-
Réflexions sur "La Question nationale et coloniale" - site MLM néerlandais "Massalijn"
Massalijn (site maoïste et anti-impérialiste basé aux Pays-Bas) a mis en ligne une sorte de petit "Manuel théorique marxiste-léniniste-maoïste" extrêmement précis, synthétique et accessible, publié à l'origine par le Parti communiste d'Inde (maoïste) pour la formation de ses cadres. Bien sûr et malheureusement, c'est en anglais et nous n'avons pas pris le temps d'en effectuer une traduction - nous le ferons peut-être un jour prochain.Le chapitre consacré aux questions nationales et coloniales, sujets qui comme vous le savez nous "tiennent à cœur", nous a cependant inspiré quelques réflexions dans notre démarche d'élaboration d'une conception communiste du monde (et il faut dire que depuis un an, entre l'Ukraine la Palestine et l'Irak-Syrie, nous avons été servis en sujets polémiques) ; réflexions que nous vous livrons ici et qui impliquent forcément de traduire-en-résumé quelques éléments (les principaux) dudit chapitre : des bases théoriques essentielles pour toute personne communiste/révolutionnaire, que nous n'avions jamais trouvées auparavant présentées de manière aussi claire et précise. L'exposé est en grande partie tiré des Thèses sur la Révolution socialiste et le Droit des Nations à disposer d'elles-mêmes de Lénine (janvier-février 1916), que l'on peut lire en français ici.
Place (donc) à ces quelques réflexions sur des sujets fondamentaux pour une véritable conception communiste du monde, et qui nous ont fréquemment (et encore récemment) amenés à de houleuses polémiques :
1. Sur les trois continents que sont l'Afrique, l'Asie (+ l'"Océanie", les îles du Pacifique) et l'Amérique latine et caraïbe (au sud du Rio Grande et du détroit de Floride), nous considérons qu'en dehors des Guerres populaires et des révolutions démocratiques-populaires anti-impérialistes (en marche ininterrompue vers le socialisme et le communisme) que nous soutenons absolument, toute démarche ou lutte politique visant à réduire le pillage impérialiste de la production nationale revêt en soi un caractère positif ; à l'unique condition... d'être réellement cela, c'est-à-dire 1°/ d'être sérieuse et sincère (certains discours ultra-"patriotiques" et "populaires" peuvent en réalité masquer le pire compradorisme envers l'impérialisme), se traduisant par des améliorations concrètes (au moins économiques) pour les masses ou par une auto-défense sérieuse en cas de résistance armée, et 2°/ de reposer sur une réalité concrète, c'est-à-dire une population clairement définie sur un territoire clairement défini face à une domination/oppression impérialiste clairement définie, et non sur une mythologie qui (en règle générale) ne sera que le masque d'une démarche expansionniste.C'est ainsi que, par exemple, nous ne soutenons pas Daesh (l'"État islamique" d'Irak et Syrie). Nous considérons que les populations arabes sunnites d'Irak et de l'Est syrien sont opprimées (sans être les seules dans ce cas...) par les pouvoirs centraux de leurs États respectifs et qu'elles ont le droit le plus légitime qui soit de secouer ce joug. Nous considérons que le Machrek arabe est opprimé de longue date par l'impérialisme et son fer de lance sioniste et qu'il est parfaitement juste et nécessaire de résister à cela. Mais Daesh n'est pas du tout dans ce paradigme : Daesh agite le mythe d'un "Califat" idéal vernissant en réalité un expansionnisme ex nihilo, la construction d'un "petit Empire" régional comme terrain d'investissement et de valorisation de capitaux suraccumulés ; en l'occurrence ceux des riches pétro-milliardaires du Golfe et de la Péninsule arabique qui sont ses commanditaires et ses financeurs, et dont les milliards de dollars ne servent à rien (sinon à des "concours" de plus-grand-centre-commercial ou de plus-haut-building-du-monde...) et sont donc "morts" - or le Capital est une matière qui "rugit" pour "vivre", s'investir, fructifier etc. Nous ne soutenons pas non plus, quelles que soient les revendications bien réelles et légitimes (comme celles des Touaregs) sur lesquelles ils pourraient s'appuyer, les projets de "Califat" sahélo-saharien mis en avant par certains groupes armés dans cette région de l'Afrique - obéissant à la même logique, et bien souvent aux mêmes financements. Nous dénonçons et rejetons de la même manière les démarches telles que le "néo-ottomanisme" du gouvernement AKP turc (mais aussi le "pan-turquisme" que pouvaient mettre en avant certains nationalistes il y a quelques années), le "pan-chiisme" de l'Iran des mollahs ou le "pan-sunnisme" frère-musulman du Qatar : il s'agit là d'expansionnismes régionaux, et non de luttes de libération visant à réduire le pillage impérialiste d'un pays bien déterminé.
Lorsqu'en revanche ces conditions sont bien remplies, le caractère positif du "défi" à l'impérialisme dominant est acté ; nonobstant que ce "défi" puisse trouver l'appui d'autres impérialismes ou expansionnismes opposés au principal exploiteur et oppresseur du pays. Ainsi le fait que les Palestiniens puissent être soutenus (contre Israël et ses soutiens occidentaux) par les expansionnismes turc, iranien ou qatari dont nous avons parlé plus haut, ou encore par les impérialismes anti-occidentaux russe et chinois, ou le fait que la Chine ou la Russie puissent appuyer les régimes de type Chávez en Amérique du Sud etc., n'enlève rien au caractère positif de ces démarches politiques. Rechercher l'appui des Chinois ou même pourquoi pas... de l'impérialisme US pour desserrer l'étau de la Françafrique dans les pays subsahariens ne nous apparaît pas comme quelque chose d'incompréhensible. Nous pouvons dénoncer ces manœuvres et autres "petits jeux" impérialistes ou expansionnistes et les États qui s'y livrent, mais pas les "reprocher" aux Peuples et aux forces politiques qui en "bénéficient".
