-
Encore quelques petites réflexions sur les religions et l'attitude des marxistes à leur endroit
Il est évident que les attentats de Paris (7-8-9 janvier dernier) et l'immense mobilisation bourgeoise pour la "liberté d'expression" qui a suivi ont (encore une fois) remis sur le devant de la scène la question des religions et de ce qui en serait supposément l'antithèse ("laïcité", "rationalisme", "libre pensée", "Lumières"), dans un souci de mobiliser à "gauche" du champ politique bourgeois (la droite, elle, se complique moins la vie en assumant "l'héritage chrétien de l'Occident" qui serait "supérieur" aux autres religions et civilisations...). Et donc, remis encore une fois à l'ordre du jour la question du rapport des marxistes à la religion et à l'immense majorité de personnes croyantes que compte encore la planète.Une question qui tend évidemment à se centrer depuis de nombreuses années sur l'islam, car c'est cette religion que mobilisent un certain nombre de concentrations de Capital (principalement l'Iran et l'Arabie saoudite/Golfe arabo-persique) pour mener un "bras de fer" contre l'impérialisme euro-nord-américain et que s'approprient des éléments radicaux et même de véritables petites armées (Al-Qaïda, Daesh, talibans pakistano-afghans, résistance islamique palestinienne, divers groupes du Sahel ou de la Corne de l'Afrique, Boko Haram etc.) pour mener leurs actions militaires contre l'impérialisme en question et son chien de garde sioniste ; actions qui de par le caractère réactionnaire de cette idéologie, leurs cibles et leurs méthodes apparaissent souvent à l'opinion publique mondiale comme le "summum de la barbarie" - de fait, pour des forces comme l'"État islamique"/Daesh, il est possible de parler (et nous parlons) de monstres du clair-obscur ("Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres" - A. Gramsci), d'"explosions dans le ventre du vieux monde" qui jaillissent hideuses des entrailles putréfiées de l'ordre capitaliste-impérialiste mondial en crise terminale : la bourgeoisie et les "faiseurs d'opinion" occidentaux ont alors beau jeu de s'horrifier devant ce qu'ils ont eux-mêmes engendré par leur politique dans les pays musulmans (ainsi que l'annonçait déjà le réformiste Jaurès en... 1912) et nous ne céderons pas à leurs appels à "défendre 'la' - leur - civilisation contre la barbarie" ; mais il n'en reste pas moins que les Peuples confrontés à la barbarie doivent se défendre et ils le font, avec toute notre solidarité internationaliste [mais dans beaucoup de cas également (Palestine, Liban, Afghanistan, Irak durant l'occupation US), l'"islamisme" consiste en une résistance nationale et quels que soient les sentiments que peut nous inspirer cette idéologie, nous ne pouvons que souhaiter les revers tactiques qu'elle peut infliger à l'impérialisme et à ses agents locaux (Israël, armée "afghane", armée "philippine" etc.)].
Partant de là, dans ce contexte de guerre ouverte entre Occident impérialiste et "djihadisme" avec en jeu les principales ressources énergétiques de la planète, les personnes de foi musulmane affirmée... voire de confession musulmane tout court tendent à être considérées dans les pays occidentaux (où elles sont déjà des colonies intérieures) comme une "cinquième colonne ennemie" en butte à toutes les stigmatisations, qui débouchent sur des actes pogromistes de plus en plus violents.
