• Après la mort de Mozgovoï, un point sur la situation en Ukraine avec Boris Kagarlitsky


    http://democracyandclasstruggle.blogspot.fr/2015/05/boris-kagarlitsky-on-ukraine.html 

    Peu ou pas connu en Europe occidentale avant l'affaire ukrainienne, Boris Kagarlitsky est un intellectuel marxiste russe aux points de vue controversés comme peuvent l'être le "vieux stal" belge Michel Collon ou l'italien Domenico Losurdo*.

    Il est clair que nous avons plus d'une divergence avec sa vision des choses et c'est pourquoi nous publions également l'introduction critique des camarades gallois de Democracy & Class Struggle, que nous partageons pour ainsi dire à 100% [parce que voilà : c'est bien de gueuler comme un veau au "rouge-brun", au "confusionniste" ou à la "taupe réactionnaire dans la gauche radicale", mais c'est beaucoup mieux d'expliquer en quoi les analyses d'un Kagarlitsky ou d'un Collon ou d'un Losurdo se placent (d'un point de vue marxiste de notre époque c'est-à-dire maoïste) sur un terrain glissant - et dans les trois cas cela commence par ne pas qualifier correctement la Russie et/ou la Chine de pays capitalistes impérialistes, mais cela ne les empêche pas d'avoir aussi des analyses intéressantes qui "brisent" le consensus "Fin de l'Histoire" qui emprisonne la pensée occidentale depuis un quart de siècle].

    Après la mort de Mozgovoï, un point sur la situation en Ukraine avec Boris Kagarlitsky

    Democracy and Class Struggle publie cet entretien avec Boris Kagarlitsky car il met en lumière l'héroïque lutte du camarade Alexeï Mozgovoï [bon, nous avons aussi expliqué que Mozgovoï n'était selon nous pas à proprement parler un "camarade" : nous considérons qu'il évoluait sans doute trop dans le "bon" sens pour que "certains" souhaitent et obtiennent sa mort, mais qu'il était encore très loin du "compte" marxiste]. 

    Nous avons un certain nombre de désaccords avec lui sur la question de l'impérialisme et en particulier de l'impérialisme russe que nous voyons plutôt basé sur le nationalisme russe et non sur le Capital financier, de manière similaire à l'analyse de Lénine sur les origines premières de l'impérialisme japonais.

    Nous voyons la faiblesse du Capital financier russe comme l'une des raisons pour lesquelles l'impérialisme US n'a pas eu le dessus dans la présente crise - avec un secteur capitaliste financier plus important, l'économie russe aurait été mise à genoux par l'impérialisme US/anglo-saxon (c'est une des rares bonnes nouvelles dans le conflit en cours).  

    Nous voyons l'impérialisme US comme l'impérialisme planétaire hégémonique et la Russie et la Chine engagées dans une lutte anti-hégémonique, mais pas anti-impérialiste avec les impérialistes anglo-américains. 

    Nous voyons la notion de sous-impérialisme [SLP préfère parler de puissance ou d'expansionnisme régional (dans le cas d'une classe dirigeante dotée d'un "agenda propre"), ou encore d'"antenne-relais" ou "gendarme" régional lorsque l’État en question agit clairement comme "courroie de transmission" d'une puissance impérialiste - typiquement Israël vis-à-vis des États-Unis et de l'Occident en général, ou le Tchad pour l'impérialisme bleu-blanc-rouge en Afrique], en particulier dans le cas de l'Inde, comme un instrument utile pour développer une pensée marxiste critique ; mais clairement ni la Russie ni la Chine ne sont des "sous-impérialismes" de l'hégémonie mondiale US, en dépit de la volonté de celle-ci de les voir telles. 

    Les deux puissances ont de sérieuses contradictions avec l'impérialisme US ; contradictions qui ne peuvent être résolues que par la guerre impérialiste. 

    Pour autant, si nous ne sommes pas d'accord avec certaines analyses géopolitiques de Boris Kagarlitsky, son point de vue sur les contradictions internes à l'Ukraine et aux Républiques de Donetsk et Lugansk est très instructif et nous apprécions grandement son travail - comme le travail d'un camarade. 

    Amener la lutte anti-hégémonique vers l'anti-impérialisme authentique au niveau international et, à l'intérieur de chaque pays, la lutte populiste anti-oligarchique vers l'anticapitalisme sont les tâches de notre époque et le meilleur moyen de faire honneur au camarade Alexeï Mozgovoï. 

     
    Placée dans une perspective plus large, la crise en Ukraine peut être vue comme le dernier épisode d'un conflit de longue date. L'expansion de l'OTAN vers l'Est a commencé avec la République tchèque, la Hongrie et la Pologne en 1999 sous l'administration Clinton puis s'est poursuivie avec la Slovaquie, la Slovénie, la Bulgarie, la Roumanie, l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie en 2004.

    Bien entendu, le désir d'installer un régime pro-occidental en Ukraine a aussi été démontré avec la "Révolution orange" en 2004. Après les élections de 2014, le nouveau gouvernement de Kiev a annoncé un référendum pour rejoindre l'OTAN tandis que la Russie annonçait clairement qu'elle ne tolèrerait pas une Ukraine membre de l'alliance sur sa frontière.

    Quelle est la raison profonde derrière l'insistance de l'Ouest à étendre son influence en Ukraine, sachant que cela va forcément conduire à une confrontation avec la Russie ?

    Est-ce la conséquence d'une stratégie US craignant un rapprochement entre l'Europe et la Russie ?

    Boris Kagarlitsky : Le conflit géopolitique engendré par l'expansion de l'OTAN est le produit d'un processus économique et social ayant lieu en Europe. C'est en fait la logique du modèle néolibéral [NDLR - ce que nous qualifions de logique issue du triomphe du capitalisme impérialiste occidental sur les mouvements sociaux révolutionnaires et même réformistes conséquents, la menace (internationale) révolutionnaire communiste et finalement même le "contre-pouvoir mondial" représenté par l'URSS, entre les années 1970 et 1990] qui stimule l'expansionnisme otanien.

