• Sur Zeev Sternhell et sa théorie du fascisme "anti-Lumières"


    Nous reproduisons ici un article de François Delpla, historien indiscutablement progressiste (normalien à la rue d'Ulm en 1968, il a sans doute croisé plus d'un mao voire en a carrément été, puis il a participé en 1998 au Livre noir du capitalisme - l'anti-torchon-de-Courtois - et contribue actuellement à Mediapart) qui critique de manière intéressante (bien que limitée) la thèse du fameux Zeev Sternhell, cet historien israélien porté aux nues par certains "maoïstes", comme quoi le fascisme serait d'abord et avant tout un "mouvement de rejet des Lumières".

    Rappelons - car il faut le rappeler - que bien que "de gauche" et "du camp de la paix", Sternhell est d'abord et avant tout un sioniste pour qui il est absolument fondamental de "démontrer" cette "centralité anti-Lumières" du phénomène fasciste : d'abord parce qu'elle est synonyme, pour lui, de "centralité anti-juive" et apporte donc une caution "antifasciste" à la thèse de la "haine éternelle contre le Peuple juif" qui fonde son idéologie ; ensuite parce qu'elle permet, encore une fois, de "dissocier" le fascisme du CAPITALISME dont il est pourtant le pur produit (et dont les Lumières ont été au 18e siècle l'idéologie du triomphe), autrement dit de l'exclure du centre légitime des idéologies occidentales dans lequel il s'inscrit pourtant totalement. Le fascisme doit donc À TOUT PRIX être présenté comme un phénomène extérieur qui "prend d'assaut" le système politique capitaliste "normal" (caractérisé sans autre forme de nuance comme la démocratie libérale)[1] ; et non comme quelque chose qui naît en son sein même, au plus profond de celui-ci, dans un processus de fascisation dont les régimes comme le nazisme ne sont que l'aboutissement ultime et effroyable ; processus à l’œuvre pendant des décennies comme par exemple les 40 années préparant (ici à coup de "hussards noirs" etc.) la Première Guerre mondiale, et auquel nous assistons une nouvelle fois aujourd'hui en Europe et dans la plupart des grands Centres capitalistes mondiaux (Amérique du Nord, Russie, Extrême-Orient) bien que rien de comparable au Reich allemand ni même au fascisme italien n'y ait encore vu le jour.

    frederic de prusse nazisUn bon exemple du fait que le fascisme, pris dans sa version la plus radicale c'est-à-dire le nazisme, n'était que tout relativement "anti-Lumières" est par exemple cet hommage (voir l'affiche ci-contre) rendu par le IIIe Reich en 1936 (pour les 150 ans de sa mort) à Frédéric II le Grand (1740-86), archétype du "despote éclairé", ami de... Voltaire et ayant (surtout) jeté les bases en son royaume de Prusse de l’État allemand moderne. Un État allemand moderne 1°/ produit et serviteur (comme tous les États modernes) du capitalisme dont les Lumières, on l'a dit, sont l'idéologie de la consécration et 2°/ dont le nazisme, dans un contexte bien particulier non seulement de crise capitaliste générale et de menace révolutionnaire mais aussi de bourgeoisie militairement vaincue et humiliée, n'a jamais été que l'expression particulièrement terroriste. Qu'y avait-il d'incongru, par exemple, à ce que le nazisme se revendique de Frédéric II lorsque l'on sait que le nom même de Prusse ne désigne pas la région de Berlin (celle-ci est le Brandebourg) mais des territoires actuellement situés en Pologne et en Russie (enclave de Kaliningrad) dont la population originelle, slave et balte, avait été exterminée ou asservie au Moyen Âge par les Chevaliers teutoniques jusqu'à ce que ces derniers (convertis entre temps au luthérianisme) ne les transmettent au 17e siècle à la principauté de Brandebourg - qui sera alors proclamée "Royaume de Prusse" en 1700 ? Un État , donc, d'une démarche colonialiste meurtrière que l'on ne retrouvera pas bien différemment dans le Generalplan Ost nazi, avec simplement la technologie du 20e siècle en plus ! [Le Reich exaltera donc aussi, logiquement, "l'épopée" de l'Ordre teutonique et l'URSS lui répondra en 1938 par le célèbre film d'Eisenstein Alexandre Nevski - histoire d'un prince russe victorieux des sinistres chevaliers au 13e siècle.]

    Expression terroriste ultra, donc, de l’État moderne dans un contexte de crise générale du capitalisme et de révolution prolétarienne à l'ordre du jour, le fascisme peut par conséquent difficilement être un "rejet" des Lumières qui ne sont pas la remise en cause mais la consécration de cet État - se débarrassant simplement de l'instrument politique obsolète de l'absolutisme. Les "anti-Lumières" eux-mêmes n'étaient d'ailleurs (visiblement) pas si "anti-Lumières" que cela puisque, nous dit Delpla, ils cherchaient fréquemment à opposer les "bonnes" révolutions anglaise et américaine (Burke, par exemple, avait soutenu cette dernière) à la "mauvaise", la révolution bourgeoise française (conception que l'on trouvait déjà dans les maquis chouans et vendéens, dont bon nombre de leaders avaient fait la Guerre d'Indépendance américaine aux côtés de La Fayette, et que l'on a revue au goût du jour lorsqu'en 1989 le bicentenaire de ladite révolution a coïncidé avec la "chute du communisme") ; une "mauvaise" révolution française à laquelle ils reprochaient essentiellement son "dérapage" égalitariste "totalitaire" de 1792-94 et surtout... son expansionnisme "universaliste" (qui, lui, devait survivre à Thermidor) : rappelons qu'ils appartenaient souvent à des nations envahies et/ou en guerre contre les armées "révolutionnaires" bleu-blanc-rouges (Burke anglo-irlandais, Herder[2] allemand, Joseph de Maistre savoyard)... Un "universalisme" expansionniste qui devait forcément plus tard, pour les bourgeoisies du 20e siècle, évoquer celui de l'ennemi absolu : la Révolution bolchévique russe et son Internationale communiste !

    Une autre grande référence de l'extrême-droite, ayant notamment donné son nom à un sinistre hebdomadaire, est elle aussi dans la même veine : Antoine de Rivarol. En parcourant sa biographie, l'on s'aperçoit que son œuvre la plus célèbre est un Discours sur l’universalité de la langue française (ce qui ne devrait pas déplaire à nos "maoïstes" sternhelliens !) prononcé à l'Académie de Berlin où il était l'invité de... Frédéric II ; et que dès Thermidor (chute de Robespierre et des ultra-démocrates) et a fortiori après le 18 Brumaire (coup d'État de Napoléon Bonaparte) son retour en France (qu'il avait quittée en 1792) était plus qu'une option - mais il mourra à Berlin en 1801 sans avoir pu réaliser son projet. Son attachement viscéral à l'institution monarchique et son rejet de l'égalitarisme (il était lui-même un "parvenu" de fausse noblesse...) n'en faisaient pas moins un "homme des Lumières", comme lorsque dans deux Lettres à M. Necker (en 1788) il professe un épicurisme élevé et soutient la possibilité d’une morale indépendante de toute religion, ou lorsqu'à partir de 1789 il participe aux Actes des Apôtres, une revue satirique monarchiste se réclamant de... Voltaire. Il n'était certainement pas hostile au "Progrès", au capitalisme d'ores et déjà triomphant ni (sans doute) à l'idée que l’État français d'Ancien Régime devait rapidement se réformer. Il voyait simplement dans la monarchie ou encore dans l’Église de nécessaires garantes d'ordre et de stabilité ; les "bafouer" revenant selon lui à ouvrir grandes les portes aux forces incontrôlables de la "populace" (ce à quoi, dès 1789, les faits ont pu sembler donner raison) : "quand les peuples cessent d'estimer, ils cessent d'obéir" proclamait-il. 

    L'on pourrait encore citer, comme l'évoque Delpla, l'admiration d'Hitler pour l'Antiquité romaine (référence plutôt "lumiéreuse" s'il en est) ou encore pour Napoléon (à la pierre tombale duquel il réserva sa première visite à Paris) ; cette dernière étant bien sûr partagée avec une grande partie de l'extrême-droite hexagonale (Pierre Taittinger, fondateur des "Jeunesses patriotes" en 1924, était ainsi bonapartiste et l'on trouvait également des traces évidentes de bonapartisme chez les Croix-de-Feu/Parti "social" français, qui ont été - rappelons-le - la matrice idéologique du gaullisme, mais aussi chez le fondateur de "Jeune Nation" et de l'Œuvre française Pierre Sidos, qui revendique cette référence alors qu'il est traditionnellement plutôt classé national-catholique/maurrasso-pétainiste).

