• Pays semi-coloniaux semi-féodaux et capitalisme : quelques clarifications indispensables


    Si les marxistes-léninistes et les maoïstes s'accordent généralement pour qualifier un certain nombre de pays (ceux que la bourgeoisie appelle "Tiers Monde" ou "en développement") de semi-coloniaux semi-féodaux, cette qualification pose de nombreux problèmes de définition aux conséquences loin d'être anodines ; notamment quant à la question de la méthode révolutionnaire à y appliquer et de l'universalité de la Guerre populaire. Il importe donc de clarifier les choses.

    Les deux points de vue qui s'opposent sont parfois qualifiés de "mariatéguiste" (José Carlos Mariátegui*, le grand théoricien et organisateur communiste péruvien des années 1920) et "sisonien" (José María Sison, fondateur et dirigeant historique du Parti communiste des Philippines refondé en 1968) :

    - Pour les "sisoniens", "semi-féodal" désigne un véritable mode de production en tant que tel, dans lequel prédominent les rapports féodaux sous la houlette du système impérialiste mondial. La révolution dans ces pays doit donc revêtir (principalement même, au début) un aspect de révolution anti-féodale - mais sous la direction du Parti du prolétariat, et non de la bourgeoisie comme en Europe aux 18e-19e siècles.

    - Pour les "mariatéguistes", "semi-féodal" signifie la survivance d'un ensemble de rapports de production et de rapports sociaux en général marqués par la féodalité, mais néanmoins subsumés par le capitalisme qui - à l'ère de l'impérialisme, que d'autres nomment "mondialisation" - domine et régit l'économie planétaire. Il s'ensuit simplement de ces survivances une arriération économique et sociale qui permet que ces pays soient dominés par les monopoles des États impérialistes (d'où le fait qu'à "semi-féodal" l'on accole "semi-colonial").

    Notre point de vue, pour dire les choses clairement, est "mariatéguiste".

    Il est selon nous absurde, en dehors peut-être de quelques régions très périphériques de l'Afrique ou de l'Asie profonde, de rechercher dans les pays semi-coloniaux un mode de production féodal pur comme celui qui pouvait exister en Europe au Moyen Âge, avec des serfs etc. etc. Les campagnes de ces pays ressemblent en réalité plutôt à ce que l'on pouvait trouver en Europe aux 18e et 19e siècles (parfois encore au 20e dans certains pays) : une propriété de la terre très inégalement répartie, avec des grands propriétaires auxquels sont soumis des métayers qui leur payent un "loyer" sous la forme d'un pourcentage de leurs gains et des journaliers agricoles qui sont tout simplement leurs salariés (au salaire de misère bien évidemment) ; les métayers exerçant parfois l'activité de salarié agricole à temps partiel pour pouvoir payer leur "loyer" (un peu comme les serfs du Moyen Âge "devaient" un nombre de jours de travail sur la "réserve" - propriété directe - du seigneur local, mais de manière toutefois considérablement modernisée), etc. La situation est de toute façon très variable selon les pays.

    Dans la plupart des pays n'existent plus d'attributions politiques officielles aux propriétaires terriens, telles que l'exercice d'un droit de justice, comme cela existait et a été aboli en Hexagone en 1789. Néanmoins un pouvoir politique de facto est très fréquemment exercé : en Amérique latine les grands propriétaires se payent généralement des hommes de main armés pour intimider ou terroriser les paysans, ce qui revient à disposer d'une force armée donc d'un pouvoir politique (et en cas de mort d'homme, ils peuvent compter sur la bienveillance des autorités locales pour que l'affaire ne soit jamais jugée ni condamnée). Il arrive encore, même si c'est sans doute moins fréquent depuis une trentaine d'années, que des peones soient punis à coups de cravache (et loin d'eux l'idée d'aller se plaindre aux autorités) ; quant aux amendes pour infraction au règlement de la propriété, sous un autre nom, elles sont encore très fréquentes. Dans d'autres pays, les grands propriétaires ne possèdent pas de pouvoir politique de droit mais s'incrustent dans les institutions chargées d'exercer celui-ci. On pense en particulier à l'Iran, où les mollahs sont généralement à la fois grands propriétaires fonciers (c'est contre une tentative de réforme agraire "par le haut", "développementiste" du Shah qu'ils sont à la base entrés en lutte contre celui-ci)... et détenteurs, de par la Constitution islamique, du pouvoir judiciaire de premier degré. Dans les régions reculées de l’État iranien, un nombre considérable d'exécutions capitales pour "faits de mœurs" (que la presse occidentale relate sans rien y comprendre, sur l'air de "pendue à 17 ans pour rapports sexuels hors mariage") sont en réalité des règlements de comptes des mollahs locaux envers des familles de paysans indociles. C'est ici un cas de figure "officiel" (constitutionnel), mais cette imbrication de la grande propriété avec le pouvoir politique et judiciaire local est omniprésente dans les campagnes du "Tiers Monde". Au-delà de ces rapports strictement productifs, les rapports sociaux dans ces pays-là (puisque nous avons parlé de l'Iran) sont généralement empreints d'un grand conservatisme, avec notamment un grand poids des institutions religieuses.

