• youfeed-e-morto-prospero-gallinari-brigatista-del-rapimento.jpgUne semaine après sa disparition, les camarades du (nouveau) Parti communiste italien, qui ont eux-mêmes fort à faire avec la répression de l’État calotin, fascistoïde et mafieux dénommé 'République italienne', saluent la mémoire du camarade Prospero GALLINARI, ancien combattant et cadre des Brigades Rouges (BR), qui nous a quitté le 14 janvier dernier, sans doute victime des séquelles de ses graves blessures, reçues lors de son arrestation en 1979, et des dures conditions éprouvées 15 années durant dans les cachots de la Réaction. Au cours de sa vie de combattant révolutionnaire, puis de prisonnier politique, et jusqu'à son 'dernier rivage' du 14 janvier, ce fils de paysans des alentours de Reggio Emilia (plaine du Pô) n'a jamais abaissé le drapeau rouge de la lutte prolétarienne pour le communisme.

    Au total, le bilan de la période, appelée par la bourgeoisie 'années de plomb', et que l'on fait traditionnellement courir de fin 1969 (attentat de piazza Fontana) jusqu'au début, voire à la fin des années 1980, varie entre 380 et 415 mort-e-s selon les sources : pour la grande majorité, dans des attentats et des violences néofascistes, ou sous les balles ou les coups de la répression d'État ; mais il est courant (sur Wikipédia par exemple) d'attribuer l'intégralité de ces victimes... aux BR. Il y aurait eu, également, environ 2.000 blessé-e-s sérieux-ses (là encore, 80% des violences étaient policières ou néofascistes). Enfin, l'on estime qu'en 1980, quelques 4.000 personnes croupissaient pour des raisons politiques dans les geôles du régime démocrate-chrétien (qui dirigea le pays sans interruption de 1947 à 1992) : pour l'essentiel, des communistes combattant-e-s, des prolétaires en lutte ou des 'autonomes' du mouvement de 1977 ; et une petite minorité d'activistes d'extrême-droite (cherchez l'erreur...).    

    C’est un fait connu de tous et toutes, qui nous suivent depuis un petit moment déjà, que la ‘Guerre populaire de basse intensité’ menée par les organisations communistes combattantes italiennes, dans les années 1970-80, est un patrimoine politique et historique identitaire pour Servir le Peuple - là où d'autres, personnes ou groupes, se l'approprient de manière purement opportuniste, pour 'faire plus rouges que rouge'. C'est pourquoi nous nous joignons, avec toute notre ferveur révolutionnaire, à cet hommage.

    "Il y a des hommes qui luttent un jour et qui sont bons. Il y en a d’autres qui luttent un an et qui sont meilleurs. Il y en a qui luttent pendant des années et qui sont excellents. Mais il y en a qui luttent toute leur vie ; et ceux-là sont indispensables." Bertolt Brecht

    ONORE PROLETARIO, ONORE PARTIGIANO AL COMPAGNO GALLINARI !                                                                                                                                                                                                              

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    [SOURCE] 

    210284_0_1.jpgLundi 14 janvier est mort Prospero Gallinari.

    Prospero Gallinari et les autres camarades des Brigades Rouges ont réalisé dans notre pays une œuvre pionnière et généreuse pour la renaissance du mouvement communiste, même s'ils n'ont pas réussi à trouver la voie de la renaissance. La bourgeoisie et le clergé italiens sont convaincus d'avoir réussi à écraser les Brigades Rouges grâce à la féroce répression qu'ils ont déchaînée contre elles, tout comme, au niveau international, ils sont convaincus d'avoir brisé la première vague de la révolution prolétarienne grâce à leur force. Mais en réalité, les Brigades Rouges, tout comme les promoteurs de la première vague de la révolution prolétarienne, ont été vaincus par leurs propres limites dans la compréhension des conditions, des formes et des résultats de la lutte de classe, qu'ils n'ont pas réussi à surmonter. Le nouveau Parti communiste a tiré les enseignements de leur expérience.  

     

    [Extrait du Manifeste Programme du (nouveau)PCI, traduit en français par SLP ici, chap. 2, sous-chapitre 2.1.3 Les premières tentatives de reconstruire le Parti communiste]

     

    Autonomi3À la fin des années 1960 et au début des années 1970, en Italie comme dans d’autres pays, il y eut une grande période de luttes (1968 et l'Automne chaud). La lutte pour arracher à la bourgeoisie de nouvelles conquêtes de civilisation et de bien-être atteignit son sommet et toucha à ses limites : pour aller au-delà, elle devait se transformer en lutte pour la conquête du pouvoir et l'instauration du socialisme. La lutte contre le révisionnisme moderne atteignit un grand développement, sur le plan politique, dans les années 1970, lorsque des luttes revendicatives de la classe ouvrière et des masses populaires naquît un mouvement diffus de lutte armée, incarné par les Brigades Rouges. Il recueillait et donnait une expression politique à la nécessité de conquérir le pouvoir et de transformer la société, nécessité que les mêmes luttes revendicatives alimentaient dans la classe ouvrière et dans les masses populaires. De là le soutien, l'adhésion et la faveur des masses populaires vis-à-vis des Brigades Rouges, dont témoignent leur enracinement dans des usines importantes (FIAT, Alfa Romeo, Siemens, Pirelli, Petrolchimico, etc.), mais plus encore, les mesures que la bourgeoisie dût adopter pour en contrer l'influence et les isoler des masses, et la persistance de leur influence même après leur défaite.

    Par leur initiative pratique, les Brigades Rouges rompirent avec la conception de la forme de la révolution socialiste qui avait prédominé dans les Partis communistes des pays impérialistes, au cours de la longue situation révolutionnaire 1900-1945. Contrairement au Parti communiste d'Italie (Nouvelle Unité), les Brigades Rouges commencèrent à faire le bilan des erreurs et des limites qui avaient empêché les Partis communistes des pays impérialistes de mener à une conclusion victorieuse la situation révolutionnaire engendrée par la première crise générale du capitalisme. De là la richesse des enseignements qui peuvent être tirés de leur activité, en particulier à propos des lois Anni di piombo2de l'accumulation des forces révolutionnaires (qui est la tâche principale de la première phase de la guerre populaire révolutionnaire de longue durée) et du passage de la première à la seconde phase de celle-ci (construction des Forces Armées révolutionnaires).

    Elles ne réussirent toutefois pas à se libérer de l'influence de la culture bourgeoise de gauche, en particulier dans la version donnée par l'École de Francfort, que le révisionnisme moderne avait rendu culture courante et presque incontestée. Ce fait eut deux importantes conséquences :

    1. Les Brigades Rouges ne réussirent pas à corriger les erreurs d'analyse de l'époque, qui avaient dans cette culture leur fondement. Quant aux rapports entre les masses populaires et la bourgeoisie impérialiste, ils confondirent la phase culminante de la lutte des masses pour arracher des conquêtes dans le cadre de la société bourgeoise avec le début de la révolution. Quant aux rapports entre les groupes et les États impérialistes, ils confondirent l'atténuation des contradictions liée à la période 1945-1975, de reprise et de développement du capitalisme, avec la disparition définitive de l'antagonisme. Ils ignorèrent l’alternance des crises générales du capitalisme avec des périodes de reprise de l'accumulation du capital : les années 1970 étaient justement la période de passage entre la période de reprise et de développement qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale, et la nouvelle crise générale par surproduction absolue de capital.

    2. Les Brigades Rouges ne réussirent pas à s'approprier consciemment la méthode de la ligne de masse pour rester à l'avant-garde du mouvement des masses, y compris dans la nouvelle phase produite par le début, au milieu des années 1970, de la nouvelle crise générale. Ils ne firent pas un bilan juste du mouvement communiste : ils combinèrent des illusions envers les révisionnistes modernes, dans les pays socialistes et dans les Partis communistes dirigés par eux, avec l'abandon de l'expérience historique du mouvement communiste à cause des succès que les révisionnistes modernes avaient réussi à remporter dans celui-ci.

    prosperogallinariSuite à ces erreurs, le lien des Brigades Rouges avec les masses cessa de croître et commença au contraire à s’affaiblir, les Brigades Rouges se mirent à fulminer contre "l'arriération" des masses et sombrèrent dans le militarisme (théorie de la 'suppléance'). De cette manière, ils favorisèrent l’attaque de la bourgeoisie qui était centrée sur l’exploitation de leurs erreurs et de leurs limites pour les isoler de masses.

    C’est à cause de ces pas en avant non accomplis, de cette autocritique non menée à son terme, que leur lien avec les masses populaires, plutôt que de se développer, s'affaiblit ; et les Brigades Rouges furent écrasées par l'offensive de la bourgeoisie, à laquelle les révisionnistes modernes participèrent comme à une entreprise vitale pour eux.

    La lutte menée par les Brigades Rouges montra, pour la troisième fois dans l'histoire du mouvement communiste de notre pays, après la période du Biennio Rosso et la Résistance, comment, dans un pays impérialiste, peuvent se présenter les conditions pour le passage de la première à la seconde phase de la guerre populaire révolutionnaire de longue durée. Elle montra aussi, d'autre part, que la possibilité d'exploiter avec succès les conditions favorables dépend étroitement de la qualité de l'accumulation des forces révolutionnaires qui a précédé leur apparition.

    politicaerivoluzione 500Le PCd'I et les BR constituent les deux principales tentatives infructueuses de reconstruction du Parti communiste. Les deux cherchèrent à répondre à cette nécessité pour la classe ouvrière et les masses populaires de notre pays. Mais ni l'un ni l'autre n’atteignirent leur objectif. Pour recueillir ce qu’ils ont produit de positif et tirer les enseignements de leur expérience, il est indispensable de comprendre les motifs de l'échec.

    L'histoire du mouvement communiste est riche en succès et en défaites. Les uns et les autres nous montrent que la contradiction entre théorie et pratique se manifeste dans les contradictions entre théorie révolutionnaire et construction de l'organisation révolutionnaire, entre le Parti révolutionnaire et le mouvement des masses, et dans d’autres encore. Quel est le juste rapport entre les deux termes de chacune de ces contradictions ? L'histoire du mouvement communiste nous enseigne :

    1. l'unité des deux termes : l’un ne peut se développer au-delà de certaines limites, que si l'autre se développe aussi dans une mesure adéquate ;

    2. que dans la lutte de la classe ouvrière pour le pouvoir, en général, sauf exceptions, la priorité revient au premier terme, bien que dans l'absolu, c'est-à-dire en considérant les choses dans un horizon plus vaste, la priorité revient au second.

    En effet, en termes généraux, la théorie du mouvement communiste est le reflet dans nos esprits, la synthèse, de l'expérience pratique de la lutte de la classe ouvrière et des masses populaires. Marx et Engels ont produit une théorie révolutionnaire en synthétisant l'expérience de la lutte des ouvriers. C’est grâce à cette théorie que le mouvement communiste a créé les Internationales et les Partis socialistes d'abord, les Partis communistes ensuite. Lénine a résumé la lutte qu’il mena dans les premières années du siècle dernier, en disant : « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire ». Mao Zedong a fait en 1940 le bilan de la révolution chinoise en disant : « Depuis presque vingt ans, nous avons fait la révolution sans avoir une conception claire et juste de la révolution, nous agissions à l'aveuglette : de là la cause des défaites que nous avons subi ».

    autonomia operaiaDe même, en termes généraux, le Parti révolutionnaire est produit par la rébellion des masses opprimées. Mais dans les conditions auxquelles est arrivé le mouvement communiste, le mouvement des masses opprimées ne réussit à se développer au-delà d'un niveau élémentaire, revendicatif, que grâce à l'activité du Parti communiste. Les communistes n’ont pas réussi à construire un Parti communiste à la hauteur de son rôle et de la tâche de promouvoir et diriger la guerre populaire révolutionnaire de longue durée, et ceci a empêché l'instauration du socialisme dans les pays impérialistes. Ce n'est pas "l'intégration de la classe ouvrière dans le système capitaliste", ce n'est pas "l'incorporation des rapports de production capitalistes dans les forces productives" (donc la disparition de la contradiction entre les rapports de production et les forces productives), comme le soutient l'École de Francfort, qui a empêché la révolution socialiste dans les pays impérialistes. Le chaînon manquant est un Parti communiste adapté à sa tâche historique et à son rôle, et ce qui est principal pour rendre le Parti communiste adapté à sa tâche historique et à son rôle, c'est la conception du monde sur laquelle il se fonde et par laquelle il oriente son activité. Donc, la solution est dans la lutte entre deux lignes dans la construction du Parti communiste.

    NapLa bourgeoisie cherche de toutes ses forces à empêcher une telle construction du Parti. C’est un aspect essentiel de la contre-révolution préventive. Par la répression lorsqu’elle ne peut pas faire autrement, mais normalement, à travers son influence parmi les communistes. Dans tout Parti communiste et dans chacune de ses organisations, face à chaque pas en avant et à chaque décision importante, il y a une gauche et une droite. La gauche reflète la position de la classe ouvrière qui lutte pour le pouvoir ; la droite reflète la position de la bourgeoisie. La droite personnifie l'influence de la bourgeoisie dans le mouvement communiste et la véhicule. La bourgeoisie est au pouvoir depuis des siècles et a beaucoup hérité des précédentes classes exploiteuses. La classe ouvrière lutte pour le pouvoir depuis seulement 160 ans et ne l'a exercé que durant de brèves périodes et dans quelques pays où le capitalisme était relativement peu développé. Donc, la bourgeoisie a encore aujourd'hui une expérience du pouvoir incomparablement plus vaste que celle de la classe ouvrière. Dans le champ superstructurel, la bourgeoisie a un système complet de conceptions, lignes et méthodes. Sa conception du monde s'est consolidée en habitudes et préjugés. Elle a acquis la force, l'évidence et l'objectivité du lieu commun. Il s’ensuit que dans les Partis communistes, la droite a la vie plus facile que la gauche. La droite s'appuie sur ce qui existe déjà, est évident, est habitude, ce que "l'on a toujours fait ainsi", ce que "tout le monde pense". La gauche doit élaborer, découvrir, se projeter dans le nouveau, risquer de commettre des erreurs, corriger le tir jusqu'à trouver la voie vers la victoire. À la droite, il ne faut pas une théorie révolutionnaire ; la gauche ne peut pas progresser sans, et doit la synthétiser. La droite peut se renforcer des erreurs de la gauche et de la confusion de la contradiction entre théorie révolutionnaire et influence de la bourgeoisie avec la contradiction entre théorie juste et théorie erronée, entre nouveau et ancien. La droite entrave la création gallinari_prospero_cella.jpgd'une théorie révolutionnaire, la gauche la promeut et sans théorie révolutionnaire elle ne peut pas diriger. Les erreurs du Parti dans la compréhension de la situation profitent à la droite, et sont délétères à la gauche.

    La gauche du PCI n'a pas réussi à développer une théorie de la révolution socialiste dans notre pays au cours de la première crise générale du capitalisme, bien que le Parti se fût proposé de guider la révolution socialiste. Pour cette raison, la droite a réussi à prévaloir dans le Parti. Mao nous a enseigné que si le Parti n'applique pas une ligne juste, il en applique une erronée ; que s’il n'applique pas consciemment une politique, il en applique une à l'aveuglette. Il est très difficile que le Parti communiste réussisse à remporter la victoire avec une ligne appliquée à l'aveuglette ; il est plus probable qu’une ligne appliquée à l'aveuglette favorise ce qui existe déjà, la direction de la bourgeoisie, plutôt que ce qui doit émerger : la direction de la classe ouvrière.

    Le Parti communiste d'Italie (Nouvelle Unité) et les Brigades Rouges ne comprirent pas que pour avancer, il fallait un bilan de l'expérience de la première vague de la révolution prolétarienne et de la construction du socialisme, qui était synthétisé à son plus haut niveau dans le maoïsme ; ils ne comprirent pas que le révisionnisme moderne ne consistait pas seulement en un reniement de la révolution comme moyen pour instaurer le socialisme, mais exploitait les limites de la conception du monde et de la méthode de direction et de travail des communistes : il fallait dépasser ces limites pour vaincre le révisionnisme moderne ; ils ne comprirent pas, enfin, que le capitalisme, dans notre pays aussi, était au sommet d'une période de développement et que la seconde crise générale du capitalisme s'annonçait à peine. Pour ces raisons, leurs tentatives de reconstruire le Parti communiste furent défaites.

     


     

    Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d'une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand cœur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l'histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, dont toutes les prières de leurs prêtres ne parviendront pas à les libérer. K. Marx, La guerre civile en France (1871)

     

    Aux révolutionnaires emprisonnés

    [Appel du n°1 de La Voce - mars 1999]

     

     La Commission préparatoire au Congrès de fondation du (nouveau) Parti communiste italien, en débutant ses travaux, adresse un salut chaleureux aux révolutionnaires emprisonnés, exilés et en cavale des Brigades Rouges et des autres Organisations Communistes Combattantes qui, dans les années 1970, ont empoigné l'étendard de la lutte pour le communisme.

    savastaVous avez été l’expression la plus haute et êtes aujourd'hui les témoins vivants de la lutte vaste, généreuse et acharnée menée à cette époque par la classe ouvrière, le prolétariat et les masses populaires. L’importance que revêt cette lutte pour la cause du communisme, est à la hauteur de l’ecration sous laquelle la classe des oppresseurs et des exploiteurs cherche à en enterrer jusqu'au souvenir. La défaite, le dénigrement et les trahisons n'effaceront jamais la contribution que cette lutte a apporté à la cause du communisme, car les communistes sauront mettre à profit ses enseignements. La lutte pour le communisme menée en Italie dans les années 1970 a été la répétition générale de la future révolution socialiste. Elle a rendu le nom des Brigades Rouges célèbre dans le monde entier, et fait en sorte que celles-ci soient encore invoquées aujourd'hui par les prolétaires indignés des vexations que la bourgeoisie impérialiste inflige aux masses populaires. Les BR vivent encore aujourd'hui dans les mémoires, et inspirent des sentiments et des élans positifs, en particulier parmi les jeunes. Ceux qui se sont érigés comme vos vainqueurs ont montré leur véritable nature en éliminant les conquêtes de bien-être et de civilisation arrachées par les masses populaires, et en poussant celles-ci, autant qu'ils le peuvent, vers un avenir synonyme pour elles d'exclusion, de misèred'abrutissement, de barbarie et de souffrance. Les noms de vos vainqueurs, de Moro à Andreotti, du Pape à Berlinguer, sont d'ores et déjà couverts d'opprobre et seront pour toujours maudits par les travailleurs, que leur victoire a maintenu dans une condition qui chaque jour devient plus dure. Leur victoire est la mère de toutes les barbaries auxquelles les masses populaires doivent aujourd'hui faire face.

      La lutte pour le communisme reprendra, corrigeant les erreurs et surmontant les limites qui l’ont hier conduite à la défaite, parce que la classe ouvrière, le prolétariat et les masses populaires n'ont pas d'autre porte de sortie positive, à la crise générale du capitalisme, que l'instauration du socialisme. Le prolétariat ne s'est pas repenti ! 
     
    250px-Br processo Au nom du (nouveau) Parti communiste italien, nous demandons à chacun de vous de contribuer par votre propre expérience et votre propre témoignage à la reconstruction du Parti communiste. Chacun de vous est dépositaire d'un patrimoine de confiance et d'espérance accumulé par tous ceux qui dans les années 1970 ont combattu. C'est ce patrimoine que la bourgeoisie impérialiste fait tout pour détruire ou mettre à son service, en cherchant à vous contraindre à la reddition. Ce patrimoine est précieux pour la cause du communisme : mettez-le à profit !   

     Dans le même temps, au nom du (nouveau) Parti communiste italien, nous faisons appel à toutes les FSRS (Forces subjectives de la Révolution socialiste) pour que soient poursuivies et intensifiées toutes les initiatives, comme celles prises dans le passé par l’ASP, permettant de promouvoir la solidari des masses populaires à votre égard : la solidarité des masses populaires est la force principale dont vous disposez contre les pressions de la bourgeoisie impérialiste.

     Les camarades tombés en combattant pour la cause du communisme resteront toujours dans le cœur et dans la mémoire des membres du (nouveau) Parti communiste italien ; les organisations du (n)PCI porteront leurs noms aux côtés de ceux des dirigeants et des combattants qui se sont distingués au cour des 150 années d'histoire du mouvement communiste.

    intervista-a-loris-paroli.jpg


    Intéressant à parcourir également, ce document publié à l'origine par l'AA Bordeaux, sur la 'grande' organisation révolutionnaire de la première moitié des années 1970 (les BR étaient alors embryonnaires) : Lotta Continua - "Prenons la Ville !" (1970)

    Certes, Lotta Continua acheva sa course dans l'illusion électoraliste (avec Democrazia Proletaria), mais ce document du tout début des 'années de plomb' jette néanmoins brillamment les bases (avec, certes, beaucoup de 'spontanéisme') d'une stratégie de Guerre populaire en pays impérialiste ou industriel-avancé. Après l'auto-dissolution de l'organisation (1976), beaucoup de militant-e-s s'orienteront à leur tour vers la lutte armée, dans l'autre 'grande' OCC de la seconde moitié de la décennie : Prima Linea (1976-81).

    Et pour finir en musique, deux airs emblématiques de l'époque :

       Paroles

      Paroles
     

     


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  • Mali-75-des-Francais-favorables-a-l-intervention-militaire-.jpgIl est facile, lorsque "l'extrême-gauche" (le mouvement révolutionnaire authentique, marxiste et libertaire), plutôt que de se pâmer sur la "formidable organisation" des manifestants cathos homophobes du 13 janvier, s'intéresse un peu au monde qui l'entoure, et notamment à la dernière expédition néocoloniale de NOTRE impérialisme BBR en Afrique, de crier au "cosmopolitisme" et à la "géopolitique"... Il serait pourtant bien de savoir, d'une part, en quoi le terme de "cosmopolitisme" (mis à part dans les dernières années du secrétariat général de Staline - pour déclencher des "purges" à forte connotation antisémite, notamment sous l'impulsion d'Abakoumov - et dans l'ère révisionniste qui a suivi), terme récurrent de toute la droite réactionnaire de la première moitié du 20e siècle pour désigner l'internationalisme révolutionnaire prolétarien, relève en quoi que ce soit du patrimoine communiste ; et, d'autre part, en quoi cela ne serait pas le rôle, une tâche  FONDAMENTALE des révolutionnaires communistes, que d'étudier, analyser, comprendre et expliquer aux masses l'actualité du monde qui nous entoure.  

    Il est évident qu'en l'état actuel de nos forces, nous, communistes et révolutionnaires en général, ne pouvons pas faire grand chose pour empêcher, ne serait-ce même qu'entraver un peu, les expéditions guerrières impérialistes qui secouent à intervalle régulier telle ou telle partie du monde, depuis la "Fin de l'Histoire" proclamée à cors et à cris voilà plus de 20 ans. Il est évident, aussi, que dans toutes ces guerres depuis plus de 20 ans, il s'agit d'une forme particulière d'internationalisme : un internationalisme vis-à-vis des peuples, qui sont les victimes sacrificielles des règlements de comptes entre bandits assoiffés d'or (or jaune, noir, vert, blanc, peu importe) ; mais, hormis dans quelques cas où opèrent des forces communistes (Pérou, Inde, Philippines, Népal hier), ou des forces démocratiques et progressistes (Palestine, Kurdistan, Amérique latine, Sahara occidental, delta du Niger etc.), il n'y a pas de camp à choisir, pas de camarades révolutionnaires ou progressistes dans la ligne de mire de l'agresseur - mais, bien au contraire, des régimes ou des forces réactionnaires, fascistes ou obscurantistes, des Milosevic, des Saddam Hussein, des mollahs iraniens, des talibans etc., même s'il faut évidemment souligner le scandaleux déséquilibre des forces (il n'y a pas eu de guerres "symétriques" depuis 1945). 

    article photo 1358580018713-1-HDPOUR AUTANT, nous ne sommes pas sans tâches immédiates, et nous en avons même une essentielle pour tout communiste, tout révolutionnaire prolétarien : il s'agit de ce que Marx et Engels auraient appelé la lutte pour la Weltanschauung, la lutte pour la CONCEPTION DU MONDE. Dans chaque conflit, de part et d'autre de la ligne de front, les forces possédantes qui s'affrontent vont chercher à mobiliser les larges masses du peuple derrières leurs objectifs. Elles vont s'y employer par leurs canaux de propagande, principalement médiatiques. Elles vont diffuser LEUR lecture du conflit, une lecture BOURGEOISE, RÉACTIONNAIRE. Par exemple, dans la présente guerre au Sahara-Sahel, la bourgeoisie BBR volant au secours de ses pantins néocoloniaux va exposer sa lecture des événements : une guerre "pour la démocratie et la civilisation", contre d'abominables terroristes moyenâgeux qui imposent la charia, coupent les mains, lapident les couples non-mariés et détruisent des mausolées patrimoine de l'humanité ; tandis que les "relais" propagandistes des "parrains" du djihad vont exposer la leur : une "guerre sainte" de l'islam, pour Allah et son Prophète, contre les "Croisés" occidentaux et les "Juifs" maîtres du capitalisme occidental, etc. etc. Ce faisant, elles ne vont pas seulement s'assurer le soutien des masses dans le conflit en cours : elles vont également diffuser, massivement et pour des années voire des générations, leur conception du monde au sein des masses, elles vont les éduquer, les formater dans cette vision des choses réactionnaire, et s'assurer ainsi leur fidélité permanente. À cela, nous, communistes, devons opposer NOTRE LECTURE, révolutionnaire, prolétarienne, des événements ; et, à travers cela, NOTRE CONCEPTION COMMUNISTE DU MONDE. PERSONNE - se prétendant communiste - N'EST EN DROIT DE SE SOUSTRAIRE À CE DEVOIR PROLÉTARIEN. Il en va, à terme, du triomphe de notre conception du monde, du NOUVEAU sur l'ancien, et donc de la révolution prolétarienne que nous prétendons mener à bien.

    Cette intervention militaire au Mali, donc, dont il faut rappeler qu'elle est la troisième intervention directe de l'armée impérialiste BBR en moins de deux ans (après la Côte d'Ivoire et la Libye), s'inscrit totalement (même si l'on peut la considérer comme 'mineure', mais enfin, il n'y a pas de bombe sur le coin de la figure qui soit 'mineure') dans ce qu'il faut bien appeler la Quatrième Guerre mondiale impérialiste, laquelle semble entrée, depuis la grande crise de 2008, pour l'impérialisme BBR en tout cas, dans une phase de "fuite en avant". 

    En effet, depuis l'époque où Marx et Engels rédigeaient leur Manifeste, l'on peut considérer que l'humanité a traversé 5 grandes périodes où "la violence accouche de l'histoire" :

    guerre1870- une "Guerre mondiale zéro" qui commence au lendemain du "Printemps des Peuples" de 1848 ; elle brise l'ordre européen et mondial du Congrès de Vienne (1815) et voit le parachèvement de l'époque des révolutions bourgeoises et l'entrée de la planète dans l'ère impérialiste (symbolisée par la Conférence de Berlin en 1884-85) ; à travers une série de conflits localisés mais d'une violence meurtrière jamais vue jusqu'alors : guerre de Crimée (1854-56), guerre civile américaine (1861-65, 600.000 mort-e-s...), guerres de l'Unité italienne (1859-70, la bataille de Solferino verra la naissance de la Croix-Rouge internationale), guerre d'extermination de la Triple Alliance (Brésil-Argentine-Uruguay, pilotés par l'Empire britannique) contre le Paraguay (1865-70, 300.000 mort-e-s soit 60% de la population), guerres de l'Unité allemande (1864, 1866 et celle de 1870-71 contre la France - 250.000 mort-e-s en 6 mois), guerre russo-turque de 1877-78 etc. etc.

    - la Première Guerre mondiale, due à la "saturation" du partage colonial de la planète ; son point culminant est évidemment la Grande Guerre de 1914-18, mais elle s'étend en réalité de la s-14-18toute fin du 19e siècle (guerre hispano-américaine de 1898, guerre anglo-boer de 1899-1902 puis guerre russo-japonaise de 1904-1905, guerres balkaniques de 1912-13 etc.) jusqu'au Traité de Lausanne (1923) qui met un terme à la guerre nationale turque de Mustafa Kemal contre les puissances victorieuses de 1918. Elle voit la naissance de la première vague de la révolution prolétarienne mondiale avec la Révolution bolchévique d'Octobre 1917 et débouche sur le monde instable de la Société des Nations, de "l'Allemagne paiera" et du "cordon sanitaire" contre l'Union soviétique.

    woii-300x281.png- la Deuxième Guerre mondiale, qui commence au lendemain de la grande crise de 1929 (invasion japonaise de la Mandchourie en 1931, etc.) et s'achève fin 1945 ; avec deux aspects : un affrontement inter-impérialiste pour le repartage du monde (1914-18 n'ayant rien réglé) et un affrontement mondial entre révolution et contre-révolution, cristallisé à travers l'affrontement entre l'Allemagne nazie (avec ses alliés) et l'URSS (avec les Partis communistes qui luttent dans l'Europe et l'Asie occupée), qui est de loin le front principal du conflit. 

    Ces deux grandes guerres balayent le "monde de 1900" et débouchent sur un monde reconfiguré, celui des "Trente Glorieuses" et de

    - la Troisième Guerre mondiale (1946-1990), ou "Guerre qui n'avait de froide que le nom". Elle recouvre trois aspects principaux : affrontement entre révolution et contre-révolution, lutte des nations opprimées par l'impérialisme contre celui-ci, lutte entre le "monde libre" impérialiste occidental et le social-PJFE Captureimpérialisme soviétique (URSS devenue une puissance impériale, et non plus le Centre de la révolution mondiale) ; peu de conflits se détachant de l'un (au moins) de ces trois aspects (guerre du Biafra opposant impérialismes BBR et britannique, guerre Iran-Irak contre la "révolution islamique" iranienne). C'est le premier conflit sans affrontement direct entre grandes puissances et pays avancés (d'où son nom de "Guerre froide"), le "Tiers Monde" étant l'unique théâtre d'opération (sauf lors des soulèvements est-européens contre le social-impérialisme). Bien que liées au social-impérialisme, certaines luttes revêtent néanmoins un aspect progressiste face à l'ordre politique et social brutal imposé par le "monde libre" dans certaines parties du monde : luttes d'indépendance des colonies portugaises d'Afrique (1960-75), guérillas d'Amérique latine (1960-90), luttes d'Afrique australe contre le régime sud-africain d'apartheid (1975-90), luttes du Machrek arabe contre l'occupation sioniste ; toutefois, au terme de la "Guerre froide", la plupart de ces forces seront intégrées, sous une forme social-démocrate voire social-libérale, au système impérialiste mondial (ANC, OLP, FSLN, FMLN, régimes "socialistes" divers etc.).

    - enfin, à peine achevée la précédente avec la débâcle de l'URSS (1989-91), débute une Quatrième Guerre mondiale pour le repartage impérialiste du monde post-soviétique, commençant dès la guerre du Liberia (1989-97) et la Guerre du Golfe (1990-91).drc children congolese child soldiers congo child fighters

    Celle-ci est toujours en cours ; elle a connu un "coup d'accélérateur" après le 11 Septembre 2001 (lorsque des éléments djihadistes arabes et pakistanais ont frappé au cœur de la première puissance impérialiste mondiale), ce qui n'a pas empêché la décennie précédente de connaître, déjà, des conflits très meurtriers (Golfe, Afrique, ex-Yougoslavie, ex-URSS, Algérie, Colombie etc.).

    Ses principaux acteurs sont :

    - un bloc impérialiste "anglo-saxon" autour de l'impérialisme US, du Royaume-Uni, des pays du Commonwealth (Canada, Australie etc.), auquel se rattachent globalement le Japon, les "dragons" asiatiques (Corée du Sud, Taïwan etc.) et Israël ; cela non sans contradictions, parfois, entre ces puissances ;

    gaza_bombardements_en_pleine_ville.jpg- un bloc impérialiste "européen" autour du "couple" franco-allemand ; là encore non sans contradictions occasionnelles (l'impérialisme BBR et l'impérialisme allemand, par exemple, n'avaient pas le même agenda dans les Balkans ni en Libye) ;

    - l'impérialisme russe, héritier du social-impérialisme soviétique, défait en 1989-91 et tentant de se redresser ou, a minima, de sauvegarder son "pré carré" ;

    - le nouvel impérialisme chinois, émergé à la fin du 20e siècle après la grande accumulation capitaliste de l'époque Deng ;

    - des pays non-impérialistes mais "émergents", à fort PNB et forte croissance, qui cherchent à s'affirmer au niveau régional voire international (d'où la création en 1999 du "G20", intégrant un certain nombre de ces pays à la "cour des grands"), et forment ainsi des "centres de pouvoir secondaires" : pays d'Amérique latine comme le Brésil, l'Argentine ou le Mexique, le Venezuela à la tête de l'ALBA ; Inde, Pakistan ; Afrique du Sud avec l'instrument de "l'Union africaine" ; Arabie saoudite et pays du Golfe arabo-persique comme notamment le Qatar (finançant à travers le monde les forces "islamistes" sunnites), avec des instruments comme l'OPEP, la Ligue arabe ou l'Organisation de la Conférence islamique ; Turquie, Iran (appuyant les forces "islamistes" chiites), Malaisie, Indonésie, etc. etc.

    guerre_iraq.jpgLà encore, les théâtres d'opération sont intégralement dans le "Tiers Monde". Il y a des interventions directes (ex-Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Libye, guerres sionistes au Proche-Orient, interventions BBR en Afrique...), mais aussi et surtout beaucoup de guerres menées par telle ou telle "puissance" en fomentant des groupes combattants armés contre ses rivaux ; d'où l'appellation médiatique bourgeoise de "guerre contre le terrorisme". L'on compte quatre principaux fronts de Guerre populaire menée par des Partis maoïstes (Inde, Philippines, Pérou, État turc ; la Guerre populaire au Népal s'est achevée en 2006 et sa reprise n'est pas encore à l'ordre du jour) ; et quelques fronts où opèrent, dans les limites de leur conception du monde (non MLM), des forces de progrès (Colombie, sud du Mexique, Paraguay, Palestine-Liban, Kurdistan, Irlande du Nord occupée etc.). Les luttes de libération basque et tamoule sont actuellement en état de défaite militaire. 

    Revenons à présent à notre sujet, le Mali. Quelles sont les forces en présence ?

    - Ceux qui ont "ouvert la boîte de Pandore", le MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad, touareg laïc), sont aujourd'hui complètement sur la touche, évincés par les djihadistes et ne contrôlant plus aucun territoire. Dernièrement, par leurs porte-paroles, ils ont offert de mettre leurs dernières maigres forces (quelques milliers de combattants) au service de la contre-offensive franco-malienne contre les "terroristes".

    Aqmi-appelle-la-France-a-negocier-la-liberation-des-otages_.jpg- La fameuse AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), groupe armé issu du GIA algérien à travers le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), ayant trouvé refuge dans les régions sahariennes du Mali, du Niger et de Mauritanie après la guerre civile algérienne des années 1990 ; ils y ont prospéré dans la contrebande et l'enlèvement d'Occidentaux contre rançon, et fait des recrues sur place.

    - Deux scissions de cette dernière : 1°/ le MUJAO, plus "noir", "subsaharien" (moins "maure", arabe et touareg), tourné vers l'Afrique de l'Ouest sahélienne où il voudrait instaurer un califat islamique ; contrôlant la ville de Gao et entretenant des liens vraisemblables avec le groupe nigérian Boko Haram (le Nord du Nigéria n'est pas très loin de là) ; et 2°/ le groupe Belmokhtar (les "Signataires par le sang"), plus arabe, "maure", algérien ; il est l'auteur de la prise d'otage d'In Amenas (à la frontière algéro-libyenne).

    Salafistes ultras, ces groupes n'ont probablement pas de véritable soutien étatique ; ils sont vraisemblablement financés à titre privé par de richissimes oligarques et grands-capitalistes de la péninsule arabique et du monde arabe et musulman en général.

    1647774 3 5af0 des membres du mouvement islamiste shebab en- enfin, dernier (et de loin le plus important) larron, Ansar Dine : il s'agit d'une scission majoritaire du mouvement national touareg au Mali, abandonnant l'idée d'un Azawad indépendant laïc, pour prôner un État islamique sur tout le Mali voire tout le Sahara et l'Afrique sahélienne... Son leader, Iyad ag Ghali, ancien rebelle touareg des années 1990 puis conseiller... à la présidence malienne, et enfin conseiller consulaire en Arabie saoudite (c'est là qu'il aurait noué des liens avec le djihadisme, avant d'être expulsé), a réussi à littéralement siphonner les forces qui auraient normalement dû échoir au MNLA, héritier légitime de la rébellion historique touarègue. Il faut dire qu'Ansar Dine... paye beaucoup mieux ses combattants que le MNLA, tout simplement ! Derrière le groupe se profile assez nettement, selon de nombreuses sources, à travers des ONG "humanitaires", l'argent du Qatar (voir ici et ici). La stratégie de l'émirat pétrolier (en tout cas, d'une partie de ses oligarques) semble ici très claire : à travers un grand le-porte-parole-d-ansar-dine-photo-afpkhalifa qui couvrirait toute l'Afrique de l'Ouest sahélo-saharienne, obtenir un terrain d'investissement pour ses dizaines de milliards de pétro-dollars (sur)accumulés au fil des années ; chose évidemment inacceptable pour les impérialistes occidentaux et même russes et chinois (qui ne s'opposent pas, pour le coup, à l'intervention). C'est peut-être, aussi, ce qui fait passer Ansar Dine pour un groupe plus "politique", "pragmatique", "ouvert à la négociation" que ses acolytes... 

    En face, une armée malienne en déliquescence, dont les éléments "d'élite", formés par des conseillers US ces dernières années... ont fait défection en masse, avec armes et équipement, pour rejoindre les groupes rebelles, tandis que d'autres renversaient à Bamako le gouvernement "légal" jugé responsable de la déroute ; et désormais, donc, l'armée impérialiste BBR, qui sera bientôt renforcée par des contingents de ses "sous-préfectures" africaines : Niger, Burkina, Sénégal, Togo, Bénin, Tchad, peut-être Côte d'Ivoire, ainsi que du Nigeria (néocolonie anglo-saxonne). L'impérialisme BBR bénéficie en outre de l'appui logistique d'un certain nombre de partenaires occidentaux : Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Belgique, Allemagne etc.

    [Lire aussi (analyse très proche de la nôtre) : « Les mensonges de la propagande de guerre française au Mali _ Investig’Action.pdf »]

    De leur côté, les djihadistes ne bénéficient bien sûr d'aucun soutien diplomatique officiel (qui s'y risquerait ?) mais il est évident qu'ils ont leurs "relais", leurs "connections", non seulement dans le Golfe mais aussi dans toutes les grandes bourgeoisies et les régimes oligarchiques arabes, au plus haut niveau - comment expliquer, sinon, la surréaliste prise d'otage d'In Amenas par quelques dizaines de combattants sur un site gazier - normalement - ultra-surveillé par l'armée algérienne ?

    1817586_5_663c_francois-hollande-en-compagnie-de-khalifa-be.jpgHasard ou pas (la visite était, dit-on, programmée de longue date... mais enfin, l'intervention aussi), quelques jours après le déclenchement de l'opération Serval, Hollande s'est rendu aux Émirats arabes unis (Dubaï et Abu Dhabi). Il a, bien évidemment, dû y aborder la question d'une coopération répressive plus étroite de ces émirats, dont il est de notoriété publique que les forêts de gratte-ciels sont des plaques tournantes du financement international du djihad. Mais, même avec les meilleures déclarations de principe, comment le pourraient-ils ? Le djihad est un investissement, ces émirats/places financières brassent des milliards et des milliards de dollars et, dans un système capitaliste mondial, on ne peut pas forcer l'argent à dormir dans des coffres : chaque dollar doit s'investir, se valoriser, et construire des tours de 1000 mètres de haut et des îles artificielles géantes ne peut y suffire... Notre monde capitaliste, en ce début de 21e siècle, est en surproduction absolue, planétaire de capital ; et ce capital suraccumulé gémit dans les entraves d'un monde trop petit pour lui, il hurle de toutes ses forces, et il ne peut briser ce carcan qu'en allant à l'affrontement antagonique avec les autres Centres d'accumulation : il ne peut sortir de cette situation que par la GUERRE.

    Nous avons donc, là, un conflit sur un front très localisé (la moitié d'un État africain) mais aux ramifications mondiales : bel et bien une expression de la Quatrième Guerre mondiale en cours ; une guerre de tous contre tous, sans véritable camp/"bloc" ni ligne de front définie, un panier de crabes où chacun avance ses pions (en essayant de ménager les "plus grosses bêtes" que lui), une foire d'empoigne généralisée dans un monde en crise capitaliste générale par surproduction absolue de capital, en repartage général et permanent des (juteux) terrains d'investissement depuis que la débâcle soviétique a démantelé le "tranquille" schéma des "blocs".

    mine or-maliAttardons-nous un peu sur le déroulement des événements au Mali depuis un an, depuis le début de la "rébellion du Nord". Ce seront là, bien sûr, des spéculations (nous ne sommes pas dans le "secret des dieux"...), à poser au conditionnel ; mais il y a fort à parier qu'elles ne soient pas si éloignées que ça de la réalité, et dans tous les cas, elles donnent une bonne idée d'à quoi ressemble ce panier de crabes de la Quatrième Guerre mondiale qui secoue le monde impérialiste ; avec son capital suraccumulé et entravé qui pousse de toute part pour trouver un terrain où se valoriser, au détriment des capitalistes concurrents. Le Mali, depuis la "reprise en main" de 1968 (avec Moussa Traoré, qui instaure 23 ans de dictature garde-chiourme), après la période "tiers-mondiste" de Modibo Keïta, est évidemment une semi-colonie de l'ancienne métropole BBR, pour ne pas dire un protectorat de fait, une néocolonie (toute-puissance de l'ambassade, monnaie - le franc CFA - contrôlée par la Banque de France, pas de présence militaire permanente mais les troupes BBR sont au Sénégal voisin, au Tchad et en Côte d'Ivoire non loin). Mais il faut voir que ce pays est riche en ressources (notamment, c'est le troisième producteur d'or du continent, depuis d'importantes prospections en 1996-98), et qu'il a connu, ces dernières années, une assez forte croissance de son PIB (5,8% en 2010, 5,3% en 2011, et autour de 5% en moyenne depuis le milieu des années 1990). Il est logique que des pays extrêmement pauvres, au très faible PIB, partant pour ainsi dire "de rien", connaissent une beaucoup plus forte croissance que des pays très avancés, industrialisés de longue date voire "post-industriels" (comme les pays d'Europe de l'Ouest, d'Amérique du Nord ou le Japon), et que la moindre croissance de leur PIB représente (forcément) un pourcentage (taux de croissance) important de celui-ci. Mais enfin, hommes-du-mnla-posant-devant-le-drapeau-de"point trop n'en faut"... Il ne faudrait pas, pour l'impérialisme de tutelle, que ces paltoquets commencent à l'ouvrir un peu trop grand.

    Or c'est peut-être ce que commençait à faire l'ancien président, "ATT" (Amadou Toumani Touré), qui pouvait commencer à être tenté par le "premier niveau" de l'affirmation nationale bourgeoise face à l'impérialisme, c'est-à-dire la technique consistant à "jouer" les puissances impérialistes les unes contre les autres. Il commençait peut-être à un peu trop se tourner vers l'impérialisme US, intéressé par le Mali pour y installer son "état-major Afrique" (AFRICOM), sans parler de la Chine, toujours à l'affût sur le "continent noir".

    Il est donc fort possible que, dans certaines mouvances de la bourgeoisie impérialiste BBR, ait germé l'idée de couper le Mali en deux, de pousser en faveur d'une large autonomie du Nord (Azawad) en s'appuyant sur la revendication touarègue, selon le précepte simple que deux entités séparées (de fait) seront plus faibles, donc plus dociles qu'un seul État unifié. Le Nord du Mali, recelant potentiellement des hydrocarbures et de l'uranium, aurait pu être beaucoup plus facilement contrôlé et pillé à travers une entité "autonome" touarègue devant tout à la "médiation" de l'ancien colonisateur. Il est fort possible, même, que dans le contexte de la guerre libyenne ces éléments impérialistes aient obtenu la neutralité (voire la défection) de la "légion touarègue" de Kadhafi (venue ensuite grossir le MNLA) en échange de cette promesse de retour au pays avec un Azawad "libre" à la clé. [NDLR MàJ c'est confirmé par un ancien dirigeant du mouvement dans cet entretien : http://panafricain.tv/la-france-nous-avait-donne-son-feu-vert-pour-lindependance-de-lazawad-contre-les-ressources-minieres/] 

    1815474 5 1769 le-conseil-de-securite-a-demande-un 9c91539bMais voilà, le plan c'était le plan... et la réalité fut toute autre. Il y avait AQMI (qui a connu depuis la scission du MUJAO et de Belmokhtar), avec ses financiers oligarques arabes de tout poil, mais bon : c'était un groupe errant, ne parvenant pas à se "fixer" réellement quelque part, et combattu efficacement tant par les armées nationales (malienne, mauritanienne, algérienne, nigérienne) que par les tribus (armées) maures et touarègues. Tout cela restait "sous contrôle". Le grain de sable est venu... de l'argent du Qatar, le grand allié dans l'affaire libyenne, pour le coup n°1 mondial du taux de croissance en 2010 (16,3%), qui a pointé subrepticement le bout de son nez ; arrachant au MNLA les 3/4 de ses forces pour former Ansar Dine, véritable petite armée de 5 à 10.000 combattants à la solde de Doha. C'est véritablement Ansar Dine qui, au Nord-Mali, a fait basculer le rapport de force en faveur des djihadistes, satellisant AQMI et ses dissidences. C'est ce qui s'appelle, en langage populaire commun, se faire doubler en beauté... et forcément, cela ne rend pas content du tout. Vouloir affaiblir une néocolonie un peu "turbulente" (disons, se vendant au plus offrant et non plus seulement à l'ancienne puissance coloniale) en favorisant la revendication ethnique d'une partie de sa population (jusque là, rien de plus "classique"), et se retrouver avec la partie la moins peuplée mais la plus riche (en sous-sol) de son territoire transformée en émirat islamiste par des groupes incontrôlables et armés jusqu'aux dents, il faut l'avouer, c'est tout de même ballot. La riposte s'imposait ; c'est désormais chose faite...

    2222335343 small 1Donc voilà : la guerre, encore une énième fois, depuis deux décennies que l'on nous promet la "Fin de l'Histoire" et le règne "indépassable" de la démocratie (bourgeoise) et de la paix dans le monde... LA GUERRE, comme expression ultime du Capital surproduit qui gémit dans les chaînes du mode de production lui-même, de ses rapports de production, de ses rapports sociaux en général, de ses relations internationales foncièrement inégalitaires de par la loi matérialiste du développement inégal ; et qui ne peut trouver d'issue, pour se valoriser (sa raison d'être), qu'en DÉTRUISANT... du capital concurrent, par le seul moyen qui le permette : les armes. Et, encore et toujours, ce sont les masses populaires d'Afrique et d'ailleurs, déjà exploitées et affamées au quotidien, qui font office de victimes expiatoires, de chair à canon, car, comme le chantait déjà Montéhus dans les années 1920 (peu après la Grande Boucherie de 14-18), "les bandits, qui sont cause des guerres, n'en meurent jamais, on n'tue qu'les innocents" (la Butte Rouge). À moins qu'il n'y ait... une autre porte de sortie, et celle-ci, certes, peut prêter à sourire tant on nous rabâche depuis près d'un quart de siècle qu'elle n'est qu'une utopie finissant toujours dans le sang : c'est, bien sûr, la RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE mondiale ; l'immense rage des HokusaiWavepeuples exploités et affamés se levant comme une gigantesque vague vengeresse, que rien ne pourra arrêter et qui balayera sur son passage, pays par pays, le vieux monde pourrissant pour laisser place à une Aube nouvelle. Non, cela n'est pas utopique ! Déjà, au siècle dernier, une telle vague s'est levée et a illuminé le monde, avant que des traîtres néo-bourgeois ne la dévoient, puis que ne triomphent les ennemis de classe qui avaient juré sa perte - et de la couvrir d'ordure ensuite, ce qu'ils firent, et efficacement.

    Mais pour cela, tel est le b-a-ba du marxisme, il faut que partout les masses exploitées et opprimées, de classes en soi, deviennent des classes POUR SOI, conscientes de leurs intérêts et en mouvement pour accomplir leur mission devant l'Histoire. Pour cela, il faut que les masses se libèrent de la conception bourgeoise du monde que leur imposent leurs exploiteurs, et s'emparent de leur PROPRE CONCEPTION DU MONDE, conception RÉVOLUTIONNAIRE car conception de la classe appelée à diriger le monde de demain : le PROLÉTARIAT. Une conception fondée sur la compréhension scientifique du monde, à la lumière du matérialisme dialectique légué par 150 ans de mouvement socialiste et communiste. Répandre, le plus largement, cette conception du monde dans les masses du peuple : telle est, avant même toute lutte "physique", la première tâche des communistes.


    LIBÉRONS-NOUS DE CETTE POURRITURE !

    DÉTRUISONS LE VIEUX MONDE !


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  • INTER-201242-Mali-intervention-vignette.jpgC'en est donc fait. Après des mois à jurer ses 'grands dieux' qu'il n'en ferait rien sans les 'partenaires africains', et moins de deux ans après la sanglante expédition néocoloniale en Côte d'Ivoire (plus de 2.000 mort-e-s rien qu'à Abidjan, massacres innombrables par les tirailleurs 'forces nouvelles' dans l'Ouest du pays, etc.), pour porter au pouvoir le FMIste Ouattara, et le début du 'licenciement musclé' de l'ex-laquais Kadhafi, l'impérialisme BBR est passé à l'offensive directe dans sa néocolonie malienne. Il faut dire que le déclenchement 'surprise', par les forces djihadistes du Nord, d'une attaque massive sur le 'goulet' qui sépare les ailes Nord et Sud du 'papillon' malien, menaçant le Mali 'utile' méridional (dans leur conception mystique du djihad, les islamistes recherchaient sans doute ainsi cet affrontement direct avec les 'Croisés'), a quelque peu bousculé l'agenda politico-militaire. Des frappes aériennes ont donc stoppé cette poussée vers le Sud, avec également des moyens d'intervention plus 'rapprochés' (hélicoptères, un pilote aurait déjà été tué par une riposte à l'arme automatique) et très certainement des troupes terrestres 'd'élite'.

    lepen_desir_cope.jpgPar la voix de politiciens d'extrême-droite ou à la 'gauche de la gauche', Kadhafi ou Laurent Gbagbo bénéficiaient d'un certain nombre de soutiens dans la mouvance des monopoles BBR : 'risque d'instabilité régionale', de 'mettre les islamistes au pouvoir', de 'se battre encore une fois pour Washington et le Nouvel Ordre Mondial' etc. etc. Cette fois-ci, le soutien à l'intervention est assez unanime dans la 'classe' politique, hormis quelques réserves d'ordre formel, du côté de Mélenchon ou de Noël Mamère, sur la nécessité de 'consulter le Parlement' ou 'd'associer les pays africains' (histoire que cela ne fasse pas trop néocolonial...) [depuis s'y sont ajoutés Villepin, qui tente certainement ainsi - encore une piètre fois - d'exister politiquement, ou encore... Giscard d'Estaing, qui met en garde contre une... "dérive néocolonialiste" (!), ce qui ne manque pas de sel pour l'homme de Kolwezi et des diamants de Bokassa...]. Même le Front national soutient à 100%, déplorant simplement que la situation au Mali soit le 'fruit' de la liquidation de Kadhafi (qu'il soutenait) et de la déstabilisation qu'elle a provoqué.

    mali-ansar-dine-combattants-reuters-930620-02.07.12 scalewiIl faut bien souligner ici quelle est la nature de cette guerre contre la 'menace djihadiste'. Cela est important, pour bien tordre le cou, par exemple, à certaines analyses tendant vers le complotisme : les 'islamistes' seraient des 'agents' de l'impérialisme, financés par les pétrodollars du Golfe, servant à 'donner un prétexte' à des expéditions impérialistes pour le contrôle des ressources naturelles (de quel 'prétexte' peut-il y avoir besoin dans un pays aussi néo-colonisé que le Mali ??) ; de même qu'il faut tordre le cou à certaines analyses minoritaires voyant dans les djihadistes des forces 'révolutionnaires' et 'anti-impérialistes'. Comme l'a déjà - et justement - analysé Servir le Peuple, les forces 'djihadistes' à travers le monde sont bel et bien l'expression militaire des grandes oligarchies capitalistes multi-milliardaires basées dans le Golfe arabo-persique et la Péninsule arabique. Ces forces capitalistiques, depuis près d'un quart de siècle, sont avec les grandes puissances impérialistes (occidentales ou "orientales" - Russie, Chine, Japon etc.) dans un rapport d'unité et lutte. Unité car leur base d'accumulation repose entièrement sur leurs ressources hydrocarbures, et donc sur les pays industrialisés qui les leurs achètent (et qui eux-mêmes en dépendent, de manière vitale, pour leur vie productive et sociale en général) : pour cela, l'affrontement direct est impossible et, du côté sud du Golfe, ces pays font figure d'alliés indéfectibles de la 'Triade' Amérique du Nord – Europe occidentale – Asie-Pacifique (sauf Chine) ; l'Iran, lui, penchant plutôt vers l'axe russo-Soldats-intervention-Mali-armee-francaise_pics_390.jpgchinois 'de Shanghai'. Unité... mais LUTTE, car ces États réactionnaires producteurs d'énergies fossiles, 'inféodés' à l'impérialisme occidental, ont aussi leurs propres ambitions, leur propre agenda. La vente de ces gigantesques ressources hydrocarbures génère en effet des milliards et des milliards de pétro-dollars, dont le millième suffit largement à assurer aux pétro-oligarques, ainsi qu'à leurs héritiers pour deux ou trois générations, toute une vie de jet set sans jamais fournir le moindre travail. Et le reste... qu'en faire ? Car, dans le système capitaliste qui domine notre monde, un dollar n'est réellement un dollar que s'il 'vit', s'il fructifie, s'il est investi. Après ce que l'on peut qualifier d''accumulation primitive' de pétro-dollars (globalement, des années 1930 aux années 1970-80), les oligarchies des pays producteurs sont donc en quête de terrains d'investissement, que ce soit à travers leurs 'fonds souverains' ou des initiatives privées. C'est le sens des très nombreux investissements jusqu'au cœur même des métropoles impérialistes, comme les investissements qataris en Hexagone, dans les quartiers populaires (suscitant "l'inquiétude de la droite") ou dans le secteur sportif avec le rachat du PSG, suscitant la colère des identitaires parisiens...

    C'est le sens du soutien aux forces politiques 'islamistes' (Frères musulmans, salafistes etc.) dans le contexte des mouvements populaires arabes qui déstabilisent voire mettent à bas des régimes à la botte aussi bien des Occidentaux (Tunisie, Égypte) que des Russes et des Chinois (Libye, Syrie) - dans ces derniers cas, les agendas 'golfiens' et occidentaux coïncident (et c'est là la grande incompréhension de la grande majorité des forces progressistes et marxistes anti-impérialistes : comment se fait-il donc que 'nous' - notre impérialisme BBR - allions combattre au Mali des 'islamistes' que 'nous' soutenons en Libye et en Syrie ???). Et lorsque 'ça coince', lorsque la contradiction atteint un certain degré d'antagonisme, l'affrontement direct restant impossible, surgit 1815474 5 1769 le-conseil-de-securite-a-demande-un 9c91539balors une force militaire 'par procuration' : les 'djihadistes', animés par la même idéologie wahhabite  que celle des États de la péninsule arabique, une idéologie dont le puritanisme religieux et le messianisme évoquent d'ailleurs – non par hasard, le hasard n'existant pas pour les matérialistes – les temps de l'accumulation primitive capitaliste en Europe (avec le calvinisme, le jansénisme etc.). De même et de plus, dans le panier de crabes que constitue le 'concert' des États fantoches néocoloniaux africains, il est fréquent que les groupes armés soient utilisés par tel ou tel pour déstabiliser ses voisins : il est ainsi de notoriété publique que les 'islamistes' somaliens sont appuyés par l'Érythrée (État à 50% musulman, 50% chrétien et... 100% laïc) pour emmerder son grand rival éthiopien, qui appuie quant à lui le gouvernement 'internationalement reconnu' ; que le Soudan 'islamiste' appuyait les rébellions armées au Tchad et réciproquement ainsi que 'l'Armée de Résistance du Seigneur' (fondamentaliste... chrétienne !) en Ouganda ; que l'Algérie à longtemps appuyé le Front Polisario (Sahara occidental) dans sa rivalité régionale avec le Maroc etc. etc. Au Mali le premier mouvement à être passé à l'action, le MNLA (nationaliste touareg laïc), était à l'origine une 'légion' touarègue de Kadhafi pour 'faire pression' sur ses voisins du Sud, et qui s'est retrouvée 'sans maître' après la chute de celui-ci. L'Algérie soutient certains groupes islamistes et a été l'un des plus farouches opposants à une intervention militaire BBR et/ou CEDEAO...

    Intervention-au-Mali article mainFinalement, après avoir été pendant quatre décennies le 'gendarme' du continent africain face à la 'menace communiste', puis avoir été contesté dans ce 'pré carré' par la superpuissance US (une fois ce rôle devenu obsolète), l'impérialisme BBR se retrouve à nouveau propulsé 'gendarme de l'Afrique' face à la 'menace islamiste' – d'ailleurs, concomitamment à l'intervention au Mali, se déroulait une autre opération plus limitée en Somalie, visant à libérer un otage tricolore, 'détaché' de la DGSE pour former les forces de sécurité de l'État fantoche et enlevé par les 'islamistes' locaux. Une 'menace' qui n'a pas, loin de là, les aspects progressistes de la précédente – et c'est bien tout le dilemme des internationalistes. Il n'y a pas d''islam révolutionnaire', les forces djihadistes sont des forces nationalistes réactionnaires (elles sont généralement d'ancrage national, même s'il y a des 'volontaires' étrangers), leur idéologie wahhabite est celle de leurs maîtres 'golfiens' : amputation des voleurs, lapidation des femmes adultères etc. Ces limites idéologiques, déjà soulignées par un article du (n)PCI, les empêchent de gagner la sympathie des larges masses : au Mali, il est clair que les masses du Sud (80% de la population), musulmanes mais pratiquant un islam maraboutique et 'souple', n'ont aucune sympathie pour les djihadistes du Nord et soutiennent, dans l'ensemble, leur gouvernement et l'intervention BBR. Mais une ‘menace’, néanmoins, - presque - toute aussi STRATÉGIQUE... Car pouvoir investir, valoriser leur masse de pétro-dollars, cela veut dire, pour les pays producteurs, s’émanciper, être en mesure de ‘poser leurs conditions’ dans l’arène impérialiste internationale - or, on l’a dit, les ressources de ces pays sont VITALES pour le système impérialiste mondial.

    D'une manière générale, ce capitalisme "d'en bas" (jailli "spontanément" des "entrailles" de la société où les gens produisent et vendent, bref font du bizness, et certains deviennent riches et d'autres pas...) que représentent les "islamistes" par opposition au capitalisme "d'en haut" bureaucratique-compradore (impulsé par et au service de l'impérialisme - les régimes de tous ces pays) ne va pas permettre au surproduit (plus-value "sur-accaparée") de "remonter" correctement jusqu'aux monopoles impérialistes - qui vont donc le combattre en conséquence, dans leur perspective de domination totale des économies du "Sud". De même que, lors de la première vague de la révolution prolétarienne (1918-années 1980), la ‘menace rouge’, outre son antagonisme avec le système capitaliste en tant que tel, avait aussi le ‘malheur’ d’affecter principalement la ‘Région intermédiaire’ mondiale, région stratégique pour les ressources naturelles de toute sorte, de l’Afrique jusqu’à la Sibérie... Ces considérations entraient nécessairement en ligne de compte, aux côtés de la lutte de classe contre-révolutionnaire de la bourgeoisie monopoliste mondiale. Les champs pétroliers de Bakou étaient un objectif militaire d'Hitler, au même titre que l’anéantissement du Komintern...

    hollande.jpgLe rôle de ‘gendarme’ d’un continent, comme celui de l’impérialisme BBR en Afrique, n’est jamais gratuit : il permet également de faire main basse sur toutes les forces productives (matières premières, ressources énergétiques, force de travail) du continent en question, pour engraisser les caisses des monopoles. En ce qui concerne le Mali, celui-ci est, après l’Afrique du Sud (Azanie) et le Ghana, le troisième producteur africain d’or, métal qui n’a pas de véritable valeur productive en lui-même, mais sert, comme chacun le sait, de ‘mesure’ internationale de la valeur - un instrument sur lequel les impérialistes peuvent s’appuyer dans leurs rivalités. Son sous-sol recèle, en outre, de l’uranium dont on connaît le caractère essentiel pour l’impérialisme BBR (75% de sa consommation énergétique est nucléaire), et des hydrocarbures (pétrole et gaz) qui intéressent évidemment le monopole hexagonal Total... tout comme ses concurrents anglo-saxons, chinois, russes ou encore la compagnie nationale algérienne.

    int-36247Pour tout cela, comme hier en Côte d’Ivoire et en Libye (dans ce dernier cas, il fallait toutefois combattre sur le plan idéologique la ‘kadhafomania’ de certains révisionnistes, le social-libéral Gbagbo n’ayant quant à lui pas la ’chance’ d'un tel engoument), quelle que soit la nature de ‘ceux d’en face’, la position de tous les révolutionnaires et de tous les internationalistes doit être celle d’une OPPOSITION FERME et TOTALE, par tous les moyens, à la ‘politique de la canonnière’ de l’impérialisme, SURTOUT lorsque c’est le nôtre, l’impérialisme BBR, opérant dans son ‘pré carré’ françafricain ! Comme le disait déjà Lénine en 1919 ou 1920 (cité par Staline dans les Principes du léninisme, 1924), « La lutte de l’émir d’Afghanistan pour l’indépendance de son pays est objectivement une lutte révolutionnaire, malgré les conceptions monarchistes de l’émir et de ses lieutenants, car elle affaiblit, désagrège, sape l’impérialisme ; alors que la lutte de démocrates, de « socialistes », de « révolutionnaires » et de républicains comme [toute une ribambelle de Hollande-Ayrault-Le Drian de l’époque], pendant la guerre impérialiste, était une lutte réactionnaire, car elle avait pour résultat de maquiller, de consolider, de faire triompher l’impérialisme ».

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    À BAS L’INTERVENTION IMPÉRIALISTE BBR AU MALI !

    ‘FRANCE’ HORS D’AFRIQUE !

    VICTOIRE AUX PEUPLES OPPRIMÉS D’AFRIQUE ET DU MONDE DANS LEUR LUTTE POUR LA LIBÉRATION !!!

     


    Lire aussi (analyse très proche de la nôtre, par Mohamed Tahar Bensaada de l'Institut Frantz Fanon) :

    https://www.investigaction.net/fr/Les-mensonges-de-la-propagande-de/

    Les premières réactions africaines et internationalistes à l’intervention (attention, SLP n'a pas forcément d'affinité idéologique avec les auteurs de celles-ci ; ces prises de position sont là à titre informatif) : 

    Guerre au Mali : Les dessous d’une "intervention contre le terrorisme"

    Comment se fait-il que lorsque des criminels coupent, au nom d’un certain islam, des mains et des pieds aux gens au Mali, les intérêts de l’Europe seraient en jeu ?.... Pourquoi des mausolées détruits et des coups de fouet administrés aux Nègres qui ne sont "pas assez entrés dans l’histoire" au Mali constituent-ils une menace pour la sécurité de l’Europe ? Eh bien vous allez comprendre ce qui se joue au Mali, territoire où les États-Unis d’Amérique travaillent sur l’ouverture d’une base de lancement de drones après celles ouvertes en Ouganda, en Éthiopie et à Djibouti aux côtés des flottes aériennes de surveillance basées en Mauritanie, Burkina et au Soudan du Sud. 

    Ayant refusé de nous organiser pour acquérir la capacité de lire les évènements et entre les lignes et ainsi savoir de quoi il est question et comment nous positionner, voici ce que dit Yves Le Drian, ministre français de la défense dans Libération : "Nous avons appelé l’attention de nos partenaires sur le fait que la sécurité de l’Europe est en jeu au Mali. Les Britanniques et les Allemands ont répondu présents. Nous avons alors mandaté Catherine Ashton pour qu’elle établisse un concept d’opération, dont nous discuterons le 19 novembre à vingt-sept. Au Mali, ce n’est pas la France qui va aider les Africains à mener cette opération, mais bien l’Europe...On ne peut pas laisser s’installer un sanctuaire terroriste majeur à nos portes." Voilà qui est clair : LA SÉCURITÉ DE L’EUROPE EST EN JEU AU MALI. Ceci pour plusieurs raisons. Mais comme Jean-Yves Le Drian ne mentionne pas ces raisons, nous allons le faire à sa place :

    1- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce que toute la région sahélo-saharienne est en reconfiguration. L’idée étant de morceler davantage l’espace pour mieux le contrôler et maîtriser ses ressources : En 2011, on a eu la naissance du Sud Soudan sous l’instigation du trio Israël, USA et Europe avec l’acceptation de la Chine qui a réussi à sauver sa part d’approvisionnement en pétrole en s’accrochant au Soudan de Béchir. En 2012, on est allé dans le même sens au Mali avec le squelettique Azawad. En toile de fond, l’or et bien d’autres ressources.

    2- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce que pas loin de là l’Europe (l’Allemagne en tête) réalise actuellement un énorme projet d’installation de panneaux solaires géants appelé DESERTEC. Ce parc solaire fournira de l’électricité à l’Europe gratuitement. Donc, il faut faire en sorte que cet espace soit sécurisé.

    3- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce que, des orpailleurs français appelés des chercheurs avaient découvert en début de cette année 2012, de gigantesques réserves d’eau dans le Sahara. La guerre de l’eau qui se déroule actuellement sous nos yeux dans le monde et qui va s’accentuer eu égard à la rareté vers laquelle on se dirige pousse l’Europe à parler de sa sécurité au Mali.

    4- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce que la France qui n’a pas d’uranium sur son sol est quand même le premier exportateur de l’énergie nucléaire au monde. Pourquoi ? Tout simplement parce que la France dispose sur sa préfecture du NIGER des mines gigantesques d’uranium qu’elle exploite depuis 60 ans bientôt gratuitement. Une mine énorme est découverte à Imouraren au Niger. Ce qui a poussé AREVA à investir actuellement au moins 1,5 milliards d’euros en vue de racler proprement cette mine. Des centaines de français et d’européens affluent actuellement dans le coin où ils sont en train de construire une sorte de ville minière. Les prises d’otage et autres révoltes armées peuvent gêner un peu la chose. La Chine n’est pas loin non plus de là. Donc, l’Europe a ici aussi sa sécurité en jeu.

    5- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce qu’il faut que l’Europe démontre à ses ressortissants qui aiment le tourisme exotique que leur sécurité est et sera garantie un peu partout, notamment dans cette région.

    6- La sécurité de l’Europe est en jeu au Mali parce qu’après avoir armé et utilisé ces islamistes pour détruire la Libye, la France surtout espérait qu’avec ce "geste d’amitié", ces gars libéreraient ses ressortissants. Il n’en est rien. Les gars disent que ce ne sont pas eux qui détiennent les français, mieux qu’ils ne savent pas où ils sont exactement. Parfois, ils disent "on va vous aider à les libérer" puis, c’est Jacques où es-tu ? La patience a ses limites. Même si les otages risquent la mort, eh bien, mieux vaut une fin effroyable qu’un jeu de nerfs sans fin, surtout que l’Europe sait ce qu’elle gagne par rapport à la vie de 3 ou 5 otages.

    Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles les bruits de bottes résonnent là. Qu’on détruise des mausolées ou qu’on coupe des mains, des pieds aux Nègres, ou qu’on viole les filles africaines sous l’autel d’un islamisme poussiéreux là-bas, ça n’est pas le problème de l’Occident. Au demeurant, comme ces faits criminels émeuvent la masse, eh bien, les stratèges les mettent devant pour mieux atteindre, avec le consentement tacite ou expresse des spectateurs que nous sommes, leurs buts. En parlant uniquement de la sécurité de l’Europe avec la mise en avant du TERRORISME qui serait aux portes de l’Europe, le ministre français de la défense nous montre l’arbrisseau qui cache mal la forêt.

    Quant au rôle des petits préfets tels que Blaise Compaoré, Alassane Ouattara, Faure Gnassingbé...et leur CEDEAO, il a suffi qu’on lance la bombe mensongère d’une alliance future avec les coupeurs de mains au Mali avec leurs fameux opposants en vue de leur ravir leur trône pour qu’ils enfilent leurs costumes de petits chefs de guerre. Nul autre que Ouattara, le préfet du territoire de Côte d’Ivoire ne symbole mieux ce petit spadassin au garde-à-vous. On lui a dit que les partisans du président Laurent Gbagbo "sont en contact avec les islamistes" et qu’après le Mali, cette mythique alliance marcherait sur son territoire. Cela a largement suffi pour le mobiliser. Ces gens là également, ce n’est pas les mains et les pieds coupés des Africains du Mali qui les préoccupent. Si ces gars là étaient des "humanistes" ou des Africains de cœur, on l’aurait su. Eux-mêmes sont de grands massacreurs des peuples qu’ils régentent au profit de qui on sait. Qu’est-ce qui mobiliserait un Blaise Compaoré assassin de son compagnon d’armes, Thomas Sankara et de bien d’autres dont Norbert Zongo ? Des petits mains coupées au Mali ? Faure Gnassingbé, le tueur, héritier du trône qu’il conquit en 2005 après avoir sacrifié au moins 1000 personnes et qui depuis lors assassine et qui, par sa soldatesque, fait régulièrement ouvrir le crâne aux populations qui manifestent contre lui ? Ou bien, est-ce Alassane Ouattara, le boucher transporté dans les chars français encadrés par l’ONU qui serait offusqué par des pieds coupés et des mausolées détruits ? Ou encore est-ce Soro Guillaume, l’éventreur, en bon chrétien qui n’a jamais vu couler une goutte de sang qui serait révolté de voir à la télévision pour la première fois de sa vie de moine isolé des mondanités des gouttes de sang ? Allons ! Allons !

    15 novembre 2012 mis à jour le 12 janvier 2013

    KPOGLI Komla.

    Web. http://lajuda.blogspot.com/


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    Parti communiste révolutionnaire de Côte d'Ivoire :  L’intervention militaire française au Mali : un péril pour l’avenir de l’Afrique !  

    La situation au Mali avec la menace d’interventions extérieures constitue un sujet de préoccupation depuis quelque temps. La position des partis communistes d’Afrique de l’ouest a été synthétisée dans une déclaration partagée en date du 10 décembre 2012.  Dans l’ambiance des menaces d’interventions armées annoncées par des gouvernements africains avec la bénédiction des puissances occidentales, les signataires de la déclaration citée ont estimé que la situation était grave et lourde de dangers pour le prolétariat et les peuples du Mali et des autres pays de la sous-région ouest-africaine. Ils ont :

    1) Dénoncé la présence  des troupes d’agression étrangères impérialistes en Afrique de l’Ouest, particulièrement dans la zone sahélo-saharienne et exigé leur départ.

    2) Condamné les pouvoirs fantoches qui ont ouvert leurs territoires à ces troupes (notamment le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Sénégal, la Mauritanie)

    3) Condamné le plan réactionnaire de la CEDEAO, de l’UA et des impérialistes notamment français pour l’envoi des troupes des pays membres de la CEDEAO et de l’UA au Mali.

    4) Condamné la politique aventuriste et criminelle du clan mafieux de Blaise Compaoré qui représente un danger pour le prolétariat et les peuples du Mali, du Burkina Faso et l’ensemble de la sous-région ouest africaine. Dénoncé et condamné la politique de va-t-en-guerre de Boni Yayi, Président en exercice de l’Union Africaine, porte-voix des agresseurs impérialistes français et américains et chaud partisan de l’intervention militaire au Mali.

    5) Condamné la proclamation de l’indépendance de l’État de l’AZAWAD par le MNLA comme  la manifestation d’un complot ourdi par l’impérialisme français contre les peuples du Mali afin de les diviser pour mieux les asservir et les exploiter. Appelé les révolutionnaires maliens à  veiller à la mise en œuvre d’une juste politique nationale permettant à chaque Malien (quelles que soient sa nationalité, sa race, ses origines) de se sentir à l’aise dans un Mali indépendant et unifié) ; car dans tous les pays africains, la question nationale se pose et nécessite d’être traitée avec beaucoup de circonspection sur des bases correctes.

    6) Soutenu fermement les exigences des forces patriotiques et démocratiques maliennes qui s’opposent à toute intervention étrangère sur leur sol et demandé que les propres problèmes du Mali soient réglés en toute souveraineté par le peuple malien lui-même sans ingérence étrangère.

    7) Dénoncé et condamné les crimes perpétrés contre les peuples du Nord-Mali par le groupe terroriste AQMI, le MNLA et les groupes djihadistes Ansar Dine, MUJAO. Soutenu la résistance courageuse des peuples notamment les jeunes contre l’oppression et les politiques moyenâgeuses de ces groupes réactionnaires et obscurantistes.

    8) Réaffirmé leur opposition au terrorisme et au putschisme qui ne sont pas les voies indiquées pour la révolution et l’instauration du socialisme.

    9) Affirmé leur engagement sur  la base de l’internationalisme prolétarien  à :

    - Travailler pour mobiliser et organiser le prolétariat et les peuples de leurs pays respectifs pour lutter contre l’intervention des troupes étrangères au Mali, pour exiger le départ de l’Afrique de l’ouest des troupes d’agression des grandes puissances (USA-France-UE)

    - Soutenir de manières multiformes le prolétariat et les peuples du Mali dans la situation difficile qu’ils connaissent.

    Le rôle du président ivoirien, Alassane Ouattara, en sa qualité de président en exercice de la CEDEAO a été dénoncé en tant que l’un des maîtres d’œuvre de la construction de la coalition paravent de l’intervention impérialiste au Mali et de la consolidation de la domination impérialiste, notamment française en Afrique de l’Ouest.

    Les partis adhérant à la déclaration ont lancé un appel au prolétariat, aux peuples, aux forces démocratiques et révolutionnaires des pays impérialistes pour qu’ils s’opposent à l’intervention militaire de pays impérialistes au Mali, pour qu’ils se solidarisent avec la lutte du prolétariat et des peuples du Mali et de l’ensemble de la sous-région Ouest-africaine.

    L’issue que les partis communistes de la région redoutaient a commencé à se produire le vendredi 11 janvier 2013 avec le début de l’intervention française. Le gouvernement français a décidé d’engager 750 militaires au Mali, des avions et des chars. Les objectifs affichés de cette intervention sont :

    - Stopper la progression des islamistes vers Bamako ;

    - Éviter l’effondrement du pouvoir de Bamako et la déstabilisation de l’Afrique de l’ouest.

    Comme conséquence immédiate de cette situation, l’ONU dénombre déjà 150.000 réfugiés et 230.000 déplacés du fait des affrontements armés. 

    Malgré le caractère salvateur que veulent conférer les acteurs et soutiens de cette autre intervention à leur opération, celle-ci, n’est pas différente de celle qui s’est produite en Côte d’Ivoire et en Libye en 2011. Cette intervention suggère les observations essentielles suivantes :

    - Le caractère néocolonialiste de l’intervention visant à préserver les intérêts économiques et stratégiques de l’impérialisme international, français en particulier, ne peut échapper aux observateurs avisés ;

    - La faillite des régimes néocoloniaux africains n’en est que plus visible ; ces régimes honnis, incapables de défendre leurs peuples, n’ont pas trouver mieux à faire que de transformer les armées nationales en supplétifs de l’armée française ; c’est une raison de plus pour que ces régimes aient de plus en plus de mal à diriger les peuples africains ;

    - Le peuple malien qui voulait, pour préserver l’avenir, engager le combat pour sa souveraineté, en a été empêché ; il a été empêché, par la CEDEAO d’entrer en possession de ses armes qui devaient être débarquées dans différents ports africains ; pour les régimes pro-impérialistes africains et leurs maîtres, il faut empêcher les exemples montrant que les peuples sont capables de se battre pour leur liberté et leur souveraineté ;   

    - En Côte d’Ivoire, tous les bourgeois, sans exception, acclament cette intervention ; même le Front Populaire Ivoirien (FPI), anticolonialiste de circonstance, s’est joint à cet unanimisme, confirmant son caractère pro-impérialiste que le Parti Communiste Révolutionnaire de Côte d’Ivoire a toujours dénoncé ; ces partis sont entrain de légitimer le rôle de l’impérialisme français en tant que gendarme de l’Afrique avec la Côte d’Ivoire  comme plaque tournante de l’intervention française contre la volonté des peuples africains ; ces bourgeois ivoiriens, toute tendance confondue, consciemment ou inconsciemment, préparent le terrain pour le choix du prochain président ivoirien par la France.

    Le peuple malien a été soumis à des pressions de toutes sortes afin que, exténué par les multiples souffrances, l’intervention extérieure apparaisse comme une opération de sauvetage, que l’armée française apparaisse comme le seul recours, comme un « sauveur suprême ». Le peuple malien et avec lui les peuples africains  viennent de perdre une bataille, mais pas la guerre. Comme en Afghanistan, en Somalie et ailleurs,  les armées impérialistes ne feront que disperser les djihadistes et autres terroristes. Ces derniers n’ont d’ailleurs pu s’installer dans le nord Mali et menacer d’autres régions d’Afrique qu’à cause de la misère engendrée par le système capitaliste et sa politique néocolonialiste. La destruction des économies africaines par les programmes d’ajustement structurel depuis les années 1980 et le développement prodigieux de la misère qui a suivi, sont parmi les causes des crises politiques et sociales endémiques et le développement des mouvements djihadistes et terroristes.

    Lorsque les objectifs des impérialistes qui ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des travailleurs et des peuples auront été atteints, ils laisseront ces derniers à leur sort. L’expérience montre que les interventions armées impérialistes ne résolvent pas les problèmes essentiels (Irak, Afghanistan, Somalie, etc.). Les masses maliennes paupérisées seront abandonnées face à leurs difficultés et elles continueront avec l’appui des révolutionnaires et démocrates à chercher des solutions à travers diverses stratégies. Les questions fondamentales de la conquête des libertés politiques, de l’obtention de meilleures conditions de vie demeurent des préoccupations majeures pour les masses africaines et maliennes en particulier. Ces préoccupations seront satisfaites dans l’adoption de stratégies révolutionnaires qui apparaissent de plus en plus incontournables. L’impérialisme et les régimes fantoches qui le servent finiront par apparaître comme les cibles privilégiées à abattre pour ouvrir la voie à des pouvoirs aux mains des travailleurs et des peuples. Les leçons de choses qui se déroulent sous nos yeux accélèrent la conscience que seule la révolution est susceptible de mettre l’Afrique sur le chemin de la sortie de l’asservissement, de la misère et de la honte.

                                                   Fait à Abidjan, le 15 janvier  2013.

                                              Le Parti  Communiste Révolutionnaire de Côte d’Ivoire


    Voir aussi : Déclaration du 20 janvier 2013 de la Ligue Panafricaine - UMOJA

               Communiqué du Parti algérien pour la Démocratie et le Socialisme (PADS)


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    ['Gauche radicale'] 

    Déclaration du PCF Paris 15, repris sur le site Solidarité Internationale PCF

    Le pays et la représentation nationale sont devant le fait accompli.

    François Hollande a déclaré que la France était en guerre au Mali le lendemain des premiers affrontements. Depuis des semaines, il préparait l’opinion à cette intervention. Mais il promettait de placer de la chair à canon africaine en première ligne, ce qui s’est révélé impossible. Il y a déjà un soldat français mort au Mali et au moins deux dans le ratage de l’opération coordonnée en Somalie. Hollande se réjouit de « lourdes pertes chez les adversaires ». Oui la guerre, ça coûte et ça tue !

    Personne ne peut être dupe des raisons avancées le Président. On connaît trop les refrains à la George Bush sur la guerre « humanitaire » et la « lutte contre le terrorisme » et les résultats des guerres d’Irak, d’Afghanistan ou d’ailleurs.

    En Libye, les impérialistes français et britanniques ont servi de sous-traitants à l’impérialisme américain pour des questions principalement de pétrole. Cette guerre a décomposé le pays, ravivé et militarisé des conflits préexistants dans plusieurs pays d’Afrique noire dont le Mali. Elle a fait le lit d’une radicalisation politique « islamiste ».

    Maintenant, les intérêts impérialistes, notamment français, l’accès aux minerais, à l’uranium du Niger par exemple, se trouvent menacés par la déstabilisation de toute la région.C’est là qu’il faut chercher les vrais objectifs de guerre de l’État français. Certainement pas dans les appels à l’aide du président fantoche placé par l’Occident à Bamako.

    Le déroulement militaire et les conséquences politiques de cette nouvelle aventure guerrière , en Afrique mais aussi ailleurs, sont imprévisibles. Afghanistan, Irak, Libye : la terreur de la guerre n’a fait que renforcer les « terroristes » ou les « islamistes » que l’OTAN prétendait combattre. La population du Mali, dans toutes ses composantes, du nord et du sud, vit des heures sombres. Mais l’issue d’une guerre menée par la puissance néocoloniale qui poursuit l’exploitation du pays, le maintient dans une extrême pauvreté et une dépendance politique, condamne une partie de sa jeunesse à l’émigration est douteuse.

    François Hollande se prévaut d’un appui international général. Les puissances impérialistes chinoise et russe n’ont pas d’intérêts économiques et géopolitiques divergents avec les États-Unis et l’UE , dans le cas du Mali, contrairement à celui de la Syrie. Elles ne bloqueront pas les résolutions de l’ONU.

    En France, les médias prétendent qu’il existe un consensus en faveur de cette guerre, de la gauche à l’extrême-droite. Là encore, le changement, ce n’est vraiment pas pour maintenant. Hollande met ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, Sarkozy en Libye et en Côte d’Ivoire, Jospin en Afghanistan, sans remonter la sinistre guerre mitterrandienne au Tchad. 

    Communistes, nous ne rentrerons pas dans cette « Union sacrée », pas plus aujourd’hui qu’hier.

    Nous demandons l’arrêt immédiat des opérations militaires françaises au Mali et l’ouverture de pourparlers de paix entre tous les belligérants.

    Plus que jamais, nous demandons le retour en France de tous les soldats déployés en « opérations extérieures » : Plus un seul soldat français hors de France ! 

    Nous demandons la sortie de la France de l’OTAN et de la politique extérieure intégrée de l’Union européenne.

    Plus un homme, plus un sou pour la guerre impérialiste !


    Toujours dans la mouvance PCF, la position (très voisine) de la JC des Bouches-du-Rhône : Non à la guerre impérialiste française au Mali 

    NPA (communiqué laconique...) :  Non à l'intervention militaire française au Mali 

    Lutte ouvrière : À bas l'intervention militaire française au Mali ! 

    Collectif 'Afriques en Lutte' (proche NPA) : Sur l’intervention de la France au Mali et Mali La France en pompier pyromane

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    [Mouvement ML et MLM] 

    Déclaration de l'OCML - Voie prolétarienne : Non à l'intervention militaire au Mali ! Ceux qui ont mis le feu sont mal placés pour éteindre l'incendie !


    Depuis le vendredi 11 janvier, l’armée française intervient par des moyens aériens et au sol pour bloquer l’avancée des jihadistes vers Bamako. Nous connaissons et condamnons les crimes commis par ces derniers contre les hommes et les femmes maliennes des régions qu’ils contrôlent. Nous savons aussi qu’une bonne partie du peuple malien et parmi eux les travailleurs immigrés en France approuvent cette intervention qu’ils voient comme la seule issue immédiate.

    Pourtant, en tant que communistes et anti-impérialistes, nous condamnons cette intervention militaire, car nous savons que ceux qui mettent le feu, et qui prétendent ensuite jouer les pompiers, sont le problème, la cause, et non la solution des crises qui frappent de nombreux pays d’Afrique.

    La déstabilisation du Mali a pour origine immédiate l’éclatement de la Libye dans lequel la France a joué un grand rôle. Elle a permis aux divers groupes islamistes de s’équiper d’un matériel de guerre puissant avec lequel ils ont mis en déroute l’armée malienne. Mais l’incapacité du Mali à se défendre, à assurer la sécurité des étrangers (français) qui y résident n’est pas une fatalité. Le Mali est dit « pauvre » mais son économie est pillée et étouffée par les exigences des impérialistes qui organisent le commerce mondial. Son or est exploité au bénéfice de sociétés étrangères. Son coton est concurrencé par le coton américain subventionné. Ses créanciers pompent ses ressources financières. Ses principales entreprises sont contrôlées par des sociétés étrangères dont beaucoup sont françaises. Ses terres irrigables sont louées à des États étrangers. La faiblesse du Mali est là, aggravée par la corruption de ses bourgeois prêts à brader à leur profit les ressources de leurs pays. La force du Mali est l’énergie de ses travailleurs, de ses paysans, de ses immigrés qui tentent de pallier les défaillances de l’État.

    Pillage de ses ressources et du travail de son peuple : voilà pourquoi le Mali n’est pas en mesure de se défendre, d’assurer son indépendance nationale et doit s’en remettre à un « protecteur impérialiste ». Voilà aussi pourquoi la France ne peut apporter une solution à la crise, car elle défend le système économique (FMI, Banque Mondiale, privatisations) qui appauvrit le pays. Les impérialistes n’ont pas d’amis, seulement des intérêts. Et les gouvernements français, de droite ou soi-disant de gauche, agissent pour préserver ces intérêts.

    La France en intervenant renforce son rôle et sa position dans une région où sa présence économique a régressé au profit d’autres pays, dont la Chine. De plus, la reconquête du Nord du pays, qui sera autrement plus difficile que les opérations récentes d’interception de convois armés, permettra d’affirmer une présence dans une région riche en pétrole et en divers métaux rares. Enfin la stabilité du Sahel est stratégique pour la France qui exploite au Niger l’uranium qui alimente ses centrales et lui assure une soi-disant « indépendance énergétique », assise sur la dépendance du Niger. Enfin, la déstabilisation du Mali entraînerait une immigration nouvelle d’hommes et de femmes en France. La « France généreuse » de « gauche » poursuivant la politique sarkozyste, est l’« amie des maliens », pourvu qu’ils supportent leur misère chez eux.

    L’armée française a contribué à arrêter l’avancée de jihadistes, mais l’intervention étrangère n’est pas la solution, et reste le problème.

    En tant que communistes, nous affirmons notre solidarité avec le peuple malien et nos camarades immigrés. Nous soutenons leur lutte pour le développement d’un Mali véritablement indépendant et juste, ce qu’il ne peut être que si les travailleurs et paysans maliens :
    - contrôlent les richesses qu’ils créent par leur travail et pour cela chassent du pouvoir la bourgeoise corrompue docile aux impérialistes,
    - exproprient les entreprises étrangères qui exploitent les ressources de leur pays,
    - dénoncent la dette qui les saigne,
    - reçoivent l’appui des travailleurs des autres pays, en particulier de leurs camarades de classe d’ici, appui qui implique l’exigence de la régularisation de tous les sans papiers (qu’ils soient maliens ou non) et l’égalité totale des droits politiques et sociaux entre travailleurs français et immigrés.

    Le 13 janvier 2013

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    Déclaration du collectif anti-impérialiste Coup Pour Coup 31.


    Non à l'intervention de l'impérialisme français au Mali ! 


    François Hollande avait déclaré que la Françafrique était finie, s'il fallait une preuve de son hypocrisie la voilà.

    Après avoir joué au grand intermédiaire, défenseur d'une pseudo conciliation pacifique, le voilà qui annonce que la France entre en guerre au Mali.

    On nous vend une intervention contre les islamistes radicaux djihadistes pour «sauver » les musulmans du Sud (80% de la population) qui se réclament d'un islam maraboutique et souple. En somme une guerre de civilisation. Mais derrière cette façade se disant démocratique et en soutien au peuple se cache les vrais enjeux de l'intervention impérialiste.

    Le Mali est, après l’Afrique du Sud et le Ghana, le troisième producteur africain d’or. De plus, son sous-sol recèle de l’uranium (qui sert dans le nucléaire). Uranium qui a un rôle clef dans l'impérialisme français puisque la France créée 75% de son énergie avec. Ce n'est pas pour rien si AREVA vient récemment d'investir 1,5 milliard d'euro au Niger (pays frontalier du Mali). Enfin le sol malien est riche en hydrocarbures (pétrole et gaz) qui intéressent évidemment des groupes comme Total.

    Il est nécessaire pour les impérialistes européens, et en particulier pour l'impérialisme français, de « stabiliser » cette région afin de continuer son pillage tranquillement.

    On le voit cette intervention sous direction française avec ses « alliés » africains repose donc sur des enjeux géostratégiques clairs, stabiliser la région pour pouvoir profiter pleinement du pillage des ressources du Mali ainsi que de pouvoir disposer pleinement de son peuple afin de mieux l'exploiter. Enfin, en retour, François Hollande passe pour le sauveur du Mali contre les terroristes, tout comme les américains qui allaient en Afghanistan pour y sauver les femmes des talibans !

    Arrêt immédiat de l'offensive militaire !

    Troupes impérialistes hors d'Afrique !


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    PCmFÀ bas les interventions impérialistes en Afrique !  

    http://www.archive-host.com/files/1892825/605fe43860be87b04aa41ccaf04344885422138f/afrique-en-lutte.png

    À peine les troupes combattantes d’Afghanistan retirées (1400 restent tout de même sur place pour la « formation » et la « logistique »), l’impérialisme français intervient au Mali.

    Lorsque nous parlons d’intervention militaire :

    • Nous ne saurions oublier que ce sont les impérialistes américains qui ont soutenu les forces réactionnaires en Afghanistan pour lutter contre l’invasion du social-impérialisme soviétique.
    • Nous ne saurions oublier l’intervention impérialiste américaine qui a détruit l’Irak et qui laisse le chaos.
    • Nous ne saurions oublier les résolutions jamais appliquées de l’ONU contre la politique colonialiste d’Israël en Palestine.
    • Nous ne saurions oublier l’intervention des différents impérialistes dans les pays arabes pour soutenir de nouvelles forces réactionnaires, conquérir des marchés et des zones d’influence et dévoyer la juste révolte populaire.


    L’Afrique est devenu le champ de bataille économique entre les impérialistes occidentaux et les nouveaux impérialistes (Chine, Russie) et grands pays émergents (Brésil et Inde). Les anciens impérialistes qui détiennent des intérêts en Afrique grâce à la colonisation et au colonialisme moderne veulent les défendre jusqu’au bout, tandis que les nouveaux impérialistes et les émergents cherchent à tout prix à en conquérir de nouveaux.

    C’est dans ce contexte que l’impérialisme français intervient régulièrement en Afrique sous différentes formes pour préserver ses intérêts, comme récemment en Côte d’Ivoire. Il se prépare aussi à renforcer sa présence en Somalie. Plusieurs pays sont même concernés par des clauses confidentielles d’intervention française en cas de déstabilisation du pouvoir.

    Aujourd’hui l’impérialisme français, qui soutient les anciens chiens de garde au Mali, a pour objectif de préserver les intérêts de la France, c’est-à-dire poursuivre et développer le pillage organisé des matières premières. L’intervention contre les groupes islamistes est le prétexte qui sert à la France pour justifier l’intervention militaire.

    Bien sûr, les forces islamistes fondamentalistes sont réactionnaires et sont des ennemis du peuple qui s’appuient sur la misère causée par l’impérialisme. Mais ce qu’il faut voir ici c’est que le « danger islamiste » est utilisé comme prétexte par les impérialistes pour combattre les révoltes populaires en Afrique et dévier la colère du peuple en Europe et dans les autres pays. Cette manœuvre participe à dresser une partie de la classe ouvrière contre l’autre et à préparer ainsi les solutions fascistes à la crise. A terme, la mobilisation pour une nouvelle guerre de repartage au niveau mondial n’est pas à exclure. L’objectif des gouvernements, de droite ou de gauche, est de maintenir à tout prix la domination du capitalisme sur l’ensemble des peuples du monde.

    Mais dans le monde des forces se dressent contre les exploiteurs et les oppresseurs et mènent la guerre populaire sous la direction des partis communistes maoïstes comme en Inde, aux Philippines, en Turquie, pendant que dans de nombreux pays se développent et se reconstruisent les nouveaux partis communistes maoïstes pour préparer et étendre la guerre populaire contre les impérialistes et les chiens de garde, quel que soit le masque sous lequel ils se dissimulent, laïcs ou religieux.

    Comme il a été déclaré à la Conférence Internationale de Soutien à la Guerre Populaire en Inde, qui a regroupé des représentants des forces révolutionnaires de 20 pays, le meilleur soutien aux peuples en lutte que nous pouvons apporter est de développer la lutte révolutionnaire dans nos pays respectifs. Ici en France, notre tâche première est de nous opposer à notre propre impérialisme. C’est la seule façon d’en finir avec l’impérialisme, le système capitaliste d’exploitation et d’oppression, la seule façon d’en finir avec la guerre.


    À bas les interventions et les manœuvres de l’impérialisme en Afrique !

    Vive la lutte des peuples contre les chiens de garde et les réactionnaires de tous bords ! 


    PC maoïste de France


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    Comité anti-impérialiste : LE MALI NE SERA JAMAIS LIBÉRÉ PAR LES TROUPES DE L’IMPERIALISME FRANÇAIS !

    Vendredi 11 janvier, une intervention française au Mali, baptisée « opération Serval », a été lancée. Chacun a pu en voir les premières images et apprendre la mort au combat de l’officier français Damien Boiteux, membre des forces spéciale [1]. Selon les déclarations de F. Hollande, président de l’Impérialisme Français, cette guerre est justifiée car  il s’agit  de « sauvegarder un pays ami » et de combattre le « terrorisme ». La quasi-totalité des partis politiques a applaudi l’initiative. Comme souvent, les guerres de la France en Afrique consacrent l’Union Sacrée drapée sous les plis du drapeau national.
     
    Pourtant, les pays occidentaux avaient d’abord juré durant des mois qu’ils n’enverraient pas de troupes au sol. Il y a quelques mois, cette mission au Nord-Mali avait même été proposée au Maroc, en sous-traitance, en échange de l’effacement de sa dette militaire. Mais, l’occasion d’intervenir directement a été saisie par les forces françaises et dans une moindre mesure allemandes et anglaises. Une colonne d’une coalition de djihadistes et d’indépendantistes touaregs avançait vers la ville malienne de Mopti, un des derniers verrous sur la route de la capitale Bamako. Cette coalition regroupe Ansar Eddine, Aqmi, Mujao, qui avec le MNLA, contrôle le Nord du pays depuis 10 mois. La colonne  « qui met en cause l'existence même du Mali » est composée de 1000 hommes armés et d’une centaine de 4x4 selon J. M Merchet, journaliste à Marianne et itélé, spécialiste de la Défense.
     
    Les partisans de l’intervention avancent des arguments nobles. Face à l’horreur des mains coupées,  face à la barbarie des viols collectifs pour refus de mariage avec un « djihadiste », face à la lapidation des couples non mariés, face à la destruction des mausolées de Tombouctou, une intervention armée pourrait sembler salutaire à beaucoup. Mais cette guerre n’est pas une guerre juste. C’est une guerre réactionnaire. C’est une guerre impérialiste. Elle peut transformer la région en enfer pour les peuples comme c’est le cas au Moyen-Orient. Elle ne servira pas le peuple malien ni les peuples de la sous-région ouest-africaine. Elle servira le capitalisme français et ses sous-préfets africains et elle renforcera l’islam politique à visage barbare.
     
    Le rôle de notre Comité Anti-Impérialiste est en premier lieu de combattre les mensonges de guerre de notre propre pays. Aujourd’hui, le grand désarroi des populations maliennes, leurs aspirations légitimes à se débarrasser de la barbarie mais aussi l’extrême vulnérabilité d’un État malien en décomposition permettent de faire gober n’importe quoi. La bonne conscience impérialiste fait consensus national et dégouline de partout. Les médias vont couvrir avec excitation les opérations éblouissantes  de « bombardements de choc » et de « frappes chirurgicales » en expurgeant docilement les images gênantes. Mais, la vérité c’est que le Mali ne sera pas libéré de la terreur des fondamentalistes par cette intervention. Les interventions impérialistes faites au nom du combat « contre la terreur islamiste » ont toutes abouti à le renforcer. Les précédents de l’Irak et de  l’Afghanistan et les résultats de la « guerre contre la terreur » devraient vacciner définitivement ceux qui pensent qu’une première « victoire » des impérialistes sera gage de paix civile. Les grands barnums militaires de la démocratie capitaliste renforcent les courants les plus réactionnaires tout en piétinant la dignité des peuples.
     
    Qui sont les « ennemis » au Mali ? Selon le discours de la guerre antiterroriste il s’agit des « terroristes », c’est-à-dire d’Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) ou sa dissidence le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao). Pourtant ces groupes fanatiques sont aujourd’hui liés à des mouvements qui ont un réel ancrage dans les populations locales : Ansar Eddine qui revendique aussi l’instauration d’un régime de l’Islam politique au Mali et d’autre part le Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA) qui est séparatiste touareg. Dans cette situation complexe, la guerre sera indifférenciée et les racines de la rébellion touareg resteront. De nombreux Maliens veulent à juste titre en finir avec ces forces rétrogrades. Mais miser sur l’intervention des puissances impérialistes c’est creuser son propre tombeau.
     
    En dix mois, le Mali s’est vu amputé de 2/3 de son territoire avec une imposition de la charia. Pourquoi cet effondrement si subit? Il faut comprendre que le Mali paye la note de la guerre impérialiste en Libye et des stratégies impérialistes de contrôle du sous-sol sahélien.
    La guerre en Libye a transformé ce qui devait être la protection de la ville de Benghazi en renversement du régime libyen, suivi de la mise mort de Khadafi. Ce viol de la résolution 1973 du Conseil de sécurité s’est réalisé par une alliance entre des mercenaires de « l’islam radical », de l’OTAN et des pétromonarchies (Qatar en tête). Ces mercenaires ont ensuite rejoint les séparatistes touaregs avec un arsenal issu de la guerre en Libye. Les forces qui déstabilisent le Mali ont donc été armées par la France ou par ses alliés. Le Qatar par exemple, que les autorités françaises veulent étrangement intégrer à l’Organisation de la Francophonie, est le sponsor officiel d’Ansar Eddine. Les coupeurs de mains sont financés par le patron du PSG comme l’a révélé le journaliste Claude Angéli du Canard Enchaîné. De son côté, l’État malien est dirigé par une clique bourgeoise véreuse, corrompue et compradore. Elle n’a pu aligner qu’une armée de pacotille, spécialiste des putschs à répétition et des débâcles. En 2012, l’aide extérieure a été supprimée grevant le budget de 429 milliards de francs CFA et créant un drame économique. Les autorités maliennes ont été sommées d’accepter l’intervention militaire pour que l’aide reprenne. Finalement, le président par intérim, Dioncounda Traoré, symbolise bien l’humiliation nationale en mendiant une intervention française. Le Mali de Modibo Keïta, qui depuis 1960 a toujours refusé l’installation d’une base militaire française à Mopti, va se retrouver sous contrôle total de l’ancienne puissance coloniale.
     
    Le contrôle du sous-sol malien et régional est le second aspect à comprendre. Le Mali n’est pas un « État ami » de l’impérialisme français contrairement à ce que dit F. Hollande, c’est un État vassalisé. Un État dont les relations monétaires sont gérées par la Banque de France.  Les rapports France-Mali sont toujours ceux qui existent entre le prédateur et la proie. La région regorge de gisements d’uranium et d’or. F. Hollande ment lorsqu’il dit que la guerre n’a pas « d’autre intérêt et d’autre but que la lutte contre le terrorisme » (déclaration du dimanche 13 janvier). Pourquoi cacher les intérêts économiques et stratégiques français dans cette affaire ? Areva est le groupe nucléaire spécialiste de l’extraction de l’uranium et il gère les immenses mines du Niger. Cette multinationale bataille depuis plusieurs mois pour obtenir l’exploitation du minerai de Faléa à 350 kilomètres de Bamako. Les experts en énergie de la société internationale Golder Associate indiquent que « le Mali offre un environnement de classe mondiale pour l’exploitation d’uranium ». Les entreprises canadiennes Rockgate et française Foraco s’occupent  actuellement des forages. La France semble donc bien engagée sur le dossier de l’uranium malien. D’ailleurs, son ambassadeur au Mali, Christian Rouyer, déclarait il y a quelques mois qu’ « Areva sera le futur exploitant de la mine d’uranium à Faléa ». Il y a aussi d’autres intérêts stratégiques comme  le projet à long terme nommé « Désertec », un projet géant de centrales solaires et éoliennes. C’est un enjeu immense dans la guerre économique avec les groupes asiatiques et américains, c’est-à-dire dans la guerre pour s’emparer des ressources de la planète.
     
    La mise sous tutelle du Mali est une opération de brigandage. Le Mali est un otage des pays impérialistes. Pas seulement des impérialistes français mais aussi des USA qui vont installer des bases de lancement de drones au Mali, via le projet Africom, après ceux déjà installés en Ouganda, en Éthiopie et à Djibouti et des forces de surveillance aériennes US basées en Mauritanie. Transformer le Sahel en « sanctuaire terroriste » permet de légitimer des buts stratégiques planifiés. 
     
    Les impérialistes prétendent mener partout des « guerres contre le terrorisme » qui sont en réalité des prétextes rêvés pour contrôler des ressources et des États fantoches. Là où le chaos n’existe pas, ils lui donnent vie comme en Libye et en Syrie. Pour contrôler des ressources, détruire la résistance des peuples opprimés, installer leurs bases militaires et contrecarrer les appétits des autres pays impérialistes. Notre devoir ici est de dénoncer sans relâche le maintien des pays africains dans un statut de soumission. Notre devoir est de démasquer la soi-disant « guerre contre l’islamisme » qui aboutit à détruire la vie sociale des peuples là-bas, loin de la Métropole, et qui alimente ici une psychose raciste « décomplexée ».  
     
    NON A LA MISE SOUS TUTELLE DU MALI!
     
    A BAS L’IMPÉRIALISME FRANÇAIS !
     
    UN PEUPLE QUI EN OPPRIME UN AUTRE NE SERAIT ÊTRE LIBRE !
     
    Comité Anti-Impérialiste (13 janvier 2013)
     
    [1] La biographie du lieutenant Boiteux diffusée par l'armée de terre confirme pour la première fois de manière officielle la présence, depuis 2010, de militaires français des opérations spéciales en Mauritanie et au Burkina Faso
     
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    Un nouveau communiqué de l'Organisation communiste "Futur rouge" (rien à voir avec le défunt blog qui avait lamentablement attaqué SLP). Celle-ci est issue d'une scission du ROCML-JCML : SLP ne prend aucunement parti dans ces dissensions entre des forces qui ne se réclament pas du MLM. Le communiqué est simplement reproduit parce qu'il dit des choses intéressantes et justes : 

     

    481370 246352992163708 67316163 nAu Mali comme ailleurs, l’impérialisme français n'a pas ôté son costume de colon. Ce jeudi 11 janvier, la France a demandé une réunion d'urgence à l'ONU, dans le but d'organiser l'intervention militaire dans le cadre d'une coalition internationale. L'impérialisme français va donc intervenir, une fois de plus, militairement sur le territoire du Mali, l'une de ses anciennes colonies. Les premiers renforts militaires français et allemands sont déjà arrivés. Une fois de plus, le parti «socialiste» décide de semer la guerre pour défendre les intérêts de la bourgeoisie française, sous couvert bien sûr de lutte contre une «menace terroriste islamiste».

     

    La soit disant «guerre contre le terrorisme» c'est en réalité une guerre contre les classes populaires maliennes, une guerre de rapine menée par l'État français, et ses alliés locaux pour défendre leurs intérêts de classe et s'assurer une main mise toujours plus importante sur les ressources naturelles au Mali (or, uranium, hydrocarbures...). La situation au Mali est depuis un an explosive et la France en est elle même directement responsable. Le mercredi 10 janvier, le président malien Dioncounda Traoré a envoyé une lettre à la France pour demander urgemment son aide militaire. Cela faisait plus d'un an que l'État français cherchait a imposer son intervention militaire au Mali sous prétexte de mettre fin au chaos qu'il avait lui même suscité en envahissant la Libye.

     

    L'intervention en Libye a en effet surarmé les touaregs qui ont ensuite mené une offensive contre le gouvernement malien. Un mouvement séparatiste existe depuis longtemps au Nord Mali., l'Azawad. Après l'intervention en Lybie, les touaregs du MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad) ont mené des opérations militaires contre le gouvernement de Bamako. Un coup d'état militaire a eu lieu contre le gouvernement, accusé d’être corrompu et incapable de rétablir la situation. Pourtant l’armée n’est pas parvenu à reprendre le contrôle du Nord, et le MNLA a perdu à son tour du terrain face à ses anciens alliés islamistes d’Ansar Dine .

     

    La scission du Mali a servi de prétexte à l’État français pour réclamer une intervention militaire. Depuis un an, de fortes résistances se manifestaient au sein des peuples du Mali et des éléments progressistes et patriotes de l'armée pour refuser cette ingérence impérialiste, en mettant en avant l’idée que c’est aux peuples du Mali de régler leurs propres problèmes et non aux impérialistes. Par ailleurs l'État algérien freinait des quatre fers, en exigeant de la France des garanties sérieuses pour que l'armée française ne profite pas d'une guerre pour violer l'intégrité nationale algérienne et mettre la main sur le pétrole du Sahara, dont l'impérialisme français n'avait jamais fait le deuil. Nous ne savons pas ce qu'Hollande a négocié lors de son récent voyage en Algérie, mais nous pouvons d'ores et déjà constater que la fraction de la bourgeoisie malienne la plus soumise à l'impérialisme l'a emporté en soutenant cette intervention de l'ancienne puissance coloniale qui a toujours dénié aux peuples du Mali leur droit à l'indépendance réelle, en s'ingérant régulièrement dans leurs affaires depuis le renversement du président Modibo Keita en 1968.

     

    Les armées coloniales ont toujours été et resterons les bourreaux des peuples. Les guerres impérialistes ne sont jamais justes, en tant que prolétaires nous n'avons jamais à les soutenir. L'intervention au Mali n'est en aucun cas dans l'intérêt des peuples du Mali, elle sert au contraire les intérêts coloniaux de la bourgeoisie impérialiste de l'État français. Dans l'échiquier politique Français, pas une voix ne s'élève pour dénoncer l'agression impérialiste au Mali. Quand il s'agit de piller un peuple, toutes les forces de la bourgeoisie hexagonale oublient leurs querelles pour crier à l'union nationale et chanter à la gloire de la patrie. Même les réformistes du Front de gauche y vont de leurs couplets patriotiques toute en gardant quelques réserves d'ordre formel (il fallait consulter les députés, attendre une résolution de l'ONU...).

     

    Notre rôle en tant que militants communistes est de combattre notre propre impérialisme, où qu'il s'exprime et quelle que soit la forme qu'il prenne. Nous sommes solidaires des peuples du Mali comme de tous les peuples victimes des agressions militaires des impérialistes. Nous reconnaissons le droit à l'autodétermination des Touaregs, pris dans les feux croisés d'impérialismes concurrents depuis la colonisation. Nous ne soutenons pas les islamistes qui sont une force réactionnaire ne portant pas l'intérêt des peuples du Mali. Nous nous étonnons de voir que l'État français prétend faire la guerre a des islamistes soutenus par le Qatar, qui ressemblent comme des frères a ceux que l'État français arme et soutient en Syrie [NDLR c'est simple comme bonjour : en Syrie (comme hier en Libye) les intérêts BBR et qataris convergent, au Mali ils sont contradictoires... tout simplement].

     

    Le MNLA a annoncé son soutien à l'intervention française, il se met ainsi à la traîne des impérialiste et des factions pro-impérialistes des classes dominante du Mali. Nous ne soutenons pas les chiens de guerre de l'État français et leurs alliés sur place. Nous souhaitons la défaite militaire de la France. Notre devoir est d'organiser la résistance face à son intervention militaire au Mali avec l'ensemble des forces anti-impérialistes conséquentes de l'Hexagone. Après la Libye et la Côte d'Ivoire, les interventions militaires se succèdent à un rythme effrayant, à nous de réagir.

     

    Histoire de ne pas faire de "jaloux", le communiqué du ROCML :

    COMMUNIQUE DU ROCML et de La JCML –FRANCE –

    Halte A la recolonisation de l’Afrique

    par l’impérialisme français   

    Après l’intervention armée en Côte d’Ivoire pour écarter Laurent Gbagbo, après l’agression militaire contre la Libye pour éliminer Mouammar Kadhafi, après la guerre internationale menée pour se débarrasser de Bachar El Assad, c’est maintenant le tour du Mali d’être reconquis militairement par l’impérialisme occidental avec l’État impérialiste français aux premiers postes.

    Les prétextes sont toujours les mêmes : combattre les dictatures, combattre les terroristes, installer la démocratie. Qu’en Libye et en Syrie on arme les groupes terroristes de même obédience que ceux qu’on pourchasse au Mali permet pourtant de douter des intentions et des buts réels des puissances impérialistes occidentales [NDLR : ibidem supra].

    Les vraies raisons sont différentes en effet, géostratégiques et économiques. Il s’agit de contrôler l’exploitation (en fait le pillage) des richesses naturelles et humaines des régions du monde où elles se trouvent et leurs voies d’acheminement vers les métropoles impérialistes.

    Le Mali est le troisième producteur d’or d’Afrique, et récemment on a découvert dans le nord du pays d’importantes réserves de gaz et de pétrole. Proche du Niger, le sous-sol du Mali contient sans doute aussi des réserves d’uranium.

    La vraie raison de l’intervention française au Mali est là : rétablir sa domination coloniale sur ce pays africain qui fait partie de son pré carré et où les monopoles français comme TOTAL et AREVA pourront à piller le sol et le sous-sol.

    Dans la situation de crise générale où se trouve désormais l’impérialisme mondial, le contrôle des richesses de la planète est devenu une question de vie ou de mort pour les puissances impérialistes, et la guerre est devenue pour eux la seule solution pour atteindre ce but.

    Le ROCML condamne cette nouvelle aventure militaire menée par l’État français en Afrique. et dénonce les mensonges du gouvernement socialiste qui prétend combattre les terroristes  djihadistes au Mali alors que c’est  l’État impérialiste français qui les a armés en Libye pour supprimer Kadhafi, et alors qu’il les soutient maintenant financièrement et militairement en Syrie.

    Le ROCML observe que des organisations communistes et anti-impérialistes s’opposent à cette nouvelle aventure militaire africaine de l’État impérialiste français. Il souhaite que ces organisations manifestent leur volonté de la combattre dans l’unité d’action. Le ROCML, pour sa part, est prêt à participer à toute initiative allant dans ce sens.

    Paris Le 13 janvier 2013


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    Mouvement libertaire :
    Guerre au Mali, merci AREVA (Alternative libertaire Montpellier)


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    Articles de l'association SURVIE France : Luttes d’influences au Sahara et La France intervient au Mali et réaffirme son rôle de gendarme en Afrique


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  • Source : Libération Irlande

    Préface au « Procès de Burgos »


    Texte de J.-P. Sartre écrit en 1971.


    S’il faut en croire la presse, le procès de Burgos n’a fait un tel scandale que pour avoir mis en lumière la férocité absurde du régime franquiste. Je n’y crois pas : la sauvagerie fasciste a-t-elle tant besoin d’être démontrée? N’y avait-il pas eu, depuis 1936, des incarcérations, des tortures et des exécutions un peu partout sur le sol de la péninsule ibérique ? Ce procès a troublé les consciences, en Espagne et hors d’Espagne, parce qu’il a révélé aux ignorants l’existence du fait national basque ; il est apparu clairement que ce fait, bien que singulier, était loin d’être unique et que les grandes nations renfermaient des colonies à l’intérieur des frontières qu’elles s’étaient données. À Burgos, enchaînés et, pour ainsi dire, bâillonnés, les accusés, au prix d’une bataille de tous les instants, sont parvenus à faire le procès de la centralisation. Coup de tonnerre en Europe : pour ne prendre qu’un exemple, on enseigne aux petits Français que l’histoire de France n’est autre que celle de l’unification de toutes « nos » provinces, commencée sous les rois, poursuivie par la Révolution française, achevée au XIXe siècle.

    Il fallait, me disait-on quand j’étais à l’école, en être fier : l’unité nationale, réalisée chez nous de bonne heure, expliquait la perfection de notre langue et l’universalisme de notre culture. Quels que fussent nos partis pris politiques, il était interdit de la remettre en question. Sur ce point, socialistes et communistes se trouvaient d’accord avec les conservateurs : ils se jugeaient les héritiers du centralisme jacobin et, réformistes ou révolutionnaires, c’était à l’hexagone pris comme un tout indivisible qu’ils voulaient apporter les bienfaits du nouveau régime. Que l’absolutisme monarchique soit né tout à la fois du développement des voies et des moyens de communication, de l’apparition du canon et des exigences « mercantilistes » du capital marchand, que la Révolution et le jacobinisme aient permis à la bourgeoisie au pouvoir de poursuivre l’unification de l’économie en faisant sauter les dernières barrières féodales et ethniques et de gagner des guerres étrangères par une levée en masse de tous les habitants en âge de porter les armes sans souci de leur origine ethnique et que le XIXe siècle ait fini le job par l’industrialisation et ses conséquences (l’exode rural, la concentration et l’idéologie nouvelle ou nationalisme bourgeois), que l’unité présente soit, somme toute, l’effet du projet séculaire de la classe actuellement dominante et que celle-ci ait tenté de produire partout, de la Bidassoa à la frontière belge, le même type d’homme abstrait, défini par les mêmes droits formels – on est en démocratie ! – et les mêmes obligations réelles sans tenir compte de ses besoins concrets, personne aujourd’hui n’en a cure : c’est ainsi, voilà tout, on n’y touchera point.

    D’où la stupeur de décembre 70 : le procès était infâme et absurde mais pouvait-on contester la validité des accusations portées contre les prisonniers sans, du même coup, tenir au moins en partie pour valables les objectifs que se propose l’E.T.A. ? Bien sûr, le gouvernement espagnol est fasciste ouvertement et cela brouillait les cartes : ce que visaient en claire conscience la plupart des protestataires, c’était le régime de Franco. Mais il fallait soutenir les accusés et l’E.T.A. ne disait-elle pas : nous ne sommes pas seulement contre le franquisme, nous luttons avant tout contre l’Espagne ? Telle était la pilule indigeste qu’il fallait avaler. Comment admettre que la nation basque existât de l’autre côté des Pyrénées sans reconnaître à « nos » Basques le droit de s’y intégrer ?

    Et la Bretagne alors ? Et l’Occitanie ? Et l’Alsace ? Fallait-il récrire l’histoire de France à l’envers, comme le proposait récemment Morvan-Lebesque et voir dans Du Guesclin, héros du centralisme, un simple traître à la cause bretonne ? Le procès de Burgos attirait l’attention sur ce fait nouveau : la renaissance un peu partout de ces tendances que les gouvernements centraux ont pris coutume d’appeler « séparatistes ». En U.R.S.S. beaucoup de républiques, à commencer par l’Ukraine, sont travaillées par des forces centrifuges ; il n’y a pas si longtemps que la Sicile a fait sécession ; en Yougoslavie, en France, en Espagne, en Irlande du Nord, en Belgique, au Canada, etc., les conflits sociaux ont une dimension ethnique ; des « provinces » se découvrent nations et réclament plus ou moins ouvertement un statut national. On s’aperçoit que les frontières actuelles correspondent à l’intérêt des classes dominantes et non aux aspirations populaires, que l’unité dont les grandes puissances tirent tant d’orgueil cache l’oppression des ethnies et l’usage sournois ou déclaré de la violence répressive.

    Le renforcement actuel des mouvements nationaux s’explique par deux raisons claires. En premier lieu, la révolution atomique. Morvan-Lebesque rapporte qu’un dirigeant autonomiste de Bretagne, apprenant l’explosion d’Hiroshima, s’était écrié : « Enfin le problème breton existe ! » Avant cela, en effet, le centralisme unificateur se justifiait et se renforçait en évoquant la menace que faisait peser sur le pays l’hostilité des pays voisins. Avec l’arme atomique, ce chantage n’est plus de saison : le centralisme de la guerre froide s’exerce à partir de Moscou et de Washington sur des nations et non plus sur des provinces. Du coup, dans la mesure où ces nations s’inquiètent d’appartenir à l’un ou l’autre bloc, d’autres nations plus petites et qu’on prétendait intégrées reprennent conscience de leur entité.

    La deuxième raison, liée d’ailleurs à la première, je la trouve dans le processus de décolonisation qui s’est engagé après la dernière guerre mondiale sur trois continents. Imaginez un jeune homme né dans le Finistère allant, vers 1960, faire son service au Maghreb. Il s’agit, lui a-t-on dit, de prêter la main à une opération de simple police pour réprimer l’agitation folle et coupable de quelques départements français d’outre-mer. Or voici que les Français, battus, rempochent la division départementale, se retirent d’Algérie et lui reconnaissent le statut de nation souveraine. À quoi correspond, alors, pour le soldat démobilisé, le fait d’être un habitant du Finistère ? Il a vu, à Alger, que les départements sont des divisions abstraites qui cachaient là-bas la conquête par la force et la colonisation.

    Pourquoi n’en serait-il pas de même de l’autre côté de la Méditerranée, dans ce qu’on appelle la « Métropole » ? Le Finistère – qui n’a d’existence réelle que pour l’administration – disparaît dans l’abstraction sous les yeux du jeune homme : celui-ci se sent Breton, rien de plus, rien de moins, et Français par droit de conquête. Va-t-il se résigner à être colonisé ? S’il en était tenté, l’exemple des Algériens et celui des Vietnamiens sont là pour le conduire à la révolte. Les victoires du Viêt-nam, surtout, lui apprennent que les colons avaient habilement limité le champ des possibles pour lui et ses frères.

    On lui avait inculqué le défaitisme : Français, lui avait-on dit, il pouvait tout puisqu’il avait le droit de vote tout comme un Beauceron ; Breton, il ne pouvait pas même lever un doigt et sûrement pas se dresser contre le pouvoir central qui l’écraserait sur l’heure. Mais, en Indochine, quelques millions de paysans pauvres ont jeté les Français à la mer et luttent à présent victorieusement contre la plus grande puissance militaire du monde capitaliste : cela aussi, c’était impossible. Eh bien, non : le champ de ses possibles s’élargit d’un seul coup : si les puissances colonisatrices n’étaient que des tigres aux dents de papier ? Fission de l’atome et décolonisation, voilà ce qui exalte dans les « ethnies » conquises un patriotisme original. Cela, au fond, tout le monde le sait ; mais beaucoup, en France, en Espagne, au Canada pensent que cette volonté d’indépendance n’est qu’une velléité née de fausses analogies et que les mouvements séparatistes disparaîtront d’eux-mêmes.

    Or l’exemple du Pays basque est là pour nous apprendre que cette renaissance n’est pas occasionnelle mais nécessaire et qu’elle n’aurait pas même eu lieu si ces prétendues provinces n’avaient eu une existence nationale qu’on a pendant des siècles tenté de leur ôter et qui, obturée, voilée par les vainqueurs, était demeurée là comme le lien historique et fondamental entre leurs habitants et si l’existence de ce lien, tacitement reconnu par le pouvoir central, ne rendait pas raison de la situation inférieure de l’ethnie conquise au sein du pays conquérant et, conséquemment, de la lutte farouche que celle-ci mène pour l’autodétermination.

    Le fait basque, s’imposant à Burgos dans sa nécessité, n’a pas fini d’éclairer Catalans, Bretons, Galiciens, Occitaniens sur leur destinée. Je veux tenter ici d’opposer à l’universalité abstraite de l’humanisme bourgeois l’universalité singulière du peuple basque, de montrer quelles circonstances ont amené celui-ci par une dialectique inéluctable à produire un mouvement révolutionnaire et quelles conséquences théoriques on peut raisonnablement tirer de sa situation actuelle, c’est-à-dire quelle mutation profonde la décentralisation peut apporter dès aujourd’hui au socialisme centralisateur.

    Si nous nous reportons à l’histoire, sans préjugé centraliste, il apparaît clairement que l’ethnie basque diffère en tout des ethnies voisines et qu’elle n’a jamais perdu conscience de sa singularité, marquée en tout cas par des caractères biologiques qu’elle a conservés intacts jusqu’à aujourd’hui et par l’irréductibilité d’euzkara, sa langue, aux langues indo-européennes. Dès le VIIe siècle, le duché de Vasconia groupe une population de montagnards qui inflige aux armées de Charlemagne la défaite de Roncevaux. Ce duché se transforme vers l’An Mille en un royaume de Navarre qui entre en déclin à partir du XIIe siècle et que l’Espagne annexe en 1575. Malgré la conquête et, sans doute aussi, à cause d’elle, la conscience basque – ou conscience d’être basque – se renforce. Il faut dire qu’on sort à peine de l’ère féodale et que la centralisation espagnole est encore hésitante : elle conserve aux vaincus certains droits qu’ils possédaient au Moyen-Âge, les fueros, qui demeureront longtemps le bastion de la résistance basque, que défend le peuple entier.

    Que celui-ci ne se contentât pas de cette autonomie relative, qu’il rongeât son frein et n’ait pas perdu l’espoir de retrouver l’indépendance, c’est ce que prouve, au temps où Napoléon refaisait l’Europe, la proposition vainement faite à l’Empereur par un député de Biscaye : qu’il créât, à l’intérieur de l’Empire, un État basque indépendant. On sait la suite et que, la Constitution de 1812 ayant pratiquement supprimé les fueros, le mouvement nationaliste se fourvoya dans une aveugle tentative pour restaurer le passé : contre Isabelle II, plus libérale mais centralisatrice à la française, les forces populaires défendirent le prétendant absolutiste Don Carlos, autre passéiste mais qui, pour l’amour du passé, voulait restituer à la Navarre son autonomie féodale.

    Deux guerres, deux défaites : en 1879, Euzkadi perd ses derniers privilèges et s’enlise dans un traditionalisme bigot qui tourne le dos à l’histoire. Il se réveillera six ans plus tard quand Sabino Arana fondera le P.N.B. (Parti nationaliste basque) qui réunira surtout des bourgeois et des intellectuels : il ne s’agit plus de militer pour l’absolutisme dans l’espoir de reconquérir les fueros mais le P.N.B., politiquement progressiste, puisqu’il réclame l’indépendance, et socialement conservateur, demeure en partie passéiste comme le prouve un de ses slogans : « Vieilles lois et souveraineté. » La résistance basque frappait à ce point les Espagnols qu’il y en eut plus d’un, à l’époque, pour proposer – comme l’anarchiste Pi y Margall – une solution fédéraliste aux problèmes de la péninsule.

    Plus tard, pendant la République, le projet fut repris et le gouvernement central reconnut le principe de l’autonomie des régions à condition qu’il fût approuvé, dans un référendum, par 70% des populations concernées. La Haute Navarre, essentiellement rurale et de ce fait attachée au carlisme (les carlistes vont bientôt se battre aux côtés de Franco) vote contre l’autonomie ; les trois autres provinces votent pour, à une énorme majorité. Le gouvernement républicain, plus centraliste qu’il n’y paraissait, fait traîner les choses, sans bonne grâce, jusqu’en 36. S’il reconnaît enfin l’autonomie, à cette époque, c’est sous la pression des événements et pour des raisons essentiellement pratiques et même militaires : il s’agissait de se gagner le Pays basque et de s’assurer qu’il résisterait au putsch de Franco par la lutte armée.

    Aussitôt le gouvernement basque est fondé : trois socialistes, deux libéraux, un communiste, ce qui montre à la fois que l’influence du P.N.B. s’étend aux couches sociales les plus diverses et qu’il assouplit un peu son conservatisme originel. Les troupes basques, jusqu’en avril 37, défendent farouchement le Guipuzcoa et la Biscaye. On sait la suite : Franco envoie des renforts, fait régner la terreur et bombarde Guernica : 1.500 morts ; au mois d’août, c’est la fin de la République d’Euzkadi. À la guerre succède la répression : emprisonnements, tortures, exécutions.

    Le président Aguirre, chef du P.N.B., se réfugie en France ; pendant la Seconde Guerre mondiale, il joue la carte des démocraties, espérant que la chute de Hitler et de Mussolini serait suivie par celle de Franco. On mesure aujourd’hui quelles furent notre honte et sa naïveté : le P.N.B. avait joué son rôle : depuis 45, il ne cesse de décliner. En 47, pourtant – sans doute dans l’intention de mettre les Alliés au pied du mur – il déclenche une grève générale. Les Alliés ne bougent pas et laissent Franco briser la grève par une impitoyable répression. C’est la fin : le parti conserve en Euzkadi un prestige certain parce qu’il est le parti « historique » qui reste à l’origine de l’éphémère République basque. Mais il n’a plus la possibilité d’agir : ses moyens d’action ne correspondent plus à la situation. Les exilés vieillissent, Aguirre meurt. N’importe : nous verrons tout à l’heure comment l’E.T.A surgit à point nommé pour remplacer le vieux parti bourgeois. Ce bref résumé suffit à montrer qu’Euzkadi, ethnie récemment conquise par l’Espagne, a toujours refusé farouchement l’intégration. Si l’on faisait voter les Basques aujourd’hui, je laisse à penser à quelle écrasante majorité ils décideraient de l’indépendance.

    Accepterons-nous pourtant de dire, comme l’E.T.A., que l’Euzkadi est une colonie de l’Espagne ? La question est d’importance car c’est dans les colonies que lutte des classes et lutte pour l’indépendance nationale se confondent. Or, dans le système colonialiste, les pays colonisés fournissent à bon compte des matières premières et des produits alimentaires à une métropole industrialisée : c’est que la main-d’œuvre y est sous-payée. Et l’on ne manquera pas de faire remarquer que le Pays basque, surtout dans ses provinces de Guipuzcoa et de Biscaye, est depuis le début de ce siècle en plein développement industriel. En 1960 la consommation d’énergie électrique par habitant et par an est de 2.088 kW dans les deux provinces, de 650 kW pour l’Espagne et la Catalogne. La production d’acier par habitant et par an est de 860 kg en Biscaye, de 450 en Euzkadi, de 45 en Espagne-Catalogne. La répartition de la population active, en Guipuzcoa, s’établit ainsi : secteur primaire 9,45 %, secteur secondaire 56,80 %, secteur tertiaire 33,75 % ; en Biscaye : 8,6%, 57,5% et 33,9% ; alors qu’en Espagne-Catalogne, le secteur primaire emploie 43,50 % des travailleurs, le secteur secondaire 27,20 % et le tertiaire 29,30 %.

    Le gonflement considérable des deux derniers secteurs, joint au fait que, dans ces provinces, la population rurale est en constante diminution, montre assez l’énorme effort du Pays basque pour se donner une industrie. Le Guipuzcoa et la Biscaye sont, de ce point de vue, les régions pilotes de la péninsule ibérique. Ainsi l’on rencontrerait, si colonie il y avait, ce paradoxe que le pays colonisateur serait pauvre et surtout agricole au lieu que le pays colonisé serait riche et qu’il offrirait le profil démographique des sociétés hautement industrialisées.

    À mieux y regarder, le paradoxe n’est qu’apparent : Euzkadi peut être prospère mais il ne compte que 2 millions d’habitants ; il en avait beaucoup moins en 1515 et, à cette époque, la population était rurale : la conquête s’est faite parce que les deux pays étaient de structure homogène et que l’un d’eux était beaucoup plus peuplé que l’autre. De l’autre côté de la Bidassoa, la Basse Navarre a été systématiquement pillée, ruinée, dépeuplée par le conquérant français : la colonisation est plus aisément visible. Il est clair que la léthargie de l’Espagne pendant les trente premières années du siècle a permis à l’Euzkadi-Sud de s’assurer une économie florissante de région, autour d’un pôle économique, Bilbao. Mais à qui profite cette économie ? Voilà la question. On peut y donner un semblant de réponse en disant qu’il n’est pas d’exemple qu’un pays conquis ne paye tribut à son conquérant. Mais il est plus sûr de consulter les données officielles. Elles nous apprennent que l’Espagne se livre à un véritable pillage fiscal du Pays basque. La fiscalité écrase les travailleurs ; elle est, en Guipuzcoa, la plus élevée de toute la péninsule.

    II y a plus : dans toutes les provinces qu’il tient pour espagnoles, le gouvernement dépense plus qu’il ne perçoit en impôts : 150 % à Tolède ; 151 % à Burgos, 164 % à Avina, etc. Les deux provinces industrialisées du Pays basque paient au gouvernement étranger qui les exploite 4 milliards 338 millions 400 000 pesetas, l’État espagnol, par contre, dépense en Euzkadi 774 millions de pesetas. Il vole donc 3 milliards 500.000 pesetas environ pour entretenir le désert castillan. Encore faut-il ajouter que la majeure partie des 774 millions « rendus » vont aux organes d’oppression (administration espagnole ou espagnolisée, armée d’occupation, police, tribunaux, etc.) ou de débasquisation (l’université où l’on n’enseigne que la langue et la culture espagnoles). Or le problème de l’industrie basque est, avant tout, celui de la productivité : pour produire à des prix compétitifs sur le marché mondial, il faudrait importer des machines modernes : l’État espagnol, partiellement autarcique, s’y oppose ; quant au crédit madrilène, il est discriminatoire et favorise la Castille aux dépens de la Biscaye. Pour que Bilbao et Pasajes s’adaptent au trafic maritime et reçoivent des bateaux à fort tonnage, il faut les équiper à neuf : les travaux seraient considérables comme aussi ceux que réclament les ports de pêche. Rien n’est fait.

    De même le réseau ferroviaire, installé autrefois par les Espagnols, est un lourd handicap : pour aller par le train de Bilbao à Vitoria il faut faire 137 kilomètres ; par la route 66. Mais l’administration et l’I.N.I. (Institut national de l’industrie), organe de l’État oppresseur, abritent des bureaucrates ignorants et tatillons, qui ne comprennent nullement les besoins du pays (en partie parce qu’ils le considèrent comme une province espagnole, au moins théoriquement) et empêchent les aménagements indispensables. Les produits non compétitifs, l’Espagne se réserve de les absorber. Elle fait la politique du tarif préférentiel à l’envers : en empêchant certains coûts de baisser, elle se donne le privilège de consommer les produits basques sans que les bénéfices du producteur en soient plus élevés. La conséquence est inévitable : le revenu per capita est un des plus hauts de la péninsule, ce qui ne veut rien dire ; et le revenu des salariés (85 % de la population active) est très inférieur à celui des Madrilènes, des habitants de Burgos, de Valence, etc. Il faut remarquer d’ailleurs que le taux d’augmentation des salaires a été, de 1955 à 1967, pour l’Espagne, de 6,3 % par an et pour Euzkadi de 4,15 %.

    Ainsi, en dépit de la sur-industrialisation du pays, nous retrouvons deux composantes essentielles de la colonisation classique : le pillage – fiscal ou autre – du pays colonisé et la surexploitation des travailleurs. À cela s’ajoute une troisième qui n’est que la conséquence des deux premières : le rythme de l’émigration et de l’immigration. Le gouvernement espagnol a profité des besoins de l’industrialisation pour expédier en Euzkadi les sans-travail de ses régions démunies. On leur a promis des avantages (par exemple, ils sont prioritaires pour le logement) mais, surexploités comme les Basques et sans conscience de classe développée, ils constituent pour le patronat une masse de manœuvre : on compte 300 à 351.000 immigrants sur une population de 1.800.000 à 2 millions d’habitants. Inversement les Basques des régions pauvres émigrent. Tout particulièrement les Navarrais : on compte de 150.000 à 200.000 Basques à Madrid dont près de 100.000 Navarrais. Cette importante ponction et l’entrée des travailleurs espagnols dans les régions industrielles peuvent être considérées comme un début de déstructuration coloniale.

    Cette politique constante du franquisme implique évidemment la complicité des grands patrons de Biscaye et de Guipuzcoa. Ceux-ci, en effet, dès les guerres carlistes, quand la haute bourgeoisie apparaît à Bilbao, étaient centralisateurs et libéraux. Depuis quelques années l’émigration des sièges sociaux des grandes entreprises à Madrid a commencé. La grosse bourgeoisie ne voit que des avantages au freinage de la modernisation par l’incompétence et l’autarcie espagnoles : le vaste marché d’Espagne absorbe les produits non compétitifs à l’échelle mondiale ; le patron est assuré d’un fort pourcentage de bénéfices sans être obligé à de gros investissements. Étrangers aux véritables intérêts de la nation, ces « collabos », dont le centralisme finirait par ruiner l’économie basque, s’excluent eux-mêmes de la communauté et jouent le rôle – classique, lui aussi – de ceux qu’on a nommés compradores.

    En dernière analyse, en effet, et dans le cadre du système centralisateur, ils trouvent leur compte dans un certain malthusianisme. La conclusion est claire : en dépit des apparences, la situation d’un salarié basque est tout à fait semblable à celle d’un travailleur colonisé : il n’est pas simplement exploité – comme l’est un Castillan, par exemple, qui mène la lutte de classes « chimiquement pure». – mais délibérément surexploité puisque, à travail égal, son salaire est inférieur à celui d’un ouvrier espagnol. Il y a surexploitation du pays par le gouvernement central avec la complicité des compradores qui, sur la base de cette surexploitation consentie, exploitent les travailleurs.

    La surexploitation ne profite pas aux capitalistes basques, simples exploiteurs surchargés d’impôts et protégés par une armée étrangère, elle ne profite qu’à l’Espagne, c’est-à-dire à une société fascisée, soutenue par l’impérialisme américain. Les classes travailleuses, toutefois, n’ont pas toujours conscience de la surexploitation et beaucoup de salariés songeaient, hier encore, à s’associer aux revendications et aux actions des ouvriers madrilènes ou de Burgos, ce qui les aurait conduits à un centralisme négatif. Il fallait leur faire comprendre que, dans le cas d’Euzkadi, la question économique et sociale se pose en termes nationaux : quand le pays ne paiera plus de tribut fiscal à l’occupant, quand ses vrais problèmes se formuleront et se régleront à Bilbao et à Pampelune plutôt qu’à Madrid, il pourra du même coup transformer librement ses structures économiques.

    Car, il faut le répéter, les Espagnols surexploitent les Basques parce que ceux-ci sont basques. Sans jamais l’avouer officiellement, ils sont convaincus que les Basques sont autres, ethniquement et culturellement. Croit-on qu’ils ont perdu le souvenir des guerres carlistes, de la République de 1936, des grèves de 1947 ? S’ils n’en avaient gardé mémoire, mettraient-ils un tel acharnement à détruire la langue basque ? Il est clair qu’il s’agit ici d’une pratique coloniale : les Français pendant cent ans se sont efforcés de détruire la langue arabe en Algérie ; s’ils n’y sont pas parvenus, au moins ont-ils transformé l’arabe littéraire en une langue morte qu’on n’enseignait plus ; ils ont fait de même, avec des succès divers pour l’euzkara en Basse Navarre, pour le breton en Bretagne.

