• Sur le ridicule "argument" comme quoi tel ou tel slogan est (ou "a été") "utilisé par les fascistes"


    Affirmer au sujet de tel ou tel slogan maocqu'il est ou a été "utilisé par les fascistes" (en lien une image publiée sur le site de nos grands "amis" qui en sont friands, mais l'argument est récurrent dans le débat politique d'"extrême-gauche") n'a tout simplement aucun sens.

    Pourquoi ? La réponse tient en une phrase : tout simplement parce que LE FASCISME N'EST PAS LA MÊME CHOSE QUE LA DICTATURE RÉACTIONNAIRE "CLASSIQUE", comme celle qu'il peut y avoir dans les "républiques bananières" du "Tiers-Monde" ou comme ce que l'on a pu connaître sous les différents règnes du "Parti de l'Ordre" en Hexagone au 19e siècle, ou encore sous l'autocratie tsariste qui régnait en Russie avant la Révolution bolchévique : en substance, "fermez vos gueules ou on tire dans le tas".

    Le fascisme se caractérise - c'est même sa première caractéristique - par le fait de chercher à "PARLER AU PEUPLE" et pour cela il s'empare de véritables aspirations populaires, il apporte (pour reprendre les termes d'un dirigeant "socialiste" bien connu) de "mauvaises réponses à de bonnes questions" (de mauvaises réponses qui sont finalement, comme nous l'avons déjà dit dans un précédent article, les défenses immunitaires du système).

    En d'autres termes, le fascisme ne consiste pas seulement en l'écrasement pur et simple d'un des termes de la contradiction : prolétariat par la bourgeoisie, classes dominées-exploitées par la classe dominante-exploiteuse en général, nationalités et autre communautés dominées-subordonnées par la nationalité dominante etc. etc. Il cherche aussi - et même surtout - à nier, à "aplanir", à "arranger" les contradictions dans lesquelles la classe dominante perçoit - à raison - un danger pour sa domination.

    C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il va non seulement agiter le spectre d'"ennemis" fantasmatiques, abstraits et (donc) impossibles à combattre, mais aussi (car cela n'a qu'un temps...) désigner des ennemis bien concrets contre lesquels unir les termes de la contradiction qu'il veut nier - à partir de quoi les personnes incarnant cet "ennemi concret" vont bien sûr souffrir.

    C'est ainsi que par exemple, dans l’État capitaliste et multinational "France" des années 1890 à 1940, le maurrassisme (Action française) a consisté en une proposition stratégique pour unir toutes les classes et les nationalités réelles contre 1°/ les puissances capitalistes-impérialistes étrangères concurrentes (principalement l'Allemagne, mais l'"arrogante" Angleterre - la perfide Albion - n'était pas en reste), 2°/ le socialisme, les "partageux" (révolutionnaires) et la "guerre civile" (lutte révolutionnaire de classe), 3°/ la "juiverie" et la "maçonnerie" autrement dit la bourgeoisie républicaine et libérale, supposée "ouvrir la porte" aux "partageux" et à la "guerre civile" ; tout cela pour - bien sûr - la survie et si possible le triomphe de "la France", autrement dit du système capitaliste organisé sous ce nom. Cette proposition s'opposait à celle de la République de Jules Ferry et Clemenceau, fondée sur l'assimilation-uniformisation "républicaine" "française" des différents Peuples et des classes sociales antagoniques dans un même élan "républicain" et "patriotique"... contre les mêmes ennemis sauf le troisième (puissances concurrentes - en premier lieu les "Boches" - et "spectre de la guerre civile", mais bien sûr pas la bourgeoisie républicaine et libérale puisqu'il s'agissait d'eux-mêmes !), tandis que Maurras et l'Action française prônaient la reconnaissance et la valorisation des différents Peuples de l’État français avec pour "ciment" le Roi et l’Église catholique (d'autres courants, républicains réactionnaires ou bonapartistes ou éventuellement orléanistes, étaient eux aussi sur une ligne d'intégration-négation "française" mais avec un exécutif fort, "césariste" - la plupart des "ligues" des années 1920-30 étaient de fait sur cette ligne-là, les partisans de Maurras étant une minorité).

