• Considérations diverses 27/01/2014 : réforme des "régions", langues "minoritaires", "Jour de Colère" etc.


    À présent que nous avons clos le "dossier Dieudonné-Valls" avec une jubilation certaine ; c'est-à-dire ni dans le sens de ceux qui voudraient utiliser les crimes de l'Allemagne nazie il y a 70 ans pour "clore" tout débat sur ceux de l’État français en 8 siècles d'existence ni dans celui de leurs jumeaux qui, dans la foulée de Vergès défendant Klaus Barbie, voudraient utiliser ces derniers comme "arguments" pour réhabiliter le nazisme ; et ni dans le sens de la fraction impérialiste BBR qui joue la carte "tiers-mondiste" anti-US et anti-Israël pour "tendre la main" aux régimes réactionnaires arabes (ou iranien) ni dans le sens de celle (comme cette droite-de-la-droite du PS autour de Valls) qui a choisi le "pacte d'acier" avec Washington et ses alliés (dont Tel-Aviv) ; nous pouvons passer à autre chose.


    réforme régions1. Parmi l'actualité dans le genre importante, c'est-à-dire dans le genre supposée impacter la vie des masses populaires au quotidien, dans la manière dont l’État du Capital BBR administre sa chiourme, il y a la réforme envisagée des collectivités territoriales. Le souhait du gouvernement serait de réduire le nombre de régions, ces découpages administratifs 100% au service du Grand Capital (centrés sur une "métropole" locale et n'ayant rien à faire de l'histoire, de la culture populaire etc.), de 26 actuellement (avec les dernières colonies d'outre-mer) à "une quinzaine". Une réduction du nombre de départements a également été envisagée par certains... mais là c'est plus compliqué car en dehors de cas réellement aberrants (comme les "Pyrénées-Atlantique" avec le Pays Basque et le Béarn), les départements créés en 1790 ont tout de même tenté de respecter les "provinces" et les "pays" séculaires (fut-ce en regroupant les petits et découpant les très grands), et en 223 ans d'existence ils ont parfois engendré des identités populaires très fortes : on se dit fièrement "Ardéchois" ou "de la Loire" (surtout face aux arrogants Lyonnais :D), "Gersois" ou "Landais", "Corrézien" ou "Aveyronnais" etc. etc., les Bretons aiment préciser qu'ils sont "Finistériens" (surtout) ou autres, bref. On avait bien vu ce que cela avait donné quand il s'était agi (en conformité avec les normes européennes) de faire disparaître les numéros des plaques d'immatriculation... Cela fait partie de la "dignité du réel" comme diraient les autres, et recouvre parfois une claire dimension sociale comme l'affirmation d'être "du 9-3" face à Paris et à la Couronne Ouest, de Savoie et non de Haute-Savoie (ce à quoi ces derniers, au niveau de vie moyen bien plus élevé, répondent que "c'est comme la couture et la haute couture"), etc. etc. Finalement, Hollande-le-président-normal s'est prononcé contre car "issus de la Révolution, c'est un bon acte de naissance" ; ce qui est finalement traduire ce que nous venons de dire en bonne (nov)langue "républicaine" (et s'éviter une fronde populaire sur un sujet qui n'en vaut sans doute pas la peine). Le "patron" ayant parlé, on peut penser que le débat est clos... Mais la réforme des régions, elle, est bel et bien sur la table.

    Alors bien sûr, il est évident que venant de la classe au pouvoir ce qui s'annonce est un grand bidouillage, on-prend-par-ci-on-recolle-par-là, comme un enfant jouant avec des Lego : la recomposition "régionale" de notre Hexagone va évidemment servir les intérêts capitalistes et eux seuls en cherchant à accommoder ceux des grands monopoles BBR avec ceux d'une bourgeoisie de "chalandise" plus locale ; les grands caciques locaux à la Ayrault, Gaudin, Collomb, Devedjian, Huchon ou Queyranne venant bien sûr mettre leur grain de sel, en ‘‘arbitres’’ ou en défense de ‘‘leur’’ région, département ou métropole. Les intérêts des masses populaires qui bossent pour engraisser tout ce beau monde : peau de balle, comme cela va de soi ! D'ailleurs, malgré le soutien massif tant des grosses machines UMP et PS que des forces "autonomistes" et même "indépendantistes" bourgeoises, ce que recueille généralement ce genre de bidouillage administratif est le rejet des masses populaires, qui ne voient en rien ce que cela va changer à leurs préoccupations quotidiennes et y voient même un "risque" pour les divers rapports de clientèle entretenus avec les collectivités locales (eh oui ! faute de perspective révolutionnaire, soutirer du pognon à l'État est encore ce qui se fait de mieux et une collectivité de moins, forcément...) : rejet de la fusion des départements corses en 2003 et du même projet en Alsace l'an dernier, rejet de la fusion département-région dans les dernières colonies directes caribéennes (2003 et 2010) etc. etc. Mayotte a accepté (par plus de 95% des suffrages) de devenir un département en 2011 car cela donnait plus de droits aux masses populaires que le statut "bâtard" antérieur... malheureusement, les prix à la consommation se sont immédiatement alignés sur ceux d'un département "français" sans que les revenus ne suivent ; et quelques mois plus tard éclatait une mémorable révolte contre le coût de la vie. Bref : inutile d'en dire plus, ce projet de "nouvel acte" de la "décentralisation" est tout sauf ce qui va susciter un début d'intérêt pour les communistes révolutionnaires de Libération du Peuple que nous sommes. Nous préférons encore (de loin) ergoter sur la ligne idéologique du FLNP, qui a encore mené une action la semaine dernière contre les sangsues du fisc à Aix !

    Une série de cartes circule même depuis quelques semaines, laissant penser... qu'une réunification de la Bretagne serait peut-être à l'ordre du jour ; ce qui est assez curieux puisqu'autant pour Ayrault dernièrement que pour les gouvernements (UMP) qui l'ont précédé de 2002 à 2012 ("Acte 2" de la décentralisation), c'est catégoriquement non... Une "psychorigidité" qui, comme pour l'autre "serpent de mer" institutionnel qu'est le département basque (absolument pas à l'ordre du jour de la réforme), est absolument incompréhensible pour le logiciel économiste qui régit historiquement la gauche "radicale" hexagonale, et plus largement pour quiconque n'a pas compris la manière dont s'est construit et (donc) fonctionne l'État français : il s'agit en fait, tout simplement, de "briser" de cette manière les Peuples au "particularisme" (caractère national) le plus affirmé. Rappelons ainsi que la Corse avait été dans un premier temps (1960) rattachée à la région PACA : ce n'est que 10 ans plus tard, face à un large mouvement de contestation et (déjà) à l'émergence de la réaffirmation en tant que Peuple, qu'elle avait été érigée en région en tant que telle.


