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    chaveznodHugo Chávez Frías, président ‘bolivarien’ et ‘socialiste’ du Venezuela, s’est donc éteint ce mardi 5 mars à Caracas, des suites d’une longue maladie diagnostiquée en 2011.

    Servir le Peuple ne s’étendra pas 'kilométriquement' sur l'évènement, sinon pour dire que comme nous l’annoncions il y a quelques semaines en conclusion d’un article, sa disparition comme ‘clé de voûte’ d’un édifice politique aussi interclassiste et contradictoire que le ‘bolivarisme’ devrait rapidement amener celui-ci à exploser, et de grands bouleversements des rapports de force sont à prévoir.

    Notre position sur le personnage et – surtout, car ce ne sont pas les ‘grands hommes’ qui font l’histoire – la réalité politique latino-américaine qu’il représentait a déjà été largement exposée ici : il vous suffira de taper ‘Chavez’, ‘bolivarien’ ou ‘bolivarisme’ dans le moteur de recherche du blog, d’aller consulter la catégorie ‘Amérique latine’, etc.

    Schématiquement, la position de SLP pourrait se résumer ainsi : le ‘bolivarisme’ de Chávez et consorts était un nationalisme bourgeois social-réformiste, teinté de populisme et de dénonciation de l’hégémonie historique nord-américaine sur le continent, chose assez typique (historiquement, au cours des 60 ou 70 dernières années) en Amérique latine ; et découlant de la conjonction, du ‘frottement’ contradictoire de deux phénomènes :

    1/ depuis les années 1970, la crise générale frappant le monde impérialiste a amené une grande partie de la production à se délocaliser vers les pays d’Amérique latine, ou encore d’Asie-Pacifique, les pays arabes voire certaines régions d’Afrique subsaharienne, entraînant une notable modernisation de la vie sociale et l’émergence de nouvelles couches petites et moyennes-bourgeoises, de classes ‘moyennes’ éduquées ; ce à quoi l’on peut ajouter, dès les années 1970 mais aussi 1990 et 2000, une nette augmentation des cours des hydrocarbures, dont les principaux pays concernés (Venezuela, Bolivie, Équateur) sont de gros producteurs, amenant des fractions de la grande bourgeoisie à désirer une ‘plus grosse part du gâteau’ (en renégociant les contrats, en se tournant vers d’autres clients ‘émergents’ - Chine, Russie, Brésil, Iran - etc.) ;

    2/ face au ‘néolibéralisme’, ainsi qu’est appelée là-bas la domination semi-coloniale (principalement nord-américaine) féroce mise en place après (ou directement pendant) les dictatures fascistes des années 1960-80 (qui ont anéanti les forces révolutionnaires et progressistes), des mouvements de contestation sociale de grande ampleur ont rendu les principaux pays concernés ingouvernables par les ‘méthodes’ et la ‘classe politique’ traditionnelle. Une ingouvernabilité, démontrant une fois de plus que ce sont les masses qui font l’histoire, qui a amené les partis ‘traditionnels’ de l’oligarchie dominante à rétrocéder tactiquement, ouvrant la porte à des ‘créatures politiques’ atypiques : un ancien militaire putschiste à l’idéologie hétéroclite se voulant ‘progressiste’ (‘entre communisme impossible et capitalisme inhumain’) au Venezuela, un syndicaliste paysan ‘musclé’ défendant les cultivateurs de coca en Bolivie ; ou encore, d’anciens partis guérilleros ‘socialistes’ (sandinistes au Nicaragua, FMLN au Salvador) que l’on croyait enterrés aux oubliettes de la ‘Fin de l’Histoire’ (ayant même droit à leur chapitre dans le Livre noir du communisme) en Amérique centrale ; l’économiste ‘catho de gauche’ équatorien Correa étant quant à lui plus proche d'un ‘homme du sérail’, tout comme l'éphémère libéral-réformiste hondurien Zelaya. Une aile de l’oligarchie pensait, sans doute, parvenir avec le temps à les ‘responsabiliser’ (embourgeoiser), scénario qui se s’est finalement réalisé ; une autre qu’ils seraient nuls et perdraient les élections suivantes face aux partis traditionnels ; une autre, enfin, pensait les liquider militairement ou par un mouvement de la ‘société civile’ au moment propice – ce qui a été tenté partout, et a réussi au Honduras.

