Nous avons vivement salué, en mars 2016, la création dans l’État turc d'un Mouvement Révolutionnaire Uni des Peuples (HBDH).
Nous sommes en effet d'avis que la lutte révolutionnaire, face aux urgences posées dans tous les pays par la crise générale du capitalisme, ne peut pas attendre pour être menée que tous les révolutionnaires qui veulent en finir avec le capitalisme et toutes ses oppressions (nationale, raciste, patriarcale) soient d'accord autour d'une direction idéologique unique ; et qu'il faut donc à un moment donné accepter le principe d'une "task force" conjointe, d'une plateforme d'action commune pluraliste ; à partir de quoi, la meilleure ligne idéologique (qui est selon nous le maoïsme) s'imposera d'elle-même devant le "tribunal de la pratique", les idées justes balayeront les idées fausses et il n'y a donc pas à craindre, si l'on croit à son idéologie comme nous y croyons, que la direction de cette ligne ne finisse pas par s'instaurer naturellement.
MAIS BIEN SÛR, il va de soi qu'une telle chose ne peut pas aller sans contradictions ; que la lutte idéologique existera toujours et ne cessera jamais, et qu'il DOIT en être ainsi ; qu'à un certain stade initial, les forces arrivées (pour diverses raisons) en position prépondérante dans le front d'action commune* et tendant à le considérer comme "leur" front peuvent imposer à celui-ci une ligne incorrecte qu'il est du devoir des maoïstes de critiquer ; et en l'occurrence, le HBDH ne compte en effet (en position très minoritaire) que deux forces réellement maoïstes, le MKP et le TKP/ML.
La contradiction, comme nous l'enseigne le maoïsme, est en effet la "vie", le cœur palpitant, le MOTEUR de la politique à travers laquelle les masses font l'Histoire.
Du coup, la contradiction a éclaté... jusqu'au sein même de l'une de ces forces, le TKP/ML...
Le texte qui suit, traduit par nos soins, est signé du Comité central de ce Parti ; et d'après nos informations, ne représenterait et n'engagerait pas la totalité des effectifs [d'après des infos fraîches et plutôt de première main, il semblerait toutefois s'agir d'une position plutôt majoritaire que l'inverse].
Il soulève néanmoins selon nous, au regard de la perspective politique adoptée par un certain nombre de forces révolutionnaires dans cette partie du monde secouée par une grande effervescence révolutionnaire, des questions très intéressantes qui méritent de l'être.
Au sujet de la position adoptée au regard du Mouvement Révolutionnaire Uni des Peuples ; à l'attention des organisations et Partis internationaux frères et amis.
Le 24 mars 2016, le Bureau international (BI) de notre Parti publiait une déclaration intitulée "Aux organisations et Partis internationaux frères et amis". Cette déclaration portait sur le Mouvement Révolutionnaire Uni des Peuples (HBDH – Halkların Birleşik Devrim Hareketi), dont la création venait d'être annoncée le 12 mars 2016. Notre Parti étant au nombre des signataires de cette nouvelle structure, le BI avait l'obligation d'accomplir cette tâche.
À la suite de l'annonce publique de la création de cette structure, et que nous étions l'un des Partis la composant, notre Parti s'est trouvé face à une série de tâches consistant à en comprendre correctement le caractère et le contenu. Nous voulons spécifier ici que notre participation à cette structure est le résultat d'un acte décisionnel qui a outrepassé l'autorité de notre organisation.
Lorsque notre Parti a réalisé pleinement le contenu du programme et de la déclaration fondatrice du HBDH, une discussion interne a été initiée. Cette discussion a porté sur divers points incluant l'outrepassement de l'autorité organisationnelle et le programme de la nouvelle formation. Comme vous pourrez le voir dans la déclaration qui va suivre, une grande partie du programme et de la déclaration fondatrice du HBDH n'est pas en accord avec les options programmatiques, les principes fondamentaux et la ligne politique de notre Parti.