    2. Dans la même veine de "blocage existentiel" pour l’État français, il y a le fameux débat sur la Charte des langues minoritaires et régionales qui revient en ce moment même au Parlement. Cette convention internationale du Conseil de l'Europe (et non de l'UE) a été signée par l’État français en 1999, comme par une bonne trentaine d'autres États, mais il ne l'a jamais ratifiée (comme l'Islande, l'Italie ou... la Russie) car elle contreviendrait à l'article 2 de sa Constitution qui stipule que "la langue de la République est le français". C'est justement cette disposition qu'il est question d'amender par une majorité des 3/5èmes (60%) de l'Assemblée et du Sénat réunis en Congrès ; ce qui était une promesse électorale de Hollande réactivée par Ayrault... non sans lien avec la situation de bouillonnement "régionaliste" en Bretagne depuis l'automne dernier. Mais cela ne va pas sans blocages et l'on voit se dessiner ici deux camps bourgeois que l'on retrouve assez souvent dans divers débats, à commencer par ceux sur l'Europe : les "démocrates", les "libéraux" plus ou moins conservateurs ou "sociaux" qui vont de l'aile "gauche" de l'UMP (ceux qui viennent de l'ancienne UDF) aux Verts en passant par l'UDI, le Modem et une bonne partie du PS ; et les "républicains" ce qui n'est pas du tout la même chose et regroupe la droite de l'UMP, le FN, les "souverainistes" de tout poil et le Front de Gauche - on se souvient des tirades mémorables de Mélenchon sur la question. Grosso modo, l'on peut dire qu'il y a d'un côté ceux qui ne voient pas dans ces "langues régionales" un danger pour le capitalisme, voire même pensent qu'il y a moyen de "rentabiliser" la chose (développer des liens économiques avec l'Allemagne en Alsace, la Catalogne et le Pays basque "espagnol" dans le "Sud" etc. etc.) ; et de l'autre ceux qui y voient une menace pour l'"unité" et la stabilité de l’État, donc pour le Capital, en particulier pour les monopoles centralisés à Paris.

    europe-langues-ueCe type de blocage est assez unique en Europe, ce qui tient aux particularités historiques de l’État BBR. Dans la plupart des États (Allemagne, Autriche, Scandinavie, Europe de l'Est) d'abord, les langues "minoritaires" sont un phénomène assez marginal consistant essentiellement en des "débordements" de la nationalité principale d'un État voisin sur leur territoire, suite à des découpages malheureux. Il y a une langue "standard" et des dialectes "régionaux", mais ceux-ci forment un diasystème (ils sont largement intercompréhensibles). Le Royaume-Uni, lui, s'est toujours considéré comme une union de nations différentes sous une même couronne royale. D'ailleurs, lorsqu'une possession de la Couronne veut se "faire la malle", Londres est connue pour ne guère "batailler" et réorganiser rapidement sa domination par d'autres biais (compradores locaux) : il y a eu de courtes guerres en Irlande, au Kenya ou encore en Malaisie (contre les communistes, l'indépendance en elle-même étant déjà actée) mais jamais de "guerre d'Inde" par exemple, comme il y a eu une guerre d'Algérie, d'Indochine etc... La Suisse est dans un schéma comparable et l’État fédéral existe à vrai dire surtout pour la défense et la diplomatie, en dehors de quoi chaque canton "fait sa vie" autour de la place bancaire qui assure son existence. L'Italie a conscience que son unité comme État a été tardive et qu'à côté de l'"italien" (le toscan académisé) les dialetti font partie du patrimoine "national" populaire. La Belgique gère comme elle peut sa binationalité (plus une petite minorité germanophone) depuis 40 ans ; mais enfin, si elle venait à se diviser en deux, ce serait (de toute façon) la fête chez les bourgeois flamands et pas non plus la mort en Wallonie (qui pourrait par exemple frapper à la porte de la "France"). L’État espagnol a suivi le "modèle français" depuis qu'un petit-fils de Louis XIV est monté sur le trône en 1700 (Paris devenant de fait "suzerain" de l’État ibérique), mais il a dû lâcher du lest après la mort de Franco pour assurer sa propre survie dans une situation qui devenait explosive. Il ne reconnaît d'ailleurs que trois langues nationales (euskara, catalan et galicien), les plus nettement différentes du castillan... Aragonais, Andalous, Canariens, Asturiens etc. passent gaiment par pertes et profits.

    Ceci rejoint d'ailleurs ce que nous avons maintes fois dit et répété : une langue, c'est un patrimoine populaire et un "critère" important, mais ce n'est pas la seule chose à même de définir une réalité nationale. De nombreuses nationalités parlent la même langue qu'une ou plusieurs autres (ne serait-ce que les Américains, les Canadiens anglophones, les Australiens et les Anglais ; les Brésiliens et les Portugais etc.) ou une langue différant très peu de celle d'une autre (comme les Turcs et les Azéris, les Iraniens et les Kurdes etc.). De nombreuses autres ont simplement adopté la langue de la nation qui les domine, perdant (totalement ou quasi) leur langue originelle et développant une variante populaire locale. C'est ainsi qu'en Bretagne par exemple il y a le gallo, variante populaire bretonne de l'oïl du Val du Loire (lui-même source principale du français académique...) qui a peu à peu, du 12e au 16e siècle, pénétré le duché pré-moderne jusqu'à Vannes et Saint-Brieuc en "effaçant" le brezhoneg celtique à l'est de ces deux villes. De même qu'en Irlande, le gaélique est la langue officielle et apprise par les enfants à l'école mais n'est réellement utilisé dans la vie de tous les jours que dans quelques comtés de l'Ouest : 95% des Irlandais parlent au quotidien un "anglais populaire d'Irlande".

    À vrai dire, même la question "nationale" (masses populaires laborieuses + bourgeoisie exploiteuse), au fond, compte peu pour nous. Ce qui nous intéresse, ce sont les PEUPLES, construits autour d'une conscience (un "bon sens") populaire et d'une mémoire  qui sont le résultat d'une histoire. Pour la classe dominante (depuis le 18e siècle, la bourgeoisie seule), cette mémoire est un danger car elle contient le souvenir de la gigantesque usurpation, de la gigantesque spoliation de forces productives qu'a été le développement du capitalisme. Il faut donc l'"effacer", et par conséquent priver les Peuples de leur conscience d'être. Il faut faire croire aux Peuples que leur "identité" c'est celle de leurs exploiteurs ; qu'ils sont "français", "britanniques", "espagnols", "italiens" etc. etc. Dans l’État français, ce phénomène est particulièrement marqué. Cela tient à la psychologie de classe de la bourgeoisie dominante, sur laquelle il nous faudra sans doute revenir dans de prochaines publications : en 1789, lorsqu'éclate la "révolution" bourgeoise, la France est incontestablement la première puissance européenne et donc mondiale. La bourgeoisie élimine les derniers restes de féodalité, prend le pouvoir pour elle seule et se lance alors à la conquête du monde sous le drapeau de la "liberté". Malheureusement, si les idées (les "Lumières") submergent effectivement la planète, au niveau de la PUISSANCE concréto-concrète c'est un échec, définitivement scellé sur le champ de bataille de Waterloo. La France ne sera plus jamais la première puissance mondiale, dès lors toujours devancée par l'Angleterre, puis les États-Unis et d'autres (à présent la Chine). Il en résulte un profond sentiment de "grandeur" perdue, et une classe dominante fondamentalement aux abois. Les pertes de prestige successives après la déroute de 1870, puis après chaque guerre mondiale n'ont fait qu'aggraver les choses. Ce sentiment d'avoir produit des idées qui ont parcouru et changé la face du monde, mais d'avoir "en échange" perdu la "grandeur", la puissance géopolitique et le rayonnement intellectuel du 18e siècle structure profondément la pensée dominante "française" ; et qui n'étudie pas cela (ce que nous tentons de faire) ne comprend pas l'ennemi et ne peut donc efficacement le combattre (tombant dans ses pièges, le plus connu étant le social-"patriotisme" revendiqué dernièrement par Montebourg par exemple).

