• Le sionisme, "fils de France"


    0 Pal2Pourquoi la question palestinienne soulève-t-elle tant de passions dans "notre" État français ? Le moins que l'on puisse dire est que ces dernières semaines, avec l'"exécution électronique" de deux comptes Facebook successifs, nous ont plus que donné l'occasion de nous pencher sur la question.

    Nous aurions pu alors tomber dans la même erreur qu'un Dieudonné M'Bala M'Bala et des milliers d'autres avec lui : considérer que c'est là la main d'un "lobby sioniste" qui se serait "emparé de la République" et qui serait le "vrai fascisme", et de là sombrer dans les tréfonds du délire antisémite. Mais nous avons réfléchi et nous en sommes arrivés à une toute autre conclusion. Nous en sommes arrivés à la conclusion que le problème avec la question du sionisme et de la Palestine c'est qu'elle ne touche justement pas qu'au sionisme, à l'État d'Israël ni à la fraction fana-israélienne de la bourgeoisie hexagonale (le "lobby sioniste" ou "crifiste" selon Dieudonné et consorts), qu'elle ne touche pas seulement à l'actuelle montée du fascisme (dont il "faudrait" débattre pendant des heures si la menace est principalement pro-sioniste ou "antisioniste"), mais qu'elle touche l'Occident impérialiste dans ce qu'il a de plus profond, dans sa nature impérialiste et colonisatrice même et quelle que soit la forme de gouvernement, y compris "démocratique" et pas seulement "fasciste" (mutation réactionnaire ultra, terroriste) ; bref, dans le centre légitime de sa conception du monde. On n'insistera jamais assez : le centre légitime des idéologies guidant l’État sioniste se trouve en "Occident chrétien" (Europe et Amérique du Nord) et non l'inverse (ce seraient Israël et/ou un fantasmagorique "talmudisme international" qui "dirigeraient" ce dernier). De ce "centre légitime", les Juifs (bien avant le 20e siècle et la Shoah) ont longtemps été plutôt les victimes ; avant que les "Lumières" (surtout pour des couches relativement bourgeoises et des communautés de petite taille comme en "France") puis (surtout) le sionisme ne les y "intègre" (le nazisme ayant "au passage" exterminé la moitié des Juifs d'Europe).

    palestine_couppourcoup.jpgL'Occident impérialiste... et en particulier l’État impérialiste dénommé "France". Car il est possible de dire en réalité que le sionisme comme idéologie, bien que fondé par des Européens de l'Est (Yehoshua Stampfer de Hongrie, Léon Pinsker d'Odessa, Theodor Herzl de Budapest), est "fils de France" - une idéologie colonialiste profondément française.

    Le sionisme originel est un pur produit idéologique de la France des vingt dernières années du XIXe siècle, elle-même aboutissement de siècles de construction par la conquête et la négation des Peuples (transformés en force de valorisation du Capital dont le sommet de la pyramide se trouve à Paris) ; la France de la IIIe République bourgeoise née sur les cendres des Communes, de l'expansion coloniale "universaliste" et "civilisatrice" et de l'affaire Dreyfus, cette affaire de "trahison" militaire et d'erreur judiciaire frappant un officier juif innocent, qui voit ressurgir avec une rare virulence la "question juive" plus d'un siècle après que la révolution bourgeoise leur ait accordé (non sans hésitations et virulents débats) l'égalité civile (1791).

    De fait, l'idée sioniste apparaît légèrement avant l'affaire (fin des années 1870) mais dans un contexte d'antisémitisme (hexagonal et continental) déjà lourd de celle-ci [certaines sources (y compris des sionistes eux-mêmes) font même remonter l'idée d'un retour juif en Palestine à la "révolution" bourgeoise anglaise de Cromwell  au milieu du 17e siècle (pour les Puritains anglais le rassemblement du "Peuple d'Israël" sur la terre de Sion aurait été le signal déclencheur du retour du Christ - première venue du Messie pour les Juifs - et des "Derniers Temps"), mais des sources plus sérieuses semblent plutôt indiquer le contraire : Cromwell aurait au contraire favorisé l'installation des Juifs en Angleterre et donc leur dispersion, vue comme la condition (et non le rassemblement en Palestine) du retour christique - l'idée que les Juifs doivent être rassemblés en Palestine pour le retour du Christ est cependant (aujourd'hui) l'un des arguments des fondamentalistes protestants anglo-saxons pour soutenir le sionisme, mais cela n'a été que très peu significatif jusqu'aux années 1980 et n'a donc certainement joué aucun rôle dans la genèse du phénomène]. Le mouvement des Amants de Sion, créé en Russie et financé (notamment) par quelques grands bourgeois juifs de l'État français comme Edmond de Rotschild, organise l'implantation des premières colonies juives européennes en Palestine (Petah Tikva, Rishon LeZion etc.). La question d'un "État juif" ne semble toutefois pas très claire à cette époque ; il semble plutôt être question d'implantations en mode "phalanstères" fouriéristes et surtout, via le judaïsme et son attachement à la "Terre promise" biblique, d'établir petit à petit une sorte de protectorat sur cette province ottomane qu'est alors la Palestine comme l'avait déjà fait (via les chrétiens maronites) Napoléon III au Liban [cela apparaît nettement dans les clauses additionnelles du Congrès de Berlin consacré à l'Empire ottoman vaincu par la Russie en 1878 (année même de la fondation de la première colonie) : l'Angleterre - déjà - tend à se poser en protectrice des Juifs (autochtones... et sionistes), la France est "confirmée" sur les maronites libanais et la Russie sur les Arméniens, les Grecs et les orthodoxes en général]. L'esprit est au tout départ Herzl.stamp.JPEG(avec Stampfer et les premiers Amants) assez mystico-religieux, puis les conceptions sécularistes et modernistes s'imposent vers 1890 - en partie sans doute sous l'influence des financements français.