Mais en réalité, dans les classes populaires, ce sont toutes les confessions et toutes les "origines" qui sont concernées par un puissant regain religieux depuis environ un quart de siècle : alors que la génération du baby boom s'était caractérisée par une grande déconfessionnalisation, les jeunes de naissance "culturelle" catholique ou juive sont nombreux à revenir vers la pratique religieuse tandis que les Églises évangéliques (à ne pas confondre avec les Églises réformées : elles en sont totalement indépendantes et d'une religiosité beaucoup plus "militante") connaissent un grand succès dans les communautés originaires d'Afrique, des Caraïbes ou encore d'Amérique latine (ou encore chez les Rroms sinté - "Manouches", "Tziganes"). Nous avons déjà eu l'occasion d'analyser ce regain comme une "recherche par les masses de réponses face à un sentiment de "perte de sens" dans l'existence sociale, de triomphe du consumérisme et du fétichisme de la marchandise ("matérialisme" selon leurs mots), de l'individualisme etc. etc. ; une manière (également) de réintégrer "artificiellement" une communauté sociale "solidaire" et "sincère" ; bref une quête de "gouttes de soleil" dans la Cité des Spectres" (on pourrait encore mentionner l'action caritative et socio-humanitaire, très souvent - plus ou moins ouvertement - confessionnelle) ; tout ceci dans un contexte de mouvement révolutionnaire communiste en reflux, qui ne joue plus suffisamment ce rôle auprès des masses du Peuple.*
Les marxistes conséquents que nous sommes ont pour position claire de ne pas mettre une religion au-dessus d'une autre [même la certaine fascination pour le protestantisme qui pouvait exister chez Marx et Engels, dans l'esprit de leur époque qui était celle des révolutions bourgeoises, a été largement démentie par les faits depuis et même par une étude un peu sérieuse des siècles précédents : c'est au nom de la Réforme que l'on a combattu Richelieu et Louis XIV en Occitanie mais aussi en son même nom que l'on a massacré puis opprimé et affamé en Irlande, colonisé et massacré en Amérique ou en Afrique du Sud ; que des paysans allemands se sont levés contre les princes... et que des princes luthériens les ont écrasés ; que des quakers ont combattu l'esclavage et que des planteurs l'ont pratiqué etc. etc.]. Mais surtout nous ne considérons pas le "rationalisme", la "laïcité", la "libre pensée" et l'"esprit des Lumières" comme supérieurs par essence au sentiment religieux : dès lors que les bourgeoisies (et notamment la bourgeoisie "française" !!!) ont fait de ces notions leur nouvelle doxa, que d'oppressions, que de massacres n'ont pas été commis et justifiés en leur nom tandis qu'en face, tant dans les pays musulmans qu'en Amérique latine ou en Afrique, la religion pouvait être le ferment de mobilisations et de résistances 100% justifiées contre ces oppressions ?
Si l'on se penche avec attention sur les principales religions que compte la planète, on s'aperçoit en fait qu'il est possible de prendre la plupart de ces concepts formulés il y a 2.000 ans ou plus et de les passer à travers une sorte de "traducteur automatique" en "marxiste" qui donnerait ceci :
- "Dieu" (ou le Karma et le Dharma chez les bouddhistes, qui ne reconnaissent pas cette notion d'être suprême, transcendant et créateur) = le mouvement dialectique éternel et infini la matière, de toute chose, vers le "mieux" c'est-à-dire vers le dépassement positif de la contradiction qui est le moteur dudit mouvement (pour la chose "société humaine", il s'agit du communisme) ; et surtout entité, "quelque chose" qui nous est SUPÉRIEUR (comme l'est le Sens de l'Histoire, la Cause révolutionnaire...) et auquel nous obéissons ou que nous combattons (et alors nous finirons mal tôt ou tard...), autrement dit nous ne sommes pas des "êtres libres" dont toutes les "libres pensées" et les "libres choix" seraient à respecter et se vaudraient au nom de la "liberté"...
- "Bien" (qui correspond d'ailleurs à Dieu dans la plupart des religions, où celui-ci n'est pas ambivalent) = ce que nous marxistes appelons le Nouveau, le progressiste, l'émancipateur, l'antithèse de ce qui est injuste et fait souffrir.
- "Mal" = ce que nous appelons l'Ancien, ce qui est réactionnaire, oppresseur, ce qui impose l'injustice et fait régner la souffrance.
- "Royaume de Dieu" ou "du Christ" ou "du Mahdi", "Jérusalem céleste" de la "Fin des Temps", "avènement de Maitreya" chez les bouddhistes ou encore (dans une religion poly- ou panthéiste) "Sixième Soleil" des Mayas (ère de "niveau de conscience plus élevé" et d'harmonie qui devrait commencer... vers maintenant - on a beaucoup parlé du fameux 21 décembre 2012 - après un cycle de plus de 5.000 ans correspondant peu ou prou... à la société de classes), et autres "Âges d'Or" eschatologiques, règnes du bonheur pour l'humanité : comment ne pas y voir la société communiste ?
- Mythe de la résurrection du Christ (chez les chrétiens exclusivement) : manière comme une autre de dire qu'"on peut tuer un homme mais pas ses idées" (qui ont effectivement connu un certain triomphe depuis), "je reviendrai et je serai des millions"...
Etc. etc.