Selon nous, le caractère de cette structure excède celui d'une coordination d'action conjointe. Au regard de la globalité de son programme, de ses objectifs et buts, elle revêt le caractère d'une organisation de type front.
Notre Parti a discuté de cette question de façon globale, et a finalement pris la résolution qu'il serait inapproprié de faire partie de cette structure au regard tant de nos procédures organisationnelles que de nos principes partidaires. Les procédures et les règles de notre Parti n'autorisent pas la direction à assumer l'autorité de rejoindre une telle formation ; les mêmes documents fondamentaux restreignent même l'autorité des conférences pour accepter les principes et objectifs d'une telle formation ; de telles actions sont expressément prohibées.
La discussion interne que nous avons menée a réitéré ces principes une fois de plus. Sur le plan programmatique, beaucoup de points théoriques et politiques ne sont pas en accord avec notre Parti.
Par voie de conséquence, notre Parti a pris la décision de se retirer du HBDH, et de maintenir ses relations avec cette structure et de participer à des actions conjointes avec elle sans en signer le programme.
Lorsque le BI du Parti a rendu publique la précédente déclaration, il n'a fait qu'agir en responsabilité et remplir une de ses tâches courantes. Cette déclaration précédait, évidemment, les discussions internes que nous avons menées depuis. La déclaration qui va suivre ci-après, rectifie la situation et vous fait également part des positions du Parti au regard de ses relations avec le HBDH et de son opinion sur ladite structure.
AU PUBLIC ET ORGANISATIONS ET PARTIS INTERNATIONAUX FRÈRES ET AMIS :
Le 12 mars 2016, la création d'une structure intitulée Mouvement Révolutionnaire Uni des Peuples (HBDH – Halkların Birleşik Devrim Hareketi) était annoncée. [Explication comme quoi un représentant du Parti dans les discussions constitutives a pris l'initiative d'apposer sa signature sous le programme et la déclaration fondatrice du HBDH, dans des conditions qu'il est inutile d'exposer ici car tout le monde les connaît, rendant difficile la communication avec les plus hautes instances de direction et donc une validation préalable de cette décision.]
Depuis lors, faire partie du HBDH, qui a été constitué avec des intentions et des préoccupations révolutionnaires indubitables, a été un sujet de controverse sur le plan idéologique, politique et des principes à l'intérieur du Parti. Le programme du HBDH, sa déclaration fondatrice, ses buts et objectifs, et son fonctionnement organisationnel ont été discutés durant une période considérablement longue à l'intérieur de notre Parti ; pour finalement adopter une position définitive au regard de cette structure. Nous allons ici expliquer sommairement et dans les grandes lignes notre réalité, les positions de notre Parti, notre évaluation du HBDH et les relations que nous souhaitons entretenir avec lui.
Notre Parti en est venu à la conclusion que faire partie du HBDH et être signataire de son programme est inapproprié au regard de ses principes fondamentaux, et de ses perspectives programmatiques qui ne peuvent être modifiées qu'au travers d'une résolution adoptée en congrès. À cet égard, notre Parti le TKP/ML déclare donc en premier lieu à l'attention de nos amis politiques, comme du public que nous ne faisons plus partie intégrante du HBDH.
Les bases sur lesquelles nous ne souhaitons plus participer sont les suivantes :
1. Au regard de son fonctionnement, de ses buts et de ses objectifs programmatiques, le HBDH est une organisation de type "front". Il a des assertions, au regard de ses buts et de son style de travail, qui excèdent le cadre d'une simple action conjointe dans laquelle des organisations politiques différentes convergeraient. À ce stade, la question d'un Front populaire uni est une question de principe pour notre Parti. Les conditions de formation d'un tel Front, que nous considérons comme une des trois principales armes du peuple et de la révolution populaire démocratique, sont claires dans le programme de notre Parti comme dans le marxisme-léninisme-maoïsme (MLM) qui est la théorie qui nous guide : notre Parti n'envisage une telle structure que sous sa direction politique et idéologique. Parmi les conditions nécessaires à la formation d'une telle structure, notre Parti doit avoir atteint un certain niveau de direction politique, idéologique et organisationnelle concrète [sur les luttes] et la structure doit être en ligne avec l'objectif de la révolution populaire démocratique et les intérêts de classe du prolétariat. Dans le contexte actuel, ces conditions sont inexistantes.
