• Brésil : le fasciste Bolsonaro en tête ; l'heure de vérité a sonné

    Brésil : le fasciste Bolsonaro en tête ; l'heure de vérité a sonné

    20 ans après ici, c'est aussi là-bas, sur le continent des "grands espoirs de la gauche", la faillite historique de l'"hypothèse sociale-démocrate"...

    Évidemment, avec Trump qui doit se frotter les mains (les "progressistes" européens peut-être un peu moins, mais enfin, les liens avec et la défense farouche par Bolsonaro des intérêts des géants agro-alimentaires auront vite raison de leurs pudeurs...), ceci doit aussi être mis en perspective avec la gigantesque accélération actuelle de la Quatrième Guerre mondiale non-déclarée en cours depuis 1990 on-serait-presque-de-plus-en-plus-tentes-de-penser (à ce niveau, un bon "test" en ce moment est celui du rapport à l'entité sioniste et à la Palestine : bolsonaro-israel.pdf).

    Mais c'est là un pays très étendu : c'est la nuit noire à Rio et Brasilia ; mais pour qui sait regarder tout au loin, les première lueurs d'une aube nouvelle pointent déjà du Rondônia !

    Guerra popular até ao Comunismo !!

    Brésil : le fasciste Bolsonaro en tête ; l'heure de vérité a sonné

    [Et une réflexion intéressante vue sur FB :

    "Historiquement, le Brésil a drainé la plus grande proportion, quelques 40%, du Maafa (la déportation esclavagiste des Africain-e-s) ; mais aussi la plus grosse immigration européenne à destination du continent sud-américain, 6 millions de personnes aux 19e et 20e siècle. Les peuples autochtones ne sont quant à eux plus que 0,4%, tout en étant "dans les gènes" de probablement les deux tiers de la population, bref.

    TOUT ce qu'il se passe là-bas n'est en dernière analyse que guerre entre ces deux pôles d'identité nationale ; d'un côté la plus grosse nation afro-descendante colonisée du continent + une immensité de territoire volé à ses habitants originels (dont survivent quelques petits groupes épars) ; de l'autre un des plus gros morceaux d'Europe outre-Atlantique.

    Voilà de quoi Bolsonaro est le nom (question que pose en substance le titre de l'article).

    Il y a un vote blanc ou métis à dominante blanche (disons une grosse moitié de la population, je ne pensais pas autant mais si, car ça a été le plus gros pays d'immigration européenne du continent : 6 millions de personnes), y compris des pas bien riches (ça existe aussi) mais qui ont comme disait Johnson "quelqu'un à qui se sentir supérieurs pendant qu'on leur fait les poches".

    Et puis bon, évidemment il y a aussi un vote noir ou métis à dominante noire qui est essentiellement le fait d'un embrigadement par les églises évangéliques (avec leurs "pasteurs" marchands du temple en Rolls, de ceux-là à qui les Camisards auraient mis un coup d'escopette au même titre qu'aux dragons du roi). C'est surtout par là que passe le recrutement de ceux qui votent là complètement (pas "un peu" comme avec Lula) contre leurs intérêts. Avec aussi un facteur pognon pour une minorité : Ronaldinho soutient ouvertement Bolsonaro, et c'est probablement aussi le cas de Pelé (connu pour ses prises de positions droitardes)."]

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    Proportions par État de Blancs (sachant que beaucoup de personnes se déclarent telles tout en pouvant être "assez nettement" métissées à nos yeux européens...), de Pardos (métis) et de Noirs (un Noir au Brésil étant un Noir "pur", pratiquement sans le moindre métissage, d'où la faible proportion) - source.

    Et puis et puis... la carte des candidats arrivés en tête dans chaque État (Haddad et Ciro sont les candidats classés à gauche, le premier étant l'"homme de paille" de Lula empêché par la "justice" de se présenter) :

    Brésil : le fasciste Bolsonaro en tête ; l'heure de vérité a sonné

    (On notera quand même que le pays "profond de chez profond", notamment le Rondônia de nos camarades maoïstes, reste terre de vote largement acheté ou "conseillé" par les pistoleros des grands propriétaires, si bien que Bolsonaro y arrive également en tête)

    [EN FAIT il est possible de dire que oui, le vote Bolosonaro est d'abord et avant tout un vote DE CLASSE... et derrière, ce sont les classes qui au Brésil (sans être "racialement pures") ont une forte coloration raciale. Il n'y a pas, comme aux États-Unis... et dans une certaine mesure en Europe, deux pays parallèles, les Blancs du SDF au milliardaire et les non-Blancs idem, et les Blancs pauvres qui vont (souvent bien plus que les riches !) voter pour l'extrême-droite par agrippage au "privilège blanc" qui leur reste quand ils n'ont (presque) plus rien.

