• Brèves considérations - Pour une approche matérialiste des oppressions structurelles


    C'est là un point sur lequel il est temps, une fois pour toute, de dire les choses clairement.

    Dans le système capitaliste-impérialiste, au niveau mondial, il n'existe qu'un seul véritable groupe dominant : les détenteurs du Grand Capital qui régissent la production donc les rapports de production et, de là, tous les rapports sociaux. De par les processus historiques d'émergence et d'expansion planétaire du capitalisme (lire par exemple ici sur le cas spécifique de la place des femmes), ainsi que l'héritage des modes de production antérieurs, ce sont en immense majorité des hommes hétérosexuels blancs (européens ou euro-descendants) flanqués de quelques minorités-"quotas" de femmes (comme Laurence Parisot), d'hommes homosexuels (comme Pierre Bergé) ou de non-Blancs (comme Lakshmi Mittal) – ces derniers alimentés depuis quelques années par les phénomènes d'"économies émergentes".

    À ces détenteurs du Grand Capital, il est possible d'adjoindre et d'assimiler leurs agents politiques (les "politiciens", les "gouvernants", et leurs "forces de coercition" de manière générale) ; lesquels, lorsqu'ils ont réellement un rôle décisionnaire dans la "communauté internationale" (et ne sont pas des sbires néocoloniaux), ont globalement la même sociologie.

    AUCUN ENNEMI N'EST AU-DESSUS DE (ni ne peut être substitué à) CELUI-CI.

    Au-dessous de cela, tou-te-s sont des exploité-e-s/dominé-e-s/opprimé-e-s ; mais des dominé-e-s hiérarchisé-e-s par le groupe "alpha" dominant. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas, contrairement à une certaine vision marxiste "orthodoxe" ou plutôt "primaire", d'une division horizontale où nous serions tou-te-s au même niveau, mais "divisé-e-s pour mieux régner" selon des lignes (race, nationalité, sexe, genre, métier, capacités physiques ou intellectuelles etc.) qui seraient "factices" [lire à ce sujet ce très intéressant article consacré à l'auteur marxiste jamaïcain Stuart Hall, publié sur le site Contretemps, ou encore ici sur le blog d'une "vieille connaissance" ;-) (on passera sur l'hostilité à notre sens injustifiée envers le PIR), en particulier cet extrait] ; mais bien d'une division "verticale", "stratifiée", d'un empilement complexe (les "critères" de division étant nombreux) et même parfois à double tranchant (que penser par exemple du prolétaire racisé qui se montrerait sexiste envers une femme un-peu-moins-prolétaire blanche, et de celle-ci qui lui répondrait par le racisme et le mépris "de classe" ?) où celui ou celle qui est "au-dessus" bénéficie d'un réel "petit privilège", et exerce finalement une réelle "petite domination" sur celui ou celle qui est "au-dessous" : les hommes sur les femmes, les Blanc-he-s sur les racisé-e-s, les ressortissant-e-s (de tout sexe/genre et même racisé-e-s, c'est-à-dire originaires du "Sud global", bien que de façon "défavorisée") des pays impérialistes sur ceux/celles des pays dominés dont ils perçoivent tou-te-s des "miettes de surprofit" de la surexploitation ; liste – précisons-le bien – absolument non-exhaustive ; et ceci en laissant encore de côté le cas très spécifique des "petites hiérarchies" professionnelles, clairement et fortement perçues car directement liées au procès de production et s'exerçant là où tout le monde "perd sa vie à la gagner" (sur le lieu de travail).

    Mais si cette "petite domination" que celui/celle "au-dessus" exerce sur celui/celle "au-dessous" se traduit (ce qui permet de l'entretenir !) par des bénéfices concrets qui peuvent être observés très simplement – statistiquement – par les pourcentages de chaque catégorie (hommes ou femmes, Blancs ou racisés etc.) à mesure que l'on "monte" dans l'échelle des positions sociales et des revenus directs ou indirects correspondants (que l'on "monte" vers le "soleil" du groupe archi-dominant grand-capitaliste, en quelque sorte) ; sans parler des violences institutionnelles comme sociales visant à "rappeler" en permanence à chacun-e "quelle est sa place" ; elle fait aussi partie, elle permet, elle est un instrument de la "grande" que le seul et unique groupe pleinement dominant (défini plus haut) exerce sur lui/elle comme sur tou-te-s les autres.

    L'idée (du Grand Capital) en définitive – et la réalité dans les faits ! – c'est que l'immense majorité soit le/la "petit-e dominant-e" de quelqu'un d'autre (à partir de quoi il faut alors distinguer ce qui relève d'une oppression individuelle et ponctuelle ou bel et bien d'une oppression sociale/collective et structurelle, cf. notre addendum plus bas), et de là, "ne sache être libre" et "forge ses propres chaînes"...

    Voilà, selon nous, la véritable approche matérialiste que l'on peut avoir de ce problème des oppressions structurelles. Après, penser la problématique – et les moyens d'en sortir – est extrêmement complexe ; des concepts comme l'intersectionnalité, la triple oppression (classe-race-genre) ou encore l'idée qu'il y aurait parallèlement au mode de production capitaliste (où le bourgeois exploite le travailleur) un mode de production "domestique-patriarcal" où l'homme exploite la femme et les enfants (Christine Delphy), sont sans doute encore très insuffisants et peuvent conduire à des contradictions ; mais ce bout-là, si on le tient, semble le bon.

    Pour sortir de cet enchevêtrement de chaînes (ainsi que nous l'avons défini), nous serions tentés de dire qu'il y a deux formules. La première consisterait en une généralisation de ce que prônait Frantz Fanon dans le cas très spécifique du colonialisme : l'opprimé tue le "petit oppresseur", et ne restent en présence "qu'un-e homme/femme mort-e et un-e homme/femme libre" – mais il faut bien souligner ici la spécificité extrême du cas colonial, où la domination du petit colon (agent direct et généralement conscient/volontaire du pillage impérialiste d'un pays) sur le colonisé n'est pas si "petite" que cela et où l'affronter et le "dégager" ne signifie pas la désintégration ("guerre de tou-te-s contre tou-te-s") de la société en question, "sur" laquelle lui et ses semblables ne sont finalement que "greffés" en "parasites" (cf. l'addendum plus bas sur la spécificité du colonialisme et du racisme comme exclusion du colonisé/racisé de l'espèce humaine, ce face à quoi Fanon a en quelque sorte conceptualisé la violence comme "instrument de ré-humanisation").