    Nous avons déjà vu ici (deuxième partie de l'article : "Le fascisme entre tradition et modernité") comment le fascisme, s'il puise allègrement ses références dans le passé pour mobiliser en exaltant une communauté "organique" millénaire [et non un État simple construction politique historique, abritant parfois des nationalités (autres produits de l'histoire) différentes ("emprisonnées") et dans tous les cas des classes luttant entre elles, et voué à se transformer voire à disparaître dans cette lutte], n'est jamais "déconnecté" de son contexte historique réel aux problématiques duquel il est censé répondre. Il n'est donc, comme phénomène du 20e et maintenant du 21e siècle, JAMAIS véritablement "anti-Lumières" ; tout au plus (comme le suggère à un moment Delpla) une tentative de synthèse entre "Lumières" et "anti-Lumières" (entre gros guillemets maintenant que nous avons vu toute la relativité de ces définitions), dans un esprit d'"assumer toute l'histoire" de "l’État-nation" glorifié [l'on observe (aujourd'hui) particulièrement cette logique d'"assumer toute l'histoire" en Russie, où invalides.jpgtsarisme et capitalisme d’État soviétique sont gaiment réunis dans une même "continuité éternelle russe", mais aussi ici-même en France où convergent de plus en plus les tenants (principalement) de l’œuvre monarchique et ceux de l’œuvre bonapartiste et républicaine (clivage qui a sans doute lourdement handicapé le mouvement fasciste des années 1920-30), les uns (par exemple) acceptant la laïcité d'autant plus facilement qu'elle ne réprime plus que les "allogènes" tandis que les autres reconnaissent pour leur part les "racines chrétiennes" du pays, etc. etc.].

    Derrière tout cela se trouve en réalité une contradiction intellectuelle fondamentale du capitalisme que nous avons déjà longuement évoquée : le capitalisme sécrète en permanence de l'humanisme (car il arrache l'individu producteur aux soumissions traditionnelles de "droit divin", oppose le "libre et créatif entrepreneur" au féodal parasite et doit aussi, très tôt, gérer le caractère social de la production) mais il doit aussi, immédiatement et continuellement, PIÉTINER cet humanisme à peine sécrété car son moteur reste fondamentalement un vol (l'extorsion de la plus-value au salarié) et la condition de cela reste et demeure "l'ordre" et le respect des hiérarchies sociales établies. Une contradiction que le fascisme (comme toutes les contradictions du capitalisme) doit et veut nier et qu'il nie donc, au besoin en niant le capitalisme lui-même (le terme ne désignant plus que la spéculation irraisonnée, les fortunes édifiées trop rapidement, le mode de production laissé en "roue libre" sans intervention de l'autorité politique ou tout simplement la "rapacité" économique, associée ou pas à l'épithète "juif")[3]... Mais cela ne veut pas dire que des tentatives de synthèse/négation de cette contradiction n'ont pas existé antérieurement, dès l'époque des Lumières (celles-ci ne sont-elles pas en elles-mêmes un ensemble de telles tentatives ?) voire de la Renaissance, avec peut-être moins d'urgence en l'absence de crise systémique du mode de production et de mise à l'ordre du jour de son renversement - encore que le tour "incontrôlable" pris (un moment) par la révolution bourgeoise française ait pu faire ressentir une telle urgence.

    Ainsi, en substance, le fascisme n'est pas "anti-moderne" (ce qu'a peut-être voulu entendre Sternhell par "anti-Lumières") : il est un produit du capitalisme donc de la modernité que celui-ci induit. Ce qu'il veut c'est assumer cette modernité dans le respect de l'ordre et des "traditions" (synonymes de "valeurs d'ordre"), que "tout" ne "foute pas le camp", ce qui est finalement la problématique centrale du capitalisme en tant que tel : besoin de modernité (= développement des forces productives) mais, en même temps, conscience que cette modernité met chaque jour un peu plus son renversement à l'ordre du jour. De ce fait, si filiation du fascisme et en particulier du nazisme il y a, cela semble bien plus être avec l'aile droite des "Lumières"[4], celle-là même que Sternhell et tant d'autres qualifient à tort d'"anti-Lumières" [confusion que Delpla ne conteste pas voire... défend lorsque Sternhell lui-même en sort, au sujet de Burke], celle qui assume la nécessaire modernité mais sans vouloir rompre avec "l'héritage" et la "tradition", qui critique le "despotisme", le "cléricalisme" et vénère la "Raison" mais refuse les "excès égalitaristes" français de 1792-94 (autrement dit l'irruption des aspirations populaires sur la scène révolutionnaire bourgeoise - c'est typiquement la critique que Taine adresse à la période par exemple), qui admire l'Empire romain et ses "résurrections" temporaires (Charlemagne, Louis XIV, Napoléon), qui sanctifie la "liberté" et le "droit naturel"... pour les hommes blancs et aisés seulement et exècre les Juifs non en tant que non-chrétiens mais en tant (justement) que "pères" du christianisme... bref, bien plus avec ces "Lumières d'ordre" si bien incarnées par Frédéric II de Prusse qu'avec un supposé jésuitisme[5] qui rejetterait toute modernité postérieure au Moyen Âge (cela a-t-il seulement existé historiquement, passé le procès de Galilée en tout cas ?) ou même avec le "parti catholique" tel qu'il a pu exister en France au 19e siècle, opposé à la franc-maçonnerie (enfin surtout au Grand Orient, aile gauche la plus anticléricale de la franc-maçonnerie, beaucoup moins aux loges "écossaises" nettement plus conservatrices) : Hitler, comme le rappelle Delpla, détestait tout autant les catholiques (et à vrai dire le christianisme en général) que les francs-maçons... et autant de catholiques que de francs-maçons trouvèrent un modus vivendi tout à fait acceptable avec le régime !

    Quant aux fameux fascistes "venus de la gauche" que met tant en avant Sternhell (voyant en eux l'aspect principal et le "moteur" du phénomène), les Valois, Déat et autres Doriot, ils se réclamaient carrément et sans hésitation... de la Convention montagnarde, du Comité de Salut Public et de "l'An II" ("L’État révolutionnaire de 1793 est singulièrement proche de l’État totalitaire ; ce n'est pas du tout l'État capitaliste et libéral (...). Disons en raccourci que la Révolution française a tendu vers un national-démocratisme, et que nous tendons maintenant vers un national-socialisme. Mais le premier mouvement était aussi révolutionnaire que le second, il avait le même sens, il allait dans la même direction. Il est absolument faux de vouloir les opposer l'un à l'autre" - Déat, Pensée allemande et pensée française, 1944) : non seulement les "Lumières", mais encore l'aile GAUCHE de celles-ci !

    Pour ce qui est de l'"anticapitalisme" fasciste ("anticapitalisme romantique" comme disent les sternhelliens), il serait erroné de le réduire à une simple "démagogie pour mobiliser les travailleurs contre leurs propres intérêts" (bien que cette dimension ne soit pas à exclure, surtout aujourd'hui). Mais il faut bien comprendre que le terme de "capitalisme" émerge au milieu du 18e siècle, ne se répand réellement qu'au 19e ("révolution" industrielle)... et qu'au début du 20e encore, tout le monde ne lui donne pas le même sens strict que les marxistes : très souvent ne sont appelés "capitalisme" que les excès de celui-ci, l'inquiétude qu'il suscite dans une société bouleversée par la "révolution" industrielle (choc de modernité), voyant surgir sur la scène politique le prolétariat et ses revendications. On voit d'ailleurs bien qu'aujourd'hui, le fascisme ne se définit plus tellement comme "anticapitaliste" mais plutôt "contre le libéralisme", nouveau terme pour désigner les excès, "l'absence de régulation", la "finance mondialisée" et la "spéculation" auxquels est opposé le "bon" capitalisme "productif" et "enraciné". Eh bien, ce qui est entendu aujourd'hui par "libéralisme" équivaut peu ou prou à ce que les fascistes du 20e siècle dénonçaient comme "capitalisme". Le fascisme n'est pas "anticapitaliste", même lorsqu'il s'affirme tel : ce qu'il rejette c'est un capitalisme qui ne "gère" pas la société et permet à la révolution socialiste de se mettre à l'ordre du jour. Son modèle, en fin de compte, c'est le capitalisme des 16e-17e-18e siècles, qui s'appuyait sur les États "forts" absolutistes (ou "despotiques éclairés" comme la Prusse de Frédéric II...) mais leur devait aussi des comptes. Le fascisme est une certaine vision du capitalisme et non (comme l'affirment Sternhell et ses disciples) une autre vision du monde opposée à lui, ce qui mettrait notre époque politique dans une curieuse situation de "billard à trois bandes" : capitalisme-communisme-fascisme.