    Toutes les "rigidités" psychologiques de la bourgeoisie BBR, sur les "langues régionales" comme des dizaines d'autres sujets, s'expliquent pour beaucoup par là : un manque de confiance en soi de la bourgeoisie monopoliste "centrale", en quelque sorte. Les États-Unis, par exemple, arrivent (pour le moment) à "gérer" les douloureuses réminiscences de leur histoire : esclavage puis ségrégation des Afro-descendants, génocide et spoliation des Natifs, conquête de 30% du territoire actuel sur le Mexique alors que les Latinos sont désormais près de 20% de la population, etc. Les films ‘‘grand public’’ sur ces questions se sont multipliés depuis une trentaine d'années ; ni l’esclavage ni le génocide indigène, ni la ségrégation et le racisme dans le Sud ni le maccarthysme ne sont des sujets tabous ; il y a même un film sur les San Patricios (donc la sanglante conquête de la moitié du Mexique) dont nous avons parlé... Les premiers films sur le Vietnam (ou séries sur l’Irak !) sont sortis avant même la fin de la guerre : combien de temps a-t-il fallu pour voir dans les salles de "France" quatre films mièvres et bien-pensants sur la guerre d'Algérie ; combien d'années Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier ou La Bataille d'Alger de Pontecorvo ont-ils été bannis des écrans ? Certes, il faudra sans doute attendre encore un peu pour voir au cinéma US un soldat désertant devant les horreurs de l'occupation et rejoignant la résistance irakienne ou afghane (enfin si, cela existe - Homeland - mais pas dans le beau rôle) ; mais bon...  La bourgeoisie US "gère" autant que possible, du moment que la majorité de la population reste solidement ancrée dans les valeurs réactionnaires rednecks (notamment religieuses) et le culte du drapeau et qu'une minorité liberal considère que le système est certes imparfait et perfectible, mais qu'il n'y en a pas de meilleur au monde : ‘‘Dieu bénisse l’Amérique’’ ! La bourgeoisie BBR, à tort ou à raison, ne pense pas pouvoir "gérer" ainsi ; et n'a pour seul mot d'ordre à la bouche que de "clore le débat" : circulez, y a rien à voir ! Dans les revendications pour les langues "régionales", la réunification de la Bretagne ou un département basque, elle voit non sans raison une double menace : celle de bourgeoisies locales tentées par le "parti de l'étranger" (se tourner économiquement vers les États voisins, se détourner du Centre monopoliste francilien) ; et celle de Peuples se réappropriant leur mémoire et donc prêts à briser les chaînes hégémoniques de l'idéologie BBR et à partir à la reconquête de leur destin. Et l'arsenal contre cela se déploie de la droite de la droite (1-2-3-4) jusqu'à l'"extrême-gauche" y compris "anarchiste" (CNT-AIT) et même "maoïste" ('p''c''mlm') !

    Nous, notre position est claire. Nous ne voulons pas d'une "réforme"-réorganisation administrative de l’État BBR du Capital ; nous voulons le renversement du capitalisme, la libération révolutionnaire des Peuples et leur organisation politique démocratique et socialiste sur la base de la COMMUNE POPULAIRE. Nous nous FOUTONS BIEN, aussi, d'une "reconnaissance" des langues "régionales" jetée aux masses populaires comme un nonos à ronger par la frange "libérale" de la bourgeoisie : "République" des monopoles, nous ne sommes pas tes "régions" (et encore moins tes "provinces" !!!), pas même pour "avoir du talent" ! Nous voulons pour les Peuples d'Hexagone, dont notre Peuple occitan, la reconquête révolutionnaire de leur mémoire et de leur conscience. Nous voulons renverser le Capital et nous savons que dans cette lutte prolongée, l'affrontement physique de masse entre révolution et contre-révolution est déjà la phase finale : avant d'en arriver là, il faut briser les murailles idéologiques dont s'entoure la classe dominante. Reconquérir cette mémoire et cette conscience, c'est (entre autre choses) contribuer à briser ces murs.

    Au sujet de cette organisation sociale territoriale du futur Hexagone socialiste que nous voulons, refusant le maintien ou la restauration ‘‘rouge’’ de la prééminence parisienne, nous avons maintes fois évoqué l'exemple de ce que la jeune URSS du début des années 1920 a tenté d'être mais n'a hélas point été car l'esprit suprématiste petit-bourgeois de la nation dominante russe, parfois incarné plus que tout autre dans des ‘allogènes’ (non-russes) ‘russifiés’ (l'assimilé n'est-il pas l'arme suprême des nations dominantes depuis la nuit des temps ? quel meilleur "anti-communautariste" qu'un "Arabe" "républicain", "laïc" blablabla blablabla ?), a fini par revenir au galop. Eh bien voilà : nous vous livrons ci-après les mots de Lénine lui-même sur cette question, face aux évènements qui se déroulaient alors dans le Caucase. S'il y a bien des écrits méconnus de Vladimir Illitch, ce sont ceux postérieurs à son attaque cérébrale de mai 1922 ; et pour cause : après sa mort, par (soi-disant) "respect" pour la "diminution" du dirigeant au moment de leur rédaction, ils furent lus à huis clos au 13e Congrès du PCbUS (mai 1924) puis... enterrés et jamais officiellement rendus publics jusqu'en 1956. L'utilisation qui en fut faite par Trotsky et (plus que lui peut-être) ses partisans, qui publièrent clandestinement ces notes en 1926 pour affirmer que Lénine aurait "désigné" Trotsky comme son "successeur", puis par Khrouchtchev lors de la "déstalinisation" achevèrent de les discréditer ; au point que parmi les défenseurs-fétichistes les plus acharnés du Grand Moustachu géorgien il s'en trouvera sans doute encore, en 2014 après Jésus-Christ, pour affirmer que ce sont des "falsifications" trotskystes ou khrouchtchévistes grossières (ce que le Moustachu lui-même, après l'avoir affirmé en 1926, a pourtant démenti l'année suivante). Le texte qui suit porte pourtant l'empreinte intellectuelle incontestable du leader bolchévik, et le montre au demeurant en pleine possession de sa lucidité et de sa combattivité. Vu, en outre, comme il va très largement à l’encontre de la pensée de Trotsky comme de la pratique de Khrouchtchev et Brejnev sur la question, il est infiniment improbable qu’il soit le fruit d’une ‘falsification’ lors de la republication du ‘‘testament politique’’ en 1956. Il consiste en la succession de trois notes rédigées fin décembre 1922 (les passages surlignés en gras et les annotations entre crochets en rouges sont de nous) :

