• Retour sur les régionales


    Disons le : les élections régionales de dimanche n'ont pas été un "séisme politique", il n'y a pas eu de "coup de tonnerre" dans le théâtre de marionnettes de la politique bourgeoise, rien qui n'annonce encore un saut qualitatif de notre démocratie bourgeoise de contre-révolution préventive vers "autre chose".

    Ceci malgré les développements importants de ces derniers temps, en particulier bien sûr la crise capitaliste de septembre 2008, qui fait qu'aujourd'hui près de 40% de la population active est soit au chômage (recensée par Pôle Emploi ou pas), soit au chômage partiel, soit en emploi précaire.

    Elles ont cependant confirmé les grandes tendances de ces dernières années. Attardons nous-y donc un moment.

    Elles ont, d'abord, confirmé la tendance qui s'était dessinée dès 2007 : la faillite de la "gauche radicale", "anti-libérale" : NPA, LO et Front de Gauche.

    Même le NPA, qui avait résisté en 2007, fait un très mauvais score : 2,5 % en général, son "leader charismatique" Besancenot dépassant péniblement 3% en Île de France, un "bon" score de 3,28% en Franche-Comté et 4,19% en Auvergne, mais globalement partout moins de 3%, y compris dans des "bastions" comme Midi-Pyrénées.

    Il semble que la stratégie "séduction" en direction des quartiers populaires n'a pas vraiment pris (comme nous l'avions évoqué lors du Forum social des Quartiers populaires en octobre), stratégie dont Ilham Moussaïd était un résultat - même s'il semble que la direction du mouvement ne soutenait pas cette candidature. L'électorat ouvrier-employé quant à lui (comme on le sait, plutôt des travailleurs du public) semble s'être tourné vers le Front de Gauche (ou l'abstention !) tandis que les étudiants, professions intellectuelles etc. (les "bobos" des villes) se sont vraisemblablement tournés vers Europe Écologie, nouveau "truc à la mode" du moment.

    Lutte Ouvrière tourne, pour sa part, autour de 1,5%, confirmant l'effondrement de 2007. C'est que le discours répétitif (travailleurs travailleuses !) et entièrement tourné vers les luttes économiques en entreprise a lassé.

    Un parti qui se veut "révolutionnaire" doit assumer la question du pouvoir, c'est à dire assumer de diriger la société.  Il doit donc aborder toutes les questions dites "de société", d'actualité, internationales etc., faute de quoi il n'a aucune crédibilité - et n'est pas révolutionnaire, de toute manière. Problème pour LO : ce n'est pas son "fond de commerce" traditionnel, les positions internationales sont profondément marquées par le trotskysme (ni-ni permanent, rejet des luttes de libération nationale, des luttes anti-impérialistes comme "bourgeoises") et ils cherchent donc à ne pas les aborder au delà du "minimum syndical" et de leur cercle "d'initiés", quant aux questions "de société"... il vaut mieux qu'ils s'en abstiennent : elles ne feraient que révéler leur extrême archaïsme.

    Le Front de Gauche (P"C" et Parti de Gauche) s'en sort un peu mieux, mais enfin, renforcé d'une bonne partie de la gauche du PS, de dissidents du NPA, de LO et écologistes, rien de mirobolant : 6,5% nationalement, un peu plus de 7% si on ne prend que les régions où les listes étaient présentes. Il ne franchit le seuil pour se maintenir au second tour que dans 4 régions : le Nord-Pas-de-Calais (bastion ouvrier, 10,8%), l'Auvergne (très bon 14% d'André Chassaigne), le Limousin (en alliance avec le NPA, 13%), tous des vieux bastions du PC, et en Corse avec 10% (le vote 'communiste' dans cette région est hostile à la question nationale). 

    Avec un ancrage ouvrier et populaire bien plus important et ancien que le NPA, et le background de toutes les luttes sociales contre les effets de la crise ces 18 derniers mois, c'est maigre même si ce n'est pas une déroute. Bien en retrait de son modèle revendiqué, le Die Linke allemand....

    Et le "fractionnisme trotskyste" ne peut pas être invoqué : en Languedoc-Roussillon où le NPA s'est rallié, la liste "anti-libérale" commune ne dépasse pas 8,6%. Il y a certes les 13% du Limousin, mais seulement 5% en Pays de Loire, 4,3% en Bourgogne, 4,8% en Champagne.

    Ailleurs, le FdG ne capitalise d'ailleurs nullement sur l'effondrement trotskyste.