    La seconde formule, elle, serait que face à la résistance-lutte-affirmation de celui/celle que dans sa position donnée il/elle opprime, le/la "petit-e dominant-e" se dépouille par la conscience politique de ladite position dominante et par là-même de ses propres chaînes ; et tourne à son tour ses forces vers le seul vrai groupe dominant qui régit tout cela : resteraient alors deux êtres libres – final beaucoup plus beau, c’est clair, mais aussi (hélas) beaucoup plus compliqué à atteindre. Ce n'est pas impossible : nul certes (nous rappelleront les gardiens du temple) n'abandonne de sa propre volonté une position sociale dominante et privilégiée ; mais nous parlons ici de privilèges-CHAÎNES[1], bien plus minces parfois (dans les classes populaires notamment) que la chaîne qui les accompagne, et qu'il peut donc y avoir un intérêt bien plus grand – à long terme à faire sauter que ce que l'on perd à court terme. Pour autant, cela reste un privilège bien concret (et non, comme nous l'avons dit, une "division" sur des critères purement "factices") et cela n'est pas simple ; et dans tous les cas impossible sans lutte de l'opprimé-e (lutte de préférence autonome et auto-organisée, pour ne pas qu'une organisation "on est tou-te-s ensemble" reproduise même inconsciemment les rapports de domination)[2], face à laquelle la "crispation" du "petit dominant" sur son privilège risque dans un premier temps d'être la réaction majoritaire.

    Pour prendre un exemple : avoir une véritable conscience politique révolutionnaire, lorsque l'on est "blanc", implique nécessairement d'avoir "honte" de l'être – "blanc" signifiant ici bénéficiaire du produit de la surexploitation du "Sud global" et comme nous l'avons dit, de par la façon dont le système capitaliste s'est historiquement construit, sur-représenté dans les "moins mauvais boulots", la "moindre exploitation" au sein même des métropoles capitalistes-impérialistes. Mais accéder à un niveau encore supérieur de conscience révolutionnaire conduit à pousser la réflexion politique encore plus loin et à se demander "qu'est-ce qu'être blanc ?" – à politiser la "honte d'être blanc", si l'on veut... Et à réaliser, dès lors, que si être blanc signifie (comme phénomène majoritaire) être moins exploité et opprimé, c'est aussi être aliéné de la pire manière qui soit : en croyant naïvement "être comme", avoir une "communauté d'intérêts" avec ceux qui nous exploitent ! En gros, le "Noir"/non-Blanc existe parce qu'existe le "Blanc" ; construit à travers les siècles comme armée de producteurs dociles, de soldats et de "petits agents" de la domination au plan mondial, et comme (finalement) "glacis stratégique" de protection du Pouvoir [3].

    Dans l’État français, être blanc va de pair avec être FRANÇAIS, autrement dit un "bon et vertueux citoyen de la République" (même les racisé-e-s peuvent un peu se "blanchir" de cette manière). Et nous savons que même à partir du moment où fut proclamée la "Nation" et ses "Droits de l'Homme et du Citoyen (BLANC...)" en 1789, ce sentiment "français" ne s'est jamais imposé en masse (dans ce que nous pourrions bien appeler la "partie européenne de l'Empire parisien") de manière totalement spontanée et pacifique... et pour cause, puisque être "français" c'est être un bon petit soldat de la production capitaliste hexagonale et les "valeurs de la France/République", ce sont celles de la bourgeoisie qui nous exploite ! Nous avons l'habitude d'illustrer par cette carte des révoltes populaires au 19e siècle ce que pouvait valoir, à cette époque, l'adhésion populaire au "concept France" ; tant dans le Paris ouvrier des grands soulèvements révolutionnaires (1830, 1848, Commune) que dans les "provinces" amassées au fil de 6 siècles de conquêtes et de poursuite des "frontières naturelles".

    Dès lors, en prenant conscience d'être non pas un "Français" mais un PROLÉTAIRE ou mieux encore, un prolétaire de sa nationalité réelle (occitane, bretonne, lorraine, corse, ch'ti, basque etc. etc. sans parler des "origines" européennes diverses ; pour ceux du Bassin parisien il faudrait trouver un autre nom que "français" mais bon, de toute façon, être prolétaire là-bas c'est généralement avoir une bonne part d'origines extérieures) ; en se souvenant de ce que nos aïeux ont pu endurer comme vexations et discriminations (que ce soit chez eux dans leur "province" à franciser ou en tant qu'immigrés étrangers comme "intérieurs"), entre deux massacres aux tranchées des guerres bourgeoises ou envois "jouer au patron chez les Noirs" sous un casque de la Coloniale (pour s'y sentir "enfin" un "être supérieur" et "devenir un patriote au lieu de rester un emmerdeur"...), avant d'accéder à ce "Graal" ; bref en refusant de se considérer "Français" comme cela nous est pourtant enseigné et imposé depuis la petite enfance ; l'on se dépouille d'une certaine manière de sa condition de "Blanc" – et le système instituant ladite condition vous le fait d'ailleurs savoir, d'abord par le crachat et la ridiculisation, puis s'il le faut par la répression.

    Bien sûr, cela ne fait pas disparaître matériellement le privilège "comme par magie" du jour au lendemain – aussi longtemps que perdure le système qui l'institue. Mais du moins aura-t-on véritablement (politiquement) pris conscience du problème, et pourra-t-on alors s'engager dans une authentique démarche révolutionnaire pour abattre ledit système et les "petites dominations" sur lesquelles il repose ; non pas seulement, comme nous l'avons vu, par "charité" envers les opprimé-e-s, mais aussi parce que cela nous libère.

    Voilà, en substance, comment l'on pourrait se rapprocher de ce qu'une désormais largement connue militante racisée (connue, hélas, plus pour les polémiques totalement injustifiées qu'elle soulève que pour le fond - souvent très juste - de son propos) a choisi d'appeler dans son dernier ouvrage "l'amour révolutionnaire"...

