• Sur le processus révolutionnaire (2) : vers le communisme

     1ère partie

    Passons maintenant à l'étape suivante : la transition depuis l'ordre social renversé (capitaliste, semi-colonial semi-féodal...) vers le communisme. Une fois que la classe dominante a été chassée du pouvoir d’État, la lutte se poursuit, si l'on peut dire, "à fronts renversés".
    Car la lutte des classes se poursuit. À vrai dire, elle ne cessera réellement que sous le COMMUNISME, lorsque toutes les classes auront définitivement disparu, lorsqu'auront disparu toutes les "fonctions sociales", toutes les divisions du travail pouvant potentiellement constituer des classes (tout être humain sera alors totalement polyvalent, à la fois intellectuel et manuel, à la fois savant, ingénieur, technicien, artiste et ouvrier...). C'est là le grand enseignement des premières expériences socialistes, au siècle dernier.

    À ce sujet, il faut lire absolument :

    - Nicola P. (nouveau PCI), La Huitième Ligne de Démarcation, chap. 3 La lutte de classe dans la société socialiste ;

    - l'article du PCR Canada pour le 50e anniversaire de la Révolution chinoise (extrêmement instructif sur la lutte des classes dans la Chine populaire de Mao, jusqu'à sa mort et à la restauration capitaliste qui a suivi) ;

    - le texte du TKP/ML : On ne peut pas être communiste sans défendre le maoïsme ; qui aborde également de manière très intéressante la question de la transition socialiste, sur la base des expériences du 20e siècle (on est alors en pleine "Fin de l'Histoire", au début des années 1990).

    - la revue Cause du Communisme de l'OCML-VP, n°1 et 2 (datant du début des années 1980).

    Ce qu'il faut bien comprendre et intégrer, et qui est une grande leçon du 20e siècle, c'est que le socialisme est bien une transition, un mouvement historique de la société humaine vers le communisme. Il n'est pas vraiment, en lui-même, un mode de production ni un ordre social strictement défini de manière figée.

    C'est une période historique qui peut s'étendre sur plusieurs générations, voire plusieurs siècles, dans laquelle un se divise perpétuellement en deux : les forces qui veulent avancer vers le communisme ; et celles qui veulent retourner au capitalisme, ou simplement s'arrêter là où l'on est, mais là aussi, cela revient à retourner en arrière : "c'est reculer que d'être stationnaire". Ces forces doivent être soit convaincues (la contradiction peut être non-antagonique, au sein du peuple), par le débat démocratique franc et ouvert, l'expérience pratique et la vérification ; soit neutralisées ; soit mises hors d'état de nuire (partisans de la restauration capitaliste ou du statu quo devenant ennemis du peuple).
    La réalité, et c'est le grand apport du maoïsme à la théorie scientifique du prolétariat, c'est qu'il faudra d'autres révolutions, de nouvelles révolutions contre les forces qui, à chaque moment crucial de la transition, au moment d'effectuer un saut qualitatif, voudront revenir en arrière. L'expérience concrète de cela est la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP, 1966-76), qui est le fondement pratique du maoïsme et non une simple "lutte anti-révisionniste" comme voudraient le faire croire les dogmato-ossifiés (en affrontant le révisionnisme, Mao n'a pas fait que cela : il a dépassé qualitativement le marxisme-léninisme de Lénine et Staline). On ne peut pas être maoïste sans défendre (et comprendre !) la gigantesque signification historique de la GRCP. C'est une ligne de démarcation absolue (il y a, par ailleurs, des groupuscules qui disent s'en réclamer mais qui n'y ont strictement rien compris ; ils n'en font là encore - au final - qu'un "anti-khrouchtchévisme", un "stalinisme radical"). La meilleure compréhension de cette expérience historique, en langue française, est celle du PCR Canada (cf. ci-dessus). 

