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Il y a 530 ans : le "Malleus Maleficarum", bréviaire capitalo-patriarcal de la "chasse aux sorcières"
Les "sorcières" et la "sorcellerie" sont un thème qui exerce une fascination certaine sur une grande partie de la jeunesse européenne et occidentale de notre époque, attrait véhiculé par une quantité innombrable de films, séries ou bouquins (sans oublier la fête d'origine anglo-saxonne d'Halloween) et pouvant aller de l'engouement pour l'enfantin et inoffensif Harry Potter jusqu'à de véritables (et moins sympathiques) pratiques de "magie noire" ou de "satanisme" dans les cimetières (la nuit), s'accompagnant parfois d'actes franchement spécistes à l'encontre des félins ou autres gallinacés.À la source de ce mythe de la "sorcière" - au féminin - se trouve un sinistre ouvrage dont la rédaction commençait voici un peu plus de 5 siècles : le Malleus Maleficarum ou "Marteau des Sorcières" en latin (marteau de l’Église contre les sorcières). Il s'agit là d'un de ces ouvrages dont il est possible de dire, aux côtés de Mein Kampf, du Code noir et d'autres encore, qu'ils dégoulinent de sang : le sang des innombrables victimes innocentes de la mise en œuvre de ce qui y est écrit.
Le 5 décembre 1484, le pape Innocent VIII fait paraître une bulle (sorte d'instruction ou de "circulaire" destinée au clergé) dénonçant le (soi-disant) "développement de la sorcellerie" et demandant à deux inquisiteurs dominicains, Jacob Sprenger et "Institoris", de s’attaquer au problème. Ces derniers - en fait, surtout le second - rédigent donc dans la foulée cet épais traité de plusieurs centaines de pages qui, terminé à la fin de l'année suivante, passera alors immédiatement à l'imprimerie (cette nouveauté de l'époque en Europe) de Strasbourg et connaîtra une diffusion massive et rapide sur tout le continent européen tout au long des siècles suivants, où il fera "autorité" en la matière auprès des catholiques comme des protestants...
La première partie traite de la nature de la "sorcellerie" elle-même en insistant sur le fait qu'elle soit essentiellement pratiquée par des femmes, que leur "faiblesse" et "l’infériorité" de leur intelligence prédisposeraient par nature à céder aux tentations de Satan ; allant pour cela jusqu'à "bidouiller" la langue latine en faisant dériver femina (femme) de "moindre foi" (fe minor). Le Malleus Maleficarum jouera donc là un rôle essentiel pour "donner un sexe" à la "sorcellerie", en tout cas pour théoriser (à coup d'"arguments" théologiques) ce caractère ultra-principalement féminin conformément à la tendance pratique de l'époque, alors qu'auparavant hommes et femmes étaient beaucoup plus indistinctement accusés de "sortilèges" et autres pratiques "maléfiques". La seconde partie, quant à elle, est un manuel de procédure judiciaire exposant en détail la manière d'obtenir témoignages et - surtout - confessions de la présumée "sorcière", en recourant bien sûr sans états d'âme à la torture (qui garantissait les aveux à 99%, on imagine) jusqu'à l'aboutissement final du bûcher : là, l'ouvrage reposait de manière très concrète sur la pratique de l'auteur principal lui-même durant ses années de "service".
"Institoris", de son vrai nom Heinrich Kramer, était un natif de Schlettstadt/Sélestat (Alsace) entré de prime jeunesse dans l'ordre des dominicains, les sinistres "chiens de Dieu" (domini canis) comme ils se surnommaient eux-mêmes, qui fournissaient alors le gros des troupes de l'Inquisition. Il sévira essentiellement dans l'Empire germanique, de l'Alsace qui en faisait encore partie (pour deux petits siècles) jusqu'à l'Autriche en passant par le sud de l'actuelle Allemagne, faisant sans doute exécuter plusieurs centaines de personnes avant que son ouvrage ne devienne - on l'a dit - une "référence" continentale. Pour la petite histoire, il aurait été un pervers narcissique et un obsédé sexuel qui, éconduit par les victimes de ses avances et souvent rappelé à l'ordre par sa hiérarchie, aurait développé une haine inextinguible envers les femmes et leurs "maléfices" (autre nom pour l'attirance impossible à assouvir qu'il éprouvait envers elles)...