    Pour autant, quoi qu'il en soit, la production issue de ces rapports sociaux d'un type particulier débouche bel et bien sur un marché local et mondial... CAPITALISTE. C'est en ce sens que nous affirmons que si ces rapports sociaux peuvent bien être qualifiés de "semi-féodaux", imprégnés par la féodalité, ils n'en sont pas moins subsumés par le capitalisme qui domine à l'échelle mondiale. En réalité, ils sont intrinsèques à la nature même du capitalisme qui a besoin, pour exister, d'exploitation mais aussi de surexploitation du travail : ces rapports productifs et sociaux semi-féodaux permettent tout simplement la surexploitation nécessaire au capitalisme, qui n'est autre que son but à travers l'impérialisme (d'où le colonialisme direct comme le semi-colonialisme)**.

    Il ressort de cela qu'il n'y a pas, en réalité, d'opposition entre pays "semi-coloniaux semi-féodaux" et pays capitalistes : les pays semi-coloniaux semi-féodaux sont capitalistes ; "semi-colonial semi-féodal" est un type de pays capitalistes, l'autre étant les pays capitalistes monopolistes-impérialistes. Un État donné (entendu comme espace géographique) est soit l'un soit l'autre ; ce qui ne veut pas dire que certains pays semi-coloniaux semi-féodaux ne puissent pas atteindre - au moins régionalement - un niveau de développement économique (de forces productives) relativement élevé : c'est le cas par exemple de l’État turc, mais aussi d'un nombre croissant de pays d'Amérique latine (à commencer par les "grands" : Brésil, Mexique, Argentine ou Chili, Colombie mais aussi Venezuela et Équateur etc.) ou d'Asie voire d'Afrique (Ghana, Nigeria, sans oublier bien sûr l'Afrique du Sud), sans même parler des pays arabes du Golfe irrigués par la rente pétrolière avec un niveau de vie (pour la population arabe "de souche", pas pour les centaines de milliers de travailleurs immigrés bien sûr) parmi les plus élevés de la planète, mais des rapports sociaux (régis par l'islam wahhabite) complètement "moyenâgeux".

    Le caractère "semi-colonial semi-féodal" d'un pays n'est pas incompatible avec (localement du moins, dans les grandes villes et leurs alentours) un niveau de développement économique élevé, "quasi-occidental". Cela signifie simplement ne pas être impérialiste, c'est-à-dire ne pas être principalement un exportateur mais un réceptacle de capitaux étrangers - lesquels servent précisément à contrôler et dominer l'activité productive. Mais cela se traduit néanmoins - il est vrai - toujours par l'existence d'une "niche" de rapports sociaux "semi-féodaux" de surexploitation, qu'il s'agisse d'une catégorie particulière de la population (comme les travailleurs immigrés semi-esclaves dans les pays du Golfe) ou de régions reculées et périphériques (comme toujours dans le système capitaliste, les pays semi-coloniaux d'une certaine taille ont leurs Centres et leurs Périphéries - tout en étant eux-mêmes la Périphérie planétaire).