    Ceci est très semblable à ce que nous avons pu voir à la fin du 19e siècle, avec la vague de colonialisme engendrée par la "Dépression victorienne tardive" [la crise mondiale de 1873 NDLR : nous avons déjà expliqué que celle-ci est en fait le début de la première crise générale du capitalisme, qui sera "résolue" temporairement vers 1895-1900 par l'expansion coloniale dont parle Kagarlitsky ; mais cette "résolution" conduira directement à la Première Guerre mondiale qui conduira elle-même à la crise de 1929 et à la Seconde, dont la fin en 1945 sera aussi celle de cette première crise générale - une nouvelle crise débutera autour de 1970, c'est celle où nous nous trouvons et qui est entrée dans la seconde moitié des Après la mort de Mozgovoï, un point sur la situation en Ukraine avec Boris Kagarlitskyannées 2000 dans sa phase terminale]. Pour stabiliser le système sans le changer et pour faire face à la chute brutale du taux de profit sans transformer la manière de produire et de distribuer, vous devez créer de nouveaux marchés, soumettre aux lois du marché des secteurs qui ne le sont pas encore et faire irruption dans les marchés existants pour les réorganiser conformément aux besoins d'une exploitation plus dure encore.

    C'est ce que David Harvey appelle le "spatial fix" [intraduisible, ce terme évoque à la fois un nouvel ancrage géographique dans la quête de ressources ou de débouchés mais aussi le caractère temporaire d'une telle solution, à l'image du bien-être momentané d'un "fix" de drogue]. L'expansion de l'OTAN en Europe de l'Est et l'actuelle crise ukrainienne répondent de la même logique, mais la différence est que dans les années 1990 l'expansion occidentale n'était pas désespérée - elle exprimait la force des capitalismes européens et nord-américains.

    Aujourd'hui, la politique de prise de contrôle et de colonisation de l'Ukraine est le fruit de l'extrême gravité de la crise économique : c'est un acte de désespoir.

    Et contrairement à l'Europe centrale, qui a souffert du processus d'intégration mais a aussi réussi à en retirer quelques bénéfices, il n'y a rien que l'Ouest puisse offrir à l'Ukraine sinon une satisfaction symbolique et un appui militaire à l'oligarchie.

    De l'autre côté, la Russie et certains segments du Capital industriel ukrainien veulent protéger leur propre sphère d'intérêts.

    C'est pourquoi ils ont soutenu la rébellion populaire en Novorussie**. Mais ils l'ont fait à contrecœur, car les forces sur le terrain sont plutôt radicales et veulent renverser le système oligarchique et le néolibéralisme en tant que tels.

    La lutte en Novorussie se déroule donc sur deux fronts simultanément, et le rôle du Pouvoir russe est contradictoire.

    La Russie soutient la rébellion, tout en essayant de l'écraser en tant que mouvement social.

    Jusqu'ici les dirigeants de Moscou se sont efforcés de placer leurs hommes à la tête des républiques novorusses, mais ils ont échoué à contrôler la situation sur le terrain où les groupes de gauche et radicaux sont armés et influencent idéologiquement les combattants. 

    Que dire de l'influence et des intérêts russes de longue date en Ukraine, autrement dit, peut-on parler d'un impérialisme russe ?

    Le rêve des élites russes est d'avoir de bonnes relations avec l'Ouest. Leur argent est à l'Ouest, leurs enfants sont à Oxford ou Harvard, leurs propriétés en Suisse ou en Angleterre. Elles sont prêtes à pratiquement toutes les concessions qui ne déstabiliseraient pas la Russie elle-même. Mais l'Ouest n'accepte pas ces offres. Les cercles dirigeants de l'UE préfèrent parler de menace russe plutôt que de coopération avec la Russie.

    C'est en partie parce qu'ils pensent pouvoir retirer toujours plus de la situation, en partie parce qu'ils sont otages de leur propre propagande, et en partie parce qu'ils ne comprennent réellement pas ce qu'il se passe dans la société russe.

    La situation en Crimée en est l'exemple parfait : aucun gouvernement russe ne va jamais abandonner la région car au moment même où il le fait, il tombe.

    Par rapport à la thèse de l'"impérialisme russe", il faut être absolument clair : la Russie est la force dominante dans la région et tente de se maintenir dans cette position. Cela ressemble à la situation du Brésil en Amérique latine ou de l'Inde en Asie du Sud. Parallèlement, chacun peut constater que la Russie est aujourd'hui un pays capitaliste avec une classe dominante qui a ses propres intérêts. Mais cela rend-il la Russie impérialiste ?

    Après la mort de Mozgovoï, un point sur la situation en Ukraine avec Boris KagarlitskyNon, en tout cas pas au sens marxiste du terme [NDLR nous sommes en désaccord total bien entendu]. Nous ne parlons pas d'impérialisme indien ou brésilien dans des conditions similaires. Pour ce qui est de la Chine, l'on peut se poser la question de savoir si l'on peut maintenant la regarder comme un impérialisme en Afrique. Mais dans le contexte de l'Ukraine, il est très clair que la Russie est dans une position défensive.

    Le paradoxe est que beaucoup de grandes entreprises russes sont opposées à une défense active des positions stratégiques en Ukraine, car elles sont plus intéressées par garder de bonnes relations avec l'Ouest. Mais globalement, sur cette question, la classe dominante russe est totalement désunie.

    Les raisons officielles de l'ajournement par Ianoukovitch de l'accord d'association avec l'UE - l'évènement qui a déclenché le conflit - vont de son refus de la libération de Timochenko comme condition préalable jusqu'aux termes très rudes de l'accord avec le FMI, qui demandait des augmentations sèches des prix du gaz à domicile ou encore des coupes sévères dans les dépenses publiques. 