    Kemi-Seba.jpgEt c'est ainsi que de la même manière, alors que la multinationalité de la "France" a encore été renforcée par l'immigration (importation massive de force de travail pendant la période de croissance capitaliste des "Trente Glorieuses" 1945-75), la nébuleuse Dieudonné-Soral-Séba & co va faire exactement la même proposition stratégique au sujet des "minorités visibles" (prolétaires et petits bourgeois colonisés intérieurs d'origine extra-européenne) ; s'opposant en cela à la proposition d'"intégration"-assimilation "républicaine" et au (plus prosaïque) mainstream d'extrême-droite "la France tu l'aimes ou tu te casses" (le soralisme tend cependant assez souvent vers l'intégrationnisme et l'"intégrationnisme républicain" dérive de plus en plus souvent vers un "cassez-vous" à l'endroit des "réfractaires", comme l'illustre typiquement le cas d'Alain Finkielkraut). Et contre quoi va-t-on unir tout ce "beau monde" ? C'est simple : contre la concurrence capitaliste-impérialiste internationale principalement US/anglo-saxonne, ce qui va forcément séduire les courants du Grand Capital bleu-blanc-rouge qui voient le plus leurs intérêts diverger de ceux d'outre-Atlantique et qui va s'avérer relativement facile auprès de couches populaires chez qui les États-Unis (en raison de leur politique impérialiste) n'ont pas bonne presse ; contre une "finance apatride/mondialiste" désignant en réalité la CRISE du capitalisme (insurrection du Capital contre sa propre crise) ; et puis bien sûr... contre la communauté juive (rebaptisée "sionistes" ou "talmudistes") accusée d'être la "5e colonne" de cet "ordre mondial américano-sioniste" en Hexagone (Israël, honni pour des tas d'excellentes raisons dans les catégories concernées, étant dépeint comme le "quartier général" de ce "talmudisme" et, pire encore que le fer de lance de l'impérialisme US au Machrek arabe, comme le véritable "maître" de celui-ci). Les "gauchistes", c'est-à-dire les RÉVOLUTIONNAIRES qui veulent vraiment le renversement du capitalisme et son remplacement par une autre société collectiviste et égalitaire, la fin de toutes les hiérarchies sociales, les injustices et les oppressions, sont bien entendu des "idiots utiles" du "sionisme" et du "mondialisme"... CQFD.

    Les exemples abondent à travers l'histoire ; de fait, ce sont TOUS les fascismes qui ont ces caractéristiques. Le nazisme allemand prétendait unir le Capital et les travailleurs allemands contre les Juifs, les puissances étrangères rivales (qui avaient vaincu et effectivement humilié l'impérialisme allemand après 1918) elles-mêmes "agents des Juifs", les "agents intérieurs" des Juifs à savoir le communisme, le socialisme et le libéralisme politique bourgeois, un "capitalisme" désignant en réalité les seuls symptômes de la crise capitaliste (spéculation financière etc.) et lui aussi assimilé aux Juifs (et opposé à un "bon" capitalisme appelé "socialisme national"), tout ceci tourné vers un objectif militaire de revanche contre les vainqueurs de l'Ouest et d'expansion impériale à l'Est (anéantissant du même coup l'URSS marxiste-léninste, ce qui n'était pas pour déplaire à la bourgeoisie allemande). Le fascisme italien prétendait de même unir la bourgeoisie et les ouvriers/paysans de l’État italien principalement contre les puissances étrangères concurrentes (qui "méprisaient" et "humiliaient" l'impérialisme "faible" italien : concept de la nation prolétaire développé dès 1914 par le nationaliste monarchiste et conservateur Corradini), dans une démarche d'expansion impériale en Afrique et en Méditerranée et de développement économique fondé sur le pragmatisme ("révolutionnaire ou réactionnaire, socialiste ou libéral selon les circonstances" disait Mussolini), en luttant "pour" cela contre le "spectre de la division" autrement dit de la lutte des classes (situation révolutionnaire de quasi-guerre civile autour de 1920) et donc contre les "agents" de cela (les révolutionnaires socialistes, marxistes, anarchistes etc.). Dans un État fondé - en substance - sur la conquête du Sud (ancien Royaume de Naples) par le Nord (Piémont, Lombardie-Vénétie, Ligurie, Toscane etc.), le régime fasciste cherchera également à s'approprier le principal instrument de contrôle politique des masses méridionales : l’Église catholique (accords du Latran) ; tout en luttant contre les forces centrifuges (en particuliers les mafias) et en flattant le Nord industriel (mais aussi le Sud arriéré) par un "modernisme" effréné. 

