• Sur une controverse de définitions entre marxisme et décolonialisme


    En l'occurrence, la question de savoir si le capitalisme :

    - une fois né au Moyen Âge (en Europe, mais pas seulement) puis, à l'issue de la crise générale traversée par la féodalité européenne entre le 13e et le 15e siècle, lancé dans une dynamique d'expansion ultra-marine, EST À L'ORIGINE DU COLONIALISME ET DONC DU RACISME ; ou alors

    - est un paradigme, une manière "totale" de produire mais aussi de vivre et de voir le monde, ISSUE de ce colonialisme européen dont l'idéologie est le racisme et qui débute à la fin du 15e siècle (date emblématique de 1492).

    Car il est possible en un sens de dire que (commentaire FB) :

    "Concrètement je pense qu'il ne faut pas confondre le capitalisme qui est un mode de production, une manière de produire et distribuer des marchandises, et qui ne produit donc que ça (et pas des choses telles que la race...), et la Modernité occidentale qui est une CIVILISATION, un paradigme et une vision du monde dans laquelle la race est centrale et fondatrice.

    Le capitalisme est une simple façon de produire et distribuer qui peut exister n'importe où dans le monde, n'est pas exclusivement blanche-européenne et a même longtemps été bien plus développée ailleurs qu'en Europe (que Samir Amin décrit au Moyen Âge comme une petite péninsule complètement périphérique sur la planète).

    Le capitalisme engendre tendanciellement, mais pas forcément l'impérialisme ; puisque cette tendance amène des gagnants mais aussi des perdants qui sont vaincus et se retrouvent dominés.

    Et de toute façon l'impérialisme n'engendre pas forcément une théorie de la race, en témoignent les grands Empires musulmans qui ont fonctionné des siècles sans.

    La Modernité occidentale avec la race en son centre ne découle pas 'du capitalisme' mais de la façon dont la petite péninsule périphérique Europe a renversé la vapeur dans la plus extrême violence, pour se constituer en Centre du monde (de fait premier empire totalement mondial), et de fait, certes, en seule forme mondiale de capitalisme que nous connaissons aujourd'hui.

    Le capitalisme n'est pas équivalent de la Modernité occidentale et peut même dans le contexte d'aujourd'hui, dans certains pays, être subversif, un crachat contre elle (même si de mon point de vue le socialisme c'est mieux :D)."

    "le capitalisme c'est pas quelque chose de plus structurel, institutionnel et situé historiquement, que simplement une manière de produire localement"

    "Ce que tu décris, et qui s'appelle la Modernité occidentale, est une civilisation. Certes assise sur un mode de production : le capitalisme.

    Le capitalisme est un mode de production. Certes, n'existant plus vraiment aujourd'hui dans le monde autrement que sous la forme de la Modernité occidentale, ou en tout cas se débattant dans ses filets comme les capitalismes asiatiques.

    C'est comme si tu disais esclavage = Empire romain. Ben non. L'esclavage est une manière d'exploiter la force de travail pour produire. L'Empire romain était une civilisation avec des institutions, une culture, une vision du monde ; fondée sur cette manière de produire."

    Mais l'on pourrait dire aussi que (autre commentaire FB en réponse à un facho complet digne d'Henry de Lesquen) :

    "Le capitalisme n'est pas simplement l'économie marchande (je fabrique pour te vendre en me faisant une marge qui paye mon travail et celui de mes collaborateurs). Le capitalisme est un SYSTÈME TOTAL qui inclut pouvoir absolu de la finance, expansion territoriale permanente, État moderne prison des peuples, impérialisme, colonialisme, esclavage ou formes poussées de travail asservi, surexploitation...

    Intéressant à ce titre que tu revendiques Richelieu, boucher de l'Occitanie, de la Provence (répression des Cascavèus 1630), inventeur des préfets (intendants) mais aussi initiateur de la colonisation des Antilles et de la première compagnie négrière. Un personnage vraiment clé et emblématique, en effet, dans ce processus de naissance du capitalisme.

    Ce système qui existe depuis la fin du Moyen Âge, est responsable depuis lors de millions de morts PAR AN.