    À vrai dire, une certaine (petite) dose de rapports sociaux "semi-féodaux" n'est même pas incompatible avec le fait d'être un État impérialiste, et pas même des moindres : le Royaume-Uni est bien, tous et toutes en conviendront, un pays monopoliste et impérialiste et même (sans doute) le premier à l'avoir été dans l'Histoire. Pourtant, la propriété foncière et immobilière en général y est particulièrement marquée par la féodalité et ceci d'autant plus que l'on va vers les territoires des Peuples celtiques, dont la conquête et l'oppression nationale ont fondé historiquement l’État. Des îles entières d’Écosse sont parfois la propriété d'un seul landlord (qui, "mondialisation" oblige, peut désormais être un prince arabe ou un milliardaire russe), et leurs habitants locataires... Dans le shire (comté) de Cornouailles (Nation cornique), plus de 500 km² sur 3.500 au total sont la propriété exclusive du prince Charles à qui ils fournissent ses revenus, celui-ci ne disposant pas de "liste civile" ("pension" versée par l’État) contrairement à ses parents : il y aurait fondé une entreprise agro-alimentaire... "bio". Bien sûr, ici, pas de coups de cravache ni de miliciens privés ni de quelconque droit de justice pénal sur la population. Mais ce n'en est pas moins la réalité... au cœur d'une des premières puissances impérialistes de la planète. Des situations similaires existent dans l’État espagnol, en particulier dans sa partie sud (Andalousie etc.) ; État qui est pourtant incontestablement (grâce aux dynamiques capitalismes catalan, basque, asturien ou cantabre - et à la métropole madrilène alimentée par ceux-ci) un "petit impérialisme" ; ou encore dans le Mezzogiorno de l’État italien, lequel repose fondamentalement et historiquement sur la conquête du Sud (Royaume des Deux-Siciles) par la bourgeoisie du Nord (au moyen de l'Armée piémontaise et des "Chemises rouges" de Garibaldi), et qui est incontestablement un impérialisme de rang secondaire. Aux États-Unis, les maoïstes dans la lignée d'Harry Haywood considèrent que les Noirs, les Hispaniques (issus de la conquête de la moitié du territoire mexicain en 1846-48, ou alors de l'immigration par la suite) ou encore les Premières Nations ("Indiens") subissent un colonialisme intérieur, qui est encore une forme de rapports sociaux très particulière ; et le métayage qui a succédé à l'esclavage (associé à la ségrégation dans le domaine politique et l'espace public) marque encore profondément la condition des Noirs dans les États ruraux du Sud.

    En réalité, n'en déplaise aux thuriféraires des "Lumières", AUCUNE "révolution" bourgeoise n'a été pleinement anti-féodale - le capitalisme piétinant par définition et en permanence la pensée humaniste et émancipatrice qu'il vient juste de secréter, par souci de se ménager (justement) ces "niches" de surexploitation qui lui sont indispensables : bien souvent, la "semi-féodalité" n'a disparu dans les campagnes (auxquelles elle est par nature liée)... que par la quasi-disparition du secteur productif agricole. Aucune, pas même en France : le célèbre roman Jacquou le Croquant s'inspire de nombreuses révoltes populaires ayant agité l'Occitanie... dans la première moitié du 19e siècle, soit bien après la fameuse Nuit du 4 Août 1789 ; révoltes de métayers (qui constituaient encore la grande majorité des agriculteurs dans ces régions) ne visant généralement pas des nobles "historiques" mais des bourgeois ayant racheté les titres de propriété de ces derniers en se parant (souvent) des titres et autres particules (comme le "Crozat" devenu "comte de Nansac" du roman). Et au milieu du 20e siècle, dans certaines régions, les métayers menaient encore des luttes très dures contre les châtelains locaux sous la direction du Parti communiste... Seule la révolution prolétarienne peut en réalité "parachever" complètement les promesses démocratiques que la bourgeoisie a faites aux masses populaires pour les mobiliser contre les forces féodales, mais qu'elle n'a par définition pas pu tenir.