Quant à Jacob Sprenger - à qui, dit-on, la main aurait pu être un peu forcée pour signer le Malleus - c'était un éminent théologien de l'Université de Cologne (apportant donc sa caution "intellectuelle" au texte), portant lui aussi le titre d'inquisiteur mais qui n'aurait pas été très actif dans cette fonction.
Mais à côté de la petite histoire il y a la "grande", celle des classes, de leur lutte et des États appareils de domination des classes dominantes dans cette lutte ; cette "grande" histoire que les petites - et souvent minables - trajectoires individuelles ne font finalement que servir, d'un côté ou de l'autre de la barricade...
Contrairement - encore une fois - à une idée répandue, la "chasse" aux sorcières n'est pas un phénomène du plus profond du Moyen Âge, de l'An Mille, époque où l’Église avait plutôt (au contraire) tendance à s'affirmer contre l'aristocratie guerrière (chevalerie) au travers d'une solide alliance de classe avec les masses productrices (principalement paysannes), en favorisant pour "gagner les cœurs et les esprits" un très fort syncrétisme avec les croyances "païennes" (animistes, polythéistes) ancestrales : c'est ainsi que les innombrables "saints" et "saintes" aux noms biscornus qui peuplent nos riantes campagnes sont, on le sait, des "christianisations" de divinités tutélaires locales.
Non, la "chasse" aux sorcières est un phénomène qui émerge au tournant des 13e-14e siècles et s'étend jusqu'au 17e voire même 18e ; autrement dit un phénomène strictement parallèle et indissociable de l'affirmation et de l'édification de l’État moderne et d'une Église devenue complet instrument de cet appareil de domination [1], totalement appuyé sur cet appareil politico-militaire moderne au service (même inconscient) de l'accumulation primitive du Capital et sur les "révolutions" technologiques de l'époque - ainsi l'imprimerie, mise au point en 1450 par Gutenberg à Mayence, permettra la diffusion rapide et massive du Malleus.
[Il importe cependant de préciser ici que, bien que rédigé par deux inquisiteurs, l'ouvrage sera assez rapidement mis à l'Index, c'est à dire condamné par l'Église, quelques années après sa publication ; pour un certain nombre d'affirmations (sur les pouvoirs prêtés aux démons) contraires aux dogmes canoniques, ainsi que ses préconisations jugées excessives au regard du "droit" inquisitorial, et peut-être la "délectation" perverse et malsaine qui s'en dégageait ; de sorte que si bien sûr la persécution des "suppôts de Satan" (persécution pas que catholique d'ailleurs !) s'est bien sûr toujours effectuée "au nom du Christ", l'Inquisition en tant que telle, contrairement à la répression des "hérésies", sera finalement jusqu'aux dernières exécutions au 18e siècle assez peu active dans la "chasse aux (sorciers et) sorcières", qui sera plutôt le fait des autorités séculières (d'État) si ce n'est carrément de lynchages populaires, et dont les "excès" seront même à quelques occasions condamnées par les autorités ecclésiastiques.]
Un ouvrage très largement inspiré de ce dernier (sa "version française" en quelque sorte) sera d'ailleurs la Démonomanie des Sorciers de... Jean Bodin, ce grand juriste angevin de naissance bourgeoise qui se trouve également être (avec ses Six Livres de la République) l'un des grands théoriciens de l’État absolutiste moderne ! [une citation du bonhomme orne notamment aujourd'hui encore la couverture du très réactionnaire Valeurs Actuelles...]
On a donc torturé atrocement (conformément aux instructions du Malleus) et (généralement) brûlé vives sur le bûcher beaucoup plus de personnes à la "Renaissance" et au "Grand Siècle" (règnes - en "France" - d'Henri IV, Louis XIII et Louis XIV) que durant le "sombre et gothique" Moyen Âge... Mais bien sûr, cet aspect est soigneusement effacé de ces pages de l'histoire par la classe qui les écrit, la BOURGEOISIE qui y a vu naître sa "civilisation" - raison pour laquelle les sorcières brûlant sur le bûcher sont encore aujourd'hui associées à l'époque médiévale dans le "sens commun" des masses.