    La question des nationalités ou de l'"autonomie"


    lenineJe suis fort coupable, je crois, devant les ouvriers de Russie, de n'être pas intervenu avec assez d'énergie et de rudesse dans la fameuse question de l'autonomie, appelée officiellement, si je ne me trompe, question de l'union des républiques socialistes soviétiques.

    En été, au moment où cette question s'est posée, j'étais malade, et en automne j'ai trop compté sur ma guérison et aussi sur l'espoir que les sessions plénières d'octobre et de décembre [2] me permettraient d'intervenir dans cette question. Or, je n'ai pu assister ni à la session d'octobre (consacrée à ce problème), ni à celle de décembre ; et c'est ainsi que la question a été discutée presque complètement en dehors de moi.

    J'ai pu seulement m'entretenir avec le camarade Dzerjinski qui, à son retour du Caucase, m'a fait savoir où en était cette question en Géorgie. J'ai pu de même échanger deux mots avec le camarade Zinoviev et lui dire mes craintes à ce sujet. De la communication que m'a faite le camarade Dzerjinski, qui était à la tête de la commission envoyée par le Comité central pour «enquêter» sur l'incident géorgien, je n'ai pu tirer que les craintes les plus sérieuses. Si les choses en sont venues au point qu'Ordjonikidzé s'est laissé aller à user de violence, comme me l'a dit le camarade Dzerjinski, vous pouvez bien vous imaginer dans quel bourbier nous avons glissé. Visiblement, toute cette entreprise d'«autonomie» a été foncièrement erronée et inopportune.

    On prétend qu'il fallait absolument unifier l'appareil. D'où émanaient ces affirmations ? N'est-ce pas de ce même appareil de Russie, que, comme je l'ai déjà dit dans un numéro précédent de mon journal, nous avons emprunté au tsarisme en nous bornant à le badigeonner légèrement d'un vernis soviétique ?

    Sans aucun doute, il aurait fallu renvoyer cette mesure jusqu'au jour où nous aurions pu dire que nous nous portions garants de notre appareil, parce que nous l'avions bien en mains. Et maintenant nous devons en toute conscience dire l'inverse ; nous appelons nôtre un appareil qui, de fait, nous est encore foncièrement étranger et représente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes, qu'il nous était absolument impossible de transformer en cinq ans faute d'avoir l'aide des autres pays et alors que prédominaient les préoccupations militaires et la lutte contre la famine.

    Dans ces conditions, il est tout à fait naturel que «la liberté de sortir de l'union» qui nous sert de justification, apparaisse comme une formule bureaucratique incapable de défendre les allogènes de Russie contre l'invasion du Russe authentique, du Grand-Russe, du chauvin, de ce gredin et de cet oppresseur qu'est au fond le bureaucrate russe typique. Il n'est pas douteux que les ouvriers soviétiques et soviétisés, qui sont en proportion infime, se noieraient dans cet océan de la racaille grand-russe chauvine, comme une mouche dans du lait.

    Pour appuyer cette mesure, on dit que nous avons créé les commissariats du peuple s'occupant spécialement de la psychologie nationale, de l'éducation nationale. Mais alors une question se pose : est-il possible de détacher ces commissariats du peuple intégralement ? Seconde question : avons- nous pris avec assez de soin des mesures pour défendre réellement les allogènes contre le typique argousin russe ? Je pense que nous n'avons pas pris ces mesures, encore que nous eussions pu et dû le faire.

    Je pense qu'un rôle fatal a été joué ici par la hâte de Staline et son goût pour l'administration, ainsi que par son irritation contre le fameux «social-nationalisme» [‘‘identitaires de gauche’’ diraient certains aujourd’hui…]. L'irritation joue généralement en politique un rôle des plus désastreux.

    Je crains aussi que le camarade Dzerjinski, qui s'est rendu au Caucase pour enquêter sur les «crimes» de ces «social-nationaux», se soit de même essentiellement distingué ici par son état d'esprit cent pour cent russe (on sait que les allogènes russifiés forcent constamment la note en l'occurrence), et que l'impartialité de toute sa commission se caractérise assez par les «voies de fait» d'Ordjonikidzé. Je pense que l'on ne saurait justifier ces voies de fait russes par aucune provocation, ni même par aucun outrage, et que le camarade Dzerjinski a commis une faute irréparable en considérant ces voies de fait avec trop de légèreté.

    Ordjonikidzé représentait le pouvoir pour tous les autres citoyens du Caucase. Il n'avait pas le droit de s'emporter, droit que lui et Dzerjinski ont invoqué. Ordjonikidzé aurait dû, au contraire, montrer un sang-froid auquel aucun citoyen ordinaire n'est tenu, à plus forte raison s'il est inculpé d'un crime « politique». Car, au fond, les social-nationaux étaient des citoyens inculpés d'un crime politique, et toute l'ambiance de cette accusation ne pouvait le qualifier autrement.

    Ici se pose une importante question de principe : Comment concevoir l'internationalisme ?[3]

    Lénine

    30.XII.22.

    Consigné par M.V.

    sovietunited.jpgSuite des notes.

    31 décembre 1922.

    J'ai déjà écrit dans mes ouvrages sur la question nationale qu'il est tout à fait vain de poser dans l'abstrait la question du nationalisme en général. Il faut distinguer entre le nationalisme de la nation qui opprime et celui de la nation opprimée, entre le nationalisme d'une grande nation et celui d'une petite nation.

    Par rapport au second nationalisme, nous, les nationaux d'une grande nation, nous nous rendons presque toujours coupables, à travers l'histoire, d'une infinité de violences, et même plus, nous commettons une infinité d'injustices et d'exactions sans nous en apercevoir. Il n'est que d'évoquer mes souvenirs de la Volga sur la façon dont on traite chez nous les allogènes : le Polonais, le Tatar, l'Ukrainien, le Géorgien et les autres allogènes du Caucase ne s'entendent appeler respectivement que par des sobriquets péjoratifs, tels «Poliatchichka», «Kniaz», «Khokhol», «Kapkazski tchélovek».

