• Sur les résultats du second tour des départementales


    Que dire de bien spécial au sujet des résultats du second tour des élections départementales, sinon qu'ils se sont avérés conformes à toutes les prévisions c'est-à-dire :

    1°/ Un tsunami bleu UMP-centre-"divers droite" remportant entre 1125 et 1155 cantons (sur les quelques 1900 en jeu) soit de 2250 à 2310 conseillers et conquérant 25 départements, soit désormais 66 aux mains de la droite contre 41 auparavant. La gauche perd en définitive près de la moitié de ses 59 présidences sortantes (acquises notamment suite aux très bons résultats de 2008 et 2011) ; y compris des bastions tels que les Côtes-d'Armor en Bretagne (à gauche depuis 1976) ou encore le Nord de Martine Aubry (SFIO puis PS depuis 1945 sauf 1992-98), l'Essonne de Manuel Valls et les Bouches-du-Rhône (toujours à gauche depuis l'après-guerre) secouées par l'affaire Guérini, les Deux-Sèvres de Ségolène Royal et la Corrèze de François Hollande mais aussi la Creuse en Limousin (rapprochant un peu plus cette terre occitane progressiste et antifasciste du passage à droite aux régionales de décembre... pour la première fois de son histoire en tant que région administrative) ; ainsi que l'un des deux derniers départements dirigés par le PCF : l'Allier (il conserve le Val-de-Marne). Un seul département, la Lozère (Occitanie), passerait a priori de droite à gauche.

    2°/ Une vague bleue marine FN qui voit l'élection de 62 conseillers départementaux là où depuis 1985 le parti du clan Le Pen n'en avait jamais obtenu que quelques uns de-ci de-là, les élections de circonscription à deux tours n'étant alors "pas son truc" (le seul conseiller sortant, Laurent Lopez, est cependant battu à Brignoles dans le Var : poursuite dans la "tradition" frontiste du one-shot ?). Aucun département (qui aurait été son premier exécutif supra-municipal) n'est conquis ; mais dégager une majorité pourrait bien être un casse-tête - pour ne pas dire impossible - dans plusieurs comme par exemple le Vaucluse provençal (12 conseillers pour la gauche, autant pour la droite, 6 pour le FN et 4 pour la Ligue du Sud du clan Bompard, ex-FN mais en relations exécrables avec les Le Pen), ou encore le Gard... Ce qui devrait forcément questionner la ligne "ni-ni" de Nicolas Sarkozy, la droite devant obligatoirement choisir entre s'allier avec (ou carrément laisser gagner, dans le Gard) la gauche... ou pactiser avec le Front National.

    Sur les résultats du second tour des départementales

    À qui profite le crime est donc une question qui vient de recevoir une réponse claire et définitive : à ceux qui n'ont jamais accepté qu'en 2012 une (courte) majorité des masses populaires les ait sanctionnés en portant au pouvoir une gauche certes bien molle et qui (à vrai dire) n'en demandait pas tant (ne sachant trop que faire par la suite) ; chose qu'ils ne croyaient plus vraiment possible (au niveau "national" du moins) depuis 2002 ; et qui œuvrent depuis lors à la "reconquête" d'un pouvoir qu'ils estiment "usurpé"...

    C'est une vieille complainte entendue et ré-entendue qui est définitivement brisée sous nos yeux ; la vieille complainte de droite voulant que le FN soit une "créature de Mitterrand" et "n'ait jamais servi que la gauche" (comme si c'était un socialiste qui avait été élu par 82% en 2002 face à Le Pen père...), recyclée à présent par Sarkozy sous la "tonitruante" formule du "FNPS". Ce que sert le FN (et réciproquement) depuis maintenant 30 ans c'est la droite... et la droitisation de la "gauche" elle-même ; autrement dit le parti du MEDEF et du CAC40. On en observera un exemple particulièrement flagrant dans le Nord, département où il a certes mis la main sur un électorat populaire autrefois acquis au PS ou au PC mais où il n'obtient à l'arrivée aucun élu... et qui passe à droite, pour la deuxième fois seulement au cours des 100 dernières années.