    voltaireatable.gifQuant à l'antisémitisme, nous avons déjà vu qu'il plonge ses racines aux sources médiévales mêmes de l’État moderne et qu'il en est absolument indissociable (tant en Allemagne qu'en "France", en "Espagne", au Royaume-Uni  etc.) ; et nous savons également que la place des Juifs dans la société a toujours FAIT DÉBAT, jamais l'unanimité dans le mouvement des "Lumières" - entre partisans de leur rejet, de leur acceptation en tant que tels, de leur acceptation à condition de s'intégrer/assimiler etc. etc. ; la "main tendue" pouvant d'ailleurs (assez fréquemment) être suivie d'un violent rejet lorsque les Juifs semblaient la refuser, comme déjà au 16e siècle avec Martin Luther (dont le pamphlet Des Juifs et de leurs mensonges deviendra un livre de chevet des nazis), mais on retrouve très largement la même véhémence chez Voltaire et beaucoup de ses contemporains "éclairés" (... dont Frédéric II, là encore : faire Ctrl+F et chercher "juif" ici dans son Testament politique). Les Lumières n'ont JAMAIS été synonymes de "philosémitisme" systématique, la position consistant le plus souvent (au "mieux") en une sommation de se dissoudre dans l'"État-nation" ("tout leur accorder en tant qu'individus, tout leur refuser en tant que nation" - Stanislas de Clermont-Tonnerre, député libéral, décembre 1789) et la vieille hostilité médiévale se recyclant souvent (comme envers l'islam aujourd'hui !) sous couvert d'anticléricalisme (rejet des religions révélées dont le judaïsme est la "matrice")[6].

    Ce n'est (comme nous l'avons dit) qu'après la Seconde Guerre mondiale, dans une volonté de dissocier le capitalisme des régimes fascistes vaincus qu'il avait pourtant engendrés, que s'est développée cette conception "philosémite" parant de manière complètement irrationnelle les Juifs de toutes les qualités (donc tout aussi différentialiste que l'antisémitisme...) et proclamant que "s'en prendre aux Juifs c'est s'en prendre à la démocratie [capitaliste occidentale] elle-même"... tout cela restant d'ailleurs très relatif - tout le monde a en mémoire les "Français innocent" de Raymond Barre après l'attentat de la rue Copernic (1980), la "tronche pas catholique" de Laurent Fabius dans la bouche de Georges Frêche (pourtant défenseur acharné du sionisme !) ou encore le ramdam médiatique (comme par hasard au lendemain de la catastrophe financière de 2008) autour de l'affaire Bernard Madoff, cet escroc n'ayant certainement pas provoqué la crise à lui tout seul mais brusquement érigé en "symbole" de la délinquance financière... et se trouvant être juif. 


    http://www.delpla.org/article.<wbr>php3?id_article=261

    À propos de Sternhell (Zeev), "Les anti-Lumières"

    Paris, Fayard, 2006


    Ce livre qui se lit comme un roman (si ce n’est qu’on l’apprécie plus encore à la seconde lecture !) montre l’intérêt de l’histoire des idées, même sans la moindre référence au contexte de leur élaboration, comme si elles se transmettaient d’auteur à auteur. Elles se transmettent aussi comme cela, et c’est certes, en amont, un facteur important de leur genèse, de même qu’un éclairage non négligeable, vers l’aval, sur leur portée. Une telle méthode donne au chercheur une légèreté qui lui permet de se déplacer à travers les siècles plus facilement que s’il devait traîner les impedimenta des conditions économiques, sociales et politiques -auxquelles Sternhell ne s’interdit d’ailleurs pas de faire allusion.

    Au cœur du propos, le repérage d’une double modernité : contrairement à l’idée commune suivant laquelle tout adversaire des Lumières serait un réactionnaire, ceux que présente le livre sont bien de leur temps et d’ailleurs, le plus souvent sans le reconnaître, ils profitent largement de l’apport des Lumières. Celles-ci postulent l’unité du genre humain : l’homme, animal raisonnable, vit en société sur la base d’un contrat le plus souvent implicite ; les philosophes français, inspirés par Locke et prolongés par Kant, travaillent à l’expliciter pour montrer qu’on peut l’améliorer, en diminuant la part des superstitions et en augmentant celle de la raison. « L’autre modernité », celle des anti-Lumières, ne consiste pas à ce que chaque auteur exalte les institutions de son propre pays ou demande qu’on les rétablisse dans leur état ancien si on vient de les changer : ces penseurs ne sont donc ni conservateurs ni réactionnaires. Ils sont, comme les Lumières, cosmopolites : c’est partout, d’après eux, que l’existant est préférable au changement, car il est légué par d’innombrables générations qui savaient ce qui était bon dans tel endroit pour tel peuple. Ce qu’il y a ici de moderne, c’est un relativisme moral et politique, qui tend à répudier toute norme générale.

    AVT_Zeev-Sternhell_7583.jpg Cette modernité initiée par Burke et Herder, relayée entre autres par Renan, Taine, Barrès, Sorel, Spengler et Meinecke, puis, après la seconde Guerre mondiale, par le professeur d’Oxford Isaiah Berlin et les néo-conservateurs américains, calomnie les Lumières en prétendant, par exemple, qu’elles conçoivent l’homme comme partout identique -alors qu’un Montesquieu ou un Voltaire se sont beaucoup penchés sur les différences entre les civilisations. On prétend aussi, avec beaucoup de mauvaise foi, que les Lumières sont « européocentristes » et exaltent la supériorité de la civilisation occidentale. Or Voltaire, peu indulgent pour le « fanatisme » qu’il avait sous les yeux, savait au contraire lui opposer de sympathiques manifestations de tolérance repérées sous d’autres climats. [Là on ne peut être qu'en désaccord et s'étonner d'une telle méconnaissance, chez un historien, des propos violemment racistes et antisémites de Voltaire dans son œuvre : http://www.contreculture.org/<wbr>AG%20Voltaire.html... Et dans un souci (certes) de contourner la censure monarchique et ecclésiastique, c'étaient plutôt les exemples de "fanatisme" qu'il allait chercher sous "d'autres climats" !]

    Si le livre contient de savoureux passages sur Burke et sa condamnation intéressée de l’élargissement du suffrage, lui qui devait tant au système bien nommé des « bourgs pourris », il s’attarde surtout sur Herder, dont Sternhell montre à la fois qu’il a influencé plus de gens qu’on ne croit d’ordinaire et qu’il a exprimé des idées qu’on attribue volontiers à des auteurs plus tardifs, notamment à propos des Juifs : la thématique antisémite d’un Drumont est déjà, pour l’essentiel, en place dans son œuvre.

    Il y a donc, pendant un bon siècle et demi, une accumulation d’écrits qui préparent le fascisme, en habituant les esprits à penser en termes nationaux et à ne prêter d’intérêt qu’aux entreprises qui permettent d’augmenter la puissance d’un pays, plutôt que le bonheur des hommes. Dans « fascisme », il faut entendre aussi « nazisme », et moins que jamais Sternhell ne cherche à distinguer les deux. C’est là sans doute la principale faiblesse de sa construction. S’il les mentionne à l’occasion, il n’explique en rien les formes infiniment plus nocives prises par le phénomène en Allemagne et méconnaît le caractère local et transitoire du fascisme partout ailleurs : témoin le fait que l’antisémitisme fut, en dépit de la révérence des dictateurs envers les anti-Lumières, bien peu virulent en Italie, en Espagne ou au Portugal. Pire, l’une des rares occurrences du nom de Hitler (p. 575) consiste à accuser Ernst Nolte, qui a certes de gros défauts mais non celui-là, d’exagérer son rôle :

    En faisant du nazisme un reflet du communisme et une réponse légitime au danger bolchevique, en le coupant de ses racines idéologiques et culturelles, en mettant un accent démesuré sur le rôle du Führer, le nazisme peut être quasiment évacué de l’histoire nationale.

    barbarossa2Cette impuissance même à distinguer le cas de l’Allemagne en prenant en compte la personnalité exceptionnelle de son leader, montre la voie à suivre pour tirer pleinement parti de ce maître livre et prolonger ses découvertes. D’une part, Hitler, qui était peut-être moins inculte que Sternhell ne l’imagine, avait probablement lu Herder et assimilé son antisémitisme, pour en faire, avec la logique implacable qui le caractérisait, une dimension essentielle de sa politique. D’autre part et surtout, la doctrine nazie n’était pas banalement ni entièrement « anti-Lumières ». Hitler était purement et simplement pro-allemand et d’ailleurs il réintégrait dans le panthéon intellectuel de sa patrie deux auteurs vomis par Herder et consorts, à savoir Kant et Hegel. Plus largement, il faut le considérer au moins en partie (et sans en faire un philosophe ni un intellectuel) comme un anti-anti-Lumières ou, en termes hégéliens précisément, comme l’auteur d’une synthèse qui prolonge, en les dépassant, la thèse et l’antithèse. L’idée d’un progrès l’intéresse, et non moins celle de l’unité du genre humain : c’est bien pour cela que les Juifs, ces parasites à détruire sans faiblesse, n’en font pas partie, et que les autres hommes forment des races et non des espèces.