    41% des Brésiliens les plus modestes ont voté Bolsonaro. Et si parmi eux (admettons) 25% sont blancs (car ça existe, là-bas - de fait, les statistiques dont nous pouvons disposer portent sur les deux "extrêmes déciles" : les 10% les plus riches comptent près de 80% de Blancs, les 10% les plus pauvres 22,6% seulement), ces 25% de pauvres blancs n'ont pas significativement plus voté Bolsonaro que les autres et le cas échéant l'ont fait pour les mêmes raisons (sécuritaires micro-propriétaires, désaveu du PT et propagande sur la "corruption" de celui-ci, propagande des églises évangéliques) et non parce que blancs, par "réflexe blanc". Et la majorité des pauvres blancs ou pas n'ont pas voté pour lui (mais pour Haddad, ou se sont abstenus). Ce que sont d'abord et avant tout les Blancs pauvres au Brésil, c'est rares et lorsqu'ils existent ils sont largement ce que Sadri Khiari qualifierait d'indigénisés (c'est à dire pas foncièrement mieux considérés par les Blancs riches, et même les riches en général que les non-Blancs partageant la même condition sociale).

    Et à l'autre bout de l'échelle sociale, le quart le plus riche de la population a donné une majorité écrasante de plus de 70% au candidat fasciste là encore indépendamment du teint des peaux (il suffit de voir les footballeurs multimillionnaires Ronaldinho ou Neymar par exemple), en tant que riches, mais le fait est aussi qu'une minorité (peut-être le quart, ou moins) de ces Brésiliens riches sont ce que nous qualifierions de non-blancs et sans doute moins encore se définissent eux-mêmes comme tels (les statistiques raciales sont basées sur une auto-définition de chaque personne).

    À la rigueur pourrait-on évoquer l'existence, assez fondée sur les données sociologiques et statistiques, d'un "autre Brésil" qui serait la Région Sud + l’État de São Paulo : peuplement massif par des millions d'immigrants européens arrivés entre (principalement) 1850 et 1950 et de fait, pratiquement 80% de Blancs (64% à São Paulo) contre 47% au plan national ; des revenus moyens de l'ordre de 25% supérieurs à la moyenne nationale de 1 268 R$, voire 35% (1 712 R$) à São Paulo... et, sans surprise, un vote pour Bolsonaro bien de l'ordre de 60 à 70% en moyenne au 2e tour, rarement inférieur à 40% et n'hésitant pas à tutoyer les 100% dans nombre de municipalités, comme on peut le voir sur les graphiques ci-après (qui montrent au contraire, pour le Nordeste qui serait pour ainsi dire l'antithèse sociologique du Sud, un vote Bolsonaro assez nettement indexé sur le revenu moyen (renda média) des communes mais pas vraiment sur la proportion de Blancs...).]

    [Quelques données sur le Brésil contemporain, pour situer les choses :

    - Dictature militaire de 1964 à 1985, dont Bolsonaro revendique la nostalgie. Celle-ci s’est caractérisée par être, peut-être, l’un des premiers coups d’État "postmodernes" ; s'affirmant en défense de la légalité et de la Constitution contre "l'abus de pouvoir" du président Goulart, ce qui n'est pas sans évoquer le récent coup de force "parlementaire" de la destitution de Dilma Rousseff en 2016 (cette fois-ci absolument sans intervention des militaires, mais également sous des prétextes fallacieux de "légalité"), accompagnée de la mise en cause judiciaire de l'ex-président Lula. Elle avait même instauré une apparence de... multipartisme avec un parti "du coup", l'ARENA, et un parti "de l'opposition", le Mouvement démocratique brésilien (MDB), dont le chef de file du coup de 2016, Michel Temer, est un élu ; tandis que la contestation de droite du pouvoir PT de Lula et Dilma a été en grande partie portée par la chaîne de télévision lancée en 1964 par les putschistes, TV Globo. Elle n'en a pas moins été un régime répressif et sanglant ; Dilma Rousseff est ainsi connue pour avoir été affreusement torturée à l'époque, où elle était membre d'un groupe de guérilla urbaine (dont le théoricien local était le célèbre Carlos Marighella) ; on peut encore citer la répression du maquis de l'Araguaia, où le PCdoB (devenu par la suite hoxhiste puis réformiste pro-Lula) avait tenté d'initier une Guerre populaire au début des années 1970. Et d'ailleurs... si les violences antipopulaires, contre les mouvements sociaux n'ont jamais cessé depuis 1985, on en observe depuis 2016 un sinistre regain (bresil-regression.pdf) ; une affaire ayant fait un certain "bruit" internationalement étant celle de l'assassinat de Marielle Franco, élue PSOL (Parti Socialisme et Liberté, scission de gauche du PT) de Rio, afro-brésilienne née dans une favela et féministe, qui pourrait bien être la Matteotti du fascisme qui s'installe tout doucement là-bas.