    Mais passons : c'est quoi qu'il en soit un jeu dangereux, qui pourrait bien profiter un jour... au crime lui-même, avec une Marine Le Pen s'installant à l’Élysée. Notre "soulagement" d'avoir vu le Front National à "seulement" 25% dimanche dernier nous ferait presque oublier le "choc" ressenti lorsqu'en 2002 Jean-Marie Le Pen se qualifiait au second tour de la présidentielle... avec "juste" un "petit" 16,86% ! Un FN au pouvoir qui pourrait bien (d'ailleurs) ne pas être un "accident", mais totalement et précisément ce que le Grand Capital tricolore veut - ce que les nécessités de l'époque lui imposent de vouloir : on imagine très mal un tel parti prenant le pouvoir si la majorité de la classe dominante ne le veut pas ; de manière "révolutionnaire" contre celle-ci (aucun parti fasciste n'a jamais fait cela) ; et après tout "exploser en vol" un "phénomène" politique de ce type est tout sauf difficile pour les détenteurs du Capital donc des moyens de communication (que ce soit en opposant de vrais contradicteurs à son programme que l'on dit si "absurde", en arrêtant de dire à ses électeurs que "quelque part ils ont raison", en dévoilant un ou quelques bon(s) scandale(s) qui ne manquent certainement pas dans les tiroirs ou encore en attisant les dissensions internes comme - déjà - en 1999 avec Mégret ; l'exemple italien avec Berlusconi et la Ligue du Nord montrant bien que même des "phénomènes" puissamment installés depuis près de 20 ans peuvent ainsi être "explosés" si la majorité de la bourgeoisie n'en veut plus dans le paysage politique). Une démarche active de démolition du "phénomène Bleu Marine" qui seule pourrait à ce stade inverser la tendance, et que nous ne voyons hélas guère poindre à l'horizon.

    Les deux prochaines années puis les cinq suivantes nous en diront plus. Le "plan" à l'heure actuelle semble être d'installer le Front dans la "niche socio-électorale" qui était celle du PC au début de la Ve République (ce sur quoi les bureaux de vote où il cartonne sont sans équivoque) : une expression/canalisation des classes populaires et de leur mécontentement, quitte à faire de gros scores mais sans cependant jamais accéder au pouvoir – et un "PC" qui, contrairement au véritable des années 1960-70, passerait son temps à gueuler contre les "Arabes" et non contre les patrons et l'exploitation, qui ne mettrait jamais (bien évidemment) des millions de travailleurs en grève et dont les électeurs voteraient à droite et non socialiste au second tour, autrement dit le rêve de tout capitaliste qui se respecte !

    Mais jusqu'où pourrait mener la convergence entre les nécessités bourgeoises de l'époque et le "relooking" entrepris par Marine Le Pen, reste un terrible point d'interrogation. Une Union européenne à (désormais) 28 pays qui bat de l'aile, avec de plus en plus de personnes (tant keynésiennes que libérales !) pour considérer que l'euro fait partie du problème et non de la solution, qu'il faudrait peut-être une Europe "à plusieurs vitesses" etc. etc. ; une concurrence économique chaque jour grandissante des pays "émergents" et la menace militaire du djihadisme ; une crise générale et planétaire du capitalisme qui pousse des centaines de milliers de migrants à l'assaut du continent et, à l'intérieur même de ce dernier, engendre l'exclusion qui appelle elle-même au maintien de l'ordre : autant de problématiques bien réelles et concrètes qui ne peuvent que faire du FN (d'un point de vue bourgeois) un acteur politique "intéressant", qui "vaut au moins la peine qu'on l'écoute".

    Mais n'épiloguons pas outre mesure. Nous conclurons en republiant rapidement ici un point d'analyse développé dans notre réaction aux résultats du premier tour, et qu'il faut bien intégrer pour la compréhension communiste du système politique bourgeois dans lequel nous vivons :

    "Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'écrire, le Front National est déjà pour ainsi dire 20% au pouvoir depuis le 21 avril 2002, peut-être même 25% au pouvoir depuis les élections de l'année dernière et il le sera selon toute vraisemblance à 50% en 2017.