    Tout ceci, comme nous le voyons bien, ce n'est donc pas la "révolution" (écrasement du terme réactionnaire, oppresseur-exploiteur de la contradiction : le fascisme peut se prétendre "révolutionnaire" mais il n'est en réalité - on l'a dit - que l'insurrection du capitalisme contre sa propre crise) ; mais ce n'est pas non plus simplement - bien que cela le soit - la réaction (écrasement du terme opprimé-exploité-révolté de la contradiction) : il y a bel et bien une recherche de négation, d'"aplanissement" de la contradiction en amenant la contradiction "ailleurs" qu'entre ses termes réels - l'exploiteur/oppresseur et l'exploité/opprimé réels.

    images Et pour cela... il va bien falloir S'EMPARER des questions et des contradictions qu'elles expriment (question = expression en termes politiques d'une contradiction sociale) afin de les nier, de dire que "tout cela peut s'arranger" et que "le vrai ennemi est ailleurs", et de mettre ceux qui les posent... AU SERVICE de ceux contre qui elles sont posées, dans ce qui s'appelle une MOBILISATION RÉACTIONNAIRE DE MASSE.

    Le fascisme italien est bien entendu arrivé au pouvoir en s'emparant de la question de la misère généralisée et de l'arriération qui frappaient alors l'Italie et en y apportant pour "réponse" que c'était "parce que" les autres puissances ne la "respectaient pas", et qu'en "s'y mettant tous" (sans "bolchéviqueries" cela va de soi...) "on" réussirait à faire de la "nation prolétaire" italienne une puissance respectée où il n'y aurait plus de misère. Le nazisme allemand s'est bien sûr appuyé - de la même manière - sur la misère abyssale qui frappait les ouvriers, les paysans et les autres classes populaires d'Allemagne suite à la défaite de l'impérialisme allemand contre ses concurrents impérialistes ; la "réponse" étant ici de "s'y mettre tous" pour prendre sa revanche contre cette défaite et ses responsables extérieurs (les ennemis victorieux) et intérieurs (socialistes/communistes, Juifs, libéraux, "décadents" etc.).

    Le maurrassisme, comme nous l'avons vu, ne consistait pas à dire aux ouvriers et aux paysans "contentez-vous de travailler dur et de vivre honnêtement de ce que vous gagnez, et surtout de fermer vos gueules sinon ça va barder", ni aux nationalités réelles "prière de parler français et de rester propre", de "ne pas parler patois et cracher par terre". Non, le maurrassisme S'EMPARAIT bel et bien de ces question sociales et nationales pour y "répondre" que la contradiction n'était - en réalité - pas où l'on croyait : centralisme politique, domination économique et négation culturelle n'étaient pas des attributs de la "France" (construction politique historique... de la monarchie capétienne au service de la bourgeoisie d'Île-de-France) mais de la "gauche" (la République "maçonnique" et "juive", les "idées de 1789") ; de même que l'exploitation capitaliste et ses conséquences les plus sombres, les crises (comme le reste du monde, l'Hexagone avait traversé une dure crise entre 1873 et les années 1890). Dans un système politique monarchique et catholique débarrassé de la "juiverie" et de la franc-maçonnerie, patrons et ouvriers, banquiers et entrepreneurs, paysans et propriétaires fonciers de toutes les "petites patries" (nationalités réelles) pourraient travailler en harmonie à la "prospérité générale" et à la grandeur de la "Grande Patrie" française. Autrement dit, le maurrassisme s'emparait des VRAIES et LÉGITIMES questions posées par les contradictions de l'entité politique-économique "France" pour les METTRE AU SERVICE, à coup de MAUVAISE RÉPONSES, de la classe dominante et de ses projets les plus réactionnaires - écrasement du mouvement ouvrier et guerre contre la concurrence impérialiste anglaise et allemande.