    Une rupture du front de la ‘Fin de l’Histoire’, voilà finalement la (seule) véritable signification historique qu’il faut retenir de ces phénomènes politiques qui ont dominé la dernière décennie : une démonstration, presque 10 ans avant les évènements des pays arabes (comme cela semble loin !), que les masses se levant selon le principe ‘là où il y a oppression, il y a résistance’ peuvent faire tomber un ordre politique que l’on croyait immuable ; que toute idée de ‘changement pour de bon’ n’est pas irrémédiablement vouée au 'musée des horreurs' du ‘siècle des totalitarismes’… Mais nullement, en aucun cas, le début d’un commencement de révolution au sens marxiste (accession de la classe révolutionnaire, le prolétariat, au pouvoir à la tête des masses populaires).

    Telle est la position qui nous a semblé, à tout le moins, la plus léniniste possible ; léniniste... car il n’y a PAS, au niveau international, de position ‘maoïste’ unifiée sur la question.

    Parmi les Partis, organisations ou simples groupes de personnes qui se réclament du maoïsme, le (nouveau) PC italien vient ainsi de rendre un vibrant hommage au comandante disparu ; le PC des Philippines, qui mène la Guerre populaire dans ce pays, avait un point de vue également assez bienveillant sur le ‘processus’, tout comme les PCR d’Argentine ou d’Uruguay (mais le PCR d’Argentine avait un point de vue positif sur le péronisme, alors…) qui font partie de la même Conférence internationale (ICMLPO ‘International newsletter’) ; mais l’OCML-VP (membre de la même) était beaucoup moins enthousiaste ; le blog cantabre (État espagnol) Odio de Clase relaie quant à lui l’hypothèse d’un empoisonnement du comandante ‘comme Yasser Arafat’ (impossible, peut-être pas, mais dans tous les cas cela ne change pas grand-chose...), etc. etc. En revanche, les maoïstes qui se placent dans la lignée du Parti communiste du Pérou et de Gonzalo étaient et restent FAROUCHEMENT HOSTILES à Chávez et à son ‘processus’ (comme aux ‘processus’ apparentés sur le continent), carrément définis comme… FASCISTES ; ce qui, pour SLP, relève de ce que Dimitrov qualifiait en 1935 (au sujet du New Deal et de certaines positions communistes à son sujet) de pire schématisme :  « N'est-ce pas une manifestation de cette attitude schématique que l'affirmation de certains communistes assurant que l'’ère nouvelle’ de Roosevelt représente une forme encore plus nette, plus aiguë de l'évolution de la bourgeoisie vers le fascisme que, par exemple, le ‘gouvernement national’ d'Angleterre ? Il faut être aveuglé par une dose considérable de schématisme pour ne pas voir que ce sont justement les cercles les plus réactionnaires du Capital financier américain en train d'attaquer Roosevelt, qui représentent, avant tout, la force qui stimule et organise le mouvement fasciste aux Etats-Unis. Ne pas voir le fascisme réel prendre naissance aux Etats-Unis sous les phrases hypocrites de ces cercles en faveur de la ‘défense des droits démocratiques des citoyens américains’, c'est désorienter la classe ouvrière dans la lutte contre son pire ennemi » (exemple d’un pays impérialiste, mais exemple intéressant car il ne faut pas oublier que c’est l’impérialisme US, avec sa ‘tradition’ réactionnaire spécifique, qui pilote principalement la droite radicale anti-bolivariste en Amérique du Sud). Le site ‘Voie Lactée’ du ‘p’’c’’mlm’ a réagi tellement promptement (l’information n’étant parvenue que ce matin en Hexagone) que de toute évidence, l’article ‘enfonçant le mort’ était rédigé de longue date, probablement dès l’annonce de la grave maladie du comandante*.