    Aussi l'internationalisme du côté de la nation qui opprime ou de la nation dite «grande» (encore qu'elle ne soit grande que par ses violences, grande simplement comme l'est, par exemple, l'argousin) doit-il consister non seulement dans le respect de l'égalité formelle des nations, mais encore dans une inégalité compensant de la part de la nation qui opprime, de la grande nation, l'inégalité qui se manifeste pratiquement dans la vie. Quiconque n'a pas compris cela n'a pas compris non plus ce qu'est l'attitude vraiment prolétarienne à l'égard de la question nationale : celui-là s'en tient, au fond, au point de vue petit-bourgeois et, par suite, ne peut que glisser à chaque instant vers les positions de la bourgeoisie.

    Qu'est-ce qui est important pour le prolétaire? Il est important, mais aussi essentiel et indispensable, qu'on lui assure dans la lutte de classe prolétarienne le maximum de confiance de la part des allogènes. Que faut-il pour cela ? Pour cela il ne faut pas seulement l'égalité formelle, il faut aussi compenser d'une façon ou d'une autre, par son comportement ou les concessions à l'allogène, la défiance, le soupçon, les griefs qui, au fil de l'histoire, ont été engendrés chez lui par le gouvernement de la nation «impérialiste».

    Je pense que pour les bolchéviks, pour les communistes, il n'est guère nécessaire d'expliquer cela plus longuement. Et je crois qu'ici nous avons, en ce qui concerne la nation géorgienne, l'exemple typique du fait qu'une attitude vraiment prolétarienne exige que nous redoublions de prudence, de prévenance et d'accommodement. Le Géorgien qui considère avec dédain ce côté de l'affaire, qui lance dédaigneusement des accusations de «social-nationalisme» (alors qu'il est lui-même non seulement un vrai, un authentique «social-national», mais encore un brutal argousin grand-russe), ce Géorgien-là porte en réalité atteinte à la solidarité prolétarienne de classe, car il n'est rien qui en retarde le développement et la consolidation comme l'injustice nationale ; il n'est rien qui soit plus sensible aux nationaux «offensés» que le sentiment d'égalité et la violation de cette égalité, fût-ce par négligence ou plaisanterie, par leurs camarades prolétaires. Voilà pourquoi, dans le cas considéré, il vaut mieux forcer la note dans le sens de l'esprit d'accommodement et de la douceur à l'égard des minorités nationales que faire l'inverse. Voilà pourquoi, dans le cas considéré, l'intérêt fondamental de la solidarité prolétarienne, et donc de la lutte de classe prolétarienne, exige que nous n'observions jamais une attitude purement formelle envers la question nationale, mais que nous tenions toujours compte de la différence obligatoire dans le comportement du prolétaire d'une nation opprimée (ou petite) envers la nation qui opprime (ou grande).

    Lénine

    Consigné par M.V.

    31.XII.22.

    Suite des notes.

    31 décembre 1922.

    1123px-SovietCentralAsia1922.svg.pngQuelles sont donc les mesures pratiques à prendre dans la situation ainsi créée ?

    Premièrement, il faut maintenir et consolider l'union des républiques socialistes ; il ne peut exister aucun doute sur ce point. Cette mesure nous est nécessaire comme elle l'est au prolétariat communiste mondial pour combattre la bourgeoisie mondiale et pour se défendre contre ses intrigues.

    Deuxièmement, il faut maintenir l'union des républiques socialistes en ce qui concerne l'appareil diplomatique. C'est d'ailleurs une exception dans notre appareil d’État. Nous n'y avons pas admis une seule personne quelque peu influente de l'ancien appareil tsariste. Dans son personnel les cadres moyens comme les cadres supérieurs sont communistes. Aussi a-t-il déjà conquis (on peut le dire hardiment) le nom d'appareil communiste éprouvé, infiniment mieux épuré des éléments de l'ancien appareil tsariste, bourgeois et petit-bourgeois que celui dont nous sommes obligés de nous contenter dans les autres commissariats du peuple.

    Troisièmement, il faut infliger une punition exemplaire au camarade Ordjonikidzé (je dis cela avec d'autant plus de regret que je compte personnellement parmi ses amis et que j'ai milité avec lui à l'étranger, dans l'émigration), et aussi achever l'enquête ou procéder à une enquête nouvelle sur tous les documents de la commission Dzerjinski, afin de redresser l'énorme quantité d'irrégularités et de jugements partiaux qui s'y trouvent indubitablement. Il va de soi que c'est Staline et Dzerjinski qui doivent être rendus politiquement responsables de cette campagne foncièrement nationaliste grand-russe.

    Quatrièmement, il faut introduire les règles les plus rigoureuses quant à l'emploi de la langue nationale dans les républiques allogènes faisant partie de notre Union, et vérifier ces règles avec le plus grand soin. Il n'est pas douteux que, sous prétexte d'unité des services ferroviaires, sous prétexte d'unité fiscale, etc., une infinité d'abus de nature authentiquement russe, se feront jour chez nous avec notre appareil actuel. Pour lutter contre ces abus, il faut un esprit d'initiative tout particulier, sans parler de l'extrême loyauté de ceux qui mèneront cette lutte. Un code minutieux sera nécessaire, et seuls les nationaux habitant la république donnée sont capables de l'élaborer avec quelque succès. Et il ne faut jamais jurer d'avance qu'à la suite de tout ce travail on ne revienne en arrière au prochain Congrès des Soviets en ne maintenant l'union des républiques socialistes soviétiques que sur le plan militaire et diplomatique, et en rétablissant sous tous les autres rapports la complète autonomie des différents commissariats du peuple.

    Il ne faut pas oublier que le morcellement des commissariats du peuple et le défaut de coordination de leur fonctionnement par rapport à Moscou et autres centres peuvent être suffisamment compensés par l'autorité du Parti, si celle-ci s'exerce avec assez de circonspection et en toute impartialité ; le préjudice que peut causer à notre État l'absence d'appareils nationaux unifiés avec l'appareil russe est infiniment, incommensurablement moindre que celui qui en résulte pour nous, pour toute l'Internationale, pour les centaines de millions d'hommes des peuples d'Asie, qui apparaîtront après nous sur l'avant-scène historique dans un proche avenir. Ce serait un opportunisme impardonnable si, à la veille de cette intervention de l'Orient et au début de son réveil, nous ruinions à ses yeux notre autorité par la moindre brutalité ou injustice à l'égard de nos propres allogènes. Une chose est la nécessité de faire front tous ensemble contre les impérialistes d'Occident, défenseurs du monde capitaliste. Là il ne saurait y avoir de doute, et il est superflu d'ajouter que j'approuve absolument ces mesures. Autre chose est de nous engager nous-mêmes, fût-ce pour les questions de détail, dans des rapports impérialistes à l'égard des nationalités opprimées, en éveillant ainsi la suspicion sur la sincérité de nos principes, sur notre justification de principe de la lutte contre l'impérialisme. Or, la journée de demain, dans l'histoire mondiale, sera justement celle du réveil définitif des peuples opprimés par l'impérialisme et du commencement d'une longue et âpre bataille pour leur affranchissement.

