• Sur la question de la drogue, du trafic, des dealers etc.


    Une simple publication sur Facebook, comme ça, sans prétention aucune, au sujet d'un dealer d'une favela brésilienne qui a enlevé deux infirmières (qui auraient été bien traitées) pour les obliger à vacciner les enfants contre la fièvre jaune, a suscité une tempête de commentaires indignés.

    Un mal pour un bien : cela aura été l'occasion d'aborder en profondeur ce problème qui, si il touche toutes les classes (les jeunes cadres dynamiques ne sont pas en reste), est particulièrement prégnant dans les quartiers populaires.

    Alors déjà, il semble que les choses n'aient pas été bien comprises, ou comprises de travers dès le départ.

    Bon, il y en a un par exemple, en mode délire total comme d'habitude : "défendre LES dealers comme progressistes"... non mais LOL ! Il est question d'UN mec qui a fait UN truc, dans UN article qui ne cherche aucunement  à dire "le leader de la révolution brésilienne est né".

    Ensuite, plus globalement, l'impression qui se dégage est celle d'un grand malentendu : l'impression que les gens voient une réponse ("c'est ça qu'il faut faire"), là où il n'y a que des questions.

    Un camarade, d'ailleurs, pose (indirectement) une de ces questions de manière (déjà) beaucoup plus intéressante :

    "Des dealer qui se prennent pour des Robins des Bois à la sauce Pablo Escobar y en a toujours eu et y en aura toujours. Si tu veux  développer ton influence, ton réseau, et pouvoir vivre ailleurs que terré dans une cave il faut se développer sur certains endroit et avoir un certain soutien populaire. Ce gars là ça en fait pas moins que c'est une saloperie et que pour l'instant ça reste une saloperie de dealer et c'est pas du tout ça qu'on doit mettre en avant en tant que révolutionnaire. Le fait de 'pas avoir le  choix' c'est de la connerie. On à toujours le choix de choisir de pas empoisonner sa classe, d'autant plus qu'au Brésil il y a un Parti puissant."

    Bon, apparemment le gars dont il est question n'est pas non plus Pablo Escobar. Mais voilà, c'est justement là une question que cet article a vocation à poser : pourquoi en Amérique latine les narco-trafiquants sont-ils vus comme des dieux, et pas ou moins les révolutionnaires (au Brésil oui il y a un Parti puissant mais il est encore loin d'être partout, on parle de 8,5 millions de km², 210 millions d'habitants).

    Tout simplement parce que le fait est que, POUR SERVIR LES INTÉRÊTS que décrit bien le camarade, ils servent le peuple. Pour en empoisonner une partie derrière (encore qu'il y a longtemps eu une politique de ne vendre qu'aux pays du Nord, rien a 'su gente', mais bon c'est fini)... Mais ils le servent. Pendant que la gauche petite bourgeoise occidentale (et locale) fait la leçon et s'offusque.

    SLP a parlé en son temps du massacre d'Ayotzinapa au Mexique, et a donc eu l'occasion d'aborder cette question des cartels criminels (qui avaient en l'occurrence été "embauchés" par le président municipal local pour le sale boulot) : feroce-repression-contre-des-etudiants-au-mexique-l-etat-bourgeois-sem

    Nous y avions, concrètement, caractérisé le narcotrafic dans ces pays comme finalement, un peu comme l'islamisme dans les pays musulmans (objet d'une autre grande "guerre contre" planétaire !), une expression du capitalisme "d'en bas", naissant spontanément dans les "entrailles" de la vie sociale populaire (où les gens produisent et vendent, bref font du bizness et certains deviennent riches et d'autres pas...). Il y a un capitalisme "d'en haut", monopolisé par une oligarchie bureaucratique-compradore héréditaire et impulsé par et au service de l'impérialisme ; mais au sein des masses populaires (à peu près livrées à elles-mêmes par l’État) il y a aussi une vie sociale qui généralement produit des échanges marchands, en mode système D, petit commerce de proximité etc.

    Des petits bourgeois, ou carrément des prolos, des prolétaires "informels" issus de la paysannerie pauvre émigrée et entassée dans les grandes villes (par exemple), "bloqués" par le système oligarchique et clientéliste dans leurs rêves d'une vie de palace, se lancent alors parfois dans un commerce illégal qui peut se révéler juteux... Et certains peuvent, là-dedans, aller très très loin. 

    Mais voilà, ce "capitalisme d'en bas" "empêche le surproduit (plus-value "sur-accaparée") de remonter correctement jusqu'aux monopoles impérialistes - qui le combattent donc en conséquence, dans leur perspective de domination totale des économies du Sud".