Il faut en réalité comprendre que la prise de conscience par l'humanité de sa marche historique vers le communisme est forcément progressive, liée au niveau des forces productives, et se fait avec les mots de chaque époque. À l'époque où l'humanité n'avait aucune prise sur les éléments naturels qui l'entouraient, l'existence d'une force supérieure appelée "Dieu" était pour ainsi dire une évidence (et d'ailleurs elle le reste encore aujourd'hui pour beaucoup, à l'ère de la fibre optique et du TGV !)**. Et dès lors, qui était mieux placé que cette force toute-puissante pour imposer de son autorité incontestable les changements sociaux dont l'humanité avait besoin ?
Le judaïsme avec Moïse, David et Salomon a imposé la notion de loi, de règles de vivre-ensemble dans des sociétés qui en étaient pratiquement dépourvues, sorties du "communisme" primitif et de ses règles "instinctives" (imposées par la survie du groupe face à la nature) et où n'existaient plus dès lors que la vengeance personnelle et la loi du plus fort.
Le christianisme est d'abord né comme une résistance populaire "nationale" araméenne (Proche-Orient) contre la domination romaine (Jésus était très certainement un rebelle, dont la croix était le supplice romain normal, et sans doute beaucoup moins non-violent qu'on ne l'a décrit par la suite...) ; puis il s'est imposé dans tout l'Empire comme idéologie des masses opprimées par celui-ci (esclaves, pauvres, paysans etc.) pour conduire au fil des siècles (pas en quelque années) ce qu'il faut bien appeler la "révolution féodale" contre le système esclavagiste, humanisant considérablement la condition des masses qui passèrent d'esclaves ou de plébéiens désœuvrés à serfs, compagnons, parfois alleutiers (paysans libres ou ne devant qu'un tribut symbolique à un évêque ou autre seigneur, et organisés en petites républiques démocratiques) etc. ; rôle fondamental également dans le contexte de mise en place plutôt chaotique de la féodalité, avec ses guerres permanentes, ses pillages etc. : mouvement de la "Paix de Dieu" au 10e siècle par exemple.
L'islam, né comme démarche d'unification nationale arabe (péninsule arabique auparavant divisée en tribus nomades, cités indépendantes etc.), jouera un rôle similaire en se lançant à l'assaut des vieux Empires byzantin (ce qu'il restait de l'Empire romain : un Empire romain hellénisé opprimant les Peuples du Proche-Orient et d'Afrique du Nord) et perse : une "révolution féodale" et même quelque part une "première révolution bourgeoise" - l'islam étant dès l'origine une religion de marchands. On connaît (quand on ne fait pas semblant de l'ignorer) le rôle fondamental joué par cette civilisation dans l'histoire de l'humanité.
De la même manière, le bouddhisme introduisit la notion de compassion dans des sociétés asiatiques antiques qui, mêlant esclavagisme et servage "dur" (ou encore le terrible système des castes de l'hindouisme), en étaient passablement dépourvues. En Chine, le confucianisme affirma une doctrine autoritaire mais (malheureusement) indispensable à la mise en place d'un véritable État au sens (presque) moderne tandis que le taoïsme (Lao Tseu etc.) développa une philosophie d'unité relative des contraires pratiquement dialectique, qui jouera un rôle fondamental dans l'appropriation chinoise (maoïste) du marxisme...
Toute ces humanisations de la condition des masses (des producteurs) n'étaient bien sûr pas l'expression d'un "Bien" transcendant mais une traduction dans la pensée humaine des nécessités de leur époque, car elles avaient pour conséquence immédiate de libérer la production (matérielle et intellectuelle) et donc la "marche" vers le communisme : ainsi, par exemple, l'Empire romain avait pratiquement mis en place une sorte de "capitalisme" mais celui-ci, reposant pour sa production sur un esclavage sans pitié, ne pouvait pas fonctionner et était voué à s'effondrer sous ses propres contradictions (faible productivité des esclaves, nécessité de les remplacer en permanence en raison de la forte mortalité, etc.). En réduisant l'esclavage (qui ne disparut pas !) à un rôle marginal dans la production, qui reposerait dès lors (principalement) sur des hommes et des femmes un peu plus propriétaires d'eux/elles-mêmes et de leurs moyens de production, le christianisme et l'islam ont permis à la société humaine des pays concernés d'avancer vers le monde que nous connaissons aujourd'hui - et donc le socialisme à l'ordre du jour tel que nous l'avons.