    Cependant, les médias occidentaux ont beaucoup clamé que c'est la rencontre secrète entre Poutine et Ianoukovitch qui a en réalité conduit à l'ajournement de l'accord quelques semaines seulement avant la date prévue pour sa signature.  

    L'Union européenne avait pourtant considérablement avancé dans la substitution à la Russie comme premier partenaire commercial de l'Ukraine ; et elle l'a désormais clairement surpassée. 

    Ayant observé la situation depuis un long moment, pourquoi la Russie aurait-elle décidé de menacer Ianoukovitch de sanctions économiques quelques semaines seulement avant la signature de l'accord d'association avec l'UE, après des négociations qui ont duré des années, et attendu ce moment pour faire sa contre-proposition d'intégrer l'Ukraine à son Union économique eurasiatique ?  

    Et quel a été le rôle des intérêts capitalistes de Donetsk représentés par Ianoukovitch ?   

    Les articles économiques de l'accord exigeaient des changements dans les standards technologiques et autres de l'industrie ukrainienne. Ceci signifiait une mort immédiate pour l'économie ukrainienne et la perte soudaine de tous ses marchés traditionnels. C'était exactement le but de l'accord : détruire l'économie souveraine de l'Ukraine et transformer la population en réservoir de force de travail immigrée pour l'UE [comme les Roumains et les Bulgares aujourd'hui, ou les Polonais pendant longtemps, pour des "missions" de "travail temporaire international" en particulier dans le BTP], en main d’œuvre bon marché pour les "investissements directs" étrangers et en consommateurs de produits d'importation.

    C'est pourquoi non seulement Ianoukovitch, mais aussi son gouvernement étaient réticents à signer un tel accord. Et même aujourd'hui il n'est toujours pas en application, dans des conditions de guerre civile toujours en cours qui pourrait bien mener à l'effondrement du régime de Kiev.

    Pour ce qui est de l'attitude de Gazprom dans les négociations avec l'Ukraine, il est absolument clair qu'il y a toujours eu des pressions sur l'entreprise pour maintenir des prix bas vis-à-vis de Kiev, afin de garder de bonnes relations entre les deux pays. Lorsqu'il est devenu clair que l'Ukraine était en train de sacrifier ses relations avec la Russie pour rejoindre l'UE, Gazprom a utilisé comme menace la possibilité d'oublier ses obligations politiques envers ses partenaires ukrainiens et d'augmenter les prix. Il est important de souligner que la situation financière de l'entreprise n'était pas bonne à ce moment-là : elle avait besoin d'argent.

    Toutefois, par la suite, les pressions politiques ont repris et Gazprom fournit à nouveau du gaz à l'Ukraine à prix discount.

    Quelle est votre perception des mouvements Maïdan et anti-Maïdan ? Quelles sont leurs respectives bases de classe ? S'agit-il de mouvements populaires endogènes et spontanés ou de soulèvements fabriqués sous influence étrangère, dans un but impérialiste ? 

    Après la mort de Mozgovoï, un point sur la situation en Ukraine avec Boris KagarlitskyMaïdan était une étrange combinaison d'éléments marginalisés de l'Ouest de l'Ukraine soutenant l'extrême-droite et de catégories moyennes et moyennes-supérieures de Kiev qui soutenaient les nationalistes libéraux. Le mouvement du Sud-Est est quant à lui composé d'ouvriers, de salariés et de petits entrepreneurs.

    Mais cette fracture géographique ne reflète pas la totalité de la situation. La résistance au gouvernement en place à Kiev n'est en aucune manière limitée au Sud-Est. En réalité, la résistance est très forte à Kiev même. Il y a aussi des groupes de résistance en Ukraine occidentale, bien qu'ils soient confrontés à une forte répression. La question linguistique a joué un rôle très mineur dans la détermination des allégeances, contrairement à ce que disent les médias russes. En réalité, les deux bords sont à prédominance... russophone.

    Au printemps 2014, nous (l'Institut pour la Recherche globale et les Mouvements sociaux, IGSM) avons organisé à Belgorod [en Russie, juste de l'autre côté de la frontière en face de Kharkov] une école pour activistes sociaux ukrainiens, à laquelle ont assisté des militants de tout le pays. La composition de classe de ces mouvements de résistance était très claire comme pouvaient l'être leurs sympathies, que l'on peut qualifier de "gauche populiste".

    Cela n'est pas forcément anticapitaliste, mais le socle commun est un rejet du néolibéralisme et le sentiment qu'il faut lutter pour restaurer l’État-providence (la "République sociale") et la souveraineté populaire. L'attitude vis-à-vis de la Russie est contradictoire. D'un côté, Moscou aide le mouvement à résister à Kiev. De l'autre, la Russie s'oppose aux réformes politiques et sociales qui sont vues comme l'objectif de la lutte. En ce sens les déclarations d'Alexeï Mozgovoï, l'un des plus populaires commandants de la rébellion, sont assez parlantes.

    En mars 2014, l'enregistrement d'une conversation téléphonique entre la cheffe de la politique étrangère européenne Catherine Ashton et le Ministre des Affaires étrangères estonien Urmas Paet a été éventé. Dans cette conversation, Paet affirme avoir été informé lors de sa visite en Ukraine que la nouvelle coalition arrivée alors au pouvoir était derrière les snipers qui avaient tiré sur les manifestants et la police sur la Place de l'Indépendance en février 2014. Que pensez-vous de ces évènements qui ont conduit Viktor Ianoukovitch à fuir le pays quelques jours plus tard ? 