    - Un pays "émergent", ayant atteint au début des années 2010 le rang de 6e économie mondiale ; développant ses propres monopoles comme Odebrecht ou Petrobras (entreprise pétrolière publique, capitalisme bureaucratique) et se plaçant ainsi en arrière-plan de la vague de gouvernement "de gauche" contestant l'hégémonie US sur le continent, tout en se rapprochant des autres grands "émergents" au sein des "BRICS" (Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud, la Turquie souhaitant s'y joindre et faisant déjà figure de "membre observateur") pour mettre en place par exemple la Nouvelle Banque de Développement, système financier mondial parallèle et alternatif au FMI.

    - Une "émergence" dont le PT de Lula et Dilma était en quelque sorte la figure de proue politique et forcément, pour modéré qu'ait pu être ce parti (qui n'a jamais gouverné qu'en alliance avec le centre-droit), pas du tout du goût de l'Occident (derrière les apparences de sympathie qu'ont pu lui témoigner en particulier les Européens, ou du moins l'inquiétude affichée devant le "Trump" local - exemple) et en premier lieu de l'impérialisme yankee dont le continent est le "pré carré" ; qui voudraient voir dans le pays exclusivement une mine de ressources et surtout une ferme géante vouée à l'alimentation de leurs masses gavées de hamburgers (ou de soja "sain" bobo...) ; sans aucune autonomie économique-commerciale ni géopolitique (en gros : le rêve fou de faire d'un tel géant une république bananière du niveau du minuscule Nicaragua des Somoza)... C'est à cela que vient le coup de force de Temer en 2016 et désormais la très probable élection de Bolsonaro ; l'un et l'autre champions du "BBB" c'est à dire "Bœuf" (l'élevage et, par métaphore, l'agriculture extensive vouée à nourrir l'Occident), "Bible" (l'influence croissante des églises évangéliques, fers de lance idéologiques de l'hégémonisme yankee...) et "Balle" autrement dit répression tous azimuts et (là encore dans un esprit très yankee) "droit des bons citoyens à porter une arme pour se défendre des malandrins".

    - Un pays structuré depuis son origine (coloniale...) par la problématique de la terre, avec depuis la fin de la dictature (1985) plus de 1.700 militants paysans assassinés (lire notamment massacres-corumbiara-carajas.pdf et aussi ici sur SLP massacre-de-paysans-se-prepare-au-bresil-solidarite appel-a-denoncer-le-gouvernement-bresilien) dans des violences qui auraient redoublé depuis l'éviction de Dilma Rousseff en 2016 ; une problématique, également, tout particulièrement en lien avec la question environnementale étant donné que l'agriculture extensive se développe au détriment de la forêt amazonienne, "poumon vert de la planète".]


    Fazer do Brasil um grande QUILOMBO !!


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    Complément (article Bastamag) :

    « Nous assistons en direct à la fascisation du Brésil »

    https://www.bastamag.net/Nous-assistons-en-direct-a-la-fascisation-du-Bresil

     

    Où va le Brésil ? 50 millions d’électeurs y ont soutenu, au premier tour, le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, arrivé largement en tête avec 46 % des voix, dans le cadre d’une campagne marquée par sa violence verbale et la diffusion massive de fausses informations. « Ce n’est pas seulement un vote lié à la désinformation, ni uniquement un vote de colère et de rejet, c’est aussi un vote d’adhésion à un discours ultra-conservateur qui vise à rétablir les hiérarchies sociales », analyse l’historienne Maud Chirio, spécialiste du Brésil, qui entrevoit un avenir sombre pour le pays et les 97 millions de Brésiliens qui n’ont pas voté pour l’extrême-droite. Entretien.