2. Le programme du HBDH a élargi la définition de la révolution dans un pays, qui est une des conceptions essentielles de notre Parti. Notre Parti vise la révolution dans notre pays comme tâche immédiate et primordiale. C'est un principe fondamental. Le HBDH, lui, définit sa mission comme faire partie d'une grande révolution générale dans toute la région du Proche-Orient. Une telle définition est contraire à notre compréhension de la révolution en accord avec le MLM, qui envisage de développer les perspectives révolutionnaires conformément aux conditions spécifiques de chaque pays. Nous comprenons le véritable internationalisme comme chaque pays menant à bien sa propre révolution. Apporter un soutien militaire et politique, logistique et organisationnel actif à des révolutions qui peuvent émerger dans les autres pays de notre région du monde, est une autre tâche. De notre point de vue, les révolutions doivent être spécifiquement fomentées dans chaque pays, et tenter d'unifier ces différentes révolutions dans un seul programme révolutionnaire commun est foncièrement incompatible avec la réalité. Nous pensons qu'une telle approche dérive du trotskysme, et fait obstacle au développement des révolutions dans chaque pays. Nous sommes sans l'ombre d'un doute tenus par le principe d'analyse concrète des conditions concrètes, tel que posé par le MLM. Une révolution régionale ne peut être une perspective que sur la base de cette analyse concrète des conditions concrètes. N'observant pas concrètement ce phénomène à l'instant où nous parlons, de notre point de vue cet aspect du programme du HBDH représente une déviation et contrevient à notre idéologie et à nos principes.
3. Le programme du HBDH présente une approche et une solution à la question nationale kurde. Au-delà de son caractère désordonné et éclectique, en substance, l'aspect sous-jacent du programme sur ce point est une mise en avant de l'autonomie démocratique. Comme nous le savons bien, l'autonomie démocratique est un substitut réformiste au principe léniniste du droit à l'autodétermination nationale. Bien que nous puissions considérer l'autonomie démocratique comme un programme démocratique et progressiste pour la question nationale kurde, de notre point de vue la solution à cette question nationale ne peut être que l'autodétermination sur la base d'une pleine égalité des droits. Telle est notre position de principe en la matière. Nous pensons que toute autre solution n'est pas en mesure d'apporter une liberté totale à la Nation kurde et échouera à assurer l'égalité des nations, risquant au contraire de préserver les privilèges de la nation dominante, ce que nous ne pouvons accepter. Dans ce contexte, nous considérons essentiel de pouvoir maintenir une position critique et une lutte idéologique contre l'autonomie démocratique comme alternative au droit à l'autodétermination nationale, bien que nous puissions reconnaître et soutenir son contenu démocratique. L'approche programmatique du HBDH est donc inacceptable pour nous sur le plan des principes. Elle n'est pas compatible avec l'idéologie prolétarienne que nous représentons : c'est une contradiction. Nous disons oui à l'action conjointe pour toute lutte pour les droits démocratiques, au-delà de nos différences, mais nous ne pouvons cependant accepter une coopération autour de l'axe d'un tel programme.