    jeunebretagneAujourd'hui l'extrême-droite s'empare toujours et pareillement des souffrances et de la désespérance infligées par le capitalisme aux classes populaires, et la "réponse" mainstream qui y est apportée consiste à montrer du doigt certes la concurrence capitaliste étrangère ("produisons et consommons français !"), certes les symptômes de la crise générale (qui a repris vers 1970) contre laquelle le fascisme est une "insurrection" - "spéculation", "financiarisation" etc. etc., mais surtout l'"immigration" et la "racaille" ("française de papier") qui en est issue. Cette immigration aurait été l"'instrument" d'un "certain patronat" ("plus soucieux de ses profits que de l'intérêt général") "contre les salaires, le droit du travail et les solidarités ouvrières" - et aujourd'hui, non contente d'avoir accompli cela, elle vous brûle votre bagnole ou vous vole votre portable que vous avez saigné sang et eau pour vous payer, tout en servant de vivier électoral à l'"hyperclasse européiste/mondialiste UMPS". C'est initialement l'idéologue fasciste François Duprat qui avait "soufflé" l'idée de cette thématique à Jean-Marie Le Pen, afin de sortir son jeune parti (le Front National...) des vieilles thématiques antisémites, anti-"capital apatride" ou encore "Algérie française" devenues anachroniques (le nazisme avait - pour reprendre les mots de Bernanos - "déshonoré l'antisémitisme", l'Algérie était bel et bien indépendante sans espoir de reconquête et la nouvelle crise tendait plutôt à imposer comme "solution" au capitalisme la liquidation des "solutions" keynésiennes apportées à la précédente, mouvement "néolibéral" que le FN suivra pendant très longtemps, s'affirmant "reaganien" tout au long des années 1980). Elle s'est depuis déclinée au gré de "l'air du temps", encore reprise y compris par Soral et ses affidés... issus de ladite immigration ("Mathias Cardet"), ou encore focalisée sur la question de l'islam - à la fois religion de la grande majorité de "l'immigration" et idéologie de forces perçues comme une menace stratégique par l'impérialisme occidental, ce qui permet en passant à des personnes "pas du tout d'extrême-droite" d'assumer désormais ce discours de manière "tout à fait respectable"... Là encore, comme nous le voyons bien, la question sociale ("misère", "exclusion", "désespérance") est saisie par les fascistes pour y "répondre" que ce n'est pas une question de capitalisme (en tout cas pas entendu dans son sens réel : exploitation, extorsion de la plus-value et recherche de la plus-value maximale), mais SEULEMENT d'un certain patronat (trop "avide" et "égoïste", et/ou "mondialiste")... et des "immigrés" dont il a "rempli la France".

    Mais nous avons également vu qu'un courant, le soralisme, tente quant à lui de répéter la proposition de Maurras (aux Peuples emprisonnés dans l’État "France") à l'attention - cette fois - de ces fameux "immigrés" et de leurs descendants - il pose, donc, la question du colonialisme intérieur (et au-delà de la domination impérialiste sur le "tiers-monde", question intimement liée). Puisque le "problème" ne peut pas être ces "immigrés" et leur descendance en question, on va "réactiver" les vieilles thématiques de l'époque maurrassienne : Juifs, francs-maçons, concurrence impérialiste étrangère (cette fois-ci principalement US/anglo-saxonne). La France serait dirigée par les "siono-maçonno-américano-pédo-<wbr>mondialo-satanistes". Ce sont ces derniers (là, tout de même, on reprend la thèse Duprat) qui ont fait venir les immigrés. Mais aujourd'hui, "tranquilles les gars", il n'est "plus question de vous rejeter physiquement à la mer". La France est "bonne mère", contrairement à ce que prétendent ces gens qui la disent "raciste" alors que ce sont eux qui vous ont entassés dans des ghettos délabrés. Avec "un peu de bonne volonté" de votre part, on a moyen d'être très copains (hop ! la contradiction racisme/racisés et impérialisme/néocolonisés est "surmontée" en deux coups de cuiller à pot...). Catholiques et "latins" d'un côté, musulmans de l'autre, on a beaucoup de valeurs en commun (Soral pense là au sexisme, à l'homophobie etc. dont il est un champion incontesté). Et puis aussi, on partage "beaucoup d'ennemis" : l'Amérique, le sionisme, le "système" satano-maçonno-pédo-sioniste qui (comme on vient de vous l'expliquer) vous a fait venir pour casser les droits ouvriers des Français puis vous a mis dans des ghettos, les "gauchistes" qui se disent antiracistes mais en réalité vous méprisent et vous manipulent, etc. etc. Alors, réconcilions-nous ! Le problème n'est donc plus l'impérialisme français et son reflet en métropole qu'est le colonialisme intérieur : "c'est" l'impérialisme concurrent US, lui-même aux mains du "sionisme international", et s'il y a un "problème indigène" en "France" c'est parce que la "France" est tombée aux mains de ces gens-là via l'"UMPS", le CRIF etc. etc.