    Des positions diverses et variées, donc, mais généralement accompagnées des mêmes épithètes les unes à l’encontre des autres, et notamment, bien sûr… ‘trotskyste’ (évidemment !) ; car le mouvement se réclamant de Léon Trotsky et de son Programme de Transition était tout aussi divers dans ses analyses, allant de l’hostilité farouche (ici Lutte ouvrière, ou la tendance ‘CLAIRE’ du NPA) au soutien critique-mais-bon-pas-vraiment (majorité du NPA, la Riposte etc.) : il était donc, quelle que soit la position adoptée, facile de trouver des trotskystes défendant la position inverse…(1) Ou encore l’épithète de ‘révisionniste’, tout aussi ridicule, puisque pour les marxistes-léninistes-maoïstes, sont révisionnistes aussi bien les ‘cubanistes’ et autres ‘brejnéviens’ (comme les FARC-EP, le PC vénézuélien, le KKE, le PTB, en ‘France’ l’URCF, le PRCF ou le RCC), qui étaient farouchement pro-Chávez, que les ‘pensée maozedong’ comme le PCR d’Argentine, qui étaient sur les mêmes positions, mais aussi… les hoxhistes (les marxistes-léninistes ‘albanais’), qui eux, étaient nettement plus hostiles, le PCML d’Équateur étant clairement dans l’opposition au gouvernement Correa, tandis que le petit groupe vénézuélien ‘Bandera Roja’ était allé tellement loin… qu’il s’était fait exclure de l’autre ICMLPO, l’ICMLPO ‘Unité et Lutte’ hoxhiste : il avait soutenu explicitement la tentative de coup d’État (ratée) de la droite ultra vénézuélienne en avril 2002 ! Tout cela semble bien, en fait, relever du plaquage abstrait de vieux schémas (schématisme !) de la première vague de la révolution mondiale, dans toutes leurs limites qui ont conduit à l'épuisement de celle-ci, sur un phénomène de notre époque qui n'a, dans toutes ses spécificités, pas d'antécédent historique...

    La réalité, devant ces positions extrêmement atomisées, que ce soit du mouvement marxiste-léniniste, du mouvement maoïste ou du mouvement trotskyste, c’est que tous ont en fait partiellement raison, tous détiennent une partie de la vérité – mais ne voient, justement, qu’une partie, qu’un aspect du phénomène ‘bolivarien’, et non sa totalité contradictoire, en ‘unité et lutte’. Les forces plutôt ‘avant-gardistes’ (sacralisant le rôle de l’avant-garde, du Parti, ‘centre’ de la ‘vérité’ révolutionnaire et cadres du socialisme de demain) étaient globalement hostiles à Chávez et consorts, ne tolérant pas une autre direction sur les masses que la leur. Les organisations plutôt ‘massistes’, mettant en avant le rôle des masses en mouvement, en lutte pour le progrès démocratique et social, que le Parti doit simplement ‘accompagner’, en avaient au contraire une vision plus positive, sauf peut-être (en Hexagone) VP (maoïste) et certains courants du NPA (trotskyste). Le ‘bolivarisme’ était clairement un ‘rempart’ des classes dominantes face aux mouvements de lutte populaires, empêchant ceux-ci (qui l’ont porté au pouvoir…) d’effectuer un ‘saut’ qualitatif et de devenir révolutionnaires, avec l’émergence d’un Parti. Mais, pour ce faire, il a dû offrir de très réelles et concrètes avancées démocratiques et sociales aux masses du peuple. Dans les pays impérialistes, de telles avancées reposent sur quelque chose que de véritables communistes ne peuvent ignorer : le pillage des pays dominés par l’impérialisme. L’Occidental de 2013 après Jésus-Christ est un Athénien antique, dont la ‘démocratie’ (de façade) et le 'niveau de vie' reposent sur le dos d’une masse dix fois plus nombreuse d’esclaves affamés (phénomène que pouvait déjà entrevoir Lénine dans L'Impérialisme en 1916)… Mais dans des pays dominés, comme le Venezuela ou la Bolivie, des avancées de ce type reposent au contraire sur une réappropriation partielle du produit national, soit, en définitive, sur une réaffirmation du caractère national de la production face à l’appropriation impérialiste de la richesse produite. Cela, le léninisme nous enseigne que c’est toujours (objectivement) positif. Le ‘bolivarisme’ était un phénomène politique à dominante bourgeoise, ne pouvant pas ne pas avoir de contradictions, y compris violentes, avec les masses laborieuses et leur volonté d’émancipation ; et ne représentait en rien une ‘première étape’ d’un processus ininterrompu vers le socialisme et le communisme. Mais un phénomène bourgeois qui nécessitait de chevaucher, qui nécessitait comme appui et comme ‘carburant’ les luttes sociales ; et pouvait, par conséquent, créer par là des conditions favorables au développement d’une conscience révolutionnaire dans les classes opprimées, et d’un mouvement communiste, à condition bien sûr qu’un PARTI révolutionnaire conséquent se saisisse de ces tâches (le régime ‘socialiste’ bourgeois crée simplement les conditions, il ne s’en charge pas). Dans les différentes positions marxistes ayant émergé depuis 15 ans sur le phénomène, jamais la totalité de ces aspects n’a – hélas – été entièrement saisie. Soit Chávez pavait la voie au socialisme et au communisme, soit il représentait la contre-révolution la plus noire… il n'y avait pas d'autre 'subtilité' possible. Et entre le ‘maoïsme’ (ou le trotskysme) virant Libé, grand pourfendeur du ‘populisme fascisant’, et le ‘marxisme-léninisme’ (ou d'autres trotskystes) virant Monde Diplo ou Michel Collon (admirateur béat des régimes et des forces de réaffirmation nationale type bolivarisme, Hezbollah, Frères musulmans ou mollahs iraniens), le prolétariat révolutionnaire avait-il une chance de retrouver ses 'petits', c'est-à-dire sa conception du monde ?