    Ainsi, des deux côtés de la frontière, on essaie de faire croire à une ethnie tout entière que sa langue n’est qu’un dialecte en train d’agoniser. En Euzkadi-Sud on en interdit pratiquement l’usage. On défend d’établir des iskatolas, on a procédé à l’élimination des publications en euzkara, les écoles et l’Université enseignent la langue et la culture de l’oppresseur ; la radio, le cinéma, la télévision, les journaux expliquent en espagnol les problèmes de l’Espagne et font la propagande du gouvernement madrilène ; le personnel de l’administration est espagnol ou espagnolisé : on le recrute par des concours qu’organisent en espagnol des fonctionnaires madrilènes.

    Par cette raison – c’est-à-dire parce que l’étranger l’a ainsi voulu – on dit amèrement à Bilbao : « La langue et la culture basques ne servent à rien. » Et la presse inspirée répète volontiers un mot malheureux d’Unamuno « La langue basque va bientôt mourir. » Cela ne suffit pas : dans les écoles, on punit les garçons qui parlent basque. Dans les villages, on tolère que les paysans s’expriment en euzkara. Mais qu’ils ne s’avisent pas de le faire à la ville : un des accusés de Burgos avait l’autorisation de recevoir dans sa prison les visites de son père ; cette autorisation lui fut retirée lorsqu’on s’aperçut que celui-ci ne lui parlait qu’en basque – non certes par provocation mais parce qu’il ne connaissait pas d’autre langue.

    La suppression par force de la langue basque est un véritable génocide culturel : c’est une des plus vieilles langues d’Europe. Certes elle est apparue en un temps où l’économie du continent tout entier était rurale et si, par la suite, elle ne s’est pas adaptée souplement à l’évolution de la société, c’est parce que le conquérant espagnol en interdisait l’usage. Pour qu’elle devienne une langue du XXe siècle – ce qu’elle est partiellement déjà – il suffit qu’on la parle. L’hébreu en Israël, le breton à Quimper ont rencontré les mêmes difficultés et les ont résolues : les mêmes Israéliens qui peuvent discuter entre eux de l’informatique ou de la fission de l’atome lisent les manuscrits de la mer Morte comme nous lisons Racine ou Corneille, et Morvan-Lebesque note que le breton a des mots plus régulièrement formés pour désigner les réalités modernes que le français, langue « nationale ». Les ressources d’une vieille langue restée jeune parce qu’on l’a empêchée de se développer sont considérables. Si le basque redevenait l’idiome national d’Euzkadi, il apporterait, par ses structures propres, toutes les richesses du passé, une manière de penser et de sentir spécifique et s’ouvrirait largement au présent et à l’avenir. Mais ce que l’Espagnol veut faire disparaître avec celui-ci, c’est la personnalité basque.

    Se faire basque, en effet, pour un habitant de Biscaye, c’est parler euzkara : non seulement parce qu’il récupère un passé qui n’est qu’à lui mais surtout parce qu’il s’adresse, même dans la solitude, à la communauté de ceux qui parlent basque. À Burgos, les dernières déclarations des « accusés » ont été faites en euzkara ; récusant le tribunal espagnol qui prétendait les juger et ne les comprenait même pas, ils convoquaient leur peuple tout entier dans la salle. À l’instant, il y fut, invisible. Le procès-verbal officiel note à ce propos que les accusés ont tenu des propos inintelligibles dans une langue « qui paraissait être du basque ». Merveilleux euphémisme : les juges n’y entendaient goutte mais savaient pertinemment de quoi il s’agissait ; pour éviter de paraître s’apercevoir que la nation de Vasconia avait envahi le prétoire, ils ont réduit le basque à n’être qu’une langue probable, si parfaitement obscure qu’on ne sait jamais si l’interlocuteur la parle vraiment ou s’il ne prononce pas des vocables dépourvus de sens.

    Tel est donc le noyau de la culture d’Euzkadi et le plus grand souci des oppresseurs : s’ils parvenaient à la détruire, cette langue, le Basque serait l’homme abstrait qu’ils souhaitent et parlerait l’espagnol, qui n’est ni n’a jamais été sa langue ; mais, comme il ne cesserait pas pour autant d’être surexploité, il suffirait qu’il prenne conscience de la colonisation pour qu’euzkara ressuscite. Naturellement l’inverse aussi est vrai : parler sa langue pour un colonisé, c’est déjà un acte révolutionnaire.

    Les Basques conscients d’aujourd’hui vont plus loin encore lorsqu’il s’agit de définir la culture qu’on leur donne et celle qu’ils veulent se donner. La culture, disent-ils, est la création de l’homme par l’homme. Mais ils ajoutent aussitôt qu’il n’y aura pas de culture universelle tant qu’on n’aura pas détruit l’oppression universelle. La culture officielle, en Euzkadi, est aujourd’hui universaliste en ceci qu’elle veut faire du Basque un homme universel, dépourvu de toute idiosyncrasie nationale, un citoyen abstrait semblable en tout point à un Espagnol, sauf en ceci qu’il est surexploité et ne le sait pas. En ce sens, elle n’a d’autre universalité que celle de l’oppression. Mais les hommes, pour opprimés qu’ils soient, n’en deviennent pas pour autant des choses : ils se font, tout au contraire, la négation des contradictions qu’on leur impose. Non d’abord par volonté mais parce qu’ils sont dépassement et projet. Ainsi des Basques qui ne peuvent manquer d’être d’abord la négation de l’homme espagnol qu’on a mis en chacun d’eux. Négation non pas abstraite mais minutieuse, au nom de tout ce qu’ils trouvent de singulier en eux-mêmes et dans leur environnement.

    En ce sens la culture basque doit être aujourd’hui d’abord une contre-culture : elle se fera par la destruction de la culture espagnole, le refus de l’humanisme universaliste des pouvoirs centraux, l’effort considérable et constant pour se réapproprier la réalité basque qui est à la fois donnée sous les yeux – c’est aussi bien le paysage, l’écologie, les traits ethniques que la littérature en euzkara – et travestie par l’oppresseur en folklore innocent et périmé pour touristes étrangers. C’est pourquoi ils ajoutent cette troisième formule : la culture basque est la praxis qui se dégage de l’oppression de l’homme par l’homme en Pays basque. Cette praxis n’est pas tout de suite consciente de soi et voulue : c’est un travail quotidien, provoqué directement par l’absorption de la ration de culture officielle, pour retrouver le concret, c’est-à-dire non pas l’homme en général mais l’homme basque. Et ce travail, inversement, doit déboucher sur une praxis politique car l’homme basque ne peut s’affirmer dans sa plénitude que dans son pays redevenu souverain.

    Ainsi, par une dialectique inexorable, la conquête, la centralisation et la surexploitation ont eu pour résultat de maintenir et d’exaspérer en Euzkadi la revendication de l’indépendance par les efforts mêmes que l’Espagne a faits pour la supprimer.

    Nous pouvons tenter, à présent, de déterminer les exigences précises de cette situation concrète, c’est-à-dire la nature de la lutte qu’elle réclame aujourd’hui du peuple basque. Il existe, en effet, deux types de réponses à l’oppression espagnole, toutes deux inadéquates. Pour leur donner une chair et une figure, nous dirons que l’une est celle du P.C. d’Euzkadi et l’autre celle du P.N.B.

    Le P. C. tient l’Euzkadi pour une simple dénomination géographique. Il prend ses ordres à Madrid, du P.C.E., et ne tient pas compte des réalités locales, en sorte qu’il demeure centraliste – entendons socialement progressiste et politiquement conservateur : il tente d’entraîner les travailleurs basques vers la lutte de classes « chimiquement pure ». C’est oublier qu’il s’agit d’un pays colonisé, c’est-à-dire surexploité. Le P. C. ne comprend pas – en dépit de quelques déclarations opportunistes en faveur de l’E.T.A. lors du procès de Burgos – que les actions qu’il propose ont des objectifs inadéquats et, du coup, sans portée.

    Si les Basques se mettent à lutter contre l’exploitation pure et simple, ils abandonnent leurs propres problèmes pour aider les travailleurs espagnols à renverser la bourgeoisie franquiste. C’est se débasquiser soi-même et se borner à réclamer une société socialiste pour l’homme universel et abstrait, produit du capitalisme centralisateur. Et quand cet homme-là sera au pouvoir à Madrid, quand il possédera ses instruments de travail, les Basques peuvent-ils compter sur sa reconnaissance pour se voir octroyer l’autonomie ? Rien n’est moins sûr : on a vu que la République s’était fait tirer l’oreille ; et les pays socialistes sont, aujourd’hui, volontiers colonisateurs. Contre la surexploitation et la débasquisation qui en est la conséquence, les Basques ne peuvent combattre que seuls.

    Cela ne veut pas dire qu’ils n’auront pas d’alliances tactiques avec d’autres mouvements révolutionnaires quand il s’agira d’affaiblir la dictature de Franco. Mais stratégiquement, il leur est impossible d’accepter une direction commune : leur lutte se fera dans la solitude car ils la mènent contre l’Espagne – et non contre le peuple espagnol – par la raison qu’une nation colonisée ne peut mettre fin à la surexploitation qu’en se dressant, souveraine, contre le colonisateur.

    Inversement, le P.N.B. a tort de considérer l’indépendance comme une fin en soi. Formons, dit-il, une République basque d’abord ; nous verrons ensuite s’il y a lieu d’apporter des aménagements à notre société. Mais, si, par impossible, il parvenait à constituer un État basque de type bourgeois, il est vrai que la surexploitation espagnole prendrait fin mais il ne faudrait pas longtemps pour que cet État tombe sous le coup du capitalisme américain. Tant que la société garderait une structure capitaliste, on peut bien penser que les compradores se vendraient aux plus offrants : les capitaux étrangers submergeraient le pays, les États-Unis le gouverneraient par l’intermédiaire de la bourgeoisie locale, le néo-colonialisme succéderait à la colonisation et, pour être plus masquée, la surexploitation n’en subsisterait pas moins. Seule une société socialiste peut, non sans de grands risques, établir des relations économiques avec les nations capitalistes et socialistes par la raison qu’elle contrôle son économie rigoureusement.

    L’insuffisance de ces deux réponses (P.C. – P.N.B.) montre bien qu’indépendance et socialisme sont, dans le cas d’Euzkadi, les deux faces d’une même médaille. Ainsi la lutte pour l’indépendance et la lutte pour le socialisme ne doivent faire qu’un. S’il en est ainsi, il va de soi que c’est à la classe ouvrière, de loin la plus nombreuse, nous l’avons vu, de prendre la direction du combat. Le travailleur manuel, en prenant conscience de la surexploitation, donc de sa nationalité, comprend du même coup sa vocation socialiste. Dirons-nous qu’il y est déjà parvenu ? C’est une tout autre affaire, dont nous reparlerons plus loin. D’autre part la situation d’un pays colonisé fait que, dans les classes moyennes, des groupes importants refusent la dépersonnalisation culturelle sans toujours se rendre compte des conséquences sociales qu’implique ce refus.

    Ils sont, en principe, les alliés du prolétariat ; un mouvement révolutionnaire et conscient de sa tâche, dans une colonie, ne doit pas s’inspirer du principe « classe contre classe» qui n’a de sens que dans une métropole, mais, au contraire, accepter le principe de la petite-bourgeoisie et des intellectuels à la condition que les révolutionnaires issus des classes moyennes se rangent sous l’autorité de la classe ouvrière. On voit que le travail à faire, pour commencer, consiste en un éclaircissement progressif et double : le prolétariat doit prendre conscience de sa condition de colonisé et les autres classes, plus aisément nationalistes, doivent comprendre que le socialisme est, pour une nation colonisée, le seul accès possible à la souveraineté.

    À ces raisons, qui ont fait évoluer en cent cinquante ans le Parti de l’indépendance et, changeant son recrutement, ont transformé sa réclamation passéiste de recouvrer les fueros au sein d’un État absolutiste en l’exigence, ouverte sur l’avenir, de construire une société souveraine et socialiste, il faut en ajouter une autre, propre à la péninsule ibérique, qui donne un caractère particulier à la lutte des Basques. En effet, l’unification centralisatrice, comme en Italie et en Allemagne, ne s’est achevée qu’au XXe siècle et, par cette raison, elle a pris la forme d’une dictature fasciste, c’est-à-dire d’une réponse par la violence nue et folle aux « séparatistes ». Dans deux de ces trois pays, le fascisme n’est plus au pouvoir ; Franco, lui, est resté le Caudillo de l’Espagne. C’est ce qu’exprimait un Basque qui disait devant moi : « Nous avons l’horrible chance du franquisme. »

    Horrible, certes, dira-t-on ; mais pourquoi « chance » ? C’est que, si le régime espagnol était une démocratie bourgeoise, la situation serait plus ambiguë : le pouvoir temporiserait et, de fausses promesses en atermoiements, renverrait les « réformes » aux calendes. Cela suffirait, sans doute, pour créer chez les Basques une importante faction réformiste qui serait l’alliée du gouvernement oppresseur et n’attendrait de lui qu’un statut fédéraliste et octroyé. L’aveugle brutalité du franquisme a, dès 1937, dénoncé la sottise de l’illusion réformiste. À toute revendication exprimée, une seule réponse, aujourd’hui : la répression sanglante. Comment s’en étonner, puisque le régime est fait pour cela ? Mais il faut ajouter que ce régime est la vérité de l’Espagne colonisatrice.

    Quelle que puisse être la forme du gouvernement espagnol, on sait que l’Espagne centralisée refuse profondément le « séparatisme » basque et qu’elle est prête, à la limite, à noyer toute révolte d’Euzkadi dans le sang. Les Espagnols, dans la mesure où ils sont eux-mêmes fabriqués par l’idéalisme centralisateur, sont des hommes abstraits et croient qu’il en va de même, à part une poignée d’agitateurs, pour les habitants de toute la péninsule. Le croient-ils de bonne foi ? Certes non : ils savent que l’Euzkadi existe mais veulent se le cacher ; c’est dire qu’ils enragent quand les Basques s’affirment et qu’ils vont jusqu’à les haïr en tant que Basques, c’est-à-dire en tant qu’hommes concrets. Plus profondément, les hommes au pouvoir n’ignorent pas que la fin du régime colonial en Euzkadi entraînerait aussitôt l’accroissement de la misère en Castille et en Andalousie. En sorte que même une République en viendrait en dernier recours à ce par quoi le franquisme a commencé.

    La « chance » que représente pour les Basques le gouvernement de Franco, c’est qu’il montre sans fard la vraie nature du colonialisme : celui-ci ne discute pas ; il opprime ou il tue. Puisque la violence répressive est inévitable, il n’y a d’autre issue pour les colonisés que d’opposer la violence à la violence. La tentation réformiste étant hors de question, le peuple basque ne peut que se radicaliser : il sait, à présent, que l’indépendance ne s’obtiendra que par la lutte armée. Le procès de Burgos, sur ce point, est clair ; en affrontant les Espagnols, les « accusés » savaient ce qu’ils risquaient : l’emprisonnement, les tortures, l’exécution capitale. Ils le savaient et ils se battaient non dans l’espoir de jeter dehors tout de suite les oppresseurs mais pour contribuer à la constitution d’une armée clandestine. Si le P. N. B. est à son crépuscule, c’est faute d’avoir compris que, face aux troupes fascistes, les Basques n’ont d’autre issue que la guerre populaire. L’indépendance ou la mort : ces mots qui se disaient hier à Cuba, en Algérie, aujourd’hui c’est en Euzkadi qu’on les répète. La lutte armée pour un Euzkadi indépendant et socialiste, voilà l’exigence complète de la situation actuelle. C’est cela ou la soumission – qui est impossible.

    De 1947 à 1959, cette exigence demeure vide et nue : rien, en apparence, ne vient la remplir : en vérité elle travaille la population basque, surtout les jeunes gens et, dès 1953, tout commence. E.K.I.N., fondé cette année-là, est un groupe d’intellectuels, encore peu conscients du véritable problème basque dans sa tragique simplicité mais comprenant la nécessité de recourir à une action nouvelle et radicale. II est bientôt contraint d’entrer au P.N.B., encore puissant bien que paralysé, mais s’y distingue par ses positions extrémistes au point que, peu de temps après, un des siens étant exclu pour « communisme », le groupe entier se solidarise avec lui et quitte le Parti nationaliste, convaincu désormais par expérience que la lutte entreprise par le vieux Parti, payante en 36, était tombée, depuis la fin de la guerre et la trahison des démocraties bourgeoises, au rang d’un pur verbalisme.

    En 59, il est le noyau d’un nouveau parti, l’actuel E.T.A. Au départ, avant même d’avoir pris une position théorique, l’E.T.A. prend acte de deux tendances qui écartèlent le pays : la revendication nationaliste et la révolte ouvrière ; dès 60 il comprend, dans la pratique quotidienne, que les deux luttes doivent être associées, éclairées l’une par l’autre et menées conjointement par les mêmes organisations. C’est déchiffrer lentement mais sûrement et pratiquement les exigences de la situation présente. Il a pris les choses par le bon bout comme le prouvent les crises violentes qu’il traverse dans les années 60 : sa droite « humaniste » le quitte ; une gauche « universaliste » est exclue après l’avoir sommé d’abandonner la lutte anticolonialiste pour mener, avec les ouvriers espagnols, la lutte des classes « chimiquement pure ».

    Ces départs définissent sa ligne mieux que n’eussent fait cent écrits théoriques. Après ces purges, dès 68, l’E.T.A. entreprend, malgré tout, de se définir théoriquement : à ce niveau, ses principes sont déjà donnés, ils se sont constitués dans la lutte interne du groupe contre sa droite et une certaine gauche centraliste et ne sont rien d’autre, d’ailleurs, que les exigences objectives de la situation, progressivement découvertes. L’E.T.A. organise alors quatre fronts de combat : front ouvrier, front culturel, front politique, front militaire qui fonctionnent en même temps et sous une direction commune mais restent distincts. Sur le front ouvrier, la lutte consiste en 69 dans une approche des travailleurs manuels, souvent réticents, et dans l’organisation d’un noyau d’avant-garde au sein de la classe ouvrière.

    Sur le front culturel, l’E.T.A. mène l’attaque contre le « chaînon le plus fragile », qui est l’universalisme déshumanisant du gouvernement d’oppression : dès à présent, il a créé des iskatolas, écoles maternelles et primaires où l’enseignement se fait exclusivement en langue basque et que 15.000 enfants fréquentaient en 68-69 ; il a lancé une campagne d’alphabétisation pour adultes, créé des comités d’étudiants qui revendiquent activement (manifestations, grèves, occupations) la création d’une Université basque, lancé sur le pays des artistes basques (écrivains, chanteurs, peintres et sculpteurs) qui vont jusque dans les villages pour y faire des expositions et y donner des représentations (chansons populaires, théâtre dans la rue, bien connu chez nous sous le nom de théâtre direct) ; depuis 66 il a organisé des écoles sociales où le marxisme-léninisme est enseigné aux travailleurs.

    Sur le front politique, qui est en étroite liaison avec le front militaire, l’E.T.A. politise le peuple basque tout entier en lui montrant le scandale de la répression. C’est ce qui explique le sens actuel de la lutte armée qui n’a point encore pour but de chasser l’oppresseur, mais de mobiliser les Basques pour la constitution progressive d’une armée clandestine de libération. La tactique actuelle peut se définir comme une spirale, dont les différents moments sont : action, répression, action, chaque action entraînant une répression plus sauvage qui montre à visage découvert le fascisme centralisateur et qui, ouvrant les yeux à des couches de plus en plus larges de la population, permet, à chaque fois, d’entreprendre une action plus importante. On ne peut donner un meilleur exemple de cette forme de lutte que l’enchaînement dialectique des événements qui trouve son aboutissement provisoire au procès de Burgos.

    D’un bout à l’autre du processus l’E.T.A. a imposé son jeu et sort gagnante de l’épreuve : voilà qui démontre la valeur de sa tactique. Au commencement, pourtant, elle n’était pas présente : après les massacres de 36 et la répression de 37, la lourde paix franquiste tombe sur le Pays basque et l’écrase. Contre cette oppression répressive, nous avons vu le P.N.B. organiser une action : la grève de 47. Cette action sans portée réelle entraîne une répression terrible qui a pour résultat de disqualifier le P.N.B. Mais c’est justement à partir de cet échec que la nouvelle génération prend la relève et comprend la nécessité de passer à la lutte armée. L’E.T.A. marque son existence, dès 61, par une première action de type militaire : des bombes rudimentaires explosent un peu partout, on tente le sabotage d’un convoi ferroviaire. Cette dernière entreprise est manquée, faute d’expérience, mais elle entraîne une répression brutale : cent trente militants sont arrêtés. Ainsi le cycle infernal – action, répression, action – est mis en place. Pendant quelques années, pourtant, les « forces de l’ordre » sont gênées : l’E.T.A. est insaisissable, les attentats à la bombe se poursuivent sur tout le territoire.

    Ce n’est qu’au printemps 68 que le Chef Supérieur de la Police peut publier un communiqué dans la presse de Bilbao : « La guerre chaude contre l’E.T.A. est déclarée. » De fait la chasse à l’homme commence, ce qui n’empêche pas quelques jours plus tard, une bombe d’éclater sur la grand-route, barrant le passage aux cyclistes du « Tour d’Espagne » (« qu’ils passent par ailleurs, ils n’ont rien à faire chez nous »). Au mois de juin, un garde civil est trouvé mort sur la chaussée. Quelques heures plus tard, d’autres gardes civils, à un barrage de route, tirent sans motif sur un « suspect » et le tuent. C’était Javier Echebarrieta, un des dirigeants de l’E.T.A. Aussitôt la répression s’étend de l’organisation clandestine à la population : partout l’administration interdit de célébrer des messes à la mémoire d’Echebarrieta et réussit le beau coup d’indigner les curés de village et d’indisposer les campagnes. Dès lors, la répression élargie appelle une riposte qui puisse exalter le peuple dans ses profondeurs : trois mois plus tard le policier Manzanas, figure sinistre et bien connue des Basques, qui torturait en Euzkadi depuis trente ans, sera exécuté devant la porte de son appartement.

    Cette action déchaîne, comme prévu, une répression abjecte et sauvage ; surtout elle oppose franchement le peuple basque dans son ensemble et le gouvernement d’oppression. Celui-ci ne peut accepter que ses représentants soient liquidés : il est contraint de trouver des coupables, de faire un procès et de réclamer plusieurs condamnations à mort ; mais comme la « victime » était un bourreau, la majeure partie du pays ne peut désapprouver cette liquidation, qui n’est qu’un châtiment. Le pouvoir tombe dans une contradiction dont il ne sortira pas : selon son optique, dont il ne peut changer, il faut intimider par des sanctions. Mais la publicité du procès montre à tous qu’il s’agit d’une parodie de justice ; les accusés ont été choisis parmi les prisonniers au hasard ou, pour décapiter l’E.T.A., entre ceux qu’on croit en être les dirigeants ; dans ces conditions, l’instruction ne pouvait être qu’une farce bouffonne : il n’y avait, comme on verra, aucune preuve contre Izco qui, pourtant, sera condamné à mort.

    Le tribunal est militaire alors que plusieurs des « accusés » avaient déjà été condamnés pour les mêmes faits ou des faits semblables par un tribunal civil. Les juges sont des officiers qui ignorent tout de la loi, un seul mis à part, qui doit avoir des connaissances juridiques pour conseiller ces soldats ; les avocats, sans cesse menacés de prison par le président peuvent difficilement se faire entendre. Les « accusés » enchaînés les uns aux autres, calmes et méprisants, ont livré une bataille de tous les instants, non pour se défendre contre les accusations de leurs oppresseurs mais pour révéler, devant les journalistes, les tortures qu’ils avaient subies : à quoi le président, quand il n’avait pu les faire taire, répondait inévitablement par un « No interesa ». Il devint évident pour les représentants de la presse que ces militaires ne s’étaient pas réunis pour juger mais pour tuer – en observant, toutefois, un cérémonial absurde et qu’ils connaissaient mal.

    Les « inculpés », pour finir, mirent à nu la violence répressive de l’Espagne, en interdisant à leurs avocats de les défendre. Ils avaient gagné : leur admirable courage et l’obtuse bêtise de leurs « juges » avaient enfin fait de leur procès pour tous les Basques une affaire nationale. Lorsque, dans de grandes entreprises, à Bilbao, les travailleurs se mirent en grève, l’E.T.A. comprit qu’il avait touché de larges couches de la classe ouvrière. De plus, dans le monde entier, l’indignation fut si grande que, pour la première fois, la question basque est posée devant l’opinion internationale : Euzkadi s’est fait connaître partout comme un peuple martyr en lutte pour son indépendance nationale. Ultime action, née de la répression : la colère générale a fait reculer le gouvernement espagnol ; les peines de mort ont été commuées. L’E.T.A., par la réussite inespérée mais nécessaire de sa tactique, s’est affirmé dans son pays, comme l’aile marchande de la classe ouvrière. Il a, dans toute la nation mobilisée, acquis un prestige considérable, celui-là même qu’avait le P. N. B. vingt-cinq ans auparavant. Ses militants savent bien que la lutte sera longue, qu’il faudra, disent-ils, « vingt ou trente ans pour constituer l’armée populaire » ; n’importe, à Burgos, en décembre 70-janvier 71, le coup d’envoi a été donné.

    Nous en sommes là : à nous, Français, qui sommes toujours un peu – même si nous ne le voulons pas – les héritiers des Jacobins, un peuple héroïque, conduit par un parti révolutionnaire, nous a fait entrevoir un autre socialisme, décentralisateur et concret : telle est l’universalité singulière des Basques, que l’E.T.A. oppose justement au centralisme abstrait des oppresseurs. Ce socialisme-là peut-il valoir pour tous ? N’est-il qu’une solution provisoire pour les pays colonisés ? En d’autres termes, peut-on envisager qu’il s’agit de la fin ultime ou d’une étape vers le moment où, l’exploitation universelle ayant pris fin, les hommes jouiront tous, au même titre, de l’universalité vraie, par un dépassement commun de toute singularité ? C’est le problème des colons. On peut être sûr que les colonisés, luttant pour leur indépendance, n’en ont aucun souci. Ce qui est certain, aux yeux des militants basques, c’est que le droit des peuples à l’autodétermination, affirmé dans sa plus radicale exigence, implique un peu partout la révision des frontières actuelles, résidus de l’expansion bourgeoise qui ne correspondent nulle part aux besoins populaires, ce qui ne peut se faire que par une révolution culturelle qui crée l’homme socialiste sur la base de sa terre, de sa langue et même de ses mœurs rénovées.

    C’est à partir de là seulement que l’homme cessera peu à peu d’être le produit de son produit pour devenir enfin le fils de l’homme. Dirons-nous ces conceptions marxistes ? On note sur ce point quelques hésitations chez les dirigeants de l’E.T.A. puisque certains se disent « néo-marxistes » et d’autres – en majorité, semble-t-il – « marxistes-léninistes ». C’est l’expérience quotidienne de la lutte qui décidera. Guevara me disait un jour : «Nous, marxistes ? Je n’en sais rien. » Et il ajoutait, avec un sourire « Ce n’est pas notre faute si la réalité est marxiste. » Ce que l’E.T.A. nous révèle c’est le besoin qu’ont tous les hommes, même centralisateurs, de réaffirmer leurs particularités contre l’universalité abstraite : écouter les voix des Basques, des Bretons, des Occitaniens et lutter à leurs côtés pour qu’ils puissent affirmer leur singularité concrète, c’est, par voie de conséquence directe, nous battre aussi, nous, Français, pour l’indépendance véritable de la France, qui est la première victime de son centralisme. Car il y a un peuple basque et un peuple breton mais le jacobinisme et l’industrialisation ont liquidé notre peuple : il n’y a plus, aujourd’hui, que des masses françaises.

     


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  • Nous poursuivrons - et conclurons - notre 'tour d'horizon' européen sur la question État/Nations/Luttes de classe, par l'exemple de notre voisin d'outre-Alpes, cher à notre cœur et, normalement, à celui de tous les révolutionnaires communistes : l'ITALIE ; l'Italie de Gramsci, de l'une des plus glorieuses Guerres partisanes antifascistes d'Europe et des rouges années 1970 avec Lotta Continua, les Brigades rouges et d'autres glorieux combattants rouges encore ; l'Italie de nos camarades du (nouveau) PCI et du PCmI que nous saluons... 

    Il faut reconnaître qu'il n'est pas facile, là-bas, d'aborder avec des camarades du mouvement communiste la question "Italie : État/construction bourgeoise ou nation ?". Le sujet est sensible ; les esprits progressistes et révolutionnaires sont marqués par les sinistres exemples du séparatisme 'padan' fasciste de la Ligue du Nord (dans les années 1990, ralliée depuis au 'fédéralisme') ou du séparatisme sicilien piloté par la Mafia et la CIA à la fin des années 1940. L'Unification reste un mythe culturel progressiste important et le nom de Garibaldi, bien que le fascisme se réclamât lui aussi de son héritage, fut donné aussi bien à la Brigade italienne de la Guerre antifasciste d'Espagne qu'aux forces partisanes communistes (Brigades Garibaldi) qui luttèrent héroïquement contre le fascisme et le nazisme, dans le Nord du pays, entre 1943 et 1945. C'est pourtant, aussi, dans ce pays que la question a commencé à être le plus sérieusement abordée à l'époque de la 3e Internationale, avec le - sans doute - plus brillant intellectuel communiste ouest-européen de cette époque, Antonio Gramsci, lui-même né en Sardaigne. Celui-ci aborda notamment, en profondeur, la fameuse question méridionale, question structurelle dans l'organisation politique, économique et sociale de la péninsule ; prônant pour sa résolution une "République fédérale des ouvriers et des paysans" (il fut malheureusement arrêté à ce moment-là et jeté en prison, laissant son travail inachevé).

    Qu'en est-il réellement ? Pour nous faire une idée précise, observons quelques cartes. Sur le plan culturel et linguistique, la carte ci-contre nous fait apparaître nettement :

    italie-dialectes-map- de petites minorités nationales périphériques, qui ne sont globalement pas remises en cause par le mouvement communiste italien (contrairement à ce que peut être la situation en 'France') : dans l'arc alpin avec les Occitans du Piémont, les Arpitans du Piémont et du Val d'Aoste, les dialectes germaniques de quelques vallées des Alpes centrales et bien sûr du Sud-Tyrol, les langues rhéto-romanes (ladin, frioulan) et slaves (slovène) des Alpes orientales ; et puis bien sûr la nation SARDE de Gramsci, dans l'île de Sardaigne.

    - le Midi de la péninsule, véritable carrefour de la Méditerranée, a la particularité d'abriter de très nombreux 'îlots linguistiques' : albanais (ayant fui la domination ottomane) des Abruzzes à la Sicile en passant par la Calabre ; grecs dans les Pouilles et en Calabre ; croates en Molise ; l'on compte en outre (suite à des migrations au Moyen-Âge) quelques villages occitans dans les Pouilles et arpitans en Calabre. En Sardaigne, la ville d'Alghero et ses alentours parlent catalan. Au sud de la Sicile, plus proche d'ailleurs de la Tunisie que de celle-ci, l'île de Pantelleria parle un dialecte de type sicilien mais compte de nombreux noms de lieux arabes, car elle fut longtemps aux mains de ceux-ci. Son propre nom vient de Bent el-Riah, 'fille du vent'.

    - mais enfin, dans le reste de l'État italien, l'on voit nettement se dessiner trois grands groupes de dialectes : un groupe au Nord (gallo-italique et vénitien), un groupe central (Toscane d'où vient l'italien littéraire, l'italien 'officiel' d'aujourd'hui, Ombrie, Marches, nord du Latium) et un groupe méridional ; l'on pourrait éventuellement ajouter un quatrième groupe 'extrême-méridional' (Sicile, sud de la Calabre et Salento - le sud des Pouilles).

    Ces dialectes forment dans une large mesure un diasystème, c'est-à-dire qu'ils sont largement intercompréhensibles les uns avec les autres. Si une frontière linguistique (d'intercompréhension) doit passer, c'est sur une ligne allant de La Spezia à Rimini (au Nord, c'est la fameuse 'Padanie' de la Ligue du Nord d'Umberto Bossi...). D'une manière générale, depuis l'Unification de 1859-70, l'italien littéraire toscan s'est massivement imposé comme langue de communication à travers toute la péninsule, même si les dialetti restent, 'en famille' ou 'au village' et 'entre amis', largement plus connus et pratiqués (notamment par les jeunes générations) que dans l'entité 'France'.

    De toute manière, comme chacun le sait, la communauté de langue et de culture ne 'suffit' pas à définir une nation : c'est un élément mais il en faut d'autres ; il existe des nations différentes parlant une même langue, comme les Anglais et les Américains ou les Brésiliens et les Portugais, et des nations qui sont des réalités subjectives incontestables (Bretagne, Écosse) tout en parlant plusieurs langues. Mais il est néanmoins possible de se demander s'il y a réellement une nation italienne ou si l'Italie ne forme pas, plutôt, un 'groupe' de nations 'sœurs'...

    Sur le plan politique, comme nul(le) ne l'ignore, l'Italie fut unifiée une première fois dans l'Antiquité par Rome qui étendit ensuite son Empire (et sa langue, et sa culture) bien au-delà, à tout le pourtour méditerranéen et à une grande partie de l'Europe. Il n'était de toute façon pas possible de parler de nations au sens moderne - marxiste-léniniste - à cette époque. Peut-être qu'avec le haut niveau de forces productives atteint sous l'Empire romain, un début de mutation de l'économie mercantile vers le capitalisme (de marchandise->argent->marchandise vers argent->production/vente->plus d'argent) a pu commencer à développer des réalités approchantes ; mais dans tous les cas, tout cela a été balayé par les grands bouleversements qu'a connus l'humanité euro-méditerranéenne entre le 3e et le 8e siècle de l'ère chrétienne.

    État bourgeois contemporain, questions nationales et luttes de classe : l'ItalieAprès la chute de l'Empire, l'Italie resta quelques temps unifiée sous le 'patriciat' des Ostrogoths ; et puis... elle ne forma JAMAIS PLUS une unité politique jusqu'au Risorgimento du 19e siècle. Le Nord fut le royaume des Lombards puis (avec Charlemagne) passa sous l'autorité des Francs, puis du Saint-Empire (royaume d'Italie) avant de se désintégrer (vers 1200) en une mosaïque de petits États princiers et de républiques aristocratiques (comme les 'républiques maritimes' de Gênes, Pise, Venise etc.), dont le royaume de 'France' et l'Empire germanique se disputèrent la tutelle (Guerres d'Italie) ; tandis que le Sud fut sous influence byzantine (6e-9e siècles) puis byzantine et arabe (en Sicile, 830-1091), puis normande (mais maintenant l'héritage politico-culturel arabe et byzantin pendant encore près de deux siècles) puis, après une brève parenthèse "française" (Charles d'Anjou, 1266-1282) se terminant par les "Vêpres siciliennes", arago-catalane et de là 'espagnole' (13e-18e siècles, les ambitions françaises ne se démentant cependant jamais depuis les Capétiens - Guerres d'Italie - jusqu'à la Révolution et Napoléon) ; et qu'au centre la Papauté construisait son État séculier depuis Rome jusqu'à l'embouchure du Pô en passant par l'Ombrie... Nous avons très clairement là la source de deux des grands aspects structurels de l'Italie contemporaine (en laissant de côté les questions nationales 'aux marges' de l'État) : le clivage Nord/Sud et l'influence politique du Vatican. Et il va de soi que cette division politique, avec les guerres et autres 'droits de passage' qu'elle entraînait, n'a pas vraiment facilité la communauté de vie économique productive qui est un autre élément essentiel de la construction nationale. Sur ce plan, l'on pourrait globalement distinguer un ensemble 'padan' bien délimité par les Alpes et l'Apennin (avec les régions 'particulières' que sont la Ligurie et la Vénétie) ; un ensemble 'toscano-romain' qui est l'Italie 'des arts et des lettres', du Quattrocento, l'Italie 'médicéenne' qui a donné sa langue à la construction 'nationale' ; et puis l'ancien royaume de Naples (ou des 'Deux-Siciles') qui est le fameux Mezzogiorno 'à problèmes' (plus la Sardaigne, longtemps 'espagnole' avant de devenir piémontaise au 18e siècle).

    L'Italie ne se constitua pas, ni aux 13e-14e siècles ni plus tard, en grand État moderne (pour les raisons que vous lirez ci-dessous) ; sa construction comme État que nous connaissons actuellement est exclusivement le fruit de l'époque (finale) des révolutions bourgeoises, et encore : même la domination de la Révolution bourgeoise 'française' n'unifia pas la péninsule (il y avait des départements 'français' du Piémont jusqu'à Rome (!), une 'République cisalpine' puis 'Royaume d'Italie' au Nord et le royaume de Naples au Sud). Le Risorgimento, comme le libéralisme 'espagnol' de la même époque, fut typiquement à la fois un produit de l'influence de la Révolution bourgeoise 'française' et de la réaction (nationale) contre celle-ci.

    L'INTÉRÊT, dans ce 'cas d'étude' italien, c'est que nous disposons en français (traduit par nos soins) d'un point de vue DIRECTEMENT ISSU du mouvement communiste de l'État en question : le chapitre 2 du Manifeste Programme de nos camarades du (nouveau) PCI. Cette analyse, il faut bien le dire, alors que nous traduisions le Manifeste Programme, a été pour nous FONDAMENTALE dans notre prise de conscience de la manière dont se sont construits, à la fois parallèlement et en contradiction, les grands États européens actuels et les nations qui les peuplent ; et de comment les révolutions bourgeoises dans la plupart de ces grands États européens ont été menées par une fraction dominante et géographiquement basée de la classe bourgeoise qui a (de ce fait) 'plié' à ses intérêts l'organisation sociale territoriale des États ainsi construits (contradiction Centre/Périphéries). Nous avons simplement étendu ensuite cette analyse, par analogie, à la construction de notre État 'France' et à la question nationale qui nous concerne, celle de l'Occitanie.

    Nous offrons donc à votre lecture ce précieux document communiste :

    2.1.1.  La fondation et le contexte du mouvement communiste en Italie

    salerno-protagonista-al-premio-italia-medievale-24383C’est en Italie qu’a commencé à se développer le mode de production capitaliste actuel, qui au cours des siècles suivants s’est étendu à toute l'Europe, et de celle-ci au monde entier.

    Celui-ci se développa à partir de la petite production mercantile qui vivait à la marge et dans les plis du monde féodal, de la richesse monétaire concentrée dans les mains du clergé et des seigneurs féodaux, du luxe et du faste de l'Église et des cours féodales les plus avancées. Déjà, au XIe siècle, Amalfi et d’autres communes de la péninsule avaient développé une économie capitaliste à un niveau relativement élevé. La forme principale du capital était le capital commercial, que nous avons déjà décrit dans le chapitre 1.1.2 de ce Manifeste Programme. À partir de là, le développement du mode de production capitaliste se poursuivit durant quelques siècles dans diverses parties de la péninsule.

    Pisa.jpgLe développement du capitalisme fut, sur le plan politique, à la base des guerres qui sévirent du  XIe au XVIe siècle dans la péninsule, entraînant la ruine de beaucoup de familles nobles et de cours féodales, et portant dans la péninsule un coup irrémédiable au système féodal. Dans le domaine culturel, il fut à la base de la foisonnante culture de l’époque et de l'influence que, pour la deuxième fois dans son histoire, l'Italie eut en Europe et dans le monde (78). La raison à la base des contradictions politiques et culturelles des XIe-XVIe siècles est la lutte entre le mode de production capitaliste naissant et le monde féodal qui opposait une résistance acharnée, d’autant plus qu’il trouvait du soutien et des ressources dans les relations avec le reste de l'Europe alors plus arriérée. Ce n’est qu’à la lumière de cette lutte que les différents épisodes de la vie politique et culturelle de l'époque cessent d'être une succession et une combinaison d'évènements fortuits et arbitraires, et qu’émerge le rapport dialectique qui les unit (79).

    La Papauté a été la principale raison pour laquelle, dans la péninsule, ne s’est pas formée une vaste monarchie absolue, lorsqu’elles se formèrent dans le reste de l'Europe, au cours des XVe et XVIe siècles. Étant donnée la force qu’avait alors la Papauté, il était encore inconcevable qu’une unité étatique de la péninsule se construise en éliminant l'État Pontifical. D'une part, il ne convenait ni aux autres puissances européennes, ni à la Papauté que la péninsule soit unifiée politiquement sous la souveraineté du Pape. Pour les autres États européens, il était intolérable qu’un État combine l'autorité internationale de la cour pontificale avec les moyens politiques et économiques d'un État comprenant la péninsule entière.GuerreItalia

    D'autre part, pour se mettre à la tête d'un vaste pays, comprenant des régions économiquement et intellectuellement déjà très avancées dans le développement bourgeois, la Papauté aurait dû se transformer à l’image des autres monarchies absolues. Cette transformation l'aurait entraînée dans un destin analogue à celui des autres dynasties européennes. Cela était incompatible avec son rôle international et avec sa nature intrinsèquement féodale (80). Ainsi, les initiatives prises par les Papes pour se mettre à la tête de l’unification de la péninsule furent sporadiques et velléitaires.

    Dans la péninsule, la lutte entre le mode de production capitaliste naissant et le vieux monde féodal connut un tournant au XVIe siècle.

    Avec la Réforme protestante, la Papauté avait perdu et allait perdre son pouvoir sur de nombreux pays européens. Dans la péninsule, par la Contre-réforme, elle se mit avec décision à la tête des autres forces féodales, sortit victorieuse d'une lutte acharnée et imposa un nouveau système social.

    Dans ce système, les institutions et les courants bourgeois étaient étouffés ou brimés, et les résidus féodaux (en premier lieu la Papauté) occupaient le poste de commandement. Il fut toutefois impossible de rayer d’un trait de plume tout ce qui s'était déjà produit. D’autant plus que les éléments, les institutions et les porte-paroles du développement bourgeois dans la péninsule (relations commerciales, économie monétaire, recherche scientifique, libertés individuelles, etc.) trouvaient des ressources dans les relations avec le reste de l'Europe, à présent plus avancé.

    La Contre-réforme aspirait à être un mouvement international, elle ne pouvait donc pas couper tous les liens entre la péninsule et le reste de l'Europe. La Papauté elle-même, pour triompher, avait dû favoriser l'intervention des États européens dans la péninsule. Mais dans le reste de l'Europe, l'influence de la Contre-réforme fut soit nulle (dans les pays protestants, hostiles à la Papauté) soit atténuée (par les intérêts des monarchies absolues). Donc, le développement du capitalisme et de la société bourgeoise connexe continua et maintint son influence sur la péninsule entière. Là aussi continua donc, bien que dans des conditions différentes, la décadence des institutions et des relations féodales. Cependant, celles-ci étant à la direction du pays, leur décadence détermina alors la décadence du pays entier, décadence par rapport aux autres pays européens dont l'Italie ne se remit même pas avec le «Risorgimento» au XIXe siècle, et de laquelle elle ne s'est pas encore remise (d’où ce que l’on appelle ‘impérialisme pauvre’, ‘anomalie italienne’, etc.).

    La victoire de la Contre-réforme bloqua dans la péninsule le développement des rapports de production capitalistes. Elle réprima et, de diverses manières, réduisit l'activité d'entreprise de la bourgeoisie. Elle la conduisit à renoncer en tout ou partie aux affaires et à se transformer en propriétaire terrienne même en maintenant sa résidence dans les villes. Par la réforme du clergé, et grâce aussi à la disparition du rôle politique propre des propriétaires terriens féodaux, elle renforça l'hégémonie de l'Église sur les paysans (81).

    Elle établit le monopole de l'Église dans la direction spirituelle des femmes et dans l'éducation des enfants de toutes les classes. La séparation des activités manufacturières de l'agriculture, mise en œuvre par les capitalistes, fut interrompue. Les industries qui continuèrent à subsister et dans quelques cas même, avec difficulté, à se développer, ne purent avoir comme clients les paysans qui constituaient pourtant l'immense majorité de la population. La séparation économique entre la campagne et les villes fut accentuée.

    Dans les grandes lignes, pendant les trois siècles qui suivirent, l'économie de la péninsule fut partout fondée sur une masse de paysans rejetés hors de l'activité mercantile : ils produisaient, de manière primitive et dans le cadre de rapports serviles, tout ce qui leur était nécessaire pour vivre et ce qu’ils devaient fournir aux propriétaires, au clergé et aux Autorités. Les propriétaires terriens, en grande partie citadins, les Autorités et le clergé, soit qu'ils le consommaient directement, soit qu’ils commerçaient dans les villes ou à l'étranger ce qu’ils extorquaient aux paysans, dans tous les cas le dilapidaient parasitairement (82).

    Les villes avaient déjà et conservèrent une abondante population. Elle était composée de serviteurs, d'employés, de préposés aux services publics, de policiers, de soldats, de fainéants, de voleurs, de prostituées, d’artisans, d’intellectuels, d’artistes et de professionnels qui satisfaisaient, généralement rétribués en argent, aux besoins et aux vices des propriétaires terriens, des Autorités et du clergé. Les villes, en particulier dans le cas de Rome et de Naples, devinrent donc d’énormes structures parasitaires : elles consommaient ce que le clergé, les propriétaires terriens et les Autorités extorquaient aux paysans et ne leur donnaient rien en échange.

    Politiquement, l'Italie resta divisée en plusieurs États. Chacun d'entre eux devint, toujours plus, une version arriérée et sur une moindre échelle des monarchies absolues du reste de l'Europe. Pendant trois siècles, de la première moitié du XVIe siècle à la première moitié du XIXe siècle, la péninsule fut dominée politiquement, successivement par la France, par l'Espagne et par l'Autriche, selon les équilibres qui se formaient ailleurs, entre les puissances européennes. 

    L'Italie constitue donc un exemple historique de comment, lorsqu’un pays a développé un mode de production supérieur, si la lutte entre les classes porteuses de l’ancien et du nouveau mode de production ne se conclut pas par une transformation révolutionnaire de la société entière, elle se conclut par la commune ruine des deux classes (83).

    risorgimentoL'Italie comme État unique et indépendant a été créée il y a un peu plus de 150 ans, entre 1848 et 1870, lorsque le royaume de la maison de Savoie fut étendu à la péninsule entière. La bourgeoisie qui dirigea l'unification a donné le nom de « Risorgimento » à cette période et à son œuvre. Par cette somptueuse dénomination, elle prétendit représenter dans l’imaginaire collectif la résurrection d'une nation qui n'avait jamais existé, l'œuvre de construction d'une nation (« faire les Italiens », disait réalistement Massimo D'Azeglio) qu'elle ne pouvait en réalité pas accomplir, parce que cela aurait demandé la mobilisation de la masse de la population.

    Le mouvement pour l'unité et l'indépendance fut l’effet et le reflet de l'évolution générale de l'Europe, avec laquelle la bourgeoisie de la péninsule et ses intellectuels avaient maintenu un lien étroit, malgré la Contre-réforme. Il fut en particulier un aspect du mouvement mis en marche par la Révolution française de 1789 et culminant dans la Révolution européenne de 1848. Celle-ci conduisit de fait à l'unité et à l'indépendance de l'Italie et de l'Allemagne, les pays sièges des deux institutions politiques les plus typiques du monde féodal européen : la Papauté et le Saint-Empire romain germanique. 

    Au milieu du XIXe siècle, le mode de production capitaliste s'était déjà pleinement développé en Angleterre, en Belgique, dans de vastes zones de la France et ailleurs. Il avait érigé l'activité industrielle en secteur économique autonome de l'agriculture, et en avait fait le centre de la production et de la reproduction des conditions matérielles d'existence de la société. Il avait conquis dans une certaine mesure aussi l'agriculture, avait déjà clairement développé l'antagonisme de classe entre prolétariat et bourgeoisie et commençait déjà à entrer dans l'époque impérialiste.

    Proclamazione_della_Repubblica_Romana__nel_1849__in_Piazza_.jpgQuelle était, dans la péninsule, la position des différentes classes, par rapport au processus auquel le mouvement européen les poussait ? L'unification politique de la péninsule et le développement capitaliste de son économie comportaient par la force des choses l'abolition de l'État Pontifical et donc, de toute manière, allaient au détriment du clergé et du reste des forces et des institutions féodales. Mais l'entrave n'était plus insurmontable. La Papauté avait touché le fond de sa décadence. Le soutien des puissances européennes s’était largement réduit. Le reste des institutions féodales avait suivi la Papauté dans sa décadence. Nombre de familles nobles restantes étaient déjà assimilées à la bourgeoisie ou subordonnées à elle par des hypothèques et d'autres liens.

    La bourgeoisie italienne ne pouvait rester étrangère au mouvement européen qu'au prix de ses propres intérêts, lésée par la bourgeoisie des pays voisins qui était déjà entrée dans une phase d'expansion au-delà de ses frontières nationales. La bourgeoisie italienne avait donc tout à gagner à l'unification et à l'indépendance, mais le système social fixé par la Contre-réforme opposait directement une grande partie de celle-ci aux paysans. La population bariolée des villes dépendait économiquement du parasitisme des classes dominantes : elle était donc incapable d'un mouvement politique propre. Le prolétariat dans le sens moderne du terme était encore faible numériquement, et plus encore politiquement : il était donc exclu qu'il prenne la direction du mouvement. À Milan, où elle était la plus développée, la classe ouvrière fut la force principale de la révolution du 18 mars 1848, éleva les barricades et paya de sa personne, mais ce fut la bourgeoisie qui récolta les fruits de cette révolution là-aussi.

    Pour les paysans qui, au XIXe siècle, constituaient encore la plus grande partie de la population de la péninsule, les problèmes prioritaires étaient la possession de la terre et l'abolition des vexations féodales restantes. Ils étaient cependant dispersés, disposés à se laisser entraîner dans des révoltes chaque fois que d'autres en créaient l'occasion, mais intrinsèquement incapables de développer une direction propre, indépendante du reste de la bourgeoisie et du clergé. 

    Risorgimento, Giuseppe GaribaldiLe résultat de ces intérêts de classe contradictoires, fut que le mouvement pour l'unification et l'indépendance de la péninsule fut dirigé par l'aile conservatrice de la bourgeoisie, les modérés de la Droite dirigée par Cavour, sous le drapeau de la monarchie de Savoie. Celle-ci réussit à faire travailler à son service l'aile révolutionnaire et populaire de la bourgeoisie, la Gauche dont les représentants les plus illustres furent Mazzini et Garibaldi. Celle-ci, en effet, ne voulut pas se mettre à la tête des paysans. Le mouvement paysan, pour la terre et pour l'abolition révolutionnaire des vexations féodales restantes, chercha à s'imposer au cours de la lutte pour l'unification politique de la péninsule, mais il fut justement écrasé par la bourgeoisie en lutte pour l'unification et l'indépendance de la péninsule.  

    À cause de sa contradiction d'intérêts avec les paysans, la bourgeoisie unitaire dut renoncer à mobiliser la masse de la population de la péninsule pour améliorer ses conditions matérielles, intellectuelles et morales. Elle renonça donc aussi à établir son hégémonie, sa direction morale et intellectuelle sur la masse de la population. Cette réforme morale et intellectuelle de masse était cependant nécessaire pour un développement important du mode de production capitaliste. Mais l'intention de la réaliser se réduisit à des tentatives et efforts velléitaires de groupes bourgeois marginaux. Seule la mobilisation en masse de la population pour améliorer ses conditions pouvait en effet créer une nouvelle morale indépendante de la religion, qui tirait ses principes, ses critères et ses règles des conditions pratiques d'existence des masses mêmes. 

    L'histoire unitaire de notre pays est marquée dans tous ses aspects par ce développement, dans le Sud et dans les zones de montagne du Centre et du Nord plus qu'ailleurs. Ce fut le mouvement communiste naissant, avec ses ligues, ses mutuelles, ses coopératives, ses cercles, ses syndicats, ses bourses du travail, son Parti qui, dès l'époque du Risorgimento et ensuite, assuma le rôle de promoteur de l'initiative pratique des masses populaires et donc, également, de leur émancipation d'une conception superstitieuse et métaphysique du monde, et de leur émancipation de préceptes moraux qui dérivent de conditions sociales d'autres temps.

    Pas à pas se forma une avant-garde de travailleurs. Ceux-ci, au fur et à mesure qu'ils se libéraient de la fange du passé (soutenue par la force et le prestige de l'État, de l'Église et des autres Autorités et organisations parallèles de la classe dominante), avec des limites, des erreurs et des hésitations mais aussi avec ténacité, héroïsme et continuité, plutôt que d’utiliser la libération en termes d'émancipation et de carrières personnelles, s’organisèrent pour multiplier leurs forces, et répandre plus largement encore la réforme intellectuelle et morale nécessaire quartostato1.jpgpour mettre fin à la décadence inaugurée par la Contre-réforme. Une telle réforme est en fait, encore aujourd’hui, nécessaire pour sortir du marasme dans lequel la domination de la bourgeoisie impérialiste a mené notre pays, pour construire une Italie communiste. 

    En devant réaffirmer l'asservissement et l'exploitation de la masse des paysans, la bourgeoisie unitaire dut s'appuyer sur l'Église qui depuis longtemps assurait les conditions morales et intellectuelles de cet asservissement, et évitait donc qu'il soit nécessaire de recourir en permanence à la contrainte des armes et aux autres moyens coercitifs de l'Etat.

    La bourgeoisie réduisit au minimum indispensable les transformations qu’elle imposa à l'Église. Elle assuma la défense d'une grande partie des intérêts et des privilèges du clergé et paya, sous diverses formes, un rachat pour ceux que par la force de choses elle dut abolir. Elle assura en outre aux fonctionnaires, aux notables et aux dignitaires des anciens États le maintien des apanages, des privilèges et dans beaucoup de cas, même, des fonctions dont les anciens gouvernements les avaient dotés. Elle endossa pour le nouvel État les dettes contractées par les États supprimés. Enfin là où, avec le concours de l'Église et avec les forces ordinaires de son État, elle ne pouvait pas assurer la répression des paysans, elle la délégua à des Forces Armées locales (mafia sicilienne et organisations semblables), sous la haute protection et la supervision de son État (84).

    En résumé, à cause de sa contradiction d'intérêts avec les paysans, la bourgeoisie unitaire ne pouvait pas balayer les forces féodales restantes: la Papauté, son Église, la monarchie, les grands propriétaires fonciers agraires et les autres institutions, sectes, ordres, congrégations et sociétés secrètes du monde féodal. Elle opta pour leur intégration graduelle dans la nouvelle société bourgeoise. C’est effectivement ce qui advint. Mais celles-ci, en s’intégrant, ont à leur tour marqué et pollué à perpétuité les principaux aspects politiques, économiques et culturels de la formation socio-économique bourgeoise italienne. Les bourgeois italiens sont restés au milieu de la route, entre leur rôle de « fonctionnaires du capital », voués à investir le profit extorqué aux travailleurs pour augmenter ultérieurement la production, et les habitudes du clergé et des autres classes dominantes féodales, thumb.php.jpegvouées à employer pour leur luxe et leur faste ce qu’elles extorquent aux travailleurs. Telle est la base de l'’anomalie italienne’, de la spécificité que la bourgeoisie italienne présente par rapport à la bourgeoisie des autres pays européens : sa - tant déplorée - insuffisante propension à l'investissement productif, à la recherche, au risque, etc. (82)

    Le Risorgimento fut donc un mouvement anti-paysan. Les paysans, c'est-à-dire l'immense majorité des travailleurs de la péninsule, n'eurent non seulement ni la terre ni l'abolition des vexations féodales restantes, mais ils durent supporter, en plus des obligations envers les anciens propriétaires, les nouvelles charges établies par le nouvel État : impôts et service militaire. Par conséquent, le Risorgimento provoqua parmi les paysans un état endémique de rébellion. Pendant des années, ils formèrent partout une masse de manœuvre pour ceux qui, dans les rangs de la noblesse et du clergé, s'opposaient à l'unification de la péninsule ou, plus concrètement, faisaient chanter les Autorités du nouvel État par la menace de mobiliser les paysans contre elles (85). Ce rôle des paysans ne diminua que lorsque, et dans la mesure où, la classe ouvrière établit sa direction sur leur mouvement de rébellion contre les conditions intolérables auxquelles la bourgeoisie unitaire les avait réduits, et les intégra dans le mouvement communiste. 

    Im88b.gifLe Risorgimento ne fut pas directement une révolution dans les rapports sociaux. Il instaura cependant dans la péninsule une organisation politique différente (l'unification politique) et détermina une insertion différente de celle-ci dans le contexte politique et économique européen. La bourgeoisie unitaire ouvrit la voie à une série de transformations et d'œuvres (réseau de communication routier et ferroviaire, système scolaire national, Forces Armées et de police, développement industriel et scientifique, système hospitalier et d’hygiène publique, travaux publics, appareil et frais de représentation de l'État, etc.) qui modifièrent les rapports de production que la Contre-réforme avait fixés. Avec le renforcement général des relations commerciales et capitalistes et avec l'expansion des travaux publics, le marché des terres reçut une grande impulsion. La terre devint un capital, et son rendement fut confronté avec celui des capitaux investis dans les autres secteurs (86). Ceci et le développement des échanges internes et internationaux transformèrent toujours plus les rapports, dans les campagnes, entre propriétaires et paysans en rapports mercantiles et capitalistes. L'expulsion massive des paysans du travail agricole qui s’ensuivit, le recrutement de paysans pour les travaux publics, l'émigration à l'étranger, le développement industriel dans les villes du Nord et les migrations internes changèrent la composition de classe du pays.

    Non seulement, donc, les masses paysannes ne furent pas mobilisées pour transformer leur condition, mais elles subirent, à travers des péripéties et des souffrances inénarrables, la transformation que la bourgeoisie leur imposait par la force de ses rapports économiques et de son État. L'Italie devint brigantaggio.jpgmalgré tout un pays impérialiste. Dès lors, parler de « terminer la révolution bourgeoise » en Italie, dans un sens différent de celui valant pour tout autre pays européen, et aller pêcher les « résidus féodaux » pour soutenir une telle ligne, est devenu le drapeau de l'opportunisme renonçant à l'unique transformation ultérieure que le mouvement communiste pouvait et devait accomplir dans notre pays : la révolution socialiste (87).

    La révolution bourgeoise anti-paysanne est à l’origine de la naissance de la « question paysanne ». Celle-ci ne fut résolue que dans les vingt années suivant la Seconde Guerre mondiale, par l'élimination des paysans. Mais elle est également à l’origine de la « question méridionale », de la « question vaticane », du rôle politique et social d'organisations armées territoriales semi-autonomes de l'État central comme la mafia sicilienne, et d'autres caractéristiques spécifiques de la bourgeoisie italienne qui persistent encore aujourd’hui.

    2.1.1.1.  La révolution bourgeoise inachevée

    Avec l'unification, la bourgeoisie maintint en vie beaucoup des vieilles institutions, relations et habitudes féodales avec leur localisme, en se contentant de leur superposer les organismes du nouvel État. Elles ne furent que progressivement absorbées dans la nouvelle société bourgeoise.

    Ainsi fut longtemps conservée la diversité sociale des différentes régions et, en partie, celle-ci demeure toujours, bien que dans les vingt années suivant la Seconde Guerre Mondiale, la masse des paysans ait été expulsée des campagnes et que des millions de personnes aient été forcées à migrer du Sud au contadiniNord et du Nord-Est au Nord-Ouest. Là est la raison pour laquelle en Italie, les contradictions entre classes et les contradictions entre secteurs productifs sont régulièrement devenues des contradictions territoriales et ont mis en danger l'unité de l'État (mouvements fédéralistes et sécessionnistes). La question de la grande industrie a été, pendant des décennies, principalement la question de la Lombardie, du Piémont et de la Ligurie ; la question de la petite et moyenne entreprise a été principalement la question de la Vénétie et de l'Emilie-Romagne ; la question du latifundium, de la petite production avec son monde bariolé de petits patrons, de travailleurs autonomes et salariés, de semi-prolétariat et d’emploi public, a été principalement la question des régions méridionales (88). Les caractères spécifiques des différentes régions et zones demeurent en partie et le mouvement communiste doit en tenir compte, aujourd'hui dans la lutte pour instaurer le socialisme et demain dans le système que la révolution socialiste instaurera. En particulier, nous devons appuyer et favoriser par principe les mouvements nationaux (Sardaigne, Sud-Tyrol, etc.) : indépendamment de la capacité des petites nations à s'élever effectivement à la vie autonome, leur mouvement est aujourd'hui un aspect important de la lutte des masses populaires contre la bourgeoisie impérialiste, pour la défense et l'élargissement de leurs droits démocratiques.  

    contadini_dopo.jpgL'Église fut la principale bénéficiaire du caractère anti-paysan du Risorgimento. La bourgeoisie ne mena pas avec énergie et, par sa nature même, ne pouvait pas mener avec succès, une action pour éliminer ou au moins réduire l'hégémonie morale et intellectuelle que l'Église avait sur les paysans, sur les femmes et sur une partie de la population urbaine. Son initiative fut presque nulle sur le plan moral, sur le plan du comportement individuel et social, pour promouvoir une morale adaptée aux conditions de la société moderne. La bourgeoisie renonça à formuler et à promouvoir en termes de morale (c’est à dire de principes et de règles régissant le comportement individuel) le système de relations sociales (de la société civile) que son État défendait par la violence et exprimait en termes juridiques dans sa législation.

    Le peu que la bourgeoisie fit, avec l'école publique, eut des effets limités car ne concerna que l'école fréquentée par une minorité des nouvelles générations. L'analphabétisme, l'influence de l'Église dans les écoles inférieures, spécialement dans les campagnes, et la permanence d’un vaste système de collèges et d’écoles gérées par le clergé prolongèrent l'hégémonie de l'Église dans la formation intellectuelle et morale des nouvelles générations. L'État se limita à former les candidats à la couche supérieure de la classe dominante : celle-ci, par la force des choses, pour être un tant soit peu à la hauteur de ses tâches, devait avoir une formation intellectuelle et morale différente de celle qu’à travers l'Église, la bourgeoisie imposait aux classes populaires et aux femmes en général.

    operai.jpg Non seulement manquèrent totalement, dans le Risorgimento et dans les décennies suivantes, la mobilisation en masse de la population pour améliorer ses conditions économiques, l’instruction, les conditions hygiéniques et sanitaires etc., et pour promouvoir tous les autres aspects de l'initiative de masse, que seule une révolution paysanne et la confiance en soi confortée par les résultats auraient développé chez des millions d'individus ; mais il y eut même un effort conjoint de l'Église, de l'État et d'une grande partie de la classe dominante pour mortifier, réprimer et décourager l'initiative pratique et, par-dessus, l'émancipation morale et intellectuelle de la masse des hommes et des femmes. L'émigration de la campagne vers les villes fut systématiquement utilisée pour renforcer l'hégémonie ecclésiastique également dans les villes : les paroisses exploitèrent leur rôle d'agences pour l’emploi afin d’étendre le contrôle ecclésiastique sur les ouvriers et les autres travailleurs des ville.

    La lutte de la bourgeoisie pour un renouvellement moral et intellectuel général du pays se réduisit à des initiatives privées non-coordonnées et en grande partie sectaires et élitistes, idéalistes parce qu'elles comptaient sans le mouvement pratique qui seul aurait pu les transformer en initiatives de masse (89). Dans la société bourgeoise, il est possible de construire un parti sur une conception du monde et un programme politique, tandis qu’il n’est possible de mobiliser et d’unir les masses populaires que dans un mouvement pratique, pour un objectif pratique, qui en l’occurrence aurait été l'amélioration de leur condition par la conquête de la terre et l'élimination révolutionnaire des vexations féodales restantes, objectif que l'aile gauche de la bourgeoisie unitaire ne sut pas vraiment assumer (90).

    1861-03-17-briganti-2.jpgS’ajoutèrent, à tout cela, la durable opposition qui s'instaura alors et se maintint ensuite entre la masse de la population et les Autorités du nouvel État, qui se présentaient uniquement ou principalement dans les habits du carabinier, du percepteur d'impôts ou de l'huissier, le service militaire obligatoire au service d'un État ennemi imposé après l'Unité, l'incitation à la rébellion et le boycottage promus pendant longtemps par l’Église et d'autres groupes anti-unitaires dont la bourgeoisie avait intégralement respecté le pouvoir social (richesse, prestige et souvent même, charges publiques). En particulier, l'Église obtint d'une part des richesses, des privilèges et du pouvoir du nouvel État, et de l'autre se donna des airs de protectrice et de porte-parole des masses populaires face aux Autorités du nouvel État, dans une position systématique de chantage.

    La législation du nouvel État et, encore plus, son application et l’activité pratique des Autorités du nouvel État et de son Administration Publique, défendirent les intérêts de l'Église et soutinrent son intégration dans les nouvelles conditions de la richesse du pays. L'Église et son « aristocratie noire » romaine transformèrent, aux conditions dictées par elles-mêmes, leurs propriétés terriennes et immobilières traditionnelles en nouvelle richesse financière.

    L'insuffisante disponibilité de capitaux pour investissements a été une lamentation qui a accompagné toute l'histoire de notre pays après l'Unité et que les historiens bourgeois, cléricaux ou non, ont versé, complaisants, dans leurs traités d'histoire en justification de la misère persistante d’une grande partie de la population et de la subordination économique et politique de l'Italie à la bourgeoisie allemande, française et anglaise. En effet, les capitalistes entrepreneurs et même l'État durent largement recourir à des banques de prêt et d'investissement étrangères et aux Bourses étrangères pour financer les investissements et la Dépense Publique. En réalité, lorsque débuta le Risorgimento, l'économie biennio2.jpgmonétaire était déjà très développée en Italie et la richesse monétaire du pays était abondante et concentrée. Mais elle ne fut employée que dans une mesure minimale pour les investissements capitalistes. Le caractère anti-paysan du Risorgimento empêcha précisément que se créent les conditions de classe et politiques nécessaires, pour que la richesse monétaire du pays se canalise vers le développement économique et civil du pays, et pour que l'imposition fiscale soit transparente, équitablement répartie et à la hauteur des frais de l’Administration Publique.

    Les propriétaires terriens continuèrent jusqu'au deuxième après-guerre à extorquer aux paysans les rentes et les prestations personnelles qu’ils leurs avaient extorqué avant l'Unité. Mais à quelle fin utilisaient-ils ces rentes ? Pour la plus grande partie, et l'Église en était l'exemple le plus macroscopique, les propriétaires terriens n’étaient pas des capitalistes qui investissaient dans des entreprises industrielles ce qu’ils extorquaient aux paysans. Ils étaient des parasites qui continuaient à dilapider comme ils le faisaient avant l'Unité, dans les villes ou à l'étranger. La spéculation financière, l'usure, la spéculation foncière et immobilière, les investissements financiers à l'étranger, la thésaurisation, les frais pour la consommation, le luxe et le faste des riches et la magnificence de l'Église et des Autorités publiques, leurs frais de représentation et de prestige continuèrent à absorber une large part de la richesse monétaire et des forces laborieuses du pays, exactement comme, parallèlement, la rhétorique, la théologie et l'art de la chicane continuèrent à absorber une large part de ses énergies intellectuelles.

    L'Église resta le centre initiateur et la source principale du parasitisme de la classe dominante qui, à travers mille canaux et capillaires, a pollué durant les 150 ans d'histoire unitaire et pollue encore aujourd'hui tout le pays, absorbe une grande partie de ses forces productives, occupe une grande partie de sa force de travail, impose son ombre et son empreinte maléfiques et dicte sa loi partout dans notre pays. Ce n’est pas par hasard qu’en Italie la bienfaisance, les faveurs et les aumônes ont toujours été et sont en proportion inverse aux droits des masses populaires et aux salaires. C’est le "conservatisme  charitable" : les travailleurs sont à la merci du bon cœur des riches, les riches ne doivent pas exagérer ; la culture féodale à laquelle l'Église a mis ses vêtements de fête : la doctrine sociale de l'Église ! Le pizzo (racket contre 1920_fabbriche_occupate.jpg‘protection’) que la mafia et autres organisations criminelles exigent, n'est autre que leur forme spécifique de cet état général d'exploitation parasitaire, qui a désormais conflué dans le parasitisme général de la bourgeoisie impérialiste (91).

    Plutôt que de trouver les ressources financières pour le développement économique en puisant dans les sacs de parasitisme qu’elle avait trouvé, jusqu'à les assécher, la bourgeoisie unitaire étendit la Dépense Publique pour financer et élargir le vieux parasitisme qui devint une nouvelle plaie. Ces frais s’ajoutèrent à ceux auxquels le nouvel État dût faire face pour créer les conditions d'un État moderne, indépendant et avec un minimum d'autorité dans le concert européen, et les augmentèrent : il suffit de considérer la pléthore d'officiers de grade supérieur et de fonctionnaires publics dès les premières années du Royaume, vu que celui-ci absorba une grande partie de la bureaucratie et des Forces Armées des États supprimés.

    Ensemble, les charges héritées – des anciens États – et les nouvelles gonflèrent énormément la Dépense Publique. Dans les premières décennies de l’Unité les impôts furent proportionnellement élevés et frappaient principalement les paysans. Ces impôts et le service militaire obligatoire augmentèrent encore plus leur hostilité envers le nouvel État. Ils créèrent un terrain favorable aux manœuvres et aux chantages des forces antiunitaires, en premier lieu du Pape et de l'Église qui étaient aussi les plus grands bénéficiaires de la politique de la bourgeoisie unitaire. L’hostilité des paysans, fruit des conditions objectives et aggravées par les incitations à la révolte des vieilles Autorités et en particulier de l'Église, rendit nécessaires de nouveaux frais pour l'ordre public (il suffit de penser au coût de la guerre contre le "brigandage") et la sûreté nationale.

    legaproletaria3.jpgUne autre lamentation qui a accompagné toute l'histoire de notre pays après l'Unité et que les historiens bourgeois, cléricaux ou non, ont versée complaisamment dans leurs traités d'histoire, est l’étroitesse du marché intérieur. Mais quelle fut la source d’une telle étroitesse ?

    Les paysans furent encore, pendant plusieurs décennies après l'Unité, jusqu'à l'après-guerre, la majorité de la population. Ils furent accablés au-delà de toute limite imaginable par les vieilles rentes et les nouveaux impôts. La charge globale doubla – environ - avec l'Unité, selon des évaluations crédibles (92). La situation des paysans fut aggravée par le fait qu’à un certain point, l'État, pour encaisser cet argent qu’il n'avait pas la force de prendre aux riches comme impôts, mit en vente aux enchères et en liquidation les terres domaniales et des couvents, supprimant sans la moindre indemnité les ‘usages civiques’ (pâture, ramassage de bois, etc.) dont les paysans jouissaient depuis des temps immémoriaux sur ces terrains. Les usages civiques, avec les cantines des couvents, avaient été des sources dont la masse des paysans, en particulier les plus pauvres et encore plus dans les années difficiles, avaient alors tiré de quoi survivre.

    Il est donc évident que dans ces conditions, les paysans n'achetaient ni équipement agricole et outillages pour améliorer la productivité de leur travail, ni biens de consommation. Ils se contentaient de peu et ce peu, ils cherchaient à le produire directement eux-mêmes (économie naturelle). De là, la cause première de l’étroitesse du marché intérieur.

    En effet, le marché intérieur était constitué 1. de la demande des capitalistes en investissements et de la Dépense Publique pour l’achat de marchandises, 2. de la demande des capitalistes et des classes parasitaires pour leur consommation propre, 3. de la demande de biens de consommation et d'outils de la part des familles et des travailleurs urbains, 4. de la demande de biens de consommation et d'outils de la part des familles paysannes. Le capital se crée une partie de son propre marché en incorporant les activités manufacturières auxiliaires et complémentaire de l'agriculture (filature, tissage, production d'outils, industrie du bâtiment, travail des produits agricoles, etc.) que dans le domaine d'une économie naturelle, les familles paysannes exercent pour elles-mêmes et pour leurs seigneurs ; et en les érigeant en secteurs productifs de l'économie mercantile et capitaliste, qui vendent leurs produits l'un à l'autre et aux familles paysannes (division sociale du travail). Cette dernière partie du marché intérieur était particulièrement importante pour le capitalisme italien post-unitaire, parce que les deux premières parties, par leur nature et par longue tradition, étaient dans une large mesure satisfaites par l’offre des pays plus avancés d'Europe. De plus, le rôle du marché intérieur fut accru par le fait que rapidement, après l'accomplissement de l'Unité de l'Italie, commença la Grande Dépression (1873-1895) avec la stagnation voire la réduction du marché étranger.

    2.1.1.2.  L'État à souveraineté limitée

    victor emmanuel IILe nouvel État n'affirma jamais pleinement sa souveraineté unique sur toute la population vivant à l’intérieur de ses frontières, bien que celle-ci ne jouisse que de peu ou d’aucune autonomie locale. Il n’eut jamais la volonté d'instaurer sa souveraineté unique, ni n’eut la confiance d'avoir la force pour le faire. Dans le Centre et dans le Nord du pays, le nouvel État assuma en propre l'exercice de la violence, la répression et la tutelle de l'ordre public et compta sur l'Église qui contrôlait les paysans et les femmes sur lesquelles elle exerçait une efficace direction intellectuelle et morale. Dans le Sud, la direction intellectuelle et morale de l'Église sur les paysans était moins forte. Là, l'État soutint secteur par secteur la force sociale capable de tenir en respect, par ses propres moyens, les paysans, de dicter la loi et les règles et de les faire observer. Évidemment, il dut consentir à ce que chacune d'entre elles dicte sa propre loi et ses propres règles et les fasse respecter à sa manière, bien que dans le cadre d'une certaine reconnaissance d'une certaine suprématie de l'État (93).

    L'Église a été la cause principale et la principale bénéficiaire de la limitation de la souveraineté du nouvel État. Déjà, lors de l'accomplissement de l'Unité, la bourgeoisie reconnut à l'Église et s’engagea publiquement et par la loi à respecter des exemptions, l’immunité et l'extraterritorialité. Avec la loi des Garanties (en 1871), le nouvel État laissa au Pape et s’engagea à n’exercer en aucun cas et d’aucune manière son autorité (judiciaire, de police, douanière, militaire, fiscale, etc.) sur une partie de la ville de Rome et sur les rapports que le Pape et sa Cour entretenaient avec le clergé italien et avec l'étranger. Il mit en outre, à disposition irrévocable du Pape, 50 millions de lires par an, en plus des impôts que le Pape tirait de l'État Pontifical (94).

    place-saint-pierre-vatican-599556.jpgDe fait l'Église, avec le Pape à sa tête, continua à fonctionner dans tout le pays comme un pouvoir souverain, un État dans l'État, avec son réseau de fonctionnaires (substantiellement soustraits à l'autorité de l'État) qui depuis le Centre couvrait tout le pays, jusqu'au village le plus reculé. Elle eut en outre l'avantage que c’était désormais la police, la magistrature, l'administration pénitentiaire du nouvel État, opérant sur toute la péninsule, qui faisaient respecter son intérêt, son pouvoir, ses spéculations et son prestige et en assumaient la responsabilité auprès des masses populaires. Les fonctionnaires de l'Église étaient sélectionnés, formés, nommés et résignés sur décision irrévocable du Pape ou des fonctionnaires supérieurs (évêques) délégués par lui dans ce but. Ils jouissaient cependant des rentes des biens diocésains et paroissiaux, des édifices publics et autres prérogatives et pouvoirs sur la population (baptêmes, mariages, enterrements, etc.). Le nouvel État se contenta d'établir que pour jouir des bénéfices, pouvoirs et immunités, des garanties, des protections et des exemptions sous la tutelle des Autorités du nouvel État, les fonctionnaires supérieurs (les évêques) nommés par le Pape devaient aussi avoir le consentement de l'État : chose que de fait, par tacite accord, l'État ne fit jamais manquer.

    Si d'un côté, l'Église menait la fronde, de l'autre elle exigeait toujours plus de l'État, en menaçant de faire pire (dans ses intrigues internationales et dans l’incitation à la révolte des paysans et des femmes), s’appuyant sur la timidité morale et la peur qu'elle inspirait à la Cour et à la plupart des plus hauts représentants de la classe dirigeante. Celle-ci était, en effet, composée dans une large mesure de pieuses personnes sur lesquelles la menace de l’excommunication, des peines de l'Enfer demain dans l'au-delà et des malédictions de Dieu ici et maintenant sur terre, avaient un grand effet. Forts de cette situation, l'Église, l'"aristocratie noire" romaine, parents et hommes de confiance du Pape et des vaticano-armas1.jpgautres représentants de la Curie romaine participèrent, pour leur propre compte et pour le compte de l'Église, au « sac de Rome » (la spéculation sur les terrains et sur les immeubles) qui eut lieu dans les décennies après l'Unité, et à la spéculation financière dont les scandales ont dès lors bouleversé à répétition le système financier et bancaire du pays entier, jusqu'aux récentes affaires Sindona (Banque Privée Italienne), Calvi (Banco Ambrosiano), Parmalat, Fazio.

    Ces activités de l'Église n'eurent pas et n'ont toujours pas que des effets financiers. Elles paralysèrent le système judiciaire de l'État, qui doit reculer chaque fois qu'il va s’abattre sur des représentants ou des mandataires de l'Église. Elles limitèrent le pouvoir législatif de l'État, qui doit se contenir chaque fois que des dispositions touchent les intérêts de l'Église - qui sont présents dans tous les domaines. Elles conditionnèrent les appareils d’investigation et policiers de l'État. Elles accrurent encore le secret dont la bourgeoisie, déjà pour elle-même, entoure l'activité de son État et de son Administration publique. Elles jetèrent une ombre sur la fiabilité des systèmes financier et étatique italien entiers et en amoindrirent le rôle dans le système capitaliste international. Choses dont ont évidemment profité et profitent encore tous les aventuriers nationaux et étrangers qui ont intérêt à le faire.

    La situation de double souveraineté (ou de souveraineté limitée), déterminée par la survie de l'Église, a contribué à conserver et à créer d’autres pouvoirs souverains dans le pays. Le plus connu parmi ceux de longue date, mis à part l'Église, est la mafia sicilienne. Au moment de l’unification de la péninsule elle resta un pouvoir, de fait reconnu et délégué de l'État italien, dans la zone occidentale de la Sicile. Par la suite elle élargit son terrain d'action aux USA, en Italie et dans d’autres pays.

    De la situation de souveraineté limitée où se trouve l'État italien depuis sa naissance, tire son origine la situation actuelle. Sous l’apparente souveraineté officielle de l'État italien, existent en Italie des zones territoriales et des relations sociales dans lesquelles ne prévaut pas sa loi. Une série de pouvoirs souverains agissent, indépendants de l'État italien. Chacun d'entre eux dicte ses règles, dispose de moyens propres pour imposer sa volonté et exerce une influence extralégale sur les Autorités de l'État et sur l’Administration publique. Celle-ci est largement infiltrée par chacun de ces pouvoirs souverains. Chacun d'eux dispose d'hommes qui lui doivent leur carrière et leur rôle dans l’Administration publique. Ceux-ci agissent donc dans l’Administration publique et pour le compte de celle-ci, mais selon les directives d'un pouvoir qui ne porte officiellement aucune responsabilité des actions et des comportements qu'il commande. Le Vatican est le principal de ces pouvoirs. Dans notre pays, il n'y a aujourd'hui aucun endroit ou aucun domaine dans lequel il ne puisse recueillir des informations et exercer son influence. Il a dans le pays une influence bien plus large, efficace et centralisée que celle de l'État officiel. De plus, il peut se servir d'une grande partie de la structure de l'État et de l’Administration publique. Après le Vatican viennent les impérialistes US (directement et via l'OTAN), les groupes sionistes, la mafia, la camorra, la n'drangheta et d’autres groupes de la criminalité organisée, et tous les autres ayant la volonté et les moyens de profiter de la situation. Les événements de la Loge P2 ont montré une des modalités pour le faire.

    vista-del-quartiere-degli-affari-di-milano-s-dal-duomo-di-m.jpgLa double souveraineté État/Église sur la péninsule a toutefois un caractère particulier. Elle a créé un régime unique en son genre. Sa particularité consiste en le fait qu’en Italie, l'Église n'est pas une religion. La religion est seulement le prétexte et le revêtement idéologique d'une structure politique monarchique féodale. Celle-ci a à Rome et dans chaque coin du pays des dirigeants nommés par le monarque. Ils sont sélectionnés pour leur fidélité au chef, lui jurent fidélité, les fortunes et le rôle de chacun d'eux dépendent de l'irrévocable volonté du monarque dont le pouvoir est absolu et se prétend d'origine divine. À ses fidèles, l'Église demande fidélité et obéissance. Leurs opinions et leur expérience ne décident pas de l'orientation de l'activité de l'Église : au contraire ce sont eux qui doivent s'adapter aux décisions de l'Église. Ses directives sont irrévocables et prétendent même jouir d'une autorité divine. L’Eglise et son chef absolu, le Pape, forment le gouvernement suprême de dernière instance de l'Italie. Elle n'annonce ni programmes ni orientations ni ne présente aucun bilan de ses actes, car elle ne reconnaît sur ses actes, au peuple italien, aucun droit de vote ni même d'opinion. Ce gouvernement, occulte et irresponsable, dirige pourtant le pays à travers une structure étatique qui prétend être, comme dans toute république bourgeoise constitutionnelle, légitimée par la volonté populaire et avoir à sa tête un Parlement et un gouvernement qui doivent être sanctionnés par le suffrage populaire. Officiellement, cette structure est l'unique État. Contrairement à toute autre monarchie constitutionnelle, les frontières de compétences entre l'État constitutionnel et l'Église sont arbitrairement, irrévocablement et secrètement décidées par l'Église au cas par cas. Ceci confère précisément à l’ensemble du régime une certaine dose de précarité, mais aussi cette flexibilité qui permet des rapports d'unité et de lutte avec tous les autres pouvoirs autonomes qui ont pied dans le pays. Un pareil régime n'est décrit dans aucun manuel de doctrines politiques mais, pour autant, il n'en est pas moins réel et est celui avec lequel le mouvement communiste doit compter dans notre pays. L'histoire de sa formation a traversé cinq phases différentes.

    Phase 1

    La bourgeoisie a mené le Risorgimento avec l'intention de créer son État, mais en reconnaissant que pour gouverner elle avait besoin de la collaboration de l'Église, étant donné l’hostilité des paysans. L’objet du contentieux était la délimitation des pouvoirs entre les deux institutions. Il y eut alors une phase de guerre sans combats, d'armistice État/Église, reprise en ce qui concerne l'État dans la Loi des Garanties et en ce qui concerne l'Église dans la ligne du « non expedit » (95). Cette phase va environ de 1848 à 1898. Dans la bourgeoisie, ont encore un certain poids les courants qui voudraient promouvoir leur hégémonie directe sur les masses populaires et se défaire de l'Église. La distinction entre l'aile gauche de la bourgeoisie unitaire et le mouvement communiste italien naissant n'est pas encore nette. La bourgeoisie laisse le temps et les conditions à l'Église pour réorganiser ses forces en Italie et dans le monde. Dans la seconde partie du XIXe siècle, la bourgeoisie passe au niveau international à l’époque de l'impérialisme, de la contre-révolution préventive, de la mobilisation des forces féodales restantes dans une nouvelle « sainte alliance » pour arrêter l'avancée du mouvement communiste. C’est la transformation déjà décrite dans le chapitre 1.3 de ce MP. L'Église Catholique, dirigée entre 1878 et 1903 par le Pape Léon XIII, exploite cette situation internationale pour sortir des difficultés dans lesquelles l'a mise l'unification de la péninsule. Elle devient le principal appui de la bourgeoisie impérialiste au niveau international et, à partir de cette nouvelle condition, affronte la définition de son nouveau rôle en Italie.

    Phase 2

    Leo XIIILa bourgeoisie et l'Église reconnaissent, par des accords comme le Pacte Gentiloni (1913), qu'elles doivent collaborer dans l'intérêt commun contre le mouvement communiste, en se partageant les tâches. Le mouvement communiste a maintenant atteint une discrète autonomie idéologique et politique vis-à-vis de la bourgeoisie. Pour le tenir en respect et limiter la liaison naissante ouvriers-paysans, la bourgeoisie demande à l'Église de restaurer et de renforcer son hégémonie sur les paysans et sur les femmes, hégémonie affaiblie par les progrès du mouvement communiste, et de prendre des initiatives pour établir son hégémonie sur au moins une partie des ouvriers. L'Église accepte le défi, mais exige l'aide de la bourgeoisie pour réaliser cette œuvre à l’issue incertaine. Cette phase va grosso modo des mouvements paysans et ouvriers de 1893-1898 jusqu'en 1928. Les catholiques participent aux élections parlementaires et à l'activité parlementaire en soutien au gouvernement. L'Église crée des organisations de masse dans toutes les classes et couches sociales, en particulier parmi les travailleurs, pour bloquer l'avancée du mouvement communiste, empêcher l'unité des ouvriers et entraver l'unité ouvriers-paysans. Par celles-ci l'Église appuie l'action du gouvernement, de l'entreprise libyenne (1911) à la participation de l'Italie à la Première Guerre Mondiale (1915-1918). Lorsque la guerre commence à engendrer une révolte générale des masses populaires, dont le pic le plus haut est la Révolution d'Octobre, elle assume la direction du mouvement pour la conclusion d'un armistice. Face à la rébellion diffuse des masses populaires qui suit la conclusion de la guerre, l'Église accepte le fascisme, la dictature terroriste de la bourgeoisie impérialiste, comme solution nécessaire de gouvernement pour rétablir l’ordre. Elle appuie sa venue au pouvoir et la consolidation du régime.

    Phase 3

    Mussolini.jpgLa bourgeoisie, par la bouche de Benito Mussolini (1883-1945), reconnaît formellement la souveraineté particulière de l'Église en échange de son engagement officiel et public de fidélité aux Autorités de l'État - sur la base d'un serment fait à Dieu dont l'Église peut délier ses fonctionnaires quand elle veut, tandis que les délits contre l'État dont ceux-ci se rendent responsables sont protégés par des immunités et dans tous les cas vont en prescription. Le Traité du Latran, le Concordat et la Convention financière, signés le 11 février 1929, inaugurent cette phase qui durera jusqu'en 1943. L'Église renonce officiellement à la prétention de restaurer le vieil État Pontifical et reçoit en compensation des impôts perdus 750 millions de lires comptant, 1 milliard en Bons du Trésor à 5% au porteur et une série interminable de privilèges, propriété, droits, exemptions et immunités. Mais le fascisme était aussi l'ultime tentative de la bourgeoisie pour se rendre pleinement maître du pays et donc également politiquement autonome de l'Église. L'Église négocia soigneusement et encaissa tout ce que le fascisme lui donnait, mais mussolini_sempre_ragione.jpgs’opposa fermement à la tentative de la bourgeoisie, à travers le fascisme, de bâtir son hégémonie directe sur les masses populaires. À cet aspect du fascisme correspondent un effort et un dynamisme exceptionnels de la bourgeoisie pour renforcer la structure économique et politique du pays. Pendant le fascisme, elle a cherché à étendre le pouvoir de l'État italien en Méditerranée et a introduit une grande partie des innovations sur le plan structurel dont a vécu aussi le régime DC : banque centrale, industrie d'État, grands travaux publics, structures pour la recherche, consortiums agricoles, organismes de prévoyance, etc. En somme, les innovations et les institutions dont le résultat est la création d'un système de capitalisme monopoliste d'État. La tentative de la bourgeoisie se conclût cependant de manière désastreuse pour elle. Le fascisme fut renversé par l’issue de la guerre et par l'avancée du mouvement communiste. Le risque qu’en Italie, la classe ouvrière conduise les masses populaires à instaurer le socialisme, n'avait jamais été aussi grand. Pour conjurer le risque, la bourgeoisie s’en remit complètement à l'Église et à l'impérialisme américain. Ses velléités de gouverner politiquement le pays cessèrent définitivement.

    Phase 4

    DC-11.jpgC’est la phase de direction de l'Église sur l'État légal par la Démocratie Chrétienne : une phase qui va environ de 1947 à 1992. Avec l'accord de l'impérialisme américain, l'Italie devient un nouveau type d'État Pontifical élargi. L'Église est la plus haute autorité morale du régime, une sorte de monarchie constitutionnelle, sans cependant de constitution. L'État légal œuvre sous sa haute et incontestable direction. L'Église dirige l'État officiel et gouverne le pays indirectement, par son parti, la DC. L'Église maintient intacte et même renforce sa structure territoriale (curie, paroisses, associations, congrégations et ordres religieux, écoles, structures hospitaliers et œuvres pieuses, institutions financières, etc.) indépendante de celle de l'État et de plus, elle scelle une solide alliance avec l'impérialisme américain pour mener ensemble, au niveau international, la lutte contre le mouvement communiste. L'impérialisme américain dans tous les cas s'installe aussi en Italie directement, avec ses propres forces. L'État officiel fait valoir l'autorité papale, dans les limites imposées par les nécessités de l'Église et dans les limites permises par l'effective composition de classe du pays et les rapports de force internes et internationaux résultant de la défaite du nazifascisme, œuvre du mouvement communiste. La Constitution de l'État officiel est une fiction : toute institution républicaine doit feindre de la prendre au sérieux (et donc duper les masses), tandis qu'en réalité elle sert seulement à mettre de l’ordre dans l'activité subordonnée des organismes de l'État légal, État bourgeois contemporain, questions nationales et luttes de classe : l'Italieà faire taire par des promesses à réaliser dans un futur indéfini les exigences des "amis du peuple", et à étendre un voile de bel aspect sur les relations réelles. En contrepartie, le Vatican ne porte pas la moindre responsabilité pour les conséquences de son gouvernement. Il est en somme un pouvoir irresponsable et de dernière instance, tacitement accepté par tous les signataires du « pacte constitutionnel » et leurs héritiers.

    Phase 5

    C’est la phase actuelle, caractérisée par une intervention plus directe de l'Église dans le gouvernement du pays. La crise politique, aspect de la crise générale du capitalisme, renverse en 1992 le régime DC constitué à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L'Église est forcée par les circonstances à s'engager plus directement dans le gouvernement du pays. Les contradictions entre les groupes impérialistes et les contradictions entre la bourgeoisie impérialiste et les masses populaires ont atteint un niveau tel que les représentants politiques de la bourgeoisie ne réussissent plus à former une structure stable et fiable, qui gouverne le pays tacitement pour le compte du Vatican en lui donnant ce dont lui et son Église ont besoin, et qui en même temps réussisse à être l’expression d'une majorité électorale, pour autant que l'opinion publique soit berlusconi_fascista.jpgmanipulée et intoxiquée. Nous sommes dans la phase actuelle : phase de putréfaction du régime DC dont les poisons empestent notre pays, et de la renaissance du mouvement communiste dans le cadre de la seconde vague de la révolution prolétarienne qui avance dans le monde entier.

    L'objectif du mouvement communiste est l'instauration d'un nouvel ordre social : l'adaptation des rapports de production au caractère déjà collectif des forces productives et l'adaptation correspondante du reste des rapports sociaux et des idées et sentiments afférents. La révolution politique, la conquête du pouvoir politique de la part de la classe ouvrière à la tête du reste des masses populaires, est la prémisse indispensable à la révolution sociale. Conquérir le pouvoir politique en Italie signifie in concreto surtout éliminer l'Église : les autres étais de l'actuel régime politique (l'impérialisme américain, les organisations criminelles, les partis et les autres organisations politiques de la bourgeoisie, les sionistes, la Confindustria, etc.) ont en effet des rôles auxiliaires. Le Vatican et son Église sont le principal pilier du régime politique qui impose et maintient la domination de la bourgeoisie impérialiste dans notre pays, en tutelle de son système social. Il n'est pas possible pour la classe ouvrière de mener les masses à instaurer la dictature du prolétariat, sans éliminer le Vatican et son Église. En Italie, il n'est pas possible accomplir une quelconque révolution sociale sans éliminer cette entrave. Il est donc pour nous, communistes, essentiel de conduire, d’une part, la classe ouvrière et les masses populaires dans cette tâche et de l'autre, de distinguer nettement la lutte pour accomplir la tâche politique d'éliminer le Vatican et son Église, et avec eux le régime politique dont ils sont l'axe principal, de la lutte pour réaliser la réforme morale et intellectuelle dont les masses populaires ont besoin pour assumer ce rôle dirigeant, sans lequel n'est pas possible un nouveau système social à la hauteur des forces productives, matérielles et intellectuelles dont dispose aujourd'hui l'humanité.

    giuliani.jpgLa première lutte est entre des classes antagoniques et, en définitive, les masses populaires devront la résoudre par la force.

    La deuxième est une transformation interne aux masses populaires. Elle concerne des contradictions non antagoniques et ne peut être menée et résolue qu’à travers un mouvement des masses populaires elles-mêmes. Elle concerne des contradictions au sein peuple.

    Évidemment, les deux luttes sont par beaucoup d’aspects reliées. L'Église et la bourgeoisie ont besoin de la religion et la religiosité des masses populaires trouve dans l'Église un facile assouvissement.

    La bourgeoisie et l'Église ont tout intérêt à confondre les deux luttes, à défendre leur pouvoir à l'ombre de la religion. Il est par contre dans l'intérêt des masses populaires, de la classe ouvrière et dans le nôtre de les distinguer le plus nettement possible.

    L'élimination de l'Église et du Vatican est une question qui concerne tout le mouvement communiste international, étant donné le rôle contre-révolutionnaire que le Vatican et son Église jouent au niveau planétaire, parallèle au rôle de gendarme mondial que joue l'impérialisme américain. Dans l'accomplissement de cette tâche internationale, le mouvement communiste italien a un rôle particulier, analogue à celui qu’a le mouvement communiste américain dans l'accomplissement de la tâche internationale d'éliminer l'impérialisme américain.

     

    Notes importantes pour notre propos (les autres sont disponibles dans le Manifeste, en lien dans la colonne de droite) :

    80. (p. 108) Le Pape et sa cour ne se concevaient pas comme responsables des conditions du pays qu’ils gouvernaient et du sort de la population qui l'habitait. Au contraire, ils ne concevaient l'État Pontifical que comme une condition et un instrument nécessaires pour exercer leur "mission divine sur terre", et sa population comme des sujets tenus de fournir les ressources nécessaires à la splendeur de l'Église et de vivre de façon à créer les conditions les plus favorables à sa "mission divine sur terre." C’est le motif pour lequel l'État Pontifical était, au XIXe siècle, le plus arriéré de la péninsule ; et la rébellion contre le Pape et son gouvernement grandissait à vue d'œil.

    84. (p. 113) ‘’Pour comprendre la nature du rapport entre la mafia sicilienne (et les organisations semblables) et l'État central, il faut penser à la relation qui s'instaura dans les colonies entre les Forces Armées des seigneurs locaux et les puissances dominantes, à celui qui s’instaura entre les Forces Armées de la République Sociale Italienne (République de Salò) et l'Allemagne nazie. C’est un rapport dans lequel la puissance dominante délègue à la force locale des tâches déterminées, la force locale cherche à élargir son activité, la puissance dominante fait valoir ses droits : en somme la division des tâches, un rapport de complémentarité qui n'exclut pas des contradictions et des frictions.’’ Réflexions sur la question de la mafia, dans Rapports Sociaux n°28 (2001).

    alcuni_briganti_uccisi.jpg85. (p. 114) De 1860 aux années 1880, le nouvel État dut mener une véritable guerre en Italie méridionale contre les bandes de paysans insurgés. L'histoire officielle a appelé ‘’guerre contre le brigandage’’ cette guerre, comme la publicité bourgeoise appelle aujourd'hui ‘’guerre contre le terrorisme’’ la guerre que mène la bourgeoisie impérialiste contre la révolution démocratique des peuples arabes et musulmans. Les Forces Armées de l'État eurent plus de tués dans cette guerre contre les paysans, que dans les trois guerres d'indépendance. Les morts dans les rangs des paysans ne furent jamais recensées. Pour de plus amples informations, voir Adriana Chiaia, Le prolétariat ne s'est pas repenti (1984), Éditions Rapports Sociaux ; ou Renzo de la Carria, Prolétaires sans révolution, Éditions Orient et Savelli. Le Pape et les autres maisons régnantes dépossédées continuèrent, pendant des années, à agiter la menace de se mettre à la tête de révoltes paysannes, comme l’avaient fait les Bourbons en 1799 contre la République Parthénopéenne (NdT : république sur le modèle français, qui avait remplacé le royaume de Naples). C’était en réalité des menaces en l’air, comme celles que le Tsar agitait contre les nobles polonais ou que l'Empereur d'Autriche avait agitées contre les aristocrates lombards : ils avaient plus à perdre qu'à gagner d'un soulèvement des paysans. Agiter la menace était par contre utile, pour faire chanter qui était disposé à marchander.

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/il-y-a-110-ans-mourrait-le-brigand-carmine-crocco-un-texte-lumineux-d--a117988382

    87. (p. 115) La quatrième des Thèses de Lyon, approuvées par le troisième congrès de vieux PCI (janvier 1926) et rédigées sous la direction d’A. Gramsci, affirme : « Le capitalisme est l'élément prédominant dans la société italienne et la force qui prévaut dans la détermination de son développement. De cette donnée fondamentale dérive la conséquence qu’il n'existe pas, en Italie, de possibilité d'une révolution qui ne soit pas la révolution socialiste ». Les révisionnistes menés par Togliatti (1893-1964) rangèrent dans un tiroir cette thèse pendant et après la Résistance. Non par hasard, les partisans de l'’’achèvement de la révolution bourgeoise’’ ont, systématiquement, oublié de mettre à l'ordre du jour la principale mesure de l'achèvement effectif de la révolution bourgeoise, qui restait à faire en Italie : l'abolition de la Papauté.

    88. (p. 116) ‘’Les rapports entre industrie et agriculture… ont en Italie une base territoriale. Dans le Nord prévalent la production et la population industrielle, dans le Sud et dans les îles la production et la population agricole. Suite à cela, toutes les contradictions inhérentes à la structure sociale du pays, contiennent en elles-mêmes un élément qui touche à l'unité de l'État et la met en danger’’. Thèses de Lyon (1926), chap. 4, thèse 8.

    96. (p. 132) Pendant une longue période après l'unification de la péninsule, les mouvements des masses paysannes, bien qu’étant par leur contenu social démocratiques et progressistes (leurs objectifs étaient la possession de la terre et l'élimination des vexations féodales résiduelles), étaient dirigés par les forces réactionnaires antiunitaires. Chose qui aujourd'hui nous rend facile, à nous communistes italiens, de comprendre comment la révolution démocratique des peuples arabes et musulmans et d'autres peuples coloniaux peut être dirigée par des forces de nature féodale. Les 1920-Guardie-rosse.jpgmouvements de 1893-98 (des Faisceaux siciliens à la révolte de Milan) furent en revanche des mouvements ouvriers-paysans. Les forces féodales restantes étaient réduites, comme la bourgeoisie, à la défensive et s'allièrent avec la bourgeoisie : la crise de 1893-98 marque de fait la fin de la ‘paix armée’ entre le Royaume d'Italie et l'Église Catholique, la fin du non expedit et le début de la collaboration programmatique et systématique contre le mouvement communiste. La crise de 1943-1947 constitue une phase encore supérieure par rapport aux précédentes. L'unité ouvrier-paysans n'était plus seulement une unité dans les faits et dans les idéaux. Elle était assumée, promue et dirigée par un mouvement communiste conscient et organisé, le premier PCI. Celui-ci ne fut pas à la hauteur de sa tâche, et ne sut pas guider les masses populaires à la victoire, à l'instauration du socialisme. Mais ce qu’il réussit à faire, il le fit en maintenant fermement l'unité ouvriers-paysans. À propos du rapport entre le mouvement communiste conscient et organisé et les mouvements paysans, voir Gramsci, Notes sur la question méridionale, disponible sur le site Internet du (n) PCI, section Classiques du mouvement communiste.

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    Nous voyons donc clairement comment l'État italien contemporain a été construit par une révolution bourgeoise, mais, en raison de la faiblesse des bourgeoisies qui l'ont conduite, y compris de la bourgeoisie 'centrale' du triangle Turin-Gênes-Milan, une révolution bourgeoise inachevée ; qui a laissé subsister de profondes séquelles du passé féodal : latifundia agraire (dans le Sud mais aussi dans la Plaine du Pô, en réalité partout, au moins jusqu'aux années 1950-60), Mafia et autres organisations criminelles qui sont, historiquement, les héritières des 'hommes de main' des propriétaires fonciers et autres potentats locaux (et ont muté, depuis, en 'multinationales' de l'économie illégale), mentalités parasitaires des élites urbaines, et bien sûr, l'Église qui 'noyaute' littéralement toute la vie politique du pays, 'contrôle' (bien que moins depuis les années 1950) 'les cœurs et les esprits', en plus d'être - aussi - une puissance financière avec ses banques, ses fonds d'investissement etc. Ceci est le premier aspect, qui rapproche le 'cas italien' de l'autre grand État méditerranéen, l''Espagne', en toutefois plus avancé.

    naples-359360Le deuxième aspect c'est que l'Unité, si elle a été une aspiration de toutes les bourgeoisies des différents États qui constituaient la péninsule, n'en a pas moins été (finalement) réalisée PAR ET POUR les bourgeoisies du triangle Turin-Gênes-Milan, qui ont par conséquent PLIÉ l'organisation sociale et le développement capitaliste (jusque-là entravé par le morcellement politique) du nouvel État à leurs intérêts. Pour cela (et non seulement en raison de leur faiblesse), elles ont laissé subsister les résidus féodaux comme instruments de domination ; et même, parfois, elles ont orchestré une véritable régression dans des territoires qui avaient atteint, avant l'unification, un degré de développement susceptible de leur 'faire de l'ombre'. En effet, si le royaume bourbon de Naples était profondément arriéré sur la majeure partie de son territoire, il n'en allait pas de même pour sa capitale : Naples était une ville florissante, un port majeur de la Méditerranée, la ville la plus peuplée du nouvel État loin devant Turin, Milan ou Rome (elle le restera... jusqu'au Ventennio fasciste), la première de la péninsule dotée d'un éclairage urbain public ou encore d'un chemin de fer (1839), etc. etc. Lorsque l'on voit Naples aujourd'hui, véritable 'Tiers-Monde en Europe' avec ses monceaux d'ordures non ramassées, ses rues et ses immeubles insalubres, sa misère et sa corruption, sa jeunesse livrée à la drogue et à la délinquance supervisée par la sinistre Camorra, l'on mesure toute l'ampleur du génocide social perpétré par la bourgeoisie du Nord, pour faire du Sud non seulement un grand 'marché unifié' mais aussi ce qu'il faut bien appeler une semi-colonie... Les conditions de la construction de cet État ont pu notamment se refléter dans la discipline aux armées, bon révélateur de la faiblesse du sentiment 'patriotique' à son égard : avec 2.800 soldats fusillés pour mutinerie, abandon de poste, mutilation volontaire ou désertion, et des pratiques allant jusqu'à la décimation (exécution sommaire de soldats au hasard dans une unité s'étant "mal battue" !) sous le commandement du sinistre Cadorna, l'Italie détient le record du nombre d'exécutions durant la Première Guerre mondiale loin devant tous les autres belligérants.

    C'est là que l'on mesure tout le grotesque et le pathétique de la Ligue du Nord du bouffon Bossi, avec ses appels à la séparation ou, en tout cas, à une large autonomie du Nord, fustigeant le parasitisme de 'Rome la voleuse' et l'arriération du Sud terrone ('cul-terreux') ; alors que celui et celle-ci, s'ils plongent - certes - leurs racines dans l'époque pontificale et bourbonienne, sont d'abord et avant tout un pur produit... de la manière dont la bourgeoisie du Nord, autrement dit ses ancêtres, a unifié et construit l'organisation politico-sociale 'Italie' selon ses intérêts ! Le fait historique est que la capitalisme italien n'aurait pas pu connaître le développement qu'il a connu (principalement sous le fascisme, puis sous le régime DC) sans le formidable réservoir de force de travail constitué par le bossi04gSud déshérité. L'attitude de la Ligue du Nord vis-à-vis des méridionaux (et, aujourd'hui, des immigré-e-s extra-européens ou est-européens) n'est finalement rien d'autre que celle des réacs-fascistoïdes 'français' (ceux qui se croient tels, comme dirait la chanson) vis-à-vis des immigré-e-s de l'Empire ex-/néo-colonial BBR, venu-e-s reconstruire leur État bourgeois d'incapables, qui n'a pas gagné une guerre tout seul depuis Napoléon...

    Le troisième et dernier aspect, enfin, c'est que cet État tard construit par une bourgeoisie faible est largement arrivé 'après la bataille' pour le partage impérialiste de la planète : l'Italie n'a jamais obtenu qu'une poignée de colonies peu productives (Somalie, Érythrée, Libye, Dodécanèse, brièvement l'Éthiopie sous Mussolini, après que ce pays africain féodal lui ait infligé une déculottée en 1896), un relatif protectorat sur l'Albanie (devenue indépendante des Ottomans en 1912), une certaine influence en Tunisie et dans les Balkans, tout ceci étant perdu au terme de la Deuxième Guerre mondiale impérialiste. Depuis, l'État italien est un État impérialiste (au stade des monopoles, comme cela est clairement exposé dans les Thèses de Lyon du PCI en 1926) mais un impérialisme faible, vassal, voué à se placer en 'poisson pilote' d'un plus gros requin et à se nourrir des miettes tombant de la gueule de ce dernier. C'est ce que fit Mussolini, d'abord agent du MI6 anglais pour faire entrer l'Italie dans la Première Guerre mondiale impérialiste aux côtés des Alliés, en s'alliant avec l'Allemagne nazie d'Adolf Hitler à partir de 1936 ; puis l'Italie du régime DC s'intégra fermement dans Afghanistan_h_partb.jpgle dispositif 'atlantique' du 'monde libre' pendant la Guerre froide et aujourd'hui, l'impérialisme italien oscille entre allégeance 'atlantiste' au bloc anglo-saxon (comme en Irak) et allégeance 'européiste' à l'axe franco-allemand, ces deux tendances traversant les deux grands partis bourgeois de 'centre-gauche' (PD) et de 'centre-droit' (Berlusconi) qui se partagent le pouvoir depuis plus de 20 ans.

    MAIS VOILÀ, il y a aussi, et enfin, un quatrième et dernier aspect en Italie et cet aspect, c'est un MOUVEMENT COMMUNISTE HISTORIQUEMENT PUISSANT, de TRÈS HAUT NIVEAU IDÉOLOGIQUE, même si trahi - et les masses populaires avec lui - par des révisionnistes après la Victoire antifasciste de 1945 et livré en pâture à la bourgeoisie monopoliste et à ses chaperons US et vaticans. Un mouvement qui a plus d'une fois fait ses preuves et illuminé l'histoire prolétarienne de l'Europe comme au lendemain de la Première Guerre mondiale (1919-22), dans la Résistance au fascisme (en particulier en 1943-45) ou encore dans la formidable Guerre populaire de basse intensité entre la fin des années 1960 et le début des années 1980 ; et qui n’en doutons pas illuminera encore nos rouges combats révolutionnaires de demain jusqu’à l’avènement d’un monde communiste !

    Comme le dit la chanson : Il Popolo è forte e vincerà ! (le Peuple est fort et il vaincra !)


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    Samir Amin (Samir-Amin-developpement-inegal-et-question-nationale.pdf) :

    Le cas italien. 

    Le cas italien est exemplaire pour deux raisons. D'abord parce qu'il est particulièrement marqué. Ensuite, parce qu'il a occasionné, beaucoup plus que les autres, un débat d'une haute tenue scientifique. La figure de Gramsci (La question méridionale) domine sans doute ce débat ; mais il faut signaler que sa grande thèse a été l'objet de remises en cause ou de compléments importants de la part d'auteurs comme E. Sereni, Rosario Roméo, Sergio Romano, Benedetto Croce, Nicola Zitara, Capacelatro et Antonio Carlo.

    Première thèse : L'Italie, menacée globalement de périphérisation à l'aube du XIXème siècle, du fait de son blocage aux époques antérieures (elle perd son avance sur le reste de l'Europe dès les XIIIème et XIVème siècles et accumule les retards durant toute la période mercantiliste), échappe à ce sort par l'initiative de la bourgeoisie agraire du Nord et particulièrement du Piémont.

    Le Risorgimento et l'Unité, jusqu'à l'établissement du tarif protectionniste de 1887, sont l’œuvre de cette bourgeoisie agraire nordiste. Il ne suffit pas de caractériser cette unité, comme on le fait souvent, par le compromis qui scelle l'alliance de classe entre la bourgeoisie du Nord et les féodaux du Sud, excluant la composante paysanne (du Sud notamment) de la révolution bourgeoise.

    Encore faut-il rappeler que ce qu'on appelle la bourgeoisie du Nord, c'est encore, à l'époque de Cavour, principalement une bourgeoisie agraire. Elle est issue d'un double processus : de transformation interne de l'ancienne féodalité en gentlemen farmers capitalistes, et de différenciation-koulakisation au sein de la paysannerie, libérée en partie par la révolution française. La bourgeoisie de l'époque n'est pas encore industrielle. Et même sa dimension marchande est affaiblie par le long recul de Gênes et de Venise, cette dernière intégrée dans le système féodal autrichien.

    La bourgeoisie agraire craint un mouvement paysan antiféodal qui, par son radicalisme, risquerait de remettre en cause son pouvoir bien établi au Piémont. C'est pourquoi elle préfère l'alliance molle des féodaux du Sud.

    Elle est libre-échangiste. Non seulement parce que c'est la liberté du commerce qui lui a permis d'émerger en tant que telle, en niant les rapports féodaux ou en les contraignant à se moderniser ; mais aussi et surtout parce qu'elle envisage son insertion dans le système européen (capitaliste jeune) comme bourgeoisie agraire. Eût-elle persévéré dans cette voie, l'Italie dans son ensemble eût été périphérisée comme le fût la Hongrie.

    Il est intéressant de comparer cette histoire avec celle de la Prusse et de la Russie. Ici aussi, c'est la bourgeoisie agraire latifundiaire qui prédomine. En Prusse, à l'Est de l'Elbe, elle s'appelle junker et monopolise le pouvoir d'État. Mais l'annexion de la Rhénanie par la Prusse, sans modifier le contenu de classe de l'État, lui donne une base économique industrielle naissante qui contribuera à orienter l'État allemand bismarckien dans la voie d'une industrialisation accélérée et autonome. En Russie, si le pouvoir d'État est également intégralement aristocratique (latifundiaires en voie d'insertion dans le système capitaliste, notamment après 1861), l'industrie sera favorisée par l'État pour renforcer celui-ci ; d'où le caractère mixte de l'évolution russe ultérieure : ni périphérisée totalement (comme exportateur de blé), ni évoluant franchement vers la prédominance d'une industrialisation autocentrée.

    En contraste, ce que l'on peut appeler la bourgeoisie agraire des Balkans et de l'Empire ottoman s'inscrira dans le système mondial comme classe exploiteuse périphérisée. Le cas le plus typique est sans doute celui de la grande propriété égyptienne, qui se convertit d'elle-même en producteurs de coton pour l'Angleterre, après l'échec de l'industrialisation autocentrée de Mohamed Ali, sous le khédive Ismaïl, pendant la guerre de Sécession.

    Les bourgeoisies agraires grecque et turque réagissent de la même manière, autour du tabac notamment. La combinaison grande propriété latifundiaire capitaliste (ou, en Grèce, petite propriété capitaliste) - bourgeoisie commerçante et financière, qui deviendra compradore, est typique de l'évolution de ces formations dont l'Italie fut menacée.

    Deuxième thèse : l'industrialisation autocentrée de l'Italie a été amorcée par l'État italien, et financée par un prélèvement opéré sur la rente foncière au Nord et surtout au Sud du pays. Quatre questions se posent ici : a) le tarif protectionniste de 1887, maintenu jusqu'à l'adhésion à la perspective européenne et à son marché commun à partir de 1950-58, a-t-il été favorable ou non à cette évolution ? b) la ponction exercée sur le Sud est-elle à l'origine du développement inégal nouveau et grandissant entre le Nord et le Sud ? c) cette forme d'industrialisation a-t-elle été plus ou moins rapide que ne l'eût été une autre forme possible, fondée sur une révolution paysanne dans le Sud ? et d) l'intégration européenne contemporaine modifie-t-elle les perspectives ?

    Les historiens italiens sont unanimes à convenir que l'industrialisation de l'Italie a été amorcée par le soutien systématique de l'État, suscitant la formation d'un capital financier. La prise en charge par l'État de la construction rapide d'un réseau ferroviaire et routier, la mise en place d'un système monétaire et d'un réseau de crédit, la création d'une marine marchande importante subventionnée par l'État, ont donné au capitalisme italien des structures de concentration relativement plus poussées dès le départ, un peu comme en Russie, l'Italie faisant son entrée dans l'étape monopoliste sans avoir véritablement connu l'étape antérieure. L'accentuation de ce caractère à la suite de la crise de 1930 (la création de l'IRI et de ses filiales) a donné au capitalisme italien contemporain une forte marque étatique.

    Le protectionnisme a été un moyen essentiel, une condition de ce processus d'industrialisation, qui n'aurait pas été capable par lui-même de s'imposer à la concurrence des pays plus avancés sur son propre marché national.

    Le discours libéral des idéologies de l'impérialisme contemporain, qui prétendent que le protectionnisme a freiné le développement par les coûts qu'il imposait et les distorsions défavorables à l'optimalité qu'il suscitait, manque totalement de dimension historique.

    L'industrie italienne a-t-elle été financée par une ponction sur le Sud ? L'analyse de Gramsci ne l'exclut pas, contrairement à certaines déductions peut-être trop rapides. Gramsci se contente de constater que la bourgeoisie du Nord (agraire, puis industrielle) a fait l'Unité sans en appeler aux paysans du Sud, mais en concluant une alliance avec ses propriétaires fonciers, de style féodal. Que ces propriétaires fussent féodaux ou non est l'objet d'une question récente à ma connaissance. Mais là n'est pas la question essentielle de Gramsci. Sa thèse est seulement qu'une révolution agraire dans le Sud eût 1) accéléré le développement capitaliste et 2) rendu moins inégal ce développement entre le Nord et le Sud. Il n'y a aucun doute à avoir, en ce qui concerne la seconde conclusion, mais nous avons quelque hésitation à suivre Gramsci pour la première.

    Il appartenait aux historiens méridionalistes contemporains de démontrer que l'industrialisation avait été largement financée par une ponction sur le Sud, grâce à l’État, que la bourgeoisie du Nord monopolise, en unifiant le système fiscal et celui de la dépense publique. Nicola Zitara, Capecelatro et Carlo ont, pour l'établir, comparé la charge fiscale subie respectivement par le Nord et le Sud et la distribution de la dépense publique, étudié les effets de la liquidation du Banco di Napoli au profit du système centralisé du crédit, etc.

    La question du protectionnisme se greffe de nouveau sur celle de la ponction. Sereni prolonge-t-il ce qui serait seulement implicite chez Gramsci en prétendant que le protectionnisme traduisait la convergence des intérêts industriels du Nord et agrariens du Sud, puisqu'il aurait permis une augmentation du taux de la rente foncière ? C'est très discutable, parce que les intérêts agrariens protégés en l'occurrence sont ceux du Nord plutôt que ceux du Sud. Zitara, Capecelatro et Carlo ont en effet montré que l'Unité détruit l'agriculture céréalière auto-suffisante du Sud, qui ne résiste pas à la concurrence de l'agriculture céréalière et animale moderne du Nord, et impose au Sud de se spécialiser dans l'agriculture d'exportation (vin et huile).

    Peut-on alors parler de véritable conquête/colonisation du Sud par le Nord ? La colonisation, à l'époque contemporaine (impérialiste), remplit une fonction précise : favoriser l'accélération de l'accumulation dans les centres dominants par la ponction d'un volume considérable de surtravail, arraché le plus souvent par le maintien/reproduction de formes d'exploitation précapitalistes d'origine mais désormais soumises. La distorsion extravertie du développement dépendant qui en résulte conditionne la reproduction de cette surexploitation.

    Une telle analyse, qui est la nôtre, n'est pas incompatible avec la thèse de Gramsci. Mais elle la prolonge d'une manière que Gramsci ne pouvait faire, dans l'ignorance qu'il était de la problématique de la domination formelle par laquelle le surtravail des modes précapitalistes est transformé en plus-value et profit du capital dominant. Dans ce sens, l'Italie du Sud remplissant exactement cette fonction, la thèse des méridionalistes nous paraît correcte.

    Le cas italien n'est d'ailleurs pas unique en son genre. La Nouvelle-Angleterre n'a-t-elle pas disposé d'une colonie interne analogue, le Sud esclavagiste, spécialisé dans le coton d'exportation, grâce à la surexploitation du travail des esclaves ?

    Revenant à Gramsci, peut-on affirmer qu'une révolution agraire au Sud eût accéléré le développement du capitalisme italien ?

    Rosario Romeo soutient le contraire. Sa thèse, qui est celle de Hobsbawn, est que la survivance des rapports féodaux a permis le maintien d'une pression sur le revenu des paysans et que le surproduit, passant par le canal de la rente, a été affecté à une accumulation rapide par le biais de la fiscalité. Une révolution agraire aurait ruiné ce modèle d'accumulation accélérée.

    On a déjà dit que la révolution agraire peut donner un coup de fouet au développement capitaliste, parce que la différenciation au sein de la paysannerie soumise aux échanges marchands peut être très rapide, et que si, en France, l'industrialisation a été freinée, c'est pour une autre raison : l'alliance anti-ouvrière bourgeoisie/paysans.

    Rendons justice à Gramsci : celui-ci ne se préoccupe pas du rythme de la croissance du capitalisme (qui est la préoccupation des bourgeois), mais du style de ce développement, en ce qu'il intéresse la lutte anticapitaliste.

    Or, sur ce plan, il a parfaitement raison : la voie empruntée par l'Unité italienne a entraîné un développement inégal Nord-Sud, tandis que la révolution agraire eût créé les conditions d'un autre développement, homogène, donc réellement unificateur. Mais, en cela, la thèse de Gramsci n'est nullement en contradiction avec celle des méridionalistes. Gramsci constate que le développement inégal handicape la lutte anticapitaliste, parce qu'il maintient les masses rurales du Sud hors de la bataille prolétarienne. Comment lui donner tort quand on sait le soutien dont le fascisme a bénéficié en Italie méridionale ?

    Les méridionalistes aujourd'hui vont seulement un peu plus loin dans le même raisonnement. Pourquoi les masses du Sud soutiennent-elles la droite ? N'est-ce pas parce que ce que leur offre la gauche à base nordique ne répond pas à leurs aspirations ? En transposant aux relations Nord-Sud la problématique centre/colonie, et en rappelant dans cette dernière la nature de l'alliance sociale-démocrate et la complicité du prolétariat nordiste, solidaire de sa bourgeoisie dans la surexploitation du «prolétariat externe» sudiste, un prolétariat de petits producteurs soumis à la domination formelle du capital, les méridionalistes ne trahissent pas Gramsci ; mais ils gênent certains...

    "Histoire ancienne"... : l'immaturité du prolétariat du Nord social-démocrate (et/ou en réaction d'impuissance diront certains, anarcho-syndicaliste !), son échec en 1920-22 sont dépassés depuis 1945. De surcroît, le choix européen de l'Italie, désormais irréversible, a mis un terme aux vieux protectionnismes.

    Enfin, l'émigration massive du Sud vers les usines du Nord, l'implantation de l'industrie dans le Sud, amorcée à une large échelle avec la modernisation rapide du dernier quart de siècle, ont bouleversé les données du problème ; la vieille alliance risorgimentiste est vidée de son contenu, les conditions de l'unité prolétarienne panitalienne sont créées.

    Hésitons devant tant d'optimisme. Zitara a-t-il tort lorsqu'il analyse le discours ouvrier pour en faire ressortir le caractère bourgeois : l'apologie du développement des forces productives (capitalistes en l'occurrence) ? Hier, nous rappelle-t-il, la classe ouvrière n'a rien fait (sauf au plan verbal) pour soutenir une révolution agraire dans le Sud ; on suggère que c'est parce que l'on craignait, comme Roméo, un recul des forces productives. Aujourd'hui, elle voit dans l'implantation industrielle au Sud le moyen de la création d'une classe ouvrière sudiste. Zitara y décèle une appropriation de l'espace sudiste par le Grand Capital, opérant dans des conditions analogues à celles de l'exportation impérialiste des capitaux. Ajoutons que le discours européen (et l'eurocommunisme s'y soumet-il ?) inquiète toujours. Car, encore une fois, au nom du développement des forces productives, qui est l'affaire de la bourgeoisie, que ne va-t-on pas accepter ? Et comment sortir des griffes de l'Europe "germano-américaine" si l'on nourrit ce discours ?

    Troisième thèse : L'Italie du Sud n'était pas plus arriérée que celle du Nord en 1860. Son retard est tout entier le résultat de sa colonisation.

    Il faudrait étudier très profondément l'histoire de l'Italie pour juger de cette thèse de Capecelatro et Carlo. Mais les dévastations de l'historiographie occidentalo-centrique ailleurs incitent à prendre leurs arguments au sérieux.

    Ces auteurs prétendent que l'agriculture de la Sicile, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, avait cessé d'être féodale. Sous l'effet de l'afflux d'argent d'Amérique, via l'Espagne, la grande propriété s'était modernisée pour produire du blé marchand à grande échelle, la rente était payée en argent ; la prolétarisation rurale avancée avait permis une urbanisation et l'établissement de manufactures dont témoignent les exportations de Palerme.

    L'abolition de la féodalité par Murat à Palerme répondant à des forces internes, les Bourbons à leur retour furent contraints de ne pas revenir en arrière. L'Italie du Sud s'intégrait néanmoins dans le système mondial comme périphérie, dans le sillage de l'Angleterre : les importations de ce pays avaient tué l'industrie de la soie, mais favorisé les exportations de blé. Il en était de même d'ailleurs à l'époque du Nord, dont la bourgeoisie était encore exclusivement agraire. Le Sud réagissait néanmoins pour éviter de devenir une colonie anglaise. Tel est le sens de la révolution de 1820-21, suivie de la politique d'amorce de l'industrialisation des Bourbons : protectionnisme et appel aux capitaux étrangers. L'effondrement des Bourbons est dû à l'attitude de la bourgeoisie agraire, libre-échangiste, qui abandonna son roi contre le soutien de celui de Savoie. Ainsi, ce furent les forces réactionnaires du Sud qui ont accueilli favorablement l'Unité.

    Ces thèses, si elles sont fondées, contredisent-elles Gramsci ? Nous ne le pensons pas. En fait, Gramsci n'a nullement confondu capitalisme et industrie ni cru que la bourgeoisie du Nord était déjà industrielle quand elle a fait l'Unité. Mais elle allait le devenir. Certes, Gramsci sous-estimait la contribution que la surexploitation du Sud allait apporter à l'accumulation industrielle, puisqu'il ignorait la problématique de la domination formelle.

    Mais ce développement prolonge Gramsci plus qu'il ne le contredit. En tout état de cause, que l'Italie du Sud ait été aussi avancée que celle du Nord en 1860 ou pas, les effets dévastateurs de l'Unité telle qu'elle a opéré ne peuvent guère être discutés. Chine ou Congo, les conséquences de l'impérialisme ont été ailleurs identiques.

    Le développement inégal de l'Italie capitaliste rejoint donc par certains aspects la problématique plus générale du développement inégal centres/périphéries à l'époque impérialiste. Nous n'appliquerons pas pour autant cette conclusion à toutes les formes du développement inégal à l'intérieur des centres. Il faudrait auparavant examiner plus en détail des exemples comme ceux du régionalisme en France (Bretagne, Occitanie), comme ceux de l'Irlande et du Sud des États-Unis et se poser la question de savoir si les Noirs constituent ou non une nation...


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  • Nous poursuivrons notre étude européenne des processus de construction politico-militaire État moderne/État contemporain, des questions nationales et des luttes de classe, à travers l’exemple de notre grand voisin insulaire du Nord, séparé par la Manche, mais désormais – depuis 1992 – relié à nous par le formidablissime Eurostar

    [Sur la construction politico-militaire 'France' : (12 3 et 4) ; sur l'État espagnol : ici et ici]


    1. Les processus de formation nationale

    London-Bridge-free-wallpaperLa Nation centrale : la Nation anglaise. C’est une nation qui, en Europe, se caractérise par l’accumulation précoce des caractéristiques pré-nationales, qui, en rencontrant aux premiers siècles du 2e millénaire les premières lueurs de l’aube capitaliste, lui donneront naissance. Romanisée superficiellement, l’île de Bretagne (Britannia), peuplée de Celtes brittons, est abandonnée précipitamment par les légions romaines au début du 5e siècle. Elle est alors envahie par des peuples germaniques du Nord de l’Allemagne actuelle (et, en partie, du Danemark) : les Angles (qui donneront leur nom à l’Angleterre), les Saxons et les Jutes. Contrairement aux invasions du continent, où les ‘barbares’ se contentent de se ‘superposer’ à la population gallo-romaine, italienne, hispano-romaine etc., cette invasion a la réputation d’avoir été particulièrement brutale, exterminatrice ; mais il s’agit peut-être d’une construction historique a posteriori : ‘légende nationale’ celtique (propagée sur le continent depuis la ‘Petite Bretagne’ armoricaine), ou réécriture de l’histoire par les nouveaux maîtres normands de l’île (à partir du 11e siècle), qui s’opposent à la noblesse ‘saxonne’, sans oublier bien sûr les constructions idéologiques germanophobes de l'époque des deux guerres mondiales... En tout cas, la langue des envahisseurs s’impose ; elle deviendra, à travers de longues évolutions, l’anglais que nous connaissons actuellement. Ils fondent sept royaumes : Northumbrie, Est-Anglie et Mercie (Angles), Essex, Wessex et Sussex (Saxons, à l’ouest, à l’est et au sud de Londres, comme leur nom l’indique), et les Jutes dans le Kent. Aux 9e-10e siècles, ces royaumes sont unifiés par les rois du Wessex : Alfred le Grand, Édouard l’Ancien, Athelstan. Mais à la même époque, les Vikings danois s’installent dans une bonne moitié (nord et est) de l’actuelle Angleterre (Danelaw, autour des ‘Cinq Bourgs’), et soumettent le reste à un tribut (Danegeld). L’île est même soumise directement à l’Empire scandinave de Knut le Grand (1016-1042) ; elle ne retrouve son indépendance qu’au milieu du 11e siècle. Une crise de succession, après Édouard le Confesseur, amène alors le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, à franchir la Manche et à s’emparer du royaume, tuant son rival Harold et soumettant la noblesse saxonne à la noblesse normande qu’il emmène avec lui. Le gallo-roman (proto-français) du Nord-Ouest de l’Hexagone (Normandie, Maine-Anjou) restera pendant longtemps (au moins jusqu’aux Tudor) la langue officielle de la Cour, de la haute aristocratie et des institutions (et parler français restera une ‘obligation’ aristocratique et grande-bourgeoise jusqu’au 19e voire 20e siècle), ce qui apportera un très important vocabulaire roman à la langue nationale. En tout cas, le royaume d’Angleterre est alors unifié et le restera ; ce qui fait de la nation anglaise l'une des plus anciennes à être politiquement unifiée en Europe. Avec toutes ces caractéristiques ‘pré-positionnées’, il va de soi que, lorsque le capitalisme commence timidement à émerger dans les bourgs et les ports, à travers le commerce de la laine avec la Flandre etc., la nation anglaise est historiquement constituée. Sous les dynasties continentales (Normands 1066-1135, Blois 1135-54, Plantagenêt 1154-1399) qui la dirigent, elle tourne – initialement – ses principaux efforts d’expansion vers le continent – le trône de France en ligne de mire ; néanmoins, elle débute aussi dès cette époque une politique de soumission des nations celtiques à son autorité. 

    Allihies ..IrelandLa Nation irlandaise. L’île d’Irlande (Erin pour ses habitants gaéliques, Hibernia en latin), qui n’a jamais été soumise à l’Empire romain, est en revanche convertie au christianisme dès le 5e siècle, par le fameux Saint Patrick. Dès lors, et pour près de 1000 ans, ses monastères deviennent le centre d’une brillante civilisation celtique médiévale, point de départ de la christianisation de l’Écosse, de l’Armorique (‘Petite Bretagne’, notre Breizh actuelle) et du Pays de Galles. Le catholicisme romain, celtisé (Règle de Saint Colomban etc.), deviendra une composante essentielle de l’identité nationale ; notamment lorsque la soumission à l’Angleterre se mettra réellement en place sous Henri VIII (qui a rompu avec Rome et fondé l’anglicanisme) et s’accélérera sous les révolutions anglaises (protestantes) du 17e siècle. Aux 9e-10e siècles, des Norvégiens et des Danois s’implantent sur la côte orientale, et y fondent notamment la capitale actuelle, Dublin.

    À partir de 1166, des seigneurs anglo-normands arrivent dans les ‘bagages’ du roi ‘traître’ de Leinster, Diarmait MacMurrough, qui s’est soulevé contre le ‘roi suprême’ (Ard rí, suzerain – souvent purement symbolique – de la multitude de petits royaumes que compte l’île), allant chercher l’appui d’Henri II Plantagenêt. Ils s’y taillent des fiefs, mais ne reconnaissent pas vraiment l’autorité de leurs ‘cousins’ de Londres, et finissent par fusionner avec la population gaélique pour devenir, selon l’adage populaire, ‘plus irlandais que les Irlandais eux-mêmes’. Si le roi d’Angleterre est reconnu ‘seigneur d’Irlande’ par le Pape dès cette époque, son autorité, jusqu’au début du 16e siècle, ne s’exerce réellement que sur une petite région de quelques dizaines de kilomètres autour de Dublin : bobby sands mural in belfast3209le ‘Pale’, qui tire son nom du fait… qu’il est carrément entouré d’une palissade, pour se protéger contre les attaques des clans gaéliques et des seigneurs irlando-normands (il correspond approximativement à la zone d’implantation scandinave du 9e siècle). Il faut dire que les ambitions anglaises, à cette époque, sont plutôt tournées vers le continent… C’est donc, on l’a dit, sous Henri VIII (qui se proclame ‘roi d’Irlande’ en 1541) que va commencer la réelle annexion et domination anglaise de l’île. Ce processus brutal, passant par la confiscation des terres (aux clans gaéliques et aux seigneurs irlando-normands) et l’établissement de nobliaux anglais ou gallois dans un système de plantations (exactement le même que, plus tard, dans les colonies d’Amérique !), dure plus de 60 ans ; malgré la résistance menée par quelques figures comme Hugh O'Neill, comte de Tyrone, il s’achève en 1607 par la "Fuite des comtes" (remplacés, là encore, par des aristocrates anglais). Dans le Nord-Est de l’île (Ulster) se développe aussi une colonisation de peuplement par des paysans anglais, gallois ou écossais protestants : il s’agit de briser le pouvoir de l’Église catholique irlandaise, dernière institution nationale encore debout – cette œuvre sera évidemment poursuivie et renforcée sous la Révolution parlementaire de 1640-60, puis après la ‘Glorieuse Révolution’ de 1688, toutes deux portées par le ‘parti protestant’ britannique. Dans la résistance à cette domination de type COLONIAL se forgera encore plus la conscience nationale irlandaise, qui débouchera sur les soulèvements nationaux de Wolfe Tone (1798), puis de Pâques 1916.

    eilean donan castle scotland 0303La Nation écossaise. Elle se forme, elle aussi, sur des terres (Caledonia) qui n’ont jamais été soumises à la Britannia romaine, et même séparées d’elle par le célèbre mur d’Hadrien. Christianisée à partir des monastères irlandais, elle reste à cette époque, comme l’Irlande, une société gentilice (guerrière clanique), avec des ‘pyramides’ de clans (groupes prétendant descendre d’un même ancêtre mythique) coiffées par un ‘roi’, qui ne sert généralement que pour la guerre (en temps normal, les clans ‘font leur vie’ sur leur petit territoire). Les Romains appelaient ces peuples les Pictes (ils combattaient le corps peint, généralement de couleur bleue) ; après la chute de l’Empire viendront d’Irlande les Scots, qui donneront leur nom au pays. Les Vikings y font évidemment des incursions (et y installent des colonies) aux 9e-10e siècles. Cependant, au 11e siècle, commence à se mettre en place une monarchie unifiée (royaume d’Alba), avec la dynastie des Malcolm. Mais les appétits de l’Angleterre voisine s’éveillent dès l’époque de Guillaume le Conquérant : elle profite des divisions claniques de l’élite écossaise pour imposer sa suzeraineté au pays. La famille ‘traître’ type (pro-anglaise) de l’Écosse à cette époque sont par exemple les Balliol, qui deviennent rois inféodés à l’Angleterre à la fin du 13e siècle, sous le règne d’Édouard Ier, le ‘Philippe le Bel anglais’. Néanmoins, les clans anti-anglais résistent, sous la conduite du clan Bruce et du légendaire William Wallace : ce sont les évènements historiques racontés dans le célèbre bannockburnfilm Braveheart. Finalement, Robert Bruce bat les Anglais en 1314 à la bataille de Bannockburn : à l’exception d’une nouvelle (brève) tentative anglo-Balliol au milieu du 14e siècle, l’Écosse devient alors un royaume indépendant pour près de 300 ans. Cette lutte de plusieurs siècles aura achevé de forger la conscience nationale écossaise. Dans sa lutte contre les Plantagenêt, l’aristocratie nationale anti-anglaise a recherché l’alliance ‘évidente’ pour l’époque, celle... des Capétiens : c’est l’Auld Alliance entres les royaumes de ‘France’ et d’Écosse, à l’origine d’une certaine francophilie culturelle dans cette nation. Ce n’est pas non plus un hasard si la dynastie Stuart, qui succède aux Bruce en 1371 et finira par accéder en 1603... au trône d’Angleterre, aura alors (au 17e siècle) une géopolitique clairement pro-française. Au 16e siècle (prédication de  John Knox), la nation écossaise sera traversée par un clivage religieux sur une base géographique : le protestantisme presbytérien (branche du calvinisme) s’installe dans les Lowlands (Basse-Écosse) et les grandes villes (c’est la religion de la bourgeoisie en développement), tandis que le catholicisme celtisé (à l’irlandaise) se maintient dans la société clanique des Highlands et des îles (il y a pratiquement disparu depuis, notamment sous l’influence d’églises presbytériennes ‘dissidentes’ plus ‘sensibles’ à la tradition celtique : les catholiques d’Écosse sont aujourd’hui essentiellement des Irlandais d’origine). Les Stuart tenteront de ‘marier’ les deux (dans une démarche absolutiste) en mettant en avant l’épiscopalisme : une Église séparée de Rome, mais avec une hiérarchie, des évêques etc. (dont le roi, bien évidemment, est le chef suprême), sur le modèle de l’Église d’Angleterre ; cette tentative échouera. À la suite de la Glorieuse Révolution anglaise de 1688-89, l’Écosse perdra ses institutions politiques propres par l’Acte d’Union de 1707. Elle ne les retrouvera qu’en... 1997.

    blaenavon2La Nation galloise. Le Pays de Galles (Cambria en latin, Cymru (prononcer ‘Keumri’) en gallois), péninsule montagneuse (sommets de plus de 1000 mètres) à l’ouest de l’île de Grande-Bretagne, n’a connu que de maigres implantations romaines. Après la chute de l’Empire, il devient un ‘refuge’ des populations celtiques face à l’invasion anglo-saxonne, à l’abri derrière… un autre mur (de terre), long de 200 kilomètres, le Offa’s Dyke. Il compte, à cette époque, une demi-douzaine de royaumes indépendants. L’un de ces royaumes, le Gwynedd (nord), unifie progressivement les autres dans la résistance aux menées anglo-normandes (à partir de 1066), processus achevé en 1258 (son souverain Llywelyn devient ‘prince des Gallois’) ; mais il est hélas trop tard : Édouard Ier d’Angleterre soumet le pays en 1282. Son fils et héritier recevra le titre de prince de Galles en 1301, tradition qui se perpétuera pour l’héritier du trône jusqu’à nos jours (équivalent du ‘dauphin’ - Dauphiné - en 'France’, du 'prince des Asturies’ en 'Espagne’ etc.). Les Galles conservent cependant une certaine autonomie, leurs institutions et coutumes, etc., jusqu’en 1536, lorsque celles-ci sont supprimées par l’Acte d’Union d’Henri VIII : une Assemblée nationale et un gouvernement gallois ne seront rétablis qu’en 1999.

    cornish_flag_sea-copie-1.jpgEnfin, à la pointe de la péninsule sud-ouest de la Grande-Bretagne, dans le comté de Cornouailles, vit la Nation cornique ; là aussi, issue d’un ‘réduit’ celte face aux invasions anglo-saxonnes. Elle passe assez fréquemment sous la domination du Wessex (9e-10e siècles), et elle est rapidement soumise après l’invasion normande. Sa langue est le cornique, langue celte la plus proche du brezhoneg continental - cette langue n’a plus que quelques milliers de locuteurs. Elle est reconnue comme ‘groupe ethnique’ et ‘langue minoritaire’ par le Royaume-Uni ; selon une enquête de 2004, environ un tiers de la population du comté se reconnaît comme telle. Le comté/duché de Cornouailles est également connu pour abriter un grand domaine de 52.000 hectares qui fournit ses revenus au prince de Galles, l’héritier de la Couronne, qui ne dispose pas de ‘liste civile’ (revenus fournis par l’État).