Même le protestantisme (qui avait pourtant lui aussi connu les bûchers pour son "hérésie") reprendra - bien que dans une moindre mesure - la pratique : c'est ainsi dans le canton suisse protestant de Glaris que sera exécutée l'une des dernières "sorcières" connues à l'être en Europe (par la "justice" d’État, en laissant de côté les lynchages populaires) ; et ce sont également des protestants qui - épisode archi-connu - amèneront la "chasse" jusqu'en Amérique du Nord, à Salem dans le Massachusetts.
Tout ceci s'inscrivait en fait (entre beaucoup d'autres choses) dans le processus de subsomption, d'anéantissement et de transformation en pure force de travail productrice de plus-value de la communauté populaire laborieuse (auparavant dans un lien purement tributaire avec la féodalité aristocratique et ecclésiastique, hormis bien sûr les véritables serfs héritiers "améliorés" des esclaves antiques, mais ceux-ci avaient pratiquement disparu au 13e siècle) par l'affirmation du Capital et des appareils étatiques modernes à son service – le "volet féminin", en quelque sorte, de cela.
Une communauté populaire "ancestrale" qui avait (encore à l'époque) très largement gardé les traits MATRIARCAUX du "communisme primitif", accordant aux femmes - dans le cadre de la division "sexuelle" du travail - un rôle essentiel pour sa stabilité et sa pérennité : c'est ainsi que la persécution ne touchera certes pas exclusivement (des milliers de "sorciers" et autres "guérisseurs" seront eux aussi exécutés) mais néanmoins principalement les femmes, raison pour laquelle on parle encore aujourd'hui de "chasse aux sorcières" au féminin. Pour prendre un simple exemple, à cette époque où l'institution scolaire était encore peu répandue, s'en prendre aux femmes revenait aussi à s'en prendre à la transmission du savoir, de la culture et des valeurs populaires qu'il s'agissait d'anéantir. La scolarisation des enfants (comme "formatage" des esprits au service de l'ordre dominant) se développera de manière strictement parallèle et sera bien sûr, à cette époque, principalement confiée à l’Église.
Quant aux fameux "pactes avec le Diable" et autres "sortilèges" dont étaient accusé-e-s, plus ou moins à tort ou à raison, les malheureux/euses promis-es aux flammes, il ne s'agissait de rien d'autre que de ces pratiques populaires traditionnelles parfois de pure "superstition", certes, mais parfois aussi très sérieuses (maîtrise médicinale des plantes etc.) et reliées dans tous les cas au communisme primitif (un lien entre l'espèce humaine et les forces de la nature en quelque sorte), ce que pouvait tolérer la "vraie féodalité" de l'An Mille (qui se contentait de prélever son "tribut", "sa part" de la production populaire) mais pas la féodalité-nid-du-capitalisme des 15e-16e-17e siècles.
La "chasse aux sorcière" aura donc été, en dernière analyse, un outil parmi d'autres pour imposer l'autorité de l’État moderne et de la classe émergente qu'il servait (et sert encore sous sa forme contemporaine), la grande bourgeoisie capitaliste ; et notamment imposer l'un des aspects essentiels de la société capitaliste moderne : le PATRIARCAT, la primauté absolue de l'homme père et chef d'une famille érigée en cellule de base de la société (la "première entreprise" en quelque sorte) et la transformation des femmes en purs outils de reproduction de la force de travail (cf. Silvia Federici plus bas). La persécution, dont le bilan est estimable à quelques centaines d'exécutions par an, ne visait certes pas l'"extermination" des femmes (comment le genre humain se serait-il reproduit ?) mais bel et bien à les soumettre par la terreur à ce nouvel ordre des choses, socle même de l'accumulation capitaliste première.
