• Amour et capitalisme

    C’est le printemps et, comme chacun et chacune le sait et le vit au quotidien, après des mois de grisaille hivernale, les sens s’éveillent : les températures clémentes favorisent la production, par l’organisme, de phérormones, l’’hormone du désir’ ; l’on met plus volontiers ‘le nez dehors’ et c’est le moment des rencontres… Mais les révolutionnaires ont-ils une position sur ce qu’il est convenu d’appeler le ‘désir’ et le ‘sentiment amoureux’ ? Ces pensées sont-elles ‘détachables’ de la réalité matérielle, de la vie sociale et de ses rapports/contradictions de classe ? Voyons les choses de plus près.

    Voici un article de Zones subversives [proche des (bons) camarades ‘marxistes libertaires’ d’AL Montpellier et repris sur leur site] sur l'amour. A-t-il toujours existé? Comment fonctionne-t-il sous le capitalisme?

    Cet article, pour ne pas être strictement de notre 'chapelle' politique (et se baser au demeurant, comme le souligne l'auteur, sur les travaux d'une sociologue petite-bourgeoise 'de gauche'), n'en expose pas moins bon nombre de vérités... pas toujours 'bonnes à dire' !

     

    eros-erosion--miss-ticLe thème de la souffrance amoureuse traverse la littérature. Pourtant, la réflexion politique et sociale sur ce problème de la vie quotidienne semble inexistante. La sociologue Eva Illouz se penche sur les mutations des relations amoureuses et sexuelles à l’ère de la modernité marchande. Elle insiste sur les aspects les plus récents. En revanche elle a tendance à éluder la répression sexuelle ainsi que les contraintes sociales qui perdurent malgré l’émergence de nouvelles formes d’aliénations. Les manuels de développement personnel ne sont pas plus émancipateurs que la morale religieuse.

     Une sociologie de l’amour moderne

    Eva Illouz évoque les différentes formes de souffrances. Trouver l’amour et les difficultés pour rencontrer une nouvelle personne alimente la souffrance, surtout avec la multiplication d’échecs. Lorsque la relation s’instaure, la souffrance prend « la forme de l’ennui, de l’angoisse ou de la colère, de disputes et de conflits douloureux, et aboutissent à la déconfiture, au doute sur soi-même, à la dépression engendrée par les ruptures ou les divorces », constate Eva Illouz. La psychologie insiste sur la responsabilité personnelle de chacun dans l’échec amoureux, considéré comme inévitable. Au contraire, « les vicissitudes et les malheurs de nos vies amoureuses sont le produit de nos institutions », souligne Eva Illouz. Les féministes estiment que la conception romantique de l’amour permet d’imposer une oppression patriarcale. Mais le féminisme postmoderne estime que le pouvoir devient le socle des relations humaines et amoureuses. Pourtant, l’amour renvoie également au désir et au plaisir, et pas uniquement au pouvoir. 

    La réflexion critique ne doit pas se limiter à la sphère économique et sociale. Les problèmes de la vie quotidienne doivent également faire l’objet d’une analyse. « Mon but est de traiter l’amour comme Marx traita des marchandises: il s’agira de montrer que l’amour est produit par des rapports sociaux concrets ; que l’amour circule sur un marché fait d’acteurs en situation de concurrence, et inégaux ; et de soutenir que certaines personnes disposent d’une plus grande capacité à définir les conditions dans lesquelles elles sont aimés que d’autres », présente Eva Illouz. 

    La sociologue montre bien l’analogie entre l’amour et la logique marchande dans la modernité néolibérale. L’émotionnel s’articule avec l’économique. En revanche, l’auteur occulte les normes morales qui évoluent mais perdurent. 

    Progressivement, le mariage avec une personne n’est plus une décision imposée, mais devient un choix individuel. Pourtant « cette forme culturelle occidentale de modernité a provoqué des formes de misère affective, de destructions sans précédents des univers de vie traditionnel », souligne Eva Illouz. 