4. Au regard de la définition de la révolution, nous avons une différence idéologique essentielle. Nous pensons que définir chaque révolution selon son caractère politique est incontournable. Nous pensons que des définitions imprécises telles que "Révolution de Rojava", "Révolution du Printemps arabe" ou "Révolution moyen-orientale" sont inappropriées. La révolution dite "de Rojava" représente un certain degré de révolution. Toutefois, nous avons défini ce processus comme une lutte de libération nationale [Note SLP : donc interclassiste, et donc soumise à l'impératif de ne pas servir l'oppression des peuples voisins, qui subissent eux aussi la domination impérialiste]. Nous devons aussi attirer l'attention sur le fait que c'est un processus loin d'être achevé. Nous estimons qu'une tentative révolutionnaire de libération nationale est à l'œuvre, et nous avons été d'ardents soutiens de celle-ci. Cependant, nous ne sommes pas d'accord pour élaborer un programme commun autour d'une lutte révolutionnaire sans en avoir déterminé l'essence, le caractère et le contenu de classe. Le HBDH a quant à lui assumé une telle tâche. Sur cette base, nous estimons que le HBDH est de nature à nous éloigner de notre définition de la révolution populaire démocratique et de sa direction. C'est là une question de principe programmatique. C'est par conséquent inacceptable.
5. La déclaration fondatrice du HBDH contient aussi une assertion quant à un processus qui évoluerait vers une "guerre mondiale totale". Nous persistons à affirmer pour notre part qu'il s'agit d'un processus révolutionnaire. Nous ne voyons pas la "guerre mondiale totale" comme une évaluation politique correcte de la situation dans le contexte où nous nous trouvons. Une telle évaluation devrait exiger de revoir toute la direction générale, la politique d'alliances et la stratégie militaire, ainsi que les plus basiques slogans et objectifs. Nous ne voyons pas une telle reconfiguration comme appropriée au regard des circonstances. C'est donc une assertion problématique.
6. Le programme du HBDH contient aussi une très problématique analyse du fascisme. Le programme et la déclaration semblent en effet réduire le fascisme à l'actuel gouvernement Erdogan en place, ce qui revient à occulter son caractère de forme étatique. Notre Parti considère l'État turc comme fasciste depuis la création de la république (1923). Nous considérons les gouvernements comme de simples instruments sous l'autorité de l'appareil d'État. Dans ce contexte, une analyse du fascisme réduisant celui-ci à l'AKP ne fait qu'occulter la réelle nature de l'État. De telles simplifications visent sans doute à focaliser la propagande sur une cible bien spécifique. Cependant, nous percevons dans l'analyse du fascisme du programme du HBDH une confusion qui va bien au-delà. Ceci peut conduire à rendre la compréhension des contradictions politiques et sociales émergentes plus difficile, et ouvrir la voie à des erreurs politiques affectant la politique d'alliances. Cette confusion peut affaiblir la lutte stratégique contre les partis fascistes qui s'opposent à l'AKP, et déboucher sur des approches très problématiques à cet égard [on peut penser ici à des perspectives de renversement d'Erdogan qui ne feraient que ramener le fascisme kémaliste "de gauche" tel qu'il régnait avant son accession au pouvoir... kaypakkaya-kemalisme.pdf]. Elle peut conduire à une vision abstraite des alliances stratégiques et tactiques. Notre Parti ne doit pas participer à une telle confusion. Nous considérons cette question comme essentielle pour diriger la classe ouvrière et les couches sociales opprimées vers les cibles politiques correctes, éveiller leur vigilance, conquérir l'avenir et donner confiance au peuple, et saisir la réalité le plus parfaitement possible. Nous ne devons jamais préférer des succès tactiques momentanés qui pourraient aveugler la conscience populaire sur les objectifs stratégiques, aux objectifs stratégiques en question. Nous voyons cette analyse confuse, imprécise et erronée du HBDH sur le fascisme dans notre pays, comme inappropriée. Nous estimons qu'avec une telle approche, attaquer le fascisme comme système politique est impossible, et que cela risque de renforcer les tendances réformistes et les "solutions" intra-système. Une telle éducation politique prodiguée aux larges masses, ne peut que les désarmer politiquement et affaiblir leur conscience révolutionnaire.