    (en effet) Le principe dans un régime parlementaire bourgeois (à moins d'abolir celui-ci, autrement dit d'instaurer le fascisme "pur et simple" comme en Allemagne en 1933 ou en Italie à partir de 1928) c'est qu'aucune force politique n'a jamais le pouvoir "à 100%" : les autres ont toujours d'une manière ou d'une autre des "niches" de contre-pouvoir, ne serait-ce qu'au niveau local, et (exercée à partir de ces "bases") une part d'hégémonie intellectuelle sur la société civile. Dans les années 1960, le gaullisme n'était ainsi pas "100% au pouvoir" mais plutôt (disons) "à 60 ou 70%" : les autres forces politiques, notamment la gauche non-communiste (FGDS) et (surtout) le social-républicanisme PCF, contrôlaient un grand nombre de municipalités et exerçaient une influence certaine sur la société (et donc sur la politique) de l'époque. En 2007 Sarkozy a remporté la présidentielle (sur le programme de Patrick Buisson...) et nous nous sommes dits "aïe", mais ensuite les législatives ont vu un net recul de la droite (345 députés contre 398 en 2002) et une nette progression de la gauche (227 contre 178), la défaite de "poids lourds" comme Alain Juppé à Bordeaux etc., suivies de municipales et de cantonales (2008) également très mauvaises pour la majorité présidentielle comme d'ailleurs tous les scrutins par la suite jusqu'en 2012 : il est évident que le quinquennat aurait été très différent (beaucoup plus conforme à nos craintes) si l'Assemblée de 2007 avait été "bleue horizon" et toutes les échéances suivantes du même tonneau. En revanche, le quinquennat précédent (2002-2007) et l'élection de Sarkozy à l’Élysée elle-même (après 4 ans de "résistible ascension") avaient été clairement placés sous le signe de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002.*

    Comprendre cela c'est comprendre les concepts que Gramsci appelle hégémonie et société civile : le règne de la bourgeoisie sous le capitalisme ne repose qu'exceptionnellement sur la seule force et la terreur brute ; il repose beaucoup plus généralement sur le fait que la bourgeoisie a su créer une adhésion autour de son programme (même le fascisme "total" avec parti unique, terreur répressive ouverte, persécutions racistes etc. repose sur la construction préalable d'une certain adhésion !)... ou de plusieurs programmes "concurrents" mais tous bourgeois (non-révolutionnaires), si bien qu'au final 99% de la population adhère à un projet de société capitaliste ou un autre.

    À l'heure actuelle il est possible de dire qu'un "consensus" bourgeois existe autour d'un programme socio-économique social-libéral, en quête d'un "juste milieu" entre Keynes et Friedman, "il faut répartir justement la richesse mais pour cela il faut d'abord la créer" (et puis "faut se mettre un petit peu au boulot aussi"...), ceci incluant même le Front National (mais pas le Front de Gauche, clairement keynésien) ; et que les véritables clivages portent en réalité sur 1°/ le reproche fait aux autres forces de ne pas avoir trouvé le fameux "juste milieu" (d'être trop libérales ou trop "socialistes"), bien qu'elles s'en réclament elles aussi tout autant, 2°/ la longueur de la matraque (répressivité policière) vis-à-vis des "masses dangereuses" populaires, 3°/ (un peu dans le même esprit) des débats "de société" tels que le droit (ou non) des personnes homosexuelles à fonder une famille, et 4°/ la place de l’État français au sein de l'Union européenne et vis-à-vis de l'impérialisme américain, d'institutions de la "mondialisation" économique telles que le FMI, la Banque mondiale, la BCE etc. ; les "fondamentaux" de l'idéologie républicaine bleu-blanc-rouge faisant largement trait d'union entre tous ces courants.

    Le programme dominant (généralement "comme par hasard" celui dont l'immense majorité de la bourgeoisie a besoin à l'instant t) est celui qui aura su créer la plus large adhésion autour de lui (non pas "sur du vent" ou par du "bourrage de crâne", mais déjà parce qu'il correspond aux exigences concrètes du présent pour l'ordre social capitaliste) ; mais il est toujours d'une manière ou d'une autre influencé par les autres (qui représentent aussi des "choses auxquelles la bourgeoisie doit penser" à l'instant t), à proportion du rapport de force (qui exprime la "prégnance" de ces "questions" sur le moment).