    Les États qui sont aujourd'hui monopolistes-impérialistes ne le sont pas devenus parce qu'ils auraient "particulièrement éradiqué la féodalité", mais simplement parce qu'ils ont été les premiers à la faire reculer ou à la domestiquer suffisamment pour ménager à la bourgeoisie l'espace nécessaire à sa "révolution industrielle", c'est-à-dire à l'accumulation productive et (surtout) financière permettant de mener au bout de quelques décennies à la constitution de monopoles et, de là, à une domination économique de la planète entière (ces pays eux-mêmes n'ayant pu quant à eux, par définition, "tomber" sous la domination de personne : "premier arrivé premier servi" !). Tel est le cas du Royaume-Uni, de la France, des États-Unis, de l'Allemagne etc. etc. D'autres ont pu par la suite se "glisser entre les mailles du filet" et "rejoindre le club" par des politiques volontaristes et même - pour dire les choses clairement - fascistes (Japon, Italie, Espagne) ; tandis que d'autres encore, suffisamment grands (Russie, Chine), ont connu des expériences socialistes qui se sont "chargées" de mener à bien la "révolution industrielle" et de développer les forces productives de manière radicale, avant d'être trahies et de voir la propriété "collective" (théorique) convertie en monopoles [ces puissances sont désormais des "acteurs" incontournables pour comprendre ce qu'il se passe dans bien des parties du monde ; nous insistons cependant sur le fait qu'elles ne peuvent (pas plus que le bloc soviétique dans les années 1970-80, erreur de beaucoup de "prochinois") être considérées comme les premières fauteuses de misère et de mort sur la planète et donc les "ennemies n°1" de l'humanité, qui demeurent les puissances impérialistes occidentales].

    Si toute cette compréhension des choses revêt autant d'importance, on l'a dit, c'est parce qu'elle impacte directement la question de la GUERRE POPULAIRE comme stratégie révolutionnaire UNIVERSELLE des exploité-e-s et des opprimé-e-s.

    La vision "sisonienne" va, en effet, généralement tendre à un rejet de l'universalité de la Guerre populaire : il y aurait d'un côté des pays semi-coloniaux semi-féodaux où l'on mène la Guerre populaire, et de l'autre des pays monopolistes-impérialistes où l'on "accumulerait des forces" en attendant les conditions propices à un soulèvement et à une prise de pouvoir révolutionnaire. C'est là, finalement, une conception plus marxiste-léniniste pensée maotsétoung que réellement marxiste-léniniste maoïste ; une conception qui a insuffisamment dépassé les limites théoriques du marxisme-léninisme. Elle peut parfois (pour résoudre la quadrature du cercle qu'elle soulève inévitablement, à savoir la question du "que faire" dans les métropoles impérialistes) mener au linpiaoïsme, c'est-à-dire à l'idée que les pays semi-coloniaux semi-féodaux sont les "campagnes du monde" et que les masses des pays impérialistes ("villes" du monde) sont finalement dans une position attentiste, ne devant intervenir (peut-être) que lors de l'"assaut final", lorsque l'impérialisme aura été suffisamment affaibli par la Guerre populaire du "Tiers Monde" (certes... sauf que si les métropoles impérialistes ne sont pas aussi combattues et affaiblies de l'intérieur, elles ne seront jamais assez faibles dans le "Tiers Monde" pour que la révolution prolétarienne et paysanne y triomphe durablement).

    C'est la conception (en toute logique) du Parti communiste des Philippines, ou encore du TKP/ML dans l’État turc.