    On peut également citer l’île de Man, ancienne ‘base’ viking entre l’Écosse et l’Irlande, avec la langue mannoise (celte) ; et les îles ‘anglo-normandes’, résidu insulaire du duché de Normandie après sa conquête par Philippe Auguste en 1204, avec des dialectes d’oïl proches du normand (jersiais, guernesiais, auregnais - aujourd’hui éteint - et sercquiais - 15 locuteurs) ; mais cette ‘seigneurie’ et ces ‘baillages de la Couronne’ ne font juridiquement pas partie du Royaume-Uni. Ils jouent dans l’archipel britannique un rôle de ‘paradis fiscaux’...


    2. La construction étatique

    Bataille CrecyL’Angleterre est donc une nation politiquement unifiée lorsqu’elle entre dans la première crise générale de la féodalité, l’époque des ‘deux Guerres de Cent Ans’ (12e-15e siècles) ; crise qui voit voler en éclat le modèle de l’‘apogée féodal’, des grands duchés (ou émirats/califats musulmans) indépendants ‘coiffés’ de très loin par l’autorité de tel ou tel roi, de l’Empereur germanique ou du Pape, avec leurs campagnes produisant les bases de la reproduction des conditions d’existence, leurs villes où émerge la bourgeoisie capitaliste et leurs facultés où se développent la pensée et la connaissance ; et qui va donner naissance aux États modernes de quelques grandes lignée dans lesquels va se développer le capitalisme qui en aura finalement raison – la féodalité engendrant ses propres fossoyeurs, comme le capitalisme, plus tard, avec la révolution industrielle et l’ère des monopoles. Mais son histoire, pendant cette période, sera essentiellement tournée vers le continent, d’où sont d’ailleurs originaires les souverains (Normands puis Plantagenêt angevins) ; dans une tentative, sans doute, de rebâtir l'un de ces ‘Empires gaulois’ du Bas-Empire romain, qui régnaient à la fois sur la Gaule continentale et l’île de Bretagne [la poursuite de ces ‘rêves impériaux’ de l’Empire romain tardif sera un grand leitmotiv de toute l’époque féodale et même ‘moderne’, que ce soit avec Charlemagne, les empereurs germaniques, les ducs de Bourgogne, Charles Quint, et edouard1yorkminstermême Louis XIV voire Napoléon… Mais ils se briseront systématiquement devant la nouvelle réalité nationale qui émerge alors]. Cependant, elle commence aussi dès cette époque à se lancer à la conquête des terres celtiques (Galles, Écosse, Irlande, Cornouailles), sociétés féodales arriérées, frappées par la loi du développement inégal du fait de n’avoir jamais connu, même superficiellement, l’Empire romain. C’est ce que nous avons vu ci-dessus.

    La deuxième Guerre de Cent Ans (1337-1453) s’achève, donc, avec l’enterrement historique du ‘rêve continental’ (l’Angleterre ne conserve que Calais, qu’elle rendra au 16e siècle) ; et, dans les îles, la crise générale de la féodalité se prolonge par la Guerre des Deux-Roses entre les héritiers proclamés des Plantagenêt. Au terme de cette guerre civile aristocratique, où s’étripent les maisons de Lancastre et d'York – et toute la ‘fine fleur’ de la noblesse chevaleresque derrière eux, émerge une famille d’origine… galloise, les Tudor. Leur règne (1485-1603) va voir la consolidation définitive du royaume moderne d’Angleterre-Galles ; leurs principales figures seront Henri VIII (1509-1547) et Elizabeth Ière (1558-1603).

    HenriVIIIHenri VIII, monarque autoritaire et brutal, fut réellement ce qu’il convient d’appeler un tyran, d’ailleurs considéré comme tel par ses contemporains, tant protestants (qui se développent) que catholiques (qui forment encore la grande masse de la population). Certaines sources estiment à 72.000 le nombre de personnes exécutées durant ses 38 années de règne, parfois par les moyens les plus atroces. Il n'en mourra pas moins dans son lit (obèse) à une époque où la thèse du tyrannicide se développe pourtant, tant dans les milieux catholiques papistes que dans les milieux protestants radicaux (mouvement monarchomaque), et coûtera la vie à deux rois de France consécutifs (Henri III et Henri IV). C’est lui qui, on l’a dit, lance la colonisation de l’Irlande au-delà du Pale. Par l’Acte d’Union de 1536, il met fin aux institutions particulières du Pays de Galles – son pays d’origine – qui relève dès lors directement de Londres.

    Il fonde aussi – surtout – l'un des piliers de l’État anglais/britannique, son Église : l’Église anglicane (1534), qui n’est pas (contrairement à l’idée largement répandue) une Église protestante (luthérienne ou calviniste), mais une Église ‘catholique autocéphale’, avec des évêques, des archevêques (Cantorbéry), des diacres et autres abbés, mais séparée de Rome, et dont le ‘pape’ est le roi, qui nomme les évêques. Ceci, officiellement, pour permettre les divorces de ce grand ‘sex addict’ de son époque (l’épouse répudiée finissant généralement la tête sur le billot…), mais en réalité, ce ne fut là qu'un prétexte, le conflit entre la monarchie londonienne (comme toutes les autres grandes monarchies construisant l’État moderne) et la papauté (la grande ‘superpuissance’ géopolitique du Moyen-Âge révolu) étant latent depuis des générations (seule l’’Espagne’, en fin de compte, fondera son idéologie d’État moderne sur le rôle de bras séculier universel du catholicisme romain et de l’autorité papale). Par la suite, s’alterneront des rois et des reines d’inclinaison pro-catholique ou pro-protestante, ce qui est souvent simplifié par les historiens en ‘roi/reine catholique’ ou ‘roi/reine protestant(e)’ ; mais en réalité le/la souverain(e) sera toujours chef de l’Église d’Angleterre. Le catholicisme romain deviendra un élément de conscience nationale en Irlande et dans les Highlands écossais, le calvinisme plus ou moins puritain un élément ‘identitaire’ de la bourgeoisie révolutionnaire anglaise du 17e siècle, et son pendant presbytérien un élément de conscience nationale en Basse-Écosse ; mais en Angleterre et au Pays de Galles, les larges masses du peuple ‘suivront’ le mouvement et se rallieront à l’Église d’Angleterre (elle compte encore 25 millions de baptisé-e-s aujourd’hui dans ces deux nations).

    Si Henri VIII peut asseoir ce pouvoir, y compris – donc – théocratique (puisqu’il est aussi le chef suprême de l’Église), face à la bourgeoisie calviniste et aux grandes masses du peuple (dans toutes les nations) encore largement catholiques, c’est qu’il a l’appui d’une classe qui deviendra essentielle dans la Grande-Bretagne moderne et contemporaine bourgeoise : l’aristocratie terrienne, qui commence à ‘muter’ en grande propriété capitaliste agraire. C'est-à-dire que cette noblesse de landlords ne se contente plus d’exercer une propriété éminente (prélèvement d’impôts, taxes, péages en tout genre) sur ses domaines, mais s’approprie la propriété utile de la terre comme moyen de production, y english beggarcompris des ‘terres du commun’ (pâturages, forêts) qui assuraient une part primordiale de la subsistance des petits paysans yeomen. À ceci s’ajoutent les attaques contre l’Église et ses propriétés, qui jouaient un rôle d’amortisseur social de premier ordre dans les périodes difficiles. C’est le phénomène des enclosures, qui se poursuivra jusqu’au milieu du 18e siècle. Cette appropriation brutale des terres d’usage collectif, et les innombrables expulsions pour dettes, jettent sur les routes des milliers de pauvres hères qu’une loi de 1531 (Beggars Act) punit de… marquage au fer rouge, mutilations, travaux forcés ou carrément de pendaison ( !) pour 'vagabondage'*. Ces populations errantes, ‘sans feu ni lieu’, seront progressivement prises en charges sous Elizabeth Ière par les Poor Laws, qui mettent en place dans les paroisses civiles anglicanes un système d’assistance alimentaire minimale (par taxation des plus aisés) et de… travail obligatoire, dans des ateliers paroissiaux concentrationnaires (workhouses) : la paysannerie sans terre se transformera ainsi, progressivement, en classe ouvrière qui deviendra au 18e siècle la plus importante du monde. Les workhouses seront abolies en… 1930.

    elisabeth1L’aristocratie ‘mutée’ en classe agro-capitaliste, elle, deviendra un pilier de la révolution industrielle britannique qui commencera dès le 18e siècle : non seulement elle produit l’alimentation de la population (donc les moyens de reproduction de la force de travail), mais elle fournit aussi la laine pour l’industrie textile (que l’Angleterre développe en propre, dès lors que les Pays-Bas sont ‘espagnols’, puis autrichiens), le bois de construction, et elle exploite sur ses terres les mines de charbon et de métaux qui seront les matières premières essentielles de l’industrie du royaume.

    Le règne d’Elizabeth Ière (1558-1603), après le ‘coup de barre’ catholicisant de Marie la Sanglante (1553-58), voit une politique ultra-favorable à la bourgeoisie protestante, et un petit ‘Demi-Siècle d’Or’ britannique qui forge profondément la culture nationale dominante : c’est l’époque de Shakespeare, de l’architecture et de toute la culture ‘élisabéthaine’, premier ‘âge d’or’ avant l’époque victorienne du 19e siècle. Amie de la Réforme Invincible Armadaprotestante (notamment aux Pays-Bas, dont les provinces du Nord luttent pour l’indépendance, et en ‘France’ pendant les Guerres de Religion), l’Angleterre se dresse alors contre l’imperium mundi  espagnol, dans une guerre – peut-être l'une des premières à pouvoir être qualifiée de mondiale – qui verra notamment l’Invincible Armada de Philippe II, envoyée pour envahir le royaume, être anéantie au large de Gravelines ; les exploits du corsaire Francis Drake qui réalise le tour du monde en 1577-80 et malmène les colonies espagnoles d’Amérique ; ou encore la prise de possession de Terre-Neuve en 1583 (déjà reconnue par Jean Cabot, au service du roi d’Angleterre, en 1497), et de la Virginie et de la Caroline du Nord en 1584 par sir Walter Raleigh, la reine concédant à celui-ci ‘’tous les pays lointains païens et barbares non actuellement possédés par prince ou peuple chrétien’’ : ce sera là le point de départ de la colonisation outre-Atlantique (à partir de 1607), qui donnera naissance au premier empire colonial britannique (que l’on peut faire aller jusqu’à l’indépendance US), et dont tout(e) un(e) chacun(e) connaît la postérité historique…colonisation anglaise-amérique

    À sa mort, célibataire et sans héritier légitime, lui succède le fils de sa cousine (qu’elle fît exécuter pour trahison en 1587…), le roi… d’Écosse Jacques VI Stuart, qui réunit de fait ce pays (après trois siècles d’indépendance) au royaume d’Angleterre-Galles-Irlande. L’Angleterre (avec le Pays de Galles et l’Irlande) a donc alors pour souverain le monarque de cette Écosse qu’elle aura cherché à soumettre pendant tout le Bas Moyen-Âge. Pour ce dernier, quelle aubaine que de mettre la main sur l’appareil politico-militaire anglais : théoricien de l’absolutisme, il est en effet contesté depuis le début de son règne (effectif en 1583) par ses sujets écossais, aussi bien presbytériens des Lowlands que catholiques papistes des Highlands et des îles. Il s’installe à Londres, où il est couronné, et ne retournera qu’une seule fois à Édimbourg.

    Mais son intronisation marque en fait le début (latent jusqu’à la fin des années 1630, ouvert ensuite) de ce que les historiens britanniques appellent les Guerres des Trois Royaumes (Angleterre, Irlande et Écosse), d’où surgira la révolution bourgeoise anglaise : une explosion de toutes les contradictions contenues dans les Îles Britanniques, dans un dernier râle d’agonie de la féodalité médiévale ; contradictions nationales et contradictions de classe (entre monarchie, aristocratie moderniste ou traditionaliste, bourgeoisies et paysanneries des différentes nations, et même James_I_of_England_by_Daniel_Mytens.jpgprolétariat naissant), sous les bannières religieuses de l’anglicanisme, du catholicisme romain, du calvinisme plus ou moins ‘radical’ et de sa déclinaison presbytérienne écossaise, ou de courants communistes chrétiens de type messianique (Diggers).

    Jacques Ier (numérotation anglaise, il reste ‘VI’ d’Écosse) achève, on l’a dit, la soumission de l’Irlande (‘fuite des comtes’) et développe l’implantation permanente en Amérique du Nord (Terre-Neuve, Virginie, Nouvelle-Angleterre avec les ‘Pères pèlerins’) et aux Caraïbes – profitant de cela pour ‘éloigner’, au passage, des communautés politico-religieuses trop remuantes ; idéologue absolutiste sur le modèle ‘français’ d'Henri III et Henri IV, il parvient, non sans contestations, à maintenir un certain équilibre (de classes, religieux et national). Mais son successeur Charles Ier épouse, à peine devenu roi, la fille d’Henri IV (et sœur de Louis XIII), et son contrat de mariage révèle des clauses (au départ secrètes) pro-catholiques et pro-françaises : cela – et ses conceptions absolutistes, dans la lignée paternelle – soulève l’opposition farouche du Parlement anglais, qui ne cessera de dégénérer jusqu’au conflit ouvert à partir de 1640.

    Le Parlement : l’institution anglaise par excellence, qu’aucun monarque n’aura jamais réussi à soumettre, et qui deviendra le centre d’agrégation de la révolution bourgeoise contre les prétentions absolutistes des Stuart. Prenant racine dans la culture politique celte et germano-scandinave de l’assemblée des guerriers, il est né officiellement en 1215 (Grande Charte) comme représentation nationale des classes supérieures (aristocratie, clergé, bourgeoisie, paysannerie aisée), réparties entre une Chambre des Lords (aristocratie et clergé) et une Chambre des Communes (équivalente du ‘Tiers-État’ continental, plus les ‘chevaliers’ de petite noblesse) ; mais il se distingue des États généraux 1647 Civil War painting Basing House‘français’ par son caractère quasi-permanent (alors que les États étaient réunis ‘au bon vouloir’ du roi). Depuis le 14e siècle, sa langue de délibération est l’anglais, et non le roman proto-français de la monarchie (d’origine normande puis angevine), ce qui renforce encore son caractère national ; expression (à travers les couches les plus aisées) d’une formation nationale précoce et culturellement rétive au pouvoir arbitraire et sans limite d’un souverain.

    C'est qu’il faut bien comprendre que l'Angleterre, superficiellement romanisée et abandonnée précipitamment par les légions en l’an 410, ne comptant guère qu'un million d'habitants en l'An 1000... contre 5 à 7 millions en 1300 et 8,3 millions en 1801 (premier recensement depuis le Domesday Book de 1086), s'est fondamentalement construite comme une nation de 'défricheurs' (yeomen)[1], partant ensuite (à partir du 13e siècle) à la conquête des terres celtiques (Galles, Écosse, Irlande) encore moins peuplées et plus sauvages ; donnant ainsi naissance à une conscience nationale de 'pionniers' et à une culture politique des 'libertés anglaises' qui se transporteront ensuite (avec les colons) en Amérique, en Australie etc. (si les colonies d'Amérique avaient eu leur propre Parlement pour voter leurs propres lois, ou en tout cas, avaient été représentées à Westminster, la Guerre d'Indépendance américaine n'aurait probablement jamais eu lieu et les actuels USA auraient suivi l'évolution politique du Canada ou de l'Australie, où Londres ne répéta pas les mêmes erreurs) ; culture politique où la 'volonté générale' (des classes dominantes et des éléments non-conscients des classes subalternes, qui leurs sont politiquement soumis) s'exprime – donc – dans le Parlement, héritier de l''assemblée des guerriers' celtes, anglo-saxons ou scandinaves, et non dans le Léviathan monarchique héritier de l’Empereur romain. Du règne des Normands (1066-1135) puis des Plantagenêts (1154-1399) jusqu'aux Stuarts amis de Louis XIII et Louis XIV (1603-1649 et 1660-1688), l'idée d'un pouvoir monarchique fort, absolu, a toujours été considérée outre-Manche comme une idée française.


    behead-king-charles300w-D'ailleurs, un fait notable est qu'en plus du 1000 ans, du
    11e siècle jusqu'à nos jours, l'Angleterre n'a connu pratiquement aucun régicide sinon celui d'Edouard II en 1327 (sur ordre de la reine, pour permettre l'accession au trône de son fils) et l'exécution de Charles Ier en 1649 (par les parlementaires bourgeois de Cromwell), alors que la France en connût, rien qu'entre le 16e et le 19e siècle, deux (Henri III et Henri IV), un probable (Charles IX) et plusieurs tentatives (contre Louis XV et Louis-Philippe, ainsi que plusieurs contre les deux Napoléon), sans oublier l'exécution révolutionnaire de Louis XVI. En revanche, le catholique Guy Fawkes tentera, en 1605, de faire sauter le Parlement (où le roi, certes, devait également se trouver), évènement inspirateur de la célèbre BD 'V pour Vendetta' de l'anarchiste Alan Moore (avec son célèbre masque de Fawkes porté par le 'vengeur', repris par de nombreux mouvements contestataires actuels), dont la scène finale est d'ailleurs l'explosion de Westminster : ceci montre bien, pour les Anglo-Saxons, se situe le centre du pouvoir d'État.

    En 1640-42, donc, dans un contexte de révolte (à la fois bourgeoise presbytérienne et aristocratique-nationale) en Écosse, le Parlement de nouveau réuni (après avoir été ‘ignoré’ pendant 11 ans, sur le ‘modèle’ français) entre en guerre ouverte contre le souverain. Les Cavaliers (partisans du roi) affrontent les Têtes rondes (partisans du Parlement, ainsi appelés car les bourgeois parlementaires 493px-Oliver Cromwell by Samuel Cooperprotestants ont les cheveux plutôt courts, ‘à rebours’ de la mode aristocratique de l’époque). En 1648, Charles Ier est vaincu, fait prisonnier, amené devant le Parlement, jugé et décapité (janvier 1649). Le ‘général en chef’ des armées Têtes rondes, Oliver Cromwell, proclame le Commonwealth, une république bourgeoise calviniste radicale.

    C’est là une expérience politique inédite pour son époque, très… et même trop radicale ; regardée avec suspicion même par la république bourgeoise calviniste des Provinces-Unies (actuels Pays-Bas). Évidemment, la monarchie absolue française et la monarchie catholique espagnole, la Papauté et l’Empire germanique – tenu par l’Autriche catholique – ne souhaitent rien d’autre que sa perte. Mais même la noblesse insulaire, devenue capitaliste terrienne et qui avait pu se dresser contre l’absolutisme de Charles Ier, trouve que les choses vont trop loin. Le Parlement, d’ailleurs, se dépeuple des adversaires de la ligne Cromwell ; en 1649, pour condamner le roi, il ne reste que quelques dizaines de représentants : c’est le Rump Parliament (Parlement ‘croupion’). Et puis, c’est une république bourgeoise anglaise, et même sud-anglaise, londonienne, qui poursuit et même renforce, férocement, la politique de domination de Londres sur les nations celtiques et – même – la périphérie anglaise. En réaction, évidemment, toutes les classes de celles-ci (de la paysannerie la plus misérable à la noblesse autochtone) tendent à prendre leMassacre-Drogheda parti de l’héritier (Charles II) du roi déchu, que ce soit en Irlande (soumise à une véritable guerre d’extermination), en Haute-Écosse (après la deuxième révolution de 1688-89, on parlera dans ces deux territoires de parti jacobite), mais aussi en Basse-Écosse presbytérienne (covenantaire) qui se rallie à Charles Ier (avant tout Stuart, donc compatriote) peu avant sa défaite et sa mort, puis quasi-immédiatement à son successeur ; au Pays de Galles et en Cornouailles, en Angleterre du Sud-Ouest et du Nord, etc. (la carte montrant les ‘retranchements’ de ‘parti royal’, pendant la guerre civile contre le Parlement, est éloquente quand à la traduction territoriale de ces contradictions).

    Le régime s’effondre en 1660 (Cromwell est mort en 1658, son fils lui succédant) et Charles II rétablit donc une monarchie de tendance absolutiste, pro-catholique et pro-française ; ce qui, évidemment, multiplie les mécontents. Pratiquant au début une politique de tolérance politico-religieuse (logique vue la largeur de l’alliance qui l’a ramené sur le trône), son règne se durcit (et assume l’alliance ouverte avec Louis XIV et le parti-pris catholique) à partir des années 1670 ; le Parlement est dissous en 1681 et ne sera plus réuni jusqu’à sa mort (1685). C’est à cette époque que se forment au Parlement, sur la question d’exclure le fils du roi de la succession pour cause de papisme, les partis whig (favorable à cette exclusion) et tory (hostile, partisan du roi et de son héritier légitime) : s’extrayant petit à petit (au 18e siècle) de toute question religieuse, ils deviendront ni plus ni moins que le parti libéral et le parti conservateur qui structureront la vie politique britannique jusqu’en 1940 (les libéraux ont aujourd’hui été remplacés par les travaillistes).

    Battle of the boyneSuccédant à son père en 1685, Jacques II Stuart poursuit la même politique. La ‘solution’, pour les parlementaires et toutes les forces que le développement capitaliste des forces productives met ‘en ébullition’ sous la chape absolutiste, semble alors être trouvée en la personne d’un prince protestant d’outre-Manche, gendre de Jacques II : le prince Guillaume III d’Orange-Nassau, stathouder (gouverneur militaire) de Hollande. Il a dirigé, à ce poste, la résistance néerlandaise à la guerre exterminatrice menée par Louis XIV (1672-78) contre les Provinces-Unies. Il lui voue depuis une haine inexpiable et en 1688, il est l’un des principaux organisateurs de la Grande Alliance qui se forme en Europe (y compris avec des puissances catholiques comme l’Autriche, l’Espagne, le Portugal, la Bavière et même le Saint-Siège) contre l’hégémonie du Roi Soleil. Jacques II, lui, demeure un fidèle allié du roi de France. Guillaume d’Orange débarque alors en Angleterre ; Jacques II s’enfuit en France et le stathouder hollandais est proclamé roi par le Parlement : c’est la Glorieuse Révolution. Le consensus orangiste autour de lui est, cette fois-ci, large : bourgeoisie anglaise protestante et anglicane, landlords agro-capitalistes anglais d’Angleterre ou établis dans les terres celtiques, Lowlands presbytériens d’Écosse, etc. Seuls la nation irlandaise et les Highlands écossais s’accrochent encore, par réaction nationale et religieuse, à Jacques II Stuart (roi catholique et écossais, ‘celte’), que Louis XIV aidera jusqu’à sa mort dans ses tentatives de reconquérir son trône ; mais c’est là (comme le foralisme basque du 19e siècle) un mouvement anti-historique : l’Europe entre peu à peu dans le Siècle des Lumières, et ce sont Guillaume d’Orange et les parlementaires anglais qui sont ‘dans le sens de l’histoire’. En Écosse, les jacobites sont globalement vaincus au début du 18e siècle, quelques révoltes seront encore écrasées jusqu’en 1746. L'affaire se solde finalement en 1707, avec le soutien de la majorité presbytérienne, par l’Acte d’Union qui supprime les institutions nationales (les représentants écossais siègeront désormais à Westminster) pour donner naissance au Royaume Uni de Grande-Bretagne (un projet raté de colonisation en Amérique centrale, qui laissera ruinée une bonne partie de la noblesse 'investisseuse' et de la grande bourgeoisie écossaise, pèsera également lourd dans ce dénouement : c'est tout simplement la promesse de renflouement des actionnaires 'malheureux' par Londres qui 'achètera' le vote du Parlement écossais - "une nation vendue par une poignée de fripouilles contre l'or des Anglais", s'exclamera le poète Robert Burns). En Irlande, la bataille de la Boyne (1690) sonne le glas définitif de la résistance à la colonisation de l’île, asseyant la domination anglaise pour plus de deux siècles ; c’est cette bataille qui est commémorée chaque année (12 juillet) par l’Ordre d’Orange ‘loyaliste’ d’Irlande du Nord.

    medium CullodenAinsi s’achève le siècle des ‘Guerres des Trois Royaumes’. Au terme de celui-ci, l’État britannique est parachevé comme État moderne – parachèvement définitivement sanctionné par l’Acte d’Union de l’Irlande (1800), où le Parlement irlandais dont sont exclus les non-anglicans (90% de la population…) fusionne à son tour avec Westminster, donnant réellement naissance au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande ; et il a connu sa révolution parlementaire bourgeoise (et ‘aristo-moderniste’ : l’aristocratie terrienne a achevé sa ‘mutation’ capitaliste, elle n’est plus une classe parasitaire, bureaucratique et rentière comme en ‘France’, mais au contraire un ‘pilier’ essentiel de la révolution industrielle qui commence), initiant ainsi sa ‘mutation’ en État contemporain, à travers l’activisme whig du 18e siècle jusqu’à la Reform des années 1830 ; processus que l’on peut considérer achevé à l’époque victorienne (1837-1901) – mais qui, par certains aspects, peut se prolonger jusqu’au 20e siècle.

    Un processus avec tous ses forts particularismes. Le processus, allant de la rupture d’Henri VIII avec Rome jusqu’à l’avènement de Guillaume d’Orange, s’est essentiellement déroulé sous des drapeaux religieux (catholicisme romain, anglicanisme, calvinisme ou presbytérianisme, puritanisme etc.) : ceci imprègnera profondément les consciences pour plus de deux siècles et demi, jusqu’à un mouvement de sécularisation massive de la société (en tout cas, en Angleterre, Galles et Lowlands) à partir des années 1950 ; imprégnant y compris (comme le relevait Lénine peu avant 1900) les débuts du mouvement ouvrier (chartisme à partir des années 1830, trade-unionisme), dans un esprit digger. Le Pays de Galles et les Cornouailles revendiquent, aujourd’hui, avant tout leur ‘celticité’, et l’Écosse, son existence de royaume indépendant entre 1314 et 1603 ; mais en Irlande, même si le drapeau vert, blanc et orange symbolise la volonté d’unité nationale orange 5par-delà les religions (le vert symbolise le catholicisme, l’orange le protestantisme et le blanc, la concorde entre les deux), le catholicisme reste une composante essentielle de la conscience nationale, même si la société s’est – là aussi – beaucoup sécularisée depuis les années 1960-70, et même si cela est parfois exagéré d’un point de vue ‘continental’ : les choses sont présentées comme un affrontement entre ‘catholiques’ et ‘protestants’, alors que les acteurs du conflit eux-mêmes, d’un côté comme de l’autre, ne présentent généralement pas les choses ainsi : on parle le plus souvent de quartiers ‘nationalistes’ et ‘loyalistes’ (et non ‘catholiques’ et ‘protestants’), et l’on ne jure pas fidélité à une Église ou à une autre, mais à la Reine ou à la République proclamée en 1916 (que les républicains authentiques ne reconnaissent pas dans le régime actuel de Dublin).

    Et tout le processus de formation du Royaume-Uni, à partir de la fin du 13e siècle (Édouard Ier) jusqu’aux Actes d’Union de 1707 et 1800, en passant par les guerres des Trois Royaumes, s’est déroulé sur la base de QUATRE NATIONS FERMEMENT CONSTITUÉES dès son commencement (plus la Nation cornique, l’île de Man et les îles ‘anglo-normandes’, mais elles n’ont pas joué un rôle majeur). Songeons que, dans le processus de formation de l’État moderne ‘France’, aucune nation n’avait au départ d’unité politique (la Bretagne étant déchirée par les guerres civiles), et que l’annexion à la Couronne des deux grandes nations, ‘française proprement dite’ et occitane [2], s’est faite progressivement et parallèlement : le ‘Languedoc’ (Occitanie centrale, anciens ‘États’ toulousains et aragonais) était déjà réuni au domaine royal depuis longtemps lorsque la Bourgogne (et ses possessions jusqu’à la Mer du Nord) défiaient encore l’autorité de Louis XI… La Provence était ‘sous contrôle’ près de deux siècles avant l’actuel Nord-Pas-de-Calais ; et l’on annexait encore dans la seconde moitié du 18e siècle : Charolais en 1761, Lorraine en 1766, Corse en 1768-69, Vaucluse en 1791, pays (comtois) de Montbéliard en 1793, sans oublier la Savoie et Nice en 1860 ! La construction politico-militaire du evictionRoyaume-Uni a donc pris, dans les nations celtiques, un aspect nettement colonial, avec une conscience ‘nette’ (de part et d’autre) d’une nation en soumettant une autre, les plantations (grandes propriétés terriennes, à la condition paysanne épouvantable) aux mains de landlords anglais implantés ou d’aristocrates locaux ‘vendus’, etc. etc. Il en résulte ce que l’on peut qualifier de contradiction Centre (Angleterre, surtout le Sud)/Périphéries ‘parfaite’, dans un rapport quasiment métropole-colonies ; par opposition au ‘paradoxe espagnol’ où c’est le ‘pourtour’ qui est plus avancé et développé que l’intérieur, lequel ‘tient’ pourtant l’appareil politico-militaire ; ou à la construction ‘France’ qui repose plutôt sur une colonne vertébrale en ‘Y’ Rhône-Seine-Rhin, bordée de régions ‘favorisées’ (non sans ‘îlots’ ghettoïsés comme Marseille, les banlieues de Lyon, Paris ou Strasbourg, Belfort-Montbéliard, le Creusot etc.), et des territoires marginalisés sur la frontière nord (de la Moselle à la baie de Somme), le Jura et l’arc alpin, et en Occitanie (le ‘Grand Ouest’ avec la Bretagne, la Normandie, l’Anjou, le Poitou-Charentes étant dans une situation plus ‘moyenne’).

    Mais, en même temps – ou du même coup, l'on remarque une absence de volonté assimilationniste comme on a pu la voir émerger en ‘France’ dès Louis XIV voire François Ier, et se déchaîner à partir de 1789 ; volonté de non seulement supprimer toute institution politique nationale ou régionale (ce que feront définitivement les révolutionnaires de 1789), mais aussi de nier socio-culturellement les nations constitutives (et les ‘subtilités’ de l’ensemble d’oïl), de les effacer historiquement pour ne laisser place qu’à des ‘français’ – nous y reviendrons.

    Enfin, la défense des ‘libertés anglaises’ qui a marqué tout le processus, déjà contre les Plantagenêt ‘français’ au 13e siècle, puis contre les Stuart ‘français dans l’âme’ au 17e, a fondé la psychologie sociale capitaliste britannique sur le libéralisme politique, théorisé notamment par John Locke : un libéralisme qui peut se faire réformiste social (travaillisme jusqu’en 1979) ou au contraire ultraconservateur (thatchérisme), mais dans tous les cas, fort éloigné du Léviathan hobbesien qui imprègne la conception dominante ‘française’ de l’État et du gouvernement.

    À l’extérieur, les successeurs de Guillaume d’Orange poursuivent sa politique de lutte acharnée contre la puissance française (et l’’axe’ franco-espagnol qui s’est constitué en 1701, avec l’accession du petit-fils de Louis XIV au trône d’Espagne) : Guerre de Succession d’Espagne (1701-14), Guerre de Sept Ans (1756-63), puis guerres de la Révolution et de l’Empire (qui sont des guerres mondiales par Emanuel Phillips Fox Captain Cook Botany Bayleurs théâtres d’opération) jusqu’à Waterloo (1815) ; on parle parfois de ‘3e Guerre de Cent Ans’ (1689-1815). Contre l’Espagne, l'Angleterre appuiera également (1810-30) les guerres d’indépendance des colonies latino-américaines, qui feront de celles-ci des semi-colonies (protectorats de fait) de Londres. L’Angleterre profite alors de sa domination navale sans partage pour étendre sa domination coloniale d’un bout à l’autre du globe, de l’Inde au Canada, des Caraïbes à l’Australie. On peut peut-être utiliser la Guerre d’Indépendance/Révolution américaine (1775-83, son unique revers) pour distinguer un premier empire colonial (Empire ‘moderne’) d’un second (Empire ‘contemporain’) ; mais la ‘rupture’ entre les deux n’est en aucun cas comparable à celle que représentent, pour l’Empire français, les défaites de Louis XV (1763) puis de Napoléon (1815).

    Le Royaume-Uni d’après Waterloo est donc, sans conteste, la première puissance mondiale, devenant sans doute, dès le milieu du siècle, la première puissance impérialiste (selon la définition de Lénine), ce qui ne sera remis en cause (par l’impérialisme US) qu’à partir de 1918, et définitivement après la Seconde Guerre mondiale.

    Comme dans toute grande puissance impérialiste, cela donnera naissance à des colonies intérieures métropolitaines, issues de cet immense Empire.

    (SUITE)

    angleterre 19e siècle

     


    [1] Ces yeomen seront, aux 14e-15e siècles, la principale force militaire du royaume, fournissant les régiments d’archers qui décimeront la chevalerie capétienne sur les champs de bataille de Crécy (1346), Poitiers (1356) et encore Azincourt (1415), avant d’être surclassés par l’artillerie – que les Capétiens importent d’Italie, et qui sera la technologie militaire emblématique de l’époque moderne. Ils seront, en revanche, laminés par les enclosures entre le 16e et le 18e siècle.

    [2] La binationalité du royaume capétien est un fait communément admis, globalement, d’environ 1300 à environ 1600, avec souvent des États généraux ‘en deux temps’, une session à Paris et une autre à Toulouse.

     


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  • (1ère PARTIE)

    3. La contradiction Nations/État et la lutte des classes

    Industrial-Revolution-in-England-and-the-Financial-PhaseOn notera ici que le processus (de 1530 jusqu'au milieu du 19e siècle) ‘parachevant’ le Royaume-Uni comme État moderne, puis assurant sa ‘transition’ révolutionnaire bourgeoise vers l’État contemporain, s’est donc déroulé sous le drapeau du ‘protestantisme’ (terme générique dans lequel les observateurs continentaux jettent, pêle-mêle, anglicanisme, calvinisme, puritanisme, presbytérianisme etc.) ; et que, parallèlement, c’est sous ce même drapeau que s’est instauré le règne de la bourgeoisie et de l'aristocratie capitaliste’ anglaise (avec sa fraction dominante londonienne) sur les masses populaires d’Angleterre, certes, mais aussi et surtout sur les nations celtiques (toutes classes confondues, avec bien sûr des éléments aristocratiques, cléricaux et bourgeois ‘collabos’), sans même parler des peuples colonisés d’outre-mer. C’est intéressant à relever, car il y a peut-être, dans le mouvement communiste ‘continental’, une tendance à la ‘déviation webérienne’ : une tendance à la simplification et à la systématisation de la dichotomie ‘protestantisme capitaliste donc progressiste’/’catholicisme féodal donc réactionnaire’ dans le processus mondial des révolutions bourgeoises (16e-19e siècles). Certes, le ‘protestantisme’ a été pendant plus de deux siècles une puissante force de progrès, favorisant le développement capitaliste des forces productives et les ‘idées nouvelles’ révolutionnaires bourgeoises ; et il a directement présidé à des révolutions bourgeoises, à des transitions vers l’État bourgeois contemporain et la révolution industrielle, comme en Angleterre, aux Pays-Bas, aux États-Unis ou dans certains cantons suisses. Mais dans le même temps, là où il a précisément dirigé ces processus, il s’est fait idéologie d’oppression, des masses populaires comme des nations niées par ces États modernes en transition vers l’État capitaliste contemporain ; au même titre que le catholicisme là où celui-ci était la religion d’État. Rappelons par exemple que la Prusse (protestante luthérienne), ‘despotisme éclairé’ au 18e siècle, ne fut pas, entre 1789 et 1850, précisément une force de progrès, mais au contraire une ‘forteresse’ de la réaction absolutiste, avec l’Autriche (catholique) et la Russie (orthodoxe) ; et qu’elle a ensuite ‘fait l’Allemagne’ (1850-71, il faut dire qu’elle avait annexé en 1815 les ‘moteurs’ économiques de celle-ci, Rhénanie et Westphalie) sur cette même base ultraconservatrice, non seulement anti-ouvrière et antipopulaire, mais aussi hostile à la bourgeoisie libérale et démocrate qui était alors plutôt... la bourgeoisie rhénane catholique ! C’est d’ailleurs pour le compte de cet Empire allemand prussien (en 1905) qu’écrivait le sociologue de régime Max Weber (probablement, pour être précis, dans une optique de ‘partage du monde’ entre ‘Germains’ et Anglo-Saxons, ligne qui sera, par la suite, celle d’un nazi comme Rudolf Hess par exemple).

    300px-orangemen_parade_in_bangor_12_july_2010_-_geograph_-_.jpgEn réalité, la Réforme protestante est née au 16e siècle comme idéologie, d’une part, de dénonciation de la corruption de la hiérarchie catholique (trafic des indulgences etc.), mais aussi et surtout, d’autre part, comme idéologie anti-absolutiste favorable à des républiques bourgeoises comme à Genève, aux Pays-Bas ou en Angleterre avec Cromwell. Mais, du moment qu’elle devenait idéologie d’État (en Angleterre, aux Pays-Bas, en Prusse, en Scandinavie, aux USA, ou dans les Républiques boers d’Afrique du Sud), elle devenait automatiquement une idéologie d’oppression pour les masses humaines sous l’autorité dudit État… De son côté, le catholicisme ultramontain (‘papiste’), la Contre-réforme, a été effectivement un mouvement réactionnaire, obscurantiste, combattant le progrès scientifique (Copernic, Bruno, Galilée) et intellectuel, qui privait l’Église de la base même de son existence : une société encore dominée par les forces de la nature. Mais, ‘derniers soldats’ d’un Pape qui n’était plus que l’ombre de son autorité universelle de l’An 1000, des courants comme les Jésuites, obscurantistes vis-à-vis des sciences et de la philosophie, étaient également anti-absolutistes (l’absolutisme rejetait l’autorité pontificale) et ont pu, dans cette logique, au même titre que les protestants radicaux, mettre en avant des idées démocratiques avancées comme le tyrannicide (lorsqu'un souverain ‘viole’ son ‘contrat’ avec le peuple, ou va à l’encontre de ‘Dieu’, c'est-à-dire des droits humains considérés comme ‘naturels’, il peut et même doit être éliminé – Juan de Mariana) ou mener des expériences très radicales pour l’époque, comme les ‘réductions’ guaranies du Paraguay, sur le principe que si chacun et chacune doit se soumettre devant ‘Dieu’, aucun être humain n’est ‘naturellement’ supérieur à un autre (pas même par la ‘grâce’ ou la ‘prédestination’ divine protestante, qu’ils rejettent) [l'ensemble de cette opposition protestante et ultra-catholique à la mise en place de l'absolutisme était qualifiée de mouvement monarchomaque ; concernant les Jésuites, l'origine basque des deux principaux fondateurs de l'ordre, Ignace de Loyola et François Xavier, contemporains (au demeurant) de l'exécution militaire du Royaume de Navarre par le jeune État moderne espagnol, n'est sans doute pas dissociable de ce catholicisme "populaire", "foi du charbonnier" et "républicain" anti-absolutiste ainsi que d'un certain esprit de syncrétisme avec les croyances ancestrales pré-chrétiennes que l'on retrouvera notamment dans les missions du Paraguay, puisque tout cela était caractéristique de la très catholique mais aussi très égalitaire et "républicaine paysanne" (dénuée de conception monarchique forte) société basque de l'époque].

    C’est ainsi qu’à partir du milieu du 17e siècle, les Jésuites seront vigoureusement combattus par les États absolutistes et les ‘despotismes éclairés’, y compris de religion d’État catholique comme l’Espagne, l’Autriche ou le Portugal ; bien plus tard, au 20e siècle, ils fourniront – notamment en Amérique latine – le gros des troupes du christianisme social-révolutionnaire et de la théologie de la libération. Dans la même veine, lorsque le roi de ‘France’ Henri III voulut asseoir son pouvoir absolu (et celui de son ‘clan’ aristocratique et grand-bourgeois) sur l’’équilibrisme’ entre catholiques et ‘huguenots’, il fut rejeté comme ‘tyran’ par les uns comme par les autres, et devinrent des ‘républiques bourgeoises’ aussi bien les cités protestantes du ‘Midi’ (‘Provinces de l’Union’), que le Paris de la Ligue, qui préfigurait à bien des égards celui des ‘sections sans-culotte’. Seule la dialectique marxiste permet de comprendre de telles choses, en comprenant qu’à partir du moment (13e, 14e siècle) où l’on sort de la féodalité au sens strict, la religion quelle qu’elle soit perd sa base matérielle et donc son assise idéologique ; à partir de là, le clergé ne peut plus être une classe sociale autonome, il éclate et chacun de ses fragments servira la cause de la classe qui parviendra à le capter… 

    Queen Victoria by BassanoDonc, la mutation du Royaume-Uni en État contemporain (bourgeois, capitaliste) est un processus globalement achevé avec le règne de Victoria (1837-1901). La révolution industrielle triomphe et la population a plus que triplé (de 7 à 23 millions) entre 1750 et 1830 ; d’immenses cités industrielles (comme Manchester) surgissent de la verte campagne. Le Reform Act de 1832 intègre cette réalité en supprimant les ‘bourgs pourris’ (circonscriptions dépeuplées alors que des ‘villes nouvelles’ immenses, surgies en quelques décennies, n’ont pas de représentants) ; en revanche, il n’élargit le suffrage (censitaire) que de 300.000 à 600.000 électeurs[1] : cette ‘trahison whig’ donnera naissance au mouvement chartiste, qui réclame le suffrage universel masculin (il ne sera totalement accordé qu’en… 1918, en même temps qu’aux femmes de plus de 95215360crystal-palace-jpg-copie-1.jpg30 ans – et à toutes en 1928, 16 ans avant les ‘françaises’ pour le coup). Les Premiers ministres issus de la Chambre des Lords se ‘clairsèment’ sous le règne : quatre seulement (cinq avec Disraeli, anobli à la fin de sa vie), le dernier étant Robert Gascoyne-Cecil, 3e marquis de Salisbury (1895-1902) ; tous ensuite viendront des Communes (même si c’est une ‘tradition’ : rien n’y oblige légalement). Le Royaume et l’Empire sont alors au sommet de leur splendeur, l’époque victorienne deviendra un ‘symbole’ de la Grande-Bretagne à travers le monde entier. On notera toutefois que, vers l’État contemporain au sens où nous l’entendons, la transition est longue et progressive, depuis le milieu du 17e siècle jusqu’au début du 20e : c’est le fameux ‘évolutionnisme britannique’, célébré par les courants politiques ‘libéraux’ qui l’opposent à la ‘culture française des révolutions’… Mais la condition ouvrière et populaire, elle, est 220px-Dore Londoneffroyable ; comme la lecture de l’écrivain Charles Dickens suffit à s’en donner une idée : des millions de prolétaires de toutes les nations constitutives (privés, comme on l’a vu, des tous droits civiques jusqu’en 1918) s’entassent dans les slums (taudis misérables) des cités industrielles du Nord ou de Londres (East End), baignés dans la boue et dans le smog (littéralement : ‘brouillard de fumée’) des cheminées d’usine.

    Parallèlement, on l’a dit, en même temps que l’Angleterre achevait de soumettre à son État l’ensemble des nations (celtiques) de l’archipel britannique, elle développait également un immense empire colonial ultra-marin qui, malgré la perte (1783) des Treize Colonies américaines qui formeront les États-Unis d’Amérique, sera la base, lorsque l’exportation de capitaux deviendra principale, de la première puissance impérialiste mondiale (première chronologiquement, et par l’étendue de son influence). Dans cet Empire, l’Angleterre adoptera une attitude assez différente de celle de la ‘France’ dans le sien. Non pas qu’il y ait eu moins Stamp British East Africa 1896 2.5ad’oppression et de massacres – encore que cela soit fort possible, en tout cas, il n’y a pas eu de grande guerre d’extermination contre un mouvement d’indépendance, comme en Indochine et en Algérie. Mais l’Angleterre a toujours cherché à appliquer ce que l’on appelle l’indigenous rule. L’impérialisme bleu-blanc-rouge, dans l’optique de ses théoriciens (Victor Hugo, Jules Ferry), se voyait dans un rôle d’’éducateur’ mondial : ‘nous sommes les Grecs du monde’, disait Hugo au génocidaire Bugeaud. La ‘France’ était vue comme investie d’une ‘mission historique’, d’une ‘destinée manifeste’ : apporter la ‘civilisation’ française aux peuples ‘mineurs’, ‘sauvages’ ou ‘barbares’, dans une forme de ‘tutorat international’. Une fois que les peuples colonisés seraient ‘majeurs’, ‘civilisés’, le régime colonial ne s’appliquerait plus (il n’était pas, alors, précisé s’ils deviendraient des États ‘indépendants’ sous influence étroite, ou des départements ‘français’ comme le sont devenues les Antilles). Bien sûr, la base économique était la même que pour tout impérialisme : la domination des monopoles. Mais telle était l’idéologie dont les monopoles se sont emparés pour servir leurs intérêts – n’était-ce pas là, finalement, qu’une transposition outre-mer de la vision que la bourgeoisie révolutionnaire parisienne (et déjà les ‘éclairés’ de la fin de l’Ancien Régime) avaient des ‘provinces reculées’ ?

    king-edward-viii-tiger-shoot-india-1921.jpgPour l’impérialisme ‘britannique’, en revanche, l’’aventure coloniale’ repose sur un seul mot d’ordre : business as usual. Tant que les peuples colonisés font et fournissent ce que le capitalisme et les monopoles britanniques attendent d’eux, ils conservent leur ‘civilisation’, leurs langues, leurs traditions, et même leurs ‘élites’ et leurs institutions. Là où l’Empire ‘britannique’ veut créer une ‘Nouvelle Grande-Bretagne’ (comme au Canada, en Australie ou en Nouvelle-Zélande), il la peuple d’Européens (de préférence du Nord…). À partir du 19e siècle, ne souhaitant pas refaire les erreurs des Treize Colonies d’Amérique du Nord (et une nouvelle violente révolte – Mackenzie et Papineau – ayant secoué le Canada en 1837-38), le Royaume-Uni offrira à ces territoires (dominions) un statut d’autonomie à élargissement progressif, qui débouchera après la 2e Guerre mondiale sur une indépendance totale 220px-Punch Rhodes Colossus(militaire, diplomatique etc.) tout en restant bien sûr des alliés étroits de la métropole (et de l’impérialisme US) ; donnant naissance à des impérialismes de petit ou moyen rang : Canada, Australie, Nouvelle-Zélande ; sans compter l’’émergent’ sud-africain. Ils ne sont plus rattachés à Londres que par le chef de l’État, qui reste officiellement la reine d’Angleterre, représentée par un ‘gouverneur’ (‘proposé’ par le Parlement national ; la reine ne fait qu’entériner, elle ne le choisit pas).

    Ailleurs, telle n’est pas la vocation de la domination coloniale : il est ouvertement assumé que l’Angleterre est là pour se fournir en matières premières, écouler sa production nationale, et éventuellement utiliser la force de travail lorsque celle-ci est jugée assez productive. Ce qui ne va pas sans un lourd sous-entendu raciste : les ‘races’ sont et restent ce qu’elles sont ; un Africain, un ‘Peau-Rouge’, un Bengali ou un Maori, pas plus d’ailleurs qu’un Irlandais ou un Écossais (qui leurs sont tout de même ‘supérieurs’) ne sera jamais un Anglais, pas même un ‘demi’. Il est illusoire de prétendre, comme le font les ‘Français’, ‘européaniser’ des peuples non-européens, comme les Romains prétendaient ‘romaniser’ tous les peuples de leur Empire mais celui-ci, au faîte de sa puissance, s’est finalement brutalement effondré – les ‘Français’, en cela, sont bien leurs dignes héritiers et ils connaîtront le même sort. Ainsi raisonnait l’impérialiste anglais ‘moyen’ de l’époque victorienne, et encore dans la première moitié du 20e siècle…

    Pareillement, dans les nations celtiques de l’archipel, la domination de type colonial ne s’est jamais accompagnée d’une réelle volonté d’assimilation, de négation nationale au plan socio-culturel, quand bien même les institutions politiques nationales ont été supprimées par les différents Actes d’Union (Galles 1536, Écosse 1707 et Irlande 1800, la Cornouaille n’ayant jamais eu pour sa part d’institutions parlementaires modernes et Man et les îles ‘anglo-normandes’ n’ayant pas été intégrées au Royaume-Uni). Il a certes été tenté, à partir de Georges III (après l’indépendance américaine, face à la Révolution française et à Napoléon puis dans l’expansion coloniale et face à l’Allemagne pendant les deux guerres mondiales) de développer un certain ‘patriotisme britannique’ avec le fameux chant Rule Britannia, le terme de ‘Briton’ (descendant des (Grands-)Bretons), la mise en avant de la reine celte Boadicée résistant aux légions romaines (1er siècle après J-C.) alors que Napoléon (ce ‘nouveau Néron’) planifiait l’invasion du pays ; mais globalement les nations Rule Britanniaconstitutives sont toujours restées reconnues comme telles. Même dans l’armée, colonne vertébrale de l’État selon les marxistes, les régiments restent nationaux (comme les célèbres régiments écossais défilant en kilt avec leurs cornemuses). Au football et au rugby, sports britanniques par excellence, les quatre grandes nations ont chacune leur sélection dans les compétitions internationales, situation unique au monde alors qu’il est impossible de faire reconnaître une équipe basque par la FIFA ; au rugby, l’Irlande est même… réunifiée (au football par contre il y a une équipe d’Irlande du Nord, car c’est là-bas surtout un sport de ‘protestants’ – les Irlandais ‘catholiques’ nationalistes jouant au football gaélique – qui ne ‘peuvent’ donc jouer avec les rares ‘catholiques’ le pratiquant au Sud). Cela tient au fait que, comme on l'a dit, la classe dominante d'Angleterre a historiquement toujours plus assumé une véritable conquête coloniale des autres nations (mais maintenant tout cela "serait du passé" et "on est potes" comme après une bagarre dans un pub...), donc le fait qu'il s'agisse bien de NATIONS différentes de la Nation anglaise ; mais aussi que (comme dans toutes les constructions d’États modernes) elle a pu faire valoir une part de "volonté" (dominante, grande-bourgeoise et aristocratique) autochtone dans ces rattachements : c'est bien un roi d'origine galloise (Henri VIII Tudor) qui a formellement uni le Pays de Galles à l'Angleterre ; c'est bien une dynastie écossaise (les Stuart) qui a uni les deux couronnes puis des parlementaires bourgeois et aristocrates écossais qui ont voté l'Acte d'Union en 1707 ; ce sont (dans une large mesure) des possédants irlandais (protestants ou non) qui en ont fait de même en 1801 et c'est bien - depuis 1920 - en vertu d'une majorité unioniste que les 6 comtés d'Ulster demeurent 'britanniques'... Cette part de volonté autochtone a bien sûr été également essentielle en "France" ; mais elle a été formulée autrement et notamment, en 1789, par l'affirmation d'une fausse "Nation française" (résultat d'un "formatage" culturel des "élites" très fort, dès la Renaissance et encore plus après Richelieu) : c'est donc derrière ce mythe de la "Nation française" (affirmée par des couches sociales qui ne représentaient pas, à l'époque, 10% de la population...) que s'abrite le Grand Capital bleu-blanc-rouge. Au Royaume-Uni, en revanche, les démarches "rattachistes" des élites locales se sont faites en assumant les nationalités réelles et celles-ci sont donc historiquement reconnue ; ce qui n'empêche pas le pouvoir central londonien de tout mettre en œuvre contre la moindre velléité séparatiste (cf. le référendum écossais de 2014).

    Map of the British Empire in the 1920'sBien sûr, il y a eu la suppression - pendant longtemps - de toute institution et gouvernement local. En Irlande, sous la pression du mouvement national qui renaît avec Wolfe Tone (1798), le Parlement londonien finit par céder et accorder le Home Rule… en 1914, mais son application est repoussée à la fin de la guerre mondiale, trop tard pour éviter la guerre de libération qui éclate en 1916 (l’institution se ‘réfugie’ alors dans le Nord, resté occupé) ; les Parlements écossais et gallois n'étant rétablis quant à eux que par les ‘dévolutions’ de la toute fin du 20e siècle, sous Tony Blair. Et depuis le 18e siècle (extinction du cornique, qui ne sera ‘ressuscité’ qu’au 20e) jusqu’à nos jours, les langues nationales ont considérablement reculé au profit de l’anglais – qui profite, aussi, de son statut de lingua franca internationale. Aujourd’hui, pour plus de 6 millions d’habitant-e-s au total (Sud et Nord), le gaélique irlandais est parlé par seulement 70.000 personnes dans la vie de tous les jours, 260.000 en ont une maîtrise ‘courante’ et 1,8 millions (200.000 au Nord) une certaine connaissance. Le gaélique écossais des Highlands et des îles (pour plus de 5 millions d’Écossais-es) n’a plus que 60.000 locuteurs courants, et une centaine de milliers de ‘personnes de plus de 3 ans’ qui le comprennent. Le gallois résiste – et a toujours résisté historiquement – un peu mieux, avec plus de 600.000 locuteurs courants en Cymru même (plus de 60% de la population dans les comtés du Nord-Ouest) et plus de 150.000 en Angleterre ; ainsi que le scots des Lowlands écossais (1,5 millions en Écosse et 30.000 en Irlande du Nord), mais c’est une langue anglo-saxonne, très proche de l’anglais et totalement intercompréhensible (ce que nos républicains BBR appelleraient un ‘patois’), ce qui explique cela – à noter, ici, que l’Écosse est une autre nation bilingue, comme la Bretagne, ce qui contredit encore une fois le ‘monolinguisme absolu’ posé par Staline dans La Question nationale. De leur côté, à Man et dans les îles ‘anglo-normandes’, il reste moins de 2% de locuteurs courants du mannois et des langues d’oïl normandes insulaires, même si jusqu’à 15% peuvent en avoir une certaine connaissance. Dans ces dernières, le normand insulaire a aussi souffert de la concurrence… du français ‘standard’, académique, toujours langue officielle des ‘baillages’ et bien maîtrisé par beaucoup de personnes (tourisme ‘continental’ oblige). Bien entendu, dans toutes ces nations, ce n’est jamais l’anglais d’Oxford qui est parlé par les masses populaires, pas plus qu’en Angleterre d’ailleurs : c’est un anglais populaire, mêlé de vocabulaire et d’expressions nationales, avec souvent un fort accent (comme les ‘r’ roulés écossais) qui rend, généralement, immédiatement identifiable la nation constitutive (et la classe sociale) de l’interlocuteur…

    revo indus englandPour les besoins, et de par l’organisation territoriale du capitalisme britannique (centré sur le Grand Londres, le Grand Birmingham et le triangle Liverpool-Leeds-Sheffield avec Manchester), une très importante force de travail a été importée des nations celtiques périphériques vers l’Angleterre, où elle forma rapidement – et forme encore, en tout cas parmi les ‘blancs’ – la fraction du prolétariat la plus exploitée et, en même temps, la plus combattive ; jouant un rôle de premier plan dans le mouvement chartiste (démocratique, pour le suffrage universel), syndical (trade-unions), socialiste et communiste. Ceci contribua cependant, dans le même temps, au recul des langues nationales face à l’anglais. À partir des années 1920-30, vinrent s’ajouter des travailleurs venus de l’Empire colonial et des pays ‘sous influence’ (sous-continent indien, Afrique, Caraïbes, Proche/Moyen-Orient), ainsi que d’Europe centrale-orientale et méditerranéenne (dont la condition s’assimila rapidement à celle des ‘celtiques’). Les extra-européens formèrent, comme dans tous les pays impérialistes, des ‘indigénats métropolitains’, des ‘colonies intérieures’ (qui représentent aujourd'hui, par exemple... quelques 44% des 8,6 millions d'habitants du Grand Londres !). Celles-ci ont la caractéristique de s’être vues transposer l’esprit d’indigenous rule qui était appliqué dans l’Empire, vis-à-vis des peuples colonisés : regroupées dans des quartiers largement ‘mono-ethniques’, elles y ‘font leur vie’ sous l’égide d’autorités ‘communautaires’, ‘à leur manière’ du moment qu’elles ne london 1900contreviennent pas de manière flagrante aux lois britanniques (évidemment, depuis le 11-Septembre 2001 et plus encore depuis les attentats de Londres en 2005, les communautés de culture musulmane sont nettement plus ‘surveillées’). Elles continuent, dans leurs quartiers, à parler largement leurs langues nationales d’origine, et parlent anglais avec un net accent qui les identifie immédiatement. Il n’y a pas de politique d’assimilation (issue, là encore, de la ‘logique’ appliquée outre-mer) comme en ‘France’.

    Après la Seconde Guerre mondiale, au terme d’un processus commencé au lendemain de la Première (malgré le triomphe apparent…), la ‘superpuissance’ impérialiste ‘britannique’ entrera en déclin, supplantée définitivement par son ‘fils prodigue’, l’impérialisme US avec lequel elle fera le choix de l’alliance inconditionnelle, au même titre que les dominions devenu à peu près complètement indépendants. Elle retire l’administration coloniale directe de son Empire, dès 1947-48 dans le sous-continent indien, dans les années 1955-70 des possessions d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, et jusqu’aux années 1980 des Caraïbes et du Pacifique ; tout en veillant bien sûr à contrer la prise de pouvoir communiste (Malaisie 1948-60) et à combattre les velléités nationalistes les plus affirmées (Kenya 1952-56), sans toujours rencontrer le succès (le Yémen du Sud devient ‘marxiste’ et prosoviétique en 1969, la Tanzanie prochinoise avec Nyerere en 1964) ; et à maintenir sa domination indirecte à travers l’instrument du Commonwealth.

    London Skyline, EnglandLe Royaume-Uni n’en reste pas moins une puissance impérialiste de premier plan, membre du G8 et du G20. Au classement Forbes Global des grands monopoles pour 2012, parmi les 60 premiers groupes monopolistes mondiaux, quatre ont leur siège au Royaume-Uni (HSBC, BP, Vodafone et Barclays), plus l’anglo-néerlandais Shell dont le siège est à La Haye ; ce dernier et BP (4e et 11e) étant loin devant leur premier concurrent BBR (Total, 18e), et le groupe financier HSBC (6e) également (BNP Paribas, 20e). Deux autres se trouvent dans le Commonwealth (Commonwealth Bank et BHP Billiton, en Australie). On peut également signaler la ‘multinationale’ Rio Tinto (anglo-australienne, 69e au classement, écocide de premier ordre), ou la célèbre (par l’actualité) Mittal Steel, siégeant aux Pays-Bas (Arcelor Mittal au Luxembourg), mais avec beaucoup de capitaux du Royaume-Uni, où Mittal lui-même réside (il est la 8e fortune du pays).

    Il est important de souligner, ici, que depuis la ‘3e Guerre de Cent Ans’ (1688-1815) jusqu’à nos jours, le chauvinisme BBR s’est largement construit dans l’hostilité à l’Empire britannique, puisque la ‘France’, bien que souvent son alliée (Crimée, 1914-18, 1939-45) et jamais en conflit direct et ouvert depuis Waterloo, est devenue impérialiste dans un monde dominé par celui-ci (1815-1940), avant que ne lui succède l’impérialisme US (dont le Royaume-Uni serait aujourd'hui, selon nos chauvins, le ‘51e État’, le 52e étant sans doute Israël). De ceci résulte, parfois, une ‘célébration’ de notre ‘modèle’ colonial ‘civilisateur’, face à un impérialisme british qui serait ‘de pur pillage’ et ‘n’apporterait rien aux populations’ ; ou encore, une certaine ‘celtophilie’ réactionnaire qui se berce dans le souvenir de l’Auld Alliance et du soutien de la ‘France’ du Directoire à Wolfe Tone, allant parfois jusqu’à soutenir la résistance populaire armée irlandaise sur une ligne anti-anglo-saxonne, 100% impérialiste et n’ayant rien à voir avec la libération révolutionnaire des peuples : le ‘Celte’ (surtout l’Irlandais catholique) est considéré comme l'individu ‘ancré’ dans ‘la terre et les morts’, tandis que l’Anglo-Saxon est le ‘thalassocrate’ dominateur, soldat de la City et de la franc-maçonnerie internationale… On retrouve cette ‘celtophilie’ dans toute l’extrême-droite fasciste BBR, mais aussi, culturellement, jusque dans une chanson comme le Connemara de l’artiste de droite Sardou... 

    marx tombeLe Royaume-Uni revêt une grande importance dans l’histoire du mouvement communiste international : c’est là, en effet, à Londres, que vécurent exilés Marx et Engels, de 1849 jusqu’à leurs morts respectives (1883 et 1895). C’est là, donc, qu’est pour ainsi dire née la théorie socialiste révolutionnaire scientifique, même si le premier ouvrage de référence, le Manifeste, a probablement été rédigé à Bruxelles (pendant l’hiver 1847-48). C’est là (à Londres) que se tint le 2e congrès de la Ligue des communistes (novembre 1847, lors duquel fut demandée la rédaction du Manifeste), et que fut officiellement créée, en 1864, la 1ère Internationale socialiste, l’Association internationale des Travailleurs (AIT). C’est évidemment en observant la société capitaliste industrielle britannique que fut écrit l’ouvrage phare de la science marxiste, le Capital. C’est aussi dans les Îles Britanniques que Marx et Engels eurent l’occasion d’affiner leur matérialisme historique, puisqu’ils purent y voir non seulement toute l’horreur de la condition des peuples celtiques dominés et du prolétariat importé de ces nations en Angleterre, mais aussi combien cette question et le ‘privilège national’ dont jouissait la classe ouvrière anglaise, la division des opprimés ainsi permise, étaient un frein considérable au développement de la conscience ouvrière de classe et de la lutte révolutionnaire : Marx finira par dire que « Ce qui est primordial, c'est que chaque centre industriel et commercial d'Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l'Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L'Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation’. » (Lettre à Siegfried Mayer et August Vogt – socialistes allemands émigrés aux USA ; avril 1870)[2].

    victorian UKL’île de Grande-Bretagne comptait à cette époque, et de loin, le plus important prolétariat ouvrier de la planète - le Royaume-Uni était appelé, à juste titre, ‘l’atelier du monde’, car à l’époque, les colonies et semi-colonies étaient encore (avant tout) des débouchés commerciaux et des fournisseurs de matières premières et agricoles, mais la transformation industrielle de la matière s’effectuait quasi-exclusivement dans les pays en révolution industrielle comme l’Angleterre. C’est ainsi que, au-delà du seul marxisme, c’est aussi là que le mouvement ouvrier au sens large s’est développé en premier. Tout au long du 19e siècle et jusqu’au début du 20e, il s’articule autour de deux axes essentiels : le chartisme, qui réclame le suffrage universel (obtenu, on l’a dit, seulement en 1918 pour les hommes et 1928 pour les femmes) et le bénéfice le plus large des ‘libertés anglaises’ pour les classes populaires ; et le trade-unionisme, qui vise à unir (union) les travailleurs pour l’obtention des meilleurs salaires, droits, conditions de travail etc. possibles dans les entreprises. Le Royaume-Uni voit aussi (toujours sur la question électorale) l’apparition du premier mouvement féministe contemporain : les suffragettes, qui réclament le droit de vote pour les femmes.

    Malheureusement, il est facile de voir (pour un marxiste) qu’avec des telles revendications, ces mouvements ne réussiront jamais à franchir les limites du réformisme, en lien avec les éléments les plus ‘radicaux’ et ‘sociaux’ de la ‘gauche’ libérale bourgeoise, et finiront par confluer en 1900 dans le Parti travailliste (Labour), ‘aile gauche’ assumée de la politique des monopoles, rejetant ouvertement le marxisme, et qui commencera à gouverner en 1924 avec les libéraux (puis 1929-31, puis seuls en 1945-51, 1964-70, 1974-79 et enfin 1997-2010 avec Blair et Brown : autant dire que le travaillisme aura présidé à bon nombre des pires saloperies de l’État britannique et de son Empire !). Le marxisme, s’il est ‘né’ pour ainsi dire en Grande-Bretagne, y restera toujours très marginal ; et a fortiori le marxisme-léninisme (le PC ‘historique’ de Grande-Bretagne, celui de 1920, n’aura jamais que quelques dizaines de milliers de membres) et le maoïsme, malgré des organisations parfois de qualité. Ceci contrairement, d’ailleurs, à bon nombre d’autres pays de culture ‘anglo-saxonne’ : USA (où il a toujours été beaucoup plus important qu’on ne le pense, donnant des personnalités match-girls-1888‘phares’ du MCI comme Harry Haywood et des expériences lumineuses comme celle des Black Panthers), Canada (bien qu’il y soit surtout présent au Québec) ou Nouvelle-Zélande (où la majorité du PC choisît la Chine dans les années 1960, héritage maoïste aujourd’hui poursuivi par le PC d’Aotearoa - le nom maori de l’île). La gauche révolutionnaire d’outre-Manche est, en réalité, dominée historiquement par le trotskysme, qui en a fait son autre ‘bastion’ international après la ‘France’ (mais pour des ‘tendances’ sensiblement différentes de l’héritage du barbichu), avec des organisations comme le Socialist Worker’s Party (SWP de Tony Cliff, sans doute l’une des plus importantes organisations trotskystes au monde), le Socialist Party qui ‘dirige’ internationalement le CWI/CIO (auquel se rattache en Hexagone la ‘Gauche révolutionnaire’ qui a rejoint le NPA), et le siège de la Tendance Marxiste Internationale (Ted Grant, Alan Woods) à laquelle se rattache ici la bien connue ‘Riposte’ qui milite au sein du PCF. Un trotskysme qui, dans sa logique d’‘entrer’ les forces politiques et syndicales réformistes du système (au Royaume-Uni, c’est la même chose : le Labour est LE parti des syndicats), pour les 'pousser en avant’ jusqu’à la 'rupture révolutionnaire’, ne pouvait évidemment guère trouver un terrain plus propice (les trade-unions comptent encore 7 millions de membres, et le Labour 450.000). Globalement, la Grande-Bretagne et particulièrement l’Angleterre se sont caractérisées au cours du 20e siècle, par opposition au continent, par une très forte ‘paix sociale’ qui reste un modèle pour beaucoup d’idéologues bourgeois, malgré - évidemment - une certaine agitation lors de la crise de 1929, la contestation démocratique de la jeunesse dans les années 1960-70, et les fortes luttes (mais dont la défaite, là encore, est restée un ‘modèle’ pour la bourgeoisie mondiale) des années 1980, contre la politique thatchérienne de destruction des ‘acquis sociaux’ des gouvernements travaillistes successifs. C’est pourquoi, par exemple, la grande explosion de rage populaire de l’été 2011 a pu être considérée là-bas comme du ‘jamais vu’, avec des forces de répression parfois débordées (de même avec le mouvement étudiant quelques mois auparavant, contre l’augmentation délirante des frais universitaires).

    413px-Irish potato famine Bridget O'DonnelIl en va sensiblement différemment dans les nations celtiques, et particulièrement en Irlande. Là, tout au long du 19e siècle, comme l’expliquait Marx dans sa lettre à Mayer et Vogt, la question sociale fut essentiellement paysanne, nationale et démocratique : les landlords anglais installés depuis le 17e siècle avaient pour fonction sociale de transformer l’île en ‘grenier de proximité’ de la Grande-Bretagne industrielle, au détriment total de la population gaélique qui, ‘après tout’, n’avait qu’à aller ‘voir ailleurs’ - ce qu’elle fit, massivement, principalement vers les États-Unis, ou encore le Canada ou l’Australie, et bien sûr vers les centres industriels anglais (Londres, Manchester etc.) ou bas-écossais 350px-An gorta Mor(Glasgow). Le summum des conséquences de cet ordre colonial barbare, tombant d’ailleurs ‘à point nommé’ pour favoriser le ‘nettoyage’ voulu par les landlords d’une île qui commençait à se ‘surpeupler’[3], fut la tristement célèbre Grande Famine de 1845-51, suite à une maladie de la pomme de terre (base de l’alimentation insulaire), dont les conséquences sanitaires (on y mourut peu ‘de faim’ à proprement parler, mais des conséquences de la sous-alimentation) se chiffrent à plus d’un million de mort-e-s, provoquant l’émigration de millions d’autres Irlandais-es vers (principalement) les États-Unis - au total, la population de l’île tombera de 8,5 millions au début de la famine à 4,5 millions en 1911, soit le niveau de 1800. La question ouvrière irlandaise se trouvait essentiellement, comme l’explique Marx, ‘expatriée’ dans les centres industriels anglais ; bien que, dès cette époque, une industrie et donc une classe ouvrière se développe en Irlande même, autour de Dublin ou - particulièrement - de Belfast (où fut construit, par exemple, le célèbre Titanic).

    220px-Theobald_Wolfe_Tone_-_Project_Gutenberg_13112.pngÀ partir de la fin du 18e siècle, le mouvement national irlandais renaît ; il tourne le dos au ‘passéisme’ jacobite (et, côté ‘protestant’ parfois, à un ‘nationalisme colonial’ sur le modèle américain : des ‘droits’... mais pour les colons seulement), pour s’emparer des idées démocratiques avancées de la révolution bourgeoise ‘française’. Il repose sur une union de la bourgeoisie libérale et démocratique ‘protestante’, dont la figure la plus connue est Theobald Wolfe Tone (1763-98), et des masses paysannes et populaires ultra-majoritairement catholiques : de là, on l’a dit, le drapeau irlandais que nous connaissons, symbolisant de manière idéaliste la concorde (blanc) entre les catholiques (vert) et les protestants (orange). Le soulèvement de Wolfe Tone recevra l’aide du Directoire ‘français en guerre, lui aussi, contre l’Empire britannique ; il sera néanmoins écrasé et sauvagement réprimé (Wolfe Tone lui-même sera condamné à mort, il se suicidera avant son exécution). Cette première tentative donne néanmoins subjectivement naissance au nouveau mouvement national, animé d’un contenu progressiste - elle en restera une ‘référence’ jusqu’à nos jours. Le mouvement se ‘relance’ à partir du milieu du 19e siècle (Grande Famine), notamment au sein de l’émigration en Amérique du Nord : Irish Republican Brotherhood (IRB, née en 1858 à Dublin et New York), mouvement Fenian (plus large, désigne tou-te-s celles et ceux qui luttent par la violence contre la domination anglaise), et militantisme (plus pacifiste, de concert avec les ‘libéraux avancés’ anglais) pour le Home Rule - l’autonomie, le retour d’un james-connollyParlement et d’un gouvernement autonome irlandais. Au début du 20e siècle naît le Sinn Féin (1905), fondé par Arthur Griffith, qui est au départ plutôt un mouvement de renaissance culturelle, ne prônant pas vraiment l’indépendance, mais plutôt une semi-indépendance en union personnelle via le souverain britannique, sur le ‘modèle’ austro-hongrois. Mais, avec le développement d’une classe ouvrière irlandaise (et la grande importance des Irlandais-es dans le prolétariat de Grande-Bretagne et d’Amérique du Nord), le mouvement national va bientôt voir naître un courant socialiste, avec notamment James Connolly, qui fonde en 1896 le (premier) Parti socialiste républicain irlandais (ISRP). Celui-ci est le premier parti irlandais à revendiquer, clairement, une République indépendante (ce n’est pas encore le cas du Sinn Féin). Il devient en 1912 l’Irish Labour Party et crée dans la foulée une armée populaire, l’Irish Citizen Army (ICA). Cette ICA converge finalement avec des éléments de l’IRB et les Irish Volunteers (milice née pâques 1916pour défendre le Home Rule face aux Ulster Volunteers unionistes, farouchement opposés à celui-ci) pour déclencher l’insurrection de Pâques 1916 (en 1919, ces forces donneront officiellement naissance à l’IRA). Connolly sera également l'un des premiers marxistes à affirmer, à l'ère de la révolution prolétarienne, le caractère indissociable de la libération sociale et de la libération nationale : "si dès demain vous chassiez l’Armée anglaise et hissiez le drapeau vert sur le Château de Dublin, à moins que vous ne proclamiez la République socialiste, vos efforts auraient été vains. L’Angleterre continuerait à vous dominer. Elle vous dominerait par l’intermédiaire de ses capitalistes, de ses propriétaires fonciers, de ses financiers, de toutes les institutions commerciales et individualistes qu’elle a plantées dans ce pays et arrosées des larmes de nos mères et du sang de nos martyrs". L'insurrection de Pâques est brutalement réprimée par le pouvoir 'britannique' (500 mort-e-s) ; Connolly, avec d'autres (Patrick Pearse de l'IRB, sir Roger Casement), est fait prisonnier, condamné à mort et exécuté. La lutte ne tarde cependant pas à reprendre, dès la fin de la guerre mondiale. On ne rentrera pas, ici, dans les détails de la guerre de libération nationale irlandaise : rien que la période des ‘Troubles’ de 1969-98 fait l’objet d’un ouvrage entier du camarade Liam O’Ruairc. On dira simplement que c’est un processus, depuis 1916 jusqu’à nos jours, marqué par une succession de ‘ruptures’ qui amènent systématiquement une partie – une droite – du mouvement à trahir la cause de la libération nationale et sociale au nom de ses intérêts de classe  (bourgeois, petits-bourgeois), et une autre à poursuivre la lutte, ‘tirant’ l’’idéal' républicain de libération toujours plus vers la gauche... La guerre d’indépendance de 1919-21 débouche sur le ‘fameux’ Traité de Londres, qui conserve au Royaume-Uni les 6 comtés du Nord-Est et crée dans les 26 restants l’’État libre’ qui deviendra la ‘République d’Éire’ ; et qui voit la division et l’éclatement d’une guerre civile (1922-23) entre ses partisans (Griffith, Michael Collins etc.) et ses adversaires résolus (Eamon De Valera), qui conservent les appellations IRA et Sinn Féin. En 1926, De Valera adopte à son tour une position plus ‘conciliante’ vis-à-vis des institutions de l’’État libre’ (il représente la fraction ultranationaliste de la bourgeoisie irlandaise, liée aux monopoles US et allemands), et fonde le Fianna Fáil, qui est aujourd’hui l'un des deux grands partis bourgeois de droite de la ‘République d’Éire’ (les pro-Traité, eux, donneront naissance au Fine Gael et même, dans les années 1930, à un mouvement fasciste, les ‘chemises bleues’ du général O’Duffy : ce sont les forces grandes-bourgeoises, cléricales et même aristocratiques ‘nationales’ les plus compradores vis-à-vis de l’impérialisme). Le Sinn Féin et l’IRA poursuivent de leur côté mais leur INLA_Mural_Bogside_SMC-copie-1.jpgactivité devient alors très marginale. À la fin des années 1960 éclatent, au Nord, les ‘Troubles’ pour l’égalité des droits des ‘catholiques’, citoyens de seconde zone. L’armée ‘britannique’ intervient, les institutions ‘nord-irlandaises’ sont ‘suspendues’ et l’IRA prend en main la résistance populaire. Dans ce contexte, un courant Officiel de l’IRA et du Sinn Féin rejette le principe d’abstentionnisme électoral (qui exprime la non-reconnaissance des institutions britanniques, ‘nord-irlandaises’ et d’’Éire’), puis la lutte armée (1972) et fait passer la libération nationale au 18e plan, pour se transformer en gauche ‘radicale’ électoraliste ; tandis qu’un courant Provisoire, peut-être moins ‘socialiste’ mais plus intransigeant sur la question nationale, poursuit la lutte ainsi qu’une scission des Officiels, l'Irish Republican Socialist Party (IRSP) (1-2-3-4) avec l’Armée de Libération nationale irlandaise (INLA). Mais l’Empire britannique et son valet d’’Éire’ (avec l’appui US et UE), très habilement et tout en réprimant sans pitié (assassinats, emprisonnements sans procès dans les ‘H-blocks’, grévistes de la faim abandonnés jusqu’à la mort, etc.), vont favoriser au sein de ce MLN une droite capitulationniste (Adams, McGuinness & co) qui va dès les années 1980 renoncer à l’abstentionnisme, et s’engager dans des ‘pourparlers’ qui conduiront finalement à l'‘Accord du Vendredi Saint’ (10 avril 1998), ré-entérinant la partition de l’île, ‘refondant’ des institutions ‘nord-irlandaises’ fantoches etc., mais cette fois avec la complicité de ceux-là mêmes qui étaient le ‘Grand Satan’ de la propagande britannique et IRA-muralimpérialiste mondiale quelques années auparavant… Les éléments qui refusent cette dérive liquidatrice sont appelés les ‘dissidents’ : Republican Sinn Féin, 32CSM, IRA ‘véritable’ et ‘continuité’, etc. (l’IRSP/INLA a pour sa part déposé les armes, à son tour, en 2009). Pour s’informer sur tout cela, et c’est très volontiers que pub leur sera faite, il y a le site des camarades de Libération Irlande, unique média de solidarité francophone ‘non-aligné’ avec la capitulation ‘Provo’. En tout cas, la guerre de libération irlandaise a donné lieu à des expériences fascinantes comme les quartiers ‘catholiques’ libérés où les forces étatiques ne pouvaient mettre les pieds qu’à leurs risques et périls (voire pas du tout), notamment le ‘Free Derry’ du quartier Bogside (début des années 1970), les  maoïstes ou ‘maoïsants’ Jim Lynagh de la brigade Provo IRA de l’East Tyrone (abattu par les SAS en 1987), Jim Lane, John O’Reilly et Thomas ‘Ta’ Power de l’IRSP/INLA, les ‘maos de Cork’, etc. etc. ; expériences extrêmement instructives sur la question de la Guerre populaire en pays capitaliste avancé 

    merthyr_rising-copie-1.jpgLes autres nations, nettement plus (et plus précocement) industrialisées (Pays de Galles minier, Lowlands écossais), ont vu très tôt se développer un mouvement ouvrier ‘socialisant’ : en 1831, le drapeau rouge est ainsi hissé au cours d’un soulèvement gallois à Merthyr Tydfil. Le mouvement socialiste écossais est également conséquent (même si le travaillisme a rapidement fait des Lowlands un de ses bastions, Gordon Brown en étant par exemple originaire) ; Connolly y fait notamment ses premières armes avant d’aller fonder l’IRSP en Irlande. Il faut cependant un certain temps pour que, sans jamais en avoir perdu conscience (la conscience nationale ne fut, de toute façon, jamais réellement niée), ce mouvement fusionne avec l’affirmation de la question nationale dans un véritable MLN socialiste (NB : le terme ‘socialiste’ reste dans les pays anglo-saxons très radicalement ‘connoté’, loin de la gestion ‘de gôche’ du capitalisme qu’il peut signifier en Europe ‘latine’). Nous avons ainsi un mouvement républicain socialiste écossais (SRSM), né en 1973, ainsi qu’un Parti socialiste écossais anticapitaliste et indépendantiste (SSP) membre de la Gauche anticapitaliste européenne, proche du NPA, du SWP, de Syriza etc., très influencé par le SRSM qui en est (depuis 1999) un courant, et même un Parti communiste qui a scissionné du PC ‘historique’ de scottish republican faucille marteauGrande-Bretagne lorsque celui-ci s’est débandé en ‘gauche démocratique’ à l’italienne (1991), soutient l’indépendance et fait souvent liste commune avec le SSP. L’idée d’un PC d’Écosse autonome est ancienne : John MacLean, socialiste révolutionnaire marxiste, figure de la Red Clydeside (région 'rouge' de Glasgow) dans les années 1910 et parmi les tous premiers membres ‘britanniques’ de la 3e Internationale, la défendit en effet dès 1919-20 face aux ‘unionistes rouges’ du PC de Grande-Bretagne. Il prônait une République indépendante des travailleurs d’Écosse et il est intéressant, au regard des analyses de SLP sur la question, de remarquer qu’il voyait cette République socialiste écossaise comme un rétablissement de la civilisation communautaire clanique médiévale ‘sur une base moderne’, autrement dit à un niveau supérieur [exactement la manière dont SLP voit l'Occitanie socialiste par rapport à l''Andalousie du Nord' arago-catalo-occitane du 12e siècle ; et que disait d'autre Mariátegui lorsqu'il faisait de l'ayllu - communauté agraire - inca, 'à un niveau supérieur', la base du futur socialisme rural au Pérou ?]. Il est une référence du SRSM. Cependant, aucun de ces courants ne suit une réelle stratégie de Guerre populaire pour la libération sociale et nationale : ils se situent clairement sur un terrain légaliste et électoraliste, visant l’indépendance de l’Écosse par une majorité séparatiste au Parlement et un référendum, ensuite de quoi ils formeraient la ‘gauche de transformation sociale’ du nouvel État indépendant… Il y a, enfin, une Armée de Libération nationale (SLNA) qui se dit ‘maoïsante’ et agit militairement – essentiellement – par colis radical walespiégé. Au Pays de Galles un mouvement socialiste-républicain a existé quelques années dans les années 1960-80, signant notamment avec le groupe Cymru Gosh ("Pays de Galles rouge") la Charte de Brest en 1974 ; et aujourd’hui un Great Unrest Group, levant le drapeau rouge de Merthyr Tydfil et le drapeau libérationniste révolutionnaire vert et blanc à l'étoile rouge, milite pour la reconstruction d’un Parti socialiste républicain de Galles ; il est en lien avec le collectif des camarades de Democracy & Class Struggle.

    Il faut bien comprendre que, dans des pays qui n’ont JAMAIS connu que la monarchie (hormis la courte période 1649-60 en Angleterre, mais associée à une politique génocidaire dans les nations celtiques), monarchie entourée d’un véritable culte de masse y compris, depuis les années 1970-80, à travers la fameuse presse tabloids, la mise en avant de la République revêt encore une signification progressiste-radicale et révolutionnaire incontestable, comme dans l’État espagnol d’ailleurs ; à des années-lumière de ce que l’invocation 'républicaine’ peut revêtir de réactionnaire en 'France’. C’est ce qu’expliquait fort bien un camarade de Libération Irlande, dans un entretien avec les camarades de la Cause du Peuple, fin 2010 : «  Alors pour résumer, je te dirai que c’est le contraire d’être républicain en France. Ici, ceux qui mettent en avant la république, ce sont les flics et les profs, c’est l’idéologie de l’État bourgeois. En Irlande, c’est une republicanidéologie révolutionnaire anti-coloniale, un truc qui vient du peuple, qui cherche la confrontation avec l’État et les institutions. Les républicains sont ceux qui se revendiquent de Wolfe Tone, un protestant de l’époque de la révolution bourgeoise en France, qui a voulu faire pareil en Irlande et chasser le colonialisme anglais, les nobles propriétaires terriens et bien sûr la monarchie. La base de l’idéologie, c’est la démocratie, le pouvoir pour tout le monde, protestants et catholiques et autres. Rien que ça, c’est révolutionnaire là-bas, il y a des aspects très médiévaux en Irlande. Avec le développement de la classe ouvrière au 20e siècle, le républicanisme a évolué, en incorporant les besoins et les exigences de la classe ouvrière. D’ailleurs, l’IRA vient de l’insurrection de 1916 à Dublin, où il y a eu la fusion d’une milice ouvrière et des détachements armés patriotes qui avaient une idéologie nationaliste petite-bourgeoise. Donc les républicains aujourd’hui se disent socialistes, ils se définissent comme un mouvement de libération national ».

    De son côté, l’Empire britannique, concomitamment avec les ‘accords du Vendredi Saint’, a inauguré le long gouvernement de Tony Blair par les ‘dévolutions’, c’est-à-dire le retour d’institutions autonomes en Écosse (1997) et au Pays de Galles (1999), et l’intégration dans le ‘système UK’ des forces nationalistes bourgeoises (Scottish National Party (SNP), Plaid Cymru etc.). Ces réformes, comme le Vendredi Saint et, dans une vision beaucoup plus large, comme les accords d’Oslo sur la Palestine (1993), la ‘transition’ sud-africaine (1990-95) ou les divers ‘accords’ et ‘réconciliations nationales’ en Amérique latine à la même époque, s’inscrivent dans un vaste contexte de ‘ravalement de façade’ des impérialismes occidentaux, principalement anglo-saxons, consécutivement à leur victoire sur l’URSS révisionniste et à la restauration capitaliste en Chine.

    pff-jubile-imgTel est le panorama que l’on peut dresser en cette fin d’année 2012. En Angleterre, où la lutte des masses du peuple n’a jamais été à un très haut niveau révolutionnaire depuis le début du 20e siècle, et a de plus – et du coup – subi la dure défaite des ‘années Thatcher’, on observe depuis le début de la décennie un regain de radicalité, avec des mobilisations étudiantes d’une violence jusque là inconnue ; et bien sûr les émeutes prolétariennes d’août 2011, avec pour pointe avancée les colonies intérieures (bien que des personnes de toutes les ‘couleurs’ y aient participé), là encore un ‘tremblement de terre’ qui a fait vaciller l’État britannique sur ses bases qu’il croyait solides. En Irlande, le mouvement de libération nationale et sociale se relève lentement du ‘coup de poignard’ de la trahison provo des années 1990, mais la crise qui ravage l’île au Nord comme au Sud, faisant s’écrouler le mythe du ‘tigre celtique’, apporte de l’eau au moulin des ‘dissidents’, dont l’activité militaire reprend du ‘poil de la bête’. En Écosse et au Pays de Galles, les courants nationalistes bourgeois et petits-bourgeois ont été ‘intégrés’ à la construction ‘Royaume-Uni’ par les ‘dévolutions’ de london-riots6la fin des années 1990, le SNP venant même de remporter les élections dans cette nation constitutive, ouvrant la voie à un possible référendum d'indépendance (ici un article du NPA, pas inintéressant d'un point de vue factuel) ; néanmoins, des courants indépendantistes ‘républicains-socialistes’, ainsi que des groupes marxistes conscients de la question nationale, émergent et se développent.

    Quoi qu’il en soit, comme dans tout grand État impérialiste plurinational, le ‘pilote’ du processus révolutionnaire à travers la Guerre populaire est le prolétariat révolutionnaire avec son avant-garde organisée ; et les ‘campagnes’, moteur de la Guerre populaire prolongée, sont les ‘Périphéries’ qui sont, ici, très clairement les nations celtiques opprimées, leurs ‘représentants’ au sein des classes populaires d’Angleterre, et les colonies intérieures de travailleurs issus de l’ex-Empire colonial (qui représentent notamment près de la moitié de la population londonienne).



    riots1 wales take back the landscot rep soc movriot_girl.jpgLe Royaume-Uni (suite)


    [1] Un nouveau Reform Act de 1867 l’élargira à 2,25 millions (élargissement concernant uniquement l’Angleterre et le Pays de Galles…), un autre de 1884 (fixant le cens à 10£) à 5,5 millions, inégalement répartis entre les nations (2/3 des Gallois et des Anglais, 3/5 des Écossais, et seulement 1 irlandais sur 2).

    [2] Autres passages : « Après que je me suis préoccupé, durant de longues années, de la question irlandaise, j'en suis venu à la conclusion que le coup décisif contre les classes dominantes anglaises (et il sera décisif pour le mouvement ouvrier du monde entier) ne peut pas être porté en Angleterre, mais seulement en Irlande. (…) L'Irlande est la citadelle de l'aristocratie foncière anglaise. L'exploitation de ce pays ne constitue pas seulement l'une des sources principales de sa richesse matérielle, en même temps que sa plus grande force morale. De fait, elle représente la domination de l'Angleterre sur l'Irlande. L'Irlande est donc le grand moyen grâce auquel l'aristocratie anglaise maintient sa domination en Angleterre même. D'autre part, si demain l'armée et la police anglaises se retiraient d'Irlande, nous aurions immédiatement une révolution agraire en Irlande. Le renversement de l'aristocratie anglaise en Irlande aurait pour conséquence nécessaire son renversement en Angleterre, de sorte que nous aurions les conditions préalables à une révolution prolétarienne en Angleterre »

    La notion d’encerclement du centre par la périphérie semble ici commencer à être effleurée, mais dans une situation tout de même très particulière, coloniale en Europe même, avec les grandes plantations des landlords, une infime minorité (de l’ordre de 10%) de la population bénéficiant du droit de vote, etc.

    Et un autre ‘grand’ argument anticolonial qui sera récurrent dans l’argumentaire marxiste de la première moitié du 20e siècle : « De plus, l'Irlande est le seul prétexte du gouvernement anglais pour entretenir une grande armée permanente qui, en cas de besoin, comme cela s'est vu, est lancée sur les ouvriers anglais, après avoir fait ses études soldatesques en Irlande » (circulaire du CG de l’AIT à la Fédération de Suisse romande, 1er janvier 1870).

    [3] La ‘surpopulation’ est une notion bourgeoise, visant à ‘disculper’ le mode de production dominant des catastrophes humaines qu’il entraîne et de la misère en général, et qui n’a aucune existence réelle. Aucun territoire de la planète n’est ‘surpeuplé’ en soi : l’Irlande de 1845 ne comptait qu’un peu plus de 100 habitants au km², ce qui est moins que l’État français métropolitain (territoires européens) aujourd’hui, qui est l'un des moins denses d’Europe. Il n'y a ‘surpopulation’ que par rapport au niveau des forces productives et - surtout - au ‘frein’ à celles-ci que représente un mode de production et une organisation sociale donnée.

     


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  • Dans la ‘foulée’ de la longue étude menée sur la construction de l’
    État français moderne puis contemporain (12 3 et 4), SLP propose maintenant de procéder à une étude comparative du processus de construction politico-militaire de deux ou trois autres grands États européens.

    Ceci nous semble, en effet, d’autant plus important qu’aujourd’hui, la conviction de SLP est qu’avec le niveau d’intégration économique continentale, un mouvement révolutionnaire du prolétariat pourrait difficilement être autre chose que continental, ce qu’il tendait déjà – fortement – à être en 1918-23, à la suite de la Révolution bolchévique ; même si évidemment, la loi marxiste du développement inégal (de la révolution, en l’occurrence) s’appliquera sans aucun doute au processus (avec des régions ‘bases rouges’ et des régions ‘bases noires’, bastions réactionnaires).

    Pour commencer ce travail, SLP propose de se pencher sur le cas de l’État espagnol, grand voisin méridional de notre Hexagone. Cela parce que, comme on l’a déjà dit maintes fois ici, celui-ci – deuxième d’Europe occidentale par sa taille, après l’État français – renferme un GRAND NOMBRE (et une grande complexité) de questions nationales ; mais aussi, est celui où la CONSCIENCE PROLÉTARIENNE du problème, et son articulation avec la lutte de classe contre le Capital, est sans doute (en Europe) de loin la plus avancée.

    Nous allons donc voir, dans cette perspective, 1°/ comment se sont formées les NATIONS qui peuplent actuellement la péninsule (avec la particularité, pour celle-ci, d’avoir longtemps abrité un puissant État musulman médiéval), 2°/ comment s’est construit l’ÉTAT MODERNE ‘espagnol’ et comment celui-ci a ensuite évolué en État contemporain, et 3°/ comment la lutte du prolétariat, à la tête des masses populaires, contre cet état de fait s’articule avec sa lutte de classe contre l’exploitation capitaliste.  


    1. LES PROCESSUS DE FORMATION NATIONALE

    L’Hispania, dont tire son nom l’Espagne, était un ‘joyau’ de l’Empire romain, et la civilisation hispano-romaine fut brillante. Les populations ibériques préromaines furent profondément romanisées (ce sont peut-être les populations non-italiques qui le furent le plus), et aujourd’hui toutes les langues de la péninsule sont des langues latines, à l’exception du basque, qui est sans doute proche de la langue que parlaient les anciens Ibères, et s’est maintenu dans les vallées de l’ouest de la chaîne pyrénéenne (sur une aire beaucoup plus large que celle où il est parlé actuellement).

    Puis, comme dans toute l’Europe et la Méditerranée, l’Empire romain s’effondra sous le poids de ses contradictions et des peuples germaniques et est-européens vinrent se fixer dans la péninsule, avec leur organisation sociale gentilice, dont le ‘mariage’ avec l’organisation sociale romaine et l’idéologie chrétienne donnera naissance au système féodal : les Suèves se fixèrent dans le Nord-Ouest (Galice, Asturies, nord du Portugal actuels), les Alains dans le centre-sud, les Vandales dans l’extrême-sud auquel ils donneront son nom d’Andalousie [carte] (Vandalusia, mais les arabo-imazighen feront ‘tomber’ le ‘V’ pour dire Andalus) ; puis (à partir de 418) Alains et Vandales sont dégagés par les Wisigoths (ils partent en Afrique du Nord), les Suèves se maintenant dans le Nord-Ouest tandis que le Nord repasse aux mains des populations ‘originelles’ vasconnes (basques) et cantabres [carte].

    L’extrême-sud sera momentanément conquis par l’Empire byzantin (554-624). Ces populations cohabitent et, au fil des générations, fusionnent avec le ‘substrat’ hispano-romain (en tout cas, sa classe possédante). Et la période n’est pas (encore une fois, contrairement au mythe des ‘invasions barbares’ construit par les bourgeois des 18e-19e siècles, qui se vivaient en ‘nouveaux romains’) un ‘âge des ténèbres’ : le royaume des Wisigoths (qui perd en l’an 507 ses possessions au nord des Pyrénées, sauf la ‘Septimanie’ – côte languedocienne) est au contraire un très important ‘conservatoire’ de l’héritage civilisationnel antique ; rôle qui sera ensuite repris… par les ‘Maures’, coalition d’Arabes et d’Imazighen (‘berbères’) musulmans quiarabo_andalou.jpg débarquent en 711 dans l’extrême-sud, conduits par l’émir Tariq ibn Zyad. Car là est la dernière – et fondamentale – invasion de la péninsule, déterminante, indissociable des processus de formation nationale ET étatique, tant par la civilisation (la plus brillante de l’époque en Europe et Méditerranée occidentale) qu’elle installera pour plusieurs siècles, transmettant aux langues locales (le castillan, surtout) un nombre considérables de mots et de phonèmes qui leur sont propres, que par le processus de reconquête catholique contre elle, qui se déroulera, du Nord vers le Sud, pendant plus de 7 siècles.

    Il faut bien comprendre ce processus. Lorsque les arabo-imazighen conquirent la péninsule, à la faveur des contradictions entre noblesse wisigothe catholique et noblesse wishigothe arienne (celle-ci se ralliant alors massivement à l’islam), ils se désintéressèrent des régions peu propices à leur agriculture ‘traditionnelle’ (méditerranéenne), c'est-à-dire les régions pyrénéennes (Navarre/Euskadi, Ribagorza et Aragon, Haute-Catalogne) et de la côte nord-atlantique (Cantabrie, Asturies, Galice), où le ‘parti catholique’ wisigoth et hispano-romain se réfugia. Ce dernier y amena (ou y renforça) vraisemblablement la langue latine hispano-romane (encore, sans doute, peu différenciée), car il est probable que ces régions, peu romanisées sous l’Empire (toujours à cause de leur climat), parlaient encore des langues celtiques, ibériques ou celtibériques, comme dans l’ouest des Pyrénées où s’est maintenu l’euskara.

    C’est de ces territoires que fut lancée, dès le 8e siècle, la Reconquista : à la fin du 10e siècle, tous les territoires (sommairement) au nord du Douro et de l’Èbre sont ‘reconquis’ ; au milieu du 12e, tous les territoires au nord du Tage, des monts Ibériques et du delta de l’Èbre ; et en l’an 1300 ne restent plus que le sud et l’est de l’Andalousie actuelle (l’émirat de Grenade, jusqu’en 1492).

    Et c’est au cours de  ce processus que se sont forgées les nations ibériques actuelles :

    - au Nord, les nations ‘point de départ’ de la ‘reconquête’ : Pays Basque (royaume de Navarre), Cantabrie, Asturies, Galice. C'est ce royaume des Asturies (8e-10e siècles) qui deviendra en 910 le royaume de León, qui fusionnera lui-même avec la Castille (petit comté devenant dès lors royaume) de 1037 à 1065, puis de 1072 à 1165 et définitivement en 1230. Il est dès lors considéré comme le ‘berceau’ de l’État et de la monarchie actuelle et traditionnellement (depuis 1388), l'héritier de la Couronne castillane puis ‘espagnole’ porte le titre de prince des Asturies (équivalent du prince de Galles outre-Manche ou du dauphin dans l'ancienne monarchie française).

    - à partir des vallées pyrénéennes centrales et orientales, en ‘déroulant’ vers le sud : nation aragonaise et nation catalane ; leurs ‘branches’ méridionales (Pays valencien, régions de l'Èbre domaine des Banū Qāsī, Baléares) se distinguant par une arabité plus tardive, jusqu’au milieu du 12e voire parfois du 13e siècle. Cette arabité plus tardive, que l'on trouve aussi au sud de la Navarre basque (région de Tudela ‘reconquise’ vers 1120), a engendré un net particularisme culturel vis-à-vis des terres pyrénéennes (largement ‘reconquises’ en l’An 1000) ; particularisme parfois difficile à appréhender pour une affirmation basque, aragonaise ou catalane trop ‘étroite’ et retranchée dans ses vallées. On peut éventuellement qualifier de mudéjars (de l'arabe mudajjan, مدجّن, ‘domestiqué’) ces territoires ‘reconquis’ à cette étape intermédiaire du processus (11e et 12e siècles), comme les régions de l'Èbre mais aussi le plateau (Meseta) castillan-léonais (voir ci-dessous), par distinction avec les terres mozarabes plus au sud. Entre (sommairement) le milieu du 11e siècle et le milieu du 13e, les nations aragonaise et catalane (réunies en 1137 en un même royaume) ont également la particularité d’avoir connu une brillante symbiose avec la civilisation occitane (au nord des Pyrénées) : les comtes de Barcelone, puis la Couronne d’Aragon, sont en effet maîtres de la Provence, du Gévaudan (Lozère) et de Millau, des Comminges, de Foix et de Carcassonne, et sont des alliés et exercent une influence certaine sur les comtes de Toulouse et leurs vassaux (qui tiennent le reste de l’Occitanie centrale et provençale). C’est une coalition Aragon-Toulouse-Foix-Comminges, commandée par le roi d’Aragon, qui est écrasée à Muret en 1213 par Simon de Montfort, amenant l’annexion ‘française’ de l’Occitanie centrale (un peu plus tard, la navas de TolosaProvence sera retirée à l’Aragon-Catalogne et donnée au frère de ‘saint’ Louis, début de l’annexion française de la région). Aujourd’hui, l’occitan et le catalan sont des langues sœurs, quasi-jumelles, et l’aragonais est largement compréhensible pour un Occitan ou un Catalan.  

    - depuis les territoires au sud de la chaîne cantabrique, peu arabisés et rapidement reconquis (9e-10e siècles) par la Galice, les Asturies et la Cantabrie, en ‘déroulant’ là encore vers le sud : nation portugaise (à partir de la région de Porto-Braga-Bragance, atteignant l’Algarve en 1249, on peut considérer qu’il y a deux ‘branches’ à cette nation, au nord et au sud du Tage) ; nation léonaise (autour de la ville de León, dont les rois asturiens font leur capitale en 914, et jusqu’à Salamanque à la fin du 11e siècle) ; et bien sûr la nation castillane, qui démarre d’un petit comté autour de Burgos au 10e siècle, atteint la chaîne centrale vers l’An 1000, puis Tolède en 1085 et finalement la Sierra Morena à la fin du 12e siècle (on distingue Vieille-Castille au nord de la chaîne centrale et Nouvelle-Castille au sud).

    - tout au Sud, les nations mozarabes (de musta’rib, مستعرب, qui signifie ‘arabisé’), d’arabisation profonde et tardive, ‘reconquises’ pour l'essentiel au 13e siècle après Navas de Tolosa, l’extrême-sud (émirat de Grenade) résistant même jusqu’en 1492 et la population morisque jusqu’au 17e siècle : Andalousie, Murcie, Estrémadure (celle-ci ayant été partiellement 'reconquise' par le León, on y trouve une 'poche' de langue asturléonaise dans la partie nord), dans une certaine mesure la Mancha (sud de la Nouvelle-Castille). On peut aussi qualifier de la sorte le sud du Pays valencien ou les îles Baléares (nation catalane), de ‘reconquête’ très tardive (13e voire début du 14e siècle) et marqués comme on l'a dit par un fort particularisme vis-à-vis de la Vieille Catalogne pyrénéenne. Cette partie de la péninsule (ainsi que la Catalogne) abrite également l'essentiel de la communauté gitane (Gitanos), population rrom originaire de l'Inde et arrivée au début du 15e siècle. C'est la plus importante communauté en Europe de l'Ouest, avec de l'ordre de 600.000 à 800.000 personnes ; et elle a énormément contribué à forger la culture nationale andalouse (mais n'en est pas moins en bute à un très fort racisme, bien qu'ayant obtenu un statut de "minorité nationale").

    - enfin, loin de la péninsule, au large du Sahara occidental, les îles Canaries : de population amazighe guanche et connues des navigateurs de l’Antiquité, elles sont ‘redécouvertes’ au 14e siècle et colonisées à partir du 15e. C’est la nation canarienne.

    [Voir ici l'évolution nationale-linguistique de la Péninsule, de l'An 1000 à nos jours]

    Telles sont les nations qui habitent encore, à ce jour, la péninsule ibérique, c'est-à-dire l’État dénommé ‘Espagne’ et le Portugal.


    2. LA CONSTRUCTION POLITICO-MILITAIRE ÉTATIQUE

    La ligne directrice dominante de ce processus est la Reconquista menée par les royaumes chrétiens contre le ou les royaume(s) musulmans ‘maures’. Ce qui, bien entendu, n’empêche nullement les royaumes chrétiens de se battre entre eux (ou de connaître des guerres civiles), tout comme les musulmans de leur côté (épisodes dit de taïfa, 1031-1085/1112, 1145-1163/1203 et CROIS 13 850 1492 reconquista1224-1266). Mais globalement, les fusions politiques féodales qui déboucheront sur le royaume d’Espagne se feront plutôt pacifiquement (par mariage, en général), comme s’il y avait une ‘solidarité post-wisigothe’ des familles régnantes, contrairement à la ‘France’ où c’est par le fer que les Capétiens constitueront leur domaine.

    Le royaume de León, héritier du royaume des Asturies qui fixe en 914 sa capitale dans cette cité reconquise, comprend en l’An 1000 les actuelles Asturies et Galice, et le Pays léonais (provinces de León, Zamora et Salamanca). En 1037, il fusionne avec un ancien petit comté établi autour de Burgos (comprenant aussi la Cantabrie), qui s’est étendu vers le sud jusqu’au Douro et s’est érigé en royaume : la Castille. Cette unité se fera et défera à plusieurs reprises par la suite, mais deviendra définitive en 1230. C’est cette entité (surtout dans ses périodes d’unité, évidemment) qui réalisera le ‘gros’ de la Reconquista, depuis le Douro jusqu’au détroit de Gibraltar, ‘achevant’ l’Espagne musulmane en prenant Grenade en 1492 (et par la suite, c’est à elle que seront ‘juridiquement’ rattachées les ‘découvertes’ d’outre-mer, en particulier les Amériques). Sa composante dominante est le León jusqu’au milieu du 12e siècle, puis devient progressivement la Castille : c’est la langue castillane (et non le léonais) qui sera imposée aux territoires ‘reconquis’ vers le Sud - ‘Nouvelle-Castille’, Estrémadure (rattachée toutefois ‘juridiquement’ au León), Andalousie et Murcie.

    Au Nord-Est, c’est en 1137 que le comté devenu royaume (1035) d’Aragon fusionne, par mariage de l’héritière du trône, avec le comté de Barcelone. De pair, ils conquerront sur les ‘Maures’ la région valencienne (qui deviendra ‘royaume de Valence’, subsistant juridiquement… jusqu’au 18e siècle) et les Baléares (érigées en ‘royaume de Majorque’ autonome, parfois en conflit avec la Couronne aragonaise, de 1229 à 1349 ; il subsistera lui aussi ‘sur le papier’ jusqu’en 1716). Ils se ‘partagent les tâches’ : l’Aragon tient l’appareil politico-militaire tandis que la Catalogne (avec ses États généraux, les Corts, et son ‘gouvernement général’, la Generalitat) assure le rayonnement économique et culturel de l’entité sur toute la Méditerranée occidentale : jusqu’à la conquête capétienne du 13e siècle, le royaume domine d'ailleurs (politiquement, économiquement et culturellement) l’Occitanie centrale et provençale ; puis à partir de la fin du 13e siècle c’est l’Empire arago-catalan qui comprend, outre l’Aragon, la Catalogne, Valence et les Baléares, la Sardaigne, l’Italie du Sud et la Sicile (territoires qu’il apportera à l’Espagne unifiée).

    Reconquista-la-rendicion-de-granada1En 1479, par le mariage d’Isabelle Ière de Castille et Ferdinand II d’Aragon, les deux couronnes sont réunies, et achèvent ensemble la Reconquista par la conquête de l’émirat de Grenade : C’EST LA NAISSANCE DU ROYAUME D’ESPAGNE COMME ÉTAT MODERNE.

    Au final c’est seulement le royaume de Navarre (pourtant l'un des principaux initiateurs de la Reconquista), centré sur la nation basque et qui dans le premier tiers du 11e siècle (Sanche III le Fort) s’étendait outre l’Euskal Herria sur le Haut-Aragon, la Rioja, la Cantabrie et le comté de Castille (région de Burgos), qui sera l’objet d’un grignotage de plusieurs siècles aussi bien par le Nord (Aquitaine, puis Anglais et Capétiens) que par le Sud (Aragon et Castille) avant de disparaître en 1512, annexé par le royaume 'espagnol’ de ‘Castille et Aragon’. Une unique province basque du Nord, la Basse-Navarre, conservera alors le ‘souvenir’ du royaume sous la maison d’Albret ; son dernier roi, Henri III de Navarre (1572), deviendra… ‘roi de France et de Navarre’ en 1589 sous le nom d’Henri IV.

    500px-Columbus_Taking_Possession.jpgConcomitamment à tout cela va survenir en 1492 un évènement historique d’une importance sans précédent, qui va bouleverser l’histoire de l’humanité : la ‘découverte’ par le capitaine génois Christophe Colomb (au service de Ferdinand et Isabelle), la conquête et la colonisation des AMÉRIQUES. Le royaume castillo-aragonais avait commencé, comme son voisin portugais, à se lancer dans la navigation lointaine (explorant les côtes de l’Afrique jusqu’au Sénégal, ‘redécouvrant’ les Canaries au 14e siècle etc.). À cette époque, la ‘première puissance mondiale’ apparaissait comme étant l’Empire ottoman, qui avait pris Constantinople en 1453 et rétabli à son profit le Califat islamique. Mais celui-ci, ‘paradoxalement’, va ainsi se tirer ‘une balle dans le pied’ : en coupant la route terrestre vers l’Inde et la Chine (la fameuse route de la soie), il va pousser les Européens, et notamment ceux de la péninsule ibérique, à rechercher une route maritime vers celles-ci. Les Portugais cherchent le contournement de l’Afrique par le sud et en 1488 Bartolomeu Dias franchit la pointe australe extrême de celle-ci, le cap de Bonne Espérance. Les ‘Espagnols’, eux, ont une autre idée : ‘couper droit’ vers l’Ouest et logiquement, puisque la Terre est ronde, atteindre en quelques semaines ou quelques mois... les Indes ou la Chine. C’est ainsi qu’est ‘découvert’ le ‘Nouveau Monde’ (auparavant des Scandinaves, des Celtes et des Basques en avaient déjà touché les côtes du Nord-Est, mais n’y avaient pas fait souche), dont il faudra plusieurs années encore pour réaliser qu’il s’agit là d’un nouveau continent inconnu et non de l’Extrême-Orient. Un évènement aussi important pour l’humanité, à l’époque, que si l’on découvrait aujourd’hui une nouvelle planète habitée ; et qui lancera réellement (à travers la colonisation et l’exploitation de ce continent) ce que les marxistes appellent classiquement ‘l’accumulation primitive’ du Capital : en réalité, le ‘boom’ économique du capitalisme (qui existait déjà depuis trois ou quatre siècles), qui le fera balayer les dernières scories féodales et débouchera sur les révolutions bourgeoises et la révolution industrielle.

    ChQuintLa conquête et la colonisation des Amériques (pratiquement achevée au milieu du 16e siècle) va être, la Reconquista terminée, le formidable ciment de cette construction politique plurinationale que l’on nomme désormais ‘Espagne’. Une pluri-nationalité qui est d’ailleurs, à l’époque, totalement reconnue : Charles Quint, qui hérite du trône en 1516, s’il y met peu les pieds (héritier des Habsbourg d’Autriche et de l’Empire bourguignon, il vit surtout à Gand, en Belgique actuelle), dira ainsi de l’Espagne qu’elle est ‘un ensemble de peuples, réunis pour l’accomplissement de destinées universelles’. L’Hispanité devient alors le grand mythe fondateur de l’État, sa principale ‘idéologie-ciment’, dont Franco (centralisateur espagnoliste autoritaire) usera encore dans les grandes largeurs au siècle dernier ; et encore aujourd’hui, la fête ‘nationale’ est le 12 octobre, jour de la ‘découverte’ des Amériques par Colomb.

    1008850-Philippe_II_dEspagne.jpgLe jeune royaume est alors la première puissance planétaire de l’histoire, c’est le ‘Siècle d’Or’ de ‘l’Empire sur lequel le Soleil ne se couche jamais’. À la mort de Charles Quint, son fils Philippe II récupère l’héritage ‘espagnol’ (ainsi que le Portugal, pays de sa mère, annexé en 1580) et bourguignon (Pays-Bas, Franche-Comté), tandis que son frère Ferdinand, déjà archiduc d’Autriche, récupère l’héritage germanique (la couronne du Saint-Empire).

    Mais ce ‘Siècle d’Or’ ne durera pas : on le considère, généralement, comme achevé en 1648, avec les grands traités européens de Westphalie qui mettent fin à la Guerre de Trente Ans. Les raisons matérialistes en sont connues : l’‘Espagne’ a découvert les Amériques par hasard, ‘sur un coup de bol’ ; mais elle a appliqué à ces immenses territoires une colonisation de pillage à courte vue, ne cherchant pas une véritable mise en valeur comme ce qu’ont pu faire les colons anglais ou hollandais (et, dans une moindre mesure, ‘français’) en Amérique du Nord, aux Caraïbes et en Asie. Elle n’en a pas profité, non plus, pour DÉVELOPPER une métropole qui était, à la fin du 15e siècle, très arriérée d’un point de vue capitaliste (sauf les terres catalanes) ; ceci d’autant plus que Charles Quint, flamand de cœur, fera surtout bénéficier les ‘Pays-Bas’ (actuel Bénélux), déjà - eux - très développés, des richesses ainsi accumulées. Par l'achat de toutes sortes de fournitures et la contraction de dettes, c'est en réalité du Nord de l'Europe (dont laGalions-Veracruz 04-copie-1 France) qu'elle fera la destination finale de ces gigantesques masses d'or et d'argent extraites (par des esclaves indigènes mourant par milliers) des mines coloniales comme celles de Potosí (Haut-Pérou, actuelle Bolivie) ; masses de liquidités qui jetteront dans ces pays les bases du développement industriel, au point que Colbert pourra dire que "plus un pays fait commerce avec l'Espagne, plus il est prospère"...

    Au nom du catholicisme, autre ‘ciment idéologique’ essentiel de la monarchie, on expulse et massacre les Juifs (1492), les musulmans, puis les ‘marranes’ et les ‘morisques’ (Juifs et musulmans convertis de force, mais continuant à pratiquer secrètement leur religion), et l'on écrase dans l’œuf la Réforme protestante : bref, toutes les forces porteuses d’un esprit capitaliste un peu avancé.

    C’est donc, du point de vue du développement capitaliste, un pays extrêmement arriéré qui règne sur le premier empire colonial au monde (auquel s’adjoint en 1580 l’Empire portugais, immense lui aussi).

    L’Empire 'espagnol’ recule inexorablement en Europe. Le Portugal, royaume indépendant (et uni-national) depuis le 12e siècle, résiste à la domination castillane : il reconquiert son indépendance en 1640. Aux Pays-Bas, les provinces du Nord (les Pays-Bas actuels, ou ‘Hollande’) se soulèvent dans une révolution bourgeoise (et aristocrate-moderniste) sous le drapeau de la Réforme calviniste : dès 1580, elles sont indépendantes de fait (‘République des Provinces-Unies’), bien que cette 800px-Battle_of_Gibraltar_1607.jpgindépendance (comme celle du Portugal) ne soit officiellement ‘sanctionnée’ qu’au traité de Münster, en 1648.

    Surtout, au terme de ce "Siècle d'Or" que l'on peut considérer révolu au milieu du 17e siècle, la Castille qui a achevé la "Reconquista", unifié politiquement la péninsule et "découvert" les Amériques n'a pas su mettre à profit cet imperium mundi pour s'ériger en PUISSANCE ÉCONOMIQUE, en véritable CENTRE DIRIGEANT de la production capitaliste ibérique. Les territoires/nations plus avancés au départ (Pays catalans) et ceux qui bientôt (Pays Basque, côte nord-atlantique) "boomeront" en lien avec les deux grandes puissances économiques européennes de l'époque ("France" et Angleterre) vont alors définitivement lui damer le pion. C'est là une donnée fondamentale pour comprendre tout le reste.

    Les possessions sont également grignotées par la ‘France’ (actuel Nord-Pas-de-Calais, Franche-Comté, Roussillon) ; puis, lorsque le petit-fils de Louis XIV (héritier par sa grand-mère du trône ‘espagnol’) devient roi sous le nom de Philippe V de Bourbon, par la coalition anti-française de la Guerre de Succession d’Espagne (1701-14) : au traité d’Utrecht qui y met fin, les ‘Pays-Bas’ (Belgique), Naples et la Sicile passent à l’Autriche (les deux derniers seront récupérés en 1738, mais la perte des Pays-Bas est le ‘coup de grâce’), et la Sardaigne au Piémont-Savoie (qui devient l’État le plus puissant d’Italie du Nord, et réalisera l’Unité italienne au siècle suivant).

    Cette Guerre de Succession, et le changement dynastique qui en est à l’origine, marquent un véritable tournant dans l’histoire de l’État espagnol : c'est la naissance de deux phénomènes structurels pour cet État jusqu’aujourd’hui.

    Philippe V roi-espagneD’abord, la montée sur le trône d’un petit-fils de Louis XIV scelle une alliance de sang indéfectible du royaume ibérique avec l’État moderne français, ‘ennemi héréditaire’ encore quelques décennies auparavant. Mais une alliance qui, de par le développement inégal des forces productives et la supériorité de celles-ci en ‘France’, fait que la monarchie espagnole devient en réalité la vassale de sa cousine française. Son Empire colonial devient un ‘relais’ de l’Empire français ; ainsi, lorsque la France perd la Guerre de Sept Ans (1756-63) face à l’Angleterre, elle perd la quasi-totalité de son ‘bel’ Empire colonial, mais la Louisiane est simplement ‘transférée’ à l’Espagne : une ‘sanction’ qui n’en est pas une, la Louisiane reste française de facto. Cette situation perdure après la Révolution bourgeoise en ‘France’, et même à l’époque impérialiste des monopoles : c’est ainsi que Paul Lafargue, gendre de Marx et introducteur du marxisme en ‘France’, est né en 1842 à Cuba (alors colonie 'espagnole'), d’un couple de ‘français’ (bordelais) qui y étaient installés ; que le Maroc sera tranquillement ‘partagé’ entre les deux pays dans les années 1900 (et la ‘France’, avec Pétain, viendra en 1925 prêter main forte à son malheureux vassal, malmené par les Berbères du Rif) ; ou encore que la Guinée équatoriale (colonie espagnole) sera toujours de fait un ‘appendice’ du Gabon, et fait aujourd’hui totalement partie de la Françafrique (avec le franc CFA etc.). De même, si l’on compare sur ces trois siècles, jusqu’à la fin du 20e, l’évolution politique de l’État espagnol et de son grand voisin du Nord, les parallèles sont saisissants. Même sous la Révolution bourgeoise hexagonale, l’Espagne, qui reste une monarchie absolue, n’est en guerre contre la ‘France’ révolutionnaire que deux ans (1793-95 sous la Convention et la Terreur, après l’exécution de Louis XVI) ; elle redevient ensuite son alliée. Et malgré l’aide décisive que lui aura apporté Hitler, et les supplications de ce dernier, Franco restera neutre en 1940 et refusera catégoriquement d’entrer en guerre contre la ‘France’ (en avançant volontairement des revendications territoriales inacceptables pour les nazis, qui devaient aussi ménager Vichy).

    Le Portugal, au demeurant, connaîtra après le traité d’Utrecht la même situation, mais vis-à-vis de l’Angleterre, comme l’expose bien Lénine dans L’Impérialisme.

    260px-Decreto-nueva-planta-reino-mallorca.jpgEnsuite, c’est juste à la sortie de la Guerre de Succession (et alors qu’une grande partie des aristocraties et des bourgeoisies des différentes nations, en particulier en Aragon et Catalogne, avaient soutenu le prétendant habsbourgeois au trône), que suivant le ‘modèle’ de ses cousins d’outre-Pyrénées, Philippe V de Bourbon va mener une politique de centralisation autoritaire à travers les Décrets de Nueva Planta (‘nouvelle base’, 1707-16).

    Jusque là, en effet, s’il y avait bien un royaume d’Espagne ou ‘des Espagnes’ (on employait généralement le pluriel), la Castille, le León, l’Aragon et la Catalogne, ainsi que la Navarre et les provinces vascongadas (basques) continuaient à former des entités juridiques distinctes, avec leurs Cortes (Generalitat en Catalogne) et leurs gouvernements distincts, leurs lois et coutumes propres (fueros) etc. ; de même que continuaient à exister sur le papier un ‘royaume de Valence’, un ‘royaume de Majorque’, une 'principauté des Asturies' etc. etc., voire même, en Andalus 're'-conquise, un ‘royaume de Grenade’ (présent sur le blason de la monarchie, encore aujourd’hui sur l’écusson du drapeau ‘espagnol’), un ‘royaume de Murcie’ ou encore ‘de Séville’. On parlait, pour désigner ce système, de polysynodie [voir ici une carte des différents royaumes et principautés].

    Il y avait ‘les Espagnes’, unies par leur souverain commun, la défense du catholicisme et leurs ‘destinées universelles’ outre-mer ; mais selon les mots d'un jésuite du 17e siècle (Baltasar Gracián), "dans la Monarchie d'Espagne, où les provinces sont multitude, les nations différentes, les langues variées, les inclinations opposées et les climats contrastés, il est nécessaire une grande capacité pour la conserver, et d'autant plus pour l'unir". D'ailleurs, à cette époque, les seules véritables contestations de l'autorité centrale étaient la résistance anticoloniale (morisque) en Andalousie et la révolte des communes... de Castille (comuneros) contre Charles Quint, souverain germano-flamand qui tendait à ne régner que par et pour l'Allemagne et la Flandre. Nada en Catalogne (sinon le bref mouvement des Germanías à Valence et corpus de sang Antoni Estruchdans les Baléares), ni au Pays Basque... Les 'problèmes' ne commencent que vers 1640 (première politique centraliste du comte-duc d'Olivares) avec la sécession du Portugal et, quelques années durant (1640-52), de la Catalogne qui proclame la 'république' (au sens de l'époque : sa constitution en nation souveraine) avec Pau Claris et s'allie à Louis XIII (proclamé 'comte de Barcelone') [des soulèvements séparatistes similaires éclateront également à la même époque en Andalousie (ici en castillan), en Navarre et en Aragon ainsi que dans la lointaine possession italienne de Naples].

    La Generalitat récidivera pendant la Guerre de Succession, soutenant le prétendant habsbourgeois et ouvrant ses ports aux coalisés ; ce qui lui vaudra justement (avec toute l'ancienne Couronne d'Aragon) le terrible châtiment des Bourbons victorieux.

    Tout cela cesse d’exister avec la Nueva Planta ; sauf en Navarre et dans les ‘Vascongadas’ (les trois autres provinces basques : Bizkaia, Gipuzkoa et Alava), où les assemblées et les fueros locaux sont maintenus jusqu’à l’époque isabellienne (1833, lorsque le ministre Javier de Burgos parachève l’œuvre centralisatrice avec sa division provinciale sur le ‘modèle’ des départements ‘français’).

    Est-ce un hasard ? Les terres et les populations qui se sont montrées ‘déloyales’ envers Philippe V sont celles où, déjà lors de la constitution du royaume, le développement (capitaliste) des forces productives était le plus avancé : les terres catalanes... Sans doute pressentaient-elles, à juste titre, le dur impact du 'modèle' absolutiste français sur la large autonomie dont elles jouissaient jusqu'alors.

    Sitio-barcelona-11-septiembre-1714

    DE FAIT, la centralisation castillane autoritaire qui se met alors en place va devenir l’élément essentiel du ‘système espagnol’ jusqu’à nos jours, encore plus à travers l’époque des révolutions bourgeoises et - fondamentalement - lorsque la péninsule, comme le reste du monde, entrera (dans le dernier tiers du 19e siècle) dans l’époque de la révolution prolétarienne. Un système que l’on peut, finalement et en dernière analyse, qualifier de ‘Sainte Alliance miniature’. En effet, en termes de niveau des forces productives et de développement de la classe révolutionnaire (bourgeoisie libérale puis prolétariat), l’‘Espagne’ a une structure en ‘donut’ : les régions économiquement avancées, avec la plus importante bourgeoisie et (par suite) le plus important et conscient prolétariat, sont sur le pourtour, sur les côtes atlantiques et méditerranéennes. Au centre géographique exact (la ville fut choisie précisément pour cela au 16e siècle) il y a la métropole madrilène, centre industriel et d’affaires, avec également un important prolétariat. Mais tout autour, sur des centaines de kilomètres... c’est le ‘vide’ économique, un immense plateau agro-pastoral, la Meseta (Vieille- et Nouvelle-Castille, León) à laquelle on peut ajouter la vallée de l’Èbre en amont de Saragosse, y compris le sud d’Euskal Herria : un monde rural traditionnel fermement encadré par la propriété foncière et l’Église, aux mentalités politiques conservatrices (mais où le patriciat grand-bourgeois madrilène peut impulser un peu de progressisme quand même). Et ce sont pourtant, au contraire de tous les grands États modernes/contemporains, ces territoires les plus arriérés économiquement (encore aujourd’hui, et très nettement jusqu’aux années 1970) qui tiennent l’appareil politico-militaire 'Espagne’ ; exactement comme la Russie et l’Autriche-Hongrie guardiacivildans le système européen de la ‘Sainte Alliance’, entre 1815 et 1848. Car ils sont en réalité, sous la coupe de leur aristocratie qui a suivi la ‘modernité’ en traînant des pieds et de leur bourgeoisie oligarchique, et bien sûr de l’Église catholique, une masse de manœuvre pouvant ‘voler à la rescousse’ de la grande bourgeoisie ‘du pourtour’, lorsque (hier) la révolution bourgeoise se faisait un peu trop ‘radicale’ (sous l’influence d’éléments petits-bourgeois), et (aujourd’hui et depuis la fin du 19e siècle) lorsque se lève le vent de la révolution prolétarienne. Le ‘système Espagne’ est en réalité un ‘cartel’ d’oligarchies (grand-bourgeoises et aristocrates ‘modernisées’), avec des ‘centres’ économiques sur tout le pourtour (Barcelone, Bilbao, Santander, Oviedo- Gijón, La Corogne, le triangle Séville-Cadix- Málaga, Murcie-Carthagène, Valence) plus Madrid, et dont l’armée de secours est la Meseta et la haute vallée de l’Èbre, (semi-) féodales, cléricales et arriérées : la Castille, en dernière analyse, est la forteresse de la Réaction ibérique comme les Empires du tsar et de Metternich dans l'Europe post-Waterloo ; tel est le fondement (et le seul) de sa prééminence politique. [Lire à ce sujet cette intéressante analyse de Sartre à partir du cas du Pays Basque] [Pour illustrer ce qui vient d'être dit, l'on peut aussi regarder la carte de provenance des guardias civiles par province (nombre d'individus devenus gardes civils pour 1.000 naissances)]

    Bien sûr, tout cela ne va pas sans contradictions (parfois explosives) entre ces ‘centres’ de pouvoir, et ne se vérifie pas exactement à chaque épisode de l’histoire péninsulaire ; mais la tendance fondamentale est celle-ci.

    Tutelle de la ‘France’ (très nette jusqu’aux années 1970 voire 1980) et centralisation castillane autoritaire dans un système de ‘mini-Sainte-Alliance’, telles sont les deux spécificités fondamentales de la réalité politique ‘Espagne’. Si l’on ne comprend pas cela, on ne peut strictement rien comprendre à l’‘Espagne’ des 300 dernières années (autrement dit, de l’époque des révolutions bourgeoises puis de la révolution prolétarienne).

    À ce stade, donc, avec les Décrets de Nueva Planta, l’on peut considérer que la construction de l’‘Espagne’ comme État moderne est parachevée (... sous la ‘suzeraineté’ de l’État moderne ‘français’ voisin).

    'Espagne 1748La mutation de l’État moderne espagnol en État contemporain est un processus que l’on peut faire débuter sous le règne de Charles IV, contemporain de la Révolution bourgeoise française (et successeur du ‘despote éclairé’ Charles III), et s’achever à l’avènement d’Alphonse XII (1874), qui promulgue une Constitution et met fin aux guerres carlistes (1876). Cette période va ‘brouiller’ quelque peu ce qui vient d’être exposé plus haut car, pour le coup, le système de ‘Sainte Alliance’ conservatrice sous la botte castillane va entrer en contradiction avec l’autre aspect, la tutelle de la ‘France’ qui est à cette époque le ‘phare’ et le ‘métronome’ des bouleversements politiques mondiaux. Pour faire simple, il suffira de dire de regarder vers le Nord : une ‘France’ conservatrice, c’est (quasi simultanément) une ‘botte castillane’ qui agit dans un sens conservateur ; une ‘France’ libérale, ‘progressiste’, c’est une Castille qui pousse l’‘Espagne’ sur le chemin de la modernité capitaliste.

    Lorsque, donc, éclate la Grande Révolution bourgeoise ‘française’ en 1789, Charles IV de Bourbon vient de monter sur le trône (1788). Il reste au début passif, voire bienveillant envers les évènements qui se déroulent au nord des Pyrénées : fils du ‘despote éclairé’ Charles III, il est lui-même un monarque ‘libéral’. Il ne se joint pas à la coalition absolutiste qui, en avril 1792, déferle sur la ‘France’ révolutionnaire. Il n’entre en guerre contre elle que début 1793, lorsque la Convention fait guillotiner Louis XVI : cette fois, le symbole va beaucoup trop loin pour toute tête couronnée qui se respecte ; mais ses armées ne joueront pas de rôle militaire vraiment décisif. Lorsque la ‘folie’ jacobine est enfin conjurée, en 1795, il redevient son allié – indéfectible. C’est une escadre ‘franco’-‘espagnole’ qui affrontera, par exemple, la flotte anglaise de Nelson à la célèbre bataille navale de Trafalgar. En réalité, Charles IV est un monarque ‘faible’, sous l’influence d’un parvenu, le ‘favori’ Manuel Godoy, favorable à la révolution bourgeoise française.

    Goya3mayoNapoléon, premier consul depuis 1799 et auto-couronné empereur en 1804, peut donc penser que le ‘vassal’ du Sud va tranquillement ‘évoluer’, en ‘suivant le mouvement’ de la Grande Révolution bourgeoise qu’il est en train de répandre à travers toute l’Europe. Mais les choses piétinent, notamment face à l’opposition de l’héritier Ferdinand, farouche contre-révolutionnaire, traditionnaliste, absolutiste et partisan de Louis XVIII. Suite à un coup de force que tente celui-ci, avec l’appui de l’aristocratie conservatrice, contre son père et Godoy, Napoléon dépose tout ce beau monde (expédié en France) et installe directement son propre frère aîné, Joseph Bonaparte, sur le trône. Celui-ci commence immédiatement à prendre les ‘mesures’ révolutionnaires bourgeoises (refonte de l’administration, du droit etc.) que son cadet a déjà imposé à la ‘France’ et à une bonne partie de l’Europe. Mais cette fois, la ‘suzeraineté’ française se fait beaucoup trop ‘concrète’ et visible : c’est clairement une occupation étrangère. La réaction nationaliste est unanime, panibérique. Au Nord et à l’Ouest, elle est principalement conservatrice, traditionaliste, catholique, hostile aux ‘idées nouvelles’ et aux ‘réformes’ bourgeoises importées par les ‘Français’ ; au Sud et à l’Est, en revanche, elle est libérale, parfois même libérale ‘avancée’ (mais ‘hispaniste’, hostile à la domination étrangère), et adopte en 1812 la Constitution de Cadix – qui deviendra le ‘Graal’ des libéraux et des progressistes pour plus d’un siècle. Avec l’appui de son ‘suzerain’ britannique, le Portugal quant à lui résiste aux assauts napoléoniens. Les cinq ans de conflit qui s’ensuivent sont véritablement le ‘Vietnam’ de Napoléon, aux affrontements ‘conventionnels’ avec les troupes anglo-portugaises et ‘espagnoles’ bourbonistes s’ajoutant une  ferdinandVII.jpgguerre de guérilla (le terme naît à cette occasion) qui éreinte l'armée d'occupation ; l'Empereur reconnaîtra lui-même avoir sans doute plus perdu la guerre en ‘Espagne’ qu’en Russie.

    De retour sur le trône, Ferdinand (VII) balaye d’un revers de main la Constitution de Cadix que lui présentent les libéraux : il entend régner en monarque absolu et ‘très catholique’, et arrime son régime de terreur blanche à la Sainte Alliance de Metternich et à la Restauration française de Louis XVIII, qui l’aide, en 1823, à écraser le soulèvement andalou constitutionnaliste de Riego (celui-ci devient un martyr et un mythe de la gauche bourgeoise ibérique). Mais en 1830, la Restauration cède la place à la Monarchie libérale de Juillet, et Ferdinand meurt en 1833. Lui succède sa fille Isabelle, âgée de… 3 ans. La Monarchie de Juillet, épaulée par l’autre ‘puissance libérale’ de l'époque, l’Angleterre (qui a plus combattu l’expansionnisme de la Révolution française que ses idées elles-mêmes), va imposer à la régente Marie-Christine et à son aide de camp, Espartero, de ‘moderniser’ le pays en brisant les résistances aristocratiques, cléricales, et des derniers fueros : les fueros ‘basco-navarrais’, épargnés par les Décrets de Nueva Planta. Ces forces (aristo-cléricales et basques) vont alors soutenir le frère de feu Ferdinand VII, Charles, prétendant au trône (invoquant l’impossibilité pour une femme de régner…) : c’est la première Primera_Guerra_Carlista.jpgguerre carliste (1833-46), dans laquelle la France et l’Angleterre (avec son ‘vassal’ portugais) interviennent en faveur des modernistes isabelliens, qui remportent finalement la victoire. Une Constitution de 1812 ‘édulcorée’ est adoptée (1837).

    La politique intérieure du royaume suivra alors les ‘coups de barre’ à ‘gauche’ ou à ‘droite’ de Paris, sous la conduite de caudillos militaires tantôt ‘libéraux-progressistes’ (Espartero, Prim, Serrano), tantôt ‘modérés-conservateurs’ (Narvaez, O’Donnell). Lorsqu’un pronunciamiento libéral (Prim et Serrano) dépose finalement Isabelle II en 1868, peut-être à la faveur de l’évolution très libérale du Second Empire à ce moment-là, Napoléon III réussit à ‘placer’ sur le trône un prince allié, Amédée de Savoie, fils du roi d’Italie (bien que les putschistes aient envisagé, un temps, de couronner un Hohenzollern, ce qui ‘nourrira’ le contentieux franco-prussien pré-1870).

    Dans le contexte de ‘flou artistique’ qui règne à Paris, entre monarchistes et républicains, après la défaite de 1870-71 et la chute de l’Empire, la guerre carliste reprend, chaque camp ‘français’ soutenant son ‘champion’ : le prétendant carliste parvient à contrôler un tiers du territoire étatique. Il y aura à ce moment-là une ‘Ière République’ (1873-74), mais c’est en réalité plus une junte militaire libérale alfonso_xii1.jpgd’urgence, suite à la démission précipitée d’Amédée, qu'autre chose. Lorsque les choses, en ‘France’, commencent à se ‘décanter’ en faveur des républicains modérés (les jeunes monopoles ayant choisi leur camp), le carlisme perd du terrain ; finalement, l’héritier légitime Alphonse XII est couronné (1874), met fin à la guerre carliste et proclame une nouvelle Constitution encore une fois, du ‘1812 édulcoré’ en 1876. Ayant ‘présenté sa candidature’ aux Cortes de l’oligarchie et à la junte ‘républicaine’ comme celle d’un prince catholique, espagnol, constitutionnaliste, libéral et désireux de servir la Nation’’, il reçoit le titre de Pacificateur. À ce stade (ère alphonsine, 1874-1931), l'on peut considérer comme achevée la mutation de l’Espagne’ en État contemporain : une monarchie libérale, constitutionnelle, avec un Parlement (Cortes) où s’affrontent des libéraux et des conservateurs, et… totalement en phase avec la ‘république des notables’, du ‘juste milieu’, qui règne alors à Paris. Cette période voit une première grande phase de modernisation capitaliste du pays – et, à vrai dire, sa première véritable révolution industrielle.