    Il a pu y avoir une provocation, mais probablement pas dans le cas des snipers. Il y a un grand nombre de supports vidéo qui sont assez clairs : les snipers de la police ont commencé à répliquer en ouvrant le feu seulement lorsque les forces gouvernementales ont été attaquées. Le bilan des pertes est également clair : environ 50 policiers ont été tués le premier jour. Ce n'est que les jours suivants qu'il y a eu des pertes parmi les protestataires. Cela ne ressemble pas vraiment à un cas classique de répression policière...

    Alors que la Russie avait signé à la hâte la Déclaration de Genève en avril 2014, acceptant des termes aussi défavorables que “le désarmement de tous les groupes armés illégaux”, avec la retraite des troupes ukrainiennes vers la fin de l'été 2014 ce sont Kiev et l'Ouest qui se sont précipités pour signer le Protocole de Minsk en septembre. Ils ont annoncé une semaine plus tard que l'accord de libre-échange entre l'Ukraine et l'Union européenne allait être ajourné sine die. Ceci semble indiquer un changement rapide dans le rapport de force sur le terrain. Depuis la signature de Minsk I en septembre 2014, où en est-on en termes de rapport de force entre la Russie et l'Ouest ? 

    Après la mort de Mozgovoï, un point sur la situation en Ukraine avec Boris KagarlitskySur le terrain les opolcheniye (forces rebelles) gagnent toutes les batailles, et ceci se reflète dans les négociations. Bien sûr le matériel militaire russe fourni aux Républiques de Donetsk et Lugansk en août 2014 et par la suite a joué un rôle important, tout comme les conseillers et les volontaires.

    Mais la diplomatie russe accepte systématique les pires conditions possibles pour la Novorossiya au regard du rapport de force du moment.

    Y avait-il toujours une chance pour l'élection de gouvernements de gauche à Donetsk et Lugansk, ou le Kremlin contrôlait-il totalement les choses, s'assurant que cela n'arrive jamais ? Quelle est la situation dans les Républiques aujourd'hui, et quelle est exactement la politique de Moscou vis-à-vis de la Novorussie et de l'Ukraine ? 

    Les mouvements de gauche étaient assez forts à Donetsk et Lugansk au printemps 2014, ce qui se reflétait dans leur forte présence au sein des Soviets suprêmes des deux républiques. Cependant, à partir d'août 2014, les représentants de la Russie ont réussi avec succès à marginaliser la gauche dans les structures de pouvoir de celles-ci.

    Le principal instrument pour cela a été la fourniture d'aide humanitaire et de matériel militaire, soumise en contrepartie à de sérieuses concessions politiques. Certains dirigeants des Républiques qui n'étaient pas d'accord avec cette politique ont dû se démettre. Vers la même période, l'école IGSM pour les mouvements sociaux a été fermée à Belgorod (nos comptes à la Sberbank ont été tout simplement bloqués).

    Il y a eu des attaques physiques contre d'importantes figures de centre-gauche comme Pavel Gubarev***. En automne, ceci a été suivi par la décision de ne pas valider les candidatures de gauche aux élections pour le nouveau parlement, désormais totalement sous contrôle russe.

    Toutefois, une grande partie de la gauche représentée par l'organisation Borotba, le Parti communiste (KPU) et d'autres groupes a trouvé refuge dans les structures des milices populaires, qui se sont radicalisées politiquement. Ceci se reflétait dans les déclarations d'Alexeï Mozgovoï.

    En tant que commandant de la "Brigade Fantôme", Mozgovoï avait appelé à la démission des pantins de Moscou dans les gouvernements de Donetsk et Lugansk, qui bloquaient selon lui la lutte populaire pour libérer l'Ukraine des oligarques.

    Ceci n'a cependant pas conduit à un véritable conflit interne, car en janvier les affrontements militaires avec Kiev ont repris.

    Il faut tout de même préciser que cette situation ne peut être reprochée seulement aux dirigeants de Moscou. La gauche à Donetsk était plutôt naïve et inexpérimentée. Elle a par conséquent non seulement perdu beaucoup d'opportunités, mais elle était aussi totalement impréparée aux attaques qu'elle a subi.

    Mais il faut encore plus blâmer pour ce résultat la gauche internationale et une grande partie de la gauche russe qui n'ont rien fait pour soutenir politiquement ou matériellement les forces progressistes en Ukraine du Sud-Est. Au lieu d'aider la lutte réelle, ces personnes et ces organisations étaient engagées dans des débats honteux sur le caractère "politiquement correct" des combattants sur le terrain et sur le fait qu'ils méritent ou non leur soutien [NDLR : le même problème surgit à chaque fois qu'il est question de la Palestine, ajouté au fait que "trop" dénoncer les crimes de l’État sioniste et leurs défenseurs intellectuels ou même physiques (LDJ, Betar etc.) à travers le monde serait faire preuve d'"antisémitisme"... La vérité c'est que les combattants populaires du Donbass étaient et sont certainement très loin d'être "parfaits" selon nos standards progressistes occidentaux et que d'ailleurs, comme le souligne Kagarlitsky lui-même, ce sont désormais les courants "grand-russes" directement liés à l'impérialisme de Moscou qui ont pris l'ascendant (courants qu'il ne s'est par ailleurs jamais agi de soutenir, mais au contraire de renforcer la gauche contre eux !) ; mais surtout que la "gauche" ukrainienne pro-Maïdan (social-démocrate, "anarchiste" voire "marxiste")Après la mort de Mozgovoï, un point sur la situation en Ukraine avec Boris Kagarlitsky grassement sponsorisée par les "ONG" impérialistes sait parfaitement sur quels "sujets sensibles" manipuler l'extrême-gauche occidentale - comme par exemple les propos sexistes qu'aurait tenus Mozgovoï, encore que cette affaire soit elle aussi contestée (des sources affirment qu'il parlait au second degré, moquant justement l'idée que le fait que les femmes sortent la nuit "expliquerait" qu'elles se fassent violer), ou encore le passé nationaliste de Gubarev et toute la campagne de démolition visant Borotba à partir des propos ou des "relations" d'untel ou untel, etc. etc.].