    Une autre différence irréductible entre le nazisme et les anti-Lumières apparaît lorsqu’ils pèsent les mérites de l’Empire romain mais Sternhell, qui montre que les anti-Lumières le détestent pour son cosmopolitisme, ne paraît pas s’aviser que Hitler le porte aux nues, et omet en conséquence de se demander pourquoi. C’est que les nations n’intéressent précisément pas le dictateur allemand... si ce n’est la sienne. Il n’a donc rien contre un empire qui les étouffe et les mélange... pourvu que ses élites présentent un semblant d’unité « raciale ». Créé et dominé par des peuples indo-européens, cet empire maintient ceux qui ne le sont pas dans une double infériorité, par l’esclavage à l’intérieur et par le terme de « barbares » appliqué aux étrangers. Par ailleurs, il dégénère lorsqu’il devient chrétien, c’est-à-dire, pour parler comme Hitler, s’abandonne à l’influence juive. Effacer 2000 ans de christianisme : voilà bien l’essence du projet nazi et ce qui le distingue le plus des régimes dits fascistes, tous plus ou moins tolérants envers les Églises.

    Les anti-Lumières eux-mêmes ont pour les religions les yeux de Chimène, à condition qu’elles ne soient pas trop missionnaires, puisqu’ils révèrent partout les traditions. Ils conçoivent l’homme comme inscrit dans la nature, et les sociétés comme des arbres. Ils n’ont que faire d’un jardinier volontariste qui révère aussi, à sa façon, la nature, mais en privilégiant une de ses leçons les plus inhumaines : tout est lutte et il ne faut pas s’opposer, au nom d’une vaine sensiblerie, à l’écrasement des faibles. Chez les anti-Lumières, montre Sternhell, il n’y a pas de contrat social mais un donné qui partout s’impose à l’individu et devant lequel il doit s’incliner. Parmi les passages les plus intéressants du livre figurent ceux qui montrent ces auteurs en extase devant les préjugés de caste ou de classe. Hitler en fait plutôt table rase : l’homme fort a tous les droits, et le devoir de plier tout ce qui existe à sa volonté. Loin de respecter l’état de choses existant comme une œuvre sacrée de la nature, il entend, en quelques années, remodeler la carte du monde en même temps que la biologie ! Or ce programme ne peut s’accomplir par la seule force brutale, sinon le réel se rebifferait immédiatement. Il faut apprivoiser et chloroformer les futures victimes, les diviser, sérier les questions, avancer à pas comptés et sous un masque, bref faire triompher la folie à grand renfort d’intelligence et de raison.

    nazisme hitlerEn conséquence, il convient de dialectiser non seulement le rapport de Hitler aux Lumières, mais l’usage qu’il fait des anti-Lumières. Il flatte tant et plus leurs aspirations, lorsqu’il se présente comme un conservateur raisonnable qui met au pas ceux qui transgressent les règles admises ou menacent de le faire : homosexuels, suffragettes, marxistes, artistes modernes etc. Il séduit et neutralise d’autant plus sûrement ses précurseurs, adeptes d’une « révolution conservatrice », qu’il cultive son personnage d’autodidacte brouillon et vociférant, semblant leur dire qu’il a besoin de leurs compétences et aussi que, s’il va trop loin et commence à leur déplaire, ils pourront facilement se débarrasser de lui. La violence nazie se fait admettre à la fois parce qu’elle est beaucoup moins meurtrière qu’elle ne s’annonçait elle-même (et va jusqu’à se retourner apparemment contre elle-même lors de la nuit des Longs couteaux) et parce qu’elle semble temporaire. Elle arrive à se présenter comme un instrument, apte à rééquilibrer un pendule qui penchait trop vers la réforme ou le débraillé, et à rentrer ensuite sagement dans la boîte à outils. De ce point de vue, on peut bien dire que les anti-Lumières allemands des années 1920 (Spengler et Carl Schmitt notamment) ont fait le lit du nazisme, à condition de préciser qu’ils croyaient le faire dans la chambre d’amis et qu’ils se sont à leur grande surprise (et à leur désappointement impuissant) trouvés prestement interdits de séjour dans les pièces principales.

    Sternhell écrit là un livre de combat à l’usage de notre époque. Membre de la gauche israélienne (comme il le suggère dans une note de la p. 499), il exalte la démocratie en dénonçant ses contrefaçons et montre implicitement les États-Unis à la croisée des chemins. La Guerre froide a vu l’Occident se réclamer de la liberté plus que de la démocratie, et ce n’est pas un hasard. Sternhell montre qu’on peut aimer celle-là en détestant celle-ci, à l’instar d’I. Berlin et de son œuvre la plus connue, une conférence de 1958 sur la différence entre liberté négative et liberté positive. Il y proclame que seule la liberté négative (freedom from) est à rechercher et à défendre : celle qui consiste à ménager autour du citoyen un espace où il fait ce qu’il veut, sans limite ni contrainte légales. La liberté positive (freedom to), c’est-à-dire le droit d’aménager la cité de concert avec ses semblables, serait le germe de tous les totalitarismes. Or la liberté positive seule, rappelle Sternhell, a partie liée avec la démocratie -que ce texte de Berlin répudie donc sans le dire. Il ne va pas toujours aussi loin. Il ne se proclame pas adversaire des Lumières et il faut souvent un œil exercé pour s’en rendre compte, ainsi quand il annexe aux Lumières Burke en personne, en jetant un voile pudique sur ses anathèmes contre le peuple, assimilé tout au long de son œuvre à une populace excitée [c'est pourtant, pour le coup, tout à fait exact : Edmund Burke était un whig (libéral) qui défendra même au Parlement anglais (à ses risques et périls, donc) les Burke-Edmund-LOC.jpgindépendantistes américains et ne se détournera de la Révolution française que devant ses "excès"... et se méfier de la "populace excitée" n'a jamais été en soi antinomique des "Lumières"]. Il y a chez ces anti-Lumières tardifs beaucoup de confusion et, l’auteur n’hésite pas à l’écrire, de malhonnêteté, par exemple lorsqu’un disciple de Berlin reproduit ses articles en les réécrivant subrepticement (p. 521).

    L’époque des Lumières est marquée par trois révolutions, l’anglaise de 1688, l’américaine et la française. Sternhell insiste sur leurs points communs et montre que l’effort d’une bonne partie des anti-Lumières consiste à les opposer, comme si la Manche formait une barrière idéologique : la mauvaise révolution française, trop démocratique, jurerait avec les deux autres, réduites à des mouvements d’humeur de portée locale contre les abus du despotisme. Sternhell dit après bien d’autres, mais en décryptant comme personne les efforts des anti-Lumières, depuis deux siècles, pour masquer cette vérité, que les révolutionnaires français puisaient aux sources anglo-saxonnes, mais poussaient plus loin sur la voie des droits de l’homme. Ce faisant, il rétablit le rôle majeur de la France dans la diffusion de la démocratie, tout en y associant le nom de Kant : l’ouvrage parle d’un bout à l’autre des « lumières franco-kantiennes » et les oppose, sur la scène allemande, au Sturm und Drang qu’anime Goethe aussi bien que Herder.