    Basta ! : Des électeurs de Jair Bolsonaro, arrivé largement en tête au premier tour de la présidentielle brésilienne ce 7 octobre, contestent l’étiquette « extrême-droite » apposée ici, en Europe, à leur candidat. Qu’en pensez-vous ?

    Maud Chirio [1] : Il n’y a aucun doute, Bolsonaro est très clairement d’extrême-droite, avec même une certaine tonalité fascisante. Cette difficulté à le reconnaître s’explique par le fait que les termes « droite » et « extrême-droite » n’ont quasiment jamais été revendiqués sur la scène politique brésilienne. Ces étiquettes étaient discréditées depuis la transition démocratique et le rétablissement du pouvoir civil à la fin de la dictature militaire, il y a trente ans. Même le régime militaire était peu enclin à utiliser le qualificatif de droite, car la junte prétendait ne pas être politique. Cela ne fait que quelques années que des citoyens se sont ré-appropriés ce mot. Avant, ils préféraient les termes de « patriote », « nationaliste » ou « chrétien », en référence à la défense de certaines valeurs morales.

    De quelle manière les rumeurs, mensonges, intox et autres fausses nouvelles ont-elles influencé la campagne ?

    C’est le mode de fonctionnement des nouvelles droites. Le militantisme par les réseaux sociaux est devenu un élément déterminant des campagnes politiques au Brésil depuis 2014. Le récit propagé par ces fausses nouvelles s’attaque à la gauche : celle-ci serait « communiste » et « révolutionnaire » ; elle mènerait la société vers la dépravation morale et anti-chrétienne ; et ce récit prend prétexte des scandales politico-financiers qui frappent l’ensemble de la classe politique pour dire que la gauche serait intégralement corrompue. L’usage de ces fausses nouvelles a été croissant, leur diffusion a été multipliée par 100 durant les quatre derniers mois de campagne. La dernière semaine, nous avons recensé entre 4000 et 10 000 intox. La veille du scrutin, de fausses déclarations de pasteurs qui prétendaient soutenir Bolsonaro ont circulé. Le lendemain des massives manifestations de femmes contre Bolsonaro, le 29 septembre, des intox ont été diffusées prétendant que ces rassemblements s’étaient mués en orgie sexuelle. Des montage photos montrent Fernando Haddad, le candidat du PT [Parti des travailleurs, gauche], et ancien ministre de l’Éducation, distribuant des livres érotiques à des enfants dans des écoles. D’autres montages montrent sa colistière, Manuela d’Ávila, avec des tatouages de Marx, Lénine et Che Guevara, ou l’agresseur de Bolsonaro [poignardé à l’abdomen le 6 septembre lors d’une apparition publique, ndlr] aux côtés de Lula et des dirigeants du PT.

     On sait que l’ancien directeur de campagne de Trump, Steve Bannon, a apporté son appui logistique et technique à la campagne de Bolsonaro. Il faudra étudier plus précisément l’influence de la « droite alternative » états-unienne sur l’élection brésilienne. Pour les médias traditionnels, il est très difficile de contrer plusieurs milliers de fausses nouvelles par semaine. D’autant quand plusieurs grands médias, comme Globo, sont eux-mêmes traversés de tensions très visibles, avec des reportages contradictoires. Les grands médias n’ont pas adopté une position uniforme de rejet de l’extrême-droite. Le puissant groupe média évangélique, TV Record, lui a même apporté son soutien.

    En Europe, plus on est diplômé, moins on a tendance à voter pour les droites extrêmes, en tout cas pour le moment. Au Brésil, c’est le contraire. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Il existe plusieurs votes Bolsonaro. Ce n’est pas seulement un vote lié à la désinformation, ni uniquement un vote de colère et de rejet, lié à la crise et à la désespérance sociale comme on peut le voir avec les votes populistes en Europe. C’est aussi un vote d’adhésion à un discours ultra-conservateur qui vise à rétablir les hiérarchies sociales de domination entre riches et pauvres, entre hommes et femmes, entre chrétiens et non chrétiens. C’est un vote qui veut en finir avec les politiques dynamiques d’inclusion sociale mises en place sous Lula, un vote marqué par un très fort conservatisme social.