Voilà quels sont nos points essentiels d'objection au programme du HBDH sur la base de nos principes et de notre programme. Parallèlement, nous avons un certain nombre d'autres critiques mais celles-ci sont l'objet d'une plus vaste mais non-essentielle discussion de principe. Nous voulons surtout mettre en avant et nous attaquer aux contradictions qui se situent à un niveau programmatique, c'est dans ce cadre que se situent nos principales objections.
Nous voulons insister sur le fait que nous considérons le HBDH comme un important et très proche allié, qui agit sur une base révolutionnaire. Nous proposons de mener avec lui une puissante et efficace action conjointe, et accordons la plus grande importance à nous trouver à ses côtés sur tous les terrains de lutte sans pour autant signer son programme. Ne pas participer au HBDH n'est en aucun cas un obstacle pour des actions conjointes avec cette structure, dès lors que ces actions ne contreviennent pas à nos principes et ne portent pas atteinte à notre ligne politique. Nous devons avec la plus grande attention ne rien faire qui puisse empêcher de lutter conjointement avec nos amis contre les attaques fascistes, dans la lutte nationale démocratique de la Nation kurde, face aux problèmes subis par toutes les couches opprimées de la société, et dans la lutte de libération nationale en Rojava. Nous accordons la plus grande importance à la création de conditions favorables à ces actions conjointes contre nos ennemis sur le plan politique, militaire et démocratique. Toutes nos sections doivent regarder le HBDH comme notre plus proche allié et s'efforcer d'unifier les actions et les luttes pratiques, et dans ce contexte établir des relations stables et inébranlables. Partant du principe d'un effort similaire de leur part, nous croyons fermement que ces actions conjointes pourront affaiblir l'ennemi et renforcer nos rangs vers un niveau supérieur de part et d'autre. Nous espérons réussir à mener le plus tenace, décisif et victorieux processus pour élever la lutte à un niveau supérieur, vaincre le fascisme et élargir le domaine de la lutte révolutionnaire démocratique.
Salutations révolutionnaires.
Septembre 2016 - TKP/ML
[* Concrètement, et de manière un peu violente et en spécifiant donc bien que cette analyse n'est EN RIEN celle du TKP/ML et n'engage que nous : le HBDH est un prolongement du Bataillon International de Libération (IFB) qui s'est constitué sur le front de Rojava dans le sillage de la bataille de Kobané (fin 2014, début 2015). Constitué, essentiellement, à l'initiative du MLKP. Le MLKP qui est membre de l'ICOR, dont le parti membre fondateur et dirigeant est le MLPD.
Le MLPD qui est un parti allemand fondamentalement aristocrate-ouvrier (comparé parfois à LO ici, bien que "stalinien" et non trotskyste, et peut-être un peu plus ouvert au postmodernisme aussi). L'aristocratie ouvrière... ou la "gobeuse" des miettes de surprofits que redistribue l'impérialisme.
L'impérialisme allemand, européen, occidental... qui est fondamentalement intéressé par le repartage du Proche-Orient actuellement en cours ; et qui semble surfer avec de plus en plus de plaisir sur la bonne image médiatique que confère la lutte kurde, et plus largement la lutte "progressiste" anti-djihadiste, anti-Erdogan, anti-Assad "mais pas trop", anti-"islamofasciste" tout en alignant contre Israël des déclarations aussi lénifiantes qu'une résolution de l'ONU ou une punchline de Jimmy Carter, etc.
C'est sans aucun doute, selon nous, cette "cascade" d'influences imperceptibles et non-conscientes qui produit ces problèmes idéologiques lourds détectés par les camarades auteurs de la déclaration. Voilà, en toute violence et bousculement des "zones de confort", comment nous analyserions la situation...