    Porté par cette conjoncture économique favorable (malgré la grave crise de la perte des dernières colonies, face à l’impérialisme US, en 1898), le régime ‘gère’ efficacement les contradictions au sein de la classe dominante, qu’elles soient nationales ou ‘progressistes’/conservateurs.

    barcelona1900Mais le capitalisme mondial est entré, en même temps que se parachevait l’État contemporain, dans l’époque des crises générales du capitalisme et des monopoles, et donc, dans l’époque de la révolution prolétarienne : le mouvement ouvrier, prolétaire rural et paysan-pauvre se développe à grande vitesse ; le Parti socialiste (PSOE) naît en 1879, tandis que se développe (surtout en Catalogne industrielle et dans le prolétariat/semi-prolétariat rural du Sud) un mouvement anarcho-syndicaliste qui devient en 1910 la CNT. De leur côté, prises entre la classe dominante (qui a trouvé son équilibre) et ce mouvement ouvrier-paysan en pleine expansion, les couches moyennes (intellectuels, petits fonctionnaires, petits notables locaux, petits entrepreneurs, paysans moyens etc.) abandonnent le ‘libéralisme avancé’ du 19e siècle et s’ouvrent à l’idée républicaine (qui fait son chemin, en fait, depuis l’éphémère et mouvementée ‘Ière République’ de 1873-74), sur une ligne ‘positiviste’ proche du radicalisme ‘français’, ou sur une ligne ‘démocratique et sociale’ (et, bien sûr, sur une ligne 'fédéraliste' dans les nations non-castillanes). Et puis, ‘locomotive’ économique de la péninsule dans le contexte de développement accéléré des forces productives, la grande bourgeoisie catalane commence à se réaffirmer face à Madrid, avec la Ligue régionaliste (plutôt ‘libérale-conservatrice’, ancêtre net de la CiU actuelle) formée en 1901, arrachant en 1913 un relatif statut d’autonomie administrative (la Mancommunauté) ; tandis qu’à l’autre bout des Pyrénées, le Parti nationaliste basque (PNV-EAJ), très ‘réac’ - mais nettement plus bourgeois que son prédécesseur carliste, naît en 1895.

    Au milieu de tout cela, il faut bien comprendre que la 'révolution bourgeoise' hispanique, tardive, est une révolution bourgeoise inachevée (comme en Italie, par exemple) : la bourgeoisie, faible et craignant le débordement par les masses - ou même par sa propre aile 'radicale', a laissé subsister de manière très importante les forces féodales (Église bien sûr, grande propriété foncière, aristocratie 'de Cour' qui forme une oligarchie bureaucratique, aristocratie militaire, etc.), ce qui est un aspect structurant de l'État contemporain espagnol encore aujourd'hui.

    segunda-republica-1Avec la Révolution bolchévique de 1917, l’entrée dans la première vague de la Révolution prolétarienne mondiale fait à nouveau ‘exploser’ les contradictions de classe (trienio bolchevique - "trois années bolchéviques" 1918-21, notamment en Andalousie) et au sein de la classe dominante. C’est ainsi qu’en 1923, Alphonse XIII remet le pouvoir au général pronunciamientiste Primo de Rivera, qui suspend la Constitution de 1876 et instaure un ‘premier fascisme espagnol’ (inspiré du ‘modèle’ italien), régime autoritaire, contre-révolutionnaire et bien sûr centralisateur castillan (constante de la réaction ibérique) ; mais sachant aussi manier la ‘carotte’ des réformettes sociales. Il ne parvient cependant pas à ‘gérer’ les contradictions sociales et inter-bourgeoises explosives, les mouvements populaires qui ont le soutien de la ‘gauche’ bourgeoise républicaine et progressiste etc., et il jette l’éponge en 1930. Dans un contexte social semi-insurrectionnel, les républicains et les socialistes triomphent aux municipales d’avril 1931 : le roi abdique, la République est proclamée.

    La suite des évènements est connue : cinq années d’affrontements aigus entre d’un côté le mouvement ouvrier-paysan, les sociaux-démocrates, les marxistes, les anarchistes et la ‘gauche républicaine’ bourgeoise, de l’autre les réactionnaires, possédants, cléricaux, monarchistes et de plus en plus de républicains ‘modérés’ conservateurs ; puis la victoire (février 1936, deux mois avant celle - annoncée - de son équivalent hexagonal) d’un Front populaire progressiste (PCE, PSOE, gauche républicaine, syndicats réformistes et révolutionnaires) et, cinq mois plus tard, le pronunciamiento réactionnaire-fasciste de Sanjurjo, Mola et Franco. À Paris, les radicaux au pouvoir sont plutôt favorables aux républicains, d’idéologie finalement assez proche, mais la ‘droite dure’, qui monte en puissance et s’agite face au ‘bolchévisme’, est évidemment favorable à une ‘reprise en main’, militaire si besoin est. Les anti-républicains de la péninsule se tournent vers Hitler et Mussolini, qui ont ‘terrassé le péril rouge’ dans leurs pays respectifs.

    general franco la clauAborder la question de la guerre civile antifasciste, des contradictions inter-impérialistes qui l’ont sous-tendue, des contradictions et des erreurs du camp républicain/révolutionnaire et du mouvement communiste international qui le soutenait, prendrait des pages et des pages : ce ne sera pas le sujet ici. Il y a, en castillan, cet article publié sur Dazibao Rojo qui en donne un aperçu intéressant ; traduit par SLP sur sa page Facebook.

    franco.jpgArrivé au pouvoir avec le soutien d’Hitler et Mussolini, Franco, tout en mettant en place une terreur blanche effroyable contre les révolutionnaires et les républicains progressistes (centaines de milliers d’exécutions jusqu’au milieu des années 1940), ne s’engagera cependant pas à leurs côtés dans la Seconde Guerre mondiale. Ce qui lui permettra, après 1945, de prendre toute sa place dans le ‘dispositif’ anticommuniste du ‘monde libre’... encore une fois, sous le bienveillant ‘parapluie’ de l’impérialisme français, bien que celui-ci (pour faire bonne mesure ? pour avoir deux fers au feu ?) héberge également l’opposition (modérée) en exil. Dans les années 1960, De Gaulle et Franco sont ‘copains comme cochons’. L’époque voit, surtout à partir de 1957 (avec les ‘technocrates’ de l’Opus Dei), une nouvelle grande vague de modernisation, qui se poursuivra jusqu’aux années 2000. Mais cette modernisation, en plus de se heurter à l’opposition antifasciste populaire (qui ne pardonne pas l’assassinat de la République et de centaines de milliers de révolutionnaires, démocrates et progressistes), profite une nouvelle fois surtout au pourtour et voit monter les affirmations nationales des bourgeoisies, supportant de moins en moins la centralisation castillane autoritaire (qui n’a plus vraiment lieu d’être...).

    rey principalÀ la mort du dictateur fasciste, son successeur désigné, Juan Carlos de Bourbon, devient roi et amorce un processus de libéralisation, autorisant les partis réformistes (PSOE, PCE et quelques autres) et nationalistes bourgeois non-castillans (PNV, CiU) ) à sortir de la clandestinité. Alors que le monde entre dans une nouvelle crise générale du capitalisme (mais qui frappe peu l’‘Espagne’, voire lui profite, grâce à son coût du travail relativement peu élevé ; ce qui n’empêche cependant pas un taux de chômage et de pauvreté structurellement élevé), et face à un mouvement révolutionnaire relativement faible (quoique plus fort qu’ailleurs, avec des organisations combattantes ML comme le FRAP ou les GRAPO, et bien sûr la lutte armée de libération basque, mais moins qu’en Italie à la même époque, par exemple), le pacte ‘espagnol’ des bourgeoisies est refondé (avec le système des ‘autonomies régionales’ etc.) et scellé dans la Constitution de 1978 ; les forces réformistes et Postal-S.R-viva-la-solidaridad-popular-001les nationalistes bourgeois (catalans, basques, galiciens, andalous etc.) intègrent le ‘système’, les ‘affaires’ (notamment immobilières, secteur très important) de chaque bourgeoisie nationale étant toujours ‘bien à l’abri’ sous le parapluie politico-militaire castillan. C’est l’État espagnol que nous connaissons aujourd’hui, dans lequel luttent au quotidien, affrontent la répression, croupissent au cachot, sont torturés et parfois meurent des milliers de révolutionnaires de toutes les nations constitutives. Son capitalisme, 'tiré’ par les locomotives catalane et basque ou encore cantabre (Banco Santander, première entreprise 'espagnole', 23e mondiale en 2012 et 13e en 2011, selon le classement Forbes Global), asturienne (Aceralia, une des composantes d'Arcelor) etc. a atteint un stade 'semi-impérialiste’, avec des monopoles importants, exportateurs de capitaux (l’hispanité est mobilisée pour se tourner vers les anciennes colonies latino-américaines, avec les 'sommets ibéro-américains’, annuels depuis 1991) ; mais reste néanmoins 'bien à l‘abri’ sous l'aile 'protectrice' de l’axe franco-allemand et de sa construction impérialiste UE, bien que José Maria Aznar (1996-2004) ait tenté un moment un alignement plus ‘atlantiste' (anglo-saxon). Depuis 2008, il est entré dans une crise économique est sociale sans précédent dans son histoire, et des mouvements populaires de type semi-insurrectionnel secouent la péninsule.


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  • (Première partie)

    3. LES CONTRADICTIONS NATIONS/ÉTAT ET LA LUTTE DES CLASSES

    front popularCela a déjà été dit à plusieurs reprises : l’État espagnol est sans doute l’espace géographique, en Europe, où existe la plus haute conscience populaire de ce que théorise SLP sur le rapport question nationale/lutte de classe, depuis maintenant plusieurs années : les grands États modernes, qui ont fourni au capitalisme et aux révolutions bourgeoises (les transformant en États contemporains) leur ‘cadre propice’ de développement et d’action, sont tous sans exception des États plurinationaux qui ont nié politiquement (et tenté de nier socialement et culturellement, au stade des monopoles) un ensemble de nations précédemment constituées ; et le ‘retour’ de ces nations niées à un niveau supérieur (sur une ligne politique révolutionnaire, sous la direction du prolétariat) est une composante intrinsèque du processus de la révolution prolétarienne (et non un épiphénomène ‘déplaisant’ avec lequel les révolutionnaires marxistes devraient, presque à contrecœur, ‘composer’).

    En ‘Espagne’, donc, la contradiction entre les nationalités et l’État qui les a absorbées, et surtout, le lien entre cette contradiction et la lutte des classes, ont toujours été à un niveau sans guère d’équivalent ailleurs ; et sont encore aujourd’hui ‘à la pointe’ européenne et occidentale sur la question.

    asturias1934.jpgDéjà dans les années 1930, les marxistes-léninistes venus de toute l’Europe, dépêchés par le Komintern pour ‘appuyer’ le jeune mouvement communiste en formation, avec leurs conceptions ‘kominterniennes’ d’un Lénine ou d’un Staline qui ne s’étaient jamais départis d’un certain jacobinisme, comprirent rapidement avec quelle réalité sociale ils allaient devoir ‘composer’. Ainsi, en Catalogne, la fédération locale du PCE sera amenée à former un Front, puis à fusionner en juillet 1936 (immédiatement après le pronunciamiento franquiste) avec la fédération du PSOE, l’Union socialiste de Catalogne et le Parti prolétaire catalan pour former le Parti socialiste unifié de Catalogne, tandis qu’un Parti communiste basque est créé en 1935. La gauche radicale et révolutionnaire était particulièrement ancrée en Catalogne et dans le Pays valencien (où s’installeront les institutions républicaines), au Pays Basque côtier (urbain et industriel) qui deviendra République d’Euzkadi, en Andalousie, en Cantabrie et dans les Asturies (théâtre d’une puissante insurrection ouvrière en 1934, contrôlant plusieurs milliers de km² pendant plusieurs semaines ; en 1937, dernier territoire du Nord à résister aux franquistes, elles tenteront de proclamer leur indépendance sous la conduite du socialiste Belarmino Tomás) ; cela sans jamais se départir d’un profond sentiment national. En revanche les nations galicienne et léonaise, la Vieille-Castille – où s’installe le gouvernement franquiste, à Burgos – et le Pays Basque navarrais et alavais seront des bastions contre-révolutionnaires...

    Aujourd’hui, il n’existe pas de courant politique indépendantiste ou ‘confédéraliste’ qui soit ‘de droite’ : tous sont – à minima – sur une ligne réformiste radicale, sinon révolutionnaire anticapitaliste. La droite modérée – présente dans toutes les nations ou presque – est au mieux autonomiste, comme d’ailleurs la social-démocratie (déclinaisons du PSOE et d’IU dans chaque ‘communauté autonome’), même si en Catalogne (CiU) et au Pays Basque (PNV) la contradiction de la puissante www.mineros-con-las-banderas-de-Asturiias-y-Leon-2.jpgbourgeoisie avec l’État madrilène peut aller jusqu’au ‘chantage à la sécession’. La ‘droite radicale’ PP et l’extrême-droite néo-franquiste sont profondément espagnolistes. Et ‘dans l’autre sens’, il n’y a pratiquement aucun individu, aucun groupe (fut-il simplement de musique) ayant une ‘conscience sociale avancée’ et a fortiori une conscience anticapitaliste, qui n’intègre des éléments de ‘réaffirmation nationale’. ‘Frères’ de nos ‘thoréziens’ façon URCF, PRCF ou Coordination communiste, amis internationaux du PTB, du KKE, des PC cubain ou vietnamien, bref, dans cette ‘mouvance-là’, les révisionnistes ‘orthodoxes’ du PCPE (qui ont scissionné du PCE ‘eurocommuniste’ en 1984, avec l’appui soviétique et cubain) mettent en avant ‘sans complexe’ le mot d’ordre de ‘République confédérale socialiste’ (la République est évidemment un autre grand mot d'ordre incontournable pour toute personne progressiste, puisque c’est sous cette forme institutionnelle que ‘l’espoir a été assassiné’ en 1936-39 : il n’y a pas de force révolutionnaire ni même sincèrement réformiste qui ne revendique le rétablissement de la République). 

    Il y a évidemment à cela des raisons de culture politique historique : ‘droite’ = Franco = centralisation castillane autoritaire. Mais ces ‘raisons historiques’, à moins de considérer que l’histoire ‘flotte dans les airs’, sont en réalité indissociables de la base matérialiste fondamentale sur laquelle l’’Espagne’ s’est construite comme État moderne, puis comme État contemporain dans lequel se déroule présentement la lutte des classes.

    Là sont les raisons historiques de la situation objective. Sur le plan subjectif, c’est-à-dire de la conscience élevée que les masses populaires en ont, les raisons sont également matérialistes historiques : la bourgeoisie, on l’a dit, a toujours été historiquement faible, elle l’était déjà lorsque l’État s’est formé par un mariage féodal, et n’a pas pu profiter de la colonisation des Amériques pour se développer (la richesse produite étant captée par l’aristocratie coloniale pillarde, la splendeur de la Cour, les Pays-Bas privilégiés par Charles Quint, l’Église et les besoins de la Contre-Réforme etc.). Elle n’a, à vrai dire, jamais rien pu entreprendre de sérieux (au regard de QUESTIONS NATIONALES ET LUTTES DE CLASSE : L’ÉTAT ESPAGNOL (suite)l’histoire) sans le renfort d’une frange aristocratique ‘éclairée’, moderniste. Et surtout - de ce fait même - elle n’a pas connu l’émergence d’une bourgeoisie dominante, qui aurait imposé sa langue et sa culture aux autres bourgeoisies nationales puis, de là, à l’époque des monopoles, aux masses populaires. Les tentatives ont bien existé, au 18e siècle sur le ‘modèle français’, sous Primo de Rivera, puis sous Franco ; sous ce dernier, le castillan s’est effectivement répandu dans toute la péninsule comme langue véhiculaire et ‘d’usage public’ (puisqu’il était interdit d’en parler publiquement une autre) ; mais globalement, cela n’a jamais ‘pris’. Si bien que les langues, les cultures et les sentiments nationaux sont toujours bien vivants ; la centralisation castillane est le ‘pilier’ de l’ordre établi, mais un ‘pilier’ strictement politico-militaire : malgré la férocité - et la durée - de la répression franquiste, aucune nation ibérique ne connaît le niveau d’aliénation culturelle, de perte de conscience d’elle-même que connaissent les nations d’Hexagone après 200 ans de bonapartisme et de ‘République une et indivisible’. Toute personne un tant soit peu ‘éveillée’ et progressiste en ‘Espagne’ comprend parfaitement la fonction historique et actuelle de l’‘espagnolisme’ ; alors qu’en ‘France’, non seulement le rôle de l’idéologie ‘républicaine’ et ‘française’ est incompris, mais il est de surcroît célébré et défendu, et les affirmations nationales, même sur la ligne la plus prolétarienne et révolutionnaire qui soit, sont rejetées comme du ‘fascisme masqué’, de l’‘identitarisme de gauche’ etc. etc...  

    canarias.jpgCela ne veut pas dire, bien entendu, que tout cela n’ait jamais rencontré de résistances, dans un mouvement communiste dont les dogmatismes obtus sont le cancer latent, toujours prêt à dégénérer : Argala décrivait fort bien ce mélange de ‘nihilisme national’ (au cri de : ‘les prolétaires n’ont pas de patrie !’) et d’espagnolisme objectif, qu’il avait tant de fois rencontré dans son parcours militant.

    Fondamentalement, deux territoires/populations peuvent sembler faire mentir la théorie du ‘donut Sainte-Alliance’ ; mais il faut, en réalité, simplement étudier la question de plus près : il s’agit du ‘Grand Sud’ Andalousie-Murcie (et, plus largement, des terres mozarabes au sud du Tage et de Valence), et de la nation basque.

    Le ‘Grand Sud’ est un territoire d’une arriération économique qui, encore aujourd’hui, évoque plus l’Amérique latine qu’une région d’Europe. Il devrait donc, logiquement, faire partie de la ‘masse de manœuvre’ conservatrice/réactionnaire.

    Mais la région du Bas-Guadalquivir (Séville, Cadix) a aussi été, de la fin du 15e au début du 19e siècle, le ‘grand port’ ibérique vers les Amériques, point de départ le plus proche pour les Canaries (d’où l’on ‘prenait’ ensuite l’alizé jusqu’aux Caraïbes) ; bien qu’à partir de Charles Quint, elle radicales1ait souffert de la concurrence d’Anvers (privilégiée par le souverain flamand). Ceci a donné naissance à une bourgeoisie réduite, mais offensive, plongeant en partie les racines de son ‘humanisme’ dans l’héritage d’al-Andalus : ce n’est pas un hasard si la première Constitution de l’histoire ibérique (1812) fut adoptée à Cadix. Voilà pour l’aspect révolutionnaire bourgeois. Du côté des masses populaires (essentiellement paysannes très pauvres), la réalité sociale sous l’État espagnol a souvent été perçue – non sans raison – comme une réalité coloniale : terre de ‘reconquête’ tardive (entre le 13e siècle et 1492), le ‘Grand Sud’ a vu la liquidation de tous les éléments porteurs d’un peu de développement économique et d’‘esprit moderne’ (juifs, musulmans, puis ‘marranes’ et ‘morisques’), et le ‘plaquage’ d’une aristocratie terrienne (ou, souvent, d’une grande propriété ecclésiastique) vieille-castillane sur le ‘substrat’ populaire mozarabe… Ceci donnera naissance à une masse rurale ultra-pauvre, réellement semi-prolétarienne – évoluant, par la suite, vers le prolétariat rural. D’où, historiquement, un fort sentiment populaire anti-castillan (y andalucia es mi paiscompris dans le Sud de la Nouvelle-Castille, la Mancha) et un fort ‘particularisme’ valencien vis-à-vis de la Catalogne ; un fort sentiment anticlérical (catholicisme imposé de force aux masses musulmanes, juives ou ariennes) ; et une forte conscience politique progressiste : ‘libérale avancée’ voire – déjà – républicaine au 19e siècle (pour l’aspect bourgeois, les masses tendant alors à se ranger derrière le ‘libéralisme radical’ de la bourgeoisie, souvent issue de l’ancienne élite andalouse, ‘marrane’ ou ‘morisque’ ‘passée à travers’), culminant dans la ‘révolution cantonaliste’ de 1873-74 ; puis ‘républicaine sociale’, socialiste (l’Andalousie devient un ‘bastion’ du PSOE, créé en 1879), anarcho-syndicaliste et enfin marxiste-léniniste (pour l’aspect prolétarien). Le mouvement national andalou, fondé vers 1915 par Blas Infante, se pose d’entrée de jeu comme républicain fédéraliste, progressiste, démocratique, ‘socialisant’ (Infante avait même des sympathies pour l’anarcho-syndicalisme ; il sera finalement assassiné par la Phalange en août 1936). Pour se faire une idée du niveau de conscience et de lutte de classe en Andalousie, il suffit de regarder vers l’expérience étonnante de Marinaleda : sous la ‘transition démocratique’, des paysans pauvres ont occupé les terres de grands propriétaires fonciers autour de cette localité (ils sont toujours poursuivis en justice dans bien des cas...) et fondé une communauté agricole ‘socialiste’ autogérée. Sous la conduite de leur ‘maire’ (Juan Manuel Sánchez Gordillo), ils mènent à présent des opérations d’‘autoréduction’ (expropriation de nourriture et de produits essentiels dans les supermarchés, redistribués ensuite dans les quartiers populaires dévastés par la crise) dans la région...

    bietan_jarrai.jpgLe Pays Basque, lui, est à l’origine une terre de petite propriété paysanne libre, encadrée par des ‘lois’ locales séculaires (les fueros, lege zaharrak – ‘vieilles lois’ – en euskara) et un très important petit clergé catholique (l’anticléricalisme y est une bizarrerie presque extra-terrestre). Au 19e siècle et jusqu’au début du 20e, il s’industrialise massivement (à partir, surtout, du centre principal de Bilbao). Sous le ‘despotisme éclairé’ du 18e siècle puis la période révolutionnaire bourgeoise (avec les guerres napoléoniennes et carlistes), ce sont plutôt les provinces intérieures (Navarre, Alava) et les campagnes en général qui sont ‘particularistes’, sur une ligne réactionnaire (traditionaliste, attachée au catholicisme et aux lege zaharrak). Les grandes villes (Bilbao, Donostia, Irùn) et les provinces côtières (Bizkaya, Guipuzkoa) sont dirigées par une bourgeoisie favorable au (relatif) ‘modernisme’ impulsé, le cas échéant, par Madrid (bien sûr, lorsque Madrid est réactionnaire gudarieguna.jpgcomme sous Ferdinand VII, ce sont les campagnes/intérieur qui lui sont sympathiques et la bourgeoisie urbaine/côtière qui ‘grogne’, mais sans mettre en avant – à l’époque – une affirmation nationale basque, sinon marginalement). Lorsque dans les années 1830-40, au regard de la situation objective en Europe capitaliste (avec ses deux centres dominants, Paris et Londres), ce traditionalisme historiquement dépassé constitue un obstacle, un frein au développement des forces productives de la péninsule et - par là - du continent tout entier, il va alors devoir par la force des choses disparaître, et c’est dans ce sens que va s’exercer l’autorité castillane avec l’appui de toutes les bourgeoisies nationales ibériques (y compris la basque) ; autorité qui prend garde, toutefois, à contenir les tendances trop ‘radicales’ de Catalogne et du Sud. Au regard du développement global, euro-méditerranéen du capitalisme et donc des forces productives, cela est progressiste comme pourra l’être la conquête de l’Italie méridionale par le Piémont ou même - expliqueront Marx et Engels - la conquête de l’Algérie par la ‘France’. Pour autant, cela n’en reste pas moins une oppression nationale qui voit forcément se lever une résistance ; même si celle-ci, à ce moment-là, est malheureusement réactionnaire, tournée vers le passé et donc ‘perdante’ : ‘paradoxe’ que seule la dialectique marxiste peut permettre de saisir.

    hasiMais cette réalité s’inverse totalement entre la fin de la dernière guerre carliste (1876) et le début de la guerre civile antifasciste (1936). Dès lors, et jusqu’à nos jours, ce sont les provinces côtières urbanisées qui sont le plus massivement abertzale sur une ligne progressiste radicale voire révolutionnaire, et les provinces rurales intérieures (surtout le Sud de l’Alava et de la Navarre) qui sont conservatrices/réactionnaires et… ‘espagnolistes’ (les carlistes, au demeurant, n’étaient nullement abertzale : ils luttaient pour une ‘Espagne’ unie mais traditionaliste, respectant les ‘vieilles lois’ médiévales des nations constitutives). Autrement dit, à travers le processus de la ‘révolution industrielle basque’ (qui correspond globalement à cette période), l’affirmation nationale a changé de camp : elle est passée de majoritairement rurale et ‘de droite’ à majoritairement urbaine et ‘de gauche’. Il faut dire que la petite paysannerie propriétaire, qui caractérisait la grande majorité de la société basque au 19e siècle, est entre temps devenue largement… classe ouvrière et a rencontré dans les quartiers ouvriers et les usines, au contact des travailleurs ‘immigrés’ méridionaux, les idées socialistes, marxistes ou anarcho-syndicalistes qui vont influencer l’abertzalisme (évolution exprimée notamment par la fondation en 1930 de l’Action Nationaliste BasqueEusko Abertzale Ekintza – sur une ligne socialiste, rompant avec le conservatisme catholique – évoluant, lui, vers la démocratie-chrétienne – du PNV et aujourd’hui… illégale en vertu de la ‘loi des partis’ de 2002, comme ‘soutien’ présumé du ‘terrorisme d’ETA’).

    Si l’on schématise, l’‘Espagne’ des guerres carlistes, du processus menant à l’État contemporain, c’est :

    guerre carliste- Au centre, la classe dominante madrilène, ‘aristocratie de Cour’ et grande-bourgeoisie, qui ‘pilote’ l’État ; avec ses tendances plus 'libérales avancées’ ou plus 'modérées-conservatrices’. Autour d’elle, la ruralité de la Meseta est sa ‘masse de manœuvre’.

    - La bourgeoisie de la côte nord-atlantique, qui est globalement dans le même schéma.

    - La ruralité du Nord, le long des chaînes pyrénéenne et cantabrique : Galice,  León, Vieille-Castille, Navarre et ‘Pays Basque intérieur’ en général, ou encore Haut-Aragon ; qui est le ‘bastion’ du conservatisme, du traditionalisme, solidement encadré par l’aristocratie locale et l’Église, et l’attachement basque aux fueros : ‘bastion’ que Madrid, si elle veut que l’‘Espagne’ suive le reste de l’Europe sur le chemin de la modernité, doit briser (dans ce cas, ce sont des caudillos ‘libéraux avancés’ qui sont mis en avant).

    - Au Sud et à l’Est, une bourgeoisie ‘libérale avancée’ et des masses aux luttes démocratiques parfois radicales ; choses qu’il s’agit de ‘contenir’ (ce sont alors des caudillos ‘modérés-conservateurs’ qui tiennent le pouvoir à Madrid).

    L’‘Espagne’ de l’époque de la révolution prolétarienne, si l’on prend le moment type des années 1930, c’est :

    1011259-La_guerre_civile_dEspagne_1936.jpg- Galice,  León, Vieille-Castille, Navarre-Alava, Haut-Aragon : classe dominante réactionnaire, masses populaires ‘sous contrôle’ en ce sens (encore qu'existe en Galice une petite force autonomiste de gauche républicaine, l'ORGA).

    - Sud, Pays catalans, côte nord-atlantique du Pays Basque aux Asturies : les masses sont ‘rouges’ ; la bourgeoisie compte un fort courant démocratique, républicain, réformiste ; la bourgeoisie réactionnaire est isolée.

    - Grand Madrid : les masses sont rouges, la classe dominante est conservatrice ou républicaine ‘modérée’ - elle attend, en majorité, l’‘armée de secours’ franquiste (le général Mola appellera ces éléments réactionnaires la "cinquième colonne", s'ajoutant aux quatre colonnes franquistes convergeant vers la capitale, d'où l'expression devenue courante).

    Dans les deux cas, la centralisation castillane autoritaire est la ‘clé de voûte’ de l’édifice dominant, qu’il s’agisse de mener une politique ‘modernisatrice mais pas trop’, ou qu’il s’agisse de défendre une ‘tranchée’ du capitalisme mondial contre un détachement local de la révolution prolétarienne.

    Ce système, ‘refondé’ par le ‘pacte’ constitutionnel de 1978, est toujours fondamentalement le même aujourd’hui

    Un autre facteur important, qu’il n’est pas possible de laisser de côté, c’est, dans le contexte de la ‘révolution industrielle espagnole’ entre le milieu du 19e siècle et la fin du franquisme (1975), les très importantes migrations internes de travailleurs pour les besoins du Capital ; migrations surtout du Sud et du Centre de la péninsule (au sud du Tage et de Valence) vers le Grand Madrid, la Catalogne et la côte nord-atlantique (Pays Basque, Cantabrie, Asturies). Globalement, il est possible de dire qu’une partie (plus ou moins importante, mais jamais négligeable) de ce prolétariat migrant a ‘fusionné’ politiquement avec le prolétariat de la nation d’accueil, sur une ligne à la fois de lutte de classe anticapitaliste et d’affirmation nationale ; tandis qu’une autre partie est restée ‘prisonnière’ de l’espagnolisme ‘de gauche’ (PSOE/UGT surtout, ou PCE/CC.OO eurocommuniste carrilliste qui forment aujourd’hui ‘Izquierda Unida’ (Gauche unie) avec les écolos, sans oublier de nombreux groupes trotskystes voire ‘ML’ ou même ‘maoïstes’ objectivement espagnolistes, à coup de ‘nihilisme national’).

    Aujourd’hui, comme on l’a dit, l’État espagnol est plongé comme toute l’Europe du Sud dans une crise économique et sociale sans précédent dans son histoire.

    manif_drapx_repub_et_andalous.jpgLa crise générale du capitalisme, commençant dans le pays à peu près concomitamment avec la mort de Franco, avait quelque peu ralenti l’essor économique entamé durant les quinze dernières années de son règne ; cependant, l’‘Espagne’ avait toujours gardé une croissance capitaliste (du PIB) supérieure à celle des autres pays européens et jamais connu de véritable récession (hormis en 1992-93) ; en particulier, entre 1995 et 2008, elle avait connu des taux de croissance très élevés, de l’ordre de 4 à 5% voire parfois approchant les 6% du PIB (vers 2000). Tout ceci s’effondre à partir de fin 2008, la récession atteignant... - 4% en 2009 (!) et la croissance restant proche de zéro aujourd’hui. Le chômage, toujours structurellement fort même dans les périodes de forte croissance (économie fortement basée sur le bâtiment, le tourisme estival, l’agriculture saisonnière), explose pour avoisiner les... 5 millions de chômeurs/euses pour un État moins peuplé que la ‘France’, soit près de 25% de la population active (plus du tiers des moins de 30 ans). Dans ce contexte, les contradictions de classe deviennent évidemment explosives, mais aussi les contradictions inter-bourgeoises sur une base (avant tout) nationale. Le sévère ‘Empereur germanique’ du bloc impérialiste UE, suivi de son ‘co-empereur’ BBR qui n’en mène pas large (la prébende publique étant aussi un ‘pilier’ de son système), exige une ‘cure d’austérité’ du ‘flamboyant’ semi-impérialisme vassal hispanique (qui a, il faut le dire aussi, beaucoup dépensé dans une réelle modernisation de ses infrastructures - routes, rail, ports, transport urbain etc.).

    532438 445422942144595 631339975 nEst-il besoin de rappeler, ces deux dernières années, des mouvements comme celui des Indignad@s (expression de la jeunesse ‘moyenne-inférieure’ paupérisée), avec ses ‘séquelles’ mondiales comme le mouvement Occupy aux États-Unis ; ou, côté prolétarien, le magnifique (1-2-3-4) mouvement de type semi-armé (bien qu’avec des armes non-mortelles) des mineurs asturiens et léonais, mettant en sérieuse difficulté les forces de sécurité du Capital dans ces deux nations, renouant avec le souvenir glorieux de la Révolution asturienne de 1934 ? Parallèlement, il faut le dire aussi, le mouvement de type révolutionnaire qui était jusque-là le plus avancé de la péninsule, le Mouvement de Libération Nationale Basque (MLNV), a vu le triomphe d’une ligne petite-bourgeoise réformiste, qui a ‘fait son nid’ au cours de la dernière décennie, dans un contexte d’échec croissant de la stratégie militaire d’ETA (la branche armée du mouvement), jusqu’au ‘dépôt des armes’ définitif de cette dernière. Mais cette tentative de liquidation réformiste ‘à l’irlandaise’ se trouve en complet décalage avec la réalité objective des masses populaires et de la lutte des classes, en Euskal Herria (EH) comme dans toute la péninsule ; et passé l’‘éblouissement’ des premiers - apparents - ‘triomphes’ électoraux, la contestation va inévitablement se lever avec force (on la voit déjà se lever ça et là, dans un mouvement de libération profondément imprégné de marxisme révolutionnaire) ; car gagner les élections, c’est bien, mais les ‘likis’ (liquidateurs réformistes) vont maintenant devoir gérer la crise générale capitaliste (d'ailleurs, le recul électoral 'Bildu' est déjà net, comparé aux élections municipales et générales de 2011)...

    Périphérie d’une Europe capitaliste dominée par la ‘banane bleue’ (Italie du Nord, ‘France’ du Nord et de l’Est, Suisse, Allemagne, Bénélux, Angleterre), l’État espagnol, en conformité totale avec les analyses de Servir le Peuple, est aujourd’hui l'un de ceux (avec la Grèce) où le niveau de la lutte de classe prolétarienne atteint ses plus hauts sommets. Et cette lutte de classe, on l’a dit, est devenue de par l’histoire totalement indissociable de la réaffirmation nationale des peuples niés par la construction de l’État moderne et contemporain. S’il peut exister, dans la ‘gauche révolutionnaire’ (marxiste ou libertaire), des courants ‘espagnolistes objectifs’, c’est tout simplement que... comme ici en Hexagone, ces courants sont composés ou dirigés par des petits (voire moyens) bourgeois cartelvillalar2010.jpg‘radicaux’, dont l’‘Espagne’ comme État contemporain est la condition d’existence de classe. Il y a en ‘Espagne’ cette particularité, unique en Europe, que sont les libérationistes révolutionnaires... castillans, avec leur drapeau violet frappé de l’étoile rouge et du château (castillo) de Castille, se plaçant dans le prolongement à un niveau supérieur (prolétarien) du mouvement comunero du 16e siècle, mouvement bourgeois-populaire des villes castillanes contre la consolidation de l’État moderne par (à l’époque) un souverain étranger, le flamand et empereur germanique Charles Quint... ce qui n’est pas sans évoquer, aujourd'hui, la très actuelle domination économique de la ‘banane bleue’ européenne sur la péninsule. Autrement dit, les prolétaires révolutionnaires de la nation centrale comprennent parfaitement la fonction de l’État espagnol, avec sa centralité réactionnaire de l’oligarchie castillane, vis-à-vis des masses populaires de toutes les nations, y compris... de Castille. Ils prônent généralement, comme à peu près tous les libérationistes nationaux de la péninsule (sauf peut-être au Pays Basque, à dominante séparatiste), une destruction de l’État ‘espagnol’ oppresseur et une refondation complète des relations sociales territoriales, sur une base confédérale ibérique (pourquoi exclure le Portugal ?), égalitaire entre les peuples (certains, en Aragon ou en Catalogne, y incluraient même volontiers l’Occitanie...). Une conception favorisée par une riche expérience historique en ce sens : le mouvement - on l'a dit - comunero du 16e siècle, la Révolution cantonaliste (républicaine ultra-démocratique et fédéraliste) dans le contexte de 'dislocation de l'État' en 1873-74, ou encore la grande autonomie des fronts et des régions républicaines ('fragmentées' et isolées par les zones franquistes) durant la Guerre civile - Generalitat catalane et République d'Euzkadi, mais aussi le Conseil régional de défense d'Aragon (principalement CNT avec des éléments UGT et POUM) ou encore le Conseil souverain d'Asturies et León de Belarmino Tomás (1936-37 l'un et l'autre).

    Tout cela s'est par exemple traduit, aux dernières élections européennes de 2009, par la liste Initiative internationaliste - Solidarité entre les Peuples (article Wikipédia en castillan), regroupant diverses forces marxistes et libérationistes marxisantes (y compris castillanes, celles-ci étant même à l'origine de l'initiative) et appuyée notamment par la gauche abertzale basque, dont l'interdiction venait de permettre aux espagnolistes du PSOE et du PP de gouverner la Communauté autonome basque (CAV) pour la première fois depuis 30 ans. L’État espagnol tenta de la faire illégaliser puis, obligé de reculer sous la pression (notamment) des institutions et de ses partenaires européens... organisa une fraude massive et éhontée (lire ici et ici) digne d'une république bananière, portant potentiellement sur des dizaines de milliers de bulletins (!!!) ce qui priva sans doute l'Initiative d'un élu à Strasbourg (il fallait 2%, la liste en a obtenu 1,15). Ces faits sont largement passés inaperçus à l'époque de ce côté-ci des Pyrénées, et tombés depuis dans l'oubli le plus total...

    estreleira-bandeira-da-galizaDans le même temps, la crise générale capitaliste (entrée dans une phase terminale) et l’’austérité’ conséquente conduisent à un ébranlement, une remise en cause brutale du ‘pacte’ inter-bourgeois de 1978. Trop faibles militairement pour se passer de l’État central, face aux mouvements sociaux qui les secouent, les bourgeoisies du Nord-Ouest (Galice, Asturies, Cantabrie, León) et du Sud (Andalousie, Murcie etc.) se gardent bien de le remettre en cause (d’autant plus que dans le dernier cas, on l’a dit, l’oligarchie est une oligarchie castillane ‘plaquée’ de manière coloniale sur la population ‘re’-conquise). Mais, dans un système de (toute relative) ‘solidarité pan-ibérique’, les puissantes bourgeoisies basque et catalane ne veulent plus ‘payer pour le Sud’, et revendiquent une autonomie élargie (fiscale, notamment) pouvant aller jusqu’à l’indépendance. Et les masses populaires, dominées par une ligne petite-bourgeoise, ne sont malheureusement pas ‘vierges’ de ce type de sentiment : lorsque le ‘modèle social’ vole en éclat sous les coups de l’’austérité’, chacun, dans les masses spontanément économistes (dixit Lénine), tente naturellement de ‘tirer la couverture à lui’. En réponse, les masses populaires méridionales (ou du Nord-Ouest galicien-asturien-léonais, également assez déshérité) vont naturellement s’insurger contre l’’égoïsme’ basque et catalan, et se ranger derrière la ‘gauche’ bourgeoise espagnoliste de type ‘fédéraliste’ (PSOE, IU).

    voluntat-poble-lema-campanya-CiU EDIIMA20121109 0142 5Aux dernières élections basques et catalanes, en tout cas, l'on observe 1°/ un recul des nationalistes grands-bourgeois PNV et CiU (respectivement -3  et -12 sièges), porteurs ‘historiques’ (depuis 1975) de l’affirmation nationale, mais passant également pour des ‘partis de l’austérité’ ; il faut dire que, s'ils sont généralement considérés comme de 'centre-droit' dans une péninsule où 'droite dure' rime inévitablement avec 'espagnolisme', plus grand chose, dans leur conception du monde, ne les distingue en réalité du PP, avec lequel il n'hésitent d'ailleurs plus (depuis les années 1990) à s'allier ; 2°/ une forte poussée du nationalisme ‘de gauche’ petit-bourgeois (la bourgeoisie nationale proprement dite, et non la bourgeoisie ‘intégrée’ dans le ‘système Espagne’ de 1978), avec Bildu en EH (malgré, on l'a dit, un recul assez net par rapport aux échéances de 2011) et la Gauche républicaine (ERC) ou la Candidature d’Unité populaire (CUP) en Catalogne (+16 et +11 sièges, la CUP faisant son entrée avec 3 élus) ; 3°/ une légère poussée, en Catalogne, de la gauche ‘radicale’ espagnoliste (ICV), avec +3 sièges ; 4°/ un effondrement du PSOE, avec sa ligne ‘fédéraliste’ (-9 et -8 élus), ainsi qu’un léger recul du PP (ligne espagnoliste dure) en Euskadi ; 5°/ en Catalogne, en revanche, un léger progrès du PP (+1) et du ‘Parti des Citoyens’ (espagnoliste ‘centriste’, qui gagne 6 élus), ce qui montre que le camp espagnoliste ‘durcit’ ses positions (en EH il est discrédité pour avoir gouverné ces trois dernières années, en coalition PSOE-PP, alors que la gauche abertzale était sous le coup de la ‘loi des partis’).

    Dans les deux cas, la gauche nationaliste petite-bourgeoise devient la deuxième force parlementaire devant le PSOE.

    Il va de soi, comme cela a déjà été expliqué ici, que l’’indépendance’ prônée par ces forces (qui appellent à des référendums) ne saurait être que 100% bourgeoise et réactionnaire, ne serait-ce que (déjà) par la démarche ‘ne plus payer pour le Sud’ qui les porte ; et que dans tous les cas, un Pays Basque (avec ou sans la Navarre ?) et une Catalogne ‘indépendants’, dès lors que cela ne s’inscrit pas dans une véritable libération nationale expression locale de la révolution prolétarienne européenne et mondiale, resteraient totalement intégrés dans le ‘système Europe’ sous domination franco-allemande. Peut-être – peut-on se prendre à rêver – que face à la montée des luttes populaires, ces bourgeoisies devenues ‘indépendantes’ se retrouveraient rapidement démunies sans l’appui politico-militaire de Madrid… Mais, quoi qu’il en soit, cette poussée des aspirations ‘centrifuges’, faisant voler en éclat le ‘pacte’ post-franquiste, montre bien que l’’Espagne’, comme le reste de l’Europe et de la planète, est bel et bien entrée dans la fin d’un monde.

     


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  • (Partie précédente : l'État contemporain)


    [Le concept-titre de cet article est aujourd'hui, après maturation idéologique, considéré comme une erreur gauchiste de notre part à l'époque. Un rectificatif de cette conception gauchiste comme quoi "la France n'existe pas sinon comme aliénation dans la tête des gens" peut être lu par exemple ici dans la deuxième partie de l'article : 

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/les-francais-selon-nous-ne-sont-pas-les-gens-du-bassin-parisien-a146645518

    Tous les faits historiques mentionnés dans le présent article n'en sont pas moins 100% réels et nous ne renions en aucun cas notre analyse de ces faits comme construction de ce qu'on appelle aujourd'hui la France en tant qu'empire parisien. Nous considérons simplement que cette réalité, nullement remise en cause, se double néanmoins de la constitution au fil des siècles d'une communauté de destin hexagonale, ne serait-ce que... dans la LUTTE partagée contre cet état de fait, cet "impérialisme" parisien oppresseur commun.

    En conséquence, cette communauté de destin populaire ne doit pas être totalement remise en cause (prôner l'indépendance de chaque "nation réelle" citée dans cet article...) dans sa lutte contre le quartier-général bourgeois, monopoliste financier trônant à Paris, et, depuis la seconde moitié du 20e siècle, les "nouveaux niveaux" de concentration du pouvoir financier que sont l'Union européenne, les institutions comme le FMI, l'hégémonie mondiale US etc. ; MAIS, dans cette lutte, elle ne peut tirer sa FORCE que de la reconnaissance et de l'affirmation de ses "petites patries" populaires constitutives dont parlait déjà Jaurès en son temps, dans une lutte pour la conquête populaire de la souveraineté à ce niveau là aussi ("vivre, travailler et décider au pays", en somme) ; tout ceci devant déboucher sur un Hexagone république socialiste fédérative, dans une nouvelle Europe "URSS" ou en tout cas "Comecon" de telles républiques : 

    https://www.facebook.com/groups/946438885830225/]


    Face à cette analyse et ces constats, quelles sont les tâches des authentiques communistes révolutionnaires ? 

    1851 Les Mées soulèvement contre le coup d'État de Bonap-> Elles sont d’assumer totalement l’antagonisme avec l’État, correctement analysé comme construction politico-militaire de la classe dominante ; et avec ‘la France’ comprise comme appareil idéologique et culturel qui le soutient. Écrivant dans les années 1840-1880, c'est-à-dire à la jonction entre la toute fin de l’époque des révolutions bourgeoises et le début de celle des révolutions prolétariennes, Marx et Engels ont beaucoup insisté sur le caractère progressiste de l’État moderne absolutiste et des révolutions bourgeoises (dont ils étaient encore contemporains en Allemagne, 1848-71) engendrant l’État contemporain ; voire… des entreprises colonialistes/impérialistes (conquête de l’Algérie, guerre américano-mexicaine) [1]. Ce qui, d’un point de vue matérialiste ‘d’ensemble’, s’explique aisément : en créant le ‘terrain favorable’ nécessaire à la révolution industrielle (ou en ‘arrachant’ des peuples entiers à l’économie primitive ou féodale outre-mer), ces évènements historiques ont créé les conditions d’un développement massif du prolétariat, du caractère social de la production, condition elle-même indispensable pour ‘enclencher’ la marche au communisme, nouveau stade de civilisation et de l’histoire humaine. En développant le capitalisme industriel et ce caractère social de la production, la bourgeoisie, en tant que dernière classe exploiteuse de l’histoire humaine, engendre ses propres fossoyeurs et – par là – ceux de la société de classes en tant que telle. De plus, baignés comme tous leurs contemporains dans l’atmosphère du ‘patriotisme révolutionnaire’ français (et son importance mondiale à l’époque), les deux compères ont toujours considéré la ‘France’ comme une ‘nation’ et n’ont pas vu son caractère plurinational ; et ils ont, sans doute, exagéré (dans cette même atmosphère) l’importance réelle de la ‘rupture’ représentée par la révolution bourgeoise ‘française’ par rapport à l’Ancien régime, l’épisode ‘démocratique radical’ (1792-94) restant finalement très court par rapport au processus d’ensemble (1789-1848)… passons.

    Mais aujourd’hui, alors que l’époque des révolutions bourgeoises est terminée et bien terminée, on peut se demander s’il est vraiment utile d’insister en long, en large et en travers sur ce caractère ‘progressiste’ au regard ‘global’ de l’histoire humaine ; et s’il ne faudrait pas plutôt mettre en avant le revers de la médaille – que Marx et Engels, au demeurant, n’ont jamais nié. Car la révolution prolétarienne, comme processus de négation du capitalisme par le communisme, n’est pas seulement un ‘changement de mode de production’, comme le passage de l’esclavagisme à la féodalité ou de la féodalité au capitalisme ; elle est un passage à un autre stade de civilisation, la négation, quelque part, des 5.000 ou 6.000 dernières années d’histoire depuis la sortie des temps préhistoriques – d’où le caractère titanesque de la tâche.

    résistance var 1851Telle est la position de Servir le Peuple (et la position, tout simplement, matérialiste) : oui, du point de vue du développement des forces productives, du progrès scientifique et technique et – par là – de l’amélioration des conditions de vie générales, cette séquence historique ‘État moderne – révolutions bourgeoises’ et (sur le plan économique) accumulation primitive – révolutions industrielles’ (13e-19e siècles) a évidemment été progressiste au sens littéral du terme : porteuse de progrès pour la reproduction des conditions d'existence humaines ; et plus largement (et surtout), dans la perspective de marche de l'histoire vers l'horizon communiste inéluctable, rapprochant l'humanité du communisme, y compris en faisant beaucoup de mal aux masses populaires (ce qu'elle ne pouvait que faire, à vrai dire, le processus n'étant pas dirigé par le prolétariat...). En d'autres termes, si l'on veut jeter sur les choses un regard parfaitement froid et 'clinique' : avoir arraché les masses populaires d'Europe (puis du monde entier avec l'impérialisme) à tout moyen de production et de subsistance autre que la vente de leur force de travail (processus souvent accompagné par la formation de grands États modernes en annexant des territoires et leurs populations), pour en faire des prolétaires... a OBJECTIVEMENT rapproché celles-ci du communisme, quelle que soit l'horreur qui a pu accompagner le processus. Et si l'on voulait pousser encore plus loin dans l'horreur 'clinique' : avoir arraché des millions d'Africain-e-s à leur paisible vie communautaire-primitive pour les mettre en esclavage dans les Amériques ou l'Océan Indien... les a OBJECTIVEMENT rapprochés (ainsi que leur descendance) du communisme ; et la colonisation qui a suivi dans leurs pays d'origine, et dans d'autres encore, a également rapproché ces derniers du communisme. L'extermination des trois quarts de la population indigène des Amériques (sociétés communautaires-primitives ou 'asiatiques') a elle aussi objectivement rapproché les rares survivants (et leurs descendants) du communisme. À vrai dire, même le passage de la société communautaire-primitive ou "tribale" aux sociétés esclavagistes de l'Antiquité rapprochait en son temps les populations concernées du communisme ! Ce sont là des constats objectifs de faits... mais qui ne signifient nullement une défense morale de ces processus et de la violence qui les a accompagnés ; processus dont le résultat est précisément l'ordre capitaliste mondial que nous combattons aujourd'hui !!! C'est là une illustration absolument parfaite de la négation de la négation ; de la marche en spirale de l'histoire humaine vers le communisme. Or pour beaucoup de 'marxistes' vulgaires, l'un a souvent fini par se transformer en l'autre. Et c'est précisément avec ce marxisme vulgaire (choses que Marx et Engels, au stade de l'enfance du marxisme, ont pu mal dire en des termes parfois choquants pour nos consciences révolutionnaires du 21e siècle ; mais qui ont surtout été encore plus mal comprises par un certain nombre d'imbéciles ultérieurs se croyant doctes) que nous voulons en finir.

    C'est là tout le ‘paradoxe’ marxiste de l'ère capitaliste ; ‘paradoxe’ dont le ‘secret’ tient en fait en une phrase : caractère social (grands collectifs de production) et international de la production, à quoi s'ajoute la victoire sur la ‘dictature des éléments’ (naturels : intempéries, sécheresse, mauvaises récoltes et famine, maladies etc.) permise par le développement phénoménal des forces productives. C'est cela qui, à travers toutes les souffrances et les atrocités innommables de ce millénaire d'histoire, rend l'humanité d'aujourd'hui PLUS PROCHE du communisme (son but ultime) qu'il y a 1000 ans.

    Mais si le bilan du capitalisme (et donc des formes politiques qui ont accompagné son développement) est indiscutable sur ce plan-là (forces productives, production et reproduction des conditions d'existence), il est, sans être nul, beaucoup plus mitigé sur celui de l'émancipation humaine (et n'est-ce pas là le premier critère que l'on devrait appliquer au terme ‘progressiste’ ?). L'individu social du Moyen-Âge voire de l'époque absolutiste (en Europe) et même jusqu'au 20e siècle (en Afrique du Nord ou en Asie) vivait sous l'autorité certes implacable, mais loin d'être omniprésente de son seigneur féodal (ou de son "chef" en Afrique subsaharienne ou dans les Amériques) ; en communautés relativement auto-organisées (dont les intérêts lui étaient systématiquement supérieurs), possesseur plus ou moins individualisé (plutôt moins que plus) de ses moyens de production et se "servant", dans son environnement, de toutes sortes de subsistances n'appartenant à personne et donc à tout le monde [une grande étude à ce sujet a été publiée sur SLP en septembre 2013]. À présent, il est "libre" et sa personnalité individuelle est reconnue, il n'est plus la "propriété" d'un seigneur ou d'un quelconque chef ni un simple "rouage" de sa communauté... mais il ne détient plus aucun moyen de production ni de subsistance en dehors du salaire que lui verse régulièrement - en principe - son employeur capitaliste (possesseur, lui, des moyens de produire) en échange de sa force de travail, et il n'a plus accès à aucun moyen de subsistance qui ne soit pas une marchandise payante (achetée grâce à ce salaire). Passer de la première à la seconde situation s'est fait (en ‘métropole’ et à plus forte raison outre-mer) au travers des abominations dont nous venons de parler, montrant bien que ce passage n'a guère été socialement perçu comme une émancipation par les masses, en dehors de l'élimination de l'arbitraire seigneurial (et en Afrique, on n'a jamais vu des files d'attente pour s'embarquer sur les bateaux négriers vers la "vie meilleure" des plantations...). Telle est la réalité.

    Ce caractère ‘progressiste’ (passé) du processus capitaliste est, aujourd’hui, un PILIER CENTRAL de l’argumentaire de la classe dominante, de sa propagande réactionnaire pour se maintenir en place : ‘nous avons apporté à l’humanité le progrès et la civilisation’ et, d’ailleurs, la révolution prolétarienne est généralement présentée, dans cette propagande, comme un retour à la ‘barbarie’ débouchant inévitablement sur le ‘despotisme oriental’. Mettre en avant le ‘revers de la médaille’, les atrocités qui ont émaillé le processus, est donc une nécessité pour contrer cette propagande la greve du mineur dans carmaux cartes postales-r0c5702b001réactionnaire. Le capitalisme (dont le développement sous-tend toute la séquence historique en question) a, effectivement, créé les conditions pour le ‘saut’ de l’humanité vers une civilisation supérieure ; mais lui-même ne représente pas ce ‘saut’, il fait et demeure partie, comme les modes de production antérieurs, de la protohistoire barbare de l’humanité qu’est la société de classes.

    Dans le cas qui nous intéresse, sur le ‘front’ de la révolution prolétarienne mondiale où nous nous trouvons, c’est-à-dire face à l’ennemi ‘France’, ‘République française’, il importe donc de démystifier, en dévoilant les mille atrocités et les mille oppressions de masse émaillant le processus de sa construction, cet ennemi qui va bien évidemment mettre en avant son soi-disant caractère ‘progressiste’ passé, le ‘progrès’ qu’il aurait apporté à toute une partie de l’humanité (la ‘France métropolitaine’, mais aussi les ‘DOM-TOM’ – dernières colonies directes – et l’ancien Empire colonial devenu des protectorats de fait, pseudo-‘indépendants’). 

    -> Et elles sont, également, de comprendre correctement la révolution prolétarienne comme un encerclement du Centre par la Périphérie ; qui est l’universalité de l’encerclement des villes par les campagnes appliqué en Chine par Mao Zedong [2]. Il y a les ‘Centres mondiaux’ que sont la ‘Triade économique’ (Amérique du Nord, Europe occidentale, Asie-Pacifique/Australie/Nouvelle-Zélande) et la ‘Triade géopolitique’ qui ne recoupe pas exactement la première (bloc USA-Commonwealth-Israël-Japon, bloc ‘euro-continental’ autour de l’axe franco-allemand, bloc ‘de Shanghai’ Russie-Chine) ; et les ‘Périphéries mondiales’ que l’on appelle souvent les ‘Trois continents’ (Afrique, Asie/Océanie ‘pauvre’, Amérique latine et caraïbe). Mais chaque continent, chaque sous-continent, chaque État et même chaque grande métropole urbaine ou département/province rural est fondé sur un ou des Centre(s) et une ‘Périphérie’. Ce sont là, finalement, les anneaux d’un serpent étranglant lentement mais sûrement le capitalisme monopoliste mondial.

    Pour les communistes, chaque État capitaliste est un ‘état-major intégré’ de la bourgeoisie auquel doit donc faire face un ‘état-major intégré’ révolutionnaire ; et son territoire représente un ‘front’ de la révolution prolétarienne mondiale qui peut, éventuellement, être subdivisé en ‘tranchées’ (pourquoi pas sur une base nationale, lorsque l’État est plurinational, ou sur la base d’oppressions particulières).

    1 8f6foDès lors, chaque ‘front’ et chaque ‘tranchée’ doit être capable de déterminer quelles sont ses ‘villes’ et ses ‘campagnes’. Car dans le processus révolutionnaire qu’est la Guerre du Peuple, l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat est le ‘pilote’ de la ‘machine’, mais le ‘moteur’ en sont (au sens figuré) les ‘campagnes’ que cette dernière aura correctement identifiées au sein des masses populaires. Car le prolétariat avancé (prolétariat pour soi, conscient de sa classe et de ses intérêts, et organisé) ne peut, à lui seul, mener à bien la révolution : dans le meilleur des cas, il représente 5% de la population. Il doit donc agréger autour de lui, non seulement les éléments moins avancés du prolétariat, mais aussi tous les éléments potentiellement révolutionnaires des masses populaires, qui consistent en le prolétariat, l’aristocratie ouvrière, le prolétariat par assimilation ‘employé’ (‘para-productif’), la paysannerie et la petite-bourgeoisie (‘indépendants’ artisans et commerçants) pauvres et ‘modestes’ (c'est-à-dire la quasi-totalité des ces classes aujourd’hui) et la jeunesse déclassée-marginalisée (fille de la ‘génération baby boom’ qui ‘vivra moins bien que ses parents') ; tous les éléments qui ont – finalement – tout intérêt à un ‘changement radical’ de société ; en déterminant quels sont les ‘secteurs’ de ces masses populaires (les ‘campagnes’) qui ont le plus fort ‘potentiel’ pour entrer les premiers dans la lutte et, de là, déployer celle-ci vers les secteurs moins avancés, plus ‘prisonniers’ du pouvoir capitaliste (ce qui revient à ‘encercler les villes’). Pour Servir le Peuple, dans le cadre géographique de l’État dénommé ‘France’ (notre ennemi), ces ‘campagnes’ sont les ghettos urbains des grandes métropoles, où se concentre le phénomène particulier des ‘colonies intérieures’, de ‘l’indigénat métropolitain’ ; les ‘zones de relégation’ de ‘pauvreté rurale’ (qui, dans la plupart des cas, sont concernées par une problématique nationale) et les ‘zones de relégation’ des bassins industriels en déshérence (où se rejoignent souvent une problématique nationale et une problématique de ‘colonies intérieures’) ; sans oublier bien sûr les dernières colonies directes d’outre-mer, et les protectorats de fait pseudo ‘indépendants’ (reliés aux 'colonies intérieures' métropolitaines).

    Servir le Peuple a également constaté et affirmé que ce sont les territoires et les populations atteints, subsumés en dernier par le capitalisme, qui sont généralement le point de départ (impulsant ceux touchés plus anciennement) de la ‘reconquête populaire’ face à celui-ci (d’où les ‘anneaux du serpent’).

    otan-strasbourg-anti09Dans ce cadre, les nations qui ont été niées à travers le processus de l’État moderne, sans même parler de celles colonisées par la suite (avec leurs ‘ambassadeurs’ en métropole), n’ont pas seulement ‘toute leur place’ ; elles ont une place de premier plan comme ‘campagnes motrices’ de la Guerre populaire sur le front ‘France’.

    À travers les modes de productions précédents, ces nations ont toutes connu un ou plusieurs ‘âge(s) d’or’ ; et il en va de même pour la plupart des nations ex- (et aujourd’hui néo-) colonisées. L’Occitanie, par exemple, a connu (même si l’on ne peut pas parler de nation occitane à cette époque) un ‘âge d’or’ à l’apogée de l’Empire romain (et du mode de production esclavagiste), dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, que l'on peut considérer comme se prolongeant sous les Wisigoths, les successifs ducs/princes d'Aquitaine et autres "patrices de Provence" jusqu'au règne de Charlemagne ; puis l’’âge d’or’ de la civilisation arago-catalo-occitane à l’apogée du mode de production féodal (11e-12e-13e siècles), le premier n’étant évidemment pas ‘sans lien’ avec le second ; avant d’être niée par la construction monarchique de l’État moderne (correspondant à la crise générale de la féodalité). On peut même dire qu’un autre ‘âge d’or’ a existé après la révolution bourgeoise, lorsque le capitalisme était encore progressiste : la ‘civilisation villageoise’ du 19e siècle, où la langue était encore largement parlée (lors de la dernière étude sérieuse sur le sujet, en 1864, 40 % de la population ne parlait qu'occitan et parfois plus de 90% dans certaines communes) et le sentiment occitan se combinait sans trop de problèmes avec le ‘patriotisme révolutionnaire’ français (tout cela n'allant pas, bien entendu, sans frictions et résistances contre le rouleau compresseur du capitalisme triomphant, et l'adhésion naïve à l''indivisibilité de la République' posant d'ailleurs problème lors des grandes situations révolutionnaires de décembre 1851 et 1870-71) ; avant que le capitalisme n’entre en crise générale – et dans l’ère des monopoles (les 'hussards noirs' de la République monopoliste se chargeant alors de faire de nous de 'bons français', petits soldats du Grand Capital sur nos terres d'Òc...).

    Il est donc important de souligner, devant les masses, l’importance de ces ‘âges d’ors’ passés ; mais aussi – et surtout – le fait qu’ils n’ont été que des brouillons (puisqu’appartenant à la ‘préhistoire de l’humanité’, telle que Marx qualifie la société de classe) et que si – c’est la conviction de SLP – l’Occitanie renaît, niant la ‘France’ qui l’a précédemment niée (négation de la négation), ce sera à un niveau BIEN SUPÉRIEUR de civilisation, à côté duquel ‘l’Andalousie du Nord’ arago-catalo-occitane médiévale fera figure d’âge des cavernes ; ceci à travers la révolution prolétarienne niant le capitalisme par le communisme, l’appropriation privée de la richesse produite par le caractère social de la production.

    Démystifier l’ennemi de classe à travers le processus de formation de son organisation sociale, et déterminer quelles sont les ‘villes’ et les ‘campagnes’ du ‘front’ (État bourgeois) sur lequel nous opérons ; telles sont nos tâches primitives, ‘préliminaires’, immédiates mais indispensables : l’élaboration de ce que les maoïstes péruviens et Voie Lactée appellent une ‘pensée’, et l’élaboration de ce que le (n)PCI appelle une stratégie révolutionnaire, un plan général de travail.

    À partir de là, si ces tâches sont menées correctement, le Parti, avant-garde révolutionnaire organisée du prolétariat, pourra agréger à lui toutes les forces révolutionnaires des masses populaires aspirant à un ‘changement radical de société’, combiner toutes les formes de lutte légales et non-légales, pacifiques et non-pacifiques, pour mener à bien sur le ‘front’ en question la négation du capitalisme par le communisme à travers la Guerre populaire, jusqu’à la conquête du pouvoir par le prolétariat à la tête des masses populaires, puis à travers le socialisme et la dictature démocratique du prolétariat.


    La ‘France’, la ‘République’, correctement comprises comme MYTHES BOURGEOIS, sont les murs d’une prison qui enferme la conscience du prolétariat et des masses populaires !


    COMMENÇONS À ABATTRE LES VIEUX MURS ET À DÉPLOYER L’AURORE !!!

     

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    [1] Ce qui n'excluera absolument pas que leur opinion évolue par la suite : ainsi par exemple ce texte de 1858 sur l'Algérie se montre beaucoup moins amène envers l'entreprise coloniale et ses grands acteurs (Bugeaud), et puis il y a bien sûr les textes de référence de Marx sur la question irlandaise.

    [2] Il est très difficile de faire la révolution et de construire le socialisme dans les pays occidentaux, car dans ces pays l'influence pernicieuse de la bourgeoisie est très profonde et s'est déjà infiltrée partout. En Chine, la bourgeoisie n'existe que depuis trois générations tandis que dans les pays comme l'Angleterre ou la France, elle existe depuis des dizaines de générations. Dans ces pays la bourgeoisie a une histoire vieille de 250 à 260 ans, voire de plus de 300 ans ; l'idéologie et le style de travail bourgeois ont des influences partout et dans toutes les couches sociales. C'est pourquoi la classe ouvrière anglaise ne suit pas le Parti communiste, mais le Parti travailliste.
    Lénine a dit : "Plus un pays est arriéré, plus difficile est son passage du capitalisme au socialisme". Vue d'aujourd'hui, cette thèse n'est pas correcte. En réalité, plus un pays est arriéré économiquement plus son passage du capitalisme au socialisme est facile, et non difficile. Plus un homme est pauvre, plus il veut la révolution. Dans les pays capitalistes occidentaux, le niveau de l'emploi et les salaires sont plus élevés et l'influence de la bourgeoisie sur les travailleurs est plus profonde. Dans ces pays, la transformation socialiste est moins facile qu'on ne le croit.
    Mao Zedong, "Notes de lecture sur le Manuel d'économie politique de l'Union soviétique" (1960). Le même raisonnement peut évidemment s'appliquer entre les différentes régions - les Centres et les Périphéries - d'un même État.


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  • L'auteure, enseignante à l'Université de Montpellier, occitaniste et membre du réseau Langues et Cultures de France, offre sur ce point précis (de langues) un excellent résumé de notre point de vue en plaçant brillamment l'écrasement des langues et parlers populaires dans une perspective de classe.

    Elle rappelle que "la Révolution de 1789 est une révolution bourgeoise, et les républiques qui l’ont suivie le sont tout autant" ; autrement dit que cette révolution et les républiques qui l'ont suivie ont eu un aspect antiféodal et anticlérical mais AUSSI (comme au demeurant toute la période absolutiste qui l'a précédée) un aspect ANTIPOPULAIRE

    [Lire : http://partage-le.com/2018/10/linvention-du-capitalisme-comment-des-paysans-autosuffisants-ont-ete-changes-en-esclaves-salaries-pour-lindustrie-par-yasha-levine]

    Même si nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec l'idée que "les langues autres que le français n’ont jamais été ressenties comme une menace pour l’unité territoriale de la France" (elles l'ont selon nous été, dans un État = base d'accumulation première du Capital de très grande taille et difficile à défendre, craignant en permanence pour son intégrité), c'est très justement qu'il est expliqué que "ce qui est en jeu est fondamentalement d’ordre social" : "supprimer le « patois », c’est ôter un écran entre les masses et la parole normative des nouveaux maîtres", lesquels pensent "non sans naïveté" que "quand ils (les masses travailleuses) parleront comme nous (les bourgeois), ils penseront comme nous et ne bougeront que dans les limites que nous leur aurons fixées"... Est également abordé le caractère bourgeois de l'école de Jules Ferry (tant célébrée encore aujourd'hui), qui n'a jamais eu d'autre but que de formater les esprits de la jeunesse aux valeurs de la classe dominante ; le caractère foncièrement hypocrite d'une République qui "chante le progrès social mais fait tirer sur les ouvriers en grève (...) est humaniste mais mène une politique coloniale agressive et nie la culture des peuples dominés" ; la manière dont "le mouvement ouvrier, quant à lui, est passé à côté d’une réflexion sur la culture intégrant la dimension de classe de la question linguistique" (et de la question des Peuples en général !!), etc. etc.

    Il n'y a que le dernier paragraphe (conclusif) dont nous ne dirons pas vraiment que nous ne sommes pas d'accord : en réalité nous n'y avons tout simplement rien compris ; nous ne comprenons pas où l'auteure veut en venir, comme dans ces dissertations au collège où l'on bâcle une conclusion parce qu'il en faut bien une mais que l'on ne sait pas quoi dire. C'est peut-être lié au fait que l'auteure n'est pas prête à assumer la conclusion ultime de ce qu'elle expose et analyse : l’État français n'est pas réformable, il est une Prison des Peuples qui constituent la force de travail du Capital qu'il sert, et il n'y a de solution que dans son renversement révolutionnaire et son remplacement par de nouvelles relations sociales et politiques entre les territoires et les populations.


    Comment les langues du peuple ont été rendues illégitimes


    En juin 1794, on ne parle exclusivement le français que dans 15 départements sur 83. Il a donc fallu une volonté politique implacable pour l’imposer dans toute la France. Mais en éradiquant quasiment l’usage des langues régionales, c’est une part du patrimoine culturel qui a été effacée.

    Faire comme si deux langues ne pouvaient pas cohabiter a constitué le fondement de la politique linguistique en France depuis la Révolution. L’Ancien Régime refusant l’accès des classes subalternes à l’instruction au motif que cela créerait des déclassés et mettrait en péril l’ordre social, l’acquisition du français – celui des élites – devint une sorte de bastille à prendre, de sésame pour avoir droit à la parole.

    La Révolution de 1789 est une révolution bourgeoise, et les républiques qui l’ont suivie le sont tout autant. Ainsi, c’est la multiplication, dans le Sud-Ouest, au printemps 1790, de révoltes paysannes dont les autorités locales affirment qu’elles n’ont pu les empêcher du fait que les émeutiers ne comprennent pas le français qui amène l’abbé Grégoire, prêtre rallié au Tiers État et devenu député de la Convention, à préparer un « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir le “patois” et d’universaliser l’usage de la langue française » [voir aussi, dans la même veine, le discours de Barère de Vieuzac]. Supprimer le « patois », c’est ôter un écran entre les masses et la parole normative des nouveaux maîtres. Non sans naïveté, ceux-ci se disent : quand ils parleront comme nous, ils penseront comme nous et ne bougeront que dans les limites que nous leur aurons fixées.

    Les langues autres que le français n’ont jamais été ressenties comme une menace pour l’unité territoriale de la France. Ce qui est en jeu est fondamentalement d’ordre social. Et ce n’est pas la peur mais un grand mépris qui accompagne l’illégitimation de toute pratique langagière non conforme à celle des dominants.

    Les historiens bourgeois ont assez tôt mis au point un discours sur l’histoire nationale qui réintégrait dans une continuité, depuis les temps les plus anciens, l’ensemble des faits qui se sont déroulés sur le territoire de la France, relativisant d’autant l’importance de la rupture révolutionnaire. Cela permet d’ailleurs, encore aujourd’hui, à certains de saluer l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François Ier en 1539 comme fondement de la politique républicaine en matière de langue. Ce travail sur l’histoire avait une fonction politique bien précise : il devait servir de base à une réconciliation entre la France d’avant 1789 et celle d’après, sous la direction idéologique d’une bourgeoisie se présentant comme la dépositaire de la totalité de l’héritage historique et culturel français. Il permettait ainsi le ralliement de la plus grande partie des monarchistes puis des catholiques à la République.

    Cependant, pour tous ces ralliés tardifs, l’appartenance à la communauté nationale n’est pas fondée sur l’adhésion aux valeurs abstraites de liberté, égalité, fraternité mais sur le culte d’une entité présentée comme éternelle et charnelle. Elle n’est pas fondée sur le choix en conscience d’un projet d’avenir pour la société, mais sur un acte de foi impliquant de la part de quiconque est porteur d’une autre mémoire et d’une autre parole que celle de la nation, qu’elle soit provinciale ou étrangère, le sacrifice de cette mémoire et de cette parole. D’où le culte du français comme langue unique et mystique, et la nécessité du reniement de tout ce qui lui est étranger.

    Depuis le XIXe siècle, le mouvement ouvrier, quant à lui, est passé à côté d’une réflexion sur la culture intégrant la dimension de classe de la question linguistique. Pour les militants syndicalistes, socialistes, anarchistes, communistes, d’accord sur ce point à de rares exceptions près, il allait de soi que la seule politique culturelle qu’il convenait de mener au bénéfice des classes populaires était de leur ouvrir l’accès à la culture des élites sans la critiquer, sans se poser la question des valeurs véhiculées. Et sans admettre que les cultures des classes subalternes pouvaient être porteuses de valeurs progressistes. Or, se référer à la République impose de garder à l’esprit ses contradictions. L’école de Jules Ferry donne le savoir au peuple, mais un savoir partiel, sans commune mesure avec celui réservé aux enfants des classes dominantes. La République chante le progrès social, mais elle fait tirer sur les ouvriers en grève. Elle est humaniste, mais elle mène une politique coloniale agressive et nie la culture des peuples dominés.

    Le français a été au cours des siècles le véhicule des discours les plus progressistes comme des plus régressifs. Il en va de même pour toutes les autres langues. L’enjeu aujourd’hui est de faire circuler au maximum les éléments de connaissance de la diversité culturelle française, d’abord pour restituer aux cultures qui en sont partie prenante le respect dont elles ont été privées. Ensuite parce que l’éducation à l’acceptation de la diversité, dans les sociétés plurielles du siècle qui commence, doit être une priorité absolue. Les langues de France ont été, à leur façon, le laboratoire où se sont élaborées les convictions simples qui ont mené à la négation des cultures des peuples colonisés. Elles peuvent avoir leur place dans le laboratoire où se fabrique un fonctionnement culturel et idéologique de type nouveau, apte à répondre aux défis des temps qui viennent.

    Chronologie

    1539. Ordonnance de Villers-Cotterêts : 
pour éviter tout problème d’interprétation 
du latin, les actes officiels seront désormais rédigés en « langage maternel françois ».

    1635. Création de l’Académie française nommée par le roi.

    1850. Loi Falloux : « Le français sera seul 
en usage dans l’école », article repris 
par Jules Ferry en 1881.

    1941. Le régime de Vichy autorise l’enseignement facultatif des « idiomes locaux ».

    1951. Après des propositions de loi communistes pour le breton et le catalan, la loi Deixonne autorise l’enseignement des langues régionales à l’école publique.

    1992. Apparition dans la Constitution 
du français comme « langue de la République ».

    2001. La délégation générale à la langue française s’adjoint à son nom « et aux langues de France ».

    2008. Article 75-1 ajouté à la Constitution : « Les langues régionales appartiennent 
au patrimoine de la France. »

    2011. Examen de français pour les étrangers demandant leur naturalisation.

    Marie-Jeanne Verny


    Édifiant. Et maintenant que les langues "régionales" (populaires nationales) ont considérablement reculé, voilà que le "problème" devient... l'accent (et de manière plus générale la "façon de parler", la syntaxe etc. c'est-à-dire le français populaire local - francitan en Occitanie ; problème qui touche aussi les colonisé-e-s intérieur-e-s des "quartiers" avec le "wesh" dans ceux de "vraie-France-celle-du-Nord" et le... "weshitan" dans ceux du "Midi") ; un accent et/ou une "façon de parler" souvent associés à une caricature d'"Ugolin" (ou d'Aimé Jacquet, avec son fort accent arpitan forézien, à l'époque de la Coupe du Monde 1998), autrement dit d'idiot du village (ou de "racaille" pour les personnes des "quartiers").

    Voici un très intéressant article à ce sujet, publié sur Slate :

    On n'insiste pas assez sur la discrimination par l'accent


    En France, les enquêtes de terrain qui cherchent à en démonter les mécanismes sont encore rares. Et pourtant, les témoignages ne manquent pas…

    Fin avril 2013, le «Petit Journal» avait épinglé Marie-Arlette Carlotti, à l'époque ministre déléguée aux Personnes handicapées et à la Lutte contre l’exclusion, pour avoir adopté deux accents différents lors de deux émissions télévisées, passant d'une intonation neutre, voire «à la parisienne», pour une interview sur LCI dans ses fonctions de ministre à un accent à couper au couteau pour vanter, lors de la matinale de Canal+, les mérites de Marseille, où elle était alors candidate à l'investiture socialiste.



    Du pain béni pour son concurrent aux primaires socialistes de Marseille –et futur candidat– Patrick Mennucci, qui lui s'avouait sur Twitter incapable de «perdre son accent» [on notera ici comment chez Mennucci, à l'instar de son rival phocéen Gaudin ou du (guère) regretté Georges Frêche à Montpellier, le fort accent peut aussi être mis en avant dans une optique démagogique-électoraliste par les caciques locaux - mais c'est là une situation très spécifique]. La «polémique» est vite retombée ; pourtant, a posteriori, cette scène cocasse n’a rien d’anecdotique et interroge notre rapport au langage et à ses variations : les accents.

    Le réalisateur Vincent Desombre s’est posé cette question dans son documentaire Avec ou sans accent, prochainement diffusé sur France 3 –le premier du genre sur le sujet. Originaire de Tours, la région dont l’accent serait «le plus pur de France», le journaliste a suivi trois jeunes du Sud et des Vosges qui ont tenté d’adapter leur langage «au français standard», afin d’interroger ce qu’il appelle le «complexe de l’accent». «Pour eux, l’enjeu c’était : dois-je perdre mon accent pour réussir?», commente-t-il.

    Professeur à l’université d’Aix-Marseille, Médéric Gasquet-Cyrus fait les mêmes constats dans son article «La discrimination à l’accent en France : idéologies, discours et pratiques». «Dire à quelqu’un qu’il a "un accent", c’est non seulement le renvoyer à une altérité, mais également à un rapport normatif et hiérarchique implicite, puisque s’il a "un accent", c’est par rapport à quelqu’un (l’interlocuteur) qui n’en aurait pas…», explique le sociolinguiste. Et de l'identification au processus discriminatoire, il n'y a souvent pas très loin.

    Des travaux balbutiants

    Depuis quelques années, les travaux des linguistes sur les variations du langage comme vecteur de discrimination alimentent les débats linguistiques dans les pays anglo-saxons. En 1997, dans sa première version de English with an Accent : Language, Ideology and Discrimination in the United States, la linguiste américaine Rosina Lippi-Green a par exemple tenté de déconstruire l’idéologie derrière la diffusion d'un anglais américain standard en montrant ses conséquences pour les accents du sud des États-Unis ou des communautés hispaniques, afro-américaines et asiatiques.

    Au Canada francophone, le succès des films de Xavier Dolan, qui met en avant le joual – un fort accent québécois – a ravivé les débats linguistiques, notamment sur la folklorisation de cet accent populaire. Et des chercheurs du langage, comme Annette Boudreau, de l’université de Moncton, ont mis en évidence comment la domination sur les minorités francophones acadiennes est entretenue par les discours sur le «bon parler français».

    Au Royaume-Uni, selon un sondage ComRes pour la chaîne ITV News de 2013, 28% des Britanniques se sont déjà sentis discriminés en raison de leur accent régional, notamment au travail (14%) ou durant un entretien d’embauche (12%). À tel point que le linguiste Alexander Barrata, de l’université de Manchester, auteur d’une étude récente sur la question, compare les mécanismes de ce que les Anglo-Saxons appellent l’accentism à ceux du racisme.

    En revanche, en France, les chercheurs qui enquêtent sur la discrimination à l’accent sont encore peu nombreux. Depuis la grande enquête menée en 1945 par André Martinet sur La prononciation du français contemporain, les études en linguistique se sont surtout focalisées sur la description des accents français. «C’est un terrain sur lequel il est dur d’enquêter», regrette Médéric Gasquet-Cyrus, un des rares linguistes français actuels à avoir travaillé sur la question. «Il y a pourtant beaucoup de témoignages de gens qui se disent victimes de discrimination à l’accent, dont beaucoup de journalistes.» «Aujourd’hui encore, on cherche à savoir si l’accent peut-être un motif de discrimination», confirme François Reynaud, doctorant en sciences économiques à l’université d’Aix-Marseille, qui mène actuellement une thèse essayant de montrer, à l’aide de méthodes de testing, que l’accent, que l’on vienne de la «cité» ou du Midi, peut-être un motif de discrimination à l'emploi.

    Imitation, commentaires ou refus d’embauche

    Bien sûr, toutes les personnes qui ont un accent ne se sentent pas victimes de discrimination. Certaines tonalités régionales, comme les accents méridionaux, jouissent d’une image et d’une représentation conviviale. D’autres, à l’instar du ch’timi – ou en réalité du picard – ont été revalorisés grâce au film de Dany Boon Bienvenue chez les ch’tis (2008), certes caricatural et critiqué. Et selon une «étude» de 2013 du site de rencontre Parship, très relayée par la presse, les accents, du ch’timi au breton, tous «sympathiques», sont même carrément «sexy» – l’accent toulousain en tête.

    En revanche, quand il s’agit de savoir lequel de ces accents sonne «intelligent», c’est le «français standard parisien» qui est plébiscité. Et à une perception positive de l’accent se substitue une perception négative, avec des conséquences qui vont de la stigmatisation, par des imitations ou des commentaires, au refus d’embauche. Selon un sondage TNS-Sofres de 2003 sur «les discriminations sur l’apparence dans la vie professionnelle et sociale» pour Adia Interim, 44% des personnes interrogées pensent même que «la façon de parler, l’accent» est un critère de choix d’embauche entre deux candidats de compétences et de qualification égales, soit un point de plus que le handicap ou treize points de plus que «la couleur de peau».

    Originaire de la région toulousaine, Annabelle[*], 23 ans, qui travaille depuis peu à Paris dans le milieu de la production, a pris conscience que son accent très affirmé pouvait la pénaliser dès son entrée en classe préparatoire :

    «J’avais passé une simulation d’entretien professionnel et j’ai demandé à ma professeure si mon accent pouvait m’handicaper. Elle m’a répondu que tant que je disais des choses sensées, je ne passerai pas pour une "paysanne". C’est là que j’ai compris qu’avec mon accent, je n’avais pas le droit à l’erreur. Puis, pendant mes études, mon directeur de mémoire, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), m’a soutenu que si j’allais à Paris, j’allais souffrir de mon accent et que je ne parviendrais pas à dépasser cette souffrance.»

    Depuis qu’elle a commencé à travailler, les commentaires sont récurrents. «Tous les jours, on me demandait de répéter "pain, rose, jaune, etc". Je le prenais avec autodérision jusqu’au jour où je suis arrivé à la prod’ avec la boule au ventre», poursuit-elle. Et de renchérir : «Il y a eu ce fameux jour où, sur une production, un stagiaire m’a sorti : "C’est marrant ton accent, ça fait mi branleuse, mi-séductrice". J’ai complexé et l’idée d’aller voir un orthophoniste m’est venue.»

    De la honte à la souffrance

    Dans la sphère du travail, «l’accent ne fait pas sérieux, est perçu comme un handicap et les autres vous le font sentir», complète Médéric Gasquet-Cyrus. À tel point que beaucoup renoncent à leur accent pour réussir socialement car «on inculque qu’il n’y aurait qu’un accent valable. "Avec ta voix, tu ne pourras faire que de la presse écrite", entend-on dans les écoles de journalisme ou "Avec tel accent, tu ne pourras jamais jouer du Shakespeare", dit-on aux jeunes comédiens, ce qui est méconnaître les variations et les métriques du XVIe siècle !».

    Né à Perpignan, Nicolas[*], la trentaine, conservateur du patrimoine et «un accent marqué» raconte que ses ennuis ont commencé dès son arrivée à Paris. «Lors d’un entretien pour un poste dans un grand musée, les recruteuses avaient envie de rire, confie-t-il. La question des origines est vite venue et je n’ai pas eu le boulot. Puis, à l’occasion d’un autre entretien, on a évoqué mon "accent rural". Je l’ai mal pris et la période de chômage qui a suivie a été une période de remise en question : je m’enregistrais et je travaillais à le faire disparaître.»

    Cette honte de l’accent est une des clés du film de Vincent Desombre : «Il y encore des difficultés à mettre les mots pour dire que c’est une discrimination et qu’on en souffre», affirme le réalisateur.

    Tradition jacobine et rapports de domination

    Alors comment expliquer qu’en 2015, de telles sanctions sociales existent en France ? La tradition jacobine française est un premier élément d’explication selon les linguistes interrogés, car le «bon accent» s’est très vite retrouvé associé au «lieu où gravite les élites». Au XVIe siècle, le «bon français parlé» a d’abord été celui de la vallée de la Loire, pratiqué à la cour de François Ier et magnifié par les poètes de La Pléiade, avant que celle-ci n’émigre vers la région parisienne puis Versailles, au XVIIe siècle, où l’Académie française a qualifié le meilleur français comme étant celui «de la plus saine partie de la cour».

    Ensuite, la bourgeoisie parisienne, les écoles normales, qui formaient les instituteurs, puis les manuels de prononciation ont pris le relais au XIXe siècle, décrit le linguiste Philippe Boula de Mareuïl, directeur de recherche au CNRS et auteur de D’où viennent les accents régionaux? :

    «Notre pays est lié à une histoire très centralisée autour de l’Île-de-France. Au XXIe siècle, ce sont surtout les journalistes de l’audiovisuel qui font l’accent standard, et c’est toujours à Paris que sont concentrés les grands médias.»

    Et l’affaiblissement, voire la disparition des langues régionales y est pour beaucoup. «L’accent nous dit des choses sur les rapports sociaux et les relations de pouvoir», défend de son côté le linguiste Médéric Gasquet-Cyrus. «La dévalorisation de l’accent procède des mêmes mécanismes de domination que la dévalorisation des langues régionales.»

    Une analyse que Pierre Bourdieu avait déjà formulée dans son travail sur «les rapports de domination linguistique», notamment dans Questions de sociologie, paru en 1984 aux Éditions de Minuit. «Même s’il n’a jamais entendu le "français standard parisien" [il faut se replacer dans le contexte social des années 1970, ndlr], même s’il n’est jamais allé à Paris, le locuteur béarnais est dominé par le locuteur parisien et, dans toutes ses interactions, au bureau de poste, à l’école, etc., il est en relation objective avec lui», écrit le sociologue d’origine béarnaise, qui avait lui-même eu d’abord honte de son accent béarnais lors de son entrée à l’École normale supérieur (ENS) de la rue d’Ulm.

    Reconnaître la diversité des accents

    Reste, en droit, à savoir sur quels fondements juridiques on pourrait reconnaître une discrimination en raison de l’accent et faire condamner un employeur, en application de l’article L 1132-1 du Code du travail ? «C'est un problème de preuves, très souvent extrêmement compliquées à obtenir en la matière. Le motif n'est jamais explicite pour une embauche, en revanche, pour empêcher une promotion, là ça peut être plus "simple" à démontrer», estime Me Rémy Rubeaudo, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit du travail et en droit de la famille.

    Contactés par Slate.fr, le Défenseur des droits et les organismes dispensant des formations et de l’accompagnement à l’embauche, comme l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), affirment en tout cas n’avoir jamais été alertés de telles situations. Au Royaume-Uni, le ministère du Travail a pour sa part lancé une campagne – timide – pour promouvoir les accents régionaux. La vidéo publiée sur Vine répète en boucle : «Vous n’avez pas à perdre votre accent pour décrocher un job.»

    «Il est urgent de mener des travaux plus approfondis sur la question de la discrimination à l’accent en France, plaide de son côté Médéric Gasquet-Cyrus dans son article de 2012. Aussi anodines qu’elles puissent paraître, les discriminations peuvent être très mal vécues et peuvent déboucher sur de véritables stigmatisations ou ségrégations sociales, qu’il s’agisse, avec l’accent régional, d’une forme de "racisme intérieur" […] ou de racisme tout court, dans une France et une Europe en proie aux idéologies xénophobes.» Et quand on sait que la Charte européenne des langues régionales attend d’être ratifiée par la France depuis 1999, la reconnaissance de la stigmatisation des accents comme motifs potentiels de discrimination n’est pas gagnée.

    1 — Certains des prénoms ont été changés.


    Sur le même sujet : http://www.liberation.fr/debats/2016/04/24/philippe-blanchet-rejeter-un-accent-c-est-toucher-a-l-identite-de-l-etre_1448309


    Mais bon, même après tout cela, il y aura encore (et toujours) des abrutis pour venir nous dire que "la langue française (ou autre...) n'a pas de caractère de classe en soi, qu'est-ce que c'est que cette théorie ridicule" patati patata (ou encore "quelle honte" ce serait de parler de "discrimination" à ce sujet, comme s'il nous avait seulement effleuré l'esprit de comparer les choses à l'oppression subie par les racisé-e-s et comme si nous n'avions pas compris que nos Peuples font partie du premier cercle - le cercle blanc - de périphérisation autour du Centre du pouvoir capitaliste, et non du cercle colonial ; un premier cercle blanc qui a même, nous n'en ignorons rien, fourni ses contingents de "pauvres gars (qui) pouvaient faire carrière dans les colonies", à qui on "collait un uniforme sur le dos et (qui), dès lors, (pouvaient) aller jouer au patron chez les Noirs" - lire ici). Que voulez-vous que l'on vous dise !

    Annexe à notre étude sur la construction de l'entité "France" : "Comment les langues du peuple ont été rendues illégitimes" (article paru dans l'Humanité)

    Alors que fait rage, début 2016, la controverse sur la "réforme de l'orthographe", il peut être également intéressant de lire ceci : Notre orthographe si compliquée ? "C'est un choix politique"


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  • [Le concept-titre de cet article est aujourd'hui, après maturation idéologique, considéré comme une erreur gauchiste de notre part à l'époque. Un rectificatif de cette conception gauchiste comme quoi "la France n'existe pas sinon comme aliénation dans la tête des gens" peut être lu par exemple ici dans la deuxième partie de l'article : 

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/les-francais-selon-nous-ne-sont-pas-les-gens-du-bassin-parisien-a146645518

    Tous les faits historiques mentionnés dans le présent article n'en sont pas moins 100% réels et nous ne renions en aucun cas notre analyse de ces faits comme construction de ce qu'on appelle aujourd'hui la France en tant qu'empire parisien. Nous considérons simplement que cette réalité, nullement remise en cause, se double néanmoins de la constitution au fil des siècles d'une communauté de destin hexagonale, ne serait-ce que... dans la LUTTE partagée contre cet état de fait, cet "impérialisme" parisien oppresseur commun.

    En conséquence, cette communauté de destin populaire ne doit pas être totalement remise en cause (prôner l'indépendance de chaque "nation réelle" citée dans cet article...) dans sa lutte contre le quartier-général bourgeois, monopoliste financier trônant à Paris, et, depuis la seconde moitié du 20e siècle, les "nouveaux niveaux" de concentration du pouvoir financier que sont l'Union européenne, les institutions comme le FMI, l'hégémonie mondiale US etc. ; MAIS, dans cette lutte, elle ne peut tirer sa FORCE que de la reconnaissance et de l'affirmation de ses "petites patries" populaires constitutives dont parlait déjà Jaurès en son temps, dans une lutte pour la conquête populaire de la souveraineté à ce niveau là aussi ("vivre, travailler et décider au pays", en somme) ; tout ceci devant déboucher sur un Hexagone république socialiste fédérative, dans une nouvelle Europe "URSS" ou en tout cas "Comecon" de telles républiques : 

    https://www.facebook.com/groups/946438885830225/]


    Cet article s’inscrit dans le prolongement de la longue étude déjà menée par SLP, sur la manière dont s’est constituée la ‘France’ comme appareil politico-militaire et idéologique d’oppression et d’exploitation des masses laborieuses, sur le territoire géographique que nous connaissons (la carte qui orne toutes les salles de classe à l’école) et qui englobe plusieurs nations (que ce processus a niées politiquement).

    C'est là quelque chose de très important, pour ne pas dire fondamental. Car, en dernière analyse, tous les échecs – souvent sanglants – de la révolution prolétarienne dans cette entité étatique, depuis le ‘premier communiste’ Gracchus Babeuf jusqu’à nos jours en passant par 1848, la Commune, le Front populaire et la Libération, les mouvements populaires de 1968-75 ; et les lamentables piétinements comme nous connaissons depuis un quart de siècle, peuvent se résumer en ces termes : le mouvement communiste hexagonal n’a jamais réellement saisi la question de l’État.

    SermentPaumeC’est donc dans les toutes dernières années du 18e siècle et les premières du 19e, à partir de 1789, que l’État dans les frontières duquel nous vivons (et dont nous avons, précédemment, longuement parcouru la formation géographique, la construction politico-militaire et – parallèlement – les constructions nationales sur le territoire qui est le sien) entre dans sa forme contemporaine, c’est-à-dire, qui est toujours grosso modo la sienne aujourd’hui ; à travers un évènement MAJEUR, d’importance MONDIALE, duquel les historiens font classiquement débuter l’époque dite (précisément) ‘contemporaine’ : la Grande Révolution bourgeoise française, et ses répercussions (durant près d’un siècle) à travers toute l’Europe et le monde entier (en particulier l’Amérique latine).

    C’est que, après plus de trois siècles d’époque dite ‘moderne’, depuis la sortie du Moyen-Âge, avec la consolidation des États modernes (notamment, avec la fin de la Guerre de Cent Ans et l’unification espagnole), suivie dans la foulée des ‘Grandes découvertes’ dont celle des Amériques, le niveau des forces productives apporté à l’humanité par le développement du capitalisme exigeait, de toutes ses forces, un tel séisme politique à ‘onde de choc’ planétaire, déjà préfiguré par les révolutions parlementaires anglaises du 17e siècle, la révolution corse de 1729-69, la révolution/guerre d’indépendance américaine de 1775-83, ou encore les tentatives de ‘despotisme éclairé’ (autocratisme modernisateur anti-féodal) d’un Louis XV, d’un Frédéric II de Prusse, d’une Catherine II de Russie, ou d’une Marie-Thérèse et d’un Joseph II d’Autriche.

    Et c’est dans l’État dénommé ‘France’, alors le plus peuplé d’Europe (devant même la Russie), ayant sans doute (cela n’était certes pas mesuré à l’époque...) le plus important ‘PIB’ de la planète (même si le PIB par habitant pouvait sans doute être plus élevé ailleurs, en Angleterre ou aux Pays-Bas par exemple), et dont la langue et la culture des classes dominantes (aristocratie et grande bourgeoisie) étaient mondialement l’équivalent de l’anglais et de la culture nord-américaine aujourd’hui ; bref, le Centre du monde de l’époque, que cette contradiction entre le niveau de développement capitaliste et les vieilles scories féodales devait atteindre son intensité maximale et finalement exploser – car la révolution bourgeoise est une révolution qui éclate et se déploie depuis le CENTRE vers la Périphérie, et non l’inverse. 

    rc3a9volution-amc3a9ricaine1Il faut bien comprendre, à ce sujet, que les révolutions bourgeoises n’interviennent pas à l’aube du capitalisme, comme nécessités pour le développement de celui-ci. À ce stade, la bourgeoisie capitaliste ‘fait son nid’ dans le cadre politique (semi-féodal semi-grand-bourgeois) de l’État moderne, ce que les historiens appellent communément la monarchie absolue. C’est ce qui s’est produit en ‘France’, où cet État s’est d’abord construit entre la fin du 12e et la fin du 15e siècle (entre Philippe Auguste et Louis XI), avant de devenir le cadre de l’accumulation capitaliste entre la fin du 15e siècle et 1789. C’est ce qui s’est produit en Grande-Bretagne où l’État s’est construit entre Guillaume le Conquérant et la guerre des Deux-Roses (1455-85), puis après celle-ci il y eut l’absolutisme des Tudor et des Stuart, jusqu’aux révolutions bourgeoises de 1640-60 et 1688. C’est ce qui s’est produit en Russie avec les Romanov (du 17e siècle jusqu’en 1917), en Allemagne/Autriche et en Italie avec de grands États comme la Prusse, la Bavière, le Hanovre, l’Autriche-Hongrie habsbourgeoise ou le Piémont (ici, cependant, le morcellement politique en petits États princiers entrava le développement capitaliste), en Belgique dans le cadre des ‘Pays-Bas’ espagnols puis autrichiens (du 15e siècle jusqu’en 1793), etc. [certains pays ont connu très tôt des régimes politiques particuliers, comme la Suisse, confédération de ‘républiques’ paysannes libres et ‘patriciennes’ urbaines du Moyen-Âge jusqu’en 1800, ou les actuels Pays-Bas (‘Hollande’), qui ont connu dès 1568 une révolution bourgeoise et aristo-moderniste, sous l’étendard du protestantisme, contre la Couronne d’Espagne maîtresse de l’actuel Bénélux]. 

    Non, les révolutions bourgeoises interviennent lorsque le capitalisme, déjà bien développé, nécessite un ‘saut’, qui est le saut vers la révolution industrielle avec, à très court terme (grosso modo un siècle), la fusion du capital bancaire et du capital industriel dans les MONOPOLES. Pour cela, le capitalisme a alors besoin d’un grand marché et ne peut plus supporter le carcan des réminiscences féodales – et encore moins le morcellement politique principautaire, comme en Italie ou en Allemagne.

    Parfois, cependant (les idées faisant dès le 18e siècle ‘le tour du monde’), les idées révolutionnaires bourgeoises en ‘accostant’ dans un pays donné ne vont pas y trouver les conditions matérielles de leur réalisation. La bourgeoisie, trop faible, ne parvenant pas à écraser les forces féodales, ces pays vont alors devenir des pays dominés, soumis économiquement au capital des pays qui, eux, ont ‘réussi’ leur révolution bourgeoise et sont devenus industrialisés et impérialistes. C’est ce qui s’est produit en Amérique latine, où ont échoué (à briser l’organisation sociale coloniale/féodale) les révolutions bourgeoises du 19e siècle – Bolívar dans la région nord-andine, San Martín et Rosas en Argentine, Iturbide et Juárez au Mexique – et toutes les tentatives successives, autour de 1900 (‘révolution radicale’ argentine, ‘révolution alfariste’ équatorienne) et par la suite (péronisme, gétulisme, ‘développementismes’ en tout genre). C’est ce qui s’est produit en Anatolie avec Kemal Atatürk, et dans les pays arabes avec les mouvements ‘libéraux-constitutionnels’ de la première moitié du 20e siècle et les diverses ‘révolutions’ baathistes ou nassériennes de la seconde moitié. Dans ces pays, la faiblesse de la bourgeoisie (et sa dépendance vis-à-vis de l’impérialisme, qui surexploite les forces productives) fait que c’est le prolétariat, à la tête des classes populaires (paysannerie, intellectuels et petits ou moyens bourgeois progressistes), qui seul peut accomplir les tâches anti-féodales autrefois dévolues à la bourgeoisie (cela est d’ailleurs universellement vrai aujourd'hui pour tous les combats démocratiques contre des oppressions qui ne sont pas spécifiquement liées au mode de production capitaliste, mais sont des réminiscences des modes de production antérieurs, que le capitalisme n’a pas été capable de liquider).

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    La Fête de la Fédération, grand-messe révolutionnaire bourgeoise, le 14 juillet 1790


    Revenons-en maintenant à notre sujet, celui de l’État bourgeois qui nous entoure, l’État bourgeois dénommé ‘France’. Celui-ci, dans sa forme ‘moderne’, comme nous l’avons vu, a été l’œuvre des ‘grands rois’ qui se sont succédés depuis Philippe Auguste jusqu’à Louis XIV ; et des bourgeois (à la Jacques Cœur), aristocrates modernistes (à la Sully ou Richelieu) et parvenus en tout genre ayant l'‘oreille’ desdits monarques.  

    1801 Antoine-Jean Gros - Bonaparte on the Bridge at ArcoleDans sa forme contemporaine, actuelle, il aura essentiellement été l’œuvre d’un ‘petit caporal’, issu d’une petite nation fraîchement conquise (notamment avec la complicité… de son paternel) et (alors) pas encore pacifiée : Napoléon Bonaparte. Il faut bien se représenter à quel point même la période de la Restauration (des frères de Louis XVI, 1815-30) n’a pratiquement rien remis en cause de son œuvre, et combien les grandes ‘modernisations’ postérieures – de son neveu Napoléon III, de la 3e République, de la Libération 1944-47 et de la 5e République avec De Gaulle – n’ont fait que ‘compléter’ l’édifice.

    Il ‘pécha’ sur la fin de son règne (1799-1815) par mégalomanie militaire et volonté d’imiter l’Ancien régime, amenant la défaite face à l’Europe coalisée et ouvrant la porte à la restauration des Bourbons ; mais il aura réellement été le ‘maître d’œuvre’ de la révolution bourgeoise en ‘France’ (et son ‘impulseur’ dans une bonne partie de l’Europe conquise par lui), en termes de restructuration radicale de l’organisation sociale, de l’appareil politico-militaire et juridique (le fameux ‘Code Napoléon’), et de production idéologique, intellectuelle et culturelle (avec ses lycées, son baccalauréat, ses Grandes Écoles, sa réforme des universités ; l’inspiration apportée par son règne à l’art et à la littérature de tout le siècle suivant), au service du capitalisme désormais triomphant et ‘paré’  pour la révolution industrielle. Une œuvre politico-militaire, juridique et idéologique/culturelle adaptée, bien sûr, au capitalisme à la française et aux nécessités de celui-ci ; en marginalisant les courants politiques ‘allogènes’ comme le libéralisme (anglo-saxon) ou l’ultra-démocratisme de Rousseau (adapté aux petites républiques helvétiques).

    Ecole-Polytechnique-300x201.jpgC'est-à-dire que le règne de Napoléon a réellement forgé le centre d’agrégation de l’idéologie bourgeoise régentant l’édifice ‘France’ (avec son culte de l’État déifié, instrument de ‘l’intérêt général’, des institutions, de l’autorité et des ‘valeurs’, de la ‘méritocratie’, des formes et des ‘procédures’ etc.), même si d’autres courants idéologiques s’y trouvent représentés, avec lesquels il faut composer : la droite contre-révolutionnaire (pour laquelle, comme pour à peu près toute la bourgeoisie, 1793-94 est un ‘moment de folie’ effroyable, de ‘fanatisme égalitaire’ préfigurant les ‘totalitarismes’ marxistes du 20e siècle, mais est indissociable de 1789, qui a ‘ouvert les portes de l’enfer’ libéral-maçonnique, ultra-démocratique et socialo-communiste ; alors que les autres courants rejettent la Terreur mais célèbrent 1789) ; le libéralisme, qui a tenté depuis d’innombrables retours en force, dont le plus remarquable fut sans doute la Monarchie de Juillet (1830-48) – aujourd’hui, ce courant va du ‘girondinisme’ social-libéral au libéral-conservatisme reagano-thatchérien type Sarkozy ou Copé, en passant par la libéral-démocratie plus ou moins ‘mariée’ à présent avec la démocratie-chrétienne (‘démocrates sociaux’ au pays de la laïcité…) et les restes de l’ancien radicalisme 3e République (Borloo) ; et les héritiers du jacobinisme qui, de fait, a rapidement cessé d’exister, pour ne laisser subsister que des ‘bonapartistes de gauche’ (républicains pour la forme de gouvernement souhaitée, mais bonapartistes par la conception du monde). D’ailleurs, lorsque le désastre militaire de 1870 (deuxième fois que la ‘folie des grandeurs’ napoléonienne conduisait la France à une occupation étrangère…) eût définitivement écarté le bonapartisme comme ‘solution dynastique’, cette conception du monde devînt alors très majoritairement républicaine quant à la forme 'préférée' des institutions, tout en restant fondamentalement inchangée : c’est tout simplement l’idéologie républicaine, qui est encore notre ‘religion d’État’ aujourd’hui. 

    200px-SansculottesIl faut dire que la bourgeoisie, après avoir arraché en 1789 son statut de ‘représentation nationale’ et l’abolition des privilèges féodaux, mis fin en 1790 au ‘mille-feuille’ administratif, juridique et fiscal (pour le remplacer par une organisation rationnelle), puis obtenu – apparemment – son triomphe en 1791 avec la promulgation de la première Constitution de l’histoire du royaume, suivie dans la foulée par l’élection de la première Assemblée nationale, était profondément divisée en une multiplicité de fractions (selon la base d’accumulation économique) et de courants politiques (centralisme ou ‘réduire Paris à 1/83e d’influence’, place réservée à la monarchie, rôle de l’Église etc.), et ainsi plongée dans un ‘flou artistique’ quant à la forme des institutions et de l’organisation sociale sur laquelle appuyer le nouveau (grand) cycle d’accumulation et de développement des forces productives. Lorsqu’au printemps 1792 commença à se lever le vent puissant de la contre-révolution, avec l’invasion des armées coalisées de l’Europe absolutiste, amenant dans leurs bagages les émigrés aristocrates ou ecclésiastiques qui avaient quitté le pays depuis 1789, le début de l’agitation intérieure menée par la noblesse non-émigrée et le clergé ‘réfractaire’ (au serment à la Constitution), et enfin la trahison du roi (que la bourgeoisie voulait, à l’origine, instituer comme ‘clé de voûte’ de l’édifice), elle s’en trouva profondément déstabilisée ; ce qui ouvrît la voie à la fraction la plus ‘radicalement’ démocratique et égalitariste, ‘rousseauiste’, appuyée sur les petits employeurs et indépendants de Paris, et leur main d’œuvre – ceux que l’on allait bientôt appeler prolétariat – organisés dans les ‘sections sans-culotte’. Cette fraction (essentiellement des bourgeois intellectuels, des médecins, des avocats, ce que l’on appelle aujourd’hui des ‘professions libérales’, pas des propriétaires de moyens de production – terres ou ateliers), après l’élimination de son aile ‘provinciale’ (les ‘girondins’, moins radicaux socialement et privés de la base sociale du petit peuple parisien), eût, dans la perspective historique d’alors, le mérite d’assurer une mobilisation de masse hors-pair face à la contre-révolution extérieure comme intérieure (et de préserver la centralisation parisienne, sur laquelle les fractions les plus puissantes de la bourgeoisie révolutionnaire avaient bâti leur prospérité). Mais, dès la menace contre-révolutionnaire (relativement) conjurée, elle explosa  au premier semestre 1794 sous ses contradictions (‘gauchistes d'Hébert, modérés de Danton et idéalistes’ de Robespierre), tandis que dans le ‘Marais’ conventionnel (la grande majorité des élus de 1792, jusque-là passive) s’organisait son élimination, qui fût chose faite en juillet 1794 (thermidor An II). 

    [Lire au sujet de tout cela : http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/quelques-verites-sur-la-revolution-bourgeoise]

    Sous la ‘Convention thermidorienne’ puis le régime du ‘Directoire’, tout en ‘exportant’ massivement sa révolution à travers l’Europe (création dans le sillage de ses armées de toute une série de républiques bourgeoises et même annexion de l'actuelle Belgique, du Luxembourg et de la Rhénanie... non sans farouches résistances), la bourgeoisie hexagonale (pyramide bourgeoise coiffée par Paris) replonge alors dans le ‘flou artistique’ de 1790-92 quant à la forme et au contenu du nouvel Étatà son service désormais exclusif.

    C’est à ce ‘flou artistique’ que vint mettre fin le coup d’État militaire du 18 brumaire An VIII (9 novembre 1799) mené par Napoléon Bonaparte, auquel se rallièrent massivement ‘républicains modérés’ de 1792-94 (Sieyès), ‘girondins’ survivants mais aussi anciens jacobins (Fouché), partisans de la Constitution de 1791 opposés à la Convention (Talleyrand), etc. ; ne gardant comme opposition que – évidemment – les royalistes-catholiques partisans de la restauration des Bourbons (comme Cadoudal, ou les auteurs de l’attentat de la rue Saint-Nicaise), les libéraux ‘à l’anglaise’ (comme Benjamin Constant ou Mme de Staël) et les jacobins les plus radicaux (‘conspiration des poignards’, également inquiétés un temps après Saint-Nicaise). 

    f8.highresDrapé dans les attributs d'un dictator à la romaine mais en réalité plus héritier d’un Henri IV après les Guerres de Religion ou d’un Louis XIV après les troubles de la Fronde, le Premier consul Bonaparte (sacré empereur en 1804) assoit en fait son pouvoir sur un rôle d'‘équilibriste’ de l'‘unité nationale’, que l’effondrement – sans véritable remplacement – de l’autorité monarchique en 1791-92 avait fait voler en éclat, ‘donnant des gages’ (souvent institutionnels) à toutes les forces en présence : bourgeoisie nouvelle (ayant profité des évènements depuis 1789) comme ‘ancienne’ (déjà bien installée sous l’Ancien régime, y ayant parfois perdu), noblesse reconvertie en propriété foncière et notables 'racheteurs' de 'biens nationaux' (biens aristocratiques ou ecclésiastiques expropriés), républicains comme monarchistes, ‘rationalistes’ comme cléricaux, catholiques (avec le Concordat) comme protestants et juifs (émancipés par la Révolution), Île-de-France comme ‘province’, etc. etc.

    Historiquement, c’est cette nécessité française d’un pouvoir étatique ‘fort’, NON PAS ‘au dessus des classes’, mais ‘arbitre’ entre les différentes fractions de la classe dominante pour le ‘bien commun’ du capitalisme en général (en prenant ‘le petit peuple à témoin’), qui est à l’origine de la tendance du socialisme français (qui a largement imprégné le marxisme appliqué en ‘France’) à voir l’État comme un acteur ‘neutre’, voire potentiellement bénéfique, ‘allié’ des classes laborieuses… Une tendance à l’origine de quasiment toutes les erreurs, tous les échecs.

    Et le ciment de cet ‘équilibre’ entre fractions dominantes, et de ce ‘lien direct’ entre l’État et le ‘peuple citoyen’, l’’arbitre’ étatique va aller le chercher dans le ‘patriotisme’ érigé en religion d’État, dans un CHAUVINISME ‘français’ devenu mondialement proverbial, et dans l’EXPANSION MILITAIRE (sous Napoléon Bonaparte et déjà sous le Directoire ; à laquelle succèdera l’expansion COLONIALE dès 1830 et surtout à partir des années 1860 et sous toute la 3e République).

    Toutefois, dans un premier temps, la ‘démesure’ de l’expansionnisme militaire napoléonien mènera l’Empire à sa perte. La lutte reprend, alors, entre fractions de la classe dominante portant chacune une ‘solution dynastique’ (les évènements de 1792-94, suivis de l’instabilité du Directoire, font que l’’option’ républicaine est alors très minoritaire, sauf dans la petite bourgeoisie et le prolétariat franciliens ; ou alors, est envisagée comme solution transitoire – comme en 1848 et encore en 1870).

    755px Eugene Delacroix La liberte guidant le peupleLa Restauration de Louis XVIII et Charles X, comme l’analyse très justement Marx, est effectivement l’expression de classe des propriétaires fonciers (ancienne noblesse ou ‘racheteurs’ des droits féodaux en 1789). Non seulement le cens électoral (seuil d’imposition pour pouvoir voter) est très restrictif, mais il est assis sur le patrimoine immobilier (donc la propriété de bâtiments résidentiels et de terres) et non sur les revenus du capital (‘patente’ des entrepreneurs). Pour autant, il ne s'agit pas vraiment d'une 'contre-révolution' mais (disons) d'une 'pause-rétrocession', d'une 'petite marche arrière' dans la grande marche du capitalisme vers le pouvoir social total (depuis les "petites révolutions" urbaines du Moyen Âge jusqu'à l'apothéose de la fin du 19e siècle) : on a globalement le régime que l'on aurait eu si Louis XVI n'avait pas 'fait le con' et été renversé en 1792. Un 'culte' tout particulier est d'ailleurs rendu par le régime à... Henri IV, le plus 'populaire', le plus 'BOURGEOIS' des rois de l'Ancien Régime (et le plus révéré, aussi, par la paysannerie moyenne et aisée qu'il s'agit de disputer - comme base sociale - au bonapartisme).

    En dépit de ces obstacles (en investissant ‘dans la pierre’ et la terre…), la bourgeoisie financière et entrepreneuriale parvient tout de même à former un parti ‘libéral’ qui prend le contrôle des Chambres restaurationnistes dans les années 1820 : c’est depuis ce bastion qu’elle ‘tirera les marrons du feu’ de la révolution de 1830 (contre le coup de force de Charles Le_Chemin_de_Fer_c1840.jpgX), révolution bourgeoise et populaire parisienne où se faisaient concurrence les slogans de ‘Vive la République’ et… ‘Vive Napoléon II’.

    La Monarchie de Juillet (Louis-Philippe d’Orléans), qui prend la suite, est le régime des banquiers et de la grande bourgeoisie industrielle ; elle agrège autour des ‘libéraux à l’anglo-saxonne’ (un La Fayette par exemple, au soir de sa vie, peut affirmer ‘voir enfin son rêve se réaliser’ et acclamer la ‘meilleure des républiques’...) bon nombre de bonapartistes ‘pragmatiques’, de légitimistes ‘modernistes’ dépités par l’intransigeance de Charles X et de républicains modérés qui y voient un ‘lot de consolation’ ; et elle voit l’apogée de la ‘première révolution industrielle’ hexagonale sur le mot d’ordre du ministre Guizot : ‘Enrichissez-vous !’.

    Malgré cela, les nouvelles couches bourgeoises qui émergent à cette époque restent exclues, par le cens électoral, de la ‘citoyenneté active’ ; elles s’organisent dans les années 1840 autour des ‘banquets républicains’ (l’option républicaine reprend de la vigueur, et commence à développer un ‘tissu’ provincial) et – toujours – de l’option bonapartiste, et ‘rencontrent’ à l’hiver 1847-48 un puissant mécontentement populaire causé par une dure crise économique (chômage etc.) : c’est la révolution de 1848 ; la première qui verra le prolétariat parisien (désormais doté d’une certaine conscience de classe) rompre avec la bourgeoisie y compris républicaine (à l’exception d’une petite frange ‘démocrate-socialiste’ très radicale, qui l’encadrera encore en 1870-71), ce qui mènera aux barricades de juin 1848 et à l’écrasement – sanglant – du prolétariat par la bourgeoisie.

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    Lamartine défendant le drapeau tricolore de la bourgeoisie face au drapeau rouge ouvrier, février 1848


    Suite à ces évènements, ‘Napoléon le petit’, le neveu de Napoléon Ier, Louis-Napoléon Bonaparte, est élu Président de la République en décembre 1848, effectivement en s’appuyant très largement sur la classe la plus nombreuse de l’époque : la petite et moyenne paysannerie propriétaire (voire micro-propriétaire, ‘parcellaire’), à laquelle on pourrait ajouter la petite bourgeoisie artisanale et commerçante de 'province'. MAIS ce que Marx n’a pas correctement saisi dans son  18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte (écrit dans la foulée des évènements, début 1852, juste après le coup d’État du 2 décembre 1851), c’est qu’il s’agissait là d’une piétaille électorale-plébiscitaire, d’une masse de manœuvre enivrée par le souvenir ‘glorieux’ du ‘mythe’ napoléonien. Comment, en effet, un pays capitaliste avancé comme la ‘France’ aurait-il pu être gouverné par un représentant direct d’une classe subalterne, misérable, écrasée de dettes, souvent à demi-illettrée, et dont les cadets (seul l’aîné pouvant reprendre la parcelle, trop petite pour être divisée) allaient grossir en ville les rangs de la classe ouvrière ? sum29 dargent 001fD’ailleurs, comme le relève très justement Marx en contradiction avec sa propre analyse, ce soutien de la ‘paysannerie parcellaire’ au ‘Prince-président’ est loin d’être unanime : en réalité, il est traversé une fois de plus par le clivage historique centre/périphérie. Lors du coup d’État de décembre 1851, les départements du Bassin parisien (même Paris ne connaît pas un soulèvement spectaculaire : il y aura au maximum 2.000 insurgé-e-s), du Nord et de l’Est ainsi que de l’Ouest atlantique catholique et conservateur (encadré par la propriété foncière ex-noble et le clergé, le parti légitimiste) soutiennent ou, en tout cas, restent calmes ; mais la ‘ruralité’ en particulier de Provence et du ‘Midi’ occitan en général [1], encadrée par des ‘sociétés secrètes’ républicaines voire socialisantes depuis plusieurs années, se soulève en masse et le gouvernement perd un temps le contrôle de la Haute-Provence ('Basses-Alpes'). Il faut bien se représenter que l’Assemblée nationale ‘républicaine’ élue en mai 1849 comptait, en réalité, sur 700 et quelques membres, quelques 450 élus du ‘Parti de l’Ordre’, dont une grande majorité de légitimistes et d’orléanistes (comme Thiers), voyant le régime comme ‘transitoire’ avant l’avènement de leur ‘champion’ sur le trône, finalement peu de vrais bonapartistes, et quelques républicains ‘à l’américaine’ comme Tocqueville ou ‘modérés’ comme Cavaignac (le répresseur de Juin 1848) ; faisant face à 180 représentants de la gauche républicaine avancée et ‘démocrates-socialistes’, les ‘quarante-huitards’ des Journées de Juin (Ledru-Rollin etc.)… et comme le montre cette carte, ce courant n’était pas spécialement fort à Paris et en Île-de-France mais au contraire en Occitanie centrale (toulousaine, languedocienne) et provençale, en Occitanie du Nord (Périgord, Limousin, Auvergne), en Catalogne-Nord (Roussillon), en Arpitanie ainsi que dans le Berry et le sud de la Bourgogne (Nièvre, Saône-et-Loire) ou encore en Alsace et dans le Nord : des régions rurales (à l'exception du Nord industriel-minier) et 'périphériques' où il s’appuyait sur les petits paysans surendettés et les journaliers agricoles (très nombreux dans une agriculture non-mécanisée), certaines productions particulières (forestiers, vignerons), et la petite-bourgeoisie paupérisée, professions libérales et fonctionnaires, en plus bien sûr d’une part significative de la classe ouvrière urbaine... et rurale (industrie rurale typique du capitalisme 'français' : Haut-Jura, Haut-Bugey avec Oyonnax, Carmaux, La Sala 'Decazeville', Gardanne en Provence, etc. etc.).

    Quelle classe ou fraction de classe était donc, dès lors, réellement au PILOTAGE de cette masse de manœuvre paysanne arriérée ?

    380529.jpgLa réponse, en réalité, c’est que le Second Empire de Napoléon III était le régime des fractions capitalistes bancaires et industrielles commençant à fusionner dans les monopoles ; mouvement symbolisé, par exemple, par la division du territoire en grandes ‘concessions’ monopolistes de chemin de fer ou par la création (1864) de la Société générale, méga-banque – encore aujourd’hui ‘fleuron’ de la haute finance BBR – fondée par des capitaux industriels (dont Paulin Talabot qui en fut le premier directeur) et bancaires (Rotschild) dans le but (‘raison sociale’) de ‘favoriser le développement du commerce et de l'industrie en France’ et dont un ‘capitaine d'industrie’, Eugène Schneider ('père' de la cité industrielle du Creusot), deviendra le premier président. Les deux autres 'piliers' (considérés comme tels) du capital financier BBR, le CNEP (future BNP) et le Crédit lyonnais, apparaissent et prennent également leur essor à la même époque (1848 et 1863). Un autre ‘indicateur’ étant, bien entendu, la reprise très nette de l’expansion outre-mer (avec toutefois des tentatives Schneider_Eugene.jpgmalheureuses, comme au Mexique) : ‘pacification’ achevée de l’Algérie, ‘prise pied’ au Liban et en Chine, au Sénégal (point de départ de la colonisation ouest-africaine) et au Gabon (point de départ en Afrique équatoriale), en Cochinchine (sud du Vietnam, point de départ de la colonisation de l’Indochine) ainsi qu’à Obock (Djibouti) sur la route de l’Océan Indien, ouverte en 1869 par le Canal de Suez conçu par le promoteur et diplomate français Lesseps.

    Une œuvre qui sera, après le ‘flottement’ institutionnel des années 1870, largement poursuivie et élargie par la 3e République, ‘âge d’or’ par excellence des monopoles BBR qui règnent alors sur le deuxième empire colonial du monde, après l’Empire britannique.

    Telle est l’analyse juste, en termes d’économie politique, du Second Empire. Appuyé essentiellement, au départ (‘décennie autoritaire’ 1850-60), sur des éléments 'républicains' très conservateurs et orléanistes (en plus des bonapartistes bien sûr) ainsi que sur des légitimistes partisans – avant tout – de la défense de la propriété et des ‘valeurs’, il ‘intègre’, dans la ‘décennie libérale’ 1860-70, de plus en plus de courants républicains modérés, libéraux etc. formant un ‘Tiers Parti’ (‘bonapartiste de gauche’) qui domine le Corps législatif à la fin du règne. La bourgeoisie voit alors le régime comme ‘éternel’ (dans une œuvre d’anticipation, Jules Verne pouvait ainsi faire régner un ‘Napoléon V’ en... 1960) et seule la débâcle militaire de 1870 viendra y mettre un terme (l’Allemagne naît alors comme ‘ennemi héréditaire’ surpuissant à la frontière la moins ‘protégée’ du pays ; la responsabilité bonapartiste est telle que ‘l’option dynastique’ Bonaparte disparaît très rapidement du paysage politique).

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    Inauguration du Canal de Suez en présence de l'impératrice Eugénie, 1869


    Napoléon Ier ‘préparant le terrain’ à la révolution industrielle, Napoléon III inaugurant le règne des monopoles : nous avons là l’archétype de la dictature du Capital ‘à la française’, le cadre politique dans lequel – seul – peut réellement s’épanouir le capitalisme hexagonal : un exécutif fort, mettant autoritairement et/ou diplomatiquement ‘tout le monde (toutes les fractions de la classe dominante) d’accord’, à travers une autorité assise sur le ‘lien direct avec le peuple’ (les éléments arriérés, conservateurs, non-conscients de leurs intérêts propres, des couches populaires et moyennes). C’est leviathan.jpgfinalement la conception du Léviathan de Hobbes (anglais du 17e siècle, partisan de l’absolutisme ‘à la française’), par opposition au libéralisme politique de John Locke et Montesquieu, Constant ou Tocqueville, et au démocratisme de Rousseau. Un État qui, pour préserver la stabilité de l’édifice, que la moindre instabilité sociale (sans même parler de situation révolutionnaire au sens marxiste) peut faire voler en éclat, ne peut être que policier ; et c’est ainsi que dès le Consulat, avec Fouché, émerge une figure qui deviendra un ‘pilier central’ de l’État BBR contemporain : celle du ‘premier flic’, du Ministre de l’Intérieur. Napoléon Ier aura son Fouché ; la Monarchie de Juillet ses Thiers, Guizot ou Montalivet ; Napoléon III son Morny (acteur essentiel du 2 décembre 1851 puis ‘éminence grise’ tout au long du règne, bien qu’il n’ait occupé le poste que brièvement en 1851-52) ; la 3e République aura son ‘tigre’ Clémenceau ; la 4e 052(difficilement naissante) son Jules Moch (1947-50) ; la 5e (en danger, 1968-74) son tristement célèbre Marcellin ; tandis que sur le poste, un Charles Pasqua ou un Nicolas Sarkozy pourront bâtir leur carrière politique, jusqu’à l’Élysée pour le second… ‘La France est un pays de flics, à tous les coins de rue il y en a cent’ chantait l’’anarchiste’ petit-bourgeois Renaud en 1975 ; et il est vrai, par exemple, que les petits-bourgeois allant frissonner au contact de la ‘dictature’ cubaine en reviennent surpris par la faible visibilité policière, comparée à un début de soirée sur les boulevards parisiens.

    Et tout cela baignant dans un ultra-chauvinisme bleu-blanc-rouge patriotard, la célébration du ‘drapeau’ [2], de l’hymne et de l’armée portant ‘aux quatre coins du monde’ la ‘grandeur’ de la ‘France’ ; culte barbare remplissant les tranchées et les cimetières militaires géants de Douaumont et d’ailleurs comme jadis les Carthaginois nourrissaient d'enfants la gueule incandescente du Moloch :

                   Aout14Verdun-une-tranchee-du-ravin-de-la-mort

    Donc, après la sanglante défaite et la capture de l’empereur à Sedan (septembre 1870), la république est à nouveau proclamée à la hâte. Pourtant, les républicains ‘authentiques’ (partisans de la république comme forme définitive de gouvernement) ne sont, suite aux élections de 1869, que 30 sur 289 députés : pour beaucoup, encore une fois, il s’agit là d’un régime transitoire. La classe dominante replonge dans le ‘flou artistique’ quant à la forme des institutions, et chaque fraction, chaque ‘centre de pouvoir’ pousse à nouveau en avant sa ‘solution dynastique’. Après la démission de l’orléaniste – ‘converti’ à la république – Adolphe Thiers en 1873, c’est le maréchal légitimiste Mac-Mahon qui est investi d’une sorte de ‘régence’, dans l’attente de la ‘solution dynastique’ en question, pour une durée de sept ans : c’est l’origine du fameux septennat présidentiel, qui restera en vigueur jusqu’en 2002. 

    communeparistardiCette ‘république’, comme (à peu près) tout le monde le sait, sera ‘baptisée’ dans le sang des Communes de Marseille, Narbonne, Lyon (entre autres) et bien sûr la plus mondialement connue : la Commune de Paris dont la répression par les ‘Versaillais’ (commandés... par Mac-Mahon) fera plusieurs dizaines de milliers de victimes et que les marxistes analysent comme la première ébauche de révolution prolétarienne et de dictature du prolétariat de l’histoire ; bien qu’encore largement sous la direction d’une petite-bourgeoisie ‘sans-culotte’/’quarante-huitarde’, républicaine ‘ultra-radicale’ ou ‘démocrate-socialiste’. En réalité, ‘l'année terrible’ (1871) des Communes peut être qualifiée de ‘charnière historique’ : c’est à la fois la première tentative de révolution prolétarienne et la dernière insurrection ‘plébéienne’ CommuneFederesfusillespetite-bourgeoise ayant pour centre Paris (bien que fort peu 'centraliste', prônant au contraire une 'République sociale' sous forme d'une 'Fédération révolutionnaire de Communes'), écrasée avec l’appui des ‘notables’ et de la paysannerie conservatrice de ‘province’ ; la première ‘ébauche’ de dictature du prolétariat et la dernière dictature de ‘salut public’ à la (17)‘93’. Marx et Engels analyseront longuement les causes de son échec. 

    Après cette répression, qui marque la rupture finale et définitive entre la bourgeoisie (désormais principalement alliée aux résidus féodaux, et seulement secondairement en contradiction avec eux) et le prolétariat – bien que des bourgeois, comme Victor Hugo ou Clémenceau, prennent la défense des Communards sur un mode paternaliste ; les ‘solutions dynastiques’ s’évanouissent les unes après les autres : le bonapartisme, on l’a dit, est ‘grillé’ par le désastre de 1870 et l’héritier du trône meurt en Afrique du Sud, dans l’armée britannique, face aux Zoulous ; les orléanistes n’ont pas de prétendant réellement ‘motivé’ (la bourgeoisie qu’ils représentent s’accommode, finalement, de n’importe quel type de régime, comme l’a montré Thiers, orléaniste devenu républicain conservateur), enfin, la propriété foncière et l’Église catholique légitimistes se ‘cassent les dents’ devant l’intransigeance de leur prétendant, le comte de Chambord, qui rejette de la révolution bourgeoise jusqu’au drapeau tricolore et voudrait 250px-Macmahonrevenir en 1788…

    Finalement, les républicains deviennent ultra-majoritaires aux élections de 1876 et 1877, et Mac-Mahon jette l’éponge en 1879 : c’est la véritable naissance de la 3e République ; comme solution institutionnelle à laquelle s’est – finalement – ralliée la grande majorité des ‘dominants entre les dominants’, la bourgeoisie monopoliste naissante qui s’était jusqu’alors épanouie dans le Second Empire.

    Paradoxalement, ce régime, qui sera le plus long qu’ait connu la ‘France’ entre 1789 et nos jours (70 ans, 1870-1940), n’aura jamais de véritable constitution, mais un ensemble de ‘lois constitutionnelles’ adoptées autour de 1875, sous l’impulsion de ‘modérés’ (partisans aussi bien d’une monarchie ‘moderne’ que d’une république conservatrice) comme Casimir-Perier ou Jules Dufaure. Et, contrairement à une idée fausse mais répandue, le Président de la République, élu pour 7 ans (renouvelables sans limite, même si aucune présidence ne ‘durera’ finalement plus 03de 8 ans), n’est constitutionnellement pas une ‘reine d’Angleterre’ : il dispose au contraire de pouvoirs très étendus, prévus à l’origine pour le ‘régent’ Mac-Mahon, et il peut exercer – s’il le veut – un pouvoir tout aussi fort que celui de Napoléon III dans les années 1850. Simplement, avec la période de prospérité économique et de stabilité dans laquelle entre alors le capitalisme hexagonal (la ‘Belle époque’), et devant des menaces révolutionnaires très marginales (agitation anarchiste des années 1890, syndicalisme révolutionnaire des années 1900-1910, restant sur un terrain strictement économique), il renonce à en faire usage et s’efface devant les Chambres (le Parlement) et le Président du Conseil (chef du gouvernement) désigné par elles (restant rarement en place plus de 3 ans) : c’est la république des notables. Il y aura cependant des ‘présidents forts’, qui tiendront tête à leurs présidents du Conseil et aux ‘notables’ députés : Jules Grévy (1879-87) face à Gambetta, Raymond Poincaré (1913-20) pendant la grande boucherie de 14-18, Alexandre Millerand (‘socialiste’ bourgeois passé très à droite, 1920-24) qui ira jusqu’à envisager un ‘coup d’État’ (en réalité, l’usage plein et entier des ses prérogatives constitutionnelles) face à l’agitation sociale de l’époque (au lendemain de la Révolution d’Octobre), mais finira par renoncer devant la victoire électorale du ‘Cartel des gauches’ (radicaux et sociaux-démocrates), etc.

    julesferryL'on peut distinguer dans cette 3e République deux grandes périodes : la période ‘modérée’ (1879-1902), dominée par les républicains ‘opportunistes’ (conservateurs, prêts à de grandes concessions envers les forces post-féodales et non-républicaines en général afin d’‘acheter’ leur soutien à la république et leur alliance contre la ‘menace’ ouvrière) avec les figures célèbres de Gambetta (leader de la ‘défense nationale’ en 1870-71), Jules Ferry (‘père’ de l’école ‘républicaine et laïque’), Jules Grévy, Félix Faure etc. ; puis la période ‘radicale’ (1902-1940) durant laquelle ce parti (‘républicain radical et radical-socialiste’), à la ‘gauche de la gauche’ dans les années clemenceau.jpg1870-80 mais ‘poussé vers le centre’ par le développement du mouvement ouvrier et socialiste, sera de toutes les majorités gouvernementales (avec notamment la figure du 'Tigre' et 'Père-la-Victoire' de 1918, Clémenceau) – les anciens ‘républicains opportunistes’ formant alors l’Alliance démocratique tandis qu’une aile droite se retrouve avec les anciens orléanistes, bonapartistes et catholiques ‘ralliés’ à la république (ne faisant plus qu’y défendre leurs ‘valeurs’ sans chercher à rétablir une monarchie) au sein de la Fédération républicaine. Les éléments les plus réactionnaires, ultra-chauvins (la ‘France’ est alors dans une ‘guerre froide’ de plus de 40 ans avec l’Empire allemand, jusqu’en 1914), antidémocratiques et antisémites (affaire Dreyfus, 1894-1906) fusionnent quant à eux avec les résidus monarchistes (orléanistes ou légitimistes) dans l’Action française de Charles Maurras (républicain agnostique converti au royalisme catholique en vertu de sa théorie du ‘nationalisme intégral’). Globalement, la 'formule' préférée des monopoles BBR serait celle associant Parti radical et Alliance démocratique (éventuellement avec des 'socialistes indépendants' ultra-opportunistes comme Millerand ou Viviani) ; cependant, les radicaux devront parfois s’allier ‘tactiquement’ (pour contenir la pression populaire) à la ‘gauche’ SFIO et ‘républicaine-socialiste’ (1924-26, et bien sûr Front populaire 1936-38) tandis que, face à la menace 'rouge' du prolétariat, la 'république des notables' peut aller 'chercher des majorités' très, très à droite (Chambre 'bleu horizon' de 1919-24, alors que le monde est ébranlé par la Révolution bolchévique)... 

    paris-expo1900.jpgMais dans tous les cas, c’est la CONCEPTION CAPITALISTE DU MONDE ‘à la française’, développée sous Napoléon Ier et ‘mise à jour’ sous Napoléon III pour entrer dans l’ère des monopoles, qui domine et même triomphe à cette époque, quelles que soient les majorités et les gouvernements. C’est l’’âge d’or’ du capitalisme hexagonal, entré dans son stade monopoliste ; ‘âge d’or’ symbolisé par les Expositions universelles de 1889 (qui célèbre le centenaire de la révolution bourgeoise, et voit la construction de la Tour Eiffel) et de 1900, faisant de Paris la ‘ville lumière’ qui – seulement concurrencée par Londres – rayonne sur les ‘nations civilisées’. Sur le plan de la culture dominante, Victor Hugo est érigé en ‘figure tutélaire’ et inhumé directement au Panthéon à sa mort en 1885. En effet, son œuvre littéraire est un ‘monument’ bourgeois du 19e siècle et politiquement, son parcours est l’incarnation même de la ‘synthèse nationale’ appelée de ses vœux par la république ‘définitive’ : fils d’un fameux général d’Empire d’origine lorraine (opérant en Espagne au côté du frère de Napoléon, Joseph Bonaparte) et d’une nantaise plutôt catholique et royaliste ; il a lui-même été légitimiste sous Charles X, puis orléaniste (siégeant à la Chambre des Pairs en 1845, confident de Louis-Philippe) sous la Monarchie de Juillet ; puis républicain (droite conservatrice, menant personnellement la répression des Journées de Juin en tant que maire du 8e arrondissement) en 1848 ; puis, d’abord soutien de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, il n’aura finalement été, au cours de sa vie, un opposant politique qu’à celui-ci (ce qui ne sera pas un problème, loin de là, vu comme le Second Empire sera 'grillé' et honni après 1870), s’exilant à Guernesey après le 2 décembre 1851 pour ne revenir victor-hugoqu’en 1870 ; mais, s’il pourfend ‘Napoléon le petit’, il reste, comme tous les bourgeois de son siècle, un profond admirateur du ‘Grand’, auquel il est relié par la figure paternelle. Devenu républicain ‘définitif’ au cours de son exil, il reviendra en héraut de la République ‘modérée’, ‘raisonnable’ et ‘social-progressiste’ paternaliste (appelant à la clémence envers les Communards et à la ‘générosité’ bien-pensante d’un Jean Valjean envers les Cosettes et les Gavroches prolétaires) que les monopoles nouveau-nés appellent de leurs vœux. Républicain et ‘homme de progrès’, il n’en est pas moins resté profondément catholique, chrétien social dans la lignée de Lamennais et ainsi un ‘éclaireur’ du catholicisme rallié (à la république), qui devient massif dans les années 1880-90…

    Et puis l'entrée dans l'âge des monopoles (véritable signification historique de la 3e République), c'est aussi l'époque où le Capital va vouloir modeler toute la société à son image. Le 'citoyen' travailleur ne peut plus se contenter d'être un simple vendeur de force de travail pendant la journée et de retourner tranquillement à sa petite vie 'traditionnelle' le soir venu : il doit devenir un homo capitalistus intégral, producteur ET consommateur, valorisant et défendant le Capital dans chacun des gestes de son quotidien, lui consacrant sa vie et même - si besoin - versant son sang pour lui ; il doit être à chaque instant un soldat des monopoles car l'ère des monopoles est finalement en elle-même, par delà les cycles de récession et de reprise, une longue et inexorable crise générale (commencée dans les années 1860-70).

    C'est ainsi que la 3e République, parachevant brutalement l’œuvre initiée (pour 'préparer le terrain' à la révolution industrielle) par la Révolution et l'Empire, va prendre 'à bras le corps' cette tâche indispensable : la 'France' ne peut plus être une simple juxtaposition de peuples et de nations, réunis sous l'autorité personnelle d'un souverain ; elle doit devenir une 'nation' artificielle en elle-même, une 'nation' de 'bons citoyens' homo capitalistus, travailleurs dévoués et soldats disciplinés sous l'étendard bleu-blanc-rouge de la bourgeoisie.