    Et l'erreur dans tout cela (puisque dans toute approche d'une question, il existe une voie erronée) ? Eh bien ce serait, dirions-nous, de perdre de vue le seul véritable groupe archi-dominant en le diluant, le "noyant" dans un vaste groupe défini comme "dominant" de manière monolithique et irréductible : par exemple "les Blancs" comme bloc monolithique opposé aux "non-Blancs" racisés/impérialisés (précisions ici, de constat fait, que les thèses "décoloniales" lorsque l'on prend le temps de vraiment les lire sont rarement aussi caricaturales), alors que "les Blancs" (consistant, en vérité, en des populations "blanchies" par couches successives) ont aussi leurs hiérarchies établies par le système, tout comme les racisés/impérialisés d'ailleurs (il suffit de penser, au hasard, à un pays comme l'Inde), servant là aussi d'instrument à leur propre domination. Ou encore "les Hommes" ("salauds irréductibles") vs "les Femmes" (ou "les Hommes" hétéro-normés vs "les Femmes" + les homosexuel-le-s, trans- et intergenres etc. etc.), là aussi comme blocs monolithiques. Ou bien encore (cela nous vient à l'esprit car on nous a beaucoup parlé des "maoïstes tiers-mondistes" ces temps-ci) un "Premier Monde" dans lequel personne ne pourrait être considéré comme exploité et opprimé (mais où la plupart des tenants de ces idées vivent pourtant, et encore dans des positions sociales pas vraiment prolétariennes avec ça), opposé à un Tiers Monde impérialisé qui serait exclusivement le "prolétariat mondial".

    C'est là une approche anti-matérialiste, idéaliste – et nous, notre truc, c'est le matérialisme... Lorsque ceci est porté par des personnes du groupe défini comme opprimé, c'est sectaire, stérile et anti-constructif (l'on pourra nous traiter de "dominants apeurés" que cela n'y changera rien : ceci n'est pas une opinion, c'est une réalité qui sera toujours à terme démontrée par les faits). Et lorsque les personnes qui raisonnent ainsi appartiennent elles-mêmes au groupe dit dominant, ce que l'on observe généralement est vis-à-vis d'elles-mêmes une sorte de savant mélange d'autoflagellation (qui n'est pas synonyme d'une prise de conscience politique et d'une démarche de rupture) et d'attitude de "chevalier blanc" (sans mauvais jeu de mot), et vis-à-vis du groupe opprimé une vision de "bon sauvage" collectif, pur et exclusivement victime, exempt de tout vice et de toute "mauvaiseté"... Erreur fatale ! Une telle vision idéaliste et anti-matérialiste est vouée tôt ou tard à se fracasser contre le mur de la réalité ; à savoir que (comme nous l'avons dit et redit) dans 99% des cas les opprimé-e-s portent aussi en eux/elles des oppresseur-euse-s, que les salaud-ope-s et les connard-asse-s (autre nom, finalement, de la volonté d'être dominant lorsqu'on ne l'est pas) sont partout, bref que tant que le capitalisme existe tout le monde est imprégné de ses réflexes et de sa mentalité [les marxistes "de classe" sont déjà habitués depuis longtemps à cela, à ce que tout ce qui sort de la bouche des prolétaires ne soit pas "parole d'évangile" (sans quoi il y aurait eu la révolution mondiale depuis longtemps !) et à ce qu'au contraire des "petits-bourgeois" puissent avoir raison et faire avancer la juste compréhension communiste du monde] ; et ceci les conduira inéluctablement à des désillusions tragiques, ou bien à des retournements de vestes spectaculaires (un "père" du néoconservatisme ne s'amusait-il pas à dire qu'"un néoconservateur, c'est un progressiste idéalisant les pauvres et les minorités qui s'est fait agresser et piquer son portefeuille" ?)... Ou alors, cela voudrait dire qu'ils/elles n'en ont rien à foutre des oppressions et des saloperies lorsqu'elles sont perpétrées par leurs opprimé-e-s "bons sauvages" chéri-e-s ; ce qui est tout de même un peu grave (non ?).

    En vérité, toute cette idéologie (qualifiée, peut-être par raccourci, de "postmoderne") des "identités" et des "oppressions", de la "parole située des premier.e.s concerné.e.s" et du "safe" (le but de la lutte serait que chaque individu se sente "safe", dans une petite "bulle de confort" dans son existence sociale...), ne revient en dernière analyse qu'à une version radicale d'un antiracisme, antisexisme, anti-tout-ce-qu'on-voudra MORAL ; une espèce d'aile radicale de l'idéologie démocratique libérale-libertaire bourgeoise, qui fait la chasse à des comportements et des discours individuels au lieu de questionner et combattre des rapports de POUVOIR et les bases matérielles de ceux-ci.

    Et face à cela, bien sûr – mais est-il nécessaire d'en parler tant ils/elles sont bien connu-e-s – il y a les sempiternels scrogneugneus et leurs mugissements ("font chier ces féministes", "font chier ces 'communautaristes' 'racialistes' 'racistes anti-blancs' go home !", "les rassemblements non-mixtes, non mais c'est quoi c't'apartheid ?"...) ; tout aussi anti-matérialistes car une question qui se pose est une question à laquelle il doit être répondu, et que l'existence de réponses erronées/"gauchistes" (ou même réactionnaires) n'invalide pas. Mais bon, que voulez-vous, ils/elles défendent leur gamelle... Les oppressions dont nous parlons sont OBJECTIVES, basées sur et démontrées par des données objectives concrètes ; et leur négation au nom de quelque "universalisme" que ce soit n'est en dernière analyse qu'une défense du système qui les sous-tend.

    Il faut rejeter catégoriquement ces visions idéalistes, et leur opposer une approche matérialiste des oppressions et de leur abolition. Il n'y a pas de tels "blocs" monolithiques qui "effaceraient"/"noieraient" le groupe dominant véritable (et structurant le tout) des détenteurs du Capital ; et une base fondamentale du marxisme est le refus de tout concept de "bon sauvage" (fut-il appliqué au prolétariat lui-même !).

    Nous avons l'habitude d'opposer à cette vision binaire de "blocs" une vision en cercles concentriques (autour du "Centre" grand-capitaliste) où chaque "cercle" est subordonné à ceux qui sont plus "centraux" (plus proches du "Centre"), qui se font généralement les "petits soldats" de son oppression, mais "privilégié" par rapport à (et participant à la domination de) ceux qui sont plus "éloignés"/"périphériques" – mais même cela est encore sans doute très schématique pour décrire l'enchevêtrement des "petites dominations" en société capitaliste.