    D'où viennent ces forces qui veulent revenir en arrière, liquider la révolution ? Là encore, la réponse est un grand apport scientifique du maoïsme. Le marxisme-léninisme de Lénine/Staline considérait que la superstructure présente (les idées, les rapports juridiques écrits et les normes non-écrites, les "normes culturelles interhumaines") ne pouvait que ressortir automatiquement de l'infrastructure présente (le mode de production). Donc, si l'économie entière avait été socialisée, s'il ne restait "plus de classes" (dixit Staline en 1935) puisque plus de propriété privée (capitaliste) des moyens de productions, alors très rapidement une nouvelle culture, de nouvelles relations sociales, se formeraient sur cette base, et se développeraient à mesure que l'on développerait les FORCES PRODUCTIVES. Les seules forces contre-révolutionnaires ne pouvaient qu'être soit des éléments des anciennes classes dominantes complotant et sabotant contre la révolution, soit des agents de la Réaction mondiale (des pays étrangers anticommunistes).

    Mais la réalité a démenti cette idée fausse. La réalité, c'est que c'est au sein même du Parti et de l'appareil administratif (notamment répressif), parmi les plus zélés "serviteurs" de la révolution soviétique, que s'est développée une caste de privilégié-e-s, d'"experts", de "techniciens", de "spécialistes" qui, dès la disparition (au tournant du siècle) de la "vieille garde" qui avait combattu le tsarisme, dont Staline lui-même (1953), a remis l'URSS sur la voie du capitalisme. Alors que des milliers d'"ennemis du peuple" avaient été fusillés (notamment en 1937-38, en confondant souvent contradictions au sein du peuple et contradictions avec l'ennemi, ce que Mao critiquera), c'est du cœur même du Parti qu'ont surgi les liquidateurs !!! Staline lui-même en prendra conscience peu avant sa mort... mais il était trop tard ; sa proclamation, dès 1934, de la "fin de la bourgeoisie et de la lutte des classes en URSS", suivie des "purges" frénétiques contre les "agents contre-révolutionnaires" (1937-38), puis des nécessités "patriotiques" de la résistance face à l'invasion nazie, n'ayant pas été pour rien dans le développement fulgurant du phénomène.

    Le maoïsme a totalement dépassé par la gauche ces conceptions erronées. Bien sûr, la Réaction extérieure est un facteur important : les Chinois étaient bien placés pour le savoir, eux qui avaient contre eux à la fois l'Occident impérialiste (à la tête duquel les USA) et le révisionnisme soviétique... Chacun appuyant à sa manière la contre-révolution dans le pays. De même pour les résidus des anciennes classes exploiteuses. Mais voilà, Mao a aussi compris que l'ancienne infrastructure, les anciens modes et rapports de productions (capitalistes et féodaux) avaient produit des idées, des conceptions qui continuaient à "flotter dans l'air" pendant parfois plusieurs générations, comme la fumée lorsqu'on éteint un feu. Qui n'a pas entendu, dans ses conversations au quotidien, "mais de toute façon, le communisme, ça ne peut pas marcher, il y en aura toujours pour se mettre au-dessus des autres, c'est la nature humaine" ? Et bien, c'est exactement de cela qu'il s'agit (dans une vision idéaliste, où il y aurait une "nature humaine" transcendante et immuable). Ces conceptions anciennes, lorsqu'elles se matérialisent dans des individus agissants qui se regroupent pour agir, deviennent une force matérielle qui va ralentir, arrêter, voire inverser la transition vers le communisme. C'est là l'aspect principal de la contre-révolution sous la transition socialiste (primat des causes internes), et c'est ce qui s'est produit en URSS. La matérialisation la plus redoutable, et déterminante, est la matérialisation de ces conceptions contre-révolutionnaires au sein du Parti et surtout à sa tête : car le Parti est la "clé de voûte" de la transition socialiste vers le communisme ; s'il "saute" en changeant de nature (devenant réactionnaire), tout s'effondre, on revient en arrière. D'où le mot d'ordre maoïste "Feu sur le Quartier Général !" : les ennemis les plus dangereux, pour l'avenir communiste des masses populaires, sont ceux qui se nichent au sommet même du Parti.