Bien sûr (trois choses), 1°/ ces forces politiques ont des "degrés de progressisme" divers et variés que nous évaluons sur la base d'un critère simple d'émancipation et de bien-être démocratique et social des masses [critère déconnecté des notions occidentalo-centrées telles que la "laïcité", la "modernité", la "gauche" etc. : le pire valet de l'impérialisme comme Ben Ali peut très bien être "laïc", "moderne" et membre de l'Internationale socialiste...], le "degré de progressisme" de telle ou telle force déterminant notre degré de soutien, de mise en avant de celle-ci dans notre travail politique en direction des masses, 2°/ une fois la nature de classe et idéologique et le "degré de progressisme" de chacune de ces forces clairement établis, elles sont présentées dans notre travail politique en direction des masses pour ce qu'elles sont sans faire "passer des vessies pour des lanternes" (par exemple du "socialisme du 21e siècle" bolivarien pour du marxisme), 3°/ par conséquent, le caractère objectivement positif de leur activité n'exclut donc pas la critique de leurs limites et de leurs aspects négatifs, surtout s'il s'agit de traduire et publier des critiques (constructives) émanant de progressistes ou de marxistes des pays concernés. Améliorer significativement le niveau de vie des masses, augmenter les revenus et développer les services sociaux, résoudre (là où il existe) le problème agraire des paysans sans terre et des métayers surexploités a incontestablement plus de valeur que de simplement faire "mieux" profiter la grande bourgeoisie locale (par rapport aux compagnies étrangères) des fruits de l'exploitation - mais dans tous les cas, sans secouer le joug des monopoles impérialistes et de leurs commis locaux, rien de ce qui précède n'est possible et Lénine a été sans ambigüité sur le devoir, pour les communistes occidentaux, de soutenir en actes et sans discutailler les forces qui mènent un tel combat.
[Un autre critère très "bête" pour ce qui est de critiquer/attaquer ce type de régimes ("bourgeois", "social-fascistes" ou tout ce que l'on voudra), pourrait aussi être tout simplement de le faire dans une perspective et avec une stratégie claire, en sachant où l'on va : si la ligne de démarcation ainsi tracée donne lieu à un saut qualitatif vers quelque chose de grandiose, comme le Parti communiste du Pérou qui s'est en grande partie forgé contre la junte militaire réformiste et pro-soviétique de Velasco Alvarado et le soutien de la gauche et de la plupart des autres "Partis communistes" à celle-ci (mais qui, on le notera aussi, n'a pas déclenché sa Guerre populaire à ce moment-là, mais au moment du retour au pouvoir de la droite oligarchique et néolibérale...), alors OUI ; mais si c'est pour faire de la merde parce qu'on a de toute façon une ligne politique pourrie, comme les hoxhistes vénézuéliens de "Bandera Roja" contre Chávez ou burkinabés ("voltaïques", pardon !) du PCRV contre Sankara, et ne servir au final que l'offensive impérialiste réactionnaire contre ces pays, alors non !]
2. Les pays dont nous venons de parler sont, dans la terminologie bourgeoise, fréquemment appelés le "Tiers Monde" (Troisième Monde) ; ce qui implique par déduction qu'il y en ait un Premier et un Second. À l'époque où le terme a été forgé, le "Second Monde" était généralement et simplement entendu comme l'URSS et les démocraties populaires d'Europe de l'Est, formant le Pacte de Varsovie et le COMECON : le "Bloc de l'Est". Mais nous pourrions encore aujourd'hui appliquer cette même définition à ce même ensemble géographique ; d'abord parce que ces pays auront et ne cesseront jamais d'avoir été le théâtre de ces expériences politiques marxistes-léninistes (pour le meilleur comme pour le pire) ; et ensuite parce que dès avant la Révolution bolchévique, dans sa théorisation de l'impérialisme et des questions nationales, Lénine en faisait déjà une catégorie bien spécifique de pays*. Parmi ces pays se trouve bien sûr l'Ukraine qui a (hélas) beaucoup fait parler d'elle depuis un an et sur laquelle a été dit et entendu (à l'"extrême-gauche") tout et n'importe quoi : soit qu'un véritable "État socialiste" serait en train de naître entre Donetsk et Lugansk dans la "glorieuse résistance" à de véritables héritiers de l'invasion hitlérienne de 1941 ; soit que le pays serait (en substance) une "colonie de la Russie impérialiste" menant une légitime "guerre de libération" contre cette dernière (tant pis si c'est avec quelques nazillons "dans le tas"...) et que les fameux russophones/"pro-russes" ne seraient en définitive que des "sales colons" quelque part entre le sioniste ultra de Cisjordanie, le général Custer, le loyaliste nord-irlandais, le Pied-Noir et le Boer (des thèses très souvent entendues de la part de maoïstes US pourtant excellents sur bien des sujets, mais complètement aberrants sur celui-ci).C'est dans ce contexte que la très pédagogique synthèse de l'analyse léniniste publiée par Massalijn est venue clarifier les choses de manière limpide ; et c'est ainsi que nous avons pu écrire dans la note à la fin de cet article l-ukraine-a-feu-et-a-sang-entre-geopolitique-et-milices-fascistes-la-p-a114670476 (note visant à présenter factuellement la situation avec ses racines historiques, ses tenants et ses aboutissants, choses dont beaucoup de gens croient hélas pouvoir se passer avant de l'ouvrir...) que :
"L'Europe de l'Est (depuis les frontières allemandes, autrichiennes et italiennes jusqu'à l'Oural) a de toute manière une histoire et (encore) une réalité présente d'une telle complexité, faite de questions et de luttes nationales parfaitement légitimes mais profondément traversées par les luttes de classes (et aux expressions parfois très réactionnaires !) ainsi que de menées impérialistes et expansionnistes pour l'"espace vital" prenant appui sur ces aspirations (dans leur expression bourgeoise), qu'il est tout simplement interdit d'y appliquer abstraitement des schémas du style "X est un colonisateur, Y est colonisé" (car Y prenant le dessus peut parfois se révéler plus oppresseur et "nettoyeur ethnique" que X ne l'a jamais été...) ; quand bien même une puissance clairement impérialiste comme la Russie serait impliquée (mais voilà, à en écouter ou lire certains, on aurait presque l'impression qu'elle est le SEUL impérialisme impliqué dans cette crise ukrainienne !). Lénine était déjà très clair là-dessus à l'époque de sa théorisation de l'impérialisme et de sa lutte contre la Première Guerre mondiale (1914-18) : il distinguait nettement trois groupes de pays dont l'un, consistant en l'Europe centrale et orientale déjà (à l'époque) théâtre de puissantes luttes nationales et enjeu de tous les appétits impérialistes (russes, allemands, autrichiens, français etc.), ne pouvait se voir appliquer les même analyses et prises de positions que les deux autres - à savoir les pays impérialistes d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord et les pays colonisés ou semi-colonisés d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Il posait dès lors, pour ce grand ensemble est-européen, deux principes essentiels qui ont gardé toute leur actualité : un droit absolu des Peuples à l'autodétermination allant jusqu'au droit (mais pas l'obligation !) à la sécession (car "la liberté de se fédérer passe obligatoirement par la liberté de se séparer") ; mais aussi une impérieuse nécessité de convergence (dans le même intérêt de classe et les luttes communes) des différentes classes ouvrières et autres classes exploitées nationales, assortie d'une vigilance de chaque instant envers les nationalismes bourgeois et leurs quasi-systématiques mises au service de l'impérialisme (pour se créer des protectorats ou, après la Révolution d'Octobre, pour encercler et attaquer celle-ci) - il combattit ainsi implacablement les nationalistes ukrainiens de Petlioura et de Skoropadsky, qui n'étaient en fait pas grand-chose d'autre qu'une force compradore et contre-révolutionnaire entre les mains de l'Allemagne et de l'Autriche (qui occupaient alors l'Ukraine après la paix de Brest-Litovsk)".