    L'approche matérialiste des oppressions structurelles spécifiques et la reconnaissance de la nécessité de l'autonomie dans les luttes contre elles ont en fait vocation, malgré les apparences trompeuses, à servir L’UNITÉ révolutionnaire du peuple. C'est, concrètement, ne pas fabriquer des "oublié-e-s" qui se détourneront de la lutte révolutionnaire. C'est ne pas prétendre faire la révolution sans 30% des classes populaires travailleuses (les racisé-e-s, on parle ici de l’État français où nous luttons, au niveau mondial ce sont 90% !), ou carrément 55% (les femmes et autres opprimé-e-s par le patriarcat), ou pourrait-on dire encore, les 3/4 si l'on reste dans une démarche parisianiste-métropoliste de campus qui ignore ou méprise "l'Hexagone d'en bas", attitude dont une expression caractéristique est notamment la négation de la pluralité et des oppressions nationales au sein de l’État bourgeois français.

    Mais si l'on commence à entrer au service de la division, de la guerre "de tou-te-s contre tou-te-s" au lieu de combattre uni-e-s la seule vraie caste dominante (centre du pouvoir économique réel), on entre dans le dévoiement de ce principe bénéfique et nécessaire. Et l'on ne sert plus le peuple...

    L'ouvriérisme, le discours de pureté sociologique ouvrière (identity politics de classe, quelque part, et première identity politics de l'histoire !), généralement associé au positionnement "réac de gauche" sur les oppressions spécifiques que nous avons vu plus haut (encore que quelques éléments commencent à en "agrémenter" leur discours postmo-idpol des "identités opprimées"), est traditionnellement au service de l'aristocratie du travail et des bureaucraties (permanent-e-s, etc.) syndicales ou partidaires.

    Et le discours postmoderne de race ou de genre est, pareillement, au service de l'installation d'une centralité petite-bourgeoise (racisée ou "patriarcalisée") sur le front de ces lutte – la question ici n'étant pas qui l'on est (vous pouvez ranger vos brevets de "galérien-ne-s", ils sont hors-sujet), mais qui l'on SERT... c'est-à-dire, en fait, la véritable définition d'une identité politique (non pas "qui l'on est" d'un point de vue sociologique, mais qui l'on sert comme forces sociales !).

    Pour employer le jargon marxiste/maoïste : la seule contradiction antagonique jusqu'au bout est celle qui nous oppose au "Centre" grand-capitaliste et impérialiste de toutes les oppressions ; les autres sont finalement des contradictions au sein du peuple (mondial) qui devront être résolues avec des degrés d'antagonisme divers selon les circonstances, les endroits, les moments et (disons-le) les individus – des efforts importants pour ne pas dire considérables seront nécessaires, mais derrière la perte d'un maigre "privilège" se cache tout un avenir libéré, émancipé et de bien-être général ; et il faut toujours considérer (point de vue matérialiste !) que la transformation des individus, tous ou presque (on l'a dit cent fois) engagés dans un (des) rapport(s) de "petite oppression" vis-à-vis d'autres, à travers la lutte (qui se déploie des "périphéries" sociales vers les Centres du Pouvoir), la critique et l'autocritique, doit primer sur leur "destruction" (ce qui serait la logique d'un rapport avec un ennemi définitif et irréductible, or nous l'avons dit, un seul groupe est dans ce cas). Il ne s'agit pas, en disant cela, de se "protéger" en tant que "dominant" (mâle, blanc etc.) mais bel et bien d'indiquer la voie de la victoire révolutionnaire et libératrice pour tou-te-s, toute autre voie ne conduisant qu'à une impasse.

    Ce que nous avons dit là (comme toujours) ne plaira sans doute pas à tout le monde, mais il était définitivement temps d'exprimer une position claire et nette là-dessus.


    [1] Ce "petit privilège" peut en dernière analyse être vu comme un... "salaire", une "rémunération" de la position dominante (relative) dans l'ordre social : on est en quelque sorte "payé" pour être raciste ou xénophobe, sexiste, homophobe ou d'autres choses encore, et l'on défend ce "bifteck" perçu comme menacé par une éventuelle égalité réelle de l'infériorisé-e (souvent comprise comme un "nivellement par le bas", être "comme lui/elle" donc "abaissé" et non que lui/elle soit "comme nous", ou dans un registre différent mais voisin, qu'il/elle finisse par nous "dominer"...). Ceci n'est donc finalement pas très différent du travailleur rémunéré qui reçoit un salaire (plus ou moins élevé en fonction de ses responsabilités, qualifications, ancienneté etc.) pour faire "tourner" la machine capitaliste... Et donc pas plus de "l'intérêt" du "petit dominant" (qui serait ainsi "irrémédiablement" raciste ou sexiste ou autre), à long terme, que le capitalisme n'est dans "l'intérêt" du travailleur qui serait ainsi "irrémédiablement" son fidèle serviteur "qui se lève tôt" et ne songerait pas une seconde à le renverser ! Il est très important d'insister là-dessus car si l'on commence à considérer le racisme et le sexisme comme "irrémédiables", "dans les gènes" des Blancs ou des hommes cishétéros (de classe populaire, s'entend), à l'arrivée, sur quelle base les critique-t-on ? Reprocherait-on à un lion de manger une gazelle ? Il faut absolument marteler que ces "petits privilèges" ne sont pas des "intérêts" à long terme, seulement à courte vue, et que le seul véritable intérêt de tous et toutes au bout du compte est la libération de l'humanité des griffes du capitalisme (mais il est certes vrai, que l'intérêt à court terme et courte vue masque l'intérêt à long terme et que le travail politique révolutionnaire pour venir à bout de cela peut être de très longue haleine...).