Les pseudo-"philosophes" à la Michel Onfray qui (dans la droite ligne de la pensée bourgeoise depuis trois siècles) dépeignent l'Antiquité esclavagiste comme un "Âge de Lumière" plongé par le christianisme et l'islam dans les "Ténèbres" jusqu'à la Renaissance voire au 18e siècle n'ont strictement rien compris à rien ! Non seulement (les recherches historiques depuis quelques années le montrent) le "déclin" suite à la "chute" (autre mythe) de l'Empire romain a été tout relatif (par exemple, la cathédrale de Paris sous les Mérovingiens aurait été plus grande que l'actuelle Notre-Dame) et par ailleurs géographiquement inégal (les régions de romanisation superficielle ont pu décliner fortement, déclin d'ailleurs entamé sous l'Empire, mais les régions restées byzantines ou devenues wisigothes - Occitanie, "Espagne" - puis conquises par les Arabes, ou encore la péninsule italienne n'ont pas vraiment "régressé"), mais la "marche" de l'histoire reprend fermement dès l'An 1000 et de fait, sans cette "chute" de l'Antiquité romaine, il n'y aurait jamais eu ni capitalisme ni humanisme ni Renaissance ni Lumières !
Bien sûr, une fois que les religions ont réussi leurs "révolutions" et sont devenues les idéologies officielles de la nouvelle classe dominante (comme typiquement le christianisme romain au Concile de Nicée en 325), autrement dit de l'ordre établi, leur rôle s'est tourné vers la conservation de cet ordre et est donc devenu réactionnaire... et encore, pas unanimement puisque jusqu'aux 18e-19e siècles et même jusqu'encore aujourd'hui dans certains cas, la contestation de l'ordre existant inégalitaire et injuste (ayant fait oublier au fil des siècles qu'il avait été "mieux" qu'un autre ordre fut un temps...) s'est souvent basée sur un "retour" à la "pureté originelle" du message religieux (ce qui est la vraie définition du "fondamentalisme").
C'est dans ce contexte où elles sont devenues idéologies dominantes que les religions ont pu perpétrer les actes "obscurantistes" que leur reprochent les "lumiéreux" : chasse à la "sorcellerie" et à l'"hérésie", à la "sodomie" (homosexualité) et à la liberté féminine (ce qui rejoint la "chasse aux sorcières") au profit d'un patriarcat... au demeurant pilier de l'accumulation primitive capitaliste ; ou encore obstruction à la découverte scientifique lorsqu'elle remettait trop en cause leur vision du monde, donc l'ordre social (Galilée etc.).
Mais il n'en reste pas moins que toutes les grandes religions "révélées" auront été en leur temps des formulations avec les mots de l'époque de la nécessité humaine d'avancer dans l'émancipation vers le communisme. La "toute-puissance" dont les prophètes investissaient leur "Dieu" étant le signifiant de l'irrésistibilité, de l'impérativité de ce mouvement historique contre toutes les "certitudes" de l'époque - la notion de ce qui est certain étant remise exclusivement entre les mains de "Dieu", imposant par là-même le doute, l'humilité, la remise en question de l'être social et une démarche intellectuelle critique.
Il n'en a d'ailleurs pas été autrement de la pensée "humaniste" du capitalisme, qui a elle aussi joué son rôle révolutionnaire - pour la révolution bourgeoise. En fait et pour être exact, l'affirmation de la bourgeoisie et du capitalisme dans la production a conduit dès la seconde moitié du Moyen Âge à sécréter de l'humanisme (idéologie affirmant la centralité de l'être humain contre les prétendus pouvoirs de "droit divin"... mais idéologie très rarement athée/antithéiste pour autant !), d'autant plus que la bourgeoisie ne faisait pas que s'affirmer contre la féodalité mais était aussi consciente que les travailleurs qu'elle exploitait seraient un jour ses fossoyeurs (c'est la première classe à avoir conscience de cela dans l'histoire) ; mais dans le même temps, chaque pas de la bourgeoisie vers (puis dans) le pouvoir et du capitalisme dans sa logique d'exploitation et de domination effrénée pour dégager son vital taux de profit les conduisaient à piétiner cet humanisme tout juste affirmé, en fixant par exemple des "limites" à l'humanité à laquelle il était censé s'appliquer - donnant ainsi naissance au Blanc et au non-Blanc. La Réforme protestante a sans doute incarné plus que n'importe quel autre courant ce mouvement perpétuel de balancier, parfois incarné en une seule et même personne comme celle de Luther, dont nous avons évoqué plus haut l'attitude face aux paysans anabaptistes de Thomas Münzer. Ceci n'empêche bien sûr pas cet humanisme de former une part importante de la conception communiste du monde - qui, plus exactement, le porte à un niveau supérieur.