    C'est dans ce sens qu'il est possible de dire que si le Front National reçoit l'adhésion de 20 ou 25% ou plus de la population, commence à remporter des collectivités locales conséquentes etc. etc., il est déjà "à 25% au pouvoir". Si demain (en 2017) l'élection présidentielle se solde par l'élection du candidat UMP face à Marine Le Pen par 55% contre 45%, il est clair que le FN sera "à moitié au pouvoir" et que le quinquennat sera bien au-delà des pires craintes que nous pouvions avoir en 2007. Ce sera bien sûr très différent d'un FN "à 20-25% au pouvoir" comme c'est le cas actuellement et depuis une douzaine d'années (et notamment sous la présidence de Sarkozy) ; l'on pourra clairement parler d'ambiance semi-fasciste (comparable à la Russie de Poutine par exemple) ; et un FN "à 80% au pouvoir" serait clairement un régime de type fasciste (même si un semblant de parlementarisme multipartiste était maintenu, ce qui est plus que probable... même Vichy ne l'avait pas vraiment aboli et l'Italie de Mussolini fonctionna ainsi de 1922 jusqu'en 1929 !)."

    Le fascisme en fRance ne peut s'installer que selon des voies qui lui sont propres, sans condottiere baroque à l'italienne ni caudillo militaire appuyé sur l’Église à l'"espagnole", ni chef germanique porté sur un bouclier à l'allemande. Il a notamment besoin, comme "pivot", de cette incontournable notabilité locale conservatrice (aujourd'hui UMP-UDI) ou droite-de-la-gauche (hier le Parti radical, aujourd'hui le PS type Rebsamen) à côté d'un "centre d'hégémonie" ultra-réactionnaire décomplexé (aujourd'hui moins le FN, qui est avant tout un réceptacle électoral, que les Zemmour et compagnie) ; avec le "parti policier" (dont les cadres se retrouvent généralement dans les loges maçonniques de droite, très actif - on s'en souvient - au début des années 2000 dans l'offensive idéologique sécuritaire qui devait conduire au 21 Avril ainsi que dans la "résistible ascension" de Nicolas Sarkozy entre 2004 et 2007) et le "parti militaire" (républicanisme conservateur catholique) éventuellement en appui.

    Et les masses populaires d'Hexagone, non tant (comme toutes les cartes le montrent) celles qui sont vraiment reléguées-périphérisées** en ghetto urbain (à colonies intérieures) ou en quart-monde rural profond que celles qui se sentent prises entre périphéries et "métropole mondialisée", et non tant dans les territoires pauvres que dans ceux marqués par une forte inégalité, ces masses populaires délaissées par une gauche qui a toujours voulu "changer la vie" à partir des Centres et qui est devenue (de ce fait) le parti des bobos et des travailleurs intellectuels centrurbains, sont là pour fournir les troupes électorales nécessaires.
     
    [Puisque nous avions parlé : au Pays Basque où 5 binômes de gauche abertzale (EH Bai) s'étaient qualifiés pour le second tour (tous en duel) sur 11 cantons au total, celui qui faisait face au Front National (canton Nive-Adour) remporte largement le scrutin avec 78% des voix tandis que les autres sont (malheureusement) tous battus par leurs adversaires de droite ou du Modem, mais avec des scores tout de même (plus que) respectables allant de 38% (Bidache/Saint-Palais) à plus de 45% à Saint-Jean-de-Luz (44,7% en Ustaritz-Nive-Nivelle, 42,9% en Montagne basque). Au final, ce sont donc deux conseillers progressistes et affirmateurs du Peuple basque qui siégeront à Pau et plus de 24.000 suffrages recueillis pour 103.000 habitant-e-s inscrit-e-s sur les listes électorales sur les 5 cantons (abstention entre 38,77 et 50,69%).

    Ce sont peut-être (sans doute même) des socedems, des réformards etc. etc. tout ce que l'on voudra, mais cela ne peut néanmoins que nous réjouir dans un contexte où le Front National, longtemps quasi-inexistant sur ces terres un peu conservatrices mais hermétiques à l'extrême-droite, progresse et s'implante car le système France avec son caciquisme républicain droite-gauche "traditionnel" y pourrit sur pied comme partout ailleurs : un pourrissement qui engendre un attrait pour les sirènes populo-fascisantes (en un mot : pour l'idéologie française +++) mais qui voit aussi, dans ce cas précis, une libération des énergies et de la conscience de soi débouchant sur une affirmation progressiste en tant que Peuple périphérisé – en s'emparant de thématiques populaires  qui, ailleurs, sont trop souvent abandonnées au populisme d'extrême-droite (dignité et qualité de vie, environnement, "respect du petit peuple d'en bas", "vivre, travailler et décider au pays" etc. etc.).