En termes de bibliographie, l'ouvrage que l'on peut qualifier de référence sur le sujet est certainement Caliban et la Sorcière de la féministe marxiste italo-états-unienne Silvia Federici, sur laquelle voici (en documentation) un petit recueil d'articles :
http://ekladata.com/3XfxkXuTxrG1YnE1TTg3Lx9DrWE/Federici-Caliban-recueil.pdf
Il a toujours existé (comprenons-nous bien), depuis la plus lointaine préhistoire, des formes de division du travail sur la base du sexe, entre les hommes et les femmes : il ne s'agit pas, dans une sorte d'idéologie "performative anti-normes de genre", de prétendre que tout serait "socialement construit" et à "déconstruire" par la toute-puissance de la volonté. Porter, donner naissance, puis allaiter et plus largement prendre soin des enfants en bas âge étaient ainsi par exemple et de toute évidence scientifique des tâches inattribuables aux hommes ; qui ont donc donné lieu très tôt (pour ne pas dire dès les origines de l'humanité) à une division des tâches de la communauté entre les sexes ; et qui trouveraient au contraire plutôt leur "solution" (le "dépassement" de cette division) dans les immenses progrès technologiques des derniers siècles dont l'humanité bénéficie aujourd'hui. D'autres "tâches" en revanche, comme par exemple d'être une marchandise sexuelle, n'ont par contre et bien entendu rien de "naturel"... Il ne s'agit pas de vouloir fouler aux pieds les plus matérialistes évidences d'une façon qui serait (naturellement) incompréhensible pour les larges masses populaires, comme peut sembler vouloir le faire un certain "postmodernisme de genre" ultime avatar d'un mouvement féministe bourgeois qui a (par contre) à partir du 19e siècle œuvré à l'"émancipation" (relative) des femmes (enfin, occidentales surtout, pour ne pas dire uniquement) dans le cadre du capitalisme industriel puis post-industriel (tertiarisé et de consommation), et qui est désormais totalement dépassé historiquement voire, comme toute pensée bourgeoise, inexorablement happé dans la Réaction sur toute la ligne ("progressisme au service de l'ordre", "postmofascisme")
Le problème avec le passage d'un système dit tributaire (maintenant dans une large mesure le "communisme primitif" contre versement de son écot à l'autorité éminente) au capitalisme (ou déjà auparavant, dans une certaine mesure, au "capitalisme à force de travail principalement esclave" de l'Empire romain), c'est que ce dernier consiste en une "financiarisation" de toute la vie productive et sociale ; laquelle conduit dans les "représentations" et les "discours" (outils fondamentaux de la reproduction de l'ordre social), en lieu et place de la "complémentarité" antérieure, à un clivage toujours plus important entre le travail producteur de marchandise et donc source de plus-value, valorisé, et le travail qui n'est pas dans ce cas, le travail "gratuit" domestique, issu de la division du travail antérieure, qui est celui des femmes et qui est dévalorisé. Les sociétés de "division complémentaire" du travail pouvaient certes déjà connaître des formes plus ou moins marquées de subordination des femmes aux hommes dans la mesure où c'était l'activité masculine qui produisait des surplus, autrement dit des stocks pour la survie ultérieure ou des marchandises commercialisables (l'inverse pouvant également exister ici ou là...) ; mais jamais dans de telles proportions. Avec en parallèle aussi, en plus d'être toujours plus jetées (comme les hommes) dans la production comme pure force de travail à vendre sur le marché (voire, à une époque, tout simplement raflées en tant que "vagabondes", prostituées ou filles-mères pour alimenter les workhouses ou "ateliers de charité"), une tendance à leur transformation pure et simple en... marchandise, faisant en définitive du mariage dans la société bourgeoise, selon Kollontaï, une "gigantesque prostitution respectable" où les femmes sont un "trophée" parmi d'autres de la réussite économique des hommes.
C'est cette évolution qui, encore en arrière-plan des facteurs directs que nous avons vus, constitue la toile de fond de l'ère des "chasses aux sorcières" (15e-18e siècles).
