois présidents au nom de la CEDEAO.

    Ainsi, les puissances occidentales qui ne peuvent intervenir directement s’arrangent dans les coulisses pour pousser leurs hommes au pouvoir en Afrique à aller commettre les forfaits qu’ils n’osent pas assumer publiquement.

    Les USA, l’UE, le FMI, la Banque Mondiale, la Cour Pénale Internationale, les mêmes qui ont pactisé et financé la junte militaire qui a renversé le président légal et légitime Zélaya du Honduras utilisent des fantoches Africains serviles pour tuer et imposer au peuple Ivoirien une guerre criminelle.

    Les mêmes puissances et institutions financières impérialistes ont menti au monde entier sur les « armes de destruction massive et la complicité avec Al Quaïda » pour agresser, renverser, occuper l’Irak et assassiner son Chef d’Etat.

    C’est pourquoi, les organisations signataires réaffirment que les solutions à la crise post-électorale que traverse la société ivoirienne viendront avant tout du peuple Ivoirien lui-même.

    C’est pourquoi nous dénonçons toute intervention armée étrangère en Côte d’Ivoire et exigeons le départ de toutes les forces étrangères présentes sur le territoire Ivoirien, qu’elles soient officielles (ONU-CI, Licorne, 41ème BIMA) ou officieuses (mercenaires).

    Vive la souveraineté du peuple ivoirien ! Vive la solidarité panafricaine et internationaliste !

    Fait le 27/12/10 

    Signataires : Ferñent/Mouvement des Travailleurs Panafricains-Sénégal (F/M.T.P-S), Yoonu Askan Wi Sénégal, RTA-Sénégal, Parti Communiste Révolutionnaire de Côte d’Ivoire, Parti Communiste du Bénin, Actus/Prpe Tchad, PC Togo, PC Tunisie, Voie Démocratique Maroc, Pads Algérie, UP Cameroun, Sanfin Mali, PC Congo, Parti Communiste des Ouvriers de France (PCOF).

    ******************************* 

    Pendant ce temps, des milliers d'Ivoirien-ne-s (ainsi que de Libérien-ne-s accusé-e-s d'être des mercenaires pro-Gbagbo) fuient les zones tenues par les tirailleurs françafricains des "Forces nouvelles" de Soro :

    Les milliers de réfugiés qui fuient le pays

    Là aussi, il y a vraiment lieu de se poser des questions sur l’objectivité, voire l’honnêteté intellectuelle de certains médias français avides de phrases chocs, et qui font très peu de travail de recherche. Personne, mais vraiment personne parmi ces journalistes ne prend la peine de préciser que TOUS les réfugiés fuient les zones sous contrôle de la rébellion armée de M. Ouattara. Oui! Toutes les populations qui fuient vers le Liberia, la Guinée et le sud de la Côte d’Ivoire s’enfuient des zones dites CNO (Centre Nord-Ouest: Man, Bouaké, (en rouge sur la carte) qui sont totalement contrôlées par les tristement célèbres seigneurs de guerre des Forces Nouvelles qui sont très connus pour les exactions et barbaries commises depuis 2002 jusqu’à pendant les élections de Novembre 2010, nous en voulons pour preuve les multiples rapports des observateurs africains et des ONG internationales (International Watch).

    Les populations de l’ouest fuient la rébellion de Ouattara
    Selon une dépêche de l’AFP ,14 000 personnes de l’ouest de la côte d’ivoire seraient en fuite vers la Guinée et le Liberia. Selon la dépêche, des rebelles de Ouattara et de Soro Guillaume tenteraient de les empêcher de franchir la frontière. Ces informations procèdent de la vaste opération d’intoxication. La vérité est que les populations de l’ouest de la Côte d’Ivoire assiégé depuis 2002 par la rébellion de Ouattara fuient justement les exactions de cette rébellion après la proclamation de la victoire de Laurent Gbagbo par le Conseil constitutionnel .On dénombre 6 000 réfugiés à la mission catholique de Duekoué fuyant les rebelles de Bangolo et de la sous préfecture de Zou ou un burkinabé du nom de Amandé entretien une milice de 600 hommes dans la foret classée du mont Peko. La réalité de la crise ivoirienne est là. Les bourreaux se transforment très facilement en victimes avec la bienveillante complicité de medias internationaux.

    Source Ivoire-dépêche

    "La nuit, des hommes venaient piller nos jardins, ils détruisaient tout et volaient nos bêtes"

    Source

    Hubert, instituteur ivoirien, a fui le village de Yéalé, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, aux abords de la réserve de Nimba (une zone montagneuse bordée par la Guinée et le Liberia). Yéalé est situé dans une région contrôlée par les ex-Forces nouvelles (FN), les anciens rebelles qui soutiennent Alassane Ouattara.

    "Certaines personnes du village ont été frappées par des rebelles, qui étaient parfois habillés en civil. Ils n’ont jamais tiré mais ils nous terrorisaient. La nuit, des hommes venaient piller nos jardins, ils détruisaient tout et volaient nos bêtes. Avec d’autres pères de familles du village, on a décidé de se sauver."
    "Nous avons marché deux jours entiers dans la brousse"

    "Nous sommes partis en fin d’après-midi mercredi 8 décembre, par petits groupes. Comme il fallait aller vite, je n’ai pris avec moi que ma carte d’identité et mon acte de naissance. Nous avons marché deux jours entiers dans la brousse. Certains allaient en direction de Nzoo-Guela, d’autres allaient vers Nyon [deux villages guinéens frontaliers de la Côte d'Ivoire, ndrl]. Parfois, nous nous croisions sur notre route. 
    Je suis parti avec ma femme et mes deux enfants, mais l’un d’eux n’est pas arrivé à Bossou avec nous. Il est resté à Nzoo-Guela pour se faire soigner, je sais qu’il y est en sécurité. J’espère que les équipes du HCR vont le ramener bientôt.

     Depuis que nous sommes au camp de Bossou, nous mangeons à notre faim. Les enfants jouent dans la cour toute l’après-midi. Je remercie vraiment le HCR d’avoir mis en place ce dispositif. Je ne compte pas retourner en Côte d’Ivoire tant que la situation ne sera pas apaisée. Pour le moment, je projette d’organiser des classes pour les enfants ivoiriens de Bossou. Il faut continuer de vivre."

    **********************************

    Rappelons que déjà, en 2002-2003, entre 500.000 et 1 million de personnes avaient fui les zones tenues par les "Forces nouvelles" et leurs alliés "tayloristes" libériens et sierra-léonais. La population de la zone "rebelle" (Centre-Nord-Ouest - CNO) à cette époque ne devait pas dépasser les 5 ou 6 millions de personnes...

    AfricaFistZm

    Lire encore à ce sujet l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur ce "dossier" ivoirien, sachant de quoi il parle etc.), ici un entretien autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara


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  • Les évènements s'enchaînent en Côte d'Ivoire et la perspective, non seulement d'une guerre "civile" fomentée par les impérialistes, mais d'une action militaire impérialiste directe, se précise (avec l'ONUCI, composée de la force impérialiste française Licorne - 1000 hommes - et des "tirailleurs" des pays ouest-africains). 

    Aujourd'hui, le chef "rebelle" des Forces Nouvelles et Premier ministre de Ouattara, Guillaume Soro, a appelé l'ONU à chasser Gbagbo du pouvoir par la force. Il est clair qu'après 8 ans (depuis septembre 2002), le constat s'impose que les seules "Forces nouvelles" ne peuvent venir à bout des FANCI, l'armée régulière. 

    Dans le même temps, les gouvernements de plusieurs pays européens, dont la France, appellent leurs ressortissants à quitter le pays "temporairement"... Signe clair qu'une opération militaire d'envergure s'annonce. 

    La marche à la guerre impérialiste est donc engagée pour installer au pouvoir le candidat que, quels que soient ses scores réels (là n'est pas la question !), la majorité des puissances impérialistes (sauf la Chine et peut-être la Russie) et des organisations au service de l'impérialisme comme l'ONU, l'Union Africaine et la CEDEAO soutiennent. 

    Il ne s'agit pas de soutenir un camp impérialiste contre un autre : SLP ne soutient pas l'impérialisme chinois ; en tant que maoïstes, nous avons toujours dénoncé la "contre-révolution permanente" imposée par la droite capitaliste du P"c" chinois depuis 1976, en Chine comme à l'extérieur.

    Mais il s'agit, comme Servir le Peuple s'y est toujours attaché, d'être dans LE CAMP DU PEUPLE. Lorsque les horreurs de la guerre se seront (à nouveau !) déchaînées sur le territoire - issu du découpage colonial - nommé Côte d'Ivoire, il n'y aura plus de Krous, d'Akans, de Dioulas ni de Sénoufos, plus de chrétiens, de musulmans ni d'animistes, mais seulement des hommes et des femmes qui souffrent et meurent POUR RIEN, sinon pour les juteux profits des impérialistes ! 

    Pour ceux et celles qui n'en seraient pas convaincus, voici quelques illustrations, particulièrement tournées vers ceux que nos impérialistes présentent comme les "gentils" (puisqu'à en croire la presse internationale, les horreurs du camp Gbagbo ne sont plus à démontrer...) : 

    Côte d'Ivoire : qui sont les "Rwandais" en puissance ? 

    Source

    Les massacres à la machette, aux fusils sont perpétrés actuellement un peu partout dans le pays, par qui ? En tous cas les cibles sont jusqu’ici les sièges du FPI, les militants LMP. A Alépé le samedi où j’allais voter, j’ai eu une sacrée chance. Mon GBAKA n’a rien eu mais le Gbaka de 16 heures a vu ses passagers, des jeunes d’AKOURE et Oguedoumé et Montézo, tailladés à la machettes. Des villages sont incendiés; le papa de ta cousine C. a dû quitter son quartier sous la menace des bandes en machette parce qu’il est un responsable FPI; ta tante A. a vu sa voiture cabossée, pare-brise brisée, n’eut-été son sang froid qui l’a fait foncer dans la foule en arme…elle y serait restée…Elle avait eu le tort d’avoir à bord de sa voiture des affiches de GBAGBO… Voici la situation un peu. On dort à moitié, tout le monde est sur la qui-vive…

    Extrait d’un mail, d’un membre de ma famille, témoignant  des élections certifiées par l’ONU en Côte d’Ivoire. Précisons tout de même que les localités en question dans ce témoignage sont situées dans une partie de la zone gouvernementale massivement favorable à Gbagbo et à moins de 50 km d’Abidjan, donc du siège de l’ONUCI…

    Du grain à moudre pour Amnesty

    Cette vidéo montre comment les Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN) rendent la “justice à Touba sous le contrôle Guillaume Soro, premier ministre de Ouattara en république du Golf Hôtel (âmes sensibles, s’abstenir): Après avoir torturé et exécuté sommairement une dizaine de prétendus voleurs de moutons en public, le bourreau est félicité par le reporter qui a probablement réalisé ce film afin de terroriser les populations du nord, et rendre compte de la “bonne gestion” du pays aux cadres des forces nouvelles.

    Ces atrocités ont été commises par les Forces Nouvelles seulement deux mois avant le premier tour des élections. Comment peut-on imaginer des élections libres dans un tel contexte, de surcroît sans isoloir ? Est-ce là la justice et la légitimité que la communauté internationale réserve aux Ivoiriens ?

    Voilà ce qui doit aussi inquiéter Amnesty international qui envoyait hier une dépêche à l’AFP :

    “Au moins 20 personnes ont été tuées dans des “incidents violents” en Côte d’Ivoire depuis le second tour de la présidentielle le 28 novembre, a annoncé lundi Amnesty International dans un communiqué.

    L’organisation de défense des droits de l’Homme appelle “les forces de sécurité en Côte d’Ivoire à protéger les civils alors qu’au moins 20 personnes ont été tuées par balles dans des incidents violents après le second tour de l’élection présidentielle”.

    Amnesty, qui s’appuie sur des témoignages, a recensé ces 20 morts à Abidjan et dans l’intérieur du pays, notamment dans l’ouest.”

     Il est intéressant de constater qu’Amnesty appelle les Forces De Sécurité supposées pro-Gbagbo à défendre la population, et non pas les “Forces Nouvelles” pro-Ouattara. Peut-être qu’Amnesty a appris quel sort était réservé aux pauvres voleurs de moutons au nord de la Côte d’Ivoire ?

    Il serait aussi souhaitable qu’Amnesty enquête sur les exactions dont été victimes les militants et scrutateurs LMP lors du second tour dans le nord de la Côte d’Ivoire (voir les témoignages en vidéo) et au centre (voir les témoignages en vidéo) pour constater combien les élections y ont été libres et démocratiques :

    • BOUAKE : Dars es SALEM : les soldats FAFN se sont rendus dans les bureaux de vote pour brutaliser les représentants du candidat LMP. C’est une situation qui s’est généralisée dans toute le ville de BOUAKE.
    • le QG de BAMARO à BOUAKE à été attaqué, tout à été emporté, pillé et volé, les membres du QG ont été menacés de mort.
    • BOUAKE : AIR France 1 : GBËKËKRO : DLC Mr BERTHE à été battu par les militants du RDR, les militants sont empêchés de voter.
    • BOUAKE : BELLEVILLE : le listing est arraché aux représentants LMP dans les bureaux de votes.
    • BOUAKE KONANKRO : EPP 1, 2, 3, les listing de CINQ bureaux de vote ont été arrachés par les soldats des FAFN et les militants du RDR.
    • ZIKISSO : GODIEKO : Représentant LMP Alain GNAKALA a été tailladé à la machette par un militant du RDR.
    • Koumassi / COLLEGE aliko : 21 bulletins de votes déjà cochés, les superviseurs empêchent les représentants LMP de vérifier les cartes d’électeurs.
    • SAMATIGUILA : Kélébadougou : les chefs et les notables sont installés dans les bureaux de votes et empêchent les militants LMP de prendre part au vote.
    • SAMATIGILA : tchessirika : le représentant LMP, Sindou Bamba a été attaqué en rentrant de Mafélé.
    • Samatiguila : banagro : les dozos dans les bureaux de votes empêchent les militants LMP de voter.
    • SEGUELA : MASSALA : accès aux bureaux de vote refusé aux représentants du candidat du LMP.
    • MONONGO : S /P KOLIA : le petit frère du chef du village supervise le vote et oblige les électeurs à voter pour le RDR avec l’accord des soldats FAFN.
    • KORHOGO : superviseurs du LMP ont été agressés dans TROIS centre de vote (Franco –Arabe, EPP Nalo Bamba, Nalo BAMBA) leurs motos ont été confisquées.
    • KORHOGO : aux alentours de midi le Directeur de Campagne COULIBALY MAMOUROU, et le ministre lanciné GON ont dû sous la menace du RDR se réfugier à L’ONUCI, les représentants du candidats du LMP ont été molestés et chassés des bureaux de votes, leurs motos ont été arrachées.
    • KANI : Collège Mawa Kone 2 : le RDR fait voter 200 personnes après 17H sans tenir compte des remarques des représentants LMP.
    • DALOA : niboua : les jeunes du RDR ont tué deux personnes dont un représentant des forces de l’ordre.
    • TORTYA : le DDC Koné Katina molesté et enlevé par les rebelles et pris en Otage dans leur camp.
    • KOUTO : KONE Doféré menacé de lynchage avec sa suite composée d’une soixantaine de personnes, à besoin d’escorte pour sortir de Kouto.

    via criseivoirienne.livejournal.com

     

    À bas l'impérialisme, à bas la Françafrique ! 

    VICTOIRE AUX PEUPLES DE CÔTE D'IVOIRE !

    VICTOIRE A L'AFRIQUE !

     

    Info de dernière minute : arrivée probable de forts contingents de la CEDEAO, l'organisation régionale dominée par le Nigéria...

    Lire encore à ce sujet l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur ce "dossier" ivoirien, sachant de quoi il parle etc.), ici un entretien autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara


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  • Depuis quelques jours, un forum "antifasciste" bien connu est en proie à un âpre débat politique. Le sujet : le « racisme anti-blancs » (voir aussi ici). Ce n’est pas que le sujet, en soi, soit "tabou" : les communistes doivent aborder tous les sujets qui traversent la société, et la notion de tabou doit être bannie de leur vocabulaire. Il peut y avoir, il est vrai, des lieux plus appropriés qu’un forum public pour des débats par nature casse-gueules, complexes, sulfureux et dont nos ennemis fascistes peuvent faire leur gras au moindre dérapage. 

    Mais là, en l’occurrence, c’est un festival de dérapages, entre généralisations et faits divers sordides…

    Petit florilège (non, vous n’êtes pas sur Fdesouche…) : 

    ‘‘Par exemple, une fille que j'ai connue et qui s'est faite violée parce qu'elle était blanche...
    Violée parce que femme, car blanche... Tout cela s'appelle la triple oppression, et pas difficile de voir que personne dans la société n'échappe à cela, dans un sens comme dans l'autre.
    En Inde, le racisme marche dans tous les sens, majorité contre minorités et inversement, tous ces phénomènes se nourrissent les uns les autres... C'est pareil ici, tout simplement...’’
    (#1) 

    ‘‘les insultes de "sales gouer", les "sales babtous", "sales français" dans la bouche de certains.
    Je suis sur que les victimes quotidiennes de ces faits seront ravies de lire que leur oppression n'existe pas. Les laisser en galère et les traiter de mentEUSEeurs. Bravo pour l'antifascisme soi disant populaire qui se moque du Peuple et de sa réalité.
    C'est vraiment écœurant tout ça.’’
    (#2) 

    ‘‘On est sur un site antifa donc unitaire mais je me permets de citer Lénine : ‘Le marxisme est inconciliable avec le nationalisme, fût‑il le plus « juste », le plus « pur », le plus fin et le plus civilisé. À la place de tout nationalisme, le marxisme met l'internationalisme, la fusion de toutes les nations dans une unité suprême’...’’ (#3) 

    Ou encore (le meilleur pour la fin…) : 

    ‘‘Euh pas exactement... La fraternité aryenne est surtout née comme autodéfense... Elle n'est pas née contre la Black Guerilla Family...
    Et ce n'est qu'après qu'elle est devenue une "élite" version trafic de drogues...
    Et si on prend la situation dans les prisons américaines aujourd'hui, être blanc fait clairement de soi une victime du racisme, tant moralement que physiquement... Il y a là une évidente base au renforcement de l'ethno-différentialisme et du culte du "white power"...
    Y a-t-il besoin d'une idéologie structurée pour le racisme? Le tribalisme suffit ici largement...’’
    (#4) 

    !!!!!!!

    Depuis l’émergence du Front National (et le renouveau fasciste en Hexagone) dans les années 80, le "racisme anti-blancs", "anti-français" ou "anti-européens-chrétiens" est un thème récurrent du discours d’extrême-droite. Une manière de renvoyer dos à dos le racisme contre les minorités "de couleur", "immigrées", et le racisme que celle-ci exerceraient contre les "Français" ; qui seraient de plus en plus "étrangers chez eux dans certains quartiers" et "obligés de se défendre, de défendre leur identité". Avec des thématiques récurrentes, comme le viol de "femmes blanches" (thème classique du racisme contre les "sauvages" obsédés sexuels, comme aux USA avec les Noirs), les insultes du type "sale français" ou "sale gouère"… Thématiques qu’on voit à présent fleurir sur notre forum "antifa". 

    Toute notion de matérialisme, d’analyse scientifique des choses, de dialectique est complètement perdue de vue. La violence (qui peut être contre-productive, antisociale, voire réactionnaire) des opprimé-e-s est mise sur le même plan que la violence oppressive de la classe dominante (discriminations quotidiennes, pauvreté, relégation en ghettos, harcèlement policier au faciès etc.)

    Pour autant, cela n’existe-t-il pas ? Est-il interdit d’étudier la question ? Non, en effet : ce serait antimarxiste. Toute idée (y compris celle de « racisme anti-blancs ») part d’une réalité matérielle, et les marxistes doivent étudier la réalité pour la transformer. 

    Soyons clairs : d’un point de vue strictement objectif, "diagnostique", scientifique, OUI, il existe une forme de "racisme anti-blanc". Mais ce n’est pas un racisme "secondaire" par rapport au racisme "blanc" : il ne s’agit tout simplement pas de la même chose. Du moment que l’on regarde scientifiquement les choses… 

    D’un côté, on a une révolte de classe (ou contre l’oppression raciste au quotidien) dévoyée : toute révolte de classe qui n’est pas guidée par une théorie révolutionnaire dévie, inévitablement. Généralement, elle dévie en « guerre contre tous » individualiste, sans considération de "race" : ce que l’on appelle en langage médiatique la délinquance, l’incivilité, la violence gratuite, les "bandes". Elle peut se retourner contre soi-même : alcoolisme, toxicomanie etc. Elle peut aussi être récupérée par le réformisme, ou une quelconque démagogie "radicale" (type NPA).

    Et parfois, assez souvent même, elle peut se dévoyer en une haine de l’autre sur des critères "ethniques", et non de classe : le "racisme anti-blancs", avec assez souvent (aussi), un antisémitisme "social" en guise de "cerise sur le gâteau". Antisémitisme qui peut être entretenu par des fascistes à la Dieudonné, Soral ou Kémi Seba, à l’antisémitisme très européen façon années 1930*…

    C’est le rôle des communistes d’éviter que la révolte contre l’exploitation capitaliste et l’oppression raciste ne dévie dans un sens réactionnaire

    DE L’AUTRE CÔTÉ, on a l’idéologie dominante, la culture de la classe dominante, construite sur près de 400 ans de colonialisme capitaliste-primitif, puis 150 ans d’impérialisme ; et les personnes du Peuple (prolétaires et autres travailleurs pauvres "petits blancs") qui subissent son influence (et qui peuvent être aussi, à la base, des personnes en révolte contre le "système", mais que le "système" en question parvient à canaliser vers la haine de "l’étranger"). C’est l’idéologie de "l’homme africain jamais entré dans l'histoire", de "l’Orient barbare", du "rôle positif" de la colonisation, et on en passe et des meilleures…

    Ce racisme-là vise essentiellement les personnes africaines subsahariennes, afro-caraïbes, maghrébines ou orientales (anatoliennes ou machrikies) : les personnes originaires des anciennes et néo-colonies de l’impérialisme français ; ainsi que les Rroms.

    Un racisme dans lequel il ne faut pas chercher la cohérence : juifs séfarades et chrétiens libanais, qui sont culturellement des Arabes (de confession juive ou chrétienne), ne sont pas des "arabes" pour la plupart de ces racistes alors que les Turc-que-s, Kurdes, Iranien-ne-s, Albanais-es ou Bosniaques (de culture musulmane-orientale) sont considéré-e-s comme tel-le-s… La frontière entre l’identification nationale (arabe) et religieuse (musulmane) est mouvante, car les idéologies de domination (surtout dans leur version discount destinée aux masses) ne s’embarrassent guère de rigueur scientifique. 

    D’un côté, on a une conscience de classe "avortée", qui dégénère puis se développe en "tumeur" réactionnaire. De l’autre, on a l’influence idéologique de la classe dominante et du mode de production (capitaliste au stade impérialiste) sur les masses populaires ! 

    Voilà l’analyse matérialiste, scientifique. Un matérialisme, pourtant, qui échappe à nos autoproclamés « détenteurs de la science MLM »… 

    Une chose devrait pourtant suffire à leur mettre la puce à l’oreille, une chose toute simple : le racisme hypocrite, bien-pensant, paternaliste, est toujours exercé (en France) par les "blancs" sur les minorités… Il n’y a pas de "paternalisme anti-blancs" : le "racisme anti-blanc" est toujours brutal, violent, primaire. Or le paternalisme, le racisme hypocrite, bien-pensant (comme l’islamophobie "de gauche"), est la marque incontestable d’une pensée dominante qui a imprégné les esprits, dont on peut être atteint sans s’en rendre compte… et sans se le voir reprocher, alors que le racisme brutal, violent, qu’il soit "anti-blanc" ou contre les minorités, est (normalement) puni par la loi et (pour le moment) réprouvé par l’opinion générale. 

    Au lieu de cela, on a un discours totalement antimatérialiste, du type « le racisme c’est pas bien, d’où qu’il vienne, qui qu’il vise ». Oui, en effet, le racisme ce n’est JAMAIS bien. Mais pas pour les mêmes raisons… 

    Le racisme ‘anti-blanc’ est néfaste parce que, on l’a dit, il détruit la conscience de classe et empêche les exploité-e-s de s’unir contre les exploiteurs. Même s’il faut reconnaître, face à l’oppression spécifique raciste (contre les personnes africaines, caraïbes, maghrébines, anatoliennes ou rroms), le droit et la nécessité de s’organiser spécifiquement (comme les Noirs, les Latinos ou les Natives aux États-Unis).

    Dans certains cas (en particulier quand les victimes du racisme sont une majorité, dans les pays colonisés, mais aussi quand elles sont minoritaires), la dimension raciste ou communautariste permet d’évacuer le contenu de classe, l’aspect social de la lutte de libération ; elle permet de souder les masses opprimées à une élite qui, un jour (comme dans la totalité des ex-colonies), deviendra exploiteuse et/ou « sous-traitante » de la domination capitaliste-impérialiste (que ce soit la bourgeoisie FLN en Algérie, les leaders communautaires en Angleterre, la black bourgeoisie aux USA ou en Afrique du Sud, ou demain le Hamas en Palestine). Il n’y a pas de VRAIE libération nationale sans contenu démocratique et social

    Mais le RACISME DOMINANT, porté par l’idéologie dominante, est "mal" parce qu’il est l’expression de la domination impérialiste, qui en dernière extrémité peut muter en FASCISME, avec une dimension persécutrice, voire exterminatrice de masse. Peut-être qu’un nouvel Auschwitz n’est pas à l’ordre du jour, mais à lire les commentaires de sites comme Fdesouche, on peut voir que des milliers de petits Srebrenica des quartiers ne sont pas qu’un pur fantasme, pour que « la France ne soit pas le prochain Kosovo »… 

    Dans le cas de l’Inde citée en exemple (#1), évidemment qu’il y a des haines et des ressentiments de tous les côtés. Mais on ne peut pas mettre sur le même plan l’idéologie nationale, nationaliste hindoue, et la haine d’opprimés des Tamouls, des musulmans ou des minorités du Nord-est (ou encore des dalit, les "intouchables" des castes inférieures) ! Pour trouver la "contrepartie", il suffit d’aller (mais il faut !) au Pakistan voisin, où l’idéologie nationale repose pour le coup sur l’islam sunnite, au détriment des chiites, des parsi ou des hindous. [Lors de "l’indépendance" du sous-continent en 1947, l’impérialisme anglais a joué son classique « diviser pour mieux régner », comme entre chrétiens et musulmans en Afrique, entre chiites et sunnites en Irak, cinghalais et tamouls à Ceylan, "catholiques" et "protestants" en Irlande… Avec un "succès" qui perdure 60 ans plus tard.] 

    Quant à la citation de Lénine (#3), 1°/ elle est (bien sûr) complètement sortie de son contexte (la suite dit "Le principe de la nationalité est historiquement inéluctable dans la société bourgeoise, et, compte tenu de cette société, le marxiste reconnaît pleinement la légitimité historique des mouvements nationaux. Mais, pour que cette reconnaissance ne tourne pas à l'apologie du nationalisme, elle doit se borner très strictement à ce qu'il y a progressif dans ces mouvements, afin que cette reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience prolétarienne par l'idéologie bourgeoise"), 2°/ Lénine ne se résume pas à une phrase, et le marxisme-léninisme-maoïsme ne se résume pas à une phrase de Lénine : l’eau a coulé sous les ponts depuis 1913, la théorie communiste s’est enrichie de nouveau apports, a évolué, notamment avec le maoïsme, ou encore la question des minorités ‘de couleur’ (colonies intérieures) dans les pays impérialistes (Harry Haywood, Robert F. Williams, les Black Panthers, le mouvement latino US etc.) 3°/ Lénine dénonce en l’occurrence les dizaines de petits nationalismes bourgeois (autonomie nationale culturelle etc.) qui fleurissaient dans une Europe en pleines guerres balkaniques et à la veille de la Grande Boucherie de 14-18 (dans laquelle ces petits nationalismes jouèrent un rôle fondamental), mais il a aussi été le premier à soutenir sans ambigüité toute lutte contre une oppression nationale, colonialiste etc., bref il a été dialectique

    On est ici en dehors de toute dialectique : sont renvoyés dos à dos le nationalisme (ou toute identité autre que de classe) dominant, oppressif ; et la résistance des "identités autres que de classe" opprimées en tant que telles, sur des critères autres que (ou pas uniquement) de classe (oppression nationale, racisme, sexisme, homophobie)… 

    À ce jeu là, aussi antimatérialiste et antidialectique, pourquoi la haine contre la bourgeoisie exploiteuse ne serait-elle pas mise sur le même plan que l’exploitation et l’oppression des prolétaires ? D’autant que les prolétaires et les pas-bien-riches sont une écrasante majorité, même dans nos "paradis capitalistes"… Pauvre petite minorité terrorisée que les exploiteurs du travail ! Pourquoi ne pas pousser la logique jusqu’au bout et dire que d’une manière générale la haine, la méchanceté et bien sûr la violence c’est "pas bien" ? 

    Mais c’est vrai, on a déjà lu quelque part que critiquer Sarkozy ou le capitalisme financier était "antisémite"… 

    Enfin bon, il sera tout de même difficile de faire plus fort que le zozo pour qui la Fraternité aryenne (organisation d’extrême-droite néo-nazie américaine) est une… "autodéfense" contre le racisme "tribaliste" des Noirs dans les prisons US (#4) !!! 

    Donc voilà. C’en est fini. Le forum "antifasciste", noyauté depuis le départ par une petite clique plus que complaisante envers l’islamophobie (qui "n’existe(rait) pas"), les coups d’État US-backed, l’État sioniste et la fraction sarkozyste de la bourgeoisie monopoliste, sombre définitivement tel le Titanic et rien ne pourra le sauver.

    Les quelques individu-e-s encore un minimum lucides se pressent de quitter le navire… 

    Il y a un peu plus d’un an, Servir le Peuple écrivait l’article Les 4 lignes de l'impérialisme français . Cet article est aujourd’hui incomplet : depuis ont émergé des regroupements comme Riposte Laïque ou Résistance Républicaine, des initiatives comme les "apéros républicains", qui concentrent un peu toutes ces tendances fascistes : souverainistes de droite (à la Dupont-Aignan) comme de gauche (social-républicains-chauvinards-laïcards), euro-atlantistes néocons à la Del Valle comme nationaux-catholiques, identitaires comme villiéristes, lepénistes "marinistes" comme bompardiens… Et c’est bel et bien sur « l’islamisation » que se fait cette convergence, pas sur « l’antisémitisme complotiste », le « lobby juif » ou « siono-mondialiste » ! La ligne suivie par les "antifascistes" du "p""c""mlm" depuis plus de 2 ans est une faillite totale ! Une faillite qui s’achève aujourd’hui dans le tragique, avec des positions ultra-réactionnaires fièrement affirmées et assumées. 

    Il n’y a là aucun parfum de victoire. Plutôt un constat amer, car l’antifascisme est pour Servir Le Peuple un sujet sérieux et central, et le petit groupe qui porte ce forum a eu en d’autres temps (il y a longtemps déjà..) ses débuts prometteurs (revue Front Social, débuts du site "Étoile Rouge")…

    Il n’y a là que la confirmation de ce que SLP a toujours dit et répété : la posture ultra-révolutionnaire, « mieux que tout le monde », de petit intellectuel radical se rêvant en grand leader révolutionnaire, conduit inexorablement à la réaction

    Une page se tourne, le mouvement révolutionnaire d’Hexagone entre dans une nouvelle décennie.  


    * Attention : dire que cet antisémitisme est l'appendice du "racisme anti-blancs" ne veut pas dire qu'il est justifiable, et encore moins que l'antisémitisme en général est "compréhensible". Que cela soit parfaitement clair : cet "antisémitisme des banlieues" consiste à dire que les "Blancs" sont l'ennemi et que les Juifs sont les "chefs/maîtres des Blancs". Parfois, plus simplement, c'est un antijudaïsme (sans théorie de supériorité/infériorité raciale) hérité de l'époque coloniale, selon lequel les Juifs (qui sont aujourd'hui en majorité originaires du Maghreb, et vivent souvent dans les mêmes quartiers ou à côté des "arabo-musulmans") auraient un "traitement de faveur", comme "déjà au bled"... Mais ENSUITE cet antisémitisme "de banlieue" rencontre, à travers des gens comme Dieudonné, Soral ou Kemi Seba, l'antisémitisme bien "européen-chrétien" traditionnel : un antisémitisme qui est une manière de dénoncer un "mauvais capitalisme", une "ploutocratie financière cosmopolite" et non le capitalisme EN LUI-MÊME ; et d'associer ce "mauvais capitalisme" aux idées démocratiques, libérales-progressistes et universalistes bourgeoises dont la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie veut se débarasser. L'idée que les Juifs auraient un "traitement de faveur" rejoint quant à elle la "concurrence victimaire" dont Dieudonné s'est fait le spécialiste, et qui empêche l'unité populaire anticapitaliste et l'unité des populations cibles du racisme contre celui-ci. 

    Autre précision importante : peu de temps après cet article, mais probablement sans lien avec lui, le forum antifasciste a fermé. Si ce qui est affirmé est vrai, à savoir qu'il a été victime d'une attaque juridique de l'avocat de Faurisson et Blanrue, John Bastardi-Daumont, notre ennemi principal dans cette affaire est CLAIREMENT CE DERNIER. Cela dit, la base juridique de l'attaque semble faible, peu crédible pour un avocat "star" et l'affaire "tombe" pile poil à un moment où (avec cette affaire de racisme anti-blanc) le forum commençait à exploser sous ses contradictions... À prendre avec prudence, donc. Il est probable que l'on ne saura jamais ce qu'il s'est réellement passé. Ce qui est sûr c'est que le forum était déjà mort idéologiquement depuis bien longtemps, à mille lieues d'un antifascisme populaire, unitaire et de masse...

    Le mur de l’antimarxisme explosé à Mach 3 sur un forum "antifa"


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  • Repoussées pendant des années, les élections présidentielles en Côte d’Ivoire se sont enfin tenues et ont connu leur « épilogue »… si l’on peut dire.

    Car voilà la situation : la Commission électorale « indépendante » (il faut toujours des guillemets à ce mot) donne vainqueur l’opposant Alassane Ouattara avec 54% des voix, résultat avalisé par la « communauté internationale ». Mais, de son côté, le Conseil « constitutionnel » (idem) a invalidé le résultat et donne vainqueur le président sortant, Laurent Gbagbo. [Voir en fin d'article, sur ce sujet et sur d'autres, le lien vers l'entretien avec l'énorme Grégory Protche]

    Des violences ont déjà éclaté entre les partisans des deux hommes, et le pays est en état de siège.

    Alassane Dramane Ouattara (ADO) est un pur produit de la Françafrique, et des réseaux françafricains de la droite chiraquienne. Le nom de son parti, le RDR, est calqué presque lettre pour lettre sur le RPR, prédécesseur de l’UMP. Economiste au FMI, il est, comme Premier ministre de 1990 à 1993, le « père » de la terrible cure d’austérité infligée aux Ivoiriens lors de la crise économique des cours du cacao. Il est originaire du Nord du pays, à majorité musulmane, qui est son fief électoral, et il s’appuie sur les personnes originaires du Nord dans tout le pays. Il a la particularité d’avoir été écarté pendant près de 10 ans de la vie politique pour « ivoirité douteuse », autrement dit, mise en doute de sa nationalité réellement ivoirienne de père et de mère. C’est le cas de nombreux-ses Ivoirien-ne-s : à l’époque coloniale, la frontière n’existait pas réellement entre les ethnies du Nord et les pays voisins, Mali ou « Haute-Volta » (Burkina).

    Accusé d’être le chef politique, ou au moins l’instigateur de la rébellion militaire qui a ensanglanté le pays entre 2002 et 2007, il a vécu réfugié en France à cette époque.

    Laurent Gbagbo, lui, est un social-réformiste et opposant de longue date au régime d’Houphouët-Boigny et de son successeur Konan Bédié. Il est issu d’un groupe ethnique minoritaire du Sud-Ouest du pays. Après le coup d’État qui a renversé Henri Konan Bédié à Noël 1999, il a remporté à la surprise générale l’élection présidentielle en octobre 2000. Fondateur et leader incontesté du « Front populaire ivoirien », il était historiquement lié aux réseaux françafricains du PS (bien que ceux-ci aient longtemps gardé leur soutien à Houphouët)… Mais peu après son élection, en mai 2002, ses réseaux socialistes (déjà affaiblis par l’affaire Jean-Christophe Mitterrand) perdent le pouvoir à Paris. Peut-être aussi que sa politique « ingrate » envers les intérêts français, nationaliste et axée sur la « repentance » lui avait déjà fait perdre pas mal de soutiens du côté « gauche » de l’échiquier bourgeois…

    Gbagbo va alors se tourner vers les concurrents impérialistes de la France en Afrique, les Chinois et surtout les Américains, pour chercher des soutiens. À cette époque, la France et les États-Unis se livrent une guerre meurtrière (par Africains interposés) pour le contrôle du continent depuis la fin de la Guerre froide (soit plus de 15 ans) et Washington cherche à faire payer à la France son sabotage de l’intervention en Irak.

    Ce retournement d’alliance, en particulier la volonté de mettre fin à l’exclusivité française sur tout un ensemble de marchés publics, va provoquer la colère de Paris. La suite des évènements est décrite ici, dans un des articles d’analyse les plus lus de ce blog.

    Après 5 ans d’affrontements meurtriers, culminant dans le massacre d’Abidjan par l’armée française (force Licorne) en novembre 2004, l’épilogue de la guerre « civile » ivoirienne arrive en 2007 avec les accords de Ouagadougou.

    Ouagadougou, au Burkina Faso : le despotat de Blaise Compaoré, un pilier de la Françafrique et de tous ses coups tordus depuis l’assassinat de son « frère » le révolutionnaire anti-impérialiste Sankara, en 1987, jusqu’au soutien (avec Kadhafi) aux « guerres de Taylor » au Libéria et en Sierra Léone. Le Burkina où s’est organisée et armée la « rébellion » de 2002 qui a ensanglanté le Nord et l’Ouest de la Côte d’Ivoire.

    Ces accords prévoyaient : 1°/ que le chef de la rébellion, Guillaume Soro, devienne Premier ministre, 2°/ l’organisation de nouvelles élections et 3°/ la réforme de la Constitution sur la question de la nationalité des candidats, pour permettre à ADO d’y être candidat.

    Autant dire que l’élection de Ouattara était pour ainsi dire une « clause non écrite » des accords…

    Elle a d’ailleurs été permise par un troisième larron qui n’est autre que… Konan Bédié, qui a offert à Ouattara son fief électoral du centre (région de Yamoussoukro), le pays baoulé, et ses 25% des suffrages (Ouattara ayant recueilli 32% et Gbagbo – en tête – 38%). Tragi-comique lorsque l'on sait que Konan Bédié est celui qui a monté le fameux concept d’’ivoirité’ pour exclure son rival Ouattara de la succession d’Houphouët, en 1995 ! Disons-le : les 54% d’ADO et la défaite de Gbagbo sont crédibles, d’un point de vue arithmétique cela "colle". Mais une arithmétique typique du semi-féodalisme des néo-colonies africaines, avec leurs « fiefs politiques » régionaux sur une base ethnique.

    Dernier fait en date : le Premier ministre et ancien rebelle Soro a reconnu la victoire d’ADO, qui l’a reconduit dans ses fonctions. Reste, sans doute, à gratifier les houphouëtistes de quelques beaux strapontins… La boucle est bouclée.

    Car le fond des accords de Ouaga est absolument clair et Servir le Peuple l’a toujours clairement exposé : c’est un revirement dans les alliances entre impérialistes pour la mainmise sur l’Afrique. C’est l’irruption des ambitions chinoises sur le continent, au détriment des Occidentaux, qui a poussé la France et les États-Unis à mettre fin à leurs guerres meurtrières et à faire cause commune. Notamment le soutien de Pékin au Soudan, qui déstabilise le Tchad et la Centrafrique mais pourrait aussi s’en prendre à l’Ouganda ou au Kenya (traditionnellement pro-US) ; ou encore l’achat par les monopoles chinois de régions entières du Congo-Kinshasa.

    Depuis 2005-2006, les gestes de « pacification » franco-US se sont succédés : lâchage et arrestation du libérien (et créature françafricaine via Compaoré et Houphouët) Charles Taylor au Nigéria en 2006, lâchage et arrestation du chef tutsi pro-rwandais (donc pro-US) Laurent Nkunda en 2008… et bien sûr les accords de Ouagadougou, qui marquent de fait une retraite de Gbagbo devant la rébellion et la force d’occupation française Licorne ; avec à la clé le retour du « joyau de la couronne » ivoirien dans la Françafrique.

    Une situation à mettre en parallèle, peut-être (et en beaucoup plus pacifique…), avec les récentes élections au Chili où la social-libérale pro-européenne Bachelet a « cédé la politesse » au néo-pinochettiste Piñera, plutôt pro-US ; et d’une manière générale le recul des gauches, « modérées » ou « radicales bolivariennes », avec de nombreuses défections de « modérés », qui marque un apaisement de l’offensive UE sur le « pré carré » américain des USA.

    Mais bien sûr, les partisans de Gbagbo ne l’entendent pas de cette oreille. Des violences contre les partisans de Ouattara ont déjà fait des dizaines de morts de part et d’autre. Il faut dire que Gbagbo, issu d’une population minoritaire (les Krous, 10% de la population ivoirienne), a su par sa politique social-populiste et nationaliste se gagner le soutien de larges couches de la population, en particulier à Abidjan la populaire et multiethnique. Dans les quartiers populaires de Yopougon, Abobo ou Adjamé, « dioula » (sénoufo ou mandingue du Nord) n’est plus automatiquement synonyme de pro-Ouattara...

    Les chiffres parlent d’eux-mêmes : issu d’un groupe ethnique représentant 10%, il a remporté 46% au second tour, en progression par rapport au premier (38%, en tête) tandis que Ouattara régresse par rapport à l’addition de ses voix et de celles de Bédié (32+25). Quelle que soit sa nature de classe de bourgeois parvenu, de populiste et de mafioso, Gbagbo a su devenir la seule figure politique multiethnique de Côte d’Ivoire, et peut-être l'une des seules d’Afrique de l’Ouest.