    L’individu moderne semble tiraillé entre des injonctions contradictoires. L’institution du couple et du mariage s’opposent à l’amour romantique et passionné pourtant présenté comme un idéal. La colère, la frustration et la désillusion proviennent des ses contradictions sociales. Les expériences et les souffrances individuelles semblent en réalité collectives car liées aux normes et aux contraintes sociales.            

    L’évolution historique de la morale et de l’amour  

    L’amour n’est pas uniquement un sentiment désintéressé, irrépressible et passionné. Dans l’époque moderne, l’amour apparaît surtout comme un choix. Le partenaire est évalué et choisit selon des critères rationnels. Mais ce choix semble surtout déterminé par un environnement culturel et par les représentations dominantes. Les romans de Jane Austen permettent d’observer les déterminants du choix amoureux dans les sociétés du XIXème siècle. La conformité du partenaire avec ses propres valeurs morales prime sur le désir sexuel. La femme doit se soumettre à un code moral et à un contrôle patriarcal. L’amour semble alors lié à l’attachement et à l’habitude, et non pas à l’attirance instantanée. « L’amour n’est pas ici vécu comme une rupture ou un bouleversement dans la vie quotidienne. Il se développe plutôt avec le temps, l’intimité, la connaissance progressive et l’étroite fréquentation des familles de chacun, au quotidien », précise Eva Illouz. La dimension morale organise la vie affective. La séduction provient de la capacité à se conformer à des codes et à des normes. Cet aspect moral se traduit par l’intériorisation de valeurs mais surtout par des pratiques sociales. Le processus de séduction s’inscrit dans le cadre précis de la famille et du voisinage. Le jugement des proches et le contrôle de l’environnement social semblent déterminant. Des règles et des rituels sociaux encadrent la séduction. Les sentiments amoureux se conforment aux intérêts économiques et l’endogamie sociale doit être préservée. Le respect des promesses et l’engagement semblent déterminants. 

    Dans la modernité, le marché des rencontres devient dérégulé. L’amour est désencastré des codes sociaux pour devenir un choix individuel. Le sex-appeal codifie l’attractivité sexuelle. La séduction s’apparente alors à l’intériorisation d’un « ensemble de codes corporels, linguistiques et vestimentaires très consciemment manipulés et adaptés dans le but de susciter le désir sexuel de l’autre », résume Eva Illouz. L’amour se conforme à la logique consumériste. Le cinéma, les magazines, la publicité diffusent des normes érotiques. La jeunesse et la beauté façonnent l’imaginaire érotique de la société de consommation. En revanche, Eva Illouz exagère fortement la rupture de la modernité. La sociologue estime que le plaisir sexuel devient central. Mais, dans le monde réel, les valeurs morales et les contraintes sociales évoluent sans pour autant disparaître. Peu de femmes osent affirmer qu’elles aiment le plaisir sexuel. En revanche, la sociologue souligne à juste titre l’importance croissante de l’attrait physique dans le sentiment amoureux. Une standardisation du look caractérise la séduction. Le marché de la rencontre amoureuse semble désormais régi par la compétition. Mais la sociologue considère que la valorisation du plaisir sexuel dans les médias organise désormais la vie sociale. En réalité, ses représentations médiatiques alimentent la frustration. La misère sexuelle prime sur la jouissance dans la vie quotidienne. Mais l’amour s’apparente désormais à un grand marché rythmé par la concurrence. « La rencontre avec des partenaires potentiels est donc structurées dans et par un marché ouvert au sein duquel les gens se rencontrent et s’unissent en fonction de leur « goût », et rivalisent les uns avec les autres pour accéder aux partenaires les plus désirables », résume Eva Illouz. Une hiérarchie sexuelle se construit à partir de l’attrait physique et du capital érotique des individus. Des « capitalistes sexuels » tirent une fierté du grand nombre de leurs conquêtes. Le capital sexuel peut ensuite être réinvestit dans le champ professionnel puisqu’il révèle la bonne présentation de soi et la capacité à se mettre en valeur.    