    Le même phénomène s'observe également en Kreiz Breizh (Bretagne centrale, Poher), cœur de la périphérisation bretonne où le mouvement de Christian Troadec (centre-gauche catho-humaniste) qui remporte le canton de Carhaix-Plouguer avec 66,71% ne peut être sérieusement qualifié de réactionnaire ni de fasciste, et où l'extrême-gauche NPA qui a fait un très bon score de 16,77% au premier tour (remportant la troisième place !) est plutôt bien "éveillée" sur la question bretonne... Cela ne peut que nous faire mesurer l'immense chemin qu'il nous reste à parcourir en Occitanie, partagée entre ses territoires qui se livrent en masse au FN et ceux qui "résistent" encore, mais le plus souvent hélas au profit du caciquat traditionnel ("PS cassoulet" ou PRG, UDI/centre radical ou démocrate-chrétien ou UMP "chiraquienne", "communisme rural" pepponesque etc.).]

    Sur les résultats du second tour des départementales


    * Ce point ayant soulevé les interrogations de certains camarades, il convient de clarifier :

    1°/ Il ne s'agit pas d'un raisonnement "électoraliste". Les résultats électoraux ne sont sans doute pas l'instrument "parfait" pour mesurer le "degré d'hégémonie" de tel ou tel courant de pensée bourgeois, mais ils sont néanmoins le meilleur dont nous disposions : le "reflet" le plus "fidèle" de l'influence que telle ou telle conception bourgeoise de la société capitaliste exerce sur les masses populaires (autant que les élections de l'année dernière et de cette année sont une alerte rouge de par l'hégémonie intellectuelle réactionnaire et fascisante qu'elle traduisent).

    2°/ Cette hégémonie de tel ou tel courant (construite par les moyens de propagande "lourds" dont disposent les détenteurs du pouvoir économique) est déterminée par les nécessités et les périls que "ressent" la classe capitaliste à l'instant t ; mais aussi bien sûr par l'activité réelle-concrète des masses au même instant, la manière dont elles arrivent à "peser dans la balance" - selon une compréhension dialectique (unité relative des contraires) de la politique sous le capitalisme. L'on sait par exemple que des classes travailleuses exploitées fortement organisées et combattives créent une tendance à l'hégémonie de la GAUCHE bourgeoise, social-démocrate ou en tout cas réformiste ; tandis que (comme actuellement) des masses populaires atomisées, individualistes, "sommes d'individus" juxtaposés et passifs (attendant le "sauveur") favorisent l'hégémonie du populisme de droite et/ou du fascisme proprement dit. De même, la bourgeoisie de droite (généralement très majoritaire à l'intérieur de sa classe, mais beaucoup plus difficilement dans les classes populaires) peut être tentée de "jouer" avec l'électorat que sa cousine populo-fascisante parvient à mobiliser ; préférant par exemple que celle-ci hégémonise les territoires populaires plutôt que ce soit la gauche ou ("pire" encore) les révolutionnaires ; mais ce petit jeu peut-être un jeu dangereux car le jour où la bourgeoisie populo-fascisante se retrouve à pouvoir lui opposer une majorité d'électeurs, elle sera alors terriblement prise au piège. Dans certains cas comme en Allemagne ou dans l’État espagnol au début des années 1930, selon les classes sociales populaires ou moyennes et/ou les régions, les deux hégémonies ("de gauche" et "de droite", sans oublier un mouvement communiste au sens large tout sauf négligeable) peuvent coexister dans un face-à-face d'une tension insoutenable ; conduisant tôt ou tard soit à l'instauration d'une politique réformiste radicale ouvrant forcément une situation révolutionnaire, soit à un fascisme "pur et dur" de dictature terroriste ouverte qui anéantit le "peuple de gauche"... et "sa" bourgeoisie réformiste.