    La Guerre aux pauvres commence à l’école : sur la morale laïque (entretien avec Ruwen Ogien sur le site Questions de Classe(s))C'est donc l'époque des 'hussards noirs de la République', du 'Soyez propres - Parlez français' (ou carrément 'Interdit de parler patois et cracher par terre' !) sous le préau de la cour d'école et du 'Tu seras soldat' au tableau noir : l'école 'républicaine et laïque' prend le relais du curé de campagne pour former une armée de ‘cœurs et d'esprits’ tricolores, au garde-à-vous à l'usine comme aux tranchées. Son 'père', érigé en 'saint républicain' jusqu'encore aujourd'hui, le Jules Ferry qu'on ne présente plus, exposait les choses en ces mots avec une franchise qui ne caractérise plus guère notre bourgeoisie actuelle - encore que l'on y revienne : "Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes [l'attaque est  ici dirigée contre l’Église catholique... et le contre-pouvoir que celle-ci représentait encore à l'époque pour les masses paysannes, qu'il s'agissait de soumettre définitivement à l'ordre bourgeois]. Si cet état des choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles ne se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 28 mai 1871"... c'est-à-dire la Commune de Paris ! Et pourtant, ‘l’École de la République’ est encore aujourd’hui une entité semi-divine, un totem, une vache sacrée pour toute une ‘gauche’ réformiste petite- et moyenne-bourgeoise, y compris ‘radicale’ et même prétendument ‘révolutionnaire’ (trotskystes, ‘ML’ thorézo-brejnéviens) ; ce qui illustre bien tout le ‘problème français’ de la révolution prolétarienne en Hexagone.

    La politique d'anéantissement des 'patois' (autrement dit des langues et des cultures populaires, celles des ouvriers et des paysans ! - à ce sujet lire ici : Comment les langues du Peuple ont été rendues illégitimes) par l'école de Jules Ferry, ce grand thème de combat de toutes les luttes de réaffirmation des Peuples en Occitanie comme en Bretagne comme ailleurs, aura été en réalité l'aboutissement ultime de l'affirmation-imposition du capitalisme sur la société depuis le Moyen Âge et la naissance de l'État moderne ; le parachèvement de la transformation des masses populaires en pure force de travail privée de tout moyen de production et de subsistance et condamnée à se vendre quotidiennement au Capital, en pure chair à usine... et à canon

    [Lire : http://partage-le.com/2018/10/linvention-du-capitalisme-comment-des-paysans-autosuffisants-ont-ete-changes-en-esclaves-salaries-pour-lindustrie-par-yasha-levine]

    Elle aura été un moyen pour briser toute cohésion sociale populaire 'spontanée' échappant au contrôle du Capital et de son État. Le grrrrrand argument des jacobinards de tout poil est que "le français nous unit" ("sinon comment ferait-on pour se comprendre d'une région ou même d'un patelin à l'autre !!?" blablabla) mais c'est éminemment FAUX, puisqu'en réalité le triomphe du français au 20e siècle aura aussi été celui de l'isolement individuel et de la 'juxtaposition des solitudes' dans les grands centres urbains ou les 'bassins d'emploi' périurbains (plus-ou-moins sinistrés...) de la production capitaliste - la Cité des Spectres...

    Bien sûr, tout ce processus d’uniformisation BBR n’ira pas sans quelques ‘bugs’ : ainsi déjà en 1836, lors du procès de Fieschi (Corse auteur d’un attentat républicain contre Louis-Philippe), le procureur pouvait s'exclamer que ‘seul un étranger (avait) pu faire une telle chose’ (sic) et encore en 1914, dans les alentours de la gare Montparnasse, des Bretons parlant le brezhoneg seront pris pour des ‘Boches’ en pleine hystérie ‘patriotique’ et passés à tabac... D’une manière générale, les ‘hussards noirs’ voient les ‘patoisants’ de ‘province’ comme des ‘semi-sauvages’ à civiliser, participant ainsi à la ‘grande œuvre civilisatrice’ de la République à défaut d’avoir pu eux-mêmes aller ‘civiliser’ en Afrique ou en Indochine…

    francemarocFCar (venons-y...) pour 'cimenter' artificiellement un ensemble de nations, et plus généralement un Centre et des Périphéries avec un tel niveau historique de contradictions, rien ne vaut (comme disait ce bon vieux Charles Quint) la réalisation de destinées universelles : en l'occurrence, porter non pas la 'bonne nouvelle' de Jésus-Christ, mais les 'Lumières' de la 'civilisation française' ('Nous sommes les Grecs du monde' lançait Victor Hugo au maréchal Bugeaud, sanglant 'pacificateur' de l'Algérie sous la Monarchie de Juillet) par delà les océans et les déserts - tout cela, bien entendu, pour le juteux bénéfice de la grande bourgeoisie en pleine fusion monopoliste, cherchant désespérément des 'terrains' où investir et valoriser ses capitaux. Dès 1830 c'est la conquête de l'Algérie, puis les établissements dans le Pacifique (Tahiti, Marquises, 'Nouvelle-Calédonie'/Kanaky, Wallis et Futuna), à Mayotte, à Madagascar, à Dakar (Faidherbe), au Gabon, à Saïgon etc. etc. puis la colonisation d'une bonne moitié de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est : en 1920 'l'Empire' couvre près de 13 millions de kilomètres carrés pour plus de 100 millions d'habitant-e-s (40 millions en métropole et 60 millions de colonisé-e-s). Ceux-là n'auront pas (même) la 'chance' d'être francisés de force, les devoirs de la 'citoyenneté' s'accompagnant de bien trop de droits pour pouvoir en gratifier ces 'sauvages' : ils seront donc 'sujets' de l'Empire, soumis au statut de l''indigénat'... Jusqu'à ce qu'après la Seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie impérialiste décide de 'couper la poire en deux' : la grande majorité de l'Empire deviendra 'indépendante' sous protectorat de fait tandis que quelques territoires, consacrés 'départements' ou 'territoires d'outre-mer' ('DOM-TOM'), accéderont à la 'citoyenneté' formelle - de seconde zone dans les faits : la répression coloniale fait encore plusieurs morts en Martinique en décembre 1959 ou février 1974, près d’une centaine en Gwadloup en mai 1967, plusieurs dizaines en Kanaky dans les années 1980, etc.

    Les nationalités périphériques de 'métropole' (corses, occitans, catalans, bretons, basques, alsaciens), quant à elles, 's'accompliront dans la francité' en formant le gros de l'administration et des troupes coloniales (et des colons lorsqu'il y a colonie de peuplement : Maghreb, Kanaky)... À partir des années 1960, d'ailleurs, les effets de la disparition de cette 'soupape' se feront nettement sentir sur une jeunesse qui (concomitamment) accède de plus en plus largement aux études supérieures : ramassant l'étendard de la lutte contre un colonialisme... auquel avaient souvent participé ses propres pères, elle réaffirmera avec force la conscience nationale populaire sur une ligne progressiste voire révolutionnaire.  

    VerdunEt depuis cet ‘âge d’or’ de la ‘Belle époque’, au fond, que s’est-il réellement passé de significatif ? Il y a eu la Grande Boucherie impérialiste de 1914-18, épreuve abominable pour les masses populaires, mais surmontée (victorieusement) par la bourgeoisie BBR sans changement institutionnel majeur, ni même instauration d’un ‘état d’exception’ particulier hormis la censure contre le ‘défaitisme’ et (logiquement) tout ce qui pouvait donner des informations à l’ennemi, la lutte contre l’espionnage (Mata-Hari) et la répression sanglante des mutineries et autres ‘refus d’obéissance devant l’ennemi’ (les mutineries de 1917 sont restées les plus célèbres, mais la répression la plus dure fut celle de la première année de guerre, jusqu’à l’été 1915). Puis le monde est entré – après l’Octobre rouge russe – dans l’époque de la révolution prolétarienne mondiale, et la ‘France’ a progressivement cessé d’être une puissance mondiale de premier rang (devant l’émergence, en particulier, des USA, puis du Japon et de l’Asie-Pacifique en général ; pendant la Guerre froide il y avait la superpuissance soviétique, et aujourd’hui la montée de la Chine et des ‘émergents’).

    Etes vous-plus-Francais-que-lui-1943Il y a eu le (nouveau) désastre militaire et l’occupation allemande de 1940, donnant naissance au régime d’exception de l’État français et de la ‘Révolution nationale’, expérience contre-révolutionnaire, autoritaire et anti-progressiste soutenue par toute l’extrême-droite, la droite et même une grande partie du centre et de la ‘gauche’ bourgeoise d’avant-guerre (au total, 569 députés et sénateurs votent les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940), récupérant en masse le personnel politique et administratif de la 3e République ‘terminale’ (Laval, chef du gouvernement de la collaboration jusqu’au-boutiste, était un Président du Conseil de centre-droit dans les années 1930 ; René Bousquet, chef de la police vichyste, était radical et le restera après-guerre, etc.), en tout cas dans les premiers temps ; puis viendront les défections, à mesure que la guerre tourne au désavantage de l’Allemagne (échec de la bataille d’Angleterre, débarquement allié en Afrique du Nord se soldant par l’occupation nazie de tout le territoire métropolitain, Stalingrad, débarquement en Italie etc.), sachant que dès 1940 à peu près toutes les forces politiques bourgeoises, même les plus réactionnaires (Fédération républicaine, Croix-de-Feu, Action française, ligues diverses, et jusqu’à la ‘Cagoule’ terroriste de la fin des années 30), ont ‘placé’ des éléments à Londres auprès de la ‘France libre’ [3] : de fait le ‘vichysto-résistant’ deviendra une espèce endémique des ‘allées du pouvoir’ républicain d’après-guerre et jusqu’à la fin du siècle ; en ‘étaient’ rien de moins que… François Mitterrand (ministre ‘récurrent’ de la 4e République puis Président de 1981 à 1995), Maurice Couve de Murville (Premier ministre en 1968-69), Raymond Marcellin (ministre de l’Intérieur de 1968 à 1974), Antoine Pinay (ministre des Finances 1958-60 et père du fameux 'nouveau franc', cauchemar des grands-mères jusqu'à son remplacement par l'euro en 2002), Maurice Papon (préfet de police de Paris 1958-67 puis ministre du Budget sous Giscard) etc. etc.

    de-gaulle-photo-2Et puis, il y a eu la grande agitation et les luttes révolutionnaires anticoloniales dans l’Empire, amenant à une ‘refonte’ (‘néocoloniale’) de la domination impérialiste et donnant naissance à la 5e République ‘présidentialiste’ que nous connaissons aujourd’hui - impulsant, dans les années 1960-70, une nouvelle (et sans doute ultime) restructuration-modernisation du capitalisme monopoliste tricolore, et donnant (inévitablement) naissance à un dernier 'mythe national', une nostalgie de cet ultime 'âge d'or' : ‘du temps du général De Gaulle, ma bonne dame…’, alors que ‘voyez-vous’, ‘depuis Mai 68’ et la victoire consécutive des ‘socialo-communistes’ en 1981, ‘tout fout le camp’

    Mais dans le fond, qu’est-ce que tout cela (Vichy et débuts de 'la 5e')  aura donc été sinon, dans des situations de crise particulièrement aigüe, un retour au ‘pouvoir exécutif fort’ d’un (selon la ‘tradition’ réactionnaire dont on se réclame) Mac-Mahon ou d’un Louis-Napoléon, ‘pouvoir fort’ pour la conservation de l’ordre social ébranlé ; c'est-à-dire les prérogatives dont disposaient déjà les présidents de la 3e République, mais dont ils ne faisaient pas usage ?

    preview frAu plan ‘géopolitique’, à la ‘guerre froide’ avec l’Allemagne (apparemment terrassée en 1918) aura succédé la ‘menace bolchévique’, reléguant même au ‘second plan’ (après 1933) la nouvelle menace allemande hitlérienne (d’où la défaite de 1940) ; puis, après-guerre, toujours la ‘menace rouge’ et anticolonialiste et enfin, aujourd’hui, les ‘émergents’ BRICS (ou ‘golfiens’, turcs, iraniens etc.) qui ‘grignotent’ à l’impérialisme BBR ce qu’il lui reste de 'pré carré' formellement ‘indépendant’ ; ceci s’ajoutant, à chaque époque, à la préoccupation d’’exister’ face à la superpuissance mondiale du moment (britannique jusqu’en 1940 puis US après 1945). Mais c’est toujours le même chauvinisme bleu-blanc-rouge qui suinte par tous les pores du discours et de la culture dominante… 

    Les-60-engagements-211x300.jpgPour le reste… Lorsque les monopoles crient ‘carotte !’ l’idéologie républicaine regarde vers la ‘gauche’, vers la petite et moyenne bourgeoisie des fonctionnaires, travailleurs intellectuels urbains, aristocrates-ouvriers etc., sur une ligne de ‘socialisme républicain’ typiquement ‘français’ (avec lequel le mouvement ouvrier organisé, même sous la direction du PCF des années 1920-30-40, ne rompra jamais vraiment) ou de social-christianisme à la Hugo – les deux composantes, finalement, de la social-démocratie BBR : Mélenchon et Ayrault ; et lorsqu'ils crient ‘bâton !’ elle regarde vers la ‘droite’, vers la petite et moyenne bourgeoise des ‘indépendants’, petits patrons TPE/PME, paysans propriétaires, cadres du secteur privé, professions libérales et notables divers, sur une ligne renouant avec le ‘Parti de l’Ordre’ de 1848, la ‘république des fusilleurs’ de Thiers et Mac-Mahon, la ‘Chambre bleu horizon’ de 1919-24 (faisant face à l’agitation hexagonale post-Octobre) ou la ‘majorité silencieuse’ des élections de juin 1968… Soit, aujourd'hui, l'aile droite 'décomplexée' de l'UMP (les Copé, les Raoult, les Guéant et les Hortefeux, les Peltier et autre 'Droite forte', les Luca et autre 'Droite populaire'), le FN - 'centre d'agrégation' de l'hégémonie intellectuelle réactionnaire depuis près de 30 ans, devenu désormais une force politique colossale pouvant prétendre sérieusement au pouvoir, et des forces plus 'localisées' comme le MPF villiériste dans l'Ouest atlantique (surtout en Vendée) ou la Ligue du Sud de manifeste-pour-une-droite-decomplexee-2875762-250-400Bompard en Provence (surtout dans le Vaucluse) ; sans même parler de forces plus 'radicales' encore, comme les Identitaires ou les forces de l'UDN - qui, elles, revendiquent ouvertement l'héritage de la 'Révolution nationale' et des régimes fascistes du siècle dernier, parfois sans même l'exception du nazisme.

    Depuis les années 1980, avec la (nouvelle) crise générale du capitalisme et - en face - le grand recul de tout mouvement populaire révolutionnaire ou même 'sincèrement progressiste', suite à la faillite finale du révisionnisme soviétique et de ses alliés, au triomphe de la voie capitaliste en Chine etc., la tendance générale et dominante est évidemment de 'regarder à droite', ce que le PCmF appelle 'fascisme moderne' : les monopoles crient 'bâton' et (mais) leur politique antisociale et sécuritaire/antidémocratique ne trouve aucune force conséquente pour se dresser sur son chemin et les forcer à un peu de 'carotte'. La 'gauche' bourgeoise se fait 'gestionnaire' des ravages de la crise capitaliste et les forces rêvant (comme le Front de Gauche ou les amis de Montebourg) à un 'nouveau 1981' ne peuvent plus se livrer qu'à une démagogie social-républicaine populiste et finalement pathétique...

    C'est en réalité toute l'œuvre des deux Napoléon et de la 3e République qui a été, par la suite, totalement poursuivie par les régimes successifs depuis 1944 ; Vichy ne marquant en réalité aucune véritable rupture (l’appareil politico-militaire d’avant-guerre s’y transférant quasi intact, puis ralliant tel quel la ‘France libre’ entre 1942 et la Libération) ; la colonisation se transformant simplement (dans les années 1950-60) en ‘indépendances’ sous protectorat de fait (l’ambassadeur de ‘France’ jouant le rôle de ‘Résident général’) et les monopoles assurant pendant les ‘Trente glorieuses’ une dernière ‘vague’ de modernisation, surmontant au prix de quelques concessions le grand ‘réveil populaire’ de 1968-75 (concessions synthétisées dans le mitterrandisme des années 1980).

              centrale-nucleaire-copie-2La-Defense.jpg

    Face à cette analyse et ces constats, quelles sont les tâches des authentiques communistes révolutionnaires ? 

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    [1] Sur 9 départements ayant pris les armes contre le coup d'État bonapartiste, 8 étaient occitans : 'Basses-Alpes' (Haute-Provence), Var, Drôme, Ardèche, Gers, Hérault, Gard, Lot-et-Garonne. Le contrôle militaire est perdu pendant plusieurs jours dans le Var et le Gers ; quant à la Haute-Provence, l'insurrection y est carrément invaincue militairement, l'armée réactionnaire étant même ridiculisée aux Mées ; seule la nouvelle que tout était perdu à Paris (réflexe 'républicain français' inepte mais c'est ainsi...) lui faisant déposer les armes (un petit groupe mené par Ailhaud de Volx poursuivra la lutte pendant quelques semaines dans la montagne de Lure). Extrêmement intéressante à lire aussi, cette étude montrant cartes à l'appui la concentration géographique des résistances et rébellions populaires collectives contre les forces de "l'ordre" à cette même époque de la "révolution" industrielle (1800-1859) : une concentration très claire dans le 'Midi' occitan et arpitan (le 'Midi rouge' démocrate-socialiste de la 2e République), en 'Grande Picardie' industrielle et minière (Somme, Nord, Pas-de-Calais) également assez 'rouge' mais aussi en 'Grande Armorique' (Bretagne, Maine, Anjou, Vendée, Cotentin), terres réputées plutôt 'blanches' mais marquées, comme nul(le) ne l'ignore, par la violente résistance au centralisme "révolutionnaire" dans les années 1790 (Vendée et Chouannerie) - on notera également que cette 'Grande Armorique' n'a pas particulièrement plébiscité Louis-Napoléon à la présidentielle de décembre 1848. En d'autres termes, il apparaît clairement que si les soulèvements qui font basculer les régimes sont à Paris, la résistance diffuse, latente des masses populaires se trouve principalement dans les PÉRIPHÉRIES de la construction politique et économique "française" (comme l'illustre fameusement, par exemple, la 'Guerre des Demoiselles' dans les Pyrénées centrales), là où la nouvelle société capitaliste industrielle et la bourgeoisie désormais seule aux commandes vont être le plus violemment aux prises avec la communauté populaire, qu'elles cherchent à réduire à une pure force de travail productrice de plus-value.

    [2] Le fameux, l’incontournable drapeau tricolore bleu-blanc-rouge, emblème s’il en est de la bourgeoisie ayant pris le contrôle de l’État construit par les monarques en 1789, après y avoir fait son nid pendant plus de 5 siècles. Il naît au départ sous la forme d’une cocarde (rondelle de tissu que l’on accrochait aux chapeaux), lorsque Louis XVI est ‘ramené’ à Paris après la prise de la Bastille, et il unit le blanc de la monarchie au… (comme par hasard !) bleu et au rouge de Paris, indication, s’il en est, de qui est la fraction dirigeante de la bourgeoisie révolutionnaire d’alors, bien que toutes les ‘provinces’ du royaume aient leurs ‘ténors’ aux États Généraux devenus Constituante. Il deviendra étendard des armées révolutionnaires sur les champs de bataille de 1792 (comme à Valmy), avant d’être consacré officiellement en février 1794 (27 pluviôse an II), sa forme actuelle étant celle du pavillon de la Marine de guerre napoléonienne. Il est resté depuis lors l’emblème ‘national’, à l’exception de la période 1815-30 (rétablissement du drapeau blanc), y compris sous Vichy. Le prolétariat s’en dissocie pourtant rapidement puisqu’en 1848, le poète Lamartine, sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, doit défendre (dans un discours resté célèbre) le drapeau tricolore ‘qui a fait le tour du monde avec la Révolution et l’Empire’ face au drapeau ROUGE, symbole insurrectionnel populaire depuis la répression du Champ-de-Mars en 1791, et qui deviendra après la Commune le drapeau de la révolution prolétarienne internationale… Mais malgré cela, le mouvement socialiste puis communiste hexagonal ne saura jamais réellement se défaire de ces trois couleurs ‘révolutionnaires’, devenues pourtant, entre temps, totalement réactionnaires et impérialistes. Depuis 2003 (loi sur la ‘sécurité intérieure’), l’article 433-5-1 du Code pénal prévoit que ‘Le fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d'amende. Lorsqu'il est commis en réunion, cet outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.’ 

    [3] Le site Voie Lactée (pour lequel les compliments de SLP sont assez rares pour valoir de l’or…) analyse ASSEZ CORRECTEMENT la ‘grande contradiction’ de la bourgeoisie BBR en 1940-44 à la lumière de l’opposition Empire/Europe ; à cela près qu’il ‘invente’ (encore une fois) une contradiction anti-léniniste entre ‘bourgeoisie financière’ (impérialiste) et ‘bourgeoisie industrielle/traditionnelle’. En réalité, il y avait tout simplement DEUX BRANCHES d’une MÊME bourgeoisie monopoliste ; l’une cherchant à trouver sa place dans la ‘nouvelle Europe’ allemande (mais comprenant généralement, dès 1942, qu’il n’était pas question de partenaire mais de vassale), l’autre faisant dès le départ le pari de l’alliance britannique, de l’entrée en guerre des États-Unis et de la victoire finale de ces deux puissances.

    Deux branches que l’on peut certes mettre en parallèle avec un clivage entre tropisme ‘ultramarin/colonial’ (tourné vers l’Empire) et tropisme ‘continental/euro-méditerranéen’ (Europe et Méditerranée désormais ‘à l’heure italo-allemande’, donc nécessité de composer), mais tout n’est pas aussi ‘simple’ : de très nombreuses colonies se rallieront tardivement et il faudra très souvent déloger les vichystes par la force (Madagascar en 1942, Dakar en 1940 où c’est un échec - l'Afrique occidentale ne rejoint la France libre qu'en décembre 1942) ; ceci sans même revenir une fois de plus sur l’extrême porosité entre Vichy et ‘France libre’ : passages de l’un à l’autre tout au long de la guerre, positions ‘centristes’ du type ‘l’épée (De Gaulle) et le bouclier (Pétain)’, tractations officieuses permanentes, éléments comme Darlan (‘Premier ministre’ de Vichy février 1941-avril 1942) traitant avec les Américains (alors neutres) puis se ‘ralliant’ lors du débarquement en Algérie, etc. ; ce qui montre bien l’identité de classe absolue entre les deux bords. On pourrait aussi parler du clivage entre principalement anti-allemands (contradiction inter-impérialiste principale) et principalement anticommunistes (contradiction révolution mondiale/contre-révolution principale) ; soit ceux qui, ne cédant pas à l'hystérie, pouvaient facilement se rendre compte de l'inoffensivité du PC (et l'URSS était loin alors que les rêves de revanche nazis étaient une menace directe) ; et ceux pour qui en revanche l'occupation étrangère était préférable à la moindre réforme sociale, 'ouvrant les vannes du bolchévisme'. Il y avait aussi beaucoup, avant-guerre, de principalement anglophobes, la contradiction restant forte en Afrique et en Orient (question de Mossoul, province ottomane riche en pétrole, promise à la France mais finalement attribuée au mandat britannique en 1920, d'où l'importance du vichysme en Syrie-Liban).

    Après-guerre, les ‘ultramarins’ pourront être ‘atlantistes’ (besoin des USA pour défendre les territoires contre les mouvements anticoloniaux, appuyés par l’URSS et la Chine) mais aussi très méfiants envers l’impérialisme US, qui cherche à faire tomber les ex-colonies dans son orbite ; tandis que le ‘tropisme continental’ peut trouver son héritier en la construction européenne (présentée aux Américains comme une manœuvre antisoviétique, mais visant en réalité à s’émanciper de leur hégémonie)  avec l’impérialisme allemand qui cherche à se relever de sa déroute de 1945. C’est finalement le gaullisme qui va réaliser, dans les années 1960, la ‘synthèse’ de tout cela, présidant avec l’allemand Adenauer à la construction d’une ‘Europe forte’ (idéalement ‘de l’Atlantique à l’Oural’) et modernisant l’Empire par la retrait de l’administration coloniale directe et l’instauration du néocolonialisme ; ce qui n’ira pas sans susciter de violentes résistances (putsch d'Alger 1961, OAS), où se retrouveront côte à côte des nostalgiques de Vichy… et des ‘Français libres’ de la première heure ! 


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  • En tant que parachèvement historique (et non "rupture" par rapport à un "avant" radicalement différent) de la construction étatique "France" comme appareil politico-militaire au service de la dictature de classe de la bourgeoisie et du capitalisme (classe et mode de production surgis au Moyen Âge et ayant fait leur nid jusque-là sous la monarchie) et comme État centralisé au service du "pompage" parisien des richesses de la "province" (pro vincia = pays précédemment vaincu, pays conquis) ; contre les aspirations de certaines bourgeoisies locales à des "cités-États" confédérées façon Suisse (ou façon "républiques urbaines" médiévales, comme l'Italie en comptait nombre et comme Toulouse en était quelque part une en Terre d'Òc)... et contre les aspirations des masses du peuple à "vivre et décider au pays".

    Pour DÉMYSTIFIER enfin, pour EN FINIR avec tous ces mythes fondateurs qui sont au cœur, qui forment le socle du roman national français et tout particulièrement du roman national DE GÔÔÔCHE - fut-elle y compris "radicale"... Car une gauche réformiste bourgeoise (type Front de Gauche) de nouveaux Danton ; et un gauchisme "radical" de nouveaux Hébert ; après tout, qu'avons-nous d'autre aujourd'hui ?

    À l’Assemblée législative (1791-92) comme à la Convention (1792-95), l’actuelle Île-de-France ne totalisait que 49 députés sur près de 750.

    Il y a véritablement eu un 1789 de "province" (s'il n'est pas carrément possible de dire que 1789 est un mouvement de "province" avant tout), très largement jailli des affrontements entre le pouvoir central (monarchie) et les pouvoir locaux (Parlements, États provinciaux, municipalités) en défense de ces derniers, après des épisodes comme la Journée des Tuiles du 7 juin 1788 à Grenoble (généralement considérée comme le premier évènement devant conduire directement à la Révolution... mais émeute anti-centraliste par excellence, contre la dissolution du contrepoids législatif et judiciaire face au pouvoir parisien que représentait le Parlement du Dauphiné !). Il faut ainsi se rappeler comment nul autre que... Robespierre lui-même, vu aujourd'hui comme le "Nom" littéral du "centralisme jacobin", faisait en 1789 campagne pour la députation aux États généraux... au nom de sa Nation artésienne, annexée à la France depuis à peine plus d'un siècle et aux droits constamment piétinés par l'arbitraire de Versailles : A-la-nation-artesienne.pdf

    En 1790 sont institués les départements, dotés chacun d'un Conseil départemental ; mais il est vraisemblable que personne à la Constituante ne voyait strictement de la même manière les pouvoirs de ces assemblées face à l’État central : pour beaucoup, la France devait être en dernière analyse une fédération de départements - on appellera ce courant les fédéralistes, qui se confondront dans une certaine mesure avec le parti de la Gironde. Il fallait donc, à la grande bourgeoisie parisienne/centraliste, passer par un autre biais pour conserver sa prééminence : ce sera une démagogie populiste ‘sans-culotte’ mobilisant le petit peuple de Paris pour ‘faire pression’ sur les Conventionnels et écraser les bourgeoisies de 'province' tout en conjurant la menace de l'invasion étrangère ("On ne gouverne pas en temps d’exception selon les méthodes normales : il faut donc accepter les moyens révolutionnaires – La bourgeoisie ne peut s’isoler du peuple : il faut donc satisfaire ses demandes – Mais la bourgeoisie doit demeurer l’élément dirigeant dans cette alliance : la Convention doit donc prendre l’initiative des mesures révolutionnaires" dit en substance un discours de Barère du 18 mars 1793) ; démagogie qui en Hexagone sera (trop) longtemps confondue avec la ‘version française du socialisme’. 

    [Intéressant à consulter sur ce point, ces cartes et listings montrant l'origine géographique des conventionnels dits "girondins" et "jacobins" : Lieux de naissance jacobins girondins.pdf... On y observe tout de même un très net clivage territorial, avec notamment côté jacobin quelques 14 natifs de la région parisienne, soucieux sans doute d'"acheter la paix sociale" dans la remuante capitale en rétablissant les ressorts de sa domination séculaire sur la "province".]

    La Montagne, les Jacobins et autres Cordeliers, idéalistes égalitaristes sociaux, à commencer par Robespierre et ses partisans, se feront les serviteurs naïfs de ce plan avant d'être éliminés une fois leur tâche accomplie (lire notamment ici : Loi de prairial et préparatifs du 9 thermidor - Chute de Robespierre).

    Tandis que l’État plonge dans une crise économique sans précédent (il se trouvera finalement en faillite en 1797...), le peuple parisien est transformé en plèbe romaine ‘au pain’ (Loi du Maximum sur les grains et farines) et ‘aux jeux (les exécutions quasi-quotidiennes sur la place de la Révolution...) alimentée par le pillage (‘réquisitions’) du reste de l'Hexagone puis des conquêtes extra-hexagonales (Belgique, Italie, Allemagne...). Les insurrections fédéralistes girondines (en Occitanie, Arpitanie - Lyon - et Normandie surtout) et les guérillas paysannes "catholiques-royales" de Bretagne et du "Grand Ouest" (ainsi que les résistances... anti-annexionnistes de Savoie, Nice, Belgique etc.) sont sauvagement réprimées par les "représentants en mission" de la Convention ; un aboutissement de tout cela pouvant être vu dans la loi ultra-centralisatrice du 14 frimaire an II - 4 décembre 1793 (car outre les "fédéralistes" et autres "contre-révolutionnaires" et "ennemis de la liberté", les "représentants en mission" s'étaient souvent trouvés en conflit... avec les Jacobins, les Communes, les sections sans-culottes et les tribunaux révolutionnaires locaux !).

    Lorsque les choses commenceront à "partir en live" (début 1794) seront d'abord éliminés (fin mars) les "gauchistes" "Exagérés" d'Hébert (s'il n'avait pas été assassiné 9 mois plus tôt, Marat aurait peut-être été de la charrette...), à ne pas confondre avec les "Enragés" de Jacques Roux et Varlet (démocrates égalitaristes proto-socialistes 'brisés' dès septembre 1793, et auxquels Marat et Hébert étaient plutôt hostiles) ; puis début avril Danton (avec ses partisans), lequel passait plutôt jusque-là pour le 'référent' de la grande bourgeoisie [avec d'autres comme Philippe "Égalité" d'Orléans (qui siégeait "avec les Cordeliers au milieu de la Montagne" et dont Marat fut longtemps proche, il finira néanmoins guillotiné, devenu suspect après la défection de son fils - le futur Louis-Philippe - aux côtés de Dumouriez*), le spéculateur Pereyra, l'aventurier Guzmán, les Laborde de Méréville père et fils (parvenus occitans "montés à Paris"), le financier Jean-Frédéric Perregaux (très important, sera un des principaux soutiens du 18 Brumaire puis le premier régent de la Banque de France...) l'(autre) Occitan grand propriétaire terrien et opportuniste politique de première Barère de Vieuzac (par ailleurs pourfendeur acharné des langues populaires nationales) au sein du Comité de Salut Public, etc. etc. - toute une "bande noire" de hauts financiers, spéculateurs sur le rachat des "biens nationaux" (terres et édifices seigneuriaux et - surtout - ecclésiastiques expropriés et mis en vente, dont bon nombre seront transformés... en usines, contribuant ainsi au lancement de la révolution industrielle), etc. ; en réalité la pointe émergée du Grand Capital financier naissant (phénomène bien sûr incompréhensible à l'époque, et donc réduit à une "conspiration" de "coquins") voulant en définitive une forme de gouvernement oligarchique appuyée sur "le peuple" lorsque de besoin, un régime finalement très proche de ce que sera (sans la démagogie sociale guillotineuse devenue inutile et même dangereuse)... le Directoire après Thermidor (et pour cause puisque ce sont essentiellement les "ultras" de la répression en "province" liés à ce "plan" de la bourgeoisie parisienne/centrale qui renverseront et liquideront Robespierre), ou encore la Monarchie de Juillet instaurée en 1830 (avec le fils d'"Égalité" sur le trône !) – sur les financements des "tribuns du peuple" jacobins/cordeliers comme Hébert ou encore Marat, lire ici c'est édifiant...].

    [* La défection en avril 1793 de Dumouriez (non pas auprès de l'Émigration, qui le méprise en tant que "constitutionnel" : il errera longtemps à travers l'Europe avant d'atterrir en Angleterre, patrie de la monarchie parlementaire...) ; avec qui Danton avait organisé en septembre 1792 le "coup" de propagande de la "vraie-fausse" bataille de Valmy (lire l'excellent Guillemin en lien ci-après) ; défection flanqué du duc de Chartres, futur Louis-Philippe et fils d'"Égalité", valant à ce dernier d'être arrêté dès ce mois d'avril et jugé et exécuté en novembre : tous ces éléments tendraient à laisser penser que la faction dantoniste visait peut-être, à terme, une restauration de la monarchie sous la conduite de la branche d'Orléans ("Égalité" puis peut-être, après sa mort, son fils - errant lui aussi en proscrit, de Suisse en Scandinavie)... Tandis que la faction "exagérée" hébertiste, dès l'origine ou peut-être après la faillite de cette option par l'arrestation puis l'exécution du duc, aurait quant à elle eu en ligne de mire, après la "nécessaire" déchristianisation (pour écraser toute "morale" contraire à l'accumulation de richesses à l'infini, et bien sûr s'approprier une quantité considérable de "biens nationaux"), et aussi re-centralisation par les moyens les plus brutaux (ceux des Carrier et autres Fouché), l'établissement de ce fameux "régime oligarchique assurant une stabilité politique et financière exempte de dirigisme et de protectionnisme", "maintenant les prérogatives d'une élite sur le peuple", que sera au fond le Directoire (projet, dans un premier temps, de gouvernement "républicain" putschiste avec Pache comme "Grand Juge"...).]

    Robespierre "l'incorruptible" et ses partisans resteront seuls en lice, tandis que se met rapidement en place la coalition qui les liquidera en juillet (9 thermidor) - de fait, l'histoire a toujours montré que lorsque "la révolution dévore ses enfants", le "coup de barre" à droite n'est jamais très loin. Le Grand Capital tricolore pourra alors instaurer son 'Directoire', régime censitaire où seule une minorité bourgeoise pouvait réellement voter, puis, devant les difficultés de celui-ci, le 'césarisme' du petit caporal corse Bonaparte, qui mettra 'tout le monde d'accord' par une politique alliant fermeté et compromis et fondera réellement l’État français contemporain.

    Ce n'est donc pas un hasard si, références absolues de la gauche bourgeoise et petite-bourgeoise depuis l'époque, la Montagne et "93" ont également pu être sans problème celles des fascistes venus de ladite "gauche" (Déat et ses 'néo-socialistes', Valois, Doriot etc., loin d'être "anti-Lumières" comme peut le prétendre Zeev Sternhell).

    Intéressants à lire aussi, ces quelques extraits de Bourgeois et Bras Nus du "marxiste libertaire" Daniel Guérin, qui reviennent bien sur cette époque et son double aspect contradictoire [nous aurons juste un petit désaccord sur l'explication de la contradiction Montagnards/Girondins, clairement et totalement liée selon nous à la vision centraliste parisienne des premiers, ou au contraire "fédération de départements 'cités-États' de leurs chefs-lieux respectifs" (façon Suisse ou États-Unis) des seconds, de la jeune république ; et non à une supposée "préférence" de ces derniers pour les armées étrangères et les royalistes plutôt que d'accepter l'irruption des masses populaires sur la scène politique – les Girondins savaient eux aussi très bien s'appuyer sur les 'bras-nus' et les sections sans-culottes... de leurs villes de 'province' face aux envoyés de Paris et aux Montagnards locaux (comme Chalier à Lyon), qui peinaient à s'imposer malgré leurs mesures sociales radicales ; ils étaient (paradoxalement par rapport à leur anti-centralisme) beaucoup plus décidés et conquérants dans la guerre que leurs adversaires (mais cette guerre, après les succès de Valmy et Jemappes à l'automne 1792, ils commençaient au printemps 1793 à la perdre et cela a sans doute joué aussi un rôle dans leur éviction), et avaient même proposé la peine de mort pour quiconque parlerait de rétablir la monarchie ; etc. etc. ; tout ceci ne visant pas à faire leur apologie ni à les 'réhabiliter' mais étant un simple constat de faits : les Montagnards s'opposaient aux Girondins (et a fortiori aux Chouans et autres autonomistes royalistes d'ici ou de là) sur la question de la prééminence de Paris dans le nouvel État de la bourgeoisie par et pour elle seule ; prééminence qu'ils voulaient maintenir et même renforcer là où les seconds voulaient en quelque sorte ressusciter les 'républiques' locales (portuaires, notamment) de l'époque des Guerres de Religion, fédérées de manière (certes) 'indissoluble'/'une et indivisible', mais fédérées ; et c'est dans cette optique (et non sur une prétendue différence de 'fibre sociale', la leur étant purement conjoncturelle et utilitariste comme le reconnaît Guérin lui-même) qu'ils se sont appuyés sur le petit peuple de la capitale (et ont tenté de le faire, avec nettement moins de succès cependant, sur celui des villes de 'province'...)].


    [EN RÉALITÉ, et en synthèse de tout cela : Rousseau n'était pas suisse par hasard ; et cette démocratie radicale théorisée par lui, et appelée de leurs vœux par Robespierre et consorts (pour ceux qui étaient en cela sincères !), non seulement était très difficile à mettre en œuvre dans une économie capitaliste fondée sur l'exploitation du travail d'autrui, mais n'était tout simplement PAS POSSIBLE en prenant tel quel l'État EMPIRE PARISIEN légué par l'Ancien Régime et en le rendant "démocratique" par la magie du suffrage universel, ce qui suffirait supposément à "régler" tous les problèmes. Les deux choses étaient incompatibles, et cette idée vouée d'avance à conduire à Thermidor puis à Napoléon Bonaparte. 

    Seule une refonte totale de cet ensemble territorial héritage monarchique, vers une fédération de démocraties locales vivantes et fortes ne laissant aux mains du pouvoir "national" que ce qu'elles ne pouvaient assumer seules, pouvait dans une certaine mesure permettre cette démocratie "idéale" rousseauiste.

    C'est ce qui pouvait exister en pratique dans la France des bataillons fédérés abolissant la monarchie en août-septembre 1792, comme le rappellera très justement Engels presque un siècle plus tard (voir ci-dessous) ; on peut en retrouver l'idée dans certains passages de la jamais appliquée Constitution de 1793 ; mais tout ceci sera dès l'été de cette même année progressivement "repris en main", aidé en cela par le fait que beaucoup de ceux qui le prônaient (les fameux "fédéralistes" ou "Girondins") étaient nettement plus "à droite" sur la question de l'égalité sociale, rêvant parfois (au fond d'eux-mêmes) de restreindre le suffrage universel vers un système plus censitaire et oligarchique, ainsi qu'hésitants et incapables de mener correctement une guerre aux tyrans d'Europe qu'ils avaient pourtant voulue à outrance...

    Tout ceci permettra finalement, au premier semestre 1794, le triomphe d'un mélange de vision sociale "avancée" et de centralisme parisien "un et indivisible" non-viable sous la forme démocratique et égalitaire prônée ; formule politique presque immédiatement renversée par le coup d'État thermidorien de la nouvelle "aristocratie d'argent" qui règne encore à ce jour.

    La Suisse, de son côté, a évidemment elle aussi dégénéré dans la pourriture réactionnaire de par son économie qui n'a jamais cessé d'être capitaliste ; particulièrement financiarisée, en outre, depuis qu'elle s'est installée et "protégée" dans le rôle de "coffre-fort de la planète". Néanmoins elle était encore, au début du 20e siècle, vue par Lénine (qui y a longuement vécu comme réfugié politique) ou Staline comme un modèle de démocratie relativement "indépassable" en régime capitaliste (ainsi, dans la Question Nationale de Staline : "la Suisse, pays dont le haut démocratisme, bien que bourgeois, permet aux nationalités de vivre librement, qu’elles représentent la minorité ou la majorité, peu importe"...).

    Ne devrions-nous pas, dès lors, nous battre pour un Hexagone (et pourquoi pas une Europe, et de même sur tous les continents) qui serait une grande Suisse rouge ?]


    À visionner aussi, TRÈS intéressant :



    Ou lire (c'est grosso modo la même chose que dans la vidéo) : Guillemin-Silence-aux-pauvres.pdf



    Encore de la documentation, histoire (notamment) de relativiser ces histoires de "Girondins-décentralisateurs-modérés" vs "Jacobins-centralistes-extrémistes" façon blocs caricaturaux, qu'il s'agisse de sacraliser (ou honnir) les uns ou les autres :

    Un mythe politico-administratif, Girondins vs Jacobins - par Jean-Clément Martin.pdf

    Centralisme jacobin, vraiment ?.pdf

    Et puis ce surprenant... recueil de propos de "l'horrible fanatique gauchiste centralisateur" Robespierre, lors de sa campagne pour l'élection aux États généraux (1789) dans son Artois natal (Arras), province rappelons-le annexée militairement à peine un gros siècle auparavant ; des propos "incroyables" de prime abord pour qui a l'esprit abreuvé de "légende noire", mais en réalité logiques au regard de l'esprit premier d'un mouvement révolutionnaire commencé à Grenoble (Dauphiné) contre une tentative de coup de force centralisateur de la monarchie :

    Robespierre - À la nation artésienne.pdf

    TRÈS INTÉRESSANT aussi à ce sujet, à lire absolument : Fédéralisme jacobin et fédéralisme sectionnaire à Marseille en 1793.pdf

    ***************************************************************************************************

    Friedrich Engels dans une note de 1885 sous le texte réédité d'une adresse de 1850 à la Ligue des Communistes, qui dans un passage défendait le centralisme étatique le plus rigoureux :

    "Il faut rappeler aujourd'hui que ce passage repose sur un malentendu.

    À ce moment-là il était admis – grâce aux faussaires libéraux et bonapartistes de l'histoire – que la machine administrative centralisée française avait été introduite par la Grande Révolution et maniée notamment par la Convention comme une arme indispensable et décisive pour vaincre la réaction royaliste et fédéraliste et l'ennemi extérieur.

    Mais c'est actuellement un fait connu que pendant toute la Révolution, jusqu'au 18 Brumaire*, l'administration totale du département, de l'arrondissement et des communes se composait d'autorités élues par les administrés eux-mêmes qui, dans le cadre des lois générales de l’État, jouissaient d'une liberté complète ; que cette administration autonome provinciale et locale, semblable à ce qui se passe en Amérique (bon là, idéalisation des États-Unis avec oubli de la question coloniale-raciale, mais bref), devint précisément le levier le plus puissant de la révolution ; et cela à un point tel que Napoléon immédiatement après son coup d’État du 18 Brumaire, s'empressa de la remplacer par le régime préfectoral encore en vigueur de nos jours et qui fut donc, dès le début, un instrument de réaction**".

    [* En réalité Thermidor, voire sa "préparation" dès 1793 par les "représentants en mission" (dont la plupart sont restés de triste mémoire) et la loi du 14 frimaire an II à l'initiative principalement des futurs thermidoriens Billaud-Varenne et Barère, tandis que sur le plan linguistique était promulgué une semaine avant le coup d’État réactionnaire, à l'initiative nullement "de Robespierre" mais de Merlin de Douai (futur thermidorien qui mourra tranquillement en 1838 après avoir été "entre autres" Président du Directoire puis comte d'Empire...), le décret du 2 thermidor an II sur des arguments complètement hallucinants.]

    [** En réalité et pour être exact, c'est dès le Directoire que des "commissaires du gouvernement" dans chaque département préfigurent les préfets napoléoniens.]

    [Si on lit par exemple ce document : décentralisation-nord-1789-1793 ; il apparaît nettement que c'est décembre 1793 (frimaire an II) qui marque un point de rupture fondamental : l'écrasement (pas d'autre mot) de la "révolution provinciale", auquel ne manquera plus alors que celui de la révolution parisienne, consommé avec Thermidor... Les procureurs syndics départementaux, magistrats élus chargés de veiller à l'exécution des lois (sortes d'équivalents des sheriffs nord-américains), deviennent des fonctionnaires nommés ; les conseils généraux sont supprimés et les directoires (exécutifs des départements) voient leurs compétences sévèrement amputées ; etc. etc. La France républicaine abandonne alors définitivement la voie de devenir une "grande Suisse" démocratique et décentralisée, d'exercice local permanent de la souveraineté populaire...]

    Et LÉNINE dans L'État et la Révolution (1917) reprend d'ailleurs ces mêmes propos (légèrement déformés ou propos similaires tenus ailleurs) :

    Feu sur les jacobinards ou plutôt les bonapartistes "de gauche" et autres néo-thermidoriens à la Barère

    Feu sur les jacobinards ou plutôt les bonapartistes "de gauche" et autres néo-thermidoriens à la Barère

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    Pas très orthodoxe, mais très intéressant ; et au diable l'orthodoxie si le CONTENU de ce qui est dit est juste : Léon Trotsky

    https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1904/nostachespolitiques/4.htm

    "Le jacobinisme, ce n'est pas une catégorie « révolutionnaire » supra-sociale, c'est un produit historique. Le jacobinisme, c'est l'apogée dans la tension de l'énergie révolutionnaire à l'époque de l'auto-émancipation de la société bourgeoise. C'est le maximum de radicalisme que pouvait produire la société bourgeoise, non pas par le développement de ses contradictions internes, mais par leur refoulement et leur étouffement ; en théorie, l'appel au droit de l'homme abstrait et du citoyen abstrait, en pratique, la guillotine.

    L'histoire devait s'arrêter pour que les jacobins puissent garder le pouvoir, car tout mouvement en avant devait opposer les uns aux autres les éléments divers qui, activement ou passivement, soutenaient les jacobins et devaient ainsi, par leurs frictions internes, affaiblir la volonté révolutionnaire à la tête de laquelle se trouvait la Montagne.

    Les jacobins ne croyaient pas et ne pouvaient pas croire que leur vérité (« la Vérité ») s'emparerait toujours davantage des âmes à mesure que le temps avancerait. Les faits leur montraient le contraire : de partout, de toutes les fissures de la société, sortaient des intrigants, des hypocrites, des « aristocrates » et des « modérés ». Ceux qui, hier encore, étaient de vrais patriotes, d'authentiques jacobins, se montraient aujourd'hui hésitants. Tout amenuisement des distances, non seulement principielles, mais personnelles, entre les jacobins et le reste du monde, signifiait la libération des forces centrifuges pour un travail de désorganisation. Vouloir maintenir l'apogée de l'élan révolutionnaire en instituant « l'état de siège », et déterminer les lignes de démarcation par le tranchant des guillotines, telle était la tactique que dictait aux jacobins leur instinct de conservation politique. 

    Les jacobins étaient des utopistes. Ils se fixaient comme tâche de « fonder une république sur les bases de la raison et de l'égalité ». Ils voulaient une république égalitaire sur la base de la propriété privée ; ils voulaient une république de la raison et de la vertu, dans le cadre de l'exploitation d'une classe par une autre. Les méthodes de leur lutte ne faisaient que découler de leur utopisme révolutionnaire. Ils étaient sur le tranchant d'une gigantesque contradiction, et ils appelaient à leur aide le tranchant de la guillotine. 

    Les jacobins étaient de purs idéalistes. Comme tous les idéalistes, avant et après eux, ils reconnurent « les premiers » les « principes de la morale universelle ». Ils croyaient en la force absolue de l'Idée, de la « Vérité ». Et ils considéraient qu'aucune hécatombe humaine ne serait de trop pour construire le piédestal de cette vérité. Tout ce qui s'écartait des principes, proclamés par eux, de la morale universelle n'était qu'engeance du vice et de l'hypocrisie. « Je ne connais que deux partis », disait Maximilien Robespierre dans un de ses derniers grands discours, le célèbre discours du 8 thermidor, « celui des bons et celui des mauvais citoyens ». 

    À une foi absolue dans l'idée métaphysique correspondait une méfiance absolue à l'égard des hommes réels. La « suspicion » était la méthode inévitable pour servir « la Vérité » et le devoir civique suprême du « véritable patriote ». Aucune compréhension de la lutte de classes, de ce mécanisme social qui détermine le heurt des « opinions et des idées », et par là aucune perspective historique, aucune certitude que certaines contradictions dans le domaine des « opinions et des idées » s'approfondiraient inévitablement, tandis que d'autres iraient s'atténuant de plus en plus, à mesure que se développerait la lutte des forces libérées par la révolution.

    L'histoire devait s'arrêter pour que les jacobins puissent garder plus longtemps leur position ; mais elle ne s'est pas arrêtée. Il ne leur restait plus qu'à se battre impitoyablement contre le mouvement naturel jusqu'à total épuisement. Toute pause, toute concession, si minime fût-elle, signifiait la mort."

    Ou encore (très intéressant cette fois par rapport au devenir du jacobinisme dans le "roman national de gauche" en Hexagone, signifiant de tout ce que nous combattons !) :

    https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/bilanp/bilan_persp_3.html

    "La grande Révolution française fut vraiment une révolution nationale. Et, qui plus est, la lutte mondiale de la bourgeoisie pour la domination, pour le pouvoir, et pour une victoire totale trouva dans ce cadre national son expression classique.

    Le terme de « jacobinisme » est actuellement une expression péjorative dans la bouche de tous les sages libéraux. La haine de la bourgeoisie contre la révolution, sa haine des masses, sa haine de la force et de la grandeur de l’histoire qui se fait dans la rue se concentre dans ce cri de peur et d’indignation  : « C’est du jacobinisme ! »

    Nous, l’armée mondiale du communisme, avons depuis longtemps réglé nos comptes historiques avec le jacobinisme. Tout le mouvement prolétarien international actuel a été formé et s’est renforcé dans la lutte contre les traditions du jacobinisme. Nous l’avons soumis à une critique théorique, nous avons dénoncé ses limites historiques, son caractère socialement contradictoire et utopique, sa phraséologie, nous avons rompu avec ses traditions qui, des décennies durant, ont été regardées comme l’héritage sacré de la Révolution.

    Mais nous défendons le jacobinisme contre les attaques, les calomnies, les injures stupides du libéralisme anémique. La bourgeoisie a honteusement trahi toutes les traditions de sa jeunesse historique, et ses mercenaires actuels déshonorent les tombeaux de ses ancêtres et narguent les cendres de leurs idéaux. Le prolétariat a pris sous sa protection l’honneur du passé révolutionnaire de la bourgeoisie. Le prolétariat, si radicalement qu’il puisse avoir rompu dans sa pratique avec les traditions révolutionnaires de la bourgeoisie, les préserve néanmoins comme un héritage sacré de grandes passions, d’héroïsme et d’initiative, et son cœur bat à l’unisson des paroles et des actes de la Convention jacobine.

    Qu’est-ce donc qui a fait l’attrait du libéralisme, sinon les traditions de la grande Révolution française ? Quand donc la démocratie bourgeoise a-t-elle atteint un tel sommet et allumé une telle flamme dans le cœur du peuple, sinon durant la période de la démocratie jacobine, sans-culotte, terroriste, robespierriste de 1793 ?

    Qu’est-ce donc, sinon le jacobinisme, qui a rendu et rend encore possible aux diverses nuances du radicalisme bourgeois français de tenir sous son charme l’écrasante majorité du peuple et même du prolétariat, à une époque où, en Allemagne et en Autriche, le radicalisme bourgeois a terminé sa brève histoire dans la mesquinerie et la honte ?

    Qu’est-ce donc, sinon le charme du jacobinisme, avec son idéologie politique abstraite, son culte de la république sacrée, ses déclarations triomphantes, qui, encore aujourd’hui, nourrit les radicaux et radicaux-socialistes français comme Clemenceau, Millerand, Briand et Bourgeois, et tous ces politiciens qui savent, aussi bien que les pesants junkers de Guillaume II, empereur par la grâce de Dieu, défendre les fondements de la société bourgeoise ? Ils sont désespérément enviés par les démocrates bourgeois des autres pays et ne se privent pourtant pas de déverser des tombereaux de calomnies sur la source de leurs avantages politiques : l’héroïque jacobinisme.

    Même après tant d’espoirs déçus, le jacobinisme demeure, en tant que tradition, dans la mémoire du peuple. Le prolétariat a longtemps exprimé son avenir dans le langage du passé." 

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    Extrait de notre article de 2013 sur la Bretagne :

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/esclave-identitaire-chouan-cul-terreux-arriere-de-service-pour-paraphr-a114085738

    En 1789-90, le nouvel État de la bourgeoisie seule la transformera en cinq départements, les députés bretons à la Constituante prévoyant une consultation des États provinciaux... qui ne seront jamais réunis, puisqu'abolis comme "privilèges locaux". La 1ère République jacobine (1793-94) "ratera" l'alliance ouvrière-paysanne ou plutôt, pour être exact, telle ne fut jamais son intention puisque la "manip" consistait justement, pour la bourgeoisie "centrale" francilienne, à reprendre la main en s'appuyant sur une démagogie "sociale" en direction du petit peuple de Paris (rien n'a bien changé avec les jacobins actuels, Mélenchon en tête...) puis à en éliminer les promoteurs une fois la tâche accomplie (Thermidor).

    Campagnes parmi les plus pauvres d'Hexagone (terres de bocage aux sols acides), les provinces de Bretagne (surtout la Haute-Bretagne, la Bretagne gallo), du Maine et du Bas-Poitou (Vendée), déjà échaudées par la politique anti-catholique sectaire de la Convention (l'Église jouait alors un rôle considérable d'"amortisseur social" et de "confidente" des misères du petit peuple paysan - une bonne réflexion sur ce catholicisme populaire armoricain se trouve dans l'ouvrage d’Émile Masson au chapitre IV "Foi") et soumises à l'arrogance des nouveaux riches "racheteurs" de biens seigneuriaux, se soulèveront contre la conscription en masse de 300.000 jeunes hommes à l'approche de la belle saison et des travaux des champs, tandis qu'une crise alimentaire guettait. Ce soulèvement, sans autre idéologie que le refus du rouleau compresseur de l'État vendee-massacre-sechercapitaliste triomphant sur la société traditionnelle (mouvement d'arrière-garde donc), mit à sa tête des nobles royalistes et autonomistes ou des religieux réfractaires à la Constitution civile du clergé (les uns comme les autres ayant peu émigré, forcément, vu la distance des frontières) mais aussi - apparemment - des membres des loges maçonniques locales qui furent, dit-on, de véritables "viviers de Chouans" : des BOURGEOIS donc, ou en tout cas des aristocrates et des religieux "modernes", pas des gens vivant au milieu des vieilles armures, des hallebardes et des toiles d'araignées... N'oublions pas que les "élites" locales, si elles pouvaient être libérales voire républicaines, étaient également (très généralement) fédéralistes, fortement anti-centralistes : ainsi le marquis de La Rouërie, monarchiste libéral et franc-maçon, héros de la guerre d'indépendance américaine et fervent partisan de 1789, fondera deux ans plus tard (1791) l'Association bretonne pour défendre l'autonomie de la "province" liquidée par la départementalisation - cette association est considérée par les historiens comme une matrice de la Chouannerie. Sa vision de la nouvelle France constitutionnelle et "éclairée" était plutôt celle d'une fédération des anciennes provinces avec leurs "États" (institutions propres), à la manière de ces États d'Amérique qu'il venait d'aider à se séparer de la Couronne britannique... 

    Et par ailleurs (au demeurant), lorsque ces Chouans et autres Vendéens défendaient bec et ongles "leurs" nobles locaux et "leur" Église (une Église indépendante, "non-jureuse"), était-ce vraiment par "obscurantisme" et par amour de la taille, du cens et de la dîme... ou n'était-ce pas plutôt par attachement à ce qui était vu comme des contre-pouvoirs face à un État central qui (les institutions provinciales dissoutes) semblait s'annoncer tout-puissant (et allait effectivement le devenir avec Bonaparte quelques années plus tard) ? C'est bien la deuxième réponse qui s'impose à tout raisonnement sensé : la quête (faute d'établir soi-même un Pouvoir du Peuple) de contre-pouvoirs face au Capital triomphant ; le même genre de contre-pouvoirs que les sans-culottes parisiens voyaient (sans doute) dans leurs "sections" et dans la (première) Commune de Paris... CQFD.

    [Au sujet de toute cette "problématique bretonne" durant la "révolution" bourgeoise "française", un bon résumé ici http://breizhcb.free.fr/fr.htm#B12a ou encore ici http://ablogjeanfloch.over-blog.com/article-29966859.html ; lire aussi ici au sujet de l'analyse "socio-économique" du phénomène chouano-vendéen : "Dès les années 1920, Albert Mathiez considère que les causes de l'insurrection vendéenne, au printemps 1793, sont à chercher dans les conditions économiques et sociales de l'époque. Au début des années 1950, Marcel Faucheux montre que les causes profondes de l’insurrection sont à chercher bien au-delà de la constitution civile du clergé, de l'exécution de Louis XVI ou de la levée en masse, et qu'elles doivent être reliées à ce qu’il nomme le « paupérisme vendéen ». La Révolution n'a pas su satisfaire les espérances engendrées par la convocation des États généraux en 1789 : les métayers, majoritaires en Vendée, ne bénéficient pas de l’abolition des droits féodaux, qui sont rachetables (jusqu'en 1793), les biens nationaux profitent essentiellement aux bourgeois et aux marchands. À partir de là, le bouleversement des structures sociales traditionnelles, la réforme autoritaire du clergé et la levée en masse constituent tout au plus l’étincelle qui a provoqué l'explosion d'un mécontentement plus ancien. Se fondant sur l'analyse détaillée de la Sarthe, Paul Bois approfondit la question, en mettant en valeur la haine qui oppose alors le paysan au bourgeois et montre l’existence d’un profond clivage social entre urbains et ruraux, très antérieur à la Révolution, qui constitue l'une des causes majeures du soulèvement." (...) "Ces travaux ont été largement confirmés par les travaux du sociologue américain Charles Tilly, pour qui la croissance des villes françaises du XVIIIe siècle, l'agressivité économique de celles-ci et leur tendance à accaparer le pouvoir politique local ont suscité des résistances et des haines paysannes, dont l'insurrection vendéenne n'est qu'un exemple exacerbé." (...) "De son côté, Albert Soboul décrit des masses paysannes dans la gêne, prédisposées « à se dresser contre les bourgeois, très souvent fermiers généraux en ce pays de métayage, négociants en grains et acquéreurs de biens nationaux », (...) enfin l'assimilation, par les paysans, du tirage au sort pour la levée des 300 000 hommes à la milice, institution de l'Ancien Régime particulièrement honnie. S'il considère que « le caractère simultané du soulèvement autorise à penser qu'il fut concerté », il explique que les paysans « n'étaient ni royalistes, ni partisans de l'Ancien Régime » et que les nobles furent d'abord surpris par le soulèvement, avant de l'exploiter à leurs fins." (...) "Plus récemment, Jean-Clément Martin a indiqué que, si les paysans sont passés à la contre-révolution, selon les provinces, pour des raisons très diverses, y compris entre les différentes zones de la Vendée, les mots d'ordre religieux et de la défense communautaire leur sont communs. Ces mots d'ordre sont dus au maintien du poids des impôts et des fermages, à l'aggravation du sort des métayers, à l'incapacité des petites élites rurales à acheter des biens nationaux, accaparés par les élites urbaines, à la perte de l'autonomie des petites communes rurales face aux bourgs, où sont installés les pouvoirs politique (le district) et économique, aux atteintes de la Constitution civile du clergé aux libertés des communautés, qui défendent leur prêtre et leurs cérémonies religieuses. Les tensions montent jusqu'en mars 1793, sans trouver d'exutoire, quand la levée en masse fournit l'occasion aux communautés de s'unir contre les agents de l'État, dans un mouvement qui renvoie aux jacqueries traditionnelles, et de former des bandes à la tête desquelles les élites locales sont placées, de plus ou moins bon gré." (...) "Albert Mathiez, un jacobins partisan plus que quiconque de « l’unité française », mais qui fut un grand et véridique historien, a montré les vrais caractères de la Chouannerie en Bretagne et en Vendée : si les paysans se soulevèrent, ce fut beaucoup moins pour défendre les prêtres et le roi, que pour lutter contre les bourgeois et les robins qui s’emparaient des biens nationaux." (Daniel Renoult dans l'Humanité, 1932)]

    C'est donc là que s'illustreront - dans l'horreur - les tristement célèbres Westermann, Turreau et ses "colonnes infernales", Kléber qui sèmera la mort notamment à Clisson ou encore Carrier (un Oncle Tom occitan, auvergnat) le noyeur de Nantes ; tous sous la supervision du responsable des affaires militaires au Comité de Salut Public, Lazare Carnot : le premier sera guillotiné avec les dantonistes en avril 1794, mais le second (de même que Carnot) poursuivra une brillante carrière sous le Directoire, l'Empire et même la Restauration jusqu'à sa mort en 1816 ; le troisième sera "repêché" par Bonaparte et le suivra en Égypte où il tombera en 1800 sous les coups d'un moudjahid  ; tandis que le dernier votera la mort de Robespierre le 27 juillet (9 thermidor) 1794 mais sera rattrapé par son "dossier" (et d'autres massacreurs tels Fouché, futur "premier flic" de Napoléon, soucieux de se "blanchir" ainsi) et exécuté en décembre de la même année. Au total (Bretagne, Bas-Poitou, Anjou, Maine), les estimations vont de 100/150.000 à 380.000 (général Hoche en 1796) personnes tuées, principalement en "Vendée militaire" (ne comptant de Bretagne que la Loire-Atlantique) mais beaucoup aussi en "Chouannerie" (Nord de l'Anjou, Mayenne et Haute-Bretagne), dont 20 à 25% de républicains victimes des insurgés et le reste (donc) victime de la répression.

    Le macabre décompte, on s'en doute, a été dès l'époque et reste encore aujourd'hui ultra-politisé, puisque pour toute une droite (pas forcément extrême et pas forcément, aujourd'hui et depuis un gros siècle, monarchiste) il s'agit là d'un "génocide" perpétré par la "République maçonnique" et son "fanatisme égalitaire", preuve de "l'essence criminelle (ou "satanique") de la gauche" (et/ou "de la République") et préfigurant les "totalitarismes du 20e siècle", "de Staline à Mao en passant par Hitler". Un point de vue bien entendu complètement ridicule puisque nous venons de voir (juste ci-dessus) l'appartenance à la franc-maçonnerie, la participation à la Révolution américaine et l'enthousiasme pour 1789 de bon nombre d'initiateurs du mouvement chouan comme La Rouërie (des "hommes de gauche" pour l'époque, donc) ; ceci sans même parler de la responsabilité (consciencieusement oblitérée du discours on s'en doute...) de la droite dure de l'époque, l’Émigration de Coblence, dans le "génocide" de ces "gueux" et de ces petits bourgeois (et même de ces nobliaux périphériques armoricains) dont elle avait fait sa chair à canon et pour lesquels elle n'avait pas "subitement" plus de considération qu'avant 1789... Le clivage principal n'était pas là, mais entre une bourgeoisie parisienne (et affiliée) centralisatrice et des élites locales autonomistes. Et puis ce n'est pas vraiment non plus comme si des crimes de masse tout à fait comparables n'avaient pas été le lot de la "pacification" de la Corse sous Louis XV et Louis XVI (gouvernorat de Marbeuf, 1768-86), du "Midi" occitan et en particulier des Cévennes ou encore de la Bretagne (révolte de 1675) sous Louis XIV, de la Franche-Comté  (population réduite de  plus de 60% !) ou encore des terres occitanes de "croquandage" et des places-fortes protestantes du "Midi" sous Louis XIII et Richelieu ; ceci sans remonter (par pure charité) aux conquêtes du Moyen Âge : si l'objectif est d'opposer une (bonne) France d'Ancien Régime "éternelle et chrétienne" ("fille aînée de l’Église") au "premier des totalitarismes gauchistes, produit automatique de l'idéologie égalitaire", c'est pour le moins raté... Le centralisme français oppresseur et assassin qui "commencerait" avec l'"apostasie nationale" de 1789, voilà sans doute la meilleure blague entendue au cours des deux derniers siècles !

    170px-Carrefour_des_chats.jpgCes exactions ulcéreront jusqu'à Robespierre lui-même, dont l'apogée du pouvoir (avril-juillet 1794) verra d'ailleurs une accalmie et le rappel à Paris des principaux massacreurs de "province" (les Carrier, Fouché, Collot, Barras, FréronDumont et autres Tallien, qui deviendront les principaux artisans de Thermidor - lire notamment ici : Loi de prairial et préparatifs du 9 thermidor - et souvent les "réacteurs" anti-jacobins suprêmes par la suite) ; tandis que le "premier communiste" Gracchus Babeuf se fendra (après Thermidor) d'un brûlot pour dénoncer le "système de dépopulation" (ou "populicide") dans les "départements de l'Ouest" (ce pamphlet aurait été, cependant, notoirement encouragé par Fouché pour "charger" Carrier)... En réalité, la Bretagne et les régions avoisinantes auront expérimenté très précocement ce que peut être l'aspect antipopulaire d'une révolution bourgeoise. Seuls des matérialistes conséquents peuvent saisir toute l'ambivalence dialectique de ce phénomène, "réactionnaire" puisque s'opposant à une "révolution" bourgeoise, aux "Lumières" et au "progrès" (quoique, comme on l'a vu...), mais AUSSI résistance POPULAIRE et nationale face à la bourgeoisie triomphante, à son mépris du Peuple et à son suprématisme centraliste parisien ; un phénomène finalement très comparable au carlisme basque ou au jacobitisme écossais et irlandais.

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    Autre article sur les guerres de Vendée-Bretagne :

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/la-rebellion-cachee-un-film-reactionnaire-sur-la-vendee-a133902500

    "Le premier génocide “progressiste” commis au nom de la justice sociale"

    => Alors si on imagine que leurs références sont les "grands rois très catholiques qui ont fait la France" (le film s'inspire d'une œuvre de Patrick Buisson...), on pourrait peut-être leur parler des campagnes et des massacres tout à fait similaires (sinon pires) de Louis XIII et Richelieu contre les Croquants et les villes protestantes et leurs alentours, et de leur littérale division par 2 ou 3 des populations d'Alsace, de Lorraine ou de Franche-Comté... De Louis XIV contre les régions protestantes (Cévennes mais pas seulement) de 1685 à sa mort... La Bretagne aurait-elle moins souffert pendant la répression des Bonnets Rouges (1675) que sous l'assaut des "hordes progressistes" de 1793-94 ? Pas sûr. Je ne sais même pas si à ce stade il serait encore utile d'ajouter la conquête-massacre, par Louis XV, de la Corse, première république démocratique d'Europe. On peut aussi imaginer que la conquête de l'Algérie et ses centaines de Vendées, c'était cool... Les bienfaits de la civilisation, n'est-ce pas !

    Et qui furent d'ailleurs, au juste, les massacreurs de Vendée-Bretagne-Maine ? D'affreux "gauchistes", "fanatiques de la justice sociale" qui finiront guillotinés soit avec les hébertistes en mars, soit avec Robespierre et Saint-Just en juillet 1794 ? Que nenni. Westermann, auteur du terrifiant "il n’y a plus de Vendée (...) j’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui au moins pour celles-là n'enfanteront plus de brigands ; je n’ai pas un prisonnier à me reprocher, j’ai tout exterminé", sera exécuté en avril 1794 comme "droitier", avec les dantonistes. Une consigne d'extermination de "cette race rebelle" donnée en juillet 1793 par Barère de Vieuzac, que les historiens décriront plus tard... comme une "tête pensante" du 9 Thermidor. Turreau, dont le nom est associé aux "colonnes infernales" qui firent entre 20 et 40.000 victimes en quatre mois, sera acquitté en décembre 1795 et poursuivra une brillante carrière sous le Directoire, le Consulat et l'Empire et même jusque sous la Restauration, décédant en 1816 peu avant la remise de la Croix de Saint-Louis. Carrier, le noyeur de Nantes, participera activement à Thermidor avant d'être liquidé (principalement par Fouché) dans les règlements de comptes qui s'ensuivirent. Kléber, après une relative disgrâce sous le Directoire, suivra Napoléon en Égypte et c'est là qu'il trouvera la mort pour ses crimes (tout à fait similaires à ceux de Vendée-Bretagne-Maine), par la main d'un moudjahid. Napoléon lui-même n'était pas en Vendée, mais participa aux côtés de Barras et Fréron à la violente répression de Provence (fin 1793). Globalement, la plupart des thermidoriens de 1794 étaient des "représentants en mission" bouchers de province énervés contre Robespierre qui les avait rappelés à Paris, ulcéré par leurs exactions accompagnées de spoliations et d'accaparements personnels en tout genre ; et il est pratiquement possible de dire qu'un VRAI jacobin de 1792-94, c'est un futur thermidorien voire parfois baron d'Empire ! Bref.

    Oui, il y a eu d'épouvantables massacres en Vendée-Bretagne-Maine, qui furent le prolongement et le parachèvement de la politique d'Ancien Régime de centralisation française sur ces terres, les bourgeois "racheteurs" se substituant simplement aux aristocrates et aux abbayes. Mais en les mettant en avant, "comme" (dans une vision ultra-simplifiée et manichéenne de l'histoire réelle) "braves paysans catholiques attachés à la terre-qui-ne-ment-pas" et affrontant la "tyrannie de l'égalitarisme", la droite réactionnaire fait montre encore une fois (comme s'il fallait s'attendre à autre chose de sa part) d'une mémoire bien sélective...

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    [Ou pour citer encore, sur toute cette problématique bretonne, cet excellent passage de Samir Amin : "La bourgeoisie qui, dans l'ensemble français, est parvenue à faire la jonction avec les paysans contre la féodalité, échoue en Bretagne : elle se heurte à la jonction révolte paysanne/ contre-révolution aristocratique. Les restaurations qui suivent 1793 opèrent un compromis : elles laissent l'hégémonie en Bretagne au bloc rural (aristocratie et paysans), à condition que celui-ci accepte à l'échelle française l'hégémonie de la haute bourgeoisie (parisienne, s'entend). Pendant un siècle fonctionne de la sorte une alliance de classes particulière. À l'échelon breton, le bloc rural (les Blancs) domine, isolant le bloc urbain constitué des Bleus (la bourgeoisie locale) et des Rouges (la petite bourgeoisie locale). L'hégémonie de la bourgeoisie industrielle à l'échelle française aide et contraint en même temps la propriété rurale aristocratique à se moderniser (produire pour le marché, s'équiper, etc.). Celle-ci le fait sans perdre le leadership rural qui fonctionne au plan idéologique grâce au Concordat, par des formules paternalistes (démocratie chrétienne etc.)." (...)

    "Le développement capitaliste résultant de ce compromis, s'accélérant à partir de 1914 et surtout de 1945, finit par faire voler en éclats les alliances qui l'ont fondé. L'industrie et l'apparition d'un prolétariat ouvrier détachent progressivement les héritiers des Rouges de leur dépendance traditionnelle à l'égard des Bleus, qui, de leur côté, font la paix devant le péril socialiste avec les Blancs (abandon de l'anticléricalisme). Dans les campagnes, le processus de modernisation accélère la désintégration du monde rural (émigration massive) et substitue à l'ancienne paysannerie, relativement fermée sur elle-même (polyculture d'autosubsistance), une petite propriété modernisée et spécialisée, fortement soumise à la domination du capital agro-industriel (domination formelle). La grande propriété capitaliste a perdu son importance politique comme moyen d'encadrement des paysans ; la prépondérance électorale passe aux zones urbaines ; l'alliance Blancs-Bleus se substitue à l'alliance Bleus-Rouges ; le capital industriel intervient directement dans l'économie des paysans sans passer par l'intermédiaire des aristocrates. De cette désintégration des vieilles alliances émerge le mouvement autonome de la petite paysannerie soumise à la domination formelle." (…) 

    "Si nous sommes convaincus de la justesse de l'analyse des luttes de classes proposée par Yannick Guin (dont c’est l’analyse qui est citée jusque-là) et de leur articulation aux luttes nationales, nous ne sommes pas toujours convaincus par les conclusions qu’il en a tiré.

    La résistance contre-révolutionnaire des Chouans (l'échec de la bourgeoisie à séparer les paysans de l'aristocratie) ne résulte-t-elle pas de la volonté même des fractions dirigeantes de la bourgeoisie (avant Thermidor et surtout après) de ne pas soutenir une révolution paysanne radicale dont les germes existaient ? Dans ce cas n'est-il pas unilatéral de qualifier la Chouannerie de contre-révolutionnaire ? L'analogie avec les Tchèques et les Croates n'attendant rien de la révolution bourgeoise (autrichienne) timorée de 1848 ne s'impose-t-elle pas ?

    Enfin, soit, on ne refera pas la Révolution française. On ne peut que constater la carence de l'embryon de prolétariat, carence qui découlait de l'immaturité objective des rapports capitalistes de l'époque. Ce prolétariat, malgré son courage, a été écrasé par la bourgeoisie et n'a pas réussi à faire le pont avec les paysans pauvres de Bretagne.

    Mais après ? Pourquoi de 1914 à nos jours les Rouges ne sont-ils pas parvenus à s'allier aux paysans pour les détacher de l'aristocratie embourgeoisée ? N'était-ce pas ce qui aurait dû être la stratégie du mouvement ouvrier ? Pourquoi celui-ci a-t-il laissé l'initiative à la bourgeoisie et s'est-il retrouvé gros-jean comme devant lorsque les Bleus l'ont abandonné pour aller retrouver les Blancs ?

    Et lorsque les paysans, à leur tour abandonnés par les Blancs et entraînés dans le capitalisme, soumis à sa domination formelle, ont commencé à se révolter, n'était-ce pas la tâche du mouvement ouvrier de s'allier à eux, puisqu'il s'agit d'une lutte contre le capital ? Est-il correct de juger cette lutte perdue d'avance parce qu'elle irait contre le «développement des forces productives» ? La lutte de la classe ouvrière elle-même, en réduisant le profit, ne va-t-elle pas elle aussi contre l'accumulation maximale ? Est-ce le rôle des exploités de faciliter aux exploiteurs, par leur silence, la gestion d'un développement maximal des forces productives ?

    Ne doit-on pas aussi regarder différemment le soutien de la petite bourgeoisie à cette révolte paysanne ? De quelle petite bourgeoisie s'agit-il ? De petits producteurs (artisans, commerçants) menacés par le Capital, ou de cette nouvelle petite bourgeoisie de travailleurs non manuels, employés prolétarisés, déjà exploités par le Capital ? S'il en est ainsi, son alliance avec les paysans (dont elle est de fait, en Bretagne… souvent issue !), désormais également exploités par le Capital n'est-elle pas juste ? Et pourquoi la classe ouvrière ne s'y joindrait-elle pas ?

    Priorité au développement des forces productives ou à la lutte des classes ? La tâche du prolétariat est-elle de ne rien faire qui s'oppose objectivement au développement des forces productives ? N'est-ce pas là une manière sociale-démocrate de voir cette tâche ? Le prolétariat ne doit-il pas se moquer de cet objectif qui est celui des classes exploiteuses, et s'occuper exclusivement de mobiliser les contradictions dans ce développement pour constituer un bloc révolutionnaire efficace ?

    La revendication de régionalisation peut-elle être considérée unilatéralement comme une stratégie nouvelle de la haute bourgeoisie ? Cette revendication, comme tant d'autres, n'est-elle pas ambivalente ? Elle peut certes être récupérée par la bourgeoisie, du moins si elle s'inscrit dans une stratégie globale sociale-démocrate ; mais ne peut-elle pas aussi être un levier de mobilisation anticapitaliste ?

    L'idéologie bretonne aujourd'hui, même si hier elle a été au service du bloc agraire blanc aristocrates-paysans, peut-elle être qualifiée unilatéralement de réactionnaire dans les conditions de luttes anticapitalistes qui encadrent sa renaissance ? Pourquoi ? Parce qu'elle s'opposerait au développement des forces productives et au rouleau compresseur de l'homogénéisation culturelle qui n'est que la généralisation de l'idéologie bourgeoise de l’homo consumens universalis ? S'agit-il de réveiller un mort, ou un mourant (la langue bretonne) ; ou d'une protestation contre l'idéologie bourgeoise qui se cache derrière le rideau de fumée de l'universalisme ?"]

    ***********************************************************

    En définitive :

    La centralisation jacobine, de base, ça voulait dire pas de séparatisme, pas de sécession d'avec le processus révolutionnaire.

    On ne quitte pas la marche commune vers la Liberté et l’Égalité, pour s'asseoir au bord du chemin.

    En gros, c'est ça l'idée. Et ça semble tout à fait logique : si il y a une marche vers l'émancipation humaine, la "norme" c'est de vouloir s'y joindre ; si on ne veut pas, ou on veut s'arrêter en chemin, c'est forcément qu'on est un pourri.

    Le problème, c'est quand à un moment donné plus personne n'a été d'accord avec personne sur la nature et les objectifs du processus...

    Les Vendéens et les Chouans ne voulaient pas le retour à la propriété féodale ! Comme l'ont bien expliqué tous les historiens sérieux (de gauche, communistes même, comme Soboul) qui se sont penchés sur la question.

    Quand bien même les nobles, par l'entremise du clergé réfractaire ("non-jureur" du serment requis depuis 1791 à la Constitution), ont récupéré le mouvement.

    Ils ne voulaient pas, simplement, que cette propriété aristocratique soit remplacée par celle des "messieurs" bourgeois racheteurs. Ce qu'elle a effectivement été, dans l'ensemble. 

    Ils voulaient LA TERRE dont la révolution avait semblé être la promesse. L'attachement au clergé "légitime"/"traditionnel", et aux (relatives) "libertés provinciales" d'Ancien Régime ne faisait que "colorer" cela, cet aspect seul fondamental.

    Les villes de province, jusqu'au plus petit peuple dans les sections, ne voulaient pas de lois sur le maximum des prix.

    Logique : elles étaient, de manière générale, les FOURNISSEURS de Paris et son presque million d'estomacs ; et elles voulaient le prix de leur labeur ! Qui n'en voudrait pas autant ?

    Mais les Parisiens, eux, voulaient manger à leur faim. Ce qui est tout aussi logique et inattaquable.

    Les uns seront "joués" contre les autres par les Girondins d'un côté, les "Jacobins" ou plutôt les "Exagérés" futurs Thermidoriens de l'autre.

    On avait là un ensemble d'intérêts et de revendications populaires, proto-ouvrières et paysannes... dans une révolution qui demeurait BOURGEOISE, dirigée par la bourgeoisie au service (à la base) de ses intérêts, et que ramener (vite !) au service exclusif de ces intérêts était la préoccupation de beaucoup.

    Donc, au milieu de toutes ces contradictions mal dissimulées sous des slogans et grands mots (liberté, vertu civique, souveraineté de la nation etc.) souvent communs, la "marche commune" ne pouvait (très vite) qu'exploser et certainement plus être "une et indivisible".

    Les intérêts des travailleurs (des campagnes et des villes) étant inconciliables avec ceux des possédants bourgeois ; et les contradictions ENTRE masses de travailleurs d'ici et de là, ne pouvant pas être résolues dans un cadre économique capitaliste à aucun moment remis en question (puisque la révolution à la base, consistait à l'imposer totalement, certainement pas à l'abolir) ; mais uniquement dans un cadre socialiste totalement impossible à l'époque, puisque les moindres prémisses de sa théorisation scientifique n'existaient pas encore.

    Bref, "la Révolution", 1789, 1792, l'abolition de la monarchie et la proclamation de la toute première république, le raccourcissement de Louis XVI qu'on aimerait bien réitérer sur plus d'un aujourd'hui, la proclamation (en préambule de la Constitution jamais appliquée de 1793) du droit et même "plus sacré des devoirs" qu'est la résistance à l'oppression par l'insurrection, etc. etc., c'est ce qu'on appellera un "mythe mobilisateur", fondement d'une "nation civique révolutionnaire" hexagonale toujours "sous-jacente", depuis l'époque, à la "nation" enclos à moutons producteurs de plus-value et armée de petits soldats de l'impérialisme parisien ; "refaisant surface" à des occasions comme 1848, 1870-71, 1936, 1944-45, 1968... ou depuis novembre 2018.

    Mais comme MODÈLE concret de nouvelle société à établir, non, ce n'en est pas un.


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  • (1ère PARTIE) 

    [Le concept-titre de cet article est aujourd'hui, après maturation idéologique, considéré comme une erreur gauchiste de notre part à l'époque. Un rectificatif de cette conception gauchiste comme quoi "la France n'existe pas sinon comme aliénation dans la tête des gens" peut être lu par exemple ici dans la deuxième partie de l'article : 

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/les-francais-selon-nous-ne-sont-pas-les-gens-du-bassin-parisien-a146645518

    Tous les faits historiques mentionnés dans le présent article n'en sont pas moins 100% réels et nous ne renions en aucun cas notre analyse de ces faits comme construction de ce qu'on appelle aujourd'hui la France en tant qu'empire parisien. Nous considérons simplement que cette réalité, nullement remise en cause, se double néanmoins de la constitution au fil des siècles d'une communauté de destin hexagonale, ne serait-ce que... dans la LUTTE partagée contre cet état de fait, cet "impérialisme" parisien oppresseur commun.

    En conséquence, cette communauté de destin populaire ne doit pas être totalement remise en cause (prôner l'indépendance de chaque "nation réelle" citée dans cet article...) dans sa lutte contre le quartier-général bourgeois, monopoliste financier trônant à Paris, et, depuis la seconde moitié du 20e siècle, les "nouveaux niveaux" de concentration du pouvoir financier que sont l'Union européenne, les institutions comme le FMI, l'hégémonie mondiale US etc. ; MAIS, dans cette lutte, elle ne peut tirer sa FORCE que de la reconnaissance et de l'affirmation de ses "petites patries" populaires constitutives dont parlait déjà Jaurès en son temps, dans une lutte pour la conquête populaire de la souveraineté à ce niveau là aussi ("vivre, travailler et décider au pays", en somme) ; tout ceci devant déboucher sur un Hexagone république socialiste fédérative, dans une nouvelle Europe "URSS" ou en tout cas "Comecon" de telles républiques : 

    https://www.facebook.com/groups/946438885830225/]

    Lorsque meurt Louis XI (1483), le 'gros œuvre' du processus est donc pratiquement achevé. L’État moderne, comme appareil politico-militaire au service de la concentration du pouvoir féodal entre les mains de la monarchie, est constitué et consolidé ; même si de nombreux territoires seront encore annexés par la suite (jusqu’en 1860). C'en est également fini, par ailleurs, de la féodalité à proprement parler, qui a subi depuis le 12e siècle sa crise générale : l'ordre féodal survivra dès lors sous une forme 'zombie' jusqu'à la Nuit du 4 Août 1789.

    Une dernière ligue féodale profite d’une période de régence (Anne de Beaujeu) pour affronter le pouvoir royal, c’est la guerre folle (1485-88) dont le principal instigateur est le duc François II de Bretagne et dont l’issue voit le début du processus d’annexion de cette nation, achevé en 1532. Celle-ci, depuis le 10e siècle, avait perpétuellement oscillé entre l’alliance franque et l’alliance anglo-normande, sa noblesse se partageant entre un ‘parti français’ et un ‘parti anglais’ (souvent en guerre l'un contre l'autre…) et ses ducs prêtant alternativement hommage au roi de ‘France’ et au duc de Normandie/roi d’Angleterre jusqu’à la Guerre de Cent Ans (ce qui ne changera rien au niveau de l’imposition du français par l’élite, celui-ci étant également la langue de la Cour anglaise). Après celle-ci, le duc François II (1458-88) mènera une politique volontariste de construction d'un État moderne indépendant, tentative qui s’achèvera (donc) par le piteux échec de la ‘guerre folle’.

    Le traité du Verger (août 1488) interdit à Anne de Bretagne, fille et successeuse de François II (qui meurt quelques semaines plus tard), de contracter mariage sans l'accord du roi de France. La violation de cette clause (elle épouse par procuration Maximilien d'Autriche) conduit à une ultime intervention française (1491) qui oblige l'héritière à annuler cette union et à épouser le roi lui-même, Charles VIII, puis à sa mort... son cousin et successeur Louis d'Orléans (Louis XII). Tout ceci conduira en 1532 à l'Union définitive de la Bretagne à la Couronne de France par François Ier, cousin éloigné successeur de Louis XII et époux de la fille de celui-ci et d'Anne. C'est l'aboutissement de visées franques remontant aux Mérovingiens... Le duché devenu "province" gardera pendant deux siècles et demi encore une certaine autonomie nominale avec des États provinciaux à large dominante nobiliaire, autonomie confrontée bien sûr aux tentatives permanentes de "grignotage" de ses prérogatives par l'absolutisme ; et la population opposera de fréquentes résistances au pouvoir central comme la célèbre révolte des Bonnets rouges (1675) et bien sûr, après l'abolition de l'autonomie (considérée comme 'privilège') en 1789, la résistance au centralisme "révolutionnaire" bourgeois parisien connue de tou-te-s : la Chouannerie qui débute dès 1791-92 avec l'Association bretonne de La Rouërie et le soulèvement de Jean Cottereau dit 'Chouan' en Mayenne limitrophe, et ne prendra fin qu'à l'avènement de Napoléon - le mouvement touche aussi le Maine et l'Anjou voisins et se connecte avec la Vendée (Bas-Poitou) de l'autre côté de la Loire, dans une grande insurrection générale de l'Ouest dont la répression fera des centaines de milliers de victimes. Cet épisode est bien sûr entré dans les annales du marxisme 'primitif' (les Marx et Engels des années 1840-50, encore très influencés par le jacobinisme 'montagnard' français) et d'un certain 'marxisme' vulgaire jusqu'à nos jours comme l'archétype de la réaction anti-historique la plus noire ; et l'évoquer positivement vaut encore aujourd'hui (largement) sceau d’infamie à la gauche de l'échiquier politique. 

    Ceci nous donnera l'occasion de clarifier quelque chose : notre camp est le CAMP DU PEUPLE et l'histoire dont nous nous revendiquons est L'HISTOIRE DU PEUPLE, des 'bras-nus' et des 'besogneux' qui se cristalliseront au 19e siècle dans le prolétariat ; notre démarche est une démarche de dissociation historique entre l'histoire du peuple et celle des possédants (aristocratie, clergé, bourgeoisie) que d'aucuns, y compris 'maoïstes', s'évertuent encore à voir comme la seule (l'Histoire avec un grand H) ; et nous célébrons cette histoire du peuple, des classes laborieuses, dans leur résistance aux classes dominantes qui exploitent leur force de travail et à l’État au service de cette exploitation. Sans-culottes parisiens et Chouans bretons s'inscrivent à nos yeux dans cette même histoire de résistance populaire ; à cela près que sans direction consciente les uns se sont finalement faits les petits soldats des classes dominantes 'républicaines' ('républicaines' jusqu'à un certain point : la grande majorité soutiendra sans façons le couronnement de Napoléon en 1804 et le retour des Bourbons en 1814-15...) et parisiennes ou pro-centralisme parisien, tandis que les autres se sont faits ceux des classes dominantes de l'Ouest - plutôt monarchistes mais pas 'anti-Lumières' pour autant (la plupart des dirigeants, comme La Rouërie, émargeaient aux loges maçonniques locales et bon nombre avaient participé à la Révolution américaine).  

    Lorsque Chouans et autres Vendéens défendaient bec et ongles "leurs" nobles locaux et "leur" Église (une Église indépendante, "non-jureuse"), ce n'était certainement pas par "obscurantisme" et par amour de la taille, du cens et de la dîme... mais bien plutôt par attachement à ce qui était vu comme des contre-pouvoirs face à un État central qui (les institutions provinciales dissoutes) semblait s'annoncer tout-puissant  - et allait effectivement le devenir avec Bonaparte quelques années plus tard. Une quête (faute d'établir soi-même un Pouvoir du Peuple) de contre-pouvoirs face à la bourgeoisie "révolutionnaire" ; le même genre de contre-pouvoirs que les sans-culottes voyaient (sans doute) dans leurs "sections" et dans la (première) Commune de Paris...

    [Au sujet de toute cette "problématique bretonne" durant la "révolution" bourgeoise "française", un bon résumé ici http://breizhcb.free.fr/fr.htm#B12a ou encore ici http://ablogjeanfloch.over-blog.com/article-29966859.html ; lire aussi ici au sujet de l'analyse "socio-économique" du phénomène chouano-vendéen :

    "Dès les années 1920, Albert Mathiez considère que les causes de l'insurrection vendéenne, au printemps 1793, sont à chercher dans les conditions économiques et sociales de l'époque. Au début des années 1950, Marcel Faucheux montre que les causes profondes de l’insurrection sont à chercher bien au-delà de la constitution civile du clergé, de l'exécution de Louis XVI ou de la levée en masse, et qu'elles doivent être reliées à ce qu’il nomme le « paupérisme vendéen ». La Révolution n'a pas su satisfaire les espérances engendrées par la convocation des États généraux en 1789 : les métayers, majoritaires en Vendée, ne bénéficient pas de l’abolition des droits féodaux, qui sont rachetables (jusqu'en 1793), les biens nationaux profitent essentiellement aux bourgeois et aux marchands. À partir de là, le bouleversement des structures sociales traditionnelles, la réforme autoritaire du clergé et la levée en masse constituent tout au plus l’étincelle qui a provoqué l'explosion d'un mécontentement plus ancien. Se fondant sur l'analyse détaillée de la Sarthe, Paul Bois approfondit la question, en mettant en valeur la haine qui oppose alors le paysan au bourgeois et montre l’existence d’un profond clivage social entre urbains et ruraux, très antérieur à la Révolution, qui constitue l'une des causes majeures du soulèvement." (...)

    "Ces travaux ont été largement confirmés par les travaux du sociologue américain Charles Tilly, pour qui la croissance des villes françaises du XVIIIe siècle, l'agressivité économique de celles-ci et leur tendance à accaparer le pouvoir politique local ont suscité des résistances et des haines paysannes, dont l'insurrection vendéenne n'est qu'un exemple exacerbé." (...) "De son côté, Albert Soboul décrit des masses paysannes dans la gêne, prédisposées « à se dresser contre les bourgeois, très souvent fermiers généraux en ce pays de métayage, négociants en grains et acquéreurs de biens nationaux », (...) enfin l'assimilation, par les paysans, du tirage au sort pour la levée des 300 000 hommes à la milice, institution de l'Ancien Régime particulièrement honnie. S'il considère que « le caractère simultané du soulèvement autorise à penser qu'il fut concerté », il explique que les paysans « n'étaient ni royalistes, ni partisans de l'Ancien Régime » et que les nobles furent d'abord surpris par le soulèvement, avant de l'exploiter à leurs fins." (...)

    "Plus récemment, Jean-Clément Martin a indiqué que, si les paysans sont passés à la Contre-révolution, selon les provinces, pour des raisons très diverses, y compris entre les différentes zones de la Vendée, les mots d'ordre religieux et de la défense communautaire leur sont communs. Ces mots d'ordre sont dus au maintien du poids des impôts et des fermages, à l'aggravation du sort des métayers, à l'incapacité des petites élites rurales à acheter des biens nationaux, accaparés par les élites urbaines, à la perte de l'autonomie des petites communes rurales face aux bourgs, où sont installés les pouvoirs politique (le district) et économique, aux atteintes de la Constitution civile du clergé aux libertés des communautés, qui défendent leur prêtre et leurs cérémonies religieuses. Les tensions montent jusqu'en mars 1793, sans trouver d'exutoire, quand la levée en masse fournit l'occasion aux communautés de s'unir contre les agents de l'État, dans un mouvement qui renvoie aux jacqueries traditionnelles, et de former des bandes à la tête desquelles les élites locales sont placées, de plus ou moins bon gré." 

    "Albert Mathiez, un jacobins partisan plus que quiconque de « l’unité française », mais qui fut un grand et véridique historien, a montré les vrais caractères de la Chouannerie en Bretagne et en Vendée : si les paysans se soulevèrent, ce fut beaucoup moins pour défendre les prêtres et le roi, que pour lutter contre les bourgeois et les robins qui s’emparaient des biens nationaux." (Daniel Renoult dans l'Humanité, 1932)

    Lire également notre article : http://servirlepeuple.com/esclave-identitaire-chouan-cul-terreux-arriere-de-service-pour-paraphr-a114085738]

    [Lire notre annexe : annexe-quelques-verites-sur-la-grande-revolution-bourgeoise]

    Bref, deux résistances populaires au même capitalisme triomphant mais qui, faute d'être conscientes d'elles-mêmes, se sont retrouvées les instruments de deux fractions dominantes opposées ! Bien sûr nous n'ignorons pas que les faits historiques ont des répercussions et de fait, l'affirmation bretonne restera à dominante conservatrice voire réactionnaire jusqu'à ce que les conceptions progressistes prennent le dessus dans les années 1960-70... ce qui fut effectivement un lourd problème pour le Peuple breton.

    Mais revenons à notre sujet. Voici donc (en rose) à quoi ressemblait le royaume de France vers 1500 :

    En finir avec la 'France', appareil politico-militaire et idéologique de nos oppresseurs ! (suite)

    Il y a deux grandes enclaves : le Comtat venaissin (Vaucluse), au Pape, et le Charolais (à la Couronne d’Espagne, sera transféré au prince de Condé en 1684, puis définitivement rattaché à la Couronne en 1760). Les ‘tâches’ grises sont les terres de la maison d’Albret-Navarre, héritière de Gaston Phébus et dont sera issu Henri IV : un véritable petit Empire gasco-pyrénéen (carte, voir aussi ici) gouverné depuis Pau ou Nérac, comprenant pratiquement toute la chaîne (Basse-Navarre basque, Béarn, Bigorre/Haute-Pyrénées, comté de Foix/Ariège), des parties du Gers, des Landes et du Lot-et-Garonne (Gascogne) ainsi que le Rouergue (Aveyron), le Périgord (Dordogne) et le Limousin ; très indépendant de l'autorité royale parisienne surtout dans la zone pyrénéenne avec des Estats (institutions, assemblées) propres en vigueur jusqu'en 1789, sans parler des vallées de montagne qui sont souvent des républiques paysannes autonomes de fait - sous le régime du paréage ou autre. Après la perte de l’essentiel de la Navarre (annexée par la Castille en 1512, mettant fin au dernier territoire basque indépendant), Jeanne d’Albret se convertira au protestantisme et son fils Henri sera l’un des principaux chefs de file du ‘parti protestant’, de 1570 environ jusqu’à sa conversion en 1593.

    Ce ‘parti’ exprimera jusqu’au début du 18e siècle (guerre des Camisards 1700-1710) en passant par les guerres de Richelieu (1621-29), l'Ormée bordelaise (1650-53) et la politique anti-protestante de Louis XIV dès les années 1660 (révocation de l'Édit de Nantes en 1685, 'dragonnades' dans tout le 'Midi') les aspirations anti-centralistes d’une partie de l’aristocratie, de la bourgeoisie urbaine et des classes populaires d'Occitanie ('Provinces de l'Union'), de Poitou-Saintonge, du Val de Loire ou encore de Normandie ; la Ligue catholique (soutenue par l’Espagne) exprimant quant à elle les aspirations centralistes de la bourgeoisie francilienne et du Nord/Nord-Est... bien que la Bretagne, la Provence, une partie du Languedoc (la plus violemment ravagée et catholicisée durant et après la Croisade...) et la région lyonnaise y soient également ralliées.

    De fait, outre l'appui "espagnol" depuis la péninsule et/ou leurs possessions des Pays-Bas, de Franche-Comté ou d'Italie, l'ultra-catholicisme ligueur pouvait aussi exprimer des aspirations anti-centralistes (Cazaulx à Marseille) ou républicaines bourgeoises (à Paris) face à une monarchie jouant le "juste milieu" et apparaissant ainsi (pour le coup) "philo-protestante" - l'ensemble de cette opposition protestante et ultra-catholique à la mise en place de l'absolutisme était qualifiée de mouvement monarchomaque. Les Guerres de Religion en France ont été quelque part, pour ainsi dire, si "incohérentes" au regard de la typologie "normale" des terres protestantes et catholiques en Europe à cette époque, que l'on peut presque être amené à penser qu'elles étaient d'abord et avant tout une affaire de "parti anglais-navarrais" et de "parti espagnol-flamand-impérial" (habsbourgeois), en fonction de par qui les élites locales préféraient être envahies et annexées-"libérées" ; la monarchie parisienne tentant quant à elle de sauver tant bien que mal l'unité du royaume en "jonglant" entre les deux factions...

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    Henri IV réunira finalement ses domaines occitans à la Couronne, en leur conservant toutefois une assez large autonomie qui sera progressivement remise en question... par ses descendants (Louis XIII avec Richelieu, Louis XIV, Louis XV etc.) jusqu'au coup de grâce de la révolution bourgeoise pariso-centrée (de fait ces domaines n'auraient pas pu perdurer et se consolider comme un État occitan indépendant, car déjà en cette fin du 16e siècle le prestige des grands États modernes constitués était tel qu'il poussait les princes d'un tel rang à chercher à monter sur un de leurs trônes - ici en l'occurrence celui de France - plutôt que d'entrer dans une démarche de sécession, ou alors à s'y apparenter au maximum jusqu'à se dissoudre dans la cour de la capitale - Paris puis Versailles - et perdre petit à petit l'administration effective de leurs territoires, ce qui sera le grand processus du 17e siècle).

    Louis XIV fera ériger, à Pau, une statue équestre à la gloire de son aïeul ; les Béarnais, par défi, feront inscrire sur son socle "Ici le petit-fils de notre bon roi Henri"... Pendant toute cette période, les résistances occitanes au rouleau compresseur centraliste se succèdent : Croquants de la Garonne au Limousin (1593-95, 1624 et 1635-43), places de sûreté protestantes démantelées par Richelieu entre 1621 et 1629 (Nîmes, Montpellier, Montauban, La Rochelle au terme du fameux siège, Privas dont plus de 1.500 défenseurs sont sauvagement massacrés), Cascavèus en pays aixois (1630), sédition derrière Montmorency en Languedoc (1632), Ormée bordelaise (1650-53), Camisards cévenols (années 1700) etc.

    Sur la carte, on peut également observer la désintégration politique de l’Allemagne et de l’Italie du Nord et du Centre, autrement dit du SAINT-EMPIRE, qui était la grande puissance ‘géopolitique’ européenne de l’An Mille. Il n’y aura de nouvelle grande unification politique, sous l’impulsion des bourgeoisies padane et rhénane et des monarchies piémontaise et prussienne, qu’au 19e siècle (années 1850-70).

    On remarque aussi (en rose pâle) le duché de Savoie qui, à cette époque, a unifié politiquement une grande partie de l’Arpitanie : Savoie, Bresse-Bugey-Gex (actuel Ain), Suisse romande, Val d'Aoste et vallées piémontaises, etc. De fait, c'est la plus grande réunion de terres arpitanes sous une même autorité politique depuis la désintégration du royaume de Bourgogne-Provence au 12e siècle - et cette fois, c'est un État quasi-moderne. Mais il recule dès le 16e siècle (duc malheureux Charles III, 1504-53) face au royaume de France (qui l'envahit et l'occupe à répétition et prend la Bresse, le Bugey et Gex en 1601) et aux cantons suisses (qui arrachent leur indépendance, souvent sous la bannière de la Réforme), devenant petit à petit un État principalement italien : la capitale est transférée de Chambéry à Turin en 1563. On connaît la suite : devenu royaume de Sardaigne par l'acquisition de cette île en 1720, acquérant l'ancienne république oligarchique (et le puissant port) de Gênes en 1815, le Piémont-Savoie unifiera sous sa coupe la péninsule italienne en 1860... abandonnant 'au passage' définitivement Nice et la Savoie à la France (après un 'plébiscite' notoirement truqué). Trait d'union pendant des siècles entre des vallées de même langue et de même culture, les Alpes se hérissent de douaniers et deviennent pour toujours une frontière.

    Au 17e siècle, aux abois dans leur volonté étatiste moderne et soumis aux pressions quasi-protectorales de la France de Louis XIV qui (comme on l'a dit) occupe une grande partie de leur territoire (Pignerol etc.), les ducs de Savoie seront par ailleurs de grands persécuteurs de l''hérésie' vaudoise (proche de la Réforme mais antérieure à celle-ci, remontant au 12e siècle) dans les vallées alpines occitanophones ; une 'hérésie' expression et drapeau, comme le protestantisme radical languedocien, du 'démocratisme' populaire villageois (dont les Escartons du Briançonnais étaient localement un bon exemple) que l’État moderne voulait anéantir [les Vaudois avaient déjà subi de grands massacres en Provence, dans le Lubéron, au siècle précédent].

    Par la suite, cette carte nous montre les dernières annexions de l’Ancien Régime, entre Henri II (1547-59) et Louis XVI (1774-92) :

    CarteAH France 299

    Cet Ancien Régime (les historiens désignent généralement, par ce terme, la période allant du règne de François Ier  ou de la fin des Guerres de Religion jusqu'en 1789) marque, au niveau de l'économie politique, une période d'équilibre entre les classes féodales (aristocratie, clergé), désormais totalement parasitaires (leur 'fonction sociale' de protection des populations a disparu au 15e siècle), vivant de leurs rentes foncières et fiscales ('droits' seigneuriaux) ou s''épanouissant' dans des tâches militaro-bureaucratiques (noblesse) ou d'encadrement idéologique réactionnaire des masses (clergé) et traversées par des ‘courants’ antagoniques (noblesse centraliste/monarchiste ou au contraire jalouse de ses prérogatives et hostile à l’autorité royale ; clergé ‘gallican’, janséniste ou ‘ultramontain’ partisan de l’autorité papale, etc.), et la bourgeoisie ou plutôt LES bourgeoisies des différentes nationalités absorbées dans l'État, avec leurs tendances centralistes ou anti-centralistes (en fonction de leur 'tropisme' économique). La monarchie, héritière des Capétiens qui ont fondé l'appareil politico-militaire, joue alors de manière autocratique et arbitraire le rôle de 'gardienne' de cet équilibre dans lequel, un temps, la majorité de chaque classe exploiteuse va finalement trouver son compte – mais il y a toujours des 'minorités agissantes', des 'forces centrifuges' puissantes à contenir et l’équilibre devient intenable dans la seconde moitié du 18e siècle. Un symbole de cela, afin de mettre autoritairement 'tout le monde d'accord', est la suppression des États Généraux, institution créée par Philippe le Bel (1302) pour représenter auprès du monarque les trois 'grandes' classes dominantes de l'époque : clergé, noblesse et bourgeoisie des 'bonnes villes'. Ils ne seront plus convoqués à partir de 1614, jusqu'en... 1789.

    C'est donc à cette époque que se met en place (et se renforce) le politique de consolidation centralisatrice du royaume (cet ensemble de provinciae annexées depuis 4 siècles), en particulier (on l'a vu) avec l'inénarrable Richelieu (dont Simone Weil dira qu'il a "tué en France tout ce qui n'était pas Paris") qui brise le 'pouvoir huguenot' du 'Midi', développe l'institution des intendants (précurseurs des préfets), émet la fameuse théorie des 'frontières naturelles' (limites 'idéales' de la base d'accumulation première du capital pariso-centré) ou encore inaugure la fameuse Académie française comme 'quartier général' de la culture aristo-grande-bourgeoise dominante ; politique poursuivie par son successeur Mazarin ('Ministre principal' de 1643 à 1661) et bien sûr Louis XIV, et que les révolutionnaires bourgeois de 1789 et Napoléon Bonaparte ne feront que poursuivre encore.

    En 1688 (conformément à une volonté testamentaire de Mazarin) est inauguré à Paris un Collège des Quatre Nations destiné à accueillir et 'formater'-franciser la jeunesse 'bien-née' des territoires annexés de fraîche date (cf. carte ci-dessus) : 'Pays-Bas' (Artois-Flandre-Hainaut, actuel Nord-Pas-de-Calais), Roussillon catalan, Alsace et Pignerol (place-forte piémontaise occupée alors par les troupes royales et qui retournera aux Savoie quelques années plus tard). Il fonctionnera ainsi jusqu'en 1791 ; ensuite de quoi (1805) le bâtiment hébergera l'Institut de France (dont fait partie l'Académie française). Une 'Nation picarde' (terres de langue picarde elles aussi d'annexion récente, entre la guerre contre le Téméraire à la fin du 15e siècle et le règne de Louis XIV) était par ailleurs reconnue, vers la même époque, au sein de l'Université de Paris. Ceci illustre bien la politique de 'francisation' via l''élite' poursuivie alors (avant la 'francisation de masse' à partir de 1790 et tout au long du siècle suivant) ; mais aussi le fait que ces récentes annexions étaient bel et bien considérées comme des NATIONALITÉS (à 'assimiler') et non comme 'la France' sans autre forme de procès.

    Une annexion importante sur la fin de cette période, offrant à la ‘France’ une position stratégique ‘clé’ en Méditerranée, est celle de la Corse. Celle-ci, depuis la fin de l’Empire romain, n’avait jamais fait partie d’aucune manière de l’orbite ‘franque’ : par sa position géographique et sa culture, elle se rattache à l’ensemble Péninsule italique/Mer Tyrrhénienne, et depuis le 5e siècle elle avait successivement été vandale, byzantine, arabe, pisane et enfin génoise. Surtout, lorsque Louis XV l’annexe en 1768-69, elle n’est nullement un duché féodal… mais une république bourgeoise (ou, pour être exact, un 'royaume sans roi'), très démocratique même (les femmes veuves, cheffes de famille, y ont le droit de vote), présidée par le 'général de la nation' Pasquale Paoli et menant depuis près de 40 ans une guerre de libération victorieuse contre la ‘république’ aristocratique de Gênes. Cette république bourgeoise sera même un modèle, quelques années plus tard, pour les révolutionnaires bourgeois américains : une douzaine de villes des USA portent le nom de ‘Paoli’. L’argument selon lequel la centralisation monarchique puis révolutionnaire/napoléonienne n’aurait mis fin qu’à des ‘féodalités’ tombe donc ici en morceaux... La pacification qui se poursuivra sous la révolution bourgeoise (après un bref ‘retour en grâce’ de Paoli en 1790-93) et même ensuite (pratiquement jusqu'au milieu du 19e siècle) sera brutale, notamment sous les gouvernorats des sinistres Marbeuf (1768-86) et Morand (1801-11). L'île restera sous administration militaire... jusqu'au début du 20e siècle.

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    Telle est donc la ‘France’ dans laquelle éclatera la Révolution bourgeoise de 1789, qui annexera pour finir le Comtat (définitivement), la Savoie et le comté de Nice (perdus en 1815 mais récupérés en 1860 ; l'arrière-pays niçois opposera durant toutes les années 1790-1800 une farouche résistance populaire à l'annexion française, le mouvement des Barbets ; et puis, faits totalement oubliés aujourd'hui, en février 1871 et dans les mois précédents, soit à peine plus de 10 ans après le rattachement à la France par référendum truqué, dans un contexte d'effondrement de l’État face à la victoire prussienne et de montée des Communes, le jeune département des Alpes-Maritimes connaîtra des troubles et donnera une écrasante majorité aux élections législatives à des candidats autonomistes voire carrément séparatistes ou rattachistes à l'Italie, dont ni plus ni moins que Garibaldi himself...) ; ainsi que MulhouseMontbéliard et quelques autres petites principautés et enclaves d'Empire en Alsace et en Lorraine (Salm, CréhangeSarrewerden en 'Alsace bossue' etc. etc.) [et bien d'autres territoires encore, bien sûr, jusqu'au Rhin et même au-delà, en Italie, en Suisse romande et même en Catalogne, mais nous ne parlons ici que de ceux faisant aujourd'hui partie de l’État français].

    L’importance des territoires ‘manquants’ à la toute fin du 16e siècle (époque à laquelle certains ‘maoïstes’ font naître la ‘nation française’…), objets d'une politique annexionniste visant le 'cœur' industriel du continent (politique qui inclura le fameux contentieux alsacien-mosellan avec l'Allemagne - 1870-1945 - et ne prendra définitivement fin... que dans les années 1950 - question de la Sarre), est absolument considérable lorsque l’on sait le ‘moteur’ économique du capitalisme hexagonal qu’ils sont devenus par la suite et qu'ils restent  encore (pour beaucoup) aujourd’hui – non sans égrener, de Calais à Sochaux en passant par les Ardennes et Florange, les 'poches' de misère et de relégation post-industrielle.

    À vrai dire, leur annexion, concomitamment avec la colonisation des Amériques (Canada, Louisiane, Antilles), aura été le ‘coup de fouet’ à la ‘grande expansion’ de celui-ci, débouchant sur la révolution bourgeoise et la révolution industrielle (la première créant les conditions politiques de la seconde). 

    Car parallèlement à ces dernières annexions de la monarchie absolue s’est mis en œuvre un autre phénomène de toute première importance : celui de la colonisation outre-mer. Si, sous la monarchie absolue, l’expansion territoriale en Europe se ‘ralentit’, c’est pour une simple et bonne raison : la ‘France’ n’est pas seule, d’autres grands États modernes se sont formés (Angleterre, Espagne, Autriche des Habsbourg, Provinces-Unies – Pays-Bas actuels – à partir de 1580, Suède, Prusse et Russie à partir du 17e siècle – mais plutôt en Europe germanique et baltique), et elle se heurte à eux, ce qui rend difficile (militairement) de s’étendre en Europe, où les guerres sont longues WEB CHEMIN 40785 1298375052et coûteuses (et pas toujours victorieuses !). La ‘France’ va donc ‘regarder’ au-delà des mers, vers ce ‘Nouveau monde’ ‘découvert’ par Christophe Colomb en 1492, ou vers ces Indes dont Vasco de Gama a ouvert la route maritime en 1498 ; en quête de nouvelles terres et de nouvelles forces productives à exploiter.

    Ainsi va naître le premier Empire colonial français que l’on voit ici en bleu clair sur la carte (et ici, carte plus détaillé des Caraïbes) et qui donnera naissance aux Nations québécoise, acadienne, cajun et surtout afro-caribéennes et mascareignes (Réunion, Maurice, Seychelles, Rodrigues), par l’importation massive de travailleurs esclaves africains. Cet empire disparaîtra, pour l’essentiel, entre la guerre de Sept Ans (1756-63) qui voit la perte du Canada et l’issue des guerres napoléoniennes (1815), la ‘France’ ne conservant finalement que nos actuels ‘DOM’ : Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion.

    Mais la bourgeoisie, une fois installée seule au pouvoir, poursuivra cette œuvre 'civilisatrice’ : dès la révolution industrielle avec la conquête de l’Algérie et l’exploration du Pacifique, puis surtout à partir des années 1860 (entrée dans l’impérialisme) avec la conquête de près de la moitié du continent  africain, de l’Indochine etc. : c’est le second Empire colonial. À cette dernière époque, la puissance Colo-frse-couverture-cahier-sco-1900du capitalisme français (qui se concentre en monopoles) permet en outre la domination financière de nations entières (comme en Chine ou dans le vieil Empire ottoman), sans administration coloniale directe.

    La résistance des populations autochtones, et les révoltes des esclaves africains transplantés, n’ont jamais cessé durant toute cette période (menant, notamment, à l'indépendance - vite confisquée - de la première 'République noire', Haïti, en 1804) ; toutefois, c’est surtout après la Première Guerre mondiale, sous l’impulsion de la Révolution prolétarienne russe, que s’exprime dans tout l’Empire un puissant mouvement de libération des peuples colonisés.

    Sous la pression de celui-ci, l’impérialisme ‘français’ va s’adapter et, à partir des années 1950, retirer progressivement son appareil administratif, tout en maintenant sa domination économique – et, souvent, une forte présence militaire ; faisant que les nouveaux États n’ont souvent d’’indépendants’ que le nom ; sauf lorsqu’ils empoignent (plus ou moins fermement et longtemps) le drapeau de la révolution mondiale anti-impérialiste, comme le Vietnam bien sûr (1945-75), ou comme le tentèrent l’Algérie, la Guinée ou le Congo dans les années 1960, ou encore le Burkina Faso de Thomas Sankara en 1983-87 – expériences de courte durée, vite ‘ramenées dans le rang’ par la corruption ou le coup de force.

    Une conséquence importante de tout cela, outre l’exploitation féroce des populations et une liste interminable de crimes sans nom, et outre le fait que la ‘France’ administre encore directement une huitaine de ‘DOM-TOM’ et exerce un protectorat de fait sur une quinzaine de pays africains, est que, tout au long du 20e siècle et particulièrement pendant les ‘Trente glorieuses’ (1945-75), les besoins du capitalisme bleu-blanc-rouge l’ont amené à importer, massivement, de la force de travail de ces pays coloniaux, ou nouvellement (pseudo) ‘indépendants’. Cette main d’œuvre, et ses descendants, 794874 guerre-d-algerie-manifestants-expulsionont formé en Hexagone métropolitain des colonies intérieures : concentrés dans des zones spécifiques, surtout urbaines (dont la population ‘blanche’ est ‘invitée’ à fuir les ‘incivilités’, le ‘bruit’ et ‘l’odeur’…), elles s’y voient appliquer de facto le même type de traitement colonial que leurs aïeux dans leurs pays d’origine. Ces colonies intérieures cohabitent aujourd’hui avec les nations constitutives de l’entité ‘France’, dans lesquelles, globalement, a fusionné l’immigration de travail d’origine européenne (ne se voyant pas appliquer ce traitement ‘colonial métropolitain’ spécifique). Dans les zones où elles sont particulièrement concentrées (on pense en particulier à la région parisienne, la région de Marseille, de Toulouse ou de Lyon, et aux régions industrielles du Nord ou de Lorraine), elles ont grandement influencé la culture populaire nationale et réciproquement (en étant très influencées elles-mêmes, également, par la culture populaire afro-américaine). Ceci fait, de certains territoires, ce que l’on peut appeler des ‘métropoles multiculturelles du capitalisme’, préfigurant, au sein de celui-ci, le communisme universel d’après-demain. 

    La bourgeoisie n’a donc, on l’a dit d’innombrables fois ici, fait que reprendre à son compte, récupérer l’appareil politico-militaire construit par la monarchie capétienne – en le modernisant bien entendu, en le rationnalisant, car le processus long et contradictoire de sa construction avait ‘empilé’ les appareils administratifs, militaires, policiers, judiciaires et fiscaux ‘façon mille-feuille’, de manière complexe et parfois incohérente (et puis il y avait, bien sûr, les innombrables ‘privilèges’ de la noblesse et du clergé, devenus totalement inutiles et parasitaires, entravant le développement de l’économie capitaliste).

    94Cela parce que si, certes, les 'ténors’ de la bourgeoisie révolutionnaire venaient d’un peu partout, sa fraction (économiquement) la plus puissante, et donc politiquement dirigeante, était celle qui avait prospéré dans la capitale du royaume et ses alentours, profondément incrustée dans l’appareil d’État monarchique : la bourgeoisie du Bassin parisien, qui avait tout intérêt à maintenir un appareil politico-militaire à la base même de sa prospérité [5]. Mais aussi parce que, globalement, TOUTE la bourgeoisie du royaume, de Calais à Marseille et de Brest à Strasbourg, avait tiré profit de ce processus de construction de l’État moderne. 

    Si le capitalisme s’est développé spontanément en Europe dès le 11e siècle ; et en ‘France’ surtout aux 12e-13e siècles avec les foires de Champagne et du Languedoc (les premières étant en sérieuse concurrence avec les secondes, explication "oubliée" de la Conquista) ; il a connu dans l’histoire de celle-ci essentiellement quatre phases de développement volontariste, ‘impulsé’ consciemment pour la ‘grandeur’ du pays :

    - Sous l’Ancien régime, dès la fin de la Guerre de Cent Ans mais surtout aux 17e-18e siècles (de Henri IV à Louis XVI), par la commande royale ; politique particulièrement bien incarnée par Colbert ;

    - Sous la ‘révolution industrielle’ (du Premier au Second Empire inclus). Les ‘argentiers’ de la monarchie et de la ‘noblesse de Cour’ d’Ancien régime sont devenus des banquiers qui investissent dans la production industrielle, les innovations technologiques comme le chemin de fer, etc. ; visant évidemment par là un juteux retour sur investissement. Cette période voit la progressive fusion du capital bancaire et du capital industriel, qui débouche vers 1870-80 sur le capital financier monopoliste, ouvrant l’époque de l’impérialisme.

    - La ‘grande modernisation’ entreprise par la  IIIe  République à la ‘Belle époque’ (1879-1914), particulièrement la ‘République radicale’ à partir de 1900 ; parallèlement à l’expansion coloniale ;

    - Enfin, après la première crise générale du capitalisme et les deux guerres mondiales, de 1945 jusqu’aux années 1980, principalement sous la ‘république gaulliste’ (1958-74).

    Ces deux dernières phases font également largement appel à la commande d’État (républicaine, cette fois…) : commande militaire, ‘grands travaux’ etc.

    En résumé : les ‘argentiers’ de la construction et de l’affermissement de l’État moderne monarchique sont devenus les banquiers de la Révolution industrielle puis, par la fusion capital bancaire/capital industriel, les MONOPOLES de l’époque impérialiste. La généalogie que l’on voit se dessiner ici est édifiante…

    reseauferroviaire19emeCes politiques volontaristes ‘plieront’ l’organisation territoriale du capitalisme ‘français’ à la domination du ‘Centre’ parisien. Outre que Paris est le ‘centre’ de la production intellectuelle, culturelle et idéologique au service de ce système, cela est particulièrement net si l’on observe les voies de communication : dès le 16e-17e siècle, le réseau routier converge ‘en étoile’ vers la capitale, et le réseau ferroviaire fera de même à partir des années 1830-40 ; laissant de vastes territoires sans infrastructures dignes de ce nom, dans l’arriération, uniquement réservoir de force de travail.

    Une illustration particulièrement nette de ce processus est l’expansion démographique de Paris, et la manière dont celle-ci en ‘suit’ les grandes étapes : au cours de la formation et de la consolidation de l’État moderne, la population de la capitale passe de 50.000 habitants (sous Philippe Auguste) à plus de 600.000 lorsqu’éclate la révolution bourgeoise, puis, avec la ‘révolution industrielle’, l'on voit à partir des années 1830 la population de l’agglomération ‘décrocher’ de celle de la ville proprement dite (qui la ‘rattrape’ légèrement en 1860, avec l’agrandissement haussmannien), puis 'creuser' considérablement l’écart à partir des années 1880-90 (la population de la ville, elle, commence à stagner et même à diminuer à partir des années 1920) ; et enfin, à partir des années 1960, l’on voit la population d’une ‘aire urbaine’ (débordant les limites mêmes de l’Île-de-France) ‘décrocher’ à son tour de celle de l’agglomération : Paris a littéralement ‘aspiré’ tout le Bassin parisien dans son orbite économique, productive, infrastructurelle, culturelle... Hormis peut-être Londres, aucune capitale européenne n’est le siège d’un tel phénomène. 

    La ‘France’, comme tout grand État moderne/bourgeois (Royaume-Uni, Espagne, Allemagne, Italie, Russie), repose fondamentalement sur une contradiction Centre/Périphérie ; contradiction qui dans son cas recoupe, en tout cas au Sud, au Nord-Est et à l’extrême Ouest (Bretagne), des questions nationales

    commune-tardiMais, parallèlement à tout ce processus, dans le sein du capitalisme qui l’a porté, est également née et s’est développée la classe qui possède la solution à toutes ces contradictions : la classe qui ne possède ni terre, ni atelier ni aucun moyen de production, seulement sa FORCE DE TRAVAIL qu’elle vend (déjà, au 15e ou 16e siècle, sur la place de Grève à Paris) aux détenteurs, justement, de ces moyens de production ; et dont la ‘mission’ historique est de libérer l’humanité des chaînes de l’exploitation et de la faire entrer dans une nouvelle ère : le PROLÉTARIAT. Sous l’Ancien régime, il est organisé par ‘métiers’, de manière corporatiste, lié aux maîtres d’ateliers – ses employeurs. La Révolution bourgeoise brise ces structures corporatistes (en 1791), ce qui le pousse à s’organiser pour défendre ses intérêts propres (alors que se développe la grande industrie) : le prolétariat prend conscience de lui-même en tant que classe, rompt ses attaches politiques avec la bourgeoisie, même la plus ‘humaniste’ ou ‘démocrate-radicale’ qui soit (dans un processus qui va des ‘journées de juin’ 1848 jusqu’aux fusillades de Clémenceau à la ‘Belle époque’ et à la grande boucherie de 1914-18, en passant bien sûr par le massacre de la Commune de Paris en 1871), et donne naissance à une idéologie, une nouvelle conception du monde pour sa libération, le socialisme scientifique qui, en s’organisant pour lutter, devient une force matérielle. La ‘France’ et le monde entier entrent alors dans l’époque de la révolution prolétarienne ; ce sur quoi nous aurons longuement l'occasion de revenir. 

    MAINTENANT QUE NOUS AVONS EXPOSÉ TOUT CELA, quelle SOLUTION doivent avancer les révolutionnaires anticapitalistes ? Faut-il, comme il se trouvera – sans doute – des jacobins plus ou moins ‘rouges’ pour nous en accuser, ‘revenir’ aux grands duchés de l’An Mille qui comme on l’a vu recouvraient grosso modo les réalités nationales (et de ‘branches’ nationales) actuelles ? Bien sûr que non. Ce serait évidemment, personne ne dit le contraire, ‘faire tourner la roue de l’histoire à l’envers’ ; vouloir revenir à des entités politiques reposant sur un mode de production (féodal) complètement disparu – dont le début du processus de disparition a, en fait, précipité la chute. Si l’on étudiait au cas par cas chacun de ces 'États de l’An Mille’ (ce qui serait beaucoup trop long ici), on s’apercevrait d’ailleurs dans la plupart des cas que c’est l’action de leurs ducs et autres comtes eux-mêmes (poussés par la crise du mode de production féodal) qui a précipité leur propre perte ; plus généralement, ils ont ‘explosé’ sous l’effet des contradictions sociales qui les traversaient, entre la lignée régnante elle-même, ses éventuels cadets mécontents, les seigneurs locaux, l’Église avec ses ‘seigneuries ecclésiastiques’, les villes érigées en ‘républiques’ sous la conduite de leur patriciat grand-bourgeois, les paysans propriétaires libres et aisés, les révoltes de paysans pauvres et encore serviles à des degrés divers, etc. etc. Il n’est donc nullement question de vouloir ‘ressusciter’ abstraitement ces réalités politiques reposant sur un mode de production disparu (dans sa version 'pure’) depuis déjà 6 voire 7 siècles. Il en va de même pour les propositions 'néo-maurassiennes' de type 'Bloc identitaire', qui visent finalement à revenir au 17e siècle avec sa relative autonomie des institutions provinciales ('patries charnelles') au sein de la 'France patrie historique'...

    MFC-et-Ligue-savoisienneFaut-il, comme le font certains courants petits et moyens bourgeois (entrepreneuriaux ou intellectuels) de Savoie et du pays de Gex, de Franche-Comté ou d’Alsace, regarder vers la Suisse et son modèle confédéral, qui semble se combiner avec une grande ‘sérénité’ politique et une grande prospérité économique ? NON, car si la Confédération helvétique semble effectivement assurer la cohabitation ‘harmonieuse’ de quatre nationalités (alémaniques, romands, tessinois et romanches), c’est néanmoins une construction politique BOURGEOISE, capitaliste et en tant que telle secouée de contradictions. En tant que ‘pays-banque’ hébergeant des capitaux de toute l’Europe et du monde entier, notamment à travers la puissante UBS (Union des banques suisses), elle semble résister à la crise générale que nous traversons mais elle n’en est pas moins (justement) totalement insérée dans le système capitaliste mondial, sa crise et ses contradictions. En témoignent le durcissement xénophobe croissant (la culture dominante suisse n’ayant jamais été très ‘xénophile’...) à l’encontre des travailleurs frontaliers ‘français’, qui concurrencent la force de travail helvétique, et à l’encontre des travailleurs immigrés de toute origine (avec le référendum 'anti-minarets' etc.)... Car la Suisse et sa prospérité, c’est aussi cela : une ‘cité grecque’ reposant sur 22% d’étrangers (à 90% prolétaires) qui n’ont évidemment (comme étrangers) aucun droit politique. Et les ‘faces cachées’ de ce style seraient également légion si l’on nous parlait du modèle fédéral allemand ou autrichien, sans même parler des ‘autonomies’ d’une Espagne ou d’une Italie qui coulent à pic dans la crise.

    Faut-il alors envisager l’indépendance pure et simple de toutes les nations, pourquoi pas dans une Europe de type fédéral ? Oui et non... Car comme le disait déjà Lénine dans sa critique des ‘États-Unis d’Europe’ (idée avancée par certains à son époque), tout dépend du contenu politique et (donc) de classe que l’on y donne. L’indépendance d’une nation opprimée vis-à-vis d’un État oppresseur (avec sa 'nation-centre’) peut avoir un sens dans une démarche révolutionnaire, la nation concernée se constituant alors en ‘base rouge’ pour les masses de tous les États réactionnaires qui l’entourent. C’est ce qu’a fait l’ex-colonie française du Vietnam dans les années 1945-75 ; ce qu’a voulu faire la colonie française d’Algérie dans les premières années de son indépendance ou la colonie belge du Congo avec Patrice Lumumba ; ou encore ce qu’a voulu, dans les années 1960-70, faire Cuba (protectorat US de fait avant 1959) ; et il n’y a aucun obstacle à ce que cela puisse se produire en Europe (Cuba, par exemple, est aussi proche des États-Unis que la Corse l'est de la ‘France’ !). Et il est évident que lorsqu’une grande partie de l’Europe sera entrée en révolution, le niveau d’intégration économique légué par le capitalisme imposera la fédération continentale des nations socialistes comme une évidence (il l’impose déjà depuis plus de 50 ans aux États capitalistes et là, comme l’annonçait déjà Lénine en 1915, le fédéralisme européen est ‘ou bien impossible, ou bien réactionnaire’). En revanche, l’indépendance perd de son sens si c’est l’ensemble d’un État bourgeois qui entre en révolution : à ce moment-là, la communauté politique formée par celui-ci va se réorganiser sur des bases démocratiques mettant fin à la ‘hiérarchie’ politique, économique et culturelle des nations le composant mais il n’y aura plus vraiment de sens à être ‘indépendant’ au sens juridique international actuel du terme, ou alors ce sera une indépendance-(libre-)association sans la signification hostile qu’a l’indépendance d’une nation opprimée vis-à-vis de la nation dominante d’un État oppresseur. C’est ce qui s’est produit dans l’Empire russe des tsars après la dscn1874Révolution de 1917, et ce qui a été ébauché dans l’État espagnol pendant la guerre antifasciste de 1936-39 (hélas perdue).

    Car le fait que la ‘relation internationale’ considérée soit un rapport d’oppression est évidemment fondamental. Par exemple, si l’on prend le diasystème germanique, soit l’on considère chaque dialecte comme une simple ‘branche’ de la nation allemande et cela ouvrirait (et a déjà ouvert, par un passé de sinistre mémoire...) à des idées ‘pangermanistes’ de rattachement de l’Autriche, de la Suisse alémanique, de l’Alsace-Moselle voire des Pays-Bas et de la Flandre ; soit l’on considère que chaque dialecte ou en tout cas chaque ‘groupe’ de dialectes est une nation : ouf, les Pays-Bas, la Flandre, la Suisse et l’Alsace sont saufs, mais il faudrait alors démembrer l’Allemagne et peut-être même l’Autriche, ou éventuellement rattacher la Bavière à l’Autriche et le Bade-Wurtemberg à la Suisse, etc. etc. Mais voilà, quel sens tout cela aurait-il ??? Si, en République fédérale d’Allemagne, les masses populaires peuvent se plaindre de beaucoup de choses mais personne (sauf peut-être quelques bourgeois bavarois) ne se plaint d’être allemand, personne ne perçoit cela comme une oppression nationale ; et si, au contraire, de par l’histoire récente, cela serait perçu comme une oppression en Autriche, en Alsace ou aux Pays-Bas, où personne ne se plaint de ne pas être allemand, pourquoi changer quoi que ce soit ? Le 'job’ de la révolution c’est d’abattre l’oppression, pas de sodomiser les diptères pour déterminer qui est une nation et qui ne l’est pas afin que chaque nation corresponde exactement - au hameau près - à un État [6].

    Il faut véritablement s'arrêter et insister lourdement sur ce point, car il est fondamental et l'aboutissement de tout ce que nous venons de voir. L'on observe en effet très largement, dans l’État français mais aussi dans les autres (État espagnol etc.), une tendance de l'affirmation (y compris progressiste, y compris révolutionnaire) des Peuples niés qui en constitue selon nous une grande limite : la tendance à vouloir prioritairement et à tout prix délimiter un territoire "national" "au village près", sur des critères notamment linguistiques (et "culturalistes"), débouchant parfois sur des prises de bec avec d'autres affirmateurs de Peuples voisins etc. etc. - l'on pourrait peut-être employer, pour qualifier cette déviation, le terme rabelaisien de "picrocholinisme".

    Un travers que l'ennemi (centraliste bleu-blanc-rouge, espagnoliste etc.) ne se prive d'ailleurs pas de retourner contre nous, se découvrant soudain... "anti-centraliste" et "anti-expansionniste" pour nous traiter précisément de cela (de centralistes et d'expansionnistes), nous accusant de vouloir nier la grande diversité régionale de l'Occitanie (bien réelle avec ses 6 ou 7 aires linguistiques et culturelles elles-mêmes subdivisées) ou mettant en avant la question du gallo en Bretagne, ou encore, dans l’État espagnol, rappelant le particularisme de telle ou telle partie d'Andalousie (Almeria, Grenade) ou de tel ou tel pays catalan (Valence, Baléares). C'est là une tactique éprouvée et vieille comme le monde, qui porte un nom dont vous nous passerez la grossièreté : l'enculage de mouches. Autrement dit l'ergotage, le pinaillage sur des points de ce style pour faire s'effondrer la question principale d'une revendication sous un "bombardement" de questions secondaires. Ce à quoi nous avons, hélas, amplement tendance à prêter le flanc - de par les limites de notre compréhension des choses.

    Car il est bien évident que la diversité linguistique et culturelle des régions de la vaste Occitanie ne les inclut pas moins dans ce qu'il faut bien appeler la question méridionale de l'Hexagone, qui EST la question principale ; de même qu'en Bretagne le brezhoneg (parlé au Moyen Âge jusqu'aux portes de Rennes et Nantes) a finalement beaucoup moins reculé face à l'oïl du Val de Loire (donnant le gallo) que le gaélique irlandais face à l'anglais, et pourtant personne (en tout cas beaucoup moins de monde) ne se risque à nier l'Irlande comme réalité et question nationale face à son oppresseuse historique - l'Angleterre.

    C'est la raison pour laquelle il faut marteler et marteler encore, ici et ailleurs, maintenant et à l'avenir que la question est SOCIALE, la lutte est SOCIALE. C'est particulièrement net en Occitanie, qui ne peut pas se revendiquer historiquement d'un État unifié (ni moderne ni même pré-moderne) sur l'ensemble de son territoire : l'Occitanie existe par la France, comme POSITION SOCIALE (socio-territoriale) au sein de l'ordre français ; au même titre que (par exemple) le Mezzogiorno italien (qui s'identifie largement, mais pas totalement à l'ancien Royaume de Naples) ; et la lutte qui l'affirme est une lutte pour se libérer de cette position (mais cela est également valable pour la Bretagne ou pour la Corse, qui peuvent se revendiquer d'un État souverain par le passé). La "libération nationale", terme auquel nous préférons celui de Libération révolutionnaire du Peuple (LRP) car "national" inclut nécessairement la bourgeoisie, n'est pas quelque chose qu'il s'agirait de "combiner" d'une manière ou d'une autre avec la "libération sociale", autrement dit la lutte de classe : elle EST l'expression spécifique de la lutte de classe du Peuple travailleur, dans les conditions spécifiques d'un Peuple absorbé et nié par un grand État moderne lors de sa formation.

    La lutte pour la langue est une lutte pour la "reconquête de soi" en tant que Peuple, en antagonisme avec l’État qui veut faire de nous ses "citoyens" uniformisés autrement dit les petits soldats productifs de son Capital : c'est une lutte très importante mais subordonnée ou, plus exactement, impliquée par la lutte sociale qu'est la libération révolutionnaire (anticapitaliste) en tant que Peuple travailleur inscrit dans un certain ordre social au sein des frontières d'un État (des murs d'une prison, d'un enclos à force de travail) [sur cette dimension de classe de la question linguistique, lire ici : Comment les langues du peuple ont été rendues illégitimes].

    En définitive, soit l'on a compris cela soit on ne l'a pas compris ; et c'est alors la porte ouverte à toutes les dérives (isolement folklorique et inexistence politique, électoralisme et incrustation dans le système que l'on dénonce, populisme voire xénophobie réactionnaire) quelle que soit la quantité de vent que l'on brasse par ses moulinets nationalistes.

    front popularTout dépend donc du contenu, révolutionnaire (libération nationale) ou bourgeois - réactionnaire - du mot d’ordre. Ainsi l’idée d’indépendance actuellement mise en avant par une partie importante de la bourgeoisie catalane est-elle 100% bourgeoise et réactionnaire, 0% libération nationale. Ce n’est là qu’une réédition de ce que l’on peut ou a pu voir, depuis longtemps déjà, en Flandre, parfois en Alsace ou en Savoie, et en Italie du Nord : la revendication séparatiste d’une bourgeoisie prospère, dynamique, tournée vers la dorsale économique européenne, et qui ne veut plus ‘payer’ pour les 'bons à rien’ et la ‘racaille’ de Wallonie, du Mezzogiorno, des ‘banlieues’ de Paris, Lyon et Marseille ou – en ce qui concerne la Catalogne – du Sud de la péninsule, beaucoup plus déshérité. Dans une telle ‘indépendance’, il va de soi que la condition des masses populaires de Catalogne ne changerait pas d’un iota : peut-être bénéficieraient-elles, un temps, d’une meilleure ‘politique sociale’... au détriment des prolétaires d’Andalousie, de Murcie, des Canaries ou d’Estrémadure ; mais c’est tout. Les sinistres mossos d'esquadra continueraient à tabasser la jeunesse populaire à coups de matraques, ou à foncer sur la foule en estafette toutes sirènes hurlantes, pour s'amuser. La Catalogne indépendante serait un pays impérialiste, mais un petit impérialisme (du "gabarit" du Danemark ou de l’Autriche), qui devrait nécessairement se placer sous la ‘suzeraineté’ d’un plus grand : très probablement l’axe franco-allemand dirigeant l’Union européenne (la bourgeoisie flamande, elle, se tournerait vraisemblablement plus vers le bloc anglo-américain). La bourgeoisie catalane, elle (petite, moyenne et grande), sablerait certainement le champagne le soir de l’indépendance : enfin, elle ne  paierait plus de ‘taxes’ et autres ‘charges’ au bénéfice des culs-terreux, feignasses, alcoolo-toxicomanes, gitans et autres troglodytes andalous ! Mais voilà que, dans un capitalisme en crise générale et face à un prolétariat de Catalogne à la longue tradition de conscience de classe, de combativité et d’organisation, l’appareil politico-militaire ‘Espagne’ pourrait venir à lui manquer... Madrid, de son côté, ne bénéficierait plus des rentrées fiscales catalanes (et basques, s’il prenait à ces derniers la même idée) pour financer ses troupes de sabreurs, face aux remuants journaliers agricoles andalous, aux jeunes prolétaires des banlieues madrilènes et aux ‘féroces’ mineurs asturiens et léonais (dont la bourgeoisie, elle, se garde bien de demander une quelconque ‘indépendance’...). Le ‘pacte’ bourgeois de 1975-78 rompu, le ‘système Espagne’ courrait sans doute très vite à l’implosion ; ce serait, peut-être, le seul aspect positif de la chose [le problème ne se pose pas du tout dans les mêmes termes en ‘France’, car aucune ‘indépendance’ bourgeoise, même de l’Alsace ou de l’Arpitanie, ne laisserait Paris ‘une main devant, une main derrière’]. [NDLR - ce point de vue quelque peu 'définitif' à l'époque où nous écrivions (fin 2012) a été révisé depuis, voir par exemple notre article sur le référendum catalan de novembre 2014, avec la position (traduite) de l'organisation Endavant-OSAN que nous tendons à partager.]