    Vous avez pu écrire que les élections de novembre 2014 à Donetsk et Lugansk, qui ont vu un taux de participation élevé, tendraient à atténuer les tensions à l'intérieur de ces républiques, en particulier entre le pouvoir politique et les forces rebelles. Comment la situation a-t-elle évolué depuis, avec la reprise des combats en janvier suivie d'une nouvelle trêve (accords de Minsk II en février 2015) ? Observe-t-on des tensions entre le pouvoir politique et les forces rebelles dans les Républiques ? Y a-t-il des désaccords stratégiques significatifs ? 

    Lorsque l'accord de Minsk I a été signé, tout le monde savait bien que ce serait une trêve de courte durée et que les hostilités allaient reprendre très rapidement. La même chose peut être dite au sujet de Minsk II.

    Pour ce qui est des tensions entre les combattants opolcheniye et la direction politique, elles sont très importantes particulièrement à Lugansk. Mais avec le soutien de Moscou, les dirigeants parviennent à maintenir les opolcheniye sous contrôle. Ils tentent aussi de renvoyer chez eux les volontaires russes à motivations idéologiques, et de les remplacer par des éléments loyaux envers le Kremlin et la direction actuelle des Républiques.

    Certains avancent que la chute brutale des prix du pétrole et du gaz (depuis septembre et novembre 2014 respectivement) serait le fruit d'une attaque coordonnée états-unienne et saoudienne contre la Russie (et possiblement aussi l'Iran et le Venezuela). L'Ukraine se trouve-t-elle elle-même au milieu de cet échiquier géopolitique énergétique ? Et que pensez-vous de l'accord alternatif russo-turc après l'abandon du South Stream en décembre ?

    La chute des prix du pétrole n'a rien à voir avec une quelconque conspiration. La seule chose étrange est qu'elle ne se soit pas produite beaucoup plus tôt. Dès 2011 Sergueï Glaziev, conseiller économique de Poutine, avait publié un livre prédisant l'effondrement des prix du brut en 2014 au plus tard. L'expert économique de l'IGSM, Vassili Koltashov, a lui aussi écrit à plusieurs occasions qu'il n'y avait aucune chance de maintenir des cours élevés au-delà de l'automne 2014. C'était totalement prévisible en raison de l'énorme surproduction de pétrole depuis 2011, avec l'entrée sur le marché des États-Unis eux-mêmes en tant que producteurs. Les prix élevés des hydrocarbures résultaient de la politique de facilités de la Après la mort de Mozgovoï, un point sur la situation en Ukraine avec Boris KagarlitskyRéserve fédérale américaine. Cette politique avait de sérieuses limites, et il était clair qu'elle ne pourrait pas durer beaucoup plus longtemps que ce qu'elle a en fait duré.

    En ce qui concerne le South Stream et le nouveau projet de pipeline à travers la Turquie, le principal problème pour Moscou n'est pas de trouver un tracé alternatif mais plutôt de faire face à la chute de la demande et à des changements sur le marché de l'énergie qui ne font que commencer... La Russie doit trouver les moyens de réorienter son économie vers le développement du marché intérieur plutôt que de fournir de l'énergie à l'Ouest ; mais ceci ne se produira pas sans des changements sociaux et politiques radicaux vu que cela affecte la structure même, la composition et les intérêts de la classe dominante actuelle.

    L'assassinat de Boris Nemtsov a été décrit par beaucoup comme un tournant. Est-il susceptible d'avoir un impact important, d'une façon ou d'une autre, sur l'opinion publique russe ou sur la politique du Kremlin vis-à-vis de l'Ouest et de l'Ukraine ?

    Même au sein de l'opposition libérale, personne ne prenait vraiment Nemtsov au sérieux avant qu'il ne soit tué. Bien sûr, sa mort a été utilisée par l'opposition pour mobiliser ses troupes dans des marches de protestation mais même ainsi, la participation à ces marches a été bien inférieure à celle de l'hiver 2011-2012.

    Ce qui peut être vu en revanche comme un tournant, c'est la décision des autorités britanniques d'attirer les investisseurs russes à Londres. Ceci a eu un sérieux effet démoralisant sur les décideurs de Moscou, augmentant encore leur volonté de faire des concessions. Mais tant que l'Ouest n'est pas prêt à accepter le moindre terme raisonnable de compromis... ou même de reddition à moins que le gouvernement russe n'accepte d'anéantir son propre pays, cela ne suffira pas pour sortir de l'impasse. Du moins, pas dans l'immédiat.

     Source : http://www.potemkinreview.com/kagarlitsky-interview.html


    L'on pourra lire également cette excellente mise au point par le dirigeant de l'organisation marxiste-léniniste Borotba Victor Shapinov (septembre 2015) : Le marxisme et la guerre dans le Donbass (ou "De l'internationalisme à géométrie variable d'une certaine extrême-gauche").

     


    * Les habituels petits donneurs de leçons ultra-gauchistes, notamment, n'ont pas tardé à crier haro sur le baudet sitôt sa (petite) notoriété acquise à l'ouest du défunt Rideau de Fer : on peut lire ici un bel exemplaire de tissu de mensonges, de raccourcis et d'amalgames typique de cette engeance politique (engeance que nous avons beaucoup "pratiquée" chaque fois que "le camp du Peuple est notre camp" a impliqué d'être aux côtés d'une lutte contre Israël ou contre une "révolution colorée" made in NED, d'une lutte "soutenue" par la Russie ou l'Iran ou Chávez etc. etc. ; histoire de nous changer des volées de "trotsko-maoïstes BHL !!" reçues depuis le camp "Collon-LGS" lorsque nous soutenons un juste soulèvement populaire contre un despote "anti-impérialiste"). Sinon, avant la crise en Ukraine, le nom de Boris Kagarlitsky apparaissait dans une "liste de proscription" de "rouges-bruns-verts" dressée en 2004 par... l'essayiste et "géopolitologue" d'ultra-droite Alexandre del Valle, ancien souverainiste proche de Philippe de Villiers (plutôt anti-américain, anti-atlantiste, pro-serbe etc. à l'époque) devenu au début des années 2000 néocon ultra-islamophobe et anti-anti-impérialiste, "défense de l'Occident judéo-chrétien" et pro-Israël, fondant avec le harki Rachid Kaci le courant de la "Droite libre" au sein de l'UMP : dis-moi qui te dénonce, je te dirais qui tu es ; dis-moi aux côtés de qui tu dénonces, et je te dirais où tu peux aller te carrer tes sermons "anti-confusionnistes"...