    Alors sérieusement, s'il est certes des régimes communistes qui ont fâcheusement dévié et "le temps d'une mascarade, plus fait que frémir", entendre parler de "crimes du communisme" me fait toujours doucement rigoler, et j'ai pour politique de ne jamais me dissocier d'aucune révolution communiste devant les gugusses comme toi.

    Je te dis même la vérité : j'assume, quand je vois tes petits copains en Europe de l'Est (Kaczynski, Orban etc.), une pointe de nostalgie pour Jaruzelski et Ceausescu. Vraiment."

    Évoquées rapidement ci-dessus, il y a notamment les thèses de l'économiste marxiste égyptien Samir Amin (quoi que l'on puisse penser par ailleurs de ses prises de positions politiques comme son soutien à la Chine contre-révolutionnaire post-1976 ou plus récemment - et pire - au coup d’État fasciste de Sissi en Égypte) :

    http://ekladata.com/dT8dyYQdyQMZGuVUV6NlAKRPvQc/Samir-Amin-developpement-inegal-et-question-nationale.pdf

    En résumé extrême : les thèses d'Amin remettent en cause une certaine vision historique linéaire des marxistes, voyant s'enchaîner pareillement et partout dans le monde sociétés archaïques, esclavage antique, féodalité et capitalisme.

    Il "restaure" sur le devant de la scène le concept de système TRIBUTAIRE (parfois qualifié aussi d'"hydraulique" ou surtout "asiatique" par Marx et Engels qui s'y étaient finalement assez peu intéressés mode-production-asiatique), en distinguant différents niveaux d'"achèvement" de celui-ci (l’Égypte ou le Proche et Moyen Orient antiques, la Chine - surtout ! - ou les civilisations indiennes, mais aussi les civilisations islamiques médiévales représentant des modèles particulièrement "achevés") ; un système reposant sur des formes variées d'organisation de la production et d'exploitation de la force de travail (communautés libres plus ou moins collectivistes "versant" une part de leur produit à une autorité supérieure, servage, esclavage pur et simple, mais aussi salariat) ; et dans lequel évidemment circule la marchandise, donc existent (de tout temps et en de très nombreux endroits) des formes d'économie marchande produisant (transformant une matière première) pour vendre ou achetant pour revendre dans un service d'acheminement au consommateur.

    Et ainsi donc, après l'Empire romain qu'il qualifie d'"ébauche de construction impériale tributaire (...) hétéroclite en termes ethniques et (à) la centralisation tributaire inégale, tandis que subsistaient des modes de production variés allant de la communauté primitive au mode tributaire achevé et que se développaient les échanges marchands et, avec eux, les enclaves esclavagistes" ; et que nous avons parfois pu pour notre part (comme d'autres marxistes, sujet vigoureusement débattu : Salvioli-et-la-controverse-du-capitalisme-antique.pdf) envisager comme une forme de "petit monde d'aujourd'hui", déjà par certains aspects capitaliste mais avec une force de travail principalement esclave, d'où sa crise finale et fatale ("suggérer que les empires de l'Antiquité orientale et romaine constituèrent des étapes d'une évolution vers la constitution d'une formation tributaire achevée, c'est poser la forme tributaire comme supérieure aux formes antiques, c'est donc prendre le contrepied de la thèse qui situe le mode de production asiatique avant le mode esclavagiste, ce que contredit le niveau comparé de développement des forces productives", ajoute Amin) ; il présente la féodalité médiévale européenne comme une forme de système tributaire très imparfait ("par contraste avec d'autres sociétés tributaires plus avancées, une variété précoce, inachevée et complexe"), faisant de l'Europe une petite péninsule du grand continent eurasiatique extrêmement périphérique dans le "monde connu" (Europe-Asie-Afrique) d'alors.

