• Réflexions sur la situation basque et les luttes de libération - SUITE


    Lire la première partie


    Voici maintenant un autre texte très intéressant, issu quant à lui de la revue marxiste basque Sugarra :

    Euskal Herria : Situation actuelle et perspectives (25 août 2011)

    http://herridemokrazia.blogspot.fr/2011/11/euskal-herria-situacion-actual-y.html

    Euskal Herria 500Les élections municipales et forales [provinciales] du 22 mai dernier ont permis, une nouvelle fois, de montrer la capacité de récupération du mouvement populaire basque après la campagne d'encerclement et annihilation menée, sous prétexte de "lutte contre le terrorisme", par l’État espagnol contre les secteurs les plus dynamiques et combattifs de notre peuple ces 10 dernières années.  

    La coalition Bildu, formée par EA, Alternatiba et des indépendants proches de la Gauche abertzale, a reçu l'appui électorale de près de 315.000 personnes en Hegoalde [Pays Basque du Sud, "espagnol"], devenant la deuxième force politique de la Communauté autonome basque. Près de 1.200 mandats électifs (1.138 municipaux et 52 au niveau des provinces) ont permis à la coalition de s'emparer d'une centaine de municipalités, parmi lesquelles celle de Donostia ["Saint-Sébastien"], et de la députation [équivalent du conseil général] du Gipuzkoa [dont Donostia est la capitale]. Évidemment, il s'agit d'un pas important mais qui ne doit pas susciter de fausses illusions.

    Il est certain que la nouvelle situation politique créée par le cessez-le-feu d'ETA et la légalisation de Bildu a permis d'initier un processus de large accumulation de forces abertzales et démocratiques, ce qui semblait jusqu'à présent impensable. D'après les dernières enquêtes réalisées par Euskobarómetro: Le différentiel de 150.000 à 170.000 suffrages gagné par Bildu par rapport au vote nul de 2009 (environ 40 % de son score actuel) provient de sa propre abstention antérieure (23 %), de voix prises au PNV (8 %), d'EA (6 %), de nouveaux votants (6 %), d'Aralar (5 %) et d'EB (4 %).” [Euskobarómetro mai 2011. UPV-EHU. Page 36].

    Il faut aussi prendre en compte la répercussion qu'ont pu avoir ces élections en Iparralde [Pays Basque du Nord, "français"] où, le 8 juillet dernier, un groupe de 40 élus (maires et conseillers municipaux), membre de différents partis politiques ou indépendants, a lancé un appel (manifeste “Bil Gaiten”) en faveur de l'unité des abertzales de gauche, pour mener un projet commun inspiré des expériences EH-Bai et Bildu, ce qui ouvre de nouvelles perspectives politiques en Ipar Euskal Herria [EH du Nord].

    Mais il n'en reste pas moins certain que la lutte au sein des institutions n'est qu'une part, et pas la plus fondamentale, de la lutte pour l'indépendance est le socialisme. Pour cette raison, la proposition de Bildu au PNV pour former une alliance électorale dans le perspective des prochaines législatives générales ["espagnoles"] du 20 novembre nous semble un peu précipitée, au regard du caractère inconséquent, timide et hésitant du PNV (due à la position contradictoire de la classe dont il défend les intérêts : une fraction de la bourgeoisie moyenne basque) [voir là encore la note 2 ci-dessous]. Ceci pourrait être le signe d'une tendance à l'électoralisme de Bildu, à moins que le but de sa proposition ait été précisément de mettre en évidence les hésitations du PNV et de tenter d'aiguiser les contradictions internes qui existent à la base de ce parti.