    ** Cette question de "Novorussie"/"Novorusses" a été très largement débattue, et non sans raisons. En effet, les cartes "ethnographiques" tendent à montrer que les véritables Russes (selon, sans doute, l'ancienne classification soviétique des nationalités) ne sont majoritaires qu'en Crimée (~ 60%) et dans quelques raïons (districts) du Donbass, de la région de Kharkov ou encore proches de la Moldavie (Boudjak). Mais alors, sur quoi (diable) repose donc cette (fichue) identité "novorusse" du Sud et de l'Est de l'Ukraine ? Eh bien, elle repose peut-être précisément sur cela : ni les Russes, ni les Ukrainiens ni qui que ce soit d'autre (Bulgares, Tatars, Roumains/Moldaves, Gagaouzes etc.) ne représentent une écrasante majorité de 90% ou plus dans ces régions. La caractéristique locale est justement le multiethnisme.

    Le bandérisme, cet ultra-nationalisme fondé sur une "pureté" ethnique ukrainienne "plus-vraie-que-vraie", n'y fonctionne donc pas (sans même parler du fait que sa collaboration passée avec le nazisme, dans des régions martyres de la guerre d'extermination lancée par Hitler contre l'URSS, ne plaide pas en sa faveur...). Des idéologies au service de l'impérialisme russe telles que l'"eurasisme", le "panslavisme" (unité plus ou moins fédérale de tous les Peuples slaves) ou encore un certain "néo-soviétisme" peuvent y fonctionner - et de fait y fonctionnent ; mais le bandérisme, la population du Sud et de l'Est de l'Ukraine le vomit. Si l'Ouest (à 90 ou 95% ukrainien "ruthène") en veut, "tant mieux" pour lui ; mais au Sud et à l'Est on n'en veut pas, c'est ainsi.

    On notera que cette culture de coexistence nationale s'accompagne généralement d'un usage de la langue russe comme lingua franca ou plus localement (surtout le long du Dniepr - en orange sur cette carte) d'un dialecte populaire mêlant russe et ukrainien, le sourjyk ; d'où la confusion qui tend à s'installer entre russophones (notion linguistique), "pro-russes" (notion politique) et "Russes" au sens de la classification soviétique des nationalités (notion "ethnique"). La carte de l'usage principal du russe dans la vie quotidienne, ou encore celle des partisans de sa co-officialité (aux côtés de l'ukrainien) montrent ainsi des réalités notablement différentes de celle des pourcentages de Russes "ethniques".