    Pour les catégories aisées qui ont voté Bolsonaro, il n’est plus possible de voir tous ces gens venus de classes « inférieures » accéder à l’université. Pour elles, les seuls qui peuvent suivre des études supérieures au Brésil, ce qui coûte cher, ce sont les riches. Autre exemple : la mesure qui a fait entrer les employés de maison – qui sont 8 millions dans le pays – dans le code du travail a suscité une rancœur terrible parmi ces catégories aisées. Quant au vote pauvre pour Bolsonaro, il est souvent influencé par les évangéliques qui prônent un certain ordre moral. C’est donc un vote marqué par une profonde hostilité à l’encontre de toute transformation sociale qui remettrait en cause les hiérarchies traditionnelles.

    Que se produira-t-il si Bolsonaro est élu, au soir du 28 octobre ?

    Si Bolsonaro est élu, ce qui est très probable, cela aura d’abord pour conséquence de libérer la violence sociale et politique de ceux qui lui ont accordé son soutien. Il risque d’y avoir des lynchages de personnes homosexuelles, des assassinats politiques. On peut craindre que cette violence ne soit pas réprimée par l’État puisqu’elle sera perpétrée par des partisans du nouveau président. C’est la première fois, au Brésil, qu’il existe une force militante, bénévole et convaincue derrière Bolsonaro.

    Ensuite, pendant la première année de mandat, après son investiture à Brasilia en janvier 2019, on peut s’attendre à une dérive autoritaire du pouvoir, avec des mesures qui restreindront l’État de droit, qui permettront de réprimer le syndicalisme ou le militantisme de gauche. Le colistier de Bolsonaro, le général de réserve Hamilton Mourão, qui en cas de victoire deviendra vice-président, propose d’ailleurs un changement de constitution, sans passer par une assemblée constituante. Cette fin de l’État de droit pourra difficilement être empêchée par la communauté internationale, car Bolsonaro souhaite que le Brésil sorte de l’Organisation des Nations Unies, considérée comme « droit de l’hommiste », voire « communiste », car défendant les communautés minoritaires.

    Enfin, une forte répression d’État ciblera la gauche, en particulier le PT, considéré comme un ennemi intérieur. Les violences policières dans les quartiers pauvres risquent d’augmenter, Bolsonaro ayant déclaré qu’il fallait y exiger la reddition des « bandits » et, dans le cas contraire, ne pas hésiter à mitrailler par les airs ces quartiers [ce qui s’est déjà produit en juin 2018, lire notre article, ndlr]. Au-delà des politiques économiques néolibérales qui vont être dures, ce sera un régime très décomplexé sur le recours à la violence et à la répression. Celles-ci seront revendiquées. Nous assistons en direct à la fascisation du Brésil.

    Recueilli par Ivan du Roy

    Photo : CC Mídia Ninja

    Notes

    [1Maud Chirio est historienne, spécialiste du Brésil contemporain, maître de conférences à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée.

    Brésil : le fasciste Bolsonaro en tête ; l'heure de vérité a sonné

    Massacre policier dans une favela. Attention cependant : ces opérations "coup de poing" et leurs dizaines de victimes (abattues à peu de choses près au hasard...) ne doivent pas être confondues avec un "trop" d’État, car elles n'ont rien à voir avec ce qui s'appelle administrer un territoire. Elles s'inscrivent dans la minarchie (faiblesse, quasi-absence de gouvernance) qui frappe au Brésil (comme dans la plupart des pays du "Tiers Monde"... et même dans une certaine mesure d'Occident), en dehors de ces "descentes" régulières, les territoires où s'entassent les classes populaires les plus dépossédées dont l'oligarchie n'a rien à foutre ; classes populaires qui se trouvent par conséquent, de fait, prises en tenaille entre cette violence d’État et celle de la "loi de la jungle" par laquelle tout un chacun, dans ces conditions de relégation et d'abandon à son sort, essaye de survivre. Il en résulte que... la soif d'ordre, de sécurité, en un mot d'une vie sans craindre à chaque instant d'être assassiné pour quatre sous (on est, là-bas, souvent payé pour son travail à la journée et en liquide) ou un pendentif de famille, a également pu alimenter un vote populaire pauvre pour Bolsonaro, qui promet une "main de fer" en ce sens.