    La vision "mariatéguiste" en revanche (au terme d'un long processus bien entendu : Mariátegui lui-même n'a jamais dit cela ni même parlé de Guerre populaire...) tend à déboucher naturellement sur l'applicabilité universelle de la Guerre populaire, y compris dans les pays impérialistes les plus avancés. Celle-ci n'est plus conçue comme une "simple" doctrine militaire (guerre de partisans dans un maquis...) : les modalités de la lutte sont particulières et doivent être déterminées dans chaque pays. Elle devient en réalité la compréhension de la révolution comme une lutte PROLONGÉE pour construire des bases rouges de Pouvoir populaire embryonnaire, créer les conditions subjectives (tout aussi importantes que les objectives !) de la prise de pouvoir révolutionnaire et "étrangler" lentement mais sûrement les Centres politiques, économiques et intellectuels du Pouvoir bourgeois. Cela signifie arracher totalement ou partiellement des aires géographiques aux forces du Capital ("territoires perdus" où elles ne vont plus ou alors dans un sentiment d'insécurité permanent) ; y compris (à un certain stade de la lutte) des unités productives arrachées au contrôle du patronat et prises en main par les travailleurs ; mais aussi lutter sur le front intellectuel et culturel pour faire reculer la conception bourgeoise du monde et imposer l'hégémonie de la conception prolétarienne communiste dans les masses du Peuple : c'est véritablement une lutte sur tous les fronts. Cela n'exclut même pas (contrairement à une certaine conception "stricte" du MLM), lorsque les conditions le permettent, de participer aux élections ; car participer aux élections sur une ligne révolutionnaire ferme (et non sur une ligne opportuniste d'avoir à tout prix des élus et de s'incruster dans le système) est aussi un outil de déstabilisation. Le tout étant de reposer en permanence sur une culture d'antagonisme, d'inconciliabilité des intérêts prolétaires et populaires avec ceux de la classe dominante capitaliste - culture qui doit aussi se construire, car elle n'a rien d'évidente en soi dans une société de classe où les dominants dominent et où les dominés suent sang et eau depuis des siècles.

    Cela signifie, dans tous les cas, un rejet de la stratégie consistant en une "accumulation de forces" suivie d'un "moment propice" (dont les conditions ne dépendraient que très peu de l'activité des révolutionnaires) pour lancer un "assaut frontal" et une prise de pouvoir très rapide - autrement dit la stratégie qui a échoué dans un grand nombre de pays au siècle dernier (pas seulement, d'ailleurs, dans des pays impérialistes et très industrialisés !). Cette stratégie est celle dont le trotskysme s'est fait le champion et même le théoricien absolu ; mais aussi celle de la plupart des "stals" (marxistes-léninistes "kominterniens"), car elle repose fondamentalement sur l'"exemple" de la Révolution bolchévique dans l'Empire russe tsariste... laquelle a été en réalité, depuis les évènements de 1905 jusqu'à la prise du Palais d'Hiver en Octobre 1917, une Guerre populaire non-consciente d'elle-même suivie jusqu'en 1921 (au moins) d'une terrible guerre contre les forces contre-révolutionnaires, guerre (là aussi) au caractère éminemment populaire ! [Cette révolution est au demeurant intervenue dans un pays extrêmement arriéré et marqué par la féodalité (comparable à l'Inde aujourd'hui) où aurait bien dû, selon la thèse "sisonienne", avoir lieu une Guerre populaire et non une "accumulation de forces/ insurrection" servant de modèle pour les pays impérialistes...]

    La Guerre populaire est universelle car elle est la première phase de la négation du capitalisme par le communisme, avant la prise de pouvoir révolutionnaire (la seconde phase étant la transition socialiste après celle-ci) ; or tous les pays du monde sont capitalistes (régis par le capitalisme), soit monopolistes-impérialistes (de "rang" variable, plus ou moins puissants, "vassalisés" parfois par d'autres plus puissants mais sans cesse d'être impérialistes) soit semi-coloniaux semi-féodaux (plus ou moins avancés et dynamiques économiquement, parfois "émergents" voire jouant un rôle de "puissance régionale").

    Une position "intermédiaire" (donc erronée, de notre point de vue) va être celle du Parti communiste maoïste (MKP) de l’État turc, qui consiste en fait en une admission partielle des thèses "sisoniennes". Le MKP va affirmer l'universalité de la Guerre populaire et mener celle-ci dans l’État turc ; mais comme celui-ci est "trop" développé, industrialisé et "dé-féodalisé" pour être "semi-colonial semi-féodal" selon la conception "sisonienne" (qui voudrait un véritable mode de production féodal autonome), conception qu'il admet (donc) partiellement, il va le définir comme "capitaliste" (ni monopoliste-impérialiste ni semi-colonial semi-féodal...) et affirmer y mener une "Guerre populaire socialiste" qui serait ainsi la "preuve" que la Guerre populaire est une stratégie de valeur universelle... Les choses seraient pourtant beaucoup plus simples s'il était simplement admis que "semi-féodal" ne signifie pas l'existence d'un mode de production féodal autonome aux côtés du capitalisme, mais simplement de rapports sociaux marqués par la féodalité sous la houlette du capitalisme (rapports sociaux qui ne manquent pas dans un État turc régi par le capitalisme comme l'est la planète entière).