    Ces rappels sont propres à doper le moral des démocrates d’aujourd’hui et le pourront d’autant mieux qu’on ne fera pas du nazisme le produit quasi-mécanique d’une accumulation d’idées obscurantistes. Le libre débat qui avait permis à la France de se doter d’une république stable en dépit de Renan et de Maurras était en passe de produire cahin caha les mêmes effets dans l’Allemagne de Weimar... si Hitler avait été un vulgaire Boulanger. Mais ce politicien à l’intelligence insoupçonnée, et encore aujourd’hui généralement sous-estimée, sut exploiter les affrontements idéologiques pour imposer ses propres thèses, d’une grossièreté radicalement inédite. Ce livre, en aidant à connaître le milieu intellectuel dans lequel a baigné sa formation et qu’il a, par la suite, manipulé, affinera la connaissance du Troisième Reich et les leçons tirées de ce moment catastrophique de l’histoire, à condition de reconnaître que le terreau n’a pas spontanément engendré son laboureur.


    À lire aussi sur l'"anti-Sternhell", Robert Soucy :

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/le-fascisme-en-france-l-analyse-de-robert-soucy-a118788000


    [1] Une idéologie qui proviendrait selon lui de la "rencontre" entre la droite nationaliste "anti-Lumières" et une certaine gauche "syndicaliste révolutionnaire" et/ou "anticapitaliste romantique" ayant rejeté le marxisme - ce qui donne en fin de compte un étrange vernis d'"orthodoxie" marxiste (mais alors, comment être en même temps sioniste ?) posé sur les thèses de l'"antitotalitarisme" bourgeois (le fameux "les extrêmes se rejoignent", rappelons par exemple que Bernard-Henri Lévy partage globalement les mêmes analyses dans son ouvrage L'idéologie française)... En fait, tout ce que ceci montre c'est que Sternhell ne comprend absolument pas le concept marxiste-léniniste d'hégémonie (Gramsci). La réalité c'est qu'en situation de crise générale du capitalisme, ce que l'on qualifiera d'extrême-droite exerce petit à petit une HÉGÉMONIE intellectuelle TOTALE sur l'INTÉGRALITÉ du champ politique de la société capitaliste... ceci pouvant inclure jusqu'à des éléments de la "gauche de la gauche" [et bien sûr de la "gauche radicale d'affirmation des Peuples", comme typiquement Yann-Ber Tillenon ou Padrig Montauzier en Bretagne] - et s'ils ne sont pas ou que très superficiellement marxistes, c'est évidemment encore plus facile ! Mais ce sont des éléments de la mobilisation fasciste PARMI D'AUTRES ; il suffit de penser par exemple à la quantité de radicaux de la 3e République (qui seraient l'équivalent de notre PS d'aujourd'hui !), bien francs-maçons et "libres penseurs" comme il faut (purs produits des Lumières en quelque sorte !), qui se rallieront à la "Révolution nationale" pétainiste en 1940 ! Or Sternhell choisit de focaliser sur ce phénomène pour en faire la véritable "fécondation" de ce qui deviendra le fascisme (par exemple le "Cercle Proudhon" où peu avant la Grande Guerre "convergeaient" des militants de l'Action française - à l'initiative du truc, ce qui ne trompe pas ! - et quelques "syndicalistes révolutionnaires" comme Édouard Berth ou Georges Valois, proches de Georges Sorel - mais ce dernier était lui-même plutôt hostile à la démarche).

    [2] En parcourant la biographie Wikipédia de ce dernier, on découvre même qu'il a totalement été un homme des Lumières, ami de Goethe et même... membre des "Illuminés de Bavière", société secrète de type maçonnique ayant donné naissance au délire des "Illuminatis" qui persiste encore aujourd'hui. Il a simplement pris ses distances avec la Révolution française après les Massacres de Septembre (1792). En revanche, il était bel et bien violemment hostile aux Juifs (dans un esprit très voisin de celui de Voltaire...) ; un antisémitisme des Lumières qui a sans doute autant sinon plus nourri l'antisémitisme exterminateur du 20e siècle que le vieil antijudaïsme chrétien (qui laissait, rappelons-le, l'opportunité aux Juifs de cesser de l'être en se convertissant, alors que l'antisémitisme les voyant comme une "race abjecte" ne le permet pas). C'est donc là encore une formidable illustration du "sérieux" de l'analyse de Sternhell et (donc) des "maoïstes" qui s'en réclament.