    Il ne suffit donc pas que le Parti révolutionnaire du prolétariat renverse l'ancienne classe dominante et dirige l'État. Même, comme le préconise Lénine, en détruisant profondément l'État de l'ancienne classe dominante et en construisant le sien à la place. Il ne suffit pas de placer toute l'économie, jusqu'à la plus petite baraque à sandwiches, sous la propriété de cet État du prolétariat et de son Parti ; et ensuite, tranquillement, de "développer les forces productives" ; pour que se construise une "civilisation socialiste" puis "communiste". Il faudra de nouvelles révolutions. Pour ainsi dire, chaque "grand bond en avant" vers une société communiste, débarrassée de toute division du travail et inégalité, devra passer par une élimination, de tout poste à responsabilité, des adversaires de cette progression (c'est sans doute ce qui a fait défaut au "Grand Bond" en Chine, vraisemblablement saboté par les néo-bourgeois).

    SLP ajouterait que ce type d'individus (les néo-bourgeois) peut déjà s'entrevoir en puissance dans les organisations révolutionnaires (ou prétendues telles) bien avant la conquête du pouvoir, dans la lutte révolutionnaire pour celle-ci. On retrouve cette engeance aussi bien chez les opportunistes de droite (prêts à tous les compromis avec la "gauche" de la bourgeoisie) que chez les "maximalistes ultra-radicaux" dogmatiques et/ou aventuristes, qui se rêvent en "grands leaders". Cela dit, lorsqu'elle est trop "ouverte" avant la révolution, cette tendance échoue à l'accomplir : les opportunistes vont s'échouer sur les bancs parlementaires ou les strapontins ministériels (indemnités coquettes à la clé) ; les "ultra-radicaux" (ne voyant pas la révolution "parfaite", c'est à dire sous leur guidance lumineuse, arriver) se reconvertissent quant à eux de diverses manières, dont l'ancienne cupule dirigeante de la Gauche prolétarienne présente un éventail à peu près complet... En revanche, des éléments plus "discrets" peuvent parvenir à se faufiler jusqu'au renversement de la bourgeoisie, pour ensuite prendre sa place (donnant hélas raison à la boutade de Coluche : "le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme, le communisme c'est le contraire"...). Et puis, tout simplement, il y a des individus "sains" à la base, qui mutent en se retrouvant à des postes de responsabilité procurant un certain confort matériel et un "sentiment d'importance" : les vieilles conceptions s'imprègnent en eux, sous la forme d'un "et pourquoi pas devenir des bourgeois... tout simplement ?" ; et deviennent ainsi une force matérielle de la contre-révolution. Car malheureusement, la révolution n'a pas de baguette magique, et ne peut pas supprimer en quelques jours ni en quelques années toute division sociale héritée de siècles et de siècles de société de classe : entre intellectuels et manuels, décideurs et exécutants, dirigeants et dirigés. 

    Comment faire alors ? Et bien, heureusement, l'expérience (y compris négative) du mouvement communiste et des premières révolutions prolétariennes au 20e siècle permet, si on la systématise à un niveau scientifique, de développer des méthodes de lutte efficaces contre cela.

    On peut ainsi lancer des pistes de réflexions vers un renforcement du pouvoir des conseils de travailleurs/euses, au niveau des unités productives comme des zones d'habitation ; être extrêmement vigilant-e-s sur le caractère impératif du mandat et sa révocabilité à tout moment... Ceci d'autant plus facilement que le prolétariat et les masses travailleuses, au niveau mondial, ont vu leur niveau de conscience s'élever considérablement (en même temps que le niveau des forces productives, des moyens d'information et de communication etc.) depuis l'époque léniniste. Les bolchéviks d'URSS, ne l'oublions pas, "guidaient" vers le socialisme et le communisme des masses paysannes ou sorties récemment des campagnes, largement analphabètes, imprégnées de superstitions religieuses, de culture féodale etc.

    Ces pratiques peuvent, doivent d’ailleurs être mises en œuvre dès à présent, alors que nous sommes encore loin de notre premier (essentiel, mais seulement premier…) objectif : la conquête du pouvoir. Culture égalitariste intransigeante dans l’organisation ; "génie du collectif" contre chefs de file charismatiques qui s’imposent "tranquillement" appuyés sur la passivité des autres ; rejet du bureaucratisme ou (pire encore) du "gourouïsme", etc.