    Mais c'est réellement le procès du capitaine Dreyfus et le déchaînement antisémite vs "philo"sémite qu'il déclenche qui vont agir en "révélation" sur le jeune journaliste austro-hongrois Theodor Herzl ; une "révélation" qui a le "mérite" de concilier les deux positions : les Juifs doivent être respectés et traités comme des êtres humains à part entière, MAIS cela n'est pas réalisable en Europe, en tout cas sans un État à eux (permettant de se réaliser comme nation à part entière) qui ne peut exister qu'hors d'Europe, où les Juifs seront toujours un "corps étranger". Une fois l'idéologie sioniste "définitive" synthétisée par lui (l'ouvrage L’État des Juifs est publié en 1896 et l'Organisation sioniste mondiale fondée en Suisse l'année suivante), les pogroms de Russie (années 1900) se chargeront de "fournir" les premières grandes vagues d'émigration (même si l'immense majorité des Juifs ashkénazes de l'époque émigre encore vers l'Europe de l'Ouest et, surtout, l'Amérique du Nord).

    On a souvent dit que Herzl et le mouvement sioniste initial avaient envisagé d'autres options que la Palestine pour fonder leur "État juif" ; il semble toutefois que de telles options (si elles ont réellement existé) aient été rapidement abandonnées, seul le mythe biblique de la "Terre promise" palestinienne pouvant assurer une mobilisation et (donc) une émigration suffisante (bien que marginale, on le répète, au sein de l'émigration juive d'Europe de l'Est).

    Et puis bien sûr, en se "réalisant" comme "nation à part entière" hors d'Europe, le Juif idéal de Herzl devait se "réaliser" bien sûr comme colon, comme "pionnier"... idée qui avait plutôt le vent en poupe à une époque où les puissances européennes se partageaient la dépouille du vieil Empire ottoman (où commençait déjà à flotter l'odeur du pétrole) : il était évident que le mouvement sioniste apporterait de jolis dividendes à quiconque saurait intelligemment investir dedans.

    Kibboutz-un-siecle-pour-batir-Israel_article_popin.jpgLe mouvement sioniste proclame la Palestine "terre sans peuple pour un peuple sans terre" : c'est bien évidemment là de la propagande pour motiver les premiers volontaires parmi les braves habitant-e-s semi-illettré-e-s des shtetl de Mitteleuropa, qui ne se sentent pas forcément l'âme d'un Buffalo Bill affrontant les Comanches. Les premières terres ont été achetées à l'Empire ottoman près de 20 ans auparavant et il est impensable qu'un journaliste éduqué et globe-trotter comme Herzl croie réellement la Palestine "sans peuple". Très vite, dans tous les cas, tout le monde sait que la Palestine est peuplée et même très peuplée, d'une population sédentaire sur une terre relativement fertile pour la région ; bref qu'elle n'est nullement un "désert à Bédouins". Peu importe pour Herzl et ses compagnons : ils parleront alors de "les inviter à aller s'installer plus loin" - on connaît la suite. Et puis surtout naît le grand argument-massue : les sionistes font "fleurir le désert" ! Ne vous semble-t-il pas avoir déjà entendu quelque chose dans la même veine, du genre "ces Arabes ils se plaignent mais ils sont bien gentils : avant nous il n'y avait rien dans leur pays, quatre chèvres, trois ânes, des gourbis autour d'un puits, des chemins caillouteux, pas une route, pas un canal d'irrigation, pas un immeuble en dur, rien" ? Mais oui bien sûr : des francouillasses parlant de l'Afrique du Nord, comme un certain Alain Soral par exemple [1] !!! La filiation idéologique est ici totale.