    [3] Bien sûr, au même titre qu'avec le proudhonisme en Hexagone, l'une des composantes (loin d'être la seule...) de ce bric à brac idéologique va être l'exaltation du capitalisme naissant médiéval (généralement non désigné comme capitalisme) dépeint comme "pur", par opposition à "ensuite" - le capitalisme "en grand", triomphant, à partir du 18e siècle. C'est ainsi que le 'p''c''mlm' va nous présenter en ce moment même un certain Rudolf Jung (Allemand des Sudètes) et son "socialisme national" comme "à la base même" de l'idéologie nazie (il en a, en effet, été un contributeur important mais pas le seul) ; et va particulièrement insister sur "l'éloge de la paysannerie médiévale et du petit commerce" par celui-ci dans ce qui se veut une allusion "cryptée" et, en réalité... une compréhension complètement de travers de notre longue étude sur la société médiévale en général (occitane en particulier) publiée l'automne dernier. Toute l'activité du 'p''c''mlm' depuis 6 mois (au moins) consiste en effet à nous présenter sans jamais nous nommer comme des "anticapitalistes romantiques" et des nazis en puissance qui exaltent la société précapitaliste et rejettent le "progressisme" de sa destruction par le capitalisme et l’État moderne, "fantasment" une Occitanie conçue comme une communauté "organique" et "socialiste en soi" à laquelle le capitalisme serait "étranger" et "imposé de l'extérieur" etc. etc., tout ceci devant (bien sûr) nous conduire tôt ou tard à l'antisémitisme (à moins que ce ne soit déjà le cas, c'est en tout cas la position de certains), obligés que nous serions de pointer "le Juif" comme "seule explication possible" à ce que nous avançons. Travestissement grotesque - entre lecture en diagonale et mauvaise foi caractérisée - de ce que nous disons, mais passons.
    Nous avons en substance, dans notre étude sur le païs médiéval (communauté paysanne/villageoise), défini celui-ci comme ayant deux aspects, comme étant à la croisée des chemins en quelque sorte : la communauté ancestrale collectiviste (produisant de manière collectiviste ce qui ne veut pas dire pour le seul bénéfice de la collectivité : il y avait évidemment le seigneur des lieux qui ponctionnait sa part du produit) qui se meurt, et le capitalisme rural qui émerge en générant d'un côté (un se divise en deux) une couche de notables, gros fermiers et autres possédants et de l'autre, un prolétariat rural et une paysannerie paupérisée que le développement du capitalisme dans les villes viendra peu à peu "aspirer". Tout ce processus est bien entendu interne et intrinsèque au païs considéré (cette société paysanne et villageoise qui représente 99% de la population au Moyen Âge et encore près de 90% à la veille de la "révolution" industrielle). L’État moderne comme cadre politique adapté et nécessaire à cette affirmation du capitalisme vient se superposer à cela, il ne "l'importe" pas même si en Occitanie, en l'occurrence, il est le fruit d'une conquête militaire par le Nord capétien. L'Occitanie du 13e siècle était, de fait, bien plus capitaliste que le Bassin parisien ; mais pour passer à un niveau supérieur de développement capitaliste il lui fallait un cadre politique (l’État moderne) qu'elle n'a pas su, pu ou (simplement) eu le temps de se donner et qui lui a (donc) été apporté par son annexion meurtrière au domaine capétien, futur État français : voilà ce que nous disons. Ceci, si l'on distingue très schématiquement une masse des producteurs et des couches possédantes (possesseurs de moyens de production, au titre du droit féodal évidemment à l'époque, mais prérequis indispensable à une économie capitaliste), s'est imposé de force à la première (comme tout appareil de domination de classe) mais de gré à une partie des secondes et de force à une autre - qui aurait peut-être "préféré" un cadre politique strictement national, ceci étant déjà (tout de même) en gestation alors, mais aussi dans bien des cas sans la moindre conscience de ce qui se jouait, dans un pur cadre de concurrence entre possédants (untel et untel et encore untel se tournant vers le roi de France contre ses ennemis héréditaires, etc.). La même chose (avec ses spécificités dans chaque cas) s'est déroulée à peu près pareillement dans toutes les parties des grands États qui composent aujourd'hui l'Europe, que ces territoires aient eu (d'ailleurs) des caractéristiques nationales à l'époque ou non (dans tous les cas la subsidiarité politique médiévale a été "tuée" au profit de l’État moderne centralisé dirigeant "du haut vers le bas" et l'autosuffisance économique des communautés populaires a été liquidée, ainsi que Marx le décrit en Angleterre sous l'État... anglais).
    Ce que nous avons mis en avant dans notre étude (et d'autres documents), c'est donc surtout l'aspect collectiviste primitif résiduel du païs médiéval tout en soulignant bien le caractère inévitable du processus qui a suivi ; ainsi que la subsidiarité politique qui prévalait alors parce qu'elle rejoint notre conception de la société socialiste de demain, avec ses Communes populaires comme cellules de base et ses échelons territoriaux plus grands, indispensables mais ne devant s'occuper que de ce que la Commune ne peut pas faire toute seule. Quant au fait que l’État du Capital, là où nous vivons et le combattons (en Occitanie), soit le produit d'une conquête et d'une soumission militaire... nous le soulignons tout simplement parce que c'est la réalité et que comprendre cette réalité (et non la refuser) nous permettra seul de lutter victorieusement. Nous avons observé qu'une fois l’État constitué, le Capital... de la capitale (Paris) s'est naturellement retrouvé au sommet de la pyramide et qu'il a agencé le développement capitaliste et l'organisation sociale de la production (= l'organisation de l’État) conformément à ses intérêts, en Centres et en Périphéries où se concentrent respectivement le POUVOIR (politique, économique et culturel) et l'exploitation, l'oppression et l'aliénation... et nous avons formulé à partir de là que la Guerre révolutionnaire du Peuple devait consister en un encerclement des premiers par les secondes. Nous avons également observé que l’État français, durant 8 siècles, a consacré d'immenses efforts à briser la résistance des couches possédantes réfractaires (bien sûr) mais aussi des masses populaires ; le premier combat s'inscrivant (en dernière analyse) dans le cadre de la concurrence capitaliste tandis que le second, lui, s'inscrit dans ce que Marx a décrit comme l'accumulation primitive du capital et l'arrachement des producteurs à tout moyen de production et de subsistance autre que leur force de travail (à "vendre" quotidiennement au capitaliste) ; les deux prenant dans tous les cas un aspect culturel : l'imposition de la langue et de la culture française à l'Occitanie. Or si ce combat culturel a presque totalement réussi dans les couches aisées, il n'en a pas été de même auprès des couches populaires, travailleuses, ouvrières et paysannes ; et ceci, cette conscience occitane résiduelle, n'est pas selon nous un "vestige obscurantiste du passé" qu'il faudrait achever de balayer mais au contraire la base de la prise de conscience de tout le reste, pour pouvoir engager le combat contre ce "tout le reste"... qui n'est autre que le capitalisme et l’État français. Voilà ce que nous disons !!! Pour ce qui est du "progressisme" du capitalisme et de l'État moderne, il est vrai que nous évitons ce terme devenu au fil du temps synonyme de "bien", de "positif". Nous voyons l'imposition du capitalisme et de l'État moderne (qui va avec) comme un passage souvent douloureux, parfois positif (progrès technique et scientifique, développement de la considération humaniste pour l'individu) et dans tous les cas nécessaire et incontournable de l'espèce humaine vers le communisme... ce qui n'est ni plus ni moins que la conception de Marx (il suffit de lire le Capital). Il nous semble simplement que la confusion entre progrès objectif (l'humanité devait objectivement en passer par là) et "progressiste" au sens de "positif" (connotation morale) a pu amener par le passé à célébrer l’œuvre de l'ennemi (l’État moderne devenu "République une et indivisible" par la révolution bourgeoise)... que l'on peut alors difficilement combattre. Nous, nous COMBATTONS l’État français appareil politico-militaire de la classe dominante capitaliste. Mais nous ne sommes pas non plus pour un État occitan, un État breton, un État corse etc. etc. qui seraient autant de petits États français miniatures : nous sommes pour une organisation sociale radicalement nouvelle, l'"État" des Communes populaires fédérées !
    L'approche de Rudolf Jung, elle (puisque c'est l'exemple que veut mettre en avant le 'p''c''mlm'), nous semble bien différente... Son "éloge de la paysannerie médiévale et du petit commerce" nous semble surtout être un éloge de l'aspect capitaliste naissant de la société médiévale... tout en "déplorant" l'évolution par la suite, le capitalisme "en grand" avec ses banques, sa grande industrie (et mort de la petite), sa "spéculation" (et mort du petit commerce) etc. etc., toutes choses pourtant inévitables mais que Jung rejette et (seules) regroupe sous le vocable de "capitalisme". Et comme ce capitalisme "en grand" ne "peut pas" (dans son esprit) être le fruit naturel et inévitable... du capitalisme naissant, il ne peut donc résulter que d'une intervention extérieure et/ou d'un mal ("l'avidité") qui se serait emparé du "corps sain", et qui se trouve très vite identifié avec la "main du Juif" (identification pratiquement inévitable dans la région d'Europe où il vit). En tant que Sudète, la culture populaire de Jung est celle de ces petits villages de "défricheurs" de l'épaisse forêt médiévale, peuplée de deux "espèces nuisibles" : le loup et le Slave. Il est donc tout logiquement aux avant-postes pour célébrer cette mythologie du paysan-entrepreneur libre "défrichant" les terres sauvages et "construisant tout de ses mains", faisant "avancer la civilisation" sans l'intervention néfaste des "banques" ni de la "bureaucratie"... Un esprit que l'on retrouve, par exemple, omniprésent dans l'extrême-droite nord-américaine célébrant le "pionnier" et qui a rejailli de là (un peu) sur l'ancienne métropole britannique, elle aussi (à l'origine) nation de "défricheurs" libres (les yeomen) - sauf que dans tous ces pays le mot "socialisme" (quasiment synonyme de "marxisme" ici) est absolument tabou et il ne viendrait à l'idée de personne de s'en réclamer, c'est plutôt la "liberté" qui est mise en avant, mais l'idée de petits producteurs "libres" et "librement associés", "naturellement solidaires" sans imposition "bureaucratique" (idée que l'on retrouve ici chez Proudhon...) est en dernière analyse la même que dans le "socialisme national" de Jung.
    Quant à la conception de l’État... Jung est tout simplement un partisan de la "Grande Allemagne" englobant toutes les communautés de langue germanique, comme des millions et des millions de ses contemporains (la "Petite Allemagne" de 1871 s'était plus imposée par défaut qu'autre chose), ce qui correspond particulièrement bien (de surcroît) à sa culture de "pionnier" sudète face au monde slave (Drang nach Osten). Cet État grand-allemand aurait dû être (selon lui) l'émanation "naturelle" de la communauté médiévale capitaliste primitive qu'il encense - il a correctement saisi que l’État moderne (dont il est un partisan) procède directement de l'émergence/affirmation du capitalisme (qu'il n'appelle pas ainsi et dit rejeter) ; mais des aléas ont fait que cela n'a pas été le cas et il ne comprend pas, ou refuse carrément de comprendre ces aléas (ce que seule une grille d'analyse marxiste permettrait). Ce ne peut donc être que "la faute à" la monarchie autrichienne (Habsbourg) qui serait tombée "aux mains des Juifs" (avec lesquels elle s'est effectivement montrée libérale à partir du 18e siècle). L’État est vu par Jung comme la "destinée" d'une communauté nationale (Volk) et l’État des Volksdeutsche doit être la Grande Allemagne, un point c'est tout, seule une "force maléfique" (= les Juifs) pouvant contrarier cette "destinée". Il n'est pas vu comme un instrument de classe (il n'y a pas de classes dans la communauté nationale idéalisée de Jung) ni le fruit d'un processus complexe et aléatoire, marqué notamment par la concurrence entre Centres capitalistes pour se tailler une base fondamentale d'accumulation et n'ayant d'ailleurs jamais, en Europe ni ailleurs, vraiment engendré d’États qui correspondent exactement à ce que les marxistes définissent comme une nationalité.
    Par exemple, s'il n'y a pas d’État occitan, c'est parce qu'au moment décisif (13e siècle) les tentatives des classes dominantes occitanes (toujours partielles : Aquitaine-Gascogne, Languedoc, Provence, jamais l'Occitanie entière) ont échoué pour tout un faisceau de raisons et ont été écrasées par l'expansionnisme capétien, porté par la bourgeoisie francilienne. De même, s'il y a une Allemagne et une Autriche, c'est parce qu'au 19e siècle il y avait deux grands Centres de pouvoir (les Hohenzollern de Prusse appuyés sur la bourgeoisie brandebourgeoise et rhénane et les Habsbourg d'Autriche appuyés sur la bourgeoisie de Vienne) qui n'ont jamais réussi à s'entendre, revendiquant chacun l'unification des peuples de langue germanique sous sa seule coupe [de fait, si quelque chose marque la singularité du nazisme au sein du fascisme européen en général, c'est peut-être cet échec historique de la bourgeoisie allemande à assouvir son "grand" projet : un État allemand correspondant peu ou prou au Saint-Empire de l'An Mille et exerçant sa domination sur toute l'Europe centrale et orientale]. Tout cela est aussi aléatoire (dépend d'autant de facteurs) que le fait que dans la nature, le lion attrapera tel jour la gazelle et tel jour non ; mais Jung refuse d'admettre de tels aléas car il ne voit pas les choses en matérialiste mais en idéaliste, en termes de "peuple" comme communauté organique et d’État comme "destin" de cette communauté. Jusqu'en 1918 les Allemands des Sudètes se trouvaient dans l'Empire austro-hongrois, puis ils se retrouvèrent dans un nouvel État dénommé "Tchécoslovaquie". Ceci, effectivement, n'était pas démocratique : les Sudètes étaient niés à l'intérieur d'un État base d'accumulation pour la bourgeoisie tchèque (en réalité celle-ci était très faible et une telle chose n'était possible qu'avec le soutien impérialiste de l'Entente, les vainqueurs de la Première Guerre mondiale). Mais tout ceci n'était pas le problème de Rudolf Jung, qui avait d'ailleurs déjà commencé son militantisme pangermaniste depuis bien longtemps (sous l'Autriche-Hongrie), définitivement forgé son idéologie et mis le point final à son œuvre maîtresse (Le Socialisme national) alors que la Tchécoslovaquie voyait à peine le jour. Son problème, son objectif, c'était la Grande Allemagne qui n'avait pas réussi à se constituer au 19e siècle, projet impérialiste fort peu soucieux (d'ailleurs) de "pureté" ethnique allemande lorsqu'il s'agissait d'annexer (et d'asservir) des populations slaves.
    Tout cela, ce sont des contradictions du capitalisme que le fascisme (ce qu'était l'idéologie de Jung) et, dans un sens, l'idéologie bourgeoise en général (mais de manière moins ouvertement agressive) a pour vocation existentielle de nier et dissimuler sous des mythes pour tenter de les "surmonter" et de faire exister ce que chaque bourgeoisie perçoit comme sa "destinée", plus ou moins contrariée par l'histoire ! [Il en va exactement de même du mythe de la "Gaule" et de "l'Hexagone", ce "cristal" parfait qui "ne pouvait avoir une autre forme", correspondant exactement aux "frontières naturelles" de la base d'accumulation "idéale" visée par l'expansion parisienne "française" tout au long des 17e, 18e et 19e (voire 20e) siècles.]
    Nous, notre prétention est seulement de comprendre les processus du passé car de ceux-ci découle le présent ; afin de pouvoir transformer ce présent et construire l'avenir !!!