    1901116 713418255377502 836621131 nDans tous les cas, la légalisation de Bildu et sa participation aux élections municipales et forales du 22 mai ont permis une véritable bouffée d'oxygène pour la Gauche abertzale, et lui ont permis de récupérer de larges secteurs de sa base sociale qui courraient le danger de se dissocier ou diluer petit à petit, comme le recherchait précisément l’État espagnol. Des secteurs qui, par leur extraction sociale, font partie du Peuple travailleur basque ; et que les communistes ont intérêt à voir maintenir leur unité dans une perspective stratégique. Telle a été la principale raison pour laquelle, aux dernières élections, nous avons choisi d'appuyer tactiquement Bildu, appelant à voter pour cette coalition.

    Sur la nature de Bildu 

    Quoi qu'il en soit, nous sommes conscients à SUGARRA qu'une coalition électorale, pour autant qu'on la présente comme stratégique et comme un tremplin vers l'avenir, n'est pas pas la même chose qu'une accumulation de forces populaires luttant pour l'autodétermination et l'indépendance, ni (encore moins) qu'une union de forces révolutionnaires pour prendre le pouvoir. Si la première ne requiert que des accords “au sommet” entre les  directions des différents partis signataires, ce qui lui donne une moindre consistance et un caractère plus conjoncturel et temporaire (malgré l'importance tactique qu'elle peut avoir) ; la seconde et la troisième requièrent le développement de toute une structure commune dans les quartiers et les villages, créant une série d'organismes unitaires servant à forger l'unité populaire et/ou révolutionnaire depuis la base.

    D'autre part, nous sommes également conscients qu'aucune des organisations ou courants formant actuellement Bildu n'ont un caractère socialiste révolutionnaire, mais qu'au contraire leur orientation s'inscrit dans ce que nous pouvons qualifier de social-démocratie, tandis que par la composition sociale (interclassiste) de elur électorat et par la position de classe que dénote leur programme, elles n'ont pas un caractère prolétarien. Ce qui fait que, n'ayant pas non plus un caractère à proprement parler bourgeois, on ne peut définir la ligne de cette coalition que comme petite-bourgeoise. Concernant la Gauche abertzale, nous devons apporter quelques précisions.

    Courants au sein de la Gauche abertzale

    kaleborrokaherriborrokaEn ce moment l'on peut observer en son sein deux courants principaux. L'un propose le dit “socialisme identitaire”, de type social-démocrate et que nous pouvons qualifier de néo-keynésien. Il ne prétend pas à la prise de pouvoir par le Peuple travailleur ni à la création d'un État socialiste, sinon à la restauration de l'“État-providence” et à une distribution plus “équitable” de la richesse, base de la “justice sociale”. Il ne prétend pas mener une transformation révolutionnaire, vouée à l'élimination du capitalisme et à la disparition des classes sociales. Il aspire seulement à une économie mixte, avec un fort secteur public, et son modèle sont les pays capitalistes du Nord de l'Europe. D'autre part, ce courant défend la création d'un État basque indépendant au sein de l'Union européenne.

    L'autre courant, que nous pouvons qualifier de gauche radicale, aspire lui à une transformation révolutionnaire de la société. D'un point de vue idéologique, il a des caractéristiques spontanéistes. Il est lié aux idées du “conseillisme” et avec l'“opéraïsme” ou l'“autonomie ouvrière”. Il possède aussi une certaine composante libertaire. Il a des sympathies pour le processus bolivarien au Venezuela, surtout pour les expériences “communautaristes”, bien qu'il soit critique envers Hugo Chávez, surtout pour sa personnalisation du pouvoir et pour l'extradition de réfugiés des FARC.

    La lutte idéologique

    Notre attitude envers ces courants se base sur la logique unité-critique-unité. Partant du principe que les contradictions entre eux et nous ne sont pas antagoniques ni inconciliables mais qu'il s'agit de contradictions au sein du peuple (qui doivent être surmontées au moyen de la critique et de l'autocritique, pour aller vers une nouvelle et plus étroite unité), nous devons éviter tout type de critique destructive, calomnieuse ou visant à creuser les différences, vu que si nous ne traitons pas correctement ce type de contradictions, nous pouvons en venir à changer leur nature, à les transformer en contradictions inconciliables comme celles qui existent entre nous et nos ennemis.