    Ce sur quoi la question de "pays semi-colonial semi-féodal" ou "pays monopoliste-impérialiste", de l'ampleur des rapports sociaux "semi-féodaux" et - en fin de compte - du niveau des forces productives influe en réalité, c'est sur l'"après" Guerre populaire et prise révolutionnaire du pouvoir sur un territoire donné : sur l'ampleur des tâches "démocratiques de nouveau type" ("démocratiques bourgeoises sous la direction du prolétariat" : conquête de l'indépendance véritable et/ou autodétermination nationale sur l'aspect semi-colonial ; lutte contre les obscurantismes, révolution agraire et développement productif de type "NEP" sur l'aspect ) et l'immédiateté ou non des tâches socialistes.

    Le Pays Basque, par exemple, est opprimé nationalement ; mais c'est en dehors de cela un pays hautement industrialisé inclus dans deux États impérialistes, dont l'un est parmi les plus puissants de la planète. Il y a donc pour la future Révolution basque une tâche démocratique essentielle qui est la conquête de l'autodétermination nationale, mais cela s'arrête là : au-delà, les tâches sont immédiatement socialistes. En Andalousie ou dans le Mezzogiorno de l’État italien, peuvent s'y ajouter des tâches de révolution agraire car le secteur agricole demeure aussi important que la grande propriété y est prédominante. Tout va véritablement dépendre de la réalité économique et sociale spécifique de chaque pays et de l'analyse que les révolutionnaires communistes en font. Pour ce qui est de l’État turc, l'on peut effectivement admettre que les forces productives s'y sont considérablement développées depuis une vingtaine d'années et qu'il ne nécessite pas une longue phase de "type NEP" avant de socialiser la production ; mais parler de "Guerre populaire socialiste" n'a pas beaucoup de sens : il n'y a pas "différentes sortes" de Guerre populaire selon l'immédiateté ou non des tâches socialistes par la suite ; il y a la Guerre populaire comme stratégie universelle dont les modalités concrètes sont définies selon les conditions particulières de chaque pays (et bien entendu le niveau des forces productives, d'industrialisation, d'urbanisation etc. pèse lourd parmi ces conditions).

    Par ailleurs et pour conclure, cette compréhension correcte ("mariatéguiste") des rapports sociaux "semi-féodaux" comme subsumés par le capitalisme (et quel capitalisme sinon celui introduit par l'impérialisme pour se livrer à la surexploitation dont il a besoin ?) va également être essentielle pour réfuter la thèse ridicule pour ne pas dire honteuse des clowns du 'p''c''mlm', selon laquelle le semi-féodalisme serait l'"aspect principal" dans les pays concernés et l'impérialisme (= le semi-colonialisme) une sorte de "maladie opportuniste" - en d'autres termes, les Peuples dominés et écrasés par l'impérialisme auraient "mérité" leur condition par leur "arriération féodale", dont ils feraient bien d'avoir l'amabilité de se sortir vite-fait-bien-fait. Alors que c'est bien évidemment (de manière évidente pour tout cerveau normalement constitué...) la domination impérialiste qui maintient ces résidus de rapports féodaux "sous cloche" comme instruments de la surexploitation qui est sa raison d'être - les "sisoniens" sont bien entendu du même avis, mais leur compréhension des choses ne permet pas de "contrer" correctement cette énième thèse grotesque et aberrante de ces "universalistes impériaux" maquillés de rouge***...

    Pays semi-coloniaux semi-féodaux et capitalisme : quelques clarifications indispensables


    "Le semi-féodalisme ne peut pas être correctement recherché dans la persistance d'institutions ou de formes politiques et juridiques féodales. Formellement, le Pérou est une république démocratique bourgeoise. Le semi-féodalisme survit dans les structures de notre économie agraire." (...) "Le capitalisme se développe dans un pays semi-colonial comme le nôtre alors que le stade des monopoles et de l'impérialisme a déjà été atteint, et que l'idéologie libérale correspondant au stade de la libre entreprise a perdu toute sa validité. L'impérialisme ne permettra à aucun de ces Peuples semi-colonisés, qu'il exploite comme marchés pour ses capitaux et produits et comme sources de matières premières, de mettre en œuvre un quelconque programme économique de nationalisations et d'industrialisation ; il les force à se spécialiser et les restreint à la mono-production (au Pérou : pétrole, cuivre et sucre) de sorte qu'ils souffrent d'une crise permanente en termes de produits manufacturés, une crise qui provient tout droit de cette détermination rigide de la production nationale par le marché capitaliste mondial." (J. C. Mariátegui)

    ** L'on peut parler de SUREXPLOITATION lorsque l'on est à la limite permanente de ne même plus permettre la reproduction des conditions d'existence de la force de travail (c'est-à-dire du travailleur...). Une manière de fonctionner qui ne PEUT PAS être la manière générale du capitalisme, car si celui-ci produit c'est pour VENDRE (comment, sinon, dégager des profits et reproduire le Capital ?) et il a donc besoin d'acheteurs, qui ne peuvent pas être simplement 5 ou même 10% de bourgeois et autres personnes aisées. Il lui faut donc des personnes "simplement exploitées", c'est-à-dire à qui leurs revenus laissent une "margeounette" pour consommer. Mais pour que ces personnes puissent exister et exister en quantité conséquente, il est NÉCESSAIRE que d'autres, sur le territoire qu'une bourgeoisie donnée contrôle, soient dans ces conditions de surexploitation (ce qui signifie, en substance, définir et assigner à cette position des "ultra-pauvres" pour que puissent exister des "moins pauvres", que l'on pourra en sus aliéner en leur disant qu'ils ne sont "pas les plus à plaindre").

    [Attention cependant : la surexploitation, vouée à dégager un profit maximal sur investissement (surprofit), intègre aussi des considérations de productivité du travail, de développement technologique (augmentant la productivité) ainsi que d'établissement de situations de monopole (réduction radicale voire élimination pure et simple de la concurrence : quoi de mieux pour les affaires ?). Ceci peut entraîner des situations paradoxales : ainsi par exemple, on imagine difficilement plus surexploités que les esclaves africains des colonies européennes en Amérique ; puisqu'il suffisait souvent de les maintenir en vie quelques années pour tripler ou quadrupler l'investissement représenté par leur achat ("gagner leur tête" disait-on à l'époque). Sauf que voilà : 1°/ comme déjà dans l'Antiquité, la productivité de personnes privées de toute liberté et non-rémunérées pour leur travail s'avérait finalement médiocre comparée à celle d'un travailleur libre, 2°/ pour ces mêmes raisons de productivité, ainsi que pour de simples raisons de sécurité, il était difficile voire impossible de concentrer des centaines et des centaines voire des milliers d'esclaves sur une même plantation (ce qui gênait donc la concentration du travail, et allait contre la constitution de monopoles), 3°/ cette méthode productive était difficile pour ne pas dire impossible à mettre en œuvre en dehors du secteur agricole (certes indispensable à l'économie mais dont la valeur ajoutée, même en agriculture extensive, reste somme toute modeste), dans l'industrie en plein essor notamment, 4°/ elle était incompatible avec le progrès technologique (mécanisation de l'agriculture), voué de toute façon à la faire disparaître, 5°/ les esclaves, qui représentaient le tiers de la population dans le Sud des États-Unis et 80% ou plus dans les Caraïbes, ne pouvaient pas (cf. ce que nous avons dit plus haut) représenter un marché (débouché commercial pour la production) de manière significative. Ce sont toutes ces raisons (et l'on pourrait encore sans doute en citer d'autres), et non des considérations d'"humanité", qui ont amené au 19e siècle les bourgeoisies européennes et américaines à pencher majoritairement en faveur de l'abolition de l'esclavage, bien que celui-ci représentât (à première vue) la forme d'exploitation la plus totale (et donc le profit maximal tiré de la force de travail) que l'on puisse imaginer. Si l'on adopte une vision "arithmétique" de la définition marxiste "classique" de la surexploitation, les paradoxes ne manquent de toute façon pas : les travailleurs les plus exploités pourraient ainsi bien être, par exemple... les footballeurs, si l'on mettait en perspective leurs (multimillionnaires) revenus annuels avec ce qu'ils rapportent à leurs clubs. C'est pourquoi une vision plus "humaine", basée sur la notion de reproduction des conditions d'existence, nous a semblé plus appropriée.]

    *** "Lesmaterialistes.com" ('p''c'F'mlm') ne sont d'ailleurs pas les seuls à avoir cette vision des choses (l'on pourrait encore citer, dans une certaine mesure, "Futur Rouge" ou du moins certains éléments, sans même parler des "gauchistes" dans une vision partiellement ou totalement "antideutsch"). Si l'on veut - donc - résumer en dernière analyse ces deux conceptions du monde qui s'opposent :

    - Pour ces personnes se réclamant du communisme, le pays impérialisés "mériteraient" en fin de compte cette domination parce qu'ils seraient "féodaux", et devraient donc d'abord et en premier lieu lutter contre cette "féodalité" qui les "gangrène" pour pouvoir prétendre se libérer de l'impérialisme.

    - Pour nous, c'est exactement l'inverse : oui, certes, à un moment donné de l'Histoire, l'"arriération" de ces pays (loi du développement inégal des forces productives) a permis aux puissances capitalistes occidentales, soit par les investissements financiers et technologiques, soit par la force militaire soit (le plus souvent) par les deux, d'asseoir leur domination dessus ; mais depuis lors, c'est cette domination impérialiste qui a en quelque sorte "volé" à ces pays tout le processus de luttes démocratiques que l'Occident a pu traverser ces 200 dernières années, les maintenant dans ce qui à nos yeux occidentaux peut apparaître "arriéré", "moyenâgeux" ou encore "obscurantiste"... C'est donc la lutte contre l'impérialisme, l'arrachement à la domination des monopoles impérialistes qui doit primer et qui est la CONDITION pour que ces sociétés puissent "évoluer", se démocratiser, s'émanciper dans tous les sens du terme, en suivant une voie qui n'a d'ailleurs aucune raison d'être parfaitement conforme à nos "canons" occidentaux de la "modernité" et autres "Lumières". Et nous considérons ouvertement qu'à un certain stade (premier, débutant) de cette lutte, des forces "féodales rebelles" peuvent être des alliées tactiques pour - à tout le moins - "secouer le cocotier" de la domination impérialiste ; ou encore des forces expression du "capitalisme d'en bas", "populaire spontané", "des entrailles" de la société ("du souk" ou "du bāzār" dans les pays musulmans) où les gens produisent et vendent, bref font du bizness et certains deviennent riches et d'autres pas, comme l'est typiquement l'"islamisme" ; sans même parler de forces liées en réalité à l'"économie naturelle", à la "société populaire traditionnelle-solidaire", qui ont quasi-systématiquement tendance à être confondues avec la "féodalité" dans la pensée occidentale "progressiste lumiéreuse" qui caractérise tant de nos marxistes ou libertaires...  

     


  • Commentaires

    2
    Lundi 14 Novembre 2016 à 07:14

    Les "populismes" (= fascisme) sont l'impérialisme sous sa forme la plus ouvertement terroriste et réactionnaire.

    1
    SemproniusGracchus
    Dimanche 13 Novembre 2016 à 10:09
    "Et nous considérons ouvertement qu'à un certain stade (premier, débutant) de cette lutte, des forces "féodales rebelles" peuvent être des alliées tactiques pour - à tout le moins - "secouer le cocotier" de la domination impérialiste "

    La montée actuelle des populismes dans les pays impérialistes peut-elle être aussi vue comme une une rébellion de niveau débutant ?
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