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    Encore une autre analyse intéressante (qui résume à peu près tout de la situation en fait, avec un point de vue assez matérialiste) :

    https://www.liberation.fr/debats/2019/07/02/le-retour-du-bresil-colonial_1737589

    Ce 1er juillet, Jair Bolsonaro aura complété les six premiers mois de son gouvernement. Les déboires dont il est l’objet sont, en dernière analyse, liés à la nature hétéroclite de la base sociale qu’il s’est construite, typique d’un populisme d’extrême droite : des axes d’agitation sans rapport les uns avec les autres, pour satisfaire séparément tels ou tels secteurs convergeant vers un Bonaparte sauveur.

    Dès 2012, début du mandat de Dilma Rousseff, j’avais été frappé par la haine de l’élite conservatrice pour le gouvernement du Parti des travailleurs (PT) au pouvoir depuis 2003. Mais le contexte économique très favorable permettait au président Lula de satisfaire et l’élite et le peuple. Ainsi, une importante «classe moyenne» émergea, celle-là même qui, touchée par la crise, voyant un abîme s’ouvrir sous ses pieds, sera au cœur de la base sociale de Bolsonaro.

    C’est bien de haine qu’il s’agissait, d’autant plus incongrue que, au fur et à mesure que la crise économique atteignait le pays, la politique de Dilma Rousseff devenait de plus en plus néolibérale.

    Pourquoi l’élite conservatrice ne pouvait-elle ne serait-ce que tolérer une politique peu ou prou social-démocrate ? Pourquoi ce profond conservatisme a-t-il réussi à conquérir une base de masse hétéroclite permettant l’élection d’un aventurier d’extrême droite ? Pour comprendre, il faut revenir loin en arrière.

    Le 7 septembre 1822, l’indépendance du Brésil fit exploser l’Empire portugais. Elle eut un caractère unique : c’est l’État portugais lui-même, réfugié à Rio depuis 1807 quand les armées napoléoniennes envahirent le Portugal, qui refusa de rentrer - il l’aurait pu dès 1811. Existe-t-il un autre cas au monde où le souverain choisit de rester en sa colonie alors même qu’il peut rentrer dans sa métropole ?

    L’indépendance tint plus d’une révolte fiscale que d’une libération nationale. Il s’agissait d’une indépendance sans décolonisation. Ce sont les colons qui prirent le pouvoir et créèrent une colonie autocentrée : le fait que le pays soit indépendant ne signifie pas qu’il ne soit plus une colonie. Quand les colons rhodésiens ont refusé, en 1965, l’indépendance noire prévue par Londres et ont déclaré une indépendance blanche, la Rhodésie est évidemment restée une colonie. Les indépendances d’Amérique ont toutes été des indépendances sans décolonisation, elles ont créé des États coloniaux. On confond trop souvent indépendance et décolonisation. Mais le cas brésilien est extrême puisque l’indépendance fut proclamée par l’héritier du trône du pays colonisateur.

    Cet Império brasílico devint lentement brésilien. On peut dater l’achèvement du processus à 1889 après qu’un coup d’État conservateur eut chassé la princesse Isabel qui avait aboli l’esclavage l’année précédente, et eut proclamé une République parfaitement coloniale. Contrairement à ce qui se passa aux États-Unis avec la guerre de Sécession, ce n’était pas un secteur industriel de la bourgeoisie brésilienne qui avait le pouvoir mais bien l’élite des planteurs coloniaux. C’est elle qui va lentement, sans rupture, passer à la plantation moderne par la marginalisation de la main-d’œuvre noire et l’importation de millions d’Européens. Cela s’est produit ailleurs en Amérique mais on a ici deux caractéristiques combinées. D’une part, les «indigènes» (Indiens) n’étaient plus qu’une toute petite minorité de la population, en raison des épidémies, des massacres et du métissage - ils sont aujourd’hui entre 0,4 % et 0,6 % de la population, d’où la faiblesse des luttes anticoloniales. D’autre part, les Noirs formaient la grande majorité de la population (ils sont environ 52 % aujourd’hui), d’où une «peur structurelle» dans cette élite blanche terrorisée par l’exemple de Haïti.