    Le patriarcat et le marché amoureux  

    La liberté amoureuse se développe mais reste dans le cadre du patriarcat. La morale traditionnelle impose l’abstinence et le contrôle sexuel. L’engagement et le mariage déterminent la vie sociale. Les obligations familiales doivent être respectées. 

    Dans les sociétés traditionnelles, le nombre de conquêtes féminines reflète le statut social de l’homme. Dans la modernité, la multiplication des partenaires est une condition pour accéder à un statut social élevé. Ils expriment leur capacité à triompher de la concurrence sur le marché sexuel. « Les hommes affirment leur pouvoir social sur les femmes et sur d’autres hommes en exerçant une domination sexuelle sur de nombreuses femmes », explique Eva Illouz. 

    Les femmes restent attachées à une relation exclusive et monogame, conforme à la famille patriarcale. Les femmes subissent la contrainte normative et biologique de la grossesse. Les femmes doivent choisir des hommes plus âgés, plus cultivés et plus aisés pour se conformer à l’ordre social. Le marché de l’amour se rétrécit pour les femmes qui, de leur côté, deviennent plus cultivées et autonomes financièrement. Le choix d’hommes semble alors très limité. La phobie de l’engagement semble alors liée aux limites dans le choix amoureux. 

    Le désir sexuel se conforme à la logique marchande. La rareté devient plus attirante. Une femme distante et désintéressée devient alors plus attirante qu’une femme amoureuse. 

    Dans le choix amoureux, la rationalisation, l’évaluation, le calcul prime sur les sentiments et l’émotion. La  décision de l’engagement amoureux n’est plus intuitive mais repose sur un calcul rationnel. Cette évaluation diminue alors le désir de l’engagement par rapport au choix intuitif. 

    Pourtant, l’analyse d’Eva Illouz repose sur un postulat largement erroné. Pour la sociologue, les difficultés de l’engagement proviennent d’une abondance de partenaires amoureux. En réalité, la misère affective et sexuelle semble plus largement répandue que l’abondance. Les choix amoureux, pour la plupart des gens, ne sont pas aussi importants que le prétend la sociologue. Surtout, la phobie de l’engagement peut provenir d’une crainte légitime face à l’embrigadement du couple. Cette conception de l’amour semble sclérosée dans ce carcan de la monogamie. Mais l’attachement des hommes à une « sexualité de rencontres » n’est pas tant lié au désir et au plaisir. Au contraire, les hommes acceptent plus facilement les relations sexuelles car elles renforcent leur statut social de séducteur. Mais la phobie de l’engagement devient alors plus importante chez les hommes qui peuvent ainsi bénéficier d’une domination affective sur les femmes.                

    L’amour et la reconnaissance sociale  

    L’amour participe à une demande de reconnaissance. « L’amour romantique rehausse l’image de soi à travers le regard de l’autre », décrit Eva Illouz. L’amour permet d’affirmer sa singularité et sa propre valeur. Cette demande de reconnaissance fonde l’identité personnelle.

    Le désir de rencontre repose sur l’affirmation du moi. « Le fait de « se sentir bien avec soi-même » est devenu à la fois la cause et l’objectif de la rencontre amoureuse », explique Eva Illouz. L’assurance devient indispensable à la rencontre, et la rencontre renforce l’assurance. Les compliments ne correspondent pas à l’intensité de l’amour mais à une évaluation de la valeur sociale. Les femmes aiment les compliments pour obtenir une reconnaissance sociale. Selon le philosophe Axel Honneth, « l’image de soi […] dépend de la possibilité d’être continuellement validée par les autres ». La valeur sociale d’un individu s’établit à travers ses relations avec les autres. 
    Le désir « est évalué à l’aune de critères multiples et fluctuants, tels que l’attrait physique, l’alchimie émotionnelle, la « compatibilité » des goûts et le caractère », décrit Eva Illouz. Le choix amoureux ne correspond plus à des codes sociaux. La « désirabilité » dépende de choix subjectifs et individuels. L’amour devient plus incertain. « La conséquence est que les hommes et les femmes peuvent difficilement prédire s’ils attireront un partenaire potentiel et/ou entretiendront son désir », souligne Eva Illouz. La reconnaissance en amour n’est jamais acquise. Les différents signaux envoyés pour renforcer la valeur du moi sont souvent contradictoires. La « peur du rejet » explique souvent la timidité et menace l’édifice de la valeur personnelle. Contrairement au contexte des sociétés traditionnelles, la souffrance amoureuse ne renforce pas la valeur individuelle, mais affaiblit l’estime de soi. 