    Le but de la critique n'est pas de détruire ceux que l'on critique (à moins qu'il ne s'agisse d'un ennemi de classe) mais, comme disait Mao, de “sauver le patient”. Pour cela, nous devons toujours bien avoir à l'esprit les nuances et les différences entre tel ou tel courant et les autres, entre telles positions idéologiques et politiques et les autres. Même si, parfois, elles ont entre elles des points communs et se manifestent simultanément dans un même secteur socio-politique, nous ne pouvons pas toutes les mettre dans le même sac. La lutte idéologique que nous devons mener envers les unes et les autres ne peut pas être identique. Nous devons être capables de les différencier et de mener envers chacune d'elles un “traitement” différencié.

    Sur les aspects stratégiques

    PP-Donostia-profusion-izquierda-abertzale EDIIMA20130816 03Comme nous l'avons dit plus haut, l'essentiel n'est pas les élections ni les institutions bourgeoises, bien qu'il puisse être opportun de participer aux processus électoraux et d'avoir une présence institutionnelle. Mais en fin de compte, cela n'est que considérations tactiques. Pour élaborer une ligne révolutionnaire correcte, nous devons étudier de fond en comble notre propre réalité, et tenir compte des conditions concrètes de la société basque : sa structure économique et sociale, les aspirations les plus communes pour le Peuple travailleur, l'état d'esprit des masses etc. Mao disait, se référant à ces communistes qui sans aucune connaissance de cause ne faisaient que bonimenter, que “sans enquête, pas de droit à la parole”. C'est seulement sur la base de l'analyse concrète de la réalité concrète que nous pourrons tracer les lignes générales d'un travail révolutionnaire avec possibilités de succès.

    En tenant compte de ces aspects, à moyen et long terme s'impose la nécessité d'impulser une solide articulation de forces qui aille au-delà de simples coalitions électorales (comme Bildu aujourd'hui), afin de promouvoir la lutte démocratique et révolutionnaire pour la conquête des objectifs stratégiques du Peuple travailleur basque : l'indépendance et le socialisme.

    À SUGARRA, nous considérons que nous atteindrons ces objectifs au travers d'un processus de lutte pour l'émancipation nationale et la transformation sociale, que nous appelons Révolution basque. Ce processus devra se dérouler sur la base de deux contradictions, l'une de caractère social (de classe) et l'autre de caractère national. Ce qui nous amène à considérer que l'accumulation de forces, pour être possible, devra se faire sur la base de deux axes distincts et pour cela, cette accumulation de forces devra aller vers la constitution de deux blocs distincts, bien qu'interdépendants : un bloc  révolutionnaire (anticapitaliste et socialiste) et un bloc démocratique national plus large et ouvert que celui-ci, qui pour cela devra être interclassiste. Nous commencerons par définir ce que nous entendons par ce dernier.

    Le bloc démocratique national

    Sous cette appellation nous nous référons à une sorte de front élargi dans lequel prennent place des forces politiques et sociales de différente nature de classe. Certaines pourraient être petites bourgeoises voire même de la bourgeoisie moyenne [1], mais en feraient aussi nécessairement partie des forces politiques et sociales de la classe ouvrière (partis, syndicats et autres types d'organisations de masse). Pour autant, un bloc de ce type requiert l'établissement d'alliances de classe autour des objectifs nationaux démocratiques. Et seule l'hégémonie de la classe ouvrière, au sein de ce bloc, serait la garantie que la lutte pour ces objectifs s'inscrive dans la perspective de la révolution socialiste. Pour que ceci soit possible, la classe ouvrière basque doit se doter d'un instrument organisatif d'intervention politique, un Parti communiste basque. SUGARRA travaille à créer les conditions idéologiques, politiques et organisatives qui le permettent.