    Mais ce sont aussi, toujours selon lui, précisément ces caractéristiques qui vont en quelque sorte "pousser", offrir les "conditions les plus favorables au dépassement du mode tributaire (et) à l'éclosion rapide du mode capitaliste"* et PERMETTRE à l'Europe (après la première tentative infructueuse des Croisades, mais aussi le succès de la "re"-conquête de l'Espagne et - il l'évoque rapidement - la soumission politique et économique des centres les plus avancés de l'An 1000 - Italie, Occitanie - à de nouveaux centres plus au Nord - Bassin parisien, Axe rhénan, Angleterre) de se lancer à la conquête du monde (un peu comme déjà, pourrait-on dire, pour les mêmes raisons les cités grecques, la fruste Macédoine d'Alexandre et la bourgade italienne nommée Rome)... et ce faisant de DONNER NAISSANCE au capitalisme, à la Modernité capitaliste : un "paradigme" n'ayant donc pas d'antécédents historiques mais aussi pas d'équivalent dans la multitude d'économies marchandes de production-pour-vendre ou achat-pour-revendre ayant toujours existé partout et de tout temps, et pas d'autres centres que l'Occident ouest-européen et nord-américain auquel peut éventuellement être adjoint ("Triade") le "petit dernier" japonais, régnant sur la planète entière ; sorte (quelque part) d'Empire romain à un niveau (infiniment) supérieur de modernité et (surtout) mondial ; INTRINSÈQUEMENT fondé sur un système de centres "introvertis" ("pompes" à richesses pour faire court) et de périphéries "extraverties" ("pompées") avec des situations intermédiaires (Espagne-Portugal et Russie à une époque, "émergents" aujourd'hui) jouant le rôle d'"interfaces" ; donc (intrinsèquement) sur l'État moderne prison des peuples et l'Empire colonialiste raciste.

    Le capitalisme serait ainsi quelque part, en dernière analyse, INTRINSÈQUEMENT un colonialisme : une classe dominante capitaliste, appuyée sur un appareil d’État (directement bourgeois ou d'extraction féodale - monarchie absolutiste), COLONISE des territoires et les masses populaires de force de travail (et aussi de consommation : "marché") qui les habitent... N'existant finalement, dans ce paradigme, QUE de telles colonisations plus ou moins "douces" ou violentes (avec notamment le divide entre les populations relevant du "monde blanc" et les autres - indigènes, Amin lui-même insistant sur cette distinction lorsqu'il aborde la question des périphéries intérieures des grands États impérialistes) et plus ou moins récentes et "à vif" ou anciennes et oubliées, enterrées sous les conditions de vie "correctes" que les masses populaires concernées auraient éventuellement atteintes depuis. C'est d'ailleurs un peu le sens originel (à l'époque dite moderne) du terme "coloniser", qui n'a longtemps pas signifié imposer à un peuple d'outre-mer une domination particulièrement violente, mais simplement investir un territoire soit inhabité soit hors de toute activité économique "productive" et "rentable"... d'un point de vue capitaliste, et le "mettre (toujours de ce même point de vue du profit capitaliste) en valeur" (comme par exemple au 19e siècle les Landes de Gascogne). Le capitalisme est donc, dans cette logique, colonisation (prise de possession et exploitation de territoires et de populations en quête permanente de profit) et la colonisation est capitalisme, de manière totalement indissociable.

    Des caractéristiques "tributaires inachevées-périphériques", dans un "Ancien Monde" dont les Centres étaient la Chine et la "ceinture islamique" du Maroc à l'Inde, auraient donc engendré concomitamment (et se nourrissant l'une de l'autre - cela personne de sérieux ne l'a jamais nié depuis Marx) l'expansion coloniale et le mode de production, mais aussi "modèle de civilisation" dit capitaliste : (reprenant et "repensant" le très européo-méditerranéo-centré enchaînement marxiste "classique" des modes de production) "le développement inégal s'est manifesté de cette manière : la longue histoire de l'Orient ancien, de l'Antiquité grecque, hellénistique et romaine puis de ses héritiers occidentaux, byzantins puis ottomans et arabo-islamiques, est l'histoire du développement progressif du mode tributaire et de son dépassement capitaliste à partir de sa périphérie la moins avancée, l'Europe barbare puis féodale".