Oui, car nous n'inventons rien de la teneur des débats qui ont pu avoir lieu et dans lesquels ceux qui fantasment aveuglément sur les républiques séparatistes prêtent finalement plus à sourire qu'autre chose comparés aux autres : il a pu nous être reproché (sans que nous n'ayons jamais rien dit de tel...) d'"oser comparer les russophones d'Ukraine aux Noirs nord-américains" alors même que nos contradicteurs n'hésitaient pas... à comparer les Ukrainiens "ruthènes" nationalistes aux Palestiniens ou aux Noirs sud-africains, par déduction, puisqu'ils comparaient les russophones/"pro-russes" à des Israéliens ou des Afrikaners. Parallèle complètement absurde bien entendu : ces deux dernières situations relèvent de la troisième catégorie, celle des pays coloniaux et semi-coloniaux ; quant aux États-Unis d'Amérique ils ont la particularité d'appartenir à la première (pays impérialiste occidental) mais aussi, nés dans et comme une colonie, de renfermer des colonies intérieures (Noirs, Latinos, "Indiens") relevant quelques part de la troisième (en plus d'être, en dehors de leurs frontières, une grande puissance impériale et même colonialiste : Porto Rico, Hawaii, diverses îles du Pacifique et des Caraïbes).
Les milieux occitanistes (que nous connaissons bien) ont eux aussi, très souvent, tendance à défendre la "libération nationale ukrainienne" qui s'est à leurs yeux exprimée sur la place Maïdan ; certains (1 - 2) allant même jusqu'à prôner des transferts de populations complètement aberrants (dignes pour le coup de Staline, alors même qu'ils nous traiteraient volontiers de "staliniens" !) et carrément nier la Nation russe - nous n'avons pour notre part jamais affirmé que les "Novorusses" habitant les régions anti-Maïdan d'Ukraine étaient simplement "des Russes" comme à Moscou ou à Saint-Pétersbourg (seule une petite minorité est en fait ethniquement russe, comme le montrent les cartes "ethno-statistiques" - nous y reviendrons) : sans doute sont-ils tout simplement... des Novorusses, l'une des deux grandes nationalités d'un État ukrainien de plus en plus manifestement plurinational ; mais cela ne veut pas dire que les Moscovites et les Pétersbourgeois sont une espèce de "non-peuple"... Mais bref. Il s'agit là, encore une fois, de "plaquer" artificiellement sur la situation concrète des schémas de pensée qui ne peuvent tout simplement pas s'y appliquer.
Aucun raisonnement basé sur ces exemples ne peut s'appliquer à une situation comme celle de l'Ukraine (ou de la Yougoslavie dans les années 1990). Il n'est possible de dire pour aucun des deux camps "ce sont des colonisés, des Palestiniens de l'Europe, soutien total".
En ce qui nous concerne, pour raisonner et prendre position sur l'Ukraine :
1°/ Nous ne nous laissons tout d'abord influencer par la position d'aucun courant idéologique de la bourgeoisie (ce qui s'appelle avoir gagné, à son petit niveau personnel, la bataille de l'hégémonie) ; que ce soit pour nous en "inspirer" ou pour considérer au contraire qu'il faut à tout prix être d'opinion opposée. Dans l’État français, nous savons parfaitement que les deux camps ont leurs partisans au plus haut niveau de la politique et de l'intelligentsia bourgeoises : les "souverainistes" anti-européistes et anti-atlantistes FN, Front de Gauche ou "gaullistes à l'ancienne" penchent plutôt pour la position russe tandis que les thuriféraires de l'UE et de l'atlantisme "Fin de l'Histoire" (ceux qui sont au pouvoir actuellement et depuis un moment déjà), UMP-UDI et autres PS, mais aussi toute une certaine et non-négligeable extrême-droite alignée sur la position de ses homologues italiens ou "espagnols" soutiennent la "Révolution de Maïdan" et le nouveau pouvoir de Kiev. Nous ne nous basons pas plus sur ce que peut déclarer ou penser quelque dirigeant impérialiste ou de quelque État que ce soit. Nous n'en avons cure et nous sommes habitués, dans nos prises de position, à nous faire traiter tout aussi bien de "rouges-bruns Soral" que de "maos-néocons BHL". Nous nous basons sur notre seule et attentive étude des faits pour prendre une position.