    De son côté, expliquent les merdias françafricains, Ouattara serait détesté parce que « dioula » musulman du Nord, « ivoirien douteux »… La réalité c’est que ces conceptions chauvines existent, un peu comme ce que l’on entend parfois en France sur les origines étrangères de Sarkozy. Mais surtout, Ouattara est resté dans les mémoires comme l’homme de la cure d’austérité (made in FMI) suite à la crise du cacao, au début des années 1990, qui a étranglé les masses populaires ; puis comme l’homme de Chirac et un soutien intellectuel de la rébellion, et donc de l’occupation française venue en appui.

    Disons-le clairement : l’élection de Ouattara est une reconquista de la Françafrique en Côte d’Ivoire, contre l’homme qui a défié l’empire bleu-blanc-rouge en bombardant le camp militaire de Bouaké et en faisant partir des milliers d’expatriés, petits agents du néo-colonialisme.

    D’ailleurs l’extrême-droite, notamment par la voix de son « Monsieur Afrique » Bernard Lugan, sait parfaitement reconnaître les siens…

    Il ne s’agit pas d’apporter un quelconque soutien à Laurent Gbagbo, membre de l’Internationale social-traître et démagogue corrompu. D’ailleurs, la crise va trouver son épilogue incessamment sous peu. La victoire de Ouattara est une clause non-écrite du traité de paix africain entre la France et les États-Unis, qui ont d’ores et déjà demandé à Gbagbo de se démettre. Le « Monsieur Bons Offices » de toutes les crises du continent, le sud-africain Thabo Mbeki, est arrivé à Abidjan et va trouver à Gbagbo une porte de sortie honorable ou au pire (comme au Kenya ou au Zimbabwe) une solution de partage du pouvoir… À la rigueur, s’il souhaite vraiment s’accrocher au pouvoir, il peut se tourner vers la Chine qui semble lui vouer une « neutralité bienveillante ». Mais c’est peu probable : Gbagbo est un roublard, pas un héros, même « malgré lui ».

    Mais comprendre les ramifications de la Françafrique est quelque chose d'absolument fondamental. L’État profond français puise ses ramifications dans le profondeurs de l’Afrique pillée et saignée. Quatre grands réseaux françafricains exercent de fait une influence, parfois déterminante, sur les combinaisons de la politique bourgeoise : les réseaux « socialistes » (les expat’s votent en proportion notable pour le PS), les réseaux gaullistes récupérés par Chirac et maintenant disputés par ses successeurs à l’UMP, ceux récupérés par Pasqua, et ceux du FN (essentiellement tournés vers les « affreux », le mercenariat).

    Sarkozy n’est pas un bourgeois « industriel » ou « traditionnel » non-impérialiste : aucune autre classe que la bourgeoisie monopoliste ne peut diriger un pays impérialiste. Sarkozy est un américanophile, mis au pouvoir par les monopoles pour incarner le rapprochement franco-américain rendu impératif dès 2005 par (essentiellement) la menace chinoise en Afrique et la menace iranienne (la Chine en arrière-plan) au Proche/Moyen-Orient.

    Mais à l’époque de la guerre qui a ensanglanté la Côte d’Ivoire, Villepin était ministre des Affaires étrangères - puis Premier ministre. Ses appels à une « république solidaire » ne doivent pas leurrer les jeunes éduqués issus de minorités qui détestent à juste titre Sarkozy : Villepin est un néo-colonialiste comme les autres. Il ne faut pas se leurrer non plus sur Mélenchon, un homme qui trouve que Zemmour a de l’esprit et qui pourrait bien converger avec Villepin dans un « pôle républicain » contre le « pôle de l’argent » de Sarkozy et Strauss-Kahn… Mais un « pôle » tout aussi françafricain, plongeant ses racines comme une liane suceuse de sang dans le ventre de l’Afrique martyre.

    Notre ennemi, c’est l’impérialisme français et sa bourgeoisie monopoliste !

    Abattre l’impérialisme français, c’est abattre la Françafrique !


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    Lire encore à ce sujet l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur ce "dossier" ivoirien, sachant de quoi il parle etc.), ici un entretien autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara


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  • Dans les nombreux textes des camarades italiens du (n)PCI traduits sur Servir Le Peuple, revient souvent la notion de Gouvernement de Bloc Populaire (GBP). 

    De quoi s’agit-il exactement ? Essayons de l’expliquer le plus simplement possible.

    Il s’agit d’un gouvernement composé de personnalités progressistes sincères, mais aussi de personnes souhaitant réformer le capitalisme par peur de tout perdre (peur de la révolution), gouvernement appuyé par les organisations ouvrières (syndicats de base) et populaires, pour barrer la route à la mobilisation réactionnaire de la bourgeoisie de droite et des fascistes, et mettre fin aux effets les plus durs de la crise pour les masses populaires. Ce gouvernement doit permettre, selon le (n)PCI, aux révolutionnaires communistes de diffuser leur conception du monde et de montrer la justesse de celle-ci, de rassembler et organiser les forces révolutionnaires et (très important !) de préparer ces forces à l’inévitable contre-offensive de la bourgeoisie.

    Un gouvernement qui ressemblerait finalement (comparaison confirmée par des camarades), dans des conditions différentes (l’Italie n’est pas un pays dominé, à souligner), au gouvernement Allende au Chili en 1970 (avec la contre-offensive tristement célèbre de 1973), ou encore à l’élection de Chavez (au Venezuela) en 1998 (avec la contre-offensive ratée de 2002, la bourgeoisie réactionnaire jouant maintenant le pourrissement et le retour par les urnes).

    En effet, face à la montée des luttes du prolétariat, il y a toujours deux lignes dans la bourgeoisie : lancer une mobilisation réactionnaire de masse et aller vers la dictature terroriste ouverte (fascisme) ; ou alors, reculer temporairement, "lâcher du lest" avec un gouvernement social-démocrate et préparer un retour en force après l’échec des réformistes. Ce type de phase doit, selon les camarades italiens, être mis à profit par les communistes pour élever la conscience révolutionnaire dans les masses, mobiliser et organiser, avant de passer à une nouvelle étape de la lutte prolongée vers le pouvoir, vers la révolution socialiste. 

    Il s’agit pour eux, explicitement, d’une tactique, et non d’une stratégie pour instaurer le socialisme. "Fermeté dans la stratégie (guerre populaire révolutionnaire de longue durée), souplesse dans la tactique", tel est le mot d’ordre. Prôner le GBP aujourd’hui ne veut pas dire le prôner demain, ils le disent clairement. 

    S’ils prônent cette tactique, c’est sur la base d’une analyse de la situation dans l’État italien, qu’il ne s’agit pas de juger depuis ici. Il est vrai que l’on constate en Italie de grandes mobilisations populaires (500.000 personnes pour le No Berlusconi Day, 300.000 pour la journée antiraciste « sans immigrés », toutes les mobilisations contre la ligne TGV en Val de Suse, les grandes mobilisations ouvrières contre l’austérité, etc.) qui justement ne trouvent pas, voire rejettent, le chemin des directions de gauche "radicale", comme Refondation "communiste" etc… Les syndicats de base, les associations populaires de quartier, les centres sociaux, sont beaucoup plus nombreux et indépendants de l’État en Italie qu’en Hexagone, c’est un fait.

    Ce ne sont là que des suppositions : c’est aux camarades italiens, et à eux seuls, d’analyser la situation politique dans leur pays. 

    La question que nous, communistes révolutionnaires dans l’État français, devons nous poser, c’est est-ce que cette tactique est applicable ici, dans nos propres conditions concrètes

    L’analyse de la plupart des communistes marxistes-léninistes et maoïstes, et de l’auteur de ces lignes, est que NON

    Ce qui semble ressortir de l’analyse du (n)PCI, c’est qu’en Italie le fossé idéologique et culturel qui sépare le prolétariat de la petite-bourgeoisie/"classes moyennes" (réunis par le (n)PCI dans les "masses populaires"), est beaucoup moins important qu’en France. En tout cas, ce qui est certain pour nous communistes de France, c’est qu’en France il est énorme (sans être non plus infranchissable…). 

    Pour bien comprendre cela, il faut bien comprendre les différences historiques entre la France et l’Italie

    L’État français est un des impérialismes capitalistes les plus anciens au monde, après l’Angleterre et à peu près ex aequo avec les États-Unis. Il y a des traits caractéristiques qui ne trompent pas : l’importance des pays sous domination unique, véritables protectorats pseudo-"indépendants" (surtout en Afrique pour la France), l’importance et l’ancienneté de l’immigration de ces pays vers la métropole…

    Et, sur le plan politique, l’importance des idéologies "radicales" petites-bourgeoises, en particulier le trotskysme, l’importance du "marxisme" intellectuel, l’importance du social-chauvinisme symbolisé par "l’Union sacrée" de 1914 ; alors qu’en Italie, Mussolini a quitté le Parti socialiste précisément parce que celui-ci refusait l’entrée en guerre du pays… 

    Tout cela s’explique tout simplement par l’importance et l’ancienneté des classes moyennes, aristocratie ouvrière et petite-bourgeoisie salariée, financées par les bénéfices (surprofits) de la domination impérialiste sur une grande partie du Monde ; et par l’importance des travailleurs intellectuels (en particulier dans l’administration et l’enseignement) et leur influence historique sur le mouvement marxiste (socialiste puis communiste). 

    Le France est un pays de révolution bourgeoise ancienne : un processus allant du 18e siècle (Lumières et Révolution de 1789) à 1848 (où le régime devient celui de toute la bourgeoisie, pas seulement des plus riches, et écarte le capital foncier, la propriété terrienne). Déjà les monarques absolus, d’Henri IV à Louis XV en passant par Louis XIII avec Richelieu et Louis XIV, avaient été des "rois bourgeois", jouant la bourgeoisie contre les féodaux pour asseoir leur pouvoir.

    L’industrialisation est massive dans la première moitié du 19e siècle et, dans la seconde moitié, la France devient un pays impérialiste : colonisant de nombreux pays (en Afrique, en Indochine, dans le Pacifique) et dominant une grande partie du monde en y exportant des capitaux, tout en exploitant les ressources et la main d’œuvre.

    À ce moment-là (entre 1870 et 1905), la bourgeoisie impérialiste (monopoles), fusion du capital industriel et du capital bancaire, mène une "deuxième révolution" contre la bourgeoisie traditionnelle de province, alliée aux résidus féodaux (propriétaires fonciers et Église catholique) dans le "parti catholique".

    Elle s’est appuyée, pour cela, sur la petite paysannerie propriétaire (auparavant bonapartiste), les professions libérales et intellectuelles, une partie de la petite entreprise (commerce - artisanat), l’aristocratie ouvrière naissante, et le salariat d’État (employés administratifs), qui dès cette époque devient une spécificité française par son importance numérique. 

    L’Italie, au contraire, a mené une révolution bourgeoise tardive, qui commence avec la libéralisation du Piémont (années 1830) et s’achève avec la conquête de Rome (1870). Cette révolution s’est faite par compromis, et même fusion entre les classes féodales les plus libérales et la bourgeoisie industrielle et marchande la plus conservatrice (au détriment de la bourgeoisie républicaine "jacobine", comme Garibaldi). Le capitalisme italien est ancien (Moyen-âge) et pendant toute la période qui va jusqu’au 19e siècle, il s’est "féodalisé", formant une "aristocratie des villes". Ce trait marque encore le capitalisme italien aujourd’hui, qui est toujours "une affaire de famille".

    L’industrialisation est tardive, pas avant le milieu du 19e siècle (au Nord) et elle s’est faite par ces fameuses entreprises familiales : certaines sont devenues des empires (comme FIAT ou Pirelli), mais le capitalisme national reste dominé par un tissu de moyennes entreprises de ce type. Enfin l’Italie est venue tard à la table des impérialismes, peu avant la Russie et le Japon, entre la toute fin du 19e siècle et les années du fascisme (1920-30). "Collectionnant les déserts", essuyant des défaites humiliantes contre l’Éthiopie féodale et les tribus libyennes, finalement écrasée par les Alliés en 1943, elle est restée un impérialisme faible, secondaire, sans véritable « chasse gardée » comme la France en Afrique. 

    Pour ces raisons, la France a développé beaucoup plus anciennement et profondément, non seulement des classes moyennes (aristocratie ouvrière, petite-bourgeoisie salariée des petits cadres, travailleurs intellectuels et salariés d’État), mais une véritable culture et idéologie propre des ces classes.

    Alors qu’en Italie le (n)PCI semble considérer que les masses populaires (dans lesquelles ils incluent des personnes gagnant de 2.000 à 4.000 € par mois !) sont partagées, comme le prolétariat lui-même, entre l’influence réactionnaire ou fasciste de la bourgeoisie et l’influence du prolétariat révolutionnaire (progressisme), en France il y a une véritable idéologie petite-bourgeoise des classes moyennes. 

    Les classes intermédiaires peuvent produire de l’idéologie, il est faux de dire le contraire. Un grand nombre d’aspects du fascisme, le social-chauvinisme, le réformisme démocrate-légaliste ou le marxisme intellectuel sont des productions idéologiques petites-bourgeoises/"classes moyennes". Ce qui est vrai, c’est qu’elles ne sont pas capables d’une lutte de classe autonome : soit elles se rangent dans le camp de la bourgeoisie, soit elles se rangent dans le camp du prolétariat.

    Et l’idéologie classe-moyenne de France, même lorsqu’elle se présente comme "anticapitaliste", se place clairement dans le camp de la bourgeoisie, qui en a synthétisé les courants. Pour aboutir, globalement, soit à une pensée réformiste social-démocrate (attachée à la démocratie bourgeoise) soit à une pensée populiste social-fasciste (tendant vers le fascisme). La frontière entre l’une et l’autre étant parfois imprécise (et poreuse). 

    Entre les deux, il y a un ciment, produit par l’histoire, par la fusion idéologique de la révolution bourgeoise de 1789-1848 et de la "deuxième révolution" monopoliste de 1870-1905 : c’est l’idéologie républicaine. 

    L’État français repose donc sur une véritable idéologie touchant toutes les classes, jusqu’au prolétariat, en l’absence d’avant-garde révolutionnaire faisant son travail d’éducation politique...

    La République bourgeoise avec ses valeurs républicaines, son drapeau, son hymne etc., est une véritable religion d’État, une divinité : dire que le France est un pays laïc est une escroquerie intellectuelle.

    Il y a en France un véritable culte de l’État, comme entité "au dessus des classes", neutre et arbitrale, "au service de tous"… sauf lorsque l’État touche au portefeuille (impôts, amendes pour excès de vitesse), ou lorsqu’obtenir quelque chose nécessite des démarches administratives interminables : là peut surgir une certaine grogne anti-État.

    Et toute la social-démocratie et la gauche "radicale" petite-bourgeoise baignent littéralement là-dedans ! 

    La différence qualitative, dans le mouvement communiste, entre la France et l’Italie, s’explique en grande partie par là : le PC de France a toujours baigné dans l’idéologie républicaine, depuis sa création (1920). Le régime fasciste de Vichy, en abolissant formellement la République (ne sachant pas trop quoi mettre à la place, les opinions allant d’un régime présidentiel autoritaire au rétablissement des Bourbons…), n’a pas arrangé les choses. Après la victoire sur le fascisme en 1945, le Parti communiste s’est alors présenté en champion de l’idéologie républicaine, en "sauveur de la République" [exemple particulièrement significatif : en 1945 la Jeunesse communiste devient l’Union de la Jeunesse républicaine de France…].

    De manière complètement anti-matérialiste, le PCF n’a pas compris que l’État profond était resté inchangé entre la IIIe République et Vichy... et entre Vichy et la IVe puis la Ve (!), inchangé depuis 1870 voire depuis Napoléon Ier ! Même l’aspect pseudo-laïc de l’idéologie nationale n’avait pas été remis en cause sous Vichy, en dehors du court passage du catholique intégriste Jacques Chevalier à l’Éducation (sept. 1940 – fév. 1941) [ceci sans même parler de la présence en son sein d'innombrables éléments venus de la "gauche" et assumant totalement l'héritage de la révolution bourgeoise de 1789].

    Ainsi, le PC s’est mis à la remorque d’une idéologie bourgeoise, et même bourgeoise monopoliste, puisque l’idéologie républicaine qui s’est construite entre les années 1860 et 1900 s’est construite comme l’idéologie des monopoles (de l’impérialisme), contre la propriété foncière, l’Église catholique et la bourgeoisie familiale traditionnelle (pré-monopoliste) de province.

    Et toutes les formations (LO, LCR-NPA) qui ont tenté depuis 1990 d’occuper la "niche électorale" laissée par l’effondrement du PC en ont fait de même. 

    En Italie, l’État profond repose sur "l’aristocratie industrielle" du Nord, comme les Agnelli ou les Pirelli, la grande propriété agraire semi-féodale du Sud (dont les mafias sont la face noire) et le Vatican (qui est un véritable empire financier et réseau politique souterrain, en plus de contrôler les esprits). Les communistes italiens s’y sont historiquement toujours opposés (avec Gramsci en particulier).

    L’erreur des communistes, en 1945-48, est d’avoir cru que la Constitution antifasciste et la proclamation de la République renverseraient cet État profond, alors qu’il ne s’agissait que d’une restructuration.

    Le PCI de Togliatti s’est alors laissé institutionnaliser et transformer en aile gauche de la République bourgeoise, la "République pontificale". Mais lorsque les masses comprirent, dans les années 1960, que rien n’avait changé, un puissant mouvement révolutionnaire resurgit alors pour ne s’éteindre qu’au début des années 1980, après une violente répression… L’influence de cette lutte frontale contre l’État profond (années 1919-45 et 1960-80) imprègne encore une grande partie des masses populaires. 

    Il y a donc en Italie des réformistes petits-bourgeois, profondément idéalistes et ultra-démocrates (ne comprenant pas le caractère de classe de la démocratie, soit bourgeoise, soit prolétarienne), mais qui se placent néanmoins en rupture avec ces piliers de l’État profond (en particulier LE pilier idéologique du Vatican, ainsi que les organisations criminelles, "visage sombre" de la semi-féodalité du Sud). C’est fondamental.

    On peut parler de progressistes sincères, c'est-à-dire qu’ils veulent sincèrement changer l’ordre établi mais par une méthode fausse (des réformes), contrairement aux sociaux-traîtres qui veulent réformer l’ordre existant pour le maintenir.

    C’est sur eux que le (n)PCI pourrait s’appuyer, à travers les organisations ouvrières et populaires, pour établir ce fameux Gouvernement de Bloc Populaire ; avec "l’accord tacite" de la bourgeoisie "de gauche", la bourgeoisie qui pense qu’il faut faire des concessions pour sauver l’essentiel – et revenir en force plus tard. 

    En France, le problème est que les réformistes, jusqu’au NPA et à LO, ne sont pas en rupture avec l’État profond et son idéologie républicaine… ils en font même parfois partie ! On pense notamment aux innombrables profs qui dirigent ces organisations, l’Éducation nationale ayant en France une véritable fonction d’Église républicaine (malgré son "Vatican 2" post-68 ).

    Certains sont clairement des social-traîtres, qui ne veulent réformer et "réguler" le capitalisme français que pour le sauver ("éviter l’explosion, l’anarchie"…), tandis que beaucoup d’autres, plus prosaïquement, ne font que défendre leur bifteck (la gauche de la démocratie bourgeoise étant historiquement plus favorable aux fonctionnaires et aux petits-bourgeois salariés du secteur public). 

    Il ne s’agit pas, bien sûr, des troupes : quand on dit que l’on préfère 20% de NPA-Front de Gauche, en Limousin, que 20% de FN, on parle bien sûr de l’électorat, montrant un terreau populaire progressiste où la mobilisation réactionnaire n’a pas marqué beaucoup de points (sans compter que beaucoup de gens on voté par défaut, pour "le plus à gauche", tout en étant beaucoup plus avancés politiquement que cela). Non, il s’agit des directions

    Le problème, ce sont les directions, les idéologues des ces organisations - et, plus encore, l'idéologie qu'ils portent. Sans une véritable rupture idéologique avec l’État profond patriote-républicain-"laïc", il n’est absolument pas possible de s’appuyer sur ces éléments qui vouent de toute façon une haine féroce (ou un mépris profond, ce qui revient au même) aux véritables révolutionnaires et aux prolétaires conscients

    Le réformisme, en France, est pour ainsi dire historiquement une composante de l’État profond, un système immunitaire de celui-ci, faisant partie du paysage. 

    Si l'on veut résumer tout ce qui vient d'être dit : en Italie la "gauche" bourgeoise est une force politique marginale et instable, velléitaire et pusillanime, qui n'a joué de rôle réellement significatif qu'avec le P'c'I "eurocommuniste" de Berlinguer (1969-84, sous Togliatti le PCI était perclus de révisionnisme jusqu'à la moëlle mais c'est avec Berlinguer qu'il devient réellement une "gauche" bourgeoise), et dans une certaine mesure avec l'alliance entre le PSI et l'aile gauche de la démocratie-chrétienne au milieu des années 1980 (ère Craxi). Ceci parce que dès l'époque du Risorgimento (fondation de l’État), comme l'écrit le (n)PCI lui-même dans son Manifeste Programme, "À cause de sa contradiction d'intérêts avec les paysans [qui formaient alors l'immense majorité de la population faute de véritable révolution industrielle, de très grande ville comme Paris ou Londres etc.], la bourgeoisie unitaire dut renoncer à mobiliser la masse de la population de la péninsule pour améliorer ses conditions matérielles, intellectuelles et morales. Elle renonça donc aussi à établir son hégémonie, sa direction morale et intellectuelle sur la masse de la population. Cette réforme morale et intellectuelle de masse était cependant nécessaire pour un développement important du mode de production capitaliste. Mais l'intention de la réaliser se réduisit à des tentatives et efforts velléitaires de groupes bourgeois marginaux".

    Autrement dit son hégémonie sur les masses populaires est toute relative ; et le mouvement communiste qui "dès l'époque du Risorgimento et ensuite (a assumé) le rôle de promoteur de l'initiative pratique des masses populaires et donc, également, de leur émancipation d'une conception superstitieuse et métaphysique du monde" (encore le Manifeste Programme), s'il est suffisamment puissant, peut effectivement (peut-être) l'amener à agir dans le sens de ses objectifs révolutionnaires.

    Dans l’État français au contraire, si elle est confrontée comme partout dans le monde (depuis les années 1970-80 et le triomphe du "néolibéralisme") au problème du "réformisme sans réformes", et a par conséquent considérablement décliné, la "gauche" bourgeoise est historiquement une force politique fondamentale dans son rôle constant de contrôle et d'encadrement des masses... et de REMPART de l'ordre bourgeois, dans l'établissement duquel elle a toujours assuré (depuis le 18e siècle) une fonction de premier plan. Il n'est tout simplement possible de rien faire sans faire sauter cette digue ; il n'est pas possible d'avancer sans dénoncer et affronter, déconstruire et écraser la "gauche" (et plus largement "la Républiiiiique" dont elle est la gardienne absolue du temple, la droite ne faisant depuis la fin du 19e siècle que suivre le mouvement, ayant compris - dixit Thiers - que "c'est le régime qui nous - la bourgeoisie - divise le moins"), son discours et ses "mythes fondateurs" qui sont autant de PRISONS MENTALES pour les masses.

    Donc voilà. Il est permis de tenir compte des contradictions au sein de la bourgeoisie, en particulier sur le rythme de la marche vers le fascisme, et le plus il y en a, le mieux c’est pour nous communistes. Mais aucune caution ne peut être donnée à la social-démocratie, aussi "radicale" soit-elle ! 

    La tâche des communistes de France est donc, parallèlement à la lutte contre les politiques réactionnaires et la fascisation larvée de la bourgeoisie majoritaire, de briser l’idéologie républicaine et de démasquer l’imposture social-démocrate et réformiste petite-bourgeoise, qui est l’aile gauche (et le REMPART !) de cette idéologie : l’aile sociale-républicaine en quelque sorte. 

    C’est seulement à cette condition de briser l’idéologie républicaine de la "gauche" réformiste que nous pourrons réunir, organiser et renforcer (et finalement constituer en Parti) les forces révolutionnaires communistes, dont certaines sont fourvoyées dans ces organisations réformistes, et d’autres restent inorganisées car désabusées ; et dégager de ces organisations les progressistes sincères*, pour les agréger autour du Parti dans un Front uni.


    [*Un bon exemple est la LCR du début des années 1970, en rupture avec le PC thorézien révisionniste mais aussi avec le trotskisme "orthodoxe" gauchiste-réactionnaire, évoluant plutôt dans le bon sens et que le puissant mouvement communiste maoïste de l’époque (Gauche prolétarienne et PCMLF notamment) avait réussi à entraîner derrière lui, la poussant vers une pratique comme (par exemple) l’opération antifasciste de la Mutualité (menée avec le PCMLF). Le mouvement communiste maoïste avait réussi à influer sur cette organisation "marxiste anti-stalinienne" et sur ses contradictions internes, radicalisant la gauche (Bensaïd, Recanati), neutralisant le centre (les frères Krivine) et isolant la droite (Frank, Filoche) - même pas tenue au courant de l'opération. Mais depuis, la LCR est revenue au trotskisme "antitotalitaire" (contre la dictature du prolétariat) et finalement à la social-démocratie (NPA), occupant en définitive la niche politiquequi était celle du PSU dans les années 1960-70]

     

    Suite à cet article, le (n)PCI avait réagi pour souhaiter apporter quelques précisions et rectifications : Rectificatif sur le Gouvernement de Bloc Populaire


    [Finalement, une grande partie de tout ce que nous venons de dire au sujet de la "gauche" social-républicaine française à la Mélenchon pourrait être résumée dans le concept de social-chauvinisme : http://www.contretemps.eu/interventions/social-chauvinisme-injure-concept... En définitive, la grande différence que nous essayons d'expliquer pourrait se situer là : malgré les grandes limites et les atermoiements réformistes de son mouvement socialiste, l'Italie n'a pas connu dans la même mesure ce phénomène social-chauvin dont l'"apogée éclatante" en Hexagone aura été l'"Union sacrée" de 1914 ; les socialistes italiens pro-guerre de cette époque faisant rapidement scission autour de Benito Mussolini pour devenir quelques années plus tard le mouvement fasciste ; alors que leurs homologues français sont restés socialistes sans le moindre problème ni la moindre remise en question, certains rejoignant même sans encombre (sans autocritique) le PC lors de sa création en 1920 (et par la suite, outre cette question du positionnement face à la guerre de 1914-18, il y a eu toute celle de l'attitude par rapport à l'impérialisme colonial, sujet sur lequel le socialisme puis le communisme italiens ont également toujours été beaucoup plus clairs...) ! Ceci est lié, comme nous l'avons expliqué, au caractère beaucoup plus (historiquement) fort et solide de la bourgeoisie tricolore qui lui a permis de prendre dans sa "force d'attraction" une partie considérable du mouvement ouvrier, ce que la bourgeoisie transalpine a toujours été beaucoup trop faible pour faire (quoi qu'elle y ait pas mal réussi avec le PCI à partir de 1960, jusqu'à sa dissolution en 1991).] 


    ET POUR FINIR, si le problème de la "gauche de la gauche" dans l’État français est ce que nous avons longuement expliqué supra, celui de son équivalente italienne est sa grandissante inexistence en termes de résultats électoraux et de représentation parlementaire, ce qui dans le cadre d'une stratégie totalement fondée sur cela a fini par conduire le (n)PCI à soutenir en "substitution" le très populiste et de plus en plus réactionnaire "Mouvement 5 Étoiles" de Beppe Grillo (ce que nous avons vivement critiqué).

     


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  • Source 

    Harry Haywood (1898-1985) est un militant historique New Afrikan du mouvement communiste US, membre fondateur du premier PC des USA, et également un grand théoricien de la question noire US, qu’il est le premier à définir comme une nation opprimée, une « colonie intérieure ». Il fut également un membre actif de l’Internationale communiste et résida en URSS de 1925 à 1930, où il fut membre du PC bolchévik et participa à la lutte sans merci contre les trotskystes et les partisans de Boukharine. Après la trahison révisionniste (dès les années 1940 aux USA), il la dénonça et participa dans les années 1960 au Nouveau mouvement communiste US, anti-révisionniste.

    Servir le Peuple n’est pas d’accord avec tout ce qui est dit dans ce texte. Mais le vieux Harry Haywood, « au bord du dernier rivage » comme disait Charles Tillon (il a 86 ans et mourra l’année suivante), a le mérite de remettre en question un certain nombre de dérives qui, surtout à partir de 1972 mais aussi dès les années 60 (avec par exemple les positions pro-De Gaulle contre les "deux superpuissances" de certains groupes français ou belges), ont entaché ceux et celles qui avaient rejoint la lutte de Mao Zedong contre le révisionnisme.

    Une dénonciation d’autant plus importante, qu’aujourd’hui un certain nombre de marxistes-léninistes et de maoïstes, y compris de ceux qui citent Haywood comme une référence, suivent un chemin similaire…


    La Chine et ses partisans se trompaient sur l’URSS (1984)

    Harryhaywood.jpgAprès une brève période de construction du Parti dans les années 1970, le Nouveau mouvement communiste est maintenant mort. Il est tombé dans la désintégration organisationnelle, la confusion politique et le désarroi idéologique. Quelle est la source de cet effondrement de notre mouvement ? Comment pourrions-nous commencer un rétablissement politique ? Aujourd'hui ces questions sont devenues plus pressantes, alors qu'une nouvelle période de la crise impérialiste commence à changer radicalement l'équilibre mondial des forces et fait à nouveau surgir le danger de dépression et de guerre mondiale catastrophiques.

    Il y a beaucoup de facteurs qui ont précipité la crise du Nouveau mouvement communiste, ce qui la rend difficile à résoudre. D’une part, sa base de classe s'est reflétée dans le mouvement pacifiste étudiant, les mouvements nationaux et la lutte anti-révisionniste. Il n'a pas eu une grande base ou composition ouvrière, et a été caractérisée par sa jeunesse et son inexpérience. Son « gauchisme » ultra a empêché son expansion dans des secteurs plus larges de la société des États-Unis, et il est finalement resté un ensemble de sectes isolées à la gauche de la société.

    En outre, les bouleversements politiques en Chine et la mort de Mao ont contribué à l'instabilité des perspectives politiques du mouvement. À l'intérieur du Nouveau mouvement communiste, il y avait des difficultés sur les questions du centralisme démocratique et sur les questions de démocratie dans le Parti. En conséquence, beaucoup de groupes de la gauche révolutionnaire ont eu des difficultés pour conduire une lutte politique sérieuse. Enfin, l'intensification de la crise mondiale durant les années 1970 a rapidement changé les situations politiques et a amené des problèmes qu’ils ne pouvaient pas résoudre.

    Le Nouveau mouvement communiste

    Lorsque le Nouveau mouvement communiste a commencé à vaciller à la fin des années 1970, beaucoup de camarades et d'organisations ont résumé au sectarisme et au dogmatisme gauchiste ou au liquidationnisme de droite les causes de notre récession. Bien qu'il y ait beaucoup de vérité dans ces positions, elles ne vont pas au cœur du problème. La question essentielle est : quelle est la grande ligne qui a mené notre mouvement dans la crise et l'effondrement ?

    Bien que beaucoup de problèmes aient contribué à la crise du Nouveau mouvement communiste, la cause sous-jacente de son effondrement a été la ligne stratégique incorrecte de la Théorie des Trois Mondes, que notre mouvement de construction du Parti a empruntée aux Chinois sans recul critique. Ce point de vue que l'Union Soviétique est un pays social-impérialiste, dans lequel le capitalisme a été reconstitué, marque pour les Chinois un changement fondamental dans l'équilibre international des forces. Ils ont dépeint l'Union Soviétique non seulement en tant qu'ennemi mais « ennemi principal » des peuples du monde. Cela a parfois conduit les Chinois à une alliance tacite avec les États-Unis. Cela a également créé des contradictions profondes dans la ligne politique du Nouveau mouvement communiste.

    La question de l'Union Soviétique est fondamentalement stratégique. Elle signifie aborder la première question révolutionnaire posée par Mao : « Qui sont nos ennemis ? Qui sont nos amis ? ». L'Union Soviétique est-elle une amie ou une ennemie de la révolution ? La façon dont nous répondons à cette question détermine non seulement notre conception stratégique internationale, mais fonde également notre ligne sur toute une série de problèmes tactiques.

    Tout au long des années 1970, les Chinois ont répondu à cette question par la Théorie des Trois Mondes. Sous sa forme la plus développée, la Théorie des Trois Mondes arguait du fait que l'Union Soviétique était « l'ennemi principal » des peuples du monde. Elle a également indiqué que « des deux superpuissances impérialistes, l'Union Soviétique est la plus féroce, la plus sans scrupules, la plus déloyale et la plus dangereuse source de guerre mondiale, à l'offensive partout dans le monde ».

    Les Chinois ont affirmé que derrière ces développements internationaux se trouvaient des changements politiques dramatiques à l'intérieur de l'Union Soviétique. Après la mort de Staline, le révisionnisme est arrivé au pouvoir avec Khrouchtchev et Brejnev. Ceci, affirment les Chinois, a conduit à la « dégénérescence » du socialisme et à la restauration du capitalisme. Une nouvelle classe, la « classe monopoliste bureaucratique », a pris le pouvoir en URSS. Elle a apporté avec elle une économie « capitaliste monopoliste » d'État et un État de « dictature fasciste ».

    Pour le Nouveau mouvement communiste aux États-Unis qui a regardé vers la Chine, ces aspects stratégiques ont créé de graves problèmes dans la ligne politique. D'une part, la stratégie de la Théorie des Trois Mondes encourageait une défense militaire forte des États-Unis et une alliance tacite entre les États-Unis et la Chine. D'autre part, une grande partie du Nouveau mouvement communiste s'est énergiquement opposée à toute forme de suggestion que cela signifie, pour les communistes des États-Unis, un « Front populaire » avec la bourgeoisie US.

    En conséquence, une contradiction politique profonde a traversé une grande partie du Nouveau mouvement communiste. Il y avait une logique inhérente à la Théorie des Trois Mondes qui la poussait dans la direction de l'impérialisme US.

    Les effets politiques et économiques de la crise mondiale de l'impérialisme ont forcé les États-Unis, après une brève retraite provoquée par la défaite au Vietnam, à essayer de réaffirmer leur hégémonie et de regagner leur ancienne domination par une course aux armements massive et une nouvelle projection de militaires US tout autour du globe. Le « nouveau militarisme » s’appuie sur une « nouvelle Guerre froide » ravivée contre l'Union Soviétique et la « menace » communiste dans le Tiers Monde. Une politique conflictuelle belliqueuse a maintenant remplacé la détente, et a fait surgir le spectre de la guerre nucléaire en Europe.

    Clairement l'ennemi principal aujourd'hui dans le monde n'est pas l’Union Soviétique, c’est l'impérialisme des États-Unis. Pour être plus précis, ce sont les monopoles capitalistes des États-Unis. Pour les communistes américains cela signifie saisir le fait que « notre propre bourgeoisie », ici aux États-Unis, est la source la plus dangereuse de guerre et l’ennemi principal.

    Un autre ensemble de problèmes stratégiques développés par la Théorie des Trois Mondes est lié à la thèse de la «force principale» et aux périodes historiques qui étaient à la base de cette analyse. En synthèse, la Théorie des Trois Mondes a avancé l'idée stratégique que « les pays et les peuples du Tiers Monde sont la force principale qui combat l'impérialisme, le colonialisme et l'hégémonisme ». Les Chinois ont argué, pour un ensemble de raisons, que le Tiers Monde jouerait ce rôle stratégique « pendant une période historique assez longue ».

    Bien que la thèse de la « force principale » était correcte au sujet du rôle respectif du mouvement démocratique national et du mouvement ouvrier dans les pays impérialistes pendant la période entre 1950 et 1970 [les Trente Glorieuses NDLR, l’époque du « capitalisme à visage humain » pour les masses des pays développés], elle ne s'applique plus à la nouvelle période historique qui s'est ouverte dans les années 1970 en raison de la crise mondiale de l'impérialisme. Cette thèse a contribué à une sous-estimation, déjà existante, du potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière dans les pays capitalistes avancés.

    En conclusion, nous devons considérer la thèse que le capitalisme a été restauré en Union Soviétique. C'est la racine principale de la Théorie des Trois Mondes. C'est une thèse qui nous pose également des questions au sujet de la nature du socialisme. La croyance que le capitalisme a été reconstitué en Union Soviétique vient essentiellement d'une conception idéaliste du socialisme*. En premier lieu elle oublie la longue, compliquée, et tortueuse lutte des Soviétiques pour établir le premier pays socialiste sur la planète.

    Au moment de sa naissance, la révolution socialiste en Russie a été attaquée par une invasion des forces alliées dans une «guerre secrète » contre la révolution. Puis sont venues les années dures de la récession économique et de la guerre civile suivies de la grande industrialisation des années 1930 ; et finalement une Guerre mondiale durant laquelle son territoire a été envahi, un tiers de sa richesse détruite et plus de 20 millions de ses habitants tués. L'Union Soviétique a supporté le choc de la guerre antifasciste et a joué un rôle décisif en sauvant le monde du fascisme. Tous ces événements ont eu lieu en une seule génération. Ainsi, durant son existence entière l'Union Soviétique a été soumise aux attaques de l'impérialisme occidental mené par les États-Unis. Afin de survivre, l'Union Soviétique a dû développer une défense militaire forte. Pendant la période suivant la 2e Guerre mondiale, elle a été confrontée à des États-Unis hostiles et agressifs. Confrontée à la doctrine de Truman, au plan de Marshall et à la menace constante de la bombe atomique, l'Union Soviétique s’est armée avec des armes nucléaires. Andreï Gromyko, sur l'utilisation des armes nucléaires stratégiques de l'Union Soviétique, a mis en avant une politique de « ne pas frapper en premier » que les États-Unis ont refusé d'adopter.

    L'histoire démontre que, par-dessus tout, la politique extérieure de l'Union Soviétique a été fondamentalement défensive et non-agressive. Ceci ne signifie pas que tout ce que fait l'Union Soviétique est correct ni qu'elle ne peut pas faire des erreurs sérieuses ou poursuivre des lignes erronées. Par exemple, ses relations avec la Chine et d'autres pays socialistes ont été marquées parfois par le chauvinisme et l’hégémonie. Mais ces problèmes ne font pas de l'Union Soviétique une puissance social-impérialiste*.

    Sans classe capitaliste monopoliste et sans rapports capitalistes de production* il n'y a pas de logique fondamentale et irrésistible dans l'économie soviétique qui crée un besoin d'exporter du capital et d'exploiter d'autres pays par le commerce. En conséquence, elle n'a également aucune colonie ni aucun empire à maintenir.

    Une des leçons principales que nous pouvons tirer de nos expériences avec la Théorie des Trois Mondes et des changements de la situation internationale, est la nécessité absolue de développer une ligne communiste américaine indépendante basée sur les particularités de la situation interne et internationale des États-Unis.

    Le monde tel que nous l'avons connu depuis la 2e Guerre mondiale est maintenant en grand reflux. L'impérialisme produit une nouvelle crise mondiale. Les craintes de dépression économique et de guerre sont élevées.

    Aux États-Unis il y a des signes forts que le Peuple américain commence à répondre à cette crise. En 1982, un demi-million de personnes ont manifesté pour la paix et contre la guerre. En 1983, plus d'un quart de million a marché sur Washington en mémoire de Martin Luther King et pour rétablir les mouvements de droits civiques. Au cours des dernières années, il y a également eu un certain nombre de grandes manifestations nationales de travailleurs à Washington.

    Ces événements annoncent un grand mouvement de masse concentré sur les questions de la paix, du travail et de la liberté. Une coalition de gauche, enracinée dans l'alliance de la classe ouvrière et des nationalités opprimées et composée de nombreux mouvements pour les droits démocratiques, prend maintenant forme. La crise mondiale crée des conditions favorables pour le développement d'une alliance stratégique mais les communistes des États-Unis sont dispersés, divisés et non préparés.

    Ces développements rendent plus pressant pour les communistes américains de laisser de côté les idées politiques démodées et incorrectes, afin que nous puissions commencer à donner une direction à ces tendances. Notre première étape commence par la recherche d’un processus d'unité, basé autour d'une direction stratégique qui identifie clairement l'impérialisme des États-Unis comme Centre de la réaction mondiale*, menace principale pour la paix et ennemi principal des peuples du monde.


    Harry Haywood dans le Guardian newspaper - 11 avril 1984


    *********************************

    * Un certain nombre de commentaires s’imposent :

    - Ce texte dénonce impitoyablement la Théorie des Trois Mondes.

    Il est clair que l’application de celle-ci à la lettre a dû être particulièrement difficile pour des communistes américains, vu qu’elle impliquait un quasi soutien à leur propre impérialisme et à ses alliés ou régimes laquais… Mais à partir du milieu des années 1970 (avec la nouvelle crise générale du capitalisme, en fait), on a pu observer un « resserrement des rangs » des impérialistes occidentaux (nord-américains, ouest-européens, japonais) dans une nouvelle « Grande Guerre Froide » : ainsi en France, les gaullistes partisans de « l’équilibre Est-Ouest » (Premier ministre Chirac) sont écartés et la France adopte à nouveau une politique « atlantiste » et antisoviétique. On verra pourtant à cette époque des « prochinois » soutenir l’opération impérialiste de Kolwezi contre les « mercenaires cubains et angolais du social-impérialisme »…

    - Aujourd’hui, la Théorie des Trois Mondes est unanimement rejetée par les communistes révolutionnaires, marxistes-léninistes et maoïstes. Il est démontré qu’elle n’est pas (en tout cas comme stratégie, et non comme tactique) une théorie de Mao (qui n’a reçu Nixon que dans le contexte de la déroute US au Vietnam), mais bien de LA DROITE contre-révolutionnaire du PC chinois. Celle-ci n’était pas, en effet, prosoviétique mais pro-occidentale, détournant la lutte anti-révisionniste en antisoviétisme nationaliste bourgeois et en anticommunisme. C’est pourquoi elle a été forte au milieu des années 60, avant la Révolution Culturelle, lorsque Mao avait été mis à l’écart (avec des groupes comme celui de Jacques Grippa en Belgique ou Georges Frêche en France) ; et à partir de 1971, quand l’affaire Lin Piao a permis un retour en force du centre-droit (Chou Enlai) et de la droite (Deng, à partir de 1973) dans le Parti. C’est seulement pendant la Révolution Culturelle, entre 1966 et (disons) 1973, que des groupes comme la Gauche Prolétarienne (ou les Black Panthers, ou les communistes révolutionnaires d’Italie jusqu’en 1980) ont pratiqué le maoïsme pour ce qu’il est : un renouveau de la lutte révolutionnaire à un niveau supérieur, rejetant le révisionnisme et le réformisme collabo de classe mais aussi des pratiques erronées et ossifiées de l’époque léniniste comme une lutte trop économique et centrée sur l’usine, une mauvaise compréhension des problèmes spécifiques comme le racisme, les minorités, le patriarcat (sexisme, homophobie) etc. etc... et non être des officines de perroquets de Pékin comme les PC révisionnistes à la Thorez étaient les perroquets de Moscou !