    Lénine

    31.XII.22.

    Consigné par M.V.


    Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]


    [1] Autonomie, projet d'organiser toutes les républiques formant la R.S.F.S.R. sur des bases d'autonomie [NDLR en clair : que les différentes nationalités forment des républiques "autonomes" (à quel point... à voir !) dans la Fédération soviétique de Russie, ce qui assurait clairement la domination russe ; et non des républiques nationales réunies en Union des Républiques socialistes, système qui sera lui aussi dévoyé avec le temps, mais enfin le premier était bien pire]. Le projet d'"autonomie" fut déposé par Staline. Lénine le critiqua sévèrement et proposa une solution foncièrement différente à cette question : formation de l'Union des républiques socialistes soviétiques englobant des républiques égales en droit. En décembre 1922 le 1er Congrès des Soviets de l'U.R.S.S. prit la décision de former l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. [N.E.]

    [2] Il s'agit des sessions plénières du C.C. du P.C.(b)R. qui eurent lieu en octobre et décembre 1922 et qui délibérèrent du problème de la formation de l'U.S.S.R. [N.E.]

    [3] Plus loin, dans les notes sténographiées, la phrase « Je pense que nos camarades n'ont pas suffisamment compris cette importante question de principe » est barrée. [N.E.]


    [Sur cette même question, et tendant à prouver l'authenticité (parfois contestée) de ce que dit Lénine, lire aussi :

    https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1921/04/vil19210414.htm

    "Il importe infiniment plus de maintenir et de développer le pouvoir des Soviets qui constitue la transition au socialisme. Tâche difficile, mais parfaitement réalisable. Pour pouvoir s'en acquitter avec succès, il importe par-dessus tout que les communistes de Transcaucasie comprennent les particularités de leur situation, de la situation de leurs républiques, différente de la situation et des conditions de la République socialiste fédérative soviétique de Russie ; qu'ils comprennent la nécessité de ne pas copier notre tactique, mais de la modifier, après mûre réflexion, en fonction des différentes conditions concrètes." (...)]

    [NDLR la citation de référence de Lénine sur toute ces questions est la suivante : présentant le programme du Parti en 1917, Lénine dit que “Nous voulons la libre union des nationalités, c'est pourquoi nous devons leur reconnaitre le droit de se séparer : sans la liberté de se séparer, aucune union ne peut être qualifiée de libre”. Précisons ici que dans le même texte de référence, Lénine dit aussi que "Mais, d'autre part, nous ne souhaitons nullement la séparation. Nous voulons un État aussi grand que possible, une union aussi étroite que possible, un aussi grand nombre que possible de nations qui vivent au voisinage des Grands-Russes ; nous le voulons dans l'intérêt de la démocratie et du socialisme, en vue d'amener à la lutte du prolétariat le plus grand nombre possible de travailleurs de différentes nations. Nous voulons l'unité du prolétariat révolutionnaire, l'union et non la division"... ce que saisiront bien sûr au vol tous les jacobinards, espagnolistes et autres "britannistes" "rouges" pour alimenter et "confirmer" leurs "arguments" pourris ; alors que Lénine ne fait qu'exprimer là son internationalisme, son souhait (et c'est bien le moins que l'on puisse attendre de lui...) de voir le "maximum" de Peuples travailleurs unis autour de la révolution prolétarienne pour la libération de l'humanité et le communisme (et l'Empire tsariste, avec ses presque 22 millions de km² et ses 180 millions d'habitant-e-s à cheval sur deux continents, était bien sûr le cadre géographique "rêvé" pour cela), et nullement un quelconque centralisme jacobin conforme à leurs fantasmes (ou, mieux dit, à leur râtelier historique) de petits bourgeois et/ou d'aristocrates ouvriers. Il s'agit bien d'une union "la plus large et étroite possible" mais qui, comme on l'a dit, ne peut être qu'une union LIBRE, "librement" c'est-à-dire démocratiquement consentie et non forcée comme celle des 130 départements de la "France" "révolutionnaire" bourgeoise des années 1790-1800 ; une union d'ailleurs uniquement possible dans le cadre d'un système supérieur socialiste ("la révolution sociale met à l'ordre du jour l'union des seuls États qui sont passés au socialisme ou qui marchent vers le socialisme") ; et pour laquelle Lénine est d'ailleurs même prêt à "perdre" des Peuples au profit de la Réaction (Pologne, Finlande) au nom de ce principe supérieur de liberté d'union ou de séparation (une vision plus "jacobine" autoritaire était peut-être celle de Staline et de quelques autres ; ainsi que très certainement de Trotsky, Rosa Luxemburg et autres "hochets" perpétuellement agités par les "anti-staliniens" en réalité anti-léninistes ; mais elle fut - comme on peut le voir ici - impitoyablement combattue par Lénine jusqu'à son dernier souffle et le temps est révolu de faire dire à Vladimir Illitch tout et n'importe quoi - et surtout ce qui nourrit ses propres fantasmes de pathétique "soldat de l'an II" avec 220 ans de retard, d'"universaliste" impérial etc. etc.). Une telle union "libre" (démocratique) de Peuples marchant vers le communisme, il est bien évident que nous aussi la souhaitons la plus large possible, la plus "solide" au sens de détermination des Peuples associés à ne pas "lâcher" le projet révolutionnaire commun, et d'ailleurs pas (nous ne voyons pas pourquoi) limitée aux frontières hexagonales de l’État "français" légué par la bourgeoisie (les gens ne puent pas, à notre connaissance, au-delà de celles-ci).]

    [Précision importante suite à des réactions "fana-staliniennes" auxquelles il fallait s'attendre : il est bien question ici d'une mission (Dzerjinsky-Ordjonikidzé) envoyée par le Comité central "pansoviétique" de Moscou auprès du PARTI COMMUNISTE BOLCHÉVIK géorgien ; les "social-nationalistes" en question ne sont nullement des nationalistes bourgeois revêtus de thèses menchéviques comme il en existait un fort courant en Géorgie à l'époque (mais peu ou prou totalement écarté en 1922) ; c'est bien aux COMMUNISTES géorgiens* qu'est imposé (contre les conceptions de Lénine, malade et impuissant) un brutal hégémonisme grand-russe. Quant à l'idée (là encore il fallait s'y attendre !) d'une "falsification" de ces notes de Lénine republiées ("comme par hasard" diront-ils...) en 1956, connaissant le "grand-slavisme" russo-ukrainien de Khrouchtchev et consorts, nous en voyons mal l'intérêt... S'il y a bien un point sur lequel Khrouchtchev ne rompt pas avec Staline mais au contraire aggrave la tendance, c'est bien celui-là (d'ailleurs en cette même fatidique année 1956, une ville d'Ukraine était renommée... Ordjonikidzé) ! Et pour ce qui est des éructations de "SLP trotskyyyste" que nous voyons déjà (d'ici oui oui) germer dans certaines têtes qui ne se donnent pas pour autant la peine de nous lire, la réponse est ici : Sur la "révolution permanente" et le trotskysme. Il n'y a tout simplement pas de théoricien marxiste des années 1920-30 plus contraire à notre vision des choses que Trotsky !