    TelAviv-paam4.jpgPour mobiliser les masses populaires ashkénazes qui sont le grand "réservoir" de candidats à l'alyah, l'idéologie sioniste (plutôt "républicaine" à la française au départ) se mâtine d'idées "progressistes" et même "socialistes" alors très répandues au sein de ces populations ; elle vend la colonisation sous un emballage collectiviste et phalanstérien (les fameux kibboutzim) sans oublier la sacro-sainte "Marche du Progrès". Ces idées sont extrêmement présentes, pour ne pas dire hégémoniques dans toute la phase précédant la création de l’État et même par la suite ; ainsi (par exemple) les héroïques résistants du ghetto de Varsovie sont très majoritairement bundistes mais comptent aussi une très importante minorité sioniste de gauche, plus importante peut-être que la minorité marxiste-léniniste. Parmi les premiers sionistes, certains se proclament même... "anarcho-communistes" comme Joseph Trumpeldor, qui meurt au combat en 1920 contre des insurgés druzes et dont se réclamera par la suite... le Betar. Voilà quelque chose que les "anti-antisionistes" d'"extrême-gauche" ne manquent jamais une occasion de rappeler, et pour cause : ce sionisme "socialiste" ou même "anarchiste" est la démonstration par A + B que la "gauche" et même l'"extrême-gauche" en Europe n'ont jamais été incompatibles avec le colonialisme et le suprématisme "civilisé", bien au contraire ! [de fait c'est seulement le maoïsme et le marxisme-léninisme des Hô Chi Minh, Guevara ou Cabral qui commenceront à marquer la vraie rupture avec cela, jusqu'à théoriser que la Révolution mondiale avait plutôt vocation (au contraire) à se déployer depuis le "tiers-monde" vers les pays impérialistes ; ce que nous avons ensuite systématisé au niveau de chaque État, de chaque continent et de la planète entière comme un déploiement de la lutte révolutionnaire depuis les Périphéries vers les Centres - ce dont le trotskysme "orthodoxe" est par exemple l'antithèse absolue].

    Par la suite, l'impérialisme britannique ayant assumé l'essentiel de l'effort de guerre pour conquérir le Machrek sur l'Empire ottoman (et ayant obtenu le "mandat" sur la Palestine), c'est surtout lui (déclaration Balfour etc.) qui va "porter" le mouvement sioniste dans la phase d'entre-deux-guerres qui jette les bases du futur État ; non sans contradictions cependant, l'alliée première ayant tout de même été l'aristocratie arabe (qu'il faut continuer à ménager, surtout que les premières révoltes éclatent dès 1920).

    Ces contradictions explosent à la veille et surtout à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, avec une véritable guerre contre les Anglais qui voit tomber quelques 338 soldats de Sa Majesté. C'est donc contraint et forcé que l'Empire britannique remet en 1947 son mandat sur la Palestine aux Nations Unies, qui décident alors de la fameuse partition entre un État juif et un État arabe. Il fournira même, dans la guerre qui suivra contre les Palestiniens et les États arabes voisins, l'un de leurs meilleurs stratèges militaires à ces derniers : John Bagot Glubb dit "Glubb Pacha"... Celui-ci ne parviendra cependant pas à empêcher la victoire sioniste et la tragédie de tout un peuple : la Nakba, nettoyage ethnique de près de 800.000 Palestiniens ponctué par des milliers d'assassinats racistes pour "décider les indécis".

    colonisation sioniste palestine

    Londres, qui s'était abstenue lors du vote du premier plan de partage, se rallie alors bon gré mal gré au nouvel État contre le nationalisme arabe qui menace le Canal de Suez... aux côtés de l'impérialisme BBR version IVe République, qui avait quant à lui voté pour et dont le nationalisme arabe menace les colonies du Maghreb. On peut d'ailleurs s'interroger sur son rôle dans l'émigration massive vers Israël des Juifs du Maroc et de Tunisie, pays qu'il contrôlait alors et dont c'était un moyen (comme un autre) de nuire à la toute proche et inéluctable indépendance. Puis, comme chacun-e le sait, avec De Gaulle la France prendra quelque peu ses distances au moment de la Guerre des Six-Jours et l'impérialisme US prendra le relais comme grand (et quasi indispensable) tuteur de l'entité sioniste.

    Pour autant, la filiation idéologique totale du sionisme avec l'idéologie française, républicarde bourgeoise à la fois dreyfusarde et anti-dreyfusarde et (surtout) coloniale "civilisatrice" et "universaliste" explique le caractère passionné que prend la question palestinienne en Hexagone. Nous allons montrer ici comment le fait d'être (pardonnez-nous mais il faut employer les mots) un con de Français s'exprime dans le soutien à l'État d'Israël, ou du moins dans le rejet de la mobilisation pro-palestinienne, mais aussi hélas dans le soutien à celle-ci. 

    interdiction-des-manifestations-pro-palestiniennes-il-ne-pe.jpgIl y a celles et ceux qui (1), d'héritage plutôt dreyfusard et jules-ferryen, soutiennent le sionisme pour toutes les raisons que nous venons de voir : "universalisme" impérial "civilisateur" et triomphe des "Lumières" sur la "barbarie", républicanisme bourgeois colonial et même "gauche-coloniale" car il faut bien dire les choses : la question du sionisme touche beaucoup plus profondément, dans son "cœur" idéologique, la "gauche" bourgeoise BBR que la droite (qui a finalement une approche plus "pragmatique" qu'autre chose, à l'exception de la droite bourgeoise juive bien entendu). Sur cette "vieille histoire" du soutien de la "gauche" tricolore au sionisme et plus largement de sa position "universaliste impériale" sur le colonialisme, il faut lire l'article de l'OCML-VP : "Une vieille histoire - le PS et le soutien inconditionnel à Israël". Mais il y aussi celles et ceux qui (2), d'héritage plutôt anti-dreyfusard (n'aimant pas les Juifs et leur fantasmé "pouvoir occulte"), voient néanmoins dans la défense d'Israël une défense de l'Occident et (surtout) une "revanche" par procuration sur le nationalisme arabe (qu'il soit "laïc" ou, comme aujourd'hui, principalement religieux) qui leur a donné du fil à retordre en Afrique du Nord - énormément d'anciens pétainistes étaient dans ce cas. Dans tous les cas, même si l'on est pas un "fan" inconditionnel du sionisme et d'Israël, cette irruption "sauvage" d'affirmations "indigènes" et "tiers-mondistes" dans la rue est tout simplement le "comble de l'inadmissible" (au "mieux" signifiera-t-on aux ultra-sionistes de ne pas "en rajouter" avec leurs provocations). Tout cela va donner le camp pro-israélien - ou, en tout cas, "anti-antisioniste".