    Mais à l’époque où Haywood écrit, cette théorie n’avait encore été dénoncée que par Enver Hoxha (République populaire d’Albanie) et attribuée par lui à Mao - s’accompagnant donc d’un rejet du maoïsme ; ainsi que par Gonzalo au Pérou, et par quelques groupes relativement isolés (PCR aux USA, OCML-VP en France). Haywood tombe donc, finalement, dans le rejet du maoïsme : pas explicitement, mais à travers des thèses maoïstes fondamentales comme le rétablissement du capitalisme en URSS et le comportement « socialiste en paroles, impérialiste en actes » de celle-ci (ce qui diffère d’ailleurs de Hoxha, qui considère bien l’URSS comme impérialiste et prône un « ni-ni » systématique et borné).

    - Servir le Peuple considère qu’il y a bien eu rétablissement du capitalisme en URSS. Ce rétablissement prend sa source dans les 30% d’erreurs et de fautes (politiques et économiques) attribués par Mao à la direction soviétique (Staline, Molotov, Jdanov etc.) lors de la construction du socialisme ; et dans les conditions imposées à l’URSS (militarisation, efficacité industrielle…) par l’encerclement réactionnaire, la menace fasciste et la guerre d’extermination nazie. Il commence après la mort de Staline, de manière progressive, par démantèlement de l’économie et des rapports sociaux socialistes construits jusque-là. Il s’accélère avec la crise générale du capitalisme (à partir de 1970) et encore plus (avec la crise profonde de l’économie soviétique) à partir de 1985 (Gorbatchev). Il traverse (en URSS et dans les pays d’Europe de l’Est) une étape de quasi guerre civile (1989-91 et encore 1992-94 en Russie, en Géorgie ou en Moldavie, sans parler de la Yougoslavie), pour aboutir finalement à la situation actuelle : capitalisme sauvage, régimes oligarcho-fascistes (pro-russes ou pro-occidentaux) en Russie et dans la majeure partie de l’ex-URSS, domination impérialiste (allemande, française…) des ex-"pays de l’Est", "socialisme de marché" (ou "capitalisme social", on ne sait plus trop...) au Vietnam ou à Cuba (et en Chine, mais c’est une autre histoire).  

    MAIS il faut bien saisir l’aspect dynamique, en mouvement de ce processus de restauration ; ce n’est pas un système figé (malgré peut-être une certaine stabilisation sous Brejnev, entre 1964 et 1982) et il est difficile de le caractériser par une formule simple et définitive telle que « capitalisme monopoliste d’État ».

     Pendant toute cette période (des années 1950 à 1989), la politique internationale de l’URSS envers les nouveaux pays socialistes (Europe de l’Est, Cuba, Vietnam…), les partis prosoviétiques et les mouvements de libération nationale a évolué vers l’hégémonisme politique, les relations économiques inégalitaires (division du travail dans le COMECON), le soutien aux bourgeoisies nationales et à des éléments bureaucratiques (fusion de branches de l’appareil d’État, de capital bancaire et de grande propriété terrienne) dans les pays dominés par l’impérialisme, le soutien à la lutte réformiste et parlementaire dans les pays impérialistes. À partir de 1970, la direction soviétique développe (effectivement) une politique extérieure de plus en plus agressive, à mesure que la crise mondiale ronge son « modèle » économique : la guerre de type colonial menée en Afghanistan, le soutien à la junte militaire éthiopienne contre le mouvement de libération d’Érythrée (soutenu auparavant !), le soutien à des régimes comme celui d'Amin Dada en Ouganda ou de Saddam Hussein en Irak, les bonnes relations avec des régimes fascistes compradores comme la junte de Videla en Argentine ou Ferdinand Marcos aux Philippines, constituent des pratiques dignes d’un pays impérialiste de fait. Mais le soutien soviétique (avec Cuba) à la lutte contre le régime d’apartheid et ses mercenaires (UNITA, Renamo) en Afrique australe, ou contre les juntes fascistes pro-US en Amérique centrale, ne devait pas empêcher de soutenir ces luttes.

    - EN TOUT CAS, quel qu’ait été le niveau d’avancement de la restauration capitaliste en URSS et la nature du régime politique (effectivement oligarchique, réactionnaire et répressif), faire de l’URSS l’ennemi principal était complètement délirant et catastrophique. Même si les USA ont « accusé le coup » après leur défaite au Vietnam (1973-80), la suite des évènements l’a démontré. Quelle qu’ait été la nature du système économique des années Brejnev ("capitalisme monopoliste d’État" etc. etc.), une chose est sûre : IL N’A PAS RÉSISTÉ à la crise mondiale. Soit directement, soit à travers les régimes ou les forces qu’elle soutenait, l’URSS a encaissé dans les années 1980 défaite sur défaite : Afghanistan, Éthiopie-Érythrée, Nicaragua et Amérique centrale, Europe de l’Est et finalement éclatement de l’URSS elle-même. La Russie du début des années 1990 est une puissance vaincue et humiliée, comme l’Allemagne des années 1920 ou le Japon des années 1950. C’est avec le « sursaut national » de Poutine (à partir de 1999) qu’elle est devenue ce qu’elle est maintenant : un pays impérialiste "tout court" (et non plus "social-impérialiste").

    - Aujourd’hui, un grand nombre de communistes parfois sincères (ou parfois moins…) suivent malheureusement des thèses similaires. Les partisans, on l’a dit,  des thèses de Hoxha, mais aussi  ceux de Gonzalo préconisent un « ni-ni » systématique, le refus de tout « appui » sur un impérialisme contre un autre. C’est juste, sur le principe. Mais le problème c’est qu’aujourd’hui, dans la véritable guerre impérialiste mondiale non-déclarée à laquelle nous assistons, les impérialismes rivaux ont des intérêts dans pratiquement tous les conflits du monde. Toute lutte de libération contre un impérialisme bénéficie pratiquement du soutien objectif d’un autre : même les maoïstes du Népal (contre l’Inde, soutenue par les Occidentaux) et des Philippines (contre un régime-pilier pro-US en Asie-Pacifique) sont vus d’un bon œil par la Chine… Or le « ni-ni » ne fait pas la distinction DU POINT DE VUE DES MASSES, dans un pays donné, entre ennemi principal et ennemi secondaire impérialiste.

    D’autres vont encore plus loin, et l'on voit surgir un mystérieux « bloc France-Allemagne-Russie » (les trois comparses de l’opposition anti-US en 2003 seraient donc liés pour la vie ?) opposé aux USA, ce qui les amène à soutenir objectivement les manœuvres et les crimes de l’impérialisme US (comme au Honduras) et de ses alliés (notamment Israël).

    - FINALEMENT, derrière tout cela il y a la même vision du monde erronée, la même que dans la Théorie des Trois Mondes : la vision géopoliticienne du monde. La même, il faut le dire hélas, que celle des « nationalistes-révolutionnaires » et des révisionnistes pour qui « tout est géopolitique », tout ne se conçoit qu’en terme de « blocs » : « camp de la Paix » ou « camp anti-impérialiste » contre « Empire » US (et soutien à l’Iran, à la Chine, à la Birmanie, au Soudan, etc.), « Eurasie » contre « atlantisme », etc. etc.

    S’y ajoutent d’autres théories erronée, comme celle que nous serions dans « l’offensive stratégique » de la révolution mondiale et qu’il faudrait « compter sur ses propres forces », alors que nous sommes bien évidemment au tout début de la 2e vague révolutionnaire mondiale (produite par la nouvelle crise générale depuis les années 1970) après le grand reflux stratégique des années 80-90 ; nous sommes à une époque que l’on peut qualifier de « 1905 », de renouveau et de développement des luttes et des organisations révolutionnaires (les plus abouties étant les guerres populaires maoïstes en Inde et aux Philippines), de construction des rapports de force, de luttes pas forcément sous le drapeau du communisme.

    - CONTRE CELA, Servir le Peuple a adopté dès le départ une ligne simple : LE CAMP DU PEUPLE EST NOTRE CAMP, le camp naturel des communistes. Toujours se placer du point de vue des masses populaires. Dans chaque conflit, dans chaque « grand dossier », se demander : quel est le point de vue des masses ? Quel est leur intérêt dans l'immédiat (puisque leur intérêt à long terme, tout le monde est en principe d'accord là-dessus, c'est le communisme) ?

    Cuba est-elle socialiste ? NON. Les masses cubaines ont-elle intérêt à revenir à la situation d’avant 1959 ? CERTAINEMENT PAS. Y va-t-on ? L’avenir nous le dira mais nous ne le souhaitons pas, ni ne nous en réjouirions comme une « confirmation » de nos thèses (sur le « social-fascisme » cubain ou autre…).  

    Au Honduras, Zelaya était-il un révolutionnaire démocratique, anti-impérialiste ? Pas du tout. Un bourgeois national « progressiste » ? Même pas. Tout juste un grand bourgeois propriétaire qui a fait quelques concessions sociales et démocratiques… La situation des masses est-elle meilleure depuis le coup d’État contre lui ? Soyons sérieux…  

    En Palestine, on voit mal ce qui pourrait être pire pour les masses que la situation actuelle… à part de nouveaux crimes d’Israël. La contradiction entre les masses et la résistance bourgeoise islamique est clairement secondaire.

    En Iran, dans quel camp se trouve l’intérêt des masses ? Peut-être qu’il y aurait un certain recul de la répression et de l’oppression sexiste avec les « verts »… Mais il se peut aussi que cette « libéralisation » se limite aux classes relativement aisées et urbaines. A priori, et sans y voir beaucoup plus clair entre les propagandes respectives, on aurait tendance à dire "AUCUN".

    Pour ce qui est de savoir si, face à « l’obscurantisme religieux » des talibans, l'on devrait souhaiter la victoire de l’impérialisme en Afghanistan (sic le détraqué fasciste internétique "Oppong")… no comment.

    - Au stade de commencement de la 2e vague révolutionnaire mondiale où nous sommes, les vieilles révolutions populaires démocratiques tombées dans le révisionnisme et la liquidation comme à Cuba et les processus réformistes bourgeois comme au Venezuela, en Bolivie ou en Équateur sont des tranchées conquises par les masses de ces pays et (en fait) de tout le continent. Il n’est pas question de perdre ces tranchées, même si c’est peut-être ce qui arrivera à force d’enlisement et de trahison réformiste, ou de liquidation révisionniste (ce qu’il faut dénoncer, sans bien sûr pouvoir y faire grand-chose de plus que les masses et les révolutionnaires locaux). Avec Lénine, nous affirmons aussi que TOUTES les luttes de libération nationale (et encore plus les guerres de résistance contre une occupation impérialiste de pillage et de meurtre) doivent être soutenues inconditionnellement DU POINT DE VUE DES MASSES ; même si l'on peut en pointer les insuffisances des forces progressistes ou regretter que le drapeau ne soit pas un drapeau communiste (mais un drapeau nationaliste, réformiste ou religieux)…

    Nous ne sommes pas dans « l’offensive stratégique de la révolution mondiale » (ridicule, il suffit d’ouvrir les yeux !) mais au tout début d’une nouvelle vague révolutionnaire où se construit le rapport de force et la Guerre du Peuple pour sa libération. Toute résistance à l’oppression vaut mieux que la soumission à l’oppression, elle est le point de départ, l’étape « zéro » de la Guerre du Peuple. À mesure que les luttes sociales, populaires et de libération nationale se développent, une droite, une gauche et un centre se forment en leur sein. La droite est condamnée à terme à l’échec et à la disparition, ou à se vendre et à se retourner contre les masses. La gauche doit alors se développer, se renforcer et gagner à elle ou au moins neutraliser le maximum de centristes pour passer à l’étape supérieure – et là rebelote : droite, gauche, centre... En cas d’échec de la gauche, on revient à la situation de départ – il n’est pas possible de revenir à pire. L’impérialisme agonisant et fou ne permet plus à la droite de prospérer dans l’imposture. L’URSS révisionniste n’existe plus et rien (ni Chine ni « groupe de Shanghai », ni « bloc France-Allemagne-Russie » ni projet « eurasiste » douguino-poutinien) ne peut lui être comparé en terme de prestige mis au service  de la trahison. Les PC révisionnistes, courroies de transmission de la ligne de Moscou (réformisme et légalisme dans les pays impérialistes, soumission à la bourgeoisie nationaliste dans les pays dominés), ont disparu ou sont réduits à presque rien. Toute analyse basée sur ces schémas des années 1960-80 est complètement à côté de la plaque.

    - Le monde impérialiste actuel (car plus aucun Peuple sauf peut-être au fin fond de l’Amazonie, de la Papouasie ou de quelques déserts, n’échappe à l’économie mondiale des monopoles) est issu de la grande « Guerre mondiale de 30 ans » (1914-45) et de la déroute de l’URSS en 1989-91. C’est un monde complexe fait d’affrontements et de combinaisons entre impérialismes, sans que l’on puisse parler de « blocs » stables comme pendant la Guerre Froide. Un monde finalement comparable à celui d’avant 1914.  Les États-Unis y ont un rôle « tutélaire » : si l'on comparait avec l'Europe féodale du Moyen Âge, l'on pourrait dire qu’ils sont le « roi ». Les autres impérialismes sont les « grands féodaux ». Parmi eux, certains sont loyaux au « roi » : l’Angleterre, le Japon… D’autres sont « turbulents » : la France, l’Allemagne, la Russie… D’autres sont opportunistes : le Canada, l’Italie… Certains enfin veulent carrément prendre la place du « roi » : c'est le cas de la Chine - mais elle est encore loin d’y arriver !

    Toutes les situations dans le monde doivent être étudiées au cas par cas. En ayant toujours une seule grille d’analyse : l’intérêt des masses exploitées du Peuple !


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  • Servir le Peuple a pour certain-e-s la réputation de se livrer à la polémique et à l’invective, envers des individus ou des groupes ou organisations.

    Bon, n’exagérons rien : ce n’est pas 90% ni même 20% de l’activité de Servir le Peuple, qui livre surtout aux révolutionnaires et aux progressistes francophones de nombreuses informations sur les luttes révolutionnaires à travers le monde, sur les luttes ouvrières et populaires en Hexagone et en Europe, ainsi que des analyses communistes sur des questions d’actualité comme la montée du fascisme : un travail d’information et d'éducation politique de masse.

    Mais C’EST VRAI, et c’est assumé à 100%.

    Servir le Peuple s’est en grande partie créé sur cette base-là.

    En admettant qu’il existe un « code de conduite » communiste, pour Servir le Peuple, il ne s’applique qu’envers les communistes, et éventuellement les personnes et les groupes progressistes sincères.

    Il s’applique avec un certain nombre d’organisations sincèrement communistes révolutionnaires, même si l’on peut avoir des désaccords avec celles-ci : c’est le cas (entre autres) des organisations mises en lien dans la colonne de droite.

    Il peut aussi s’appliquer avec des personnes ou des groupes qui, malgré des erreurs gauchistes ou droitières, restent des progressistes sincères (les amis qui se trompent).

    Il ne s’applique pas aux personnes et aux groupes prétendument « communistes » qui, en plus d’être des déviationnistes gauchistes ou de droite, sont des ordures (les ennemis qui se cachent).

    Si les organisations communistes amies (en lien dans la colonne de droite) ne veulent pas aller sur ce terrain-là, c’est leur droit le plus strict. Servir le Peuple n’est rattaché à aucune organisation et n’engage aucune organisation par ses prises de position.

    Mais voilà : pour Servir le Peuple, le temps de l’imposture et du débat « de bonne compagnie » est dépassé avec un certain nombre de groupes et d’individu-e-s. Ces dernières décennies, trop de social-fascistes et de gauchistes réactionnaires, d’anti-léninistes voire d’antimarxistes purs et simples ont proliféré sur le terrain du débat convenu et formaliste où l'on ne « s’abaisse pas à… », où pour paraître « conséquent » on n’appelle pas un chat un chat.

    Lorsque des personnes ou des groupes répandent de la merde réactionnaire au nom du communisme, qu’ils soient bureaucrates (on pense à un certain député du Rhône), intellectuels bourgeois ou même (prétendument) ouvriers, il est de la responsabilité de TOUT COMMUNISTE envers les masses de les démasquer, de démasquer qui ils sont et leur nature de classe. Il n’y a aucun « code de conduite » qui vaille contre cela.

    Si un groupe a joué, à un moment donné, un rôle intéressant dans la formation de nouvelles consciences révolutionnaires (comme une certaine revue paraissant à la fin des années 90), c’est tout à son honneur. Si ses continuateurs sont, depuis, partis dans le n’importe quoi et les délires gauchistes réactionnaires : tant pis pour eux ! Les masses populaires n’en peuvent plus du capitalisme, elles ont un besoin vital de révolution et d’avant-garde pour la conduire : l’heure n’est plus aux bons sentiments.

    D’autre part, Servir le Peuple n’a pas peur face à d’éventuelles petites menaces à deux balles, en particulier venant de militants de clavier. Servir le Peuple fait partie des masses populaires, c'est une (petite) voix, mais une voix des masses populaires exploitées, et, comme dirait la chanson : la classe operaia li attendera armata.

    Enfin, un dernier argument devant lequel Servir le Peuple ne s’inclinera pas, c’est « vous n’êtes même pas organisés ». C’est un argument comique assez récurrent sur la Toile, d’autant plus comique que les gens qui le brandissent (par définition, puisqu’on est sur le Net) n’en savent absolument rien…

    À l’heure actuelle, n’y allons pas par quatre chemins, aucun groupe comptant entre une poignée et (au mieux) quelques dizaines de membres ne peut prétendre avoir automatiquement raison contre un-e ou des individu-e-s non organisé-e-s.

    Les avant-gardes plus ou moins autoproclamées sont nombreuses. Aussi nombreuses que (disons-le clairement) invisibles ou presque aux yeux des masses. Depuis le krach boursier de septembre 2008 se développe dans les masses l’idée que « le capitalisme a fait son temps » (c’est devenu un slogan des Jeunesses communistes). Pourtant, force est de constater que les larges masses n’ont pas trouvé le chemin de ces avant-gardes. Si elles ont trouvé un chemin, c’est plutôt celui… des JC (justement !) ou du NPA, même si celui-ci s’est largement dépeuplé ces derniers temps ; bref d’organisations réformistes (mais de masse).

    Les organisations communistes doivent donc accepter d’être interpelées et questionnées (et, parfois, remises en question) par les masses, dont Servir le Peuple est une petite particule. Aucune ne détient la vérité absolue, c’est déjà un principe de base, et c’est d’autant plus clair à l'aune des résultats obtenus à ce jour. Des réponses qu’elles apporteront aux interpellations de ces individu-e-s des masses, dépend (soyons clairs) l’avenir de ces organisations. Celles qui ne sauront pas correctement répondre seront condamnées à terme, mais celles qui refuseront ces interrogations sont condamnées d’entrée de jeu.

    Envoyer les gens péter parce qu’ils/elles « ne sont pas organisé-e-s » semble donc déjà un très mauvais départ… (se demander POURQUOI ils et elles ne sont pas organisé-e-s en serait déjà un bien meilleur !).

    Donc oui, Servir le Peuple assume d’interpeler et de questionner la ligne des organisations, en tant qu’élément des masses populaires. Servir le Peuple assume la dimension critique.

    Et oui, Servir le Peuple assume la polémique, l’invective, et le démasquage des faux communistes ennemis des masses, comme une nécessité de notre époque !

    Feu sur les imposteurs, feu sur les avant-gardes autoproclamées avec autant d’arrogance que de mépris pour les masses !

    Nous sommes le Peuple !

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  • La pratique consistant, du haut de sa chaire de « grand révolutionnaire » marxiste ou pas (beaucoup de libertaires sont dans ce cas), à donner des leçons aux masses populaires qui ne reconnaissent pas Sa Guidance Suprême, devient vraiment de plus en plus insupportable, à l’heure où les masses de l’État "France" relèvent la tête de décennies de résignation à leur sort.

    Illustrons ce propos par un exemple concret, et récent.

    Après l’attaque israélienne contre la Flotille pour Gaza, des manifestations rapidement organisées ont déferlé partout sur la planète, et notamment en Hexagone. La Flotille était partie de l’État turc (une tentative de cet État assassin pour se donner une bonne image dans la région, dans une stratégie « ottomaniste ») et du coup, les victimes de l’assaut avaient la particularité d’être toutes turques.

    Les manifestations ont alors compté un grand nombre de personnes de la minorité turque (mais aussi de la minorité kurde, n’en déplaise, et comme d’habitude de la minorité maghrébine et arabe orientale). Nombre de ces personnes portaient un drapeau de l’État turc.

    Pour les communistes ML et MLM, les choses sont claires : l’État turc est un État fasciste, le kémalisme est une idéologie fasciste et le drapeau kémaliste est un drapeau fasciste. CEPENDANT, les communistes sont bien conscients qu’il n’est pas forcément identifié comme tel par les larges masses, y compris de la minorité turque, mais bien comme le « drapeau de la Turquie », tel qu’on le voit sur les Atlas du monde ou la devanture des kebabs… Le drapeau bleu-blanc-rouge est un drapeau bourgeois et impérialiste, que les communistes veulent remplacer par le drapeau rouge, mais ils sont conscients que pour beaucoup de personnes, y compris pour des prolétaires anticapitalistes, il est le drapeau de « la France », et que cela nécessite un travail communiste d’éducation politique. Bref...

    Parmi les manifestants de la minorité turque, se sont glissés quelques membres des Loups Gris, une milice fasciste au service de l’État turc, spécialisée dans l’agression et l’assassinat des militant-e-s révolutionnaires et des minorités de ce pays. Ils étaient environ une vingtaine à Lyon (qui compte plusieurs milliers de personnes d’origine turque). S’étaient également glissés les désormais traditionnels « antisionistes » d’Alain Soral avec des drapeaux tricolores de l’impérialisme français, représentants de la fraction la plus anti-américaine et anti-Israël des monopoles BBR...

    Le recul du mouvement communiste international, dans les années 1980-90-2000, a permis à ce genre d'individus (justement châtiés en 1945) de repointer le bout de leur nez, en squattant la solidarité pour le Peuple palestinien. Cependant (à part les Loups Gris, qui sont un pilier de l’État profond turc), ils ne sont pas le courant dominant du fascisme aujourd'hui, beaucoup plus tourné vers l'islamophobie, la "guerre de civilisation" et, par la force des choses, amené à soutenir Israël (même en fustigeant le "lobby juif" en France), comme "rempart de l'Occident".

    Ces infiltrations ont fait l’objet d’un communiqué des organisateurs de la manifestation du 5 juin, ainsi que d’un très bon article du journal L’Étoile Rouge de la JCML (que vous pouvez commander auprès de leur site).

    Mais voilà : il n'a pas fallu longtemps pour qu'une certaine engeance "libertaire", "antifa" ou même "maoïste" ramène sa fraise. Ces gens-là ont un leitmotiv, depuis plusieurs années : les masses doivent déserter les mobilisations pour la Palestine, qui seraient "antisémites", "infestées de fascistes" (et bien sûr "d'islamistes"), et même... "au bord de partir en pogrom". Mobilisations qui sont, comme chacun le sait (et peut le regretter, éventuellement...), les plus populaires et prolétaires dans l’État français au jour d'aujourd'hui (exception faite, bien sûr, des soulèvements des quartiers...).

    Leur discours : sous chaque drapeau turc kémaliste, se tenait un Loup Gris. La solidarité avec ceux et celles qui voulaient porter secours à Gaza assiégée, était une solidarité "fasciste". C’est bien sûr une aberration : comme on l’a dit plus haut, le drapeau du kémalisme fasciste est pour les larges masses le drapeau de « la Turquie », comme le drapeau impérialiste bleu-blanc-rouge est le drapeau de « la France ». D’instinct, la majorité des masses (en particulier des minorités) considère la France comme un État impérialiste et oppresseur, et rejette son drapeau tricolore. Mais les prolétaires des minorités immigrées aiment mettre en avant le drapeau et les symboles de leur pays d’origine (maillots de foot, pendentifs ayant la forme du pays…). Ce que certain qualifieront volontiers de « communautarisme », est avant tout le résultat de la friche politique dans laquelle ont été laissé-e-s les prolétaires des minorités, non seulement par le vieux P"c" social-chauvin, mais aussi par la grande majorité des beaux parleurs trotskistes, anarchistes, marxistes-léninistes et même « maoïstes ». C'est le même problème, finalement, qu'avec les drapeaux verts du Hamas : les beaux parleurs ont laissé ces masses populaires en friche politique et, dans le même temps, l’État bourgeois impérialiste a cherché à les encadrer par des "institutions communautaires", en particulier les institutions religieuses musulmanes. Cela a conduit à l'arrivée sur le devant de la scène de l'UOIF... branche hexagonale des Frères Musulmans, dont le Hamas est la branche palestinienne.

    Alors, allons-y : quelqu'un osera-t-il affirmer publiquement ici, que toute personne brandissant un drapeau marocain, ou portant un maillot de foot du Maroc, est un suppôt du Makhzen ? Que toute personne portant un drapeau ou un maillot de foot tunisien est un suppôt de Ben Ali ? Que toute personne portant une Magen David est un sioniste partisan du Likoud ? Que toute personne avec un drapeau breton ou un triskell est un nostalgique de la SS Bezenn Perrot ? La fonction "Écrire un commentaire" est en bas de l'article...

    Le Peuple (prolétariat et classes populaires) est tel qu'il est : en l'état où le capitalisme l'a laissé, pétri de patriotismes et de petits chauvinismes, d'idéalisme et de superstitions religieuses, etc.

    Le rôle des communistes, avant-garde du prolétariat révolutionnaire, est de prendre le Peuple tel qu'il est, et, armés de leur conception communiste du monde, de le transformer et de l'amener à un niveau supérieur, celui d'Armée révolutionnaire.

    Celui qui passe son temps, du haut de sa chaire, à lancer des imprécations et à reprocher au Peuple d'être ce qu'il est, et pas ce qu'il voudrait qu'il soit, n'est pas un communiste. À bon entendeur...

    Feu sur les petits élitistes donneurs de leçons !

    Feu sur les "avant-gardes" autoproclamées !

     

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  • Nous sommes un certain nombre de communistes, bien que pour certains maoïstes, à avoir pris conscience que l’étape actuelle en Hexagone en est (malheureusement) à la défense des bases élémentaires du léninisme, voire tout simplement du marxisme, plus qu’à la défense du maoïsme comme saut qualitatif dans un mouvement marxiste-léniniste qui serait déjà conséquent. Toute l’expérience de Servir Le Peuple, depuis près d’un an, tend vers cette conclusion.

    Construire un Parti léniniste est la priorité, car toute défense des apports de Mao Zedong reviendrait autrement à construire sur du sable.

    Dans ce cadre, Servir Le Peuple se propose de fournir un travail de réflexion théorique et d’analyse sur les principales déviations anti-léninistes. Ce travail est donc inauguré, avec la déviation ouvriériste. Il s’agit d’un travail de longue haleine, qui s’étalera sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. Ce sera également un travail collectif : des précisions et des corrections viendront certainement améliorer ce premier jet. 

    La déviation ouvriériste est une déviation historique, pratiquement aussi ancienne que le mouvement communiste lui-même.

    Elle se base sur une interprétation étriquée des textes de Marx et Engels, en particulier Le Capital, écrits à une époque où le prolétariat consistait en pratique à 95% dans les ouvriers/ères (de l’industrie, des mines, de la construction etc.) car le capitalisme n’avait pas encore absorbé toute l’activité productive des pays industriels.

    Ce n’est cependant pas aussi évident, car en anglais et en allemand (leurs langues d’expression principales), Marx et Engels parlaient de « travailleurs » : working class ou arbeitersklasse. Cette interprétation est aujourd’hui dévoyée par les révisionnistes et certains trotskystes qui, en parlant de « travailleurs », veulent mélanger les intérêts de classes différentes, à la conscience et aux intérêts immédiats très différents, parfois clairement antirévolutionnaires, pour mettre finalement en avant un programme minimal de type social-démocrate.

    Pour autant, Marx et Engels ont eux-mêmes souvent souligné le rôle que pouvaient jouer les travailleurs intellectuels dans le mouvement révolutionnaire : n’étaient-ils pas eux-mêmes des intellectuels prolétarisés ?

    Et Lénine disait même en 1902, dans Que faire ?, que « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur, c'est-à-dire de l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. Le seul domaine où l'on pourrait puiser cette connaissance est celui des rapports de toutes les classes et couches de la population avec l’État et le gouvernement, le domaine des rapports de toutes les classes entre elles. C'est pourquoi, à la question : que faire pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques ? - on ne saurait donner simplement la réponse dont se contentent, la plupart du temps, les praticiens, sans parler de ceux qui penchent vers l'économisme, à savoir “aller aux ouvriers”. Pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques, les social-démocrates doivent aller dans toutes les classes de la population, ils doivent envoyer dans toutes les directions des détachements de leur armée. »

    C’était bien sûr une autre époque, où l’analphabétisme, l’absence d’instruction, l’absence de temps laissé à la réflexion personnelle, empêchait la classe ouvrière de développer par elle-même les instruments scientifiques de sa libération. L’eau a bien sûr coulé sous les ponts, le niveau culturel des masses en général et du prolétariat en particulier s’est considérablement élevé, et  aujourd’hui des camarades de la première importance sont issus directement des rangs ouvriers. Mais on peut retenir deux choses dans ce que dit Lénine :

    - d’abord, que l’idée de la révolution socialiste n’est pas liée de manière absolue avec l’appartenance à la classe ouvrière, ce qui serait une vision totalement mécanique du matérialisme. L’idée du socialisme et du communisme naît dans le mode de production capitaliste, de la contradiction centrale entre le caractère social de la production et l’appropriation privée de la plus-value du travail. A partir de là, cette idée communiste se répand dans l’ensemble des classes de la société, de même que l’idéologie bourgeoise influence toutes les classes, y compris le prolétariat. Bien sûr, la conscience révolutionnaire l’emporte sur l’influence bourgeoise d’autant plus facilement (j’y reviendrai) que l’intérêt de classe à la révolution est clair, que la contradiction entre production sociale et appropriation privée est directement ressentie. Il n’y a pratiquement aucune chance pour qu’un bourgeois, vivant du revenu de ses actions, puisse envisager la moindre option révolutionnaire…

    - ensuite, le capitalisme est devenu (déjà en 1902 lorsque Lénine écrit) un ordre social et non plus un simple mode de production. Il englobe toute la société, toutes les classes, tous les rapports sociaux sous son pouvoir politique et dans ses valeurs culturelles. Autrement dit : le capitalisme ne s’arrête pas à la porte de l’usine. La mission historique du prolétariat ouvrier n’est pas seulement sa propre libération : c’est la libération de la société entière. Lénine pourfend alors ce qu’il appelle l’économisme : nous y reviendrons.

    Quoi qu’il en soit, Servir Le Peuple confesse de toute façon une fâcheuse tendance : celle de vivre dans le réel et non dans des « Textes Sacrés » et, accessoirement, d’avoir conscience que nous ne sommes plus en 1848, ni en 1880 ou 1914. De considérer le marxisme (Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao et d’autres auteurs) comme une grille d’analyse scientifique de la réalité qui nous entoure, et non comme un ensemble de « principes » intangibles qu’on récite comme un mantra.

    Aujourd’hui, la réalité dans un pays impérialiste comme la France est que s’est développée une importante économie de services, par exemple, tandis que la production industrielle non qualifiée a été très largement exportée vers des pays comme l’Inde, la production moyennement qualifiée vers l’Europe de l’Est etc.

    Or les travailleurs des services, qui peuvent être la caissière de Carrefour ou de McDonald’s comme le réparateur qui vient réparer votre plomberie, ne sont pas des ouvriers au sens marxiste strict, c'est-à-dire qu’ils ne transforment pas la matière pour lui donner une valeur ajoutée… Ce sont pourtant bien des prolétaires.

    Servir Le Peuple a donné, à l’époque où le rédacteur de ces lignes n’était membre d’aucune organisation, la définition suivante du prolétariat :

    --> les travailleurs non propriétaires des moyens de production. C'est le caractère fondamental. Les moyens de production sont la propriété du bourgeois capitaliste, c'est la définition de la bourgeoisie. Le prolétaire n'est propriétaire que de sa force de travail.

    --> ensuite, car jusque là cela pourrait être n'importe quel salarié, échangeant leur force de travail (seul moyen de production dont ils disposent) contre juste de quoi la reproduire.

    --> enfin extorqués, donc, de la plus-value de leur travail : c'est-à-dire que la différence entre ce que leur travail quotidien rapporte à l’employeur capitaliste, et ce qu’il leur est rétribué pour vivre sous forme de salaire (charges comprises), est accaparé par celui-ci.

    La classe ouvrière, en laquelle consistait 95% du prolétariat à l’époque du Capital, n’en représente plus une telle proportion aujourd’hui. Elle en est simplement le noyau dur, la classe révolutionnaire jusqu’au bout, parce que, comme on l’a dit, elle crée la valeur ajoutée en transformant la matière (extraire le minerai du sol, transformer le morceau de métal en pièce d’automobile, le ciment en maison), et deuxièmement, parce qu’elle vit au quotidien le caractère social de la production et sa contradiction avec l’appropriation privée de la richesse créée.

    Cela dit, si fertile que soit notre imagination, la conception du prolétariat exposée ici n’en est pas sortie toute habillée, puisqu’à vrai dire elle est totalement inspirée de celle de nombreuses organisations maoïstes.

    Pour le PCR du Canada, le prolétariat consiste en : 

    L’aristocratie ouvrière : Il s’agit de prolétaires dont le revenu leur permet, outre de reproduire leur force de travail, d’accumuler un certain montant pour avoir accès à des actifs mobiliers et immobiliers et s’affranchir de l’endettement. On en rencontre une part importante parmi la couche des employéEs techniques et une fraction appréciable du prolétariat industriel. C’est une couche très syndiquée.

    Les employéEs techniques : Ce sont souvent des employéEs qui ont obtenu des formations techniques au niveau collégial dans les domaines de la santé, des sciences de la nature et les arts. Les pompiers/ères font aussi partie de cette couche. Leurs salaires sont supérieurs à ceux de l’ensemble du prolétariat.

    Les employéEs exécutantEs : Parmi cette couche, on retrouve les emplois les moins payés, les plus féminins et avec le taux de temps partiel le plus élevé. La qualification scolaire est légèrement supérieure à celle du prolétariat industriel. On retrouve beaucoup d’emplois de passage pour des étudiantEs. Ces emplois, on en retrouve dans la restauration, l’hébergement, la vente au détail, les services sociaux, les emplois de bureau, le secrétariat, etc. La syndicalisation y est faible.

    La classe ouvrière : On y retrouve toute la classe ouvrière traditionnelle des industries, des métiers de la construction et du transport. On ajoute aussi des ouvriers agricoles. Il y a un taux de travail à temps partiel supérieur à la moitié. La présence féminine est faible (le sixième). La majorité des hommes de ce secteur qui ont travaillé à temps plein font partie de l’aristocratie ouvrière. Ceux-ci sont fortement syndiqués.

    Les rentiers/ères prolétaires : L’essentiel de leurs revenus provient des régimes de pensions de vieillesse, de supplément de revenus garantis et de régimes de pensions gouvernementaux. Par contre, pour les ancienNEs membres de l’aristocratie ouvrière, les fonds de pension privés représentent une part appréciable de leurs revenus.

    L’armée de réserve : Dans l’armée de réserve, nous retrouvons touTEs les personnes qui sont en âge de travailler mais que, parce que le capitalisme ne permet pas à tout le monde de travailler pour des raisons de santé ou des raisons intrinsèques à ce régime, ne peuvent pas le faire. Les 2/3 de l’armée de réserve sont des femmes. Lorsqu’il y a de l’emploi disponible, l’armée de réserve diminue. Lorsque, suite à des récessions et des crises économiques, l’emploi diminue, l’armée de réserve croît. CertainEs sont bénéficiaires d’assurance-emploi, d’autres d’assistance-sociale. Par contre, une partie des membres de l’armée de réserve doivent se faire vivre par leurs conjointEs.

    Pour le (nouveau) Parti Communiste Italien : « Travailleurs dont le revenu vient, au moins pour la partie principale, de la vente de leur force de travail. En Italie, ils sont environ 15 millions. Avec le reste de leurs familles et les retraités, cela fait 36 millions.

    1. Classe ouvrière

    Les prolétaires embauchés par les capitalistes pour valoriser leur capital en produisant des marchandises (biens ou services). Il faut que celui qui les embauche soit un capitaliste (de l'industrie, de l'agriculture, des services, de la banque, des finances, etc.) et qu'il le fasse non pas pour qu'ils prêtent leurs services à des institutions ou à des organismes “ sans but lucratif ”, mais pour qu'ils travaillent dans une entreprise dont le but principal est la valorisation du capital.

    Parmi les ouvriers, il existe des divisions objectives politiquement importantes, comme travailleur sans qualification et travailleur qualifié, ouvrier et employé, la possession de revenus autres que ceux du travail, la dimension de l'entreprise, le secteur auquel appartient l'entreprise, ouvriers des villes et ouvriers des zones rurales, sexe, nationalité, etc.

    Ne sont pas des ouvriers, ces employés qui travaillent dans des entreprises capitalistes, dont le travail est, au moins pour une partie importante, un travail de direction, d'organisation, de préparation et de contrôle du travail d'autrui, pour le compte du capitaliste (pour donner un indice sommaire et approximatif mais simple, nous pouvons considérer qu'appartiennent à cette catégorie tous les subordonnés qui reçoivent des salaires ou des appointements annuels nets supérieurs à 25.000 €). Les ouvriers, ainsi répertoriés, en Italie sont environ 7 millions (dont presque un million travaillent dans des grandes entreprises, de plus de 500 personnes). En comptant leurs familles et les retraités, cela fait 17 millions.

    Cela, c'est la classe ouvrière qui dirigera la révolution socialiste. Le parti communiste est son parti. 

    2. Autres classes prolétaires

    Les membres des classes indiquées ci dessous sont les alliés les plus proches et les plus solidaires de la classe ouvrière. Au cours de leur vie, beaucoup de travailleurs passent de l'une de ces classes à la classe ouvrière et vice versa. Cela renforce les liens de ces classes avec la classe ouvrière (et apporte dans la classe ouvrière les qualités et les défauts de ces classes). En Italie, ils sont environ 8 millions. En comptant leurs familles et les retraités, cela fait 19 millions. Ils se divisent dans les trois grandes classes suivantes :

    - les salariés (on en exclut les dirigeants) de l'administration publique centrale et locale et des organismes qui dépendent de l’État ;

    - les travailleurs employés dans des entreprises non capitalistes (entreprises familiales, d'artisanat et d'autres que les propriétaires créent et gèrent non pour valoriser un capital, mais pour en obtenir un revenu) ;

    - les travailleurs qui sont attachés aux services personnels (serveurs, chauffeurs, jardiniers, etc.). »

    Bien sûr, on peut légitimement être en désaccord avec ces définitions. Par exemple, les communistes de France classent rarement (comme le fait le PCR Canada) l’aristocratie ouvrière et les agents de maîtrise technique dans le prolétariat. L’analyse du prolétariat des camarades italiens semble plus juste, en revanche ils classent dans les classes populaires des personnes gagnant entre 2000 et 4000 € nets par mois… Dans le « sens commun » de populaire en France, il est clair que ces gens-là n’en font pas partie, mais appartiennent bien aux classes moyennes (et même moyennes supérieures !), à la petite-bourgeoisie salariée. Ils ne vivent pas dans des quartiers populaires, mais résidentiels.

    En revanche, l'on comprend plus mal en quoi le débat franc et ouvert entre camarades ne pourrait se passer d’insultes…

    La déviation ouvriériste, donc, n’est pas nouvelle. Et si elle n’est pas extrêmement répandue, contrairement aux déviations révisionnistes et trotsko-réformistes trans-classistes, elle est encore bel et bien présente de nos jours.

    Elle est très présente dans le trotskysme « canal historique » dont l’exemple type est Lutte Ouvrière, en tout cas avant le virage « antilibéral » populiste des dernières années. Car si Trotsky n’était pas spécialement ouvriériste (plutôt arriviste), il a ramassé dans son combat contre l’URSS des ouvriers et des paysans tous les débris de conceptions anti-léninistes, et celles-ci imprègnent encore certains courants « orthodoxes ».

    Elle est représentée, également, dans la « Gauche communiste », les gauchistes au sens historique strict.

    Mais on la trouve également, malheureusement, dans le marxisme-léninisme. Il s’agit notamment d’une déviation de personnes et de groupes issus du courant pro-albanais, dont la lutte déterminée contre le révisionnisme et contre la théorie des trois mondes (soutenir les « petits impérialismes » - France etc. – contre les « deux superpuissances », puis tout simplement l’Ouest contre le « social-impérialisme », théorie attribuée à tort à Mao) ne souffre pas de remise en cause. La théorie des trois mondes étant, elle, la déviation historique du courant prochinois.

    Cette déviation est souvent portée par des petits-bourgeois, visiblement en quête de radicalité : ainsi à Lutte Ouvrière, la très ouvriériste Arlette Laguiller était employée du Crédit Lyonnais, la plupart des cadres sont des profs et le « leader de l’ombre » Hardy est propriétaire d’une petite entreprise… De son côté, Anton Pannekoek (1873-1960), le père de la "Gauche communiste germano-hollandaise", était astrophysicien de son état.