La "chasse aux sorcières" frappera bien sûr durement l'Occitanie, conjointement à la persécution des "hérétiques" cathares, béguin-e-s, vaudois puis huguenots (protestants) et bien sûr des Juifs ; et plus encore le Pays Basque où la culture, les antiques croyances et l'organisation socio-politique (très "républicaine") populaires étaient restées particulièrement vivaces, tant du côté "espagnol" (Zugarramurdi, 1610) que "français" (chasse aux sorcières du Lapurdi en 1609, conduite par le collabo souletin Pierre de Rostéguy de Lancre et l'Occitan traître Jean d'Espagnet - lire notamment ici).
Vu sous l'angle, précédemment évoqué, de la transmission des cultures et savoirs populaires, l'aspect de guerre contre les cultures populaires nationales-réelles, dans le cadre de la construction brutale et meurtrière des États-"nations" du Capital, apparaît bien sûr ici de manière évidente. En Lapurdi, le retour des hommes partis pêcher à Terre Neuve fera déguerpir les inquisiteurs : leur sentiment n'était donc visiblement pas que les bûchers de femmes "servaient leur privilège masculin"...
La "langue du diable" des condamnées n'était bien souvent rien d'autre que la langue vernaculaire locale, incompréhensible pour les juges laïcs ou ecclésiastiques français ou francisés venus de la ville ; et une carte des exécutions pour sorcellerie dans le Royaume de France (par exemple, au hasard, sur la première moitié du 17e siècle), si elle existait, serait sans doute à cet égard édifiante.
Bien sûr, il faut le souligner, tout cela ne pouvait pas exister de manière purement "verticale" et nécessitait un certain concours de la population. Ce concours ne sera pas difficile à trouver dans un contexte d'affirmation de la logique capitaliste tendant à faire de chaque famille une "petite PME" : les inquisiteurs pourront allègrement utiliser les concurrences, rivalités, jalousies, rancœurs et autres règlements de compte (y compris politiques entre clans de notables [2]) afin d'obtenir les indispensables témoignages et dénonciations de "sorcières" et "sorciers" ; la croyance encore ultra-majoritaire au "Diable" et aux "maléfices" faisant le reste.
Au demeurant, la même "chasse" sévira aussi dans les colonies (dès lors qu'elles existeront) contre les pratiques culturelles ancestrales des Peuples indigènes ou importées d'Afrique par les esclaves (vaudou, santeria etc.) - le bûcher y sera d'ailleurs une méthode d'exécution pour les esclaves rebelles jusqu'au... 19e siècle (!), employée par exemple par les troupes de Napoléon lors de la reconquête de la Guadeloupe en 1802. Le strict parallélisme de logiques entre la soumission du premier cercle de périphéries (les "provinces" des États européens eux-mêmes) et les entreprises coloniales au-delà des mers apparaît ici de manière évidente. Et d'ailleurs aujourd'hui, alors que le continent africain impérialisé connaît lui aussi une subsomption extrêmement forte et rapide par la logique capitaliste comparable à ce qu'a pu connaître l'Europe entre le 15e et le 18e siècle, on y observe exactement le même type de phénomènes, certes "seulement" de l'ordre du lynchage populaire mais (très certainement) non sans complicités des autorités locales - qu'elles soient étatiques ou "coutumières" (on qualifie en "jargon" maoïste ces pays de "semi-féodaux" mais le terme approprié serait peut-être qu'ils en sont au stade de l'accumulation primitive capitaliste, de manière subordonnée et au service des Centres impérialistes occidentaux, russe ou extrême-orientaux). La "magie" et les "guérisseurs", autrement dit le lien ancestral des hommes et des femmes avec la nature qui les entoure cesse peu à peu de faire "partie du paysage" social en Afrique ; et les révolutionnaires du monde entier doivent appeler haut et fort les Africain-e-s à rejeter cette auto-mutilation sociale et culturelle.
Au total, entre la première publication du Malleus Maleficarum et les dernières exécutions à la toute fin du 18e siècle (soit sur environ trois siècles), ce seront entre 50.000 et 100.000 hommes et surtout femmes qui auront péri brûlé-e-s vif-ve-s, décapité-e-s, pendu-e-s ou sous d'autres supplices encore sous l'accusation de "sorcellerie". Et au terme du même laps de temps historique (pas seulement pour cette raison bien sûr, mais celle-ci a fait partie du processus), la communauté villageoise médiévale (relativement) égalitaire et (surtout) "solidaire" aura presque totalement disparu, remplacée par une masse de petits producteurs indépendants (pour quelques générations encore...) et concurrents et surtout par cette grande masse de "loueurs" de force de travail que l'on appellera bientôt prolétariat. Le rapprochement est bien sûr évident pour tout raisonnement marxiste un peu sérieux.