    Le bloc révolutionnaire

    hasiSous cette appellation, nous nous référerons à un bloc qui regroupe toutes les forces susceptibles d'impulser le processus révolutionnaire et le changement social. Ces forces représenteraient toutes les classes, couches et secteurs sociaux ayant intérêt, objectivement, au socialisme. Pourraient y participer une bonne part de ceux qui font aussi partie du bloc démocratique national, mais pas la bourgeoisie moyenne.

    En menant une politique habile et flexible face aux différentes couches de la petite bourgeoisie, une partie d'entre elles pourrait être gagnée à la cause révolutionnaire, faisant qu'elles se sentent motivées et attirées par le changement révolutionnaire. Gagner ces couches est une question cruciale pour la classe ouvrière étant donné qu'elles ont un poids considérable dans la structure sociale basque, représentant près d'un tiers de la population active. Pour cette raison, nous ne pouvons pas sous-estimer l'importance de la petite bourgeoisie et encore moins la mépriser. Si la classe ouvrière n'était pas capable de la tirer à elle, ce serait la bourgeoisie basque ou l'oligarchie espagnole qui le feraient et, dans ce cas, les possibilités révolutionnaires se compliqueraient considérablement.

    ________________________

    NOTES :

    1.- Nous pouvons dire que la bourgeoisie moyenne (non monopoliste) est organiquement intégrée au mécanisme global d'accumulation et de reproduction des rapports de production capitalistes, hégémonisés par la grande bourgeoisie. Cela signifie qu'elle fonctionne, se développe et se reproduit comme partie intégrante du fonctionnement, du développement et de la reproduction du système capitaliste. Le Grand Capital (monopoliste) cherche à maintenir subordonnée la bourgeoisie moyenne, tant pour des raisons économiques que politiques. Cependant le développement du capitalisme, surtout dans les périodes de profonde crise économique, accentue les contradictions entre le moyenne et la grande bourgeoisie. Dans le même temps le fait national, comme c'est le cas en Euskal Herria, conditionne et module la relation dialectique entre les deux. Nous pouvons ainsi dire qu'entre la grande et la moyenne bourgeoisie, il y a une relation simultanée (dialectique) d'antagonisme et de complémentarité.

    En parlant de cette bourgeoisie moyenne basque, il convient de clarifier que cette classe est formée par les propriétaires de la grande majorité des entreprises de taille moyenne, aussi bien industrielles que commerciales ou de services, ainsi que d'une partie du secteur bancaire [faire partie du secteur bancaire nous semble totalement incompatible avec faire partie d'une bourgeoisie "moyenne" NDLR]. D'après les données dont nous disposons, on comptait en 2009 dans la Communauté autonome basque quelques 2.174 entreprises de taille moyenne (entre 50 et 250 salariés), soit 1,1% du total, employant quelques 208.453 salariés, soit 21,8% de la population active. On peut également y inclure les agriculteurs aisés. Sans le moindre doute, il s'agit d'une classe exploiteuse.

    1220011477220 fEn outre, on peut aussi y inclure les cadres dirigeants et supérieurs des entreprises. Toujours selon les données dont nous disposons, au premier trimestre 2011, le nombre de cadres dirigeants et supérieurs dans la Communauté autonome était de 46.500, ce qui représente 4,95% de la population active à cette période.Bien que ces secteurs ne fassent pas partie stricto sensu de cette classe, faute de posséder des moyens de production, ils sont de par leur position dans la division du travail (planification, organisation et contrôle) incontournables pour assurer le fonctionnement de la production, l'accumulation du capital et la reproduction des rapports de production capitalistes, basées sur l'exploitation du travail salarié.