    3°/ Par "100% au pouvoir" nous entendons une situation comme celle de l'Allemagne dès 1933, de l'Italie à partir de 1928-29 ou de l’État espagnol après la victoire Franco, où le parti ou mouvement fasciste ou ultra-réactionnaire au pouvoir a interdit légalement l'expression organisée des autres conceptions bourgeoises (et non simplement laminé/marginalisé celles-ci par toutes sortes de moyens, comme ce serait le cas actuellement en Russie), ne jugeant pas utile de maintenir même une apparence de "pluralisme" politique de la classe dominante. Les autres courants de pensée bourgeois ne sont alors (bien sûr) à même d'exercer aucun "contre-pouvoir" dans la manière dont la société capitaliste est gérée (après un certain temps cependant, un certain "pluralisme" peut ré-émerger au sein même de la seule force politique autorisée, comme ce fut le cas dans - disons- les 15 dernières années du franquisme ou du salazarisme). Ce type de régime intervient généralement après une situation de guerre ("Espagne") ou de quasi-guerre civile (Biennio rosso italien), ou à titre "préventif" lorsqu'une telle situation semble imminente (Allemagne ou Portugal). C'est là ce que nous appelons le fascisme "pur et dur" et cela n'existe pratiquement nulle part dans le monde à l'heure actuelle (même en Chine existent en réalité 9 partis et le Parti pseudo-"communiste" compte de nombreux courants qui sont pratiquement des "partis internes" de fait) : au cours de la seconde moitié du 20e siècle, l'idée d'un "pluralisme" au moins apparent et fermement maintenu "dans le cadre" de l'idéologie capitaliste semble s'être imposée aux décideurs du Grand Capital.

    4°/ Par "99% de la population (qui) adhère à une conception bourgeoise ou une autre" nous entendons bien sûr aujourd'hui et en "Occident". Nous avons peut-être quelque peu exagéré, peut-être ne s'agit-il que de 96%, mais nous avons voulu signifier par là "beaucoup". Au jour d'aujourd'hui, même les forces que nous considérons (de manière positive) représenter une certaine "poussée" et "rupture" avec l'ordre social établi, que ce soient l'extrême-gauche "coco bien dure"/trotskyste/libertaire ou encore les forces progressistes radicales d'affirmation des Peuples, restent encore très largement subordonnées aux grands courants idéologiques de la gauche bourgeoise (que ce soit "universaliste" ou républicaine-patriotarde) et même de la bourgeoisie en général puisque par exemple, comme nous avons pu l'évoquer au sujet des questions internationales, elles prennent très souvent position en fonction de ce que pense telle ou telle force bourgeoise, pour penser ou (plus généralement) ne surtout pas penser comme elle.
    Il est cependant bien évident qu'à d'autres époques de l'histoire (nous pensons notamment à l'entre-deux-guerres-mondiales et à la fin des années 1960/ années 1970), beaucoup plus que quelques % des masses populaires ont pu se trouver "hors du cadre" politique strictement "balisé" par la classe dominante. Il faut alors (à celle-ci) "ramener" de toute urgence ces personnes "dans le rang", soit par le réformisme de gauche soit par le populisme de droite ou le fascisme "révolutionnaire" (selon ce qu'elle juge le plus adapté...), sans quoi les choses peuvent très vite s'accélérer et déboucher sur une situation révolutionnaire (l'on peut considérer que l'Italie des années 1970 ou encore l’État espagnol de 1975-80 ont approché une telle situation et que le Portugal de 1974-76 l'a carrément connue ; on pourrait encore citer la Grèce du début des années 2010, les choses ayant été "canalisées" depuis par Syriza et dans une - heureusement - moindre mesure par Aube Dorée). Et il est bien sûr tout aussi évident que de telles situations se reproduiront à l'avenir - la propre crise du capitalisme y travaille et l'activité concrète des révolutionnaires aussi.

    5°/ Concernant le fait qu'existe entre les principaux partis de la bourgeoisie un consensus autour d'un "juste milieu" social-libéral "ni Keynes ni Thatcher", c'est la réalité et cela correspond (là encore) aux exigences et aux nécessités du Capital pour le maintien de son taux de profit : "libérer la compétitivité" en réduisant les "charges" sur les entreprises, "en finir" avec un "certain soviétisme" hérité de l'époque où le mouvement ouvrier était fort et pesait dans la balance, mais ne pas générer non plus 50% de démunis car la production (pour que sa valeur soit réalisée) doit bien être vendue ! Les clivages à ce niveau-là repose entièrement sur le fait que chaque parti bourgeois considère représenter ce "juste milieu", tandis que les autres s'en écarteraient : le PS va dire que lui a trouvé le "juste milieu" tandis que la droite est "ultra-libérale", Mélenchon "soviétique" et le FN "fasciste" ; l'UMP va considérer qu'elle a trouvé le "juste milieu", que la gauche est "soviétique" à des degrés divers et le FN du même tonneau ; les centristes vont penser en substance la même chose de la gauche et du FN mais aussi que l'UMP est trop "thatchérienne" ; et le FN va considérer que la droite et le PS (l'"UMPS") sont "libéraux" et "euro-mondialistes" mais que Mélenchon est trop "soviétique". Seul le Front de Gauche va se situer en dehors de ce consensus sur une affirmation clairement keynésienne, un programme "Mitterrand 81". Mais bien sûr, il s'agit là d'un clivage et il en existe beaucoup d'autres : la "longueur de la matraque" plus ou moins répressive ou "compréhensive" dans la gestion des classes populaires, ou encore le rapport à l'Union européenne (est-elle au service ou au contraire un frein au fameux "juste milieu" et à la prospérité du capitalisme bleu-blanc-rouge ?).