    militantPour fonctionner, ce discours va aller s'appuyer sur une certaine "tradition" de fascisme "tiers-mondiste", qui était d'ailleurs celle... de Duprat en son temps : là encore, il s'agit au service des intérêts impérialistes français d'essayer d'"aplanir" une contradiction, celle qui oppose l’État impérialiste qu'est la France aux pays semi-coloniaux africains, arabes ou autres (on s'empare donc de la question de l'impérialisme), en présentant ladite France comme leur "alliée" potentielle contre la superpuissance US et - notamment - l'un de ses principaux alliés qu'est Israël (si telle n'est pas la politique française au moment où l'on parle, c'est bien sûr parce que la France est "aux mains des larbins de Washington et Tel-Aviv", mais cela changera quand "on" sera au pouvoir rassurez-vous !). Tel était le sens du slogan du GUD dans les années 1990 : "Paris-Gaza-Intifada", autrement dit "Palestine, l'impérialisme bleu-blanc-rouge est avec toi" (une fois qu'on l'aura libéré des "atlanto-mondialo-sionistes" qui le "contrôlent" bien sûr...) ; slogan que des camarades antifascistes parisiens ont eux aussi été accusés de "reprendre" ("Paris Gaza Antifa") alors qu'ils cherchaient simplement, justement... à ne plus laisser la question palestinienne à des fascistes comme Dieudonné, le GUD et consorts.

    Allons maintenant plus directement sur ce soi-disant "slogan fasciste" de "Naître, consommer, mourir". De fait, c'est sans aucun doute un slogan qui a pu être utilisé par des groupes fascistes mais ceux-ci ne l'ont nullement inventé ; le slogan complet disant d'ailleurs "Naître, produire (ou travailler), consommer, mourir" : pour les fascistes qui l'ont (soi-disant) repris "produire/travailler" n'était donc manifestement pas un problème, il s'agissait simplement (sans doute) de savoir "vivre simplement", "épargner" et "léguer à ses enfants" (rien qu'un grand classique de l'idéologie française), ou alors que "s'il y avait la guerre" (à l'époque il y avait le "péril rouge", aujourd'hui le "péril islamiste") une société "consumériste" et "superficielle" ne "ferait pas le poids".

    Ce slogan vient en réalité s'emparer de la question des chocs de modernité. À certaines périodes de l'histoire, l'accumulation capitaliste et le développement des forces productives sont tels que "le monde va trop vite" pour les consciences populaires : c'était typiquement le cas de la période allant de la seconde moitié du 19e siècle à 1914 (époque de Maurras...), avec son industrialisation massive de la production et une dépersonnalisation sans précédent de l'acte et de l'individu productif (taylorisme, fordisme etc.) ; et ça l'est encore de celle allant des "Trente Glorieuses" (époque du "slogan fasciste" en question ici) jusqu'à nos jours avec l'automatisation/informatisation de la production et de la vie quotidienne en général, un consumérisme généralisé et omniprésent (cf. ci-dessous), la mondialisation de la production (avec une concurrence internationale suraigüe) et son corollaire qu'est l'arrivée massive de force de travail immigrée extra-européenne, etc. etc. De réelles et concrètes améliorations sont apportées dans la vie sociale quotidienne, mais il n'y en a pas moins un sentiment de malaise... car tout ce progrès est capitaliste et imposé à des masses populaires qui n'en ont pas la maîtrise et qui se sentent - non sans raisons - des "pions" dans le processus, des "bouts de bois ballottés sur les vagues", "machinisées" et/ou "marchandisées" en tant que force de production et/ou de consommation etc. etc.