    Quoi qu’il en soit, la position de Servir le Peuple a toujours été claire : quelles que soient ses spécificités, le ‘chavisme’/’bolivarisme’ est un phénomène politique à apparenter au réformisme bourgeois (position partagée, d’ailleurs, par les MLM de Bolivie quant au MAS d’Evo Morales dans ce pays), version social-populiste ; tentant en tant que tel de nier la contradiction fondamentale Capital/Travail (derrière une contradiction ‘Amérique latine surexploitée/impérialisme yankee’), tout réformisme bourgeois cherchant de toute manière à placer un supposé ‘intérêt général’ au-dessus de la lutte des classes ; mais en rien apparentable au fascisme, qui est une forme de gouvernement réactionnaire terroriste, visant l’annihilation de toute force révolutionnaire (même aux théories erronées), mais aussi simplement… réformiste, ‘progressiste’ : régime de Pinochet, junte argentine de 1976-83, régime militaire du Guatemala au début des années 1980, régime de Fujimori au Pérou (1990-2000) ou d’Uribe en Colombie (2002-2010) en sont les exemples type en Amérique latine. Le 'bolivarisme' était un phénomène politique bourgeois, à ne défendre en aucun cas dans ses éventuelles contradictions avec les masses populaires en lutte ou les forces subjectives de la révolution mondiale (ce que SLP n'a jamais fait), mais à défendre tactiquement, oui, comme une certaine République espagnole en 1936 ou une certaine Unité populaire chilienne en 1973, face à une éventuelle contre-offensive de la réaction la plus noire (à la Pinochet), de l'aile réactionnaire la plus terroriste de la classe dominante et des monopoles impérialistes (principalement US).

    Il était un assemblage hétéroclite d’intérêts de classe très variés, ne pouvant pas coïncider au-delà du très court terme – de fait, les contradictions éclataient déjà au grand jour depuis plusieurs années (2) ; et il volera inévitablement en éclat avec la disparition de sa ‘clé de voûte’ (vitale non seulement au Venezuela, mais dans toute l’Amérique latine, les autres dirigeants ne lui arrivant pas à la cheville). Il appartient désormais, de fait, à l’histoire.

    Une nouvelle page de l’histoire populaire révolutionnaire d’Amérique latine s’ouvre. Espérons vivement qu’une analyse marxiste de notre époque, maoïste, correcte du phénomène ‘bolivarien’ saura rapidement voir le jour, afin que les classes exploitées puissent écrire victorieusement leur histoire dans les prochaines décennies.


    (1)
    De fait, si les positions "gauchistes réactionnaires" que nous dénonçons dans cet article sont classiquement qualifiées de "trotskystes" par les marxistes-léninistes et les maoïstes, Trotsky lui-même a pu tenir parfois des propos extrêmement proches... de notre position, et notamment au sujet d'un régime beaucoup plus clairement fasciste (l'Italie de Mussolini était sa référence explicite) que ceux de l'ALBA aujourd'hui : « Il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté serait la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serais du côté du Brésil "fasciste" contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte entre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs ! » (La lutte anti-impérialiste, entretien avec le syndicaliste argentin Fossa, 1938) [ceci sans toutefois perdre de vue, comme on peut le voir, son idée de primauté des grands centres capitalistes-impérialistes dans le "déploiement" de la vague révolutionnaire mondiale (il est bien clair que ce sont les possibilités révolutionnaires en Angleterre qui l'intéressent en premier lieu dans son exemple) ; conception qui fait partie de ce que nous récusons fermement dans le trotskysme].