2°/ Nous regardons s'il y a des communistes et/ou des progressistes sur place, et où ils se trouvent. Nous constatons que les personnes se voulant communistes ou "de gauche", même s'il peut parfois ne s'agir que d'une nostalgie du "temps béni" soviétique (capitaliste d’État et protecteur), se trouvent plutôt du côté qualifié de "pro-russe" ; sachant que l'on y trouve aussi des éléments très réactionnaires. Du côté du nouveau pouvoir (rappelons que Maïdan c'est fini depuis un an), nous sommes au regret de ne voir que des sociaux-libéraux de type blairiste, des ultra-libéraux conservateurs de type thatchérien et des ultra-nationalistes fascisants arborant des portraits de collaborateurs des nazis voire d'Adolf Hitler lui-même. Tous sont violemment anticommunistes et les éléments les plus radicaux s'en prennent à tout symbole de la Révolution soviétique ainsi que physiquement aux personnes considérées comme "rouges", tandis que des militants sont arrêtés et torturés par la sécurité intérieure (SBU) sous l'accusation de "terrorisme séparatiste". L'anticommunisme peut bien sûr exister du côté "pro-russe" (arrestation et détention pendant quelques jours de quatre militant-e-s de Borotba en décembre à Donetsk, tensions ayant conduit au regroupement des communistes locaux et étrangers dans l'"Escadron 404" à Lugansk), mais il existe alors comme une contradiction interne à ce camp, comme celle qui peut exister entre la gauche et les islamistes en Palestine (aïe... nous avons comparé) ; alors que l'on ne peut pas être communiste ou même "bien de gauche" et partisan du nouveau pouvoir de Kiev (c'était déjà difficile d'être pro-Maïdan sur les derniers mois du mouvement). Dans les régions nationalistes se trouvent aussi (évidemment) des personnes communistes, marxistes ou simplement progressistes qui ont même pu dans un premier temps soutenir Maïdan contre le régime corrompu du commis de l'oligarchie Ianoukovitch, mais qui dans tous les cas s'opposent aujourd'hui fermement au nouveau pouvoir et à sa politique. Nous soutenons bien évidemment ces personnes.
3°/ Sur qui pleuvent principalement les coups, sur qui s'abat la plus grande violence réactionnaire ? Il est évident qu'à l'heure actuelle c'est sur les habitant-e-s du Donbass, mais d'aucun-e-s pourront nous rétorquer que c'est la Russie qui l'a "provoqué" en "annexant la Crimée" puis en "infiltrant ses troupes" dans la région. Il est évident aussi qu'il ne fait pas bon être un partisan affiché de Maïdan dans les zones contrôlées par les rebelles "pro-russes". Néanmoins, dans les autres régions où n'existe pas l'ombre d'une "invasion russe déguisée", c'est bien de la part des éléments d'extrême-droite pro-Maïdan que l'on observe la plus grande violence fasciste contre toute personne identifiée comme opposée à eux (ce qui n'est nullement synonyme de "séparatiste pro-russe" ou "partisane d'une Ukraine protectorat de Moscou"). On n'observe pas de "chasse" au partisan de Maïdan (ni de droite ni "de gauche") et encore moins de "pogroms" de la part d'éléments opposés à ce mouvement ; et l'on n'en observait pas non plus lorsque ces éléments étaient supposément "au pouvoir" (sous Ianoukovitch). L'ancien régime était certes policier et répressif contre ses opposants réels ou supposés (dont faisaient partie, au demeurant, les marxistes et les progressistes opposés aujourd'hui au nouveau pouvoir), mais la violence politique est désormais un (large) cran au-dessus et elle est le fait de l'aile droite de l'ex-mouvement Maïdan.
4°/ Concernant le projet de société : du côté du pouvoir en place à Kiev (et de Maïdan dans sa phase terminale), nous ne voyons strictement rien à prendre et tout à jeter. Soit c'est du néolibéralisme pur et dur (à la Thatcher), soit c'est un projet fasciste. Force est de constater que c'est uniquement dans l'opposition au régime (qu'elle soit armée et "pro-russe" ou ex-Maïdan "déçue") que l'on peut éventuellement trouver des propositions démocratiques, sociales voire socialistes, de coexistence pacifique entre les différentes nationalités là où la plupart des partisans du nouveau régime (ou des déçus... qu'il n'aille pas assez loin) voudraient une "Ukraine aux Ukrainiens", etc. etc. ; même si l'on y trouve aussi (dans cette opposition) des conceptions très réactionnaires et parfois national-racistes (version - cette fois-ci - grand-russe ou "grand-slave").
Voilà ce sur quoi nous nous basons pour prendre une position (en fait, nous ne faisons surtout que livrer ces faits tels qu'ils sont !), que d'aucun-e-s qualifieront de "pro-russe" alors que nous prendrions exactement la même si le nouveau régime dont nous parlons était un régime totalement aligné sur le Kremlin.
Après étude minutieuse de tous les tenants et les aboutissants de cette crise et de leurs racines dans l'histoire - toute l'histoire jusqu'à l'époque soviétique incluse, nous en sommes parvenus à la conclusion qu'il y a deux Ukraines, "ruthène" et "novorusse", et que soit elles doivent être démocratiquement fédérées soit elles doivent être séparées. Unies dans un même État centralisé, c'est une union forcée qui ne peut pas fonctionner : il y en aura toujours une des deux qui dominera et l'autre qui ne l'acceptera pas ; il y en aura toujours une pour craindre plus la tutelle russe que les portraits de Bandera, et l'autre pour moins craindre la "protection" de Poutine qu'un pouvoir nationaliste à Kiev.
3. Concernant les affirmations des Peuples dans les États d'Europe de l'Ouest (que Lénine classe bien sûr dans la première catégorie), lorsqu'il s'agit des colonies intérieures/importées (populations "non-blanches" issues de l'immigration) ou dans une certaine mesure des Rroms elles se rattachent là encore à la troisième catégorie, celle des luttes anticoloniales. Lorsqu'il s'agit (en revanche) des Peuples tels que le nôtre (occitan), c'est-à-dire des peuples conquis, absorbés et soumis par ces États lors de leur formation à partir d'un Centre de pouvoir, il ne s'agit pas de luttes anticoloniales (c'est une erreur de les approcher comme telles) ; mais il s'agit néanmoins de remises en cause radicales, dans la façon même dont ils ont vu le jour, de ces États... et donc des appareils de domination capitaliste et impérialiste qu'ils représentent, ce dont l'humanité entière ne peut que bénéficier.Le "cours de théorie MLM" indien publié par Massalijn, reprenant la classification en "trois types de pays" établie par Lénine dans les Thèses sur la Révolution socialiste et le Droit des Nations à disposer d'elles-mêmes, nous dit explicitement que les États impérialistes occidentaux "oppriment d'autres nationalités dans leurs colonies mais aussi dans leur propre pays" ; les termes exacts employés par Vladimir Illitch étant : "Premièrement, les pays capitalistes avancés de l'Europe occidentale et les États-Unis. (...) Chacune de ces "grandes" nations opprime d'autres nations dans les colonies et à l'intérieur de ses frontières", et ajoutant que dans ces pays "les tâches du prolétariat des nations dominantes y sont précisément celles du prolétariat d'Angleterre, au XIXe siècle, à l'égard de l'Irlande". Nous savons que Lénine, intransigeant sur ces questions au sein de l'Empire tsariste qu'il combattait et également soutien sans faille de la cause irlandaise, était par ailleurs proche de l’Écossais John MacLean, héraut d'un Parti communiste écossais indépendant (et indépendantiste !) qui lui dénonçait par lettre ouverte les manœuvres centralisatrices "britanniques" de certains dirigeants du PC de Grande-Bretagne ; en revanche il est vrai qu'il n'a jamais été très prolixe sur la Bretagne, l'Occitanie, le Pays Basque et autres nationalités opprimées par et au sein de l’État français, et que dans le court texte qu'il rédigera en 1913 au sujet de l'incident de Saverne en Alsace, il semble considérer les Alsaciens insurgés contre l'autorité prussienne comme des... "Français".