    Il n'y aurait donc peut-être (du coup...) que DEUX grands modes de production dans l'histoire de l'humanité post-néolithique : le mode tributaire sous ses multiples formes (dont la féodalité européenne médiévale en serait une particulièrement "imparfaite" et "peu solide") ; et le mode que l'on appellera CAPITALISTE-IMPÉRIALISTE avec sa forme "primitive" ("mercantile-esclavagiste", disons) gréco-romaine antique (et peut-être, sans doute même, des formes similaires dans des enclaves locales et sur des périodes momentanées au sein des grands ensembles tributaires ailleurs...) et sa forme actuelle dominant la planète entière, la Modernité capitaliste ; jailli à chaque fois de conditions très particulières spécifiques aux systèmes tributaires les plus "périphériques" et "fragiles". La question (pour prolonger la réflexion) de l'exceptionnelle stabilité et longévité des systèmes tributaires "achevés", telle que décrite par Marx et Engels et les auteurs marxistes par la suite ("mode de vie millénaire" etc.), soulevant peut-être celle de leur relative... justice sociale, ou du moins "complémentarité"-"symbiose" entre les groupes sociaux (et les régions/ethnies dans les grands Empires) par rapport au capitalisme impérialiste ; loin de l'imagerie bourgeoise "éclairée" du "despotisme oriental" ; avec simplement périodiquement, dans des situations de crise alimentaire pour causes naturelles ou de parasitisme/abus excessifs du pouvoir, la "sanction" d'une grande révolte paysanne ou de l'assaut d'un peuple périphérique marginalisé prenant la place de la caste dirigeante à la tête du système inchangé. Et bien sûr la question, qui a longuement pu faire débat parmi les marxistes (trois exemples : Marx-Zassoulitch, Mariátegui et John MacLean ont été évoqués par nous dans ce vieil article ; voir aussi ici), de si le socialisme ne serait peut-être pas en dernière analyse (permis uniquement par le capitalisme impérialiste et ses oppressions et contradictions "folles") un mode de production tributaire rétabli à un niveau supérieur ; sans la perception d'un tribut (produits ou travail fournis gratuitement) par une caste dominante "parasite", mais en reprenant ses caractéristiques collectivistes, solidaires, "justes" etc.

    Ces thèses seraient peut-être une possible piste pour "réconcilier", ou plutôt trouver la bonne réponse entre les deux positions (qui ne s'opposent finalement pas sur grand chose !).

    Bref... Affaire à suivre.


    [* Comment cela ? Regardons-y de plus près :

    Les systèmes tributaires ne sont pas non plus totalement idylliques, et connaissent fréquemment des révoltes populaires. Ce sont (déjà pour commencer) des systèmes où domine encore la dictature de la nature ; donc à un moment donné, si cette "dictature" conduit les conditions de reproduction de l'existence à ne plus être assurées, soit des millions de producteurs sont condamnés à mourir de faim, soit la caste tributaire n'est plus approvisionnée et c'est elle qui meurt de faim, ce qui va forcément conduire les uns et les autres au choc pour la survie.

    Mais Amin montre que les systèmes tributaires suffisamment "forts", comme typiquement en Chine, parviennent généralement à surmonter ces crises ou du moins à se reconstituer après ces phases d'effondrement, éventuellement sous une nouvelle dynastie etc. ; les conditions naturelles finissant en général par s'améliorer à nouveau et puis aussi, la caste tributaire se mettant au boulot qui est le sien : la production intellectuelle, apportant des innovations techniques qui permettent d'améliorer la production.

    Par contre, si un système tributaire est faible et fragile comme il décrit la féodalité européenne médiévale (avec une fragmentation politique, des autorités séculières et religieuses qui ne se confondent pas etc.), déjà "rongé" de l'intérieur par l'évolution des marchands en classe capitaliste : chaque révolte populaire, faute de prendre le pouvoir et d'instaurer un nouveau système politique pour elle-même, renforce objectivement (c'est à dire même contre sa propre volonté) un peu plus cette classe contre l'autorité tributaire (féodale) ; celle-ci étant chaque fois plus subsumée par le capitalisme (mise au service de l'alimentation du marché) et suscitant chaque fois plus, que ce soit en tant que "maîtresse" de la production primaire (grande propriété agraire) ou en tant que "fonctionnaire" de l’État monarchique au service de cette logique capitaliste, l'hostilité et les révoltes populaires, etc. etc. ; tandis qu'en parallèle, l'innovation technologique et scientifique qui permet de surmonter la "dictature de la nature" devient de plus en plus le fait d'éléments de cette classe capitaliste en développement (et de moins en moins de nobles ou d'ecclésiastiques), renforçant là encore sa position sociale jusqu'à sa prise de pouvoir, "surfant" sur d'énièmes luttes populaires, par et pour elle-même ("révolution bourgeoise").