    *** C'est là aussi, concernant ce Gubarev, un peu plus compliqué que cela... et cela illustre parfaitement le fossé qui sépare notre conception du monde ici de celle des masses populaires de là-bas ! Pour l'extrême-gauche occidentale, mais aussi pour (à vrai dire) tout le champ politique bourgeois à l'exception de l'extrême-droite russophile (majoritaire) qui y voit un "patriote", Pavel Gubarev est un homme d'extrême-droite - nationaliste, militariste, "grand-russe" etc. et d'ailleurs "autrefois membre du groupe fasciste Unité nationale russe". Mais pour la perception "commune" en Russie et en ex-URSS, y compris (donc) pour un marxiste comme Boris Kagarlitsky, il est effectivement un homme de "centre-gauche"... Il n'est pas (en tout cas plus : "errements de jeunesse" selon ses dires) quelqu'un se réclamant ouvertement du nazisme et/ou de ses alliés lors de la Seconde Guerre mondiale, ce qui est la première définition d'"extrême-droite" là-bas (souvenir de la Seconde Guerre mondiale - justement - oblige), mais au contraire quelqu'un qui combat les hitléro-nostalgiques pro-Kiev ; et il n'est pas non plus un ultra-ultra-libéral... ce qui est l'autre définition. Il est considéré là-bas comme de "centre-gauche" tandis que Poutine, réputé moins "social" et plus proche des milieux d'affaire, est considéré comme de "centre-droite". De "centre-gauche" comme l'"opposition" officielle à "Russie unie" de Poutine, le parti "Russie juste" formé notamment à partir de l'ancienne organisation Rodina... elle aussi considérée en son temps comme d'"extrême-droite" par les Occidentaux (de fait il s'agissait d'un "missile" politique de Poutine qui a mécaniquement "siphonné" l'électorat du Parti "communiste" - KPRF - mais aussi... du Parti "libéral-démocrate" de Jirinovski, lui aussi unanimement considéré comme d'extrême-droite - y compris en Russie même). Ou encore, de "centre-gauche" comme le Parti "socialiste progressiste" ukrainien dont il se dit désormais proche.
    C'est qu'il faut bien comprendre que là-bas, le nationalisme n'est pas du tout considéré en soi comme un marqueur de droite ou d'extrême-droite - pas plus que le positionnement sur les questions démocratiques dites "sociétales" (sexisme, homophobie etc.) : en réalité, la classification sur l'axe gauche-droite dépend presque uniquement du positionnement plus ou moins "social" ou au contraire ouvertement pro-capitaliste, sauf comme on l'a dit à se réclamer ouvertement du IIIe Reich ou de forces similaires. En Serbie dans les années 1990, Milosevic avec son Parti "socialiste" et son épouse Mirjana Markovic avec sa "Gauche yougoslave" (aux thèses finalement proches du PSP d'Ukraine...) étaient vus d'ici tout simplement comme des fascistes... Mais là-bas ils étaient considérés comme "de gauche", des "communistes", des "rouges" et c'est d'ailleurs en tant que tels qu'ils ont été renversés en 2000 (victoire électorale de Vojislav Kostunica suivie de soulèvements populaires) et déjà secoués par une forte contestation en 1996 : non pas en tant que nationalistes mais en tant que "socialistes"/"communistes", par des personnes se réclamant "de droite"... et tout aussi nationalistes (sinon plus) qu'eux !
    Il ne s'agit pas - encore une fois ici - de "justifier" ceci mais de le comprendre. Comprendre par exemple que là-bas le nationalisme n'est pas l'expression d'une domination tranquille et en toute bonne conscience (comme en Occident où il n'est souvent même plus assumé comme tel, mais où l'on se gargarise de "nos valeurs" et de "notre civilisation"), mais bien l'expression d'une peur existentielle : les "retours de bâton" sont vite arrivés et spectaculaires, et le dominant voire le génocidaire d'hier peut devenir le génocidé ou le "nettoyé ethnique" de demain - on l'a bien vu en Yougoslavie où la majorité des crimes ont été commis par les Serbes, mais au premier retournement de rapport de force (1995) au profit des Croates, les Serbes de Dalmatie et de Bosnie se sont retrouvés chassés par centaines de milliers dans des violences faisant des milliers de victimes (ceci "justifiant" a posteriori, aux yeux des Serbes, leur politique nationaliste antérieure). Et en Ukraine, après que Viktor Ianoukovitch ait régné pendant 4 ans comme "homme de la Russie" (encore que ç’ait été plus "équilibré" que cela, ce dont Moscou semblait se satisfaire), ce sont à présent les personnes réputées "russes" ou "mauvais ukrainiens" (demi-russes, russifiés/russophones ou en tout cas hostiles au nationalisme ukrainien excluant) qui font face aux violences des tenants bandéristes (considérant les collaborateurs du nazisme comme des héros) d'une Ukraine "ukrainienne pure"... S'ajoutant à cela la violente offensive capitaliste (tant interne - avec les "oligarques" - qu'étrangère) en cours depuis 25 ans pour mettre en coupe réglée une force de travail sortie brutalement du mode de vie relativement "protégé" de l'époque soviétique ; l'on comprend facilement qu'il n'est pas possible de plaquer artificiellement sur ces pays et ces sociétés nos notions et définitions de "droite" et de "gauche" - c'est presque aussi absurde, à vrai dire, que de le faire sur la situation palestinienne ou sur les pays arabes en général (et ceux qui le font sont d'ailleurs généralement les mêmes).

    Bien sûr, ceci est un constat de fait mais pas la solution, et n'a pas vocation à durer. Dans un monde revenu - pour ainsi dire - au début du 20e siècle, nous partageons totalement pour cette partie de l'Europe (revenue au temps des guerres balkaniques...) l'analyse léniniste reprise dans le Manuel de formation MLM du PC maoïste d'Inde : reconnaissance et respect absolu des réalités et sentiments nationaux à travers le droit à l'autodétermination (donc droit au respect et à la sécurité de la minorité russe et de toutes les minorités en Ukraine et droit des habitants du Donbass, de la Crimée et d'autres régions encore à ne pas faire partie d'une Ukraine nationaliste fanatique qui les considère comme des sous-hommes) ; mais rejet absolu des nationalismes bourgeois chauvins et "purificateurs" et recherche de l'unité et de la fraternité des prolétariats ("La tâche du prolétariat dans ces pays est de soutenir le droit des nationalités à l'autodétermination. Dans cette perspective, la tâche la plus difficile mais aussi la plus importante est de faire converger la lutte de classe des travailleurs des nations oppresseuses avec celle des travailleurs des nations opprimées" - sachant que la nationalité oppresseuse et la nationalité opprimée sont là-bas des notions évolutives : l'opprimé d'hier peut très vite devenir l'oppresseur de demain). Pour sortir, enfin, du cycle infernal des revanches et contre-revanches national-identitaires qui ne servent que les impérialistes dans leurs luttes de repartage permanent de la région !

    Flash info - Ukraine : le commandant Alexeï Mozgovoï assassiné... Était-il TROP sur la bonne voie ?


  • Commentaires

    2
    Mardi 9 Juin 2015 à 10:56

    La phrase de Democracy & Class Struggle n'est pas facile à comprendre ni à traduire, et semble lourde de contresens... Ce qu'il semble vouloir être dit c'est que Lénine a défini l'impérialisme sur la base du Capital financier, or cela ne semblait pas tout à fait s'appliquer au Japon du début du 20e siècle ni à la Russie d'aujourd'hui (les raisons en sont données dans le paragraphe suivant). La comparaison Russie-Japon s'arrête là.

    On en pense ce qu'on en pense. Il est clair que la Japon de 1905 correspondait à peu de choses près à ce que l'on appelle aujourd'hui un "émergent" : un État qui surgit comme acteur majeur sur la scène internationale, à la faveur de la crise générale du capitalisme (grandes dépressions de 1873-1896 puis des années 1920-30) qui affaiblit le Centre traditionnel occidental du capitalisme mondial... le même phénomène s'observant avec la crise que nous connaissons depuis les années 1970, et qui depuis une trentaine d'années a aussi produit ses économies "émergentes" lesquelles, si elles n'ont pas l'agressivité militaire expansionniste du Japon de l'époque (sauf peut-être dans le cas... du Capital arabe du Golfe qui finance le djihad), infligent à l'Occident une rude concurrence économique et suscitent les mêmes réactions hystériques (et aussi les mêmes collusions en sous-main, pour "jouer" ces petites puissances les unes contre les autres, comme il est notoire qu'en 1904-05 les Anglais en "joué" le Japon contre la Russie en Extrême-Orient).