Bien sûr, pour être réellement efficaces et ne pas consister en des "compromis maurassiens" au service du chauvinisme d’État, en des "euro-régionalismes" au service d'une fantasmatique "Europe-civilisation" ou en la simple formation de nouveaux petits États impérialistes (comme le serait une Flandre indépendante par exemple), ces luttes doivent être clairement sur une ligne progressiste prolétarienne et populaire. Mais à partir de là, pour prendre les principales puissances impérialistes de la planète : toute affirmation "rouge" du Peuple travailleur écossais ou gallois est déjà une négation dans ses fondements mêmes du Royaume-Uni impérialiste britannique ; toute affirmation "rouge" des Peuples travailleurs occitan ou breton ou corse est déjà une négation dans ses fondements mêmes de l’État impérialiste bleu-blanc-rouge ; toute affirmation des Peuples québécois ou acadien, des Métis et bien sûr des Premières Nations autochtones remet en cause le Canada impérialiste ; toute affirmation de la question méridionale ou du Peuple sarde bat en brèche la puissance impérialiste "secondaire" italienne, etc. etc.
C'est dans une telle perspective que nous avons pu, à l'automne 2013, soutenir le mouvement dit des Bonnets rouges en Bretagne ; un mouvement socialement et idéologiquement composite mais qui, si les petits-et-grands patrons ou les représentants de la grosse agriculture productiviste savaient (et avaient les moyens de) se mettre en avant, n'en était pas moins dans son essence profonde un mouvement des ouvriers et des paysans bretons dressés contre la crise qui frappait leur péninsule, pro vincia périphérisée de l’État français, après trois décennies de relative prospérité sous le signe de l'agroalimentaire. Et c'est encore dans cette perspective que nous avons rejeté la (piteuse) contre-manifestation du 2 novembre 2013 à Carhaix, appelée par les bureaucraties syndicales et la gauche jacobine type Mélenchon, pour ce qu'elle était : une tentative de remettre ce mouvement des ouvriers et des paysans de Bretagne sur le "droit chemin" de "la Républiiiiiique" et de "la citoyenneté françaiiiiiise", tout ceci baignant dans son bon vieux jus de propagande et de préjugés anti-bretons qui plongent leurs racines au plus profond de l'histoire tragique et héroïque d'asservissement brutal et de résistance acharnée de ce Peuple. Il faut bien dire (et il va de soi) que dans cette "affaire", nous nous sommes trouvés confrontés à tout ce que l'"extrême-gauche" francouille peut compter de soi-disants "anarchistes", "trotskystes" ou "marxistes-léninistes" et (en réalité) véritable aile gauche de la gauche républicarde jacobine - véritables nouveaux sans-culottes, en somme.
La principale (et généralement peu constructive) critique que nous pouvons recevoir pour ce que nous venons d'exposer consiste (en définitive) en une assimilation de notre position à l'ethnisme, théorie principalement portée par le Parti national occitan (PNO). En gros, nous aurions des "fantasmes identitaires" et nous rêverions de multiplier les petits États sur le surface de l'Europe et de la planète, au lieu de viser l'abolition des frontières et l'internationalisme, l'unité internationale des prolétaires.
Mais voilà : il se trouve tout d'abord que cet argument n'a rien de nouveau... et était déjà opposé à Lénine et à son principe de droit à l'autodétermination en son temps. Comme l'expose avec une clarté lumineuse le petit "manuel" mis en ligne par Massalijn : "L'un de ces arguments était que défendre l'autodétermination et la libération nationale allait à l'encontre de l'internationalisme prolétarien. Il était argué que le socialisme devait viser à la fusion de toutes les nations. Lénine était d'accord avec le fait que le but du socialisme était d'abolir la division de l'humanité en petits États, de rapprocher les nations jusqu'à les fusionner. Cependant, il pensait que ceci était impossible à accomplir par une fusion forcée des nationalités. La fusion des nations ne pouvait s'effectuer qu'en passant par une période transitionnelle de complète libération de toutes les nations opprimées, signifiant leur droit de se séparer. Présentant le programme du Parti en 1917, Lénine dit que : “Nous voulons la libre union des nationalités, c'est pourquoi nous devons leur reconnaitre le droit de se séparer : sans la liberté de se séparer, aucune union ne peut être qualifiée de libre”. Telle est l'approche démocratique du prolétariat vis-à-vis des questions nationales, par opposition à la politique bourgeoise d'oppression et d'annexion".**
Ou alors, de manière plus imagée : prenez un objet de type carton à alvéoles, carton compartimenté, et posez-le sur une table. Les compartiments sont les actuels États de la mappemonde, séparés par leurs frontières. Remplissez maintenant les alvéoles d'un nombre variable (mais remplissez-les toutes) de billes ou de cailloux, de noisettes bref de petits objets. Ce sont les Peuples réels que renferment les différents États. Retirez maintenant le carton alvéolé, autrement dit les États. Les noisettes-Peuples sont-elles encore plus séparées qu'avant... ou sont-elles réunies ? A-t-on l'impression d'être allé vers le cloisonnement et la séparation des Peuples, ou vers leur rapprochement ?