    [4] Dans le cas spécifiquement français, au demeurant, dès 1789 et totalement dans la seconde moitié du 19e siècle, le clivage entre droite et gauche des Lumières tendra à recouper assez nettement un clivage Nord-Sud et à se coupler, dès lors, à une hostilité aux Juifs puisque l'Occitanie avait été leur Sion médiévale et puisqu'à l'époque les Juifs de France étaient soit alsaciens ou lorrains, soit occitans (communautés de Provence-Languedoc issues du Comtat papal et communautés gasconnes)... le clivage s'ancrera rapidement et par la suite, si les exceptions sont devenues célèbres (Maurras), l'Occitanie restera relativement hermétique à la "droite révolutionnaire" dont parle Sternhell - en revanche, sous Vichy, il existera une collaboration de gauche (René Bousquet etc.).

    [5] Les Jésuites ne se caractérisaient d'ailleurs pas par un antisémitisme particulièrement virulent pour leur époque : http://fr.wikipedia.org/wiki/Relations_entre_Juifs_et_Jésuites...
    Il s'agit vraiment du seul courant de pensée (en tout cas l'avant-garde du seul courant) réellement qualifiable d'"anti-Lumières"/"anti-moderne" à l'époque considérée. Ils s'opposaient à vrai dire non seulement aux Lumières mais à toutes les "idées nouvelles" surgies depuis le 16e siècle, y compris les grandes découvertes scientifiques indiscutables comme l'héliocentrisme de Copernic (le fait que la Terre tourne autour du Soleil et non l'inverse), et non seulement à l’État bourgeois (monarchie ou même république parlementaire) voulu par les Lumières mais aussi à l’État moderne sous sa forme monarchique absolue (mouvement des monarchomaques), tel que théorisé par Jean Bodin par exemple. Ils étaient, en réalité, les derniers défenseurs de la "république populaire" et de la subsidiarité médiévale sous le "patronage" bienveillant de l’Église ; et bien qu'attachés à certaines hiérarchies sociales et à l'obéissance à ces hiérarchies, ils opposaient même à la modernité de leur époque (affirmation quotidienne de capitalisme et de son État) des conceptions très démocratiques voire sociales, qu'ils mirent notamment en pratique dans leurs missions du Paraguay [l'origine basque des deux principaux fondateurs de l'ordre, Ignace de Loyola et François Xavier, contemporains (au demeurant) de l'exécution militaire du Royaume de Navarre par le jeune État moderne espagnol, n'est sans doute pas dissociable de ce catholicisme "populaire", "foi du charbonnier" et "républicain" anti-absolutiste porté par les Jésuites, ainsi que d'un certain esprit de syncrétisme avec les croyances ancestrales pré-chrétiennes que l'on retrouvera notamment dans les missions du Paraguay, puisque tout cela était caractéristique de la très catholique mais aussi très égalitaire et "républicaine paysanne" (dénuée de conception monarchique forte) société basque de l'époque]. Ils admettaient et faisaient même (pour certains) la propagande du tyrannicide, autrement dit l'élimination par n'importe quel individu du souverain devenu 'despote'. Ceci leur vaudra, bien avant les révolutions bourgeoises qui les vouaient évidemment aux gémonies (comme incarnations de l'"obscurantisme"), des relations exécrables avec toutes les grandes monarchies absolues (y compris de religion officielle catholique : France, Autriche, Espagne, Portugal) mais aussi tumultueuses avec la Papauté qui, bien que fortement "anti-moderne" elle aussi, voulait ménager les États absolutistes et en était, au demeurant, un elle-même (en Italie centrale). Ils refusèrent toujours catégoriquement de participer à l'Inquisition qui rappelons-le, bien qu'institution de l’Église, avait été l'un des premiers instruments de terreur de masse de l’État moderne ; et leurs ouvrages furent fréquemment mis à l'Index par elle.
    Ce courant de pensée n'a pas de continuateurs directs au 20e siècle et encore moins aujourd'hui, après que les révolutions bourgeoises et la "révolution" industrielle aient tout balayé sur leur passage. On peut lui trouver un héritier très indirect dans le christianisme social, c'est à dire les éléments qui (vers le milieu ou la seconde moitié du 19e siècle) ont finalement accepté la modernité et le système politique issu des Lumières en endossant le rôle de "critique sociale humaniste et modérée" de la nouvelle société : c'est la position politique actuelle de 99% de la Compagnie de Jésus (qui existe encore bien entendu et compte 17.000 membres à travers le monde). Ceci peut parfois les conduire à droite, comme l'actuel pape Bergoglio (ex-"provincial" argentin des Jésuites) qui a milité dans sa jeunesse à l'aile droite du péronisme, mais aussi (souvent) très à gauche, vers la théologie de la libération (comme les franciscains, un peu dans le même esprit mais nés bien avant, dès 1210), ce qui vaudra à beaucoup la torture et/ou la mort sous les dictatures sud-américaines (d'où la polémique actuelle sur le rôle de Bergoglio/"François" pendant cette période). Nous avons vu comment, passées les Lumières et la "révolution" industrielle, la religion en tant qu'idéologie ne peut plus avoir aucun caractère autonome : elle "marque", certes, culturellement les différents pays du monde, mais les interprétations du corpus doctrinal peuvent aller de l'extrême-droite à l'extrême-gauche. L'hégémonie intellectuelle sur la planète appartient aux idéologies issues des Lumières (aile gauche ou aile droite), combattues par l'idéologie communiste. Les pensées religieuses se positionnent par rapport à cela et non l'inverse - définition de l'hégémonie selon Gramsci.