    Mais parfois, elle provient aussi directement des rangs ouvriers. La classe ouvrière de l’État de France a connu pendant les « Trente glorieuses » (1945-75) une élévation continue de son niveau de vie, puis avec la crise générale du capitalisme, une dégradation continue. D’où chez certains éléments assez âgés (au moins la quarantaine) un sentiment d’amertume et une radicalisation sectaire, un repli sur une classe ouvrière mythifiée : une dérive comparable au gauchisme de la petite-bourgeoisie broyée par le Grand Capital. Une amertume qui peut aussi provenir, chez certains vieux militants, des revers stratégiques du mouvement communiste au niveau mondial, dans les années 1970 à 1990. Des revers qu’ils mettent de façon simpliste sur la trahison des intellectuels, bien réelle, mais qui serait plus une conséquence qu’une cause à notre humble avis…

    Quoi qu’il en soit, l’amertume n’est jamais un sentiment qui produit les grands révolutionnaires, ni une conception du monde juste. Lénine, Staline, Mao n’étaient pas des individus amers, mais au contraire des dirigeants d’un optimisme révolutionnaire et d’une positivité inébranlables.

    Ces ouvriéristes en arrivent à oublier la mission historique de la classe ouvrière et du prolétariat révolutionnaire, qui n’est pas seulement de se libérer elle-même, mais de libérer l’humanité.

    Leur conception considère que seule la classe ouvrière, et encore dans une définition ultra restrictive, constitue les prolétaires : les caissières, les esclaves-salariés de plateformes téléphoniques n’en sont pas !

    Mais surtout, au-delà de la définition du prolétariat, ils ont une vision sectaire des alliances de classes indispensables à toute révolution. Ils considèrent que seule la classe ouvrière est vraiment révolutionnaire, de manière presque « innée » (la domination culturelle de la bourgeoisie ? connaît pas…) tandis que les autres ne le seraient pas, et seraient même foncièrement contre-révolutionnaires : elles devraient « se plier » aux conceptions de la classe « ouvrière » pour mériter un minimum de considération.

    Les petits employés, les paysans pauvres, les petits indépendants et les travailleurs intellectuels pauvres : des contre-révolutionnaires, pourris de conceptions petites-bourgeoises ! De là à considérer qu’un ouvrier communiste est plus proche d’un ouvrier fascisant que d’un travailleur intellectuel progressiste, il n’y a parfois qu’un tout petit pas…

    L’oppression générale, à l’époque de l’impérialisme, des monopoles grand-capitalistes sur les masses populaires (et qui dit oppression, dit résistance), les luttes populaires démocratiques (l’oppression capitaliste ne s’arrête pas à la sortie de l’usine), les luttes contre la destruction de l’environnement des masses populaires, tout cela n’existe pas, c'est "petit-bourgeois".

    L’aspect démocratique du combat révolutionnaire dans les pays impérialiste est nié, alors qu’à mesure que la « démocratie bourgeoise » tombe le masque dans la crise générale du capitalisme, le rôle des communistes est de montrer aux masses populaires qu’il n’y a de vraie démocratie, de vraie « justice » (mots d’ordre idéalistes petits bourgeois) que dans la révolution socialiste. La concentration du pouvoir économique (et donc politique) par les monopoles fait que finalement, toutes les classes populaires, y compris les petits fonctionnaires et employés exécutants, les travailleurs intellectuels, les petits artisans/commerçants ou les petits paysans propriétaires ont intérêt à long terme dans le socialisme : le problème c’est qu’ils n’y ont pas forcément intérêt à court terme, et donc ne perçoivent pas cet intérêt.

    De même, le rôle de la paysannerie et de la petite-bourgeoisie non-liées à l’impérialisme dans les pays arriérés et/ou dominés, est tout simplement nié.

    Toutes ces conceptions ont notamment été, vers 1920, celles des gauchistes qui reprochaient aux bolchéviks leur travail en direction de la paysannerie et des autres classes exploitées dans l’Empire tsariste : Lénine l’a pourfendue dans La Maladie infantile (que nous aurons l’occasion de creuser ensemble dans de prochains articles).

    Généralement, cette déviation ouvriériste conduit à des positions objectivement réactionnaires sur les pays dominés par l’impérialisme, car tout ce qui n’est pas dirigé par la classe ouvrière urbaine dans ces pays est à rejeter. Or, en l’absence de pays socialiste guidé par le marxisme-léninisme, ce n’est pour ainsi dire jamais le cas, et même les Guerres Populaires pour la Démocratie nouvelle, menées en Inde, aux Philippines, dans l’État turc, au Pérou, en Colombie, au Mexique (EPR) etc., reposent sur des alliances de classes : prolétariat urbain, prolétariat rural, paysannerie pauvre, petite-bourgeoisie, intellectuels etc.  

    Prenons par exemple la Palestine. Le discours type est « sous les bombes des sionistes, sous les roquettes du Hamas, un seule classe ouvrière ! ». Ils ne font tout simplement aucune différence entre une classe ouvrière de type européen, dans ce qui est une « enclave » d’Europe au Proche-Orient, embourgeoisée par les bénéfices de l’occupation ; et un prolétariat de pays occupé et colonisé, une classe ouvrière comparable à la classe ouvrière noire en Afrique du Sud d’apartheid…

    Et ici, dans les pays impérialistes, l’ouvriérisme mène tout droit à l’économisme : la limitation de la lutte de classe au strict cadre de l’usine, patron-ouvrier. Les luttes populaires démocratiques (contre la répression, contre la destruction de l’environnement, contre le développement du mouvement fasciste), ou encore les luttes des nations opprimées (basque, corse, bretonne etc.) sont rejetées comme « petites bourgeoises », sans autre forme de procès.

    Finalement, quand les échecs répétés ont usé la détermination des nos « communistes ouvriers », on en arrive… au réformisme pur et simple ! Un cas emblématique est le PCOF (PéCOF pour les intimes), organisation historique « pro-albanaise » en France, qui a fini par intégrer le Front de Gauche « antilibéral » (social-démocrate).

    Ce processus était déjà pointé du doigt par Lénine au tout début du 20e siècle :

    « (…) nous pouvons dès la première manifestation littéraire de l'économisme, observer un phénomène éminemment original et extrêmement caractéristique pour la compréhension de toutes les divergences entre social-démocrates d'à présent : les partisans du "mouvement purement ouvrier", les adeptes de la liaison la plus étroite et la plus "organique" (expression du Rab. Diélo) avec la lutte prolétarienne, les adversaires de tous les intellectuels non ouvriers (fussent-ils des intellectuels socialistes) sont obligés, pour défendre leur position, de recourir aux arguments des "uniquement trade-unionistes" bourgeois. » (V. I. Lénine, Que faire ?, 1902).

    Le travail de réflexion se poursuivra dans de prochains articles. Toutes remarques et suggestions sont les bienvenues et, comme on l'a dit, des précisions et corrections seront sans doute à apporter à cet article-ci.


    [Et voici la suite : ]

    1. Classe ouvrière et prolétariat

    La classe ouvrière, on l’a dit, est le noyau dur des forces de la révolution socialiste et de leur avant-garde organisée, le Parti. Par contre, pour les ouvriéristes, elle est la seule admise dans le Parti, voire dans le Front révolutionnaire qui ne se ferait pas avec d’autres classes, mais avec d’autres organisations politiques du moment qu’elles sont ouvrières – conception trotskyste "orthodoxe", où l’idéologie (conscience révolutionnaire pour soi) ne compte pas, seulement la classe en soi. C’est cette conception que nous réfutons.

    La classe ouvrière, au sens marxiste strict, est la classe qui par son travail crée la plus-value en transformant la matière. Cela peut consister en le mineur qui extrait la matière première du sol, ou encore en l’ouvrier agricole qui récolte le fruit sur l’arbre. Et bien sûr, en l’ouvrier d’industrie, qui agit sur un objet avec une valeur A pour lui donner une valeur B supérieure. On pourrait admettre, aussi, qu’il existe des ouvriers des services, du moment que ce service est manuel, qu'il s’exerce sur un bien : on pense par exemple aux réparateurs, plombiers, électriciens etc. Ils prennent un bien à la valeur zéro (car inutilisable ; parfois même l’appartement entier, privé d’eau ou d’électricité, ne vaut plus rien) et lui redonnent une valeur, à la fois d’usage et marchande.

    Cette classe compte, dans l’État de France, 6 à 7 millions de travailleurs auxquels il faut ajouter leurs familles et les retraités. Cependant, ce sont des données statistiques qui incluent l’aristocratie ouvrière. Celle-ci ne compte, en effet, pas seulement des travailleurs avec une fonction d’encadrement, mais simplement des ouvriers qualifiés, auxquels les bénéfices de l’impérialisme permettent d’offrir un bon salaire et donc un standard de vie petit-bourgeois. Ces personnes sont certes des ouvriers, mais pas des prolétaires. Politiquement, ils forment la base du réformisme, du légalisme, du culte de l’État bienfaiteur et, souvent, du chauvinisme (qui peut déboucher sur la xénophobie et, de là, le vote fasciste). Cela, les ouvriéristes ont souvent tendance à l’oublier.

    D’une manière générale, cette classe souffre aujourd’hui de la délocalisation de la production vers des pays à moindre coût de main d’œuvre, et (surtout) de l’atomisation par le développement de la sous-traitance en petites unités productives, et la multiplication de l’emploi précaire, à durée limitée. Se souvenant des grands mouvements de 1936, des années d'après-guerre ou de 1968-75, la bourgeoisie redoute les grandes unités de production, comme Renault Billancourt, préfigurant le socialisme et où des milliers d’ouvriers peuvent se dresser d’un seul coup contre le Capital.

    Mais existe-t-il d’autres classes prolétaires que les ouvriers ? Pour les camarades italiens du nPCI, la réponse est oui : Aux premiers siècles de l’existence du mode de production capitaliste, le prolétariat n’était composé pratiquement que de travailleurs manuels dans l’industrie, parce que seule la production industrielle était absorbée par le mode de production capitaliste. De là l’habitude que l’on a par inertie de considérer comme ouvriers seulement les travailleurs manuels de l’industrie. Graduellement le mode de production capitaliste s’est cependant étendu aussi aux autres secteurs productifs, a créé de nouveaux secteurs et a approfondi la division du travail à l’intérieur des entreprises : par conséquent, les travailleurs des autres secteurs et les travailleurs non manuels sont aussi entrés dans le prolétariat. Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, la classe ouvrière et le prolétariat ont été toutefois grosso modo encore la même chose. “ Par prolétariat s’entend la classe des ouvriers salariés modernes qui, ne possédant aucun moyen de production, sont contraints de vendre leur force de travail pour vivre ” (Engels). Dans la phase impérialiste de la société bourgeoise, la prolétarisation de la société s’est étendue, d’autres travailleurs ont été réduits à l’état de prolétaires (c’est-à-dire des travailleurs qui pour vivre doivent vendre leur force de travail) même s’ils ne travaillent pas aux ordres du capitaliste pour valoriser son capital. De cette façon sont apparues de nouvelles classes prolétaires, différentes de la classe ouvrière.

    Ces autres classes prolétaires sont : — les salariés (on en exclut les dirigeants) de l'administration publique centrale et locale et des organismes qui dépendent de l’État ;

    — les travailleurs employés dans des entreprises non capitalistes (entreprises familiales, d'artisanat et d'autres que les propriétaires créent et gèrent non pour valoriser un capital, mais pour en obtenir un revenu) ;

    — les travailleurs qui sont attachés aux services personnels (serveurs, chauffeurs, jardiniers, etc.).

    Cette liste peut bien sûr être discutée : certains voudront en retirer des catégories de travailleurs, d’autres en ajouter. Mais, pour certains, la conception du prolétariat du nPCI est révisionniste : le nPCI construirait un prolétariat "de bric et de broc" et nierait la "centralité ouvrière" (ils disent pourtant bien que c'est la classe ouvrière qui dirigera la révolution socialiste. Le parti communiste est son parti). Alors, qu’en penser ? 

    Ce qui est sûr, c’est qu’autour de cette classe ouvrière, voire tout près d’elle (dans les mêmes quartiers, voire sous le même toit familial !) gravitent des millions de travailleurs salariés (non propriétaires des moyens de production), qui participent au processus de production, "intellectuels" (secrétaires, employé-e-s de bureau) ou manuels (préparateur-rice-s de commande, manutentionnaires, livreur-euse-s), et d’autres encore, qui participent à la distribution de la marchandise (serveur-euse-s, vendeur-euse-s, caissier-e-s) ou à son après-vente (réparateur-rice-s). Ou encore, qui participent au bien-être (et donc à la productivité) des producteurs (nettoyage). Etc. etc.

    Sont-ils/elles des prolétaires ? Peut-être pas (certainement pas pour nos singes savants ouvriéristes)… Mais en admettant qu’ils et elles ne le soient pas, ce sont très clairement des travailleurs exploités. Le gain que leur travail rapporte au capitaliste, bien que moins facilement quantifiable que celui de l’ouvrier (qui est la différence entre la valeur du bien avant le travail et sa valeur après), ne leur est certainement pas intégralement, ni même en majorité, reversé sous forme de salaire…

    On pourrait même dire que, s'ils/elles ne participent pas directement à la création de la valeur en transformant la matière, ils y contribuent, ils y collaborent activement : en permettant d’augmenter la productivité, en assurant la prise de commande (condition de la production) et la distribution de la marchandise (sans laquelle que vaudrait celle-ci ?) ou son maintien en état d'usage par la réparation ("capital confiance" du capitaliste) etc. etc. ; en d'autres termes en permettant la réalisation de la valeur ajoutée crée par le travail ouvrier, la transformation du capital-marchandise en véritable plus-value.

    Donc, dire qu’ils sont des alliés naturels de la classe ouvrière est faible : ce sont des alliés automatiques, ni beaucoup plus, ni guère moins révolutionnaire que celle-ci dans les mêmes conditions objectives. On pourrait quasiment parler de prolétariat par assimilation.

    Si l'on ne considère pas cela, il est impossible d’avoir une ligne de masse conséquente dans les pays impérialistes !

    Dire cela n'a rien à voir avec la recherche de "nouveaux sujets révolutionnaires" (le hors-la-loi, l'immigré, "l'exclu"...) qui a foisonné dans les milieux intellectuels depuis les années 1970...

    2. Le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière : une conception du monde

    Ce que l’on entend systématiquement chez les ouvriéristes, aussi bien petits-bourgeois (L"o", P"o"I) que réellement ouvriers (ou aristocrates ouvriers), c’est que "la priorité est à la construction du Parti ouvrier", qui déterminera ensuite ses alliances de classe. Quand on voit celles que font les petits-bourgeois et les aristocrates ouvriers du P"o"I ou de L"o", on en tremble d’avance, et l'on se prend à espérer que les ouvriéristes réellement ouvriers soient mieux avisés…

    En tout cas, ceci est absolument faux. Le "Parti ouvrier" existe déjà virtuellement (les ouvriers conscients que le capitalisme ne peut plus durer), et il devrait exister réellement depuis des années voire des décennies. Son noyau d’avant-garde existe, et sa base de recrutement existe aussi : on trouve des éléments, voire des groupes entiers d’ouvriers rouges dans toutes les UL de la CGT, dans toutes les sections de L"o" ou du P"c"F, et dans toutes les organisations issues du P"c"F lors de sa liquidation social-démocrate des années 1990. Dans ce cas, pourquoi ne pas leur passer simplement un coup de fil : « Bonjour, c’est l’avant-garde du prolétariat à l’appareil »… Je vous laisse imaginer le sketch qui s’ensuit. C’est ridicule, évidemment.

    Pourquoi ? Parce qu’en dehors de l’avant-garde communiste révolutionnaire, les ouvriers les plus rouges aujourd’hui, les plus combattifs et déterminés, envisagent de faire plier le Pouvoir, mais pas de le prendre, ne sachant tout simplement pas quoi en faire.

    Et pourquoi cela ? Parce qu’ils sont prisonniers de l’économisme, dont l’ouvriérisme n’est que la variante gauchiste, sectaire. L’économisme, c'est-à-dire quand la lutte de classe s’arrête à la porte de l’usine

    L’étape actuelle n’est pas là. La tâche actuelle des communistes, c’est que la lutte de classe jaillisse des usines comme un torrent, vers toutes les citadelles de l’exploitation (des McDo’s aux call centers en passant par les sociétés de nettoyage) et de l’oppression (quartiers-ghettos, Pôles Emploi, sociétés négrières d'intérim, prisons), et vers l’ensemble des masses populaires.

    La conscience révolutionnaire de la classe ouvrière ne doit plus rester concentrée sur la relation de travail (et d’exploitation) patron/ouvrier, elle doit embrasser tous les sujets d’Hexagone, d’Europe et du monde (internationalisme), et avoir une position révolutionnaire sur chacun d’eux.

    L’étape actuelle, c’est de briser le carcan de l’économisme, du mouvement purement ouvrier (Lénine, Que faire ?).

    Cela passe par deux choses :

    - les intellectuels organiques (Antonio Gramsci) : ce sont des intellectuels issus du prolétariat ; ou parfois, comme Lénine ou Mao, de la petite-bourgeoisie, mais sur les positions et au service du prolétariat – mais de préférence, ceux-là ne doivent intervenir qu’au début, lorsque les forces subjectives de la révolution sont encore faibles. Sans même parler de Lénine ou Mao, il y a des centaines de travailleurs intellectuels, liés au prolétariat par des liens familiaux, conjugaux, professionnels ou affinitaires, qui peuvent jouer ce rôle. Leur tâche est de dépasser (justement) l’économisme, d’élaborer une conception prolétarienne du monde et de briser l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie sur le prolétariat et les masses populaires (Gramsci encore). 

    - la ligne de masse, qui passe par des organisations de masse. Ainsi, la Jeunesse Communiste Marxiste-Léniniste est la première organisation communiste révolutionnaire de masse, en direction de la jeunesse populaire, à voir le jour depuis près de 40 ans. Simultanément, le PCmF prône la création du Front révolutionnaire anticapitaliste/antifasciste et populaire (FRAP), avec pour organe de communication la Cause du Peuple. Sur la région de Toulouse, le collectif Coup pour Coup 31 multiplie les initiatives anti-impérialistes et anticapitalistes, de même que le Comité Anti-Impérialiste, plutôt sur la région parisienne. Le Comité de Soutien à la Révolution en Inde assure la solidarité internationaliste, en Hexagone, avec la plus grande Guerre populaire sur la planète actuellement.

    Ce sont là des initiatives, idéologiquement et géographiquement diverses, mais qui ne peuvent aller que dans le bon sens, quels que soient les incidents de parcours qui pourraient survenir.

    Le Parti ouvrier n’est pas un "syndicat politisé". On sait de toute façon parfaitement que "l’apolitisme" des syndicats en France est une mascarade, et qu’ils sont tous liés à un mouvement réformiste. On sait, aussi, que le problème du PCF pendant des décennies (des années 1950 à 1990), c’est (justement) qu’il n’a finalement été que la machine électorale de la CGT…

    Non, le Parti de la classe ouvrière, communiste révolutionnaire, est un instrument de conquête et – demain – d’exercice du Pouvoir. Il doit reposer sur une conception communiste du monde.

    Pour reprendre toujours le même exemple, Lutte Ouvrière compte des militants ouvriers héroïques, comme Xavier Mathieu. Mais voilà, le problème, c’est que LO ne sait parler que de cela : des conflits du travail, des mouvements sociaux contre les "réformes" réactionnaires de l’État bourgeois. Et lorsqu’ils prennent position sur d’autres questions, leurs positions sont fausses, comme celle de considérer que les luttes de libération sont "bourgeoises". Lutte Ouvrière est donc incapable de prendre et d’assumer le Pouvoir : ils repoussent éternellement l’échéance, en disant que "les conditions ne sont pas mûres" (elles ne le seront jamais, car les conditions de la révolution se créent par le travail révolutionnaire et, de toute façon, les conditions d’une révolution purement ouvrière ne seront jamais réunies). 

    3. La classe ouvrière et les autres classes dans la révolution

    Une autre conception erronée, que l’on entend souvent chez les ouvriéristes, c’est que les autres classes exploitées ou écrasées par le capitalisme monopoliste sont les bienvenues dans le processus révolutionnaire… à condition de se plier aux intérêts et aux conditions de la classe ouvrière. C’est complètement faux. C’est perdre totalement de vue la mission émancipatrice de la classe ouvrière pour l’humanité entière.

    La classe ouvrière ne "plie" pas les autres classes populaires à ses intérêts : ceci est une conception trotskyste, que Trotsky a partiellement mise en œuvre (vis-à-vis de la paysannerie) durant le communisme de guerre. Au contraire, elle réalise leurs aspirations (idéalistes) à la "justice", à la "dignité" et au "bien être", car c’est là un programme démocratique minimal, parfaitement englobé dans le programme maximal de la classe ouvrière qui est le socialisme et son aboutissement, le communisme.

    Si l'on prend l’exemple de l’agriculture, les petits paysans ont intérêt à la collectivisation, à la mise en commun des moyens de production, à l’agriculture socialiste.

    Cet intérêt est très clairement ressenti dans les pays où la grande propriété (semi-féodale ou agro-capitaliste) s’oppose à la micropropriété ou à une paysannerie sans terre. En France, il y a beaucoup de grandes propriétés agro-capitalistes (que la révolution expropriera et donnera aux masses laborieuses pour leur alimentation) d’un côté, et de l’autre, des paysans poussés par la faillite vers le prolétariat. Mais il y a entre les deux des petits paysans, pour qui la collectivisation sera la solution.

    La révolution prolétarienne apporte aux paysans une solution qui est dans LEUR intérêt (ET dans celui des masses populaires), elle ne les "plie" pas aux intérêts de la classe ouvrière !


    Post-scriptum : cet article a (sans surprise) soulevé quelques réactions (sans importance) sur un obscur forum où errent quelques vieux débris (sans importance...) de l'ouvriérisme et autres dogmatismes "ML". Qui n'ont d'ailleurs que cela à faire, ce qui en dit long sur leur militantisme révolutionnaire ...

    Notons simplement, au vu de leurs réactions, qu'ils ont été ni plus ni moins qu'incapables de lire ce texte, ou en tout cas de le comprendre. Leur "grandiose" contribution au mouvement communiste en France, depuis plus de 30 ans, n'en est que plus compréhensible ...

    [Lire : http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/la-bourgeoisie-peut-tout-a-fait-exister-a-travers-des-militants-politi-a178219050]


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  • "L'«autogestion» yougoslave, qui est soi-disant centrée sur l'ouvrier, n'est qualifiée d'ouvrière qu'en théorie, en fait, elle est anti-ouvrière, antisocialiste. Ce système, indépendamment du grand bruit que font les titistes à son propos, ne permet à la classe ouvrière ni de diriger ni de gérer.

    En Yougoslavie toute entreprise «autogestionnaire» est un organisme enfermé dans son activité économique, alors que la politique de gestion est entre les mains de son groupe dirigeant, qui, comme dans tout autre pays capitaliste, manipule les fonds d'accumulation, décide des investissements, des salaires, des prix et de la distribution de la production. On prétend que toute cette action économique et politique est approuvée par les ouvriers à travers leurs délégués. Mais c'est là une duperie et un grand bluff. Ces prétendus délégués des ouvriers font cause commune avec la caste des bureaucrates et des technocrates au pouvoir sur le dos de la classe ouvrière et des autres masses travailleuses. Ce sont les gérants de profession qui font la loi et définissent la politique dans l'organisation «autogestionnaire», de la base au sommet, dans la république. Le rôle de direction et de gestion, le rôle économique, social et politique des ouvriers et de leur classe est réduit au minimum, pour ne pas dire qu'il a été totalement supprimé.

    Encourageant le particularisme et l'esprit de clocher, au niveau de la république et de la région jusqu'à celui de la commune, le «système autogestionnaire» a liquidé l'unité de la classe ouvrière, il a dressé les ouvriers les uns contre les autres, tant sur le plan individuel en alimentant l’égoïsme, que sur le plan collectif, en encourageant la concurrence entre les entreprises. Dans la même ligne, on a sapé aussi l'alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie, celle-ci étant elle-même morcelée en petites exploitations privées et exploitée par la nouvelle bourgeoisie au pouvoir. Tout cela a instauré l'autarcie dans l'économie, l'anarchie dans la production, dans la répartition des profits et des investissements, dans le marché dans les prix, engendrant une inflation et un chômage d'énormes proportions.

    L'existence de la classe ouvrière à la direction du système «autogestionnaire ouvrier» en Yougoslavie est une illusion, une utopie. Dans ce système, la classe ouvrière n'est pas à la direction, elle n'a pas l'hégémonie. La dictature du prolétariat y a été liquidée, la direction de la classe ouvrière, le Parti communiste, ou la Ligue des communistes, comme le parti s'appelle dans ce pays, ne dirige ni le pouvoir, ni l'économie, ni la culture, ni la vie sociale.

    Dans ce système de confusion générale ce sont d'autres qui se sont emparés des positions politiques dominantes et dirigeantes. C'est la nouvelle caste des bureaucrates politiques et des technocrates, issue de la couche de l'intelligentsia embourgeoisée et de l'aristocratie ouvrière. Elle est à cent lieues de toute morale prolétarienne et n'est assujettie à aucun contrôle politique.

    Cette nouvelle couche bureaucratique se vante à grand bruit d'être l'ennemie de la bureaucratie étatiste, alors qu'elle est elle-même une bureaucratie encore plus néfaste et elle fleurit et se renforce dans un système économique décentralisé, qui préserve et développe la propriété privée.

    L'«autogestion ouvrière», qui a pour fondement l'idéologie de l'anarcho-syndicalisme, a produit le nationalisme au niveau de chaque république, qui a élaboré jusqu'à des lois et règlements particuliers pour défendre ses intérêts étroits. Le monopole économique des républiques, qui se réduit au monopole de leurs entreprises et de leurs trusts, s'est converti en fait en un pouvoir politique et un nationalisme républicain, qui se manifeste au niveau non seulement de chaque république, mais aussi de chaque région, commune et entreprise. Chaque individu, chaque groupe, chaque république s'efforce de s'enrichir le plus possible et le plus rapidement sur le dos des autres.

    Le nationalisme bourgeois s'est installé confortablement en Yougoslavie et le mot d'ordre «union-fraternité», qui était juste au cours de la lutte de libération nationale, lorsqu'on se battait contre les occupants et la réaction du pays pour une société nouvelle fondée sur le marxisme-léninisme, est resté, dans le système yougoslave actuel, qui divise et désagrège tout, un slogan creux et sans effet. «L'union et la fraternité» des peuples, des nations et des nationalités, des républiques et des régions ne peuvent se réaliser que dans un véritable système socialiste guidé par l'idéologie marxiste-léniniste.

    L'union fédérative yougoslave n'a pas été édifiée sur des bases marxistes-léninistes, et l'on devait nécessairement voir naître comme on l'a vu, des antagonismes nationaux. C'est le système lui-même qui engendre ces contradictions, qui alimente le séparatisme des nations et des nationalités, des républiques et des régions.

    Les copieux crédits accordés par le capitalisme mondial ont aussi agi dans ce même sens. Le fait qu'ils ont été affectés à satisfaire les goûts et les caprices bourgeois et mégalomanes de la caste au pouvoir, leur répartition inégale et sans critères sains entre les diverses républiques, ont créé, entre les républiques et les régions, des dénivellements économiques et sociaux, ce qui accentue encore plus les antagonismes nationaux.

    Le système d'«autogestion» n'aurait pas fait long feu s'il n'avait pas été aidé par deux facteurs : par l'antisoviétisme de la direction yougoslave, en fait par son antimarxisme et anti-léninisme grâce auquel elle s'est assuré le soutien politique de toute la réaction mondiale, et par l'appui économique des pays capitalistes sous forme de crédits considérables et multiformes. Malgré tout, ces deux facteurs ne sont pas parvenus à sauver ce système antisocialiste. Au contraire, ils l'ont affaibli encore davantage et l'ont poussé vers la faillite économique et politique.

    Kardelj et Tito rejetaient la faute pour l'échec de ce système et pour tous les maux qu'il a engendrés sur l'«insuffisant perfectionnement» du système lui-même, sur «le niveau encore insuffisamment élevé» de la conscience des travailleurs, sur l'existence de la bureaucratie, etc. Ils s'étaient bien rendu compte de la faillite de leur système antisocialiste, mais ils ne pouvaient plus reculer. Aussi, toutes les mesures que prit Tito de son vivant concernant la direction de la Fédération et des républiques après sa mort, ne sont-elles que des palliatifs. Avec Tito et Kardelj s'est éteinte aussi l'euphorie sur le système «autogestionnaire». Les successeurs de Tito se trouvent dans un grand désarroi et ils ne savent pas comment faire pour se tirer de la situation difficile dans laquelle est plongé leur pays. Maintenant la Yougoslavie titiste s'est engagée dans une crise grave et générale de ses structures et superstructures, dans une crise économique et à la fois politique et morale."

    Enver Hoxha, Rapport d’activité du comité central du Parti du Travail d’Albanie, Présenté au VIIIe Congrès du PTA, 1981


    Le Kosovo

    La situation s’est également particulièrement aggravé au Kosovo depuis les années 70. Le plan économique de 1975 affirmait que l’économie aurait une croissance de 10% plus grande au Kosovo que dans le reste du pays, en pratique cela fut 10% moins. En 1975 le revenu par tête au Kosovo équivalait à 33% de la moyenne yougoslave, en 1980, à 29%.

    Il ne faut donc pas s’étonner que suite au mouvement étudiant la résistance populaire fut grande là-bas. En 1981 eut ainsi lieu une grande révolte, entre 1981 et 1985 3344 AlbanaisES furent condamnéEs pour " activités séparatistes ".

    Le mouvement révolutionnaire s’organise, avec des groupes comme l’Organisation Marxiste-Léniniste du Kosovo, le PC M-L des Albanais de Yougoslavie, le Front Rouge populaire, qui s’unirent en 1982 dans le Mouvement Populaire pour une République Kosovare (LPRK).

    Le mouvement ML du Kosovo possédait alors de nombreuses bases en Allemagne et en Suisse, plus de 80 militantEs furent assassinéEs dans ces pays par les services secrets yougoslaves. En 1991 la LPRK devint le Mouvement Populaire Kosovare (LPK), considéré par les services secrets de Bavière comme " une organisation étrangère extrémiste " d’orientation " marxiste/social-révolutionnaire ". La LPK participa activement à la formation de l’UCK en 1994-1996, dont le leader Adem Demaci vient d’ailleurs de l’organisation ML du Kosovo. A l’UCK s’ajoutèrent deux groupes armés ML : le Parti Révolutionnaire Albanais (PRSH) et le MLN du Kosovo (LKCK - une scission de 1986/1993 de la LPRK/LPK).

    À partir de 1996 les groupes liés aux AlbanaisES des USA, orientés à l’extrême-droite, s’unirent à l’UCK. Pourquoi ? Tout d’abord parce que les impérialistes ont échoué à construire un groupe armé totalement contrôlé : les forces armées de la république du Kosovo (FARK) n’ont pas tenu la route face à l’UCK, qui a liquidé leur chef Ahmet Kransniqui. D’où la nécessité pour les impérialistes de conquérir l’UCK.

    Le second point fondamental est l’idéologie des groupes ML du Kosovo, qui se fonde sur les analyses d’Enver Hoxha, et non de Mao-Tsé-Toung. D’où une politique révisionniste de "front" dont la direction est abandonnée à la bourgeoisie.

    Ainsi, en mars 1999 le leader Adem Demaci fut démis de son poste avec d’autres. Il s’était prononcé contre la capitulation devant l’OTAN et pour une lutte commune des Serbes et des Albanais contre l’intervention impérialiste et pour une fédération.

    Au niveau militaire le leader Suleiman Selini, pro-Demaci, fut remplacé par Agim Ceku, formé par un organisme proche du Pentagone.

    Quant à la LPK, après Rambouillet, elle remplaça le mot d’ordre de son journal "longue vie au marxisme-léninisme !" par "Nato thank you" et a cessé de vendre les livres de Hoxha.



    Apprendre de l'histoire de la Yougoslavie "socialiste" pour combattre le réformisme et rejeter le nationalisme !

    Article paru dans Front Social n°14


    "Seuls les gens qui ont une vue subjective, unilatérale et superficielle des problèmes se mêlent de donner présomptueusement des ordres ou des instructions dès qu’ils arrivent dans un endroit nouveau, sans s’informer de l’état de la situation, sans chercher à voir les choses dans leur ensemble (leur histoire et leur état présent considéré comme un tout) ni à en pénétrer l’essence même (leur caractère et leur liaison interne) ; il est inévitable que de telles gens trébuchent ". (Mao)

    Contrairement à en Italie, l’opposition à l’intervention impérialiste en Yougoslavie n’a pas été conséquente en France.

    Les raisons sont des problèmes organisationnels, mais également théoriques et idéologiques.

    On a pu voir des révolutionnaires soutenant unilatéralement la cause kosovare, particulièrement ceux et celles qui luttent en Corse et en Bretagne. Par méconnaissance du marxisme, ils/elles n’ont pas compris qu’un Mouvement de Libération Nationale devait être guidé par les communistes, sans quoi il pouvait se vendre à l’impérialisme (pourtant l’OLP avait été un " bon " précèdent).

    D’autres en sont arrivés à soutenir d’un bloc la Yougoslavie, niant également le fait que ce pays soit dominé par une bourgeoisie menant une politique populiste et nationaliste. Comme si cela était l'intérêt des prolétariats de Yougoslavie de renforcer l’idéologie grand-serbe.

    Nous publions ainsi ce document permettant une compréhension générale de la situation.

    Faisons avancer ensemble le niveau des révolutionnaires, sans quoi c’est la condamnation à l’impuissance face aux politiques impérialistes !

    Tito n’a jamais été un "grand leader du tiers-monde", et la Yougoslavie comme un pays "socialiste" ayant cherché une voie "autogestionnaire", démocratique et multinationale, est un mythe contre-révolutionnaire !

    1945-1948 : du mouvement de libération nationale à la répression contre la classe ouvrière et la rupture avec les pays socialistes

    La guerre antifasciste menée par les communistes de Yougoslavie a été historiquement un immense succès ; la bourgeoisie était totalement discréditée pour sa collaboration ; les communistes étaient solidement organiséEs sous l’impulsion de l’Internationale Communiste.

    Né en 1936/1937 de l’entente entre le PC de Slovénie (d’Edouard Kardelj), le PC de Croatie (de Tito) et le comité provincial serbe (de Rankovic) qui devint une union en 1941, le PC de Yougoslavie (PCY) avait organisé des comités populaires (antifascistes), qui assumèrent la formation d’une nouvelle administration.

    Mais comme le souligne le théoricien du nouvel Etat yougoslave, Eugène Varga, " ce n’est pas la dictature de la bourgeoisie, mais ce n’est pas non plus la dictature du prolétariat.

    L’ancien appareil d’Etat n’a pas été brisé comme ce fut le cas en Union soviétique, mais il se renouvelle par l’absorption constante de partisans du nouveau régime ".

    Cette administration ne se voulait néanmoins pas socialiste, mais seulement antifasciste, et dans le premier gouvernement (formé par Tito le 7 mars 1945) on retrouve des monarchistes. En août de la même année se rajoutèrent au comité antifasciste de libération populaire des membres " non compromis " du parlement d’avant-guerre.

    Le PCY n’applique de fait pas la dictature du prolétariat, il a au contraire une interprétation extrêmement opportuniste de la notion de " démocratie populaire ", inventée par Georgi Dimitrov (chez Dimitrov lui-même la notion est insuffisante). Cette interprétation yougoslave sera de fait mise également en pratique dans les autres pays de l’Est après la mort de Staline et l’avènement de Khroutchev.

    En pratique le PCY n’a pas de programme, seulement une pratique opportuniste. Il suit le front populaire au lieu de le conduire. Les interventions politiques passent toujours par le front populaire, nouveau nom du MLN de Yougoslavie, jamais par le PCY.

    Ce refus de la dictature du prolétariat se retrouve dans la politique agraire. La propriété privée est conservée, il est possible d’acheter et de vendre des terres, il y a des grands propriétaires employant des gens, etc.

    Le PCY considère la paysannerie comme un bloc, rejetant la thèse de Lénine comme quoi " la petite exploitation individuelle engendre constamment, chaque jour, chaque heure, spontanément et à une grande échelle le capitalisme et la bourgeoisie ".

    Pour le PCY, au contraire, " les paysans sont le fondement le plus solide de l’Etat yougoslave ". C’est la même interprétation du développement économique que Boukharine, qui considérait que le processus de socialisation était marqué non par un accroissement mais par un affaiblissement des luttes de classe.

    De fait, le PCY n’est pas un parti communiste authentique.

    Le Kominform, rassemblant les Partis Communistes, constatera ainsi en 1948 que " dans le Parti [Communiste de Yougoslavie] il n’y a pas de démocratie à l’intérieur du parti – le principe du vote n’est pas réalisé – il n’y aucune critique et autocritique ".

    L’ensemble de la direction est coopté, le PCY conserve les méthodes utilisées dans l’illégalité, alors qu’il est au pouvoir depuis plusieurs années. Les réunions du PCY se font clandestinement, le parti n’apparaît jamais aux yeux des masses, " un tel type d’organisation du Parti Communiste yougoslave ne peut pas être défini autrement que comme sectaire-bureaucratique.

    Cela amène la liquidation du parti comme organisme créatif et indépendant, et développe dans le Parti des méthodes militaires de direction, similaires aux méthodes propagées par Trotsky en son temps ".

    La critique précise du PCY par le Kominform obligea la clique de Tito-Kardelj-Rankovic mener une répression brutale contre les marxistes-léninistes. Au moins 8500 révolutionnaires furent emprisonnéEs, l’ancien partisan Vladimir Dapcevic notamment sera emprisonné, s’enfuira en 1956, sera enlevé par les services secrets yougoslaves à Bucarest en 1975 et condamné à mort en 1976 (peine commuée en 20 ans de prison).

    De même, Mileta Petrovic sera condamné à nouveau en 1978 à vingt années de prison pour ses positions en faveur des critiques du Kominform.

    1948-1960 : l’instauration du régime titiste

    "Alors que les réunions quant au PCY en juin 1948 constataient le passage de la clique Tito-Rankovic de la démocratie et du socialisme au nationalisme bourgeois, durant le laps de temps nous séparant de ces réunions s’est réalisé le passage de cette clique du nationalisme bourgeois au fascisme et la trahison ouverte des intérêts nationaux de la Yougoslavie " (Boljsevik n°22).

    Pourquoi est-ce que les pays socialistes considèrent-ils la Yougoslavie d’après 1948 comme un pays fasciste ?

    Suite à la critique du Kominform, les dirigeants du PCY liquidèrent les marxistes-léninistes, et menèrent une grande campagne contre l’URSS et le marxisme-léninisme. L’anticommunisme fut masqué sous le discours des " voies propres au socialisme ", de l’autogestion et de " l’indépendance nationale ", en fait le nationalisme ; le PCY prétend même que la " liquidation des éléments capitalistes en Yougoslavie " va être menée.

    Il faut en effet " distinguer deux choses.

    D’une part la lutte pour l’indépendance nationale selon la conception du prolétariat et de son parti qui associe obligatoirement la lutte de libération nationale à la libération sociale des travailleurs, à la lutte contre l’impérialisme sur une échelle mondiale et par conséquent la fidélité aux vœux de l’internationalisme prolétarien (front unique avec l’URSS et les autres forces révolutionnaires).

    D’autre part " l’indépendance nationale " selon la conception bourgeoise, opportuniste et nationaliste, dans le sens d’un exclusivisme et d’un isolement national vis-à-vis de la lutte commune des peuples (...).

    La clique nationaliste de Tito s’est ravalée justement jusqu’à cette conception bourgeoise de la question de l’indépendance nationale ".

    Cette déviation nationaliste se retrouve au niveau économique. Est parlé de " pouvoir aux travailleurs ", mais en pratique, les comités ouvriers sont fondés par la force (comme dans les pays fascistes) et la direction est nommée et contrôlée.

    Les tâches des comités sont les mêmes qu’en Europe occidentale : discipline, qualité, normes de travail, productivité...

    L’orientation générale est la cogestion. Dès 1950 les prix de vente fixés par l’Etat disparaissent, les tracteurs sont vendus aux " coopératives ", et ces dernières sont liquidées en 1952 (elles sont 6904 fin 1951, 1258 fin 1953). EN 1969 278.000 paysans possèdent 3,5 millions d’hectares, alors que 1.027.000 n’en possèdent à 0,9. L’Etat yougoslave défend les koulaks, qui ont organisé l’agri-business, c’est-à-dire des grands conglomérats (comme le PKB).

    La politique d’" autogestion " permet également de dégraisser l’administration de 100.000 personnes, et d’intégrer les mécanismes du marché. En effet, les entreprises autogérées –les travailleurs amenant d’ailleurs les capitaux - se concurrencent, peuvent se racheter, et suivent le principe des 3 " s " : " self-management, self-financing, self-accounting".

    Au niveau de la politique étrangère, le PCY se rapproche de l’Inde et de l’Egypte, mais surtout des USA, qui fournissent des crédits dès 1949, et de l’Angleterre. Le soutien aux partisans grecs est stoppé, et lors du conflit coréen le PCY se prononce en faveur du Sud.

    En novembre 1952 le PCY se dissout et devient la Ligue des Communistes de Yougoslavie ; en février 1953 le front populaire devient l’alliance socialiste.

    Le succès total de la politique droitière amena néanmoins une instabilité politique pour la clique Tito-Rankovic.

    L’abandon de la structure monolithique du " Parti " fut demandé, et de septembre 1953 à janvier 1954 Milovan Djilas publia une série d’articles sur la Yougoslavie qui eurent un écho important.

    Djilas était le vice-président depuis 1945 et le responsable de la propagande. Il avait été le théoricien de l’attaque contre le marxisme-léninisme, notamment avec son article " L’URSS – mythe et réalité " publié le 20 novembre 1950.

    Il y affirmait que l’URSS était un capitalisme d’Etat contrôlant des Etats satellites, et qu’elle ne comprenait pas plus d’éléments socialistes que les pays capitalistes occidentaux.

    Dans ses nouveaux articles Djilas considérait que la Yougoslavie avait suivi le même chemin que l’URSS, ce qui allait trop loin pour la direction yougoslave, d’autant plus qu’en URSS la clique de Khroutchev menait la même politique que Tito.