    Un processus qu'il expose de la manière qui suit :

    "a) Chaque mode de production est caractérisé par ses contradictions et donc par des lois de son mouvement spécifique. Et le mode féodal, en tant que cas d'espèce de la grande famille du mode tributaire, est caractérisé par la même contradiction fondamentale (paysans producteurs/ classe tributaire exploiteuse) que toutes les autres espèces du mode tributaire. Mais il n'y a pas de lois de la transition. Chaque transition exprime le cheminement d'une nécessité historique dépasser des rapports de production anciens pour permettre un développement latent et mûr des forces productives sur la base de nouveaux rapports à travers une articulation concrète de nombreuses contradictions spécifiques à une formation sociale (et non un mode de production). Il n'y a pas plus de lois de la transition au capitalisme central qu'au capitalisme périphérique ou au socialisme. Il n'y a que des situations concrètes. 

    b) Le mode féodal, en tant qu'espèce inachevée, primitive, périphérique du mode tributaire (qui existe sous sa forme achevée ailleurs : Chine, Égypte...) est animé par une tendance profonde qui lui est immanente : il tend vers l'achèvement sous la forme tributaire. En ce sens, le mouvement qui va de l'émiettement féodal du Moyen Âge à l'absolutisme royal mercantiliste n'est pas le fruit du hasard. Le caractère primitif du mode féodal résulte de la combinaison entre la désagrégation de l'Empire romain, en voie d'évolution vers une forme tributaire, et l'accélération de la transformation des modes communautaires des Barbares. Perry Anderson (9) a parfaitement illustré ce point. La flexibilité plus grande qui résulte de ce caractère inachevé du mode féodal entraîne l'amorce plus rapide de son dépassement par l'éclosion précoce en son sein des embryons du mode capitaliste.

    c) Les groupes de classes en présence au cours de la période mercantiliste sont de ce fait au nombre de trois : les paysans, les féodaux et les bourgeois. Les luttes de classes, triangulaires, impliquent des blocs mouvants de deux groupes contre un. La lutte des paysans contre les féodaux conduit à la différenciation au sein de la paysannerie et au développement d'un petit capitalisme agraire et/ou à l'adaptation de la féodalité à un capitalisme agraire de grands propriétaires - la Physiocratie en témoigne. La lutte des bourgeois urbains (marchands) contre les féodaux s'articule sur la précédente et donne naissance aux manufactures, au système du putting out, etc. La bourgeoisie tend à se scinder en une fraction supérieure, qui cherche le compromis (protection royale des manufactures et des compagnies marchandes, annoblissement et récupération pour son compte de droits seigneuriaux, etc.) et une fraction inférieure qui est contrainte à se radicaliser.

    d) La tendance à l'évolution de l'émiettement féodal au pouvoir absolutiste opère sur ce fond de luttes. Selon donc les forces relatives de chaque groupe (et sous-groupe), cette évolution s'accélère ou avorte, prend telle forme et contenu (soutien de telle classe principale) ou une autre. Le pouvoir prend de ce fait une certaine autonomie sur laquelle Marx et Engels ont appelé l'attention. Donc une certaine ambiguïté, soutien mouvant des uns contre les autres. Si la constitution d'États centralisés (que certains disent, trop simplement, féodaux) ne bloque pas l'évolution au capitalisme, mais au contraire l'accélère, c'est bien parce que la lutte des classes s'aiguise en leur sein. Notre thèse, ici, est que lorsque le mode tributaire prend en Europe sa forme achevée (avec les monarchies absolues), c'est trop tard : les contradictions de classe nouvelles (capitalisme agraire et capitalisme manufacturier) sont déjà trop avancées pour ralentir d'une manière significative leur développement. En rapport avec ces combinaisons chaque fois spécifiques, il faut analyser 1) le mouvement de la division internationale du travail (entre les régions de l'Europe mercantiliste et entre certaines d'entre elles et les périphéries d'outre-mer qu'elles créent) et 2) le contenu des grands courants idéologiques (Réforme, Renaissance, philosophie des Lumières...) qui sont à des degrés divers des combinaisons d'une composante «grande bourgeoise», «petite bourgeoise» (agraire, et/ ou artisanale), paysanne et même parfois, embryonnairement «prolétarienne» (là où naît la bourgeoisie, naît aussi le prolétariat). 