    La moyenne bourgeoisie basque est une classe contradictoire. D'un côté, elle est soumise à une spoliation de la part de la grande bourgeoisie monopoliste et des multinationales, mais de l'autre elle a besoin de l’État espagnol pour survivre. Elle est économiquement subordonnée à la haute bourgeoisie et à son État (à travers le crédit, les politiques de prix et de salaires, la politique fiscale, les subventions, les plans de stabilisation et/ou de reconversion, et dans une moindre mesure à travers son éventuel actionnariat dans les entreprises de la grande bourgeoisie, etc.). 

    Un secteur de la bourgeoisie moyenne basque, le plus fort et dynamique, a tenté de s'extraire des étroites limites du marché espagnol, et a réussi à s'associer avec des entreprises étrangères et à innover sa technologie. Dans le même temps, dans les années de prospérité, à la chaleur de l'expansion économique, il a aussi tenté de se doter de sa propre structure financière, afin d'être en condition de rivaliser avec la bourgeoisie monopoliste et, en même temps, faire son trou sur le marché européen et asiatique. [NDLR une activité économique transnationale qui exclut donc de parler de bourgeoisie "nationale", dont la base d'accumulation et la zone de chalandise est forcément autochtone ou, tout au plus, au niveau de l’État dominant et/ou de l'étranger immédiat : Occitanie pour la Catalogne et inversement, etc.]

    Dans la recherche d'une position plus avantageuse pour défendre ses intérêts économiques et accéder dans de meilleures conditions au marché international, une fraction de la bourgeoisie moyenne, représentée par le PNV, défend l'élargissement du cadre autonomique actuel voire l'instauration d'un nouveau, dans lequel il bénéficierait de plus larges compétences. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement autonome basque a présenté le fameux Plan Ibarretxe (approuvé par le Parlement basque le 30 décembre 2004 et rejeté par le Parlement espagnol un mois plus tard). Par son caractère fortement contradictoire, la bourgeoisie moyenne est une classe hésitante ayant fortement tendance à la conciliation et à pactiser avec les différents gouvernements de l’État espagnol, que ce soit du PSOE ou du PP.

    Nous, communistes basques, devons être capables de mettre à profit les contradictions entre la bourgeoisie moyenne basque et la grande bourgeoisie espagnole ; soit pour tenter d'amener cette bourgeoisie basque, ou des secteurs significatifs de celle-ci, sur le terrain de la lutte d'émancipation nationale de façon à ce qu'elle s'intègre au bloc démocratique national, soit tout au moins pour la neutraliser.

     

    Et voici un autre texte beaucoup plus récent (octobre 2013) qui revient sur la situation dans l’État espagnol et dans les provinces basques qui en font partie, avec une première évaluation de la gestion locale Bildu (de cet article sont tirées les citations du camarade basque en commentaires de cet article ; camarade auteur de la longue et intéressante étude publiée fin 2011 : 1 - 2 et 3) :

    RÉFLEXIONS SUR LA SITUATION BASQUE


    La crise économique frappe violemment l’État espagnol et, bien qu'avec une intensité atténuée, également en Hegoalde (Pays Basque "espagnol"). D'après les données du Service public de l'Emploi, citées par le cabinet d'étude de ELA (principal syndicat nationaliste basque, lié au PNV-EAJ) le 2 octobre 2013, en septembre 2013 le nombre de chômeurs en Hegoalde était de 226.893 personnes, 3.061 de plus que le mois précédent et 13.077 de plus que l'an dernier. Ceci représente un taux de chômage de 17,5%, nettement supérieur à celui de l'Union européenne des 28, qui est de 10,9% [NDLR : le Pays Basque apparaît ici dans sa position ambivalente de pays/peuple économiquement "privilégié" dans l’État espagnol, mais périphérisé dans le système capitaliste européen (qui en a confié la "garde" à une Castille encore au-dessous en termes de e-lutte-des-mineursdynamisme économique)].  