    Le modèle du couple et de l’engagement, valorisé par Eva Illouz, impose l’amour comme une relation de pouvoir. Un équilibre affectif doit être trouvé et la femme qui déclare son amour devient inférieure. Dans le cadre de la propriété sexuelle, les relations amoureuses sont régies par la logique du calcul économique. 

    L’amour de soi remplace prime sur l’amour des autres pour se conformer à la norme de l’autonomie. Le besoin de reconnaissance, notamment chez les femmes, est considéré comme lié à cet amour de soi. Les échecs amoureux ne sont pas considérés comme le résultat de logiques sociales, mais de défaillances psychologiques. 

    La sécurité, l’engagement et la ritualisation de la recherche du partenaire disparaissent dans la modernité. 

    L’amour face à la rationalité marchande  

    Le sociologue Max Weber oppose la rationalité moderne aux émotions. Pourtant, les deux ne s’opposent pas. Au contraire, la rationalité restructure nos émotions. Le désir amoureux n’est alors plus porté par la passion et l’érotisme.

    L’amour enchanté fait irruption dans le quotidien pour le bouleverser. Il est inexplicable, irrationnel et se produit dès la première rencontre. La spontanéité du désir prime sur le calcul et le savoir rationnel. Le désenchantement amoureux est détruit par l’action rationnelle, routinière et méthodique, qui prédomine dans la modernité. Toute forme d’intensité émotionnelle disparaît. L’abandon de soi et le ravissement sont remplacés par la science, le contractualisme et la technologie.

    La science et la psychologie contribuent à une rationalisation de l’amour. Le désir devient alors un sentiment excessif. « Le modèle de santé mentale qui pénétra massivement les relations intimes exigeait que l’amour soit aligné sur des définitions du bien être et du bonheur qui rejetaient en définitive la souffrance, et commandaient que l’on maximise ses intérêts », résume Eva Illouz. Ses intérêts personnels priment sur le désir de l’autre. La souffrance ne correspond plus à la norme émotionnelle. Les scientifiques vont même jusqu’à réduire l’amour à une chimie cérébrale. Selon Max Weber les explications scientifiques ne permettent pas de mieux comprendre le réel, La science semble même éloigner de l’expérience directement vécue. 

    Le féminisme impose une conception contractuelle et libérale de l’amour. « Parce que le féminisme, aux côtés de la psychologie clinique et de la culture de consommation, a été l’agent culturel le plus puissant de la formation et du changement des relations hommes/femmes, il peut et doit être analysé comme ses deux autres formations culturelles », explique Eva Illouz. Pour des féministes, le désir érotique doit être encadré par des règles procédurales neutres et par des normes dans le discours et la conduite. La symétrie doit primer sur la liberté de sentiment au nom des nouvelles normes d’un équilibre du pouvoir. Les féministes s’attachent à encadrer et réguler le désir sexuel selon ses nouvelles normes. Dans les règlements des universités et des entreprises, « le lieu de travail prévaut sur les relations érotiques » observe Eva Illouz. Le consentement est exigé à chaque étape, pour la moindre caresse. Les rencontres érotiques sont codifiées comme une décision politique. La spontanéité et le désir sont alors éradiqués. Les sentiments sont évalués, quantifiés et comparés. « La norme d’équité introduit de nouvelles manières d’évaluer, de mesurer et de comparer les actes de chaque membre du couple dans la vie quotidienne », souligne Eva Illouz. Même les émotions font l’objet de calculs mesquins. Cette logique rationnelle et contractuelle transforme alors la nature du désir.