"Si nous voulons la libre union des nationalités, nous devons reconnaître leur droit de se séparer ; sans la liberté de se séparer, aucune union ne peut être qualifiée de libre" : le processus vers le communisme est AUSSI un processus de fusion des nations en une grande "Commune" universelle ; MAIS pour cela, comme nous l'enseigne Lénine, elles doivent être LIBRES... Or le capitalisme, s'il donne naissance aux nations au sens moderne et peut ainsi conjoncturellement favoriser leur libération de grands Empires, tend STRUCTURELLEMENT à l'inverse : à la concentration en grands ensembles (grands États oppresseurs, "cartels" continentaux comme l'UE, Empires coloniaux ou néocoloniaux) sous la direction et au service de Centres capitalistiques ; et à ce stade des monopoles impérialistes où nous nous trouvons, les bourgeoisies ne peuvent plus être le "cœur", le moteur historique des libertés nationales ; le mouvement révolutionnaire des peuples travailleurs doit se substituer à elles dans ce rôle considerations-diverses-le-coeur-des-nations-est-aujourd-hui-le-peuple.
Une argumentation de valeur universelle qui peut d'ailleurs (aussi) être opposée à certains de nos contradicteurs sur l'Ukraine, qui lorsque nous parlons de libre détermination des différentes régions (fut-ce en faveur d'une solution fédérale) nous répondent en criant à la volonté de "démembrer" l’État ukrainien - État qu'ils considèrent manifestement comme une "nation" où ne séviraient (à l'Est et au Sud) qu'une poignée de "colons" russes, montrant "carte à l'appui" les "maigres poches" où ces derniers seraient majoritaires (en blanc et rose clair, mais il s'agit là des vrais et "purs" Russes "ethniques") ; nonobstant que les habitant-e-s de chacune des deux moitiés considèrent former absolument tout sauf "une même nation" avec l'autre...
Ils savent manifestement mieux que les gens sur place ce que ces derniers sont ou ne sont pas, ce qu'ils veulent être ou ne pas être ; sans tenir compte de sentiments et d'auto-définitions tels que "Zaporogue", identité qui donne effectivement une immense majorité ukrainienne si on la met dans le même sac "ukrainien" que la Galicie-Volhynie-Podolie, mais qui se sent en réalité très peu en commun avec ces régions, voyant dans leur nationalisme un "nouvel Empire polonais" [il est par ailleurs fascinant de constater la quasi coïncidence géographique entre le territoire cosaque zaporogue des 17e-18e siècles et celui de l'Armée insurrectionnelle de Nestor Makhno en 1919 !] ; ou encore "russo-ukrainien" ("et alors je dois me couper en deux ?") parlant le sourjyk (dialecte populaire mêlant allègrement les deux langues, parlé surtout dans la vallée du Dniepr - en orange sur cette carte), ou "je suis ukrainien (de diverses origines) mais je n'ai pas de problème avec la Russie", "Russes et Ukrainiens sont des Peuples frères" etc. etc. ; ou bien encore un sentiment qualifiable de "soviétiste" ("homo sovieticus", environ 40% de la population du Donbass revendiquerait cette identité...) comme pouvait exister un sentiment "yougoslaviste" durant la guerre qui a ravagé ce pays dans les années 1990 (sentiment très présent pour le coup... du côté bosniaque/sarajévien) ; ou simplement (mais non sans lien avec le précédent) un sentiment anti-bandériste voyant (non sans raisons...) dans le nationalisme de l'Ouest et dans ses soutiens allemands et occidentaux un revival de l'invasion nazie de 1941 ou en tout cas un "attentat" contre la cohabitation des nationalités, un "purisme" identitaire étranger à la culture de l'Est et du Sud...
Car ce qui caractérise en fait l'Ukraine "pro-russe", c'est peut-être moins sa supposée "russité" que sa multiethnicité (comme toutes les cartes concordent à le montrer) avec le russe comme lingua franca (carte des partisans de sa co-officialité en 2007) ; c'est l'Ukraine nationaliste qui se caractérise par sa "pureté ethnique" (90% ou plus d'Ukrainiens/Ruthènes) et le vrai clivage pourrait bien en réalité être là, non pas entre des "Russes" et des Ukrainiens mais entre une idéologie de "pureté ethnique" (une Ukraine pour les "purs" Ukrainiens, une citoyenneté de seconde zone pour les non-Ukrainiens et les "impurs") d'un côté et une culture de coexistence des identités de l'autre... Autant de sentiments se reflétant qu'on le veuille ou non (et quoi que l'on en pense) dans les urnes des élections bourgeoises (cf. la carte des "deux Ukraines" aux élections de 2004 ou encore à celles de 2010) et désormais... dans le taux d'abstention (présidentielle et législatives 2014) ; sentiments incompatibles avec un État ukrainien centralisateur si le national-thatchérisme Euromaïdan dirige à Kiev comme c'est le cas depuis un an. Selon nous toutefois, la "Novorossiya" revendiquée par Poutine et certains leaders séparatistes comme un bloc monolithique et un "appendice" de la Russie devant y être rattaché relève elle aussi du mythe, ce qui (comme nous l'avons vu plus haut) ne peut servir qu'à "vernir" une volonté expansionniste - qui est malheureusement un autre et incontournable aspect de ce conflit. Le Donbass, la Crimée et la région d'Odessa (Yedisan et Boudjak) ne sont pas une seule et même chose totalement uniforme, qui devrait simplement rejoindre la "Mère Russie" en bloc et sans autre forme de procès.
Mais revenons à notre sujet. Il se trouve ensuite que nous assimiler à l'ethnisme PNO est une franche caricature de nos positions [lire : luttons-nous-pour-ressusciter-le-comte-d-auvergne].
Nous sommes, de la manière la plus simple qui soit, sur la position de Lénine puisqu'entre marxistes et maoïstes nous sommes léninistes, ce que nos détracteurs hexagonaux (généralement "anars") ont tout à fait le droit de ne pas être mais nous, nous le sommes. Or, pour Lénine, le DROIT à la séparation n'a jamais signifié l'OBLIGATION de se séparer pour former un État totalement indépendant - tout comme le droit au divorce n'a jamais signifié l'obligation de divorcer, ni l'interdiction de se remarier ou de se marier tout court. Là semble bien être notre différence fondamentale avec l'ethnisme, qui confond en réalité le droit avec l'obligation pour les Peuples de se séparer et de former des États indépendants - ceci conduisant d'ailleurs à un extrême pointillisme (pour ne pas dire pinaillage...) sur la définition et la délimitation de chaque "ethnie", sur qui parle quoi et jusqu'où (la langue étant le seul fondement de l'ethnie dans cette théorie...), dans quel village et pas dans quel autre ; des débats que, pour les avoir pratiqués, nous pouvons confirmer fatiguants.