    [2] Puisque nous avons parlé ici de la problématique des rapports hommes-femmes, ainsi que du mouvement dit "décolonial" qui organise déjà les colonisé-e-s intérieur-e-s sans Blancs ou presque, nous nous aventurerons peut-être jusqu'à proposer pour le mouvement révolutionnaire une organisation séparée et autonome des femmes, du moins celles qui le souhaitent (dans le milieu politisé de gauche radicale, ce sera sans doute une majorité). Point à la ligne ! Plus de cohabitation étouffante dans des organisations qui demeurent encore aujourd'hui en grande majorité masculine, plus de problèmes (qui sont à chaque fois des "bombes nucléaires" pour les organisations concernées et pour le mouvement en général)... "Solution de facilité", plutôt que de demander aux mecs de se transformer et de changer leurs attitudes ? Peut-être. Sans doute, même. Mais parfois, lorsque l'on affronte déjà des titans au quotidien (Capital, État, montée du fascisme etc.), il faut savoir faire le choix de la facilité. Les affaires de sexisme sont à chaque fois des chocs dévastateurs pour le mouvement dans son ensemble, sachant que ceci est alimenté par la propagande réactionnaire qui adore montrer que les "gauchistes", "derrière leurs grands discours", sont "tous des Bertrand Cantat en puissance". Et attendre que les hommes se transforment de fond en comble, dans tout ce qu'ils ont appris à être, pour que les choses fonctionnent, c'est prendre le risque d'attendre trop longtemps. Après tout, ce ne serait là que la transposition au niveau politique du principe de non-cohabitation déjà proposé par certains courants féministes dans les relations inter-personnelles (sentimentales notamment). De telles organisations existent d'ailleurs déjà, mais la plupart ont vu le jour dans le conflit et la polémique faute d'avoir traité les problèmes en amont. Ne vaudrait-il pas mieux prévenir que guérir ?


    [3]  À ce sujet, quelques citations :

    "Au siècle dernier, la bourgeoisie tient les ouvriers pour des envieux, déréglés par de grossiers appétits, mais elle prend soin d’inclure ces grands brutaux dans notre espèce." - Jean-Paul Sartre, préface des Damnés de la terre.

    "L'histoire de l’Occident se trouve face à un paradoxe. La nette ligne de démarcation entre Blancs d’une part, Noirs et Peaux-rouges d’autre part favorise le développement de rapports d’égalité à l’intérieur de la communauté blanche" - Domenico Losurdo.

    Ou encore, dans la bouche de l'ennemi bourgeois lui-même : "Si vous parvenez à convaincre le plus misérable des Blancs qu’il est supérieur au meilleur des hommes de couleur, il ne remarquera pas que vous lui faites les poches. Du moment que vous lui donnez quelqu’un à regarder de haut, il videra même ses propres poches pour vous." - Lyndon B. Johnson, président des États-Unis (1963-69).

    L'on peut encore citer (c'est déjà en lien dans l'article) l'analyse de Jacques R. Pauwels sur le colonialisme comme "moyen de résoudre les problèmes sociaux" : http://ekladata.com/3sUV27bo1WIPmvktQfF6QywZbMg.png

    De très bonnes analyses à ce sujet se trouvent encore dans l'article des Indigènes de la République "Bat m’a jrana we-sebbah y-guerguer" : en finir avec l’universalisme blanc


    [Addendum] En prolongement de tout ce qui vient d'être dit, la réflexion (comme vous le savez) étant permanente et la conception des choses en perpétuelle évolution, nous aurions finalement tendance à dire que :

    - À la base de tout, autrement dit du mode de production, il y a les classes et leur hiérarchie (autrement nommée "rapports de production"). Aucune analyse marxiste, c'est-à-dire scientifique, ne peut éluder cela.

    - Le genre, la nationalité, la race et d'autres choses encore (la liste pourrait être longue) relèvent de ce que nous pourrions appeler "l'organisation spatiale" du mode de production (nous reviendrons peut-être un autre jour, dans un autre article sur ce concept ; pour le moment c'est le meilleur terme que nous ayons trouvé).

    - EN PRINCIPE, ces "identités sociales" et les hiérarchies qui en découlent ne modifient pas les hiérarchies entre classes... à l'exception notable de la RACE, qui seule "distord" un peu cette hiérarchie, pour des raisons très simples que nous allons voir.

    - Le genre ou encore la nationalité (et d'autres critères encore comme la validité etc.) génèrent, donc, des hiérarchies à l'intérieur des classes sans modifier leur hiérarchie entre elles*. Une bourgeoise est selon l'idéologie patriarcale subordonnée au bourgeois mâle, un bourgeois non-cishétéro est infériorisé et stigmatisé au sein de sa classe. Il en va de même dans le prolétariat et les classes populaires. Mais si un prolétaire mâle peut exercer jusqu'à une très violente oppression sexiste sur une bourgeoise (viol par exemple), ce qui ne peut pas être toléré et doit être fermement condamné par les révolutionnaires (ce n'est pas une forme "acceptable" de "lutte des classes"), il s'agit là d'une oppression individuelle et ponctuelle. D'une manière générale et "quotidienne", c'est bel et bien la bourgeoise qui a le "dernier mot" face au prolétaire mâle. Il n'y a pas de domination collective et structurelle deS prolétaireS mâleS (a fortiori racisés !) sur leS bourgeoiseS (a fortiori blanches !) [quant à la supposée "solidarité de genre" qui unirait les femmes blanches et leurs "sœurs" de couleur, les chiffres de la dernière élection présidentielle aux États-Unis (voyant la victoire du très raciste ET sexiste Donald Trump), par exemple, parlent d'eux-mêmes...].

    De même, un notable basque ou corse est subordonné au Grand Capital français basé et concentré à Paris, dans la "grande pyramide bourgeoise bleu-blanc-rouge" ; mais il n'est en aucun cas "opprimé" par le prolétaire de région parisienne même le plus blanc et "de souche" qui soit. C'est le prolétaire périphérisé de "province" profonde qui est dans une position défavorisée (par le système qui "aspire" et concentre la richesse à Paris - et dans les métropoles, mais en dernière instance à Paris) par rapport à ce dernier.