Et puis bien sûr, LA force numériquement hégémonique et qui impose fortement sa ligne idéologique dans le Mouvement est évidemment le PKK, au sujet duquel nous pouvons vous inviter à relire le petit "dossier" publié ces dernières semaines dans nos colonnes :
http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/dossier-kurde-c-est-toujours-rigolo-a132618814
http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/pour-terminer-sur-le-dossier-kurde-a132670082
[Puisque cela nous a été demandé, explicitons les choses et notre point de vue dessus point par point :
Point 1 - Question du front : c'est le point que l'on peut effectivement, à première vue, trouver un peu "dogmato"/"sectos". Mais si nous sommes personnellement très favorables à la collaboration coordonnée de forces révolutionnaires d'idéologies différentes pour affronter l'ennemi commun, il est bien évident, de BON SENS, que le programme doit consister en des tâches et des "cibles" bien précises et ne pas aller sur des théorisations qui vont piétiner les principes fondamentaux de l'une de ces forces, montrer ouvertement l'hégémonie idéologique d'une ou plusieurs autres, sans quoi celle-ci ne va jamais l'accepter et c'est normal aussi. Cela fait partie de la lutte idéologique, moteur de la politique révolutionnaire. L'idée, comme nous l'avons dit, est que dans ce front d'action coordonnée s'imposent petit à petit les conceptions les plus justes. Que ces conceptions soient celles du TKP/ML ou pas, une chose est sûre, c'est qu'elles ne risquent pas de s'imposer s'ils les gardent pour eux ! Il est donc normal qu'ils affirment leurs désaccords, et en tirent éventuellement les conséquences en retirant leur signature au bas d'un programme qu'il n'y a d'autre choix que de signer ou pas.
Point 2 - "Révolution régionale" : oui, c'est vrai que la région est faite de frontières artificielles tracées après la Première Guerre mondiale. Nous avons déjà abordé de nombreuses fois ici la question du système Sykes-Picot qui modèle le Proche et Moyen Orient depuis cette époque. Il y a des Kurdes, donc, dans l’État turc comme en Syrie et en Irak, parfois très proches, les mêmes clans voire les mêmes familles coupées en deux ; il y a aussi des Turcs (dits "Turkmènes") en Syrie et en Irak, dont il est naturel que ceux de Turquie se sentent proches ; et inversement des Arabes du côté turc de la frontière... On est d'accord. Mais le problème de cette idée de révolution régionale, c'est de prôner une révolution dans toute la région du Proche Orient sur la base d'enjeux turco-turcs ou turco-kurdes de Turquie ; alors que les enjeux et les problématiques dans les pays arabes peuvent être très différents. Ne jouons pas sur les mots, et ne faisons pas semblant de ne pas comprendre que par "un"/"chaque pays" il faut bien sûr entendre un/chaque ÉTAT : un même État comme mainmise géographique d'un même quartier général réactionnaire bourgeois et donc comme "front" particulier de la guerre révolutionnaire mondiale, avec ses problématiques qui lui sont bien propres (y compris, en effet, des oppressions nationales...) et qui ne sont pas transposables telles quelles aux autres États/"fronts" même voisins, même lorsque les mêmes nationalités opprimées s'y retrouvent. Qu'Erdogan fasse de l'expansionnisme en Syrie ne justifie pas de projeter la Guerre populaire de Turquie et Bakur (Kurdistan du Nord) dans le conflit de ce pays, qui a ses propres dynamiques sociales. L'on pourrait même dire que la prépondérance du PKK dans l'affaire pourrait conduire à ce que cette "révolution régionale" soit (mal) perçue, peut-être à tort mais non sans raisons, comme un "expansionnisme révolutionnaire" kurde, comme des "missionnaires armés" (comme disait ce bon vieux Robespierre...) par les autres populations (en même temps, si elles ont le malheur de lire ce que Öcalan dit d'elles... ça pourrait se comprendre !).