    Djilas fut envoyé en prison, et de nouvelles relations fraternelles prises avec l’URSS à nouveau " grand pays socialiste ", tandis que l’URSS de Khroutchev reconnaît la voie spécifique au socialisme de la Yougoslavie.

    Une politique étrangère commune fut faite en direction de pays considérés comme " non-capitalistes " comme l’Indonésie, l’Inde et l’Egypte. La Yougoslavie fit alors l’apologie du Xxème Congrès du PCUS et accentua ses relations économiques avec l’occident, la CEE notamment, ce qui amena une progression de l’économie.

    Les déséquilibres s’exprimant de plus en plus amenèrent la direction à mener une politique ultra-libérale à partir de 1960.

    1961-1971 : l’ultra-libéralisme

    La Yougoslavie est dans cette période à cheval entre deus blocs.

    D’un côté des relations (1962) et une association (1964) sont faites avec le COMECON, de l’autre avec la CEE (1970). Idéologiquement ses positions sont alors également " entre les deux " blocs : au congrès philosophe de Bled en 1960 se dessine la ligne officielle, se revendiquant du jeune Marx, de Luxembourg, Lukacs et Bloch.

    Et en 1965 est officialisée la nouvelle thèse économique, exprimée par Branko Horvat : 30% d’Etat, 70% d’économie de marché.

    Les prix sont ceux du marché mondial, la concurrence joue totalement, le fond central d’investissement est aboli, le système bancaire décentralisé, et à partir de 1967 des joint-ventures sont autorisées (avec une participation étrangère maximale de 49%).

    La résistance populaire commença alors à s’exprimer. Au Kosovo en 1966 tout d’abord, puis avec des grèves de masse en 1966 et 1967, et enfin avec de grandes révoltes étudiantes en juin 1968. Celles-ci ne réussirent néanmoins à rien, la répression frappant lentement mais sûrement.

    La ligne idéologique était petite-bourgeoise, la critique du régime se fondant sur l’école de Francfort (Marcuse, Adorno, Habermas) et l’école de Budapest (disciples de Lukacs), mettant artificiellement dos à dos fétichisme de la marchandise et fétichisme de l’Etat, sans comprendre la nature réelle de la société yougoslave.

    Ce sont les camarades de Chine qui ont le mieux saisi la nature de la philosophie " socialiste " yougoslave : " Les points de vue révisionniste qui se manifestent depuis quelques années diffèrent évidemment du révisionnisme du passé.

    Ils ont fait leur apparition dans une nouvelle conjoncture historique et sous le mot d’ordre d’opposition au " stalinisme ". Mais si on les considère en fonction de leur aspect fondamental – le rejet du contenu révolutionnaire du marxisme – ces opinions sont essentiellement les mêmes que le révisionnisme du passé...

    Le marxisme-léninisme soutient par exemple que la transition vers le socialisme ne peut se réaliser que par la lutte révolutionnaire du prolétariat, la transformation de la propriété privée capitaliste en propriété commune socialiste et la suppression du régime capitaliste.

    Or il y en a qui soutiennent que le capitalisme d’Etat et la nationalisation de certaines entreprises dans les pays capitalistes constituent une forme de transition du capitalisme vers le socialisme et signifient la négation de la propriété capitaliste.

    Ils prétendent même que la société humaine dans son ensemble progresse vers le socialisme parce que la nature des moyens modernes de production, en particulier l’énergie atomique et l’automation, exigent la création de rapports socialistes de production.

    C’est-à-dire que le socialisme se développera de pair, dans le cours naturel des choses, avec le développement de la socialisation de la production dans l’économie capitaliste ".

    De fait, le régime yougoslave continue son implosion: en 1969 c’est le nationalisme croate qui réapparaît, se structurant fortement chez les étudiants entre 1970 et 1971. 1970 : l’année de la venue de Nixon. 1971 : l’année de la venue de Brejnev.

    1971-1980 : l’implosion du mythe titiste

    L’année 1971 est marquée par de violentes révoltes en Croatie ; l’association culturelle Hrvatska Matica gagna en influence et en membres ; l’Eglise catholique se lance évidemment également dans la partie, ainsi que d’anciens activistes du parti paysan de Macek.

    En octobre 1971 des étudiants croates marchent dans Vukovar avec des slogans et des chansons nationalistes.

    Le mouvement fut toléré par la partie croate de la Ligue des Communistes de Yougoslavie, tandis que la partie serbe attaquait la politique " anti-serbe " des Croates et des Albanais. En Suède des fascistes croates exilés assassinèrent l’ambassadeur de Yougoslavie.

    Le mouvement nationaliste croate exigeait l’abandon de " l’armée populaire yougoslave " au profit d’armée liée à chaque république et exigèrent d’avoir une représentation à l’ONU.

    De fait, la revendication croate était légitimé par le fait que 80% des officiers de l’armée ont toujours été serbe.

    Mais il s’agit d’un mouvement allant à contresens : au lieu de demander une égalité entre nations, le mouvement croate exige plus d’autonomie, plus de décentralisation, plus de libéralisme et plus d’indépendance des républiques.

    L’Etat yougoslave réagit violemment : interdiction de Hrvatska Matica (et de son journal Tjednik, qui tirait jusqu’à 100.000 exemplaires), interdiction de travailler pour les étudiantEs et les intellectuelLEs dissidentEs ; en Bosnie des affrontements eurent lieu entre la police et des groupes armés croates fascistes.

    A cela s’ajoutent de très nombreux problèmes économiques.

    La seule solution pour Tito est la course en avant, c’est-à-dire de se tourner vers les deux blocs, et de freiner sa propre politique de décentralisation, tout en satisfaisant diverses revendications culturelles.

    Lors du 10ème congrès de la LCY en mai 1974 fut instauré un Comité Central (pourtant aboli en 1963), la LCY est présenté comme " le seul représentant légitime des classes travailleuses", et Tito est chef du parti... à vie.

    L’Etat commence alors à mener une répression tout azimut. Le mouvement d’opposition n’est il va de soi pas que nationaliste, même si celui-ci est puissant. Ainsi, un PC clandestin et marxiste-léniniste est réprimé au Monténégro.

    L’armée commença alors à intervenir directement dans le jeu politique, et organisa à partir de la 11ème conférence de la LCY des " comités de défense populaire générale et d’autodéfense socialiste ".

    Mais cela ne suffit pas à renverser la tendance. A partir de 1978 les mouvements nationaux reprennent, et la mort de Tito en mai 1980 marque la fin d’une époque.

    1981-1991 : l’implosion de la Yougoslavie

    La politique de décentralisation, de politique " entre les deux blocs ", ne pouvait pas avoir de sens.

    La concurrence entre l’impérialisme occidental et le social-impérialisme soviétique ne pouvait laisser de terrain " neutre " alors qu’un des protagonistes s’affaiblissait.

    De fait, la Yougoslavie est tombé du côté des terres appropriables par l’impérialisme occidental.

    L’implosion du système titiste, tout entier fondé sur l’équilibre entre les deux blocs, ne pouvait qu’aboutir à une intervention impérialiste directe, puisqu’il n’y a pas d’organisation révolutionnaire capable de libérer les peuples opprimés tout en unifiant les nations sur une base d’égalité.

    La crise économique a dominé toutes les années 80. En 1983 le Yougoslavie n’est plus solvable, en 1986 l’inflation est de 70%. Deux tendances exprimèrent des " solutions " :

    Les nationalistes serbes entendaient conserver un peu de " socialisme " et renforçaient leur pouvoir politique ;
    Les nationalistes croates et slovènes avançaient des thèses libérales afin de gagner en indépendance.
    De nombreuses grèves ont lieu : 174 en 1982, 696 en 1985 et 900 notamment en 1987 (la plus grande grève depuis 1945).

    Le nationalisme ne cesse également de grandir. Le 1er mars 1987 est publié un " programme national slovène ".

    Par la suite, les mouvements indépendantistes triompheront et la guerre en Yougoslavie aboutira à l’indépendance de la Croatie (aidée par les USA et surtout l’Allemagne) et de la Slovénie (aidée par l’Autriche et l’Allemagne).

     

    Lire aussi la brochure de l'OCML-VP consacrée au conflit de 1992-95


    1 commentaire

  • le-mavi-marmara-300L'univers médiatique bourgeois, et en particulier celui des experts (plus ou moins autoproclamés) en "géopolitique", résonne en ce moment des analyses sur le "virage" de la Turquie : ce pays serait en train de "tourner le dos à l'Occident" et à l'Europe, d'adopter une politique "néo-ottomaniste" pour se rapprocher de ses voisins arabes et iraniens, soutenir la cause palestinienne, etc.

    En effet, la Turquie a fait, depuis sa naissance en tant que telle dans les années 1920 (avec Mustafa Kemal Atatürk) [Lire : Kaypakkaya-kemalisme.pdf], le choix de tourner le dos à l'Orient, le choix d'une modernisation "laïque" et sur le modèle européen [on qualifie parfois les couches sociales aisées et occidentalisées porteuses de cette idéologie de... "Turcs blancs" (beyaz türkler), par opposition aux (terme moins employé) "culs terreux" anatoliens "Turcs noirs" - kara türkler (lire aussi ici)] ; et depuis la Seconde Guerre mondiale, le pays (membre de l'OTAN et du Conseil de l'Europe) a toujours été un avant-poste de "l'Ouest" dans la région, contre l'URSS jusqu'en 1991, contre le "nationalisme arabe" hier, contre l'islamisme et l'Iran depuis les années 1980... Le "bon élève" qui n'a toutefois jamais reçu son "bon point" : l'admission dans l'Union européenne des impérialistes.

    Cependant, en 2002, l'État turc a commis une première "entorse" à sa tradition vieille de près de 80 ans, en se dotant au gouvernement d'un parti (l'AKP) se réclamant de l'islam dans son idéologie (l'"ancêtre" de ce parti avait déjà gagné les élections en 1996, mais les militaires l'avaient chassé du pouvoir l'année suivante). Et depuis lors, "tout fout le camp" : dès 2003 le pays, place-forte de l'alliance militaire atlantique OTAN dans la région, refuse que la coalition américano-britannique envahisse l'Irak depuis son territoire, les forçant à employer les nationalistes kurdes d'Irak comme supplétifs. Puis, craignant que le Nord de l'Irak ne devienne un sanctuaire pour les combattants kurdes de Turquie, elle envisage de l'envahir militairement (signe qu'elle ne fait pas confiance aux Américains pour sa sécurité) avant de renoncer (des forces spéciales y opérant cependant, déjà de longue date, et un incident conduisant même presque au bord de l'affrontement militaire).

    Les choses se sont accélérées depuis un peu plus de deux ans, sur la question des relations Turquie-Israël. Jusque là, la Turquie était le pays majoritairement musulman le plus proche et fermement allié d'Israël. Les deux pays étaient les deux pièces maîtresses du dispositif occidental au Proche-Orient. Même les déclarations anti-israéliennes de pure forme, comme dans les pays arabes qui - en pratique - soutiennent l'entité sioniste, étaient étrangères à la politique internationale turque. Les deux États partageaient la même hostilité envers la gauche révolutionnaire (ce qui est toujours le cas), le nationalisme arabe, le nationalisme islamique, l'Iran etc...

    Mais aujourd'hui, les déclarations condamnant Israël et favorables au Peuple palestinien se multiplient. Les visas israéliens sur les passeports sont devenus l'objet de tracasseries à la douane turque, comme dans les pays arabes, ce qui n'était pas du tout le cas il y a encore quelques années. Le gouvernement turc a entamé des rapprochements avec ses voisins arabes (Syrie etc.) et iranien : il tend en fait à suivre la même "ligne" géopolitique que le Qatar, "protecteur" et "parrain" financier des Frères musulmans dans le monde arabe (Frères musulmans dont l'AKP est lui-même plus ou moins issu, en tout cas d'un courant à l'esprit proche - très important de lire ce lien pour comprendre la nature et les origines de classe de l'AKP ; en gros, un représentant de la bourgeoisie nationale provinciale/rurale, mais ayant la particularité d'être très liée à la fraction la plus conservatrice et religieuse de la grande propriété terrienne, ce qui entame donc considérablement son caractère progressiste... qu-est-ce-que-l-akp).

    02.09-flottille-gaza-turquie-930620 scalewidth 630Le dernier épisode en date étant bien sûr l'attaque israélienne de la Flottille pour Gaza, avec 9 victimes toutes turques. "Rien ne sera plus jamais comme avant !", a alors tonné le Premier ministre (AKP) Erdoğan à l'encontre d'Israël.

    Donc, la presse (papier et internet, mainstream et indépendante) commence à faire ses choux gras sur le thème : "la Turquie change de camp", l'État turc amorcerait une politique "indépendante" voire hostile à l'Europe et aux États-Unis (et à Israël).

    Certains, dans les milieux "anti-impérialistes" révisionnistes ou "nationalistes-révolutionnaires", pour s'en féliciter. D'autres pour s'en inquiéter voire, dans les milieux fascistes occidentalistes, pour envisager une action "musclée" et préventive contre la nouvelle "menace turque" : pour un peu, on en serait revenu à la veille du siège de Vienne !

    Enfin, le dernier "buzz" en date (qui remonte en fait à plusieurs années dans les milieux nationalistes turcs) est que la guérilla kurde du PKK serait un instrument de "l'axe américano-sioniste" pour contrer cette volonté turque d'une politique "indépendante"...

    Qu'en est-il réellement ? La presse bourgeoise, démocrate, réactionnaire ou fasciste, est le royaume du sensationnalisme. Des informations sont inventées de toutes pièces, des rumeurs érigées en vérités, mais aussi des évènements secondaires sont présentés comme primordiaux.

    Face à cela, la presse communiste est le domaine de l'analyse matérialiste et scientifique, de la lecture de classe du réel. La tâche des communistes est de prendre le réel pour le transformer, c'est pourquoi l'analyse du réel, de la situation concrète, doit toujours être la plus parfaite possible : c'est avec une compréhension juste de la situation, que l'on peut ensuite prendre position et agir correctement.

    Ceci est d'autant plus important que nous avons à nos côtés un grand nombre de camarades révolutionnaires turc-que-s ou kurdes, condamné-e-s à l'exil en Europe où ils/elles sont également l'objet de la répression bourgeoise, comme Avni Er actuellement en Italie. Certain-e-s ont maintenu des branches de leurs organisations telles quelles en exil, d'autres ont rejoint les organisations révolutionnaires de leur pays d'accueil. Le soutien internationaliste à ces camarades est absolument primordial, surtout lorsque l'on connaît l'importance de la Turquie et de la région pour l'impérialisme.

    L'État turc est le théâtre de ce qu'on peut appeler une "guerre populaire de basse intensité", au stade de la défensive stratégique, mais où des camarades tombent toutes les semaines ou presque (dans le plus grand black-out médiatique).

    D'autre part les États européens et notamment le nôtre, l'État français (bien que moins que nos voisins allemands, par exemple), comptent de très importantes communautés originaires de l'État turc au sein de leurs prolétariat et des classes populaires. Certaines de ces personnes sont "apolitiques" et "font tranquillement leur chemin", d'autres se rattachent encore politiquement à leur pays d'origine (de l'extrême-gauche à l'extrême-droite en passant par le kémalisme et le partis islamiques, ils/elles furent nombreux-ses dans les manifs contre le massacre de la flottille), d'autres encore sont impliquées dans la vie politique et associative hexagonale ; mais dans tous les cas, ils/elles jouent un rôle important dans la vie sociale des communes et des quartiers où ils/elles sont particulièrement implantées.

    Une analyse correcte de la situation est donc indispensable. Cependant, beaucoup de communistes (s'affirmant communistes) ont de la situation une analyse soit dogmatique et figée (se contentant d'asséner "État fasciste turc" comme une récitation de mantra, ne percevant pas les importantes contradictions au sein de la bourgeoisie), soit une analyse opportuniste voyant d'un bon oeil, par exemple, les déclarations anti-israéliennes du gouvernement turc AKP.

    Voyons donc point par point ce qu'il en est.

    La nature de l'État turc

    Il est courant de parler d'État fasciste turc. C'est une réalité, dont la compréhension est à l'origine du maoïsme turc (Ibrahim Kaypakkaya), alors que les marxistes-léninistes de ce pays avaient longtemps, auparavant, eu tendance à considérer positivement le kémalisme et le "républicanisme" de l'idéologie nationale, considérant simplement qu'ils avaient "dégénéré". Mais cela ne doit pas mener à une lecture simpliste de la situation turque.

    TURKEY SECURITY COUNCILIl y a en réalité, en Turquie, deux pouvoirs :

    • le pouvoir militaire (Conseil de Sécurité Nationale), ultra-dominant de 1960 (après le coup d'État contre le Premier ministre Menderes et son exécution) jusqu'à la fin du siècle,
    • et le pouvoir civil, longtemps totalement soumis, mais qui grandit et s'impose depuis la fin des années 1990. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la Force armée est la colonne vertébrale de l'État, quelle que soit la nature de classe de celui-ci (État féodal, bourgeois, populaire, prolétarien...) : la marge de manoeuvre du pouvoir civil reste donc très relative... On ne peut pas vraiment parler de changement de nature de l'État turc, tout au plus d'une "évolution" qu'il faut prendre en compte, si l'on veut avoir une analyse correcte de la situation actuelle.


    En réalité, les "islamistes" turcs de l'AKP, qui se qualifient eux-même de "démocrates-musulmans" comme il y a des démocrates-chrétiens, sont 100 fois plus "libéraux", "démocrates" bourgeois (ou 100 fois moins fascistes, selon de quel point de vue l'on se place) que les "laïcs", "républicains", soi-disant de "centre-gauche" kémalistes, totalement liés aux militaires, à l'oligarchie et aux nationalistes d'extrême-droite (avec lesquels ils n'ont pas hésité à gouverner entre 1999 et 2002 !).

    L'extrême-droite qui est également un acteur très important de la situation en Turquie : son idéologie est "grand-turque", "pantouraniste", c'est à dire qu'elle veut réunir dans un même "Empire touranien" tous les peuples de langue turque, des Balkans au Xinjiang chinois en passant par l'Azerbaïdjan. Elle est liée à des secteurs de la grande bourgeoisie, ainsi qu'à l'économie illégale ou semi-légale (la maffya). Elle tient parfois un discours anti-occidental, mais son anticommunisme, son anti-progressisme et sa haine des minorités en font une supplétive efficace de l'État et de l'idéologie nationale.

    100528 lula ahmadinejad erdogan ap 218La victoire de l'AKP, en 2002, est comparable à l'élection (quasi simultanée) de Lula da Silva au Brésil : il s'agit d'une offensive économique et politique des impérialistes européens (autour du "couple" franco-allemand) dans la "chasse gardée" de l'impérialisme US.

    L'AKP est totalement financé par la bourgeoisie "émergente" turque des 30 dernières années (d'origine petite-bourgeoise et paysanne) et par la petite et moyenne bourgeoisie d'origine turque qui s'est développée en Europe de l'Ouest, principalement en Europe germanique (Allemagne, Autriche, Suisse) et au Bénélux, ou en Scandinavie, et il a l'appui de secteurs conséquents de la bourgeoisie impérialiste de ces pays. Notamment des secteurs représentés politiquement par la social-démocratie, pour laquelle votent largement (lorsqu'ils le peuvent, "droit du sang" oblige) ces individus originaires de Turquie.

    De son côté, l'élite traditionnelle oligarcho-militaire ne vit que par et pour ses liens historiques avec l'impérialisme US, le bloc anglo-saxon.

    Depuis 2002, l'AKP a procédé à une légère "libéralisation", notamment sur la question nationale kurde... Une libéralisation toute 'cosmétique' : les interdictions qui pesaient sur l'usage public de la langue kurde, l'expression publique culturelle (musique etc.) ont été assouplies, mais il n'est nullement question de la moindre autonomie politique, encore moins de réformes démocratiques et sociales (dans ces régions qui sont les plus pauvres du pays). La Turquie reste le pays où la Nation kurde est la plus opprimée, devant même l'Iran théocratique !
    tikbmay

    Quant aux organisations révolutionnaires (MLKP, MKP, TKP-ML, DHKP-C...), elles sont toujours soumises à une répression terroriste, dans laquelle l'armée et la police ont carte blanche. Le gouvernement AKP n'est clairement pas l'ami du Peuple, et la répression de la gauche populaire révolutionnaire fait l'objet d'un consensus clair avec le pouvoir militaire. Sur ce point, il apparaît clairement que la nature de classe de l'État turc n'a pas du tout changé.

    Mais analyser l'AKP comme "fasciste" puisqu'à la tête (officiellement) d'un État fasciste semble être une analyse à l'emporte-pièce. Le centre névralgique de l'État fasciste turc reste le Conseil militaire de Sécurité Nationale, et l'AKP au gouvernement semble plus une "concession" sur l'idéologie officielle (laïque et occidentaliste depuis plus de 80 ans) qu'autre chose. 

    conseil sécurité nationale turcCependant, pour la vieille élite oligarcho-militaire, c'en est déjà trop. Toute remise en cause de l'idéologie nationale "républicaine"-kémaliste, sans laquelle elle n'est rien, est inacceptable.

    C'est donc une guerre larvée qui règne depuis novembre 2002 au sommet de l'État turc, entre le pouvoir civil "démocrate-musulman" ("émergentiste" et "ottomaniste") et le pouvoir militaire républicain-kémaliste ("occidentaliste"). C'est dans ce sens, et à la lumière des contradictions inter-impérialistes qui se cachent derrière, qu'il faut comprendre l'opposition du gouvernement civil turc à l'invasion US de l'Irak depuis son territoire en 2003, ou encore les menaces de coup d'État militaire contre l'AKP en 2008 (l'armée avait déjà écarté les "islamistes" du pouvoir en 1997).

    Un exemple particulièrement paroxystique de cette contradiction a peut-être été l'affaire "Ergenekon", impliquant ce que les militants progressistes et révolutionnaires de là-bas ont coutume d'appeler "l’État profond" : un réseau clandestin (démantelé entre 2007 et 2009) de militants d'extrême-droite (aux positions, comme on l'a dit, plus "nationalistes" et moins "laquais de l'impérialisme US-OTAN" en apparence) ainsi que de la "gauche" kémaliste, d'officiers de l'armée et de la gendarmerie, de magistrats, de mafieux (généralement liés à l'extrême-droite), d'universitaires et même de journalistes, ayant pour programme des assassinats politiques (de révolutionnaires, de progressistes ou de militants kurdes) et des manœuvres de "stratégie de la tension" diverses et variées, des préparatifs de coup d’État voire carrément l'assassinat d'Erdoğan lui-même.

    Cependant, les liens de l'impérialisme européen avec l'AKP ne sont pas unanimes, loin de là, et cela rejoint une autre question : celle de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.

    La question de l'UE

    L'idée d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne débute avec l'accord d'association de 1963, la Turquie étant déjà membre quasi fondateur de l'OTAN et du Conseil de l'Europe (et déjà, le kémalisme consistait a détacher la Turquie du Proche-Orient pour la tourner vers l'Europe). La demande d'adhésion officielle a été déposée en 1987. Mais à cette époque, la "CEE" n'était encore qu'une pure union économique, et cela a son importance.

    Cette adhésion est appuyée par des secteurs impérialistes européens (français, allemands, belges etc.) qui y voient un moyen d'intégrer le pays, sa force de travail et ses richesses dans leur sphère de domination économique – comme cela s'est produit pour l'Europe de l'Est, ou la Grèce, l'Espagne et le Portugal.

    De leur côté, des secteurs de l'impérialisme US appuient également l'adhésion, mais à la manière de l'adhésion britannique en 1973 : comme "cheval de Troie", pour tenter de dynamiter de l'intérieur la construction d'un bloc impérialiste européen.

    2013-02-12T151200Z 1 APAE91B168200 RTROPTP 2 OFRTP-FRANCE-TDepuis 2002, l'AKP s'est fait le champion du "rêve européen" turc, plus encore que ses prédécesseurs du "centre-gauche" kémaliste et de la droite "kémalo-libérale", qui comptent aussi (bien sûr) leurs partisans de l'adhésion.

    Mais cela n'est pas sans poser de problèmes. Car l'Europe, plus qu'un simple espace économique, se veut également un "havre de démocratie", démocratie "libérale" bourgeoise bien sûr, reposant sur l'exploitation et l'oppression brutale de millions de néo-colonisés (situation comparable à celle d'une cité grecque, avec sa "démocratie" prospérant sur le dos de dix fois plus d'esclaves et de hilotes - comme pouvait déjà l'entrevoir Lénine dans L'Impérialisme en 1916...).

    Or les garanties démocratiques et sociales de l'Union européenne, fruits d'un siècle de rapport de force du mouvement ouvrier et des classes populaires vis-à-vis des bourgeoisies, gêneraient l'État turc dans son rôle de "cerbère" de l'Occident, pilier de la contre-révolution et rempart stratégique dans la région. Sans compter qu'elles entraveraient, bien entendu, l'exploitation "tranquille" de la force de travail turque par les monopoles européens.

    D'autre part, la Turquie compte près de 80 millions d'habitants, ce qui lui donnerait au Parlement européen la même représentation que l'Allemagne. Bien que cet organe ait peu de pouvoir, cela pourrait être un "problème", surtout si la majorité de ces élus sont des "islamistes".

    Car un gros problème est là : malgré ses proclamations comme "démocrate-musulman", l'AKP suscite toujours la méfiance, et apparaît comme peu fiable (les évènements récents, avec les déclarations en faveur du Hamas, ne devraient pas arranger les choses). Le mouvement semble toujours idéologiquement lié aux bourgeoisies nationalistes qui se dressent contre l'impérialisme sous le drapeau de l'islam.

    Et bien sûr, la stratégie du "cheval de Troie" américain éveille aussi la méfiance légitime des impérialistes européens.

    Pour toutes ces raisons, les secteurs impérialistes (majoritaires) appuyant la droite "dure" conservatrice en Europe, ainsi que les mouvements fascistes, poussent donc (depuis 2005-2006) nettement en faveur d'un refus de la Turquie dans l'UE, camouflant ces raisons sous une prétendue "identité chrétienne de l'Europe" (la seule véritable identité de l'UE est bien sûr de classe : un "cartel" de puissances impérialistes comme la France et l'Allemagne et de pays semi-dominés comme la Grèce, la Roumanie, le Portugal etc.).

    europe turquie flyLes choses n'étaient pas aussi tranchées à droite il y a une quinzaine d'années, l'adhésion de la Turquie y comptait de nombreux partisans, tandis qu'à gauche (représentante des classes moyennes "démocrates") beaucoup étaient réticents devant les atteintes turques aux libertés bourgeoises.

    Il faut tordre ici le cou à la thèse abracadabrante selon laquelle la Turquie serait en train de "changer de camp", de l'orbite US vers un fantasmagorique "bloc France-Allemagne-Russie".

    D'abord, si un tel changement a eu lieu (vers la France et surtout l'Allemagne, certainement pas vers la Russie, grande rivale dans le Caucase et les Balkans), c'était en 2002.

    Ensuite, c'est une vision monolithique d'un État turc qui l'est de moins en moins depuis 10 ans.

    Enfin, le dernier à avoir remis sur la table, récoltant une volée de bois vert de Sarkozy et Merkel, l'entrée de la Turquie dans l'UE, c'est justement... le président américain, Barack Obama ! L'impérialisme US appuierait l'AKP, parti de la France et de l'Allemagne, alors que celles-ci lui fermeraient la porte au nez ? Ou alors, les "bourgeois industriels" Sarkozy et Merkel seraient opposés à une adhésion soutenue par leur "tuteur" US tandis que les "bourgeois impérialistes" (anti-US) Chirac et Villepin y seraient favorables ??? Cette analyse est absurde.

    Difficile d'expliquer la raison de ce clash provoqué par Obama (stratégie du "cheval de Troie" ? volonté de faire rentrer la Turquie dans le rang en lui offrant une faveur ?). Mais ce qui est sûr, c'est que ce durcissement et ce claquage de porte au nez des Européens envers l'État turc expliquent en grande partie l'attitude de l'AKP depuis 2 ou 3 ans.

    C'est au fond totalement logique : le "rêve européen" des classes soutenant l'AKP étant brisé, elles se tournent alors vers l'autre orientation stratégique historique de la Turquie, jamais vraiment morte depuis 1918 : le rêve de puissance régionale, le rêve "ottomaniste". À travers les réseaux "confessionnels" réactivés de l'AKP, on peut qualifier la politique actuelle de l'État turc de "néo-ottomane" : rapprochement avec l'Iran, opposition de plus en plus forte à Israël (jusque-là proche allié régional), éloges de la résistance islamique palestinienne...

    Bien sûr, la Turquie n'est pas un pays impérialiste, c'est à dire qu'elle dépend beaucoup plus des capitaux étrangers (impérialistes) qu'elle ne peut elle-même en exporter. Mais la région est stratégique, et convoitée, en particulier par la Russie et bien sûr la Chine : s'il faut des appuis, ils sont tout trouvés. Le rapprochement avec l'Iran peut s'analyser ainsi, tout comme le rapprochement avec l'Arménie, le plus pro-russe et pro-iranien des pays du Caucase, avec lequel la Turquie était en lourd contentieux, non seulement à cause du génocide de 1915, mais aussi de l'occupation arménienne d'une partie de l'Azerbaïdjan (pays de langue turque et proche allié).

    L'extrême-droite nationaliste, supplétive traditionnelle de l'idéologie nationale mais relativement autonome, semble avoir suivi le même chemin. Depuis l'invasion de l'Irak, elle a développé une rhétorique violemment anti-américaine et anti-israélienne, pays qui tenteraient d'asservir la Turquie en appuyant le mouvement kurde depuis le Kurdistan irakien... Toute cette idéologie est condensée dans le film ultra-nationaliste La Vallée des Loups (c'est finalement - surtout - ce "cocktail" qui plaît aux "nationalistes révolutionnaires", soraloïdes et autres petits fachos européens de tout poil ; et qui peut même se "connecter" avec certains éléments kémalistes ayant le sentiment - pour leur part - que l'Occident et Israël "protègent" Erdoğan).

    Le PKK et la question kurde

    L'idéologie nationale de l'État turc, validée par le traité de Lausanne (abrogeant le traité de Sèvres, lequel démembrait complètement l'actuelle Turquie), repose sur la négation totale des minorités nationales dans l'État. Les Arméniens, victimes de déportations et de massacres de masse (1 million de morts) en 1915-16, ont pratiquement disparu de la nouvelle entité.

    Free-KurdistanMais les Kurdes, qui représentent un cinquième de la population, sont totalement nié-e-s, leur langue comme leur culture interdites, et sont qualifiés de "Turcs des montagnes" ou d'"Anatoliens du Sud-Est". Une "turquité" d'un genre particulier puisque (se soulevant dès 1924 avec Cheikh Saïd... à l'époque sur une ligne conservatrice religieuse et anti-républicaine) ils sont soumis à la loi martiale après 1932 et qu'une loi, adoptée en 1980, autorisait même la déportation des membres de la famille d'un prisonnier politique "jusqu'au quatrième degré". La condition des Kurdes en Turquie est donc la pire des 4 États où ils vivent : même la théocratie iranienne reconnaît plus leurs droits culturels et linguistiques (une province porte même le nom de "Kordestan", seul cas des 4 pays) ; en Irak, où ils se sont alliés à l'impérialisme US, ils sont pratiquement indépendants depuis 1991 ; quant à la Syrie,  ils y sont certes (comme en Irak sous Saddam Hussein, comme les Berbères au Maghreb etc.) écrasés depuis l'indépendance (1946) par l'idéologie 'arabiste' dominante (noms de famille et de villages arabisés, organisations autonomistes interdites), néanmoins, ce pays (et son 'protectorat' libanais) a accueilli jusqu'en 1998 la direction et les bases arrières du PKK, dans un contexte de 'guerre froide' avec l’État turc (alors) farouchement pro-occidental, et 'toléré' son parti 'frère' le PYD ; puis s'est rapproché de la Turquie et les a expulsés (précipitant l'arrestation d'Öcalan) : la situation s'est nettement dégradée depuis (centaines de militant-e-s arrêté-e-s, emprisonné-e-s, torturé-e-s...), mais rien, là encore, de comparable avec la situation en Turquie.

    Ils se révoltent donc à plusieurs reprises, comme dans les années 1930, puis, à partir de 1978, ils mènent une guérilla de libération nationale sous la direction du PKK (Partiya Karkerên Kurdistan, Parti des travailleurs du Kurdistan).

    Le leader Abdullah Öcalan a été arrêté en 1999 mais, après une courte trêve, la lutte a repris dès 2004.

    Sur le Web, principalement "nationaliste-révolutionnaire" type VoxNR ou Alterinfo, ou islamiste (ayant des sympathies pour l'AKP), des affirmations circulent que le PKK serait soutenu par l'impérialisme US et le sionisme depuis le Kurdistan irakien (autonome), pour "déstabiliser" l'État turc dirigé par l'AKP.

    Disons le clairement : c'est très improbable, ce n'est pas impossible, et quoi qu'il en soit ça ne change rien.

    Très improbable, car les puissances impérialistes, occidentales (Europe et Amérique du Nord) en tout cas, ont intérêt à la stabilité de l'État turc face à des "menaces stratégiques" comme la Russie, l'Iran, la Chine...

    Des organisations combattantes kurdes des 4 États, le PKK est la seule inscrite sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis, le Canada et l'Union européenne - toutes les autres sont considérées comme des "combattants de la liberté". Cette mesure ne semble pas prête de changer : l'UE l'a reconduite en 2008, en violation d'un jugement du Tribunal de Première Instance de l'Union (sorte de pré-Cour Suprême) qui considérait les motifs insuffisants. Donc, si "quelque chose" se passait, ce serait très secrètement...

    Les nationalistes bourgeois du Kurdistan irakien, qui ont bouffé à tous les rateliers (URSS, Iran du Shah voire de Khomeyni...), sont depuis la première guerre du Golfe les plus loyaux alliés de l'impérialisme US dans ce pays. Comme très souvent (en Amérique latine par exemple), des retraités et des "mis à disposition" du Mossad et de Tsahal jouent auprès d'eux le rôle de mercenaires de l'impérialisme US, pour la formation militaire, l'encadrement etc.

    2013-02-23T205004Z 1 APAE91M1LVI00 RTROPTP 3 OFRWR-TURQUIE-Le PKK a pu profiter de cette autonomie kurde d'Irak pour installer des "bases arrières" dans le Nord du pays.

    Mais les dirigeants kurdes d'Irak, encore dernièrement, ont toujours assuré l'État turc de leur collaboration contre le PKK ; et l'Irak, dont le président est l'ancien dirigeant kurde Talabani, a formé avec les USA et l'État turc un comité anti-PKK en novembre 2008.

    Cette nouvelle "théorie du complot américano-sioniste", en renfort de l'idéologie nationaliste turque, est donc très, très improbable... Elle est d'ailleurs démentie par la presse bourgeoise de la minorité turque en Europe : link

    Elle rappelle certaines thèses, notamment du POI trotskyste en France ou de l'UCE pseudo-"maoïste" en Espagne, pour qui les luttes de libération nationale ne sont que des "instruments" du "capitalisme mondial" pour "liquider les États-nations"... Ce genre de thèse n'a rien de communiste, nous y reviendrons.

    Mais ce n'est pas impossible. Dans tous les conflits, des conjonctions d'intérêts peuvent apparaître, même là où il n'y en avait pas du tout avant ! Voire, là où il y avait opposition totale...

    Après l'arrestation d'Öcalan en 1999, le PKK a annoncé (en 2001) renoncer à la lutte armée, pour se renommer Congrès Kurde pour la Démocratie et la Liberté (Kongreya Azad” zˇ Demokrasiya Kurdistan ou KADEK). Puis, en 2003, il abandonne le marxisme-léninisme et prend le nom de Congrès du Peuple du Kurdistan (Kongra-GEL ou KGK). Bien que la lutte armée ait repris à partir de 2004, elle se mène désormais sur une ligne principalement nationaliste, l'aspect national de la lutte ayant totalement pris le dessus sur le contenu démocratique, social, populaire... (et l'autodétermination n'est plus demandée, conformément aux principes léninistes, mais seulement un accord sur l'autonomie avec l'État turc).

    Donc, rien d'impossible dans l'absolu : le PKK a perdu de sa dangerosité pour l'impérialisme, se rapprochant d'un mouvement nationaliste bourgeois comme le mouvement kurde d'Irak. Il pourrait donc très bien être instrumentalisé, même de manière indirecte, pour contrer les ambitions turques de politique régionale "néo-ottomane", autonome de l'impérialisme... Rappelons que l'UCK kosovare, au milieu des années 1990, avait elle aussi abandonné le marxisme-léninisme du mouvement national kosovar des années 1980, avant de devenir l'instrument des USA et de l'UE contre la Serbie "rebelle" !

    Ils pourraient aussi s'inscrire, malgré eux, dans une stratégie de la tension, visant à discréditer les civils de l'AKP (qui ont, on l'a dit, mené quelques "ouvertures" sur la question kurde) et à favoriser un coup de force militaire, ou simplement une déroute électorale...

    191Mais ce qu'il faut dire, en l'absence d'éléments sûrs et certains, c'est que quoi qu'il en soit, cela n'enlève rien à la justesse de la revendication kurde. Comme l'expliquait Lénine, toute lutte de libération d'une nationalité opprimée est un mouvement de nature juste : le fait que les directions de ces mouvements puissent être liées à l'impérialisme, politiquement ou "stratégiquement", ou même simplement "utilisées" d'une manière ou d'une autre, est une raison de dénoncer ces directions, mais pas le mouvement en tant que tel. Pour Lénine, "le soulèvement irlandais (était) à 100% justifié. Même si l'impérialisme allemand a essayé d'en profiter, même si les chefs du mouvement national (avaient) maille à partir avec les Allemands, ceci ne change en rien la nature juste de la guerre d'indépendance irlandaise contre l'impérialisme britannique".

    Il ajoutait même que "le mouvement national tchèque (était) un mouvement juste", ce qui est fondamental, car ce mouvement était appuyé par la Russie tsariste contre l'Empire austro-hongrois... Donc, même une lutte d'une nationalité opprimée soutenue par notre propre impérialisme reste juste par nature.

    Cela s'applique à tous ceux qui rejettent, voire insultent la résistance du Peuple hondurien contre le coup d'État impérialiste US, sous prétexte que Zelaya serait "l'homme de l'Europe contre les USA"... Comme à ceux qui, sous prétexte que le mouvement kosovar était soutenu par l'UE et Washington, justifiaient le fascisme assassin grand-serbe et la répression dans cette province de l'ex-Yougoslavie.

    Cela s'applique, donc, au Peuple kurde opprimé et nié par l'État turc, que le PKK soit soutenu en sous-main par les États-Unis et Israël OU PAS.

    Comme cela s'applique, au demeurant, à la résistance du Peuple palestinien et à tou-te-s ceux et celles qui en sont solidaires, quand bien même l'AKP d'Erdoğan et les ultra-nationalistes fascistes "Loups Gris" se seraient soudain découvert un intérêt pour cette cause...

    Contre les fascistes experts en "géostratégie", LE CAMP DU PEUPLE EST NOTRE CAMP : voilà ce que nous devons encore et toujours réaffirmer !

    Quelle tournure peuvent prendre les évènements ?

    Il est clair que l'option d'une action militaire contre la Turquie est absolument impossible, en tout cas, en l'état actuel d'intensité de la "4e Guerre mondiale impérialiste". Et de plus, vu le rapport de force dont dispose l'AKP (qui ne contrôle pas l'armée), tout à fait inutile... Laissons donc les "NR" à leurs fantasmes.

    TurquieLa solution la plus brutale envisageable serait celle d'un coup d'État, d'une "reprise en main" militaire. Cela s'est déjà produit un grand nombre de fois : en 1960 contre Menderes, en 1971 (Kaypakkaya et de nombreux camarades furent assassinés sous ce régime militaire), en 1980 (la guerre de libération du Kurdistan commence à ce moment-là), et en 1997 pour écarter du pouvoir l'islamiste Erbakan du Refah (ancêtre de l'AKP), suivi d'une période d'intense répression contre les Kurdes, les minorités et les révolutionnaires, sous un gouvernement alliant "kémalistes de gauche" et fascistes... Des menaces importantes dans ce sens (notamment lors de l'élection de l'AKP Abdullah Gül à la présidence de la République) ont été proférées par l'état-major militaire (dirigé par le général Ilker Basbug) en 2007-2008 et encore en 2010 (sans oublier l'affaire du réseau "Ergenekon" dont nous avons parlé plus haut).

    Dans ce cas de figure, la première victime serait le Peuple, les militants progressistes et démocratiques, et bien sûr les camarades révolutionnaires. Cette offensive fasciste devrait être implacablement combattue, sans "trotskysteries" du type "l'AKP ne valait pas mieux"...

    La "reprise en main" pourrait aussi prendre la forme d'une déroute électorale (plus ou moins truquée) de l'AKP, et d'un retour en force des partis kémalistes, fascistes et social-fascistes liés à l'Armée.

    Dans cette perspective, l'on risque de voir apparaître l'argument selon lequel la gauche révolutionnaire turque et kurde participe d'une "stratégie de la tension" pour donner un prétexte au coup de force. C'est là une conception révisionniste et totalement anticommuniste. C'est la conception des révisionnistes des années 1970 à la Marchais, Berlinguer ou Carrillo, contre les communistes révolutionnaires d'Italie, d'Espagne, de France ou d'Allemagne.

    "On a raison de se révolter", "là où il y a oppression, il y a résistance", sont des principes communistes absolus. L'AKP représente une partie de la bourgeoisie turque, opposée à une autre, et les conflits internes à la bourgeoisie ne doivent pas déterminer l'existence ou non des luttes, ils ne doivent nous intéresser que dans le mesure où ils peuvent se répercuter sur le Peuple.

    Turquie-CharsMais l'autre solution, finalement la plus probable, est celle d'un "retour dans le rang" de l'AKP. C'est d'ores et déjà la marche naturelle de l'histoire, à mesure que la petite et moyenne bourgeoisie, qui forme sa base militante, engendre une grande bourgeoisie, qui se lie à l'ancienne oligarchie et partage ses intérêts.

    La Guerre populaire des camarades révolutionnaires, la lutte de libération kurde (qui concerne un quart du territoire), ne peuvent également qu'encourager la bourgeoisie à resserrer les rangs et à mettre ses contradictions au second plan.