    Et puis il y a celles et ceux qui (3), d'héritage anti-dreyfusard, refusent catégoriquement le "compromis" de Herzl et l'existence d'un État pour les Juifs (qui ne peut être selon eux qu'une "base" pour leurs "plans de domination mondiale") et préfèrent encore soutenir les Arabes de Palestine et du Proche-Orient (à l'appui de cela peut venir la présence de nombreux chrétiens et des lieux "saints" de la chrétienté dans la région, ainsi que la forte et étroite alliance entre Israël et l'impérialisme rival US, dans un esprit "gaulliste"). Ils ne perçoivent pas l'intérêt de ce pion stratégique pour la "civilisation occidentale" sur l'échiquier mondial. Il faut dire qu'à la droite de la droite il y a toujours eu des grincheux, comme ces nationalistes qui (à l'époque même où naissait le sionisme) ne comprenaient pas que Jules Ferry et consorts aillent "civiliser" l'Afrique en "échange" de ses richesses, plutôt que de reconquérir l'Alsace et la Moselle.

    4010807_gaza-manif.jpgOu encore il y a celles et ceux qui (4), plutôt d'héritage dreyfusard en principe, transfigurent sur le conflit du Proche-Orient leur mauvaise conscience vis-à-vis du passé colonial... et du présent néo-colonial de l’État français ; choses sur lesquelles la "gauche" (y compris "radicale" !) a été à l'époque... et reste aujourd'hui encore plus minoritairement claire que sur la Palestine - il faut dire que la "projection anticoloniale" sur cette dernière ne mange guère de pain, puisque ce n'est pas l'impérialisme BBR qui opprime ou alors de manière très indirecte et avec les "condamnations" de circonstance qui vont bien. Bien sûr, il y a aussi en Hexagone une mauvaise conscience par rapport au passé antisémite et notamment au régime de Vichy, lorsque l'on sait que celui-ci a envoyé à la mort plus de Juifs que l'Italie alliée d'Hitler ou le Danemark lui aussi totalement occupé et que des rafles eurent même lieu à l'été 1942 en zone dite "libre", c'est-à-dire sans la présence ni la pression du moindre uniforme allemand (cas unique en Europe) ; mais cette mauvaise conscience peut aussi être contournée en présentant les Israéliens en "nouveaux nazis" et les Palestiniens en "nouveaux juifs" (compréhension ridiculement exagérée du problème qui n'aide donc nullement à penser correctement la solution).

    Il est également possible (5), dans un esprit dreyfusard, d'être antisioniste en disant (ce qui n'est pas complètement faux) que le sionisme reprend les postulats antisémites d'inassimilabilité et de séparation des Juifs, et de prôner contre cela "l'intégration des Juifs dans la République", le refus de "tous les communautarismes y compris juif" (en pointant du doigt l'important phénomène de binationalité franco-israélienne, des réservistes de Tsahal etc. etc.) voire un supposé "deux poids deux mesures dans la dénonciation du communautarisme" (ce qui supposerait que "les Juifs ont de l'influence"). Ce n'est pas un courant intellectuel si marginal que cela... puisque ce n'était ni plus ni moins que la position de Dieudonné au début des années 2000, avant son sketch chez Fogiel et sa rencontre avec Soral (clairement, quant à lui, sur la position 3). C'est aussi la base de la position "ni-ni" (ni pro-sioniste ni pro-palestinien) que l'on va retrouver dans toute la gauche "radicale" et l'"extrême-gauche" libertaire comme marxiste, pour qui la question ici comme là-bas va se résumer à un affrontement de "communautarismes" et de "nationalismes religieux" face auxquels il faut prôner qui le "vivre-ensemble citoyen", qui la "fraternité des travailleurs".

