• Guerre populaire au Pérou : les Comités populaires ouverts (années 1980, début 1990)


    La conquête du Pouvoir populaire est l'objectif central de toute révolution. Dans les conditions de chacune, la tâche est de commencer à l'instaurer en partie, sous la forme de Comités populaires ouverts.

    Ces comités sont formés de cinq membres, appelés "commissaires" parce qu'ils sont commissionnés par les masses et révocables par elles à tout moment. Ils sont désignés par des Assemblées de Représentants qui elles-mêmes, lorsque cela est possible, sont élues par des Assemblées populaires de toute la population d'un village ou d'un secteur donné. Ils sont dirigés par le Parti et constitués de communistes, de paysans et d'autres forces progressistes locales. Leur mission est de commencer à créer une nouvelle politique, une nouvelle économie et une nouvelle culture dans les campagnes, comme préparatif pour pouvoir le faire à l'échelle de tout le pays.

    Parmi les cinq commissaires, le Secrétaire représente le Parti et le prolétariat (présent à la campagne essentiellement à travers le Parti). Le Commissaire de Sécurité, également membre du PCP, est chargé de la défense du Nouveau Pouvoir par la population locale dans son ensemble, organisée en milices, aux côtés des forces de guérilla locales et des forces principales de l'Armée de Guérilla Populaire. Cela signifie aussi se préparer au repli tactique des habitants de la zone en cas de nécessité. Il ou elle est également chargé-e des pouvoirs de police, et prend des mesures contre les contra-révolutionnaires qui attaquent le Nouveau Pouvoir et contre les criminels de droit commun qui nuisent aux masses. Le vol, la drogue, l'ébriété permanente, la prostitution, les jeux de hasard, les violences contre les femmes et les enfants, les viols et autres fléaux qui depuis si longtemps prospèrent sous la protection du vieil ordre établi, sont désormais réprimés.

    Le Commissaire à la Production dirige l'organisation de la nouvelle économie basée sur un nouveau type de relations sociales. La terre est divisée et répartie en premier lieu entre ceux qui n'en possèdent pas, et ensuite seulement, s'il reste quelque chose, entre ceux qui en possèdent peu, sur la base du nombre de membres de la famille. La terre est donnée à la famille dans son ensemble et non pas seulement aux pères de famille ou aux hommes en général (aux jeunes qui souhaitent quitter leurs parents et fonder leur propre famille est également donné de la terre). Mais si la possession de la terre est personnelle, les semences et les récoltes sont collectives et organisées par tous et toutes. Le Commissaire veille à ce que soient entretenues les terres des personnes âgées, des veuves et des enfants orphelins. Il ou elle organise également la production de la propriété directe du Comité, telle que l'élevage de volailles ou de cuyes (cochons d'Inde, équivalent du lapin là-bas), ainsi que les travaux collectifs d'irrigation.

    Des changements fréquents sont opérés dans les plantes et les céréales cultivées, afin de permettre aux Bases d'Appui (ensembles de plusieurs Comités populaires) d'être les plus autosuffisantes possibles. Le Comité s'occupe de la sélection scientifique des semences et de la diversification des récoltes. Avec les efforts pour remplacer les fertilisants chimiques dépendants de l'importation, tout ceci met fin à la nécessité de s'endetter. Ces mesures et l'abolition des fermages ("loyers" pour les terres agricoles) libèrent les paysans du lourd poids de la bureaucratie gouvernementale, qui depuis si longtemps suçait le sang de l'agriculture, et de la tyrannie des potentats locaux dont le pouvoir sur la terre, le contrôle du crédit et des intrants s'exerçaient de la manière la plus arbitraire. Ces nouvelles relations de production et d'échange, conçues pour satisfaire les besoins du Peuple et de la Guerre populaire, libèrent les forces productives de leurs entraves et améliorent la productivité. Dans certains cas se développent même des embryons de manufactures de vêtements et d'outils de travail, de sorte que les Bases d'Appui se font encore plus autosuffisantes.

    Les petits et moyens commerçants sont autorisés à poursuivre leurs importantes activités ; de fait, pour eux aussi c'est une libération. Mais les Comités populaires ouverts organisent aussi l'activité d'échange. Cela peut signifier, localement, une Foire populaire dans laquelle les marchandises peuvent se vendre directement du producteur au consommateur ou être troquées. Cela signifie aussi des convois de mulets qui puissent traverser sans risque les montagnes et permettre le commerce avec d'autres localités, car les Bases d'Appui ne peuvent pas non plus être totalement autosuffisantes et le Parti doit veiller à la solution de ce problème.

    À mesure que se renforce militairement la révolution, et que son pouvoir politique commence à être relativement consolidé dans un certain nombre de zones, ces questions économiques n'en sont que toujours plus cruciales. L'autosuffisance économique signifie l'indépendance vis-à-vis de la dette et de l'inflation, et l'opportunité de commencer à développer une économie qui nourrisse le Peuple au lieu de se nourrir de lui. C'est un élément clé pour la Guerre populaire, car sinon le Pouvoir révolutionnaire s'effondrerait et l'Armée révolutionnaire ne pourrait plus compter sur le Peuple pour se ravitailler. Ces changements font également partie de la préparation de l'avenir, lorsqu'un Pérou économiquement indépendant et militairement puissant pourra se maintenir fermement face à l'impérialisme et servir la révolution mondiale.

    Le Commissaire aux Affaires communautaires est chargé de l'administration de la justice. Cela veut dire organiser les procès populaires : un procureur présente les arguments du Comité, l'accusé a le droit d'assurer sa défense et de présenter des éléments à sa décharge, et en dernière instance ce sont les masses populaires qui écoutent et tranchent. Un autre exemple est l'organisation d'un comité de réparation des dommages entre paysans, de manière tournante. Si la vache d'un paysan endommage le champ semé de son voisin, le comité se charge d'assurer l'indemnisation du préjudice. La première fois, c'est un avertissement, la deuxième fois la vache est confisquée, la troisième fois elle est abattue et sa viande est partagée entre les habitants.

    Ce Commissaire célèbre également les mariages. Les personnes qui souhaitent se marier doivent amener deux témoins qui certifient qu'aucun des deux n'est déjà marié avec quelqu'un d'autre – ceci est la seule obligation. Les affaires de la communauté comprennent aussi le registre des naissances, l'approvisionnement du dispensaire médical populaire (avec des médicaments confisqués à l'ennemi et des plantes médicinales), les examens de santé des jeunes mariés et autres diverses choses.

    L'éducation est guidée par la conception communiste et liée au travail. Aux paysans sont enseignés les mathématiques de base, l'espagnol (que le PCP considère important pour s'ouvrir une fenêtre sur le reste du monde, mais la langue indigène n'est pas réprimée et il n'est pas cherché à l'anéantir), les sciences naturelles et l'histoire. Le Commissaire organise aussi les loisirs, parmi lesquels le sport, la culture (œuvres de théâtre ou spectacles de marionnettes), des célébrations pour les anniversaires révolutionnaires, et aide à l'organisation de la fête votive du village. Celle-ci est organisée comme une fête populaire – le Parti n'aide ni n'empêche d'autres célébrations à caractère plus religieux. Le Parti applique la politique qualifiée par Lénine de liberté de croyance au sens le plus large : il respecte le droit des gens à leurs croyances religieuses, mais se réserve par ailleurs le droit de lutter pour l'éducation au matérialisme dialectique.

    Le divorce est immédiatement concédé, dès que sollicité par un conjoint, sans conditions. Le Commissaire doit réussir à ce que le couple en séparation parvienne à un accord sur les enfants en général. Il essaye aussi d'aider à résoudre les conflits entre familiers, conjoints, ou parents et enfants, à travers un processus de critique et auto-critique. Si une femme souhaite s'en aller pour rejoindre l'Armée de Guérilla Populaire, et que ses parents ou son mari s'y opposent, dans tous les cas elle peut s'en aller. Le mari est prioritaire pour garder la charge des enfants s'il le souhaite ; dans le cas contraire, le Comité cherche et trouve une solution.

    Il y a aussi un Commissaire chargé de convoquer et organiser les réunions des organisations de masse dirigées par le Parti.

    Ainsi fonctionne un Comité populaire ouvert. Au long de la période ces Comités ont pu prendre des formes différentes, en accord avec le rapport de force entre révolution et contre-révolution dans une zone et/ou à un moment donné et avec la fluidité de la Guerre populaire, avançant ou refluant, apparaissant puis possiblement disparaissant pour réapparaître ensuite au même endroit ou ailleurs.

    Un ensemble de Comités populaires forme une Base d'Appui et l'ensemble de ces Bases d'Appui constitue la République de Nouvelle Démocratie en formation, matérialisation du Nouveau Pouvoir qui élimine et détruit le vieil État bourgeois et propriétaire terrien.

    Au travers du Nouveau Pouvoir, les masses s'éduquent révolutionnairement à l'exercice du pouvoir politique et acquièrent une conscience de classe pour elles-mêmes. De cette façon, la ligne de masse pour l'accumulation de forces au cours de la guerre révolutionnaire a pu s'appliquer grâce à la participation des masses à la lutte révolutionnaire et à la construction du Nouveau Pouvoir, étant destinataires de cette ligne les masses les plus profondes de la paysannerie pauvre et du prolétariat. C'est ainsi que des milliers d'ouvriers et de paysans péruviens se sont unis à la Guerre populaire.

    Pour l'année 1986, en dépit des tueries de masse perpétrées par les forces armées gouvernementales et les ronderos (milices supplétives contre-révolutionnaires) contre les paysans des Bases d'Appui, l'on comptait des centaines de ces Comités populaires fonctionnant pour la plus grande partie dans la Cordillère des Andes.


    https://revolucionobarbarie.wordpress.com/balance-del-ciclo-de-octubre/estudio-de-otras-experiencias-revolucionarias-destacadas/el-partido-comunista-del-peru-reconstitucion-y-guerra-popular/

    [Pour faciliter la compréhension des choses, il est possible de prendre cette page (peu glorieuse) de l'histoire du PCF :

    "Le 24 septembre 1922, un rapport fut adopté à l’unanimité par le 2e Congrès Interfédéral Communiste de l’Afrique du Nord, et disait que « ce qui caractérise la masse indigène, c’est son ignorance. C’est, avant tout, le principal obstacle à son émancipation ». Envisagée ainsi, « l’émancipation des populations indigènes d’Algérie ne pourra être que la conséquence de la Révolution en France ». « La propagande communiste directe auprès des indigènes algériens [...] est actuellement inutile et dangereuse. »"

    ... et de l'extrapoler à la situation péruvienne => au Pérou aussi, après la mort prématurée de Mariátegui (principal théoricien communiste de la situation coloniale du pays), pour la gauche "marxiste" à direction principalement criolla (blanche, coloniale espagnole, encore que ce soit là-bas moins une question d'apparence physique européenne que de mode de vie), le "principal problème" et "obstacle à l'émancipation" de l'"Indien" était son "ignorance" (motif aussi, soit dit en passant, de sa privation de droits civiques : jusqu'en 1979, pour voter, il fallait savoir lire en castillan...) ; son seul salut l'intégration à la classe ouvrière des villes et le métissage tant biologique que culturel progressif ; et son émancipation "forcément" une "conséquence" de la "révolution", ou plutôt de la prise de pouvoir électorale ou par putsch militaire de cette "gauche"-là à Lima – la capitale créature du colonialisme espagnol séparé de la métropole en 1821.

    Au "mieux" on "pense très fort à lui" et on le célèbre de manière mythologisante, "bon sauvage" dans un sens, comme Haya de la Torre en son temps (avant de dériver toujours plus à droite pour tenter de gagner les élections) ou de manière plus contemporaine le mandarin et perroquet bavard Quijano (qui au moment d'aller au bout des conséquences de ses brillantes analyses, n'a pas fait grand-chose sinon des conférences "même dans le noir" et pérorer sur les massacres de Fujimori en renvoyant implicitement dos-à-dos le Pouvoir criollo assassin et la seule résistance armée et organisée conséquente face à lui).

    Jusqu'à ce qu'un jour de mai 1980, dans la campagne andine d'Ayacucho, brûlent les urnes de la collecte semi-décennale de bulletins de vote par les caciques politiques (y compris "de gauche") locaux... et commencent à se lever par milliers les ignoré.e.s et méprisé.e.s de toujours, sonnant l'heure du remembrement d'Inkarri, du retour promis de Tupac Amaru étant des millions ("je reviendrai et je serai des millions"), d'une aube nouvelle au bout de la Nuit coloniale espagnole !]


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