Tout ce que nous venons de voir, cette nature révolutionnaire des religions en leur temps et la "traduction" généralement possible de leurs concepts en "langage marxiste" (ce qui explique sans doute, le plus sûrement, leur regain dans le contexte actuel de langage marxiste un peu inaudible...), fait que les personnes religieuses ne sont certainement pas les moins susceptibles d'être amenées (par un travail politique patient et non-sectaire, côte-à-côte dans les luttes face aux injustices du quotidien) vers la conception communiste du monde.
En tout cas, elles le sont beaucoup plus que celles pour qui l'"athéisme" consiste à ne croire en rien sinon en elles-mêmes et en la marchandise qu'elles peuvent accumuler, ou en la négation de tout "principe supérieur" à ce que la "supériorité" individuelle (réelle ou supposée, physique ou "intellectuelle" ou économique) permet d'acquérir et à la jouissance procurée par cette acquisition - cette conception nietzschéenne que l'on retrouvera dans le nazisme (pas spécialement "militant" sur le plan religieux, bien au contraire : 100% rationaliste et scientiste !) et dont se gargarisent aujourd'hui les Michel Onfray... ou encore les "néo-païens" fascistes à la Guillaume Faye ou Dominique Venner - car l'Antiquité esclavagiste finale (romaine), au-delà de sa base productive différente (esclave et non salariée), était un peu "tombée" à un niveau de nihilisme "rationaliste", "sceptique" et "libre penseur" comparable à notre capitalisme pourrissant actuel.
* L'on pourrait citer en cela, à titre d'exemple, les propos que pouvait tenir... Khaled Kelkal à un sociologue allemand l'interviewant pour sa thèse en 1992, trois ans avant d'entrer dans l'histoire comme le "premier djihadistes français" : "Vous entrez à la mosquée, vous êtes à l'aise tout de suite, on vous serre la main, on vous considère comme un ami qu'on connaît depuis longtemps. Il n'y a pas la méfiance, tous les préjugés. Dans la rue, on dit bonjour à quelqu'un : "Pourquoi vous dites bonjour ? je ne vous connais pas !". Moi, je vois un musulman dans la rue : "Salam aleikoum !" ; il me regarde avec un grand sourire, on s'arrête et on discute. C'est la reconnaissance d'autrui, on est frères même si on ne se connaît pas."** L'on peut distinguer à ce niveau trois grandes étapes :
- Les croyances du stade de la communauté "primitive", tout d'abord, placent des êtres surnaturels derrière les différents phénomènes que l'être humain n'explique et ne domine pas (parmi lesquels la mort... qu'il ne domine toujours pas au jour d'aujourd'hui) ;
- Par la suite, lorsqu'apparaissent les véritables sociétés organisées proprement dites, les religions ont à-peu-près toutes en commun d'opposer un principe de Bien et un principe de Mal (ou de Vie et de Mort, de bien-être et de souffrance, bref). Les êtres surnaturels placés "derrière" les phénomènes de la nature vont se voir attribuer (généralement en fonction des phénomènes "derrière" lesquels ils se cachent) une nature bénéfique ou maléfique, ou parfois ambivalente - ce seront les religions dites "païennes" (égyptienne ou proche-orientales, grecque ou romaine, celtique ou germano-scandinave, africaines ou hindoue ou amérindiennes etc.) ; dans d'autres cas (religion-philosophie chinoise) les principes tendront à être "absolus" et "abstraits". Mais dans tous les cas, les deux grands principes sont "égaux" : comprendre que l'un, bien entendu, "plaît" à l'être humain et l'autre ne lui plaît pas, mais ils sont d'égale puissance et l'on ne peut "rien y faire". Un exemple assez connu est celui du tao chinois (Lao Tseu aurait vécu au 6e siècle avant l'ère chrétienne, mais les principes du tao remonteraient à près de deux millénaires avant, aux origines de la civilisation extrême-orientale), avec ses célèbres yin et yang. S'il est courant de dire que cette philosophie a profondément inspiré Mao dans sa compréhension du matérialisme dialectique, elle présente néanmoins une différence majeure avec celui-ci : pour Mao, l'affrontement ("dans l'unité") des contraires transforme les choses et les porte à un niveau qualitativement supérieur ; alors que les phénomènes mûs par le tao n'"avancent pas", les cycles ramenant éternellement les choses à un même état immuable.