    Un grand enseignement de la Révolution chinoise, en particulier de la Révolution culturelle, est que la division entre dirigeants et dirigés, entre "sachants" et "exécutants", doit être combattue sans relâche et de manière permanente. Les "cadres" doivent devenir "experts et rouges", s'élever politiquement et culturellement par la participation physique au travail productif, "mettre les mains dans le cambouis", SERVIR LE PEUPLE ; tandis que, de leur côté, les travailleurs productifs (ouvriers, paysans et autres travailleurs manuels et "petites mains") doivent avoir l'accès le plus large, dans une politique volontariste, au connaissances scientifiques, techniques, économiques et bien sûr politiques (qui fondent le Parti et que celui-ci ne doit pas garder pour lui, comme "capital" d'une élite...).

    Une idée-force qui émerge aussi, en particulier depuis la fin des années 1980 (dans un contexte de bilan de l’expérience révolutionnaire communiste au 20e siècle), notamment dans le texte du TKP/ML mais aussi dans le Manifeste du (nouveau) PCI, c’est que le Parti ne doit pas prétendre à une direction "totale" ("totalitaire", diraient les anticommunistes) de la société durant la transition socialiste ; perdant une énergie considérable à traiter d’absolument toutes les questions, ce qui conduit au bureaucratisme et au technocratisme. Il ne doit pas faire la révolution par en haut. Il doit, plutôt, être un instrument et une "force stimulante" de la mobilisation des masses dans la transformation (socialiste) de la société de classes en société communiste. Il doit mobiliser les masses dans ce qui est, il ne faut pas l’oublier, LEUR destinée. Les communistes ne doivent jamais oublier que ce sont les masses qui font l’histoire. Voici ce que dit notamment le TKP/ML : "Si une ligne n'amène pas une société au communisme, si elle n'amène pas à avoir la capacité de résoudre les contradictions existantes en faveur des travailleurs, si elle ne minimise pas le besoin de l'État et du Parti afin que les travailleurs deviennent les maîtres, et si elle n'est pas capable de distribuer le pouvoir dans la société sur la route vers le communisme, alors il y a un problème. Être au pouvoir est un instrument pour mobiliser les masses travailleuses vers le communisme. Ici l'importance de la question de la "révolution socialiste" devient plus apparente. Le pouvoir prolétaire n'est pas le monopole du Parti, il est la force guidant par la gestion de la direction du Parti, et c'est le soutien de ce pouvoir par les masses travailleuses. Les travailleurs ne peuvent pas être privés du contrôle de la société, du droit à se révolter contre l'injustice, quel qu'en soit le prétexte ; ils ne peuvent pas être privés de leur droit à la continuation de la révolution".

    Ou encore : "La direction ne peut pas être vue comme supérieure aux autres, la direction est la capacité à être l'instrument qui amène la révolution, elle doit être au service des masses et transformer celles-ci en direction. Ce n'est jamais malgré les masses ; la direction doit satisfaire l'attraction des masses dans la lutte politique".

    Là réside, peut-être, le SECRET de la grande défaite stratégique mondiale subie dans le dernier quart du 20e siècle. NULLE PART le capitalisme n’a été restauré autrement que par une volonté venant de l’intérieur du Parti, des contre-révolutionnaires ayant pris sa direction : c’est le premier primat des causes internes ; c’est de la faillite du Parti, dans la voie de la révolution, que vient toujours la restauration. Mais au sein même du Parti, il y a un deuxième primat des causes internes : ce sont les faiblesses de la gauche, de la ligne rouge, tournée vers le communisme, qui permettent la victoire de la droite, la ligne noire tournée vers le capitalisme, les néo-bourgeois. Et cette faiblesse a sans doute sa source première dans le défaut, ou l’insuffisance de mobilisation révolutionnaire des masses… 

    Tout ceci, que cela soit bien précisé, n’est seulement que des PISTES ; mais qui méritent qu’on y réfléchisse, afin de renforcer pour l’avenir le mouvement communiste et sa mission émancipatrice pour l’humanité entière…


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    Sur le même sujet, et bien que nous ne soyons pas à 100% sur cette ligne, il peut être intéressant de relire ces brochures de l'OCML-VP du début des années 1980 :

    La théorie des forces productives à la base du révisionnisme moderne (1980)

    Sur l’État de dictature du prolétariat (1982)

    Sur la transition du capitalisme au communisme (1984)

     


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