    (2) Notamment avec les extraditions, depuis début 2009, de militant-e-s basques et colombien-ne-s vers leurs États réactionnaires répressifs d’origine. Un ‘tournant’, au cours de ces 14 années de présidence, semble bien avoir été l’opération Phénix de l’armée colombienne (en territoire équatorien), le 1er mars 2008, se soldant par la mort du dirigeant FARC Raúl Reyes et la saisie de l’ordinateur de ce dernier, révélant des liens entre la guérilla colombienne et le Venezuela de Chávez (ainsi que l’Équateur de Correa). Évidemment, les ‘fana-chavistes’ de tout poil déployèrent alors toute leur ‘armada’ de dénégations, pour affirmer que ces documents étaient des faux, une provocation du régime fascisant d’Uribe etc., mais leur authenticité semble en réalité bel et bien avérée. Face à ce que, dans une ‘guerre par procuration’, il faut bien appeler une défaite militaire, Chávez semble alors avoir fait brutalement machine arrière et adopté ‘profil bas’, se repliant sur un anti-impérialisme ‘qui ne mange pas de pain’ (dénonciations tonitruantes de la superpuissance US, ou des crimes sionistes au Machrek arabe), et commençant à extrader les militant-e-s réfugié-e-s sur son territoire pour éviter l’étiquette infâmante d’’État terroriste’, jusqu’à l’arrestation et l’extradition d’un journaliste ‘radical’ colombien qui, pour être pro-FARC, n’en était pas moins retiré de toute activité ‘terroriste’ depuis les années 1980 : le ‘bolivarisme’ révélait ici on-ne-peut-plus clairement ses limites de classe, de nationalisme réformiste bourgeois.


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    * Le ‘p’’c’mlm’-‘Voie lactée’ en remet une et même deux couches (attaquant une nouvelle fois le PCm d’Italie) : décidément, ils savent se faire ‘cosmopolites’ (aborder des thèmes non-hexagonaux) lorsque cela les arrange, ou plutôt, lorsqu’ils ont leurs ‘petites obsessions’ – Chávez en l’occurrence, ou le PCmI qui a sûrement dû, à une époque indéterminée, les renvoyer aux petits intellectuels prétentieux qu’ils sont, ou encore les z’horribles z’islamiiiiistes en mettant en avant les textes de leur groupuscule-frère du Bangladesh (pays où l’islam est idéologie d’État, et non la cible première de la mobilisation réactionnaire de masse comme ici ; difficile pour le coup de faire plus ‘cosmopolite’). Ils nous présentent donc, Mao et Gonzalo à l’appui, la ‘position maoïste classique’ concernant le capitalisme bureaucratique dans les pays dominés par l’impérialisme (semi-coloniaux semi-féodaux) : impeccable, jusque-là rien à redire… Sauf que TOUT repose sur un seul et unique postulat : il est AFFIRMÉ et jamais, en aucun cas, DÉMONTRÉ que Chávez représente ledit capitalisme bureaucratique, ni à fortiori qu’il en représente la TOTALITÉ – et non, précisément, une fraction… réformiste. Car que nous dit le ‘p’’c’’mlm’ sur le capitalisme bureaucratique dans les pays dominés ? Si l’on suit leur ‘brillant’ exposé (un vieux document du groupuscule), « Ce capitalisme bureaucratique est le capitalisme que l'impérialisme développe dans les pays arriérés et qui comprend les capitaux des grands propriétaires terriens, des grands banquiers et des magnats de la grande bourgeoisie ; Il passe par un processus qui fait que le capitalisme bureaucratique se combine avec le pouvoir de l’État et devient capitalisme monopoliste étatique, compradore et féodal ; il en découle qu'en un premier moment il se développe comme grand capital monopoliste non étatique, et en un deuxième moment - quand il se combine avec le pouvoir de l’État - il se développe comme capitalisme étatique »… Or cela, au Venezuela… cela s’appelle typiquement (notamment) PDVSA, le gigantesque monopole ‘national’ (soi-disant ‘public’) du secteur hydrocarbure hypertrophié caractéristique de ce pays. À la fin des années 1990, lors de l’élection de Chávez, celui-ci était effectivement aux mains d’une oligarchie bureaucratique, qui vivait dans une opulence indescriptible tout en bradant la principale richesse du pays aux monopoles pétroliers US et européens. Et c’est précisément cette oligarchie qui, dans la première moitié des années 2000 et même au-delà (jusqu’en 2007 voire 2008), a été à la POINTE de la mobilisation réactionnaire anti-Chávez, avec notamment le coup d’État raté d’avril 2002, puis la ‘grève générale’ de décembre 2002-janvier 2003, appuyée sur les syndicats jaunes de cadres et d’aristocrates-salariés. Depuis, Chávez a prétendu ‘renationaliser’ la compagnie, renégocier les contrats avec les monopoles euro-US acheteurs et ‘diversifier’ sa clientèle (avec les fameux ‘BRICS’ et autres ‘émergents’) ; et il a éliminé cette oligarchie en la remplaçant par des partisans à lui… qui ont formé ce que l’on appelle là-bas la ‘boli-bourgeoisie’, la nouvelle bourgeoisie ‘en chemise rouge’, qui est tout le problème, qui démontre sans ambigüité le caractère non-révolutionnaire du chavisme et est dénoncée par tous les révolutionnaires – y compris certains ‘fascinés’ par le ‘processus’ au début. Mais l’oligarchie bureaucratique PDVSA de 1999 a combattu Chávez, et Chávez l’a combattue. Toute la démonstration et les attaques sournoises du ‘p’’c’’mlm’ et des ses amis internationaux reposent, donc, sur une première contre-vérité absolue.