    Cette problématique est étroitement connectée à d'autres comme celle du fétichisme de la marchandise (dont parlait déjà Marx au 19e siècle) ou encore celle de la société de consommation c'est-à-dire de la transformation du producteur en consommateur frénétique de marchandise produite, seul moyen trouvé pour enrayer la chute du taux de profit : on augmente d'un côté les salaires (part de la valeur produite allouée au travailleur) pour garantir la paix sociale... mais on met tout en œuvre de l'autre pour que le plus possible de cette part de valeur retourne dans les poches du Capital à travers une dépense quotidienne pour acheter les produits de ses entreprises, quitte à induire voire créer de toute pièce la demande (pousser à la consommation par la publicité, la "mode") etc. etc.[1]

    Pour les marxistes, la question n'est en réalité pas celle de la production ou de la marchandise en soi mais le fait que les producteurs (et consommateurs "derrière") n'aient pas la propriété des moyens de produire cette marchandise, la maîtrise des procès de production. La réponse est donc simple : ils doivent s'emparer - collectivement - de cette propriété et de cette maîtrise de la production. La force de travail (qui n'est autre que la personne humaine !) cessera alors d'être une marchandise échangée contre salaire, la production et les besoins iront en coïncidant, le "consumérisme" cessera d'exister puisque le "salaire" consistera en la satisfaction des besoins de chacun et non en un moyen d'acheter de la marchandise (à "tout prix") pour en réaliser la valeur et la transformer en véritable plus-value.

    Mais les fascistes vont, eux aussi, se saisir de ce malaise [2]. Ils l'ont toujours fait, à toutes les époques, d'autant plus que ces périodes d'accumulation et de "choc de modernité" sont généralement suivies de crises (1873-95, années 1920-30, années 1970 à nos jours) au cours desquelles ils surgissent et prospèrent (c'est là que le Capital a besoin d'eux !). Bien entendu, tout ce que nous venons d'expliquer ci-dessus, ils ne peuvent absolument pas y toucher car on est là au CŒUR MÊME du mécanisme capitaliste (que leur but réel est de protéger, pas de remettre en cause)... Alors, ce qu'ils vont généralement faire, c'est inciter les masses populaires à regarder vers un passé idéalisé où l'on "vivait vrai", où la vie sociale reposait (soi-disant) sur le "travail", la "vie honnête des fruits de celui-ci", "l'épargne", les "valeurs" etc. etc. Il arrive que ce passé idéalisé soit lointain : époque des salaf (compagnons du Prophète, soit le 7e siècle) pour certains "islamistes", époque biblique pour certains sionistes, Ancien Régime pour les royalistes etc. etc., ce qui ne va pas empêcher leur activisme politique... d'utiliser tous les moyens offerts par le "monde moderne" honni. D'autres, plus pragmatiquement, vont tourner les regards vers des époques que des personnes en vie ont connues - et qu'elles peuvent raconter aux plus jeunes. Mais là, cela va être "rigolo"... À l'époque du fameux "slogan fasciste des années 1970", il est vraisemblable que ses utilisateurs incitaient à regarder vers "avant la société de consommation", vers la France encore majoritairement rurale et "frugale" des années 1920-30-40 qu'exaltait la "Révolution nationale" de Vichy. Mais aujourd'hui, cela va plutôt être vers la "société de croissance" et en même d'"ordre" et de "valeurs" des années 1950-60... cette même société où a émergé la consommation de masse ! Il faut rappeler ici la règle n°1 avec le fascisme : ne pas chercher la cohérence !

    Nous avons donc vu comment le fascisme consiste à nier ou détourner les contradictions de la société en s'emparant (pour cela) des questions que ces contradictions posent ; mais aussi que les marxistes peuvent et doivent apporter les bonnes réponses à ces vraies et légitimes questions - le marxisme est une science de la réalité sociale et il n'y aucune question du domaine du réel à laquelle il ne puisse répondre (s'il ne le peut pas, c'est qu'il n'a pas cherché et s'il cherche, il trouve !).