    - La RACE, en revanche, parvient à générer une distorsion importante des hiérarchies de classe ; pour la bonne et toute simple raison que sa théorisation pseudo-"scientifique" d'autrefois a consisté purement et simplement en un déni d'humanité, une exclusion de l'espèce humaine - même si ces discours ne sont plus aussi francs et ouverts aujourd'hui, suite aux grandes luttes révolutionnaires du 20e siècle, cela a laissé des traces que seule la sortie du capitalisme peut faire disparaître. À partir de là, bien évidemment, si l'on n'est pas considéré comme réellement humain, qu'importe le rang social que l'on peut occuper dans son "autre espèce" ? Un indigène "évolué" restait (et reste encore dans une très large mesure) un indigène "évolué" et ne devenait jamais un Blanc, membre de la "race supérieure civilisatrice" ; ceci étant effectivement la grande différence avec les élites des nationalités périphériques de la "partie européenne de l'Empire parisien", qui ont très vite (une fois écrasés les récalcitrants) pullulé dans les plus hautes sphère de l'appareil politico-militaire et économique ; et ce qui fait la spécificité absolue du COLONIALISME et de la COLONIALITÉ par rapport à la "simple" oppression nationale (qui s'opère entre Blancs... ou entre non-Blancs) [le néocolonialisme, sous la forme d’États "indépendants" mais aussi de "collectivités d'outre-mer", consistant en dernière analyse à laisser l'administration directe des territoires aux "évolués"].

    Les non-Blancs qui "réussissent" en dehors du sport ou de la musique populaire, dans les hautes sphères de l'économie et de la politique, relèvent d'une politique de "quotas" ; et c'est ainsi que lorsqu'une vendeuse de cannes à pêche des Ardennes compare Taubira à un singe, cela peut être considéré comme s'inscrivant dans l'oppression structurelle de race (même si ensuite, peut-être, ceux qui par ailleurs décident et appliquent en toute bonne conscience les politiques racistes et impérialistes vont se servir de l'imbécile-heureuse-d'être-née-quelque-part pour dire que eux non, vous voyez bien, ils ne sont pas racistes...). Bien sûr, les racisé-e-s sont divisé-e-s en classes et appartenir à une classe "supérieure" permet en quelque sorte d'"amortir", de subir une moindre oppression que les prolétaires racisés, mais toujours dans les limites (et pour les raisons historiques) que nous venons de voir.

    - Mais ceci est le seul cas où l'on peut dire que s'opère une telle distorsion de la hiérarchie de classe (lire encore, à ce sujet, l'article d'Houria Bouteldja de novembre 2016). Pour le reste, NON, seules des oppressions individuelles et ponctuelles sont éventuellement - comme nous l'avons dit - possibles.

    Et quitte à ne pas se faire que des ami-e-s (mais nous commençons à en avoir l'habitude), il apparaît de plus en plus nécessaire de se faire "vieux grincheux" et INTRANSIGEANTS sur cette appréhension SCIENTIFIQUE des choses. Car sinon cela n'est plus possible, avec des "identités opprimées" ou au contraire "dominantes" qui sautillent dans tous les sens comme les cartes quand on gagne au Solitaire et finissent par former un "brouillard" qui va masquer (comme on l'a vu précédemment) le seul groupe véritablement dominant et ennemi jusqu'au bout ; ce que les Anglo-Saxons appellent identity politics (concept universitaire réformiste "radical").

    À plus forte raison lorsque ce sont des personnes qui (comme cela est fréquent dans les "milieux militants") ne sont pas vraiment, loin de là (si l'on est sérieux deux minutes), les plus opprimées de notre société** qui vont se chercher et s'inventer ainsi des "identités opprimées" comme des sortes de blancs-seings pour dire ou faire n'importe quoi sans pouvoir être contredites (ou mises hors d'état de nuire le cas échéant), ni avoir à défendre leurs positions par un autre argument que celui-là (plus d'idées justes ni fausses, seulement des "points de vue" dont la situation d'oppression revendiquée fonderait la légitimité) car telle est l'idée de la démarche, ce qui est bien entendu ridicule puisque même être effectivement et fortement opprimé dans la société ne peut jamais permettre de dire que 1+1 font 3 sans être contredit, ou de faire tout et n'importe quoi sans être combattu, sous prétexte que celui d'en face est un "oppresseur"/ "dominant"/"privilégié" (notions que nous avons vues dans la partie précédente de l'article).

    La lutte révolutionnaire pour l'abolition du capitalisme impérialiste et de toutes les oppressions qu'il charrie ne consiste pas en un "concours d'identité opprimée" visant à s'arroger un droit illimité à la parole sans être critiqué et contredit. Les vérités scientifiques, comme celles que nous venons d'exposer par exemple, n'appellent aucune discussion.



    *
    L'on peut citer par exemple, à ce sujet, le géant marxiste et anti-impérialiste péruvien Mariátegui : "Il n'y a rien de surprenant à ce que toutes les femmes ne se rassemblent pas dans un mouvement féministe unique. Le féminisme a forcément différentes couleurs, diverses tendances. Il est possible d'en distinguer essentiellement trois : le féminisme bourgeois, le féminisme petit-bourgeois et le féminisme prolétarien. Chacun de ces féminismes formule ses revendications de manière différente des autres. La femme bourgeoise va solidariser son féminisme avec les intérêts de la classe conservatrice ; tandis que le féminisme de la femme prolétaire est substantiellement indissociable de la foi des multitudes révolutionnaires en la société future. La lutte des classes, qui est un fait historique et non une supposition théorique, se reflète dans le féminisme. Les femmes, tout comme les hommes, peuvent être réactionnaires, centristes ou révolutionnaires. Elle ne peuvent pas, par conséquent, livrer toutes ensemble la même bataille. Dans l'humanité actuelle, la classe différencie plus les individus que leur genre."