    BtAh7vGIgAE4Ky4.jpg-large.jpgIl y a les populations colonisées intérieures de l'entité "France" (6) qui se considèrent quant à elles, non sans arguments valables, exemptées de la culpabilité européenne vis-à-vis des Juifs et qui voient elles aussi dans la Palestine un "match retour" des luttes anticoloniales de leurs propres pays d'origine, dans lesquelles leurs aïeux ont beaucoup souffert pour des "indépendances" largement mutilées voire complètement bidon - néocolonialisme dont leur présence en Hexagone (dans le racisme, l'exclusion économique et le traitement sécuritaire et "social" d'exception) est d'ailleurs l'une des conséquences. Cette "projection" est très compréhensible d'un point de vue historique, mais néanmoins pétrie de grandes ambigüités. Ainsi, elle a souvent pour conséquence d'"éviter" la mise en cause des responsables locaux de la mutilation de l'indépendance : les bourgeoisies bureaucratiques-compradores et les castes politico-militaires vendues ; ou en tout cas de "déconnecter" la question palestinienne de cette mise en cause alors que les deux font pourtant partie de la même réalité : l'impérialisme post-1945, postérieur aux grands empires coloniaux ; ce qui revient dans tous les cas à "redorer le blason" de ces classes dominantes néocoloniales. Le discours va souvent relayer celui de ce "nationalisme" bourgeois (tant "laïc" que religieux, on n'insistera jamais assez) devenu oligarchie vendue ou qui le deviendra aussitôt pris le pouvoir ; jusque dans sa compréhension fantasmée des choses confinant à l'antisémitisme (sionisme "maître" de l'Occident et non l'inverse, etc.) : nous savons tou-te-s que la bourgeoisie, même "nationaliste" dans des pays dominés, est incapable d'une compréhension correcte des choses, incapable d'une analyse en termes marxistes (les seuls corrects) et ne peut donc que répondre par le fantasme et l'élucubration aux questions posées par la réalité. Les bourgeoisies "nationalistes" qui irriguent idéologiquement le sentiment pro-palestinien des colonies intérieures hexagonales sont incapables de poser le problème en termes de sionisme = "chien d'attaque" que l'Occident lâche et retient en fonction et seulement en fonction de ses intérêts. Elles vont le poser en termes de "l'Occident doit cesser de soutenir Israël et nous accorder ses faveurs" et donc "l'Occident doit se libérer de l'influence du lobby sioniste", ce qui glisse inévitablement vers l'antisémitisme ("Protocoles des Sages de Sion" largement diffusés par d'anciens nazis dans les pays arabes). À l'inverse, une authentique Guerre de Libération du Peuple n'attend aucune "faveur" de l'impérialisme et le combat dans toutes ses manifestations, soutien à Israël comme soutien aux régimes arabes et autres "processus de paix"/"solutions négociées"/"transitions démocratiques". Elle sait que dans le Machrek arabe les prolétaires israélien-ne-s, pour être actuellement sous un uniforme ennemi, ont vocation à faire à terme partie de la solution contre leur propre bourgeoisie paris-lors-d-une-manifestation-en-soutien.jpgsioniste ("effondrement du front intérieur"), et non indéfiniment partie du problème. C'est la différence, finalement, entre être un concurrent du sionisme (pour les "faveurs" de l'impérialisme et/ou le contrôle des forces productives palestiniennes) et être son ennemi - le combattre comme bras armé de l'impérialisme en Palestine et dans les pays alentours.

    Tout cela forme, malheureusement, une grande partie du camp pro-palestinien dans lequel, ne nous voilons pas la face, l'internationalisme authentique sur une base révolutionnaire prolétarienne (anticapitaliste) reste une minorité, d'autant plus que sa base s'est élargie (qu'était-ce que le camp pro-palestinien en 1980 ?) à mesure que le mouvement communiste (au niveau planétaire) reculait.

    On ne connaît que trop bien (hélas) la "puissance de feu" intellectuelle des sites soraloïdes, conspirationnistes à la Thierry Meyssan & co ou néo-gaullistes (sur l'"anti-impérialisme" gaulliste voir ici et ici...) dès lors qu'il est question de la Palestine sur le devant de l'actualité, sites souvent relayés en toute bonne foi par des progressistes sincères ; mais ceci est aussi la conséquence d'une "gauche" et d'une "extrême-gauche" INCAPABLES (par "universalisme" gauche-coloniale et "anticléricalisme des imbéciles" anti-musulman) d'avoir une position claire et nette et non dégoulinante de paternalisme sur le sujet en direction des masses populaires qui se sentent concernées, position que les antisémites et autres défenseurs de l'impérialisme français ou russe feignent alors d'assumer : il est tout simplement hallucinant que des informations relayées le plus tranquillement du monde par la presse bourgeoise anglo-saxonne ne se trouvent ici QUE sur ce genre de sites (ou des sites liés à l'islam politique), qui déforment bien sûr les choses "à leur sauce" dans un silence radio assourdissant du web progressiste et "révolutionnaire".

    Nous avons en tout cas là, du "côté" d'Israël comme de celui des Palestiniens (à l'exception des colonies intérieures que nous venons de voir, et encore, non sans passerelles), autant de dérivés de la même matrice idéologique bleu-blanc-rouge elle-même expression idéologique du règne des monopoles ; monopoles BBR dont l'intérêt dans l'absolu (et la position le plus souvent) est de ménager la chèvre et le chou au Proche-Orient tout en combattant vigoureusement "l'importation du conflit" en Hexagone - "importation" qui n'est pas dangereuse par rapport à ce qu'il se passe là-bas, mais par rapport aux questions et contradictions qu'elle risque de mettre à nu ici.