    Nous ne saurions dire s'il était alors un pays impérialiste, peut-être ne l'est-il réellement devenu (paradoxalement) qu'après sa défaite en 1945, comme impérialisme purement économique et "vassal" des US. Mais en tout cas l'intention, le "projet" de devenir une puissance impérialiste mondiale (la moitié de la planète était visée, rappelons-le) étaient nets. D'une manière générale, passé 1900, je dirais que ne deviennent impérialistes que des pays un peu conséquents passant par le socialisme ensuite trahi, autrement dit la Russie et la Chine - ni l'une ni l'autre n'étant selon nous impérialiste en 1900 ou 1910 ; la Chine était une semi-colonie totale bien que son "réveil" était déjà craint (à juste titre) par l'Occident, et la Russie était une sorte d’État géant tenant militairement d'immenses territoires et populations mais ceci au bénéfice principal des investisseurs étrangers, à commencer par son grand allié français (les champs pétroliers de Bakou, par exemple, étaient tenus à 90% par du Capital non-russe et majoritairement français si ma mémoire est bonne).

    Donc en passant par une révolution socialiste développant colossalement les forces productives, ensuite trahie et le capitalisme restauré, la Russie et la Chine ont pu devenir impérialiste au 20e siècle. Mais d'autres pays ont pu à la faveur des crises générales (1873-1945 et depuis les années 1970) se "faufiler" et devenir des impérialismes "modestes" ou en tout cas s'engager dans cette voie, et c'est typiquement le cas du Japon pendant la première crise générale, dont a aussi (à mon sens) profité l’État espagnol pour devenir un très petit impérialisme (de la puissance du Danemark ou de la Suède en 5 à 10 fois plus peuplé) en parasitant les capitalismes nationaux basque et catalan. Ce sont les seuls cas que je voie, à ce stade les tentatives de l'Argentine (avec Perón principalement) ou du Brésil (avec Vargas) ou encore de la Turquie (avec Atatürk) ont échoué et ces pays ont été ramenés dans le semi-colonialisme (ils sont redevenus "émergents" depuis les environs de l'an 2000, mais enfin d'"acteurs régionaux de poids" à pays impérialistes - même "petits" - il y a encore de la marge). Enfin le pays le plus proche aujourd'hui de ce qu'était la Russie en 1905 ou 1910, c'est à mon sens très certainement l'Inde - rien n'est dû au hasard pour le matérialisme, et c'est donc dans ce pays que le mouvement révolutionnaire a le plus haut niveau sinon quantitatif, du moins qualitatif.

    Ce qu'il faut surtout comprendre dans ce que dit D&CS, pour en revenir au sujet, c'est qu'il ne faut pas tomber dans le piège de voir la Russie comme la menace n°1 pour les peuples de l'humanité, comme l'erreur dans laquelle avaient basculé les maos des années 70 pour découvrir finalement que l'URSS était un colosse aux pieds d'argile qui s'est effondré aux premières secousses de mécontentement populaire un peu "attisées" par ses ennemis occidentaux (et donc, au final, nos maos dénonçant l'URSS comme "première superpuissance en termes de dangerosité" n'ont fait que servir le triomphe du capitalisme impérialiste occidental non seulement sur le vrai communisme mais aussi sur le faux et même sur la social-démocratie, ouvrant l'ère de ce que l'on appelle "néolibéralisme").

    La Russie est un État totalement capitaliste (qui ne s'en cache plus depuis 1991), petit-impérialiste (l'URSS de Brejnev était beaucoup plus puissante), 100% réactionnaire et dont il faut dénoncer les crimes en Tchétchénie et ailleurs. Par rapport à ce qu'était l'URSS, c'est un peu comme l'Allemagne de Weimar par rapport à celle du Kaiser : une puissance qui a subi une grande défaite géostratégique, acculée et sur la défensive pour son "espace vital", ce qui peut entraîner des réactions très dangereuses (même si l'intention de Poutine, pour le moment, semble être plus de financer une prise de pouvoir du FN que de nous envoyer directement les chars). Mais on ne peut pas "lire" l'actualité, même aux portes de la Fédération (en Ukraine par exemple), en faisant de Moscou le seul et unique grand méchant de l'affaire. Les seules véritables "colonies" de la Russie sont à l'intérieur de la Fédération (on peut d'ailleurs en dire autant de la Chine, à vrai dire non seulement les minorités mais 80% des Hans sont une colonie de la caste dirigeante lol). En dehors de ses frontières, il y a une politique de guerre impérialiste et d'étranglement implacable de la puissance russe dans laquelle le rôle de l'Occident est loin d'être minime (de fait C'EST la seule et unique politique de l'Occident vis-à-vis de l'ex-URSS depuis 25 ans !) ; une politique non seulement néfaste par ses conséquences directes et immédiates (terribles guerres, crimes des fascistes ukrainiens en ce moment) mais aussi par les retours de flammes qui nous pendent au nez le jour où la bourgeoisie russe en aura VRAIMENT marre (ce qui n'est pas encore le cas comme l'explique Kagarlitsky).

    1
    Pascal
    Samedi 6 Juin 2015 à 14:45
    Si j'ai bien compris les camarades gallois, l'impérialisme russe aujourd'hui, le japonais hier seraient basés sur un nationalisme sans base économique. Le chauvinisme japonais à sûrement toujours existé mais l'expansionisme japonais moderne a commencé avec le développement du capitalisme. Comparer la Russie actuelle avec le Japon sortant du féodalisme est surprenant.
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