    ** "Se déclasser, se mettre au RSA, ouvrir un squat, s’acheter un jogging, se mettre au graffiti et se faire des tatouages ne suffiront donc pas à vous transformer en ce lumpen viril que vous rêvez d’être. Vous n’êtes pas, et vous ne serez jamais, un jeune de banlieue. Ouvrir un squat dans un quartier populaire en voie de gentrification pour y monopoliser l’espace politique en déclarant qu’il s’agit de VOS quartiers (vos parents sont dans l’immobilier ?) n’y changera rien. Jamais." https://mignonchatonblog.wordpress.com/2016/08/29/pour-en-finir-avec-le-mot-racialisateur/


    EN GROS, si l'on veut simplifier les choses à l'extrême (quitte à être simplistes) : la lutte de classe dans l’État français ne s'articule pas, mais PREND LA FORME (lire ici) de LUTTES DE LIBÉRATION DES PEUPLES TRAVAILLEURS (et pas de luttes "nationales", ce qui inclurait les bourgeoisies - pour citer encore une fois Houria Bouteldja : "Pour nous la question raciale est sociale. Ceux qui meurent des violences policières, ce sont des enfants de prolos. Les filles qui sont exclues de l’école parce qu’elles portent le voile, ce sont des filles de prolos. Quand on lutte contre les discriminations raciales, cela veut dire qu’on lutte contre le chômage, la pauvreté, les violences policières. On ne milite pas pour les femmes saoudiennes qui viennent faire leurs courses sur les Champs Élysées !") ; en ayant toujours bien à l'esprit le "gap" qui existe entre les deux formes d'oppression que sont la négation jacobine et la colonialité raciste (afin que les uns n'"empruntent" pas indûment les concepts des autres) ; et DANS CHACUNE de ces luttes, la question du patriarcat est traitée par (idéalement) une forme d'auto-organisation autonome non-mixte des "genrisé-e-s" selon des modalités à définir démocratiquement par les intéressé-e-s elleux-mêmes (ainsi que par des séances de "thérapie collective" mixtes, car l'on parle quand même là de déconstruire des identités genrées pluriséculaires voire millénaires...), sur la base du féminisme révolutionnaire prolétarien (lire aussi ici) ; sans que les autres et à plus forte raison les luttes NON-POPULAIRES (la lutte, en dernière analyse, de la petite bourgeoisie francouillele-concept-francouille francais-selon-nous-pas-les-gens-du-bassin-parisien - laminée par la crise) n'interfèrent dans ce traitement (ou celui de n'importe quelle autre problématique, d'ailleurs...) avec leurs injonctions et autres dictées d'agenda ; en d'autres termes appuient sur ces contradictions ce qui est leur technique n°1 pour diviser à leur profit.

    [En gros et pour faire court quitte à schématiser, dans notre État impérialiste occidental la fRance, il est possible de distinguer les 4 grands groupes sociaux suivants : la grande bourgeoisie dans son "hypermonde" (si l'on peut oser ce néologisme), la classe moyenne blanche "francouille" (qui représente possiblement la majorité des Blanc.he.s...), et puis (c'est là que ça commence à devenir intéressant) les PEUPLES TRAVAILLEURS blancs "autochtones" ou issus de l'immigration européenne (souvent aliénés au "concept fRance", au "sentir-français", et à désaliéner à ce niveau-là pour commencer), et les Peuples racisés (chez qui la race tend fortement à effacer la classe - pour celles et ceux qui ont de l'aisance matérielle, on pourrait appliquer le concept de "bourgeoisie nationale" en quelque sorte) ; CHACUN (de ces groupes) traversé par les hiérarchies et contradictions de genre et devant les traiter EN SON SEIN sans immixtion du féminisme/antisexisme d'un autre groupe, a fortiori placé "au-dessus" dans l'ordre social – c'est-à-dire (en fait) pas une question de temporalité, d'"ordre des priorités" ("lutte de classe/race d'abord", "ces questions attendront" etc.), mais plutôt une question de respect des espaces sociaux.]

    Dès que l'on "touche" à cet édifice, à coups par exemple d'"articulation", d'"intersectionnalité" dévoyée de son sens originel ou autres "post-moderneries" (lire aussi absolument, à ce sujet, ce masterpiece d'Houria Bouteldja : Race, classe et genre ; une nouvelle divinité à trois têtes, ou encore cet extrait de Le PIR veut-il (vraiment) le pouvoir de Louisa Yousfi), TOUT S'EFFONDRE.

    Les luttes sociales ne sont pas "chimiquement pures" ni abstraitement universelles d'un cercle polaire à l'autre ; une telle chose n'existe pas et une telle conception, n'ayant aucune chance d'aboutir, ne peut être mise en avant que par celleux qui dans le fond veulent que rien ne change, et/ou ne luttent en réalité que pour leur petit confort occidental malmené par la crise. Les luttes sociales ont pour acteurs des masses populaires, et pour cadres des territoires sociaux dont la situation et les problématiques sont les produits d'une histoire. Il n'est pas possible d'en fixer les modalités et les priorités depuis l'extérieur de ces territoires. Ainsi par exemple, les masses populaires racisées ont défini leur priorité comme la lutte contre le racisme institutionnel/structurel et le "colonialisme/indigénat intérieur" (à la métropole), le traitement colonial des quartiers où elles sont concentrées ; et non (par exemple) comme l'attaque contre celles et ceux d'entre elles qui auraient accédé à une meilleure situation sociale que la grande masse vivant dans lesdits quartiers-ghettos (sauf à ce que ces personnes soient devenues ouvertement des auxiliaires du Pouvoir blanc), ou encore la lutte contre "l'obscurantiiiiisme religieuuuux" (à coups de numéros verts pour poucave les "radicalisé.e.s" ??) ; et il n'est pas possible depuis un autre "territoire social", une situation qui n'est pas la leur, de prétendre leur imposer d'autres priorités.

    De la même manière qu'il n'est pas possible de demander à une femme d'"oublier" sa condition spécifique d'opprimée par le patriarcat (mais pas non plus de lui IMPOSER cette priorité si elle souhaite s'en donner d'autres... comme la lutte contre le racisme structurel par exemple, pour une femme racisée !). Et de la même manière, aussi, qu'il n'est pas possible de décider de la validité ou non d'un mouvement ouvrier et paysan dans la pointe bretonne depuis des états-majors parisiens... ou lyonnais, ou strasbourgeois, ou même occitans. Les erreurs sont toujours possibles et peuvent, à partir d'un certain point, être critiquées ; mais le PRINCIPE DE BASE est et doit rester que PERSONNE ne peut mieux comprendre les problématiques d'un territoire social et définir les luttes prioritaires, et les alliances nécessaires à celles-ci, que les personnes dont ce territoire est le lieu de la vie sociale.