    201407161648-full.jpgLa question palestinienne en "France" fait d'autant plus de bruit qu'il est difficile d'y faire entendre la position internationaliste prolétarienne, celle du mouvement communiste lorsqu'il était fort : le sionisme est une création bourgeoise longtemps rejetée (d'ailleurs) par l'immense majorité du prolétariat juif organisé ; il est devenu à partir de la Première Guerre mondiale (déclaration Balfour) un instrument de l'impérialisme au Proche-Orient [2] et ce rôle s'est renforcé à mesure que, sous la pression des luttes de libération, l'impérialisme a dû accorder l'indépendance formelle aux pays arabes ; le résultat d'un siècle d'activité sioniste concrète est une situation coloniale de type apartheid où le colon (venu d'un peu partout, mais la composante européenne est dominante) et l'indigène (arabe palestinien) forment deux sociétés distinctes avec des droits distincts, ainsi que le "nettoyage" ethnique de près de 800.000 personnes entre 1947 et 1950 et encore 300.000 en 1967, desquelles descendent près de 5 millions de réfugiés entassés dans des camps (devenus de grands bidonvilles) dans tous les pays de la région ; et cela aucune personne s'affirmant communiste et/ou révolutionnaire ne peut l'accepter et une lutte révolutionnaire doit le balayer, ce qui débouchera sur une Palestine réunifiée dont tous les habitants de la Méditerranée au Jourdain seront égaux (en droit ce serait déjà bien et socialement, encore mieux !).

    Nous soutenons la lutte des Palestiniens pour leur dignité et leur libération parce que nous sommes des prolétaires, des personnes de classe populaire et que notre "bon sens" (cf. Gramsci) nous dit, tout simplement, que nous n'aimerions pas être ne serait-ce qu'une semaine à leur place ; et lorsque nous poussons la réflexion un peu plus loin, nous nous rendons compte que leur tragédie ressemble à celle de nos ancêtres (que l'on soit d'Hexagone, d'origine immigrée européenne ou d'outre-mer) tout simplement parce qu'elle consiste en le même phénomène très simple : une bourgeoisie capitaliste qui à l'aide de divers agents (fussent-ils eux aussi de pauvres bougres) se taille un territoire comme base d'accumulation dont elle exploitera les forces productives et/ou la force de travail humaine... Et les braves gens qui l'habitent, ce territoire donné, ils vont se faire foutre ; on les prive de tous leurs moyens de production et reproduction des conditions d'existence, on les réduit en esclavage ou on leur fait "suer le burnous", on les dégage, on les extermine ou un peu de tout cela dans des proportions variables. Selon qui nous sommes, on nous a affiche-22juin3.jpg"juste" transformés en pure force de travail productrice de plus-value et consommatrice de marchandise (pour réaliser ladite plus-value) et on a transformé nos pays en "provinces" (d'où nous sommes ensuite allés grossir les "banlieues" ouvrières) ; ou bien on nous a constatés "barbares" (pré-capitalistes) et épidermiquement trop foncés ce qui méritait bien l'esclavage ou quelque chose de similaire, faisant de nous des colonies ; ou alors on a carrément décrété que nous n'avions rien à faire sur la terre en question, vouée à l'agriculture et à l'industrie "civilisée", et que nous devions en débarrasser le plancher avec nos pieds ou six pieds sous terre (cas des "Indiens" d'Amérique, des "Aborigènes" d'Australie... et d'une bonne partie des Palestiniens). À l'arrivée, sous des formes variées qui font toute la subtilité de la chose, nous avons une société capitaliste dotée d'un État bourgeois. Il y en a (là où le processus est ancien) des monopolistes-impérialistes comme celle où nous vivons en Hexagone et (là où il est plus récent et impulsé de l'extérieur, de là où il était plus ancien) des "semi-coloniales semi-féodales" avec un capitalisme bureaucratique-comprador selon la terminologie maoïste ; mais la logique de base est la même : valorisation du capital par l'exploitation, et quelle que soit notre situation actuelle, à l'endroit du monde où nous nous trouvons et d'où que nous venions, elle en est le résultat. Nous réalisons cela et nous réalisons que derrière notre situation de prolétaires ("blancs" ou colonisés intérieurs) ici et la tragédie des Palestiniens là-bas (où l'on en exploite une partie mais on essaye carrément d'en faire dégager une autre pour mettre des "civilisés" à la place), il y a la même main : non pas "les Juifs" (puisqu'ici ils ont plutôt souffert du processus) mais LES MONOPOLES, le Grand Capital (qui utilise, là-bas, des Juifs comme force de frappe en effet).

    C'est en cela que "nous sommes tous des Palestiniens". Et c'est ainsi que nous prônons comme solution, ici comme là-bas, l'expropriation du Capital et la destruction de ses appareils politico-militaires appelés les États, et leur remplacement par la propriété collective des moyens de production, le bénéfice commun et égalitaire de la richesse produite et le Pouvoir du Peuple. Au demeurant, avec la fin de l'oppression coloniale contre les Palestiniens, le prolétariat israélien verrait disparaître le secret de son impuissance [3] - on peut d'ailleurs en dire autant du prolétariat d'Hexagone avec la Françafrique... Mais en attendant, ici, c'est de tout ce que porte ce "nous sommes tous des Palestiniens" que le gouvernement républicain bourgeois, monopoliste et impérialiste veut empêcher à tout prix l'irruption sur la scène publique (en particulier de ce que cela porte pour les colonisé-e-s intérieur-e-s) ; bien plus que d'une contestation de la politique israélienne qui, par définition, ne le concerne pas directement.