    Le fascisme quant à lui, surtout dans les pays catholiques, a pu s'appuyer sur les thèses "sociales" de l'encyclique Rerum novarum - qui marque le véritable ralliement de la Papauté à la modernité triomphante (ralliement de l'Église aux Lumières, donc, et non l'inverse) tout en en critiquant les "injustices", et qui prétend "associer" Capital et Travail dans un esprit paternaliste. Mais sa filiation profonde n'est pas là : véritablement, Zeev Sternhell confond "anti-Lumières" et aile droite des Lumières ("Lumières d'ordre"). Le fascisme cherche d'abord et avant tout à arracher le capitalisme à la "mauvaise pente" sur laquelle il le voit, et il fait preuve dans cela d'un grand pragmatisme. En Allemagne, pays partagé entre catholiques et protestants et dont cette division a (justement) été le principal frein à l'unité et à la "volonté de puissance", Hitler "solutionne" la question en rejetant tout simplement le christianisme ("idéologie de la faiblesse" selon lui, dans un esprit nietzschéen) et en invitant les croyants à en faire une affaire strictement privée : au-dessus de tout doit être l’État, la Grande Allemagne et son unité face aux concurrents impérialistes et à la menace communiste.

    De même, en France, Charles Maurras est profondément un homme de raison et sa démarche n'est pas celle d'un fanatique opposé à toute "idée nouvelle", mais celle d'un pragmatique. Provençal, il est attaché à sa "petite patrie" et hostile à la centralisation parisienne, mais non moins soucieux de la "Grande France" et de sa puissance internationale. La puissance nécessite l'unité et "l'ordre" contre les luttes de partis (bourgeois) et de classes ; elle nécessite un "État fort" que la IIIe République parlementaire n'est selon lui pas capable de lui donner. La lutte des classes marxiste doit s'effacer devant une "solidarité nationale" appuyée sur des "corps intermédiaires" librement organisés et non-étatiques, dont seul un État fort peut constituer la clé de voûte. Quant à la centralisation, avec ses conséquences l’étatisme et la bureaucratie (rejoignant ainsi les idées de Proudhon), elle est selon lui inhérente au régime démocratique : il estime que les républiques ne durent que par la centralisation, seules les monarchies étant assez fortes pour décentraliser. La république parlementaire libérale associe à ses yeux centralisme bureaucratique et décadence. Il faut donc un roi, appuyé sur le catholicisme comme religion ultra-majoritaire des Français (contre les "États confédérés de l'anti-France" que sont les Juifs, les protestants, les francs-maçons et les 'métèques', mais il s'agit là d'un catholicisme très gallican où l'autorité de Rome n'a pas vocation à être au-dessus de celle de l'État français) ; bien qu'il ait été lui-même (longtemps) un républicain modéré et un agnostique. Minoritaire au départ, il parviendra avec beaucoup d'habileté à imposer ce point de vue aux fondateurs de l'Action française, Henri Vaugeois et Maurice Pujo, hommes du Bassin parisien plutôt républicains (eux aussi), anticléricaux et... jacobins/bonapartistes, centralistes.

    Au sujet de Maurras et de l'Action française (car pour Sternhell le fascisme n'est pas seulement "anti-Lumières" mais aussi né en France, ce qui pour le coup - d'ailleurs - est une thèse plus qu'intéressante à contre-courant des postulats "blanchisseurs" de René Rémond & co), voici ce que nous pouvions écrire il y a une dizaine de mois : "Combien n'a-t-on pas entendu, par exemple (et pas seulement du 'p''c''mlm'), que "Maurras et l'Action française, c'est le rejet des Lumières"... ? ARCHI-FAUX : Maurras et l'Action française se revendiquaient du POSITIVISME (dont on dit souvent, en "France", que "le marxisme s'inspire" alors que dans toute son œuvre Marx consacre peut-être trois paragraphes à Auguste Comte pour dire que c'est un triple crétin...) ; autrement dit des "Lumières", de la pensée bourgeoise et du "scientisme" du 19e siècle. À l'origine RÉPUBLICAINS de tendance conservatrice, anti-socialiste et chauviniste revancharde, souvent agnostiques (comme Maurras) ou en tout cas très "séculiers", ils se tourneront par pur pragmatisme vers l'idéologie nationale-catholique (comme "ciment" du "nationalisme intégral") et le principe monarchique... mais choisiront pour monter sur le trône la branche d'Orléans, celle de Louis-Philippe (Monarchie de Juillet) et du régicide Philippe "Égalité" (qui avait voté la mort de son cousin Louis XVI à la Convention), autrement dit la branche capétienne acquise aux "idées nouvelles" et aux "Lumières". Ce que voulaient simplement les maurrassiens, c'était un État fort et même "en acier trempé" au service du Capital ; et ils pensaient qu'aucun système républicain (forcément parlementaire dans leur esprit) ne pouvait l'assurer en termes de légitimité : il fallait donc un roi (comme en avaient d'ailleurs tous les États européens à l'époque où naissait l'AF, sauf la France et la Suisse). Ils n'avaient absolument aucun projet d'"effacer" toute la pensée bourgeoise produite au long des 16e, 17e et 18e siècles (celle qu'apprécie tant le 'p''c''mlm')... De même, parmi les théoriciens racialistes du 19e siècle qui seront repris sous toutes les coutures par le fascisme au siècle suivant, Joseph Arthur de Gobineau, certes légitimiste à l'origine, était un protégé de Tocqueville, tandis que Paul Bert était profondément "libre-penseur", positiviste, républicain et anti-clérical ; il est même considéré comme l'un des "pères fondateurs" de "notre" école républicaine publique et laïque... Comme "hommes des Lumières", il est difficile de faire mieux !"

    [6] Les sternhelliens et autres postoniens (c'est un peu la même chose) nous disent que "l'antisémitisme n'est pas un racisme comme les autres" (mais quel racisme est comme les autres ? l'arabo/islamophobie est un racisme de "guerre des civilisations" depuis le Moyen Âge, la négrophobie un racisme de rabaissement infra-humain à l'état de "singe" ou de "grand enfant" idiot mais potentiellement dangereux etc.) : c'est un "anticapitalisme romantique" qui assimile les Juifs à "l'argent", l'usure, la spéculation, "l'avidité" etc. etc. Mais ceci n'est réellement "sérieux" qu'en prenant au mot... les antisémites eux-mêmes et leur définition du capitalisme !
    Loin d'être "anticapitaliste", l'assimilation des Juifs à "l'usure" et à "l'avidité" accompagne en fait TOTALEMENT le développement du capitalisme durant TOUTE sa phase historique ascendante, du 12e au 20e siècle. De fait, princes et puissants "très chrétiens" du Moyen Âge obtenaient (déjà plus ou moins sous la menace...) des "prêts" des communautés juives, puis les accusaient d'"usure" pour refuser de les rembourser... et au contraire les chasser, les spolier voire les massacrer : de là vient la "légende" [une politique, concrètement, d'extorsion de fonds en masse par les États modernes en formation à l'encontre des communautés juives, accompagnée d'expulsions et de massacres... dans laquelle on peut voir, peut-être, un des tous premiers mécanismes de l'accumulation primitive !!]. Et être contre "l'usure", la "spéculation" et "l'avidité" n'est NULLEMENT "anticapitaliste" : c'est au contraire une ABSOLUE NÉCESSITÉ du capitalisme lui-même, mode de production en lutte (en INSURRECTION) permanente contre sa propre crise (dont la spéculation est un symptôme) et qui, bien que basé sur la concurrence entre entrepreneurs, a besoin pour fonctionner de pratiques "loyales" et d'un certain nombre de "règles". Dans des pays où les Juifs sont historiquement associés à la spéculation, à l'avidité et à la déloyauté en affaires, cela peut effectivement faire "très mal" lorsque la crise capitaliste atteint un certain degré d'acuité ; et cela n'a pas attendu le 20e siècle (même si bien sûr les moyens techniques de celui-ci ont donné à la persécution une dimension jusque-là inégalée). Il y a alors (peut-être) des gens pour n'appeler "capitalisme" QUE les pratiques déloyales, l'avidité et l'accumulation "excessive", l'usure et la spéculation etc. Mais ce n'est pas la définition marxiste du capitalisme. Les gens qui définissent ainsi le capitalisme (pour ensuite, éventuellement, associer ce "capitalisme" aux Juifs et les persécuter à ce titre) ne sont pas des "anticapitalistes". Ce sont de PURS REPRÉSENTANTS d'un capitalisme en INSURRECTION CONTRE SA PROPRE CRISE. 


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