    Internet impose une technologie du choix inspirée par la logique du marché. Les critères de sélection du partenaire se multiplient. La rationalisation prime sur l’émotion. « De tels critères ne sont pas seulement liés au statut social et à l’éducation, mais aussi à l’apparence physique, à la sexualité et, peut-être avant tout, au style émotionnel de l’autre », observe Eva Illouz. La psychologie impose que les deux personnes du couple partagent les mêmes goûts et le même mode de vie. Les sites de rencontres promettent des émotions amoureuses, mais à travers des méthodes rationnelles dans la sélection du partenaire. Un profil précis doit être définit. Le flux de rencontre doit être géré, car il est beaucoup plus important que dans la « vrai vie ». Les utilisateurs peuvent voir l’ensemble de leurs partenaires potentiels. Ses sites permettent donc de visualiser précisément l’offre et la demande. Une comparaison consciente est régie par des règles précises. Les partenaires potentiels deviennent mesurables, comparables, quantifiables. La compétition prime sur l’instinct. Le consumérisme permet de développer l’esprit de calcul et la maximisation des résultats devient un objectif. « Internet s’est de plus en plus organisé comme un marché, où il est possible de comparer les "valeurs" attachées aux personnes et d’opter pour la "meilleure affaire" » », résume Eva Illouz.

    Cette rationalisation de l’amour détruit l’érotisme, le désir sexuel et la passion amoureuse. Des normes comme « le procéduralisme, la réflexivité scientifique, le contractualisme et la rationalité consumériste ont interférés avec les modalités traditionnelles d’érotisation des relations hétérosexuelles », souligne Eva Illouz. L’expérience érotique et sexuelle devrait au contraire apparaitre comme une activité épanouissante avec des sensations très agréables. Le désir, le plaisir et la jouissance s’opposent à la froide logique rationnelle. L’amour, plutôt qu’un contrôle permanent, suppose un abandon au plaisir et à la sensualité.                       

    Un imaginaire amoureux atrophié

    2999666579 1 3 tizLkbLfAdorno observe que l’imagination devient un moteur du capitalisme, mais demeure cantonnée à une sphère délimitée. « La diffamation, ou plutôt la relégation de l’imagination dans un domaine spécialisé délimité par la division du travail, est un phénomène originaire de la régression de l’esprit bourgeois », souligne Adorno. Les imaginaires fabriqués par la culture de masse déterminent le désir amoureux.

    Dans le domaine de l’amour, l’imagination et la créativité peuvent permettre d’intensifier l’expérience vécue. Les médias diffusent une certaine conception de la vie et du bonheur personnel. La société de consommation impose des émotions et des fantasmes. Le capitalisme contrôle et oriente les désirs. Dans ce contexte, un nouvel imaginaire amoureux émerge. « L’imagination est donc une pratique sociale et culturelle qui constitue une partie significative de ce que nous appelons la subjectivité - le désir et l’acte de volonté. Elle façonne la vie émotionnelle et a un impact sur la perception qu’a le sujet de la vie quotidienne », souligne Eva Illouz. 

    Les médias et la fiction diffusent un imaginaire et des émotions auxquelles s’identifier. Cet imaginaire impose une certaine conception de l’amour. Selon Eva Illouz, « la forme narrative de nos émotions, et notamment de nos émotions amoureuses, est fournie par les histoires que diffusent les médias et la société de consommation ». L’amour, dans la modernité, se caractérise par une distance très forte entre la réalité et des attentes. L’imagination et les fantasmes alimentent alors la désillusion. 

    Cette déception provient de l’échec dans la vie quotidienne. Dans le couple la sécurité prime sur l’aventure et la passion. Le couple repose sur la rationalisation et sur la routinisation de la vie quotidienne. « Les vies familiales modernes sont prévisibles à l’extrême, et leur prévisibilité est agencée par un vaste ensemble d’institutions organisant la vie quotidienne : les livraisons à domiciles (nourriture, journaux, shopping sur catalogue) ; la télévision et ses programmes à heures fixes ; la sociabilité, pour l’essentiel planifiée à l’avance ; le loisir standardisé et les heures de repos », décrit Eva Illouz. 