Point 3 - Question kurde : c'est une question très importante et, de fait, l'évolution et le renoncement politique majeur du PKK depuis l'arrestation d'Öcalan en 1999. Ce n'est pas "jouer sur les mots". Le principe du droit à l'autodétermination est un principe fondamental du léninisme (donc du maoïsme) et il faut dire les choses clairement, et ne pas se raconter d'histoires : le TKP/ML a été le PREMIER Parti communiste de Turquie à reconnaître sans ambigüité les Kurdes comme une nationalité opprimée et à affirmer par conséquent leur droit à l'autodétermination (ce face à quoi, dans les années 1980 et 1990, l'attitude du PKK a été... de les chasser par le plomb de "ses" terres kurdes au nom du refus de l'"ingérence" et du "chauvinisme" turc "même rouge", s'abritant derrière le bouclier "question nationale" de la critique politique de ses positions - déjà - révisionnistes). Les autres forces du HBDH (ou leurs prédécesseuses) étaient LOIN d'avoir une position aussi claire lors de leur création. Mais il faut croire qu'avec l'abandon par le PKK du principe léniniste d'autodétermination au profit d'un autonomisme censé "démocratiser" puis "dissoudre" l’État turc, cela a bien changé... Comme c'est étrange !!
Point 4 - Définition de la révolution et du processus de Rojava : nous serions limite allés encore plus loin, pour dire que Rojava présente certes des caractères éminemment progressistes, en plus d'un caractère d'autodéfense populaire absolument légitime et à défendre ; mais présente aussi des limites qui ne permettent pas de qualifier les choses de révolution au sens marxiste, léniniste et encore moins maoïste bien sûr (ce serait un peu comme qualifier de révolutionnaires les républiques du Donbass, si l'on veut...) ; ce qui dans le texte du TKP/ML n'est pas tout à fait clair ("certain degré de révolution" etc.). Déjà, on pourrait commencer par un coup de pied dans l'utopie anarchiste projetée sur les évènements : Rojava, aujourd'hui Fédération de Syrie du Nord, est une entité née de l'effondrement de l’État syrien dans la région (du fait de la guerre civile)... et consistant à reconstruire un État ; et en aucun cas, donc, la "destruction" d'un État par des révolutionnaires "anti". Ensuite, on pourrait presque dire que la principale limite de cette "révolution" est son caractère cosmétique ; la première "révolution", quelque part, conçue pour être "vendue" sur les médias online et les réseaux sociaux. Au premier abord, tout est formidable : libération des femmes, respect des minorités et rejet des logiques d'affrontement ethnique ou confessionnel qui ensanglantent la région depuis plus d'un siècle, développement d'une économie coopérative et autogérée, démocratie participative... Mais SUR LE FOND ? La région est ce que les maoïstes qualifient de semi-coloniale (dominée par l'impérialisme) et semi-féodale (aux mains, en clair, d'oligarchies et de forces réactionnaires locales ; une concentration particulièrement oligarchique, frisant parfois le droit de vie ou de mort, du pouvoir politique et économique ; et des rapports sociaux, des contradictions au sein du peuple qui n'ont pas la même forme qu'ici, mais la forme qu'ils avaient ici il y a 200 ou 300 ans, du fait que l'impérialisme a "bloqué" toute évolution démocratique endogène de la société). Quid alors de l'impérialisme ? Sans commentaires... Non seulement la collaboration va loin, très loin, jusqu'à l'installation de bases militaires qui pourraient devenir permanentes, faisant de fait (et de plus en plus) de la Fédération du Nord la "part" occidentale du gâteau syrien à l'issue du conflit de repartage de cet espace géographique ; mais si encore il y avait une ligne idéologique en béton armé comme lorsque le PC chinois de Mao recevait une certaine aide impérialiste contre le Japon ("la politique commande au fusil" : c'est l'indépendance IDÉOLOGIQUE qui garantit l'indépendance dans les faits vis-à-vis de l'impérialisme)... Mais non : l'idéologie confédéraliste démocratique est, soyons réalistes, inapte à conserver son indépendance vis-à-vis d'un tel soutien ; il suffit de lire Öcalan à ce sujet, ou (plus rapide et moins indigeste) la critique qu'en a fait l'OCML-VP. Et quid de la lutte anti-(semi)-féodale ? Idem... dans la mesure où tout est censé être "solutionné" dès lors que la minorité de grands possédants, grands propriétaires terriens, chefs claniques et autres potentats participe "comme tout le monde" au régime d'assemblée démocratique sur le principe une personne = un vote, en position (donc) minoritaire. Non mais LOL ! Il semble donc impossible, d'un point de vue marxiste et a fortiori maoïste, de qualifier Rojava de révolution ni nationale (anti-impérialiste sur une ligne en acier à ce sujet) ni démocratique (détruisant le pouvoir des "grands", des potentats "féodaux"... en s'attaquant à la base économique, patrimoniale de ce pouvoir ; et non simplement en les "minorisant" dans des assemblées participatives !!).