    En Amérique latine s'est développée dans les années 1970-80 une logique que l'on pourrait résumer ainsi : trafiquer illégalement la production locale de drogues, en particulier la cocaïne, exclusivement (à l'époque) à l'export vers l'Amérique du Nord ou l'Europe ; grand principe des narcos de la "vieille école". Contrairement aux idées reçues, la marchandise d'Escobar n’inondait pas vraiment les rues colombiennes ; étant de toute façon inaccessible à la bourse des prolétaires locaux. Les gamins des rues buvaient, fumaient de l'herbe (trouvable partout, même pas un trafic au niveau local) ou sniffaient de la colle. L'idée était concrètement "que les Gringos s'en foutent plein les narines et moi, avec leur fric, d'abord je vais devenir plus riche que la moitié des pays du monde, et ensuite je vais construire pour les gamins pauvres des écoles, des stades de foot, des hôpitaux etc. etc. bref tout ce que ceux qui sont nés avec l'or dans la bouche ne font pas".

    Mais bon... Tout ceci n'est bien sûr pas resté plus de 25 minutes un tel tableau idéal et "Robin des Bois". Capitalism is capitalism et petit à petit, pour développer le marché (nature même du capitalisme) il a fallu en ouvrir un local, de marché, et donc droguer avec de la came de merde (financièrement accessible) son propre peuple pauvre, tout en continuant à lui faire des écoles et des stades de foot. Sachant aussi que les "Gringos" (ou les Européens) ne sont pas un bloc, mais des classes sociales différentes, des prolétaires, des minorités raciales opprimées, et si la cocaïne est en principe plutôt une drogue de riches, elle est très vite rentrée dans la composition du crack, véritable fléau populaire. La nécessité de toujours plus de marchandise va (forcément) pousser à une surexploitation de type esclavagiste des paysans producteurs de coca. Et puis, que ce soit pour se "faire" ou pour (ensuite) défendre une fortune de plusieurs millions voire milliards de dollars, face à la concurrence ou aux "mauvais payeurs", aux adversaires de l'illégalité etc., il est difficile de ne pas déployer dans tous les cas une terrible violence antipopulaire. "Les gauchistes", qui n'ont "rien compris à la vraie vie" et veulent "prendre aux gens ce qu'ils ont gagné à la force du poignet", c'est "hors de question" d'en entendre parler : on va les combattre sans pitié... etc. etc.

    Comme nous le disions dans l'article précédemment cité, "ces forces expression du "capitalisme d'en bas" ne sont nullement "subversives" et encore moins "progressistes" : elles se caractérisent généralement par une grande barbarie dans leurs pratiques quotidiennes et dès que le vent de la révolte populaire se lève, elles ont systématiquement tendance à "faire bloc" avec la classe dominante "d'en haut" pour l'écraser. Cela ne date pas d'hier : il suffit de penser au rôle des fameuses triades dans la répression-massacre des communistes en Chine, en 1927".

    Au bout d'un moment donc, ou plutôt très vite, on a affaire à des forces jouant un rôle politique fondamentalement réactionnaire. Mais cette contradiction initiale entre "le gars qui s'est fait tout seul à partir de rien" et redistribue (un peu) aux pauvres en mode "Robin des Bois", et l'oligarchie bureaucratique-compradore semi-coloniale qui a priori ne laisse aucune chance à ceux qui (comme dans la chanson de Goldman) ne sont "pas bien nés", est ce qui explique le soutien populaire (nécessaire à l'activité, comme l'explique bien le camarade) dont bénéficient ces individus, et ce à tous les niveaux, pas seulement les parrains des parrains à la Escobar mais aussi les "petits bonnets" de quartier.

    Certains courants opportunistes de gauche, généralement postmodernoïdes, célèbrent les activités "populaires informelles" et autres "marginalités", ce qui est évidemment de la merde à leur mesure ; mais les matérialistes, eux, n'en doivent pas moins comprendre les choses ainsi pour pouvoir les traiter dans un esprit de LIGNE DE MASSE ; et non pas tomber en mode matérialiste-point-com dans les solutions "définitives" du type "tous une balle dans la tête", dans la même veine que "les putes en camp de travail" ou "les Roms de toute façon c'est qu'une grande mafia".