    e) Au terme de la période émerge un monde caractérisé par le résultat d'un développement inégal de type nouveau, différent des résultats du développement inégal aux époques précédentes (tributaire, féodale) : le développement inégal de la période mercantiliste. En 1800, il y a d'une part des centres capitalistes et d'autre part des périphéries, principalement façonnées par l'émergence des premiers, mais parmi ces centres capitalistes certains sont achevés (l'Angleterre, à un moindre degré la France) et d'autres ne le sont pas, dont il faudra suivre l'histoire ultérieure."

    Bien entendu, tout ce processus est absolument tout sauf linéaire (contrairement à la façon dont un certain marxisme "vulgaire" a souvent pu l'envisager) : il est une dia- ou, devrait-on plutôt dire, une trilectique permanente et complexe entre ces 3 éléments que sont les masses populaires et leurs (basiquement) soulèvements de la faim ; des capitalistes eux-mêmes dans une contradiction permanente entre sécrétion d'"humanisme", d'"idéal" libéral et démocratique, et piétinement de celui-ci et de la dignité des masses (car dans une contradiction permanente entre besoin d'un travailleur "libre" et nécessité d'exploiter au maximum, de tirer le plus de plus-value de celui-ci), sans parler bien sûr des peuples colonisés dont la domination est à partir de 1492 indissociable du processus en Europe ; et une féodalité à son stade "suprême" pour ne pas dire "ultime" de pourrissement réactionnaire et d'obsolescence historique, de plus en plus "zombie" et ne survivant plus que comme instrument à la fois utile et encombrant des précédents.

    Son aboutissement n'est pas la victoire des masses populaires mais, bien au contraire, la prise de pouvoir d'une bourgeoisie qui s'est juchée sur leur dos comme jadis les nobles sur celui de leurs serviteurs pour monter sur leurs chevaux ; et ce que celle-ci, avec ses "Lumières" de la "Raison", jette alors aux poubelles de l'histoire sous le nom d'"arbitraire" et d'"obscurantisme" n'est pas l'ordre social féodal de l'An 1000 qui serait resté inchangé depuis lors, mais bien ce "stade suprême-ultime-pourrissant" de la féodalité qui lui aura servi pratiquement jusqu'au dernier instant de "carcan utile", à la fois carcan et armure de protection ; les affres (finalement) de l'accouchement du capitalisme dans les entraves de cet ordre social aux atrocités innombrables qui s'étend du 15e au 18e siècle, mise bas dont elle "lave" (en quelque sorte) le "sang"...

    Avant de continuer, peut-être même pire encore qu'avant, à couvrir la planète et l'humanité de fléaux ; ce capitalisme, cet ordre social bourgeois désormais triomphant, n'étant en fin de compte lui-même qu'un accoucheur : celui de la société socialiste et communiste, véritable sortie de l'humanité de son "long Néolithique"...]


    [=> EN CONCLUSION DE TOUT CELA, le capitalisme ne serait donc pas "simplement" "l'économie de marché", mais bel et bien un SYSTÈME, une forme sociale TOTALE fondée certes sur une économie marchande... mais de marchandisation de tout ; dépouillant progressivement les masses populaires de TOUT moyen de subsistance autre que la vente de leur force de travail contre salaire ; et avec une tendance intrinsèque à la financiarisation et surtout, à l'EXPANSION TERRITORIALE de ses Centres d'accumulation au détriment les uns des autres ou des territoires encore pré-capitalistes.