    D'ores et déjà, la presse web sioniste se félicite de ce que les déclarations du Premier ministre Erdoğan, après l'attaque de la Flottille pour Gaza, soient restées paroles en l'air : la coopération militaire entre les 2 pays se poursuit, notamment avec l'achat de drones pour combattre le PKK (ce qui dément encore un peu plus les rumeurs de soutien israélien à l'organisation). De toute manière, l'influence du gouvernement civil turc sur la coopération militaire ne peut être que tout à fait limitée...

    Vu le niveau de dépendance du capitalisme turc et de l'appareil étatique-militaire vis à vis de l'impérialisme occidental (ouest-européen et nord-américain), le "virage néo-ottoman" de l'AKP risque donc de n'être qu'une pure escapade, avant un rapide retour à la raison. La position de l'AKP rappelle de toute façon beaucoup plus celle des "non-alignés" de la Guerre Froide, jouant la comédie de "l'indépendance" tout en restant fermement attachés à un camp (Est ou Ouest, comme la France de De Gaulle restait ancrée à l'Ouest, l'Inde aussi face à la Chine révolutionnaire etc.), qu'un "changement de camp" comme le Chili d'Allende - passé dans le camp soviétique et cubain...

    En dernier recours, il reste le coup d'État militaire ou la "révolution colorée" : les fascistes occidentalistes se féliciteront alors de ce que "les Turcs aient rejeté l'islamisme" tandis que les "nationalistes-révolutionnaires" à la Soral se chargeront de mobiliser les masses de culture musulmane dans un soutien stérile à l'AKP déchu, et dans la haine contre les Kurdes et les révolutionnaires "complices"...

    Notre tâche sera alors de porter bien haut l'analyse communiste de la situation.

    Contre l'État fasciste turc, contre l'occupation sioniste et l'oppression impérialiste du Proche-Orient, nous devons tenir ferme et haut le drapeau de la révolution, ne pas nous laisser abuser de manière opportuniste par tel ou tel mirage (comme celui d'une Turquie devenue "anti-impérialiste") ni verser dans le dogmatisme stérile, mais avoir une analyse matérialiste et de classe rigoureuse de la situation, en nous plaçant toujours DANS LE CAMP DU PEUPLE !

    VIVE L'INTERNATIONALISME ! VIVE LA RÉVOLUTION ANTI-IMPÉRIALISTE EN TURQUIE, AU PROCHE-ORIENT ET DANS LE MONDE ENTIER !

     


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  • Article absolument fondamental pour comprendre notre position sur la plupart des conflits du monde actuel, dépassant la position "gauchiste" classique comme quoi "c'est une guerre entre impérialistes" (genre Occident-Russie comme en Ukraine 2014) ou "c'est une guerre entre réactionnaires" (genre Israël-Hamas en Palestine) :

    Certaines personnes aimeraient que les choses soient simples, et que chaque fois que la violence engendre l'Histoire, il y ait deux camps bien définis, seuls en lice, les "bons" et les "méchants". Les choses sont en réalité, dans le vaste monde où nous vivons, beaucoup plus complexes.

    En réalité, les contradictions (les conflits) sont souvent étroitement entremêlés.

    Cette question s'est déjà posée avec acuité plusieurs fois dans l'Histoire. Notamment lors de la Première Guerre impérialiste mondiale.

    Voici ce que disait Lénine en 1916 : 

    “Il y a une guerre inter-impérialiste. Avec cette guerre nous n'avons rien à faire. Mais il y a également des guerres de libération nationale menées par des nationalités opprimées. Le soulèvement irlandais est à cent pour cent justifié. Même si l'impérialisme allemand a essayé d'en profiter, même si les chefs du mouvement national ont maille à partie avec les Allemands, ceci ne change en rien la nature juste de la guerre irlandaise d'indépendance contre l'impérialisme britannique. C'est la même chose avec la lutte de libération nationale dans les colonies et les semi-colonies, les mouvements nationaux indien, turc, persan”.

    “C'est également valable pour les nationalités opprimées en Russie et en Austro-Hongrie. Le mouvement national polonais est un mouvement juste, le mouvement national tchèque est un mouvement juste. Un mouvement de libération mené par n'importe quelle nationalité opprimée contre l'oppresseur impérialiste est un mouvement de nature juste. Et le fait que les directions de ces mouvements pourraient les trahir en les associant politiquement et administrativement à l'impérialisme peut être une raison de dénoncer leurs chefs, mais pas de condamner ces mouvements en tant que tels”. 

    Ainsi, Lénine luttait contre les sociaux-démocrates traîtres, ralliés à leur impérialisme et défendant l'intégrité de leur État (et Empire) bourgeois contre les "menées étrangères" (comme la "gauche" anglaise vis à vis des Irlandais), mais aussi contre les gauchistes, qui au nom de la lutte prioritaire contre leur propre impérialisme, rejetaient des mouvements de libération, des mouvements anti-impérialistes supposément "liés" à leur impérialisme... Ainsi Rosa Luxemburg (bien que d'origine polonaise) rejetait le mouvement national polonais dont il est question ici, car l'impérialisme allemand justifiait en partie sa guerre contre la Russie par la nécessité de "libérer la Pologne".

    De même, la logique aurait voulu que Lénine rejette le mouvement national tchèque. Car son ennemi principal, l'Empire tsariste, appuyait ce mouvement. Une "Légion tchèque" sera même constituée avec les prisonniers tchèques de l'armée austro-hongroise, et après la Révolution d'Octobre ceux-ci... combattront les bolchéviks aux côtés des Blancs !

    Mais Lénine savait distinguer les contradictions, et considérer que si l'on a pas à prendre parti dans des contradictions entre États impérialistes, on doit soutenir les peuples en lutte contre l'oppression, même si notre propre impérialisme en profite.

    Cette analyse d'il y a presque un siècle, que n'est-elle pas encore d'actualité ! 

    Au Honduras : DEUX GUERRES. L'une oppose les intérêts russo-chinois (à travers l'ALBA) et européens (à travers le Brésil et l'Argentine), soutenant le camp Zelaya, aux intérêts impérialistes US appuyant les putschistes et le nouveau président "démocratiquement élu" Pepe Lobo. Mais une autre guerre, une guerre de classe oppose les masses populaires exploitées des villes et des campagnes à l'oligarchie et à ses forces militaires et paramilitaires. 

    En Thaïlande : DEUX GUERRES. L'une entre la Chine, qui soutient le milliardaire populiste Shinawatra, et les Occidentaux qui appuient l'armée et le Palais royal. Mais l'autre entre les "rouges" des quartiers populaires et des campagnes déshéritées, et les "jaunes" représentant l'élite compradore et bureaucratique de Bangkok. 

    En Iran, DEUX GUERRES : celle qui oppose la fraction pro-occidentale à la fraction pro-russo-chinoise de la bourgeoisie, et celle qui oppose les masses populaires à la bourgeoisie et à la théocratie.

    En Palestine et au Sud-Liban aussi, il y a deux guerres : d'un côté une guerre, par Hezbollah et Hamas interposés, entre l'Iran des mollahs et Israël (et les alliés de chacun) ; mais de l'autre, la juste résistance des masses populaires palestiniennes et libanaises contre l'occupant sioniste qui terrorise la région ! 

    BIEN SÛR, les affrontements inter-impérialistes existent, ils font partie de la réalité, et les comprendre est essentiel pour comprendre le monde où nous vivons.

    Mais nous ne devons pas oublier QUI NOUS SOMMES. Nous ne sommes pas des experts en politique internationale.

    Nous sommes l'avant-garde du prolétariat mondial, lui-même avant garde des Peuples opprimés et exploités.

    En toute circonstance, LE CAMP DU PEUPLE EST NOTRE CAMP.

    Trop de "révolutionnaires" ont aujourd'hui tendance à l'oublier. Le Honduras ? "Mais enfin, Zelaya est un pur agent de l'Union Européenne !". Et alors ? Ceux et celles qui ont cru aux conquêtes démocratiques et sociales qu'il a fait entrevoir, à l'amélioration de leur existence tout simplement, méritent-ils/elles de mourir pour autant ?

    Le pire, c'est que les mêmes sont souvent très prompts à se jeter sur la contestation iranienne, dont le caractère de classe est bien moins évident (même si le régime théocratique est ignoble et doit être abattu... mais est-ce vraiment le but des "verts" ?).

    Comme, il y a quelques années, certains défendaient très justement la résistance du Peuple afghan contre une Armée qui n'avait de rouge que le nom, mais dénonçaient les "mercenaires du social-impérialisme soviétique" dans ceux qui luttaient en Amérique centrale ou en Afrique australe. Et aujourd'hui, sont d'ailleurs beaucoup plus tièdes envers la résistance afghane, contre une occupation cette fois occidentale... Étrange, étrange...

    Car Lénine ne s'est pas arrêté là. Il a ajouté : "Il y a au moins deux guerres, et nous voulons représenter une troisième". Cette troisième guerre, c'est bien sûr la guerre révolutionnaire pour le renversement des classes exploiteuses, pour le Pouvoir du Peuple et du prolétariat ! Celle qui a éclaté en Russie en 1917.

    De la misère, de l'oppression, de l'exploitation et de la guerre des exploiteurs (et de ses souffrances pour le Peuple), cette guerre jaillira inévitablement.

    À condition que les révolutionnaires jouent leur rôle. À condition, pour commencer, qu'ils sachent reconnaître leur camp.

     


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  • L'Humanité 

    689.jpgAu lendemain de la guerre d’Indochine et parallèlement à celle d’Algérie, l’État français en a mené une autre, celle qu’il faudra bien reconnaître sous le nom de guerre du Cameroun. Extrait du hors-série Afrique, le temps des indépendances édité par l’Humanité, disponible chez votre marchand de journaux.

    Douala (Cameroun), envoyé spécial.

    « On a décidé de mettre le feu à la brousse ; c’était la seule solution pour les avoir. On s’est mis dans le vent et on a balancé des grenades au phosphore dans le ci-sangho (herbe à éléphant). Le ci-sangho s’embrase comme de l’essence. Les rebelles sont partis en courant, mais ils ont vite été rattrapés (…). On a attendu que le feu meurt de lui-même et, quand ça s’est refroidi, on s’est posé pour voir le résultat. » Récit signé Max Bardet, adjudant du corps expéditionnaire au Cameroun en 1962-1964 (1). Pilote d’hélicoptère, il a pris part aux frappes visant à raser humainement et matériellement toute une partie du pays. De cette intervention militaire, note-t-il avec une certaine amertume, « la presse n’a pas parlé. Les Français aident un peu ces pays quand il y a ce genre de guerre, mais ils ne veulent pas savoir exactement ce qui se passe. On faisait plaisir au président Ahidjo parce qu’il fallait que le Cameroun garde ses liens avec la France ».

    Après l’ANC et le Parti communiste sudafricains, l’Union des populations du Cameroun (UPC) est le plus ancien parti politique du continent. Sa création fut précédée, dès 1938, par celle de la Jeucafra (Jeunesse camerounaise française). Parmi les membres fondateurs de cette dernière, Ruben Um Nyobé, commis greffier au tribunal de Yaoundé. En 1944, cette organisation pense pouvoir prendre appui sur la conférence de Brazzaville pour faire aboutir ses revendications dans le domaine de la liberté de parole et de la presse. Dans la même période émerge un fort mouvement de syndicalisation soutenu par des salariés cégétistes français expatriés (enseignement et chemins de fer), au premier rang desquels Gaston Donnat. L’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC) se constitue avec la participation active de Ruben Um Nyobé. Une grève éclate le 27 septembre 1945 ; un groupe de colons armés ouvrent le feu sur des manifestants (au moins 60 morts). Mars 1947, la Jeucafra laisse place au Racam (Rassemblement camerounais, interdit un mois plus tard), qui réclame ouvertement un État indépendant. Sur cette lancée, Um Nyobé participe, le 10 avril 1948, à la fondation de l’UPC. Il se fait très vite dénoncer comme agent du communisme international. Face au haut-commissaire André Soucadaux, Um Nyobé dénonce la discrimination raciale dont l’institutionnalisation « fait beaucoup pour renforcer notre méfiance et notre combativité » (2). L’UPC fait vite souche dans les pays bassa (dont est originaire Um Nyobé) et bamiléké (ouest du pays), ainsi que dans la ville portuaire de Douala. Soucadaux, proche de la SFIO, et Louis-Paul Aujoulat (secrétaire d’État à la France d’outre-mer), MRP, suscitent un bloc des démocrates camerounais (BDC), qui joue de l’arme favorite de l’impérialisme français, la division ethnique, agitant l’épouvantail bamiléké à destination notamment des Doualas. Élections de 1951 et de 1952, la restriction du corps électoral et la fraude permettent au Bloc de devancer l’UPC. Um Nyobé dénonçant les bourrages d’urnes massifs se voit qualifier d’adversaire de la démocratie !

    gal_3155.jpgMai 1955, la répression d’un rassemblement UPC dans le quartier New Bell, à Douala, ensanglante toute la région ; plusieurs centaines de morts, certains Camerounais parlant même en milliers. Le 13 juillet suivant, Roland Pré, successeur de Soucadaux, lance un mandat d’arrêt contre Um Nyobé et interdit l’UPC, contraignant celle-ci à la clandestinité et au passage « sous maquis ».

    À son tour haut-commissaire, Pierre Messmer réaffirme « le maintien de la tutelle confiée à la France », mais esquisse une médiation via un prélat camerounais. La négociation tourne court, l’UPC confirmant sa double volonté de réunification du Cameroun (ancienne colonie allemande divisée après 1918 en deux tutelles, française et britannique) et de souveraineté nationale. L’Église missionnaire dénonce Um Nyobé, de confession protestante, pour ses liens avec le « communisme athée condamné par le souverain pontife ». Ancien séminariste et leader du Bloc, André-Marie Mbida s’en prend à la « clique de menteurs » qu’incarnerait l’UPC. Sous la direction de Maurice Delauney – un proche de Jacques Foccart, lequel sera plus tard préposé aux affaires africaines par de Gaulle –, les troupes françaises organisent la « pacification ». Le 13 septembre 1958, Um Nyobé est exécuté au terme d’une opération menée par une troupe coloniale franco-tchadocamerounaise. Le docteur Félix Moumié lui succède à la tête de l’UPC. Implanté jusque-là en pays bassa, le maquis s’étend aux montagnes du pays bamiléké et forme l’ALNK (armée de libération nationale kamerunaise, orthographe héritée de la colonisation allemande). À l’ONU, l’UPC est soutenue par une majorité d’États africains et asiatiques.

    Début 1958, empêtré en Algérie, Paris entend bien empêcher l’ouverture d’un second front. L’indépendance est annoncée pour le 1er janvier 1960, mais Mbida, trop ostensiblement pion des Français, est remplacé par Ahmadou Ahidjo. Un homme en faveur duquel le pouvoir colonial mettait « des paquets de bulletins dans l’urne », selon une formule de l’ambassadeur Guy Georgy (3). Dans son étude, le Mouvement nationaliste au Cameroun (Karthala, 1986), Richard Joseph souligne qu’il s’agit là d’une première : un pays où ceux qui se sont battus pour l’indépendance sont écartés du pouvoir lorsqu’elle est officiellement prononcée au profit de ceux qui s’en déclaraient auparavant les adversaires…

    Contre les « bandes rebelles », Foccart suit la situation en permanence, se faisant remettre un rapport quotidien par le Sdece (services français de renseignements extérieurs, ancêtre de la DGSE). En 1960, son premier couteau, le colonel Maurice Robert, crée le service Afrique de cette officine barbouzarde. Le Sdece Afrique se forge aussitôt une filiale camerounaise, le Sedoc (service de documentation et d’études de la sécurité camerounaise). Dirigé par Jean Fochivé, commissaire formé par la France, le Sedoc s’illustre par sa pratique de la torture et des exécutions sommaires. Côté police, un Français, Georges Conan. Sur le plan militaire, deux conseillers encadrent Ahidjo, le colonel Noiret et le capitaine Leroy. Foccart expédie une véritable armée avec blindés, hélicoptères de combat et chasseurs bombardiers T 26. À sa tête, le général Max Briand, ancien d’Indo et d’Algérie. La « guerre révolutionnaire » théorisée par Trinquier et les officiers vaincus d’Indochine puis d’Algérie fait preuve de son atroce efficacité au Cameroun. Avec une stratégie en deux volets : les déplacements de population et la concentration de cette dernière dans des camps de regroupement ; la politique de la terre brûlée dans les régions ainsi censées avoir été évacuées. Napalm, puis opérations de nettoyage au sol.

    Dans un ouvrage aussitôt interdit sur intervention de Foccart (4), Mongo Beti cite Charles Van de Lanoitte, alors correspondant de Reuters à Douala, parlant de 40 000 morts pour le pays bassa et les seules années 1960-1961. Le même dénonçait « le régime effroyable des camps de torture et d’extermination » dont il avait été « le témoin horrifié ». Ahidjo demande à Michel Debré, alors chef du gouvernement, de maintenir des administrateurs français après l’indépendance. « Je décide, écrit l’hôte de Matignon, d’entreprendre une véritable reconquête. » Dans ses Mémoires, le même révèle une certaine frustration face au secret dont il avait dû entourer son action : « L’intervention militaire de la France au Cameroun est peu connue. L’attention des journalistes n’a pas été attirée par la décision que j’ai prise et son exécution. Jusqu’à présent, les historiens ont fait preuve de la même discrétion. Cet oubli est sans doute dû au fait que cette intervention s’est terminée par un succès. » Bref, l’ex-premier ministre regrette de ne pouvoir se tresser publiquement la couronne du vainqueur. Pour la première fois, les troupes françaises intervenaient dans une ancienne colonie pour sauver un régime serve en difficulté.

    Partage des rôles. Le Sedoc camerounais se charge du militant de base (arrestations par milliers), le Sdece français des têtes pensantes. Le 15 octobre 1960, Félix Moumié est empoisonné à Genève par un agent des services français, William Bechtel. L’assassinat aurait été commandité par Ahidjo à la Main rouge, organisation passerelle entre les services français et l’extrême droite liée aux milieux colonialistes d’Afrique du Nord, en fait le service action du Sdece.

    Une direction bicéphale de l’UPC se met en place : Abel Kingue en exil au Ghana, Ernest Ouandié dans le maquis. L’armée franco-camerounaise multiplie les massacres de villageois jusqu’en 1963. Deux noyaux de guérilla se maintiennent néanmoins et se manifestent sporadiquement. Installé dans les forêts proches de la frontière congolaise, le premier est décimé en 1966, son chef Afana Osendé décapité et sa tête ramenée à Yaoundé. Ernest Ouandié dirigera en pays bamiléké un petit groupe de maquisards jusqu’à son arrestation (août 1970). Il sera fusillé sur une place de Bafoussam en janvier 1971. La « reconquête » peut être considérée comme achevée, à la grande satisfaction d’Ahidjo.

    Encore une fois le bilan humain de ces quinze années d’atrocités demeure ponctuel. Max Bardet, le pilote cité en début de cet article, estime que sur les seules années 1962-1964 et dans le seul pays bamiléké, l’armée francocamerounaise a fait trois ou quatre cent mille morts. « Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race », constate-t-il froidement. Max Bardet ayant fait ses premières armes en Algérie et achevé sa carrière militaire au Tchad en 1969-1973, nul ne saurait lui contester le titre d’expert en ce domaine.

    JEAN CHATAIN

    (1) OK Cargo, de Max Bardet et Nina Thellier, (Grasset, 1988). (2) Le Problème national camerounais, recueil de discours de Ruben Um Nyobé, publié par Achille Mbembé chez l’Harmattan (1984). (3) Propos cités par François-Xavier Verschave : La Françafrique. Le plus long scandale de la République (Stock, 1998). (4) Main basse sur le Cameroun, de Mongo Beti, (Maspero, 1972)

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    Après 1960, le temps des déportations…

    Jeune instituteur en 1958, Iloga Thomas Mbee se souvient des affrontements qui ont éclaté au lendemain de l’indépendance d’un pays coupé en deux. Il raconte la répression féroce.

    Instituteur débutant en 1958 à Ngambe, un arrondissement du département d’Edea (ville située à une soixantaine de kilomètres de Douala), Iloga Thomas Mbee, garde un souvenir cruel du 1er janvier 1960, date qui pour lui, comme pour des dizaines de milliers de ses concitoyens, évoque moins l’idée d’indépendance que celle de déportation.

    « En 1958, à Ngambe, il n’y avait pas véritablement de troubles, mais une pression de tous les instants. Ici, tout le monde ou presque était nationaliste. Et lorsque l’indépendance a été proclamée, cela a éclaté chez nous. Le jour même. »

    Des maquisards sortent de la forêt pour rencontrer ceux qui s’apprêtaient à fêter l’événement. Ils font référence à la charte des Nations unies ainsi qu’à l’exigence de réunification du pays (le Cameroun était toujours divisé en deux parties : francophone et anglophone) pour dire que « l’indépendance est suspendue car elle n’est ni totale ni inconditionnelle  ». Vers quinze heures, les militaires arrivent avec véhicules blindés et mortiers. «  La bataille a éclaté avec des morts des deux côtés. » Les maquisards se retirent, mais, dès les jours suivants, vont de village en village délivrer leur message.

    « À partir de 1961, le gouvernement fait évacuer les villages lointains. Parfois dans un rayon d’une centaine de kilomètres. Les populations sont regroupées soit au bord d’une route, soit à proximité de l’arrondissement. Le villageois qui refusait était pourchassé ; s’il n’était pas tué, il lui fallait gagner le maquis. Les villages abandonnés étaient fichus après une saison des pluies. » Outre ceux qui étaient originaires du Cameroun, les soldats étaient tchadiens, centrafricains, sénégalais, l’encadrement français, « même si sa présence est devenue moins ostensible après 1962 ». Dans les villages dits regroupés, « un jour vous était fixé pour aller chercher de la nourriture dans vos plantations, sinon interdit de gagner la brousse ». Racket et pillage étaient de règle : « Des militaires s’improvisaient commerçants. Pétrole, savon, riz… Chaque foyer devait entretenir une lampe tempête, de jour comme de nuit, avec interdiction de la laisser s’éteindre sous peine de sanction. Vous étiez bien obligé d’être client chez le militaire ! »

    « La base s’installait là où il y avait l’église et l’école. J’étais une fois dans une petite école où, les militaires étant temporairement absents, les maquisards sont venus. Vers 1962 ou 63. L’un d’eux me prend à parti : “ On a dit que l’indépendance était suspendue, pourquoi continuez-vous à enseigner ? ” Je lui fais remarquer qu’il m’a parlé en français, donc que lui-même a reçu une éducation. Les maquisards repartent en emmenant une dizaine d’élèves et moi-même. Colère de leur chef : “ Qui vous a dit d’amener le directeur ici ? Ramenez-le ! ” Ils nous ont reconduits au camp, mais là tous les autres s’étaient enfuis, redoutant le retour prévisible des militaires. Lesquels reviennent effectivement vers 6 heures du matin. Ils me contrôlent puis lancent des appels à travers la brousse. Les villageois réapparaissent un à un, à pas lents. »

    Pour être moins visible, la présence des Français imprégnait l’atmosphère du camp. « Ce sont eux qui, éventuellement, vous interpellent pour une enquête » sur la foi des « renseignements colons » (les informations fournies par les indicateurs). Un exemple des méthodes d’interrogatoire : « On met un fût ; on met du charbon ; on met ce qu’on appelle le piment ; on allume… Vous, vous êtes suspendu la tête en bas, juste au-dessus. Coupable, pas coupable, au courant, pas au courant, vous parlez. »

    Cette vie, Iloga Thomas Mbee l’a subie jusqu’en 1972, date où les villages regroupés furent fermés. « La période a été très difficile, très menaçante et il y a eu beaucoup d’exilés. Durant tout ce temps, il n’y a eu qu’un vent qui est venu et ce vent s’appelait l’UPC. »

    J. C.


    AfricaFistZm.jpg image by nyandad


    Lire aussi :  https://visionscarto.net/la-guerre-du-cameroun

    Ici un excellent documentaire :


     


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  • La Révolution des Œillets (Revolução dos Cravos) éclate au matin du 25 avril 1974, de manière assez inattendue. 

    La radio commence par diffuser une chanson jusque là interdite, Grândola Vila Morena de Zeca Afonso. Puis, au petit jour, les militaires se déploient dans les rues. Un coup d'État ? 

    Oui, mais d'un genre inédit : les militaires sont membres du MFA (Mouvement des Forces Armées), un mouvement clandestin de militaires marxistes, progressistes ou démocratiques, radicalisés par l'enlisement des guerres coloniales en Afrique. Depuis le début des années 1960 en effet, le Portugal, qui est le dernier pays d'Europe à administrer des colonies directement, fait face à la guerre de libération de celles-ci au Mozambique, en Angola, en Guinée-Bissau comme au Cap-Vert. Le service militaire étant obligatoire, toute jeunesse portugaise commence par 4 années dans les colonies contre la guerre de libération des Peuples africains... Le caractère populaire de l'Armée, une armée d'appelés, sera décisif pour le succès de l'opération : la révolte du Peuple, en particulier de la jeunesse, se retrouvait tout simplement dans les casernes ! [Cela a peut-être fait réfléchir, par la suite, de nombreux pays à la professionnalisation des armées et à l'abolition du service militaire obligatoire...]

    Profondément lié aux économies impérialistes occidentales, le Portugal commençait également à cette époque à subir les effets de la crise naissante, avec notamment un tarissement de la filière d'émigration (très importante) qui irriguait considérablement le pays par ses envois de devises. 

    Au début de l'année 1974, donc, apparaissent des fractures dans la classe dirigeante : en février, malgré des états de service "irréprochables" dans la répression meurtrière des peuples colonisés, le général Spinola (chef d'état-major pour les opérations outre-mer) émet des réserves sur des guerres de plus en plus coûteuses (en hommes comme financièrement)... Il est limogé. Cet évènement encouragera sans doute les dirigeants du MFA à passer à l'action. 

    Mais le 25 Avril ne se limite pas, loin de là, à un coup de force militaire ! Malgré les appels du MFA à ne pas descendre dans la rue (craignant des victimes par des éléments jusqu'au-boutistes du régime, mais aussi de perdre le contrôle), la population passe outre et bientôt une marée humaine envahit les rues de Lisbonne et des principales villes.

    C'est alors jour de marché, et la saison des œillets ; bientôt les fleurs rouges ornent les fusils des militaires. Elles donneront leur nom à la révolution. 

    L'heure a sonné pour un régime vieux de presque un demi-siècle. Successeur d'António de Oliveira Salazar, mort en 1970, le Premier ministre Caetano, assiégé par le MFA au siège de la gendarmerie, cède et démissionne avant de s'enfuir au Brésil (tenu par une dictature militaire du même tonneau idéologique). Il transmet le pouvoir au général Spinola, le limogé d'hier, "pour éviter qu'il ne tombe dans la rue". 

    Depuis 1926, date d'un coup d'État militaire d'idéologie primoderiveriste et "régénérationniste" contre la jeune (datant de 1910) et instable République bourgeoise, dans un contexte d'agitation sociale et politique extrême ; et surtout depuis 1932, date de l'accession d'António de Oliveira Salazar (ministre des Finances) au poste de Premier ministre suivie rapidement de la proclamation de l'"État nouveau" (Estado Novo) ; le pays vivait sous un régime conservateur ultra-autoritaire, national-catholique, traditionaliste et corporatiste appuyé sur l'Armée (de laquelle viendra finalement sa chute...), la grande bourgeoisie de la banque et du commerce ainsi que les grands propriétaires terriens. 

    Le caractère fasciste du régime salazariste est souvent discuté : pour beaucoup, il était beaucoup trop conservateur pour être fasciste. 

    Il est en effet difficile de classer le salazarisme dans une catégorie de fascisme. Appuyé sur la grande propriété foncière, l'élite militaire (qui en est souvent issue), l'Église et une oligarchie de grands banquiers, commerçants et industriels, il possède surtout les caractères d'une dictature réactionnaire classique. Il présente relativement peu les caractères de mobilisation réactionnaire de masse du fascisme...

    Néanmoins il s'en inspire, en particulier du fascisme italien ou encore de l'austrofascisme, pour le corporatisme, la négation de la lutte des classes dans une confusion des intérêts patron-travailleur ainsi que pour l'idée de nation prolétaire.

    Il présente enfin des caractères de fascisme régénérateur : il se pose au fond dans la continuité de la Regeneração, mouvement de "révolution conservatrice" glorifiant le passé mythique des Grandes Découvertes et de la puissance mondiale portugaise du 16e siècle (considérée comme en "dégénérescence" depuis le 18e) et revendiquant un retour aux "valeurs nationales". 

    Mais en tout cas, le salazarisme ne se rattache pas du tout à un caractère impérialiste ni même à un projet impérialiste. Le Portugal a un très grand empire colonial, en Afrique ainsi qu'en Inde (Goa), en Indonésie (Timor) et en Chine (Macao). Mais ce n'est pas un pays impérialiste. En réalité, le pays a un caractère semi-féodal et capitaliste arriéré. Surtout, depuis le 18e siècle, comme l'explique bien Lénine dans L'impérialisme, il est sous la "tutelle" de la Grande-Bretagne (comme l'on peut considérer que l'Espagne est sous celle de la France) qui utilise son empire comme "relais" du sien. Les colonies portugaise d'Afrique sont de fait intégrées économiquement dans l'Afrique britannique ; tandis que le Brésil, indépendant depuis 1820 mais resté longtemps lié par la même famille régnante, est lui aussi très dépendant de la Grande-Bretagne. 

    Ceci explique que le Portugal salazariste, proche idéologiquement des régimes fascistes italien et allemand, ne le sera jamais vraiment diplomatiquement. Son aide aux forces franquistes pendant la guerre civile d'Espagne sera parfois décisive (comme pour la prise de Badajoz), mais restera somme toute limitée. De même, s'il autorise   pendant la 2de Guerre Mondiale quelques centaines de militaires (dont Spinola !) à rejoindre la División Azul espagnole pour aller combattre l'URSS, il offre dès 1943 les Açores comme base aéronavale aux Alliés.

    Après-guerre, il s'insère étroitement dans le dispositif atlantique de la Guerre froide, et rejoint l'OTAN dès sa création en 1949. L'on peut donc parler de fascisme compradore : un régime populiste, agrarien et corporatiste, autoritaire et contre-révolutionnaire, au service de l'impérialisme (principalement anglo-saxon) en Europe du Sud et en Afrique. 

    Cependant, dans les années 1960, le Portugal se brouille avec l'Angleterre qui s'oppose à sa politique coloniale en Afrique. Une opposition qui n'a certes pas pour motivations un quelconque "humanisme" ou "anticolonialisme" de Londres, mais n'a qu'un seul but : récupérer (sous forme de néocolonies pseudo-indépendantes) les colonies portugaises, le Portugal n'ayant pas les moyens d'une "domination indirecte" néocoloniale... 

    Le régime de Salazar se tourne alors vers... la France de De Gaulle, elle-même en froid avec les Anglo-Saxons. C'est l'époque de l'exportation massive de main d'œuvre vers la France (ainsi que vers la Suisse romande et la Wallonie) en échange d'investissements massifs dans les secteurs de l'industrie et (surtout) du tourisme. La France bloque les résolutions de l'ONU en faveur de la décolonisation des "provinces d'outre-mer" portugaises tandis que le Portugal (avec l'Afrique du Sud, elle aussi en rupture de ban, et des pays de la Françafrique) aide la France à soutenir la république sécessionniste du Biafra, manœuvre françafricaine pour s'emparer des réserves pétrolières du Nigéria. Dans ses mémoires, le gaulliste "historique" (et ultra-réactionnaire) Pierre Clostermann aura des mots très durs pour la Révolution des Œillets et fera l'éloge du régime de Salazar et Caetano.  

    Mais arrivé au début des années 1970 le modèle politique et économique n'était plus tenable, entravant les forces productives par ses caractéristiques féodales et oligarchiques, alors que la crise capitaliste mondiale se profilait. Une certaine construction européenne en développement, de plus en plus autonome de la politique impérialiste US-OTAN, n'est peut-être pas non plus à exclure comme cause des contradictions qui ont soudainement secoué la classe dominante. 

    Car la soudaineté de la révolution au Portugal ne doit pas donner d'illusions sur le caractère "magique" d'un "Grand Soir". Non seulement les luttes contre le régime n'avaient jamais cessé durant ces plus de 40 ans, d'abord sous la direction du PCP puis de divers mouvements comme les maoïstes du MRPP, les "trotsko-guévaristes" sur le modèle de la LCR et bien sûr les "marxistes militaires" du MFA, mais ce genre d'effondrement brutal d'un régime usé et dépassé historiquement est extrêmement rare. 

    La force symbolique de la Révolution des Œillets est très forte (encore aujourd'hui) pour le Peuple portugais. Elle a permis la victoire des mouvements de libération nationale en Afrique, et galvanisé les forces en lutte contre la dictature militaire au Brésil. 

    Mais, objectivement, elle n'a pas été une victoire finale mais bien le commencement d'une guerre révolutionnaire que le Peuple portugais perdra. 

    Rapidement (28 septembre 1974), Spinola, chargé par l'oligarchie de conserver ce qui pouvait l'être de l'ordre ancien, tente un putsch avec les nostalgiques de la dictature (appelant à la "majorité silencieuse" contre la "radicalisation politique en cours", rien que de bien classique...). La tentative se brise sur la mobilisation du Peuple et des forces progressistes et révolutionnaires : barricades, manifestations de masse... Spinola démissionne [après une nouvelle tentative putschiste en avril 1975, il se réfugiera en Espagne franquiste voisine puis au Brésil fasciste d'où il dirigera le Mouvement "démocratique de libération" et l'"Armée de Libération" du Portugal, organisations d'extrême-droite attaquant le PC, le MFA et autres forces révolutionnaires et progressistes (comme le "prêtre rouge" Padre Max assassiné en avril 1976, qui sera néanmoins réhabilité dans les années 1980 par le social-traître Soares)].

    Les occupations d'usines par les ouvriers et de terres par les paysans pauvres (souvent non-propriétaires) se multiplient, les travailleurs exploités prennent en main la production, les loyers sont gelés, des campagnes d'alphabétisation sont lancées (il y a 40% d'illettrés),  des noyaux de Pouvoir populaire se mettent en place dans les villes comme dans les campagnes. De leur côté, les anciennes colonies accèdent à l'indépendance (et passent dans la sphère soviétique).

    Le Mouvement des Forces Armées et surtout le COPCON (Commandement Opérationnel du Continent), dirigé par le charismatique Otelo de Carvalho, sont à la pointe de cette "radicalisation". 

    Mais cela ne durera pas. La division des forces révolutionnaires et le reflux général de la révolution mondiale qui commence alors (malgré la victoire du Peuple vietnamien et des mouvements de libération en Afrique portugaise) amèneront à la défaite. 

    Peut-être sous l'influence britannique, le Portugal a historiquement un important mouvement trotskyste. Mais même les plus "corrects" d'entre eux (la LCI et le PRT, qui fusionneront en 1978 dans le Parti socialiste révolutionnaire - PSR), les plus "mandéliens" et "guévaristes" sur la ligne de la LCR française et du Secrétariat Unifié, ne sauront pas jouer un rôle significatif d'avant garde des masses populaires qui puisse permettre de surmonter les limites imposées par l'hégémonie révisionniste à la tête du processus.

    Car le PCP, lui, tient de fait les rênes du pouvoir avec le Premier ministre ("sympathisant" de longue date) installé en juillet 1974, le général Vasco Gonçalves. Mais, inféodé à l'URSS de Brejnev, il mène une politique incohérente ; d'autant plus que l'URSS a fait savoir qu'elle ne compte pas "récupérer" le Portugal dans sa zone d'influence : ce ne serait qu'un nouveau Cuba, dont Mikoyan a dit dès 1965 qu'il serait "insupportable pour l'économie soviétique". Il mène donc une politique "eurocommuniste" (bien qu'officiellement hostile à cette doctrine), une politique réformiste détachée des intérêts soviétiques. Sa réforme agraire lui donne une grande popularité dans les campagnes, notamment dans le Sud resté profondément féodal, mais rapidement son influence recule devant les déceptions. 

    Le MFA, qui a mené l'opération du 25 Avril, éclate entre "radicaux" (Carvalho et son COPCON) qui soutiennent le gouvernement Gonçalves et "modérés" (comme le général Eanes) qui soutiennent les forces démocratiques bourgeoises (Parti socialiste de Soares, Parti social-démocrate, CDS de centre-droit etc.).

    Quand aux maoïstes du MRPP-PCTP, qui ont mené une lutte héroïque contre la dictature au début des années 1970 (un militant, Ribeiro Santos, fut tué par la police politique en 1971), ils sont alors prisonniers de la théorie des trois mondes, théorie ultra-révisionniste impulsée par la ligne contre-révolutionnaire du PC chinois (Deng Xiaoping est aux affaires étrangères de 1973 à 1976) qui fait de l'URSS et des PC pro-soviétiques l'ennemi principal. Il est même infiltré par des éléments ouvertement anti-communistes et pro-US, dont l'un deviendra célèbre : il s'agit d'un certain... José Manuel Durrao Barroso !

    Ils font donc du PCP et de Vasco Gonçalves la cible principale de leurs attaques. Bien qu'ayant marqué l'époque par ses impressionantes peintures murales (toujours visibles) et la mise en place de comités populaires d'usine et de quartiers, le MRPP jouera finalement un rôle "gauchiste réactionnaire" assez proche de celui des trotskystes dans d'autres situations (ou du groupuscule hoxhiste "Bandera Roja" au Venezuela dans les années 2000). Plutôt que de déborder sur sa gauche un PCP englué dans le révisionnisme et de construire au rythme des déceptions et des incohérences une mobilisation révolutionnaire de masse sur le socle de la mobilisation progressiste et démocratique du 25 Avril, il combat le PCP en renforçant sa droite : il soutiendra le PS de Mario Soares et la candidature "populaire" ("O Povo vota Eanes", "le Peuple vote Eanes" !!) du général social-libéral Eanes aux élections de 1976. 

    D'autres organisations marxistes-léninistes comme le PCP-ML (qui se ralliera à Deng Xiaoping), les "reconstructeurs" regroupés en décembre 1974 dans l'Union Démocratique Populaire (UDP - qui deviendra pro-albanaise) ou le Mouvement de la Gauche socialiste (MES, 'socialiste révolutionnaire' et 'léniniste') joueront un rôle mineur. 

    Après une tentative ratée de coup de force par les éléments radicaux du MFA (25 novembre 1975), au printemps 1976, avec les premières élections "démocratiques" de l'histoire du pays, tout est fini : le général Eanes est élu Président (jusqu'en 1986) et le socialiste Soares devient Premier ministre (le PS ayant gagné les élections parlementaires). La droite reviendra au pouvoir de 1978 à 1983, puis Soares de 1983 à 1985, puis de nouveau le centre-droit jusqu'en 1995 ; Soares restant, comme Président de la République (de 1986 à 1996), une figure politique tutélaire du pays. L'alternance bourgeoise... 

    Hier dictature réactionnaire fascisante, relais de l'impérialisme anglais puis rouage (important) du dispositif US de l'OTAN, le Portugal est aujourd'hui un pays capitaliste "artificiel" et dépendant reposant sur le tourisme, l'immobilier, l'agro-alimentaire et la sous-traitance industrielle à bon rapport qualité/coût, soumis à la "Banane Bleue" des grands pays impérialistes européens (France, Italie, Angleterre, Allemagne, Belgique, Pays-Bas etc.). 

    L'histoire de la Révolution portugaise d'avril 1974, ne l'oublions pas, est l'histoire d'une révolution "trahie" ou plutôt d'une révolution perdue (car les révolutions, qui sont des guerres, peuvent comme les guerres être perdues !). Un échec dont il faut tirer les leçons, d'autant plus qu'aujourd'hui la croissance artificielle (largement spéculative) du Portugal s'effondre comme celle de la Grèce, de l'Irlande, de l'État espagnol ou des pays de l'Est. La 'gauche radicale' pousse (aux élections de 2009 le Bloc des Gauches - regroupant le PSR trotskyste type LCR, l'UDP ex-ML etc - frôle les 10%, la coalition PCP-Verts les 8% et le PCTP-MRPP les 1% - et 1,5% aux européennes, ce qui est du niveau de Lutte Ouvrière ici) ; l'extrême-droite (Parti Populaire) commence à mobiliser des forces ; et de grandes luttes s'annoncent. 

    Mais la flamme du 25 Avril brûle et brûlera encore dans le cœur de millions de Portugais-es, une flamme qui éclaire l'avenir à travers les heures sombres du présent !

    La mémoire du 25 Avril est éternelle car elle montre que le Peuple et les enfants du Peuple, hier sous l'uniforme d'une guerre coloniale réactionnaire et aujourd'hui sous le bleu de travail de la sous-traitance franco-allemande ou dans les files d'attente du chômage et de l'aide sociale, FONT ET PEUVENT TOUT !    


    800px-Coruche mural 25 Abril

    maia


    Le chant signal de la révolution : Grândola Vila Morena

    Grândola, vila morena
    Terra da fraternidade
    O povo é quem mais ordena
    Dentro de ti, ó cidade
    Dentro de ti, ó cidade
    O povo é quem mais ordena
    Terra da fraternidade
    Grândola, vila morena
    Em cada esquina um amigo
    Em cada rosto igualdade
    Grândola, vila morena
    Terra da fraternidade
    Terra da fraternidade
    Grândola, vila morena
    Em cada rosto igualdade
    O povo é quem mais ordena
    À sombra duma azinheira
    Que já não sabia a idade
    Jurei ter por companheira
    Grândola a tua vontade
    Grândola a tua vontade
    Jurei ter por companheira
    À sombra duma azinheira
    Que já não sabia a idade
     
    (traduction)
    Grândola, ville brune
    Terre de fraternité
    Seul le peuple est souverain
    En ton sein, ô cité
    En ton sein, ô cité
    Seul le peuple est souverain
    Terre de fraternité
    Grândola, ville brune
    À chaque coin un ami
    Sur chaque visage, l’égalité
    Grândola, ville brune
    Terre de fraternité
    Terre de fraternité
    Grândola, ville brune
    Sur chaque visage, l’égalité
    Seul le peuple est souverain
    A l’ombre d’un chêne vert
    Dont je ne connaissais plus l'âge
    J’ai juré d’avoir pour compagne
    Grândola, ta volonté
    Grândola, ta volonté
    J’ai juré d’avoir pour compagne
    A l’ombre d’un chêne vert
    Dont je ne connaissais plus l'âge



                mes mural Mural4

                mes12xiMurais do MRPP(6)

    zita 391


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  • Le 25 avril 1945 prenaient fin plus de 22 ans de régime fasciste, né le 22 octobre 1922 dans la terreur des squadre en chemises noires et le sang du mouvement ouvrier et paysan. 