    Jeune Bretagne operation nettoyageMais face à cette pratique du fascisme, il y a aussi une autre posture possible : puisque toutes ces questions sont prises en main par des fascistes qui y apportent de mauvaises réponses, c'est donc que les questions EN ELLES-MÊMES sont "mauvaises", "illégitimes", "nulles et non avenues". Cette posture, puisqu'il faut lui donner un nom, nous lui en avons donné un : il s'agit (en ouvrant grands les guillemets) de l'"antifascisme" bourgeois. L'"antifascisme" d'une bourgeoisie "républicaine" et "libérale" qui est ELLE AUSSI, il faut le rappeler, une formidable négatrice de questions et de contradictions sous le (sacro-saint) concept de "citoyenneté républicaine" (dès lors que tout un chacun a une attitude "républicaine" tout va bien, c'est lorsque l'on n'est "pas républicain" que cela ne va pas) et qui ne va donc même pas apporter de mauvaises réponses aux bonnes questions... mais tout simplement refuser qu'elles soient posées [la version "gauchiste" de cela consistant à nier toute autre question que "la lutte des classes", la stricte lutte ouvrier-bourgeois (contradiction à la base des autres, mais pas du tout la seule !) : il faut bien comprendre que beaucoup de "révolutionnaires" ("marxistes" ou "anarchistes") sont en réalité des petits bourgeois dont le système capitaliste qu'ils disent combattre est en même temps le râtelier (un râtelier qui ne leur fait peut-être, simplement, pas assez de place à leur goût) ; il leur faut donc "stériliser" d'entrée de jeu la lutte révolutionnaire qu'ils prétendent mener (l'empêcher d'être victorieuse), et réduire cette lutte à une stricte opposition mondiale prolétaire-bourgeois est la meilleure manière de le faire].

    Si des réponses réactionnaires (maurrassiennes ou carrément séparatistes nazillonnes façon PNB) sont apportées à la question des Peuples emprisonnés et niés dans les États modernes produits du capitalisme, c'est donc que poser cette question est en soi réactionnaire (comme le 'p''c''mlm' le dit ouvertement : "des projets « nationaux » fictifs - Bretagne, Occitanie, etc.")[3]. Si Soral, Kémi Séba ou des réactionnaires religieux ("islamistes") "répondent" de manière réactionnaire à la question "indigène" des colonies intérieures, c'est que poser cette question est en soi réactionnaire. Si des fascistes (Soral-Dieudonné, GUD ou autres) s'affirment "du côté" des Palestiniens contre le sionisme, il n'est donc pas légitime de poser la question de la Palestine colonisée et apartheidisée par le sionisme (avec la bénédiction des fractions bourgeoises - pour le moment - au pouvoir dans les impérialismes occidentaux). Si des fascistes s'emparent de la question de l'angoisse des masses populaires face aux "chocs de modernité", au consumérisme qui emprisonne le producteur (avec son maigre salaire) dans la consommation (lui faisant en quelque sorte... rendre immédiatement au Capital ce que celui-ci lui a "donné" !), à l'individualisme et au recul des solidarités etc. etc., c'est donc que ces questions ne doivent pas être posées. Idem pour la question de l'écologie (des fascistes ayant même tenté d'infiltrer la ZAD du Testet !) et ainsi de suite... Circulez, y a rien à voir ! Poser ces questions c'est être un "fasciste en puissance", un "anticapitaliste romantique" "suintant (généralement) l'antisémitisme par tous les pores"... et elles sont dès lors laissées sur un plateau d'argent aux fascistes qui voudraient s'en emparer (ce qui viendra encore renforcer l'argumentaire "républicain" et ainsi de suite... jusqu'au jour où plus de gens écouteront les fascistes que les "républicains" et là... oups !).

    Mais alors, là, coinçons un peu nos négateurs "gauchistes" de questions/contradictions : si le FN et autres propagandistes xénophobes, islamophobes et "anti-remplacistes" "répondent" (par la xénophobie et l'islamophobie) aux souffrances et à la désespérance sociale des classes populaires "blanches"... est-ce alors qu'il ne faut pas poser la (grande, la fameuse) QUESTION DE CLASSE ??? Là, en général, le "gauchiste" (anarchiste, trotskyste, "stal", luxemburgiste ou autre) est coincé ; il va le plus souvent tenter de s'en sortir en coupant court au débat ("tu mélanges tout", "tes arguments ne veulent rien dire", "ta mauvaise foi t'étouffe" etc. etc.). Le 'p''c''mlm' [4], lui, est plus ou moins sorti de ce "coinçage" : il assume de plus en plus ouvertement que face à l'islam et au "communautarisme" on "peut comprendre" la "classe ouvrière" qui vote Le Pen (ou les "personnes juives" qui se tournent vers la LDJ, le sionisme ultra, émigrent en Israël etc.) - du coup, on n'est plus seulement dans la bonne question mais aussi... dans la mauvaise réponse (apportée par les fascistes) à la souffrance et à l'angoisse sociale : "l'immigration" et ses descendants seraient "effectivement" un "problème" pour la "dignité du réel" populaire.