    Les sites de rencontres sur internet diffusent un nouvel imaginaire. L’amour est associé au tchat et à la webcam. La relation affective se construit à distance, par écran interposé. « L’intimité n’est pas fondée sur l’expérience ou centrée sur le corps, mais découle d’un savoir psychologique et des modalités de la mise en relation avec l’autre », analyse Eva Illouz. L’intuition et les gestes du corps ne sont plus le moteur du désir. L’évaluation d’autrui repose sur une accumulation d’attributs. 

    Eva Illouz se contente d’une analyse, d’un constat certes éclairant, mais sans dessiner la moindre perspective révolutionnaire. Loin d’une libération sexuelle, la sociologue apparaît comme une social-démocrate de l’amour. Les relations affectives doivent être encadrées, régulées, pour éviter le moindre débordement affectif et sexuel. « L’une des principales thèses de ce livre est d’une grande simplicité : les hommes disposent aujourd’hui d’un choix sexuel et émotionnel bien plus grand que les femmes, et c’est-ce déséquilibre qui crée une domination affective », affirme Eva Illouz. Évidemment, dans la réalité, c’est le constat d’une généralisation de la misère affective et sexuelle qui s’impose. 

    La sociologue décrit bien les nouvelles règles de la séduction et la généralisation de l’évaluation marchande dans la sphère amoureuse. Elle souligne également le triomphe de la rationalité qui détruit toute forme de passion. Mais Eva Illouz s’enferme dans la défense de l’engagement amoureux et du couple bourgeois étriqué. Elle ne remet surtout pas en cause la répression sexuelle et la cause fondamentale du désastre amoureux : la propriété sexuelle à travers le couple.  Contre la grisaille marchande et la morale sexuelle, son constat devrait au contraire plaider en faveur d’une révolution poétique et orgastique.

    L'article nous montre bien, en substance, que ce que l'on peut appeler les 'relations sociales de séduction' sont en réalité un vaste MARCHÉ, régi par une LOI DE LA VALEUR, valeur dont les 'référentiels' varient, bien évidemment, selon les sociétés (époque, mode de production et 'stade' de celui-ci, culture sous-tendue) et, aussi... selon les classes sociales. L''Amour' comme notion abstraite, détachée de la réalité matérielle et du temps, n'a aucun début de commencement d'existence.

    L'on sait par exemple que la minceur féminine n'est un 'culte' que depuis quelques décennies, que le bronzage n'est devenu à la mode, dans les classes 'supérieures', que dans l'entre-deux-guerres (avant, c'était une marque des 'culs-terreux'), qu'un homme 'costaud' était il y a encore un siècle un critère dans le monde ouvrier et paysan, mais pas nécessairement dans le monde bourgeois où c'était l''élégance' vestimentaire qui primait (aujourd'hui, les deux critères ont tendance à être devenus interclassistes, mais sans la moindre 'logique' puisque le travail - condition de reproduction de l'existence - dans les sociétés occidentales est de moins en moins physique et le vestimentaire perd quant à lui, du coup, sa symbolique de classe) ; quant à ce qui est des critères 'non-physiques' (activités, talents, culture et 'conversation', etc.), ils ont, évidemment, énormément varié à travers les époques et varient, à une même époque, d'un pays à l'autre...

    Ce qui est certain, c'est que dans la société capitaliste pourrissante qui nous entoure, les relations humaines en général (pas seulement 'de séduction') tendent à devenir de plus en plus 'superficielles', 'intéressées', 'comptables' ; et que le processus révolutionnaire de négation du capitalisme par le communisme débouchera sur des rapports sociaux, y compris ceux-là, radicalement différents de ceux que nous connaissons aujourd'hui.

     


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