    ** Dans ces périphéries profondes, ce qui caractérise le comportement électoral est plutôt le clientélisme.

    Les périphéries profondes urbaines (banlieues ghettos), où la participation est généralement faible, votent traditionnellement pour la gauche (PS ou PC) qui est l'interlocuteur "historique" (antiracisme bourgeois des années 1980), bien qu'un certain retournement vers le centre-droit s'observe depuis quelques années - d'abord parce que la gauche a beaucoup trahi et écœuré et que beaucoup de gens considèrent "ne plus être sa propriété" (sans pour autant pouvoir voter pour la droite dure, et encore moins pour le FN), ensuite parce que tend à se développer une culture de petit entrepreneuriat et de "s'en sortir par soi-même" qui rejoint une ligne sociale-libérale de centre-droit (sociale-libérale car on n'oublie pas non plus d'où l'on vient), enfin parce que la droite modérée passe pour la force politique la moins "laïcarde" et islamophobe, ce qui séduit les personnes musulmanes.

    Les périphéries profondes rurales, où la participation est au contraire plus élevée que la moyenne, votent centriste (gauche ou droite très modérées, souvent "divers" - non-affiliés à un grand parti - voire "sans étiquette") 1°/ d'abord parce que l'électorat populaire catholique a évolué depuis un demi-siècle de la droite conservatrice vers un centre "humaniste", voire vers le centre-gauche (Grand Ouest), 2°/ ensuite parce que (localement) l'héritage radical de centrisme républicain "pragmatique" reste encore vivace, donnant un vote soit directement pour le PRG (cela existe encore) soit pour un "PS cassoulet" soit encore pour un centre-droit "chiraquien", et enfin (et surtout) 3°/ parce que l'élu réputé centriste ou "sans étiquette" sur l'échiquier politique saura "parler avec tout le monde" au niveau supérieur (régional et hexagonal) pour obtenir des choses pour sa commune, son canton ou sa circonscription. On notera aussi très localement (voir carte) de bons scores ruraux du Front de Gauche, héritier d'un socialisme rural "tendance dure" voire d'un "communisme rural" que le PCF avait su implanter en son temps - c'est en particulier le cas dans l'Allier, en Auvergne et Limousin ainsi que dans les Cévennes, mais aussi dans l'arrière-pays... de la riche et droitière Côte d'Azur.

    Tous ces territoires - urbains comme ruraux - sont donc ceux d'un certain caciquisme politique. Mais si l'on parvient à rompre les parois de verre de ce caciquisme ainsi que de certaines valeurs conservatrices héritées du passé, c'est sans doute de là que peuvent jaillir les plus fortes valeurs positives et finalement révolutionnaires - déjà parce que c'est là que l'intérêt à ce que "tout change pour de bon" est le plus grand !


  • Commentaires

    1
    Pascal
    Dimanche 5 Avril 2015 à 11:34
    On peut en effet penser que la bourgeoisie ne soit pas contre une plus large intégration du FN au système. De là à voir la mère Le Pen à l'Elysee... Pour ça, il faudrait qu'une grande partie de la bourgeoisie en ait soupé de la mondialisation ce que rien n'indique pour le moment. Malgré son alliance tactique avec la Lega Nord (qui voulait que l'anglais soit la langue véhiculaire entre les locuteurs des différents dialectes gallo-italiens, donc pas si antimondialiste que ça) Berlusconi n'était pas hostile à la mondialisation.
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