    Non, la réalité c’est que tout ce que nous avons vu –  les duchés féodaux et l’émergence des nations et du capitalisme, la formation et le développement des États modernes parallèlement au développement (accumulation primitive) du capitalisme, les révolutions bourgeoises qui ‘prennent le contrôle’ des États modernes, les ‘rénovent’ et les font fonctionner pour le seul compte de la bourgeoisie (États bourgeois contemporain) créant les conditions politiques de la grande révolution industrielle, l’émergence à travers tout cela du prolétariat etc. etc. – est un long processus historique et DIALECTIQUE, procédant par négation de la négation.

    maocL’Empire romain, ‘sommet’ civilisationnel du mode de production esclavagiste antique en Europe-Méditerranée, est entré en décadence à partir du 3e siècle pour s’effondrer au 5e (en Occident) et au 7e (en Orient, face aux Arabes). Les siècles qui suivirent, jusqu’au 10e, furent sombres, chaotiques : un douloureux accouchement de l’histoire. Mais finalement, sous l’égide des nouvelles classes dominantes (aristocratie terrienne/militaire et clergé), le mode de production féodal finit par montrer sa supériorité économique, et de là, civilisationnelle : c’est l’époque de nos grands duchés, comtés, royaumes, républiques patriciennes urbaines (déjà, en Italie : Venise, Amalfi, Pise), et émirats (Andalousie, Sicile) féodaux, de leur rayonnement économique et culturel, technique et scientifique, de l’émergence du capitalisme et de nos nations modernes. À travers les sombres siècles mérovingiens et carolingiens, ce qui précède a donc nié l’Antiquité romaine – qui, elle-même, avait précédemment nié les réalités politico-sociales archaïques antérieures, comme les cités gauloises.

    Mais, dès la fin du 12e siècle, ce mode de production féodal entre lui-même en crise (pour disparaître, au sens ‘strict’, avant 1500) : c’est alors un processus de concentration des domaines féodaux, donnant naissance aux États modernes. Ceux-ci favorisent le développement exponentiel du mode de production capitaliste (d’ailleurs, dès Philippe le Bel, de grands bourgeois sont ‘de la partie’, au ‘conseil’ du souverain) : autrement dit, comme tout mode de production à son ‘stade suprême’ et (en réalité) pourrissant, la féodalité engendre en masse ses propres fossoyeurs (beaucoup de grands aristocrates le sentent bien et, du coup, se dressent contre la centralisation monarchique, sans succès). La bourgeoisie exploite à fond la ‘niche écologique’ de l’État monarchique jusqu’aux 17e-18e siècles... puis s’en empare, ‘dégageant’ l’aristocratie et le clergé des ‘niches’ (bureaucratiques, militaires, judiciaires, rentières de Cour) qu’ils occupaient, et modernisant l’appareil pour le mettre en pleine adéquation avec ses intérêts de classe. Toute cette séquence historique a donc nié l’apogée féodale de l’An Mille et ses duchés ; ce faisant, elle a nié politiquement et subordonné économiquement (à la fraction dominante, francilienne, de la bourgeoisie) les nations qui s’étaient alors créées. Celles-ci ont cependant subsisté comme réalités populaires, dans la culture et le ‘sentiment’ des masses, même bien après la Révolution bourgeoise ; et ont même plutôt bien résisté (si l’on en juge les revendications culturelles qui n’ont jamais cessé, et ont connu un grand regain depuis les années 1960-70) à la tentative de négation totale (même comme réalité populaire), entreprise par la bourgeoisie sous direction francilienne dès la Révolution, et surtout à partir de son entrée dans le stade monopoliste/impérialiste.

    La crise générale du capitalisme (qui n’a jamais ‘accouché’ l’histoire sans douleur), plongeant l’humanité entière dans un cycle de souffrances et de barbarie sans nom depuis près d’un siècle et demi, est une évidence qu’il ne sera pas utile de démontrer ici. Sa négation est donc à l’ordre du jour, ainsi que celle de ses appareils politico-militaires et idéologiques que sont les États dans lesquels nous vivons.

    manifestation-barcelone pics 809Dans ce contexte, les nations niées politiquement par le processus de construction des États modernes peuvent-elles ‘revenir’ ? OUI... mais pas sous leur forme d’il y a 1000 ans. Car une réalité donnée (politique, économique, sociale, culturelle) ne peut être niée que par une réalité SUPÉRIEURE. Et cette réalité supérieure aujourd’hui, c’est la RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE, la prise de pouvoir des masses populaires par et pour elles-mêmes, sous la direction politique du prolétariat. Les nations ‘nées en l’An 1000' [7] ont vu la classe dominante de l’époque (aristocratique et féodale) quasiment disparaître en tant que classe, et leur bourgeoisie s’‘intégrer’ au 'système France’, se 'satelliser’ (non sans contradictions, traînements de pieds et grognements) à la bourgeoisie 'française au sens strict’ (Bassin parisien), dans un 'état-major intégré’ de l’appareil politico-militaire 'France’. Elles n’existent plus, on l’a dit (malgré l’offensive plus-que-centenaire de l’appareil idéologique monopoliste), que comme réalités populaires. La question nationale (et la contradiction Centre/Périphérie de manière générale) est aujourd’hui une question démocratique. Et la seule réalité supérieure susceptible de résoudre ces contradictions, ces questions démocratiques, en niant les États bourgeois et le capitalisme dont ils sont l’appareil politico-militaire et idéologique, c’est la révolution prolétarienne ; qui est la démocratie la plus absolue au sein du peuple et la dictature la plus ferme du prolétariat contre les ennemis et les oppresseurs du peuple ; sous la forme de la Commune populaire qui, se fédérant à différents échelons territoriaux, verra renaître peu ou prou – sans pratiquement aucun doute – les nations de l’An Mille niées par le processus historique État moderne monarchique/État bourgeois contemporain… mais renaître à un niveau supérieur, sous la direction de la seule classe révolutionnaire jusqu’au bout, c'est-à-dire jusqu’au communisme universel : le prolétariat. 

    euskal herria drapeaurougeEt tout cela ‘tombe bien’, car ce prolétariat, force sociale qui ‘porte’ en elle ce gigantesque ‘saut de civilisation’, est devenu pléthorique, numériquement hégémonique dans les masses populaires de toutes les nations d’Europe et de Méditerranée comme du globe. Il s’est formé, on l’a dit, tout au long de l’expansion du mode de production capitaliste qui a ‘accompagné’ la construction des États modernes. Et par la suite, avec la Révolution bourgeoise et la révolution industrielle permise par elle, puis - encore plus - avec l’entrée dans l’ère des monopoles et de l’impérialisme (fin du 19e s.), il a connu un développement spectaculaire, tandis que le capitalisme, lui, cherchait à modeler toute la société à son image. Le capitalisme a subsumé toute la vie sociale, c’est à dire qu’il a subordonné tous les rapports sociaux entre personnes et groupes de personnes, toutes les règles écrites et non-écrites de vie en société, à son objectif de valorisation du capital. Cette subsomption accompagne, comme conséquence logique, l’explosion du rapport social salarial dans la population active : au milieu du 19e siècle, une majorité (plus de 50%) de la population est encore non-salariée (paysans, artisans et commerçants indépendants ou petits patrons). En 1906, on estime qu’encore 44% de la population ‘vit de la terre’ (on compte peut-être, dans ce chiffre, les journaliers - ouvriers agricoles - qui disparaîtront pratiquement par la suite avec la mécanisation et le recul général de la production agricole en Hexagone ; mais la très grande majorité est exploitante familiale, propriétaire ou locataire - fermiers, métayers - de sa terre). Évidemment, ces chiffres sont ‘nationaux’ : ils sont beaucoup plus importants dans les régions ‘reculées’ des nations constitutives ; tandis que le salariat (alors essentiellement ouvrier) se concentre dans les grandes agglomérations (Paris, Lyon, Marseille) et les grandes régions industrielles (Nord, Lorraine, région marseillaise, région lyonnaise-stéphanoise), ou dans quelques ‘bassins’ industriels isolés en zone rurale, comme le Creusot, Carmaux ou Decazeville, les grandes vallées des Alpes etc. Spécificité ‘française’, il existe alors une assez importante ‘industrie rurale’, comme l’horlogerie du Jura ou la chaussure en Iparralde, qui emploie (parfois de manière uniquement saisonnière) une main d’œuvre également agricultrice, à titre ‘complémentaire’.

    Strollad komunour breizhAujourd’hui, ce sont quelques 91% de la population active qui sont salariés ; et ce taux ne descend guère au dessous de 75% même dans les régions les plus ‘reculées’. Pour ce qui est du revenu individuel moyen (revenu du 'ménage’ divisé par le nombre d’unités de consommation), il est pour une majorité de ces salariés inférieur à 1500 euros par mois et pour près de 40% inférieur à 1300 euros, ce qui en fait assurément des prolétaires ou assimilés (et il tend à être encore inférieur pour une grande majorité des agriculteurs et ‘indépendants’). Et ce taux est, cette fois, nettement plus important dans les zones ‘reculées’ et lorsque l’on s’éloigne des grandes agglomérations (de, disons, 200.000 habitant-e-s ou plus). La carte des taux de pauvreté en Hexagone désigne sans ambiguïté les périphéries occitane, corse, ‘nordiste’ et lorraine (ainsi que le grand ghetto à ‘colonies intérieures’ du ‘9-3) ; la Bretagne a un niveau de vie très ‘moyen’ (de l’ordre de 1.500 euros par mois) avec peu de très pauvres et - également - peu de très riches, mais elle se caractérise par une très forte proportion de jeunes dans les bas revenus, signe de ‘déclassement’, de ‘vivre moins bien que ses parents’, qui est un important ferment révolutionnaire (et de fait, cela se confirme par la très jeune moyenne d’âge du mouvement progressiste autour de la question nationale). La combinaison, par des ‘géo-socio-statisticiens’, de ces différentes données d'exclusion et d'oppression socio-économique a finalement conduit à un document scientifique de toute première importance : la carte de ‘France’ des ‘fragilités sociales’, autrement dit des périphérisations/relégations... où l'on voit se dessiner socialement, en bleu et blanc, le résultat présent de tout le processus de construction de la réalité ‘France’ que nous venons d'exposer jusqu'ici.

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    N'y distingue-t-on pas nettement le Centre francilien ('trapèze' Rouen-Tours-Auxerre-Reims) duquel tout est parti et s'est construit ; les 'centres-relais' ou 'métropoles d'équilibre' (Lyon-Grenoble, Lille, Aix-Marseille, Côte d'Azur, Nantes-Rennes, Toulouse, Bordeaux etc.) dont la haute société s'est (tôt) faite le bras droit du pouvoir central (non sans frictions occasionnelles), créant autour d'eux une certaine dynamique d'inclusion mais 'mouchetés' du bleu sombre des ghettos urbains (anciennes banlieues ouvrières) où s'est entassée l'immigration prolétaire d'abord hexagonale, puis européenne puis 'post'-coloniale (colonies intérieures) ; les zones 'favorisées' par une certaine 'manne' touristique ou la proximité d'un riche État voisin (Allemagne, Suisse), ce qui n'est pas sans générer de grandes inégalités et autres problèmes (flambée immobilière etc.) ; et puis toutes les provinces, 'pays conquis' au fil des siècles qui plongent dans le grand bleu de l'exploitation et de l'exclusion à mesure que l'on s'éloigne des 'centres-relais' ? Voilà ce qui s'appelle une preuve par neuf...

    C’est ce phénomène qui a impulsé, dès l’entre-deux-guerres mais surtout depuis les années 1960, le ‘réveil’ des consciences populaires nationales dans un sens démocratique et progressiste, voire révolutionnaire (marxiste ou libertaire)[8] ; alors que jusqu’à la Révolution industrielle (incluse), souvent encadrées par la noblesse locale et le clergé contre la centralisation et le ‘modernisme’ monarchique puis bourgeois, les expressions de cette conscience allaient souvent dans un sens réactionnaire, tourné vers le passé, malgré des exceptions notables [protestantisme (alors progressiste) des Guerres de religion, Corse de Paoli, ‘parti’ girondin de la Révolution bourgeoise (anti-centralistes et légèrement moins ‘sociaux’ que les jacobins mais pas moins républicains, d’ailleurs ralliés par beaucoup de huguenots’ du ‘Midi) ou encore le ‘démocrate-socialiste’ de 1848 et véritable ‘père’ de la libération nationale basque, Agosti Xaho].

    Le même phénomène concerne aussi, au demeurant, l’ancien Empire colonial, avec la nouvelle division internationale du travail depuis les années 1960-70 (couramment appelée ‘mondialisation’) : le capitalisme y a massivement subsumé la vie sociale, encore à bien des égards traditionnelle il y a seulement 40 ans ; entre 2010 et 2015, prise dans son ensemble, l’Afrique subsaharienne devrait connaître une croissance économique supérieure à celle du Brésil ou de l’Inde. Ceci, bien entendu, accompagné d’inégalités, d’injustices, d’une pauvreté et de violences antipopulaires effroyables, et ‘étranglé’ dans les structures bureaucratiques au service de l’impérialisme, développant la conscience révolutionnaire dans les masses, comme on a pu le voir depuis 2 ans au nord du Sahara (mais aussi au Sénégal et au Burkina). Drapeaux-Gwada-madinina-guyaneEt nos colonies intérieures hexagonales ont conservé des liens étroits avec les masses populaires de ces pays [9]... 

    C’est donc la révolution prolétarienne qui est l’actualité de notre époque ; avec pour mission historique de libérer l’humanité des chaînes de l’oppression ; et - entre autres - de l’oppression nationale et de la contradiction Centre/Périphérie.

    Quelque part, finalement, la bourgeoisie révolutionnaire des 18e-19e siècles a fait devant les masses de grandes proclamations démocratiques, mais en appui à son mode de production (qui s’était développé dans ce cadre) elle a conservé intact, en le modernisant, l’appareil-politico-militaire de l’État moderne. Aujourd’hui, réaliser ces ‘promesses démocratiques non-tenues’ relève historiquement de la révolution prolétarienne. 

    Car la réalité, c’est que si l’époque des révolutions bourgeoises a donné naissance à l’idée démocratique (avec, notamment, Rousseau), elle ne l’a en pratique jamais réellement mise en œuvre, sauf dans de courtes tentatives comme la Convention (1792-94) – qui se disloqua sous la contradiction entre bourgeoisie centraliste jacobine et anti-centraliste girondine. Tout simplement parce que, appliquée en toute cohérence, elle est incompatible avec le mode de production capitaliste lui-même : la liberté essentielle à celui-ci, liberté d’entreprendre et d’exploiter la force de travail pour valoriser son capital et s’enrichir personnellement, est contradictoire avec à peu près toutes les libertés individuelles et publiques des travailleurs, des personnes qui vendent leur force de travail ; ne serait-ce que, pour commencer, la liberté d’esprit critique qui aboutirait inévitablement à le remise en cause du ‘système’. L’idée démocratique n’est pas, en fait, l’expression directe des intérêts de la bourgeoisie ; mais de sa nécessité, face aux classes réactionnaires féodales (ou face aux rivaux capitalistes de chaque État bourgeois…), de mobiliser les plus larges masses possibles du peuple. C’est la fameuse opposition entre ‘démocratie formelle’ et ‘démocratie réelle’, mise en avant par les intellectuels de gauche ‘radicaux’ et les mouvements contestataires comme les altermondialistes ou les actuels Indigné-e-s/Occupy. Sauf que, ce que ces intellectuels et ces mouvements ne comprennent pas, c’est que cette contradiction n’a pas de solution possible dans le capitalisme. La ‘démocratie formelle’ bourgeoise n’est que (dans le meilleur des cas) la forme et le paravent de la dictature de la bourgeoisie dans tous les domaines, économique, administratif, intellectuel etc. ; ‘démocratie’ inexistante dès lors que se referme la porte du ‘boulot’, de l’université ou de l'école, de votre banquier ou de votre propriétaire, dès qu’il s’agit de passer en caisse quelque Partigiani thumb[3]-copie-1part, ou même pour ce que vous allez regarder à la télé ce soir (abrutissement organisé et contrôle idéologique des esprits par la classe dominante) ; tandis que la démocratie ‘réelle’, elle, n’est que la base de (et a pour condition) une autre dictature, la dictature du prolétariat, à la tête des classes populaires, contre les classes exploiteuses et la contre-révolution nationale et internationale. La mise en œuvre réelle des belles idées démocratiques de la révolution bourgeoise est possible... mais c’est une tâche qui relève de la révolution prolétarienne. Voilà la vérité. La bourgeoisie a récupéré – en l’adaptant – l'appareil politico-militaire de la monarchie absolue, par souci d’efficacité, et parce que ses objectifs politiques (expression de ses intérêts économiques) n’étaient pas démocratiques et ne l’ont jamais été, sauf pour une poignée d’avocats, de médecins, d’intellectuels et d’artistes divers, de cadres administratifs (pas des bourgeois d'entreprise, donc), qui, appuyés sur les ouvriers et les travailleurs indépendants pauvres de Paris, contrôlèrent la République de septembre 1792 à juillet 1794 ; et qui forment aujourd’hui les chefs de file de ce que l'on appelle la gauche.

    Détruire cet appareil politico-militaire hérité de la monarchie et sa machine idéologique ; en finir avec l’exploitation du travail et toutes les oppressions ; et, entre autres, en finir avec les oppressions culturelles nationales et l’oppression économique et sociale Centre/Périphérie, ne peut être l'œuvre que des masses populaires organisées sous la direction du prolétariat. 

    La Guerre populaire jusqu'au communisme, stratégie UNIVERSELLE de négation du capitalisme (désormais monopoliste et mondialisé) par le communisme, est, comme Servir le Peuple l'explique depuis maintenant plusieurs années, une GUERRE DE CLASSE entre le prolétariat international et la bourgeoisie monopoliste, dont le champ de bataille est les masses populaires et le sens de déploiement un ENCERCLEMENT DES CENTRES (où se concentre le POUVOIR politique, économique, culturel) PAR LES PÉRIPHÉRIES (où se concentrent l'exploitation, l'oppression et l'aliénation). Dans la Chine des années 1930-40, Mao expliquait, en somme, que le prolétariat et son avant-garde révolutionnaire (le Parti) étaient les 'pilotes' du processus révolutionnaire, mais que la lutte de la paysannerie pauvre et du semi-prolétariat des campagnes en était le moteur. Ainsi, dans chaque État bourgeois compris comme état-major de classe de la bourgeoisie, les communistes révolutionnaires doivent se dresser comme état-major de classe 'intégré' du prolétariat des différentes nations, entraînant derrière lui les autres classes populaires, et doivent déterminer quelles sont les 'villes' et les 'campagnes' qui encerclent les 'villes'.  

    Dans l'État bourgeois 'France', le Parti communiste révolutionnaire est cet état-major 'intégré' qui dirige la révolution prolétarienne, la Guerre populaire dont les 'campagnes' sont les périphéries, les 'territoires de relégation' déshérités urbains ou suburbains, industriels ou ruraux ; et un 'moteur' essentiel de ce processus de négation de l'ordre capitaliste existant est la lutte populaire des nations absorbées par la construction de l'État moderne, comme nous l'avons longuement vu ici, et des colonies intérieures fruit du colonialisme d'hier et du néo-colonialisme d'aujourd'hui. Seule une compréhension juste de cela peut permettre aux prolétaires de l'État 'France', comme bataillon local du prolétariat mondial, de venir à bout de cette ennemie des peuples de tout premier plan qu'est la 'France' impérialiste !

    La lutte qui se joue ici est, ne l'oublions pas, une petite mais essentielle bataille de la Grande Révolution prolétarienne mondiale.  

    Les masses populaires de chaque nation du globe, organisées en fédération de Communes populaires, formeront alors à terme, chacunes, un simple ‘pâté de maisons’ de la grande Cité universelle communiste !

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    Suite : L'État contemporain et nos tâches >>>


    [5]   Lire : http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/quelques-verites-sur-la-revolution-bourgeoise 

    [6] Ce à quoi l’on pourrait répondre : "et qui donc en Occitanie, ou même en Bretagne, au Pays basque, en Corse voire dans les ‘DOM-TOM’, sinon une minorité, se plaint d’être français ?"… Certes, sauf que : 1/ personne ne se pose la question de savoir si l’occitan ou l’arpitan, et à plus forte raison le corse, le basque, le breton ou l’alsacien, toutes langues encore largement pratiquées, et massivement parlées avant la dernière guerre mondiale, sont des langues ou un diasystème du français ; quant à ce qui est de la culture… on peut même se demander s’il existe réellement, au niveau populaire, une culture française (si l’on laisse de côté la culture académique dont nous gratifie – presque – quotidiennement Voie Lactée, et la sous-culture de masse diffusée par la télévision), 2/ de par son unification politique récente, et son organisation politique fédérative depuis (hors IIIe Reich), la question de la contradiction centre/périphérie ne se pose pas du tout dans les mêmes termes en Allemagne, construction capitaliste très polycentrique : tout ne ‘tourne’ pas autour de Berlin comme tout ‘tourne’ autour de Paris et de la ‘dorsale’ Rhône-Seine en Hexagone, les 'centres’ économiques et culturels sont très nombreux - Hambourg, Munich, Francfort, ensemble Cologne-Ruhr etc., 3/ le recul très récent (une centaine d’année) des langues et des consciences nationales résulte en ‘France’ d’une politique d’imposition volontariste et institutionnalisée, qui n’a pas d’équivalent outre-Rhin, là encore hors IIIe Reich. D’une manière générale, pour ce qui est de ‘se sentir’, il n’y a pas de problème : les gens ‘se sentent’ occitans (en tout cas, provençaux, languedociens, marseillais, toulousains, gascons etc.), corses, bretons, alsaciens, ch’ti, basques etc. Le problème est qu’ils se sentent aussi ‘français’, dans le sens d’une adhésion idéologique au système politico-social ‘République française’, ce qui est une aliénation, imposée par la bourgeoisie à travers ses 220 ans de pouvoir. C’est cela qu’il s’agit de combattre. Le fait que beaucoup d'Irlandais se ‘sentaient’ sans problème irlandais mais AUSSI ‘britanniques’ et loyaux sujets de Sa Majesté était une réalité idéologique bien présente du temps de James Connolly, à la veille de Pâques 1916 (c’est essentiellement la grande boucherie de 1914-18, avec le sacrifice inutile de milliers d’Irlandais aux intérêts de la City, et l’effet conjugué de la Révolution russe et du ‘droit des peuples’ proclamé par le président US Wilson qui feront évoluer cela).

    [7] Une nation, c’est schématiquement : 1/ une masse des producteurs (personnes vivant exclusivement de leur force de travail) et 2/ une classe dominante qui à la fois ‘régente’ et exploite celle-ci (vivant essentiellement de la force de travail d'autrui).

    [8] Dès l’entre-deux-guerres, voire le début du 20e siècle, mais surtout dans les États bourgeois voisins : républicanisme socialiste irlandais de Connolly, mouvement républicain, socialiste et anarchiste en Catalogne et en Andalousie (très lié à la question nationale), émergence d’un gauche abertzale avec l’Action nationaliste basque (ANV, 1930), qui ‘tirera’ le conservateur et catholique PNV dans le camp de la République, sans oublier Gramsci, un des plus grands communistes de son temps, sarde de naissance et qui étudiera en profondeur la question de l’oppression du Mezzogiorno. La ‘France’ restait, elle, trop dominée par une petite paysannerie (propriétaire ou fermière) et une ‘ruralité’ de petits artisans/commerçants, encadrés idéologiquement par les propriétaires fonciers (ex-nobles) et l’Église, dans un sens conservateur (légitimisme, bonapartisme).

    [9] Là encore, jusqu’aux années 1920 (Révolution bolchévique), la résistance de ces nations colonisées était souvent passéiste : nostalgie du califat musulman ou des grands royaumes africains pré-coloniaux, des Empires inca ou aztèque, de l’organisation sociale communautaire primitive là où elle existait, etc.


    [Réflexions "précisantes" ultérieures (2019) sur ce concept d'"en finir avec la France" :

    "La France" n'est certes pas une nation au sens scientifique marxiste du terme (Lénine-Staline, Kaypakkaya etc.). Elle est un État (pseudo-"nation") qui dans ses vastes frontières en comprend (au sens scientifique) plusieurs (sans même parler de l'outre-mer) : Bretagne, Corse, Savoie, Alsace, "Grande" Occitanie avec ses "petites nations" provençale, gasconne, auvergnate etc., Pays Basque... À la rigueur peut-on parler d'une "Nation française" réelle dans un certain Bassin parisien, aux contours mal définis (faut-il y inclure les Ch'tis annexés plus tard que les Antilles ? la Lorraine de langue d'oïl, annexée 3 ans avant la Corse ? la Bourgogne, ou encore la Normandie qui ont des identités tout de même bien marquées ?).

    Ce qu'est "la France", c'est le cadre géographique d'un PROJET POLITIQUE.

    "La France" c'est, sur un territoire géographique défini, celui de l'Hexagone :

    - Un "pacte", une union de BOURGEOISIES sous la conduite (sans équivoque) de celle de Paris ; dans un projet politique capitaliste et impérialiste.

    - Un ensemble de PEUPLES dans le "même bateau" depuis des siècles ; et qui dans ce cadre étatique commun, face à un ennemi commun (pouvoir central réactionnaire et/ou envahisseur), peuvent éventuellement s'engager dans un combat émancipateur commun : 1789 (et années suivantes), 1848, 1870-71, le Front populaire et la Résistance-Libération, Mai 68 et les années suivantes, etc. ; "Ma France" de Jean Ferrat, quoi.

    La "Nation française" peut donc ici (et seulement) prendre forme dans un sens renanien, comme il peut y avoir une "Nation suisse" qui compte en réalité 4 nationalités réelles (romande arpitane, alémanique, tessinoise et rhéto-romanche) ; mais pas dans un sens scientifique marxiste et léniniste.

    Ces deux aspects ont été en contradiction apparente dès les évènements politiques des années 1790.

    Dans le second aspect, elle peut demeurer encore aujourd'hui un signifiant positif ; et amener à prendre avec recul, par exemple, les marées de drapeaux tricolores du mouvement des Gilets Jaunes (à partir de novembre 2018, encore en cours en juin 2019) ; dans le cadre duquel ceux-ci ne sont pas à voir uniquement comme une marque d'aliénation (d'"arrimage" à la bourgeoisie) mais aussi dans leur signification révolutionnaire ("refaire 1789", "couper la tête au roi Jupiter-Macron"...), sachant que (aussi) les drapeaux "régionaux" y fleurissent comme dans aucun autre mouvement social : tel est, peut-être, le "prix à payer" pour un mouvement (finalement) beaucoup moins isolé au sein de la population hexagonale que celui de Mai 68.

    En somme : avant 1789, "la France" était une pure addition de "colonies" parisiennes sous l'autorité de la Couronne ; et depuis, elle est en quelque sorte une contradiction permanente entre 1/ la continuation de cet Empire parisien sous la forme d'un État bourgeois, technocratie au service du Grand Capital, et 2/ une nation renanienne dont l'idéal-ciment... est précisément la lutte commune, "tous dans le même bateau", contre cet État bourgeois technocratique continuateur de la monarchie ; symbolique qu'il faut savoir saisir dans les drapeaux bleus-blancs-rouges "1789iens" des Gilets Jaunes.

    Le souverainisme, le vote populiste-BBR pour le Front National ou (au mieux) Mélenchon, est quelque chose qui part de ce patriotisme populaire "français" du deuxième aspect, de ses aspirations à la fois sociales et d'"économie morale" ("la gauche radicale n’arrive pas à rompre avec son matérialisme froid qui l’empêche de comprendre le besoin d’histoire, d’identité, de spiritualité et de dignité des classes populaires blanches ; une dignité qui ne soit pas seulement la dignité de consommer. Les prolos français qui ont voté pour Sarkozy ou Le Pen n’attendent pas seulement d’eux qu’ils augmentent leurs salaires : ils votent pour des « valeurs », quoi qu’on puisse penser de ces valeurs ; et à des valeurs on n’oppose pas 1500 euros mais d’autres valeurs, on oppose de la politique et de la culture. La question de la dignité est une porte d’entrée trop négligée. Cette dignité bafouée a su trouver auprès de ceux qu’on appelle les « petits blancs » en France ou encore les « white trash » aux États-Unis une voix souterraine pour s’exprimer, c’est l’identité. L'identité comme revers vicieux de la dignité blanche, et qui sous cette forme n’a trouvé comme traduction politique que le vote FN, puisque ces petits blancs sont « trop pauvres pour intéresser la droite, trop blancs pour intéresser la gauche » pour reprendre la formule d’Aymeric Patricot" (...) "Ce mépris n’est pas seulement un mythe entretenu par l’extrême-droite. Il est au cœur de la dévitalisation d'une gauche satisfaite d’elle-même qui donnant d’une main des leçons d’antiracisme moral aux petits blancs, apprenait de l’autre l’intégration républicaine aux immigrés", avec pour résultat "à ces deux extrémités, deux camps qui se regardent en chien de faïence, et une expérience commune : la négation de dignité" - H. Bouteldja) ; d'une soif (en définitive) de POUVOIR des masses ; pour tomber dans les griffes du premier aspect, ou du moins, de la fraction la plus "seule contre tous" de ce "pacte" bourgeois tricolore.

    Lire aussi : http://servirlepeuple.eklablog.com/feu-sur-les-jacobinards-ou-plutot-les-bonapartistes-de-gauche-et-autre-a156409988]

    ENFIN BREF, tout cela pour dire que, les gens semblant par nature durs de la comprenette dans les milieux gauchistes, il est aussi possible de formuler les choses en des termes simples : ce que nous voulons, en lieu et place de l’État bourgeois français tel qu'il est, c'est une Union soviétique (telle que conçue par Lénine au début des années 1920) d'Hexagone... Point.

    D'Hexagone, ou pourquoi pas d'Europe ; en tout cas, des parties de l'Europe qui seraient dans un premier temps libérées du capitalisme par la révolution ; bref – ce genre de question se posera directement en son temps dans la réalité de la lutte, nous n'en sommes pas là.

    Tout simplement parce que le renversement du capitalisme DEVRA signifier, ne PEUT PAS signifier autre chose, que soit brisée l'organisation politico-économique des territoires en Centres financiers d'accumulation capitaliste et Périphéries plus ou moins, mais toujours, reléguées et "pompées" (lire à ce sujet : reflexions-a-partir-de-samir-amin - bouamama-basques-algeriens-colonisation-int-ext) ; organisation intrinsèque à la Modernité capitaliste et qui de fait, aussi longtemps qu'existent ces "hiérarchies géographiques" entre pays, régions d'un pays, etc., "bloque" en réalité tout déploiement d'une lutte des classes "pure", possédants vs exploités.

    Par conséquent, la voie de la raison matérialiste dans la situation concrète de notre époque, c'est d'aller vers... ce qu'était l'URSS (dans sa conception initiale léniniste) : de grands "États-continents" confédérauxmulticulturelsmultilinguistiques et inclusifs (en plus, bien sûr, d'être résolument anticapitalistes).

    Car lorsque l'on critique le "tribalisme" des Catalans, Basques, Bretons, Corses ou autres, et cela peut parfois avoir sa part de vérité, l'on a tout de même tendance à oublier, en tout premier lieu, que les États européens existants ne sont ni plus ni moins que des "tribalismes qui ont réussi" : des régions qui en ont conquis d'autres, pour finir par proclamer ces ensembles de conquêtes des "États-nations", lancés à leur tour dans des affrontements "tribaux" avec les ensembles voisins ; tout cela sous un modèle centraliste uniculturelunilinguistique et exclusif.

    Quant aux grands États-continents capitalistes qui existent déjà, comme les États-Unis ou le Canada, la Russie ou l'Inde, certes ils sont officiellement fédéraux, seul moyen pour eux de s'assurer une certaine stabilité et de n'avoir pas déjà explosé ; mais ce fédéralisme n'en reste pas moins très largement factice, "cache-sexe" d'une domination féroce sur tout un ensemble de groupes humains (Noirs, Latinos et Nations indigènes en Amérique du Nord, Caucasiens, Peuples sibériens et autres non-russes en Russie, Kashmiris, Tamouls, Adivasis "tribaux" et autres non-hindoustanis, musulmans et basses castes en Inde) ; tandis que de son côté l'Union Européenne est une tentative, précisément pour faire face à ces puissances concurrentes, de bâtir un tel super-État continental bourgeois et technocratique autour et au service des "pôles" de Paris et de la vallée du Rhin (Ouest de l'Allemagne, Bénélux), dominant et écrasant le reste comme l'avait fait auparavant chaque État membre avec ses "provinces" (rendant certes cocasse lorsque les "souverainistes" desdits États se plaignent de cette domination) : il va de soi, bien entendu, que ces "modèles"-là d’États-"continents" ne sont pas les nôtres et sont au contraire résolument à combattre et détruire.

    Voilà donc : à partir de là, ce programme qui est le nôtre, vous pouvez le vomir ; mais au moins saurez-vous clairement sur quoi se déversent vos vomissures...

    "Il faut rappeler aujourd'hui que ce passage [d'une adresse de 1850 à la Ligue des Communistes, qui défendait le centralisme étatique le plus rigoureux] repose sur un malentendu.

    À ce moment-là il était admis – grâce aux faussaires libéraux et bonapartistes de l'histoire – que la machine administrative centralisée française avait été introduite par la Grande Révolution et maniée notamment par la Convention comme une arme indispensable et décisive pour vaincre la réaction royaliste et fédéraliste et l'ennemi extérieur.

    Mais c'est actuellement un fait connu que pendant toute la Révolution, jusqu'au 18 Brumaire*, l'administration totale du département, de l'arrondissement et des communes se composait d'autorités élues par les administrés eux-mêmes qui, dans le cadre des lois générales de l’État, jouissaient d'une liberté complète ; que cette administration autonome provinciale et locale, semblable à ce qui se passe en Amérique (bon là, claire idéalisation des États-Unis avec oubli de la question coloniale-raciale, mais bref), devint précisément le levier le plus puissant de la révolution ; et cela à un point tel que Napoléon immédiatement après son coup d’État du 18 Brumaire, s'empressa de la remplacer par le régime préfectoral encore en vigueur de nos jours et qui fut donc, dès le début, un instrument de réaction**".

    F. Engels dans une note sous le texte réédité, 1885

    [* En réalité Thermidor, voire sa "préparation" dès 1793 par les "représentants en mission" (dont la plupart sont restés de triste mémoire) et la loi du 14 frimaire an II à l'initiative principalement des futurs thermidoriens Billaud-Varenne et Barère, tandis que sur le plan linguistique était promulgué une semaine avant le coup d’État réactionnaire, à l'initiative nullement "de Robespierre" mais de Merlin de Douai (futur thermidorien qui mourra tranquillement en 1838 après avoir été "entre autres" Président du Directoire puis comte d'Empire...), le décret du 2 thermidor an II sur des arguments complètement hallucinants.]

    [** En réalité et pour être exact, c'est dès le Directoire que des "commissaires du gouvernement" dans chaque département préfigurent les préfets napoléoniens.]

    [Si on lit par exemple ce document : décentralisation-nord-1789-1793 ; il apparaît nettement que c'est décembre 1793 (frimaire an II) qui marque un point de rupture fondamental : l'écrasement (pas d'autre mot) de la "révolution provinciale", auquel ne manquera plus alors que celui de la révolution parisienne, consommé avec Thermidor... Les procureurs syndics départementaux, magistrats élus chargés de veiller à l'exécution des lois (sortes d'équivalents des sheriffs nord-américains), deviennent des fonctionnaires nommés ; les conseils généraux sont supprimés et les directoires (exécutifs des départements) voient leurs compétences sévèrement amputées ; etc. etc. La France républicaine abandonne alors définitivement la voie de devenir une "grande Suisse" démocratique et décentralisée, d'exercice local permanent de la souveraineté populaire...]

    Et LÉNINE dans L'État et la Révolution (1917) reprend d'ailleurs ces mêmes propos (légèrement déformés ou propos similaires tenus ailleurs) :

    Feu sur les jacobinards ou plutôt les bonapartistes "de gauche" et autres néo-thermidoriens à la Barère

    Feu sur les jacobinards ou plutôt les bonapartistes "de gauche" et autres néo-thermidoriens à la Barère


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  • [Le concept-titre de cet article est aujourd'hui, après maturation idéologique, considéré comme une erreur gauchiste de notre part à l'époque. Un rectificatif de cette conception gauchiste comme quoi "la France n'existe pas sinon comme aliénation dans la tête des gens" peut être lu par exemple ici dans la deuxième partie de l'article : 

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/les-francais-selon-nous-ne-sont-pas-les-gens-du-bassin-parisien-a146645518

    Tous les faits historiques mentionnés dans le présent article n'en sont pas moins 100% réels et nous ne renions en aucun cas notre analyse de ces faits comme construction de ce qu'on appelle aujourd'hui la France en tant qu'empire parisien. Nous considérons simplement que cette réalité, nullement remise en cause, se double néanmoins de la constitution au fil des siècles d'une communauté de destin hexagonale, ne serait-ce que... dans la LUTTE partagée contre cet état de fait, cet "impérialisme" parisien oppresseur commun.

    En conséquence, cette communauté de destin populaire ne doit pas être totalement remise en cause (prôner l'indépendance de chaque "nation réelle" citée dans cet article...) dans sa lutte contre le quartier-général bourgeois, monopoliste financier trônant à Paris, et, depuis la seconde moitié du 20e siècle, les "nouveaux niveaux" de concentration du pouvoir financier que sont l'Union européenne, les institutions comme le FMI, l'hégémonie mondiale US etc. ; MAIS, dans cette lutte, elle ne peut tirer sa FORCE que de la reconnaissance et de l'affirmation de ses "petites patries" populaires constitutives dont parlait déjà Jaurès en son temps, dans une lutte pour la conquête populaire de la souveraineté à ce niveau là aussi ("vivre, travailler et décider au pays", en somme) ; tout ceci devant déboucher sur un Hexagone république socialiste fédérative, dans une nouvelle Europe "URSS" ou en tout cas "Comecon" de telles républiques : 

    https://www.facebook.com/groups/946438885830225/]


    Les camarades maoïstes du Pérou n’ont de cesse de le répéter : pour pouvoir déclencher et mener victorieusement à son terme la Guerre populaire dans un pays donné, comme processus de négation du capitalisme par le communisme menant à la prise du pouvoir par les exploité-e-s (après quoi l’on parle de socialisme), les communistes de ce pays doivent d’abord élaborer une PENSÉE. C'est-à-dire une analyse profonde et méthodique, à la lumière de la science marxiste la plus avancée de l’époque (qui, aujourd’hui, est le maoïsme), de la réalité et de l’organisation sociale, politique, économique et idéologique/culturelle qui nous entoure, dans laquelle et souvent CONTRE laquelle nous luttons et qui, en ce qui nous concerne, porte le nom de FRANCE ou ‘République française’. Élaborer une pensée cela veut finalement dire, tout simplement, comprendre la réalité qui nous entoure pour la TRANSFORMER.

    À partir de ce mot d’ordre, différentes interprétations sont possibles... L’on peut, comme certains, étaler sur internet des cours magistraux d’histoire philosophique, littéraire et artistique en général de notre bonne vieille ‘France’ académique : finalement, rien de bien différent de nos bons vieux programmes de lycée ou de fac mais ‘avec un œil marxiste’. OU ALORS on peut se pencher, dans une démarche réellement antagonique (d’abord dans la pensée avant que celle-ci ne ‘rencontre’ les masses et ne s’organise pour agir, devenant ainsi force matérielle), sur le processus matérialiste historique, de lutte des classes, à travers lequel s’est CONSTRUITE cette réalité ‘France’ qui nous entoure. Tel va être l’objet de la longue étude qui va suivre.

    Appartenant au Peuple occitan, nous avons été amenés depuis maintenant plusieurs années à nous pencher longuement sur cette question : celle de la présence, au sein de la ‘République française’ (assimilée presque avec un trait d’égalité à une prétendue ‘Nation’), d’un certain nombre de peuples/nations (Bretons, Basques, Occitans, Corses, Alsaciens etc.) et de l’émergence, depuis les années 1960, de revendications de ces peuples présentant un contenu démocratique, progressiste voire révolutionnaire. D’autre part, ce n’est plus un secret depuis que quelques petites balances ont fait leur office, SLP est basé dans la région de Lyon : une ville qui par sa situation géographique et son rôle économique s’est souvent vue qualifier de ‘capitale de la province’, véritable petite ‘antenne-relais’ de Paris pour tout l’Est et le Sud-Est de l’Hexagone, concentrant à ce titre toutes les contradictions de la construction politique, économique et sociale ‘France’.

    Nous en sommes, au bout du compte, arrivés à la conclusion que ce que l’on appelle ‘France’ (plus ou moins totalement identifiée, depuis une centaine d’années, à ‘la République’) est en réalité et avant tout une CONSTRUCTION POLITICO-MILITAIRE au service de la classe dominante (hier une alliance entre la monarchie capétienne, une partie de l’aristocratie et du clergé et une partie de la grande bourgeoisie, aujourd’hui la grande bourgeoisie devenue depuis près de 150 ans monopoliste) ; ainsi qu’une ARMADA IDÉOLOGIQUE et culturelle en ‘appui’ à cette domination, mobilisant les masses derrière cette classe dominante et ses plans.

    Telle est la conclusion principale de notre analyse ; et non le fait d’avoir déterminé que cette construction politico-militaire/armada idéologique renferme, rien qu’en Europe (sans compter l’outre-mer), une demi-douzaine de peuples et donc de prolétariats, plus les ‘colonies intérieures’ de descendant-e-s de colonisé-e-s : les intérêts de ceux-ci sont de toute manière identiques et indissociables, et distincts et antagoniques de ceux de la bourgeoisie même la plus ‘couleur locale’ qui soit, même ‘beurgoise’ ou ‘black-bourgeoise’, etc. ["Le travailleur socialiste d'un autre pays est un révolutionnaire ami, de même que le capitaliste de mon propre pays est un ennemi naturel" disait Connolly]. Tel est le principal et telle est, selon nous, la véritable rupture et le véritable antagonisme de classe assumé avec la réalité sociale qui nous entoure et nous opprime en tant que personnes du peuple et que nous voulons abattre en tant que révolutionnaires ; réalité qui, quel que soit le sens dans lequel la retourne, converge toujours vers un seul et même mot pour en désigner la globalité : ‘France’.

    Telle est aussi la vraie rupture, la ligne de démarcation qui démasque la pensée de gauche petite-bourgeoise ‘radicale’ ; pensée qui toujours en appelle à ‘l’État’, à ‘la République’ comme entité déifiée au dessus des classes ; et finit toujours inévitablement par glisser sur ‘la Nation’, ‘la France’ et sa ‘grandeur’, ‘patrie des droits de l’homme’ et des ‘lumières’ pour l’humanité qui ne serait pas, mais alors pas du tout ce que ses dirigeants actuels en donnent à voir... Un peu comme les rois, dans l’Ancien régime, n’étaient jamais mauvais mais avaient de ‘mauvais conseillers’, la ‘République’, la ‘France’ n’a pour nos petits-bourgeois ‘radicaux’ que de ‘mauvais gouvernements’. Cette petite-bourgeoisie est souvent fonctionnaire (cadres moyens de l’administration ou des entreprises publiques, enseignants), elle vit de l’appareil politico-militaire et idéologique ‘France’ : ceci explique peut-être cela...

    Et telle est, enfin, la grande rupture et le grand dépassement vis-à-vis des limites du marxisme appliqué à la France depuis la fin du 19e siècle ; limites qui ont empêché la prise de pouvoir révolutionnaire.

    Mais précisément en raison de ce qui précède (hégémonie idéologique de la classe dominante dont la ‘France’ est l’instrument, influence de la pensée petite-bourgeoise ‘social-républicaine’ sur les masses populaires et limites de la conception du monde des marxistes au siècle dernier), cette analyse se heurte aussi à de très nombreux contradicteurs. Il est malheureux par exemple de voir des communistes, sans la moindre analyse marxiste des classes en présence et de leurs contradictions, considérer que les massacres de populations rurales dès lors que menés par la ‘République’ (notamment en Bretagne et Vendée) étaient parfaitement justifiés face à la ‘vermine contre-révolutionnaire’, alors même que celui qu’ils considèrent généralement comme le ‘premier communiste’, Gracchus Babeuf, les avait pourfendus en son temps et alors même que les méthodes utilisées, en rien différentes de celles de la ‘pacification’ de la Corse sous Louis XV ou de la ‘guerre des camisards’ sous Louis XIV (ou encore de la guerre napoléonienne en Espagne) seront les mêmes que reprendront Bugeaud et consorts lors de la conquête de l’Algérie... Les communistes italiens de l’époque de Gramsci, eux, faisaient parfaitement le parallèle entre la ‘pacification’ du Sud après l’Unité (1860-90) et les ‘prouesses’ de leurs troupes coloniales en Libye ou en Éthiopie.

    Et combien n’est-il pas lamentable de voir des ‘maoïstes’ (en principe, les marxistes les plus avancés de notre époque) nous expliquer que ‘La France est une nation, mettre en avant l’Occitanie aujourd’hui, c’est vouloir faire tourner la roue de l’histoire à l’envers’, que c’est ‘nier la lutte des classes en France en niant la France’ ; ou ce ‘marxiste-léniniste plus-ouvrier-que-moi-tu-meurs’ nous affirmer que 'les délires sur la libération de la Bretagne sont affligeants, ce sont des revendications féodalistes qui veulent faire tourner la roue de l'histoire à l'envers’, que ‘c'est nier tout le développement historique qui a conduit à la "nation" bourgeoise qui est un "progrès" historique sur les régionalismes et sur le féodalisme, voilà ce qui s'appelle vouloir faire tourner la roue de l'histoire à l'envers’, et qu’il a ‘des collègues ouvriers bretons’ que ‘sur la question (il) cite : c’est des conneries de bobos intellectuels’ ; comme si toute la mise en avant progressiste et même révolutionnaire de l’Occitanie ou de la Bretagne depuis les ‘années 68’ (1965-75) était une ‘lubie’ sortie d’on-ne-sait où, peut-être sous l’effet de substances hallucinogènes (qui sait, à l’époque…), à moins que ce ne soit le fruit d’un complot de l’impérialisme (comme les révoltes arabes ?)… Mais ce ne sont là, hélas, que des opinions très et TROP répandues.

    Très et trop répandues car justement, les communistes luttant à l’intérieur des frontières géographiques de cette ‘France’ n’ont jamais élaboré cette pensée, cette analyse profonde, méthodique et antagonique de cette réalité sociale, politique, économique et culturelle que l’on appelle ‘France’. Par exemple, les États modernes (ceux qui se sont constitués depuis la fin du Moyen-Âge), ‘France’ en tête, se sont constitués autour d’une ‘nation centrale’ et se sont, généralement, proclamés ‘États-nations’. Ce qui a amené, chez nombre de communistes, une tendance à confondre cette proclamation avec la réalité, et à confondre État et Nation alors que ces deux réalités, ni dans l’Antiquité (Grèce et Gaule divisées en ‘cités’, Empire romain supranational), ni à l’époque moderne et contemporaine, n’ont pratiquement jamais coïncidé. Tendance à confondre, par exemple, une expression culturelle de la classe dominante, celle qui ‘pilote’ la construction politico-militaire, avec une des ‘premières expressions’ d’une prétendue ‘culture nationale française’, comme le PCMLM mettant en avant son ‘Enfin Malherbe vint’ (1674) de Nicolas Boileau – fils d’un magistrat au Parlement de Paris, très-haut bourgeois plus-ou-moins anobli et représentant-type de la classe dominante de l’époque, dont le royaume de ‘France’ était l’appareil politico-militaire.

    C’est donc pourquoi, loin de vouloir s’autoproclamer jefatura de quoi que ce soit, Servir le Peuple a voulu apporter, modestement, sa petite pierre à l’élaboration de cette pensée qui a tant fait défaut au mouvement communiste hexagonal, pour ‘éclairer la route’ de la révolution prolétarienne. Nous affirmons que la ‘France’ n’est pas une nation mais au contraire le cadre, et souvent la prison d’un ensemble de nations ‘constitutives’ : quelles sont ces nations et où, quand, comment, par quel processus historique sont-elles apparues ? Nous affirmons que la ‘France’ n’est pas une nation mais un ‘État moderne’, un appareil politico-militaire et idéologique de domination d’une classe sur les masses du peuple : là encore, où, quand, comment cet État moderne s’est-il constitué ? Et comment tout cela converge-t-il vers la ‘France’ comme réalité sociale, politique et économique qui nous entoure, et que nous voulons renverser et transformer ? C’est ce que nous allons voir à présent. 

    Si l’on suit Ibrahim Kaypakkaya, selon lequel - dans sa très importante étude de la question kurde - les populations humaines, sur un territoire donné, ‘accumulent’ les caractéristiques nationales avant de ‘rencontrer’ l’aube du mode de production capitaliste qui les ‘transforme’ en nations au sens moderne et marxiste du terme* ; alors l’on peut dire que les nations actuelles d’Europe et de Méditerranée sont ‘nées en l’An Mille’, apogée (entre 800 et 1200 de notre ère) du mode de production et de la civilisation féodale, où de grands États féodaux faisaient resplendir la Renaissance médiévale, et où une économie mercantile très avancée commençait à ‘muter’ vers le capitalisme, suivant le processus décrit par Marx et Engels : on ne cherche plus à vendre une marchandise pour obtenir de l’argent et acheter une autre marchandise (M->A->M), mais on investit de l’argent pour produire (ou acquérir) une marchandise, dont la vente (ou revente) va rapporter plus d’argent (A->M->A’ supérieur à A).

    [* Traduction par nous de la citation exacte (source en anglais) : "En outre les nations n'apparaissent pas lorsque le capitalisme a atteint le stade ultime de son développement, mais à ce que l'on peut appeler l’aube du capitalisme. Lorsque le capitalisme pénètre dans un pays et y unifie les marchés dans une certaine mesure, les communautés qui possèdent les autres caractéristiques (énoncées dans "La Question Nationale" de Staline NDLR) sont alors considérées comme formant une nation. Si tel n’était pas le cas, il faudrait alors considérer que toutes les communautés stables situées dans des pays arriérés, des régions où le développement du capitalisme reste encore limité, ne sont pas des nations. Jusque dans les années 1940, il existait encore en Chine un fort morcellement féodal. Dans cette logique, il aurait alors fallu dénier l'existence de nations en Chine à cette époque. Jusqu'à la Révolution de 1917, la féodalité restait fortement implantée dans les campagnes profondes de Russie ; ce raisonnement  devrait donc conduire à rejeter l'existence de nations en Russie. En Turquie, par exemple, durant la Guerre de Libération (la guerre menée par Kemal Atatürk contre le dépeçage de la Turquie par le Traité de Sèvres en 1920 NDLR), la féodalité était beaucoup plus forte qu'aujourd'hui, il faudrait donc en conclure qu'il n'y avait pas de nations en Turquie à cette époque. En Asie, en Afrique et en Amérique latine, la féodalité existe toujours à différents degrés : il faudrait donc rejeter l'existence de nations sur ces continents."]

    Il serait absurde de vouloir (comme certains ‘identitaires’ et autres ‘néo-païens’) faire remonter les nationalités actuelles à une époque antérieure à celle-ci ; antérieure aux grands bouleversements politiques, économiques, sociaux et démographiques (‘grandes invasions’) qui ont accompagné la décadence et suivi la chute de l’Empire romain, entre globalement 250 et 800 de l’ère chrétienne.

    La 'Gaule', au demeurant (que ce soit avant ou après la conquête romaine), était à cette époque une pure expression géographique et n'avait pas plus d'unité que l'ensemble du monde celtique qui allait de l'Écosse à la Pannonie (actuelle Hongrie...) et aux Balkans en passant par la Plaine du Pô : le 'mythe gaulois' (ou gallo-romain) des 'origines de la France' s'est en réalité développé à partir du... 17e siècle (Richelieu) et surtout des décennies précédant la Révolution bourgeoise (qui verra son triomphe), à l'appui de la théorie annexionniste des 'frontières naturelles' (la notion d'Hexagone émergeant vers la même époque pour souligner la 'perfection naturelle' desdites frontières).

    Mais il est tout aussi absurde, sinon plus, de les faire naître à l’époque où Denis Papin (1647-1712), en inventant la machine à vapeur, préparait déjà la révolution industrielle...

    Concernant le fameux Empire romain en question, voici ce que Friedrich Engels nous en disait dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884) :

    "L'appartenance au monde romain, qualité de fraîche date, n'offrait point de compensation : elle n'exprimait pas une nationalité, mais seulement l'absence de nationalité. Les éléments de nations nouvelles existaient partout ; les dialectes latins des différentes provinces se différenciaient de plus en plus ; les frontières naturelles, qui avaient fait autrefois de l'Italie, de la Gaule, de l'Espagne et de l'Afrique des territoires autonomes, existaient encore et se faisaient toujours sentir. Mais nulle part n'existait la force capable de forger, avec ces éléments, de nouvelles nations. (...) L'État romain était devenu une machine gigantesque, compliquée, exclusivement destinée à pressurer les sujets. (...) Voilà où avaient abouti l'État romain et son hégémonie mondiale : celui-ci fondait son droit à l'existence sur le maintien de l'ordre à l'intérieur, et sur la protection contre les Barbares à l'extérieur. Mais son ordre était pire que le pire des désordres, et les Barbares, contre lesquels il prétendait protéger les citoyens, étaient attendus par ceux-ci comme des sauveurs".

    Comme l'explique bien ici le 'père jumeau' du socialisme scientifique marxiste, la longue 'chute de l'Empire romain' entre la fin du 3e et le 5e siècle n'a donc pas été le seul fait d'un assaut d'envahisseurs extérieurs (de fait, la plupart de ces 'envahisseurs' germaniques étaient en réalité... 'invités' par l'Empire lui-même à s'y installer, puis se révoltaient lorsqu'ils ne s'estimaient pas traités correctement), mais aussi d'une situation... révolutionnaire faite de rébellions militaires et de révoltes populaires, à caractère 'national' dans les provinces périphériques, contre l'ordre pourrissant de la 'Ville éternelle'. Il semble ainsi que ce soit à la faveur d'une révolte d'esclaves que le roi wisigoth Alaric s'empare de Rome en 410... Quelques années plus tard, ses successeurs feront de Toulouse et de l'actuelle Occitanie le centre d'un immense royaume s'étendant de la Loire à Gibraltar, siège d'une brillante (mais méconnue) civilisation dont l'héritage ne sera certes pas étranger à celle que connaîtra le Pays d'Òc un demi-millénaire plus tard.

    En Gaule, et plus globalement sur la 'façade ouest' de l'Empire - de l'Hispanie à la (Grande-) Bretagne, ces grandes révoltes d'esclaves et de paysans (aux conditions elles-mêmes proches de l'esclavage) plus ou moins combinées avec des soulèvements militaires séparatistes ('Empires gaulois' de la fin du 3e siècle, Maximus, Constantin III) seront appelées bagaudes (du celte bagad, 'troupe tumultueuse'). Ce sont tous ces évènements réunis, et non la seule 'rupture de la frontière du Rhin le 31 décembre 406' (par les Vandales, les Suèves et les Alains), qui constitueront en Europe (et en Afrique du Nord) la 'révolution' mettant fin à l'Antiquité esclavagiste romaine et jetant les bases de la société féodale.

    Certes, la tendance des villes aux 4e-5e siècles à se replier et se fortifier montre que les ‘barbares’ n’étaient pas toujours si systématiquement accueillis à bras ouverts que cela. Et c’est sans doute en réalité très rapidement, dès (en fait) la fusion de l’élément romain avec les populations conquises que la langue populaire (vulgaire) a commencé à se différencier, tandis qu’en Orient et en Afrique du Nord les cultures et les langues grecque, araméenne (toujours parlée par les chrétiens là-bas), égyptienne (copte) ou amazighe ('berbère') n’ont jamais véritablement disparu (et n'ont seulement reculé, plusieurs siècles après, que devant l’arabe). C’est ainsi que dès les tous premiers siècles de l’ère chrétienne il y a une langue, une culture, une civilisation gallo-romaine, britto-romaine (Grande-Bretagne), ibéro-romaine, italo-romaine, afro-romaine (Afrique du Nord) ou encore grecque, gréco-égyptienne et gréco-araméenne en Orient hellénistique ; de manière nettement différenciée.

    Ce qui varie, en revanche, c’est le degré de romanisation des provinces de l’Empire, qui s’étend à son apogée des confins de l’Écosse jusqu'à l’Égypte et au Sahara et du Portugal jusqu'à la Mésopotamie, fixant sa frontière avec les ‘barbares’ germaniques sur le Rhin et le Danube. En Orient, on l’a dit, les langues et les cultures pré-romaines restent intactes ; les premiers évangiles seront d’ailleurs rédigés en grec, en araméen voire en copte et non en latin ; un Empire séparatiste gréco-araméen de Palmyre verra éphémèrement le jour à la fin du 3e siècle ; et l’Empire d’Orient qui naîtra à la fin du 4e siècle sera un Empire grec. Quant aux régions ‘périphériques’ de l’Empire, près du Rhin et du Danube, en Grande-Bretagne et dans les Balkans, leur romanisation sera très superficielle et elles seront très facilement et rapidement germanisées (ou slavisées) aux 5e-6e siècles ; les quelques îlots 'résistants’ de langue et culture latine étant appelés valachies (comme la province roumaine) ou vallonies (Wallonie), de l’ancien germain wahl désignant une population non-germanisée (on le retrouve aussi pour les Celtes du Pays de Galles, Wales en anglo-saxon). La romanisation restera également assez faible en Armorique (actuelle Bretagne), ce qui permettra aux arrivants celtes grands-bretons du 5e siècle d’imposer leur langue celtique, le brezhoneg (qui reste toutefois la plus ‘latine’ des langues celtes, ainsi ‘liberté’ se dit frankiz (‘franchise’) alors qu’en gallois cela se dit rhyddid rien à voir !) ; tandis que dans l’actuel Bassin parisien elle sera ‘intermédiaire’, laissant fortement subsister les langues gauloises – formant un substrat du gallo-roman médiéval et du futur ‘français’ – ainsi qu'une grande place au superstrat des influences germaniques (franque, alémanique), d’autant plus que l’on va vers le Nord ou l’Est…En revanche, les régions fortement et anciennement romanisées (100 ans avant l’ère chrétienne) que sont le pourtour méditerranéen, la vallée du Rhône et le bassin aquitain sont le domaine de l’occitan – avec, entre les deux, les langues 'transitionnelles' que sont les dialectes arpitans, poitevin-saintongeais, bourbonnais voire berrichon. Par ailleurs, jusqu’à la veille de l’An Mille voire au-delà, existait certainement – comme en Afrique aujourd’hui – une distinction entre langues vernaculaires (au territoire réduit, parfois une vallée voire un village), pour la vie ‘de tous les jours’, et langues véhiculaires (pour la vie sociale ‘plus large’, notamment commerciale), les secondes ‘rétroagissant’ sur les premières pour les ‘standardiser’ mais laissant de profondes variations régionales que sont les dialectes d’oïl et d’oc, arpitans, ‘bas-bretons’, basques etc. d’aujourd’hui.

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    Une autre grande différenciation, comme le souligne Engels, est celle liée aux frontières naturelles (le transport étant alors essentiellement routier et fluvial pour le transport ‘lourd’), aux zones montagneuses et peu praticables en général, aux lignes de partage des eaux qui délimitent de grands bassins d’unité économique.

    La Gaule romaine, que l’on voit ci-dessus, tend ainsi à se différencier entre un ensemble Seine-Loire (le Bassin parisien), un ensemble au sud de la Loire entre Massif central et Pyrénées (bassin aquitain), la vallée du Rhône et le pourtour méditerranéen, et un ensemble Rhin-Meuse-Escaut (peu romanisé, on l’a dit, et même colonisé/re-germanisé dès la fin du 3e siècle par les Francs et les Alamans) ; ensembles qui correspondent approximativement à la Gaule lyonnaise, à la Gaule aquitaine, à la Narbonnaise et à la Gaule belgique avec les Germanies (le découpage administratif romain cherchant simplement, pour des raisons pratiques, à faire converger ces provinces vers Lyon, ‘capitale des Gaules’ : c’est ainsi que le Bassin parisien est directement rattaché à Lyon, la Narbonnaise commence à Vienne - autre grande ville romaine à 30 km au sud, l’Aquitaine commence au sud de Saint-Étienne et la ‘Belgique’ au nord de Bourg-en-Bresse, englobant l'Helvétie - actuelle... Suisse).

    Après la chute de l’Empire, on retrouvera ces grands ensembles naturels/économiques dans les grands ensembles politiques qui structureront l’époque mérovingienne jusqu’à Charlemagne : Neustrie comme ensemble Seine-Loire à l'ouest et au sud-ouest de Paris (connaissant l'importance primordiale des 'métropoles' religieuses à l'époque : 'bassin' tributaire de Tours ?) ; Austrasie au Nord-Est ('bassin' de Reims ?) jusqu'aux régions fortement germanisées de la Meuse, de la Moselle (avec Metz qui - cible d'Attila en 451 - est une cité importante à l'époque) et du Rhin, origine et encore par la suite siège principal des dynasties franques (secteur de Liège-Herstal berceau des Carolingiens, capitale de Charlemagne à Aix-la-Chapelle) ; Burgondie au Sud-Est (axe Rhône-Saône avec bien sûr Lyon et Vienne) et enfin, au Sud-Ouest, l'immense Aquitaine (Bassin aquitain et Massif central) avec Toulouse, Bordeaux, Agen, Narbonne ; le richissime pourtour méditerranéen, notamment la Provincia-Provence (Nîmes, Arles, Marseille etc.), étant disputé entre maîtres de la Burgondie (burgondes puis francs), de l’Aquitaine (wisigoths puis francs), de l’Espagne (wisigoths puis musulmans) et de l’Italie (romains puis ostrogoths, byzantins, lombards etc.) tout en conservant fermement, sous ces changements de maîtres et partages mérovingiens entre héritiers, ses institutions autonomes (patrices, consulats urbains etc.) et sa singularité.

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    Car tous ces royaumes ‘barbares’ raisonnent en fait administrativement, jusqu’à Charlemagne et même au-delà, en termes ‘romains’ ; ils ne sont d’ailleurs pas des territoires découpés arbitrairement par le sort des armes mais des provinces romaines que Rome, dans sa décadence terminale, a confiées à des chefs germaniques : les Wisigoths reçurent ainsi (en l'an 418) l'administration de l'Aquitaine, les Francs (vers la même époque) celle de la 'Belgique seconde', etc. etc. Ceci d'autant plus que ces territoires, comme on l’a dit, formaient des unités économiques bien définies.

    Jusqu'à plus de 1000 ans après sa disparition, le ‘rêve’ de refonder l'Empire romain sera d'ailleurs la grande ‘course à l'échalote’ des têtes couronnées d'Europe et les tentatives d’unification de vastes territoires seront nombreuses, de Clovis à Charlemagne (dont l’Empire allait de la Catalogne actuelle jusqu’à l’Elbe et de l’Italie centrale jusqu’à la Mer du Nord) jusqu’au Saint-Empire romain germanique (du Rhône et de la Meuse jusqu’à l’Oder et au centre de l’Italie) et à Charles le Téméraire, voire Charles Quint. Mais à chaque fois, elles éclateront et tendront à ‘revenir’ aux grandes unités économiques ci-dessus décrites. C'est que dans ces grandes unités économiques, auxquelles se ‘ramenait’ toujours en définitive la réalité politique, étaient déjà en gestation les actuelles nationalités (différenciation de la langue, de la culture, des 'us et coutumes’ populaires) qui allaient réellement voir le jour autour de l’An 1000 de notre ère, aux premières lueurs de l’aube capitaliste.

    d-cembre-2013-001-3ccf81eLa période suivante, de 814 (mort de Charlemagne) jusqu’en 950 environ, est politiquement troublée - et d’ailleurs marquée par un net recul démographique. Le ‘rêve’ de restaurer l’Empire romain d’Occident s’estompe peu à peu, sauf paradoxalement... chez les rois ottoniens de Germanie. Les titres de ‘duc’ (sorte de gouverneur militaire) et de ‘comte’ (sorte de préfet) commencent à se transmettre héréditairement et s’affranchissent de l’autorité royale ; tandis que les moeurs politiques sont expéditives : la guerre est facilement la continuation de la politique par d'autres moyens. Les grands féodaux se livrent des ‘guerres privées’ sanglantes, de même que leurs vassaux : des ‘hommes de confiance’ (miles bientôt traduit par 'chevaliers') qu’ils rémunèrent en leur confiant un territoire qu’ils administreront, et duquel ils vivront en prélevant toutes sortes d’impôts sur la population productrice. L’Europe fait face à cette même époque à ses dernières grandes invasions : les Vikings (scandinaves) attaquent les régions océaniques et même méditerranéennes ; les Hongrois ravagent la Germanie et mènent des attaques jusqu’à Lyon, la Provence ou la Lorraine tandis que le pourtour méditerranéen est soumis aux raids ‘sarrasins’ (arabo-berbères), qui remontent parfois la vallée du Rhône jusqu'en Bourgogne. Les Scandinaves seront ‘calmés’ par l’attribution de la Normandie en 911, et les Hongrois écrasés par le roi de Germanie à la bataille de Lechfeld (955) ; les raids d’Afrique du Nord, eux, s’atténueront avec les Croisades mais il y en aura encore en Provence jusqu’au 16e siècle, en Italie et en Corse jusqu’au 18e... L’Église, seule autorité 'pan-européenne’ restante, lance alors vers le milieu du 10e siècle le mouvement de la Paix de Dieu’ contre les guerres privées féodales, ouvrant une période relativement pacifiée qui verra la Renaissance médiévale proprement dite (jusque vers 1250-1300). Au sud des Pyrénées, la civilisation d’al-Andalus (califat de Cordoue) est alors à son apogée et exerce un grand rayonnement économique et culturel sur tout l’ouest de la Méditerranée et le sud de l’Europe, de même que la Sicile, arabe du milieu du 9e siècle jusqu’à la fin du 11e (puis normande, mais ces derniers conserveront ce brillant héritage pendant encore près de deux siècles)... 

    guerres feodalLa ‘France’ d’alors, comme le dira bien plus tard de l'Italie un certain Metternich, est une pure expression géographique. Ni les Carolingiens ni leurs successeurs Capétiens ne sont d’ailleurs rois de France, mais rois des Francs ('premiers' des aristocrates francs). ‘France’ (Francia) désigne alors tout simplement les territoires sous l’autorité (plus ou moins réelle ou nominale) de la monarchie franque. Au début du 9e siècle c’est l’Empire franc de Charlemagne (correspondant pratiquement à la Communauté européenne de 1957 !), divisé en 843 (partage de Verdun) entre une Francie occidentale, une Francie orientale (qui deviendra ‘Germanie’, centre du Saint-Empire) et un territoire intermédiaire de l’Italie à la Mer du Nord, une Francie médiane également appelée Lotharingie (d’où la Lorraine tire son nom), qui disparaîtra rapidement. Par la suite, le terme 'Francia’ tendra à ne désigner que la partie occidentale : une bonne partie, certes, de l’actuelle ‘France’, mais aussi des territoires qui n’en font plus partie (Catalogne, Flandre) et sans beaucoup de territoires (au Nord, à l’Est et au Sud-Est) qui ne seront conquis que bien plus tard.

    De manière plus étroite, on tend également à ne désigner ainsi que la partie nord de l’ancienne Gaule, celle où la culture politique et sociale franque (peuple germanique établi de longue date, dès la fin du 3e siècle, comme ‘fédérés’ dans l’Empire romain) a le plus influencé et fusionné avec la culture et la civilisation gallo-romaine, et dont les rois mérovingiens avaient fait le centre de leur (toute relative) autorité : globalement entre la Meuse, la Loire, la Manche, le massif ardennais et le massif armoricain (qui leur échappait sous la conduite des roitelets bretons). De fait, comme on le voit sur la carte du traité de Verdun, il y a un Royaume franc de l'Ouest (vraie signification de Francia occidentalis ou plutôt de Regnum francorum occidentalium, son véritable nom 'juridique' !) donné à Charles le Chauve mais aussi un territoire (une 'province' de l'Empire partagé) strictement appelé France et qui s'étend grosso modo entre la Seine, la Meuse et l'Escaut (plus ou moins le royaume originel de Clovis), tandis qu'une 'Neustrie' s'étend plus au sud-ouest entre Seine, Loire et Bretagne. Un peu auparavant, sous Charlemagne lui-même (carte), ce nom de 'France' recouvrait également la Lorraine et... la totalité du Bénélux actuel. Pour le reste, passé la Loire on parle généralement d’Aquitaine et passé le Morvan de Burgondie/Bourgogne (territoire beaucoup plus vaste que la région actuelle, cf. infra) ; pour la Bretagne et le Cotentin d’Armorique ou (déjà) de ‘Petite Bretagne’, pour la Provence de... Provence (du nom de la Provincia romaine) et pour l’actuel Languedoc de ‘Narbonnaise’, de ‘Gothie’ (car resté territoire wisigoth après Clovis jusqu’en 719, les Arabes l’occupant alors pendant 40 ans) ou de ‘Septimanie’.

    L’acception se réduit encore au 10e siècle, à l’approche de l’An 1000, en même temps que les territoires effectivement soumis à l’autorité politique de la couronne franque : au maximum le Bassin parisien entre l’Argonne, le bocage armoricain, la Normandie (distinction Vexin normand/Vexin français), un peu au sud de la Loire et un peu au nord de la Somme ; ou seulement l’Île-de-France au sens ‘large’, du sud de la Picardie actuelle (Senlis, Soissons, Beauvais) jusqu’à Orléans, Chartres, à la rigueur Sens ; voire uniquement ce que l'on désignera plus tard (justement) par Isle (île) de France au sens strict, ‘île’ car comprise entre la Seine, la Marne et l'Oise. Par ‘pays de France’ on peut même ne désigner que les territoires franciliens au nord-est de Paris... grosso modo l’actuelle Seine Saint-Denis !

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    Dans l’acception ‘large’ donc, lorsque le duc des Francs Hugues Capet monte sur le trône en 987 (élu par un aréopage de barons et d'ecclésiastiques du Bassin parisien), la France c’est l’espace en vert sur la carte ci-dessus, avec les ‘tâches’ bleues du domaine capétien proprement dit [voir aussi les cartes ci-dessous montrant bien la "cité-État", le contado de Paris et d'Orléans qu'était alors le domaine et la "zone d'influence" du roi].

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    Le roi des Francs occidentaux n’est même pas le seigneur féodal le plus puissant de cet espace géographique, qui est surtout dominé par les comtes de Champagne, de Blois (actuelle région Centre) et de Vermandois (actuelle Picardie). Au contraire : il a précisément été choisi (par ces derniers et les autres grands féodaux) pour être un souverain faible, purement symbolique.

    Pour le reste, contrairement à une idée fausse mais répandue, l’An Mille n’est pas une époque de morcellement féodal absolu, où les seigneurs règnent sur quelques kilomètres carrés et se font la guerre incessamment. Il y a de grandes unités politiques, subdivisées en fiefs certes, mais où la suzeraineté du grand féodal s’exerce fermement et commence à ressembler à des prérogatives étatiques modernes. Le duché d’Aquitaine, gigantesque, est l’’héritier politique’ du royaume wisigoth annexé par Clovis, à travers les multiples Aquitaines mérovingiennes et carolingiennes (c’était souvent un ‘royaume’ que les rois francs donnaient à leur fils) ; mais parfois aussi autochtone comme sous le vascon - basque - Eudes, celui qui a vraiment  'arrêté les Arabes', non pas à Poitiers en 732 mais à Toulouse en 721. Elle englobe des terres occitanes (Limousin, Auvergne, Périgord, Bordelais) et d'autres considérées aujourd’hui comme non-occitanes (Poitou, Charentes, Bourbonnais/'Allier' et sud du Berry, etc.) mais où l’influence occitane (la langue d'òc y étant en fait parlée jusque tard, avant "oïlisation"...) est importante.

    [Ici une (très importante) carte des variations des aires linguistiques au cours de l'histoire : File Linguae-in-Galloromania.svg]

    Ce sera le siège de la civilisation troubadour, troubadours dont le primus inter pares est bien souvent le duc lui-même. Au sud se trouve le duché de Gascogne, héritier des invasions vasconnes (basques) du 6e siècle, qui est la région occitane portant ce nom aujourd’hui. Il est sous l’influence politique de l’Aquitaine, et rattaché définitivement à celle-ci en 1032. Le comté de Toulouse (héréditaire depuis le milieu du 9e siècle, vassal ‘émancipé’ de l’Aquitaine) et le ‘marquisat de Gothie’ (progressivement absorbé par le précédent aux siècles suivants, ou passant sous la suzeraineté d’Aragon-Catalogne) recouvrent l’Occitanie ‘centrale’, entre Garonne, ‘Massif central’ et Rhône.

    NominoeLa Bretagne est solidement installée, depuis le 10e siècle, dans ses frontières des 5 départements actuels ; et l’on y parle le brezhoneg celtique beaucoup plus largement qu’aujourd'hui, jusqu'aux portes de Rennes et Nantes. Cette langue a été amenée, aux 5e-6e siècles, par des Celtes de Grande-Bretagne (jamais réellement romanisée) qui fuyaient en masse l’invasion germanique anglo-saxonne, beaucoup plus brutale que les invasions germaniques en Gaule romaine. Depuis cette époque, l’ancienne Armorique ne fut jamais réellement sous autorité franque, divisée en petits royaumes (semi-légendaires) qui s’unifient vers l'an 800 ; d’ailleurs, la Bretagne n’est un ‘duché’ que depuis 936 (avec Alain Barbetorte) : avant cette date, elle était un ‘duché’ pour les rois carolingiens... mais se considérait elle-même comme un royaume, avec des rois comme NominoëErispoë (851-857) et Salomon (857-874) qui lui donneront son extension historique maximale (Cotentin, Mayenne et jusqu'aux portes du Mans et d'Angers) ou encore Alain le Grand. Loin d’être une terre 'barbare’, elle s'insère à cette époque dans la grande civilisation celtique médiévale, dont l’épicentre est l’Irlande avec ses monastères.

    Au nord se tient le duché de Normandie, fief donné au chef scandinave (normand, de 'northman' : 'homme du Nord') Rollon en 911, d’où son nom. En 1066 (Guillaume le Conquérant) ses ducs deviennent rois d'Angleterre, parlant dès lors 'd'égal à égal' avec les Capétiens ; jusqu'à ce que Philippe II Auguste mette fin à ce royaume anglo-normand en annexant la Normandie au domaine royal (célèbre prise de Château-Gaillard en 1204).

    On remarque tout au sud le comté de Barcelone (Catalogne), ancienne ‘marche d’Espagne’ fondée par Charlemagne. Il a déjà cessé à cette date de prêter toute allégeance féodale aux rois des Francs occidentaux, dont il relève en théorie. Uni au royaume d’Aragon (qui en l’An Mille est encore en gestation dans les vallées pyrénéennes), il deviendra aux siècles suivant le centre d’un grand empire maritime méditerranéen, avant d’être réuni à la Castille en 1479 pour former le royaume d’Espagne.

    royaume-bourgogneLa Francia occidentalis s’arrête au Rhône, aux montagnes d’Ardèche et du Forez, puis peu ou prou sur la Saône. Au-delà commence une entité que l’on nomme royaume de Bourgogne-Provence (à ne pas confondre avec le duché de Bourgogne qui, lui, relève bien de la Francie occidentale – mais sera un important ‘poil à gratter’ pour les Capétiens aux 14e et 15e siècles), ou encore 'd'Arles'. Il englobe ni plus ni moins que la totalité de l’Arpitanie (aire des langues ‘franco-provençales’) - Lyonnais, Forez, Bresse et sud du Jura, Alpes du Nord et Romandie, additionnée de quelques terres de langue comtoise (‘comté de Bourgogne’ actuelle Franche-Comté, langue d’oïl à influences germaniques) et de quelques régions helvétiques germanophones : c’est la ‘Bourgogne proprement dite’ ; ainsi que les terres occitanes vivaro-alpines et provençales : c’est la partie dite ‘Provence’. Ce royaume est rattaché au Saint-Empire en 1032 mais, passant ainsi sous une autorité lointaine et généralement (sauf par intermittence) absente, il se délite alors rapidement pour donner naissance au comté de Provence, au comté de Bourgogne future Franche-Comté, au Dauphiné du Viennois, au comté puis duché de Savoie etc. etc. ; n'ayant de fait plus la moindre réalité politique au milieu du 13e siècle (en 1366 l'empereur germanique Charles IV cède officiellement la désormais toute virtuelle "couronne d'Arles" à Louis d'Anjou... grand-père du fameux "roi René" qui n'était ainsi pas seulement "roi sur le papier" de Naples et de Jérusalem mais - donc - également d'Arles, c'est à dire quelque part - effectivement - de Provence ; mais celle-ci sera en définitive rattachée à la couronne capétienne après sa mort en 1480).

    On notera que pendant un peu plus de 80 ans (890-973), les Arabes d'Andalus ont contrôlé le secteur des Maures et du Golfe de Saint-Tropez (Fraxinetum = la Garde-Freinet) avant que le comte Guillaume de Provence ne le reconquière (il en profite pour affirmer son autorité sur les barons et les petites 'républiques' locales). Avec l'épisode de la Septimanie (719-59), ceci illustre bien que l'Occitanie est une terre du nord de la Méditerranée bien plus que du "sud de l'Europe". Si la reprise de ce petit territoire en 973 sera présentée dans l'historiographie aristocratique provençale comme une "libération" (Guillaume le Libérateur, d'ailleurs encore régulièrement célébré par l'extrême-droite islamophobe locale), il n'est en réalité "pas du tout exclu" selon l'historien et archéologue Philippe Sénac que cette dépendance du califat de Cordoue, avec son modèle connu d'ouverture envers les religions du Livre, "ait été le théâtre d'une certaine symbiose communautaire qui tendrait à expliquer sa longévité"... (la présence de tant de "Sarrasins" dans tout l'arc alpin, jusqu'en Suisse, pourrait même bien potentiellement ne pouvoir s'expliquer... que par la réalité de guerre civile de cette "invasion", autrement dit le ralliement, dans la situation politique chaotique de l'époque, de nombre de gens d'armes locaux à l'islam du Fraxinetum, jusqu'à la victoire du camp chrétien de Guillaume sur eux – cette courte vidéo d'un historien ne formule certes pas cette hypothèse, mais ce qu'elle explique le suggère, en tout cas rend l'hypothèse plausible).

    Ces entités étatiques, relativement stables du 10e jusqu'au 13e siècle, seront le CREUSET des nationalités hexagonales modernes et de leurs 'branches' (disons-le ainsi pour éviter le terme dépréciatif de 'sous-nations') ; dont les caractéristiques nationales [qui sont une communauté humaine stable historiquement constituée, une langue (deux nations différentes pouvant toutefois avoir une même langue, comme les Anglais et les Américains), un territoire défini, une vie économique et une formation psychologique communes se traduisant dans une communauté de culture] vont 'rencontrer', dans la Renaissance médiévale des 11e-13e siècles, les premières lueurs de l'aube capitaliste pour former des NATIONS au strict sens marxiste du terme.

    OïlLa Nation française au sens strict (la "vraie France" selon les mots de Jules Michelet) s'est ainsi formée, grosso modo, sur le territoire de l'ancienne Neustrie mérovingienne. Elle se compose d'une branche francilienne qui vivrait aujourd'hui (globalement) dans l'aire métropolitaine de Paris, se prolongeant jusqu'à la vallée de la Loire entre Gien et Blois ; d'une branche angevine-tourangelle ('Pays de Loire' sans Nantes et la Vendée, plus la Touraine/'Indre-et-Loire') ; d'une branche normande ; d'une branche picarde-ch'ti (terres très tardivement soumises, au 16e voire 17e siècle) ; d'une branche berrichonne-bourbonnaise (au sud de la Loire, jusqu'à l'Auvergne occitane) ; d'une branche poitevine-saintongeaise ('Poitou-Charentes' + Vendée), aquitaine jusqu'au 13e siècle et dont le caractère 'transitionnel' avec l'Occitanie est depuis longtemps discuté par les linguistes ; d'une branche champenoise (Champagne) et d'une branche bourguignonne. C'est l'aire de ce que les linguistes appellent les langues d'oïl. C'est là, donc, que la Nation française proprement dite s'est forgée dans l'émergence du capitalisme autour de la zone d'attraction économique du Paris royal, des "autoroutes" commerciales qu'étaient alors la Marne, l'Oise et bien sûr la Seine (le "verrouillage" du fleuve par les Plantagenêt aux Andelys était donc insupportable) ou encore des fameuses foires de Champagne, contemporaines... et concurrentes de celles du Languedoc (cette concurrence aurait-elle, à tout hasard, plus motivé la Conquista que les considérations religieuses anti-"hérétiques" ? pour un marxiste la réponse est évidente...). C’est aussi à partir de la langue parlée dans ce grand Bassin parisien, entre Île-de-France et Val de Loire (Orléans, Blois, Tours…), dans sa version aristocratique reprise par la grande bourgeoisie, que s’est forgé dans une longue évolution (entre le 13e et le 18e siècle, sa version définitive) le français ‘standard’ : le français académique, langue officielle de l’État depuis 1539 (ordonnance de Villers-Cotterêts, avant c’était le latin) et langue de la culture académique des classes dominantes depuis la fin du Moyen-Âge. S’imposant aux différentes langues nationales et aux variantes dialectales d’oïl (les fameux ‘patois’, terme péjoratif) entre le 18e et le 20e siècle, sans pour autant les faire disparaître, et accueillant au 20e siècle les apports linguistiques divers de l’immigration (européenne et extra-européenne), il a muté sur les différents territoires en français populaires locaux (on parle d’’argot’ en région parisienne et parfois de manière générale, et de francitan en Occitanie), très éloignés dans leur vocabulaire et leur syntaxe du ‘bon’ français académique (que tentent vainement d’imposer les profs…). 

    Arbois01Plus à l'Est, on peut considérer qu'il y a une Nation franc-comtoise et une Nation lorraine, rattachées très tardivement à l’État français (respectivement 1678[1] et 1766), communautés politiques stables et à forte conscience commune jusque-là, parlant des langues d'oïl à forte influence germanique (lorrain et comto-jurassien, également parlé dans le Jura suisse) ; ainsi que dans le sud de la Franche-Comté l'arpitan jurassien (proche du suisse romand) et en Moselle le francique mosellan germanique (ou thiois ou platt), également parlé en Sarre et au Luxembourg. Il y a bien évidemment une Nation alsacienne constituée au Moyen-Âge autour de la ville libre de Strasbourg et de la Décapole ; à mille lieues d'imaginer alors qu'elle serait un jour 'française' (à l'issue de la Guerre de Trente Ans et des guerres de Louis XIV, qui la laisseront dévastée - lire notamment : 5-janvier-1675.pdf) ; et dont la langue est proche du suisse alémanique. Elle a de plus, avec la Moselle voisine (de dialecte germanique platt), la particularité d'avoir été Reichsland de l'Empire allemand entre 1871 et 1918 et d'avoir eu dans ce cadre sa propre constitution autonome en 1911 (et gardé jusqu'aujourd'hui tout un ensemble de particularités juridiques...) ; avant d'être réannexée au terme de la Première Guerre mondiale... non sans avoir connu des évènements révolutionnaires de grande ampleur (soviets d'ouvriers et de soldats etc. etc.) comme dans toute l'Allemagne à la même époque ; évènements auxquels l'Armée française victorieuse par forfait s'empressera de venir mettre un terme.

    ArpitLe royaume de Bourgogne-Provence a été le foyer, la 'matrice' de l'aire nationale arpitane ('Rhône-Alpes' sauf la Drôme et l'Ardèche, Romandie suisse pour l'essentiel - sauf canton du Jura, tiers sud de la Franche-Comté et Val d'Aoste en Italie) ainsi que de la branche 'orientale' (provençale et vivaro-dauphinoise) de la Nation occitane. Entre le 14e et le 16e siècle, une très grande partie de l'Arpitanie sera à nouveau unifiée sous l'autorité des comtes puis ducs de Savoie (qui ont auparavant - dès le 11e siècle - 'lutté à mort' avec les comtes d'Albon dauphins du Viennois, dont les domaines étaient étroitement imbriqués aux leurs - ruiné, le dauphin Humbert II vendra finalement ses terres au roi de France en 1349) : Savoie, actuel Ain (Bresse, Bugey, pays de Gex), Romandie (Genève, Vaud, Fribourg, Bas-Valais) et Val d'Aoste ; puis étendant peu à peu leur emprise sur le Piémont (contrôlé par une branche cadette dès le 13e siècle, totalement rattaché en 1416, c'est justement là qu'ils prennent le titre de ducs) et le comté de Nice occitan qui en 1388 se "dédie" à eux en tant que dernier "réduit" de l'opposition provençale à la prise de pouvoir de la deuxième dynastie d'Anjou (Louis Ier, cf. liens infra). L'actuel Ain n'est annexé au royaume de France qu'en 1601, la Savoie entre 1793 et 1815 et définitivement en 1860. Ce sont les territoires (dans l'entité 'France') où la conscience arpitane est aujourd'hui la plus forte - regardant souvent vers le modèle confédéral de la Suisse voisine (comme les Franc-comtois et les Alsaciens également) ou la très grande autonomie du Val d'Aoste italien. Le reste (Forez/Loire, Lyonnais/Rhône, Dauphiné/Isère) est annexé dans le courant du 14e siècle, tout comme l'Occitanie vivaro-dauphinoise (Ardèche + Drôme et Hautes-Alpes qui font partie du Dauphiné).

    3-Saint-Sernin-3Le comté de Toulouse et la 'Gothie' ('Septimanie') ont engendré la branche languedocienne de la Nation occitane. De fait, au début du 13e siècle, à la veille de la Conquista, l'ensemble Languedoc-Provence est devenu une sorte de 'confédération' de fiefs toulousains et arago-catalans ; deux branches dynastiques issues à l'origine du même comté bosonide indivis (avec la fameuse croix) de Provence, établi à la fin du 10e siècle, qu'elles finiront par se partager par traité en 1125 : au nord de la Durance (grosso modo le Vaucluse et la Drôme actuels), un marquisat de Provence aux mains des Toulousains ; au sud le comté proprement dit, uni en 1112 à la Catalogne (elle-même unie un peu plus tard à l'Aragon) par le mariage de son héritière Douce avec le comte de Barcelone Raimond Bérenger ; les terres de l'autre côté du Rhône (voir carte ci-dessous) consistant elles aussi en une mosaïque de possessions directes ou vassales de l'une ou l'autre maison (globalement, depuis la fin de leur contentieux provençal, fermement alliées). Une 'confédération' qu'Engels qualifiera de 'république aristocratique' et dans laquelle émerge notamment, autour de la commune bourgeoise de Toulouse ('libre' en 1189), une Patria tolosana, véritable république urbaine à l'italienne... et d'autres encore, similaires à plus petite échelle, autour de Montpellier, d'Aix ou encore d'Avignon (dont le Comtat sera finalement le 'cadeau' des Capétiens au Saint-Siège pour son soutien dans la Conquête). L'Aquitaine et la Gascogne (unifiées à partir de 1032) engendreront quant à elles la branche gasconne (entre Garonne et Pyrénées) et la branche nord-occitane (Auvergne, Limousin, Périgord) ainsi que, on l'a dit, l'aire poitevine-saintongeaise (branche d'oïl ou 'Arpitanie de l'Ouest' intermédiaire entre oïl et òc ?). Le capitalisme se développe très tôt (dès autour de l'An Mille) dans cette grande Occitanie, autour des deux axes essentiels que sont les vallées du Rhône et de la Garonne reliées entre elles par le "couloir languedocien" (Toulouse-Narbonne-Nîmes), où les vieilles voies romaines (Domitia et Aquitania) sont encore en assez bon état. Nous ne pourrons hélas pas nous étendre kilométriquement ici sur cette brillante civilisation d'Òc, véritable Andalus du Nord à la croisée de l'Europe et de la Méditerranée, de l'Italie et de la Péninsule ibérique voire de l'Afrique, où cohabitaient en harmonie chrétiens, juifs, musulmans et 'hérétiques' comme les cathares et où fleurissait la culture et l'humanisme, près de quatre siècles avant la Renaissance 'officielle'...

    [Sur la "genèse" de l'Occitanie comme ensemble culturel-linguistique dans ce contexte médiéval, lire : la-notion-d-ensemble-economique-tributaire-au-moyen-age-feodal-et-la-g-a161070402]

    L'on voit donc bien que l'on est loin d'un quelconque (soi-disant) "morcellement féodal total" à cette époque, sauf (bien sûr) à n'avoir rien compris au fonctionnement de l'institution "étatique" médiévale, à son tributarisme et sa subsidiarité. Peut-être est-il éventuellement possible de dire que ce trio ducs d'Aquitaine - comtes de Toulouse - rois d'Aragon et leur lutte pour l'hégémonie tout au long du 12e siècle (parfois qualifiée de "grande guerre" ou "guerre de cent ans méridionale") est ce qui a "empêché" une unification politique complète de l'aire occitane ; ou plutôt, pour être exacts, qu'elle en était le processus qui a été interrompu par l'invasion nordiste : aurait-elle duré encore un siècle, un siècle et demi de plus, que l'une de ces trois maisons aurait fini par triompher et établir à son profit un État occitan (ou "catalaragoccitan" dans le cas de l'Aragon-Catalogne) unifié et moderne ; mais... voilà.

    Tous ces territoires occitans seront unifiés – paradoxalement – par la politique d'annexion française, entre le règne de Philippe Auguste (1180-1223, premier à se faire appeler 'roi de France' et non 'des Francs', véritable père fondateur de l’État moderne français) et - définitivement - la fin de la Guerre de Cent Ans (1453), alors (donc) que l'aube du capitalisme est déjà bien affirmée en Europe ; et seront même (d'ailleurs) reconnus comme nation par la monarchie elle-même dès le début du 14e siècle - au terme de ce processus, cependant, le capitalisme occitan aura été subordonné à celui du Nord et plié à ses intérêts. Par la suite, la conscience nationale du 'Midi' (son appellation fréquente, de la Renaissance jusqu'à nos jours) s'exprimera au cours de Guerres de Religion (1562-98, 1621-29, 'dragonnades' et camisards 1680-1710) et dans de colossaux soulèvements paysans comme celui des Croquants (fin du 16e siècle puis surtout 1624-48) ou des révolutions démocratiques urbaines radicales comme l'Ormée de Bordeaux (1650-53) ; dans le soutien au 'fédéralisme' girondin sous la Convention, la résistance massive et armée au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1851 (bonapartisme et Parti de l'Ordre étant vus comme synonymes des préfets et de Paris tout-puissant, et la République démocratique et sociale, "la Bonne", comme celle de souveraineté populaire et de pouvoir des élus directs locaux, des communes etc.) ou encore la Grande Révolte languedocienne de 1907...  À ce sujet, nous ne pouvons que vous conseiller l'acquisition et la lecture du passionnant "700 ans de révoltes occitanes" de Gérard de Sède.

    En finir avec la 'France', appareil politico-militaire et idéologique de nos oppresseurs !

    La Provence passe dès 1246 à la maison capétienne d'Anjou (frère cadet de "Saint" Louis, Charles Ier d'Anjou, qui en a épousé l'héritière), première dynastie angevine qui reviendra à partir de 1266 à un rattachement de fait à... Naples (dont Charles devient alors roi), à laquelle succèdera en 1382 une seconde après l'adoption de Louis (frère de Charles V de France) par la reine Jeanne (Naples étant alors, par contre, perdue) ; mais elle restera assez indépendante jusqu'à son rattachement au domaine royal sous Louis XI (1481, après la mort du célèbre bon roi René) et encore relativement autonome jusqu'à la Révolution bourgeoise, ce qui explique sans doute un certain particularisme provençal au sein de l'Occitanie, beaucoup ayant tendance à se considérer 'provençaux' et à réserver le terme d'Occitanie à 'l'autre côté du Rhône'. De même, la Gascogne 'survit' (partiellement) plus longtemps dans les 'réduits de Guyenne' sous souveraineté anglaise jusqu'en 1453 (en particulier la 'principauté d'Aquitaine' confiée au Prince Noir héritier d'Angleterre, dans une quasi-indépendance vis-à-vis de Londres, en 1362), le Béarn souverain (sans suzerain) et autres possessions de Gaston Phébus puis, dans la descendance de ce dernier, les très indépendants domaines d'Albret-Navarre (voir aussi ici) finalement réunis à la France par leur dernier héritier Henri IV à la fin du 16e siècle : le particularisme gascon (et/ou béarnais) est également assez affirmé.

    Les régions nord-occitanes (Limousin, Auvergne, Velay-"Haute-Loire", Vivarais-"Ardèche", Dauphiné occitanophone de Drôme, Isère, Hautes-Alpes...) ont en général subi une annexion précoce dès l'époque de Philippe Auguste (début du 13e siècle), en même temps que l'essentiel du duché d'Aquitaine, ou guère plus tard (soumission complète du Vivarais et du Velay au début du 14e siècle, achat du Dauphiné en 1349) et se trouvent dès cette époque fortement dans l'orbite économique de Paris (ou de Lyon au rattachement contemporain et qui sert très vite de "petite capitale" à toutes ces nouvelles possessions). Elles pourront cependant, en tant que "fiefs mouvants" de la Couronne, garder encore une certaine autonomie comme le petit "empire" auvergnat des ducs de Bourbon au 15e siècle et jusqu'en 1531 (Auvergne, bonne partie du Limousin, Bourbonnais-"Allier" dont ils sont la dynastie historique, Forez-"Loire", Beaujolais et Dombes de langue arpitane) ; les possessions limousines d'Albret-Navarre (voir lien plus haut) ou encore la vicomté de Turenne (carte), très autonome quant à elle jusqu'en 1789 (et parmi les terres premières des Croquants) ; développant leurs consciences propres qui font la richesse de ce que l'on peut appeler l'"unidiversité" occitane.

    Enfin, tout à l'Est il y a comme on l'a dit le Pays de Nice, avec son "dégradé" de dialectes transitionnels entre provençal, alpin et ligure ; rattaché comme on l'a dit volontairement à l'ensemble Savoie-Piémont en 1388 ; et annexé une première fois tout comme ceux-ci par les armées de la Révolution bourgeoise et de Napoléon (1793-1815, résistance des Barbets) puis définitivement, comme la Savoie, par référendum honteusement truqué en 1860 (faits totalement oubliés aujourd'hui, en février 1871 et dans les mois précédents, soit à peine plus de 10 ans après cette annexion et dans un contexte d'effondrement de l’État face à la victoire prussienne et de montée des Communes, le jeune département des Alpes-Maritimes connaissait des troubles et donnait une écrasante majorité aux élections législatives à des candidats autonomistes voire carrément séparatistes ou rattachistes à l'Italie - dont ni plus ni moins que Garibaldi himself...).

    Le duché de Bretagne a évidemment été la matrice de la Nation bretonne. Aux 5e-6e siècles des Celtes de Grande-Bretagne s'y sont implantés, fuyant l'invasion germanique de l'île, et ont fusionné avec des populations gauloises armoricaines déjà très peu romanisées. Cela a donné une langue celtique, la seule d'Europe continentale, le brezhoneg. Cependant, autour et à l'est de Rennes et Nantes, les liens économiques et culturels avec la Normandie et le Val de Loire puis le règne (à partir du 12e siècle) de dynasties du Bassin parisien (Plantagenêt 1156-1221, Dreux 1221-1341 puis Blois et Montfort) favorisent cavalier-roi bretonle développement d'un oïl populaire de Bretagne, le fameux parler gallo (gallo-roman de Bretagne). Celui-ci se déplace progressivement vers l'Ouest, du 11e au 19e siècle, pour atteindre une ligne reliant peu ou prou le golfe de Saint-Brieuc à celui du Morbihan. Puis, au 20e siècle, la grande francisation forcée de la  IIIe république fait encore reculer les deux langues au profit d'un français populaire de Bretagne [comme il y a un français populaire d'Occitanie, d'Alsace, du Nord, de la région lyonnaise, du Forez (fouyâââ !) ou encore de Savoie, etc.]. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'il n'y ait pas de Nation bretonne : en Irlande la situation du gaélique est encore pire, il est confiné dans l'Ouest de l'île et n'a plus que 300.000 locuteurs (sans doute encore moins le parlant couramment) pour une population totale de 6 millions d'habitant-e-s ; la langue d'expression courante est l'anglais populaire irlandais ; et pourtant il ne viendrait à l'idée de personne (surtout pas face aux intéressé-e-s) de dire que les Irlandais sont des Anglais (il en va de même en Écosse, avec moins de 2% de gaélophones). De même, il ne faut pas être dogmatique avec "Le Marxisme et la Question nationale" de Staline, selon lequel deux nations différentes peuvent parler une même langue mais 'en aucun cas' une nation ne pourrait avoir deux langues différentes : selon nous, si la superstructure politique est stable pendant une assez longue période, peu contestée en tant que telle voire associée à un 'âge d'or' dans la conscience collective, et qu'elle n'installe pas de rapport de domination d'un groupe linguistique sur l'autre, elle peut rétroagir sur la réalité sociale et forger une conscience nationale commune même s'il y a deux langues différentes. C'est selon nous le cas en Bretagne, stable dans ses frontières ducales du 9e siècle jusqu'à l'Union de 1532 et relativement autonome ensuite jusqu'en 1789 ; ou encore dans le comté de Bourgogne devenu Franche-Comté, entité stable dans ses frontières de la fin du 9e siècle jusqu'à son annexion en 1678 et même ensuite jusqu'en 1789 ; ainsi qu'en Lorraine. Les deux langues doivent, simplement, être traitées démocratiquement sur un strict pied d'égalité, les autres aspects de la culture populaire étant globalement partagés[2].

    Enfin, l’actuelle entité ‘France’ compte trois ‘portions’ de nations, qui sont principalement établies sur le territoire d’un État voisin mais ‘débordent’ à l’intérieur de ses frontières. Ce sont :

    Maison-basque1°/ La partie nord (Iparralde) de la Nation basque, dont la matrice entre le 8e et le 12e siècle a été le royaume de Navarre (que l’on voit ici, en marron, vers l’an 1000) ; celui-ci, ‘grignoté’ peu à peu (dès le 12e siècle) par la Castille (qui deviendra ‘Espagne’) et la Gascogne (qui deviendra ‘française’), est finalement annexé par le royaume d’Espagne en 1512 (celui-ci en respectera officiellement les fueros, lois et coutumes particulières, jusqu’au 19e siècle). Une petite partie, la Basse-Navarre (partie centrale d'Iparralde), subsiste au nord des Pyrénées ; c’est de celle-ci qu’Henri IV est le roi lorsqu’il monte sur le trône de France en 1589 (et la réunit alors à cette dernière).

    drapeau cat perpi2°/ La partie nord de la Nation catalane (Roussillon, longuement disputé avant d’être définitivement rattaché en 1659), dont la matrice est le comté de Barcelone, comté carolingien s’émancipant assez rapidement de la suzeraineté franque. Celui-ci participe (1000-1300 environ) à la Reconquista et s’étend jusqu’aux îles Baléares [il y aura même (1229-1349) un éphémère 'royaume de Majorque', dont fera partie le Roussillon] et de l'Èbre jusqu'au sud d’Alicante ('royaume de Valence') ; tout en asseyant (par mariage) son influence sur la Provence (de 1112 à 1245) et le Languedoc (seigneurie de Montpellier, vicomté de Carcassone, comté de Foix...) au début du 13e siècle ; le catalan et l'occitan 'moyen' (languedocien et provençal) étant d'ailleurs considérés comme des langues 'sœurs', 'quasi-jumelles'. Il s’unit d’autre part (1137) au royaume d’Aragon et devient ainsi le centre d'un vaste empire maritime méditerranéen, avant d’être réuni (avec l’Aragon) au royaume d’Espagne en 1479. La Catalogne gardera toutefois son gouvernement particulier, la Generalitat, jusqu’en 1714 – les nouveaux rois Bourbons, appliquant le modèle centralisateur français, la suppriment alors (décrets de Nueva Planta).

    beffroi.jpg3°/ enfin, dans le département du Nord entre Lille et la mer, une mince frange de la Nation flamande. Celle-ci est née au sein du comté de Flandre, grand domaine très indépendant de la Francie occidentale qui commençait en l’An Mille un peu au nord de la Somme – mais Philippe Auguste le ‘repoussera’ sur la frontière actuelle entre Nord et Pas-de-Calais, les terres conquises devenant comté d’Artois et étant rapidement 'francisées' (c’est aujourd’hui le domaine du ch’ti). Le reste s'indépendantisera définitivement des Capétiens, notamment à la célèbre bataille des Éperons d'Or (Courtrai, 1302) où les milices bourgeoises flamandes étrillent l'ost (armée) royal de Philippe le Bel ; et n'aura dès lors plus aucun lien politique avec Paris – une frange (alors appelée 'Pays-Bas français') sera cependant reconquise par Louis XIV, elle forme de nos jours l'essentiel du département du Nord. On y parle une langue germanique extrême-occidentale proche du hollandais et c'est aujourd’hui – surtout – une nation constitutive de l’État belge [3].

    Tout ceci sans oublier (bien sûr) la Nation corse dans son île au cœur de la Méditerranée, ‘vendue’ par Gênes à Louis XV en 1768 et (alors) férocement conquise puis ‘pacifiée’ durant le demi-siècle suivant ; mais comme le proclame sa devise "toujours conquise, jamais soumise" (nous reviendrons un peu plus loin sur ce cas particulier)...

    CEPENDANT, parallèlement à ce processus qui voit l'aube du capitalisme donner naissance aux nations modernes, va s'en dérouler un autre, dans toute l'Europe, qui est la formation des grands États modernes.

    Ce processus correspond à la concentration ultime, extrême, des domaines et du pouvoir (qui va avec) féodal entre les mains de quelques grandes ‘maisons’ : c’est en réalité le stade suprême de la féodalité, équivalent pour celle-ci de l’impérialisme pour le capitalisme, et qui dans de nombreuses parties du continent va directement fournir au capitalisme naissant sa première base d'accumulation (la cité entourée de son "pays" et de ses éventuelles bourgades "clientes", comme par exemple Toulouse au début du 13e siècle, étant devenue un cadre bien trop étroit à ce stade du développement historique). Il est la traduction d’une CRISE profonde, structurelle du mode de production féodal, avec la disparition de sa base productive essentielle, le servage, et l’émergence puissante des futures classes révolutionnaires qui en seront les fossoyeuses : la bourgeoisie urbaine, organisée dans de puissantes corporations, guildes etc. et qui met en avant des revendications communales (autonomie politique des villes sous la forme de petite ‘républiques’) ; et la paysannerie aisée, libre (propriétaire) ou fermière (le fait, à l’époque, de payer un droit fixe sur sa terre est déjà un privilège considérable).

    C’est un processus marqué par les GUERRES et leur cortège de fléaux liés (famines, épidémies) : pour se donner une idée il suffit d’observer le ‘yo-yo’ de la population ‘française’ entre le début du 14e et le début du 18e siècle, après une période de croissance soutenue depuis l'époque carolingienne ! Alors que, du milieu du 10e au milieu du 12e siècle, le mouvement de la Paix de Dieu avait fait de l’An Mille (contrairement aux idées reçues) une période relativement paisible permettant la Renaissance médiévale, on voit dès la fin du 11e débuter les Croisades (de fait "soupape" à la "prolifération" - "surproduction" si l'on veut - de chevaliers et de domaines avec leurs destructrices guerres privées au cours des décennies précédentes - "surproduction absolue d'atomisation micro-tributaire", aurait pu dire Amin... - et donnant naissance pour près de deux siècles à des États chrétiens 'francs' au Proche-Orient, premières 'colonies' européennes hors d'Europe en quelque sorte... et sources pour les cités marchandes italiennes d'un enrichissement relevant déjà d'un mécanisme d'accumulation primitive), et s’accélérer la Reconquista espagnole ; puis c’est la ‘première Guerre de Cent Ans’ (1159-1259) entre Capétiens et Plantagenêt (rois d’Angleterre depuis 1154) et la ‘Croisade contre les Albigeois’ (1208-1221) ; la Guerre de Cent Ans proprement dite (1337-1453) suivie des luttes contre la Bourgogne (ex-alliée des Anglais) jusqu’en 1477 ; puis les guerres d’Italie (fin 15e-milieu 16e siècle) qui voient s’affronter le royaume de France et le jeune royaume d’Espagne, les Guerres de Religion (deuxième moitié du 16e siècle, en France, Pays-Bas, Allemagne etc.), pour finir par déboucher dans la terrible Guerre de Trente Ans (1618-48), conflit d’ampleur continentale où les terres d’Empire perdent entre 3 et 4 millions d’habitants sur 17 (certaines régions comme la Poméranie ou la Franche-Comté perdant près des deux tiers de leur population), et qui s’achève (traités de Westphalie) sur l’ère du triomphe apparent de l’absolutisme… et (en réalité) du début des révolutions bourgeoises.

    [Au sujet de cette émergence du capitalisme (et de ses États modernes !) dans la crise de la féodalité européenne médiévale, il est absolument fondamental de lire Samir Amin : un-texte-de-samir-amin-qui-rejoint-notre-vision]

    Car de cette accumulation frénétique de domaines par la maison royale, en "symbiose" avec celle-ci en quelque sorte, va également profiter au cours de ces siècles une autre classe : la bourgeoisie capitaliste et en particulier la bourgeoisie du Bassin parisien (la plus liée à la Couronne, subordonnant les autres et leur imposant petit à petit sa culture etc.) qui va trouver, pour sa part, dans ces domaines accumulés sa base première d'accumulation (forces productives + force de travail) et le grand marché unifié dont elle a besoin pour écouler sa production (et en réaliser ainsi la valeur marchande, donc la plus-value) ; profitant également de l'autorité étatique "forte" de la monarchie pour réaliser l'opération première et essentielle du Capital, celle d'arracher la masses des producteurs à tout moyen de production et de subsistance autre que sa force de travail - à "échanger" contre salaire. Une "symbiose" qui ne prendra fin que dans la seconde moitié du 18e siècle...

    [Pour citer encore une fois Kaypakkaya : "Quel est l'objectif de l'oppression nationale ? Cet objectif, de manière très générale, est de maîtriser la richesse matérielle de tous les marchés du pays sans avoir de rivaux, pour gagner de nouveaux privilèges, étendre les limites des privilèges actuels et s’en servir. Dans ce but, la bourgeoisie et les propriétaires issus de la nation dominante, afin de conserver les frontières politiques du pays font d’énormes efforts pour empêcher par tous les moyens les régions dans lesquelles vivent plusieurs nationalités de se séparer du pays. Dans les mots du camarade Staline : “Qui dominera le marché ?” [la bourgeoisie du Bassin de la Seine ou occitane, lyonnaise, de Flandre-Artois, ou encore anglo-normande ? les foires de Champagne ou du Languedoc ? etc.]. C’est l’essence de la question. (...) L’oppression des travailleurs des peuples minoritaires acquiert de cette manière une double qualité : premièrement il y a l’oppression de classe utilisée contre les travailleurs afin d’exploiter et d’éradiquer la lutte de classe ; deuxièmement, il y a l’oppression nationale mise en œuvre pour les objectifs mentionnés plus haut contre toutes les classes des nations et des nationalités minoritaires. Les communistes font la distinction entre ces deux formes d’oppression parce que, par exemple, tandis que les bourgeois kurdes et les petits propriétaires s’opposent à la seconde forme d’oppression, ils supportent la première. En ce qui nous concerne, nous sommes opposés aux deux formes d’oppression. Afin d’éradiquer l’oppression nationale, nous supportons la lutte de la bourgeoisie kurde et des petits propriétaires, mais, d’un autre côté, nous devons nous battre contre eux pour mettre un terme à l’oppression de classe."]

    TOUTE LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT 'FRANCE' (comme de tous les grands États européens actuels !) entre le 13e siècle et la fin de l'Ancien Régime (1789) résulte en dernière analyse du développement parallèle et en symbiose de ces deux logiques : concentration de la propriété féodale entre les mains de la Couronne comme 'stade suprême du féodalisme' et construction/expansion par la bourgeoisie naissante de sa base première d'accumulation (une base d'accumulation centrée sur la région parisienne et au service de la bourgeoisie de celle-ci, directement liée à la monarchie) ; l'une et l'autre convergeant pour donner naissance à des 'mythes mobilisateurs' comme l''Hexagone ce cristal parfait' (tel que le géographe grec Strabon aurait soi-disant décrit la Gaule romaine au 3e siècle... pur mythe bien sûr) ou les 'frontières naturelles' (Alpes, Pyrénées et surtout Rhin, thème qu'aurait commencé à agiter Richelieu au 17e siècle).

    Voyons quelles vont être, en ‘France’, les principales étapes de ce processus.

    Tout d’abord, au 11e et jusqu’au milieu du 12e siècle, les Capétiens vont lutter pour affermir leur autorité sur ‘leur’ moitié orientale du Bassin parisien, la ‘France de chez France’ si l'on peut s'exprimer ainsi (Île-de-France, Champagne, Brie, Beauce, sud de la Picardie, Orléanais et Blésois), où leurs vassaux (souvent - on l'a dit - plus riches donc puissants qu'eux) oscillent entre loyauté et ‘turbulence’. C’est à cette époque (Louis VI, 1108-1137) que la capitale se fixe définitivement à Paris (auparavant les Capétiens ‘allaient et venaient’ entre Paris, Orléans, Étampes etc.) et que commence à se sceller un pacte entre la monarchie et la bourgeoisie de cette ville, pacte qui se démentira peu par la suite (sauf en période de grande crise : Guerre de Cent Ans, Guerres de Religion, Fronde) jusqu’en 1789. Puis, on l’a dit, c’est la première Guerre de Cent ans contre l’Empire plantagenêt. Au 12e siècle, cette maison qui régnait originellement sur le Maine-Anjou-Touraine s’empare de la Normandie en 1144 (permettant peut-être, à ce stade, de parler de ‘nouvelle Neustrie’), de l’Aquitaine-Gascogne en 1152 par mariage avec la fameuse Aliénor, puis finalement de la Couronne d’Angleterre en 1154. Cet Empire tentait, peut-être, de renouer avec l’époque de la fin de l’Empire romain (4e-5e siècles) où de nombreux empereurs ‘gaulois’ avaient régné à la fois sur la Gaule et la Grande-Bretagne... Il faut dire que l’Angleterre, comme nation, est unifiée politiquement depuis la fin du 9e siècle (Alfred le Grand) et l’est restée jusqu’à nos jours (comme nation constitutive du Royaume-Uni), n’ayant pu dès lors chercher à s’étendre que de manière extranationale (vers l’Écosse, le Pays de Galles, l’Irlande… et le continent) ; alors que les Capétiens ne contrôlaient même pas (au 12e siècle) l’intégralité de la ‘France proprement dite’ (Bassin parisien), dont l’unification accompagnera la formation de l’État moderne parallèlement à la conquête des terres ‘non-franques’.

    Débutant sous la forme de conflits ‘frontaliers’ entre les deux domaines, cette guerre se déroule principalement sous Philippe Auguste (1180-1223), que l’on peut considérer, on l’a dit, comme le véritable père fondateur de la ‘France’ comme État moderne. Voici deux cartes comparatives de la construction politico-militaire ‘France’, entre le début et la fin de son règne :

    600px-Conquetes Philippe Auguste

    Concrètement, Philippe Auguste va d'abord (jusqu'en 1205 environ) unifier sous son autorité la 'vraie France', le Bassin parisien creuset de la Nation française proprement dite, pays des 'autoroutes' fluviales Loire et Seine-Marne-Oise que les Plantagenêt verrouillaient insupportablement au niveau des Andelys et de Tours ; en s'emparant (donc) de la Normandie et du Val de Loire (Maine-Touraine-Anjou). Puis (jusqu'aux années 1220) il va se lancer avec son fils Louis à l'assaut des terres occitano-poitevines du duché d'Aquitaine (Auvergne, Limousin, Poitou et Saintonge, Périgord et Guyenne) qu'ils soumettent jusqu'à la Garonne, réitérant en quelque sorte l'invasion de Clovis sept siècles plus tôt (ce qui pour le 'mythe franc', il faut le dire, avait 'de la gueule' !). Par la suite, au 14e siècle, le ‘réduit aquitain’ anglais se réduira encore, couvrant seulement l’actuelle Gironde, les Landes et le Labourd (Lapurdi) basque.

    C’est également sous son règne (et celui de son successeur Louis VIII) qu’a principalement lieu la Croisade des Albigeois (1208-29) qui voit la conquête de l’Occitanie centrale (‘Languedoc’), et non, contrairement à une idée reçue, sous celui de ‘Saint’ Louis IX (1226-70, par ailleurs inventeur de la rouelle pour les juifs, ancêtre de l'étoile jaune, 7 siècles avant Hitler...) qui voit 'seulement' l’écrasement sanglant des cathares (Montségur 1244 etc.) et le 'parachèvement' de la conquête jusqu'à l’union ‘officielle’ du Languedoc à la Couronne (1271), mais pas la conquête proprement dite.

    [Sur cet épisode historique fondamental, véritable acte de naissance de l’État français tel que nous le connaissons, lire : invasion-de-l-occitanie-centrale-croisade-contre-l-heresie-premiere-partie]

    Il s'agit là d'un cas assez particulier (soit dit en passant) où une nation moins avancée (la 'vraie France' du Bassin parisien) devait en soumettre une autre beaucoup plus développée, comme nous l'avons vu précédemment, sur le plan économique (rien qui puisse se comparer, comme le fait erronément Gérard de Sède dans son ouvrage, avec la conquête espagnole des civilisations aztèque ou inca, certes brillantes mais ignorant le métal et même la roue - et a fortiori l'artillerie et les armes à feu) ; fondant ainsi sa propre puissance future ; mais il faut dire que les Capétiens et les barons 'croisés' du Nord avaient un appui de taille : celui de la Papauté elle-même, ce qui était loin d'être 'rien' à l'époque (exemple simple : cela signifiait que les terres d’Église - d’évêché, d'abbaye etc. - cessaient automatiquement de fonctionner pour le compte des suzerains excommuniés - Toulouse, Trencavel etc. ; tandis que de nombreux chevaliers ou patriciens urbains se ralliaient à la croisade ou demeuraient - à tout le moins - neutres pour éviter l'excommunication et la 'damnation' dans l'au-delà, choses auxquelles les gens croyaient profondément en ce temps-là).

    Celle-ci escomptait peut-être, ainsi, maintenir le Sud de l'ancienne Gaule dans un tributarisme vis-à-vis de Rome et de l'Italie centrale dont il n'était jamais vraiment sorti au cours des siècles suivant la fin de l'Empire, mais commençait avec sa puissance économique des 12e-13e siècles à s'extraire (sans compter la "concurrence" avec la force d'attraction de la Péninsule ibérique, déjà dans les échanges commerciaux avec la civilisation d'Andalus - Sud de l'Espagne centre concurrent déjà sous les Wisigoths et encore plus sous les Arabes - et désormais avec la consolidation d'un ensemble Occitanie-Aragon-Catalogne). Mais ce faisant, elle n'aura au bout du compte servi les intérêts que de celui dont elle avait fait son "bras séculier" dans cette entreprise : le monarque de Paris.

    Au terme de cette première phase, sous les règnes de Louis IX, Philippe III le Hardi et Philippe IV le Bel, l’État monarchique se consolide dans une période de relative prospérité économique – particulièrement pour la ‘France’/Bassin parisien, conquérante victorieuse d’immenses territoires devenus ses provinces (du latin pro vincia : pays "précédemment vaincu", pays conquis !). Le règne de Philippe le Bel voit la soumission à la Couronne franque de la région lyonnaise (1312), à l'issue d'un long conflit opposant la bourgeoisie de la ville à l'archevêque ('Primat des Gaules') ; conflit au cours duquel celle-ci avait maintes fois fait appel au (désormais puissant) monarque parisien.

    Mais les fils de ce dernier meurent les uns après les autres sans héritier. Va alors commencer la deuxième phase, la Guerre de Cent Ans proprement dite (1337-1453)[4]. Celle-ci débute comme une lutte dynastique par laquelle le roi Édouard III d’Angleterre va tenter de rétablir l’Empire plantagenêt et même prétendre à la ‘France’ entière puisqu’il est, par sa mère, l’héritier direct (petit-fils) de Philippe le Bel. Mais la haute bourgeoisie ‘de Cour’ et les féodaux du Bassin parisien (ses ‘producteurs primaires’) ne veulent pas de ce monarque d'outre-mer, qui favoriserait inévitablement leurs homologues et rivaux de sa sphère d’influence littorale. Ils vont donc appuyer Philippe VI de Valois (qui n’est que le neveu de Philippe le Bel) : c’est alors qu’est mise en avant la fameuse loi salique qui veut que la Couronne ne puisse se transmettre par les femmes… Un autre grand enjeu de ce conflit est la Flandre, comté faisant originellement partie de la Francia occidentalis mais qui a toujours fièrement affirmé son indépendance (les territoires conquis sur lui par Philippe Auguste devenant l’Artois, donné au frère de Louis IX), et a développé depuis la fin du 11e siècle une puissante industrie textile indissociablement liée à l’Angleterre, grande productrice de laine (c’est ainsi que les caractéristiques nationales anglaises, ‘parfaites’ dès le 10e siècle, ont ‘rencontré’ le capitalisme naissant). Le port et la région de Calais seront ainsi l’objet de nombreuses batailles, avec le fameux épisode de ses bourgeois capitulant la corde au cou devant Édouard III. Lorsque le duché de Bourgogne héritera de la Flandre (1384), il passera alors dans l’alliance anglaise (ce que l’on peut considérer comme le début de la deuxième phase du conflit).

    Les cartes suivantes montrent le mouvement de ‘va-et-vient’, pendant cette centaine d’années, entre expansion anglaise et reconquête française :

                              423px-Guyenne 1330.svg423px-Traité de Bretigny.svg
                                      Au début du conflit (années 1330)                       Traité de Brétigny (1360)

                        481px-Reconquète Charles V.svg425px-Traité de Troyes.svg
                             Les reconquêtes de Charles V (1364-80)           Après le traité de Troyes (1420)

    En Occitanie, au cours d'un long règne de près d'un demi-siècle (1343-91), le célèbre Gaston Phébus de Foix et Béarn saura tirer profit de la situation pour assurer le plus d'indépendance possible à son petit 'Empire' pyrénéen (indépendance qui se perpétuera dans une certaine mesure jusqu'à son lointain descendant Henri IV) ; le Languedoc et l'Auvergne étant de leur côté le théâtre de la révolte des Tuchins et la Provence d'une première tentative d'invasion (avec Du Guesclin, 1368) puis d'une prise de possession définitive (1382-88) par Louis Ier d'Anjou, frère de Charles V, face à une farouche résistance des villes et de la noblesse locale qui trouvera notamment son épilogue (déjà évoqué plus haut) dans la sécession de Nice et son rattachement au Piémont-Savoie.

    Les Capétiens (devenus ‘indirects’ : Valois) s’étendent également au Sud-Est par l’acquisition du Dauphiné (donné à l’héritier du trône, d’où le terme de ‘dauphin’ entré dans le langage courant) sur le Saint-Empire, plutôt allié de Paris contre l’Angleterre. Il faut relever comment, à cette époque, le Saint-Empire (actuelles Allemagne et Autriche, Suisse, Tchéquie et Italie du Nord) qui était la grande puissance politique de l’An Mille s’est atomisé politiquement sous le poids des contradictions féodales – et de l’ingérence des États modernes en formation tout autour ; processus que la Réforme protestante viendra encore accélérer. Les Habsbourg y formeront l’État moderne qui deviendra l’Autriche-Hongrie (en plus de conserver symboliquement la couronne impériale jusqu’en 1806), mais c’est seulement la bourgeoisie, sous l’impulsion de la Révolution bourgeoise française, qui ‘refera’ l’unité politique de l’Allemagne et de l’Italie au 19e siècle.

    Au terme du conflit, en 1453, le royaume d’Angleterre ne contrôle plus sur le continent que le port de Calais (pour faire transiter sa laine vers la Flandre), finalement rendu en 1558. Le ‘Grand Ouest’, du Pas-de-Calais jusqu’aux Pyrénées, est définitivement sous contrôle ; et c'en est notamment fini, donc, de l'Aquitaine indépendante (ce vieil objectif militaire du Nord depuis Clovis !), qui d'expansions en rétrécissements aura donc vécu là ses derniers feux (la conquête, en 1450-53, de la région de Bordeaux sera d'ailleurs l'occasion de grands massacres, une chronique de l'époque relatant que "tous ceux qui étaient trouvés de la langue de Gascogne avaient la tête tranchée"...).

    Assassinat Etienne MarcelLes révoltes paysannes (jacqueries) franciliennes de 1358, reliées à l’insurrection bourgeoise parisienne du prévôt des marchands Étienne Marcel, traduisent l’aiguisement des contradictions sociales dans un système féodal en crise profonde, au cœur même (parisien) de la construction politique ‘France’. Il faut dire que si la relation entre la monarchie et la bourgeoisie parisienne/francilienne est motrice du processus de construction de l’État monarchique moderne entre le 12e et le 17e siècle, c’est une relation entre forces sociales différentes et qui, donc, ne va pas sans antagonismes et frictions régulières : si le roi appuie, dans les ‘provinces’, les revendications communales de la bourgeoisie pour affaiblir les seigneurs féodaux (fussent-ils ses propres frères ou cousins...), il n’en va pas du tout de même dans les territoires placés directement sous son autorité, où il défend brutalement ses prérogatives. La revendication de Marcel, extrêmement radicale pour l’époque (la 3e République en fera d’ailleurs un ‘héros révolutionnaire’ bourgeois de la première heure), était celle d’une monarchie ‘contrôlée’ par le déjà puissant ‘patriciat’ bourgeois de Paris et de sa région. Mais, et c’est intéressant à souligner, il ignorera une profonde réalité de son époque, ce qui le mènera à sa perte : ‘pragmatique’, il se lie avec Charles le Mauvais de Navarre, cousin pro-anglais du roi de France et prétendant à la couronne, et ouvre la ville à des milliers de mercenaires et d’archers anglais qui susciteront l’hostilité de la population ; la bourgeoisie parisienne se retourne alors contre lui en faveur du futur Charles V, l’isole politiquement et finalement l’élimine (Charles V rentre alors triomphalement dans la capitale)… Ce dénouement peut être considéré, avec l’épisode de Jeanne d’Arc quelques décennies plus tard, comme l'une des premières manifestations d’une conscience nationale française dans le Bassin parisien. 

    jeanne-d-arcDans la dernière phase du conflit donc, après Azincourt (1415) et le traité de Troyes (1420), l’épisode de Jeanne d’Arc (1429-31), née à Domrémy dans la vallée de la Meuse ('Barrois mouvant') alors sous contrôle anglo-bourguignon, révèle la réalité d’une conscience nationale populaire ‘française’ dans la moitié nord de l’Hexagone (en tout cas, à l’Est de Paris : Champagne, Aisne, Barrois 'mouvant', Nord-Ouest de l'actuelle Bourgogne, régions commerçant principalement avec la capitale via la Seine et ses affluents) ; conscience nationale dans sa dimension (également) socio-économique : l’attachement des laboureurs, paysans propriétaires libres et relativement aisés (comme la famille d’Arc), à la monarchie parisienne – attachement qui ne se démentira plus jusqu’au 18e siècle, où il s’affaiblit puis passe au bonapartisme, au républicanisme ‘juste milieu’ et patriotard de la ‘Belle époque’ et enfin au gaullisme. Pour autant, ce ‘sentiment national’ n’a encore rien de général sur le territoire du royaume : ainsi l’évêque Cauchon (qui fera brûler Jeanne d’Arc), pro-bourguignon et pro-anglais, est à l’origine un bourgeois de Reims, devenu évêque de Beauvais ; la bourgeoisie des régions côtières de l'Atlantique et de la Manche est farouchement pro-anglaise (intérêt économique évident) et le Languedoc se révolte violemment contre l’autorité de Paris en 1381-84.

    Jacques coeur galeeC’est à cette même époque que vit un autre personnage célèbre, symbole de l’importance prise par la bourgeoisie capitaliste et de son influence (dès le 13e siècle, notamment à partir de Philippe le Bel) auprès de la Couronne dans la construction de l’État moderne : le négociant berrichon Jacques Cœur, qui a accumulé une fortune colossale dans le commerce maritime avec le ‘Levant’ (Proche-Orient) ; promu en 1439 ‘grand argentier du royaume’ par Charles VII. Cependant, comme avant lui Enguerrand Le Portier de Marigny (petit baron semi-roturier normand, ‘bras droit’ de Philippe le Bel destitué et pendu à la mort de ce dernier), il sera victime en 1451 d’une réaction aristocratique, tombant en disgrâce et échappant de peu à la peine de mort ; preuve de l’acuité des contradictions de classe au sein même de cette construction politique ‘équilibriste’ que voulait être l’État monarchique.  

    L’Angleterre évincée du continent (et entrant en crise profonde, avec la guerre civile des Deux Roses jusqu’en 1485), la lutte se poursuit contre son ancien allié, le duc de Bourgogne. Celui-ci est pourtant lié par le sang aux rois de France, puisque le duché a été donné en 1363 au fils cadet de Jean II le Bon, Philippe le Hardi. Mais il est porté par une puissance financière considérable depuis qu’il a mis la main sur la Franche-Comté, unifiant ainsi l’ensemble économique de la vallée de la Saône, puis sur la riche Flandre d’industrie textile, l’Artois (actuel Pas-de-Calais) et la Picardie, le Luxembourg et finalement tous les ‘Pays-Bas’ (correspondant à l'actuel Bénélux), exerçant également une forte influence sur la Lorraine, etc. Il peut se prendre à rêver de restaurer à son profit l’ancienne Lotharingie, royaume carolingien qui allait du Golfe de Gênes et de la Plaine du Pô jusqu'à la Mer du Nord, rapidement disparu… mais dont l'ancien territoire était devenu, depuis le 11e siècle, la colonne vertébrale du capitalisme européen naissant (correspondant encore aujourd’hui à ce que l’on appelle la ‘banane bleue’).

    Bourgogne-duche-XVeCes ambitions, qui culminent avec Charles le Téméraire (1467-77), se heurtent inévitablement au roi Louis XI (1461-83), fils du vainqueur de la Guerre de Cent Ans (Charles VII), qui vise évidemment la consolidation de cette victoire. Le Téméraire prend ainsi la tête d’une ligue féodale contre la monarchie, qui met à mal Louis XI, mais l’intelligence politique de celui-ci (et la nouvelle puissance financière du royaume…) lui permet de tenir le choc : il fait, finalement, moins la guerre (coûteuse et risquée) qu’il n’achète, habilement, les territoires et les alliances. Ce n’est finalement pas lui directement, mais une ligue révoltée des Suisses, des Alsaciens et des Lorrains qui a raison de Charles le Téméraire, tué devant Nancy. Le roi de France s’empare ainsi de la Bourgogne, et récupère la Picardie et la côte entre la baie de Somme et Calais (Boulonnais). Mais, le Téméraire ayant marié sa fille à l’héritier des Habsbourg (archiducs d’Autriche et empereurs germaniques), Maximilien, ces derniers récupèrent le reste de l’’Empire bourguignon’ (Franche-Comté, Pays-Bas, Luxembourg, Artois). Maximilien de Habsbourg sera le grand-père d’un certain Charles Quint, héritier – en sus – du royaume d’Espagne, qui sera l’ennemi numéro un des rois de France au 16e siècle…

    Si l’on s’arrête un instant sur cette ‘expérience’ bourguignonne, il ressort de l’analyse que son échec est dû principalement à son caractère antihistorique (à ‘contresens’ de l’histoire) : c’était un rêve impérial ‘à la Charlemagne’, d’un Empire formé uniquement par accumulation de territoires sous une même autorité monarchique. Or, cela n’était absolument plus possible à la fin du 15e siècle, après que l’émergence du capitalisme ait donné naissance aux nations : si les États monarchiques modernes pouvaient être (et étaient généralement) plurinationaux, ils ne pouvaient exister qu’autour d’un centre national bien défini (Angleterre dans le Royaume-Uni, Castille dans l’État espagnol , nation ‘française proprement dite’ du Bassin parisien en ‘France’). L’État bourguignon n’avait pas un tel centre : ses ducs étaient des ‘Valois dissidents’ ; il n’était ni bourguignon ni comtois, ni flamand ni wallon ni luxembourgeois ; la puissance économique des acquisitions (Pays-Bas) était sans comparaison avec celle du ‘point de départ’ Bourgogne/Franche-Comté ; et il périra finalement face à une révolte… nationale des Suisses (alémaniques), des Alsaciens et des Lorrains. Dernier souverain européen à porter ce ‘rêve’, son héritier Charles Quint se heurtera au même mur : dès sa mort, son ‘Empire universel’ sera partagé entre Habsbourgs d’Espagne et d'Autriche, se heurtera au luthérianisme comme affirmation nationale allemande (ou tchèque ou hongroise), à des révoltes en Italie, à la guerre d’indépendance victorieuse des Hollandais calvinistes (1568-1648), au développement et à la consolidation de la Confédération suisse, à la résistance finalement victorieuse du Portugal (annexé par l’Espagne, avec son Empire, entre 1580 et 1640), etc. etc. Déjà au 9e siècle, la ‘Lotharingie’ (que voulait recréer le Téméraire) avait largement éclaté sous les forces centrifuges pré-nationales de son vaste territoire (populations germaniques, franco-gallo-romanes, italiennes, 'burgondes' arpitanes et provençales etc.). Lire la suite>>>


    [1] Après une première tentative d'annexion sous Louis XIII, la 'Guerre de Dix Ans' (1634-44), authentique guerre d'extermination qui verra mourir les 2/3 de la population comtoise de l'époque... La Lorraine connaîtra par ailleurs à-peu-près au même moment (Guerre de Trente Ans) des affres similaires (certains parlent même de "génocide lorrain") face aux troupes françaises et (surtout) à leurs alliés suédois, avec des pertes du même ordre ; tragédie qui s'inscrit pleinement dans la 'longue conquête' du pays par la France entre 1552 et 1766 [lors de la création des départements en 1790, comme une ultime humiliation, on fera faire à sa frontière avec la Haute-Marne (département champenois) un détour de plusieurs kilomètres afin de lui arracher les vestiges de l'ancienne citadelle de La Mothe, dangereux symbole de sa résistance passée face aux tentatives d'annexion...]. Globalement, avec également l'Alsace (ravages-guerre-30-ans-alsace - 5-janvier-1675.pdf), c'est toute la façade Nord et Est de l'actuel Hexagone ('cœur' proto-industriel de l'Europe d'alors et futur 'poumon' de l'industrie 'nationale') qui aura été annexée dans ce contexte ultra-meurtrier des guerres des 16e-17e et encore 18e siècles.

    [2] Il faut peut-être, à vrai dire, prendre la question ‘à l’envers’ : ce n’est pas la langue qui fait une nation… c’est la nation qui fait une langue, ou plutôt, les deux sont dans une interaction dialectique (la nation engendre la langue qui ensuite, renforce l’unité et la conscience nationale). Si à partir d’un ‘tronc’ commun (comme le latin ou l’ancien germain) la langue comme moyen de communication entre les personnes se différencie au-delà du dialectal (au-delà de l’’argot’, du ‘patois’ ou de la prononciation de certains phonèmes), ou encore si une langue comme le basque ou le breton 'résiste’ à tous les envahisseurs successifs, c’est bien qu’il y a à la base une vie économique commune (vie économique productive, les liens commerciaux, eux, ayant toujours existé entre nations différentes) et distincte des autres groupes humains parlant une autre langue – le critère essentiel de Staline. Cette vie économique n’est pas nécessairement capitaliste, mais l’émergence du capitalisme (ou le ‘contact’ avec celui-ci) fonde la nation au sens MODERNE. De même, il y a souvent un sentiment de communauté politique distincte, même soumis à une autre nation, la communauté politique étant alors ressentie dans l’oppression. Par la suite, à l’époque des États modernes, le critère ‘langue’ peut régresser considérablement, sans que le sentiment de communauté économique et politique ne disparaisse. Mais un sentiment de communauté productive et politique peut aussi être amené à englober deux populations parlant un idiome différent, ou à séparer (au contraire) deux populations parlant une langue quasi identique. C’est ainsi que les Irlandais restent une nation, alors même que le gaélique a pratiquement disparu et qu’ils parlent ultra-majoritairement anglais. C’est ainsi, comme l’explique Staline, que des populations séparées par des milliers de kilomètres, rendant la vie productive commune impossible, comme les Américains ou les Australiens avec l’Angleterre, les Québécois avec la France, les latino-américains avec l’Espagne ou les Brésiliens avec le Portugal ne peuvent en aucun cas former une même nation, même si la langue est pratiquement la même, ne variant qu’au niveau ‘argotique’ et de la prononciation. Et c’est ainsi, selon SLP, qu’avec une vie productive et politique commune pendant plusieurs siècles, un ensemble humain parlant deux langues différentes (comme les Bretons ou les Franc-comtois) peut constituer une nation.

    [3] Tout cela est absolument fascinant, et se constate également dans les pays voisins, par exemple en Europe germanique. Ainsi, si l’on compare cette carte du diasystème (ensemble de dialectes fortement intercompréhensibles) allemand, avec celle-ci des duchés du Saint-Empire vers l’An 1000, les correspondances sont absolument surprenantes... La Bavière, l’Ostmark et la Carinthie correspondent quasi parfaitement au groupe dialectal austro-bavarois, le duché de Souabe au groupe alémanique (Suisse, Bade-Wurtemberg, Alsace), la Haute-Lorraine et la Franconie au groupe francique rhénan/franconien (dont fait partie le mosellan), le duché de Saxe au groupe bas-saxon/westphalien/ostphalien, la Basse-Lorraine et la Frise (plus le comté de Flandre, en Francie occidentale) au groupe néerlandais (hollandais, flamand, bas-rhénan, limbourgeois) - sauf la Wallonie de langue romane, la Nordmark au groupe 'makois’, etc. etc. Autant de correspondances qui tendent encore à démontrer que 'les nations (et leurs 'branches’) sont nées en l’An Mille’.