- Enfin, les religions dites "révélées" (bouddhisme, judaïsme, christianisme, islam) apportent cette nouveauté que (d'abord) l'ambivalence "céleste" n'existe plus (le Bien = Dieu est le Bien, le Mal = Satan et les démons est le Mal), et (ensuite et surtout) le Bien a vocation à triompher du Mal (et la Vie de la Mort, et le "bien-être" de la souffrance, etc. etc.).
À lire : Religion et révolution : un texte essentiel de 2021
-
Commentaires
L'esclavage n'a certes pas disparu et il a même donné lieu à une traite de plusieurs millions de personnes, Africain-e-s à travers le Sahara ou Européen-ne-s capturé-e-s dans des guerres et autres raids qui touchaient encore les côtes italiennes ou corses au 18e siècle. Tout comme il n'a absolument pas disparu en Occident chrétien (je parle d'avant la traite transatlantique), ainsi l'île de Malte comptait plusieurs milliers d'esclaves (des captifs musulmans), représentant jusqu'à 5% de sa population en 1599 http://cdlm.revues.org/26
Tout simplement parce qu'aucune des deux religions... n'interdisait de mettre en esclavage les adeptes de l'autre. C'était l'esclavage des chrétiens par les chrétiens et des musulmans par les musulmans qui était interdit, encore que le souci de conversion ait vite apporté des bémols (massivement avec les Noirs aux colonies).
Mais simplement, l'esclavage n'était plus CENTRAL dans la production. Ce qui l'était devenu c'était la relation que nous appelons servage (un "esclavage amélioré" au début, puisque servus = esclave en latin) et le compagnonnage dans l'artisanat urbain. En cela consiste la "révolution féodale", si épouvantable que nous paraisse la condition des masses au Moyen Âge : dans les "bonnes" périodes (sans vagues de froid ou sécheresse donc famine, sans trop de guerres, sans épidémies etc.) elle était largement meilleure que celle des masses sous l'Empire romain... car les masses sous l'Empire romain ce n'était pas des gens buvant du vin et mangeant du raisin allongés sur des litières et drapés dans des toges, c'était des esclaves dont l'espérance de vie ne dépassait pas quelques années et dont la mort elle-même pouvait être un divertissement (jeux de cirque). Curieux que les pensums d'Onfray sur les "sagesses antiques" soient passablement silencieux sur ce point. Mais enfin j'espère que personne n'a jamais sérieusement cru qu'Onfray était matérialiste.
Par ailleurs, il y avait au Moyen Âge les serfs quasi-esclaves des réserves seigneuriales mais aussi tout un tas de rapports de "servitude" plus ou moins lâches et même des communautés qui à la faveur de l'effondrement de l’État romain étaient complètement revenues à la liberté "pré-civilisée", de petites républiques paysannes démocratiques et solidaires, assez collectivistes qu'on appelait les alleux.
Quant à la Bible et la Loi de Moïse ce n'est évidemment pas la première tentative (dans la même grande plage historique) d'établir des lois dans la société, et tu as raison de citer le Code d'Hammourabi qui a d'ailleurs pu être une inspiration (Abraham ne venait-il pas de Mésopotamie à la base ?). Mais c'est la tentative qui est restée dans les annales de l'humanité car du judaïsme sont sortis le christianisme et l'islam. Bien sûr le "vivre-ensemble" ne s'appliquait qu'au peuple concerné (en l'occurrence les Hébreux) et pas aux peuplades considérées comme ennemies. Tous les peuple de l'époque étaient dans cette logique.
1PascalMercredi 4 Février 2015 à 11:48En fait de vivre-ensemble, la Bible justifie des massacres et des pillages. Revenu de Babylone, Esdras sépare les couples mixtes. Je ne sais pas si les le système social des Hébreux était plus avancé que celui des Egyptiens ou des Hittites. Le code d'Hammourabi, relativement un progrès pour l'époque est antérieur à la Bible.
Quant au rôle progressiste de l'islam, l'esclavage n'a jamais totalement disparu des Etats islamiques. Je dirai qu'ii a indirectement joué un rôle progressiste en Inde en obligeant l'hindouisme à se réformer ce qui n'était pas du luxe.
Ajouter un commentaire
En dernière analyse : les religions sont venues rappeler (à un moment historique donné) à la somme des individus que "quelque chose" leur était supérieur et elles ont appelé ce "quelque chose" Dieu. Nous, nous prenons ce Dieu et nous l'appelons mouvement dialectique de l'histoire vers le communisme, et nous disons pareillement à tous les petits individualismes qu'il leur est supérieur et que s'ils ne s'y soumettent pas il les broiera.