• Au sujet du film "Straight Outta Compton" sur NWA qui sort aujourd'hui


    Source : http://www.etatdexception.net/

    Source originale : article de Zak Cheney-Rice pour Identities.Mic, traduit de l'anglais par RC pour État d'Exception.


    La leçon que Straight Outta Compton ne veut pas que vous appreniez


    L’ombre de N.W.A a longuement plané sur la Californie du Sud.

    Pour les enfants de Los Angeles nés au milieu ou à la fin des années 1980, l’exposition au travail du groupe s’est faite principalement à travers ses héritiers musicaux, une bande qui gravitait telles des planètes autour de la sphère d’influence du rappeur-producteur Dr. Dre : Snoop Dogg, Xzibit, Nate Dogg, the Game, sans doute 50 Cent et Eminem, et plus récemment Kendrick Lamar et la clique de Top Dawg Entertainment.

    Leur musique était la bande originale de nos soirées collège. Elle grésillait de nos écouteurs pendant les trajets en bus et mettait l’ambiance de nos discussions pendant les barbecues dans le jardin. La plupart d’entre nous étions encore en couches quand l’album Straight Outta Compton est sorti en 1988 – l’année ou « Fuck tha Police » a provoqué l’ire du FBI et a pratiquement anticipé le soulèvement de Los Angeles quatre ans plus tard.

    NWA N&B

    Les membres de N.W.A. lors d’un tournage en 1990 à Elysian Park, Los Angeles. Source : Jeff Kravitz/Getty Images.

    Mais les artistes qui ont porté le flambeau de NWA les deux décennies suivantes n’ont laissé aucun doute sur la façon dont ces jeunes hommes noirs avaient en fin de compte appréhendé notre ville – localement, mondialement, musicalement, etc. – et nous-mêmes.C’est particulièrement évident dans le nouveau biopic sur NWA, Straight Outta Compton, qui sort en salles le 14 août 2015 aux USA [le 16 sept. 2015 en France, NdT]. L’album Chronic 2001 de Dre reste une pierre angulaire de l’adolescence de la fin des années 1990, mais beaucoup d’entre nous ont grandi en connaissant Ice Cube comme le gars de Friday, Eazy-E comme celui qui a chanté « Boyz-n-the-Hood », et on avait du mal à trouver quelqu’un qui avait entendu parler de DJ Yella ou MC Ren. Pour quiconque ne se tenait pas totalement informé dans les années 1980, ce film est le premier à nous offrir une histoire de première main sur l’origine de l’ensemble du groupe.

    A la vu du film, il est tout de suite clair que la dette du hip hop californien envers NWA est immense. Le caractère tranchant du group, la narration souvent élogieuse de la vie dans les marges de Los Angeles, sont rythmés par une sorte de fanfaronnade nihiliste qui a depuis grandement influencé la musique de la région. Sans parler du fait qu’elle a aussi articulé certaines formes extrêmes d’hyper-masculinité à laquelle beaucoup d’entre nous, au pire de notre jeunesse, voulions aspirer.

    Il y a aussi beaucoup de leçons à tirer.

    En voici une : Compton à la fin des années 1980 était un enfer dans lequel vivait à l’époque la plupart des pauvres, des Noir-e-s de Los Angeles. Les gangs et le trafic de drogue structuraient l’ordre social. Les corps des Noir-e-s étaient enfermés, molestés et brutalisés par un réseau de services de police dont la prédilection pour le pillage et la violence militarisée a rarement été égalée depuis. La logique derrière « Fuck tha Police » devient extrêmement claire à mesure que le récit se déroule. Lorsque le groupe est malmené par des mesures de police à Compton, Torrance et Detroit, nous savons – dans nos esprits et dans notre chair – que Ferguson, Baltimore, Cincinnati et North Charleston ne sont pas loin derrière.

    Protest

    Protestataires à Ferguson, Missouri, le 11 aout 2015. Source : Scott Olson/Getty Images.

    En voici une autre : les femmes noires ne comptent pas. Lorsque Ice Cube pose sa main sur la tête d’une femme aux seins nus et la pousse dans le couloir d’un hôtel puis l’enferme dans la chambre, nous sommes censés rire de son humiliation. Lorsque des bandes de femmes à moitié nues dansent en bikini au bord de la piscine ou fournissent des faveurs sexuelles dans des chambres bondées, nous sommes censés oublier la vie réelle, aujourd’hui tristement connue, des héros de Straight Outta Compton qui a fait surface l’été dernier, appelant à des scènes mettant en vedette des « belles filles » qui « devraient avoir la peau claire » avec « des corps vraiment sympas » et des « filles afro-américaines » « à la peau claire jusqu’à foncée » qui sont « [pauvres] et en mauvaise posture ».

    Nous sommes censés oublier ce qui s’est passé avec Dre. À l’heure de #SayHerName [#DitesLeurNom] et de la chute de Bill Cosby, nous sommes censés agir de concert avec les réalisateurs dans l’effacement de l’incident de janvier 1991, où le rappeur-producteur a attrapé Dee Barnes, une journaliste noire, par les cheveux et a claqué sa tête contre le mur dans une boîte de nuit avant de la jeter au sol et de lui donner à plusieurs reprises des coups de pied dans les côtes.

    Dr Dre

    Dr. Dre. Source : John Salangsang/AP.

    « Cette salope pouvait s’y attendre » a déclaré peu de temps après Eazy-E dans un portrait de Rolling Stone.

    Rien de tout cela n’est accidentel. La dégradation ordinaire des femmes consécutive à nos rires, à notre abandon ou à notre silence collectifs est une caractéristique déterminante de la vie américaine. Elle est enracinée dans notre système juridique et de divertissement. Sur les routes polluées de la Californie du Sud, elle s’est infiltrée dans nos autoradios et a alimenté les relations humaines et sociales de notre enfance – reflétant les façons mêmes dont les liens unissant Dre, Cube, Ren, Yella et Eazy dépendaient autant d’une brutale misogynie que du fait de donner la parole à une génération de jeunes noirs qui en avait eu assez de la brutalité policière.

    Une caractéristique admirable du mouvement en cours #BlackLivesMatter est son approche intersectionnelle de la lutte contre les inégalités. La libération des Noir-e-s, dit ce mouvement, ne peut être réalisée sans la libération des Noir-e-s trans, sans la libération des Noir-e-s queer, sans la libération des femmes noires, et ainsi de suite. Il dit qu’en occultant la plupart des transgressions sexistes de NWA, nous faisons le lit du système même qui nous opprime et nous échouons à penser de manière critique notre propre propension à la violence.

    Cela ne vaut pas seulement pour NWA, le hip-hop ou l’Amérique noire. Mais à une époque où les Noir-e-s sont tué-e-s par la police à un taux presque trois fois plus important que celui qui prévaut pour les Blanc-he-s, et où les femmes noires meurent en garde à vue à une fréquence alarmante, les enjeux sont plus élevés pour nous. Nous avons besoin les un-e-s des autres.

    Pour réfléchir à cette dynamique en tant qu’hommes noirs natifs de Los Angeles et disciples de la galaxie NWA, il faut cesser d’ignorer le degré auquel le pouvoir hétéro-masculin et l’amitié, depuis nos années d’adolescence jusqu’à maintenant, ont été modelés par la rhétorique qui brutalise régulièrement les femmes noires.

    Parfois, vous devez tuer vos idoles.

     


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