    2506917997Là-bas, sur le théâtre même des combats, les choses prennent une tournure assez particulière avec une espèce de fuite en avant ultra-nationaliste israélienne, principalement incarnée par le Likoud de Netanyahu et qui prétend se moquer voir se passer de l'appui des Occidentaux (en les envoyant paître), ce qui est évidemment suicidaire - mais une bourgeoisie aux abois a-t-elle encore conscience de ce qui est suicidaire ? Un tel courant a toujours existé : ce sont les éléments ("révisionnistes" de Jabotinsky et Birionim d'Ahiméir, Irgoun, Lehi, bref les ancêtres du Likoud...) qui dès les années 1930 et surtout après-guerre prônaient l'affrontement ouvert avec les Anglais (et assumaient parfois explicitement... leur admiration pour le fascisme italien et même le nazisme allemand !). Mais rien de décisif pour le projet sioniste n'avait jamais été obtenu par eux : c'est le sionisme "respectable", le sionisme "à la Barnavi" en quelque sorte, le sionisme de négociation avec l'impérialisme qui avait jusqu'à présent assuré l'existence de "l’État juif". Et pourtant, c'est ce sionisme "jusqu'au-boutiste" qui semble désormais (clairement) hégémonique en Israël... La société israélienne se polarise : les pacifistes se font tabasser par des hordes d'ultra-nationalistes portant les mêmes vêtements que les fascistes ici, des centaines de personnes vont "admirer" du haut d'une colline le massacre des Gazaouis par les missiles de Tsahal, une députée d'extrême-droite assume des propos génocidaires et le vieux militant anticolonialiste Michel Warschawski affirme avoir aujourd'hui peur pour la première fois depuis 45 ans. Mais dans le même temps, de plus en plus de jeunes refusent de servir dans l'armée et de participer à l'oppression des Palestiniens, ce qui était encore impensable (en tout cas très marginal) il y a encore 20 ou 30 ans - à l'époque, on s'acquittait de ses obligations militaires tout en cherchant à militer "de l'intérieur" pour une armée "morale". Cela leur vaut la prison et l'opprobre pour toute leur vie, voire l'exil (on en retrouve beaucoup, à travers le monde, autour de la culture musicale "transe") et pourtant ils et elles font ce choix. Tout cela s'appelle tout simplement l'explosion d'une société sous ses contradictions.

    manifestation-pro-israelienne-a-marseille.jpgQue feront les ultra-nationalistes si, malgré la pression de l'extrême-droite fondamentaliste chrétienne, l'impérialisme US se lasse d'eux ? Il existe peut-être autour du fasciste Avigdor Lieberman, allié de Netanyahu venu de Moldavie en 1978 et dont le parti Israël Beïtenou mobilise la très importante communauté venue d'ex-URSS, l'option d'un rapprochement avec la Russie. Beaucoup commencent à l'envisager, dans les pas de Lieberman qui en faisait déjà son cheval de bataille lors de la deuxième guerre de Tchétchénie, invoquant la "communauté d'intérêts" contre le "terrorisme islamique". Mais cela obligerait Moscou à un sérieux revirement géopolitique, après des décennies de soutien au nationalisme arabe "socialiste" puis à "l'axe chiite" Iran-Syrie-Hezbollah (+ Hamas jusqu'en 2011), sans être non plus inenvisageable si (par exemple) cet "axe chiite" devait s'effondrer sous l'offensive du djihadisme sunnite (dans lequel les Caucasiens, susceptibles de revenir ensuite frapper la Russie, sont nombreux).

    Mais tout cela concerne finalement peu l'Hexagone où la question palestinienne, pour y être d'une force passionnelle rare, existe plus en définitive par ses "projections" symboliques que par ses enjeux réels. De fait on peut pratiquement dire que le sionisme "fils de France" est mort en "Terre promise", ce que déplore même à demi-mots Alain Soral ("avec le sionisme comme projet de Herzl, j'aurais aucun problème") ; en revanche il vit toujours - de manière "fantôme" - en Hexagone, comme "centre" de toute approche politique du problème.

    drapeau-djihad-2

    [1] "Plus je vois la merde noire (corruption, intégrisme, généraux…) dans laquelle l’Algérie s’enfonce un peu plus chaque jour, plus je découvre en images que les seules choses qui tiennent encore debout là-bas (infrastructures, urbanisme…) sont celles que la France coloniale y a construites, et plus je me dis que leur seul espoir c’est qu’on y retourne." - "Abécédaire de la bêtise humaine", 2002

    [2] Et ce quels qu'aient été les idéaux généreux voire "socialistes" dont le sionisme a pu se parer à l'origine et le caractère ultra-opprimé des Juifs quittant l'Europe pour s'installer en "Terre promise" (toutes choses qu'aiment tant mettre en avant ses défenseurs "de gauche" voire "d'extrême-gauche") : de fait, il ne POUVAIT PAS DEVENIR AUTRE CHOSE que ce qu'il est devenu aujourd'hui. Car ce qui compte en dernière analyse, c'est le déséquilibre des forces productives entre l'arrivant et l'autochtone (raison pour laquelle d'ailleurs, n'en déplaise à l'argumentaire des Le Pen et Zemmour et consorts, l'immigration n'est PAS une "colonisation inversée") et non le caractère opprimé de l'arrivant dans son pays d'origine.