    Le problème de faire intervenir la notion d'"intersectionnalité" (notion terriblement déviée de sa signification originelle : féministes ou LGBT noirEs américainEs qui disaient tout simplement être à l'intersection de toutes les oppressions - de classe, de race et de genre) ; de dire (d'ENJOINDRE) que "les opprimé.e.s doivent être solidaires" et qu'il "faut articuler" et lutter sur tous les fronts à la fois ; c'est qu'il faut postuler pour cela que toutes les oppressions et les identités opprimées sont ÉGALES... or ce n'est pas le cas. Comme nous l'avons vu précédemment, les identités opprimées sont hiérarchisées ; tout le monde ou presque étant l'oppresseur.euse (potentiel.le, du moins) de quelqu'un d'autre, mais dans une stratification hiérarchique (et non une "tactique de division horizontale") des masses populaires d'un État-enclos capitaliste donné ; si bien que NON, "toutes les oppressions" ne "se valent" pas. Les choses sont (donc) malheureusement beaucoup plus compliquées que de définir l'identité opprimée dont on relève (on en relève presque tou.te.s d'une, 90% de la population disons), et de là s'affirmer le "frère" ou la "sœur" de "tou.te.s les opprimées de la planète" (et bien sûr - ou plutôt - les ENJOINDRE de s'affirmer de même à notre égard)...

    En accord total avec le texte d'Houria Bouteldja, nous ne pensons pas que vouloir "tout combattre à la fois" (et n'oublions pas, SVP, la question écologique et l'exploitation animale !) puisse conduire à autre chose qu'une posture esthétisante et un "style-de-visme" sans impact révolutionnaire réel sur la société populaire. Nous ne croyons pas aux avant-gardes "naturelles" qui résulteraient mécaniquement du "croisement" d'un "maximum" d'oppressions ; nous pensons en marxistes que les avant-gardes révolutionnaires naissent de la rencontre d'une théorie/stratégie correcte et du mouvement réel d'un ensemble humain sur une ou un ensemble de questions concrètes qui le mobilisent.

    Voilà ce que nous avions à dire.


     [Résumé, peut-être, ULTIME sur la question du postmodernisme (commentaire FB) : 

    Il est d'autant plus difficile de définir le postmodernisme, qu'il ne se définit pas et même rejette en général cette appellation lui-même.

    Nous dirions pour notre part qu'il est une forme de dérive gauchiste à partir du traitement de causes légitimes, comme toutes les causes légitimes ont leurs gauchismes de toute façon, y compris la lutte des classes "pure" avec le dogmatisme ouvriériste ou autre.

    Notre définition du postmodernisme serait une dérive individualiste, individualo-centrée qui perd de vue les grandes divisions du travail et les hiérarchies des contradictions (principales, secondaires) au profit de souffrances, indiscutables en vertu de la "parole des concerné-e-s", et en réponse d'une recherche de "zones de confort safes", PERSONNELLES.

    S'attaquant au final, d'ailleurs, à des comportements dits oppressifs individuels c'est à dire des SYMPTÔMES, et non au fond structurel des problèmes (les grandes divisions du travail), dans une approche finalement MORALE tout en critiquant à tout va l'antiracisme et toutes les approches anti-oppression dites "morales".

    Au final, de dérive en dérive on en arrive à un "progressisme au service de l'ordre" version radicale, radicaliste, opposé et même en prétendue guerre contre le "progressisme au service de l'ordre" socedem ou lib-lib mainstream (De Haas, Fourest, Schiappa, "antiracisme" SOS etc.), mais TOUT AUTANT au service de l'ordre en réalité.

    Les souffrances personnelles, à partir d'oppressions non hiérarchisées ni mises en perspective, sont ainsi habilement dressées les unes contre les autres et détruisent toute unité d'action de masse contre une (ou pourquoi pas plusieurs de front !) division du travail priorisée comme à abattre.

    Il n'y a plus d'analyses justes et d'analyses erronées, puisqu'il n'y a plus que des ressentis tous valables et légitimes, à écouter sans critiquer sous peine de "silencier" les personnes... Donc la construction d'une conception révolutionnaire correcte pour transformer le monde (et liquider toutes ces souffrances) n'avance plus.

    À un certain point, parler de révolution et de ce que ça implique (pas un dîner de gala) devient "viriliste", "excluant" pour les gens qui ne seraient pas "physiques", costauds, ne sauraient pas se battre, ou seraient handicapés (comme si les communistes n'avaient pas été de tout temps capables de trouver une utilité à tout le monde voulant servir la révolution, il suffit de penser à un géant théorique comme Mariátegui... en fauteuil roulant, jamais monté sur une barricade).

    Lorsqu'on a atteint ce stade de n'importe quoi, on a affaire à un véritable dispositif de contre-révolution préventive.

    Voilà pour résumer (si on peut appeler ça résumer LOL)]


  • Commentaires

    3
    Lundi 12 Septembre 2016 à 10:04

    Dans tous les cas, il y a sous-représentation. C'est particulièrement visible pour les racisés : l'échelle sociale "blanchit" très clairement à mesure qu'on monte, et se "colore" à mesure qu'on descend vers le prolétariat. L'homosexualité c'est peut-être un peu plus difficile à dire car il y a la question de ceux/celles qui le disent et le revendiquent, et de ceux/celles qui le cachent...

    La sous-représentation des femmes dans les hautes sphères politiques et économiques ne fait évidemment aucun doute (ce qui ne veut pas dire que celles qui y sont sont "meilleures" que leurs homologues masculins, ce n'est pas le propos et c'est toute l'absurdité de la chanson "Miss Maggie" du faux prolo Renaud, par exemple).

    2
    ImperatorCaesar
    Lundi 12 Septembre 2016 à 08:23
    Sachant que les personnes homosexuelles sont une minorité numérique dans la population en général, n'est pas logique qu'elles soient un "quota" chez les capitalistes ? Pareil pour les minorités "raciales" (à échelle française). Cela le semble différent de la minorité féminine chez les capitalistes qui par contre une vraie contradiction à mon sens car les femmes ne sont pas une minorité numérique évidemment. (sans vouloir nier le racisme et l'homophonie dans la société)
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    1
    Elisa
    Lundi 29 Août 2016 à 15:48
    Merci pour cet article qui démonte bien l'idéalisme et la pseudo-radicalité de certain-e-s militantes.Ça fait du bien. "Psychophobie" et même "capacitisme" utilisé à tort et à travers... Ça pullule.
    Sinon comment définir intergenre et cis ? Vu que ces mots viennent du mouvement politique queer, du postmodernisme...
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