    Une marée de drapeaux rouges et de drapeaux tricolores des révolutionnaires du 19e siècle (sans l'écusson de la Maison de Savoie, mais bien souvent avec une étoile rouge à la place) déferlait sur le Nord du pays (le Sud étant conquis par les Alliés depuis plus d'un an). 

    En juillet 1943, Mussolini avait été destitué et arrêté sur ordre du roi et du Grand Conseil fasciste, suite au débarquement allié dans le Sud du pays. La monarchie négocie la paix avec les forces américano-britanniques.

    Mais le "Duce" est rapidement libéré (en septembre) par un commando allemand et ramené dans le Nord aux mains du Reich, à Salo près du lac de Garde, où il installe une "République sociale" fantoche d'Hitler. 

    Après la prise de Rome en juin 1944, les Alliés s'arrêteront sur la "Ligne Gothique", entre Pise sur la Méditerranée et Pesaro sur l'Adriatique. Ils ne la franchiront qu'en avril 1945, dans l'effondrement final du Reich nazi. 

    Ce qui se déroule au Nord de cette ligne est alors exclusivement une guerre du Peuple italien contre les forces fascistes et nazies

    En réalité, la lutte n'a jamais cessé depuis plus de 25 ans. Ancien agitateur socialiste, Mussolini quitte le parti par nationalisme et fait campagne dès 1914 pour l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés du bloc impérialiste franco-anglais.

    Il apparaît aujourd'hui qu'il a été financé par les services secrets de Londres (MI5) ainsi que par des fonds spéciaux du gouvernement français, mais il l'a aussi été, très certainement, par la Grande Industrie du pays (principalement du Nord), en quête de débouchés commerciaux et de "champs d'investissement", contre des forces conservatrices et libérales semi-féodales et majoritairement pacifistes. 

    Après la guerre, estimant le pays "mal gouverné" et lésé par les Alliés dans les traités de paix contre l'Allemagne et l'Autriche, il fonde son "mouvement" des "Faisceaux italiens de combat", sur un programme nationaliste et "révolutionnaire", un programme républicain petit-bourgeois. 

    Mais la Révolution d'Octobre 1917 en Russie a fait souffler un vent de terreur sur la bourgeoisie mondiale, et partout les Peuples, la masse des travailleurs opprimés et exploités se lève sous la direction du prolétariat pour instaurer le socialisme. 

    En Italie le Parti communiste ne naît qu'en 1921, il est faible et, sous la férule de Bordiga, il a une ligne gauchiste erronée. Mais le Parti socialiste est puissant et possède un courant pro-bolchévik très fort. On compte également un fort mouvement anarcho-syndicaliste et syndicaliste révolutionnaire. De même, des éléments populaires qui avaient suivi Mussolini au début, comme les Arditi, commencent à déborder le programme petit-bourgeois du "mouvement".

    Durant le Biennio rosso (les "deux années rouges" 1919-1921), l'Italie est secouée par des mobilisations paysannes, des grèves et des manifestations ouvrières, des occupations de terres et d'usines avec parfois des tentatives d'autogestion. La bourgeoisie préfère prendre les devants, "prévenir que guérir"... 

    Mussolini vend alors le mouvement fasciste aux barons de l'industrie et aux grands propriétaires terriens, contre les masses ouvrières et paysannes qui s'organisent sous le soleil rouge de la révolution qui brille depuis la lointaine Russie.

    Le mouvement des masses populaires est écrasé dans le sang de milliers de mort, malgré la résistance héroïque des formations de défense prolétarienne comme les Arditi del Popolo (voir le lien plus haut), qui ont démasqué et se sont dressées contre la mascarade "révolutionnaire" du fascisme, pour une véritable révolution démocratique et populaire. 

    Mais face à la vague de la révolution mondiale, le vieux régime parlementaire bourgeois est historiquement dépassé, et le pays est ingouvernable. Seuls les fascistes défendent efficacement le pouvoir du Capital. La monarchie confie alors le gouvernement à Mussolini, en octobre 1922. En quelques années, toute opposition non seulement communiste, bien sûr (Gramsci), mais également socialiste (Matteoti) et démocratique (les frères Rosselli) est liquidée. 

    Pendant les 20 années qui suivent, le fascisme poursuivra le projet du Grand Capital italien de faire de l'Italie une puissance mondiale. Il achève la "pacification" de la Libye (jusqu'en 1932, 100.000 morts), se lance à la conquête de l'Éthiopie (1935-36, 275.000 morts) puis, allié à Hitler, participe à la guerre civile d'Espagne (1936-39) non seulement contre la "menace" révolutionnaire rouge mais aussi pour asseoir son influence sur ce pays (sous tutelle traditionnelle de la France et de l'Angleterre), envahit l'Albanie (1939) puis la Grèce (1940) et obtient une zone d'influence dans le Sud de l'Hexagone (Alpes et Côte d'Azur) et en Corse après la défaite de juin 1940, ainsi que des parties de la Yougoslavie (1941). Il drape cette politique expansionniste dans la revendication fastueuse d'un imperium méditerranéo-africain "néo-romain"...

    Mais après le tournant de la guerre en 1942-43, l'Italie est envahie par les Alliés (juillet 1943) et la monarchie, les dignitaires fascistes (Badoglio, Ciano...), le Vatican et l'aristocratie du Sud se rallient aux probables futurs vainqueurs (Mussolini est arrêté le 25 juillet, l'armistice est signé le 3 septembre). 

    Tandis que les Allemands récupèrent les zones d'occupation italiennes en Europe et occupent l'Italie jusqu'à la hauteur de Naples, le fascisme avec Mussolini (libéré par un commando allemand le 12 septembre) se replie au Nord sous la protection de la Wehrmacht et de la Waffen SS. Il installe alors un véritable régime de terreur et de génocide, qu'affronte une guerre populaire sans équivalent dans toute l'Europe de l'Ouest. 

    Sous la direction principale du Parti communiste, les forces populaires, démocratiques, progressistes, socialistes ou libertaires (dans la région de Carrare) affrontent la Wehrmacht, les SS et les Chemises noires de la "République sociale". 

    Cette guerre à mort pour la libération du Peuple fera 75.000 martyrs, dont la mémoire guide toujours le Peuple italien plus de 65 ans après.

    Elle sera une gigantesque mobilisation révolutionnaire de masse (malgré l'existence - aussi - d'une Résistance monarchiste, conservatrice, catholique ou républicaine libérale), qui reste une référence pour toute l'Europe et le monde entier. Des villages, des vallées entières ont parfois été des zones libérées, où se mettait en place le Pouvoir du Peuple. 

    Au printemps 1945, c'est l'effondrement : alors que l'Allemagne est totalement conquise par les Alliés et la glorieuse Armée Rouge, les forces anglo-américaines franchissent la "Ligne Gothique" et atteignent le Pô. Mais avant même leur arrivée, comme ce sera le cas dans de nombreuses régions de l’État français, la plupart des villes auront été libérées par les Partisans, et un début de Pouvoir populaire se sera mis en place. 

    Le 25 avril 1945, Mussolini quitte l’archevêché de Milan, où il a tenté de négocier une paix "honorable" avec les Alliés par l'intermédiaire de l’Église. Tentative inutile : alors que Hitler est terré dans son bunker à Berlin, les forces allemandes du pays ont déjà négocié leur retraite avec les vainqueurs.

    Il tente alors de gagner la Suisse ou l'Autriche. Sur le chemin, il rencontre une colonne allemande en retraite (sans doute vers l'Autriche) qui l'emmène avec elle. Mais la colonne est arrêtée à Dongo, près du lac de Côme, par une brigade de Partisans. En échange du droit de poursuivre leur route, les Allemands livrent Mussolini. 

    Le 28 avril, l'ordre du Conseil de Libération Nationale arrive de Rome. Mussolini est exécuté. Son corps est ramené à Milan. La foule essaie de s'en emparer pour le démembrer, les Partisans le suspendent alors par les pieds à une station-essence. 

    C'est la fin lamentable du chien de guerre sanglant de la bourgeoisie monopoliste et de l'oligarchie terrienne. Deux jours plus tard, son comparse Hitler se suicidera dans son bunker de Berlin. 

    Malheureusement, le victoire contre le fascisme ne se poursuivra pas en Révolution. Intégré dans le Conseil de Libération, le Parti communiste fera désarmer les Partisans et se ralliera à la reconstruction du capitalisme italien sous la tutelle alliée. Son rôle de démobilisation des masses terminé, comme son homologue français, il sera éjecté du gouvernement en 1947, et deviendra une "opposition loyale" et un instrument d'accompagnement "social" de la renaissance économique. Le PCI sera même le champion du révisionnisme et de la liquidation idéologique du marxisme-léninisme en Europe. 

    Mais la flamme des Partisans continuera à brûler, éclairant notamment la lutte révolutionnaire des années 1970, ou les combats de Gênes (ville médaille d'or de la Résistance) lors du contre-G8 en juillet 2001.

    Et elle continue à brûler aujourd'hui, tandis que la bande Berlusconi s'enfonce dans une décadence digne des Borgia, et que le fascisme se remet en ordre de marche, annonçant dans la crise terminale du capitalisme le choc final : Socialisme ou Barbarie ! 


    Il Popolo è forte, e vincerà !


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    La fin pitoyable des ennemis du Peuple !

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    Le front levé vers l'avenir !

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    L'Armée du Peuple !

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    LE COMBAT CONTINUE....


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  • Nous vous traduisons ici un document du (nouveau) Parti Communiste Italien de mars 2004.

    Nous avons largement abordé ici la question de l'islamophobie, comme mobilisation réactionnaire de masse de notre époque.

    Nous en avons donné l'explication. La "division des masses populaires" par le Grand Capital (explication classique du racisme sous le capitalisme) n'en est qu'une partie, qu'une demi-explication.

    En réalité, l'islamophobie est le discours réactionnaire le plus dangereux de notre époque, parce qu'elle est directement reliée à la politique impérialiste de nos pouvoirs bourgeois européens.

    D'une part, le "monde musulman" (que l'on peut faire courir de l'Afrique de l'Ouest jusqu'à l'Indonésie et au sud des Philippines), concentrant une grande partie des richesses naturelles de la planète (c'est la fameuse "Région intermédiaire"), est au cœur des affrontements entre impérialistes : la question de l'axe Iran-Syrie-Hezbollah-Hamas (qui va jusqu'aux rebelles chiites du Yémen), ou encore du "fascislamisme" au Soudan, n'est en réalité que le reflet de l'affrontement entre les vieux impérialismes déclinants (européens, nord-américains, japonais) et les jeunes impérialismes montants (Russie, Chine). Les forces "jihadistes" sunnites, elles, sont le reflet de la contradiction entre les impérialistes occidentaux (ou même russes et chinois...) et les monarchies productrices de pétrole de la péninsule arabique, assises sur une manne financière considérable et qui, tout en étant en apparence les "alliées" des Occidentaux (dont elles dépendent pour écouler leur pétrole, base de leurs revenus), cherchent des terrains d'investissement pour ces pétro-milliards suraccumulés, et ont ainsi leur propre agenda. Mais se joue également, dans cette partie du monde, une rivalité entre anglo-saxons et franco-allemands que la fin de la guerre froide ("union sacrée" contre l'ennemi soviétique) a réactivée...

    D'autre part, ces régions et leurs richesses sont une très importante zone des tempêtes, un très important - voire le principal - foyer de lutte de libération contre l'impérialisme (tous les impérialismes) et leurs gendarmes régionaux (Israël, Turquie, Maroc, Inde, Pakistan, Philippines, Indonésie...).

    Dans certains cas (Palestine, Afghanistan, Cachemire ou encore Indonésie et sud des Philippines), les forces "islamistes" (nationalistes à composante religieuse) sont effectivement importantes, voire dirigeantes dans ces luttes. Dans d'autres, pas du tout (Turquie, Maroc, ou le reste des Philippines). Mais peu importe : la notion de "terrorisme", forcément associée dans les esprits à "islamiste", permet de regrouper dans un seul et même panier toutes les résistances à l'impérialisme, quelle que soit leur idéologie...

    L'important étant de mobiliser le plus largement, non seulement les forces militaires pouvant être envoyées sur le terrain, mais - surtout - les "opinions publiques", en appui à la guerre impérialiste !

    Le fait de dénoncer "l'islam" a le double avantage de mettre dans un même sac des peuples très différents pour mobiliser "en bloc" contre eux ; et de donner à la mobilisation réactionnaire une teinte "progressiste" (l'islam étant "obscurantiste"...). D'ailleurs, le terme d'islamophobie est repris, pour la dénoncer, par des gens pas franchement progressistes (comme les bourgeois réactionnaires de l'UOIF), qui tentent de l'amener, eux aussi, comme ceux qu'ils prétendent dénoncer, sur le terrain religieux, le terrain du "choc des civilisations".

    Nous devons également dénoncer cela, et démasquer l'islamophobie pour ce qu'elle est : une MOBILISATION RÉACTIONNAIRE DE MASSE au service de l'impérialisme !


    Tiré de La Voce n°16, mars 2004 - traduction Servir le Peuple


    LA RÉVOLUTION DÉMOCRATIQUE ANTI-IMPÉRIALISTE DANS LES PAYS ARABES ET MUSULMANS


    Dans tous les pays impérialistes européens, la bourgeoisie mène aujourd'hui une persécution à grande échelle contre les immigrés et la population d'origine arabe ou de religion musulmane.

    Pisanu [Ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Berlusconi en 2004, ndr] marche déjà sur les traces de Sarkozy, le Ministre de l'Intérieur français : persécuter et chasser d'Italie les prêtres musulmans révolutionnaires et chercher à imposer dans toutes les mosquées, aux fidèles, des prêtres collaborateurs qu'ils soutiennent grâce à des subventions et à la police.

    La collaboration entre les gouvernements européens se renforce véritablement sur le terrain de la persécution des immigrés et de la chasse aux révolutionnaires arabes et musulmans : mandat d'arrêt européen, police fédérale européenne, garde des frontières européennes, fichier européen, listes de proscription européennes, uniformisation des règles.

    La cible de cette persécution est une partie importante des travailleurs. Dans certains pays européens, l'islam est déjà aujourd'hui la religion de la partie la plus pauvre et opprimée de la population. La chasse aux révolutionnaires arabes et musulmans dans les pays impérialistes alimente et cache la persécution des communistes et des autres révolutionnaires locaux.

    D'une part, celle-ci conflue dans la restriction générale des libertés politiques et civiles qui frappe toutes les masses populaires, et qui se concrétise dans une pratique vexatoire allant au-delà des lois sécuritaires proposées et approuvées dans chaque pays.

    D'autre part, si les communistes suivent une ligne juste, cette persécution devient réellement un facteur de développement du mouvement communiste. [Donc la persécution contre les immigrés et la population d'origine arabe ou de religion musulmane dans nos pays impérialistes, au-delà d'être liée à l'oppression à laquelle sont subordonnés tous les travailleurs immigrés, est également liée à la répression du mouvement révolutionnaire dans nos pays et en particulier à la répression des communistes, ndr.]

    Dans beaucoup de pays européens, la bourgeoisie s'appuie déjà sur la chasse aux révolutionnaires arabes et musulmans pour promouvoir la mobilisation réactionnaire des masses populaires. Il est donc évident que nous sommes face à un processus qui, dans le bien ou dans mal, a et aura encore de plus fortes répercussions sur notre lutte pour faire de l'Italie un nouveau pays socialiste.

    De quoi est-il question ? D'où vient la persécution contre les immigrés et la population d'origine arabe ou de religion musulmane ? Que ligne devons-nous suivre ?

    Tout marxiste doit se poser clairement ces questions, et doit répondre à chacune d'elles sur la base de l'analyse de l'histoire et des relations entre les "faits", qui sera vérifiée sur la base de l'expérience.

    Telle est l'unique méthode digne d'un marxiste d'affronter les questions que la réalité nous pose. Comprendre la réelle nature du bouleversement social en cours dans les pays arabes et musulmans, se régler d'abord sur la base de celle-ci et ne donner aux idées avec lesquelles les protagonistes combattent, et aux idées qu'ils ont d'eux-mêmes, que seulement l'importance (transitoire) qu'elles ont. Ce n'est qu'en comprenant la réelle nature du bouleversement en cours, que nous pourrons au contraire comprendre les contradictions des idées de ses protagonistes, et entre celles-ci et la pratique révolutionnaire. Nous ne pouvons mener avec efficacité la lutte dans le domaine des idées que si nous savons clairement ce qu'elles veulent effectivement dire, d'où elles viennent.

    [La persécution lancée par la bourgeoisie impérialiste contre les Arabes et les musulmans dans les pays européens n'est pas la même chose que l'oppression et l'exploitation que la bourgeoisie impérialiste exerce sur les immigrés, même si elle a beaucoup de points de contact avec elle : une partie des Arabes et des musulmans habitent depuis des générations dans certains pays, comme par exemple la France et l'Angleterre, ils ne sont donc pas la cible de la bourgeoisie en tant qu'immigrés, mais réellement en tant qu'Arabes et musulmans, comme les Japonais ou les Allemands qui habitaient aux USA furent la cible des Autorités US pendant les guerres mondiales, note de La Voce].

    La persécution lancée par la bourgeoisie impérialiste contre les Arabes et les musulmans dans les pays européens dérive de l'affrontement entre la révolution démocratique anti-impérialiste en cours dans les pays arabes et musulmans, et la contre-révolution promue et dirigée par les groupes impérialistes US et européens. Il s'agit de l'affrontement le plus chaud parmi ceux actuellement en cours. Palestine, Iraq, Afghanistan sont les points les plus chauds. D'où vient cet affrontement ?

    Les pays arabes et musulmans couvrent une bande qui va du Maroc à l'Indonésie. Ils comprennent l'Afrique du nord, le Moyen Orient et l'Asie méridionale. Il s'agit de plus d'un milliard d'hommes et de femmes qui habitent ces régions avec de fortes diasporas dans d'autres parties du monde, y compris dans les pays impérialistes. En France environ 10% de la population provient de ces régions. Il s'agit d'une fraction de la population qui appartient pour la plus grande partie aux classes les plus opprimées et exploitées.

    Sa formation est liée à la vieille domination coloniale (main d'œuvre et soldats engagés par la bourgeoisie et transportés dans la métropole) et à la récente recolonisation (néo-colonialisme NDLR) qui a détruit et détruit encore les bases économiques de l’ancien mode de vie et force les populations locales à migrer. Cette partie de la population des pays impérialistes subit une triple oppression : de classe, nationale et raciale. Elle est donc une pépinière de rébellion.

    Tant que le mouvement communiste dans les pays impérialistes sera faible, cette rébellion s'identifie et s'identifiera à la révolution démocratique anti-impérialiste en cours dans les pays d'origine plus ou moins récente, plutôt que de porter en elle l'influence de la classe ouvrière urbaine, comme cela se produisit pendant la première vague de la révolution prolétarienne, lorsque le mouvement communiste était fort. La persécution contre les révolutionnaires arabes et musulmans crée donc aussi un lien direct, que nous ne pouvons pas éluder, entre l'accumulation des forces révolutionnaires dans les pays impérialistes et la révolution démocratique anti-impérialiste dans les pays arabes et musulmans.

    Les pays arabes et musulmans sont pour la plupart des pays de vieille civilisation. La plupart a eu un passé glorieux. Dans le cadre du système esclavagiste et féodal, ils ont été pendant un temps la partie la plus avancée de toute l'humanité et ont connu un long développement économique et culturel qui est arrivé jusqu'à produire une vaste économie mercantile.

    Aucun de ces pays n'a cependant jamais effectué le passage au capitalisme, faute des conditions politiques nécessaires pour une accumulation primitive qui enracine définitivement le mode de production capitaliste (quelque chose comme il s'est produit dans l'histoire de l'Italie). Ils ont donc subi le développement du capitalisme en Europe et sont devenus, pour la plupart depuis 200 ans, des colonies ou des semi-colonies de la bourgeoisie européenne et américaine. La Première Guerre mondiale a vu la désagrégation de l'Empire Ottoman, qui était depuis des décennies le "grand malade de l'Europe", et les bourgeoisies française et anglaise s'en sont partagé les dépouilles au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La colonisation sioniste de la Palestine a été la dernière des entreprises coloniales par lesquelles les bourgeoisies US et européennes ont assujetti les pays arabes et musulmans.

    Dans tous ces pays, à la colonisation a répondu un développement des mouvements de résistance.

    Tant qu'ils furent dirigés par les anciennes classes dominantes locales, ils visèrent à la restauration du passé et ne rencontrèrent pas de succès. La Révolution d'Octobre (1917) et la première vague de la révolution prolétarienne déterminèrent un saut qualitatif,  y compris dans la résistance de ces pays à la domination impérialiste, comme ce qui se produisit en Chine et en Inde. Dans tous les pays se formèrent de forts Partis communistes, dans le cadre de la Première Internationale communiste. La résistance à l'oppression et à l'exploitation coloniale changea alors de nature. Elle devint une lutte des masses populaires contre les rapports sociaux esclavagistes et féodaux, tous deux basés sur des rapports de dépendance personnelle [ceci fait en sorte qu'aujourd'hui encore, la révolution dans les pays opprimés, dans les pays néocoloniaux, est principalement une révolution démocratique-bourgeoise par son contenu, bien que le fort développement du capitalisme, de la production mercantile, du prolétariat change au fur et à mesure la situation, ndr], et contre l'impérialisme sur lequel s'appuyaient les vieilles classes dominantes : en un mot, la révolution démocratique anti-impérialiste.

    La révolution avait sa base de masse parmi les paysans pauvres, moyens et riches, parmi la masse des travailleurs déclassés résultant de la désagrégation des anciennes structures sociales et de l'impact du colonialisme, chez les artisans, chez les salariés de l'économie mercantile, parmi les marchands et la bourgeoisie nationale.

    Les Partis communistes locaux réunissaient les éléments avancés de ces classes, qui étaient décidés à s'unir à la classe ouvrière révolutionnaire des pays impérialistes, parce que conscients qu’ils ne pourraient faire sortir leurs pays de la condition coloniale que dans le cadre de la révolution prolétarienne mondiale. Les travailleurs et les soldats émigrés apportaient dans leurs pays d'origine l'influence de la classe ouvrière révolutionnaire. [De là le caractère qui distingue la révolution démocratique-bourgeoise des pays coloniaux et semi-coloniaux autrefois et néocoloniaux aujourd'hui, de la révolution démocratique-bourgeoise des pays européens, et qui en fait une "révolution de nouvelle démocratie" : la théorie de la révolution de nouvelle démocratie est l’un des 5 principaux apports du maoïsme à la pensée communiste, ndr]

    Le développement de la révolution démocratique anti-impérialiste dans les pays opprimés posa aux communistes le problème de quelle classe devait diriger la révolution. Dans le mouvement communiste se forma là aussi, sur ce nouveau terrain, une gauche, une droite et un centre. Les divergences sur ce terrain se combinèrent dans une certaine mesure avec les divergences sur d'autres terrains dans la lutte entre deux lignes qui se poursuivit tout au long de la vie de la Première Internationale communiste. [La théorie de la lutte entre deux lignes dans le Parti communiste est un autre des 5 principaux apports du maoïsme à la pensée communiste, ndr].

    La gauche soutenait que la direction de la révolution devait être celle de la classe ouvrière, avec son Parti communiste, étroitement alliée aux paysans pauvres et moyens qui constituaient la masse de la population. La bourgeoisie nationale était désormais incapable de se mettre à la tête d'une révolution populaire. La classe ouvrière devait mobiliser et unir toutes les classes ayant intérêt à la révolution démocratique anti-impérialiste dans un front révolutionnaire sous sa direction, pour mener une révolution de "nouvelle démocratie" : une révolution démocratique bourgeoise dirigée par la classe ouvrière.

    La droite soutenait que la révolution devait être dirigée par la bourgeoisie nationale parce que les objectifs immédiats de la révolution étaient démocratiques bourgeois : les communistes devaient participer à la révolution sous sa direction, recruter les ouvriers et faire valoir dans la révolution les intérêts particuliers des salariés (d'amélioration des conditions de vie et de travail).

    Le centre hésitait et oscillait entre les deux lignes.

    De même que les Partis de la 1ère Internationale communiste dans les pays impérialistes oscillèrent entre des interprétations opposées de la politique de front (comme illustré par Umberto C. dans son article L'activité de la Première Internationale Communiste en Europe et le maoïsme dans la Voce n° 10), dans les pays opprimés ils oscillèrent précisément entre les deux lignes exposées ci-dessus.

    Les deux lignes, les implications de chacune d'entre elles, l'affrontement entre les deux sont devenus au fur et à mesure plus clairs dans le cours de la première vague de la révolution prolétarienne.

    L'avènement, dans les années 1950, des révisionnistes à la direction de la partie la plus avancée du mouvement communiste, l'Union soviétique, marqua d'une manière générale le triomphe de la droite dans les Partis des pays opprimés également, malgré la lutte lancée par le Parti communiste chinois dirigé par Mao Zedong. Le triomphe de la droite dans le mouvement communiste soumit, dans divers pays arabes et musulmans, à l'épreuve des faits la capacité révolutionnaire de la bourgeoisie nationale (qui eut ses dirigeants politiques en Mossadegh, Sukarno, Nehru, Nasser, Bourguiba, etc). Le résultat vérifié par celle-ci fut la faillite de la bourgeoisie nationale et le déclin du mouvement communiste. Dans tous les pays arabes et musulmans, les Partis communistes furent soit détruits, soit se réduisirent à peu à de chose ou même se divisèrent. Presque partout, le clergé musulman et les autres notables locaux de vieil esprit, que les impérialistes avaient mobilisé contre les communistes et la bourgeoisie nationale, réussirent à prendre la direction.

    Certains camarades sont tellement indignés des méfaits commis par le clergé réactionnaire musulman, qu'ils se limitent à le dénoncer. En effet, la direction du clergé a conduit la révolution démocratique anti-impérialiste à de sanguinaires pratiques sectaires. Mais nous, communistes, pour prendre la tête de la situation, devons d'abord trouver des réponses à la question : "Pourquoi nous, communistes, avons-nous perdu la direction de la révolution", ou bien "Pourquoi nous, communistes, n'avons-nous pas réussi à prendre la direction de la révolution ?".

    Quant au clergé réactionnaire, pour prendre et conserver la direction des masses populaires, il a bien été obligé de chevaucher la révolution démocratique anti-impérialiste. Évidemment il l'a fait à sa manière, en servant de médiateur entre son vieux rôle social réactionnaire et la révolution démocratique. Celle-ci se poursuit avec force, d'autant plus que les impérialistes ont accru toujours plus leurs prétentions et leurs exactions, l'oppression et l'exploitation, poussés par la nouvelle crise générale commencée dans les années 1970 et libérés de la pression du mouvement communiste.

    Le Hamas en Palestine est la manifestation la plus claire d'un clergé réactionnaire qui se met à la tête d'une révolution démocratique anti-impérialiste. Une organisation lancée dans un but anticommuniste par les sionistes d'Israël et la monarchie wahhabite d'Arabie saoudite (sorte de Vatican musulman), deux bras armés des groupes impérialistes US, est devenue l'organisatrice la plus radicale de la guerre contre l'occupation sioniste de la Palestine, avant-poste de l'impérialisme US dans le monde arabe et musulman.

    De la nature des mouvements en cours et des forces en jeu, dérive la ligne que nous, communistes, devons suivre aussi bien dans nos pays qu’au niveau international.

    La direction du clergé réactionnaire est un effet de la décadence du mouvement communiste et disparaîtra avec sa renaissance. En effet, le clergé réactionnaire est, par sa nature même, incapable de mener la révolution jusqu'à la victoire, principalement pour les quatre raisons suivantes :

    1. Il maintient des liens forts, de diverse nature, avec l'impérialisme et dépend de lui dans une mesure déterminante : il est donc récupérable [voir par ex. la collaboration de la République islamique iranienne avec l'impérialisme US contre les sandinistes du Nicaragua dans les années 1980 et plus tard en Afghanistan, ndr].

    2. Par la force de choses, dans tous les pays, il est porteur de relations sociales réactionnaires et doit intimider les masses populaires musulmanes pour les pousser à abandonner leurs maîtres actuels (les impérialistes) et à se soumettre aux nouveaux (le clergé).

    3. Au plan international, il est incapable de s’appuyer sur la contradiction entre les masses populaires des pays impérialistes et les groupes impérialistes qui les oppriment : il attaque les deux comme s'ils étaient un unique bloc.

    4. Il n'est pas porteur d'une solution anti-impérialiste qui puisse impliquer le reste du monde : il crée donc des conditions favorables à la mobilisation réactionnaire dans les pays impérialistes.

    Ce sont quatre facteurs objectifs, qui marquent les limites de la direction du clergé musulman dans la révolution démocratique anti-impérialiste des pays arabes et musulmans.

    En revanche, les communistes des pays arabes et musulmans sont aujourd'hui en mesure de mobiliser les masses populaires dans la guerre populaire révolutionnaire. Des communistes soviétiques, chinois et vietnamiens, ils héritent l'art de s'appuyer sur les contradictions entre les pays impérialistes et sur la contradiction qui, dans chaque pays impérialiste, oppose les masses populaires aux groupes impérialistes. Donc, tôt ou tard, dans le cadre de la renaissance du mouvement communiste international, dans tous les pays les communistes prendront à nouveau la direction de la révolution démocratique anti-impérialiste.

    Quant à nous, communistes des pays impérialistes, nos tâches principales face à la persécution que la bourgeoisie impérialiste mène contre les immigrés et la population d'origine arabe et musulmane, sont les cinq suivantes :

    1. Nous devons appuyer la révolution démocratique anti-impérialiste des pays arabes et musulmans et conduire les masses populaires de notre pays à l'appuyer.

    2. Nous devons nous opposer à l'agression impérialiste, quelle que soit le prétexte et la forme sous laquelle elle se masque. Celui qui prend prétexte des erreurs des dirigeants de la révolution démocratique anti-impérialiste et s'allie avec les autorités impérialistes contre elle, se met hors du camp de la révolution et devient un initiateur de la mobilisation réactionnaire des masses. (surligné par nous NDLR)

    3. Nous devons appuyer les communistes qui, dans chaque pays arabe et musulman, luttent pour se mettre à nouveau à la tête de la révolution. Ils sont en mesure de parler à leurs camarades dans le « langage » de leur expérience de colonisés et d'exploités par les impérialistes et les classes réactionnaires locales.

    4. Dans notre pays nous devons soutenir les mouvements révolutionnaires des immigrés contre les autorités impérialistes : c'est un aspect de notre lutte pour accumuler des forces révolutionnaires et développer la lutte des ouvriers et des masses populaires, pour faire de notre pays un nouveau pays socialiste.

    5. Mais surtout, nous devons travailler à la renaissance du mouvement communiste dans les pays impérialistes, en exploitant les conditions objectives favorables existantes (en d'autres mots, nous devons développer la mobilisation révolutionnaire des masses populaires dans notre pays). Donc, nous devons d'abord reconstruire ou renforcer de vrais Partis communistes, basés sur le marxisme-léninisme-maoïsme. Ceci est la clé de la solution de tous les problèmes de la révolution prolétarienne.

    Ernesto V.

    Sur le thème traité dans cet article nous conseillons à nos lecteurs les suivants articles :

    - Le bouleversement en cours de Umberto Campi dans Rapporti Sociali n° 34.

    - La lutte pour l'autodétermination nationale dans les pays impérialistes de Giuseppe Maj en Supplément à Rapporti Sociali n. 34 [également en français sur notre site Internet, dans la section française d'EiLE, - Éditions en Langues Etrangères - en 2004 il fut publié sur Emgann, la revue des indépendantistes bretons].

    Les articles peuvent être demandés à la rédaction de Rapporti Sociali, Tanaro 7 - 20128 Milan tel et fax 02 26 30 64 54 e.mail < resistenza@carc.it >.


    Les camarades du (n)PCI font parfaitement le lien entre la "stigmatisation" des minorités arabes et musulmanes ici et la révolution démocratique anti-impérialiste dans les pays de culture musulmane.

    Cet aspect s'ajoute à la "classique" division ethnique des masses populaires par les dominants (sous tous les modes de production) et à la culture dominante de suprématie ("raciale" ou "civilisationnelle") que 500 ans de colonialisme puis d'impérialisme ont imposé à nos sociétés.

    Mais c'est ce lien (comme hier, le lien entre Juifs et bolchévisme) qui lui donne sa dimension persécutrice institutionnelle de masse - et peut-être exterminatrice, ou pogromiste de masse en cas de guerre civile et ou de guerre mondiale totale : l'exemple de la Yougoslavie ou de la Tchétchénie montre qu'il n'y a pas de "nations civilisées" qui seraient "au-dessus" du crime contre l'humanité.

    À noter que l'Italie a une immigration récente, souvent individuelle (peu familiale) et peu "installée" : en résumé, elle n'a pas de colonies intérieures issues des anciennes (ou actuelles ! comme les DOM-TOM...) colonies d'outre-mer (l'Italie en avait peu : Libye, Érythrée...). Cet aspect n'est donc pas abordé par les camarades.

    Ces colonies intérieures ne sont pas simplement  "considérées" comme une 5e colonne de la lutte anti-impérialiste mondiale... Elles le sont, objectivement, en raison de leurs liens culturels, et souvent familiaux forts avec les pays d'origine.

    Elles sont les ambassadrices, en métropole impérialiste, des masses mondiales opprimées. C'est la raison de leur traitement discriminatoire et colonial.

    Les communistes ne doivent pas seulement "les soutenir", mais fondamentalement s'appuyer sur elles.

    Il faut cependant, apprenant de l'expérience, être vigilants et lucides envers certains "représentants communautaires" bourgeois qui, pour être en contradiction avec la grande bourgeoisie monopoliste-impérialiste (dont ils sont exclus), n'ont pour but que d'être les sous-traitants de l'exploitation des minorités, comme tant de bourgeois nationaux anti-colonialistes, outre-mer, sont devenus les nouveaux gardes-chiourme du néo-colonialisme.

    Un bon exemple de la méfiance à avoir, en Europe, envers les directions bourgeoises, est donné par les luttes des minorités nationales européennes. En Catalogne, en Euskal Herria, en Irlande du Nord, partout les directions bourgeoises qui ont abandonné la lutte sont devenues les nouveaux "gérants" locaux du Capital impérialiste européen.



    resist iraq


    Sur le sujet, lire aussi ce très intéressant texte du site Arab Maoists (juillet 2012) qui apporte de riches réflexions sur cette très vaste question, toujours non-résolue (malgré les prétentions des uns et des autres) par le mouvement communiste international.

     

     


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  • Dictadura-Militar-Argentina.jpgIl y a 34 ans, le 24 mars 1976, les militaires argentins dirigés par le général Jorge Rafael Videla prenaient le pouvoir en renversant le gouvernement incompétent d'Isabel Perón. L'Argentine plongeait alors pour 7 ans dans la nuit du pire fascisme. 

    Les militaires lancèrent une véritable guerre d'extermination contre les militants révolutionnaires et progressistes : arrêtés, enfermés dans des casernes militaires, torturés puis souvent exécutés extra-judiciairement - parfois jetés à la mer par hélicoptère : au total, 30.000 "disparus" (desaparecidos), 15.000 fusillés, 9.000 prisonniers politiques et 1,5 million d'exilés pour 30 millions d'habitants. Les tortures et les assassinats se déroulaient parfois à deux pas du stade où se tenait la Coupe du Monde de football en 1978... 

    Une opération directement inspirée de la bataille d'Alger, dont les méthodes furent enseignées par des spécialistes français à l'École militaire des Amériques à Panama - école où étaient formés la plupart des officiers du continent.

    Elle fut coordonnée avec les autres dictatures militaires fascistes du continent, dans le sinistre Plan Condor. L'Argentine avait été en effet, de 1973 à 1976, le seul pays de la région à ne pas connaître réellement de dictature militaire, et des militants de tous les pays voisins y avaient trouvé refuge... 

    Il est important, non seulement de rappeler ces faits relativement connus, mais de regarder également la période qui a précédé - et littéralement conduit - au coup d'État.

    dictadura_militar_argentina.jpgLe Parti communiste révolutionnaire (PCR) d'Argentine a abordé le souvenir de ce coup d’État et de la période qui a précédé dans son hebdomadaire en ligne Hoy. Nous en ferons le résumé aux lecteurs qui le souhaitent. Nous ne l'avons pas traduit, car nous sommes en partie en désaccord avec la position qui y est développée.

    Pour les camarades du PCR, qui s'accrochent à ce qui fut leur ligne à l'époque, le péronisme était un régime "bourgeois national" et "tiers-mondiste", un "rempart" contre le coup d'État. 

    SLP considère, au contraire, qu'il n'a fait qu'y conduire inexorablement, comme une locomotive fonçant droit contre un mur.

    Autant l'Unité Populaire d'Allende au Chili a péri par les tares de tout réformisme bourgeois, c'est à dire le refus de la mobilisation révolutionnaire de masse, le refus d'armer politiquement et militairement le Peuple et les illusions, la naïveté envers les institutions de l'État oligarchique, en particulier l'Armée (on pourrait faire le parallèle avec ce qu'il s'est passé dernièrement au Honduras) ; autant les forces fascistes du golpe étaient à l’œuvre directement dans le régime "Perón II".

    Car l'analyse marxiste-léniniste-maoïste du péronisme, qui n'a pas été menée en Argentine mais qui peut s'appuyer sur les travaux de Gonzalo sur l'APRA (au Pérou) ou sur ceux de Kaypakkaya sur le kémalisme en Turquie, est que le péronisme s'analyse comme un fascisme de projet capitaliste national. Comme le kémalisme, mais aussi comme l'APRA, le MNR en Bolivie ou le gétulisme au Brésil.

    peron12Il ne s'agit pas du tout d'une révolution démocratique anti-impérialiste, même dirigée par une bourgeoisie nationale appuyée sur les masses populaires.

    Mais bien, en réalité, d'une frange moderniste de la grande bourgeoisie urbaine et de la propriété foncière des campagnes, appuyée sur la bourgeoisie nationale, la petite-bourgeoisie et notamment les fonctionnaires, l'aristocratie ouvrière lorsqu'elle est présente (elle était très importante en Argentine : la fameuse bureaucratie syndicale), la paysannerie moyenne... Dans le projet de réaliser un capitalisme national indépendant des puissances impérialistes. Une des caractéristiques de ces régimes, qui permet de les démasquer, c'est qu'ils ne s'attaquent pas du tout à la semi-féodalité des campagnes, qui est une caractéristique de ces pays, sinon par des "réformes agraires" purement cosmétiques (distribution des terres en friche aux paysans pauvres, etc.).

    Et non seulement ce projet n'est pas celui des masses populaires, qui veulent la libération nationale et la révolution démocratique, mais il est irréalisable dans les conditions de l'impérialisme. En général, ces "populismes nationalistes" reviennent bien vite à la raison, et deviennent de nouvelles bourgeoisies bureaucratiques-compradores, dans un système de domination impérialiste modernisé. Ou bien, ils se tournent vers un impérialisme "rival" : dans les années 1930-40, ces expériences avaient de la sympathie pour l'Allemagne nazie ; à partir des années 1960 certaines se tournèrent vers l'URSS révisionniste... Ou, enfin, ils sont renversés. 

    C'est ce qui s'est produit avec "Perón I", le régime de Juan Domingo Perón entre 1946 et 1955. Épargnée par les guerres mondiales impérialistes, fournissant des matières premières et alimentaires au monde entier, l'Argentine s'était colossalement enrichie. Perón tenta donc, avec des éléments de la bourgeoisie et de l'agriculture extensive, de mettre en place ce capitalisme "indépendant", en s'appuyant sur les "descamisados", les masses populaires (par des mesures redistributives) mais, surtout, sur la bureaucratie syndicale, l'aristocratie ouvrière.

    cordobazo1Finalement, il se heurta à l'hostilité des États-Unis qui, appuyés sur l'oligarchie et les propriétaires terriens les plus réactionnaires, le renversèrent par un coup d'État en 1955. Il partit en exil... en Espagne franquiste.

    Pour Perón II, c'est autre chose. En réalité, la dictature militaire de 1976-1983 n'a été que la réédition, en 10 fois plus terroriste, de la dictature pile poil 10 ans avant : 1966-73 (général Ongania). Sous le nom (sans rire !) de "Révolution argentine", celle-ci avait déjà mis en place un régime d'inspiration national-catholique extrêmement brutal, Perón restant maintenu en exil - cependant la droite péroniste syndicale ou étudiante (CNU) soutenait (et appuyait même activement), dans une large mesure, la politique anticommuniste de la junte.

    cordobazo201969À partir de 1968-69, dans un contexte d'offensive générale de la révolution mondiale (avec la Révolution culturelle en Chine, la révolution cubaine, l'héroïque guerre du peuple vietnamien, les évènements en Europe et aux USA), la situation se tend et devient révolutionnaire. Le Cordobazo, vaste soulèvement populaire de la ville de Cordoba, éclate en mai 1969.

    À ce moment là, différentes forces révolutionnaires se détachent : le PCR maoïste (scission anti-révisionniste du PCA en 1968, rejettant notamment l'attitude de ce dernier envers la guérilla du Che en Bolivie), mais aussi le PRT-ERP inspiré du trotskysme, du guévarisme et des révolutions cubaine, chinoise et vietnamienne (un peu comme la LCR en France, et d'ailleurs proche - au début - de celle-ci), et des péronistes de gauche, les Montoneros, les Jeunesses péronistes (JP) et autres Forces armées révolutionnaires (FAR) ou Forces armées péronistes (FAP), qui s'affirment partisans d'un "péronisme révolutionnaire, populaire et anti-impérialiste", mêlé d'idéalisme guévariste et de théologie de la libération.