Il n'y a pas à chercher plus loin que dans ce qui vient d'être exposé la raison de la fascination qu'exercent la "sorcellerie", la "magie", les pratiques plus ou moins "païennes" ou "satanistes" sur les masses populaires à notre époque de renversement du capitalisme et de ses constructions étatiques à l'ordre du jour (quand bien même cela tendrait ensuite vers une pensée réactionnaire, de la "fascination pour le Mal" à la sympathie pour le nazisme par exemple, dans le nihilisme qui caractérise également notre époque).
Quant à nous, à la face de tous ces appareils politico-militaires de domination du Capital (avec son corollaire le patriarcat) et de toutes leurs religions d’État y compris "républicaines" et "laïques", nous clamons plus que jamais haut et fort : sèm tots dei Albigès, que venjarem a tot-a-s l@s cremats !
[1] Nous avons déjà vu par exemple comment l’Église catholique et son Inquisition furent de fait la première "police politique" connue et subie par notre Occitanie après la Conquista capétienne, avec déjà les sinistres domini canis combattus par l'héroïque franciscain Bernard Délicieux... ou liquidés comme il se doit par le faidit Pierre-Roger Bélissen à Avignonet (1242) - dans le même esprit mais quelques siècles plus tard, on peut encore citer l'exécution de l'abbé du Chayla par les Camisards au Pont-de-Montvert en 1702. Il convient cependant de noter ici, comme dit plus haut, que contrairement à ce cas de l'Occitanie, ou à la persécution d'autres "hérésies" à cette même époque médiévale (Béguins, Lollards, Ghjuvannali) et plus tard (notamment les Réformés) ; ou encore à l'Inquisition espagnoles (très liée à la Couronne, plus qu'au Saint Siège) pourchassant les Juifs et les musulmans "faussement convertis" aux 15e et 16e siècles ; l'Inquisition en tant que telle aura tendance à se désintéresser, et ne jouera pas un rôle majeur dans la "chasse aux sorcières" qui sera plutôt le fait des autorités étatiques, ou carrément de lynchages populaires ; et les autorités catholiques en condamneront même parfois les "excès"...
[2] Ainsi en Lapurdi la dénonciation initiale des "faits de sorcellerie" auprès d'Henri IV provenait de deux nobles, les seigneurs d'Amou et d'Urtubie ; or l'on sait que la noblesse labourdine [issue de la période anglaise où elle était déjà en conflit avec la population se revendiquant alleutière ; plutôt romane (gasconne) de langue et de culture et par la suite francisée (après l'annexion en 1450) face à une paysannerie de langue euskara ; regardant vers Bordeaux où toute réussite impliquait de "monter" etc. etc.] n'était pas représentée à l'assemblée locale, le Biltzar (véritable émanation de la communauté populaire et de l'identité nationale basque), ce qui peut laisser supposer un contentieux avec celui-ci et une volonté d'"attirer" l'autorité royale dans la province pour y "briser" le pouvoir roturier euskaldun (cette thèse tendrait à être confirmée ici)... Il semblerait aussi qu'en l'absence des hommes (partant pêcher de longs mois au large du Canada) les femmes du Labourd prenaient trop d'indépendance et de pouvoir aux yeux des "mâles dominants" de l'aristocratie, du patriciat bourgeois, de l’Église et bien sûr de l’État au service de ces trois classes alors dominantes (+ se surajoutant encore à ceci une "embrouille" commerciale capitaliste entre le sieur Dugua de Mons, gentilhomme saintongeais à qui Henri IV avait confié le monopole du commerce des fourrures avec les Algonquins du Canada, et les pêcheurs labourdins qui exerçaient précédemment ce monopole et ne souhaitaient pas le lâcher - les Amérindiens refusant de traiter avec qui que ce soit d'autre).
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