    C'est bien que les millions de travailleurs exploités et de personnes des classes populaires, notamment les 40% de la population active dont nous avons parlé, appellent de leurs vœux autre chose que des solutions réformistes, qu'une resucée, même pas du Programme commun des années 1970 ou des 110 propositions de 1981, mais de la Gauche plurielle de 1997 !

    Cela montre aussi, que l'effet du référendum européen de 2005 n'a été qu'un feu de paille (nous avons toujours été, pour notre part, pour le Non, mais sans illusions ni triomphalisme). Non seulement il apparaît (nous verrons plus loin les résultats de l'extrême-droite) que le Non chauvin, protectionniste, conservateur voire réactionnaire voire fascisant a été beaucoup plus important dans les 55% de NON qu'on ne l'a chanté à l'époque, mais surtout, la "gauche radicale" a été incapable de créer une dynamique a partir du vote "Merde", du NON qui se foutait, au fond, de l'Europe et de la "Constitution" mais voulait dire "Merde" à toutes les politiques anti-sociales et anti-démocratiques menées, sous couvert d'Europe ou non, depuis les années 1980.

    Un matériau brut, qui n'est pas révolutionnaire en tant que tel : c'est justement la tâche des révolutionnaires, des communistes, que de le transformer en Forces Subjectives de la Révolution (FSR).

    Cette tâche n'a pas été menée, mais pour des raisons évidentes : les "réformistes radicaux" de la "gauche anti-libérale" ne sont pas révolutionnaires (tout simplement...), en plus d'être dans des querelles d'épiciers sur "qui va remplacer le PC révisionniste des années 1970" à l'aile gauche de la social-démocratie.

    Cela tient à leur nature de classe, à leur nature même dans la marche de l'histoire qui se déroule sous nos yeux. Leur seule projet politique, c'est sauver ce qui peut l'être des acquis des Trente Glorieuses et du Conseil National de la Résistance...

    Or, non seulement les classes populaires aspirent à plus haut que ça (qu'une "république sociale" petite-bourgeoise), mais elles savent pertinemment, après 30 ans de crise capitaliste et de démantèlement du "modèle social", que ce n'est pas possible. Même si elle ne trouve pas encore les mots, comme un jeune enfant qui balbutie, se pose de plus en plus la QUESTION DU POUVOIR. Pas le pouvoir d'une "vraie gauche" : le Pouvoir du Peuple.

    L'autre fait marquant, est bien sûr le retour en force de l'extrême-droite, des fascistes. Comme nous l'avions prévu, sur le thème central de l'islamophobie, après le référendum suisse anti-minarets.

    Les "nouveaux venus", tous centrés sur cette thématique, font des scores honorables pour un premier coup d'essai : 2,7% (près de 40.000 voix) pour les Identitaires et les dissidents FN et MPF de Jacques Bompard (Ligue du Sud) en PACA (devançant le NPA d'Ilham Moussaïd), près de 5% pour Alsace D'abord (liée au Bloc Identitaire) en Alsace (où ils sont extrêmement bien implantés), 3,55% pour le Parti de la France de Carl Lang en région Centre (Jean Verdon) et 3,7% en Basse-Normandie (Fernand Le Rachinel). Quant aux deux listes "anti-minarets" (aussi clairement que ça...) elles font respectivement 3% en Lorraine (Annick Martin) et 2,5% en Franche-Comté (Christophe Devillers). D'autres suscitent l'intérêt des électeurs, comme Richard Roudier (Ligue du Midi) en Languedoc (0,68%), Carl Lang lui-même en Haute-Normandie (1,5%) ou Thomas Joly (PdF) en Picardie (2%).

    Surtout, le Front National marque un vrai retour en force. 12% en moyenne, autour de 15% dans beaucoup de régions, et un score massif de 20,3% en PACA !

    On a l'impression, au contraire des formations de "gauche radicale" qui se disputent comme des chiffonniers un maigre résidu d'électorat, que partout où les Identitaires et les fascistes en général sont bien implantés, cela n'a pas desservi le FN : au contraire, cela a créé une sorte de dynamique. "Gauche radicale" de la démocratie bourgeoise qui se meurt, fascisme qui monte : voilà les deux tendances lourdes de notre époque. Autant dire que le ciel s'assombrit...

    Sa campagne, le parti fasciste "historique" l'a faite sur sa fameuse affiche directement inspirée de l'affiche suisse anti-minarets (affiche condamnée par le TGI de Marseille à la veille du scrutin...), d'abord en PACA puis étendue à d'autres régions (comme Rhône-Alpes).

    Le FN a su saisir la tendance historique, comprendre de quelle mobilisation réactionnaire de masse a besoin la bourgeoisie monopoliste-impérialiste aujourd'hui, au service de sa contre-révolution préventive et de ses guerres dans le monde.