    [4] Cette période des 14e-15e siècles marque en fait l’expression et l’EXPLOSION de toutes les contradictions de la féodalité en Europe. La Guerre de Cent Ans (voir ici la liste des belligérants) touche également la Péninsule ibérique (guerre civile de Castille dans les années 1370, alliance navarro-portugo-anglaise et arago-française), l'Ecosse (alliée de la 'France'), et se prolongera contre les ducs de Bourgogne jusqu’en 1477 (soit un total de 140 ans de conflit en ‘France’), tandis que l’Angleterre sera ravagée par la guerre civile des Deux Roses de 1455 à 1485. Elle verra l'apparition de techniques militaires nouvelles : d'abord le recours massif aux archers ; puis (à la fin du conflit) l'artillerie. Concomitamment (et même dès le 13e siècle), le Saint-Empire est déchiré par les Reichskrieg et - surtout - l’Italie par l’affrontement entre guelfes (partisans du Pape) et gibelins (partisans de l’Empereur romain germanique) et entre cités maritimes (Gênes, Pise, Venise) ; puis la chrétienté entière par le Schisme d’Occident (papauté d’Avignon, 1378-1417), qui exprime l’affrontement entre les Capétiens et le Saint-Siège. Jusqu’à cette période (jusque vers 1300 environ), on peut schématiquement parler de mode de production principalement féodal et d’époque des grands domaines féodaux (qui se concentrent par mariage et héritage, acquisition, guerre) ; ensuite (à partir de la fin du 15e siècle), on peut parler de mode de production capitalo-féodal (à l’équilibre, l’aristocratie/clergé remplissant des tâches bureaucratiques et militaires, et vivant - économiquement - de manière rentière parasitaire) et d’époque des États modernes absolutistes ; jusqu’à la fin du 17e siècle qui ouvre l’époque du triomphe du capitalisme, des révolutions bourgeoises et des États bourgeois contemporains.


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  • 1. Les récentes ‘considérations’ consacrées à la montée du fascisme, en établissant un parallèle comparatif entre la situation d’entre-deux-guerres et la situation actuelle, ont amené SLP à exposer une importante analyse de la ‘politique (bourgeoise) à la française’. Une ‘politique’ avec ses ‘traditions’, remontant pratiquement à la révolution bourgeoise de 1789 ; et, de même que celle-ci avait ‘récupéré’ l’appareil politico-militaire de l’État monarchique en le modernisant, le capitalisme devenu monopoliste (impérialiste) a récupéré ces ‘traditions’ politiques bourgeoises, en les modernisant également (ainsi, les forces hostiles à une forme républicaine de gouvernement sont aujourd’hui très minoritaires et marginales, et la question d’avoir un Bourbon, un Orléans ou un Bonaparte sur le trône ne passionne plus les dîners mondains comme cela pouvait être le cas il y a encore 150 ans…).

    Il faut bien avoir à l’esprit que la classe dominante actuelle, celle qui ‘fait la politique’ de notre État bourgeois ‘France’, la bourgeoisie monopoliste (cadres dirigeants et actionnaires ‘significatifs’ des grands groupes capitalistes, du ‘CAC 40’), ne représente qu’une part infime de la population, peut-être même moins que les ‘1%’ dénoncés par les mouvements contestataires de type Indigné-e-s ou Occupy. La ‘classe politique’, elle (les politiciens que l’on voit tous les jours à la télé), est plutôt issue (et l’expression politique) de la moyenne bourgeoisie, de la classe ‘moyenne-sup’’, subordonnée à la première ; et ses grands partis en représentent différentes fractions, sur lesquelles la bourgeoisie monopoliste va s’appuyer tour à tour en fonction de ses intérêts et de sa ‘tactique’ du moment.

    Si l’on observe brièvement de quelles fractions se compose cette moyenne bourgeoisie, il va s’en dégager globalement :

    298693 marine-le-pen-d-et-jean-francois-roubaud-g-president- la bourgeoisie des petits et moyens entrepreneurs, à laquelle on peut associer la petite bourgeoisie des ‘indépendants’ et micro-employeurs, et les ‘notables’ (propriétaires fonciers, agriculteurs aisés) ruraux. Celle-ci va constituer, dans l’immense majorité (97% pour Sarkozy au 2e tour de la présidentielle), un électorat de ‘droite dure’ : en gros, c’est soit Sarkozy ‘version’ Buisson-Guéant, l’UMP façon Droite populaire ; soit Le Pen (avec parfois, localement, d’autres ‘droites radicales’ comme De Villiers, CPNT, les organisations de l’UDN, les ‘notables’ d’extrême-droite à la Bompard ou Simonpieri, etc.). Dans les villages et les petites villes dont ils sont des ‘figures locales’, ou dans les entreprises qu’ils dirigent, ils vont entraîner une part importante de l’électorat populaire, et même ouvrier, vers cette orientation politique. C’est ainsi que des zones géographiques entières (comme la Moselle, par exemple) sont des bastions historiques d’une ‘droite ouvrière’ électorale, qui a fait la fortune de Sarkozy en 2007 et de Marine Le Pen en 2012 (et, globalement, du Front national depuis plus de 25 ans) ; et lorsque l’on parle de ces ‘35% d’ouvriers’ qui votent FN (en laissant de côté l’abstention, premier ‘parti’ ouvrier d’Hexagone) et de cette ‘nette majorité’ de salariés du privé qui votent à droite (au second tour), il faut savoir qu’il s’agit pour l’essentiel de salariés de PME (ou micro-entreprises artisanales, commerciales ou agricoles) des zones rurales ou semi-rurales.

    Seule une minorité de ces entrepreneurs, dans les secteurs de ‘nouvelle économie’ (des grandes métropoles), sera d’opinion libéral-démocrate, social-libérale voire ‘libérale-libertaire’.

    dba5ceee-f7f1-11df-a4d8-fa25b9579a36- les cadres du ‘secteur privé’ (grandes entreprises et groupes privés), auxquels on peut associer les professions libérales (médecins, avocats…) : c’est plutôt là le territoire électoral de l’orléanisme, du libéralisme politique et économique, allant du social-libéralisme à la Strauss-Kahn (voire Cohn-Bendit) au libéral-conservatisme Sarkozy-Copé, en passant par la libéral-démocratie de type Modem ou UDI. Ils aiment la ‘liberté dans l’ordre’ mais sont très majoritairement hésitants à ‘sauter le pas’ de la dictature terroriste ouverte, à laquelle ils ne se rallieront qu’à reculons et dans une situation d’extrême urgence, en l’espérant temporaire. Une minorité est d’extrême-droite, mais elle en constitue – évidemment – les cadres et les idéologues, avec son ‘capital intellectuel’ nettement supérieur à celui des patrons de PME. C’est la fraction qui a le plus de mal à influencer les couches ‘basses’ de ses subordonnés, qui, dans les grandes entreprises, tendront à suivre les syndicats réformistes et à voter pour la gauche bourgeoise. Elle peut éventuellement influencer l’encadrement intermédiaire, le salariat intellectuel ‘gravitant’ autour de la production, et diffuser une culture de ‘compétitivité’ économique qui développera chez les ouvriers et petits employés le nationalisme économique (‘produisons français’), et par répercussion le vote FN (ou les impasses social-populistes stériles comme le mélenchonisme).

    fonctionnaires-greve-fonction-publique 191-300x189- les cadres du ‘secteur public’ (fonction publique et entreprises étatiques) : c’est, de manière bien connue, un bastion de la ‘gauche’ bourgeoise ; et ils influencent largement dans ce sens leurs subordonnés. Une ‘gauche’ plutôt, majoritairement, de tendance ‘républicaine’, ‘jacobine’, faisant grand cas d’un État quasi divinisé, de la ‘citoyenneté’, des ‘valeurs’ du radical-socialisme IIIe République (très présentes dans le discours d’un Mélenchon). Un sondage de 2012 a cependant révélé qu’à la présidentielle, le salariat public aurait placé en tête François Hollande et Marine Le Pen, loin devant Sarkozy. ‘Glissement’ électoral aisément explicable par la culture petite et moyenne-bourgeoise ‘social-républicaine’ hégémonique, qui trouve de moins en moins à redire devant la ‘respectabilisation’ engagée par la fille de son père

    En somme (et en substance), si l'on voulait schématiser à l'extrême, l'on pourrait dire que "la gauche" est plutôt le parti de la "bourgeoisie d’État" (sauf les cadres de l'appareil policier/répressif et militaire, plutôt à droite pour ne pas dire plus, et nonobstant un nombre non négligeable d'"exceptions" - hauts fonctionnaires clairement à droite) tandis que "la droite" (ou alors un certain centre-centre-ceeeentre-gauche vraiment trèèèès libéral) est plutôt celui de la bourgeoisie d'entreprise, du "privé", là encore non sans un nombre notable d'exceptions ; le FN représentant finalement les plus "radicaux"/"extrémistes" (notamment les plus "incertains" dans leur position, comme les patrons de PME mais aussi les fonctionnaires qui voient l’État perdre des prérogatives "sous le diktat de Bruxelles") des uns comme des autres.

    Mais en réalité, à ces distinguos vont venir se superposer d’autres, à la manière d’un kaléidoscope. Ainsi, comme tout grand État bourgeois, la ‘France’ va présenter des contradictions au sein de sa bourgeoisie sur une base géographique. L’on va ainsi distinguer :

    - une bourgeoisie d’Île-de-France, du Bassin parisien, à laquelle on peut rattacher la bourgeoisie de grande industrie du Nord/Nord-Est. Celle-ci va tendre, de même que la bourgeoisie d’État en général (logique…), vers plus de ‘jacobinisme’ social-républicain ou de ‘gaullo-bonapartisme’, plus de centralisme étatique.

    - une bourgeoisie de ‘province’ qui va historiquement tendre à ‘râler’ contre la première, fraction historiquement dirigeante de la révolution bourgeoise de 1789 (et de ses ‘séquelles’ du 19e siècle), et parfois (en tant que bourgeoisie entrepreneuriale) être économiquement plus tournée vers les États bourgeois voisins que vers le centre parisien. Elle va être plutôt ‘décentraliste’ et européiste, ‘girondine’ (comme l’incarne, par exemple, le très important réseau d’élus locaux PS ‘2e gauche’), ‘orléaniste’ ou d’extrême-droite mettant en avant les ‘petites patries’ locales et/ou ‘l’Europe-civilisation’, peu encline aux tentations de ‘cavalier seul’ de certaines tendances du grand capitalisme BBR. Lyon, consacrée ‘capitale de la province’ (‘antenne-relais’ n°1 de Paris), est particulièrement un foyer de cette ‘droite radicale’ maurrasso-pétainiste, national-catholique, identitaire etc. tout en étant, au niveau de la démocratie bourgeoise, un bastion du centrisme et du social-libéralisme. C'est que de fait, on y trouve historiquement deux grands clans bourgeois : celui autour de la franc-maçonnerie longtemps incarné par le Parti radical (avec Édouard Herriot, maire de 1905 à sa mort en 1957), un radicalisme provincial typique que l'on retrouve aujourd'hui encore dans le radicalisme de droite (valoisien, le parti de Borloo qui reste puissant dans la ville) comme de gauche (dont on retrouve l'esprit autour du maire Gérard Collomb) ; et un ‘parti catholique’ qui s'est différencié avec le temps, allant aujourd'hui de la démocratie-chrétienne (Modem, bien implanté également) au conservatisme ‘dur’ (millonisme) et au national-catholicisme d'extrême-droite (Bruno Gollnisch, Œuvre française dont c'est le bastion etc.) - il n'y a donc pas ‘le’ centrisme lyonnais mais bien deux centrismes, celui de tradition radicale et celui de tradition démocrate-chrétienne.

    - la bourgeoisie des grands ports (comme Marseille, Nantes/Saint-Nazaire, Bordeaux ou Le Havre) était, historiquement, tournée vers l’Empire et donc un fervent soutien des politiques colonialistes et impérialistes, quelle que soit ‘l’étiquette’ politique qui les porte. En 1940-44, elle s’est logiquement très bien reconnue dans la fraction gaulliste réfugiée à Londres, fraction solidement appuyée sur l’Empire et ancrée ‘à l’Ouest’ (dans l’alliance anglo-saxonne), tout en étant jalouse des intérêts tricolores… Elle a pu conserver par la suite cette fidélité au gaullisme ; la bourgeoisie portuaire marseillaise pouvant toutefois, peut-être, regretter la ‘perte’ (toute relative) de l’Algérie en 1962 (antigaullisme également alimenté par la bourgeoisie coloniale rapatriée – massivement – dans cette ville). Aujourd’hui, avec la ‘perte de vitesse’ de l’impérialiste BBR, des fractions (notamment liées à la ‘Françafrique’) peuvent être farouchement ‘souverainistes’, d’autres, en fonctions de leurs intérêts commerciaux, plutôt ‘atlantistes’ ou ‘eurasistes’. À Bordeaux, par exemple, il y a une puissante tradition gaullo-radicale incarnée par Jacques Chaban-Delmas (maire de 1947 à 1995) puis Alain Juppé, car c’est un important terminal pétrolier (Ambès) tourné vers l’’Empire énergétique’ BBR, avec la ‘culture Elf Aquitaine’ etc. ; mais il y a aussi une tradition catholique conservatrice voire ultra-réactionnaire national-catholique fascisante (mise à jour par le reportage sur le groupe ‘Dies Irae’), car c’était surtout un grand port colonial d’Ancien Régime (traite négrière), pas tellement de l'époque impérialiste, et situé au cœur d’une région viticole de luxe, dont il assure l’exportation.

    Ce n’est pas là une liste exhaustive : pour ainsi dire, c’est pratiquement dans chaque département que la moyenne-bourgeoisie, en fonction d’une foule de facteurs, génère une ‘identité politique’ souvent très forte et solidement ancrée. 

    Enfin, il y a le clivage des ‘sensibilités’, de ‘gauche’ (plus libérale dans la dictature bourgeoise vis-à-vis des masses populaires, social-redistributive vis-à-vis des classes laborieuses), du ‘centre’ ou de ‘droite’ (plus ou moins ‘radicale’, répressive vis-à-vis des masses populaires et ‘dure’ dans la défense du Capital, même avec des accents ‘sociaux’ de type corporatistes). Cela, c’est tout simplement le fruit des mille parcours individuels de chacun de ces moyens-bourgeois, de leur appartenance mais aussi de leur origine de classe (qui peut ne pas être la même), de la ‘tradition politique’ familiale et du milieu social d’origine, qu’ils peuvent perpétuer ou au contraire rejeter, de l’appartenance à une minorité ‘ethnique’ ou de genre (homosexuel-le-s), et de mille et un évènements personnellement vécus (bien que toujours analysés à travers des ‘yeux de classe’) ; ceci amenant une conception du monde qui va ensuite se reconnaître, peu ou prou, dans l’une ou l’autre des ‘cases’ de ‘l’échiquier’ politique bourgeois. C’est cela qui fera qu’un moyen-bourgeois sera social-libéral ‘girondin’, libéral-démocrate à la Bayrou, libéral-conservateur à la Copé ou ultra-réactionnaire quelque part (idéologiquement) entre De Villiers, Bompard et le MNR, ou social-républicain ‘jacobin’, ‘gaulliste social’ à la Fillon, gaulliste réactionnaire à la Pasqua ou Droite populaire ou Front national. 

    manifeste-pour-une-droite-decomplexee-2875762-250-400La fascisation ou ‘montée du fascisme’ désigne le processus par lequel la bourgeoisie monopoliste, confrontée à la crise générale du capitalisme et à l’agitation subséquente des masses populaires (dirigée par un Parti révolutionnaire ou spontanée), va pousser en avant le ‘durcissement’ réactionnaire de la dictature bourgeoise et faire converger toutes ces tendances de la moyenne bourgeoisie vers la mise en place, ou au moins la neutralité/acceptation, d’une dictature réactionnaire terroriste ouverte du Capital, le FASCISME.

    Nous avons vu, dans l’étude comparative de la situation actuelle avec les années 1930, que parler de fascisme en France ne peut avoir de sens qu’entendu comme FORME DE GOUVERNEMENT (dictature réactionnaire terroriste ouverte, mobilisant une partie des masses populaires contre les ‘mauvais citoyens’ et un ou plusieurs 'ennemi(s) intérieur(s)'). Il est absurde et illusoire de vouloir le définir à travers une idéologie précise et cohérente, sinon à travers des caractéristiques très basiques (il est contre-révolutionnaire, et va donc rarement mettre en avant une conception progressiste du monde ; il défend les intérêts des monopoles BBR, et/ou du bloc impérialiste euro-continental, et va donc tenir un discours chauvin, dans lequel les classes et leur lutte n’ont pas voix au chapitre ; il vise la mobilisation de masse derrière les monopoles, et va donc tenir un discours ‘populaire’ mais là encore, en niant totalement les classes sociales et leurs contradictions) ; et a fortiori, de le rechercher à travers le ‘prisme’ du fascisme italien ou du nazisme allemand du siècle dernier, ‘modèles’ qui ne peuvent concerner en ‘France’ que des Q5groupes marginaux, ‘supplétifs’ et qui ne prendront jamais le pouvoir. Le fascisme ‘à la française’ consiste, face à une situation politique d’une gravité sans précédent (comme la défaite de 1940, aujourd’hui ce pourrait être un chaos économique et social comme en Grèce, peut-être ‘agrémenté’ d'une vague d’attentats ‘terroristes’ meurtriers, etc.), amène les ‘droites radicales’ à ‘converger’ vers la solution réactionnaire terroriste ouverte, appuyée sur les groupes ultras (‘fascistes proprement dits’ : groupes néonazis locaux – comme Lyon Dissident, ‘solidaristes’ d’Ayoub ou Parti solidaire français de Werlet, Jeunesses nationalistes de Gabriac ou Jeunesses identitaires de Vardon, national-catholiques paramilitaires type Renouveau français ou Dies Irae, etc.), et avec la lâche neutralité complice des libéraux, démocrates voire réformistes bourgeois (il suffit, pour comprendre cela, de jeter un regard sur la liste des parlementaires ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940).

                 3356-9croix de feu 
    Les 'Jeunesses patriotes' de Pierre Taittinger assuraient, entre 1925 et 1935, le service d'ordre paramilitaire de la Fédération républicaine, la 'droite décomplexée' de l'époque. L'autre grande formation de masse à la 'droite de la droite', apparaissant à la même époque, était les Croix-de-Feu, dont le côté 'césariste' rappelle l'actuel FN. Maniant un discours antisémite au sens anti-libéral et anti-progressiste, les Croix-de-Feu n'étaient pas spécialement hostiles aux Juifs conservateurs, 'patriotes' et anciens combattants ; tout comme aujourd'hui de nombreuses personnes juives, musulmanes ou noires - ou métisses - militent au Front national ou dans son orbite.


    poitiers 20121021 7322. Tout dernièrement, a fait grand bruit l’opération ‘coup de poing’ du Bloc identitaire à la mosquée (en construction) de Poitiers, quelques jours avant ‘l’anniversaire’ supposé de la bataille (25 octobre 732) livrée près de cette ville par le prince franc Charles Martel contre les troupes de l’émir de Cordoue Abd al-Rahmân – Poitiers, d’autre part, est depuis 1977 un fief municipal du PS, pour lequel sont réputés voter "90% des musulmans de France". Une action ‘symbolique’, donc, et, le ‘symbole’ répondant au ‘symbole’, la majorité PS au pouvoir s’est empressée de riposter ‘vigoureusement’ : quatre gardés à vue, finalement mis en examen (sous contrôle judiciaire), condamnations médiatiques vigoureuses, appels à la dissolution du Bloc etc. Cette réponse ‘vigoureuse’ s’inscrit dans la politique PS de ‘lutte sur tous les fronts’ : contre le ‘terrorisme islamiste’, contre le ‘banditisme’ à Marseille et maintenant en Corse (où la propagande le relie, sur la base de quelques connexions bien réelles, à la revendication démocratique nationale) et désormais contre la ‘droite radicale’ identitaire, activiste ultra-réactionnaire sur une ligne ‘euro-nationalo-régionaliste’, véritables ‘Camelots du Roi’ de notre époque. Une lutte typiquement ‘gauche bourgeoise’ en défense des ‘valeurs de la république’ parlementaire bourgeoise et de la ‘cohésion nationale’, contre la montée de la lutte des classes et les camps qui, logiquement, se forment et se consolident sur cette base.

    Mais cette action est aussi l’occasion de rebondir sur un article (en réaction à celle-ci) du site ‘Voie lactée’ du ‘p’’c’’mlm’ ; mouvance dont SLP avait souligné la prise de conscience tardive de l’importance du courant ‘identitaire’ au sein du ‘fascisme-mouvement’ (ils préféraient, alors, se concentrer sur les courants donnant la priorité à un discours ‘social’ et anti-américain/antisioniste, voire ‘tiers-mondiste’), et dont il est intéressant à présent de voir l’analyse du phénomène. Or celle-ci, en plus de leur donner l’occasion de nouvelles attaques hors-de-propos contre les antifascistes ‘non-affiliés’ à leur secte fantomatique (c'est-à-dire à peu près tous, à présent), en l’occurrence les libertaires de Poitiers, et contre les Indigènes de la République, systématiquement mis sur le même plan que les Identitaires (comme si l’on pouvait tirer un trait d’égalité entre une réaction d’opprimé-e-s, peut-être petite-bourgeoise et erronée, et l’une des expressions les plus virulentes du système d’oppression), présente une affirmation intéressante quant à leur conception du monde. Il y est affirmé non seulement qu’existe une ‘nation française’ sur (en tout cas) l’ensemble du territoire ‘métropolitain’ (peut-être hors Corse, qui sait…), mais en outre, que celle-ci se serait formée ‘800 ans voire 1000 ans’ après la bataille de Poitiers mise en avant par les Identitaires, soit entre le 16e et le 18e siècle.

    Nos lecteurs savent bien que telle n’est pas (du tout) l’analyse que fait SLP de la constitution des nations modernes (actuelles) en Europe et Méditerranée ; mais il ne s’agit pas seulement de SLP : une telle analyse est en effet contraire à celle des ‘piliers’ du marxisme-léninisme-maoïsme comme troisième, supérieur et à ce jour plus abouti développement du socialisme scientifique marxiste.

    Il faut, en effet, lire Ibrahim Kaypakkaya sur la question kurde en Turquie (ici en anglais, ici en français, ici traduit par nous) : les nations ne se forment pas à l’apogée du capitalisme (apogée ‘progressiste’ – mais non sans une kyrielle d’atrocités – qui se situerait, en Europe occidentale, entre le règne de Louis XIV et la crise générale capitaliste de 1873) mais à l’AUBE (at the dawn) de celui-ci ; SLP dirait même aux premières lueurs de l’aube, lorsque l’émergence de ce mode de production ‘rencontre’ les autres caractéristiques (langue, culture commune, stabilité sur un territoire etc.) d'une formation nationale. En Europe et en Méditerranée, cela signifie carte-france-capetiens-1030l’époque comprise entre Charlemagne (renaissance carolingienne) et la Renaissance médiévale incluse, jusqu’à la fin du 13e siècle (800-1300), époque des foires (de Champagne, du Languedoc) et des premières universités, où les marchands et les étudiants étaient classés (en fonction de leur langue d’expression) par ‘nations’, donnant naissance au terme ; et l’époque contemporaine des califats de Cordoue et de Bagdad dans l’espace musulman : autrement dit, l’apogée de la féodalité (comme mode de production supérieur à l’esclavagisme antique), au sein de laquelle poignaient les premières lueurs de l’aube capitaliste. Par la suite, à partir du 13e siècle, le mode de production féodal est entré en crise et dans un processus de concentration de la propriété éminente des princes, qui amènera à la constitution des grands États modernes (globalement, 1180-1480 pour la ‘France’) et débouchera (à partir du 16e siècle) sur les monarchies absolues, processus dans lequel fera son nid la bourgeoisie capitaliste, une fraction de celle-ci (souvent proche du pouvoir monarchique : bourgeoisie francilienne en ‘France’, londonienne en Grande-Bretagne, madrilène en Espagne ; ou située dans les régions géographiques historiquement plus avancées : plaine du Pô – dont le royaume du Piémont – en Italie, Rhénanie et Westphalie prussiennes en Allemagne) prenant la tête de la classe capitaliste au niveau de l’État, pour finalement prendre la direction de celui-ci et se ‘débarrasser’ (tel un serpent faisant sa mue) de la ‘vieille enveloppe’ des structures politiques monarchiques (ou réalisant, en s’appuyant sur sa monarchie ‘de tutelle’, l’unité politique d’un grand espace géographique, comme l’Italie ou l’Allemagne).

    En affirmant que la ‘Nation française’ naît au 17e ou 18e siècle (citant de manière purement intellectuelle un texte de 1674), à l’apogée de la monarchie absolue et à la veille de la Révolution bourgeoise, le ‘p’’c’’mlm’ confond en réalité la Nation avec l’État moderne, qui est un APPAREIL POLITICO-MILITAIRE développé par les grandes maisons monarchiques (‘stade suprême’ de la féodalité) et repris (en le modernisant) par la fraction ‘dirigeante’ de la bourgeoisie dans sa révolution anti-féodale. Ce faisant, ils se placent finalement dans la continuité du PCF de Thorez (dont ils présentent, actuellement, une longue étude historique, intéressante au demeurant), qui ne reconnaissait pas les nations constitutives de l’État ‘France’ (des ‘féodalités’ selon lui) et posait sa démarche ‘révolutionnaire’ dans le prolongement de la Révolution bourgeoise jacobine de 1793-94 ; ou encore dans celle du PCI de Togliatti, qui se posait dans le prolongement du mazzinisme et du garibaldisme alors que Gramsci, lui, avait très justement analysé l’Unité italienne comme une conquête du Sud par la bourgeoisie du Nord, ‘pliant’ l’organisation sociale du nouvel État à ses intérêts et passant des alliances littéralement coloniales avec l’aristocratie méridionale et l’Église catholique. 

    Le problème des Identitaires n’est pas de ‘rejeter’ la ‘France’ comme construction politico-militaire au service hier de la Cour capétienne et aujourd’hui de la bourgeoisie monopoliste (avec sa fraction dominante parisienne) ; ce qui est d’ailleurs l’exact opposé de ce qu’ils font. Au contraire, leur reprise (pour la tordre dans un sens ultra-réactionnaire) des aspirations démocratiques des nations constitutives (récup’ qui n’a rien de nouveau, déjà employée par l’aristocratie déchue, le clergé catholique et les notables monarchistes au 19e siècle, puis par l’extrême-droite maurassienne dans la première moitié du 20e, sans parler de l’impérialisme allemand nazi avec le nationalisme bourgeois breton et de l’impérialisme italien fasciste avec le nationalisme bourgeois corse)[1], est bien le signe que quelque chose ‘bouge’ de ce côté-là.

    Leur problème, c’est que :

    -         Leur ‘identité’ régionale (patrie charnelle), niant totalement le matérialisme historique, est ORGANIQUE, présentant cette ‘identité’ comme ‘immuable’ à l’appui de leur mobilisation réactionnaire de masse xénophobe : ils ne la font même pas remonter aux duchés mérovingiens et carolingiens, ce qui serait déjà erroné, mais carrément aux peuples gaulois d’avant la conquête de Jules César, ce qui est pour le coup totalement délirant : Engels a expliqué comment la crise générale de l’esclavagisme antique (ces grands bouleversements, invasions etc. qui vont globalement de l'an 200 de notre ère à la veille de l'An 1000) avait complètement fait disparaître ces ‘nations antiques’ [2] ; d’ailleurs ces ‘peuples gaulois’ étaient des réalités politiques et non nationales, tous étaient des Gaulois (branche des Celtes) divisés en plusieurs ‘cités’ tout comme les Grecs de l’époque classique, les Ibères, les Italiens avant l’unification par Rome, etc. C'est même d'autant plus grotesque, pour des gens souvent critiques envers la République, les Lumières, 1789 etc. (maurrassiens), que "nos ancêtres les Gaulois" sont justement un mythe... révolutionnaire bourgeois et républicain, pour justifier par une "souche commune" mythique l''unité' et l''indivisibilité' d'une "nation"... QUI N'EN EST PAS UNE (mais la PRISON, le résultat de l'ANNEXION d'une dizaine de peuples, sans compter l'outre-mer) !

    site gaulois bobigny1-         Ils incluent totalement ces ‘identités’ (loin de rejeter quoi que ce soit) dans la construction  politico-militaire ‘France’ (patrie historique), ne faisant là encore que reprendre la thématique maurasso-pétainiste des ‘petites patries’ dans la ‘grande’ ; ainsi que dans le cartel monopoliste post-1945 UE (patrie-civilisation), ce qui fait leur spécificité politique. Ils font remonter la première, dans la plus pure veine des historiens d’Ancien régime, à Clovis (comme si le processus historique réel n’avait pas été un tout petit peu plus complexe) ; et la seconde aux ‘grandes unifications civilisationnelles’ de l’Empire romain, de Charlemagne, ou de l’hégémonie européenne de la France sous Louis XIV ou Napoléon (des unifications éphémères que EUX, rien que ça, sauraient reprendre à leur compte et rendre perpétuelles). D’OÙ les contradictions très justement pointées par les antifascistes libertaires de Poitiers, lorsqu’ils pointent le fait que Charles Martel, le grand ‘défenseur de l’Occident chrétien’ face aux hordes musulmanes, prince franc originaire de l’actuelle Wallonie, a sans doute massacré – dans sa longue carrière – plus de Gaulois particulièrement romanisés d’Aquitaine et de Provence (ce qui allait devenir la Nation occitane, prétendue ‘patrie charnelle’ de nos z’ids aquitains et niçois) que de vils envahisseurs arabo-berbères mahométans... Et les grands ‘Croisés’ anti-islam que furent Philippe Auguste ou Louis IX (‘Saint Louis’) n’en firent pas autrement lors de la ‘conquête du Sud’ (de la Loire), véritable acte fondateur de la ‘France’ comme État/appareil politico-militaire moderne : tout le monde est au fait des ‘prouesses’ de la Croisade des Albigeois, qui vit l’annexion à la Couronne capétienne des territoires occitans situés entre Garonne et Rhône… CQFD. ‘Accepter d’en revenir au 8e siècle’ ne vise ici qu’à dévoiler toute l’absurdité du discours identitaire néo-maurassien.

    L’on se souvient que lors de l’annonce de la ‘capitulation’ d’ETA (reconnaissance par l’organisation de sa déroute politique et militaire), le ‘p’’c’’mlm’, qui utilise systématiquement l’actualité pour régler ses comptes avec les groupes ne reconnaissant pas sa prétendue ‘direction’ sur le mouvement révolutionnaire, en avait profité pour attaquer les ‘identitaires de gauche’ ; traduire : les mouvements progressistes d’affirmation des nations niées, et en particulier le mouvement progressiste de la Nation occitane, sur le ton de "l’Occitanie n’existe pas, la France est une nation, mettre en avant l’Occitanie aujourd’hui c’est vouloir faire tourner la roue de l’histoire à l’envers", c’est vouloir "nier la lutte de classe en France en niant la France" ; genre de propos qui, au demeurant, ne sont nullement l’apanage du seul ‘p’’c’’mlm’ mais également de toute une flopée d’organisations trotskystes (particulièrement le POI, mais LO ne fait pas défaut), ‘thorézo-brejnéviennes’ (PRCF, URCF, RCC etc.) ou ‘dogmato-révisionnistes’ (Avant-garde/l’Ouvrier communiste), anarchistes (CNT-AIT), ‘gauchistes’ (Gauche communiste internationale)[3], etc. etc. Il faut bien dire qu'autant qu’il est difficile – même au plus ‘pur’ cœur de la classe ouvrière – à l’homme de reconnaître sa situation privilégiée vis-à-vis de la femme ou au ‘blanc’ de reconnaître la sienne vis-à-vis des ‘minorités visibles’, il est difficile au communiste basé à Paris ou dans le Bassin parisien, voire dans le Nord-Pas-de-Calais (territoire pourtant largement ‘relégué’), ou encore au petit bourgeois intellectuel (universitaire ou fonctionnaire) d'esprit français où qu'il se trouve, d’admettre que l’organisation sociale ‘France’ fait de lui un privilégié vis-à-vis des classes populaires ‘méridionales’ (occitanes), bretonnes, basques ou corses (a fortiori lorsque ces classes populaires ne vivent pas dans une grande ville)…Il est vrai, aussi, que le ‘particularisme’ (mise en avant de la culture populaire nationale, ou régionale) a longtemps été une expression de classe plutôt paysanne (ou artisane/commerçante, ou ‘paysanne-ouvrière’), des zones rurales, et que la bourgeoisie monopoliste, entre la fin du 19e siècle et le milieu du 20e, a su développer chez les ouvriers urbains un ‘mépris de classe’ pour les ‘culs-terreux’, mépris qui a hélas imprégné le mouvement ouvrier organisé tout au long du 20e siècle et jusqu’à nos jours.

    Mais comment peut-on nier une réalité qui non seulement existait et existe toujours dans la conscience populaire de masse, même si elle a pu être ‘estompée’ par la propagande bourgeoise de l’époque impérialiste (et même si elle souffre parfois de… régionalismes : Provence, Béarn, Auvergne etc., même si beaucoup de personne tendent à la réduire aux seules régions Languedoc – sans le Roussillon catalan – et Midi-Pyrénées, etc. etc.), mais était reconnue par la monarchie capétienne elle-même, comme lorsqu’il était affirmé, au Consistoire de Poitiers en 1308, que "le roi de France règne sur DEUX NATIONS : l'une de lingua gallica [gallo-roman, ‘vieux français’] et l'autre de lingua occitana" ? À cette époque, où ‘l’aube’ du capitalisme était déjà bien affirmée (les bourgeoisies urbaines avaient déjà arraché un grand nombre de ‘chartes’ à la monarchie et aux grands féodaux), la nation occitane était donc reconnue noir sur blanc par un document ‘officiel’ (tout ce qui était écrit avait ‘force de loi’ à l’époque) de la monarchie. Et l’on voit mal quel évènement historique majeur aurait pu, entre cette date et aujourd’hui, abolir cette réalité ; sinon l'accession de la bourgeoisie au pouvoir politique suivie (moins d'un siècle plus tard) par le passage du capitalisme au stade monopoliste, qui ne l’a pas abolie mais simplement ‘étouffée’ dans sa volonté de modeler toute la société à son image, de mobiliser les masses populaires au service de la production et de la défense (militaire, politique) des intérêts des monopoles (dans les ‘grandes modernisations’ productives et sociales de la ‘Belle époque’ et des ‘Trente Glorieuses’, dans les guerres mondiales impérialistes et les guerres imagen5coloniales en tout genre, etc.)…

    Comme le disait très justement le grand dirigeant marxiste basque Argala : "Qu’est-ce que l’internationalisme prolétarien ? Être internationaliste exige-t-il des travailleurs d’une nation divisée et opprimée de renier leurs droits nationaux pour, ainsi, fraterniser avec ceux de la nation dominante ? À mon avis, non. L’internationalisme prolétarien signifie la solidarité de classe exprimée dans le soutien mutuel entre les travailleurs des différentes nationalités, unis dans un respect mutuel de leurs formes particulières d’identité nationale" ; ce à quoi SLP ajouterait même : "Aucun prolétaire n'a d'intérêt valable auquel soumettre les prolétaires d'autres nations, seul peut en avoir un aristocrate-ouvrier" (ou un petit-bourgeois intellectuel)…

    NON, la France n’est pas une Nation : elle est une superstructure politique, un appareil politico-militaire, expression du ‘stade suprême’ de la féodalité, qui a vu la concentration de la propriété (éminente) féodale sur la terre et ses habitants entre les mains de quelques dynasties, dont la dynastie capétienne en ‘France’ ; et REPRIS à son compte par la bourgeoisie (avec sa fraction dirigeante francilienne) lorsque celle-ci a pris le pouvoir en 1789. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire ‘tourner la roue de l’histoire à l’envers’, mais que l’histoire avance, comme elle le fait toujours, EN SPIRALE : les grands États modernes ont (entre le 13e et le 18e siècle) nié les Nations constituées au début du 2e millénaire de ome d oc affiche de 1968l’ère chrétienne, comme réalités politiques (sachant que ces nations étaient, alors, rarement unifiées politiquement), sans pour autant les faire disparaître (jusqu’à la tentative monopoliste, à l’œuvre depuis 120 ou 130 ans) comme réalités sociales, culturelles, populaires ; ce faisant, ils ont été la ‘matrice’ d’un mode de production, le capitalisme, qui a apporté à l’humanité de grands progrès scientifiques, techniques, culturels et même politiques (‘démocratie formelle’) ; mais à présent, il doivent à leur tour être niés par ces vieilles Nations, ‘de retour’ à un niveau supérieur (sous la direction du prolétariat), porteuses et expressions politiques des aspirations de masse à la ‘démocratie réelle’ (socialiste, prolétarienne), sur la base de la Commune populaire ; ceci étant le préalable obligatoire à la fusion de l’humanité, au niveau planétaire, dans la grande unité qui sera le COMMUNISME (cela, dans encore plusieurs siècles). 

    Quant au ‘métissage’ que rejetteraient non seulement le Bloc identitaire (ce qui est vrai) mais aussi leurs ‘équivalents’ Indigènes de la République et ‘identitaires de gauche’ occitans... il suffit, pour se rendre compte du ridicule de l’affirmation, de se figurer combien de militant-e-s du PIR sont eux/elles-mêmes de personnes métissées ; à quel point les terres occitanes comptent sans doute (après les régions ouvrières du Nord) les plus importants taux de métissage (notamment avec des personnes issues du Maghreb) de l’Hexagone, particulièrement dans les grandes villes comme Marseille, Toulouse ou Montpellier ; et que de nombreuses personnes d’origine maghrébine, africaine ou caraïbe, ou métisses de ces origines, y arborent fièrement la crotz (croix) d’Òc… L'Occitanie qui fut d’ailleurs, au 12e siècle, une ‘Andalousie du Nord’ brassant les cultures et portant la civilisation médiévale a un niveau inégalé [la philosophe ‘catho de gauche’ (d’origine juive) Simone Weil y voyait "une civilisation qui, une fois au cours de 22 siècles, aurait pu avec le temps constituer un second miracle (...) aussi élevé que celui de la oc-antifa1Grèce antique si on ne l’avait pas tué", l’Europe n’ayant "plus jamais retrouvé au même degré la liberté spirituelle perdue par l’effet de cette guerre", une véritable ‘antithèse absolue’ – en quelque sorte – de tout ce qui est advenu par la suite : vision idéaliste petite-bourgeoise certes, mais ‘tendant’ vers la Vérité révolutionnaire ; car effectivement l’’Andalousie’ occitane a été rayée de la carte (comme d’autres, comme al-Andalus elle-même d’ailleurs) par la formation des États modernes, appareils politico-militaires repris ensuite par la bourgeoisie pour établir sa direction politique, bourgeoisie devenant monopoliste-impérialiste à la fin du 19e siècle pour déboucher finalement sur les ‘grandes horreurs’ du 20e siècle – guerres mondiales, fascisme, Shoah etc.). On a donc là, dans les propos de Weil, une 'perception idéaliste' de la réalité du processus historique (matérialiste, scientifique) ayant eu lieu en Europe depuis le 13e siècle].

    Parler de ‘métissage’ impliquerait tout d’abord d’admettre (tiens tiens… n’est-ce pas ce qui est précisément reproché aux ‘Indigènes’ ?) qu’il y ait des ‘races’ ; ou alors, si on l’entend comme un processus de brassage et de fusion des cultures, il a toujours existé, de tous temps, il n’est pas spécifique à l’époque de la révolution prolétarienne et les Identitaires planent littéralement à 10.000 en s’imaginant que leurs ‘patries charnelles’ remontent aux cités gauloises ou gallo-romaines d’il y a 2000 ans. Cette fusion est effectivement dans le ‘sens’ matérialiste de l’histoire, qui doit conduire l’humanité à la grande unification planétaire du communisme. Mais elle ne se DÉCRÈTE PAS ; pour cesser d’être ‘marginale’ (tant ‘biologiquement’ que – surtout – culturellement) elle exige des CONDITIONS, et l’une des premières d’entre elles est la disparition des États modernes devenus bourgeois puis impérialistes, comme appareils politico-militaires avec l’idéologie qui les sous-tend, idéologie faite notamment de ‘hiérarchie des cultures’, de suprématisme ‘civilisationnel’ etc. En réduisant à néant ces États modernes/appareils d’oppression, le prolétariat et les classes populaires des Nations niées par eux ont un rôle fondamental dans la gigantesque oeuvre de civilisation qu’est la Révolution prolétarienne mondiale.

    big provence flag


    3. Le dernier point qui sera abordé ici est celui de l’émergentisme’ comme nouveau nationalisme bourgeois (ou 'nouveau Bandung') de notre époque. Au jour d’aujourd’hui, la bourgeoisie nationale (et le nationalisme bourgeois porté par elle) dont parlait Lénine en son temps, signe de développement d’une économie capitaliste dans des pays étranglés par les structures féodales et bureaucratiques appuyées (ou carrément mises en place) par l’impérialisme, qu’il s’agisse de colonies directes, de protectorats ou de semi-colonies, semble avoir été remplacée par bricsle phénomène émergent, phénomène à la base sociale beaucoup plus large.

    Dans les pays du ‘Sud’, du ‘tiers-monde’, en lien à des degrés variables avec les monopoles impérialistes, s’est accumulée une masse plus ou moins importantes de CAPITAL entre des mains ‘nationales’ (très importante dans les pays producteurs d’hydrocarbures, colossale dans les monarchies pétrolières du Golfe arabo-persique) ; ce qui est une expression du caractère national de la production en contradiction avec l’appropriation impérialiste de la richesse. Et cette masse de capitaux va chercher à ‘s’affirmer’ au sein de l’économie-monde, dominée par les grands pays impérialistes de la ‘Triade’ Amérique du Nord/Europe de l’Ouest/Japon, la Russie et depuis peu, la Chine.

    Ces capitaux vont s’exprimer à travers des idéologies extrêmement variées, aussi bien social-réformistes ‘radicales’, ‘tribuniciennes’ appuyées sur la gauche ‘radicale’ petite-bourgeoise (Chavez, ALBA), que libéral-réformistes (Brésil, Argentine ou Uruguay, Inde ou Afrique du Sud etc.), libéral-conservatrices avec un volet ‘social’ religieux (comparable au social-christianisme) comme l’AKP turc et les Frères musulmans, ou violemment réactionnaires comme le salafisme porté par l’Arabie saoudite, ou le régime des mollahs en Iran ;  cela, en fonction notamment du caractère plus ou moins bourgeois ou Lula Erdogan Brasilia 2010féodal des ‘mains’ tenant ces capitaux, de leur assise et solidité en tant que classe (inversement proportionnelle à la nécessité de rechercher l’appui des masses populaires), etc.

    Ce qu’a expliqué – et toujours considéré – Servir le Peuple, c’est que ces régimes doivent être étudiés et analysés au cas par cas, en fonction de leur ‘conformation’ idéologique et – subséquemment – de leur attitude vis-à-vis du prolétariat et des masses au quotidien (le camp du peuple est notre camp), de leur attitude envers le mouvement communiste/progressiste (internationalisme), et aussi de leur action ponctuelle à tel ou tel moment, de la ‘diabolisation’ dont ils peuvent faire l’objet par la propagande impérialiste, etc. Telle était la position de Lénine, qui, tout en soutenant les communistes et les démocrates d’Asie centrale contre ‘leurs’ féodaux, pouvait affirmer que l’émir d’Afghanistan était ‘objectivement du côté de la révolution mondiale’ en tenant tête à l’Empire britannique (1919) ; ce qui n’est ni la position de rejet systématique du nationalisme bourgeois (plus largement, du ‘nationalisme des classes dominantes’) qui est traditionnellement celle des gauchistes, des trotskystes ‘orthodoxes’, de certains courants anarchistes etc., ni la position de soutien systématique (mais ne s’appliquant pas, aujourd’hui, à l’’émergentisme’ du Golfe ou d’Ankara et aux forces appuyées par lui, allez savoir pourquoi…) des révisionnistes brejnéviens (et autres ‘albanoïdes associés'). C’est ainsi que le Chavez résistant victorieusement à une tentative de coup d’État made in US en 2002 (et à 4 ou 5 ans de déstabilisation par la suite), ou la Syrie et l’Iran appuyant le Hezbollah qui infligeait une branlée à Israël en 2006, ce ne sont pas le régime syrien massacrant les masses populaires (bien qu’il soit aussi, entre temps, devenu la cible d’une coalition impérialiste euro-nord-américaine et d’un ‘axe émergent’ Arabie-Qatar-Turquie), l’Iran l’appuyant militairement et le Chavez 02 BR40.1applaudissant à cela, tout en livrant au passage des militants progressistes à la Colombie fasciste, de 2011-2012. Ce ne sont pas, non plus, la Syrie intervenant au Liban pour y écraser les forces progressistes et anti-impérialistes en 1976, et la théocratie iranienne exterminant les communistes/progressistes dans les années 1980. Le Kadhafi abritant, au début des années 80, des révolutionnaires du monde entier et défiant l’impérialisme francouille au Tchad (et US en Méditerranée), n’est pas le Kadhafi complotant avec les réseaux Foccart pour abattre Sankara (1987), et encore moins le despote grotesque, vendu à l’impérialisme, des années 2000 – finalement ‘licencié’ par ses maîtres, et liquidé avant qu’il ne révèle avoir financé la campagne électorale d’un certain Nicolas S. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu’il faut se joindre à la ‘diabolisation’ qui les frappe soudainement (en appui à l’intervention impérialiste), tout en épargnant soigneusement les sabre-peuples du Bahreïn (et leurs amis saoudiens), du Yémen, du Maroc, et hier d’Égypte et de Tunisie ; que l’on se comprenne bien…TOUT, on l'a dit et on le voit à travers ces exemples, doit être apprécié au cas par cas, dans chaque contexte, chaque rapport de forces.

    Il est d’ailleurs amusant de voir des ‘maoïstes’ faire exactement l’inverse : attaquer férocement ces régimes 'fascistes' lorsqu’ils sont la cible de (ou défient activement) l’impérialisme et son suppôt sioniste ; et les soutenir lorsque, bien que toujours la cible des impérialistes occidentaux, le mot ‘sabre-peuple’ semble trop faible pour les qualifier (et que, ‘étrangement’, des voix d’experts sionistes s’élèvent, pour mettre en garde contre la chute d’un ennemi ‘connu’ et ‘prévisible’).

    C’est dans ce contexte, également, que doit surtout – selon SLP – être comprise l’ISLAMOPHOBIE. On l’a dit, la masse la plus colossale – et donc menaçante – de capitaux accumulés entre des mains ‘autochtones’ (si l’on laisse de côté la Russie et la Chine, déjà impérialistes) est celle des monarchies pétrolières du Golfe arabo-persique (derrière se trouvant la théo-bureaucratie iranienne, puis les bourgeoisies d’Amérique du Sud, d’Inde ou d’Azanie, ou encore d’Asie du Sud-Est, etc.). Outre cette manne pétrolière, ces pays (Qatar, Koweït, Dubaï...) sont devenus le ‘siège social’ des affaires d’un nombre considérable de grands capitalistes arabes, qui ne peuvent s’épanouir dans leurs pays dominés par des bureaucraties clanico-mafieuses. Et tout ce capital accumulé va chercher, car telle est la logique du capitalisme, à se réinvestir pour se valoriser. Il y a, certes, les ‘investissements qataris’ en Hexagone, qui sont devenus le nouveau ‘cheval de bataille’ à la mode de l’extrême-droite islamophobe. Mais surtout, ce capital va chercher à se réinvestir en ‘terrain connu’, autrement dit dans les pays arabes et plus largement musulmans, où les structures féodalo-bureaucratiques au service de l’impérialisme (occidental ou russo-chinois) ‘étranglent’ le développement d’un véritable capitalisme : les pétromonarchies vont donc financer des forces visant à faire chuter ces régimes. Elles vont mettre en place, à l’échelle régionale, une ‘géopolitique’ entièrement vouée à ‘dégager’ des terrains d’investissements pour ces milliards de pétrodollars. En ce sens, comme exemple récent, la visite de l’émir du Qatar à Gaza (dont le gouvernement Hamas vient de rompre, manifestement sur consigne expresse de Doha, son alliance ‘historique’ avec l’axe Iran-Syrie), première visite d’un dirigeant arabe depuis l’annexion de 1967, et ce à la veille d’une opération militaire israélienne (dont les renseignements f5620 AFP 121023 pe4rp qatar-al-thani-gaza-haniyeh sn635du Hamas gazaoui étaient certainement informés...), est à comprendre comme une ‘petite déclaration de guerre’ à l’État sioniste (bien que celui-ci soit surtout, en ce moment, focalisé sur la menace iranienne) et à ses tuteurs impérialistes (principalement anglo-saxons) ; au même titre que les tentatives désormais annuelles de violation du blocus maritime de la Bande, sponsorisées par le gouvernement AKP d’Ankara.

    Les détenteurs de cette masse de capitaux du Golfe sont des éléments FÉODAUX (aristocratie tribale bédouine), associés, on l’a vu, à des éléments grand-capitalistes issus de tout le monde arabe. L’idéologie des Frères musulmans (plutôt appuyés par le Qatar) est portée par des notables (professions libérales, chefs d’entreprises, universitaires), tandis que le salafisme et le djihadisme combattant (plutôt appuyés par des éléments ‘radicaux’ de l’aristocratie saoudienne) sont portés par des petits entrepreneurs familiaux patriarcaux, d’esprit corporatiste et puritain. Les forces liées à l’Iran (en Irak – CSRII, Dawa, Armée du Mahdi ou au Liban – Hezbollah, Amal) sont portées par des éléments relativement similaires. Toutes ces idéologies vont donc rarement présenter des traits franchement progressistes : dans le ‘meilleur’ des cas, ce sera un libéralisme économique et un conservatisme politico-sociétal, ‘adouci’ par une ‘éthique sociale islamique’ sur le mode social-chrétien (AKP, Frères musulmans). Les salafistes, eux, présentent un programme politique, social et économique de petit capitalisme corporatiste, associé à un obscurantisme moral et culturel au côté duquel l’Espagne de Franco ferait figure de Las Vegas décadente...

    Cela pose les communistes face à la difficulté de combattre, d’un côté, la mobilisation réactionnaire de masse islamophobe qui sévit en Europe occidentale depuis des années (tout particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis), sans pour autant passer (de l'autre) pour les défenseurs de telles idéologies réactionnaires, et d’intérêts de classe aussi éloignés de ceux du prolétariat international. On ne peut, certes, que se retenir de rire devant le ridicule qu'il y a à décrire un Hexagone BBR ‘racheté’ par l’émirat du Qatar (pays de 1,9 millions d’habitants, dont 70% de larbins indo-pakistanais, indonésiens, iraniens ou issus d’autres pays arabes, au service des nantis), qui ‘corrompt les élites mondialistes’ tout en développant un micro-capitalisme lié à l’islam ‘radical’ dans les banlieues – ridicule qui ne tue pas, au demeurant, certains ‘maoïstes’ quand il s’agit encore une fois de se joindre à la meute...

    Bien évidemment, les communistes révolutionnaires n’ont aucune espèce de sympathie pour ces États (Qatar, Arabie, Iran) ultraréactionnaires, leurs idéologies et celles des forces qui sont leurs ‘bras armés’. Encore moins pour les actions militaires aveugles de certains groupes armés, que ce soit en Occident ou dans les pays musulmans directement (celles-là, personne n’en parle…), frappant des travailleurs innocents se rendant simplement à leur travail par les transports en commun, ou de simples croyants (juifs, chrétiens, chiites etc.) dans des lieux de cultes ou des écoles confessionnelles. Mais voilà : avec leur fichue conception scientifique du monde, les communistes vont chercher à analyser, expliquer, comprendre ces idéologies et leurs agissements. Ils vont chercher à en comprendre l’influence sur une part importante des masses populaires, pour combattre cette influence et faire triompher la conception communiste du monde – et non considérer que ‘la violence’ et ‘l’obscurantisme’ sont ‘intrinsèques’ à l’islam et aux musulmans. Ils ne considèrent pas ‘l’islamisme’ comme foncièrement plus ennemi du peuple que des idéologies bourgeoises qui se veulent ‘laïques’ et ‘modernistes’, comme le kémalisme ou le baathisme ; et surtout, ils n’en feront jamais l’ennemi principal – celui-ci restant l’impérialisme, quelles que soient ses prétentions ‘civilisatrices’.

    Cela suffit, aux yeux de tous les fascistes et les ultraréactionnaires délirant sur ‘l’islamisation de l’Europe’, à en faire les complices, les agents, les ‘dhimmis’, les ‘idiots utiles’, à liquider au même titre ; ce qu’un certain Anders Behring Breivik a déjà mis en pratique vis-à-vis d’une soixantaine de jeunes ‘marxistes culturels’ travaillistes norvégiens…Comme lorsque le fascisme d'entre-deux-guerres dénonçait les 'rouges' au service de la 'juiverie internationale', la rengaine de 'l'ennemi intérieur' musulman est aussi un moyen de viser, à travers lui, ses 'complices' : les 'gauchistes' (révolutionnaires et personnes progressistes) et les 'élites mondialisées' (les bourgeois libéraux, démocrates, réformistes).

    non-a-l-islamisme-affiche-front-national-09-03-2010Il est juste, cependant, de relever que l’islamophobie a des ressorts sensiblement différents de l’antisémitisme. Les deux ‘haines’ plongent certes aussi loin l’une que l’autre dans la ‘tradition’ réactionnaire européenne : dans la seconde moitié du Moyen-Âge (1000-1500). Les premières grandes persécutions antijuives furent largement concomitantes ou suivirent de peu les Croisades et la Reconquista espagnole, dans le contexte général de formation des États modernes. Cependant, pour l’ultra-réactionnaire (fasciste potentiel), le Juif est un ‘rat’ ou un ‘cafard’, une créature ‘vile’ et inférieure tapie dans l’ombre, qui ‘sape’ (par l’argent et l’usure, les idées libérales-libertaires et socialo-communistes) les ‘fondements spirituels’ de la civilisation occidentale et qu’il s’agit donc de ‘dératiser’ ou d’exterminer comme une vermine – le choix par les nazis d’un insecticide (Zyklon B) pour la ‘solution finale’ n’est à ce titre pas anodin. Le musulman, lui, est un 'barbare' raffiné, une ‘bête sauvage’ (réputée voir dans l’obscurité…) surgie d’outre-mer, déferlant surl’Occident chrétien pour le submerger comme le ‘Perse’ fantasmagorique de la BD fascistoïde 300 déferle sur la Grèce antique. Ce qu’il ‘faut’ alors ce sont de nouveaux Charles Martel, de nouveaux Cid, de nouveaux Richard Cœur de Lion, de nouveaux Lépante pour ‘bouter’ l’infidèle hors d’Europe : le ‘modèle’ est ici celui de la guerre et de la ‘purification’ ethnique ‘à la bosniaque’. Les caricatures antisémites insistent sur la (prétendue) laideur physique, les caricatures islamophobes sur le côté 'masqué', spectral, 'ennemi sans visage'. La haine antisémite est imprégnée de mépris, la haine anti-musulmane suinte la peur… Et l’islamophobie ne revêt pas, en effet, la dimension ‘anticapitaliste’ que peut revêtir l’antisémitisme, associant le Juif au ‘péché d’argent’ depuis l’époque médiévale ; encore que... les allusions à ‘l’argent du Qatar’ corrompant les ‘élites mondialisées’ se multiplient depuis quelques temps. Tandis qu'à l’époque du ‘judéo-bolchévisme’, lorsque les masses populaires juives étaient – dans une large proportion – tournées vers les idées progressistes ou communistes, ou au moins démocratiques humanistes-universalistes, l’antisémitisme rejoignait largement la rhétorique de ‘l’ennemi intérieur’ révolutionnaire...


    [1] Il faut dire que, depuis la Révolution bourgeoise de 1789 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les aspirations démocratiques des nations absorbées par la construction politico-militaire ‘France’ se sont très majoritairement exprimées de manière réactionnaire, tournée vers le passé et portée par la bourgeoisie, les ‘notables’ (propriétaires fonciers, etc.) et/ou le clergé local, mettant en avant le souvenir des privilèges (droit et coutumes locales) d’Ancien régime. Déjà sous les ‘Louis’ (17e-18e siècle), elles tendaient à prendre le parti des féodaux ‘nationaux’ (notamment les Parlements) contre le centralisme et le modernisme monarchique. Il n’en allait pas autrement dans le royaume d’Espagne, avec les revendications nationales de Catalogne et d’Euskal Herria (qui souvent appuyaient le carlisme, le parti monarchique traditionaliste et anti-libéral). Ce n’est qu’au cours du 20e siècle, avec la subsomption de tous les rapports sociaux par le mode de production capitaliste (explosion, notamment, du salariat), que cette situation s’est retournée en son contraire, donnant naissance à des forces autonomistes ou indépendantistes progressistes voire révolutionnaires. Les ‘notables’ réactionnaires nationaux, qui ‘râlent’ contre le centralisme parisien et sa ‘bureaucratie soviétique’, militent toujours pour une forte ‘décentralisation’ voire autonomie régionale, mais ne peuvent globalement se passer de l’appareil politico-militaire ‘France’ pour protéger leurs intérêts de classe.

    [2] Plus exactement, les nationalités comme les espèces vivantes ne "naissent" et ne "meurent" pas, elles se TRANSFORMENT à travers de longs processus de bouleversements historiques, dont les invasions extérieures... et les migrations sont un aspect important, mais le moteur premier reste la lutte des classes interne. Il y avait des nations antiques (Engels emploie explicitement le terme) qui étaient les Gaulois puis Gallo-romains, les Ibères, les Latins, les Étrusques, les Hellènes, les Germains etc., et il y a aujourd'hui des nations modernes qui sont les 'Français', les Occitans, les Basques, les Bretons, les Catalans, les Andalous, les Wallons etc. etc. Entre les deux, il n'y a pas de 'jour J' où l'on serait passé de l'un à l'autre (prétendre cela est ridicule), mais de longs processus de transformation historique. Pour autant, se réclamer aujourd'hui des tribus gauloises comme si un tel processus n'était pas intervenu est totalement anti-matérialiste et grotesque.

    [3] Représentants d’un nihilisme national caractéristique d’un certain ‘marxisme fondamentaliste’, pour lequel rien n’est à ajouter à l’œuvre de Marx et Engels après leur mort, et dont un bon représentant était par exemple l’Anglais William Morris. Ce nihilisme national finit toujours, objectivement, par converger avec la défense bourgeoise de l’État moderne, appareil politico-militaire et idéologique d’oppression des masses.

     


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  • La question de la caractérisation du fascisme est une question qui traverse le mouvement communiste (si l’on fait débuter celui-ci avec la Révolution russe de 1917, et que l’on parle de ‘mouvement socialiste’ antérieurement) pratiquement depuis ses origines.

    Ici même, sur Servir le Peuple, nous avons abordé récemment la question de la caractérisation comme ‘fascistes’, par certaines organisations maoïstes d’Amérique du Sud, des régimes de type Chavez, qui sont selon SLP des gouvernements réformistes bourgeois (résultant de la pression des ‘mouvements sociaux’ sur l’oligarchie, de l’ingouvernabilité générée – parfois – par ces mouvements sociaux, et éventuellement de l’émergence de ‘nouvelles couches’ et d’aspirations ‘émergentistes’ à tous les niveaux de la bourgeoisie – petite, moyenne, grande), démago-populistes, ‘endormeurs’ redistributifs des luttes ouvrières et populaires, social-traîtres, tout ce que l’on voudra, mais pas fascistes. Il ne s’agit pas là, pourtant, d’une élucubration groupusculaire, mais bien de la thèse d’Abimaël Guzmán ‘Gonzalo’, du Parti communiste du Pérou ‘Sentier Lumineux’ ; selon lequel ce qui caractérise principalement le fascisme, ce n’est pas la répression terroriste et systématique (policière, militaire et paramilitaire) de tout mouvement de masse organisé, révolutionnaire ou progressiste, associé à une certaine mobilisation de masse (par la propagande, l’appel à la délation, l’embrigadement dans des organisations de masse réactionnaires et/ou paramilitaires), mais AVANT TOUT la négation de la lutte des classes au profit d’une fraction de la bourgeoisie, à travers un discours (et un programme) ‘social’ en direction des classes populaires. En Amérique latine, ce ‘fascisme’ serait l’expression d’une branche spécifique de la grande bourgeoisie, la bourgeoisie bureaucratique qui prospère à travers l’appareil d’État, tandis que les dictatures militaires réactionnaires comme au Chili (Pinochet) ou en Argentine, les golpes réactionnaires comme au Honduras en 2009 ou la tentative de 2002 au Venezuela, seraient l’expression de la classe compradore.

    dimitrovIl s’agit là, c’est le moins que l’on puisse dire, d’une thèse en ‘rupture’ avec la définition ‘classique’ du fascisme, celle donnée par l’Internationale communiste de Dimitrov en 1934 : "le fascisme est la dictature ouverte, terroriste, des éléments les plus réactionnaires et les plus impérialistes du capital financier" (ou, fort logiquement, des agents de ces éléments dans les pays dominés comme ceux d'Amérique du Sud). Dimitrov mettait également en garde contre le ‘schématisme’ qui, selon lui, ‘’désoriente le prolétariat dans la lutte contre son pire ennemi’’ [N'est-ce pas une manifestation de cette attitude schématique que l'affirmation de certains communistes assurant que l' « ère nouvelle » de Roosevelt représente une forme encore plus nette, plus aiguë de l'évolution de la bourgeoisie vers le fascisme que, par exemple, le « gouvernement national » d'Angleterre ? Il faut être aveuglé par une dose considérable de schématisme pour ne pas voir que ce sont justement les cercles les plus réactionnaires du Capital financier américain en train d'attaquer Roosevelt, qui représentent, avant tout, la force qui stimule et organise le mouvement fasciste aux Etats-Unis. Ne pas voir le fascisme réel prendre naissance aux Etats-Unis sous les phrases hypocrites de ces cercles en faveur de la « défense des droits démocratiques des citoyens américains », c'est désorienter la classe ouvrière dans la lutte contre son pire ennemi’ - Pour l'unité de la classe ouvrière contre le fascisme ; août 1935]

    Pour SLP, la caractéristique principale du fascisme selon Gonzalo pourrait tout aussi bien s’appliquer à la social-démocratie, au réformisme bourgeois (certes considéré, un temps, comme ‘jumeau du fascisme’ par l’IC, avant de rejeter cette conception face aux évènements en Allemagne, et de prôner ‘l’unité à la base’ avec celui-ci à partir de 1934). Celui-ci, dans une société confrontée à une vaste agitation/contestation de masse, à un large ‘mouvement social’, ne consiste-t-il pas en effet à mettre en avant ‘l’intérêt général’, la ‘fraternité’ entre les ‘citoyens’, la ‘justice’ dans la ‘répartition des richesses’, un programme de ‘concessions’ démocratiques et sociales aux revendications populaires, une mobilisation dans de larges partis et syndicats réformistes – contre l’organisation révolutionnaire de classe ? Pourtant, s’il a souvent pu être dit (et bien souvent à raison) que la social-démocratie ‘pave la voie’ au fascisme, qu’elle ‘désarme le prolétariat et les masses populaires’ contre celui-ci, il ne viendrait pas à l’esprit d’un communiste sérieux de dire que la social-démocratie EST le fascisme…

    La différence, dans le ‘sens commun’ des masses populaires (qui toujours 'indique le chemin' de la vérité), réside bien entendu dans le caractère répressif terroriste, violemment réactionnaire du fascisme – comme forme de gouvernement – contre toute organisation autonome, révolutionnaire ou simplement progressiste, du prolétariat et des classes populaires ; dans la conception du monde (celle de la social-démocratie étant humaniste, universaliste, libérale-progressiste bourgeoise et petite-bourgeoise, alors que celle du fascisme est nationaliste voire raciste, obscurantiste, barbare, autoritariste, policière ultra-répressive, militariste, vouant une haine meurtrière à l’’ennemi’ politique, national ou ‘racial’, etc. etc.). Le fascisme, lorsqu’il a écrasé toute organisation autonome (fut-elle totalement réformiste) de la classe ouvrière, de la paysannerie pauvre, des quartiers populaires etc., va certes généralement les remplacer par des organisations de masse de type corporatiste, liant les classes laborieuses aux intérêts du Capital et totalement contrôlées par le régime. Mais cela n’a rien à voir avec la social-démocratie, la ‘gauche’ bourgeoise qui, dans une situation de mécontentement social fort, va tenter par le biais d’organisations de masse réformistes de ‘concilier’, d’’équilibrer’ les intérêts du Capital et de la force de Travail. On peut dire, dans un sens, que dans tout ‘mouvement social’ de revendication il y a des ‘jaunes’, des ‘briseurs de grève’, des travailleurs qui se mettent au service du patronat (ou de l’État-employeur) contre le mouvement et ses revendications ; et que le corporatisme fasciste c’est le ‘jaunisme organisé’, systématisé voire (para)militarisé... mais le ‘jaunisme’ au sens de trahison totale des intérêts ouvriers, pas de tentative de concilier ceux-ci avec l’économie capitaliste (par l’obtention de concessions). Le fascisme ce n’est pas, contrairement à la ‘gauche’ bourgeoise, l’expression d’une bourgeoisie ‘faible’, qui ‘recule’ face à la contestation et ‘lâche’ des concessions démocratiques et sociales pour préserver l’essentiel – le système capitaliste. Le fascisme, c’est l’expression d’une bourgeoisie ‘DURE’, jusqu’au-boutiste, qui écrase sans pitié la contestation du capitalisme (et ensuite seulement, éventuellement, -notamment- par le pillage d’autres pays ou l’extorsion et l’exploitation impitoyable de secteurs ‘désignés’ de la population, accorde quelques mesures de ‘bien-être social’).

    Certes, le débat a pu exister, parmi les intellectuels progressistes et démocrates bourgeois, mais aussi dans le mouvement communiste, sur la nature ‘fasciste’ de tel ou tel régime (Espagne franquiste, Portugal salazariste, Grèce des colonels, dictatures sud-américaines ou régimes autoritaires du ‘cordon sanitaire’ -anticommuniste- d’Europe de l’Est dans l’entre-deux-guerres), en raison de leur caractère ‘traditionaliste’ ou ‘ultra-conservateur’ et non ‘moderniste’, 'révolutionnaire', du caractère réduit de la mobilisation de masse, de l’absence de dirigisme étatique de l’économie, etc.

    grand messe nazieSi l’on associe systématiquement le fascisme à la démarche ultra-moderniste qui animait l’Allemagne nazie ou l’Italie mussolinienne, alors, malgré la répression contre-révolutionnaire et anti-progressiste terrible qui frappait les masses populaires (bien plus qu’en Italie fasciste !), que dire de l’Espagne de Franco, avec son traditionalisme catholique et sa volonté, pratiquement, en tout cas jusqu’au milieu des années 1960, de maintenir ‘dans le formol’ l’Espagne semi-féodale du début du 20e siècle (en réprimant même les éléments modernistes que pouvaient être les bourgeoisies industrielles basque et catalane) ? Que dire du corporatisme d’Ancien régime et du conservatisme social catholique mis en avant par Salazar au Portugal, Degrelle en Belgique, et dans une large mesure Pétain en France ? Si l’on associe le fascisme à un guardiacivilÉtat ‘fort’ économiquement dirigiste, alors dans une certaine mesure le franquisme, ou les militaires brésiliens (1964-85) firent preuve d’un tel dirigisme. Mais la plupart des dictatures sud-américaines (Chili, Argentine etc.), généralement caractérisées comme fascistes pour leur extermination systématique des forces révolutionnaires et progressistes, firent au contraire de leurs pays les laboratoires du ‘néolibéralisme’, de la remise au capital privé de toute l’activité productive et de la plupart des ‘services publics’, à l’exception bien sûr des fonctions ‘régaliennes’ (répressives). Ceci n’empêchant nullement une forte mobilisation de masse, puisqu’il apparaît qu’encore aujourd’hui 1/3 des Chiliens (pas forcément des gens aisés) ont une vision positive de l’ère Pinochet, et qu’une nette majorité de Péruviens et de Colombiens approuvaient la politique contre-révolutionnaire terroriste (et économiquement ‘néolibérale’) de Fujimori et d’Uribe. 

    Faisons rapidement le point :

    -         À l’origine, le fascisme, tel que défini par l’Internationale communiste de Dimitrov, paraît indissociable de l’impérialisme, du caractère impérialiste d’un pays donné. Ou, en tout cas, d’un très grand développement capitaliste et d’une très importante (sur)accumulation de capital et de la volonté d’’affirmer’  celui-ci sur la scène internationale (comme l’Italie ou le Japon). Il apparaît également indissociable d’un contexte de crise capitaliste profonde, d’agitation sociale forte avec des forces révolutionnaires en développement rapide, et (en raison de la crise) de course à la guerre pour le repartage impérialiste du monde.

    -         Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, l’économie monopoliste mondiale s’est ‘réorganisée’, selon une nouvelle ‘division internationale du travail’, et une part considérable de la production de biens s’est déplacée vers les pays soumis à l’impérialisme, où s’est renforcée également la production de matières premières et des ressources énergétiques essentielles, tandis que les pays impérialistes évoluaient vers des économies de services et de consommation. L’on peut alors envisager l’apparition d’une nouvelle forme de fascisme : non pas la dictature terroriste de la bourgeoisie monopoliste la plus réactionnaire (directement) sur les masses laborieuses du pays impérialiste, mais la dictature des agents Relatives-of-victims-of-General-Augusto-Pinochets-military-(locaux) de la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste ‘de tutelle’, sur les masses d’un pays semi-colonial. Les exemples furent légion au cours de la ‘Guerre froide’ (1945-90), et  beaucoup ne manquèrent pas d’une férocité de type nazi : Suharto en Indonésie, Mobutu au ‘Zaïre’, dictatures argentines des années 1960-80, dictatures guatémaltèques de 1978-86, régime d’apartheid sud-africain, dictatures militaires turques, sud-coréennes etc. etc. Et depuis 1990, malgré le proclamé ‘règne éternel de la démocratie’, les exemples n’ont pas manqué non plus : Fujimori et Uribe (chef de file des paramilitaires colombiens qui existaient déjà depuis des décennies) en Amérique latine, régime du ‘Hutu power’ au Rwanda, et une ribambelle de satrapes africains à la Idriss Déby, Sassou Nguesso, Charles Taylor, etc. etc. Avec la nouvelle division internationale du travail, et la mode rnisation subséquente des sociétés concernées, ces régimes ne se contentent plus de la dictature ‘traditionnelle’ des caudillos sud-américains d’antan ou des chefs traditionnels africains ‘relais’ de la colonisation directe, dictature faite d’encadrement des masses ignorantes (préoccupées essentiellement par la survie) par le clergé et les notables locaux, et de quelques fusillades à l’occasion : ils mobilisent en masse, sur des bases ethniques et/ou confessionnelles en Afrique et au Moyen-Orient (on peut inclure dans ce cas y compris les ‘blancs’ et plus largement les ‘non-noirs’ d’Afrique du Sud), ou en générant des ‘courants d’opinion’ contre le ‘terrorisme’ des forces révolutionnaires. L’on a vu le soutien populaire conséquent dont pouvaient bénéficier Pinochet au Chili, Fujimori au Pérou ou Uribe en Colombie ; on pourrait y ajouter les juntes guatémaltèques de 1978-86 avec leurs escadrons de la mort ‘Kaibiles’ et leurs milices ‘d’autodéfense’ contre-révolutionnaires, mobilisées sur une base traditionaliste et nationaliste (contre une ‘invasion russo-cubaine’) et auteurs des pires exactions, qui comptaient près de… 900.000 hommes pour un pays de 7 millions d’habitants ( !) ; sans parler du ‘Hutu power’ mobilisant des centaines de milliers de Hutus rwandais contre la population tutsie (réputée soutenir les visées de l'Ouganda voisin et de l’impérialisme US contre la Françafrique), de la mobilisation des croyants indonésiens (musulmans, chrétiens ou hindouistes) contre les communistes et les progressistes en 1965-66, etc. etc. Cependant, ces masses mobilisées, de manière paramilitaire ou au moins idéologiques, derrière la terreur contre-révolutionnaire, restent ‘coiffées’ par les ‘structures de domination traditionnelles’ : armée, clergé, appareil administratif bureaucratique et maillage local de ‘notables’ etc. Les organisations ultra-réactionnaires de masse restent ‘sous contrôle’ et ne se substituent pas, comme le NSDAP avec son appareil bureaucratique et militaire (Waffen SS) en Allemagne, à l’appareil d’État ‘traditionnel’.

    Déjà, dans l’entre-deux-guerres, les pays d’Europe (non-impérialistes) situés entre l’Allemagne et l’URSS connaissaient des régimes comparables, pilotés par l’impérialisme (allemand ou franco-anglais) : des dictatures conservatrices, répressives, avec (et appuyées sur) des éléments fascistes (mouvements de masse mobilisés sur une base nationaliste ‘populaire’ et anticommuniste/anti-progressiste), mais gardant ceux-ci ‘sous contrôle’[1]. Les dictatures réactionnaires sud-européennes subsistant après 1945 (Espagne, Portugal, Grèce des colonels) présentaient également ces caractéristiques, dans des pays qui n’étaient pas, alors (l’Espagne a pu le devenir depuis), impérialistes (ces régimes étaient soutenus par l’impérialisme occidental dans le contexte anticommuniste de la Guerre froide).

    -    TOUTEFOIS, parallèlement, cette nouvelle division internationale du travail a amené également un phénomène nouveau, quasi inexistant avant 1945. Dans certains pays, particulièrement d’Amérique latine et d’Afrique du Nord/Moyen-Orient, une classe dominante ‘forte’, conséquente, souvent préexistante à la domination impérialiste, a réussi à accumuler (voire à sur-accumuler) beaucoup de capital, pour lequel elle va chercher des débouchés d’investissement, et/ou qu’elle va utiliser pour ‘s’affirmer’ sur la scène internationale. Il va s’agir d’une bourgeoisie nationale (soumise à l’oligarchie liée à l’impérialiste, et ne supportant plus cette soumission), ou d’éléments de la bourgeoisie d’État (ayant ‘la main’ sur des ressources nationales lucratives), de grands propriétaires terriens ayant évolué vers l’agro-capitalisme, etc. En plus de la surproduction planétaire générale (absolue) de capital, à laquelle se heurtent les monopoles impérialistes eux-mêmes (d’où la ‘course à la guerre’), ce capital suraccumulé va se heurter aux capitaux étrangers (impérialistes) présents massivement dans son pays, et aux structures politiques, économiques et sociales (souvent archaïques) sur lesquelles s’appuie la domination impérialiste.

    En prenant le pouvoir dans cette volonté d’affirmation, elle va tenir un discours évidemment nationaliste (contre l’impérialisme), et souvent ‘social’, ‘populaire’ (pour mobiliser les masses derrière elle contre celui-ci). Elle va, assez souvent, mettre en œuvre des mesures sociales améliorant conséquemment la vie quotidienne des masses. Mais, de par sa nature de classe (bourgeoise, ‘possédante’), elle va également (alternativement) encadrer ou réprimer les expressions/organisations autonomes du prolétariat et des classes populaires. Ses relations avec le mouvement socialiste/communiste seront variables, allant de la tentative d’’apprivoisement’ (des éléments les plus opportunistes) à la répression ouverte et chaveznodsystématique, ou parfois ‘en dents de scie’ (selon les périodes).

    Les idéologies exprimant les visées de ce capital suraccumulé du ‘tiers-monde’ sont typiquement, en Amérique latine, le péronisme, l’APRisme ou le PRIsme mexicain (tous bien ‘rentrés dans le rang’ depuis), le ‘développementisme’ d’un certain nombre de juntes militaires ‘progressistes’ dans les années 1960-70, et aujourd’hui le chavisme et les ‘bolivarismes’ de tout poil ; dans les pays d’Orient, ce furent d’abord des idéologies 'laïcistes' telles que le baathisme ou le nassérisme arabes, le kémalisme turc antérieurement dans l’entre-deux-guerres (rentré dans le rang et totalement lié à l’impérialisme US après 1945), ou le mossadeghisme iranien, puis à partir de 1980 des idéologies national-islamistes, sur le modèle khomeyniste iranien chez les musulmans chiites ou pilotées par l’Arabie saoudite, le Qatar et plus généralement les oligarchies pétrolières du Golfe (et/ou des éléments de l'appareil d’État, à l'image des services pakistanais qui ont appuyé les talibans afghans) chez les sunnites (salafisme, Frères musulmans, djihadisme type Al-Qaïda, etc.). Certaines de ces idéologies ressembleront fortement à la social-démocratie ou au social-libéralisme de type européen, d'autres au social-christianisme (comme l'AKP turc ou les Frères musulmans) avec un beaucoup plus fort conservatisme 'sociétal' sur une base religieuse, d'autres (toujours sur une base religieuse) présenteront des traits violemment réactionnaires (khomeynisme, salafisme), d'autres enfin, autour d'un leader 'charismatique' (souvent issu des forces armées), auront un aspect 'césariste', tribunicien, plébiscitaire faisant penser au fascisme (ou au gaullisme), tout en menant souvent une réelle politique de progrès social (l'Amérique latine est 'abonnée' à ces régimes, avec Perón hier et Chavez aujourd'hui, mêlant caractéristiques populistes 'fascistes' et politique social-réformiste généreuse ; Perón était toutefois plus ouvertement social-conservateur - inspiré, à l'origine, par la 'doctrine sociale' catholique de l'encyclique Rerum novarum -, anticommuniste, assumant la défense des intérêts capitalistes par sa politique sociale, tandis que Chavez se veut plus 'révolutionnaire', 'socialiste' voire 'marxiste'). L''émergentisme', la volonté de 's'affirmer' (affirmer le caractère national de la production) face aux 'grands' impérialistes de ce monde, est leur unique dénominateur commun.

    La question de ces régimes et de ces idéologies a traversé (et souvent déchiré) le mouvement communiste tout au long de la seconde moitié du siècle dernier, et jusqu’à nos jours (à l’exception de l’islam politique sunnite, lié aux pétrodollars du Golfe, qui fait généralement l’unanimité contre lui - alors qu'il n'est pas forcément plus réactionnaire et sabre-peuple que certains régimes 'laïcs'). Pour certains, ils sont ‘anti-impérialistes’ et (au moins objectivement) ‘progressiste’ – les courants révisionnistes de type brejnéviens, tels que le PC syrien ou les PC du Venezuela, de Bolivie ou d’Équateur, allant jusqu’à se placer sous leur direction au nom de cela. Pour d’autres, leur caractère de mobilisation de masse derrière la bourgeoisie, sur une ligne nationaliste (ou religieuse) et ‘populiste’, en fait clairement des fascismes… Mais leur ‘rébellion’ vis-à-vis de l’impérialisme (même s’ils ne peuvent, comme régimes et idéologies bourgeoises, s’extraire sérieusement du système impérialiste mondial), le fait qu’ils ne soient pas l’émanation directe d’une fraction ‘dure’ d’une bourgeoisie impérialiste donnée, interroge cette définition ; même si d’un autre côté, dans certains cas (Iran, Syrie etc.) leur répression des forces communistes et authentiquement progressistes, et des aspirations démocratiques des masses populaires en général, peut au contraire pencher en ce sens. La vérité la plus probable est qu’ils sont, sur ‘’l’échiquier’’ de la révolution mondiale, des ‘’pions gris’’ qui peuvent, au gré des circonstances concrètes, être objectivement contre l’impérialisme et donc du côté de la révolution mondiale, ou (en écrasant les revendications populaires démocratiques) son farouche adversaire. La position de SLP serait finalement que chacun de ces régimes (et de ces forces lorsqu’elles ne sont pas au pouvoir) doit être analysé et jugé au cas par cas, en fonction de son attitude envers les masses populaires (le camp du peuple est notre camp) et le mouvement communiste/progressiste (internationalisme prolétarien).

    -         De leur côté, les pays impérialistes actuels se divisent en deux groupes : les ‘déclinants’ (la ‘triade’ Amérique du Nord - Europe de l’Ouest - Japon) et les ‘émergents’ que sont la Russie et la Chine. Dans les premiers, avec la nouvelle crise générale qui sévit depuis les années 1970, on observe un ‘glissement réactionnaire général’ affectant tout le spectre politique bourgeois, depuis la social-démocratie de plus en plus ‘gestionnaire’ jusqu’au libéral-conservatisme de plus en plus ‘décomplexé’, avec la liquidation progressive de toutes les conquêtes sociales obtenues par les masses entre les années 1930 et 1970 (favorisée par la faiblesse et la veulerie du mouvement syndical et des forces réformistes et révisionnistes), le recul des conquêtes démocratiques pour aller vers un encadrement policier croissant des masses populaires, et la montée en puissance de forces d’extrême-droite ‘populistes’ qui s’installent durablement dans le paysage politique. C’est le phénomène que les PC maoïstes de France et d’Italie définissent comme ‘fascisme moderne’. Chez les seconds, l’affirmation sur la scène mondiale se fait sous la direction de régimes autoritaires, ‘verticalistes’, mobilisant les masses sur un fort nationalisme antioccidental et une accession progressive à la ‘petite prospérité’ (pour reprendre le terme chinois), c’est-à-dire la constitution d’une ‘classe moyenne’, permise par une croissance économique (malgré la crise) forte (prévisionnel 2012 : Russie 5,7%, Chine 7,5 à 8%) ; mais pratiquant également une forte répression policière contre toute ‘dissidence’. Ils appuient des régimes aussi ‘sympathiques’ que la junte de Birmanie, la dynastie ‘communiste’ de Corée du Nord, l’Iran des mollahs, la Syrie d’Assad, la Libye de Kadhafi etc. Les autres ‘émergents’, qui ne sont pas des pays impérialistes (Inde, Brésil, Afrique du Sud), mettent largement en avant les formes de la démocratie bourgeoisie, ce qui ne les empêche pas, ‘sur le terrain’, de pratiquer une violente répression contre-révolutionnaire et antipopulaire (comme le montrent l’opération Green Hunt contre les maoïstes en Inde, la répression des paysans sans terre ou les opération militaires ‘anti-criminalité’ dans les favelas au Brésil, ou le récent massacre de mineurs sud-africains en grève).

    Ce qui ressort de ce ‘panorama’, c’est que dans la caractérisation du fascisme, les communistes, évitant l’écueil du schématisme dénoncé par Dimitrov, doivent en quelque sorte ‘doser’ correctement leur analyse de tel ou tel régime bourgeois : la mobilisation de masse, certes, dans des structures contrôlées par la bourgeoisie, mais sans aller jusqu’à oublier complètement l’aspect répressif terroriste et systématique, et confondre ainsi des social-démocrates ou des ‘tribuns’ réformistes bourgeois avec le fascisme ; et la violence répressive ouverte, la négation de toutes les formes ‘démocratiques’ libérales bourgeoises, mais sans oublier l’aspect mobilisateur de masse et ‘moderniste’ qui distingue le fascisme de la dictature réactionnaire ‘classique’. Il faut tenir compte du lien avec les monopoles d’une (ou d’un cartel de) puissance(s) impérialiste(s), sans réduire celles-ci aux seules puissances de la ‘triade’ occidentale (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et Japon, en ignorant la Russie et la Chine), et sans oublier non plus que des régimes ‘anti-impérialistes’ (‘émergentistes’) peuvent aussi être brutalement réactionnaires – comme suffit à le montrer l’exemple syrien… 

    Si l’on en revient au cadre politique dans lequel nous luttons, celui de la construction politico-militaire bourgeoise nommée ‘République française’, en quels termes se pose la question ?

    img 161211Si par ‘fascisme’ l’on entend exclusivement les courants mettant en avant un programme ‘social’, ‘populaire’ voire ‘révolutionnaire’ de restructuration en profondeur du capitalisme et de l’organisation sociale hexagonale, dans un esprit d’"insurrection du capitalisme contre sa propre crise" ; alors, il faut le dire, nous n’avons affaire qu’à des courants relativement marginaux : l’Œuvre française/Jeunesse nationaliste ouvertement nostalgique du régime de Vichy (finalement héritière du francisme, cf. plus bas) ; le Front populaire solidariste de Serge Ayoub ; le Parti solidaire français de Thomas Werlet (qui se revendique ouvertement de l'héritage du PPF, cf. plus bas idem) ou encore les ‘nationalistes révolutionnaires’ de Christian Bouchet, évoluant au sein du FN (mais là, attention : il y a l’aspect ‘lobby russe’, qui veut placer l’impérialisme BBR dans l'orbite d'une ‘Eurasie’ dominée par la Russie ; comme il y a des ‘néocons’ - Droite libre - ou une droite ‘ultra’ occidentaliste - des gens comme Guy Millières - qui militent pour un ‘ancrage atlantique’ inébranlable de l’impérialisme français). Sachant que mettre en avant tel ou tel alignement géopolitique n’est pas en soi synonyme d’une telle ‘révolution’/restructuration, pas plus que de prôner le ‘bon vieux’ protectionnisme comme le fait le FN (et quelques courants néo-gaullistes ‘souverainistes de droite’) – quant à la ‘relocalisation’ de la production prônée parfois, par les Identitaires notamment, elle devra très certainement être abandonnée une fois au pouvoir : même en passant littéralement au pilon le Code du Travail, on voit bloc identitaire Europeens et fiers de l etremal ce qui pousserait des capitalistes à exploiter la force de travail en Hexagone, plutôt que dans des pays où elle ne coûte que quelques euros par jour, pour des journées de 10 à 12 heures, corvéable et jetable à merci, etc.

    Pour le reste, y compris la grande majorité du FN et de ses ‘dissidences’ d’extrême-droite récemment regroupées dans l’Union de la Droite nationale, et même pour les Identitaires, il conviendrait plus de parler de ‘DROITE RADICALE’, assumant l’accentuation plus ou moins progressive et radicale de la répression et de l’exploitation bourgeoise sur les masses populaires. Une caractérisation dans laquelle il n’y aurait, alors, aucun problème à inclure l’aile droite de l’UMP (notamment la Droite populaire) et ses satellites (MPF, CPNT), les ‘souverainistes de droite’ divers (qu’ils soient issus du gaullisme ou anti-européens sur une ligne occidentalo-atlantiste), les 'électrons libres' comme Eric Zemmour, Richard Millet ou le 'conseiller du prince' Patrick Buisson, etc. Les divergences apparaissant, finalement, secondaires : le FN assume plus la répression des masses populaires et la limitation des ‘libertés publiques’ et moins la destruction des concessions sociales arrachées par les travailleurs au long du 20e siècle (ceci amenant un euroscepticisme de type gaulliste ‘social’) ; tandis que l’UMP (sans être ‘laxiste’ sur le plan répressif !), assume plutôt l’inverse ; alignement géopolitique plus ‘euro-atlantiste’ de l’UMP et plus ‘eurasiste’ du FN, etc. Ou alors, il faut être cohérent-e-s et inclure TOUT sous la dénomination de 'fascisme' ou, en tout cas, de composante de la montée du fascisme en cours.

    croix de feuEt il en allait exactement de même dans les années 1930. Pour René Rémond, historien ‘officiel’ des Trente Glorieuses, il n’a même jamais existé, à proprement parler, de fascisme français, seuls des courants marginaux se réclamant ouvertement du fascisme italien (et pratiquement aucun, ouvertement, du nazisme allemand), et le principal parti de masse à la ‘droite de la droite’, les Croix-de-Feu/Parti social français du colonel De La Rocque, étant selon lui ‘trop conservateur’ et ‘pas assez hostile au régime parlementaire’… Un ‘travail de commande’ qui s’explique aisément dans son contexte historique ; puisqu’après-guerre, le programme politique, économique et social des Croix-de-Feu fut essentiellement repris… par le GAULLISME, notamment dans le programme du RPF (1947-55) – dont Rémond admettra, du bout des lèvres, qu’il était ‘’le moins éloigné de ce que l’on avait pris en France l’habitude de désigner comme le fascisme’’... – et dans celui du ‘coup d’État’ de 1958 qui verra la mise en place de la Ve République (si l’on ne peut pas parler, pour la France gaullo-pompidolienne de 1958-74, de fascisme, c’est uniquement parce que le contexte de prospérité économique et de mouvement ouvrier ‘contrôlé’ par le révisionnisme PCF-CGT ne s’y prêtait pas).

    Il est clair que, si l’on entend le fascisme exclusivement comme programme ‘social’, ‘populaire’ voire ‘révolutionnaire’ de restructuration profonde du capitalisme contre sa propre crise, pratiquement personne dans les années 1930 ne se réclamait du nazisme allemand et seuls des courants très minoritaires se réclamaient du fascisme italien : le Faisceau (1925-28)[2], le PPF de Doriot (1936-44)[3] ou encore le Francisme (1933-44)[4]. De plus, dans cette acception du terme et contrairement à la thèse de Rémond, les Croix-de-Feu étaient beaucoup plus ‘fascistes’ que l’Action française (avant tout ultra-conservatrice, traditionaliste) ou les formations successives de Pierre Taittinger (Jeunesses patriotes 1924-35, Parti républicain national et social ensuite), pour lesquelles on peut également et avant tout parler de ‘droite radicale’.

    Et puis, étudier et comprendre le seul régime à caractéristiques fascistes qu’ait à ce jour connu l'Hexagone, la Révolution nationale de Pétain (dans des conditions très particulières d’occupation étrangère, d’indépendance limitée puis proche de zéro à partir de l’automne 1942), c’est ne pas pouvoir ignorer le rôle de la Fédération républicaine (équivalent de l’époque… de notre UMP) tout au long des deux décennies qui précèdent : parti/groupe parlementaire de la bourgeoisie républicaine conservatrice et des ‘ralliés’ (bonapartistes, orléanistes, catholiques) au ‘compromis républicain’, connaissant après la Première Guerre mondiale (face à l’émergence du mouvement communiste) une évolution de plus en plus ultra-réactionnaire, et dont seront issus des cadres de premier ordre de la ‘Révolution nationale’ et de la collaboration, tels que Xavier Vallat (maître d’œuvre de la politique antijuive entre 1940 et 1942, connu aussi – entre parenthèses – pour ses fameux ‘’Mes raisons d’être sioniste’’ et ‘’Vive Israël, mort aux youpins !’’ lors de la Guerre des Six-Jours en 1967), ou encore Philippe Henriot, figure de la Milice et ‘’Goebbels français’’ de la propagande collabo… Taittinger, autre ‘’chef d’orchestre’’ de l’extrême-droite http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/1e/Pierre_Taittinger.jpg/450px-Pierre_Taittinger.jpgdes années 30, siégeait également – en tant que député – dans le groupe de la FR, dont les Jeunesses patriotes assuraient le service d’ordre. Ce personnage avait d’ailleurs la caractéristique – expliquant, peut-être, son rôle ‘central’ dans la ‘fascisation’ de l’époque – d’être à la croisée des deux ‘traditions’ réactionnaires françaises : bonapartiste de conviction (président de l’Union de la Jeunesse bonapartiste de la Seine) mais également lié à la droite nationale-catholique des notables de ‘province’, parisien (né et mort à Paris) mais ‘provincial’ (mosellan) d’origine, élu député et conseiller municipal de Paris mais aussi maire d’une petite commune de Charente, fondateur à Reims de la marque de champagne portant son nom, ‘un pied’ dans la capitale et ‘un pied’ dans le ‘terroir’…

    En résumé, si l’on part de l’affirmation que ‘’nous sommes au seuil des années 1930’’, l’on peut constater – il est vrai – un certain nombre de parallèle et de ‘troublantes’ similitudes politiques :

    - http://medias.lepost.fr/ill/2011/09/05/h-4-2583035-1315235906.jpgl’UMP, avec ses tendances modérées, ‘humanistes et sociales’, ou ‘dures’, ‘reagano-thatchériennes’, conservatrices autoritaires, rappelle fortement la Fédération républicaine. Les Jeunesses patriotes de Taittinger assuraient, dans la seconde moitié des années 1920, le ‘service d’ordre’ de la FR ; l’UMP d’aujourd’hui peut compter dans les facs (contre les mouvements sociaux et les ‘gauchistes’) sur les gros bras de l’UNI et des diverses ‘corpos’ étudiantes (de Médecine et de Droit, surtout), électeurs du parti mais globalement beaucoup plus à droite que les ‘vieux’, et entretenant parfois des liens ouverts avec les groupes fascistes/fascisants (FNJ, Jeunesses identitaires, GUD etc.).

    - la droite modérée (Modem, Nouveau Centre, Alliance centriste, villepinistes, radicaux de Borloo) se retrouve globalement assez bien dans l’Alliance démocratique, ou la droite libérale hostile au fascisme d’un Georges Mandel [dernière minute : la plupart de ces courants, à l’exception du Modem de Bayrou et des villepinistes, viennent de s’unir dans l’Union des Démocrates indépendants (UDI), ce qui devrait logiquement accélérer la droitisation de l’UMP] ;

    - le PS, parti de la gauche bourgeoise (ultra) modérée, de pure gestion ‘sociale’ du capitalisme et ‘universaliste/droits-de-l’hommiste’ des intérêts de l’impérialisme BBR, rappelle fortement le Parti républicain radical et radical-socialiste de l’époque ;

    -  le Front de Gauche rappelle la SFIO (bien que beaucoup moins important que celle-ci en 1930, beaucoup plus proche de son importance avant 1914) ; la ‘gauche radicale’ NPA ou LO évoque les courants à la gauche de celle-ci (notamment les pivertistes du PSOP, les socialistes/syndicalistes révolutionnaires etc.) ;

    -  marinelepen alatribunele Front national/Rassemblement Bleu Marine trouve clairement son équivalent dans les Croix-de-Feu/PSF ; pour le coup, son importance est proche de celle de ces derniers juste avant la guerre (en tant que PSF, 1936-40) ;

    -  le reste de l’extrême-droite fasciste/fascisante, de la ‘droite radicale’ des années 1930 retrouve aussi son équivalent dans l’extrême-droite ‘extra-FN’ d’aujourd’hui, essentiellement l’Union de la Droite nationale regroupant divers scissionnistes (MNR de 1999, Parti de la France et Nouvelle Droite Populaire de 2008-2009), exclus (Œuvre française/Jeunesses nationalistes, Terre et Peuple) et ‘recalés’ ('solidaristes' de Serge Ayoub, Renouveau français) du Front national ; et la mouvance du Bloc identitaire (souvent rejeté par les autres pour sa quête de 'respectabilité', accusé de se 'vendre au système' et à l'UMP). On y retrouve aussi bien des courants catholiques traditionalistes (Renouveau français ou 'réseaux' de Bernard Antony - un temps proche du PdF, mais s'en est éloigné, hostile à l'alliance avec la NDP où milite le néo-païen Vial) et ‘mille terroirs’/'socialistes féodaux' (identitaires) qui font penser à l’Action française (le royalisme en moins), que des courants très proches de la définition ‘étroite’ du fascisme (Œuvre française/Jeunesses nationalistes) et des courants ‘populaires et sociaux’ rappelant le PPF de Doriot (Troisième Voie/Front populaire solidariste, qui entretient également des liens avec Égalité et Réconciliation d’Alain Soral, les nationalistes-révolutionnaires de Christian Bouchet, etc.). Ces courants sont unis dans une hostilité au FN/RBM de Marine Le Pen (jugé trop ‘complaisant’ et ‘respectable avec le système’), qui n’est pas sans rappeler celle de l’extrême-droite des années 1930, regroupée dans le ‘’Front de la Liberté’’, vis-à-vis des Croix-de-Feu (pour des raisons assez similaires). A l’époque, la Fédération républicaine appuyait ce Front pour affaiblir les Croix-de-Feu ; et c’est généralement l’accusation (d’être ‘pilotés par l’UMP’) que le FN adresse aux ‘dissidents’ (Identitaires ou UDN) d’extrême-droite actuels…

    -  une différence ESSENTIELLE, c’est qu’il existe aujourd’hui une ‘gauche révolutionnaire’, un mouvement communiste au sens large (personnes rejetant le capitalisme et souhaitant une société socialiste, ou directement communiste), mais totalement atomisée, prisonnière de mille petits sectarismes (de 'cour de récré') ou prise dans la force d’attraction de la social-démocratie ‘radicale’ électoraliste (Front de Gauche, NPA, LO) ; et il n’y a pas, comme ‘au seuil des années 30’, un grand PARTI COMMUNISTE pour diriger et être le centre d’agrégation de toutes les forces révolutionnaires, anticapitalistes et antifascistes. L’ensemble de ces forces anticapitalistes et antifascistes est même quantitativement très inférieur au seul PCF (sans compter le reste : anarchistes, marxistes dissidents et socialistes révolutionnaires de la frange extrême-gauche de la SFIO) de 1930 ou 1935. Cela, alors même que le FN et l’extrême-droite en général ont largement atteint, voire dépassé, le niveau de leurs prédécesseurs de 1936-40… 

    Dans cette configuration, la 'formule' de mise en place du 'fascisme à la française' semble être la suivante :
    - une 'radicalisation' réactionnaire, sous la pression de la crise générale capitaliste et de la montée de la contestation et des explosions populaires, de la 'droite de la droite' bourgeoise ; mouvement dans lequel sont également entraînés des éléments de la social-démocratie (comme aujourd'hui un Manuel Valls) voire des 'communistes' révisionnistes particulièrement social-républicains (comme André Gerin) ;
    - émergence d'un grand parti 'césariste' réactionnaire (avec un discours ‘populaire’ et 'social') de masse (Croix-de-Feu, aujourd'hui FN) ;
    - ‘à l'ombre’ de ceci, un pullulement et un développement de courants 'ultras', fascistes 'révolutionnaires' à la Ayoub ou puisant dans la tradition national-catholique hexagonale (comme l’essentiel de l’UDN), avec parfois un côté 'socialisme féodal' (comme les Identitaires avec leur ‘relocalisation’, leurs thèmes ‘décroissants’ et écologistes ‘paysagistes’) ;
    - impuissance et errements de la gauche réformiste bourgeoise, toujours face à la crise générale (échec des expériences de 1924-26, 1932-34 et même Front populaire de 1936, qui cède le pouvoir en 1938 à Daladier ; fiasco chaque fois plus grand des quinquennats PS depuis 1981).

    - faiblesse et emprise réformiste, économiste, sur le mouvement ouvrier organisé, erreurs et opportunisme du mouvement communiste.

    http://img.over-blog.com/600x434/1/35/08/38//affiche-r-vachert-revolution-nationale.jpgL’État français semble être une terre de fascisme s'installant 'à pas feutré', en préservant les 'formes', à coup de 'petites phrases', seuls des courants marginaux (et non-unifiés) faisant beaucoup de ‘bruit’ (comme les Identitaires, spécialistes du 'buzz' médiatique 'métapolitique', avec leur récente action à Poitiers, pour 'l'anniversaire' de la victoire de Charles Martel sur les 'Sarrasins')... Ceci, jusqu'à ce qu'une 'catastrophe nationale' amène tout-un-chacun à tomber les masques, et à choisir son camp (il peut alors y avoir des surprises : ainsi, un Pierre Laval n'était pas spécialement à la 'droite de la droite' avant-guerre ; il était un Président du Conseil de centre-droit, pour finir en 1942-44 chef de gouvernement de la collaboration ultra).

    La (grande) inconnue étant quel sera cet évènement ‘majeur’, ce ‘séisme politique’ qui sera le ‘catalyseur’ du saut qualitatif de la dictature bourgeoise vers la dictature réactionnaire terroriste ouverte. Une invasion et occupation étrangère, comme en 1940, paraissant aujourd’hui hautement improbable… Crise économique et sociale comme en Grèce, rendant le pays ingouvernable par les voies démocratiques bourgeoises ‘traditionnelles’, sans toutefois de véritable mouvement communiste fort et organisé présentant une alternative révolutionnaire ? Vague d’attentats ‘islamistes’ faisant des centaines voire des milliers de victimes ? On ne peut que se perdre en spéculations…

    En attendant, le ‘fascisme moderne’ dont parle le PCmF fait penser à l’ambiance militaro-chauvine, colonialiste (hier au nom de la ‘civilisation’ contre la ‘barbarie’, aujourd’hui au nom des ‘droits de l’homme’ et contre le ‘terrorisme’), policière, antipopulaire et contre-révolutionnaire qui régnait dans les premières décennies du 20e siècle (‘ambiance’ évidemment renforcée, après 1918, par l’émergence de l’URSS et de l’Internationale communiste, dont nous n’avons pas l’équivalent aujourd’hui). À la différence, peut-être… que c’était alors une époque de progrès et de concessions sociales, alors que notre époque est celle du ‘grapillage’ par la bourgeoisie de tout ce qu’elle a dû accorder depuis 1945. 

    Finalement, en conclusion, si l’on essayait d’établir les ‘lignées généalogiques’ de la ‘droite radicale’ BBR, qu’obtiendrait-on ?

    1°/ Une lignée bonapartisme (du 19e siècle) – boulangisme – Croix-de-Feu – gaullisme (RPF, UNR/SAC, puis RPR de Chirac à ses débuts) ; dont le FN tend depuis les années 1990 à se poser en continuateur (avec un certain nombre de ‘souverainistes de droite’ dont certains (Paul-Marie Coûteaux) sont pris dans son champ de gravitation) ; c’est finalement le ‘bonapartisme’ de René Rémond ;

    2°/ Une lignée Adolphe Thiers – Fédération républicaine – CNIP – ‘droite décomplexée’ actuelle (Sarkozy-Copé) en passant par le sinistre Parti républicain (1977-97), matrice du "thatchérisme à la française" ; qui est finalement l’orléanisme de Rémond (sachant qu’il existe une ‘aile gauche’ de cet orléanisme, des gens comme Mandel hier et aujourd’hui les ‘dissidents’ du sarkozysme à la Bayrou/Modem (plutôt démocrate-chrétien, à vrai dire) ou (surtout) Borloo/UDI ou Fillon et ses partisans, hostiles à la ‘dérive droitière’ des ‘décomplexés) ;

    3°/ En version ‘radicale’ de cette dernière, une lignée Maurras/Action française – ‘extrême-droite Taittinger’ des années 1920-30 – ‘Révolution nationale’ – ‘Algérie française’ et qui se retrouve aujourd’hui dans la mouvance du MPF (De Villiers) et de CPNT, du Bloc identitaire, de l’UDN, des ‘réseaux’ d’un Jacques Bompard ou d’un Daniel Simonpieri (‘notables’ provençaux d’extrême-droite) ; c’est peu ou prou le ‘légitimisme’ de Rémond (même si le terme est erroné : l'Action française était dynastiquement orléaniste, pour la restauration du comte de Paris) ;

    4°/ Enfin il y a le courant ‘national et social’, partant du ‘fricotage’ de Georges Valois avec l’Action française dans les années 1910 (‘Cercle Proudhon’) et passant par le PPF de Doriot et le nationalisme-révolutionnaire des années 1960-90 pour aboutir aujourd’hui dans le ‘solidarisme’ de Serge Ayoub, la ‘mouvance’ Dieudonné-Soral, le Parti solidaire de Werlet ou les ‘NR’ de Christian Bouchet (ayant parfois fusionné avec le "tiers-mondisme" - notamment très pro-arabe - d'un certain post-nazisme dès les années 1950, autour du banquier François Genoud et de quelques autres). Ceux-ci étaient les seuls ‘véritables’ fascistes selon la mouvance 'antifasciste' qui s’était constituée autour du ‘p’’c’’mlm’...

    On peut aussi souligner la persistance du vieux clivage entre "parti catholique" et "parti maçonnique/libre-penseur/laïc", qui s'est longtemps confondu avec le clivage droite/gauche au sein de la bourgeoisie mais cela n'est plus aussi évident aujourd'hui (et depuis au moins 70 ans) : les loges maçonniques classées à droite (GLF, GLNF) ont gagné en hégémonie et le Grand Orient lui-même n'est plus aussi facilement classable à gauche qu'autrefois (voir l'exemple de l'idéologue 'sécuritaire' Alain Bauer) ; on trouve aujourd'hui très certainement des francs-maçons au FN voire dans les 'droites nationales' à sa droite (UDN) tandis que se sont largement développés la démocratie-chrétienne et les 'cathos de gauche' dans la lignée de Lamennais et Victor Hugo jusqu'au sommet du PS, comptant rien de moins que l'actuel Premier ministre Jean-Marc Ayrault... Le clivage, néanmoins, garde encore parfois un aspect structurant : ainsi à Lyon, 'capitale de la province' et accessoirement capitale religieuse des 'Gaules', la bourgeoisie reste historiquement et structurellement partagée entre un 'clan catholique', allant de démocrates-chrétiens sociaux-libéraux au sein du PS (et d'une importante section du Modem) jusqu'aux ultra-conservateurs autour de Charles Millon ("Droite libérale chrétienne") et aux national-catholiques autour de Bruno Gollnisch, et un 'clan radical' franc-maçon qui a dirigé la ville de 1905 à 1957 avec Édouard Herriot et va là encore aujourd'hui de l'entourage du maire PS Gérard Collomb jusqu'à des membres (sans doute) du FN en passant par la droite 'républicaine', notamment la grosse section radicale 'valoisienne'. On le retrouve également au sein des forces armées du Capital : il est de notoriété publique que les officines catholiques (allant là encore de la démocratie chrétienne au national-catholicisme ultra façon Civitas/ICHTUS) sont très présentes dans l'institution militaire... tandis que tout cadre de la Police nationale qui se respecte a ses entrées dans une loge maçonnique. Il existe aussi historiquement une tendance 'entre-deux' (souvent liée aux loges maçonniques de droite), rejetant l'hégémonie intellectuelle totale de l'Église sur la société mais prête à l'utiliser (pragmatiquement) pour l'encadrement des masses et les 'bonnes valeurs', avec des personnages non moins importants qu'Adolphe Thiers ("Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui lui dit au contraire : jouis") ou Louis-Napoléon Bonaparte (se retrouvant donc dans leurs héritages politiques respectifs).

    La ‘gauche’ bourgeoise étant, elle, partagée entre ses deux traditions ‘historiques’ girondine (allant des sociaux-libéraux à la Strauss-Kahn aux libéraux-libertaires à la Cohn-Bendit) et jacobine (plus étatiste-dirigiste, ‘verticaliste’, ‘républicaine’, souvent eurosceptique : Montebourg, Emmanuelli etc.). L’une et l’autre étant toujours plus tirées vers la droite, soit sur la ligne de la ‘loi du marché’, de la ‘compétitivité’ dans une ‘économie mondialisée’ etc. (girondins), soit sur celle des ‘valeurs républicaines’, de la ‘laïcité’ et compagnie (jacobins)...

    Enfin, on l’a dit, le mouvement communiste et le mouvement révolutionnaire anticapitaliste au sens large en sont, pour ainsi dire, à leur niveau idéologique et de structuration d’avant 1914, alors que le fascisme au sens large (fascisme ‘révolutionnaire’ et ‘droite radicale’) est à son niveau des années 1930…


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    [1] Voici ce qu’en disait Dimitrov en 1935 : Nous en avons des exemples tels ceux de la Bulgarie, de la Yougoslavie, de la Finlande, où le fascisme, tout en manquant de base large, n'en est pas moins arrivé au pouvoir en s'appuyant sur les forces armées de l'Etat, et où il a cherché ensuite à élargir sa base en se servant de l'appareil d'Etat.

    [2] Il s’agissait d’un mouvement monté de toute pièce par le grand-bourgeois (parfumeur) François Coty, cherchant à ‘plaquer’ artificiellement le modèle fasciste italien sur la réalité français, jusque dans le leader ‘venu de la gauche’ : Coty ‘dégotta’ ainsi un représentant de l’aile droite du syndicalisme révolutionnaire, Georges Valois, qui avait dans les années 1910 ‘fricotté’ avec l’Action française pour un programme antiparlementaire ‘national et social’. Mais ce plaquage artificiel se révéla rapidement impossible, n’accrocha’ pas les couches populaires et se désintégra en à peine plus de deux ans, sous le poids de ses contradictions (entre la grande bourgeoisie anticommuniste et anti-réformiste de Coty et le social-réformisme ‘radical’ sincère de Valois, entre le programme ‘révolutionnaire’ initial du fascisme italien qu’admirait Valois et sa réalité réactionnaire - et économiquement très libérale - de 1926-27, etc.). Valois (avec la plupart des cadres issus du syndicalisme révolutionnaire) revint vers la gauche ; il ne fut jamais réintégré par la SFIO mais entra en résistance dès 1940 et mourut déporté à Bergen-Belsen. Dans la seconde moitié des années 1920, la principale formation paramilitaire ultra-réactionnaire/fascisante qu’affrontait le jeune Parti communiste était les Jeunesses patriotes de Taittinger.

    [3] Formé quant à lui avec le financement du banquier Gabriel Le Roy Ladurie et dirigé par l’ancien cadre communiste et maire de Saint-Denis Jacques Doriot, exclu en 1934. Doriot était un personnage dévoré d’ambitions personnelles - devenues insupportables au sein du Parti - et qui, après son exclusion, poursuivit alors une quête de revanche personnelle contre celui-ci, laquelle se concrétisa lors de sa rencontre avec Le Roy Ladurie. Le PPF se voulait à l’origine un parti ‘populaire’ et ‘de gauche’ concurrent du PC, mais évolua rapidement (dès 1937) vers des positions fascistes ultras et sera sous l’Occupation le mouvement le plus farouchement collaborationniste et pro-nazi.

    [4] Troisième plus important mouvement impliqué dans la collaboration en 1940-44. Le deuxième plus important (après le PPF) et ‘troisième larron’ fasciste ‘venu de la gauche’ était le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, ‘néo-socialiste’ (aile ultra-droite de la SFIO) dont le ‘profil politique’, au ‘seuil des années 30’, évoque celui d’un Éric Besson ou d’un Manuel Valls aujourd'hui (pour une gauche ‘moderne’, rompant avec le ‘marxisme archaïque’ etc. etc.)

     

     


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  • L'Amérique latine, depuis le Rio Grande jusqu'à la Terre de Feu en passant par la mer des Caraïbes, les Andes majestueuses et l'Amazonie verte émeraude, est d'une grande signification pour l'"imaginaire collectif" révolutionnaire mondial. Ses guérilleros barbus arpentant la sierra avec leur cigare, leurs munitions en sautoir et leurs sombreros qui leur donnent une dimension solaire, dégagent un puissant romantisme au sens progressiste du terme : un romantisme qui mobilise les masses de la planète vers leur émancipation. Figure solaire, messianique entre toutes, est bien sûr la célèbre image - devrait-on dire l'icône - du "Che" Guevara, devenue un symbole mondial de ralliement révolutionnaire et progressiste ; que l'on retrouve en Azanie comme en Palestine, au Sénégal comme en Indonésie, comme bien sûr en Occident - même si souvent détourné, par le capitalisme, en phénomène de mode bobo.

    Il faut dire que ce continent se trouve particulièrement AU CŒUR de toutes les contradictions du monde impérialiste : contradictions entre travailleurs exploités et capitalistes exploiteurs ; entre peuples gémissant dans la misère, condamnés à la fuite migratoire, et "maîtres du monde" des grandes puissances et des "multinationales" du "Nord" ; entre bourgeoisies nationales tentant de s'affirmer et ces mêmes "maîtres du monde" ; et aussi, de manière particulièrement forte, entre capitalisme pourrissant et écosystème planétaire.  

    Il faut se souvenir, aussi, que c'est essentiellement sur le dos des Amériques, les "Indes occidentales", que s'est accomplie entre la fin du 15e et le début du 19e siècle la GRANDE ACCUMULATION CAPITALISTE européenne, qui devait déboucher sur l'ère industrielle ; une accumulation dans les crimes effroyables de l'asservissement et du génocide des indigènes, de la déportation et de l'esclavage des Africain-e-s.

    Mais cette grande tragédie a aussi engendré, dans le mariage des cultures ibériques, indigènes et africaines, un ensemble de nations-sœurs qui, depuis maintenant plus de deux siècles, lèvent le drapeau de leur libération.

    Cette grande signification révolutionnaire n'a cependant pas été de tout temps : elle remonte, en réalité, à une cinquantaine d'années - en fait, à la Révolution cubaine. Longtemps, du temps du Komintern et de Staline, le continent latino-américain ne fut pas particulièrement au centre des préoccupations du mouvement communiste international, qui n'avait pas de véritable stratégie révolutionnaire le concernant. À la conférence de Bakou, en 1920, lorsque l'Internationale communiste de Zinoviev appelait au soulèvement des peuples d'Orient, d'Asie et d'Afrique, il n'était même pas évoqué. Au Congrès anti-impérialiste de Bruxelles (1927), seul Victor Raúl Haya de la Torre (fondateur et leader de l'APRA) le représentait, alors qu'il y avait déjà des Partis communistes dans beaucoup de pays, Mariátegui au Pérou etc. Marx et Engels, avant cela, avaient tendance à vouer le plus grand mépris à ce continent "paresseux" et à ses baroques caudillos (comme Bolívar), alors même que se jouaient pourtant des évènements essentiels pour l'avenir de l'humanité : le passage de l'hémisphère occidental, à peine débarrassé de la Couronne espagnole (et portugaise), sous la coupe de l'Empire britannique et d'une autre puissance montante, appelée à une "destinée manifeste" terrible pour les peuples de l'humanité : les États-Unis.

    Pourtant, comme le rappellent très justement les écrits de Mariátegui, la résistance des masses populaires n'a jamais cessé ; tant en elle-même (révoltes populaires, paysannes, indigènes) qu'en se liant à des mouvements bourgeois qui, pour une raison ou une autre, s'appuyaient sur les masses pour atteindre leurs buts (à commencer, bien sûr, par les mouvements d'indépendance de 1810-30, ou de 1868-98 à Cuba et Puerto Rico) ou encore en résistant à des invasions étrangères (Argentine et Uruguay par la Grande-Bretagne en 1806-1807, Mexique en 1846-47 ou encore Nicaragua 1909-1933, Saint-Domingue 1916-1924 et Haïti 1915-34 par les États-Unis, Paraguay par la "Triple Alliance" en 1865-70, Pérou et Bolivie par le Chili en 1879-83 etc. etc.) - ces agressions étant, sinon directes, du moins pilotées par une puissance impériale.

    Ce panorama historique, succinct, vise à permettre aux révolutionnaires francophones de s'approprier les données essentielles sur la question.

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    Nous ferons volontairement commencer ce panorama historique au début de ce que nous appellerons l’époque "contemporaine", en lien direct avec la situation de nos jours : la première moitié du 19e siècle, qui voit l’essentiel des pays s’affranchir des Couronnes espagnole et portugaise – ainsi que de la France, pour Haïti ; dans ce qui représente typiquement une révolution bourgeoise avortée, comme en Europe méditerranéenne.

    Lorsqu’à la fin du 15e siècle, les Européens abordèrent les côtes de l’Amérique, celle-ci était peuplée pour l’essentiel de personnes vivant en communauté primitive : société peu différenciée en classes stables, au mode de production essentiellement chasseur-cueilleur agrémenté d’un peu d’agriculture vivrière et, éventuellement, de la domestication de quelques espèces (comme le dindon). Seules deux régions, la Mésoamérique (sud du Mexique, Guatemala, Belize) et la cordillère des Andes, avaient accédé à un stade de développement supérieur : un mode de production dit ‘‘asiatique’’, comme en Égypte ou en Mésopotamie dans la Haute-Antiquité ; c'est-à-dire qu’une population dominante, avec une caste aristocratique (à la fois chefs politiques, militaires et religieux) s’était greffée sur les communautés primitives d’une large région géographique (qui continuaient à produire de manière relativement collectiviste) et prélevait un tribut annuel sur ces communautés. Ces sociétés avaient atteint un degré technique, scientifique, artistique et architectural etc. très avancé, surprenant les premiers arrivants européens ; toutefois, leur organisation sociale et leur technique militaire ne leur permirent pas de résister plus de quelques années à quelques centaines de conquérants espagnols. Des civilisations du même type – légèrement moins avancées – semblent avoir également existé en Amérique du Nord, dans la région des fleuves Mississipi et Ohio ainsi qu’en Arizona/Nouveau-Mexique (Anasazis), mais elles se sont éteintes au début du 14e siècle, donc avant l’arrivée des Européens dans ces régions.

    Malgré une résistance qui n’a jamais cessé (cf. Mariátegui), ces populations, entre le régime d’esclavage auquel elles furent soumises, la violence des conquérants et les maladies importées d’Europe – contre lesquelles elles n’étaient pas immunisées, furent décimées : elles disparurent totalement de l’arc caraïbe ; furent pratiquement exterminées (les survivants parqués dans des réserves sous contrôle militaire) en Amérique du Nord ; quelques communautés primitives survécurent dans des zones très reculées de l’Amazonie (où certaines ne furent ‘’découvertes’’ qu’au 20e siècle…) ; tandis qu’en Mésoamérique et dans les Andes, bien que la population fut divisée par 10 voire 20 en moins d’un siècle, elles résistèrent un peu mieux, et forment aujourd’hui le fond ‘’ethnique’’ des masses populaires – bien que l’essentiel soit évidemment métissé : il y a peu d’indigènes ‘’purs’’. Dans la plupart des pays, elles furent peu à peu remplacées par des esclaves importés d’Afrique subsaharienne, ‘’mieux adaptés’’ au dur labeur des exploitations coloniales. La part de la descendance (et de l'influence culturelle) de ces derniers dans la population est inversement proportionnelle à l’ampleur dans laquelle la population originelle fut éradiquée (en Amérique du Nord, les Anglais et les Français, quant à eux, ne cherchèrent jamais vraiment à faire travailler les indigènes, se contentant de les chasser de leurs terres, et ne mirent en œuvre que l’esclavage des Africains).

    L’Amérique dite ‘’latine’’, qui nous intéressera ici, au sud du Rio Grande et du détroit de Floride, a été dans l’ensemble colonisée par les royaumes d’Espagne et du Portugal (Brésil et dans une certaine mesure Uruguay), seul l’arc caraïbe (sauf Cuba, Saint-Domingue et Puerto Rico) et les Guyanes étant partagés entre l'Angleterre, la France et la Hollande (avec quelques îles suédoises – Saint-Barthélemy – et danoises – îles Vierges – jusqu’au 19e siècle). L’Amérique du Nord fut partagée entre les Anglo-saxons et les Français (Québec, Louisiane), mais les territoires français furent annexés par les Anglo-saxons (Grande-Bretagne et USA) entre 1763 et 1803.

    Cette différence s’avèrera essentielle, nous le verrons, pour la suite des évènements historiques jusqu’à nos jours : elle en forme la base matérielle. En effet, la colonisation espagnole et portugaise mit en place un régime seigneurial-esclavagiste extrêmement dur et fondé sur le pillage, l’exploitation forcenée des matières précieuses pour le luxe des aristocraties portugaise et espagnole, sans chercher à mettre en place une économie locale développée ; seule une mince bourgeoisie venant se positionner en intermédiaire entre les grands propriétaires criollos (coloniaux), producteurs de sucre, café, bois précieux, or et autres métaux etc., et la métropole. Les colons étaient, pour l’essentiel, des cadets de famille aristocratique (n’héritant pas d’une terre en Espagne ou au Portugal, ils allaient donc s’en "tailler" une outre-Atlantique). Au contraire, l’Amérique du Nord britannique fut colonisée par des bourgeois, de religion et idéologie protestante, capitaliste conquérante ; persécutés à l’origine en métropole – l’Angleterre eut des monarques 'catholicisants' de 1625 à 1649 et de 1660 à 1689 – ils réduisirent au maximum les liens avec celle-ci et mirent en valeur les territoires colonisés dans un esprit capitaliste, moderniste ; ce qui, au terme du processus historique, donnera naissance à deux grands États impérialistes : les États-Unis d’Amérique (USA) et le Canada. Les territoires colonisés par la France connurent une situation intermédiaire.

    Au début du 19e siècle, la monarchie espagnole étant affaiblie par les guerres napoléoniennes et le Portugal étant devenu, de fait, un appendice de la Grande-Bretagne, la mince couche bourgeoise dont nous avons parlé et l’aristocratie criolla ‘’éclairée’’ (imprégnée par l’idéologie des Lumières et l’exemple des Révolutions bourgeoises française et américaine)  vont se lancer dans la lutte pour l’émancipation de leurs pays, et la constitution d’États indépendants.


    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b4/BatallaCarabobo01.JPG/290px-BatallaCarabobo01.JPGDe 1810 à 1870 environ : c'est la période des indépendances (tous les États indépendants actuels sont constitués en 1840, sauf Cuba) et de leur CONFISCATION par l'impérialisme naissant. Il y a bien eu le "rêve continental" de Bolivar, des "rêves" sous-continentaux comme celui de l'Empire mexicain d'Iturbide (1821-24) ou de l'Empire du Brésil (1822-1889), et des gouvernements nationalistes comme celui de Rosas en Argentine (1829-1852), Rodriguez de Francia et ses successeurs (1811-1870) au Paraguay [1] [2], ou Santa Anna au Mexique (dominant la vie politique de 1823 à 1855) ; mais, systématiquement, la volonté politique sera en contradiction trop grande avec le niveau réel des forces productives léguées par l'Empire espagnol (qui surexploitait les territoires sans chercher leur réelle mise en valeur) ; et ainsi triompheront les féodalités locales (éclatement en une multitude d’États indépendants, eux-mêmes sans réel pouvoir central fort, avec des provinces quasi-indépendantes) et la bourgeoisie compradore (qui fonde son développement sur le rôle d'intermédiaire avec les puissances capitalistes étrangères).

    Il faut aussi bien avoir à l'esprit que lorsque l'on parle de ces féodalités, ou de cette semi-féodalité que le Parti communiste du Pérou, par exemple, plaçait au cœur de sa cible, il s'agit d'une féodalité COLONIALE ; c'est-à-dire de la grande propriété de colons d'origine européenne (essentiellement espagnole, ou portugaise au Brésil et un peu en Uruguay), appelés criollos ("créoles", c'est-à-dire nés dans la colonie) ou d'autres appellations comme mantuanos au Venezuela, q'ara en langue quechua dans les Andes etc., sur les terres du continent et des masses paysannes indigènes, métisses à dominante indigène ou descendantes d'esclaves africains déportés. De fait, même si indigènes et afro-descendants furent enrôlés et donc participèrent en masse aux guerres d'indépendance, même si l'esclavage et certaines formes de servitude indigène furent parfois abolis (pas toujours ni partout...), la "libération" de l'Amérique latine fut surtout en réalité une séparation des colons nés dans la colonie d'avec la métropole, au même titre que les États-Unis de George Washington au Nord... mais avec, outre des forces productives comme on l'a dit beaucoup plus faibles, un rapport de force numérique face aux masses colonisées qui favorisera sans doute aussi, grandement, le placement comprador rapide sous la tutelle d'une nouvelle "métropole" indirecte.

    Ces féodalités locales auront raison, par exemple, du "despotisme éclairé" de l'empereur Pierre II du Brésil, qui tentait de construire un État moderne et "affirmé" dans le "concert des nations". Entre son renversement (1889) et 1930, le pays n'aura ainsi aucun pouvoir central réel, les potentats locaux régnant sans partage au service de l'impérialisme (principalement britannique). Paradoxalement, les forces qualifiées de "conservatrices" étaient souvent plus nationalistes, favorables à un développement autocentré et endogène de leur pays, que les "libéraux" qui étaient libre-échangistes, ce qui revient en pratique à ouvrir grand les portes aux marchandises et aux capitaux étrangers.

    Contrairement à une idée reçue, fondée sur une "doctrine de Monroe" (1823) qui relève largement de la légende, l'emprise impérialiste sur le continent est alors principalement BRITANNIQUE (première puissance mondiale à l'époque), et plus secondairement française. Les États-Unis sont alors surtout tournés vers leur propre "Conquête de l'Ouest". Leurs ambitions ne s'affirmeront qu'à partir du milieu du siècle : annexion de la moitié du Mexique en 1848, puis assise de leur influence sur celui-ci avec le libéral Juarez (1858-72) ; tentative de mainmise sur le Nicaragua avec l'aventurier Walker (1855), qui échoue face à une coalition d’États centre-américains pilotée par la Grande-Bretagne ; puis, à la toute fin du siècle, annexion de Cuba et Puerto Rico (1898), suivie de la formation de l’État fantoche de Panama (1903), de l'occupation du Nicaragua (1909-1933), d'Haïti (1915-1934) et de la République dominicaine (1916-1924), etc. Ce n'est qu'entre 1918 et 1945 que l'impérialisme US s'affirmera totalement sur le continent, faisant de celui-ci son "arrière-cour". À travers les ports de San Francisco et la Nouvelle-Orléans, ses capitaux et marchandises "attaquent" plutôt le continent par les côtes pacifique et caraïbe, tandis que la façade atlantique reste tardivement sous influence européenne, principalement britannique.

    Durant toute cette période, donc, guerres civiles et entre États, dictatures de caudillos et "révolutions" ne sont pratiquement que l'expression de l'affrontement entre pénétration des capitaux étrangers (principalement britanniques) et rejet de ceux-ci par des éléments nationalistes de la classe dominante. Comme on l'a dit, les forces "libérales", qui luttent à l'intérieur contre l'influence de l’Église catholique, pour les libertés bourgeoises voire même un certain progrès social, ne sont pas systématiquement les plus opposées à la pénétration impérialiste...

    On a là, et ce sera valable pour toute la suite de ce panorama historique, l'expression d'une contradiction fondamentale et spécifique des pays qui, par la faiblesse de leur forces productives à un moment donné, passent sous la coupe de pays aux FP plus avancées (loi du développement inégal) : la contradiction entre le CARACTÈRE NATIONAL de la production et la (sur-)APPROPRIATION IMPÉRIALISTE ÉTRANGÈRE d'une partie importante de la plus-value ; le fait que ce soit du Capital étranger (impérialiste) qui se valorise à travers les forces productives nationales.

    On peut considérer comme un épilogue sanglant la guerre d'extermination (40% de la population, dont la quasi-totalité des hommes adultes...) menée contre le Paraguay, dernier pays à tenter un développement capitaliste endogène, par la triple alliance de l'Argentine, du Brésil et de l'Uruguay, pilotée par l'Empire britannique (1865-70). Guerre_de_la_Triple-Alliance

    220px-TupacAmaruIIS'il est un constat dans le sentiment populaire comme dans les forces révolutionnaires conscientes d'Amérique latine, c'est que les "héros nationaux" de cette époque jouent un rôle important dans la mobilisation de masse, dans un sens progressiste. Les forces progressistes et anti-impérialistes du Venezuela et de Colombie invoquent Bolivar (et Ezequiel Zamora au Venezuela) ; en Amérique centrale, Morazàn (bien qu'également des figures postérieures, comme Sandino ou Farabundo Marti - qui, lui, était communiste). Au Pérou et en Bolivie, on se réfèrera à des figures un peu antérieures : José Gabriel Condorcanqui dit "Tupac Amaru II" et son lieutenant Tupac Katari, qui menèrent une grande révolte contre la Couronne espagnole en 1780-81, avant de mourir écartelés... L'importance, dans ces pays, de l'organisation sociale indigène, communautaire et collectiviste (ayllu), mise en lumière par le communiste péruvien José Carlos Mariátegui, explique l'ampleur historique de la résistance paysanne indigène et le succès de masse du maoïsme (particulièrement au Pérou) face au cubano-guévarisme très fort partout ailleurs. La notion de jefatura, développée par le Parti communiste du Pérou avec Gonzalo (Abimael Guzmán), puise aussi, sans aucun doute, ses racines dans le lien "messianique" unissant les "restaurateurs" de l'Empire inca, comme Tupac Amaru II, aux masses indigènes dépossédées par les colons espagnols (dont les classes dominantes actuelles sont les descendantes). 

    729px-DeboisementArgentineAncienPort.jpgDe 1880 à 1930 : grand développement des forces productives. La plupart des pays, en tout cas au début, sont dirigés par des régimes oligarchiques conservateurs, ou des "libéraux" particulièrement droitiers, orléanistes. Mais (en lien avec ce développement des forces productives), la période voit aussi l'émergence de puissantes forces bourgeoises radicales, modernisatrices et généralement anticléricales (liées à la franc-maçonnerie), qui réussissent parfois à prendre le pouvoir : "révolution" libérale-radicale "authentique" en Équateur (Eloy Alfaro, 1895-1912), radicalisme argentin (1916-1930), "ère Batlle" en Uruguay (de 1903 à la crise de 1929), "révolution" de 1925 au Chili ou encore présidence de José Santos Zelaya au Nicaragua (1893-1909, qui s'achève avec l'invasion US), et bien sûr la "révolution" mexicaine (1910-1929). Dans les dernières colonies espagnoles (Cuba avec José Marti, Puerto Rico), ces forces mènent la lutte indépendantiste, qui s'achève malheureusement par la conquête yankee en 1898.

    Reflet des contradictions inter-impérialistes qui commencent à se faire jour à travers le monde, en 1879-83, le Chili poussé par l'Empire britannique agresse le Pérou (à qui il raflera la province de Tarapacá) et la Bolivie (qu'il privera jusqu'à ce jour d'accès maritime). Ces pays tendaient à devenir des "axes" de pénétration impérialiste US. Guerre_du_Pacifique

    Et de fait le Chili dans cette affaire ; comme ces autres pays très européens de peuplement et de mode de vie qu'étaient l'Argentine et l'Uruguay, ou du moins fermement aux mains d'une forte population européenne comme le Brésil, un peu plus tôt face au Paraguay ; tous ces pays ont aussi pu jouer quelque part un rôle de nouvelle Espagne conquistadoreau service de l'impérialisme principalement britannique, vis à vis de leurs voisins "plus indigènes" (sans parler de la "conquête" de leurs propres régions andines et australes par l'Argentine et le Chili) ; de fers de lance de la pénétration du Capital dans les territoires plus "arriérés" et encore à investir par le capitalisme moderne. C'est, en tout cas, un peu de cette manière que les Péruviens (les masses indigènes en particulier), occupés entre 1880 et 1883, ont eu tendance à le vivre et s'en souviennent aujourd'hui ; tandis que les Paraguayens ont gardé en mémoire la guerre de 1865-70 comme un nouvel écrasement des réductions jésuites par les troupes portugo-brésiliennes du marquis de Pombal (1755).

    Les contradictions inter-impérialistes pousseront également les USA à imposer un protectorat (1906) puis à occuper la République dominicaine (1916-24), en même temps que son voisin Haïti ; à accélérer la construction, sous leur contrôle, du canal de Panama - en appuyant la sécession de cette province colombienne ; et à s'impliquer fortement dans la "révolution mexicaine" (débarquement à Veracruz en avril 1914), les visées allemandes sur ce pays étant même - en grande partie - à l'origine de l'entrée des États-Unis dans la guerre mondiale. Au Venezuela, faisant barrage à une intervention militaire britannique au nom de la "doctrine Monroe", ils sauvent le pouvoir de Cipriano Castro, auquel ils font succéder en 1908 jusqu'en... 1935 la féroce dictature de Juan Vicente Gómez ; qui préside en 1914 à la "découverte" (comme par hasard...) des gigantesques réserves de pétrole que l'on connaît...

    La période voit globalement monter en puissance l'impérialisme yankee sur le continent, même si l'impérialisme britannique résiste (ainsi, encore en 1932-35, le Paraguay au service des monopoles pétroliers britanniques l'emporte sur la Bolivie pro-US, qui perd encore une grande partie de son territoire dans la guerre du Chaco). 

    Là encore, la période a fourni un certain nombre de figures et d'évènements emblématiques à la gauche radicale et révolutionnaire d'un certain nombre de pays : José Martí à Cuba bien sûr ; Pancho Villa et Zapata (réformistes agraires radicaux) au Mexique ; Augusto César Sandino au Nicaragua ; colonne révolutionnaire de Luís Carlos Prestes (qui rejoindra plus tard le Parti communiste) au Brésil ou révolte des bananeraies en Colombie (1928)... En Équateur, les réformistes appuyant le "processus" actuel se réclament souvent d'Alfaro.

    peron12.jpgLa crise de 1929 impacte durement l'économie continentale. Elle impacte, d'autre part, durement l'impérialisme britannique (qui, du coup, perd pied) ainsi que son "successeur désigné", l'impérialisme US, engendrant une période de "vacance", de "flottement". À partir de 1930 émergent des forces populistes qui cherchent la mobilisation de masse pour arracher leurs économies nationales à la domination impérialiste (européenne comme nord-américaine) : gétulisme (Getúlio Vargas) au Brésil (de la "révolution" de 1930 à 1945, puis à nouveau de 1951 à 1954), péronisme en Argentine (1943-1955), Lazaro Cardenas et ses successeurs au Mexique (de 1934 jusqu'à la fin des années 1940), Ibáñez au Chili (1927-31 puis 1952-58) ; et d'autres forces qui ne parviennent pas (dans un premier temps) au pouvoir : MNR en Bolivie (fondé en 1941, en gestation dès 1935, prendra le pouvoir en 1952), APRA au Pérou (fondée en 1924), PRD en République dominicaine (fondé en 1939), Parti révolutionnaire fébrériste au Paraguay (1936), des partis d'inspiration sociale-démocrate (Venezuela, Chili), etc. Bourgeoises, ces forces s'opposent autant à l'impérialisme US et européen qu'à l'URSS et au mouvement communiste ("Ni Washington, ni Moscou !" était le mot d'ordre de Victor Haya de la Torre, fondateur de l'APRA). Certaines auront des sympathies, jusqu'au milieu de la Seconde Guerre mondiale (1942-43, voire 1944), pour les régimes fascistes européens (après-guerre, toutefois, la plupart "s'orienteront vers la gauche" et mèneront généralement des politiques de réformes sociales "classiques") : c'est notamment le cas du péronisme, du gétulisme, d'Ibáñez ou du MNR bolivien. D'autres, cependant, seront au contraire d'un antifascisme impeccable, comme Cardenas au Mexique, qui sera (avec l'URSS et la Tchécoslovaquie) le seul véritable soutien de la République espagnole.

    Sur la base des forces productives accumulées depuis la fin du 19e siècle, ces dirigeants et mouvements social-réformistes ou populistes vont tenter, une seconde fois après les tentatives du 19e siècle, d'affirmer un capitalisme national indépendant et autocentré. Mais ces tentatives seront durement écrasées lors de la période suivante...

    Après la Seconde Guerre mondiale, l'impérialisme US a enfin acquis l'hégémonie totale sur le continent américain.

    Dès la fin des années 1940 commence alors une grande guerre d'extermination non-déclarée, poursuivant trois objectifs :

    - écraser les forces révolutionnaires anti-impérialistes authentiques, à une époque où la vague révolutionnaire mondiale, partie de Russie en 1917, est à son apogée ;

    - contrer les visées social-impérialistes soviétiques ;

    - écraser les tentatives d'émancipation capitaliste nationale, pour asseoir un ordre semi-colonial féroce, quasiment néo-colonial (bien qu'aucun de ces pays n'ait été une colonie directe des USA, sauf Cuba), qui débouchera dans le "néolibéralisme" des années 1980-2000 ("consensus de Washington").

    Cette guerre non-déclarée, mais bien réelle, entre guerres civiles et dictatures réactionnaires terroristes, fera sans doute plus d'un million et demi de victimes.