    Ce haut niveau de chômage n'est dépassé que par l’État espagnol pris en entier (26,2%) et par la Grèce (27,9%). Il faut en outre tenir compte du fait que presque la moitié des sans-emploi (45,2%) ne bénéficie d'aucune protection sociale, et que 34,7% seulement perçoivent une prestation contributive [les "Assedic" locaux].  

     La crise commence même à affecter un secteur comme celui des coopératives, longtemps considéré comme "à la pointe" de l'économie basque.  

    La soumission du gouvernement néo-franquiste du PP aux directives économiques de l'UE a conduit à une série de coupes budgétaires et de restrictions, qui ont aggravé plus que sensiblement les conditions de vie de la majorité de la population et ont dérégulé et précarisé totalement les conditions de travail des salarié-e-s.

    Dans le même temps s'aiguise de jour en jour la crise sociale et politique dans l’État espagnol. À la persistance d'un taux de chômage élevé, il faut ajouter l'indignation croissante contre le système financier dans les classes populaires, conséquence des expulsions pour non-paiement des loyers ou des hypothèques. Les scandales de corruption se succèdent l'un après l'autre, éclaboussant les principaux partis du système et l'ensemble des institutions démocratiques bourgeoises, touchant jusqu'à la monarchie elle-même qui commence à être ouvertement remise en cause.

    La crise politique affecte aussi d'autres États du Sud de l'Europe comme la Grèce, l'Italie et le Portugal, mettant en péril la stabilité même de l'UE. De plus, "l'axe franco-allemand" qui était il y a peu le moteur de celle-ci s'est affaibli considérablement et c'est l'Allemagne, en solitaire, qui se retrouve à exercer cette fonction.

    L’État français, de son côté, a perdu son autonomie politico-militaire [NDLR : constat peut-être un peu rapide et de toute manière, nous n'avons jamais considéré que cette "autonomie" bénéficiait de quelque manière aux travailleurs et aux peuples, à l'intérieur comme à l'extérieur]. Après être revenue dans le Commandement intégré de l'OTAN, dont elle s'était retirée depuis 1966, elle s'est complètement mise à la remorque des États-Unis. Enfin, la Grande-Bretagne exige avec toujours plus d'insistance le renégociation des conditions de son adhésion à l'UE, avec le risque pour cette dernière qu'elle finisse par la quitter. Dans le même temps, l'on observe dans la plupart des pays une montée des courants "eurosceptiques" et de l'extrême-droite raciste et xénophobe.

    gudari e05 kasDans ce contexte, la grande mobilisation populaire qui a eu lieu en Catalogne à l'occasion de la fête nationale, le 11 septembre, renforce cette crise politique et menace la sacro-sainte unité de l'"Espagne". Tandis que les deux partis du régime resserrent les rangs, dans une vaine tentative de montrer cette mobilisation du doigt, ressurgissent les groupes nazis-fascistes et s'accentue la répression de l’État bourgeois contre de larges secteurs de notre peuple.

    Tout ceci nous amène à considérer que vont en s'accumulant divers facteurs qui, s'ils venaient à agir de manière combinée, pourraient donner lieu à une situation objectivement révolutionnaire. Cependant, la maturation des conditions subjectives est beaucoup plus lente, non seulement dans l'ensemble de l’État espagnol mais aussi en Hego Euskal Herria.

    Si nous nous laissions guider par l'autosatisfaction, nous nous contenterions de répéter la phrase tant de fois prononcée que Euskal Herria est une "cadre autonome" de lutte de classe. Mais voilà : si cette affirmation est bien vraie, ce n'est pas vraiment une raison pour sonner les cloches à toute volée. En effet, il en est ainsi parce qu'Euskal Herria a connu une relative régression politique.