    La question de la drogue est complexe du point de vue communiste authentiquement matérialiste, caractérisé par "l'analyse concrète de la situation concrète". Des Partis ont très souvent en effet, dans des conditions (bien précises) données, eu à affronter les dealers de drogue (mais pas sûr, notamment dans le cas du BPP, que ce ne soient pas les dealers qui aient déclaré la guerre en premier...). Mais au Philippines, Duterte a lancé une guerre d'extermination contre les "dealers" (ceux qu'il juge tel) et le CPP s'y est opposé, disant que c'est pas comme ça qu'on règle le problème. Ajith aussi a parlé de la "guerre contre la drogue'', comme de la "guerre contre le terrorisme", comme d'une guerre contre le peuple. Aux États-Unis, des mouvements noirs qui se réclament du BPP le disent aussi d'ailleurs.

    [À la fin de l'été dernier donc, conformément à ses promesses électorales et à sa politique dans la ville dont il était précédemment maire, le nouveau président philippin Rodrigo Duterte a donné l'ordre (à la police... et à tout "bon citoyen") de littéralement tirer à vue sur tout "dealer" de drogue dans tout le pays. Au bout d'un mois l'on comptait déjà plus de 1 000 morts, soit plus d'exécutions extrajudiciaire qu'en 9 ans de présidence de la très fasciste Gloria Arroyo.

    Cela a été l'occasion, pour le Parti communiste (CPP) et les grandes organisations démocratiques comme le NDFP (lié au CPP) ou Karapatan, de livrer la position suivante : la "guerre contre la drogue" de Duterte est antipopulaire et antidémocratique, une guerre contre le peuple, qui ne fait que massacrer les consommateurs et petits revendeurs eux-mêmes consommateurs et laisse tranquille les gros bonnets liés au pouvoir politique et à l'oligarchie économique ; la seule façon de mener efficacement la guerre contre la drogue étant (pour le CPP) de "mobiliser les masses du peuple dans la révolution sociale", ou (pour Karapatan) de "défendre les droits économiques et sociaux élémentaires du peuple", fournir "des emplois stables aux salaires dignes", "l'accès gratuit à la santé et à l'éducation ainsi qu'à la terre cultivable", afin que la population "répudie la consommation ou le trafic de drogues".

    http://bulatlat.com/main/2016/08/24/rights-groups-dutertes-war-drugs-stop-killings/

    https://www.rappler.com/nation/142967-cpp-duterte-war-drugs-anti-people-undemocratic]

    La question de la drogue pose aussi et surtout la question du désespoir prolétarien, qui pousse à une consommation morbide. Aucune substance n'est "mauvaise" en soi, la plupart sont utilisées en pharmacie (d'ailleurs les médocs sont peut-être la drogue n°1). L'État est le plus gros dealer, d'une substance potentiellement pire que les 3/4 des autres : l'alcool. Potentiellement pire, mais que l'on peut aussi consommer en toute modération. Bref...

    "Le choix", non on ne l'a pas toujours, notamment quand on est soi-même tombé dedans et qu'on deale pour pouvoir acheter (les gros bonnets ont pour principe de ne jamais consommer eux-mêmes, d'ailleurs). C'est le cas typique des milliers de victimes de Duterte aux Philippines, et de la "guerre contre la drogue" dans tous les pays où elle se déchaîne.

    Bref, c'est complexe. Le problème étant le désespoir, l'espoir est donc l'ennemi du trafic de drogue ; donc effectivement les vendeurs irréductibles n'aiment pas l'espoir, donc n'aiment pas le BPP, le DHKP-C, les républicains irlandais et tous les révolutionnaires ; l'affrontement étant par conséquent tôt ou tard inéluctable. Ceci sans même parler du cas d'introduction VOLONTAIRE de drogue par l'État et d'utilisation des dealers comme mouchards (ghettos raciaux US, Italie, Irlande, Pays Basque), qui peut expliquer les volées de plomb aussi.

    [En Europe à partir des années 1970 il y a eu l'héroïne : cela, il est documenté aujourd'hui que ça a été COMPLÈTEMENT organisé par les États, les services spéciaux et les stay behind anti-"subversifs" ; en se fournissant chez les "guérillas" anticommunistes d'Asie du Sud-Est ou la Maffya turque (liée aux Loups Gris).]

    Mais encore faut-il que la révolution soit à l'ordre de jour, pour que l'on puisse observer, en plus d'un (probable) recul de la consommation populaire, qui des vendeurs et revendeurs s'y rallie ou préfère au contraire rester englué dans le business, et donc la combattre et être combattu par elle.

    Et dans tous les cas, ce n'est pas une affaire d'approche moralisatrice et incantatoire. Le mouvement communiste a aussi toujours combattu les Ligues de Vertu bourgeoises (contre l'alcoolisme, auquel il s'opposait pourtant lui aussi), pour la bonne et simple raison qu'elles prétendaient combattre le "mal" sans s'en prendre à ses causes sociales. Et "suffit d'tous les buter", ça s'appelle Duterte et le mouvement maoïste des Philippines s'y est opposé.

    Finalement la meilleure réponse, en forme de question, pourrait être : est-ce que le Parti peut faire ce genre de choses, servir le peuple en "Robin des Bois" ; et donc les retirer des mains des narcos pour ne leur laisser que le narcotrafic qui sera combattu ?

    Au Brésil la réponse est qu'il y a des maoïstes qui servent le peuple, oui, mais ils sont hélas encore loin d'être partout (et s'implanter dans les favelas pose par ailleurs le problème d'affronter les gangs).

    [Ils sont surtout implantés dans le Sud-Ouest subamazonien du pays. À Rio, mégalopole de 15 millions d'habitants, ils sont hélas encore loin d'être hégémoniques. Surtout dans les favelas qui sont sous le contrôle des gangs malheureusement, dont certains proviennent... de guérillas de gauche qui ont dégénéré, comme le Comando Vermelho (vermelho = rouge...). Ce sont ceux-ci qui sont l'État dans ces quartiers, hélas. D'ailleurs, au Pérou le PCP organisait l'implantation de NOUVEAUX quartiers de migrants ruraux. Dans les quartiers déjà surgis de terre (c'est comme ça là-bas, les gens arrivent sur un terrain non construit et s'installent) depuis longtemps, c'était sûrement moins simple : il devait déjà y avoir des parrains locaux qui verrouillaient tout. C'est pour cela que les maos brésiliens travaillent surtout "à la source" : avec les paysans sans terre qui luttent encore pour la terre et ne sont pas encore allés s'entasser à Rio ou São Paulo. Parce que là-bas c'est déjà plus compliqué.]

    Et puis une autre question, comme on l'a dit aussi, est celle de la contradiction qui traverse chaque individu entre l'arriéré-aliéné et l'avancé-révolutionnaire ; moteur de sa transformation individuelle. Ali la Pointe, proxénète qui devient cadre du FLN. Alors bon après, si on veut s'amuser on peut faire un dossier matérialiste-point-com de 16 articles pour expliquer que le FLN c'était bourgeois et tout pourri...

    Les 3/4 des Black Panthers, au moins, avaient un passé de lumpen parfois lourd.

    Kevin "Rashid" Johnson du New Afrikan Black Panther Party (NABPP) est en taule depuis le début des années 1990 pour... avoir été un dealer de drogue.

    Il n'est peut-être pas le nec plus ultra idéologique MLM... Mais il offre une autre perspective à la population carcérale US (1% de la population, 5% des minorités noire et latine...) que de rester dans les mêmes gangs et se filer des coups de brosse à dent taillée pendant la promenade. MAIS en fait, au début des 90s il aurait fallu le buter... CQFD.

    Et puis enfin pour finir, ça nous saoûle ce côté born again de certains dans la nécessaire lutte révolutionnaire contre les aliénations toxiques.

    Oui, nous assumons ce terme qui, bien au delà de quelques personnes en particulier, désigne à la perfection ces gens qui trouvent dans un dogme politique (comme religieux pour d'autres) une espèce de rédemption et d'expiation des problèmes qu'ils ont eu et des erreurs qu'ils ont faites dans la vie (sans même parler des cas littéralement psychiatriques). Et cassent les couilles aux autres... Et derrière, attention, on ne peut pas plus critiquer LEUR lecture de leur idéologie (maoïste ou autre), que la lecture de l'islam d'un takfiri !

    Il y a de cela dans BEAUCOUP de gens et ça pompe l'air, voilà. Nous disons dogme "politique" mais en fait c'est un oxymore : le dogmatisme à un tel niveau est ANTI-politique. Les positions réacs, antipopulaires arrivent toujours plus tôt que tard.

    Sur la question des drogues, vendre a une part de déterminisme social ET comme dit le camarade une part de choix... Mais à ce moment-là, consommer aussi, plonger complètement dedans aussi, ou alors qu'on nous explique la différence. À partir de là, s'en sortir c'est très bien ! Grâce à un engagement politique révolutionnaire, encore mieux !! Mais on peut alors, au moins, faire un peu le canard... Et pas le Père la Morale, quand lorsqu'on parle à un alcoolo ou un tox, on parle à soi quelques années en arrière.

    Sur la question de la drogue, du trafic, des dealers etc.


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