Nous, nous disons que chaque population de chaque territoire dans chaque grand État européen doit comprendre et savoir qui elle est et d'où elle vient afin de briser les murs mentaux de la prison "nous sommes tous français", "nous sommes tous espagnols", "nous sommes tous italiens" etc. etc. - dans tout ce que ces "nous sommes tous" portent comme charge d'aliénation, d'inféodation à la bourgeoisie dirigeante de ces États et à son ordre social établi. Nous pensons aussi que la centralisation étatique, décidant et décrétant tout depuis une capitale, a vocation à disparaître au profit d'une subsidiarité décisionnelle du bas vers le haut. Mais si des Peuples travailleurs estiment qu'au sein d'un même État depuis des siècles, ils ont désormais beaucoup d'histoire et de luttes en commun et souhaitent rester (par exemple) fédérés avec leurs anciens compagnons d'infortune pour affronter ensemble le défi de bâtir le communisme ; allons-nous leur dire "non, vous êtes des Peuples différents et vous devez donc former des États indépendants différents, parce que c'est comme ça et pas autrement" ? Soyons sérieux deux minutes : bien sûr que non. C'est peut-être (et encore) ce que peuvent penser les ethnistes "purs et durs" ; mais présenter ainsi notre conception des choses relève de l'imposture intellectuelle.
Notre position, comme celle de Lénine en son temps, est que les choix doivent être adaptés aux circonstances***. En décembre 1851, de très nombreux départements occitans se soulevèrent héroïquement (sous le drapeau rouge) contre le coup d’État réactionnaire de Louis-Napoléon Bonaparte et réussirent à tenir ses sabreurs en échec pendant de longs jours ; mais voyant que le coup d’État était victorieux à Paris (où une maigre insurrection avait été écrasée), ils déposèrent les armes. Aujourd'hui, il va de soi que nous ne re-commettrions pas la même erreur et que, face à un reste-de-l'Hexagone contre-révolutionnaire, nous proclamerions sans hésiter la sécession et ferions fonctionner selon les principes révolutionnaires n'importe quel territoire "rouge" d'Occitanie. Mais si les autres "provinces" et Peuples d'Hexagone... et même au-delà (péninsule ibérique, État italien etc.) devaient eux aussi être en révolution victorieuse, il est évident que notre faveur irait à une confédération démocratique (nous refuserions, par contre, toute hégémonie/ascendant d'un territoire donné sur les autres).
* "Il (Lénine) classe les pays du monde en trois principales catégories :
- Premièrement, les pays capitalistes avancés d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord. Ces pays sont des nations oppresseuses, qui oppriment d'autres nationalités dans leurs colonies mais aussi dans leur propre pays. La tâche du prolétariat dans ces nations dominantes est de s'opposer aux oppressions nationales et de soutenir la lutte des Peuples opprimés par leurs classes dirigeantes impérialistes [NDLR - Lénine définit ces tâches comme "précisément celles du prolétariat d'Angleterre, au XIXe siècle, à l'égard de l'Irlande"].
- Deuxièmement, l'Europe de l'Est et la Russie. La tâche du prolétariat dans ces pays est de soutenir le droit des nationalités à l'autodétermination. Dans cette perspective, la tâche la plus difficile mais aussi la plus importante est de faire converger la lutte de classe des travailleurs des nations oppresseuses avec celle des travailleurs des nations opprimées.
- Troisièmement, les pays semi-coloniaux tels que la Chine, la Perse, la Turquie et toutes les colonies, dont la population totale s'élève au milliard d'individus. Concernant ces pays colonisés, Lénine prit pour position que les socialistes devaient non seulement exiger leur libération immédiate, inconditionnelle et sans compensation mais aussi soutenir avec la plus grande détermination leurs mouvements de libération nationale et appuyer en actes leurs rébellions et guerres révolutionnaires contre les puissances impérialistes qui les oppriment."Un "classement" effectué, certes, il y a un siècle ; mais nos maoïstes états-uniens dont nous avons traduit l'excellent texte sur la Syrie/Rojava ne disent-ils pas eux-mêmes, dans celui-ci, que "nous sommes revenus au début du 20e siècle" ?
[Peut-être peut-on aussi, éventuellement, rapprocher cette tripartition léniniste du monde de la classification par Samir Amin en Centres, semi-périphéries et périphéries :
- Les Centres, semi-périphéries et périphéries sont des réalités à la fois territoriales et sociales ; sur la base du concept d'introversion/extraversion.
- Les Centres sont les populations, sises dans des territoires, qui "pompent" (en quelque sorte) ; les périphéries celles qui sont "pompées" ; et les semi-périphéries celles qui sont d'un côté pompées mais bénéficient aussi d'un pompage.
- Les Centres, ce sont les "métropoles mondialisées-connectées" petites bourgeoises occidentales (et japonaises, + quelques centres hors Occident, en Russie, en Chine, à la limite les oligarchies de chez oligarchie du Sud comme "centres relais"...).
- La "semi-périphérie centrale", ce sont les masses populaires blanches ; c'est à dire effectivement presque tout le monde en Europe de l'Est et du Sud, mais aussi les masses les plus reléguées d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord. Ceci inclut la plus grande partie des peuples à question nationale d'Europe. On peut aussi y adjoindre, sans doute, une grande partie du Nord-Est asiatique.
- La "semi-périphérie périphérique", ce sont les masses "indigènes" non-blanches du Nord global.
- Enfin, la périphérie mondiale proprement dite c'est tout le reste : les 3/4 de l'humanité qui vivent en régime "semi-colonial semi-féodal".]