    Le débat Zutik Euskal Herria, qui a culminé en 2010 ; la constitution de Bildu comme plateforme électorale et sa participation aux élections municipales et forales (22-05-2011) ; le communiqué d'ETA rendant publique sa décision d'abandonner la lutte armée (20-10-2011) ; la constitution d'Amaiur et sa participation aux élections générales "espagnoles" (20-11-2011) ; la légalisation de SORTU par le Tribunal constitutionnel espagnol (20-06-2012), la création d'EH Bildu et sa participation aux élections autonomiques (21-10-2012) ; ont été des évènements qui ont marqué le retour de la gauche abertzale à une situation de légalité.

    Sur une position de respect et de non-interférence, nous avons toujours exigé et appuyé la légalisation de la gauche abertzale. Mais cela ne signifie pas que nous devons toujours approuver toutes les actions de celle-ci ni des différentes plateformes électorales auxquelles elle participe, et nous ne le faisons pas non plus pour son parti SORTU.

    Concrètement, nous avons pu constater ces deux dernières années le penchant croissant du secteur majoritaire de la gauche abertzale à assumer la légalité bourgeoise et à donner la priorité à l'activité institutionnelle et parlementaire. Son acceptation progressive des "valeurs" éthiques de la démocratie bourgeoise, ses efforts pour être "homologuée" par le PSOE et le PP l'ont conduite à assumer des attitudes et des comportements propres aux partis du système : rejet de tout type de violence ; admission de la nécessité d'un "nouveau récit" des quatre dernières décennies de notre histoire, bien qu'elle le veuille "consensuel" ; question de la "repentance" et du "pardon des victimes" etc.

    gudariegunaCette attitude n'est cependant pas exempte de contradictions. Pour éviter que la décision d'ETA puisse être interprétée comme une défaite de l'organisation armée face à l’État espagnol [ce qu'elle est NDLR], la gauche abertzale tente de mettre en scène une "négociation" entre elle et le gouvernement de Madrid, avec pour but de légitimer l'abandon des armes. Mais à chaque pas en arrière sur ses principes, les exigences des partis du système vont croissantes (auto-dissolution, remise des armes etc.) et tout semble indiquer que cette négociation recherchée n'est pratiquement pas viable.

    bietan jarraiD'autre part, ce qui n'a pas été fait a été une analyse rigoureuse (politique et non morale) de l'incidence négative qu'a pu avoir l'activité armée d'ETA (basée sur un activisme avant-gardiste et minoritaire) sur le développement du mouvement et la nécessaire accumulation de forces [NDLR : incidence indéniable si l'on parle des 5 ou 10 dernières années].

    Néanmoins, la présence dans les institutions de la coalition souverainiste Bildu reste un grave problème tant pour le PNV que pour le PSOE et le PP. Ont été découverts la corruption et beaucoup des manœuvres spéculatives qui fleurissaient à l'ombre de ces partis. Pour cette raison, ils se sont jurés de faire tomber Bildu et consacrent tous leurs efforts à cet objectif.

    D'un côté, dans de nombreuses municipalités de Gipuzkoa qui sont aux mains de Bildu, ils profitent de la mise en place du plan de traitement des déchets (qu'essaye de mettre en œuvre la coalition) pour dresser contre elle une partie du voisinage et tenter ainsi de l'"user" et de la discréditer. Mais ce qu'ils ne disent évidemment pas, c'est qu'est en jeu le juteux business de l'incinérateur de Zubieta...

    De l'autre, sous prétexte de mener à bien l'accord "fiscal", ils ont formé un front entre PNV, PSOE et PP avec pour objectif est de déloger Bildu de la Députation (gouvernement provincial) de Gipuzkoa et de la mairie de Donostia, si malgré tout la coalition parvenait à gagner les prochaines élections municipales et forales de 2015. Tout ceci nous conduit à penser qu'en dépit de ses penchants réformistes, la gauche abertzale reste l'ennemi à abattre pour l’État espagnol et les classes sociales et forces politiques qui l'appuient.

    disturbios-bilbao2-03-03-2014C'est pour cela que la gauche abertzale, considérée dans son ensemble (comme large mouvement populaire), garde une considérable importance stratégique dans la lutte pour le socialisme.