    Autrement dit, intrinsèquement oppresseur national et colonialiste ; ce qui rejoint finalement l'"intuition" que nous avons pu exprimer depuis plusieurs années à ce sujet (par exemple, vieux articles : question-nationale-21e-siecle - gros-pave-question-nationale - clarification-centre-peripherie - notes-de-lecture-weil, lire aussi "La lutte pour le droit à l’autodétermination nationale dans les pays impérialistes", par G. Maj du (n)PCI) ; et signifie que quiconque n'est "pas clair" là-dessus ne PEUT PAS faire partie du camp de la révolution et doit en être exclu (pas rétroactivement bien sûr : on pouvait être "limité" là-dessus il y a 150 ans et rester quand même dans l'histoire comme un grand révolutionnaire, mais en 2018, une fois ces choses-là comprises, ce n'est plus acceptable - exemple : critique-d-une-position valable pour ceux qui soutiennent ladite position ici et là dans le monde).

    C'est là une nature, une ESSENCE MÊME que l'on ne peut pas sérieusement prétendre combattre le capitalisme si on ne la combat pas (non seulement en paroles, grandes déclarations de principes dans ses documents organisationnels, mais EN ACTES).

    En un sens, quelque part, cela ferait de ce que nous appelons capitalisme une sorte de "cancer" social, né d'un système tributaire faible, "malade" (celui de l'Europe médiévale, post-romaine), et qui en submergeant (au final) toute la planète aura planétairement "tué" le néolithique tardif de l'humanité qu'était le système tributaire ; pour permettre désormais à une nouvelle forme sociale, le SOCIALISME, de le remplacer là encore sur toute la planète.]

    [Concernant la classification du monde, par Amin, en Centres, semi-périphéries et périphéries :

    - Les Centres, semi-périphéries et périphéries sont des réalités à la fois territoriales et sociales ; sur la base du concept d'introversion/extraversion.

    - Les Centres sont les populations, sises dans des territoires, qui "pompent" (en quelque sorte) ; les périphéries celles qui sont "pompées" ; et les semi-périphéries celles qui sont d'un côté pompées mais bénéficient aussi d'un pompage.

    - Les Centres, ce sont les "métropoles mondialisées-connectées" petites bourgeoises occidentales (et japonaises, + quelques centres hors Occident, en Russie, en Chine, à la limite les oligarchies de chez oligarchie du Sud comme "centres relais"...).

    - La "semi-périphérie centrale", ce sont les masses populaires blanches ; c'est à dire effectivement presque tout le monde en Europe de l'Est et du Sud, mais aussi les masses les plus reléguées d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord. Ceci inclut la plus grande partie des peuples à question nationale d'Europe. On peut aussi y adjoindre, sans doute, une grande partie du Nord-Est asiatique.

    - La "semi-périphérie périphérique", ce sont les masses "indigènes" non-blanches du Nord global.

    - Enfin, la périphérie mondiale proprement dite c'est tout le reste : les 3/4 de l'humanité qui vivent en régime "semi-colonial semi-féodal".]


  • Commentaires

    4
    Samedi 12 Janvier 2019 à 14:44

    Sauf que l'apparition des mots est rarement concomitante avec l'apparition de ce qu'ils désignent.

    Et là, tu cites la date où (en Angleterre en effet) le MOT capitalisme est apparu pour désigner ce qu'on désigne ainsi ; et celle où le racisme a commencé à se désigner lui-même ainsi.

    3
    Mamadou niang
    Samedi 12 Janvier 2019 à 04:57
    Tu sais les mots ont un sens concret. Ca peut etre interessant de l'elargir, de jouer avec les mots, à condition d'avoir tjrs en tete leur vraie signification et de ne jamais la travestir sinon tu tombes dans le post-modernisme.
    2
    Vendredi 11 Janvier 2019 à 11:56

    Mdr c'est quoi ça ? La dernière analyse de génie de la Pensée Belinski ?

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    1
    Mamadou niang
    Mercredi 9 Janvier 2019 à 23:30
    Le capitalisme nait vers 1740 en Angleterre.

    Le racisme nait en Europe au XIXe siecle sous la plume d'auteurs tels que Gobineau.
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :