• Sur le Front populaire antifasciste (Dimitrov)


    (Mises en gras et soulignements par SLP, les italiques sont du texte original)


    FRONT UNIQUE PROLÉTARIEN, FRONT POPULAIRE ANTIFASCISTE


    Certains communistes se creusent vainement la tête pour savoir par quoi commencer : par le front unique du prolétariat ou par le front populaire antifasciste ?

    Les uns disent : on ne pourra pas entreprendre l'établissement du Front populaire antifasciste avant d'avoir organisé un solide front unique du prolétariat.

    Mais, raisonnent les autres, comme l'établissement du front unique prolétarien se heurte dans nombre de pays à la résistance de la partie réactionnaire de la social-démocratie, mieux vaut commencer du coup par le Front populaire et, sur cette base seulement, déployer ensuite le front unique de la classe ouvrière.

    Les uns et les autres, évidemment, ne comprennent pas que le front unique du prolétariat et le Front populaire antifasciste sont liés l'un à l'autre par la dialectique vivante de la lutte, qu'ils s'interpénètrent, se transforment l'un en l'autre au cours de la lutte pratique contre le fascisme, au lieu d'être séparés l'un de l'autre par une muraille de Chine.

    Car, on ne saurait croire sérieusement qu'on puisse vraiment réaliser le Front populaire antifasciste sans établir l'unité d'action de la classe ouvrière elle-même, qui est la force dirigeante de ce Front populaire. Et, d'autre part, le développement ultérieur du front unique prolétarien dépend dans une mesure notable de sa transformation en un Front populaire contre le fascisme.

    Imaginez-vous l'amateur de schémas qui, placé devant notre résolution, construit son schéma avec le zèle d'un véritable exégète :

    D'abord le front unique du prolétariat par en bas, à l'échelle locale ;

    Puis le front unique par en bas, à l'échelle régionale ;

    Ensuite le front unique par en haut, passant par les mêmes degrés ;

    Après cela, l'unité du mouvement syndical ;

    Ensuite, le ralliement des autres partis antifascistes ;

    Puis le Front populaire déployé par en haut et par en bas ;

    Après quoi, il conviendra d'élever le mouvement à un degré supérieur, de le politiser, de le révolutionnariser, etc., et ainsi de suite. Vous direz que c'est un pur non-sens. Je suis d'accord avec vous. Mais c'est précisément le malheur qu'un tel non-sens sectaire, sous une forme ou sous une autre, se rencontre encore, à notre vif regret, dans nos rangs.

    Comment donc la question se pose-t-elle en réalité ? Évidemment, nous devons partout travailler à créer un vaste Front populaire général de lutte contre le fascisme. Mais, dans un grand nombre de pays, nous ne sortirons pas des conversations générales sur le Front populaire, si nous ne savons pas, par la mobilisation des masses ouvrières, briser la résistance de la partie réactionnaire de la social-démocratie au front unique de lutte du prolétariat. C'est ainsi que la question se pose avant tout en Angleterre, où la classe ouvrière forme la majorité de la population, où les trade-unions anglaises et le Parti travailliste ont derrière eux la masse essentielle de la classe ouvrière. C'est ainsi que la question se pose en Belgique, dans les pays Scandinaves, où, face à des Partis communistes numériquement faibles, se dressent de puissants syndicats de masse et des Partis social-démocrates numériquement forts.

    Les communistes commettraient dans ces pays une faute politique très grave s'ils se dérobaient à la lutte pour l'établissement du Front unique prolétarien derrière des formules générales sur le Front populaire, lequel ne peut être établi sans la participation des organisations de masse de la classe ouvrière. Pour réaliser dans ces pays un véritable Front populaire, les communistes doivent accomplir un immense travail politique et d'organisation dans les masses ouvrières. Ils doivent surmonter les préjugés de ces masses, qui considèrent leurs organisations réformistes de masse comme l'incarnation déjà réalisée de l'unité prolétarienne ; ils doivent convaincre ces masses que l'établissement du front unique avec les communistes signifie leur passage sur les positions de la lutte des classes, et que, seul, ce passage garantit le succès de la lutte contre l'offensive du Capital et le fascisme. Ce n'est pas en nous proposant dans ces pays des tâches plus vastes que nous surmonterons les difficultés que nous rencontrons. C'est, au contraire, en luttant pour faire disparaître ces difficultés que nous préparerons non en paroles, mais en fait, la formation d'un véritable Front populaire de lutte contre le fascisme, contre l'offensive du Capital, contre la menace de guerre impérialiste.

    La question se pose autrement dans des pays tels que la Pologne, où, à côté du mouvement ouvrier, se développe un puissant mouvement paysan, où les masses paysannes ont leurs propres organisations qui se radicalisent sous l'influence de la crise agraire, où l'oppression nationale suscite l'indignation parmi les minorités nationales. Là, le développement du Front populaire de lutte se fera parallèlement au développement du front unique prolétarien et, parfois, dans ce type du pays, le mouvement du Front populaire peut même devancer le mouvement du front ouvrier.

    Prenez un pays tel que l'Espagne, qui traverse un processus de révolution démocratique bourgeoise. Peut-on dire ici que la dispersion du prolétariat, au point de vue de l'organisation, exige l'établissement de la complète unité de lutte de la classe ouvrière avant la formation d'un front ouvrier et paysan contre Lerroux et Gil Robles ? En posant ainsi la question, nous isolerions le prolétariat de la paysannerie, nous abandonnerions en fait le mot d'ordre de la révolution agraire, nous faciliterions aux ennemis du peuple la possibilité de diviser le prolétariat et la paysannerie et d'opposer la paysannerie à la classe ouvrière. Comme on le sait, ce fut là une des causes principales de la défaite de la classe ouvrière asturienne lors des batailles d'octobre 1934.

    Toutefois, il y a un point à ne pas oublier : dans tous les pays où le prolétariat est relativement peu nombreux, où la paysannerie et les couches petites-bourgeoises de la ville prédominent, dans ces pays il importe encore plus de déployer tous les efforts pour établir un solide front unique de la classe ouvrière elle-même, afin que celle-ci puisse occuper sa place de facteur dirigeant par rapport à tous les travailleurs. Ainsi, par rapport à la solution du problème du front prolétarien et du Front populaire, on ne peut fournir des recettes universelles pour tous les cas de la vie, pour tous les pays et pour tous les peuples. L'universalisme dans ces choses-là, l'application des seules et mêmes recettes à tous les pays, équivaudrait, permettez-moi de vous le dire, à l'ignorance. Or, l'ignorance, nous devons la frapper même et surtout lorsqu'elle se manifeste sous l'enveloppe de schémas universels.

    Ou encore sur la question du rapport au réformisme petit-bourgeois et à la "gauche" bourgeoise :

    Dutt avait raison d'affirmer qu'il existait dans nos rangs une tendance à considérer le fascisme « en général », sans tenir compte des particularités concrètes des mouvements fascistes dans les différents pays et en taxant à tort de fascisme toutes les mesures réactionnaires de la bourgeoisie, ou même en qualifiant tout le camp non communiste de camp fasciste. Loin de renforcer la lutte contre le fascisme, tout cela l'a, au contraire, affaiblie.

    Or, il subsiste encore maintenant des vestiges de l'attitude schématique à l'égard du fascisme. N'est-ce pas une manifestation de cette attitude schématique que l'affirmation de certains communistes assurant que l' « ère nouvelle » de Roosevelt représente une forme encore plus nette, plus aigüe de l'évolution de la bourgeoisie vers le fascisme que, par exemple, le « gouvernement national » d'Angleterre ? Il faut être aveuglé par une dose considérable de schématisme pour ne pas voir que ce sont justement les cercles les plus réactionnaires du Capital financier américain en train d'attaquer Roosevelt, qui représentent, avant tout, la force qui stimule et organise le mouvement fasciste aux États-Unis*.

    Ne pas voir le fascisme réel prendre naissance aux États-Unis sous les phrases hypocrites de ces cercles en faveur de la « défense des droits démocratiques des citoyens américains », c'est désorienter la classe ouvrière dans la lutte contre son pire ennemi.

    G. DIMITROV, Pour l'unité de la classe ouvrière contre le fascisme, Œuvres choisies (p. 69 du PDF en lien)


    dimitrov.jpg


    [ * Pour prendre un exemple plus contemporain, dans un contexte certes différent (pays dominé), ne fallait-il pas "être aveuglé par une dose considérable de schématisme" pour ne pas voir que, quelle que soit la nature (national-)bourgeoise du réformisme populiste de Chavez, et l'existence d'une répression du prolétariat sous son gouvernement (comme sous celui, bourgeois monopoliste, de Roosevelt !), c'était bel et bien les cercles les plus réactionnaires de l'oligarchie continentale (compradore, bureaucratique et terrienne) et de la bourgeoisie impérialiste de tutelle (US pour les Amériques), ceux qui attaquaient Chavez, ses réformes et ses plans continentaux (ALBA), qui étaient la force stimulant et organisant le fascisme au niveau continental (de Garcia à Uribe, de Calderon à Micheletti, des putschistes vénézuéliens d'avril 2002 aux milices fascistes cambas de Bolivie), à coup de phrases hypocrites sur les droits démocratiques des citoyens ? Certes, à présent, Chavez et ses acolytes (Morales, Correa) sont "rentrés dans le rang" et devenus les bras droits du "centre" de la Réaction continentale (l'axe Colombie-Pérou) ; et ces forces réactionnaires fascistes sont devenues quelque peu inutiles... (ou bien, devrait-on dire, ont gagné sans tirer un coup de feu ?) SLP reviendra sur cette question prochainement dans un article... Mais d'ailleurs, on pourrait aussi tout simplement remplacer Roosevelt par OBAMA ! ]

     


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