** Précisons ici que dans le même texte de référence, Lénine dit aussi que "Mais, d'autre part, nous ne souhaitons nullement la séparation. Nous voulons un État aussi grand que possible, une union aussi étroite que possible, un aussi grand nombre que possible de nations qui vivent au voisinage des Grands-Russes ; nous le voulons dans l'intérêt de la démocratie et du socialisme, en vue d'amener à la lutte du prolétariat le plus grand nombre possible de travailleurs de différentes nations. Nous voulons l'unité du prolétariat révolutionnaire, l'union et non la division"... ce que saisiront bien sûr au vol tous les jacobinards, espagnolistes et autres "britannistes" "rouges" pour alimenter et "confirmer" leurs "arguments" pourris ; alors que Lénine ne fait qu'exprimer là son internationalisme, son souhait (et c'est bien le moins que l'on puisse attendre de lui...) de voir le "maximum" de Peuples travailleurs unis autour de la révolution prolétarienne pour la libération de l'humanité et le communisme (et l'Empire tsariste, avec ses presque 22 millions de km² et ses 180 millions d'habitant-e-s à cheval sur deux continents, était bien sûr le cadre géographique "rêvé" pour cela), et nullement un quelconque centralisme jacobin conforme à leurs fantasmes (ou, mieux dit, à leur râtelier historique) de petits bourgeois et/ou d'aristocrates ouvriers. Il s'agit bien d'une union "la plus large et étroite possible" mais qui, comme on l'a dit, ne peut être qu'une union LIBRE, "librement" c'est-à-dire démocratiquement consentie et non forcée comme celle des 130 départements de la "France" "révolutionnaire" bourgeoise des années 1790-1800 ; une union d'ailleurs uniquement possible dans le cadre d'un système supérieur socialiste ("la révolution sociale met à l'ordre du jour l'union des seuls États qui sont passés au socialisme ou qui marchent vers le socialisme") ; et pour laquelle Lénine est d'ailleurs même prêt à "perdre" des Peuples au profit de la Réaction (Pologne, Finlande) au nom de ce principe supérieur de liberté d'union ou de séparation (une vision plus "jacobine" autoritaire était peut-être celle de Staline et de quelques autres ; ainsi que très certainement de Trotsky, Rosa Luxemburg et autres "hochets" perpétuellement agités par les "anti-staliniens" en réalité anti-léninistes ; mais elle fut impitoyablement combattue par Lénine jusqu'à son dernier souffle et le temps est révolu de faire dire à Vladimir Illitch tout et n'importe quoi - et surtout ce qui nourrit ses propres fantasmes de pathétique "soldat de l'an II" avec 220 ans de retard, d'"universaliste" impérial etc. etc.). Une telle union "libre" (démocratique) de Peuples marchant vers le communisme, il est bien évident que nous aussi la souhaitons la plus large possible, la plus "solide" au sens de détermination des Peuples associés à ne pas "lâcher" le projet révolutionnaire commun, et d'ailleurs pas (nous ne voyons pas pourquoi) limitée aux frontières hexagonales de l’État "français" légué par la bourgeoisie (les gens ne puent pas, à notre connaissance, au-delà de celles-ci).
*** "L'exercice du droit à l'autodétermination dépend des circonstances historiques concrètes à un certain point déterminé de l'histoire. Il appartient aux révolutionnaires de travailler et d'influer politiquement sur la décision de la nation par rapport au droit à l'autodétermination. La décision du Parti révolutionnaire pourra être aussi bien l'autonomie que la fédération, la sécession ou toute autre option qui soit dans le meilleur intérêt des masses laborieuses, en particulier du prolétariat."
-
Commentaires
1PascalSamedi 21 Mars 2015 à 17:48Tout à fait d'accord pour un régionalisme poussé en Ukraine. De là à dire qu'il y aurait une nationalité ruthene et une novorusse... Personne n'avait entendu parler de la seconde il y a quelques années. Comment la définir ? Ces "Novorusses" parlent russe, ils n'ont pas de langue propre. Pour autant, ce sont effectivement des Ukrainiens qui ont subi une plus forte pression assimilatrice et ont une plus faible conscience nationale plutôt que des Russes à proprement parler. Le fait que le russe n'ait plus eu le statut de langue officielle et que des ultranationalistes aient paradé en uniforme de la Waffen SS n'allait évidemment pas rapprocher les diverses populations.
Traditionnellement, on appelle Ruthenes les Ukrainiens de l'extrême Ouest jadis inclus dans l'empire austro-hongrois. Leur dialecte est langue officielle en Roumanie, peut être aussi en Slovaquie mais pas en Ukraine. A Kyiv ou Kharkiv, on ne se dit pas ruthene.
Il y a aussi une petite ethnie houtsoule qui avait formé une éphémère république en 1918.
Ajouter un commentaire
Question complexe en effet, sur laquelle notre réflexion évolue pratiquement chaque jour. Nous serions à l'instant ou nous parlons d'accord sur le point : ce ne sont pas des Russes. Il y a des personnes définies comme "de nationalité russe" (les nationalités selon la définition soviétique) mais elles ne sont majoritaires dans aucun oblast sauf peut-être en Crimée, même pas dans le Donbass.
Il faut peut-être en arriver à la conclusion qu'il n'y a pas de "Novorusses" : il y a une "Nouvelle Russie" à entendre comme expression géographique, où vivent diverses populations et où règne précisément... un esprit de coexistence ethnique, alors que les régions maïdanistes sont "l'Ukraine pure", la "Ruthénie" où plus de 90% des gens sont d'ethnie ukrainienne stricto sensu et de langue ukrainienne au quotidien. En fait ce ne serait pas un clivage entre "Russes" et Ukrainiens mais entre une Ukraine où Ukrainiens, Russes et autres (il y a des dizaines de nationalités) sont habitués à cohabiter depuis des siècles (et en particulier sous l'URSS) et une autre, où ne pas être pur Ukrainien ukrainophone est regardé beaucoup plus de travers.
Pour ce qui est justement de la Ruthénie (Rusyn), détrompe-toi c'était le nom de l'Ukraine maïdaniste/nationaliste actuelle et ce jusqu'à la fin du 19e siècle ; "Ukraine" étant en fait... plutôt le nom russe (!), qui signifie "marche" ou "frontière" dans le sens américain (frontière de la "sauvagerie" et de l'étranger hostile, en l'occurrence polonais et tatar). Regarde la carte du projet de République tripartite de Pologne-Lituanie-Ruthénie au 17e siècle http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_tripartite_de_Pologne-Lituanie-Ruth%C3%A9nie http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a9/Polish_Lithuanian_Ruthenian_Commonwealth_1658_historical_map.jpg : le duché de Ruthénie correspond bien à l'Ukraine centrale actuelle et nullement aux régions extrême-occidentales, considérées alors comme "Pologne" sans autre forme de procès. Associer le terme à ces seules régions est une idée reçue, de même que (très fréquent) le confondre avec la seule Subcarpathie, "queue" de la Tchécoslovaquie rattachée à l'Ukraine soviétique en 45.