    En attendant, l'"antifascisme" bourgeois s'est enrichi d'un nouveau terme - assez rigolo il faut dire : "hippie de droite" pour désigner toutes ces (fichues) personnes qui ne savent point cacher ces questions que la République des Lumières, de la culture et de la civilisation ne saurait voir...


    [1] Ce phénomène postérieur à la Seconde Guerre mondiale a fait l'objet d'études marxistes brillantes (bien que d'aucuns les qualifieront sans doute de "post-modernes"...). On peut citer à ce titre et vous inviter à lire (en vous prévenant que le style d'écriture est hélas peu accessible) l'excellent Gouttes de Soleil dans la Cité des Spectres de l'ex-brigadiste rouge italien Renato Curcio. 

    [2] Les religions, dont on connaît le regain populaire depuis une vingtaine d'années (que ce soit l'islam, le catholicisme, les églises évangéliques auprès - surtout - des communautés africaines ou caribéennes ou encore le judaïsme), sont elles aussi une recherche par les masses de réponses face à un sentiment de "perte de sens" dans l'existence sociale, de triomphe du consumérisme et du fétichisme de la marchandise ("matérialisme" selon leurs mots), de l'individualisme etc. etc. ; une manière (également) de réintégrer "artificiellement" une communauté sociale "solidaire" et "sincère" ; bref une quête de "gouttes de soleil dans la Cité des Spectres". Ce sont des réponses idéalistes mais attention, 1°/ tous les courants que ce soit du christianisme, de l'islam ou du judaïsme n'ont pas forcément une vision ultra-réactionnaire/fasciste ou médiévale de la société, ni ne sont des sectes vouées uniquement à enrichir leurs dirigeants et 2°/ les communistes doivent là encore, patiemment et sans posture dogmato-sectaire, se saisir des questions posées pour tenter d'amener peu à peu ces personnes des classes populaires vers le communisme.

    [3] Sur cette question de l'affirmation réactionnaire des Peuples niés par l'État moderne, il faut avoir aussi que pendant très longtemps la MOYENNE BOURGEOISIE nationaliste ou autonomiste a été la seule force sociale à détenir le capital intellectuel nécessaire pour porter cette affirmation, de manière - donc - forcément bourgeoise et généralement réactionnaire. Les classes laborieuses étaient "sans voix" ; les forces s'exprimant au nom du mouvement ouvrier et du prolétariat étant généralement des petits bourgeois, des fonctionnaires, des enseignants ou des (aristocrates-) ouvriers particulièrement "inclus" et se sentant "français", suivant le concept selon lequel "monter à la ville" pour y intégrer la classe ouvrière revenait à "entrer dans la civilisation" et abandonner son "patois", ses petits "obscurantismes" etc. etc. Les choses ont commencé à sérieusement changer à partir des Trente Glorieuses (par exemple en Occitanie avec la grève des mineurs de La Sala/"Decazeville"), mais il y aura malheureusement toujours assez - puisque 10 spécimens suffiraient ! - de petits fachos et autres illuminés réactionnaires à la Yann-Ber Tillenon pour que les jacobinards de tout poil y réduisent nos luttes...

    [4] Lire aussi son dernier article sur la question suite aux évènements insurrectionnels de Tolosa/Toulouse, Naoned/Nantes et quelques autres villes suite à la mort de Rémi Fraisse, plein (comme à l'accoutumée) de morgue et de donnage de leçons envers la jeunesse "petite-blanche" prolétarisée (la fameuse "génération qui vivra moins bien que ses parents") qui est pourtant, avec les "quartiers"-ghettos-à-"indigènes", l'autre grande force révolutionnaire de notre époque en Hexagone (même si nous pouvons admettre que la constructivité d'une certaine "casse" puisse être questionnée, mais pas de cette façon). Ceci montre et confirme bien qu'il n'y a plus grand chose d'ironique à les classer dans la même famille politique que l'UMP, Manuel Valls ou encore Mélenchon - c'est-à-dire la bourgeoisie "républicaine"... Ils réussissent même l'exploit de se retrouver même sur une position identique... à celle d'un site "emblématique" de la mouvance soralienne, le particulièrement pestilentiel Croah.fr de "Joe le Corbeau" : Des antifas dégénérés ravagent le centre-ville de Nantes. Quand on vous dit que toute cette merde croupit dans le même chiotte tricolore, et tend de plus en plus - sous la pression des masses en révolte - à former un seul bloc !


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