    Pour nous, Occitans, le fait que des opprimés partis vers une terre lointaine puissent s'y transformer en oppresseurs n'a rien de surréaliste puisque la communauté afrikaner d'Afrique du Sud REGORGE de descendants de huguenots occitans chassés par les persécutions de Louis XIV : le nazi Eugène Terre'Blanche (originaire de Provence), le docteur Malan (un fondateur et idéologue de l'apartheid) ou encore le "Docteur la Mort" Wouter Basson (le Mengele sud-africain...)... C'est sans états d'âme que leurs ancêtres, victimes d'une répression atroce dans leur pays natal pour avoir représenté (l'espace d'un siècle) un intolérable contre-pouvoir occitan face à l'État centralisateur parisien, se transformèrent une fois au pays des "Cafres" en colons impitoyables persuadés de leur "droit divin" (persuadés que la "Divine Providence" leur avait "offert" cette terre...). 

    L'on pourrait encore citer l'Australie où la plupart des colons massacreurs d'Aborigènes étaient des sous-prolétaires anglais, irlandais ou écossais déportés là-bas pour avoir enfreint les lois de leurs exploiteurs et (dans le cas des Irlandais, Écossais ou Gallois) de leurs occupants. Et c'est sans même parler du cas (peut-être) le plus sidérant et emblématique : celui des esclaves afro-descendants libérés aux États-Unis et "renvoyés" en Afrique pour y fonder le Libéria, un protectorat colonial (de fait) pour leurs anciens maîtres et tortionnaire, dédié notamment à l'extraction du caoutchouc et où ils formeront la caste dominante de cette "république" proclamée en 1847, privant les autochtones de tout droit civique...

    Dans la plupart des colonies "françaises", l'appareil de domination était très largement constitué d'agents issus des Peuples "provincialisés" et périphérisés de "métropole" (Occitans, Corses, Bretons, Basques etc.), presque aussi méprisés (lorsqu'ils "montaient" travailler à Paris) que les immigrés maghrébins ou africains aujourd'hui mais se transformant tout naturellement en "race supérieure civilisatrice" (pour reprendre les mots de Jules Ferry, d'ailleurs lui-même lorrain, Peuple annexé et "provincialisé" à la fin du 18e siècle) lorsqu'ils abordaient les rivages d'Algérie, du Gabon ou du Tonkin.

    L'on peut citer à ce titre l'(assez marxisant) historien belge Jacques R. Pauwels, parlant de l'Empire colonial de son pays : 

    "En acquérant des colonies, les pays pouvaient se débarrasser de leurs citoyens « gênants » : les classes inférieures qui, aux yeux de l’élite, étaient surpeuplées. Les gens trop pauvres, on pouvait s’en débarrasser en les envoyant dans les colonies.

    L’impérialisme était donc aussi une manière de résoudre les problèmes sociaux. Les pauvres pouvaient faire carrière dans ces colonies. De la sorte ils se muaient en patriotes, au lieu de rester des emmerdeurs. En les laissant intervenir de façon agressive dans les colonies, ils ne posaient plus le moindre problème dans la métropole.

    Il y avait par exemple pas mal de fils de fermiers sans travail, et ce du fait que l’agriculture devenait trop productive. Ces gars, on pouvait les envoyer au Congo comme missionnaires. On a expédié là-bas une vingtaine de missionnaires de chaque bled agricole flamand. On leur a collé un uniforme sur le dos et, dès lors, ils ont pu aller jouer au patron chez les Noirs."

    Tout simplement parce que le statut d'opprimé, de relégué, de périphérisé voire pratiquement... de colonisé (Irlandais) du colon dans son pays d'origine est inopérant (à de rares exceptions près) une fois arrivé dans le pays à coloniser : c'est le rapport de force découlant de la possession (ou de la capacité d'appropriation rapide) de forces productives qui détermine la constitution mentale en "race supérieure" et (par conséquent) celle de l'autochtone en "race inférieure" (tout ceci s'enrobant par la suite d'"argumentaire" tant religieux que "scientifique"). Les États "métropoles" puis les Empires capitalistes, en tant que bases d'extraction de plus-value, se sont ainsi construits et développés en cercles concentriques de périphéries autour des Centres du pouvoir bourgeois ; et tant que les masses n'ont pas compris cela, un "cercle" de périphérisation plus proche du Centre peut se montrer (en apparence) plus oppresseur vis-à-vis d'un cercle plus "lointain" que le Centre en question lui-même, qui s'abrite confortablement dans ses tours d'ivoire et délègue les basses besognes.

    [3] "L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l'Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L'Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande.
    Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente." - K. Marx dans une lettre à deux socialistes allemands émigrés aux États-Unis (1870)

     


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