    À partir de 1970, ils passent (ainsi que l'ERP) à la lutte armée (Perón les soutient "moralement"). Pour l'oligarchie dominante, le retour de Perón commence à apparaître comme une soupape de sécurité.

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    Combattant-e-s de l'ERP

    Les Montoneros et autres "péronistes de gauche" ne retenaient du péronisme que l'aspect "populaire", "social". Cette représentation du péronisme dans l'esprit des Argentins, surtout à l'époque, était une réalité. Il ne s'agit pas de la nier.

    Face au développement incontrôlable de la mobilisation populaire, du mouvement révolutionnaire de la jeunesse et du prolétariat, et des luttes armées, la junte de la "révolution argentine" finit par "lâcher du lest", et organiser le retour de Perón. Celui-ci (le vieux leader étant toujours interdit de séjour) passe d'abord par l'élection "libre", en mars 1973, d'un Evita-Campora-Peronpéroniste (plutôt "de gauche"), Hector Cámpora, appuyé d'ailleurs par le Parti "communiste" révisionniste et les sociaux-démocrates (mettant fin à près de 30 ans d'anti-péronisme "de gauche"). Cámpora libère les prisonniers politiques (plusieurs centaines), rétablit les relations diplomatiques et commerciales avec Cuba, et autorise immédiatement le retour de Perón et de son entourage, dans une atmosphère de grand espoir et de liesse populaire... C'est ce que la mémoire collective retiendra comme le printemps camporiste (bien que ce fut l'automne, dans l'hémisphère Sud...).

    Mais ces illusions volèrent en éclat (ou en tout cas, auraient dû) dès le retour de Perón après la victoire électorale de ses partisans : le 20 juin 1973, sur l'aéroport d'Ezeiza, alors que 4 millions de personnes sont réunies pour accueillir le vieux général, les péronistes de droite aux ordres de José López Rega (conseiller "personnel" de Perón, qui deviendra ministre du "Bien-être social") et encadrés par la bureaucratie syndicale et le néofasciste italien Stefano Delle Chiaie tirent sur les péronistes de gauche (Montoneros, Forces Armées Révolutionnaires et Jeunesses péronistes), faisant des dizaines de morts et des centaines de blessés. 

    En fait de "Perón II" (d'abord Perón lui-même - à presque 80 ans - jusqu'à sa mort en juillet 1974, puis sa veuve Isabel, politiquement inapte), le pouvoir fut alors celui de López Rega, le "secrétaire personnel" et conseiller intime. López Rega était l'homme de l'oligarchie, pour s'assurer justement que tout resterait "sous contrôle", que le nouveau péronisme ne serait qu'un repli tactique.

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    De gauche à droite, Juan Perón, Isabel Perón et José López Rega

    À la tête d'une organisation paramilitaire, la Triple A (Alliance anticommuniste argentine), López Rega lutte contre les péronistes de gauche, l'ERP et tous les progressistes et les révolutionnaires. Pendant cette période, avant donc le coup d'État, on compte déjà 1500 morts et disparus. Avec la Concentración Nacional Universitaria (extrême-droite étudiante péroniste) et d'autres forces liées à la bureaucratie syndicale, les terroristes réactionnaires de la Triple A se "recycleront" très largement au service de la junte après 1976.

    Le deuil des illusions est difficile. Un parti "péroniste authentique" est créé en mars 1974, c'est "le péronisme sans Perón". Les péronistes de gauche quittent le navire un par un : le maître d’œuvre de la politique sociale Gelbard en novembre 1974, Hector Cámpora, etc...

    L'Argentine de 1975 est déjà en pré-dictature. Même si López Rega est écarté et nommé ambassadeur à Madrid, la politique de terreur se poursuit. Une opération d'extermination directement inspirée de la bataille d'Alger est lancée contre l'ERP dans la région de Tucumán. 

    Finalement, devant l'incapacité du pouvoir "constitutionnel" péroniste à apaiser les luttes populaires, comme à les écraser, l'oligarchie compradore-bureaucratique-terrateniente "reprend les choses en main" le 24 mars 1976, par l'Armée (le "parti militaire" des coups d'État de 1955, 1962 et 1966).

    On a parfois dit que, lorsque les généraux ont pris le pouvoir, il ne restait en fait plus de révolutionnaires combattants. C'est peu probable, mais ceux-ci étaient certainement très affaiblis.

    En réalité, toute la tragédie est que le golpe n'a trouvé face à lui aucune force ayant une ligne révolutionnaire correcte. Les péronistes de gauche étaient prisonniers de leurs illusions quant à la nature ("nationaliste et sociale", "anti-impérialiste") du péronisme. L'ERP s'inspirait d'un léninisme (dont Mao et Trotsky auraient chacun repris une partie de l'héritage, qu'il s'agissait de réunifier dans "un plein retour au léninisme"...) aux accents guévarisants, avec toutes les limites que cela pouvait impliquer : idéalisme, foquisme, tendance de l'armée (ERP) à prendre l'ascendant sur le Parti (PRT) - militarisme, à l'encontre du principe "la politique commande au fusil", etc. etc. Bien que "meilleure" (si l'on peut raisonner ainsi) organisation communiste du pays à cette époque, tentant de mettre en place nationalement un "Front anti-impérialiste pour le socialisme" (avec diverses forces marxistes-léninistes, trotskystes, "socialistes révolutionnaires" et péronistes de gauche) et au niveau de tout le "Cône Sud" du continent une Junte de Coordination Révolutionnaire (véritable "contre-Plan Condor"), elle ne pourra pas conjurer la tragédie et sera rapidement décimée au cours de l'été 1976.

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    Mario Roberto Santucho, leader du PRT-ERP

    Le PCR, quant à lui, se trompait totalement sur la nature "bourgeoise nationale" et "anti-impérialiste" du péronisme. De plus, il persistait à voir dans les projets de coup d'État la prédominance d'éléments pro-soviétiques...

    400px-Partido-comunista-revolucionario mural argentinaComme beaucoup d'organisations pro-chinoises dans le monde à cette époque, mais ici jusqu'à la caricature, ils étaient prisonniers de la "théorie des trois monde" impulsée alors par la droite du PC Chinois (Deng Xiaoping), et qui faisait de l'URSS "l'ennemi principal".

    De fait, ni le régime d'Isabel Perón ni aucune des forces "combattantes de gauche" n'étaient pro-soviétiques, et même plutôt anti-soviétiques. L'URSS (et le PCA, ultra-révisionniste depuis les années 1930) a donc accueilli le coup d'État (et ses préparatifs) avec indifférence, considérant que ses intérêts n'en seraient pas affectés. De même que, face à une guérilla maoïste et anti-soviétique (la NPA), les Soviétiques n'étaient pas hostiles à la dictature de Marcos aux Philippines. Plus tard, l'Argentine sera même un partenaire commercial de premier plan pour l'URSS, en particulier au moment des "sanctions" suite à l'invasion de l'Afghanistan. Le PCA aura même une position ignoble sur la junte, opérant une distinction entre... "modérés" et "pinochétistes" !!!!

    Junta Militar Argentine 1976Mais en réalité, le règne de terreur de 1976-83 a bien été une réédition, en pire, de la "révolution argentine" de 1966-73, d'inspiration national-catholique et terroriste génocidaire, formée à l'École de Amériques : un fascisme comprador derrière lequel la main de la CIA ne fait aucun doute. La main de la CIA, et celle de "l'école française", celle de la "bataille d'Alger" transposée à l'École militaire des Amériques de Panama ! Les relations de la junte avec l'impérialisme français seront profondes : envoi d'experts en contre-insurrection, anciens d'Algérie ; ventes d'armes (Super Étendards, missiles Exocet, qui seront utilisés dans la guerre des Malouines) ; soutien diplomatique - par exemple lors des appels au boycott de la Coupe du Monde de foot (1978), etc.

    Tout en mettant en œuvre les théories néolibérales des Chicago Boys avec le sinistre Martínez de Hoz, les militaires fascistes ont décimé les forces populaires du pays et cette extermination s'est encore ressentie lors de la situation révolutionnaire de fin décembre 2001 - été 2002 : il n'y avait pas de force suffisamment nombreuse et organisée pour se mettre à la tête de la guerre de classe.

    madres_plaza_mayo.jpgPar la suite, pris dans la surenchère nationaliste, ils attaquèrent l'Angleterre aux Malouines (1982). Bien sûr, l'Angleterre était un allié plus important pour les États-Unis que l'Argentine : lâchée, la junte dut céder le pouvoir aux civils l'année suivante. Depuis, ceux-ci, d'abord Alfonsín et ensuite Menem, ont mis en œuvre les politiques néolibérales dictées par le FMI.

    Les assassins du Peuple n'ont, dans l'ensemble (à part des seconds couteaux), jamais été mis en cause, ou n'ont été jugés que pour être aussitôt amnistiés.

    Suite au coup de tonnerre de 2001-2002, le pays est dirigé par les époux Kirchner, péronistes "de gauche" : un régime de "centre-gauche", social-libéral qui, tout en dénonçant mollement l'hégémonie US, est lié aux intérêts impérialistes européens (comme le Brésil de Lula, le Chili de Bachelet...).

    La seule justice qu'il soit aujourd'hui possible de rendre aux milliers de morts et de "disparus", c'est la révolution !

    À bas l'impérialisme, à bas tous les fascisme compradores !

    Guerre populaire pour la révolution démocratique, anti-impérialiste, ininterrompue jusqu'au communisme !

    maoist painting 


    Un document réformiste-pacifiste, mais intéressant : Source


    Le processus de « Réorganisation Nationale »


    Dès le 24 mars 1976, la junte militaire dissout le parlement, remplace la Cour suprême et entame un processus de « Réorganisation Nationale ». Ayant ainsi écarté toute institution démocratique, la junte gouverne seule, au moyen de décrets. Le 24 mars, elle ordonne la suspension de toute activité politique et décide d’interdire cinq partis (le Parti Communiste Révolutionnaire, le Parti Socialiste des Travailleurs [de Nahuel Moreno, NDLR], le Parti Politique des Travailleurs [NDLR : vraisemblablement Política Obrera, ancêtre du Parti ouvrier, trotskyste], le Parti Trotskyste des Travailleurs [NDLR : vraisemblablement le PRT-ERP, plus du tout trotskyste à cette époque mais bon...] et le Parti Communiste Marxiste-Léniniste) ainsi que les « 62 Organisations », coalition composée notamment de divers syndicats. Le même jour, elle rétablit la peine de mort pour certaines activités qualifiées de « subversives » et aggrave les peines sanctionnant différentes actions politiques. Des « Principes et Procédures » sont établis pour limiter l’activité journalistique et censurer la presse. En outre, le 29 mars, la junte suspend le droit d’option . La junte entreprend, en partie grâce à ces nouvelles lois, une véritable « guerre contre-révolutionnaire ». Les plus hauts responsables de la junte, dont le Président et Commandant en Chef Videla lui-même, n’hésitent pas à annoncer qu’ils procèderont à « l’annihilation » de la subversion, dans une optique de « guerre totale ».

    Une répression chaque fois plus drastique et généralisée

    Parallèlement, la répression s’intensifie, principalement envers les activistes politiques ou syndicaux, des avocats, et des personnes impliquées dans des organisations religieuses. Des milliers de personnes sont enlevées, emprisonnées sans procès, torturées et maintenues dans des camps de concentration. La grande majorité de ces personnes disparaissent sans laisser de trace, leurs corps n’étant que rarement retrouvés. Au début de la dictature, il est de ce fait difficile de se rendre compte de l’ampleur de la répression, et l’on conçoit mal ce qui arrive aux disparus, même si de nombreux enlèvements se font en plein jour et si les ‘Ford Falcon’ vertes, du même modèle que les voitures militaires et les voitures de police, se déplacent en convoi à travers le pays pour des kidnappings en masse. De nombreux enfants sont également enlevés avec leurs parents et seront parfois adoptés par la suite, crimes donnant naissance aux Grands-Mères de la place de Mai qui s’efforceront, jusqu’à aujourd’hui encore, de retrouver leurs petits-enfants disparus avec leurs parents. On compte entre dix et trente mille disparus, ainsi que dix mille prisonniers politiques dès 1976. La situation reste assez méconnue en Argentine même et à l’étranger jusqu’en 1978 du fait de la stratégie de discrétion adoptée par la junte.

    Quelle position de la France ?

    Les réactions de la communauté internationale face à la dictature argentine sont, de ce fait, moins vives qu’elles ne l’ont été pour le Chili. La France, qui lors du coup d’état chilien avait ouvert les portes de son ambassade à Santiago pour accueillir des réfugiés, ne démontre pas ce genre d’engagement au début de la dictature argentine. La position de la France demeure quelques temps ambiguë. Selon certains, comme Marie-Monique Robin, auteur d’un film et d’un livre intitulés tous deux Escadrons de la mort : l’école française, l’armée française a participé au début des années 1960 à la formation des cadres militaires argentins dont certains sont devenus des tortionnaires, et des contacts se seraient maintenus. La mission de coopération militaire française, qui comprend des officiers anciens de la guerre d’Algérie, installée à Buenos-Aires en 1959 y est demeurée jusqu’en 1981. Selon ce film, « l’ordre de bataille de mars 1976 est une copie de la bataille d’Algérie » : le quadrillage du territoire argentin (un général contrôlant chaque zone) et les tortures rappellent les méthodes de certains militaires français en Indochine et en Algérie. Dans les années 1950, les méthodes utilisées pendant la Bataille d’Alger avaient été enseignées à des officiers argentins au sein de l’Ecole supérieure de la guerre de Paris. En 1959, l’Etat-major argentin a financé la venue d’experts français pour que ceux-ci forment des militaires argentins dans le cadre de la « guerre anti-subversive ».

    Il y a débat sur le contenu et le niveau de la coopération entre militaires et forces de police françaises et argentines entre 1976 et 1981. Le député Roland Blum, auteur en décembre 2003 d’un rapport sur « le rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires d’Amérique latine entre 1973 et 1984 » affirme ainsi que « l’attitude de la France à l’égard de cette période sombre a été, et reste, dépourvue de toute ambiguïté, comme l’avait montré par exemple la décision prise de relever immédiatement de ses fonctions l’attaché militaire français en Argentine qui avait déclaré publiquement sa compréhension à l’égard de la Junte. Certes il n’est pas inenvisageable que des personnes de nationalité française aient pu participer à des activités de répression, mais si cela a été le cas, ce fut à titre individuel : de tels comportements ne relevant alors pas d’une commission d’enquête, mais de la justice. […] Les allégations reposent en effet largement sur des raccourcis discutables liés à la prétendue invention par l’armée française du concept de ‘guerre subversive’ ».

    L’attitude du personnel de l’ambassade évolue à partir de 1978 : elle soustrait aux militaires M. Dousdebes, qui, emprisonné de 1976 à 1978 pour activités subversives, risquait de se faire enlever et de disparaître. Il demeure caché dans les locaux de l’ambassade durant un an, le temps que l’ambassade parvienne à organiser son départ vers la France, où il obtiendra le statut de réfugié en 1979. L’aide du consul général, qui a œuvré au transfert de M. Dousdebes vers l’ambassade, puis de l’ambassadeur, de ses conseillers mais aussi d’agents de recrutement local (lui apportant à manger) éclaire d’un jour intéressant le rôle complexe joué par l’ambassade durant la dictature. De même Mme Morel-Caputo, vice-consul à Buenos-Aires au début des années 1980, témoigne quant à elle que « sous la dictature [elle] a vécu, aux côtés de [son] mari, M. Dante Caputo, la lutte politique clandestine d’un groupe de jeunes intellectuels, sociologues et avocats, regroupés autour de CISEA, Centre de Recherche sur l’Etat et l’Administration, ayant fait souvent des études doctorales en France. »

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     Article de Rue 89 (social-démocrate) :

    Argentine : l'Esma, centre de torture devenu lieu de mémoire


    Alors que la justice argentine prépare pour octobre le « méga-procès » des tortionnaires qui sévirent pendant la dictature militaire (1976-1983) à l’École supérieure de mécanique de la marine (Esma), les locaux de cette « usine de mort », désormais administrés par des défenseurs des droits de l'homme, se transforment en un lieu de mémoire et d'hommage aux victimes. Récit d'une visite bouleversante.

    Une affiche contre la torture en Argentine réalisée par le COBA en 1978 (DR).Début 1978, nous étions des dizaines de milliers, en France, à nous mobiliser contre le « Mundial » de football qui devait se dérouler en Argentine, derrière le slogan : « On ne joue pas au football à côté des centres de torture. » Nous écrivions alors :

    « L'équipe de France de football jouera-t-elle à 800 mètres du pire centre de torture du pays ? C'est en effet la distance qui sépare le stade de River Plate (…) de l'Escuela de Mecánica de la Armada (École de mécanique de la Marine), siège du sinistre “grupo de tareas 3.3”, véritable Gestapo argentine composée de 314 officiers et soldats de la Marine. Depuis deux ans que ce groupement sévit, des centaines d'hommes et de femmes y ont été atrocement suppliciés, brûlés au chalumeau, coupés vifs à la scie électrique, écorchés vivants, etc… »

    Notre campagne n'empêcha pas l'équipe de France de participer au « Mundial », mais son écho fut important. Aussi, on imagine mon émotion quand, trente et un ans après, par une belle journée d'avril à Buenos Aires, j'ai pu visiter cette « usine de mort » de l'Esma, devenue aujourd'hui l'Espace pour la mémoire et pour la promotion et la défense des droits de l'homme.

    La transformation d'un lieu de torture en lieu de mémoire

    L'endroit surprend : longeant la très fréquentée avenue Libertador, c'est un immense parc arboré de 17 hectares, abritant 34 bâtiments dont certains furent longtemps des écoles de formation pour les élèves officiers de la Marine.

    L'Esma à Buenos Aires, un centre de torture devenu «musée de la mémoire» (Espacio para la memoria).Eduardo Jozami m'a permis cette visite -le site n'est pas encore complètement ouvert au public. Lui-même, à l'époque militant de l'organisation péroniste des Montoneros, a passé toutes les années de la dictature en prison. Sa femme, qui fut torturée comme il l'a été, est l'une des rares survivantes de l'Esma. Il dirige aujourd'hui le Centre culturel Haroldo Conti (du nom du célèbre écrivain argentin, « disparu » en 1976), qui occupe l'un des bâtiments de l'Esma.

    Le 24 mars 2004 : le président Nestor Kirchner, répondant enfin à l'extraordinaire mobilisation, depuis 1977, des mères et grands-mères de « disparus » (puis des enfants), a annoncé que ce lieu serait désormais un « musée de la mémoire ». La cérémonie sur les lieux fut bouleversante, comme en témoigne le documentaire « Esma, museo de la memoria », du réalisateur Román Lejtman. Mais il a fallu attendre plus de trois ans pour que la Marine argentine accepte enfin de quitter l'Esma.

    Les organisations des droits de l'homme ont depuis réalisé un formidable travail, que j'ai découvert en ce jour d'avril avec la visite guidée de « Luz », jeune femme passionnée et compétente. Elle guide notre petit groupe vers l'immeuble du « Casino de oficiales », bâtisse banale qui abritait un « salon doré » (où se réunissaient les officiers) et deux étages de chambres pour les élèves officiers. Mais aussi, pendant plus de sept ans, les lieux de torture et de détention des « disparus ».

    Enlevés clandestinement par les agents des « grupos de tareas » 3.3.1 et 3.3.2, ils étaient d'abord emmenés dans la cave (le « sótano ») située sous le salon doré (lieu de planification des enlèvements) : une salle de 120 mètres carrés environ, mal éclairée par de petits vasistas et subdivisée en cellules, équipée pour les séances de torture (gégène, sonorisation musicale pour étouffer les cris…) et comprenant une infirmerie.

    En 1977, y furent également installés une imprimerie et un labo photo -où des détenus ont dû travailler-, destinés à produire de faux documents et du matériel d'« action psychologique » élaborés par le service de renseignements de la Marine pour des actions de propagande.

    En bref, le sótano était un extraordinaire concentré de ce qu'a produit de pire la fameuse « doctrine de la guerre révolutionnaire » élaborée dans les années 1950 par des officiers français en Indochine et mise en œuvre lors de la guerre d'Algérie : une doctrine reprise et appliquée par les militaires argentins lors de la « sale guerre » des années 1976-1983, comme l'a révélé en 2004 la journaliste Marie-Monique Robin dans son film puis dans son livre « Escadrons de la mort, l'école française ».

    5 000 « disparus » dans cette usine de mort

    Les « disparus », entre les séances de torture, étaient détenus dans des cellules (toujours éclairées) situées sous les combles, au troisième étage, un sinistre grenier appelé « capucha » : ils avaient en permanence les yeux bandés, une cagoule sur la tête, les jambes entravées. A côté, d'autres locaux, dont une « maternité », où les détenues enceintes accouchaient : elles étaient ensuite assassinées, des familles de militaires ou de policiers tortionnaires s'appropriant leurs bébés -vingt ou trente ans plus tard, nombre de ces enfants découvriront la vérité sur leur origine, avec les traumatismes que l'on imagine.

    De mars 1976 à novembre 1983, quelque 5 000 « disparus » (sur les 30 000 imputés à la dictature) ont transité dans ces lieux de mort. Deux cents à peine ont survécu, dont certains de ceux qui faisaient l'objet d'un « programme de récupération » visant à les retourner. Certains sont morts sous la torture -leur corps étant brûlé dans le stade militaire attenant à l'Esma. 

    http://asset.rue89.com/files/imagecache/asset_wizard_vignette/files/PascalRich/2009_05_18_elvuelvo.pngLa plupart ont fait l'objet d'un « transfert », comme c'était la règle dans les 340 centres de détention clandestins de l'armée, dont l'Esma était le plus important : chaque mercredi, des détenu(e)s étaient « prélevé(e)s » au Casino de oficiales, emmené(e)s à l'infirmerie où une piqûre d'anesthésique les endormait, avant d'être transféré(e)s dans un avion, d'où ils/elles étaient jeté(e)s dans les eaux du Rio de la Plata, lors des « vols de la mort » -dont le journaliste Horacio Verbitsky a fait le récit dans son fameux livre El Vuelo.

    Une expérience unique et exemplaire de « justice transitionnelle »

    On ne sort pas indemne de cette visite. Les lieux, vides, ne sont plus exactement ceux d'hier. Mais partout, sans le moindre voyeurisme, de discrets panneaux donnent au visiteur des explications précises et des extraits de témoignages de survivants. Un admirable travail de mémoire : les âmes volées de ces milliers de jeunes femmes et de jeunes hommes « disparus » sont là, avec vous.

    Et vous ne pouvez oublier que, durant toutes ces années-là, ils ont fugacement « cohabité » dans le même immeuble -à deux pas de l'une des avenues les plus passantes de la capitale argentine- avec leurs tortionnaires et leurs assassins, mais aussi avec les simples élèves officiers qui croisaient dans les escaliers les loques humaines remontées du « sótano » à « Capucha »…

    L'« Espace pour la mémoire » est une expérience unique. Dans nombre d'autres pays dont les populations ont également souffert des « sales guerres » de la seconde moitié du XXe siècle (Afrique du Sud, Maroc, Guatemala, Colombie, Algérie…), les processus de « justice transitionnelle » sont plus ou moins téléguidés par des régimes complaisants face aux crimes du passé : ils sont au mieux préoccupés par l'établissement de la vérité et en tout cas beaucoup moins par la justice, visant à sanctionner, sinon tous les criminels et leurs complices passifs, du moins les principaux organisateurs de la barbarie.

    C'est précisément ce qu'a commencé à faire la justice argentine depuis 2007, en enchaînant de vrais procès des généraux organisateurs des disparitions et de la torture, après que les habituelles lois d'amnistie ont été abrogées.

    Et cela, on ne le dira jamais assez, grâce à la lutte obstinée, si longtemps restée inaudible, des familles des victimes. D'où l'importance de saluer le travail que font aujourd'hui, dans une indifférence du reste du monde qui me révolte autant qu'hier celle des spectateurs béats du Mundial de 1978, les militants de l'espoir occupés à transformer l'Esma en lieu de mémoire.

    Photos : une affiche contre la torture en Argentine réalisée par
    le COBA en 1978
    (DR). La façade de l'Esma (Espacio para la memoria). La jaquette du livre « El Vuelo » d'Horacio Verbitsky (DR).


    Le documentaire français "Escadrons de la mort : l'école française" peut être visionné ici :


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  • Disons le : les élections régionales de dimanche n'ont pas été un "séisme politique", il n'y a pas eu de "coup de tonnerre" dans le théâtre de marionnettes de la politique bourgeoise, rien qui n'annonce encore un saut qualitatif de notre démocratie bourgeoise de contre-révolution préventive vers "autre chose".

    Ceci malgré les développements importants de ces derniers temps, en particulier bien sûr la crise capitaliste de septembre 2008, qui fait qu'aujourd'hui près de 40% de la population active est soit au chômage (recensée par Pôle Emploi ou pas), soit au chômage partiel, soit en emploi précaire.

    Elles ont cependant confirmé les grandes tendances de ces dernières années. Attardons nous-y donc un moment.

    Elles ont, d'abord, confirmé la tendance qui s'était dessinée dès 2007 : la faillite de la "gauche radicale", "anti-libérale" : NPA, LO et Front de Gauche.

    Même le NPA, qui avait résisté en 2007, fait un très mauvais score : 2,5 % en général, son "leader charismatique" Besancenot dépassant péniblement 3% en Île de France, un "bon" score de 3,28% en Franche-Comté et 4,19% en Auvergne, mais globalement partout moins de 3%, y compris dans des "bastions" comme Midi-Pyrénées.

    Il semble que la stratégie "séduction" en direction des quartiers populaires n'a pas vraiment pris (comme nous l'avions évoqué lors du Forum social des Quartiers populaires en octobre), stratégie dont Ilham Moussaïd était un résultat - même s'il semble que la direction du mouvement ne soutenait pas cette candidature. L'électorat ouvrier-employé quant à lui (comme on le sait, plutôt des travailleurs du public) semble s'être tourné vers le Front de Gauche (ou l'abstention !) tandis que les étudiants, professions intellectuelles etc. (les "bobos" des villes) se sont vraisemblablement tournés vers Europe Écologie, nouveau "truc à la mode" du moment.

    Lutte Ouvrière tourne, pour sa part, autour de 1,5%, confirmant l'effondrement de 2007. C'est que le discours répétitif (travailleurs travailleuses !) et entièrement tourné vers les luttes économiques en entreprise a lassé.

    Un parti qui se veut "révolutionnaire" doit assumer la question du pouvoir, c'est à dire assumer de diriger la société.  Il doit donc aborder toutes les questions dites "de société", d'actualité, internationales etc., faute de quoi il n'a aucune crédibilité - et n'est pas révolutionnaire, de toute manière. Problème pour LO : ce n'est pas son "fond de commerce" traditionnel, les positions internationales sont profondément marquées par le trotskysme (ni-ni permanent, rejet des luttes de libération nationale, des luttes anti-impérialistes comme "bourgeoises") et ils cherchent donc à ne pas les aborder au delà du "minimum syndical" et de leur cercle "d'initiés", quant aux questions "de société"... il vaut mieux qu'ils s'en abstiennent : elles ne feraient que révéler leur extrême archaïsme.

    Le Front de Gauche (P"C" et Parti de Gauche) s'en sort un peu mieux, mais enfin, renforcé d'une bonne partie de la gauche du PS, de dissidents du NPA, de LO et écologistes, rien de mirobolant : 6,5% nationalement, un peu plus de 7% si on ne prend que les régions où les listes étaient présentes. Il ne franchit le seuil pour se maintenir au second tour que dans 4 régions : le Nord-Pas-de-Calais (bastion ouvrier, 10,8%), l'Auvergne (très bon 14% d'André Chassaigne), le Limousin (en alliance avec le NPA, 13%), tous des vieux bastions du PC, et en Corse avec 10% (le vote 'communiste' dans cette région est hostile à la question nationale). 

    Avec un ancrage ouvrier et populaire bien plus important et ancien que le NPA, et le background de toutes les luttes sociales contre les effets de la crise ces 18 derniers mois, c'est maigre même si ce n'est pas une déroute. Bien en retrait de son modèle revendiqué, le Die Linke allemand....

    Et le "fractionnisme trotskyste" ne peut pas être invoqué : en Languedoc-Roussillon où le NPA s'est rallié, la liste "anti-libérale" commune ne dépasse pas 8,6%. Il y a certes les 13% du Limousin, mais seulement 5% en Pays de Loire, 4,3% en Bourgogne, 4,8% en Champagne.

    Ailleurs, le FdG ne capitalise d'ailleurs nullement sur l'effondrement trotskyste.

    C'est bien que les millions de travailleurs exploités et de personnes des classes populaires, notamment les 40% de la population active dont nous avons parlé, appellent de leurs vœux autre chose que des solutions réformistes, qu'une resucée, même pas du Programme commun des années 1970 ou des 110 propositions de 1981, mais de la Gauche plurielle de 1997 !

    Cela montre aussi, que l'effet du référendum européen de 2005 n'a été qu'un feu de paille (nous avons toujours été, pour notre part, pour le Non, mais sans illusions ni triomphalisme). Non seulement il apparaît (nous verrons plus loin les résultats de l'extrême-droite) que le Non chauvin, protectionniste, conservateur voire réactionnaire voire fascisant a été beaucoup plus important dans les 55% de NON qu'on ne l'a chanté à l'époque, mais surtout, la "gauche radicale" a été incapable de créer une dynamique a partir du vote "Merde", du NON qui se foutait, au fond, de l'Europe et de la "Constitution" mais voulait dire "Merde" à toutes les politiques anti-sociales et anti-démocratiques menées, sous couvert d'Europe ou non, depuis les années 1980.

    Un matériau brut, qui n'est pas révolutionnaire en tant que tel : c'est justement la tâche des révolutionnaires, des communistes, que de le transformer en Forces Subjectives de la Révolution (FSR).

    Cette tâche n'a pas été menée, mais pour des raisons évidentes : les "réformistes radicaux" de la "gauche anti-libérale" ne sont pas révolutionnaires (tout simplement...), en plus d'être dans des querelles d'épiciers sur "qui va remplacer le PC révisionniste des années 1970" à l'aile gauche de la social-démocratie.

    Cela tient à leur nature de classe, à leur nature même dans la marche de l'histoire qui se déroule sous nos yeux. Leur seule projet politique, c'est sauver ce qui peut l'être des acquis des Trente Glorieuses et du Conseil National de la Résistance...

    Or, non seulement les classes populaires aspirent à plus haut que ça (qu'une "république sociale" petite-bourgeoise), mais elles savent pertinemment, après 30 ans de crise capitaliste et de démantèlement du "modèle social", que ce n'est pas possible. Même si elle ne trouve pas encore les mots, comme un jeune enfant qui balbutie, se pose de plus en plus la QUESTION DU POUVOIR. Pas le pouvoir d'une "vraie gauche" : le Pouvoir du Peuple.

    L'autre fait marquant, est bien sûr le retour en force de l'extrême-droite, des fascistes. Comme nous l'avions prévu, sur le thème central de l'islamophobie, après le référendum suisse anti-minarets.

    Les "nouveaux venus", tous centrés sur cette thématique, font des scores honorables pour un premier coup d'essai : 2,7% (près de 40.000 voix) pour les Identitaires et les dissidents FN et MPF de Jacques Bompard (Ligue du Sud) en PACA (devançant le NPA d'Ilham Moussaïd), près de 5% pour Alsace D'abord (liée au Bloc Identitaire) en Alsace (où ils sont extrêmement bien implantés), 3,55% pour le Parti de la France de Carl Lang en région Centre (Jean Verdon) et 3,7% en Basse-Normandie (Fernand Le Rachinel). Quant aux deux listes "anti-minarets" (aussi clairement que ça...) elles font respectivement 3% en Lorraine (Annick Martin) et 2,5% en Franche-Comté (Christophe Devillers). D'autres suscitent l'intérêt des électeurs, comme Richard Roudier (Ligue du Midi) en Languedoc (0,68%), Carl Lang lui-même en Haute-Normandie (1,5%) ou Thomas Joly (PdF) en Picardie (2%).

    Surtout, le Front National marque un vrai retour en force. 12% en moyenne, autour de 15% dans beaucoup de régions, et un score massif de 20,3% en PACA !

    On a l'impression, au contraire des formations de "gauche radicale" qui se disputent comme des chiffonniers un maigre résidu d'électorat, que partout où les Identitaires et les fascistes en général sont bien implantés, cela n'a pas desservi le FN : au contraire, cela a créé une sorte de dynamique. "Gauche radicale" de la démocratie bourgeoise qui se meurt, fascisme qui monte : voilà les deux tendances lourdes de notre époque. Autant dire que le ciel s'assombrit...

    Sa campagne, le parti fasciste "historique" l'a faite sur sa fameuse affiche directement inspirée de l'affiche suisse anti-minarets (affiche condamnée par le TGI de Marseille à la veille du scrutin...), d'abord en PACA puis étendue à d'autres régions (comme Rhône-Alpes).

    Le FN a su saisir la tendance historique, comprendre de quelle mobilisation réactionnaire de masse a besoin la bourgeoisie monopoliste-impérialiste aujourd'hui, au service de sa contre-révolution préventive et de ses guerres dans le monde.

    Ce sont donc des 15%, des 20% (en PACA) que les Identitaires et tous les amis de Geert Wilders, du Vlaams Belang et de la Ligue du Nord peuvent considérer comme une victoire pour eux. "Identitariser" les esprits et (sous-entendu) le FN, comme le proclamait Fabrice Robert au lendemain du vote suisse, semble en bonne voie...

    On disait, depuis presque 3 ans, le FN "fini". C'est vrai qu'il était dans un grand brouillard idéologique... Mais il avait souffert en 2007, non seulement de "l'effet Sarkozy", d'une campagne de mobilisation réactionnaire de masse axée sur la "rupture", mais aussi d'une stratégie "quartiers populaires" impulsée par Alain Soral. C'était l'époque du "discours d'Argenteuil", de Dieudonné à la fête BBR, de La Banlieue s'exprime, l'époque où Le Pen pouvait proclamer : "les 5 piliers de l'Islam ne sont pas incompatibles avec la tradition française", à contre-courant de tout ce qui se faisait et se disait dans la mouvance fasciste en Europe... La claque fut sérieuse (mais en même temps, que restait-il à l'époque pour se démarquer de Sarkozy, qui lui, avait toutes les chances d'être élu - vote utile - ?).

    Dans la dynamique de ce succès, le Front National va probablement maintenant se réaligner idéologiquement sur le reste du fascisme européen, sur un discours occidentaliste et islamophobe (thème de "l'islamisation", du "complot islamique de domination mondiale"), tout en refusant (comme les Identitaires) de "fermer le porte à la Russie", de se couper des régimes arabes laïcs et pro-occidentaux, de s'aligner complètement sur les États-Unis (en maintenant un discours anti-américain mobilisateur) afin de préserver les 2 orientations traditionnelles possibles de l'impérialisme français : atlantiste et eurasiste.

    L'UMP, n'ayant pas accompli la "rupture" promise, est bien sûr durement sanctionné - comme prévu. Et il est peu probable que les électeurs qui s'en sont détournés soient allés à gauche... Ils sont allés, ou retournés pour certains, vers l'extrême-droite, la camp de la mobilisation réactionnaire de masse. Le gouvernement Sarkozy-Fillon-Hortefeux-Besson en tiendra t-il compte pour modifier, "droitiser" sa politique ? Ou est-il déjà dépassé par l'histoire ? L'avenir très proche le dira, dans les deux cas les forces antifascistes approchent de l'instant décisif.

    Enfin, le social-libéralisme profite, en partie, du vote-sanction (son électorat est toujours plus mobilisé sous un gouvernement de droite), mais ces régionales, malgré un PS qui reprend du poil de la bête et des écolos qui reculent, confirment sa nouvelle configuration "à deux têtes". Europe Écologie s'impose comme nouvelle "boîte à idées" de la gauche classe-moyenne. Mais il n'est pas dit, vu la carte des résultats, que seuls des bobos parisiens ou des grandes villes aient voté pour la liste.

    Cela montre le caractère incontournable de la question environnementale dans les préoccupations démocratiques du Peuple. Et l'archaïsme certain, le caractère historiquement dépassé d'une grande partie du "réformisme radical" sur la question...

    Mais, pour finir, s'il y a effectivement un "coup de tonnerre" dans ces élections régionales 2010, c'est celui de l'abstention : 53%, contre 39% en 2004 (pour comparer des élections comparables). Ce taux amène à relativiser encore plus tous les chiffres donnés plus haut : certaines forces dans certaines régions peuvent sembler se maintenir, voire se renforcer, mais en réalité perdent en voix.

    Le grand vaincu de ces élections, plus que l'UMP ou la "gauche radicale", ça semble bien être l'illusion démocratique elle-même ! La présidentielle de 2007 n'a vraiment été qu'un "pic" sans lendemain, dû à la personnalité extrêmement polarisante de Sarkozy...

    Certains marxiste-léninistes ont cru utile d'intégrer le Front de Gauche, de se mettre à la remorque des forces réformistes pour aller "à la rencontre des militants", des "révolutionnaires potentiels"...

    Mais ce qui ressort de ces résultats, et (y compris) de l'abstention, c'est que les forces révolutionnaires sont certainement plus à chercher du côté des abstentionnistes, de ceux qui ne se font plus aucune illusion sur la possibilité de changer quoi que ce soit par le bulletin de vote, que dans l'électorat de toutes les listes de la "gauche radicale" réunies !!!
     


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    Pendant la Révolution culturelle, la coopération socialiste est mise en avant. Chaque entreprise se soucie autant des intérêts de la population, des entreprises ou des consommateurs pour lesquels elle travaille, que de ses intérêts particuliers. Voici deux exemples de cette coopération.

    La coopération dans la lutte contre la pollution

    La premier exemple concerne la lutte contre la pollution où des résultats spectaculaires ont été atteints dans de grandes villes comme Tien-tsin ou Changhai grâce à la coopération des différentes entreprises et de la population. Dans ces villes, grâce à la coopération, les eaux résiduaires ont cessé d’être déversées dans les fleuves. Des canaux souterrains ont été creusés et des usines de transformation de ces eaux édifiées. Ces usines permettent de récupérer des milliers de tonnes de produits utiles, d’obtenir des engrais qui fertilisent des dizaines de milliers d’hectares. Des résultats importants ont été obtenus aussi en ce qui concerne les rebuts, les déchets solides et les gaz résiduaires utilisés comme nouvelles matières premières. A Fouchoun, dans le Liaoning, l’utilisation des gaz résiduaires, des eaux résiduaires et des scories provenant de la Raffinerie de pétrole n°3 permet l’obtention de dix-neuf produits chimiques et métaux rares. L’atmosphère autour de la raffinerie a été assainie à la suite de modifications apportées à son fonctionnement, et des matières premières valant plusieurs millions de yuans sont obtenues chaque année (de la soude, des produits sulfatés, de la neige carbonique et des matières premières pour la fabrication de textiles artificiels, etc).

    La coopération dans la recherche de la qualité.

    Le second exemple concerne la recherche de la qualité et de la durabilité des produits grâce à une coopération étroite entre les entreprises productrices et les entreprises utilisatrices ainsi qu’entre les entreprises productrices et les consommateurs. Cette coopération aboutit à des résultats considérables que l’on peut vérifier auprès des utilisateurs industriels et agricoles, des réseaux commerciaux et des acheteurs particuliers. Ces résultats correspondent essentiellement aux intérêts des utilisateurs et non à ceux des producteurs. En effet, pour les entreprises productrices, l’amélioration de la qualité, de la solidité et de la durabilité des produits implique en général un surcroît de travail (recherches, mises au point...) et, éventuellement, des accroissements de prix de revient. Or ces améliorations ne s’accompagnent pas automatiquement d’une majoration des prix ou d’un accroissement du total des ventes. C’est même le contraire qui arrive lorsque les objets sont durables.

    En agissant de cette façon, les entreprises productrices placent les intérêts de l’ensemble du pays avant leur intérêt particulier. C’est là le moteur d’un progrès économique de type nouveau, qui implique que la production n’est plus dominée par la recherche de l’accroissement de la valeur d’échange, des recettes monétaires ou du profit, mais par la recherche de la valeur d’usage. Cela suppose des transformations radicales dans les rapports sociaux, aussi bien au niveau de la base économique que de la superstructure.

    Un nouveau mode de production

    Contrairement à certaines conceptions qui se réclament du marxisme mais qui en renient les idées fondamentales, de telles transformations ne sont pas spontanées. Elles ne sont pas mécaniquement déterminées pas le développement des forces productives. Aussi, et ce point est essentiel pour comprendre le Révolution culturelle prolétarienne et son rôle, on doit considérer que les transformations dans la base économique que l’on observe actuellement en Chine ne peuvent être que le produit d’une lutte qui a été menée et qui continue a être menée par les travailleurs pour transformer la division sociale du travail, pour faire cesser les rapports hiérarchiques au sein des unités de production, pour prendre en main la gestion et pour dominer la technique. Une telle lutte est une lutte politique et idéologique. Elle n’est pas une simple révolte. Elle exige, pour aboutir, une unité de conception et d’action et une juste appréciation de la nature des transformations possibles et de leur enchaînement. C’est pourquoi elle exige la direction d’un parti révolutionnaire.

    D’aprés Charles Bettelheim, Révolution culturelle et organisation industrielle en Chine, chez Maspero

    Rappelons que la Chine a aussi inventé, dès la fin du 19e siècle (!) la technique du biogaz, qui résoud à la fois le problème des déchets organiques (y compris les excréments humains) et de l'énergie... en consistant à fabriquer de l'énergie (gaz) avec les déchets organiques !

    La pratique sera généralisée par le Parti communiste, lors de la mise en place des Communes Populaires en 1958 (sur le principe de l'autosuffisance de celles-ci : "compter sur ses propres forces !").

    Un document en français expliquant la technique et son historique, et un reportage, en anglais, réalisé en 1980 (après la contre-révolution, mais la technique était toujours en place, et l'est souvent encore de nos jours dans les campagnes. Simplement, alors que les communes populaires voulaient résoudre la contradiction entre les villes et les campagnes, la contre-révolution et la restauration du capitalisme se sont traduites par une massification de la population sur la côte - 600 millions entre Canton et Pékin. La Chine est aujourd'hui l'un des pays les plus éco-destructeurs de la planète).


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