    Dès le début, cela commence "très fort". Les pays caraïbes et d'Amérique centrale, déjà sous contrôle US avant-guerre, ont leurs dictatures réactionnaires sanglantes et corrompues dès les années 1930 : Nicaragua (dynastie Somoza dès 1937, après plus de 20 ans d'occupation militaire américaine), Salvador (Hernandez Martinez dès 1931, règne inauguré par la répression du soulèvement paysan de janvier 1932 - dirigé entre autres par Farabundo Martí - et ses 30.000 victimes, puis succession de juntes du même tonneau), Cuba (Machado 1925-1933, puis Batista sera "l'homme fort" jusqu'à sa chute fin décembre 1958), République dominicaine avec l'abominable Trujillo (1930-61) responsable d'au bas mot 50.000 victimes ; tandis qu'en Argentine se succédaient les généraux de la "décennie infâme" (1930-43) au service de l'Empire britannique.

    img4.jpgEn Colombie, le libéral de gauche Jorge Eliécer Gaitán est assassiné en 1948. S'ensuivent des émeutes qui, sous les gouvernements conservateurs puis la dictature militaire de Rojas Pinilla (1953-57), dégénéreront en une guerre civile, "la Violencia", opposant libéraux de gauche, socialistes et communistes aux conservateurs et aux libéraux de droite. Entre 200.000 et 300.000 personnes perdront la vie dans les atrocités puis s'installera, jusqu'au début des années 1980, une "alternance concertée" (un mandat de 4 ans chacun) entre conservateurs et libéraux de droite. C'est dans ce contexte que se formeront, contre les exactions anti-populaires, des milices d'autodéfense ; par la suite, se tournant vers le PC prosoviétique (FARC), la révolution cubaine et le modèle guévariste (ELN) ou la révolution chinoise (EPL), elles deviendront les fameuses "guérillas marxistes". Cependant, aux mains du camp conservateur, d'autres milices ouvriront la sinistre tradition paramilitaire du pays - aux atrocités innombrables. Depuis les années 1960 jusqu'à ce jour, le "conflit armé colombien" aura fait encore (au moins) 300.000 autres victimes (250.000 entre 1985 et 2005).

    Le Venezuela, lui, après la dictature de Gómez (1908-35) déjà évoquée, est écrasé sous la botte implacable de Pérez Jiménez de 1948 à 1958. Lui succédera un autre "pacte", celui de Punto Fijo, entre les "deux jambes" de l'oligarchie : l'Action démocratique social-démocrate et le Copei démocrate-chrétien, écartant (évidemment...) le Parti communiste. Le "puntofijisme" sera affronté par une guérilla révolutionnaire (Forces armées de Libération nationale, FALN) conduite d'abord par le PCV puis par la scission plus radicale de Douglas Bravo, le Parti de la Révolution vénézuélienne, jusqu'au milieu des années 1970 - malheureusement sans succès.

    Le Guatemala, de 1944 à 1954, traverse un "Printemps de Dix Ans", ère de réformes démocratiques et sociales. Lorsque le président réformiste Jacobo Arbenz prétend s'attaquer aux intérêts de la United Fruit, monopole US implanté depuis le début du siècle et plus grand propriétaire terrien du pays, la CIA déclenche l'opération PBSUCCESS. Arbenz est renversé ; s'ensuit une guerre civile et une succession de régimes militaires qui feront jusqu'aux années 1990 entre 200.000 et 250.000 mort-e-s. L'intellectuel radical états-unien Noam Chomsky dira à ce sujet : "Nous nous sommes arrangés pour interrompre, en 1954, une expérience démocratique. Il s'agissait pourtant d'un régime réformiste, capitaliste et démocratique, de type new deal, que notre intervention a permis d'éliminer, laissant à sa place un véritable enfer sur terre, probablement le régime de la période contemporaine le plus proche de l'Allemagne nazie".

    Bref panorama historique révolutionnaire des Amériques

    Au Mexique, le "retour dans le giron" est obtenu par une "droitisation" progressive (si tant est qu'il ait un jour été de gauche, sauf sous Cardenas...) du grand parti bourgeois hégémonique, le PRI. En 1968, peu avant les Jeux olympiques qui doivent se tenir à Mexico, un mouvement étudiant est réprimé dans le sang (300 mort-e-s). À la même époque, des guérillas d'inspiration marxiste et guévariste émergent dans toutes les régions du pays : Grupo Popular Guerillero d’Arturo Gámiz García au Chihuahua (nord), Association civique nationale révolutionnaire - ANCR, Mouvement d'Action Révolutionnaire - MAR ou Ligue communiste du 23 Septembre (d'implantation nationale), Procup-PDLP au Guerrero (sud), etc. Elles feront parler d'elles jusqu'à la fin des années 1970 et seront impitoyablement réprimées avec les mêmes méthodes qu'ailleurs, tandis qu'à l'extérieur le régime PRI dénonçait avec véhémence les autres dictatures du continent ou encore le blocus impérialiste US contre Cuba...

    En République dominicaine, le sanglant Trujillo est assassiné en 1961 avec le feu vert de la CIA, qui avait tenté jusqu'au bout de lui faire accepter un départ "honorable". L'un des ses fidèles collaborateurs, Joaquín Balaguer, prend sa succession (flanqué de Trujillo junior à la tête des forces armées) mais fin 1962 un réformiste, Juan Bosch, est élu président. Comme Arbenz au Guatemala, sa politique se heurte aux intérêts oligarchiques et américains et il ne fait pas long feu : il est renversé 9 mois plus tard par le général Elias Wessin y Wessin, qui installe un triumvirat civil sous contrôle militaire. S'ensuit une période de guerre civile (une fraction constitutionnaliste des forces armées restant fidèle à Bosch, sous la conduite du colonel Caamaño) qui culmine dans l'intervention et l'occupation militaire US (avril 1965 - septembre 1966), la deuxième de l'histoire du pays (après 1916-24), pour éviter un "nouveau Cuba". La guerre civile et l'occupation feront au moins 5.000 victimes.

    Mais entre temps, à moins de 200 kilomètres des côtes de Floride, était survenue au premier jour de 1959 la RÉVOLUTION CUBAINE sur laquelle nous reviendrons plus avant. C'est là la seule "ombre" (pour l'impérialisme) et lumière (pour les peuples) au tableau.

    260px-Revolucion.jpg

    À ce stade, le sort de la zone "nord-andine" et de l'Amérique centrale et caraïbe semble scellé. Les opérations se déportent alors vers le "Cône Sud". Dernier pays à avoir résisté aux capitaux impérialistes jusqu'à la guerre d'extermination de 1865-70, le Paraguay est alors en proie à une grande agitation sociale depuis la "révolution" de février 1936. De 1954 à 1989, il connaîtra avec le général Stroessner la plus longue dictature réactionnaire du continent (une autre particularité méconnue de ce pays est que son Parti communiste a vu une partie plus que conséquente de ses effectifs s'opposer au khrouchtchévisme, derrière le dirigeant historique Oscar Creydt qui animera une "fraction maoïste" jusqu'au début des années 1980).

    En Bolivie, le MNR qui a pris le pouvoir à la faveur d'un soulèvement en 1952, puis largement trahi les espérances populaires placées en lui est renversé en 1964 par le coup d’État du général René Barrientos. Ce régime est tristement célèbre pour avoir "eu la peau" de Che Guevara, capturé et abattu dans le centre du pays le 9 octobre 1967, après avoir tenté d'y implanté un "foyer" (foco) de guérilla supposé entraîner derrière lui les larges masses. Après la mort de Barrientos (1969), une brève parenthèse militaire "progressiste" (Juan José Torres, 1970-71) est renversée à son tour par le général fasciste Banzer, qui règnera jusqu'en 1978. La "démocratie" néolibérale ne reviendra qu'en 1980 (ce qui n'empêchera pas Banzer, candidat de la droite dure, de redevenir président "démocratiquement" entre 1997 et 2001 !). L'ELN (Armée de Libération Nationale), formée par Guevara, sera rapidement réduite à néant. La même année 1964 survient le coup d’État militaire au Brésil, où deux "progressistes" (Kubitschek et Goulart) ont succédé à Vargas. Les militaires resteront en place jusqu'en 1985. Ce pays est celui d'une autre figure bien connu des marxistes un peu conséquents : Carlos Marighella, fondateur de l'Action Libératrice Nationale après son expulsion du PC et auteur du Manuel de Guérilla urbaine.

    Junta Militar Argentine 1976L’Argentine est le théâtre de l'affrontement le plus aigu et le plus sanglant entre tentative d'affirmation capitaliste nationale et volonté nord-américaine d'imposer un ordre semi-colonial de fer. Ce pays, il faut le rappeler, était alors un "émergent" de premier plan, de l'ordre de la 10e économie mondiale, devant l'Italie ou l'Espagne (qui lui fournissaient une abondante force de travail immigrée...) ; bien que ce produit intérieur brut fut largement aux mains de capitaux britanniques, US ou européens. Il avait donc une bourgeoisie développée (moins oligarchique qu'ailleurs) avec en son sein un fort courant "affirmationiste" ; ainsi qu'une aristocratie ouvrière, chose peu courante à l'époque sur le continent : cette frange formera la base de la bureaucratie syndicale (appuyée sur un prolétariat ouvrier - descamisados - récent et de faible niveau politique), pilier du péronisme, mais qui par anticommunisme collaborera fréquemment... avec les juntes militaires national-catholiques.

    Le naufrage économique et social des années 1980 et 1990, s'achevant dans le "crash" de 2001, est donc une illustration particulièrement radicale des résultats de la politique impérialiste US en Amérique latine pendant la "Guerre froide", de ses objectifs non seulement contre-révolutionnaires mais de re-semi-colonisation sans merci.

    Nous avons vu comment les deux camps bourgeois portant ces deux aspirations historiques (le clivage existait déjà au 19e siècle) avaient réussi à structurer totalement la vie politique du pays à partir des années 1940, depuis l'extrême-droite jusqu'à l'extrême-gauche. Par trois fois, tous les 10 ans, les tentatives péronistes (1946-55 et 1973-76) et la "parenthèse radicale" appuyée par les péronistes (1958-66) sont renversées par des coups d’États du "parti militaire" national-catholique fascisant à la solde de Washington qui impose une dictature chaque fois plus terroriste et meurtrière ["Révolution libératrice" - Dictature de la "Révolution argentine" - Dictature argentine 1976], particulièrement la dernière (1976-83) qui met en place un véritable régime génocidaire de type nazi[3], exterminant les forces révolutionnaires et progressistes du pays selon les méthodes de la bataille d'Alger (enseignées par des "experts" militaires français à l’École militaire des Amériques, et déjà mises en œuvre avant la dictature, sous Isabel Perón, entre 1974 et 1976). Il faut dire que, dès le milieu des années 1960, le pays est également en proie à une forte agitation sociale et à l'émergence de luttes révolutionnaires armées : des péronistes "de gauche" (prenant pour argent comptant le discours social et anti-impérialiste de Perón) comme les Montoneros, les Forces armées révolutionnaires etc., mais aussi les marxistes du PRT-ERP (se réclamant de Lénine et du Che ainsi que de Trotsky, partisan des révolutions chinoise, cubaine et vietnamienne, prônant la "fusion des apports du trotskysme et du maoïsme dans une unité supérieure qui signifiera un plein retour au léninisme"), tandis que les marxistes-léninistes du PCR et du futur PCML ainsi que de nombreux groupes trotskystes ou anarcho-syndicalistes agitent les masses ouvrières dans les usines. Pour le coup, l'aspect contre-révolutionnaire de la contre-offensive oligarchique deviendra principal, expliquant l'ampleur de la répression qui commence déjà sous la parenthèse péroniste (1973-76), et l'on verra les péronistes de droite (notamment la sinistre Triple A, Alliance Anticommuniste d'Argentine) rallier en 1976 les militaires dans la chasse aux "gauchistes".

    L'Uruguay voisin a longtemps été qualifié de "Suisse de l'Amérique latine", pour sa prospérité et sa stabilité politique (bien qu'il ait déjà connu, de 1933 à 1938, la dictature pronazie de Gabriel Terra). Cependant, dès les années 1950, se fait jour une crise économique qui voit la remise en cause de la politique grand-bourgeoise traditionnelle, avec ses deux partis blanco et colorado (respectivement, à l'origine, conservateur et libéral, mais ensuite le "spectre" s'est considérablement élargi, les blancos restant cependant globalement plus à droite - du centre-droit à l'extrême-droite, des éléments pouvant cependant rallier la gauche - tandis que les colorados vont du libéral-conservatisme "dur" au centre-gauche réformiste bourgeois). Un Frente amplio réformiste émerge, regroupant démocrates-chrétiens, socialistes et communistes ; en même temps qu'une organisation de gauche révolutionnaire armée, les Tupamaros. L'armée prend donc le contrôle du pays, de 1973 à 1985, avec toutefois des présidents civils (colorados de droite ou blancos), mais sous étroit contrôle d'un Conseil militaire de sécurité nationale. Il y aura un prisonnier politique pour 450 habitants... Dictature_militaire_de_l'Uruguay

    chile-venceremos-02Enfin, au Chili a lieu le coup d’État bien connu de Pinochet, le 11 septembre 1973. Une expérience d'autant plus traumatisante que le pays avait certes connu des gouvernements civils particulièrement réactionnaires, mais pratiquement jamais de dictature militaire. Cette dernière durera 17 ans... Entre 1938 et 1958 s'étaient succédés des gouvernements réformistes et populistes, mais ceux-ci étaient globalement restés "dans les clous".

    Les années 1958 à 1970 auront des majorités bourgeoises conservatrices, jusqu'à l'élection "surprise" du socialiste Allende, soutenu par le PC révisionniste, l'URSS et Cuba ainsi que le Mouvement de la gauche révolutionnaire (à la ligne assez proche du PRT-ERP argentin voisin), tandis que le leader du PS, Carlos Altamirano, était sur une ligne beaucoup plus radicale que le PC lui-même (partisan d'armer les masses, etc.). L'administration US organisera l'ingouvernabilité politique et économique du pays, entre chute organisée des cours du cuivre (principale ressource nationale), grèves des transporteurs routiers et activités squadristes de Patria y Libertad (extrême-droite). Allende et le PC, de leur côté, refuseront d'armer les masses ouvrières et paysannes (comme le réclamaient le MIR et Altamirano), et iront jusqu'à confier à Pinochet (franc-maçon comme Allende et originaire de la même région) le commandement général des armées... Moins d'un mois après cette nomination, le même Pinochet allait prendre le pouvoir pour le compte de la droite oligarchique et de Washington, transformant la capitale Santiago en champ de bataille et faisant bombarder le palais présidentiel d'Allende (qui se suicidera après avoir refusé de se rendre). On connaît la suite... Régime_militaire_d'Augusto_Pinochet

    En 1975, toutes les "opérations" de la région sont coordonnées dans le Plan Condor, qui réunit les juntes du Chili, d'Uruguay, du Paraguay, du Brésil, de Bolivie et les militaires argentins (pas encore au pouvoir, mais déjà dotés de pouvoirs extraordinaires par Isabel Perón). Face à cela tente de se mettre en place une "Junte de coordination révolutionnaire" entre le PRT-ERP, le MIR chilien, l'ELN bolivien et les Tupamaros uruguayens - entreprise hélas sans lendemain.

    À la fin de la décennie 1970, on peut considérer que le Cône Sud est "sous contrôle" des oligarchies et de l'impérialisme US. Le "front" principal se déplace à nouveau vers l'Amérique centrale. À partir du milieu des années 1970, les guérillas marxistes procubaines montent en puissance. "Pire" : au Nicaragua, après 18 ans de lutte et un an de combats acharnés (40.000 victimes), le Front sandiniste de libération nationale (FSLN, plus social-démocrate radical que réellement marxiste) s'empare du pouvoir en 1979 avec le soutien de Cuba, renversant le clan Somoza en place depuis plus de 40 ans. L'impérialisme US organisera alors les Contras (forces contre-révolutionnaires) et le conflit fera encore 50.000 autres mort-e-s ; puis les sandinistes, sans véritable ligne marxiste révolutionnaire, capituleront en 1990 et convoqueront des "élections libres" qui rendront le pouvoir à la droite. Au Salvador, après un (énième) coup d’État militaire, le fmlnsalvador.jpgFrente Farabundo Martí de Liberación Nacional (FMLN), unifiant 5 groupes de guérilla marxistes, passe à l'offensive en 1980 et affronte l'ARENA (Alliance républicaine nationale), organisation paramilitaire de type nazi ; conflit "arbitré" par le démocrate-chrétien José Napoleon Duarte, soutenu par Washington et - bien entendu - avant tout anticommuniste : 100.000 morts durant toute la décennie. Au Guatemala, les guérillas en présence [Forces armées rebelles (FAR) du Parti Guatémaltèque du Travail prosoviétique, Armée de Guérilla des Pauvres (EGP) plutôt guévariste, Organisation Révolutionnaire du Peuple en Armes (autodéfense paysanne indigène) et PGT-Noyau Directeur National (scission ML du PGT)] accentuent également leur offensive et convergent au début des années 1980 dans l'URNG (Union révolutionnaire nationale guatémaltèque). L'essentiel des 250.000 victimes de la guerre civile (qui s'étend d'environ 1960 jusqu'en 1996) trouvent la mort dans cette première moitié des années 1980, en particulier sous le sinistre général Efraín Ríos Montt (1982-83) , dans une véritable guerre d'extermination raciste visant particulièrement les indigènes mayas : bombardements, déplacements de populations, massacres de villages entiers par les forces spéciales "Kaibiles" (440 villages complètement rasés, massacre de Dos Erres), milliers d'indigènes jetés par hélicoptère dans l'océan Pacifique, etc. etc. La militante paysanne indigène Rigoberta Menchú donnera à ce conflit génocidaire une certaine notoriété internationale...

    Plus "calme", le Honduras fera office de base pour l'appui "technique" impérialiste US et de "profondeur stratégique" pour les forces réactionnaires... Toutes ces guerres civiles s'achèvent au début des années 1990 par des "accords de paix", qui consacrent les forces criminelles de droite à la tête des pays et absorbent les anciennes guérillas dans la mascarade parlementariste comme partis sociaux-démocrates.

    La liste, on le voit, à de quoi faire pâlir Stéphane Courtois et son "Livre noir du communisme" (et cela, sans grossir les chiffres, ni y inclure des nazi-fascistes justement châtiés, ni compter comme "morts" des déficits démographiques...).

    À la fin des années 1980, l'impérialisme occidental, principalement US, sort GLOBALEMENT VICTORIEUX de ces quatre décennies de guerre totale, contre les bourgeoisies (trop) réformistes, national-populistes ou "philo-soviétiques", mais surtout contre les peuples. Seule la guérilla maoïste du Parti communiste du Pérou (au contraire) menace encore gravement l’État oligarchique laquais péruvien et, du coup, fait face à une guerre sans merci (70.000 victimes), mais surtout à une campagne de diabolisation médiatique (peut-être) sans équivalent dans l'histoire récente pour un Parti non encore au pouvoir...

    Cette défaite est due à la puissance de l'offensive réactionnaire, dans laquelle la méthode française antisubversive de Roger Trinquier jouera un rôle fondamental ; mais aussi (cf. ci-dessous) et même surtout aux faiblesses idéologiques et stratégiques des forces révolutionnaires en présence (sans même parler des forces nationalistes bourgeoises, par nature incapables d'affronter efficacement l'impérialisme).

    menem_bush.jpgLa victoire impérialiste US apparaît alors totale : sont à la fois écrasées les forces révolutionnaires (sauf ça et là, mais rien de nature à menacer l'ordre établi, sauf au Pérou au début de la décennie 90) et démantelées les structures réformistes et national-populistes d'affirmation du caractère national de la production (entreprises étatisées, circuits redistributifs servant aux bourgeoisies pour s'appuyer sur les masses, etc.).

    Les juntes militaires rendent le pouvoir aux civils entre 1980 (Bolivie, Pérou) et 1990 (Paraguay, Chili), le temps de laisser les "Chicago Boys" (et Martínez de Hoz en Argentine et d'autres encore) exercer leurs prouesses ; puis c'est le triomphe du "néolibéralisme", synthétisé dans le "consensus de Washington" (1989) : un ordre semi-colonial sans merci, imposé par l'impérialisme principalement US à travers des régimes "démocratiques" (parlementaires oligarchiques) fantoches qui n'hésitent pas à massacrer la population lorsqu'ils sont contestés, comme au Venezuela en 1989 (Caracazo), au Chiapas (Mexique) en 1994-95 ou en Bolivie en 2000 et 2003.

    Mais parallèlement, ce "néolibéralisme" (et les régimes militaires qui l'ont précédé) a amené un (nouveau) grand développement des forces productives et encore une fois l'émergence de nouvelles couches bourgeoises. Les sociétés latino-américaines sont aujourd'hui très éloignées de ce qu'elles étaient dans les années 1950 ou 1960. L'organisation sociale telle que léguée par les dictatures militaires réactionnaires ne pouvait donc perdurer.

    chaveznod.jpgDepuis la toute fin du 20e siècle, avec Chavez au Venezuela en passant par le Brésil (2002), l'Argentine (après la situation insurrectionnelle de fin 2001-2002), la Bolivie, l’Équateur, l'Uruguay ou le Paraguay, on voit donc surgir ces fameuses "gauches" latino-américaines (plus ou moins modérées ou radicales), nouvelles coqueluches des bobos tendance Monde Diplomatique : les nouveaux nationalismes bourgeois ; d'orientation parfois sociale-démocrate, parfois nationale-radicale-populiste. Ces nouveaux nationalismes sont indissociables de l'"émergence" (forte croissance du PIB, tendance à exporter "régionalement" des capitaux tout en restant principalement importateurs, tendance à l'affirmation diplomatique sur une scène internationale verrouillée par le "G8", etc.) de pays comme le Brésil, l'Argentine, le Mexique ou le puissant Venezuela pétrolier ; de l'affirmation sur la scène internationale des nouveaux impérialismes russe et chinois et de la concurrence discrète mais sans concessions entre les blocs impérialistes déclinants US-Commonwealth et France-Allemagne (tendance à ne plus "respecter" le "pré carré" de l'autre, français/européen en Afrique et US dans les Amériques). L'on a ainsi pu voir surgir, dans les allées du pouvoir, ici d'anciens guérilleros urbains (Uruguay, Brésil), là un militaire ex-putschiste "progressiste" (Venezuela), ici un syndicaliste paysan opposant de longue date flanqué d'un ancien intellectuel partisan de la lutte armée (Bolivie) ou d'anciens persécutés politiques sous les dictatures (Argentine, Chili) et là un "prêtre rouge" (Paraguay), etc. etc., sans oublier le retour des sandinistes au Nicaragua.

    Les vieux nationalismes/"affirmationismes" (MNR et MIR boliviens, péronisme argentin - sauf le courant Kirchner, social-démocrates et travaillistes brésiliens - héritiers du gétulisme et du "progressisme" de Kubitschek, PRI mexicain, socialistes chiliens etc.) étant devenus quant à eux, depuis les années 1980, les champions du "néolibéralisme"...

    Cependant, depuis la fin des années 2000, les nouveaux nationalismes montrent eux aussi leurs limites de classe, après avoir été un temps (même les plus modérés) la marotte des "altermondialistes" de tout poil. En 2006, les maoïstes du Parti communiste révolutionnaire du Canada avaient réalisé une analyse complète et intéressante (vu d'un pays impérialiste occidental) de ce phénomène des nouvelles "gauches" nationalistes (et une critique efficace de leurs soutiens inconditionnels occidentaux).

    Dans d'autres pays, en revanche, ce sont des droites réactionnaires terroristes, oligarchiques et pro-impérialistes qui sont au pouvoir, dans une perspective d'affrontement avec les forces populaires et les nouvelles "gauches" affirmationistes : au Mexique où c'est une droite de ce type (le PAN) et non une "gauche" qui a détrôné le vieux PRI en 2000, au Pérou jusqu'à l'élection d'Humala (national-populiste qui n'a d'ailleurs pas changé grand chose...) en 2011, au Chili depuis 2010 et bien sûr en Colombie, "pivot" du dispositif impérialiste US sur le continent où le conservateur-populiste Uribe (2002-2010) a brisé le duopole libéral/conservateur avec son "Parti de la U" (Parti social d'unité nationale), amenant littéralement l'extrême-droite paramilitaire au pouvoir dans ce qui s'apparente le plus, ces 15 dernières années, à un régime fasciste (répression terroriste + mobilisation de masse) sur le continent. À présent que les guérillas et tout mouvement social organisé sont écrasés, et les voisins vénézuélien et équatorien tenus en respect, son successeur (et ancien ministre de la Défense) Santos se montre plus "libéral"...

    Jose_Carlos_Mariategui.jpgEt le mouvement communiste, dans tout cela ? Il émerge, comme dans le monde entier, entre 1920 et le début des années 1930. Pour autant, son niveau idéologique est alors très faible. Jusqu'à la Révolution cubaine (1959), on peut dire que son seul dirigeant et théoricien d'envergure est le péruvien  José Carlos Mariátegui. Celui-ci, comme doit le faire tout véritable communiste, mène une profonde analyse historique, culturelle et de classe de son pays, et adapte le marxisme à ce cadre géographique d'action. Il faut noter qu'il a, entre 1920 et 1922, vécu en Italie, et il n'est pas exclu qu'il ait gardé, par la suite, des contacts avec les militants de ce pays, notamment Gramsci, dont la démarche intellectuelle est assez proche. Hélas, il est de santé fragile (suite à une blessure de jeunesse à la jambe, dont il sera finalement amputé) et il meurt en 1930, deux ans seulement après avoir fondé le Parti socialiste, qui deviendra le premier PC du Pérou cette même année.

    Les autres Partis communistes sont, généralement, des cercles de bourgeois intellectuels, de pratique réformiste et à la traîne des mouvements populaires revendicatifs, parfois prêts aux pires compromissions (comme celle, infâme, du PC argentin avec l'ambassade US contre Perón en 1945, ou celle du premier P"c" cubain avec Batista). Ils sont notamment très influencés par l'ultra-révisionnisme d'Earl Browder, alors dirigeant du PC des USA. Celui-ci voyait dans l'impérialisme US, son propre impérialisme (!), un impérialisme "progressiste" pouvant être, main dans la main avec l'URSS, le garant d'une "nouvelle ère de paix et de démocratie" après la Seconde Guerre mondiale... CQFD.

    418390_1.jpgEn 1956-59, un groupe de jeunes bourgeois nationaux démocrates-radicaux, le Mouvement du 26 Juillet de Fidel et Raùl Castro, intègre des éléments marxistes (en premier lieu le "Che" Guevara) et renverse après 25 mois de guérilla le régime pro-américain sanguinaire de Fulgencio Batista. Il rassemble sous sa direction et fusionne avec le vieux Parti communiste (devenu "socialiste populaire"), le mouvement ouvrier et paysan organisé, les étudiants "radicaux" et anti-impérialistes (Directoire révolutionnaire du 13 Mars) etc. pour déboucher finalement, en 1965, sur un nouveau Parti communiste. Ces évènements, quoi que l'on pense de leur "pureté" marxiste-léniniste, apportent un "afflux de sang neuf" au mouvement révolutionnaire sur tout le continent. Répondant au mot d'ordre du Che ("créer deux, trois, plusieurs Vietnam"), des groupes se séparent des vieux PC (qui rejettent cette voie ou l'abandonnent rapidement, sauf en Colombie) et s'engagent dans la lutte armée. D'autres, par ailleurs (comme le PRT-ERP en Argentine), surgissent sans lien aucun avec le mouvement communiste antérieur, d'autres encore proviennent du populisme des années 1940 (organisations combattantes péronistes "de gauche") ou de l'aile gauche de la social-démocratie (MIR au Venezuela)... Cependant, comme le Che lui-même, ces organisations de lutte armée pêcheront par idéalisme, aventurisme et/ou militarisme. Généralement, sauf en Colombie et en Amérique centrale, la répression les écrasera militairement avant la fin des années 1970. Ernesto "Che" Guevara lui-même, on l'a vu, mourra en Bolivie en 1967, après une tentative infructueuse de "foyer" révolutionnaire guérillero.

    D'autres forces révolutionnaires, dès le milieu des années 1960, rompront avec le révisionnisme khrouchtchévien pour se tourner vers l'antirévisionnisme chinois et albanais : PCR et PCML d'Argentine, PCR du Chili, PCML d’Équateur, etc. Mais, sauf en Colombie (où le PCC-ml s'engagera dans la lutte armée avec l'EPL), elles resteront globalement engluées dans l'ouvriérisme et l'économisme "radical" (et, là encore, souffriront durement des dictatures militaires). Depuis, certaines sont restées fidèles à la "pensée Mao", d'autres se sont tournées vers le hoxhisme (marxisme-léninisme "albanais"), d'autres encore vers un éclectisme "marxiste" comme le PCML argentin, devenu Parti de la Libération, proche internationalement du Parti du Travail de Belgique. Globalement, leur pratique n'est pas d'un grand antagonisme avec les États de l'oligarchie, et elles trouvent généralement toujours une fraction "progressiste" ou "patriotique" de celle-ci à soutenir...

    En Amérique centrale, également d'orientation cubaniste, mais plus "ancrées" dans le mouvement populaire-révolutionnaire de masse et plus durables, des guérillas émergent dès les années 1960, au Nicaragua (FSLN, dès 1961), au Salvador (fusionnant en 1979 dans le FMLN) et au Guatemala (formant en 1982 l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque, URNG). Elles mèneront une lutte armée révolutionnaire héroïque, contre des régimes et des forces paramilitaires fascistes ultras, appuyés de toutes ses forces par l'impérialisme US (surtout à partir de 1981, avec Reagan) ; les sandinistes du FSLN prenant même le pouvoir en 1979, jusqu'en 1990. Toutefois, après la chute de l'URSS, au début des années 1990, elles capituleront dans la voie des "accords de paix" et de la "réconciliation nationale", et deviendront des partis sociaux-démocrates (le FSLN, par des élections "libres" bourgeoises, rendra le pouvoir à la droite en 1990).

    elncolombia.jpegEn Colombie, il y aura également des "accords de paix" en 1984, refusés par la seule ELN ; mais ces accords seront trahis par la droite réactionnaire, qui fera massacrer les militants des FARC et du PC reconvertis dans "l'Union patriotique" : 4.000 assassinats. Depuis lors, les FARC et une fraction dissidente de l'EPL ont repris le sentier de la guerre (que l'ELN n'avait jamais quitté), mais il est évident que cela n'a plus qu'un très lointain rapport avec la guérilla révolutionnaire des années 1960-70 (l'EPL/PCC-ml, en ce qui le concerne, est devenu "albanais" en 1980, et la très grande majorité a capitulé en 1991, seule une fraction minoritaire poursuivant la lutte). En 1999, les FARC avaient connu un certain regain de puissance, et obtenu de l’État la "zone démilitarisée" (autrement dit, sous leur contrôle exclusif) du Cagùan (42.000 km² quand même, plus que la Belgique !). Mais elles n'en profitèrent pas pour mettre en place un véritable Pouvoir populaire révolutionnaire dans cette zone, pour en faire une véritable base rouge, et celle-ci fut démantelée par Uribe à peine arrivé au pouvoir, en 2002. Aujourd'hui, l'on peut considérer l'essentiel de ces forces comme étant en situation de défaite militaire.

    revolucion_cubana2.jpgLa Révolution cubaine, de son côté, après un intense bouillonnement révolutionnaire et un engouement mondial immense, s'est définitivement rangée, à la fin des années 1960, sous le parapluie soviétique. L'élan révolutionnaire est brisé, l'économie orientée vers la monoculture sucrière (échangée contre des hydrocarbures et des matières premières soviétiques) et la politique internationale s'oriente vers le pragmatisme et l'opportunisme, le soutien à des "révolutions" par en haut, des "processus" réformistes finalement écrasés comme au Chili, ou des juntes militaires "progressistes" comme au Pérou (Velasco, 1968-75) et des gouvernements "nationalistes" comme en Argentine (second péronisme 1973-76), nonobstant que ceux-ci répriment les révolutionnaires... Après la chute de l'URSS, Cuba connut l'isolement et la terrible crise économique et sociale que l'on sait, dont elle ne commence à sortir que depuis une dizaine d'années, avec l'appui des nouveaux nationalismes (principalement du Venezuela), de la Russie, de la Chine et des "émergents". Il pouvait certes "tomber sous le sens", dans les années 1960, de se dire : "Compter sur ses propres forces ? Impossible, idéaliste, suicidaire... Les Chinois ? Ils sont loin, pris dans leur Révolution culturelle, ils ne nous conduiront qu'au naufrage gauchiste..." etc. etc. Mais voilà, à présent, la rançon du pragmatisme. Plus généralement, on a là la contradiction, non résolue par les marxistes-léninistes du 20e siècle, entre intérêts de l’État (révolutionnaire) et intérêts du Parti et de la Révolution mondiale. Ce qui est certain, c'est qu'à partir de 1970, Cuba ne joue clairement plus un rôle de base rouge pour la révolution dans les Amériques. Bien loin est la déclaration de l'OLAS (Organisation latino-américaine de solidarité) en 1967, selon laquelle "la lutte armée constitue la voie fondamentale de la révolution en Amérique latine". Là où la lutte armée reste soutenue (Amérique centrale, Colombie, Chili avec le "Front patriotique Manuel Rodriguez" dans les années 1980), c'est de manière très pragmatique, uniquement dans l'objectif d'arriver à des "accords" et à une "solution démocratique" (les organisations combattantes devant alors se lancer dans le "jeu" parlementaire)... Ce qui s'appelle du révisionnisme/réformisme armé. Clairement, une prise de pouvoir armée par les masses populaires était absolument exclue pour La Havane et, plus encore, pour le "grand frère" soviétique.

    EPR-members-II.jpgAujourd'hui, il ne reste que peu de mouvements assumant l'antagonisme armé avec les États oligarchiques au service de l'impérialisme. Il y a, on l'a dit, les guérillas colombiennes. La principale, les FARC, se réclame du "marxisme-léninisme" tendance brejnévienne-cubaniste et de l'héritage de Bolivar (ainsi que de Gaitán, le "libéral de gauche" assassiné en 1948). Elles ont entamé depuis peu un processus de négociation avec le gouvernement (le quatrième après celui des années 1980, celui de 1990-92 et celui de 1999-2002). Au Mexique, il y eut dans les années 1990 le célèbre EZLN, au réformisme assumé (refusant la prise du pouvoir), mais un autre groupe, le Parti démocratique populaire révolutionnaire - Armée populaire révolutionnaire (PDPR-EPR - héritier du Procup-PDLP), opérant dans l’État de Guerrero et la région de Oaxaca depuis 1996, assume quant à lui la lutte armée pour la prise de pouvoir révolutionnaire. Au Paraguay a émergé depuis quelques années une Armée du Peuple paraguayen (EPP). Les uns comme les autres se réclament du marxisme-léninisme et des expériences "radicales" du passé (Rodriguez de Francia au Paraguay, les années 1910 au Mexique).

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    C'est finalement au Pérou, où le PC historique a totalement éclaté dans les années 1960, que le nouveau Parti communiste du Pérou d'Abimael Guzman "Gonzalo", connu dans les médias bourgeois sous le nom de "Sentier Lumineux" ("Par le sentier lumineux de José Carlos Mariátegui" était l'en-tête de sa publication étudiante, à la fin des années 1960), a mis en avant le marxisme-léninisme-maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme, et déclenché en 1980 une héroïque Guerre populaire. Celle-ci, si elle ne fut pas exempte de dérives, a surtout été dépeinte sous les traits les plus démoniaques par toute la réaction mondiale, le réformisme et le révisionnisme ; jusqu'à l'arrestation de Gonzalo en 1992 et l'écrasement militaire à peu près total du Parti au milieu de la décennie, après avoir étendu son action armée sur une partie impressionnante du territoire. Au-delà de cet aspect purement militaire, le PCP a joué un rôle fondamental dans l'affirmation internationale du maoïsme comme développement supérieur du marxisme, et a "tenu le flambeau" du maoïsme pendant une période "noire" pour le mouvement communiste international ; sans quoi, des expériences formidables comme la Guerre populaire au Népal (1996-2006), ou celles qui ont repris aux Philippines depuis la fin des années 1990 ou en Inde depuis le début des années 2000, n'auraient peut-être pas pu ou ne pourraient pas exister.

    1Par la suite, des organisations se réclamant du MLM et de Gonzalo se sont formées dans de nombreux pays du continent (Équateur, Colombie, Bolivie, Chili, Argentine), sans toutefois atteindre l'ampleur du PCP des années 1980-90, et présentant par ailleurs (parfois) des problèmes de sectarisme pour devenir de réels centres d'agrégation de toutes les luttes révolutionnaires (sans atteindre cependant le niveau auquel des groupuscules de faces de craie occidentaux défigurent, et parviendraient presque - en fait, parviennent bien souvent - à vous faire DÉTESTER le maoïsme "ligne Gonzalo"). Au Brésil en revanche, un vaste mouvement sur cette base (journal A Nova Democracia, Cebraspo, Ligue des Paysans Pauvres - LCP, etc., voir les liens ci-contre dans la colonne de droite) s'est développé à un niveau de masse sur ces bases idéologiques, tirant profit de la trahison des espoirs réformistes placés en Lula da Silva en 2002, et faisant luire l'espoir que cet immense pays (par ailleurs le plus inégalitaire et l'un des plus "génocidaires sociaux" de la planète) soit le théâtre de la prochaine Guerre populaire à se déclencher dans le monde.

    Au Pérou même, subsistent des groupes épars se réclamant du PCP, qui mènent pour certains des actions militaires contre les forces armées de l’État (d'autres se contentant de communiquer). Ils ne sont toutefois pas coordonnés entre eux par une direction centrale, et se qualifient régulièrement, mutuellement, de "révisionnistes" et "opportunistes" assorti de moult épithètes animaliers. L'un d'eux, le "groupe Artemio" du Huallaga, a récemment annoncé sa reddition.

    Nous voyons donc bien que, même si l'offensive réactionnaire/impérialiste fut déchaînée, sans pitié, la cause principale dans la défaite subie réside à l'intérieur des forces révolutionnaires elles-mêmes (primat des causes internes). Les forces trotskystes ou marxistes-léninistes prochinoises qui n'ont pas assumé la lutte armée révolutionnaire, n'ont pas assumé l'antagonisme minimal qui s'imposait dans les conditions concrètes (avant de sombrer pour la plupart dans les troubles eaux de la théorie des trois mondes ou du hoxhisme). Les forces guévaristes/foquistes, souvent petites-bourgeoises ultra-radicales, qui se sont lancées dans la lutte armée au milieu ou à la fin des années 1960, ont péri des tares du foquisme : militarisme, aventurisme, idéalisme, coupure d'avec les masses (encore que celle-ci soit à relativiser, notamment concernant le PRT-ERP : son assise de masse commençait, en 1974-75, à devenir non-négligeable ; mais la ligne était militariste dans tous les cas). Les guérillas de Colombie et d'Amérique centrale ont mené ce qui aurait pu être une Guerre populaire révolutionnaire, avec à la fois une lutte armée assumée et un enracinement certain dans les masses exploitées. Mais là, c'est l'idéologie prolétarienne qui faisait défaut : elles étaient inféodées aux intérêts du social-impérialisme soviétique (à travers Cuba), et ont sombré avec lui.

    L'importance, aussi, de la force d'attraction des réformistes radicaux ou des national-populistes, dans tous les pays, pour les aspirations révolutionnaires des masses, a joué un rôle d'obstacle puissant pour le mouvement communiste ; et celui-ci n'a pas su trouver les "clés" pour arracher les masses à cette influence. Ce fut le cas avec le péronisme en Argentine, en tout cas jusqu'en 1974-75, exemple le plus frappant ; et ça l'est encore aujourd'hui avec les "bolivarismes" de tout poil...

    000312891Le Parti communiste du Pérou, on l'a vu, a eu un rôle positif essentiel tant pour le continent que pour le mouvement communiste international : en survivant et en inquiétant l'impérialisme au-delà de toutes les autres guérillas révolutionnaires, en affirmant internationalement le maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme et l'universalité de la Guerre populaire, et en "passant le flambeau" de la lutte révolutionnaire à la succession (qui se trouve, aujourd'hui, plutôt en Asie). Certes, il ne doit pas être sacralisé : la rapidité de son effondrement en 1992-97, après son triomphe apparent en 1988-92, peut par exemple mériter d'être questionnée (les causes principales de l'échec des révolutions sont toujours internes) ; tout comme peut-être une centralisation excessive de la direction théorique du Parti (jefatura) facilitant sa décapitation ; du subjectivisme et de la métaphysique sans doute parfois, y compris en mettant en minorité Gonzalo lui-même (question du "passage à l'offensive stratégique" et de porter la guerre dans Lima en 1991), voire (localement) de la confusion entre contradictions au sein du peuple et contradictions avec l'ennemi, et donc un mauvais traitement de celles-ci, etc. etc. Mais en vérité, quelle révolution aussi colossale, contre un ordre social aussi brutal et vieux de 5 siècle, et des vents contraires internationaux complets (reflux généralisé de la révolution mondiale) ; quelle révolution allant au-delà d'une pure étape nationale-démocratique avant de voir son leader assassiné comme Sankara ou Lumumba et rejoindre le panthéon des héros révolutionnaires "romantiques", ou d'être avalée dans l'orbite soviétique comme Cuba après la mort (en "révolutionnaire romantique") du Che ; peut se targuer d'un parcours absolument pur et sans tâches ? Qui oserait aujourd'hui, à gauche, dénier leur légitimité aux guerres de libération de l'Algérie (pourtant non-communiste...) ou du Vietnam, qui furent aussi en leur temps dures et parfois sans pitié ? C'est pourtant ce qui est, dans les milieux d'extrême-gauche, très largement le cas de la Guerre populaire du Pérou ; dont la défaite a (surtout) été totalement concomitante de la "Fin de l'Histoire" et du triomphe de l'esprit ONG en mode charité néo-Las Casas auprès des "bons sauvages", ou au "mieux" de l'engouement pour les "guérillas sympas" du style Chiapas...

    [À ce sujet : http://ekladata.com/L-antagonisme-PCP-vs-ONG-et-Gauche-Unie-au-Perou.pdf]

    Enfin bref, tout cela est bien expliqué ici : sur-gonzalo-le-pcp-et-la-guerre-populaire-au-perou (oui, nous assumons contrairement aux imbéciles avoir changé d'avis depuis la rédaction de ce long article en 2012).

    Pour le moment, le Mouvement communiste sur le continent renaît peu à peu, beaucoup plus lentement que les aspirations spontanées des masses au "changement", aspirations qui se tournent, du coup, massivement vers les nouveaux nationalismes, réformistes bourgeois ou national-populistes.

    Ce qui s'impose, donc, comme cela a pu être fait en Italie à la fin des années 1980, ou peut commencer à l'être en Euskal Herria, c'est un bilan critique et une synthèse de l'expérience révolutionnaire accumulée au cours de cette "Guerre de Cinquante Ans" (appelons-la ainsi) 1945-1995 ; sans, serait-on tenté de dire, sacralisation de sa "chapelle" ni préjugés ou a priori sur les autres ; pour que de là jaillisse le nouveau : la renaissance d'un authentique Mouvement communiste révolutionnaire de masse entre le Rio Grande et la Terre de Feu.

    La situation sociale est OBJECTIVEMENT plus révolutionnaire que jamais (les mouvements populaires des 15-20 dernières années en sont la preuve ; simplement, ils se sont pour le moment tournés vers les nouveaux nationalismes des bourgeoisies "émergentes").

    Les structures fondamentales d'exploitation et de domination demeurent INCHANGÉES :

    - le bourgeoisie bureaucratique livre toujours à vil prix les matières premières et énergétiques essentielles aux monopoles impérialistes ; et encadre toujours les masses populaires misérables avec la même brutalité ;

    - la bourgeoisie compradore inonde toujours le marché national de productions des monopoles impérialistes, mais de manière plus massive, "démocratique" qu'auparavant ;

    - l'une et l'autre livrent toujours à vil prix la force de travail continentale aux monopoles impérialistes, pour que ceux-ci valorisent leur capital avec un retour sur investissement maximum ; le caractère social de la production est simplement plus développé qu'auparavant, car les monopoles, depuis 30-40 ans, ont délocalisé vers leurs semi-colonies de plus en plus d'étapes du processus productif ;

    - la question de la terre reste entière. La propriété terrienne (latifundiste) a évolué vers un agro-capitalisme de type junker prussien ou landlord anglais. Nous avions (encore vers 1960) des paysans pauvres, louant leur terre contre un part plus ou moins importante des bénéfices (métayage) ou carrément du produit en nature (colonat partiaire) ; ou encore, exploitant péniblement leur petit lopin pour survivre, et vendant (déjà) leur force de travail par périodes à la grande propriété voisine, pour faire un peu plus que survivre... Déjà en 1954, lors de l'opération PBSUCCESS au Guatemala, le principal propriétaire terrien du pays était le monopole agroalimentaire US United Fruit Company.  

    bananero.jpgNous avons désormais d'un côté des PAYSANS SANS TERRE (un problème fondamental et continental), ne pouvant accéder à la propriété faute de terres "disponibles" (alors que des milliers d'hectares sont accaparés par les grands propriétaires ou les "multinationales", ou carrément... laissés à l'abandon) ; et de l'autre des ESCLAVES (à peine) salariés, phénomène mis en lumière lors des campagnes internationales contre la "multinationale" Chiquita (ex - United Fruit), mais l'on trouve exactement la même chose sur les exploitations de propriétaires "nationaux". Et enfin, des micro-propriétaires résiduels qui tentent de survivre - mais les grandes exploitations ne peuvent plus, comme auparavant, absorber périodiquement leur force de travail pour leur permettre de gagner "un petit plus". Les masses qui s'entassent dans les barriadas ou les favelas, autour des grandes métropoles, survivant de l'économie informelle ou illégale, sont des paysans sans terre, chassés de la campagne par la misère, mais pas encore une classe ouvrière (ne pouvant, là encore, être tous et toutes absorbé-e-s par la production industrielle). Ainsi en est-il, par exemple, des récupérateurs/recycleurs de déchets en Colombie, auprès desquels travaille l'UOC-mlm.

    Le "junkérisme" agro-capitaliste, qu'il soit propriété privée autochtone, propriété monopoliste de "multinationales" étrangères (comme Chiquita) ou propriété d’État, reste du semi-féodalisme : il n'y a pas de "saut" vers un capitalisme agricole véritable, qui impliquerait a minima une répartition démocratique-bourgeoise de la terre, une combinaison de grandes exploitations extensives (d'agriculture ou d'élevage) comme dans le Bassin parisien, de petites et moyennes propriétés et de terres tout au plus en fermage (location à prix fixe). Et, surtout, l'économie non-agricole est incapable d’absorber la population rurale sans terre, et de suivre la croissance démographique. Car le problème (des sans-terre, des masses s'entassant dans les bidonvilles, de l'émigration massive vers l'Amérique du Nord ou l'Europe) est là : d'un côté, pas de "saut" vers une agriculture capitaliste rationnelle tout simplement... parce qu'impossible à l'époque de l'impérialisme !) ; de l'autre, la contradiction entre production nationale et appropriation monopoliste étrangère qui, ajoutée à la crise mondiale généralisée du capitalisme, empêche plus encore que dans les pays impérialistes (eux-mêmes confrontés au chômage de masse) de mettre en place une économie productive nationale susceptible d'absorber toute la main d’œuvre devenue surnuméraire à la campagne.

    Venezuela-Caracas-Bidonville-1-5Nous avons finalement là, à la différence près qu'on ne pend plus les "gueux" pour vagabondage, un phénomène assez similaire à celui des enclosures en Grande-Bretagne, à l'époque de la mutation (16e-18e siècle) de la féodalité britannique vers le grand capitalisme agraire landlord ; et d'une manière générale à la situation de l'Europe occidentale à cette époque : un développement capitaliste considérable, colossal, mais "pris" dans les entraves féodales (et bureaucratiques) de la superstructure politique et de l'organisation sociale, engendrant des souffrances indescriptibles pour les masses. À ceci près qu'à l'époque, parallèlement, un capitalisme industriel jeune, pratiquement seul au monde et en pleine expansion avait permis, à terme, d'absorber ces paysans chassés de leurs terres, sous la forme d'une classe ouvrière (le "surplus" étant évacué vers l'Amérique du Nord, l'Australie etc.). Puis, la Révolution anglaise de 1688-89 et les réformes de 1830-50, ainsi que les Révolutions bourgeoises françaises et ouest-européennes de 1789-1815, 1830 et 1848, avaient permis de briser définitivement ces entraves ; d'autre part, la question de la domination impérialiste (capitaliste étrangère plus avancée) était absente. Aujourd'hui, même avec des taux de croissance de l'ordre de 5% du PIB voire plus, rien de tel n'est évidemment possible en Amérique latine. Quant aux tâches autrefois dévolues à la révolution bourgeoise, elles appartiennent désormais à la révolution prolétarienne.

    Nous avons donc là un RENFORCEMENT brutal des structures de domination impérialistes, bureaucratiques, compradores et latifundistes, sous la forme d'un véritable génocide social, afin de "lutter" contre la chute exponentielle du taux de profit dans le monde impérialiste en crise ; et nullement un "dépassement" de l'ordre semi-féodal semi-colonial vers "autre chose".

    Tout cela implique une révolution agraire (expropriation des grands propriétaires et des monopoles agro-industriels impérialistes), une révolution anti-impérialiste (expropriation et réappropriation populaire des monopoles impérialistes en général) et une révolution anti-oligarchique (liquidation de la couche parasitaire, qui ne vit - dans un luxe insolent - que comme interface des monopoles), c'est à dire des tâches DÉMOCRATIQUES qui sont celles d'une Révolution de Démocratie Nouvelle[4] dirigée par le prolétariat et son Parti (même si l'étape démocratique peut être de - beaucoup - plus courte durée que dans des pays plus arriérés, comme le sous-continent indien, ou la Chine de 1949).

    La lutte armée reste la voie fondamentale de la révolution ; puisque cela est de toute manière valable UNIVERSELLEMENT, sans considération qu'un pays soit dominé ou impérialiste, arriéré ou avancé, très majoritairement rural ou très urbanisé, etc. N'est pas révolutionnaire celui ou celle qui n'envisage pas l'affrontement armé avec la classe dominante et son État ; même si ensuite, il existe un réformisme armé (lorsque le "blocage" au niveau de la classe dominante est tel que des avancées démocratiques et sociales, malheureusement, ne peuvent être obtenues que par les armes) ; mais il n'y a pas de révolutionnaires refusant la lutte révolutionnaire armée. Le pouvoir est au bout du fusil. Aucune "grève politique de masse" ne peut accomplir les tâches démocratiques énoncées ci-dessus (qui ne sont elles-mêmes qu'une première étape), et l'histoire récente du continent le prouve mieux que tout : les mouvements de masse, comme en Argentine ou en Bolivie, n'ont abouti qu'à la fuite précipitée des "néolibéraux" les plus emblématiques, et à l'élection la plus bourgeoise qui soit de réformistes à leur place... [L'on pourrait également avancer, en contre-exemple, les évènements arabes de 2011-2012 : les autocrates et leurs clans ont fui, mais il n'y a pas eu de révolution démocratique.]

    À partir de là, et seulement à partir de là, le prolétariat au pouvoir, en alliance avec la paysannerie (et tous les petits-bourgeois, intellectuels etc. patriotes et progressistes), pourra mettre en place, avant même la socialisation, une économie rationnelle au service du peuple, partageant le travail et protégeant les travailleurs, développant les forces productives, résolvant la contradiction entre les villes et les campagnes (dans les communes populaires), etc. etc. Toutes choses dont le capitalisme est absolument incapable en soi (puisque l'intérêt social ne compte pas, seul prime l'intérêt personnel du capitaliste), et encore plus sous sa forme impérialiste, de SUREXPLOITATION des ressources et de la force de travail d'un pays par les monopoles d'une lointaine puissance postindustrielle.

    Bref panorama historique révolutionnaire des Amériques

    Mais pour cela, comme on l'a dit plus haut, il faut un Mouvement communiste et révolutionnaire suffisamment important, large quantitativement et implanté qualitativement, agrégé autour de Partis communistes conséquents qui "envoient dans toutes les classes de la société, dans toutes les directions les détachements de leur armée" ; qui adaptent réellement leur praxis à la société dans laquelle ils opèrent (après l'avoir analysée en profondeur) et ne se contentent pas de plaquer dessus des schémas préétablis, etc. (toutes choses qui s'appliquent également - sinon plus - à nous communistes "occidentaux", que l'on se réclame de Russes du début du siècle dernier, d'un Chinois ou d'un Albanais des années 1940 etc.).

    Aujourd'hui, ces Partis n'existent pas encore en tant que tels : ils sont en gestation, dans des organisations arborant le marxisme révolutionnaire de notre époque - le marxisme-léninisme-maoïsme - mais qui doivent encore s'épurer des déviations gauchistes ou opportunistes ; mais aussi, dans les masses populaires encore emprisonnées au sein de forces cubano-guévaristes, réformistes, national-populistes ou "bolivaristes radicales", d'organisations "pensée Mao" ou même trotskystes, hoxhistes voire anarchistes. Comme dans la plupart des pays du monde, un processus de décantation, de fragmentation et recomposition est en cours. Le "catalyseur" de ce processus, on l'a dit, sera le bilan sincère et critique, la synthèse et l'élévation à un niveau supérieur de l'expérience des 50 ou 60 dernières années ; ceci s'inscrivant dans une démarche mondiale de bilan et de synthèse de l'expérience du Mouvement communiste international depuis la Révolution bolchévique de 1917.

    Les camarades communistes conséquent-e-s d'Amérique latine, engagé-e-s dans cette démarche, ont tout le soutien internationaliste des communistes conséquent-e-s engagés dans la même démarche en Europe, et partout dans le monde. Car il ne peut y avoir de Révolution prolétarienne mondiale, s'il manque un continent à la Zone de Tempêtes !

    che revolucion-continental

    À regarder absolument : L'Heure des Brasiers, très intéressant documentaire argentin de 1968 (sur une ligne "péroniste de gauche") retraçant tout cela (cliquer en bas des vidéos pour les sous-titres en français) :


    [1] Le Dr. José Gaspar Rodriguez de Francia dirigea la République du Paraguay de son indépendance en 1810 jusqu'à sa mort en 1840. D'esprit plutôt jacobin et anticlérical (contrairement, par exemple, à son "très catholique" voisin argentin Rosas), il mit en place un régime personnel et autoritaire mais POPULAIRE, profondément appuyé sur les masses (avec, par exemple, la mise en place des Estancias de la Patria, "exploitations agropastorales du Peuple" louées pour un montant symbolique aux communautés paysannes) et farouchement indépendantiste face à ses deux grands voisins, le Brésil et l'Argentine, pilotés par l'Empire britannique qui, peu à peu, s'efforçait de remplacer l'Espagne et le Portugal dans la mainmise sur le continent... Son modèle économique fut essentiellement agricole, mais sa prospérité et son indépendance permirent à ses successeurs de commencer à développer un capitalisme industriel souverain (radicalement fermé aux investissements extérieurs) jusqu'en 1865-70, lorsque le pays subit l'une des premières guerres d'extermination de l'époque impérialiste (300.000 mort-e-s pour à peine entre 500 et 800.000 habitant-e-s au début du conflit !) face à la "Triple Alliance" du Brésil, de l'Argentine et de l'Uruguay, pilotée par Londres.
    Il y a au Paraguay une Armée du Peuple Paraguayen (EPP) qui a choisi de prendre comme référence cette personnalité historique nationale. SLP, on le sait, a toujours (notamment) durement critiqué le PCF "historique" de Maurice Thorez pour avoir placé son projet politique dans le "prolongement" et le "parachèvement" de "93", de la République conventionnelle jacobine de 1793-94, ignorant la différence qualitative fondamentale entre une révolution bourgeoise "radicale" et une révolution prolétarienne. De la même manière, le PC d’Équateur - Comité de Reconstruction a pu critiquer, à juste titre, la mise en avant par les réformistes bourgeois, les révisionnistes mais aussi certaines Forces subjectives de la Révolution prolétarienne, de la figure libérale-radicale bourgeoise d'Eloy Alfaro. Pour autant, il en est ainsi et l'EPP, à qui Servir le Peuple adresse ses plus sincères salutations révolutionnaires, est à ce jour la force révolutionnaire la plus avancée dans l’État oligarchique-bourgeois dénommé Paraguay.

    [2] Avant le régime de Francia (unique sur le continent à l'époque pour sa stabilité, son indépendance et sa politique de développement au service de la population), le Sud du Paraguay, avec le Nord-Est de l'Argentine et quelques parties de l'Uruguay et du Sud du Brésil, avait déjà été le théâtre d'une expérience unique en son genre : entre le début du 17e et le milieu du 18e siècle, la Compagnie de Jésus (jésuites) avait mis en place un tissu de missions catholiques auprès des indigènes guaranis, qui formaient un ensemble de petites républiques extrêmement démocratiques, égalitaires et progressistes pour l'époque. Celles-ci gênaient (déjà) les grands propriétaires coloniaux et les milices de chasseurs d'esclaves (au service de ces derniers), si bien que vers 1750 l'Espagne et le Portugal, sous l'influence des "lumières" grandes-bourgeoises et aristocratiques "éclairées" (comme le marquis de Pombal), proscrivirent les Jésuites de leurs colonies et liquidèrent militairement les missions. Cet épisode historique est notamment retracé dans le célèbre film hollywoodien Mission de Roland Joffé. Jusqu'à la Constitution bolivienne de 2009, proclamant l’État "plurinational" de Bolivie, le Paraguay était le seul pays latino-américain, même sous les pires dictatures, à reconnaître une langue indigène (le guarani) comme langue officielle.

    [3] 30 000 « disparus » (desaparecidos), 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques, et 1,5 million d’exilés pour 30 millions d’habitants.

    [4] C'est là une question très importante pour la stratégie révolutionnaire et les alliances de classe à adopter. D'une manière générale, ce qui décide du caractère socialiste ou de nouvelle démocratie d'une révolution, c'est moins le caractère dominé de la nation (englobée dans un grand État bourgeois, colonisée, ancienne colonie devenue "indépendante" mais toujours sous tutelle étroite, "indépendante" mais dominée par le capital impérialiste, etc.), que l'importance de la semi-féodalité et l'arriération des forces productives et de l'organisation sociale. Ainsi, le Pays Basque est une nation sans État, englobée dans les États espagnol et français, qui doit être libérée et réunifiée, mais les tâches de la révolution y sont immédiatement socialistes : c'est une nation industrielle, avancée, très majoritairement ouvrière, avec une organisation sociale capitaliste avancée similaire à toute nation d'Europe occidentale, etc. Au contraire, un pays comme le Népal doit connaître une étape de nouvelle démocratie d'assez longue durée ; la Russie et les nations de l'URSS - même si l'on ne parlait pas de nouvelle démocratie - l'ont nécessité pour une dizaine d'années - dans les années 1920 - etc. Aujourd'hui, dans les pays particulièrement avancés comme le Brésil, l'Argentine, le Mexique ou le Chili, les forces bourgeoises "radicales" s'affirmant "révolutionnaires" ont pratiquement disparu : la gauche bourgeoise assume le réformisme et la social-démocratie. C'est un indice que l'étape démocratique de la révolution prolétarienne "tend vers zéro", que l'on tend vers une quasi-immédiateté des tâches socialistes. En revanche, la nature socialiste ou de nouvelle démocratie de la révolution à mener ne décide pas de la stratégie générale de Guerre populaire (qui est universelle) ou insurrectionnelle (accumulation de forces-grève générale-insurrection, qui est universellement erronée) à suivre.


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  • sanka-01

    Source : Blog des peuples en lutte

    Thomas Isidore Noël Sankara, considéré par certains comme le Che Guevara africain est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute Volta et mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso. C'était un militaire et un homme politique panafricaniste et tiers-mondiste burkinabé. 

    Il incarna et dirigea la révolution burkinabé du 4 août 1983 jusqu'à son assassinat lors d'un coup d'État qui amena au pouvoir Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987. Il a notamment fait changer le nom de la Haute-Volta, issu de la colonisation, en un nom issu de la tradition africaine le Burkina Faso, le pays des hommes intègres et a conduit une politique d'affranchissement du peuple burkinabé jusqu'à son assassinat. Son gouvernement entreprit des réformes majeures pour combattre la corruption et améliorer l'éducation, l'agriculture et le statut des femmes. Son programme révolutionnaire se heurta à une forte opposition du pouvoir traditionnel qu'il marginalisait ainsi que d'une classe moyenne peu nombreuse mais relativement puissante. 

    L'héritage politique et « identitaire » de Thomas Sankara — tout comme ceux de Patrice Lumumba, Amílcar Cabral ou Kwame Nkrumah — est considérable en Afrique et en particulier dans la jeunesse africaine dont une bonne partie le voit comme un modèle. 

    Biographie 

    Thomas Sankara était un « Peul-Mossi » issu d'une famille catholique. Son père était un ancien combattant et prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Il a fait ses études secondaires au Lycée Ouézin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays. Il a suivi une formation d'officier à Madagascar et devint en 1976 commandant du centre de commando de Pô. La même année, il fait la connaissance de Blaise Compaoré avec lequel il forme le Regroupement des officiers communistes (ROC) dont les autres membres les plus connus sont Henri Zongo, Boukary Kabore et Jean-Baptiste Lingani. 

    En septembre 1981, il devient secrétaire d'État à l'information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo. Il démissionne le 21 avril 1982, déclarant « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! » 

    Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d'État portait au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo. Sankara devint Premier ministre en janvier 1983, mais fut limogé et mis aux arrêts le 17 mai, après une visite de Guy Penne, conseiller de François Mitterrand. Le lien entre la visite de Guy Penne et l'arrestation de Sankara reste sujet à controverse, même si les soupçons d'une intervention française restent forts. 

    Un nouveau coup d'État, le 4 août 1983 place Thomas Sankara à la présidence. Il définit son programme comme anti-impérialiste, en particulier dans son « Discours d'orientation politique », écrit par Valère Somé. Son gouvernement retira aux chefs traditionnels les pouvoirs féodaux qu'ils continuaient d'exercer. Il créa les CDR (Comités de défense de la révolution), qui eurent toutefois tendance à se comporter en milice révolutionnaire faisant parfois régner une terreur peu conforme aux objectifs de lutte contre la corruption. 

    Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara fut assassiné lors d'un coup d'État organisé par celui qui était considéré comme son frère, Blaise Compaoré. Plusieurs jours plus tard, il fut déclaré « décédé de mort naturelle » par un médecin militaire. L'absence de tout procès ou de toute enquête de la part du gouvernement burkinabé a été condamnée en 2006 par le Comité des droits de l’homme des Nations unies .Par ailleurs, le gouvernement français de l'époque (cohabitation entre Jacques Chirac qui gouverne et François Mitterrand qui préside) est soupçonné d'avoir joué un rôle dans cet assassinat, ainsi que plusieurs autres gouvernements africains gouvernés par des amis de la France. Kadhafi pourrait être impliqué et avoir utilisé ce meurtre pour redevenir un ami de la France. C'est notamment la famille Sankara, réfugiée en France, qui soutient ces hypothèses. Cette hypothèse est aussi soutenue par la plupart des historiens africains. Si la décision de condamner l'absence d'enquête constitue une première mondiale dans la lutte contre l'impunité, elle est insuffisante, puisqu'elle n'a conduit à aucune condamnation. Thomas Sankara a été proclamé modèle par la jeunesse africaine au forum social africain de Bamako 2006 et au forum social mondial de Nairobi en 2007. 

    Depuis le 28 décembre 2005, une avenue de Ouagadougou porte son nom, dans le cadre plus général d'un processus de réhabilitation décrété en 2000 mais bloqué depuis lors. Diverses initiatives visent à rassembler les sankaristes et leurs sympathisants, notamment par le biais d'un comité national d'organisation du vingtième anniversaire de son décès, de célébrer sa mémoire, notamment par des manifestations culturelles, tant au Burkina Faso qu'en divers pays d'implantation de l'immigration burkinabé. En 2007, pour la première fois depuis 19 ans, la veuve de Thomas Sankara, Mariam Serme Sankara a pu aller se recueillir sur sa tombe présumée lors des 20es commémorations à Ouagadougou. 

    Actions politiques 

    Thomas Sankara était en premier lieu un des chefs du Mouvement des non-alignés, les pays qui durant la Guerre Froide ont refusé de prendre parti pour l'un ou l'autre des deux blocs. Il a beaucoup côtoyé des militants d'extrême gauche dans les années 1970 et s'est lié d'amitié avec certains d'entre eux. Il a mis en place un groupe d'officiers clandestin d'influence marxiste : le Regroupement des officiers communistes (ROC). Dans ses discours, il dénonce le colonialisme et le néo-colonialisme, notamment de la France, en Afrique (notamment les régimes clients de Côte d'Ivoire et du Mali, lequel lance plusieurs fois, soutenu par la France, des actions militaires contre le Burkina Faso). Devant l'ONU, il défend le droit des peuples à pouvoir manger à leur faim, boire à leur soif, être éduqués. Pour redonner le pouvoir au peuple, dans une logique de démocratie participative, il créa les CDR (Comités de défense de la révolution) auxquels tout le monde pouvait participer, et qui assuraient la gestion des questions locales et organisaient les grandes actions. Les CDR étaient coordonnés dans le CNR (Conseil national de la révolution). Les résultats de cette politique sont sans appel : réduction de la malnutrition, de la soif (construction massive par les CDR de puits et retenues d'eau), des maladies (grâce aux politiques de « vaccinations commandos », notamment des enfants, burkinabe ou non) et de l'analphabétisme (l'analphabétisme passe pour les hommes de 95% à 80%, et pour les femmes de 99% à 98%, grâce aux "opérations alpha"). Sankara est aussi connu pour avoir rompu avec la société traditionnelle inégalitaire burkinabe, par l'affaiblissement brutal du pouvoir des chefs de tribus, et par la réintégration des femmes dans la société à l'égal des hommes. Il a aussi institué la coutume de planter un arbre à chaque grande occasion pour lutter contre la désertification. Il est le seul président d'Afrique (et sans doute du monde) à avoir vendu les luxueuses voitures de fonctions de l'État pour les remplacer par de basiques Renault 5. Il faisait tous ses voyages en classe touriste et ses collaborateurs étaient tenus de faire de même. Il est célèbre aussi pour son habitude de toujours visiter Harlem (et d'y faire un discours) avant l'ONU. 

    À lire :

    Thomas Sankara

    Portrait d'un homme intègre 

    Notes sur la révolution et le développement national et populaire dans le projet de Sankara

    Le "Che" africain. Il y a 20 ans : Thomas Sankara était renversé

    Qui était Thomas SANKARA ? (AGEN)

    Thomas Sankara, précurseur des luttes d’aujourd’hui (du même auteur, MàJ octobre 2014)

    Thomas sankara, leader d'un authentique processus révolutionnaire (Bruno Jaffré, le Monde Diplomatique, 2007) ici au complet :

    Thomas Sankara, leader d’un authentique processus révolutionnaire

    Bruno Jaffré

    Cet article est la première version de l’article écrit pour publication dans le Monde Diplomatique d’octobre 1987, avant les coupures dues aux contraintes de la presse qui font que la longueur est imposée et peut changer au fur et à mesure que s’élabore le journal notamment. On trouvera l’article effectivement publié sous le titre ’Thomas Sankara et la dignité de l’Afrique" sur le site du Monde Diplomatique à l’adresse http://www.monde-diplomatique.fr/2007/10/JAFFRE/15202

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    Le 15 octobre 2007, sera commémoré le 20ème anniversaire de la mort de Sankara dans de nombreux pays. Si Sankara reste largement méconnu hors de l’Afrique, il reste sur le continent dans bien des mémoires, comme celui qui disait la vérité, celui qui vivait proche de son peuple, celui qui luttait contre la corruption, celui qui donnait espoir que l’Afrique renoue avec la confiance, qu’elle retrouve sa dignité bafouée. Mais il était bien plus que cela : un stratège politique ayant dirigé jusqu’à la victoire un processus révolutionnaire, un président créatif, porteur de révolte, d’énergie, qui s’est engagé jusqu’au sacrifice suprême et enfin une voie qui porta haut et fort les revendications du tiers monde.

    Une longue préparation

    Sankara est né le 21 décembre 1949. Son père est revenu infirmier gendarme de la deuxième guerre mondiale dont il lui a rapporté l’horreur. Sa mère lui raconte les injustices dont se rendent responsables les Naabas, les chefs que les révolutionnaires appelleront les "féodaux". Aîné des garçons dans une lignée de douze frères et soeurs, il acquiert vite des responsabilités. A l’école où il côtoie les fils de colons et découvre l’injustice. Il sert la messe mais refuse in extremis de faire le séminaire et opte pour le collège puis entre au Prytanée militaire du Kadiogo en seconde.

    C’est paradoxalement dans cette école militaire que Sankara va s’ouvrir à la politique. Adama Touré militant du PAI, parti africain de l’indépendance, marxiste convaincu y enseigne l’histoire avant d’être le directeur des études. Il poursuit sur sa formation à l’école militaire inter-africaine d’Anstirabé à Madagascar. En plus des cours de stratégies militaires et tout ce qui a trait à la formation d’officiers, l’enseignement y est pluridisciplinaire : sociologie, sciences politiques, économie politique, français, connaissance de la culture malgache, "sciences agricoles". Militaires les civils ensemble entreprennent  dans ce pays des changements radicaux et notamment la rupture avec la France. Il effectue une année supplémentaire de service civique et effectue de nombreux séjours en zone rurale au milieu de la population et y découvre une nouvelle fonction de l’armée au service des populations.

    En 1974, lors de la première guerre avec le Mali, son nom commence à circuler après un exploit militaire. A sein de l’armée il entreprend de regrouper les jeunes officiers de sa génération, d’abord pour défendre leur conditions de vie, leur dignité d’officier alors que tout leur manque pour effectuer leur commandement dans de bonnes conditions, parfois jusqu’à l’eau potable. Puis la politique prend le dessus et ils créent avec ses amis une organisation clandestine au sein de l’armée. Dès 1977, il demande au PAI d’organiser une session de formation politique d’une semaine, tout en entretenant des relations étroites avec des militants d’autres organisations. Il lit beaucoup, de tout, questionne, approfondit, prend goût au débat politique. Son charisme joue le rôle de rassembleur. Son réseau s’étend au sein de l’armée plus souvent par la sympathie que dégage le personnage que par conviction politique.

    Sankara, à force de persévérance, obtient la création et le commandement d’une unité de commandos d’élite à Po.

    Un pays en crise

    Après l’indépendance, se succèdent des périodes d’exception et de démocratie parlementaire. Ainsi, la Haute Volta est le seul pays de la région à élire un président, le général Lamizana, au deuxième tour en 1978. Il procède d’une gestion paternaliste et bon enfant de l’armée comme du pays mais doit affronter plusieurs fois une classe politique composée pour l’essentiel de partis issus du RDA  A gauche, seul le parti de l’historien Ki Zerbo participe aux élections, parfois aussi au pouvoir, tout en étant implantés dans les syndicats.

    C’est durant cette période que vont être créées les conditions des évènements qui aboutiront à la révolution : une exacerbation de contradictions, un puissant mouvement populaire et la montée en puissance d’un militaire révolutionnaire charismatique.

    Plusieurs phénomènes vont en effet évoluer en parallèle pour produire une situation explosive.

    Les politiciens se complaisent dans les joutes parlementaires, délaissant les débats sur les moyens de sortir de la pauvreté et se coupent petit à petit des forces vives du pays constituées alors de la petite bourgeoisie urbaine, tandis les campagnes restent sous la coupe des différentes chefferies. L’armée se divise coupée en deux entre une jeune génération montante ambitieuse et des officiers plus âgés moins éduqués. Les officiers supérieurs qui dans un premier temps rétablissent les finances publiques après 1966 et imposent une rigueur dans la gestion, vont finir d’une part par prendre goût au pouvoir se déconsidérer dans les scandales financiers.

    Une crise des finances publiques se développe à la fin des années 70, d’une part du fait de scandales financiers, d’une gabegie de dépense lors de campagne électorale, mais aussi à la suite de mouvement sociaux puissants qui veillent ce que les promesses d’augmentation de salaires soient tenues.

    Cette période est celle aussi d’une intense activité politique extra parlementaire. Le PAI reste clandestin. Mais il profite des périodes de liberté d’expression pour mettre en place en 1973 une organisation autorisée, la LIPAD, Ligue Patriotique pour le développement, qui développe une activité publique : conférences, diffusion d’un organe de presse, animation en direction de la jeunesse dans les quartiers ou durant les vacances scolaires. Par ailleurs de nombreux étudiants ayant été formés dans les débats politiques passionnés de la puissante FEANF, ou s’affrontent les différentes obédiences se réclamant du marxisme léninisme rentrent au pays. Des scissions successives issues du PAI vont créer d’autres mouvements clandestins, notamment l’ULC, l’Union des Luttes Communistes et le PCRV (Parti Communiste révolutionnaire). Les syndicats, traversés par les luttes de tendance, prennent la tête de puissants mouvements revendicatifs ou politiques, comme par exemple pour lutte contre une constitution jugée trop liberticide.

    Un premier coup d’Etat militaire intervient en novembre 1980, avec le soutien d’une majeure partie de l’armée après une succession de grèves. Il reçoit le soutien de l’opposition politique légale en particulier du parti du Ki Zerbo. Mais le nouveau pouvoir, bénéficiant pourtant d’une certaine popularité va rapidement découvrir un visage répressif obligeant des dirigeants syndicaux à entrer dans la clandestinité. Des officiers vont être mêlés à des scandales. Sankara qui a été nommé secrétaire d’Etat à l’Information démissionne en direct à la télévision prononçant cette phrase devenu célèbre : "malheur à ceux qui bâillonnent le peuple".

    Une situation révolutionnaire

    Lorsqu’intervient le coup d’Etat du CSP (Conseil du Salut du Peuple) en 1982, c’est une nouvelle fraction de l’armée qui se trouve déconsidérée mais aussi le parti de Ki Zerbo. Le clivage va rapidement se faire sentir entre ceux qui souhaitent le retour à des anciens politiciens en avançant comme objectif une vie constitutionnelle normale et les officiers révolutionnaires regroupés autour de Sankara qui fustigent l’impérialisme et les ennemis du peuples. Ces deux groupes d’affrontent d’abord politiquement au sein de l’armée et la nomination de Sankara comme premier ministre est une première victoire. Il en profite pour exacerber les contradictions au cours de meetings publics où il exalte la foule et dénonce "les ennemis du peuple" et "l’impérialisme".

    Il est arrêté le 17 mai 1983, alors que Guy Penne conseiller Afrique de Mitterrand atterrit à Ouagadougou. Blaise Compaoré arrive à rejoindre les commandos à Po dont il a pris le commandement en remplacement de Sankara. Les civils entrent en scène, en particulier le PAI qui organisent des manifestations demandant la libération de Sankara et redoublent d’activité, et dans une moindre mesure l’ULC de Valère Somé en voie de reconstitution. Sankara a su se faire respecter non sans mal par des organisations civiles qui se méfient des militaires mais aussi par les militaires qui reconnaissent en lui l’un des leurs, un militaire fier de l’être, et ce bien au-delà de ses proches qui se sont organisés autour de lui depuis plusieurs années. Sankara libéré, toutes ces forces bien organisées restent en contact permanent et préparent la prise du pouvoir.

    Après plusieurs reports, les commandos de Po, dirigé par Blaise Compaoré, montent sur la capitale le 4 août 1983. Les employés des télécommunications coupent les lignes, des civils attendent les soldats pour les guider dans la ville et participent à différentes missions. 

    Un programme simple et ambitieux

    Sankara a longuement préparé son accession au pouvoir. Il s’y est longuement préparé sans jamais oublié son objectif principal : "Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir. Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance. Tel est notre programme politique.[1]"

    Et la tâche est immense, la Haute Volta est alors parmi les pays les plus pauvres du monde[2] : " Le diagnostic à l’évidence, était sombre. La source du mal était politique. Le traitement ne pouvait qu’être politique.", après avoir donné quelques chiffres : "un taux de mortalité infantile estimé à 180 pour mille, une espérance de vie se limitant à 40 ans, un taux d’analphabétisme allant jusqu’à 98 pour cent, si nous concevons l’alphabétisé comme celui qui sait lire, écrire et parler une langue, un médecin pour 50000 habitants, un taux de scolarisation de 16 pour cent, et enfin un produit intérieur brut par tête d’habitant de 53356 francs CFA soit à peine plus de 100 dollars.[3]"

    La théorie et la pratique

    Sankara cache à peine ses influences marxistes mais il va vite comprendre que ceux qui se pressent autour de lui et se réclament du marxisme sont souvent bien loin de partager ses préoccupations de placer comme priorité l’amélioration des conditions de vie de la population.

    Il regroupe autour de lui à la présidence près de 150 collaborateurs qu’il a minutieusement choisis, quelques idéologues mais surtout les meilleurs cadres du pays les plus motivés. Les projets ne vont cesser de fuser tandis qu’il impose en permanence des délais d’étude de faisabilité jugés souvent irréalisables. Sans doute faut-il voir là, l’origine du "pouvoir personnel" dont on l’accuse alors que d’autres reconnaissent la difficulté à argumenter contre lui. C’est qu’il était par ailleurs un bourreau de travail et qu’il préparait avec minutie ses dossiers avec ses collaborateurs.

    Au-delà de ses influences idéologiques qui vont surtout le guider dans l’analyse du mouvement de la société et des rapports de domination au niveau international, la révolution s’entendait pour lui comme l’amélioration des conditions de vie de la population. Au plus fort de la crise politique il déclare à l’encontre de ceux qui prennent prétexte de divergences idéologiques pour comploter contre : "Notre révolution est et doit être en permanence l’action collective des révolutionnaires pour transformer la réalité et améliorer la situation concrète des masses de notre pays. Notre révolution n’aura de valeur que si, en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant nous, nous pouvons dire que les Burkinabè sont, grâce à la révolution, un peu plus heureux, parce qu’ils ont de l’eau saine à boire, parce qu’ils ont une alimentation abondante, suffisante, parce qu’ils ont une santé resplendissante, parce qu’ils ont l’éducation, parce qu’ils ont des logements décents, parce qu’ils sont mieux vêtus, parce qu’ils ont droit aux loisirs ; parce qu’ils ont l’occasion de jouir de plus de liberté, de plus de démocratie, de plus de dignité. Notre révolution n’aura de raison d’être que si elle peut répondre concrètement à ces questions…  La révolution, c’est le bonheur. Sans le bonheur nous ne pouvons pas parler de succès. Notre révolution doit répondre concrètement à toutes ces questions"[4].

    Une rupture profonde, une authentique révolution

    La Révolution s’analyse avec le recul comme une véritable rupture dans tous les domaines : transformation de l’administration, redistribution des richesses, lutte sans merci contre la corruption, action concrète tout autant que symbolique pour la libération de la femme, responsabilisation de la jeunesse, mis à l’écart de la chefferie quand elle n’est pas combattue en tant que responsable de l’arriération des campagnes et de soutien des anciens partis politiques, tentative presque désespérée de faire des paysans un classe sociale soutenant activement la révolution, transformation de l’armée pour la mettre au service du peuple en lui assignant aussi des taches de production, car un "militaire sans formation politique est un assassin en puissance", décentralisation et recherche d’une démocratie directe à travers les CDR, contrôle budgétaire et mise sous contrôle des ministres et la liste n’est pas exhaustive tant l’action engagé a été multiple et diverse.

    Développement auto centré

    Dès le début de la révolution, le CNR lance le Plan Populaire de Développement. Les provinces déterminent leurs objectifs et doivent trouver les moyens nécessaires pour les atteindre, une méthode que Sankara décrit ainsi : "Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il faut s’asseoir et écrire son développement ; il faut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur."[5]

    Au point de vue économique, le CNR va pratiquer l’auto ajustement, les dépenses de fonctionnement diminuent au profit de l’investissement mais aussi la rationalisation des moyens. Mais le prix à payer va être lourd. L’effort Populaire d’Investissement se traduit par des ponctions sur les salaires de 5 à12%, une mesure tempérée cependant par la gratuité des loyers décrétée pendant un an. Une zone industrielle en friche a ainsi par exemple pu être réhabilitée à Ouagadougou.

    Il s’agit de promouvoir le développement autocentré, ne pas dépendre l’aide extérieure : "ces aides alimentaires qui nous bloquent, qui inspirent, qui installent dans nos esprits cette habitude, ces réflexes de mendiant, d’assisté, nous devons les mettre de côté par notre grande production ! Il faut réussir à produire plus, produire plus parce qu’il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés"[6].  

    Les mots d’ordre "produisons, consommons burkinabé" constituent une des traductions majeures de cette politique.

    Ainsi les fonctionnaires sont incités à porter le Faso Dan Fani, l’habit traditionnel, fabriqué à l’aide de bandes de coton tissées de façon artisanale. Une mesure qui a joué un véritable effet d’entraînement, puisque la production du coton a augmenté, mais surtout de très nombreuses femmes se sont mises à tisser dans les cours, leur permettant ainsi d’acquérir un revenu propre les rendant moins dépendantes de leur mari. Les importations de fruits et légumes ont été interdites dans la dernière période pour inciter les commerçants à faire plus d’efforts pour aller chercher la production dans le sud-ouest du Burkina, difficilement accessible plutôt que d’emprunter la route goudronnée allant en Côte d’Ivoire. Des circuits de distribution ont été mis en place grâce à une chaîne nationale de magasins nationale, mais aussi pour atteindre via les CDR les salariés jusque dans leur services.

    Précurseur

    La défense de l’environnement fait aujourd’hui la une de l’actualité. Déjà à cette époque, Sankara avait pointé les responsabilités humaines de l’avancée du désert dans le Sahel. Le CNR lance dès avril 1985, les trois luttes : lutte contre la coupe abusive du bois, accompagnée de campagnes de sensibilisation pour le développement de l’utilisation du gaz pour la cuisine, lutte contre les feux de brousse et lutte contra la divagation des animaux, reprises non sans parfois quelques mesures coercitives par les CDR

    Par ailleurs, partout dans le pays, les paysans se sont mis à construire des retenues d’eau souvent à mains nues pendant que le gouvernement relançait des projets de barrages qui dormaient dans les tiroirs. Sankara interpellait tous les diplomates ou hommes d’Etat leur soumettant inlassablement se projets, pointant les insuffisances de l’aide de La France en la matière alors que les entreprises françaises étaient les principales bénéficiaires des marchés des gros travaux. Il faudrait encore citer les campagnes de popularisation des foyers améliorés économisant la consommation du bois, tandis que le commerce en était régulé, les campagnes de reboisement dans les villages qui devaient prendre en charge l’entretien d’un bosquet sans oublier les plantations d’arbre comme un acte obligé à chaque évènement social ou politique.

    La mondialisation, le système financier international, l’omniprésence du FMI et de la Banque Mondiale, la question de la dette des pays du tiers monde sont aujourd’hui des thèmes de combat au niveau international depuis le développement du mouvement dit altermondialiste. Dans un discours sur la dette[7], Sankara développe une analyse largement reprise aujourd’hui : la dette trouve son origine dans les « propositions alléchantes » des « assassins techniques ». Elle est devenue le moyen de « reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers ». Et il appelle ses pairs à ne pas la rembourser rappelant au passage la dette de sang due après l’envoi des milliers d’africains envoyés combattre l’armée nazie lors de la seconde guerre mondiale. Si le Burkina Faso est effectivement entré en discussion avec le FMI pour obtenir des prêts, la décision a finalement été prise au cours d’une conférence nationale de ne pas signer avec le FMI qui souhaitait imposer ses conditionnalités. Le Burkina s’est alors lancé seul dans la "bataille du rail", la population étant invitée à tour de rôle à venir poser des rails avec les moyens dont disposait le pays. 

    Construire la démocratie

    Lorsqu’on demande à Sankara ce qu’est la démocratie il répond : "La démocratie est le peuple avec toutes ses potentialités et sa force. Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. Au contraire, là où le peuple peut dire chaque jour ce qu’il pense, il existe une véritable démocratie car il faut alors que chaque jour l’on mérite sa confiance. On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel".

    Les CDR créées très rapidement après le 4 août 1983 sont chargés d’exercer le pouvoir du peuple. S’ils ont été à l’origine de nombreuses exactions, et servi de faire de lance contre les syndicats, il n’en reste pas moins qu’ils ont assumé de nombreuses responsabilités bien au-delà de la seule sécurité publique : formation politique, assainissement des quartiers, gestion des problèmes locaux, développement de la production et de la consommation des produits locaux, participation au contrôle budgétaire dans les ministères. Et la liste n’est pas exhaustive. Ils ont même rejeté après débats, plusieurs projets comme celui de "l’école nouvelle" jugée trop radical  Quant à leurs insuffisances, souvent dues aux querelles que se livraient les différentes organisations soutenant la révolution, Sankara était souvent le premier à les dénoncer[8]. 

    Le complot

    Ce président d’un type nouveau dont tout le monde veut bien louer aujourd’hui le patriotisme et l’intégrité, l’engagement personnel et le désintéressement était à l’époque devant gênant. Son exemple menaçait le pouvoir des présidents de la région et plus généralement la place de la présence française en Afrique. Le complot va s’organiser inéluctablement. Le numéro deux du régime, le président actuel du Burkina Faso, Blaise Compaoré[9] va s’en charger avec le soutien probable de la France, de la Côté d’Ivoire et de la Lybie. Ainsi selon François Xavier Verschave : Kadhafi et la Françafrique multipliaient les causes communes. Cimentées par l’antiaméricanisme. Agrémentées d’intérêts bien compris. L’élimination du président burkinabé Thomas Sankara est sans doute le sacrifice fondateur. Foccart et l’entourage de Kadhafi convinrent en 1987 de remplacer un leader trop intègre et indépendant au point d’en être agaçant, par un Blaise Compaoré infiniment mieux disposé à partager leurs desseins. L’Ivoirien Houphouët fut associé au complot"[10]. On connaît la suite, l’alliance qui se fait jour via les réseaux françafricains mêlant des personnalités politiques, des militaires ou des affairistes de Côte d’Ivoire, de France, de Libye et du Burkina Faso, pour soutenir Charles Taylor responsable des effroyables guerres civiles qui se dérouleront au Libéria puis en Sierra Leone. Blaise Compaoré participera encore à des trafics de diamants et d’armes pour contourner l’embargo contre l’UNITA de Jonas Savimbi. Aujourd’hui, après avoir abrité les militaires qui créeront les "forces nouvelles", Blaise Compaoré est présenté comme l’homme de la paix dans la région. Entre temps il est vrai c’est créé une Association Française d’Amitié Franco-Burkinabé, présidée par Guy Penne, dans laquelle on retrouve Michel Roussin, ancien des services secrets, condamnés pour des affaires de la mairie de Paris où il officiait aux côtés de Jacques Chirac et le numéro de Bolloré en Afrique, mais aussi Jacques Godfrain, présenté par Verschave comme un proche de Foccart[11]. Avec Pierre André Wiltzer, lui aussi ancien ministre de la coopération, mais membre de l’UDF, et Charles Josselin, lui aussi ancien ministre de la coopération mais socialiste, et nous avons là la françafrique reconstitué.

    Tout a été fait pourtant pour effacer Thomas Sankara de la mémoire dans son pays. Rien n’y fait. Inéluctablement, Sankara revient, par le son, les images, les écrits. Internet ne fait qu’amplifier le phénomène. Une nouvelle génération est née qui cherche l’information, questionne, apprend, se mobilise très régulièrement aussi depuis l’assassinat de Norbert Zongo toujours impuni. Et qui commence à demander des comptes à ceux qui ont suivi sans état d’âme Blaise Compaoré jusqu’à aujourd’hui, devenu entre temps un fidèle exécutant des thèses libérales et le successeur d’Houphouët Boigny comme le meilleur allié de la France dans la région.

    Cette génération, quelque peu désemparée devant le manque d’alternatives politiques internes, les partis d’opposition n’en finissant pas de se déchirer, souvent d’ailleurs grâce à quelques millions savamment distribués, conserve intact les traditions de lutte de son pays. Et puis une expérience nouvelle se renforce en Amérique Latine. Le Vénézuela multiplie les initiatives en direction de l’Afrique et reprend certains thèmes de la révolution burkinabé mais avec les moyens de son pétrole en plus. L’espoir doit revenir mais il convient auparavant de bien s’imprégner des réalités et des difficultés auxquelles a été confrontée la révolution burkinabé.

    Bruno Jaffré

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    Du même auteur, en octobre 2014 :

    Thomas Sankara, précurseur des luttes d’aujourd’hui

    Sanka_2306.jpgDe l’Islande à l'Amérique latine des Chavez et Maduro (Venezuela), Evo Morales (Bolivie) et José Mujica (Uruguay), en passant par les pays arabes, les révolutions sont à l’ordre du jour, prenant des formes différentes, des contenus différents, évoluant vers des victoires ou des échecs, sans que rien ne soit jamais acquis. Dans d’autres pays, à travers tous les continents, les peuples se mettent en mouvement, s’organisent, résistent et luttent pied à pied. Ce que nous proposons ici, c’est de prendre un peu de recul sur cette actualité et de nous plonger dans les paroles de Thomas Sankara, le leader de la révolution africaine qui a marqué la fin du 20ème siècle, la Révolution démocratique et populaire. Car ce sont les mêmes ennemis qu’affrontait le peuple du Burkina Faso : les multinationales, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et leurs complices locaux.

    La révolution du Burkina est, en réalité, mal connue, si ce n’est à travers la personnalité de Thomas Sankara, très prisée sur le continent africain. Les T-shirts à son effigie ont fait leur apparition, les artistes de toute discipline s’en inspirent, la jeunesse s’en réclame de plus en plus. Internet a bien sûr favorisé ce phénomène, tout en le confinant dans une imagerie superficielle. Il importe de transformer cette popularité, dont on ne saurait se plaindre, en une appropriation progressive plus approfondie de sa pensée et des leçons de son action, de ses échecs et de ses réussites.

    Car, en réalité, Thomas Sankara était un précurseur des luttes d’aujourd’hui. Sur deux thèmes centraux, on peut même dire vitaux de notre époque, la préservation de la planète et la lutte contre la dette illégitime, que l’on veut faire supporter par les peuples.

    Ainsi, le Conseil national de la révolution (CNR) lance, dès avril 1985, trois luttes : lutte contre la coupe abusive du bois, accompagnée de campagnes de sensibilisation pour le développement de l’utilisation du gaz pour la cuisine, lutte contre les feux de brousse et lutte contre la divagation des animaux. Les Comités de défense de la révolution (CDR) se chargent de traduire ses mots d’ordre dans la réalité, non sans parfois quelques mesures coercitives.

    Par ailleurs, partout dans le pays, les paysans se sont mis à construire des retenues d’eau, souvent à mains nues, pendant que le gouvernement relançait des projets de barrages qui dormaient dans les tiroirs. Sankara interpellait tous les diplomates ou hommes d’État, leur soumettant inlassablement ses projets, pointant les insuffisances de l’aide de la France, alors que les entreprises françaises étaient les principales bénéficiaires du marché des gros travaux. Parmi les autres trains de mesures, signalons les campagnes de popularisation des foyers améliorés, économisant la consommation du bois, ou les campagnes de reboisement dans les villages, qui doivent prendre en charge l’entretien d’un bosquet. Par ailleurs, chaque évènement social ou politique devait être accompagné de plantations d’arbres[1].

    La mondialisation, le système financier international, l’omniprésence et les diktats du FMI et de la Banque mondiale, la question de la dette des pays du Tiers Monde sont aujourd’hui aussi au centre des problèmes internationaux et des mobilisations citoyennes, atteignant maintenant les pays européens.

    En précurseur, Sankara développe, dans un discours sur la dette publié plus loin, une analyse largement reprise aujourd’hui. Et il appelle ses pairs à ne pas la rembourser, rappelant au passage la dette de sang due après l’envoi, par dizaines de milliers, d’Africains pour combattre l’armée nazie lors de la Seconde Guerre mondiale. Si le Burkina Faso avait entamé des discussions avec le FMI, il déclinera la conclusion d’un accord. Le Fonds refusa de financer la construction du chemin de fer vers le nord. Le pays s’est alors lancé seul dans la « bataille du rail », avec l’aide de Cuba et les moyens dont disposait le pays, la population étant invitée à tour de rôle à venir poser des rails.

    Thomas Sankara rappelait à qui voulait l’entendre que les premiers objectifs étaient de donner à la population de l’eau potable, une alimentation saine, la santé, l’éducation, des loisirs, des logements décents, etc. Des objectifs pragmatiques, alors que la direction de la révolution se déchire en 1987 sur des querelles idéologiques. On réalisera plus tard, lorsque fut retrouvée l’intervention que devait prononcer Thomas Sankara le jour où il a été assassiné, qu’il s’agissait pour certains de ces idéologues dogmatiques de pouvoir surtout bénéficier de leurs positions aux plus hautes sphères de l’État, pour s’enrichir.

    Au début des années 1980, le Haute-Volta, ancienne colonie française, traverse une grave crise des finances publiques, doublée d’une crise politique. Différents régimes se sont succédé depuis l’indépendance sans remettre en cause le système néocolonial. L’écrasante majorité de la population, en ville comme à la campagne, survit dans la pauvreté. La tâche est immense, la Haute-Volta figure parmi les pays les plus pauvres du monde.

    Sur quelles forces s’appuyer ? Thomas Sankara regroupe par son charisme personnel et sa clairvoyance politique une nouvelle génération de jeunes officiers, aspirant à un changement radical, tout en développant des relations avec des cercles de jeunes intellectuels marxistes. Ceux-ci, anciens étudiants ayant souvent milité au sein de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), contribuent à la création d’organisations clandestines. Les salariés des villes se mobilisent dans les syndicats, où s’aguerrissent les militants de ces organisations susmentionnées, qui en prennent, ici ou là, la direction. Pour le reste, pays rural à 90%, souvent sous l’influence de la chefferie, la population était jusqu’ici spectatrice et plutôt fataliste, après avoir constaté combien les différents pouvoirs qui s’étaient succédé ne s’intéressaient guère à leurs difficultés.

    Sans la participation active de la population, rien n’était donc possible, car le budget de l’État ne permettait que peu d’investissements, et le pouvoir était décidé à ne pas céder aux diktats du FMI et de la Banque mondiale.

    Pour Thomas Sankara, gagner la confiance de son peuple était une des tâches primordiales du début de la révolution, un gage de son succès.

    Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il faut s’asseoir et écrire son développement ; il faut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur[2].

    Cette citation, extraite d’un film, révèle en quelque sorte la pédagogie de Thomas Sankara, une qualité peu soulignée. Or il exprime ici une démarche qui l’a guidé dès la prise du pouvoir. Il l’avait déjà exprimée, en des termes voisins, quelques jours avant qu’il ne prenne le pouvoir[3].

    Et, sur cet aspect comme sur beaucoup d’autres, il fait ce qu’il dit ou en tout cas tente de le faire. Dès les pouvoirs provinciaux mis en place, après une réforme administrative de décentralisation rondement menée, la population est amenée à se réunir et à se fixer des objectifs réalistes en recherchant d’abord ce qu’elle peut elle-même réaliser, en grande partie par ses propres moyens.

    C’est ainsi qu’est conçu l'ambitieux Programme populaire de développement (PPD), dès octobre 1984, dont la réalisation est programmée jusqu'en décembre 1985. L'objectif affiché est d'améliorer les conditions de vie de la population et d'augmenter les infrastructures du pays : barrages, retenues d'eau, magasins populaires, dispensaires, écoles, routes, cinémas, stades de sport, etc.

    Une fois bouclé le PPD, le gouvernement travaille sans attendre à la conception du premier plan quinquennal en s’appuyant sur les enseignements tirés de ce premier plan expérimental. Réalisé entre 70 et 80%, son principal mérite, en dehors de ses nombreuses réalisations, aura été d’inventorier les besoins, de mieux évaluer les coûts, mais aussi la capacité d’autofinancement.

    Les succès de la révolution sont certes dus en partie à la créativité, au charisme, à la vision politique, aux qualités de dirigeant de Sankara, mais aussi à cette démarche, osons le mot, « participative », en réalité les prémices d’une véritable démocratie. Il s’en est suivi de multiples réalisations, en termes de production, de construction d’infrastructures de toute sorte, barrages et retenues d’eau, écoles, dispensaires, etc. Au-delà des preuves qui n’ont pas tardé à être avancées quant à la volonté du pouvoir révolutionnaire de stopper la corruption, à travers notamment les tribunaux populaires, le pouvoir a convaincu par cette démarche et ses premiers succès de son engagement à vouloir améliorer les conditions de vie de la population. On pourrait citer aussi les dégagements de fonctionnaires corrompus ou champions de l’absentéisme, mais ceux-ci ont aussi donné lieu à quelques excès, notamment au plus fort des luttes politiques entre les différentes organisations engagées dans la révolution, ou contre certains opposants.

    Le pays a pu ainsi résolument s’engager dans son auto-développement ou développement autocentré. Les dépenses de fonctionnement diminuent au profit de l’investissement, en même temps qu’une rigueur implacable s’attache à rationnaliser les maigres ressources. L’économie ne doit pas s’appuyer sur les exportations – rajoutons pour payer la dette –, ce que cherche à imposer le FMI et la Banque mondiale et que refuseront les révolutionnaires burkinabè, mais sur l’exploitation des ressources internes. La production agricole va considérablement augmenter, alors que le gouvernement lance des tentatives de réindustrialisation. Il s’agit de produire la valeur ajoutée dans le pays, créer des filières, s’appuyer sur la transformation des matières premières au lieu de les exporter brutes, ce qui passe par la sollicitation, souvent volontariste, du marché intérieur. Tel est le sens du mot d’ordre « produisons, consommons burkinabè ». Les importations de fruits et légumes sont interdites dans la dernière période pour obliger les commerçants à prendre les pistes de villages burkinabè dans le sud-ouest du Burkina, difficilement accessibles, plutôt que d’emprunter la route goudronnée allant en Côte d’Ivoire. Des circuits de distribution ont été mis en place grâce à une chaîne nationale de magasins sur tout le territoire, mais aussi pour atteindre, via les CDR, les salariés jusque dans leurs services.

    L’Effort populaire d’investissement se traduit par des ponctions sur les salaires de 5 à 12%, une mesure tempérée cependant par la gratuité des loyers décrétée pendant un an. Il s’agit de ne pas dépendre de l’aide extérieure car « il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés[4]. » 

    Ce qui ne va pas manquer de créer des contradictions, puisque ce sont les salariés qui sont sollicités en premier. Les fonctionnaires sont incités à porter le faso dan fani, l’habit traditionnel, fabriqué à l’aide de bandes de coton tissées de façon artisanale. Une mesure qui a joué un véritable effet d’entraînement, puisque la production du coton a augmenté. Mais surtout de très nombreuses femmes se mettent à tisser chez elles, accédant ainsi à l’indépendance économique.

    Aux critiques concernant ces retenues sur salaires et autres cotisations, Thomas Sankara répond qu’il est injuste que ceux-ci reçoivent régulièrement un salaire, contrairement aux agriculteurs. Là encore, dans la redistribution des richesses, la révolution est rapidement passée de la parole aux actes. En plus des salariés, les commerçants et quelques entrepreneurs seront dans l’obligation de contribuer au développement du pays.

    Au-delà des questions économiques, la révolution va se traduire comme une véritable rupture dans tous les domaines. Citons, en plus de ce qui a déjà été relevé : transformation de l’administration, lutte sans merci contre la corruption, action concrète tout autant que symbolique pour la libération de la femme, responsabilisation de la jeunesse, ce qui libérera toute son énergie, mise à l’écart de la chefferie, quand elle n’est pas combattue en tant que responsable de l’arriération des campagnes et soutien des anciens partis politiques, tentative presque désespérée de faire des paysans une classe sociale soutenant activement la révolution, transformation de l’armée pour la mettre au service du peuple en lui assignant aussi des tâches de production, car un « militaire sans formation politique est un assassin en puissance », décentralisation et recherche d’une démocratie directe à travers les CDR, contrôle budgétaire et mise sous contrôle des ministres. Et la liste n’est pas exhaustive, tant l’action engagée a été multiple et diversifiée.

    Lorsqu’on demande à Sankara ce qu’est la démocratie il répond :

    La démocratie est le peuple avec toutes ses potentialités et sa force. Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. Au contraire, là où le peuple peut dire chaque jour ce qu’il pense, il existe une véritable démocratie, car il faut alors que chaque jour l’on mérite sa confiance. On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel[5].

    Les CDR sont chargés d’exercer le pouvoir du peuple. S’ils ont été à l’origine d’exactions et servi de fer de lance contre les syndicats, il n’en reste pas moins qu’ils ont assumé de nombreuses tâches, bien au-delà de la seule sécurité publique : formation politique, assainissement des quartiers, gestion des problèmes de voisinage, développement de la production et de la consommation des produits locaux, participation au contrôle budgétaire dans les ministères, etc. Ils ont même rejeté, après débats, plusieurs projets comme celui de « l’école nouvelle » jugée trop radical. Quant à leurs insuffisances, souvent dues aux querelles que se livraient les différentes factions soutenant la révolution, Sankara était souvent le premier à les dénoncer.

    Dernier élément et non des moindres, Thomas Sankara portait haut la voix des opprimés dans les instances internationales, redonnant fierté à son peuple, rappelant sans cesse l’oppression que subissaient les Noirs d’Afrique du Sud et les Palestiniens, avec la complicité des puissances occidentales, dénonçant sans répit l’impérialisme, comme le montre son discours à l’ONU publié en partie ci-après. Il fit campagne pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, un affront que les dirigeants français ne lui pardonneront pas.

    Ce président d’un type nouveau était à l’époque devenu gênant pour les puissances occidentales. Son exemple menaçait les pouvoirs des présidents de la région et plus généralement la présence française en Afrique.

    Le complot va s’organiser inéluctablement. Le numéro deux du régime, le Président actuel du Burkina Faso, Blaise Compaoré, va s’en charger avec le soutien de la France, de la Côte d’Ivoire et de la Libye. On connaît la suite : l’alliance qui se fait jour via les réseaux françafricains mêlant des personnalités politiques, des militaires ou des affairistes de Côte d’Ivoire, de France, de Libye et du Burkina Faso, pour soutenir Charles Taylor, responsable des effroyables guerres civiles qui vont éclater au Libéria puis en Sierra Leone.

    Tout a été tenté pour effacer Thomas Sankara de la mémoire dans son pays. Rien n’y fait. Inéluctablement, Sankara revient, par le son, les images, les écrits. Internet ne fait qu’amplifier le phénomène. Aujourd'hui son rayonnement, de par sa vision de précurseur, notamment sur les questions de l’environnement, le système financier international et la dette, atteint désormais les militants écologistes et anticapitalistes des pays occidentaux.

    Puisse ce modeste recueil d’extraits de discours, douloureusement choisis, permettre de leur donner un rayonnement à la mesure de leur importance.

    Bruno Jaffré, auteur d’ouvrages sur la révolution burkinabè, est un des animateurs du site thomassankara.net et de la campagne « Justice pour Sankara. Justice pour l’Afrique ».


    [1] Nombre de ces mesures semblent issues du rapport « La République Populaire et Démocratique de Haute-Volta n’est pas ‘en voie de développement’ mais ‘en voie de destruction’ », rapport de René Dumont et Charlotte Paquet, PNUD, janvier avril 1984. René Dumont est le précurseur de l’écologie politique et était « persona non grata » en Afrique tropicale francophone, pour ses livres très critiques sur le développement en Afrique.

    [2] Extrait d'une interview dans le film Fratricide au Burkina, Sankara et la Françafrique de Thuy-Tiên Ho et Didier Mauro, production ICTV Solférino, France, 2007.

    [3] Voir l’annexe de Biographie de Thomas Sankara, la patrie ou la mort de Bruno Jaffré, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 333.

    [4] Discours prononcé devant 1ère conférence nationale des CDR le 4 avril 1986.

    [5] Idem.

    Graf Sankara



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  • Dans la grande controverse qui traverse à notre époque, au niveau international, les organisations révolutionnaires basées sur le marxisme-léninisme-maoïsme, les chefs de file de la ligne ultra-gauchiste dogmato-sectaire, à savoir le PCMLM/Voie-Lactée, se sont encore fendus d’un ‘pamphlet’, sous la forme d’un éditorial de leur site, à l’encontre des ‘nouveaux révisionnistes’ que sont selon eux les signataires maoïstes de cette Déclaration du 1er Mai 2012, parmi lesquels Servir le Peuple.

    Cela devient fastidieux, pour ne pas dire fatiguant, mais il faut pourtant 's’y coller', il faut répondre : car cette controverse traverse, on l’a dit, le MOUVEMENT INTERNATIONAL MAOÏSTE, autrement dit, le NOYAU DUR autour duquel peut et doit s’agréger et se reconstituer un vaste mouvement révolutionnaire mondial, pour la révolution prolétarienne. Cela n’a donc rien à voir avec une 'obsession' mais, au contraire, tout à voir avec un débat idéologique, de conception du monde, CAPITAL pour la nouvelle vague de la Révolution prolétarienne mondiale qui se lève partout dans le monde.

    Et puis, ne nous en cachons pas… c’est tout de même amusant  (quand autant d’auto-assurance rime avec autant d’affirmations erronées, approximatives, ou en tout cas, portant sur des questions toujours en débat dans le MCI et nullement tranchées).

    Passons rapidement sur les éternels et répétitifs épithètes de 'populistes' ou de 'syndicalistes révolutionnaires' : ils signifient tout simplement, dans leur novlangue pseudo-léniniste, le lien avec les masses, le lien avec le mouvement réel de la lutte de classe, dont ce groupuscule internétique est totalement dépourvu.

    Selon nos pseudos ‘’intellectuels organiques’’ autoproclamés ‘’Parti de la science MLM’’ (en réalité, banals intellectuels petits-bourgeois, rejetons du plus pur pédantisme universitaire francouille), les organisations de la ‘’ligne rouge’’ ‘’maintiendraient le cap’’ selon lequel "le marxisme-léninisme-maoïsme est une science, toute puissante, produite par l'époque de la Nouvelle Grande Vague de la Révolution Mondiale" ; tandis que les ‘’nouveaux révisionnistes’’ rejetteraient cela. Pour ces derniers, le MLM serait "des méthodes décisives, une approche plus efficace", non pas "des principes mais une source d'inspiration, la plus créative qui soit". Il faudrait alors nous expliquer , quand, comment a-t-il été affirmé une telle chose par les ‘’nouveaux révisionnistes’’ que nous sommes. En tout cas, pas sur Servir le Peuple. SLP a toujours affirmé clairement que "le marxisme révolutionnaire est la SCIENCE qui permet de conduire la lutte du prolétariat organisé à la victoire", et que "le marxisme-léninisme-maoïsme est le marxisme révolutionnaire de notre époque", l’époque postérieure à la première vague de la Révolution prolétarienne mondiale (de 1905 à 1980 environ), époque de bilan et de synthèse de cette première vague.

    Ce qui a, par contre, également et toujours été dit, c’est que le marxisme révolutionnaire est une science JEUNE, n’émergeant qu’au milieu du 19e siècle, il y a un peu plus de 160 ans, ce qui est très peu à l’échelle de l’humanité ; et qu’elle ne peut encore prétendre saisir, ni comprendre, ni encore moins résoudre, à la seule lumière de ces 160 petites années d’expérience et sans esprit créatif, toutes les situations et toutes les problématiques rencontrées par le développement historique des sociétés humaines, en tout lieu de la planète, et encore moins tout le fonctionnement général de la nature et de l’univers. Le maoïsme (qui n’est pas, lui-même, l’œuvre de Mao seul, son nom servant simplement de repère historique) en est l’étape actuelle, ‘’l’encyclopédie’’ la plus complète à ce jour. Si l’on rejette les apports théoriques de Mao, et des maoïstes de son époque et postérieurs, l’on se heurte très vite, dans la pratique militante comme – éventuellement – dans l’exercice de la direction d’un processus révolutionnaire, à des LIMITES de conception du monde, qui conduisent immanquablement à Engelsl’échec. Mais le maoïsme n’est sans doute pas, lui-même, l’étape la plus aboutie, finale et définitive de la science marxiste ; il n’a pas ‘’réponse à tout’’ et il est sans doute appelé, un jour, à être à son tour dépassé. Il est probable, à vrai dire, que la science marxiste ne sera à peu près complète… qu’au seuil du communisme, lorsque s’achèvera, selon les mots de Marx, la ‘’préhistoire de l’humanité’’ : son développement aura accompagné dialectiquement le processus historique vers cette nouvelle ère de la civilisation humaine, et elle deviendra alors obsolète, inutile dès lors que celle-ci sera atteinte. Ainsi que le disait Engels, dans l’Anti-Dühring en 1878 (c'est-à-dire hier, à l’échelle de l’humanité), ‘’nous sommes encore plutôt au début de l'histoire de l'humanité et les générations qui nous corrigeront doivent être bien plus nombreuses que celles dont nous sommes en cas de corriger la connaissance, - assez souvent avec bien du mépris’’. La première qualité d’un communiste, ‘’armé’’ de sa science marxiste, c’est donc l’humilité, la modestie ; et la première marque de cette modestie, pour qui se prétend ‘’avant-garde’’, ‘’cadre’’ de la révolution à venir, c’est le lien permanent, dialectique, avec les masses populaires et leur mouvement réel de lutte de classe, de résistance à l’oppression imposée par le capitalisme. Rien n’empêche alors d’être ‘’créatif’’, dans les méthodes de travail révolutionnaire, dans les tactiques employées, dans l’approche des diverses problématiques rencontrées (analyse concrète de la situation concrète), et même dans la pensée (l’analyse marxiste de la réalité sociale qui nous entoure, dans – et bien souvent CONTRE – laquelle nous luttons) ; du moment que la PRATIQUE est seule juge de cette ‘’créativité’’, et que son jugement est sans appel. Ainsi, au Népal, on peut effectivement considérer qu’à partir du moment où Prachanda s’est retrouvé propulsé à la tête de l’exécutif (2008-2009), puis éjecté de celle-ci et ‘’incapable’’ de lancer le soulèvement général promis, il n’y avait plus débat et que sa ‘’créative Voie Prachanda’’ vers la ‘’démocratie du 21e siècle’’ était totalement et définitivement condamnée par la réalité des faits (et, de fait, démasquée comme néo-bourgeoise).

    nepalL’assertion selon laquelle le "nouveau révisionnisme" "ne connaît pas le matérialisme dialectique et n'en maîtrise pas les concepts" a, de même, de quoi faire éclater de rire : nos ‘philosophes-astronautes’, semi-intellectuels de Monoprix, voudraient nous faire croire que des gens qui militent dans le mouvement communiste depuis des dizaines d’années (qu’il s’agisse des camarades du PCmF, du PCmI, de l’OCML-VP, du PCR-Canada etc.) ne maîtrisent pas les bases élémentaires du marxisme… Alors qu’eux-mêmes ignorent superbement la dialectique, concernant par exemple le Népal où ‘’tout serait fini’’, comme si la fin d’un cycle, un ‘creux de la vague’ de la lutte révolutionnaire de classe dans un pays donné, n’appelait pas (sans l’ombre d’un doute) à ce qu’une nouvelle vague se lève (comme dans le mouvement communiste en général, après le ‘creux de la vague’ des années 1980-90), à ce que dans le Parti – devenu révisionniste – de Prachanda et Bhattarai, des éléments révolutionnaires, une ‘gauche’, se mobilise, s’organise et finalement rompe avec la social-trahison (ce qui est désormais chose faite) ; selon le principe élémentaire que ‘’un se divise en deux’’, et notamment les organisations politiques du prolétariat, dans lesquelles il y a toujours une gauche (révolutionnaire, pour avancer vers le communisme), une droite (pour ‘en rester là’, se contenter de réformes de l’organisation sociale) et un centre (pour tergiverser, hésiter, vouloir ‘mettre tout le monde d’accord’, et qu’il s’agit de rallier à la gauche ou au moins, de neutraliser). Et à ce qu'une telle lutte de lignes apparaisse et se développe immédiatement dans le nouveau Parti, où tout n'est pas réglé, comme par exemple la question de reprendre les armes, la question du rapport (purement tactique ou opportuniste et faisant litière des principes) à l'impérialisme chinois contre l'Inde, etc. En ce qui le concerne, SLP a abordé la question du matérialisme dialectique notamment ici et ici.

    Poursuivant sur les organisations de la soi-disant ‘’ligne rouge’’, nos donneurs de leçons affirment qu’"elles considèrent que l'époque produit des pensées dans des situations concrètes, la synthèse du MLM dans un pays donné". Qu’est-ce qu’une pensée ? Cela, le PCMLM l’explique assez bien dans de nombreux documents (comme celui-ci) : une pensée consiste en l’analyse et la synthèse, à la lumière de la science marxiste, de la société dans un État bourgeois donné, des classes et des mécanismes de domination en présence, de l’organisation sociale – qu’il  s’agit de renverser – et de l’idéologie, de la culture qui la soutient ; ceci débouchant sur "une synthèse révolutionnaire qui consiste dans le programme révolutionnaire et les méthodes pour le réaliser’’, "résultat de l'application de la vérité universelle de l'idéologie du prolétariat international aux conditions concrètes de chaque révolution’’ (dans chaque État bourgeois comme cadre gramscigéographique d’action). Et cela est parfaitement juste. Mais s’agit-il, pour autant, d’un ‘’talisman’’, d’une ‘’formule magique’’ ? En Italie, le (n)PCI a produit une telle pensée, analysant et synthétisant l’histoire et les problématiques structurelles du pays, en s’appuyant lui-même sur les travaux de Gramsci, des brigadistes rouges et autres révolutionnaires communistes des années 1970, etc. : il s’agit du Chapitre II de leur Manifeste Programme, un document d’une grande valeur pour qui veut comprendre ce grand pays voisin du nôtre. Mais cela n’empêche pas que, sur le programme révolutionnaire de cette organisation et les ‘’méthodes pour le réaliser’’, SLP ait de nombreuses et sérieuses réserves et, logiquement, le PCMLM devrait en avoir encore plus ; puisque le (n)PCI prône la participation aux élections, un forte implication dans le mouvement syndicaliste ‘’radical’’, etc. L’ancien PCI, et le mouvement communiste italien en général, basés sur la pensée de Gramsci, ont eux-mêmes connus de nombreux revers et échecs ; le PCI a fini sa trajectoire dans le pire révisionnisme et de nombreux autres groupes, ayant émergé contre ce révisionnisme dans les années 1960-70, ont fini de même par la suite. La ‘’pensée’’, entendue comme l’analyse marxiste et la synthèse de l’histoire, de l’organisation sociale, de l’idéologie et de la culture d’un cadre géographique donné (État bourgeois, continent ou région d’un continent, nation sans État etc.), est donc un préalable absolument nécessaire à l’établissement d’un programme révolutionnaire et des méthodes, du plan général du travail au service de celui-ci… mais absolument non-suffisant pour garantir la justesse de ce programme et de ce PGT ! Encore une fois, la modestie - et l'épreuve des faits - s’impose.

    occitania rojaEt ici, en Hexagone, qui a produit un début d’analyse concrète et systématique de la manière dont s’est construite la ‘’France’’ (terme qui désignait, il y a 1000 ans, la seule Seine-Saint-Denis actuelle...), comme appareil politico-militaire et idéologique au service d’abord de la monarchie capétienne (‘’stade suprême’’ de la féodalité, 13e-18e siècles), puis de la bourgeoisie qui a ‘’fait son nid’’ au sein de celle-ci, avant de la renverser en 1789 ? Le PCMLM ? Non : SERVIR LE PEUPLE, dans des articles tels que ‘’La Question nationale au 21e siècle’’ (voir notamment l’annexe à la fin) ou ‘’Considérations diverses : Un gros pavé sur la question nationale’’ (voir en particulier le point 3). Le PCMLM, lui, ne produit que des cours magistraux d’histoire artistico-culturelle des classes dominantes, depuis l’âge roman (des 10e-12e siècles), au sein duquel il oublie complètement l’Occitanie, ‘’Andalousie du Nord’’ de l’époque, jusqu’aux romantiques (fils et filles de grands bourgeois et d’aristocrates déchus) du 19e siècle. Il célèbre ‘’l’humanisme’’ bourgeois des 16e-17e-18e siècles pour son caractère progressiste à l’époque, en ignorant complètement tout l’aspect antipopulaire du cadre politique (la monarchie absolue, la "première vague" de colonisation outre-mer etc.) dans lequel celui-ci prospérait, et du capitalisme en accumulation primitive qui le sous-tendait…

    Toutes ces question et ces problématiques ‘’fondent’’ pourtant la société ‘’française’’ d’aujourd’hui, dans laquelle vivent et luttent les communistes. 

    Quant à l’éclectisme, nous assumons totalement cette attaque, et ce depuis bien longtemps. ‘’L’éclectisme’’, cela signifie tout simplement que OUI, nous sommes au tout début d’une nouvelle vague de la Révolution prolétarienne mondiale (on peut considérer que la Guerre populaire au Pérou aura été la ‘’porte’’ en la première vague et la nouvelle), dont nous sommes convaincus qu’avant la fin de ce siècle elle balaiera l’ordre capitaliste et impérialiste mondial ; et que OUI, nous en sommes à l’heure du BILAN et de la SYNTHÈSE de l’expérience de TOUT le mouvement communiste international au cours du siècle dernier ; et, non seulement nous en sommes à cette étape, mais celle-ci est INDISPENSABLE pour assurer les victoires de demain. Et ce bilan-synthèse doit passer au crible tout, absolument TOUT ce qui, au 20e siècle, s’est réclamé du mouvement révolutionnaire du prolétariat pour le communisme.

    S’il n’y a, aujourd’hui dans le monde, AUCUN pays engagé sur la voie du socialisme et du communisme (pas même Cuba, et encore moins la Corée du Nord, le Vietnam, la Chine ou le Laos, sur lesquels nous laisserons se pignoler les révisionnistes de tout poil), c’est bien que RIEN, dans le sillage de Lénine, Staline et Mao (tous les Partis communistes ayant pris le pouvoir, au siècle dernier, étaient dans ce sillage-là ; sans oublier les grandes expériences comme la Guerre populaire au Pérou, en Turquie, aux Philippines, en Inde et au Bangladesh dès 1967, les luttes armées en Amérique latine et en Afrique, etc.), n’était à 100% parfait et exempt de critiques. Et, a contrario, l’on peut dire que RIEN de ce qui n’a pas été léniniste, staliniste et/ou maoïste n’a été à 100% mauvais, contre-révolutionnaire, ennemi du peuple, à rejeter ou à brûler sans autre forme de procès… Servir le stalinePeuple a toujours défendu la position que Staline n’était pas le démon, le ‘’fossoyeur de la Révolution russe’’, le ‘’fasciste rouge’’ que dépeignent (de concert avec la bourgeoisie) les trotskystes, les anarchistes, les ‘’marxistes libertaires’’ et autres ‘’socialistes révolutionnaires’’ anti-léninistes ou tout au moins anti-staliniens ; que le personnage, ses partisans et leur bilan à la tête de l’URSS et du mouvement communiste international étaient beaucoup plus complexes que cela, et ne se résumaient pas à un long ‘’Livre noir’’. Que l’époque (entre-deux-guerres et Seconde Guerre mondiale) n’était pas à la franche rigolade, et qu’il faut savoir replacer les choses dans leur contexte. Que si critique de Staline (et de la direction ‘’stalinienne’’ du PCbUS et du MCI entre 1925 et 1953) il doit y avoir, elle se doit au moins d’être matérialiste et scientifique. Mais, d’un autre côté, Trotsky, les personnalités et les groupes dans son sillage (avec lesquels celui-ci, on le sait, entretenait des relations en dents de scie...), et globalement tou-te-s ceux et celles qui se sont opposé-e-s ou ont critiqué la direction ‘’stalinienne’’ de l’URSS et du Komintern dans les années 1920-50, et dont beaucoup auront été liquidé-e-s, notamment dans la seconde moitié des années 1930 (en URSS, en Espagne, etc.) et encore après-guerre (en URSS et en Europe de l’Est), ne peuvent se résumer à des hérétiques à brûler sur le bûcher, ou à des ‘’hyènes’’ contre-révolutionnaires, serviteurs de l’impérialisme et du fascisme, à abattre d’une balle dans la nuque.

    Si, à partir des années 1950, tous les communistes conséquents sont plus ou moins d’accord sur le caractère (à tout le moins) non-révolutionnaire de l’URSS et des forces affiliées (ce qui ne veut pas dire, selon SLP, qu’il n’ait pu y avoir ponctuellement des choses positives) ; les personnes et les groupes (trotskystes ou ‘’trotskysants’’, libertaires, ‘’conseillistes’’ ou bordiguistes, ‘’marxistes’’ ou ‘’socialistes révolutionnaires’’ de type POUM, PSOP, rosméristes-monattistes, etc.) qui, avant cette époque, ont pu ‘’interroger’’ ou critiquer, parfois durement, la praxis de la direction soviétique et kominternienne, ne méritent pas qu’un haussement d’épaule ou des crachats au visage. Ils ont très bien pu mettre le doigt sur des problématiques, des limites bien réelles de la conception marxiste-léniniste du monde, du Parti, de l'État révolutionnaire, de la Révolution mondiale défendue par Staline et ses partisans (quand bien même leurs réponses à ces problématiques et à ces limites ont été, ensuite, globalement erronées et finalement liquidatrices). Car le révisionnisme n’est pas tombé du ciel le 5 mars 1953, jour de la mort du GenSek. Il s’est certes révélé très rapidement au grand jour après cette date, surgissant du cœur même de l’appareil d'État et du Parti (on peut même penser que, si Beria l’avait emporté au lieu d’être renversé et exécuté par Khrouchtchev, la liquidation aurait été encore plus rapide) ; mais il avait forcément ses racines dans le système antérieur, dans ses limites et ses dysfonctionnements.

    Mao lui-même, en plein feu de la lutte (ultra-prioritaire) contre le khrouchtchévisme, s’est permis en 1963 de faire un bilan critique raisonné, mais sans concession de la direction de Staline à la tête de l’URSS et du MCI. Lorsque nos ‘’érudits’’ assènent que ‘’en Europe et en Amérique du Nord, le nouveau révisionnisme rejette Staline’’, ils montrent bien où se situe leur ligne de démarcation : Staline, et non Mao. Ils ignorent totalement le dépassement qualitatif, ‘’par la gauche’’, que représente le maoïsme par rapport au marxisme-léninisme appliqué par Staline, la direction du PCbUS et du Komintern entre les années 1920 et 1950. Ils ignorent la critique maoïste de Staline, critique qui a même pu être reprise par des groupes marxistes-léninistes conséquents qui n’étaient pas à proprement parler maoïstes, comme les Cellules Communistes Combattantes (CCC) de Belgique (La Flèche et la Cible - p. 101). Il n’y a pas, du coup, beaucoup à s’étonner de les voir rejoindre les positions des pires révisionnistes thorézo-brejnéviens ou hoxhistes sur, par exemple, les mouvements populaires arabes en cours. Dire que, si ces mouvements échappent à toute direction marxiste-léniniste ou maoïste, et même ‘’communiste’’ au sens large, c’est qu’ils sont ‘’totalement pilotés par l’impérialisme’’, est bien un exemple typique de lecture ‘’stalinienne’’ du mouvement réel de l’histoire.

    De plus, cette fascination acharnée et totalement acritique pour le Secrétaire général Staline éveille de sérieux soupçons de visées néo-bourgeoises chez nos super-ultra-révolutionnaires-prolétariens-de-la-galaxie. Font-ils réellement la révolution pour servir le peuple, émanciper le prolétariat et les classes populaires des chaînes du capitalisme et les mener vers le communisme ? Ou alors, leur insistance obsessionnelle à se poser en ‘’cadres’’ de la révolution, en ‘’Parti’’ qui ‘’dirige les masses’’ et sans lequel ‘’il n’y a rien’’, cache-t-elle une aspiration à rester, lorsque la situation révolutionnaire, l’explosion populaire générale surviendra, sur le haut du panier ?

    autonomia operaiaDe la même manière, l’assertion comme quoi "le nouveau révisionnisme nie complètement l'expérience de la lutte armée des années 1960-1990 à laquelle il ne connaît strictement rien" est tout simplement grotesque, lorsque l’on sait que parmi les esprits sensés qui ont quitté le navire ‘’pcmlm’’ à temps, il y a par exemple Libération Irlande (ceux qui, dixit, ‘’fantasment sur l’Irlande du Nord’’), qui a une excellente connaissance de la lutte de libération irlandaise et notamment de ses éléments révolutionnaires marxistes, ou encore l’Action antifasciste de Bordeaux qui avait publié cet excellent document de Lotta Continua (pas une organisation armée à proprement parler, mais de lutte prolétarienne ‘’musclée’’ et dont beaucoup d’éléments ont rejoint ensuite - après sa dissolution en 1976 - les Brigades rouges ou - surtout - Prima Linea) ; qu’il y a autour de Servir le Peuple des personnes connaissant parfaitement la lutte de libération nationale basque (notamment son ‘’apogée’’ de 1975-85), la lutte armée révolutionnaire italienne des années 1970, l’expérience des Cellules Communistes Combattantes de Belgique ou la résistance populaire révolutionnaire libanaise des années 1975-83 ; au PCmF d’anciens membres de la Gauche prolétarienne qui pratiquait également un militantisme ‘’musclé’’, dans le ‘’Kasama Project’’ (autres ‘’nouveaux révisionnistes’’ caractérisés) d’anciens Black Panthers ou Brown Berets, etc. Et où, quand a-t-on vu le 'p''c''mlm' dans les initiatives de solidarité avec Georges Ibrahim Abdallah, combattant communiste révolutionnaire de la résistance arabe et plus ancien prisonnier politique d'Hexagone, enfermé depuis 1984 ? Jamais, nulle part, pas même sur leur site. Cette cause ne les intéresse tout simplement pas... La seule lutte armée dont le ‘p’’c’’mlm’ puisse revendiquer une connaissance pointue, c’est la lutte armée allemande des années 1970-80, qui n’était pas un ‘’sommet’’ en matière idéologique et stratégique (il s’agissait essentiellement de ‘’solidarité internationaliste armée’’, considérant que le prolétariat de RFA n’était pas ‘’mûr’’ pour la révolution). 

    Nous passerons brièvement sur deux dernières énormités :

    - "Le nouveau révisionnisme, en Amérique latine, n'hésite pas à trouver quelque chose de positif dans les contradictions propres aux régimes fascistes, niant que seule la Guerre Populaire est le chemin valable" : nous aimerions bien savoir qui, où et quand aurait "nié" que la Guerre populaire est la seule voie de la révolution prolétarienne, non seulement en Amérique latine, mais universellement. Le PCMLM ferait-il allusion à ses amis de l'UOC-mlm de Colombie, qui prônent quant à eux la "révolution socialiste" (dans un pays archi-dominé et pétri d'oligarchisme et de semi-féodalité) par la "Grève Chavez Santospolitique de masse" ? Possible, mais néanmoins peu probable ; on imagine mal nos super-révolutionnaires-prolétariens signer des déclarations de 1er Mai avec des "nouveaux révisionnistes"... Trêve de plaisanterie, PERSONNE (parmi les incriminés, c'est-à-dire globalement les signataires du 1er Mai ici) n'a jamais affirmé une chose pareille. MAIS la Guerre populaire, guidée par son Parti révolutionnaire du prolétariat, sa "pensée" et son plan général de travail, se déroule au sein d'une RÉALITÉ et doit tenir compte de celle-ci. En Amérique latine, les "régimes fascistes", c'est-à-dire (traduction) les gouvernements RÉFORMISTES de type Chavez, Morales (radicaux, nationalistes et social-populistes) ou époux Kirchner, Lula/Roussef, Mujica (plus modérés, sociaux-démocrates/sociaux-libéraux), "concessions" et "replis tactiques" de l'oligarchie face aux mouvements sociaux de masse (qui ont conduit certains pays à l'ingouvernabilité : Bolivie, Équateur, Argentine) ; et leur emprise sur les masses populaires exploitées, de par la faiblesse du mouvement communiste suite à la guerre d'extermination menée contre lui, depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux années 1990 (Pérou) ; font partie de cette réalité. Les contradictions qui traversent ces régimes (dont Servir le Peuple n'a JAMAIS manqué de dénoncer les social-trahisons), les opposent aux masses ou opposent la base aux dirigeants, comme le montre par exemple cette déclaration sur la "milice bolivarienne" du Courant révolutionnaire Bolivar et Zamora, datant d'un petit moment déjà, ou encore la levée de bouclier face à l'arrestation et l'extradition, par la police de Chavez, de militants colombiens (des FARC, de l'ELN ou de la solidarité avec ces guérillas), ou les différends qui opposent, en Équateur, les puissantes organisations indigènes au gouvernement Correa, en font également partie. Si les maoïstes latino-américains ne veulent pas, pour arracher au réformisme bourgeois (et au révisionnisme qui le soutient) de nombreux secteurs avancés des masses populaires ouvrières et paysannes, reconnaître et mettre à profit ces contradictions, c'est - selon SLP - une grave erreur. De même, la caractérisation de ces gouvernements réformistes bourgeois comme "fascistes" relève, dimitrovselon nous, de ce que Dimitrov dénonce comme du "schématisme" dans la caractérisation du fascisme, un schématisme qui "désoriente la classe ouvrière dans la lutte contre son pire ennemi" (qui en Amérique latine, on le sait, est le régime militaire de type Pinochet ou dictatures argentines, semi-militaire semi-civil comme en Uruguay dans les années 1970-80 ou actuellement au Honduras, ou civil ultra-réactionnaire à la Fujimori au Pérou ou Uribe en Colombie ; régimes avec leurs cortèges de paramilitaires fascistes et d'"escadrons de la mort", de centres de tortures secrets et d'opposants enterrés on-ne-sait-où ou jetés à la mer, etc.).

    [PS : le dernier communiqué du PC d'Équateur - Comité de reconstruction, sur les dernières élections vénézuéliennes, est un exemple-type de cette caractérisation erronée et, de surcroît, d'une confusion totale : on n’y comprend absolument plus rien ! Chavez est-il un fasciste, que le PCE-CR va jusqu'à comparer à Hitler et Mussolini ; ou est-il un réformiste comme le laisse entendre "il convient de rappeler les sages paroles de Lénine: 'Le réformisme est un moyen que la bourgeoisie a de tromper les ouvriers'", "faire face au révisionnisme qui tente d'attirer les masses à vivre l'illusion du réformisme", ou encore "s'applique une façade « révolutionnaire » dans le discours et la propagande, accompagnée de quelques réformes, précisément pour freiner un véritable déclenchement révolutionnaire des masses pauvres" et "Les réformes et les miettes que le gouvernement Chavez donne aux masses ne sont qu'un mirage momentané et passager : l'histoire des régimes similaires (..) démontre comment ces gouvernements Relatives-of-victims-of-General-Augusto-Pinochets-military-servent exclusivement à contenir les masses" [souligné par SLP], ce qui est la définition marxiste du réformisme ; et non du fascisme, qui est "la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier" (Dimitrov), ou des éléments liés à eux dans les pays semi-colonisés : autrement dit, l’écrasement pur et simple, policier, militaire et paramilitaire de toute force ouvrière et paysanne organisée, révolutionnaire ou même simplement réformiste/progressiste ‘sincère’ ; et non le simple fait de vouloir ‘canaliser’ les ‘énergies’ populaires, par des concessions de ‘miettes’ et des organisations de masse réformistes, comme hier, en France, l’Union de la Gauche PS-PC-CGT-FO, ou le SPD et les syndicats géants en Allemagne, le Labour et les trade-unions en Grande-Bretagne, etc. D’autre part, concernant l’affirmation selon laquelle ‘’Il n'y a pas l'ombre d'un pouvoir populaire au Venezuela’’ et ‘’tout le monde peut s'organiser, mais sous les ordres de Chavez’’, c’est certes le ‘job’ des Chavez et autres Morales, Correa, Kirchner ou Ortega, vis-à-vis de l’oligarchie, que de ‘canaliser’ les résistances et les revendications populaires autour de leurs personnes ‘charismatiques’, mais le ‘mouvement social’ préexistait à leur émergence sur la scène politique et les FAITS (trop nombreux pour les énumérer ici) suffisent à démontrer que la situation est beaucoup plus complexe.]

    - "En Asie, cela s'exprime par la tendance au réformisme armé, qui date des années 1960 déjà"... nous y sommes, la messe est dite, l'allusion est on-ne-peut plus claire : la Guerre populaire en Inde (qui "s'acharne", voyez-vous, à reconnaître les "nouveaux révisionnistes" comme ses camarades internationalistes à l'étranger) est du "réformisme armé". Servir le Peuple appelle toute les organisations maoïstes à travers le monde, qui liraient ces lignes, à se prononcer sur une telle affirmation. Quelles que soient les critiques (franches, entre camarades) que l'on puisse adresser à la conduite de la Guerre populaire en Inde par le PC maoïste, les auteurs d'une telle attaque destructive devront l'assumer devant l'histoire.


    maoist naxal 20091026-e


    Pour conclure, nous ne disserterons pas sur le texte du Mouvement Populaire Pérou lui-même. C'est là une organisation d'une autre importance, avec une autre histoire que les trois guignols du "p""c""mlm". Il affirme que le PCP possède toujours un Comité central, donc une direction centralisée, ce que nous sommes ravis d'apprendre. Il est toutefois permis de regarder la situation du mouvement maoïstes péruvien avec une certaine circonspection, nonobstant le respect dû à ceux qui se battent les armes à la main contre un État oligarchique toujours aussi féroce et impitoyable ; et de trouver que le "détour" évoqué par le président Gonzalo dans son dernier discours, après son arrestation et son exposition dans une cage, a tendance à se prolonger sans que l'on en voie l'issue, en l'absence d'un maoist paintingsérieux bilan et synthèse de l'expérience de la Guerre populaire entre 1980 et 1993. Et de regretter, également, le positionnement sectaire d'attaque destructive dans lequel s'enferme, depuis de nombreuses années déjà, le MPP ; en affirmant par exemple qu'il n'y a pas de Guerre populaire en Inde (mais une simple "lutte armée") car il n'y aurait pas de "pensée", comme si Mazumdar, et après lui des théoriciens tels que Azad ou Kishenji, cela n'existait pas (même si leurs travaux n'ont, sans doute, jamais été définis comme "pensée"... mais pas plus que ceux de Gramsci, de Siraj Sikder au Bangladesh, d'Alfred Klahr en Autriche ou d'Ulrike Meinhof en Allemagne, que met pourtant en avant le PCMLM ; ni même ceux de Lénine - on n'a jamais parlé de "pensée Lénine", etc.). Un sectarisme et une attitude pédante et destructive qui en revanche, cela va de soi, a tout pour ravir les "érudits" du "p""c""mlm"... 

    Erratum de notre part : de fait, il est apparu clairement au détour de 2011-2012 que le MPP était bien le représentant d'une ligne ultra-gauchiste réactionnaire, dont il reste à présent à évaluer l'impact exact sur le mouvement MLM international, y compris parmi les organisations qui l'ont en apparence désormais rejetée...

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/histoires-avec-le-mouvement-populaire-perou-et-tout-ca-que-s-est-il-re-a158454834


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