Point 5 - "Guerre mondiale totale" : c'est le plus court, le moins approfondi, et pourtant de notre point de vue le plus important de tous les points abordés. Qualifier la situation de "guerre mondiale totale", en référence bien sûr à la Deuxième Guerre mondiale, est ce qui permet de justifier la collaboration "tactique" avec l'impérialisme "démocratique" contre le fascisme (pour le HBDH : l'"axe" Erdogan-Daesh). Si par contre on qualifie la situation de "révolutionnaire en développement", ce genre de collaboration n'est pas envisageable. C'est absolument fondamental pour comprendre tout le reste, et toute notre critique des développements politiques là-bas et notre impression que les choses vont dans un terrible mur.
Point 6 - Fascisme réduit à Erdogan : c'est une question que nous avons déjà maintes fois abordée dans ce blog (lire aussi ici : Qu'est-ce que l'AKP ?), et notre entre-crochet en rouge dans le texte explicite à notre avis suffisamment bien le problème. Cela rejoint de toute façon le point précédent : Erdogan-qui-soutient-Daesh est le "Hitler" de cette "guerre mondiale totale" censée justifier toutes les alliances, et de là (potentiellement) toutes les liquidations. Et si en 2019 il devait perdre le pouvoir face à l'ultra-fasciste Meral Akşener (lire cette bonne présentation ici), à la tête d'un "mix" de toutes les forces opposées à lui ("bunker" kémaliste "de gauche" CHP ; ex-Mère Patrie et Juste Voie dont il avait "siphonné" l'électorat, mais celui-ci pourrait bien revenir en partie vers Akşener ; MHP "Loups Gris" ultra-fascistes, bien que ceux-ci aient un peu fait mine de le soutenir ces dernières années), qu'en serait-il, de quoi s'agirait-il ? De la "Libération" ? Il ne manquerait plus que, forte de son autorité sur les "faucons" nationalistes et kémalistes, Akşener parvienne à un "accord" sur la question kurde (par exemple avec les réformistes du HDP, en leur rendant la gestion des municipalités du Bakur - celles gagnées en 2014 étant actuellement toutes ou presque sous tutelle) pour que d'aucuns soient tentés de se poser la question, vous verrez !]
On pourrait dire aussi, puisque la comparaison chinoise est appréciée par certains, que dégager le Nord de la Syrie des griffes de ce qui était en dernière analyse des seigneurs de guerre, et reconstruire un État qui s'était effondré, correspond plutôt à la période du 1er Front uni en Chine (1924-27) ; et que désormais les communistes authentiques, les maoïstes, doivent savoir rompre ce front avec les nationalistes bourgeois de plus en plus clairement pro-impérialistes ; le refus de cette rupture, sous la considération que le processus politique en cours en Rojava serait soi-disant une "révolution nationale démocratique", constituant un opportunisme politiquement dangereux.