    Depuis, le Brésil a changé. Mais l’élite n’a jamais connu une révolution décoloniale, elle est lentement devenue une bourgeoisie capitaliste surtout latifundiaire et peu industrielle, sans jamais cesser d’être une élite coloniale. Le rapport de cette élite au peuple n’est pas seulement celui du capitaliste au prolétaire, mais encore largement celui du maître à l’esclave, celui de la «Casa Grande» à la «Senzala». Une mesure qui provoqua de la haine envers Dilma Rousseff fut, en 2013, la loi garantissant aux servantes de vrais droits sociaux : dimanche férié, contrat de travail, cotisations sociales, 44 heures hebdomadaires, paiement d’heures supplémentaires. Cette loi fut un outrage au paternalisme autoritaire de la Maîtresse et du Maître : la servante était une prolétaire autonome. Cela rompait le rapport de la Casa Grande à la Senzala pour lui substituer le rapport patron-employé. C’était intolérable.

    Il est insupportable à cette élite extrêmement blanche alors que le peuple est profondément métissé, d’accepter ne serait-ce que de timides réformes sociales. Elle se tait quand elle ne peut faire autrement - popularité de Lula, économie florissante -, mais dès que la situation empire, elle exige de reprendre l’entièreté de ses privilèges, capitalistes et coloniaux.

    J’insiste sur «… et coloniaux». Ce n’est pas un hasard si la conquête coloniale va reprendre. Jair Bolsonaro et les siens ne méprisent pas seulement les indigènes comme un grand propriétaire peut mépriser des paysans pauvres, ils les méprisent comme un colon méprise une race inférieure et conquise. Jair Bolsonaro dit vouloir forcer les indigènes à «s’intégrer», c’est-à-dire à disparaître comme nations et sociétés distinctes. Il a fait passer la délimitation des terres indigènes et des quilombos sous la compétence du ministère de l’Agriculture, le ministère des grands propriétaires ruraux.

    Les Indiens ne sont plus qu’une infime minorité mais ils gênent en occupant des espaces parfois très réduits dans le Sud et, a fortiori, étendus dans le Nord. Ce qui est intolérable pour les planteurs n’est pas tant la superficie mais qu’elle ne soit pas cultivée et exploitée de manière productiviste : les Indigènes sont, selon le classique mépris du colon pour le colonisé, naturellement incapables et fainéants, ce qui ne relève pas seulement d’un mépris de classe patronal. Cette élite non moderne refuse la moindre remise en cause de son habitus. Elle est conforme à la colonialité de l’espace brésilien.

    Je crois qu’il y a beaucoup de cela dans l’élection de Jair Bolsonaro, en sus de la crise économique, de la corruption imputée seulement au PT, des fake news, des néopentecôtistes, des problèmes de sécurité, des secteurs militaires d’extrême droite, du racisme, de l’homophobie… Si ces caractéristiques contemporaines ont pris corps, c’est bien parce que l’élite capitaliste-coloniale est, structurellement, mentalement, incapable de consentir à quelque mesure sociale que ce soit. La contradiction, qui peut se révéler explosive au sein des partisans du régime, est que, historiquement, l’armée brésilienne a été plutôt modernisatrice (ce qui ne veut pas dire démocratique) alors que cette élite profondément conservatrice reste façonnée par sa peur face au peuple noir majoritaire. Elle s’exprime ainsi par le «BBB» - balle, bœuf, Bible…

    Bien qu’ultra-minoritaire, l’élite a réussi à construire temporairement une hégémonie politique embrassant de vastes secteurs du peuple. Nombre d’autres facteurs d’explication existaient déjà précédemment. Mais sa radicalisation à droite a été, je crois, le «plus» qui a permis au reste de prendre corps, face à un PT tétanisé par l’emprisonnement de Lula et ayant perdu toute capacité de mobilisation populaire.

    Michel Cahen historien de la colonisation portugaise, et directeur de recherche CNRS à Sciences-Po Bordeaux

    Brésil : le fasciste Bolsonaro en tête ; l'heure de vérité a sonné


  • Commentaires

    3
    Jeudi 11 Octobre 2018 à 10:47

    Merci pour la carte en tout cas !!

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    2
    Jeudi 11 Octobre 2018 à 10:37

    C'est juste une évidence...

    1
    Pascal
    Mercredi 10 Octobre 2018 à 18:05

    https://www.mondialisation.ca/wp-content/uploads/2018/10/mapa-resultados-brasil-2018por-nc.png

    Dans une certaine mesure, le vote Haddad semble prépondérant dans les régions noires et métisses.

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