    * Parmi eux, Mdivani connaîtra par la suite la répression du fait de sa proximité avec l'Opposition de Gauche trotskyste, quoi qu'il ait été un temps réhabilité dans les années 1930 et ait même occupé à nouveau des fonctions importantes à ce moment-là ; en revanche, Makharadzé ne sera jamais "victime de la répression stalinienne" et au contraire dirigera la Transcaucasie puis la Géorgie soviétique jusqu'à sa mort en 1941, devenant même peu avant vice-président du Soviet suprême de l'Union... De fait, les communistes géorgiens de l'"affaire" auront subi une défaite par la fusion de la Géorgie, pour un temps (jusqu'en 1936), avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan dans une grande république fédérative de Transcaucasie, ce qu'ils refusaient ; mais également remporté une victoire puisque cette Transcaucasie sera bien une république soviétique fédérée aux autres dans l'URSS, et non absorbée comme simple "république autonome" dans la Russie soviétique.]

    Sur la question spécifique du rapport de la Révolution bolchévique avec les musulmans (10% de la population de l'ex-Empire tsariste devenu URSS), nous pouvons aussi vous inviter à lire le texte suivant :

    Marx, Lénine, les bolchéviks et l’islam


    Tant la source (Investig'Action de Michel Collon) que l'auteur (Bruno Drweski, intellectuel tendance "Comité Valmy" parfois repris par la mouvance Asselineau-UPR/Cercle des Volontaires) sont sulfureux mais s'il vous plaît faites l'effort de lire, sur le plan des faits historiques c'est très intéressant (et d'ailleurs très largement "pompé" de sources marxistes tout à fait potables comme celle-ci par exemple, l'intérêt étant finalement d'en faire une "synthèse"). On y voit notamment comment Lénine a dû lutter contre les mêmes conceptions laïcardes et "civilisatrices" qui dominent aujourd'hui encore le débat politique hexagonal à "gauche" ; et pire encore contre des éléments qui se peignaient de "rouge" pour perpétuer leur domination coloniale... Cessons (nom de dieu !) de paralyser la réflexion communiste au nom de la dénonciation formaliste de "la souuuuurce" !!! C'est tout simplement faire insulte à l'intelligence individuelle, comme si les gens n'étaient pas capables de "prendre" le "bon" d'un texte (surtout si ce sont des faits historiques objectifs, authentiques peu importe qui les énonce !) et de "laisser" le "mauvais", les conclusions "rouges-brunes" (terme qui veut tout dire et rien dire, répétons-le encore une fois) qu'en tire l'auteur... [bien sûr nous éviterions de mettre en lien un texte aux propos ouvertement antisémites, racistes etc. mais ce n'est pas le cas ici].

    LIRE AUSSI ABSOLUMENT ces deux textes de Safarov, bolchévik historique qui fut chargé autour de 1920 d'asseoir le pouvoir soviétique en Asie centrale en s'y confrontant à la fois à la résistance nationaliste anticommuniste locale (basmashis) et à la tendance au chauvinisme grand-russe de trop nombreux cadres "révolutionnaires" ; s'engageant notamment dans une polémique avec l'autre haut responsable dans la région Mikhaïl Tomsky ; polémique dans laquelle il aura le soutien de Lénine :

    L'évolution de la question nationale

    L'Orient et la Révolution

    Sur la question des langues "régionales", lire aussi : Comment les langues du Peuple ont été rendues illégitimes - très bon article d'une occitaniste universitaire montpelliéraine rappelant ces évidences que "la Révolution de 1789 est une révolution bourgeoise, et les républiques qui l’ont suivie le sont tout autant" (ce qui fait toute sa différence avec la Révolution bolchévique de Lénine, ouvrière et paysanne) ; et que "ce qui est en jeu est fondamentalement d’ordre social" : "supprimer le « patois », c’est ôter un écran entre les masses et la parole normative des nouveaux maîtres", lesquels pensent "non sans naïveté" que "quand ils (les masses travailleuses) parleront comme nous (les bourgeois), ils penseront comme nous et ne bougeront que dans les limites que nous leur fixerons"...


    jour-colere-2377989-jpg_2043841.JPG3. Autre actualité ‘‘phare’’ du week-end écoulé, la manifestation d’ultra-droite ‘‘Jour de Colère’’ à Paris. Avec (selon les estimations les plus sérieuses) une grosse vingtaine de milliers de manifestant-e-s, contre plusieurs centaines de milliers (voire un million) pour les ‘‘Manifs pour tous’’ du début 2013, le ‘‘Mai 68 de droite’’ (formule bien trouvée, pour le coup !) que traverse le processus hexagonal de fascisation rampante (à l’œuvre depuis au moins 12 ans) semble être dans le creux de la vague, en repli tactique et réorganisation…  ce qui ne veut pas dire qu’une nouvelle déferlante plus terrible encore ne va pas se lever bientôt ; le contraire est même certain, vu la merde social-libérale qui sert de politique à Hollande et ses comparses !

    On ne reviendra pas en long, en large et en travers sur les revendications de la cinquantaine d'associations et collectifs appelants (homophobie, anti-IVG, "sécurité", "immigration", "identité nationale"), qui ne sont que de grands classiques de la droite-de-la-droite : identitaires, nationalistes, nationaux-catholiques et autres intégristes, petits entrepreneurs poujadistes, "Printemps français" etc. auxquels se sont joints, actualité oblige, des dieudonnistes pour la "liberté d'expression" antisémite de leur idole, bien que ce ralliement n'ait visiblement pas fait l'unanimité parmi les autres participants (1 - 2 ; "Résistance républicaine" de Christine Tasin a même finalement retiré sa participation). Le nom lui-même était sans équivoque, car "Jour de Colère" en latin se dit Dies Irae, ce qui est le nom d'un poème religieux catholique du 11e siècle mais aussi... d'un groupe national-catholique bordelais connu pour son extrême radicalité !