    Ce sont donc des 15%, des 20% (en PACA) que les Identitaires et tous les amis de Geert Wilders, du Vlaams Belang et de la Ligue du Nord peuvent considérer comme une victoire pour eux. "Identitariser" les esprits et (sous-entendu) le FN, comme le proclamait Fabrice Robert au lendemain du vote suisse, semble en bonne voie...

    On disait, depuis presque 3 ans, le FN "fini". C'est vrai qu'il était dans un grand brouillard idéologique... Mais il avait souffert en 2007, non seulement de "l'effet Sarkozy", d'une campagne de mobilisation réactionnaire de masse axée sur la "rupture", mais aussi d'une stratégie "quartiers populaires" impulsée par Alain Soral. C'était l'époque du "discours d'Argenteuil", de Dieudonné à la fête BBR, de La Banlieue s'exprime, l'époque où Le Pen pouvait proclamer : "les 5 piliers de l'Islam ne sont pas incompatibles avec la tradition française", à contre-courant de tout ce qui se faisait et se disait dans la mouvance fasciste en Europe... La claque fut sérieuse (mais en même temps, que restait-il à l'époque pour se démarquer de Sarkozy, qui lui, avait toutes les chances d'être élu - vote utile - ?).

    Dans la dynamique de ce succès, le Front National va probablement maintenant se réaligner idéologiquement sur le reste du fascisme européen, sur un discours occidentaliste et islamophobe (thème de "l'islamisation", du "complot islamique de domination mondiale"), tout en refusant (comme les Identitaires) de "fermer le porte à la Russie", de se couper des régimes arabes laïcs et pro-occidentaux, de s'aligner complètement sur les États-Unis (en maintenant un discours anti-américain mobilisateur) afin de préserver les 2 orientations traditionnelles possibles de l'impérialisme français : atlantiste et eurasiste.

    L'UMP, n'ayant pas accompli la "rupture" promise, est bien sûr durement sanctionné - comme prévu. Et il est peu probable que les électeurs qui s'en sont détournés soient allés à gauche... Ils sont allés, ou retournés pour certains, vers l'extrême-droite, la camp de la mobilisation réactionnaire de masse. Le gouvernement Sarkozy-Fillon-Hortefeux-Besson en tiendra t-il compte pour modifier, "droitiser" sa politique ? Ou est-il déjà dépassé par l'histoire ? L'avenir très proche le dira, dans les deux cas les forces antifascistes approchent de l'instant décisif.

    Enfin, le social-libéralisme profite, en partie, du vote-sanction (son électorat est toujours plus mobilisé sous un gouvernement de droite), mais ces régionales, malgré un PS qui reprend du poil de la bête et des écolos qui reculent, confirment sa nouvelle configuration "à deux têtes". Europe Écologie s'impose comme nouvelle "boîte à idées" de la gauche classe-moyenne. Mais il n'est pas dit, vu la carte des résultats, que seuls des bobos parisiens ou des grandes villes aient voté pour la liste.

    Cela montre le caractère incontournable de la question environnementale dans les préoccupations démocratiques du Peuple. Et l'archaïsme certain, le caractère historiquement dépassé d'une grande partie du "réformisme radical" sur la question...

    Mais, pour finir, s'il y a effectivement un "coup de tonnerre" dans ces élections régionales 2010, c'est celui de l'abstention : 53%, contre 39% en 2004 (pour comparer des élections comparables). Ce taux amène à relativiser encore plus tous les chiffres donnés plus haut : certaines forces dans certaines régions peuvent sembler se maintenir, voire se renforcer, mais en réalité perdent en voix.

    Le grand vaincu de ces élections, plus que l'UMP ou la "gauche radicale", ça semble bien être l'illusion démocratique elle-même ! La présidentielle de 2007 n'a vraiment été qu'un "pic" sans lendemain, dû à la personnalité extrêmement polarisante de Sarkozy...

    Certains marxiste-léninistes ont cru utile d'intégrer le Front de Gauche, de se mettre à la remorque des forces réformistes pour aller "à la rencontre des militants", des "révolutionnaires potentiels"...

    Mais ce qui ressort de ces résultats, et (y compris) de l'abstention, c'est que les forces révolutionnaires sont certainement plus à chercher du côté des abstentionnistes, de ceux qui ne se font plus aucune illusion sur la possibilité de changer quoi que ce soit par le bulletin de vote, que dans l'électorat de toutes les listes de la "gauche radicale" réunies !!!
     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :