• Encore un point de vue - d'un opposant marxiste russe - sur la situation en Ukraine


    Ce texte d'un militant intellectuel marxiste, opposant de gauche au régime de Vladimir Poutine, a été publié sur le site camarade Democracy & Class Struggle : http://democracyandclasstruggle.blogspot.fr/2014/05/donetsk-peoples-republic-and-russias.html

    Il s'agit là pour nous de poursuivre notre travail d'enquête sur la situation dans ce pays qui fait la Une des JT quotidiens ; de donner un point de vue (venant du cœur de l'un des principaux protagonistes, la Russie) sur cette situation sans forcément en partager jusqu'à la moindre virgule.

    Ce que dit le texte en substance : pour les progressistes et les antifascistes d'Ukraine qui luttent contre la junte de Kiev, la Russie de Poutine n'est pas un soutien fiable ; pas plus que ne l'étaient les impérialismes français ou anglais pour les antifascistes de l’État espagnol en 1936, l'URSS pour la révolution cubaine et d'autres révolutions autour du monde dans les années 1960 ou 1970, ou encore la même Russie de Poutine et la Chine ultra-capitaliste de Xi Jinping pour les peuples des pays "bolivariens" d'Amérique du Sud aujourd'hui. Il faut savoir compter sur ses propres forces.

    kagarlVoici un article de Boris Kagarlitsky, intellectuel et dirigeant politique de la gauche russe. Nous en publions ces extraits afin d'essayer de saisir le caractère du mouvement populaire du Donbass (région de Donetsk, sud-est de l'Ukraine) et de montrer la peur du Kremlin face à un véritable mouvement de masse.       

    Les politiciens occidentaux savent parfaitement qu'il n'y a pas d'invasion russe, et ceci est précisément le principal problème international pour eux. Admettre cela serait admettre que le gouvernement de Kiev est parti en guerre contre son propre peuple. Parler de la République populaire de Donetsk comme d'un phénomène politique indépendant leur est impossible : cela imposerait de poser la question des raisons de ce soulèvement populaire, et d'examiner ses revendications. Le discours sur les agents du Kremlin et les 'omniprésentes' troupes russes — impossibles à découvrir, mais ayant occupé près de la moitié de l'Ukraine sans tirer un coup de feu ni même se montrer sur le territoire ukrainien — joue contre la République de Donetsk un rôle exactement similaire à la propagande anti-bolchévique de 1917, avec ses histoires d'agents allemands et de financements par l’État-major du Kaiser.

    La question ici n'est pas tant de discréditer les opposants au pouvoir en place, en les dépeignant comme des traîtres à leur pays, que de dissimuler l'essence de classe, la base sociale du mouvement qui s'est levé. Une peur à demi-inconsciente s'est emparée de l'opinion libérale, depuis les intellectuels et les politiciens jusqu'aux presque progressistes bourgeois bon teint, et les force à croire les divagations les plus flagrantes, à répéter les plus manifestes âneries du moment que la lutte de classe n'est pas mentionnée ni même envisagée de quelque sérieuse manière. La lutte de classe c'est-à-dire, non pas comme celle décrite dans les ouvrages appris par cœur ou dépeinte par le cinéma d'avant-garde, mais comme celle qui existe dans la vraie vie et qui y devient un fait politique pratique. (...)

    Bien plus importantes que les ressemblances entre les deux mouvements [de Maïdan et de Donetsk], sont les différences.

    628x471Les distinguos essentiels à faire ne sont pas même idéologiques, bien que la comparaison entre les slogans dominants (fascistes dans le cas de Maïdan, revendications sociales accompagnées au chant de L'Internationale dans le cas de Donetsk) mérite incontestablement d'être faite. Les différences idéologiques reflètent en dernière analyse les différences fondamentales de nature sociale et de base de classe des deux mouvements. Bien entendu, la révolte du Sud-Est n'est pas simplement la négation de Maïdan mais aussi son résultat et sa continuation, tout comme Octobre 1917 était à la fois le résultat et la continuation de Février et sa négation. La caractéristique d'une crise révolutionnaire, une fois qu'elle a échappé à tout contrôle, est d'attraper dans son orbite de nouvelles couches de la société, des groupes et des classes qui n'y avait pas pris part auparavant.

    Il faut reconnaître que l'expérience de Maïdan n'a pas atterri à la poubelle. En se soulevant contre les autorités de Kiev, les habitants du Sud-Est ukrainien ont repris les mêmes méthodes par lesquelles les radicaux d'extrême-droite ont forcé le précédent régime à se soumettre à leur volonté. Les manifestations de rue ont évolué rapidement vers l'occupation des bâtiments administratifs. Mais les activistes de Donetsk et Luhansk, refusant de se limiter à la prise de ces bâtiments, ont annoncé la création de leurs propres républiques populaires. Tandis qu'à la mi-avril la République de Luhansk restait largement un slogan du mouvement de masse, à Donetsk elle a bientôt pris le tour d'un pouvoir alternatif. La prise des postes de police locaux et d'autres installations étatiques a aidé à cela. Certaines de ces occupations ont été le fait de la foule révoltée, mais dans beaucoup de cas des groupes armés disciplinés ont été impliqués : anciens membres des forces spéciales de police Berkut et d'autres forces de sécurité ukrainiennes qui ont été démises par le nouveau gouvernement de Kiev ou ont déserté (certaines unités ont quitté le service en tant que telles, avec armes et munitions).

    La propagande officielle de Kiev a répondu en décrivant les anciens officiers de leurs propres forces de sécurité comme des forces spéciales russes spetsnaz. Mais parmi la population du Sud-Est, aux sympathies pro-russes marquées, ces accusations n'ont pas servi à discréditer la révolte mais ont au contraire eu l'effet d'un panneau publicitaire en sa faveur. Le plus les autorités 74084395 adf38118-34b6-48ed-b9ff-942f357ee9c5de Kiev et leurs partisans parlaient d'intervention directe et même d'"occupation" russe dans la région, le plus les gens des localités concernées rejoignaient le mouvement.

    Le principal détonateur de la révolte, cependant, n'a pas été les sympathies pro-russes de la population locale, ni même l'intention affichée des dirigeants de Kiev d'abroger la loi donnant au russe le statut de "langue régionale". Le mécontentement s'est longuement développé dans le Sud-Est, et la goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été l'aggravation dramatique de la crise économique qui a suivi le changement de gouvernement à Kiev. Après avoir signé leurs accords avec le FMI, les autorités ont décrété des augmentations brutales dans les tarifs du gaz ou de la santé, et une explosion sociale est devenue inévitable.  Dans l'Ouest du pays et dans la capitale, l'indignation grandissante a pu être canalisée pour un temps grâce à la rhétorique nationaliste et à la propagande anti-russe. Mais appliquée aux habitants de l'Est, cette méthode a eu l'effet inverse. En tentant d'éteindre le feu dans l'Ouest, les autorités ont jeté de l'huile dessus dans l'Est.

    L'avenir de la République de Donetsk demeure indécis, et ceci représente une immense opportunité historique dont on ne trouvait pas la moindre trace lors des manifestations de Maïdan, dont les leaders n'étaient pas toujours capables de contrôler la foule mais gardaient ferme et effectif le contrôle de l'agenda politique.

    Au contraire, la République de Donetsk formule son agenda par en bas, littéralement au fil de l'eau, en réponse à l'état d'esprit de la population et au cours des évènements. Strictement parlant cette république n'est pas vraiment un État, mais plutôt une coalition de différentes localités, pour la plupart auto-organisées. En fait, elle est la parfaite incarnation du concept anarchiste d'ordre révolutionnaire [Servir le Peuple oserait ici un autre parallèle historique : cette "République de Donetsk" a définitivement quelque chose de "l'utopie pirate" de Fiume (Rijeka) avec D'Annunzio en 1919, dans ses aspects "plébéiens" égalitaristes/socialisants et ses aspects nationalo-chauvinistes militarisés, aux idées parfois détestables du style "l'Adriatique est un lac italien" et les populations slaves présentes n'ont rien à faire là ; bref dans sa "radicalité" potentiellement porteuse du meilleur (mobilisation/conscience révolutionnaire) comme du pire (fascisme) : de fait plus ou moins la moitié des Arditi de 1919 (de Fiume et d'ailleurs en Italie) s'engageront dans les Chemises Noires de Mussolini et l'autre moitié dans la résistance armée contre celui-ci (l'on trouvera notamment parmi eux Alceste De Ambris, syndicaliste révolutionnaire co-rédacteur de la "Charte du Carnaro" - la "constitution" de Fiume) ; tandis que D'Annunzio salué alors par Lénine comme le "seul véritable révolutionnaire d'Italie" deviendra un soutien "anticonformiste" du régime mussolinien, mais un soutien quand même...].

    946766770Curieusement, les anarchistes en question refusent d'avoir quoi que ce soit à voir avec elle, préférant répéter comme des perroquets la rhétorique patriotique d’État des nouveaux maîtres de Kiev.

    Il n'est pas difficile de comprendre que les raisons pour lesquelles l'auto-organisation de la République de Donetsk fonctionne relativement bien sont que l'ancien appareil administratif continue à expédier les affaires courantes comme si rien de particulier n'était arrivé, tandis que les questions de gouvernement se résument à organiser la défense. Mais ceci est-il tellement différent de la Commune de Paris (non pas la Commune idéalisée et romancée d'aujourd'hui, mais celle qui a concrètement existé) ? Si la République populaire de Donetsk survit plus longtemps, elle sera inévitablement amenée à se transformer, et il est loin d'être sûr que ce sera pour le meilleur. Mais en livrant actuellement sa première bataille, elle a déjà démontré un grand potentiel d'auto-organisation des masses. Des personnes sans armes ont réussi à stopper des unités de l'armée ukrainienne et même à mener l'agitation auprès des soldats, repoussant l'opération "antiterroriste" lancée par Kiev. Cette résistance pacifique ne sera pas purement et simplement enterrée dans l'histoire, mais deviendra un élément important de l'expérience sociale collective des travailleurs russes et ukrainiens.

    Donetsk dans l'ombre de Moscou

    Ce n'est un secret pour personne que les masses en rébellion du Sud-Est de l'Ukraine ont pu compter sur le soutien de Moscou. Agitant les drapeaux tricolores russes et scandant des slogans sur leur amour de la Russie, elles ont sincèrement espéré amener l’État frère de leur côté. Cet espoir a uni des personnes qui rêvent d'unification avec la Russie, d'autres souhaitant plutôt une Ukraine fédérale, et d'autres encore espérant simplement que la Russie les défendrait contre la répression de Kiev. Mais dès le début, les officiels de Moscou ont tenu un discours ambigu sur les évènements. Tout en soutenant clairement un mouvement dirigé contre le gouvernement ouvertement hostile de Kiev, ils sont tout sauf prêts à sponsoriser une révolution populaire quand bien même celle-ci servirait à étendre le territoire russe. Les fonctionnaires du Kremlin ne goûtent guère l'idée d'accueillir comme nouveaux citoyens une masse de population rebelle organisée, souvent armée et habituée à lutter activement pour ses droits. Ceci est imageparticulièrement vrai dans le contexte de crise sociale et économique grandissante en Russie même. Les révolutions parfois s'exportent, mais il existe peu de dirigeants d’État qui souhaitent en importer une.

    Moscou n'a jamais voulu conquérir l'Ukraine ni la démembrer. Non pas parce que le Kremlin respecterait les intérêts d'un État voisin, mais tout simplement parce que la direction russe n'a aucun plan stratégique. Deux concours de circonstances ont exacerbé la situation. Dans le premier cas, il s'est avéré impossible de consolider les résultats obtenus en Crimée. L'annexion de la Crimée à la Russie a été indiscutablement improvisée, non tant du côté de Moscou que des élites criméennes qui ont réagi au changement de situation et l'ont exploité pour servir leurs intérêts. Mais une fois la Crimée annexée, la principale tâche pour la diplomatie russe est de défendre l'acquisition. Ceci implique en partie de sacrifier les intérêts du Sud-Est ukrainien. Dans le même temps, la société russe, contrairement à l'intelligentsia libérale, a massivement soutenu les insurgés de Donetsk ce qui a mis le Kremlin dans une situation très difficile : encourager ouvertement un tel mouvement signifierait diffuser une culture de résistance et de révolte dans les masses mais un brutal changement de cap, impliquant un refus de soutenir les rebelles, serait également risqué : l'esprit patriotique cultivé par les autorités russes elles-mêmes pourrait prendre un caractère de contestation. 

    Dans une telle situation, la politique du Kremlin est nécessairement ambigüe et contradictoire ; mais nous avons assisté à un curieux moment de vérité avec l'accord signé par la Russie, l'Ukraine et l'Ouest à Genève le 17 avril. De prime abord tout semblait absolument propre et conventionnel : appels à la réconciliation, désarmement et concessions mutuelles. Mais avant même le début de la rencontre, soi-disant pour des raisons techniques, la partie russe renonça à sa demande que des représentants du Sud-Est de l'Ukraine prennent part aux discussions.

    2014-04-13-19-52-08-72636Il a été affirmé plus tard que la délégation russe à Genève avait représenté le point du vue des organisations de l'Est ukrainien, en particulier le Parti des Régions et autres structures oligarchiques. La République populaire de Donetsk, seule force réellement capable d'unir la population et de contrôler la situation au niveau local, n'a pas même été mentionnée.

    Le texte de la résolution finale indiquait clairement que Moscou ne s'opposera pas à la liquidation de la République de Donetsk : "Parmi les étapes dont nous appelons à la mise en œuvre, se trouvent les suivantes : toutes les organisations armées illégales doivent être désarmées, tout bâtiment occupé illégalement doit être retourné à ses détenteurs légitimes, tous les rues, les places et autres lieux publics occupés en Ukraine doivent être dégagés. Un amnistie devra être mise en place pour tous les protestataires, à l'exception de ceux ayant commis de graves crimes".

    Il apparaît clairement que l'idée principale qui sous-tend le document et a uni ses différents signataires est le refus de reconnaître la République de Donetsk comme un fait politique. Ce point faisait consensus et a servi de base réelle au pacte. La sous-section sur le désarmement des "formations illégales" a été rédigée de manière calculée pour complaire aux autorités de Kiev. Sur le principe, la sous-section propose le désarmement des deux bords. Mais le gouvernement de Kiev va forcément conserver, comme tout gouvernement, ses forces armées et de sécurité ; tandis que la République de Donetsk n'a pas d'autre formation armée que sa milice "illégale". Lavrov a déclaré plus tard que par "formations illégales" il avait également la Garde nationale ukrainienne à l'esprit, mais ceci n'apparaît nulle part dans le texte de l'accord. Le côté ukrainien et l'Occident pourront interpréter l'accord différemment et, en termes juridiques, cela sera parfaitement correct : la Garde nationale a été mise en place par une décision officielle du gouvernement avec l'accord de la Rada [Assemblée] suprême ukrainienne. Tandis que concernant les centuries "sauvages" et les éléments du Secteur Droit qui n'ont pas encore 140315231140-ukraine-donetsk-pro-russia-rally-scenes-from-tété incorporés à la Garde nationale, le gouvernement de Kiev rêve lui-même de les désarmer, étant donné que des problèmes commencent à surgir avec eux.

    Plus importante encore est la demande de libérer les bâtiments occupés et de démonter les barricades dans les rues et sur les places. Si cette stipulation est satisfaite, cela signifiera tout simplement l'auto-liquidation des républiques de Donetsk et Luhansk et le retour à leurs postes des administrateurs nommés par Kiev ; en dépit du fait que ce sont précisément ces nominations qui ont provoqué le soulèvement. Pour gouverner les provinces du Sud-Est, Kiev a désigné des oligarques haïs par le peuple étant donné qu'ils cumulent l'autorité politique avec leur pouvoir économique.

    Il est notable que ce point ne fait l'objet d'aucune concession en contrepartie [côté Kiev et Occident]. Rien n'est dit, par exemple, au sujet d'un abandon officiel par Kiev de sa campagne soi-disant "antiterroriste" dans l'Est, et il n'est pas plus suggéré que les unités militaires soient retirées vers leurs lieux de cantonnement habituel. Ceci serait pourtant parfaitement logique, vu l'échec évident des opérations et l'état de décrépitude de l'armée.

    En somme, Moscou a signé un accord proposant au soulèvement de capituler en échange d'une vague promesse de processus constitutionnel "ouvert" et "inclusif", et n'a même pas proposé des pourparlers directs avec les insurgés ! Naturellement, les représentants ukrainiens n'ont été appelés à donner aucun engagement clair sur la manière dont ces réformes seraient engagées.

    Les diplomates russes étaient tellement pressés de signer l'accord de Genève avec Kiev qu'ils ne se sont même pas embarrassés de demander le retrait de la scandaleuse interdiction d'entrer en Ukraine pour les citoyens russes de sexe masculin, en dépit du fait que cette interdiction contredise toutes les normes internationales et cause une violation flagrante des droits humains, ce que les négociateurs russes auraient dû pointer du doigt en présence des représentants occidentaux.

    5350-05-donetsk1Les autorités de Kiev n'ont pas perdu de temps pour profiter des opportunités qui leur étaient données. Le Premier ministre Arseni Iatseniouk a commencé à déverser les menaces sur les rebelles de Donetsk et Luhansk, exigeant leur reddition immédiate et se référant à l'accord de Genève, dans le cadre duquel la Russie aurait été "forcée à condamner l'extrémisme".

    L'arrestation de Constantin Doglov, l'un des leaders de la coalition de centre-gauche Unité populaire à Kharkov, les attaques du Secteur Droit sur les checkpoints de la République de Donetsk et les actes de répression contre les activistes qui ont immédiatement suivi la signature de l'accord confirment que Kiev n'a jamais eu à l'esprit le moindre dialogue démocratique ni le moindre règlement pacifique du conflit. Quand bien même le gouvernement de Turchinov et Iatseniouk aurait été prêt à faire des concessions, il en aurait été empêché par les nationalistes radicaux, sans le soutien desquels il ne peut pas rester en place.

    De leur côté, les dirigeants de la République de Donetsk ont déclaré qu'ils étaient heureux de voir l'expression, dans l'accord de Genève, d'un "changement de position des pays de l'Ouest vis-à-vis des évènements" ; mais que leurs représentants n'ayant pas été invités à la rencontre et n'ayant pas signé le document, ils ne se considéraient pas liés par celui-ci : "Nous sommes forcés de constater que notre avertissement concernant l'absence de valeur et l'absurdité politique d'un dialogue 'pan-ukrainien' excluant la participation des représentants de l'Est du pays et de la République populaire de Donetsk s'est avéré totalement justifié. Ignorer la volonté populaire du Donbass a eu un triste mais prévisible résultat : le résultat des discussions ne peut être qualifié autrement que d'ensemble d'appels vains et incohérents, impossibles à réaliser en pratique, dictés par quelques obscurs personnages à une population jamais nommée et devant être mis en œuvre sur une période indéterminée et par des moyens inconnus. Ces appels ne sont le reflet ni de la réalité politique actuelle ni de la nouvelle situation institutionnelle qui Pro-Russian-activists-out-008a émergé depuis la proclamation de la République populaire souveraine de Donetsk, sur le territoire de laquelle n'opèrent aucunes forces institutionnelles".

    L'accord de Genève ne sera jamais appliqué. Comment qui que ce soit pourrait-il forcer des gens à accepter un tel accord, lorsque ces gens ont tout juste commencé à prendre conscience de leur force ? Lorsque des chars d'assaut prennent leurs jambes à leur cou et s'enfuient ? Lorsque des colonnes militaires sont arrêtées par de simples sifflets et insultes ? Ces gens ne vont pas abandonner leurs positions simplement parce que des messieurs importants à Genève, sans demander l'avis de personne sur le terrain, ont pris sur eux de décider du sort des autres.

    Pour quiconque ayant eu, à Donetsk ou Luhansk ou Odessa ou Kharkov (ou même Kiev), quelques espoirs que la Russie de Poutine résolve tous les problèmes par son intervention, les récents évènements auront été une amère déception. Mais cette déception ne peut en réalité que profiter au mouvement. La révolution ne doit pas seulement compter sur ses propres forces : elle a DÉJÀ suffisamment de force pour être couronnée de succès. C'est particulièrement vrai du fait que sans considération aucune pour la position du Kremlin, la sympathie de la société russe reste du côté du peuple insurgé de ce pays frère.

    La Russie étant elle-même concernée, les couches dirigeantes risquent de rester coincées dans l'ornière qu'elles ont patiemment creusée elles-mêmes. En capitulant sur la question ukrainienne, elles retourneraient contre elles-mêmes les sentiments patriotiques qu'elles ont attisés de toutes les manières possibles tout au long des derniers mois.

    Aucun fait, bien sûr, ne convaincra jamais les personnes qui considèrent Poutine comme un chevalier sans peur et sans reproche ou, à l'opposé, comme un affreux méchant de conte de fées. Mais ces personnes, bien que spammant 70% de l'internet avec leurs divagations, sont tout sauf une majorité...

    donetsk-protest-reu-1200

    Source et article complet : http://links.org.au/node/3838

    Cet article et la situation en Ukraine dont il traite appellent de notre part les réflexions générales suivantes :

    - Nous sommes revenus au début du 20e siècle ce qui signifie qu'en dehors de quelques cas de Guerres populaires (Asie du Sud, Philippines, ce qu'il en reste au Pérou ou en Turquie) et de luttes de libération relativement oubliées (Delta du Niger), tout évènement conflictuel dans le monde a principalement un aspect inter-impérialiste : si le conflit n'est pas piloté dès le départ par l'affrontement entre puissances et/ou 'blocs' impérialistes (comme c'est le cas en Ukraine), il le devient au bout de quelques semaines ou mois (Libye, Syrie) dès lors qu'une solution de "tout changer pour que rien ne change" (Tunisie, Égypte) n'a pas été trouvée par l'oligarchie locale et la "communauté internationale" impérialiste.

    - Les évènements potentiellement intéressants pour nous communistes sont forcément secondaires ; forcément à rechercher AU-DESSOUS de cet aspect principal ; et généralement de nature ambivalente et contradictoire. Si nous nous arrêtons à l'aspect inter-impérialiste et inter-réactionnaire principal, nous ne pouvons pas les voir ; exactement comme quelqu'un qui se serait arrêté à l'affrontement entre l'Allemagne du Kaiser (avec ses alliés austro-hongrois et turcs) et les impérialistes franco-britanniques avec leur allié russe, pendant la Première Guerre mondiale, n'aurait pas pu voir la naissance de la Guerre de Libération irlandaise ou de la Guerre de Libération arabe (au Machrek) qui se poursuivent encore au jour où nous écrivons, ni même de la Révolution bolchévique ("coup" des Allemands selon la propagande de la bourgeoisie russe et des Alliés). Nous sommes comme face à un lac gelé dont il faut briser la glace pour aller voir sous la surface.

    - Nous devons savoir évaluer les résultats concrets d'une action concrète en dépit des intentions et motivations idéologiques premières de leurs initiateurs, étant donné le flou artistique idéologique dans lequel le grand reflux du mouvement communiste international (1975-2000) a plongé les choses. Ceci est typiquement le cas dans l'Est et le Sud de l'Ukraine mais peut aussi s'appliquer aux "Bonnets rouges" (mouvement des ouvriers et des paysans bretons de l'automne 2013) ou aux Forconi du Mezzogiorno italien, ou encore à la victoire psychologique du Hezbollah libanais sur l'entité sioniste en août 2006 (immense victoire pour tout le Peuple arabe du Machrek). Comme l'explique magistralement le Comité Anti-Impérialiste dans un excellent texte, rappelant ni plus ni moins que les fondamentaux du marxisme, "dans une situation d’oppression, les idées qu’ont en tête ceux qui résistent ne constituent pas la question principale : ce qui compte c’est ce qu’ils font. Tel est le point de vue du matérialisme historique comme l’a magnifiquement montré Engels dans La guerre des paysans en Allemagne".

    - Nous ne devons pas pour autant oublier les intentions et revendications légitimes premières sous prétexte que le résultat concret d'un mouvement est négatif : ceci s'applique à la Syrie mais peut aussi s'appliquer au mouvement EuroMaïdan de l'hiver dernier en Ukraine, ou ici en Hexagone aux mouvements populaires (colonisés intérieurs) de rejet de l'idéologie républicarde dominante et de ses "religions" ("laïcité", "Lumières", Droits de l'Homme BLANC, soutien indéfectible au sionisme en manipulant honteusement la mémoire de la Shoah) quand bien même ils déboucheraient sur des positions politiques réactionnaires comme le dieudonnisme ou le salafisme antisémite assassin d'un Mohamed Merah.

    - Nous ne devons pas ignorer les résultats positifs mineurs d'évènements concrets sous prétexte que les résultats négatifs prédominent : cette prédominance est certes une réalité à court terme, mais les aspects positifs aujourd'hui mineurs peuvent être les "graines" de développements ultérieurs très positifs à moyen et long terme. Nous ne devons pas oublier que les classes dominantes (bourgeoisies impérialistes, oligarchies expansionnistes régionales et bureaucrates-compradores locaux) "font" peut-être l'histoire dans l'immédiat, mais que les masses font l'histoire sur la longue durée.

    - Nous devons (ré)apprendre à analyser les évènements mondiaux dans TOUTE LEUR COMPLEXITÉ. Nous devons rejeter les dogmatiques et les révisionnistes qui veulent, vers tous les Orients compliqués de la planète, "voler avec des idées simples". Nous devons nous débarrasser des vieilles habitudes de la Guerre froide ce qui signifie ne pas se faire les thuriféraires aveugles des impérialismes russe et chinois, des "BRICS", de l'expansionnisme iranien ou de l'ALBA cubano-vénézuélienne dans lesquels certains cherchent à voir désespérément le bloc pseudo-"socialiste" soviétique dont ils sont orphelins, mais aussi ne pas "clôturer" les dossiers internationaux d'un revers d'un main sur un simple "c'est un affrontement inter-impérialiste entre factions locales bureaucratiques-compradores fascistes", comme c'était "tout simplement" hier "l'impérialisme occidental contre le social-impérialisme de Moscou" : ce maoïsme-là est précisément un maoïsme qui n'est pas sorti des réflexes de la Guerre froide (typiquement le maoïsme péruvien "pensée Gonzalo" de ce qu'il reste du PCP, et ses partisans internationaux). Les masses en mouvement sont le facteur historique déterminant en dernière instance et la révolution prolétarienne mondiale est inéluctable, quand bien même sembleraient prédominer pour le moment les manœuvres des impérialistes, des expansionnistes régionaux et des clans oligarchiques concurrents : JAMAIS ceux-ci ne pourront contrôler éternellement TOUTES les mobilisations de masse qu'ils auront suscitées. Dans la "matière brute" des forces révolutionnaires mondiales de demain se trouvent actuellement des partisans de la "République de Donetsk", de Nicolas Maduro au Venezuela ou du président déchu Zelaya au Honduras autant que des partisans déçus d'EuroMaïdan à Kiev ou de la révolte populaire initiale en Syrie. En dehors des quelques Guerres populaires sous la conduite d'un Parti communiste maoïste comme en Inde, nous sommes à l'heure de la crise générale du capitalisme, de ses conséquences socialement destructrices et parfois guerrières-meurtrières pour les masses et des RÉSISTANCES à cela, des "radicalités" populaires et des "utopies pirates" bourrées d'ambivalences comme cette République du Donbass qui fait tant penser au Fiume de D'Annunzio en 1919 ; "radicalités" mathématiquement porteuses d'autant de fascisme que de réformisme démocratique bourgeois... ou de conscience révolutionnaire ; tout dépendant du rôle que pourront et sauront jouer les forces révolutionnaires marxistes avancées dans l'affaire.  

    C'est cela, être des matérialistes dialectiques. Libre à qui le souhaite de nous traiter d'opportunistes... et BONNE CHANCE pour faire la révolution du haut de leur groupuscule "gardien du Temple" de la "Vérité révolutionnaire", qui sera sans doute (n'en doutons point !) rallié spontanément et in extremis par des masses qu'ils auront couvertes d'injures jusque-là !

     


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