    Ce qui retiendra notre attention, en revanche, c'est plutôt la manière dont ce type de mouvement, malgré la faune haute en couleur de ses organisateurs, parvient tout de même à mobiliser. Ils jouent notamment sur la bonne vieille corde sensible poujadiste, le sentiment de VIE DE PIGEON, de vie de VACHE À LAIT qui habite une grande partie des masses populaires et qui ne se résume nullement aux impôts directs et encore moins aux ‘‘charges’’ sur les petits entrepreneurs : il suffit de penser aux 20% de TVA sur chaque produit alimentaire ou autre, aux 60% de TIPP sur le moindre litre de carburant, à la taxe d’habitation que tout le monde paye en fonction de la valeur de son logement et non de ses revenus, aux prix des transports, de l’électricité, du gaz, de l’eau etc. etc. Quand à un ménage populaire, aux revenus de (deux fois) 1 à 1,5 SMIC de l’heure, il ‘‘reste à vivre’’ 20% de ses revenus annuels, on peut dire qu’ils peuvent déboucher le champagne ! Certes, il est normal que chacun et chacune participe aux frais de la collectivité… mais pour quoi en retour ? Services de merde et mépris du peuple en permanence, cadeaux fiscaux au CAC 40 et comptes en Suisse de ministres, bureaucratie et parcours du combattant pour les prestations ou allocations les plus élémentaires (alors que tout travailleur a cotisé 25% de son salaire brut chaque mois pendant des années !), et on en passe et des meilleures. Comment s’étonner que ce sentiment aille nourrir une mobilisation réactionnaire fasciste… qui est la SEULE à y répondre ?

    Car si pendant longtemps, pour le mouvement révolutionnaire (marxistes comme anarchistes), il n’y avait pas d’équivoque et les travailleurs avaient raison de ne pas vouloir financer la forge de leurs propres chaînes ; si les choses étaient encore ainsi claires en Italie dans les années 1970 voire (pour certaines organisations) aujourd’hui ; l’hégémonie idéologique ‘‘républicaine’’ a depuis longtemps phagocyté le ‘‘peuple de gauche’’ hexagonal et aborder ces thèmes n’arrache désormais que soupirs et haussements d’épaules ou cris rageux de ‘‘poujadisme !’’. Enfin bref…

    La manifestation réactionnaire a vu, comme il fallait s’y attendre, profusion des fameux bonnets rouges devenus signe de ralliement ; avec la présence des Bonnets rouges… ‘‘frontaliers’’ (… la Bretagne n’a aucune frontière terrestre avec un autre État) ou des Bonnets rouges… ‘‘69’’, ce qui n’a aucun sens et s’appelle même une supercherie totale, puisque la Révolte des Bonnets rouges (1675) est une référence historique BRETONNE qui n’a de sens que dans la culture populaire bretonne ! Afin que les choses soient claires, vu que l’amalgame grossier est ce qui fait office d’arguments lorsqu’il n’y en a pas (mais qu’il faut bien défendre l’unité de la République ou de la ‘‘construction nationale historique bourgeoise-donc-progressiste France’’), les VRAIS Bonnets rouges bretons (collectif ‘Vivre, travailler et décider en Bretagne’, dont chacun-e est libre par ailleurs de penser ce qu’il/elle veut) n’ont pas participé à la manifestation et se sont même clairement exprimés là-dessus : ‘‘Les Bonnets Rouges, représentés par le Collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne », ne s’associent pas à la manifestation du 26 janvier prochain à Paris. Cette manifestation intitulée « Jour de Colère » ne correspond ni aux objectifs ni aux valeurs des Bonnets Rouges tels qu’ils sont exposés dans la charte des Bonnets Rouges (http://bonnetsrougesbzh.eu/charte-des-bonnets-rouges/)". À bon entendeur (et à titre préventif)… 


    4. En tout cas, un autre enseignement de ce ‘‘Jour de colère’’ (suffisamment massif, malgré tout, pour cela) aura été de montrer clairement le caractère hétéroclite à l’extrême de la ‘‘droite radicale’’ et autres ‘‘nationalismes’’ ‘‘révolutionnaires’’ ou pas. À voir la multiplicité de ses ‘‘sensibilités’’, il apparaît plus clair que jamais que ce qu’il lui faut n’est pas même un(e) ‘‘rassembleur(se)’’ mais un(e) ARBITRE : une force qui non seulement réprime (on s’en doute) les révolutionnaires, progressistes et autres ‘‘ennemis intérieurs’’ désignés, mais soit prête à ‘‘sortir la boîte à claques’’ contre les groupes fascistes eux-mêmes, lorsqu’ils ne voudront pas se plier à de-gaulle-a-disparugaulle-massu-.jpgla discipline monopoliste élémentaire. Et cette force ne peut être que l’État ; sous une forme militaro-policière instaurée par ‘‘coup de force’’. C’est là que l’on voit toute l’erreur de considérer le fascisme comme un phénomène principalement extra-étatique, qui ‘‘prendrait’’ l’État ‘‘d’assaut’’ ; ce qu’il n’a d’ailleurs pratiquement jamais été dans l’histoire sauf (en apparence) en Allemagne et en Italie… face à des États particulièrement déliquescents (et encore… à un moment donné, il s’est bien trouvé des éléments à l’intérieur de l’État pour en ouvrir les portes aux chemises noires et brunes !). En réalité, nous en sommes de plus en plus convaincus, le ‘‘plan’’ pensé-sans-l’être est de laisser foisonner (dans certaines limites bien sûr) les ‘‘extrémismes’’ en tout genre que la crise générale du capitalisme engendre spontanément, les révolutionnaires communistes (marxistes ou libertaires) qui sont la bonne réponse à ladite crise mais aussi les MAUVAISES réponses réactionnaires, fascisantes, religieuses sectaires ou communautaristes (islamisme, sionisme), dieudonnistes et compagnie jusqu’à ce qu’enfin l’État militaro-policier intervienne pour ‘‘éviter la guerre civile’’… Il n’y aurait là rien que de très classique. Cet État fort ‘‘sauvant la France de la guerre civile’’ devrait en principe ‘‘trouver visage’’ dans une personnalité supposément ‘‘en dehors’’ et ‘‘au-dessus des partis’’, qui ne soit pas un(e) ‘‘politicien(ne)’’ (ce qui exclurait Marine Le Pen elle-même). Traditionnellement, de Mac Mahon après l’‘‘année terrible’’ des Communes (1871) à De Gaulle en 1958 en passant par Pétain et déjà De Gaulle (l’option ‘‘accepter le nouvel ordre européen nazi’’ contre l’option patriotique à outrance) en 1940, c’était souvent un militaire ; mais aujourd’hui, avec la fin du service militaire comme passage obligé de toute jeunesse masculine, la figure d’un galonné pourrait être beaucoup moins mobilisatrice (surtout qu’après le putsch, raté celui-là, d’Alger en 1961, l’Exécutif a beaucoup fait pour que les hauts cadres militaires deviennent de purs bureaucrates sans ‘panache’ ni ambitions politiques). On ne peut que se perdre en conjecture, mais ce n’est finalement qu’un aspect secondaire du processus qu’il importe, selon nous, d’avoir saisi.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :