• Soulèvement de 2011 en Syrie


    Depuis une dizaine de jours maintenant, le vent insurrectionnel de la Tempête arabe a atteint la République (héréditaire) arabe syrienne de la dynastie Assad. COMME EN LIBYE, il s’agit d’un pays « socialiste » et « anti-impérialiste », et il va de soi que la situation va provoquer les mêmes débats. Hugo Chavez s’est déjà lancé, volant à la rescousse de son « ami » Assad en dénonçant un « complot impérialiste ».

    Il faut savoir que la Syrie est dirigée depuis 1963 par l’aile gauche (la plus « socialisante » et moins ouvertement anticommuniste) du parti Baas, et qu’elle était dans les années 1960 à 1980 dans l’alliance soviétique. Ainsi, le vieux PC prosoviétique a toujours apporté un « soutien critique » au régime et intégré le Front national-progressiste autour du Baas ; ce qui ne l’a pas empêché de subir restrictions et tracasseries en tout genre. Il est aujourd’hui divisé en deux branches (l’une pro-perestroïka à l’époque, l’autre anti) dont l’une aurait appelé le régime au « changement ». Au fil des années, de nombreuses dissidences communistes (opposées au pouvoir baasiste) ont émergé (Parti d'action communiste etc.).

    COMME EN LIBYE, l’insurrection a pris dès le début (sans doute pour son malheur, à court terme) une dimension régionale et confessionnelle. Ce qui semble encore être une caractéristique de ces pays aux régimes prétendument « socialistes » et en réalité bureaucratiques, clanico-mafieux et tribaux/communautaires/régionalistes. Tribalisme, régionalisme et communautarisme qui sont en réalité l'expression arabe de la féodalité, avec laquelle les nationalistes bourgeois sont incapables de rompre véritablement.

    Ainsi, les premiers et plus violents affrontements ont eu lieu à Deraa, au Sud, près de la frontière jordanienne : des dizaines, voire plus de 100 morts selon les organisations des droits humains. Deraa est un bastion sunnite hostile au régime dominé par les Alaouites (une branche du chiisme), elle est également située non loin du Djebel druze. Un autre foyer de contestation est Hama, dans le Centre-Ouest, également bastion sunnite avec une certaine influence des Frères musulmans : en 1982, un soulèvement avait été atrocement réprimé, la ville avait été bombardée causant des milliers de victimes (peut-être 20.000).

    Lattaquié, où il y a eu une douzaine de morts, est par contre située dans la région historiquement alaouite (côte méditerranéenne), mais compte également des sunnites et de nombreux chrétiens. Là, les évènements ont pris une tournure étrange : de mystérieux tireurs embusqués ont ouvert le feu indistinctement, tuant plusieurs civils mais surtout une dizaine de membre des forces de sécurité. Le régime a accusé les… réfugiés palestiniens de la région, ce qui en dit long sur son panarabisme (le FPLP-Commandement Général, dissidence pro-syrienne et basée en Syrie du FPLP, a aussitôt démenti).

    De quoi, effectivement, donner cours à toutes les théories du complot (d’autant que l’ami Thierry Meyssan n’est pas loin de là – au Liban). Il faut savoir, en fait, que la Syrie (par sa position stratégique au Machrek et en Méditerranée orientale) est au cœur des contradictions inter-impérialistes : non seulement les services secrets et des « réseaux » de toutes les puissances impérialistes y opèrent (et de puissances régionales comme l’Iran, et bien sûr Israël) ; mais le régime lui-même est très divisé sur l’orientation intérieure et internationale. L’ « héritier du trône » Bachar el-Assad, qui a succédé à son père en 2000, est en réalité plus une « reine d’Angleterre » qu’autre chose, ce en quoi il n’est pas erroné de parler de monarchie. C’est peut-être, comme le dit Chavez, un brave type ; mais il n’a en fait que peu de pouvoirs : des clans rivaux sont constitués au sein des services secrets, de la police, de l’Armée de l’Air, de l’Armée de Terre etc., en lien avec les milieux capitalistes privés ou d’État, et luttent pour la plus grande influence et l’alignement géopolitique. C’est le cas d’un peu tous les pays qui, dans les années 1970-80, étaient alignés sur l’URSS, après que celle-ci se soit effondrée en 1990-91 (ainsi, c’est un peu le cas en Libye, mais en l’occurrence c’est le clan dominant, le clan Kadhafi, qui mettait « tactiquement » en concurrence les impérialismes sur son territoire). La Russie y a gardé de solides positions, mais il y a des courants pro-occidentaux et en particulier pro-français, héritage de la « politique arabe » gaulliste ; il y a également, depuis les années 1980, une alliance avec l’Iran : en effet, si le régime syrien est baasiste, il a toujours été très hostile au Baas irakien (il s’agissait de l’aile gauche et de l’aile droite du parti…) et s’est donc rapproché de l’Iran durant la guerre Iran-Irak. Cette alliance perdure aujourd’hui, en particulier dans le soutien à la résistance libanaise et palestinienne, et derrière l’Iran dirigé par le courant Khamenei-Ahmadinejad se profile maintenant la Chine…

    Les divergences sont également importantes entre partisans d’un dirigisme étatique important ou d’un certain libéralisme économique, entre nationalistes bourgeois un minimum sincères et crapules bouffant simplement à tous les râteliers, etc. etc.

    La situation (là encore) est donc COMPLEXE, ouvrant la voie à toutes les manœuvres (inter-) impérialistes. Pour autant, il faut encore le dire clairement : on ne « fabrique » pas un soulèvement impliquant des dizaines de milliers de personnes (mais on peut le récupérer…). Il ne faut certes pas systématiser aveuglément le slogan maoïste « On a raison de se révolter », mais toute révolte avec une base populaire a toujours quelques justes raisons.

    Corruption, concentration du produit du travail entre les mains d’une caste oligarchique, répression, hogra, système clanico-mafieux : que ce soit en Ukraine ou (bien évidemment) en Iran, ou déjà dans les « pays de l’Est » en 1989 (après des décennies de pourrissement révisionniste), les « révolutions colorées » téléguidées par l’impérialisme n’ébranlent ni ne renversent pas des régimes irréprochables ; lorsqu’il y a une certaine assise populaire (comme au Venezuela pendant la grande déstabilisation de 2002-2005), le régime résiste sans déployer énormément de répression.

    En Syrie comme dans tous les régimes « socialisants » (dont la Libye) qui assuraient (au moins en façade) une certaine « politique sociale » et une certaine redistribution du revenu national, la « libéralisation » économique qui sévit depuis les années 1990 a encore aggravé le mécontentement populaire… Tandis que la rhétorique nationaliste ne fait plus recette, les héros des masses étant les résistants palestiniens et libanais, plus que le régime (qui a, cependant, moins ouvertement tombé le masque qu’en Libye).

    D’un côté, il est clair pour tout communiste que ce sont les masses populaires en armes qui libéreront le Machrek arabe de l’impérialisme et du sionisme, jusqu’à faire flotter l’étendard de la révolution populaire sur le Dôme du Rocher d’Al-Qods. Donc, les régimes arabes ennemis du Peuple (qu’ils soient ouvertement laquais ou qu’ils se la jouent nationalistes) sont les « meilleurs ennemis » d’Israël et de l’impérialisme, en maintenant les masses dans l’apathie et un « nationalisme » folklorique de pacotille, et en favorisant la division et les luttes fratricides par leurs bas calculs ethno-confessionnels et chauvins*. D’ailleurs, ces régimes eux-mêmes ont BESOIN d’Israël, comme « Grand Satan », pour justifier leur existence et leur pouvoir ; tout autant qu’Israël a besoin d’eux ; et même les impérialismes (russe, chinois) qui les appuient ne sauraient, en fin de compte, se passer de la forteresse sioniste qui tient les Peuples de la région sous contrôle… D’ailleurs, la presse israélienne elle-même en fait en ce moment ses gros titres : « si Assad tombe, ne va-t-on pas y perdre au change ? » !!!

    Mais DE L’AUTRE, si des laquais purs et simples, à la Hariri (père et fils), s’installaient à Damas, il est clair que ce serait (à court terme au moins, voire à moyen terme) un revers sur le front proche-oriental de l’anti-impérialisme. Car la Syrie, quoi que l’on pense du régime, sert d’appui et de profondeur stratégique à la résistance populaire palestinienne et libanaise, qu’elle soit islamique (Hezbollah, Hamas, Djihad islamique) ou progressiste (FPLP, FDLP, PC libanais et autres organisations de gauche). Ce n’est certainement pas ce que les insurgés populaires veulent : ils sont sans doute aussi antisionistes et anti-impérialistes, sinon plus, que ce que le régime prétend être… Mais les impérialistes soutiens d’Israël (comme ceux qui sévissent en Libye) ont sans doute quelques « démocrates libéraux » à la « CNT » dans leurs poches pour assurer la « transition démocratique ». Et s’ils n’en ont pas, il reste la balkanisation, qui, dans la région, s’appelle la libanisation… C’est peut-être le genre de manœuvre qui a eu lieu à Lattaquié.

    Les deux voies sont donc ouvertes devant les masses populaires syriennes. Mais en l’absence de direction (même nationaliste petite-bourgeoise !) claire et identifiée, et avec les caractéristiques que présente d’entrée de jeu le mouvement de contestation (régionalisme, confessionnalisme), c’est la deuxième qui risque de prévaloir à court terme (à long terme, bien sûr, c’est la perspective historique de la Tempête arabe qui prévaut)… À moins que le régime, à coup de concessions (il ne semble pas avoir pris la voie kadhafiste sur ce plan), tienne le coup… tout simplement. L’état d’urgence, qui était en vigueur depuis 1963, vient d’être levé et des centaines de prisonniers politiques libérés.

    Pendant ce temps, la Tempête continue de souffler, et la répression parfois meurtrière de frapper, au Yémen, à Bahreïn, au Maroc, au Sahara occidental, et bien sûr en Palestine où de nouvelles frappes contre Gaza s’annoncent peut-être…

    En Libye, le « guide » Kadhafi s’est trouvé un nouveau soutien folklorique, ce qui risque d’en laisser certains (voire beaucoup) un peu verts ; tandis que le PC des Ouvriers de Tunisie (ML « albanais »), plus grosse organisation marxiste du pays, s’est exprimé avec une clarté absolue tant sur l’intervention impérialiste que sur celui qui avait « déploré » la chute de Ben Ali : "Nous soutenons le peuple libyen dans son soulèvement, mais nous sommes contre toute intervention étrangère qui non seulement nuira à la révolution en Libye mais aussi en Tunisie et dans tous les pays arabes".

     

    RIEN N’ARRÊTERA LE VENT DE L’HISTOIRE !

    VIVE LA TEMPÊTE ARABE AUJOURD’HUI, VICTOIRE À LA RÉVOLUTION POPULAIRE DEMAIN !

     

    * Par exemple, on l’oublie souvent, mais si la Syrie est entrée au Liban en 1976, ce n’était pas pour soutenir les Palestiniens ni les forces de gauche libanaises mais… la Phalange kataëb, l’extrême-droite maronite ! Ce qui provoqua, d’ailleurs, une première scission du PC pro-régime.

     

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    Les affrontements à Deraa


    Lire aussi : PCmF sur la Syrie

     


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