    Cependant, son ambigüité quant à l'appartenance d'un futur État basque à l'UE et au changement de modèle socio-économique (qui n'est autre qu'un État-providence néo-keynésien en opposition au modèle néolibéral), ou encore sa confuse et ambiguë conception du socialisme, rendent indispensable un profond travail idéologique et politique, en son sein, par les communistes basques afin de gagner à la cause révolutionnaire les secteurs de gauche les plus conséquents.


    (2) Nous ajouterons à cela que selon notre analyse, le PNV-EAJ ne représente pas la "bourgeoisie nationale" (bien que celle-ci, appelée "bourgeoisie moyenne" par Sugarra, puisse être sa base militante) mais bel et bien la fraction "basquiste" de la bourgeoisie monopoliste au Pays Basque, faisant face à la fraction "espagnoliste" (PP-PSOE) ; une grande bourgeoisie régnant sur un des territoires au capitalisme le plus puissant d'Europe, aux côtés de l'Île-de-France (Paris), du Grand Londres, de la Bavière, de la Flandre, de la Lombardie etc. (et bien sûr de la Catalogne). La contradiction de ces fractions bourgeoises monopolistes (PNV-EAJ en Euskal Herria et CiU en Catalogne) avec l’État espagnol se situe en réalité entre l'affirmation nationale portée par cette dynamique économique, et le besoin politico-militaire de l'"Espagne" pour "tenir" un prolétariat nombreux (pays très industrialisés) et (surtout) CONSCIENT. Nous avons déjà caractérisé l’État espagnol, avec sa suprématie politico-militaire de la Castille/Meseta malgré un dynamisme économique bien moindre, comme une sorte de "Sainte Alliance ibérique" : un système comparable à celui de l'Europe de la première moitié du 19e siècle, où la Russie et l'Autriche-Hongrie, pays sans doute les plus arriérés économiquement, jouaient le rôle politico-militaire de gendarmes de la Réaction (réaction pour le coup aristocratique-cléricale contre la révolution démocratique bourgeoise ; et aujourd'hui en "Espagne" réaction grand-capitaliste contre révolution prolétarienne et libération révolutionnaire des peuples - "LRP"). La Meseta castillane est cela : un territoire économiquement arriéré mais une redoutable force de frappe contre-révolutionnaire contre les remuants prolétariats du pourtour (Catalogne, Euskal Herria, Asturies, Cantabrie etc.) ; soit en quelque sorte la Russie tsariste de la péninsule ibérique. Ainsi se pose la problématique basque ou encore catalane : ce n'est pas réellement une problématique coloniale comme celle qui peut prévaloir dans le Sud (Andalousie etc.) ou aux Canaries, territoires conquis et soumis militairement au 15e siècle, maintenus dans la féodalité terrienne et le sous-développement etc.

    Il suffit de penser que lorsqu'en 1918 les Empires russe et austro-hongrois éclatèrent, sous l'action conjuguées de la Première Guerre mondiale et de la Révolution bolchévique, les États nationaux qui leur succédèrent furent tous plus réactionnaires les uns que les autres : la contradiction qui opposait les élites nationales aux Empires ne se situait pas du tout à ce niveau-là. Il s'agissait simplement de la contradiction entre des bourgeoisies de plus en plus puissantes, se sentant "étouffées" par la bureaucratie impériale, et des Empires forces politico-militaires dont elles avaient en même temps besoin pour tenir leur "chiourme" en respect (mais qui s'effondrèrent militairement et politiquement en 1917-18, donc la question ne se posait plus ; en général elles cherchèrent alors la protection des vainqueurs de la guerre, "France" et Grande-Bretagne).

    Ne pas avoir réellement "réglé" la question de la nature de classe et des relations avec le PNV a sans doute été le cancer latent de la gauche abertzale ces 40 dernières années.



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