    Les positions d’organisations se réclamant du maoïsme (PC des Philippines, (n)PCI), que ‘Voie lactée’ met en avant, ont été critiquées par SLP comme positions ‘borgnes’ – ne voyant que les aspects positifs du phénomène politique Chávez, et non les très nombreux aspects négatifs. La position du PCm d’Italie, elle, conclut justement (bien que de manière sectaire envers le (n)PCI, le ‘chauvinisme d’organisation’ – plaie du mouvement communiste – ayant encore de beaux restes), mais est beaucoup trop élogieuse au début, donnant au final l’impression de dire ‘tout et son contraire’.

    Mais que penser de la position du PC d’Équateur ‘Comité de Reconstruction’ (un ‘ami’ international de ‘Voie lactée’, bien que des tensions aient éclaté ces derniers temps) ? Pour SLP, cela tient en deux phrases :

    - pire schématisme (cf. Dimitrov) en qualifiant Chávez et le PSUV de ‘fascistes’ ; refusant de voir que c’était précisément les secteurs attaquant son ‘populisme’ et son ‘castro-socialisme’ au nom des ‘libertés’ qui représentaient la réaction la plus noire, terroriste, ‘pinochétiste’ au Venezuela ; et désarmant ainsi les classes populaires vénézuéliennes contre leur pire ennemi et se coupant d’elle (en qualifiant de ‘fasciste’ un homme perçu par elles comme un ‘révolutionnaire’ et un ‘patriote’, ‘phénomène social de masse’ que des communistes authentiques ne peuvent ignorer) ;

    - y-a-qu’à-faut-qu’on dès lors que l’on aborde la question de ‘Que faire ?’ : les tâches exposées sont des tâches pour après la prise de pouvoir par le prolétariat et son alliance révolutionnaire de classes ; mais en dehors de ‘la Guerre populaire’, on ne voit pas l’embryon d’une stratégie pour PRENDRE le pouvoir… Cela alors que cette organisation maoïste évolue dans un pays proche et très semblable au Venezuela : ‘morphologie sociale’ et histoire comparables, secteur hydrocarbure hypertrophié, gouvernement ‘populiste de gauche’ allié à Chávez (Rafael Correa) etc.

    Les anarchistes et les marxistes ‘conseillistes’ (gauchistes), ou encore certains trotskystes, se caractérisent historiquement par leur refus de reconnaître différents types de gouvernement bourgeois, et donc différentes stratégies adaptées à chacun. Mais là, c’est encore pire : il y a carrément, et délibérément, caractérisation erronée d’un gouvernement réformiste ‘populiste’ (c’est-à-dire mobilisant les masses dans son projet réformiste, pour les empêcher de devenir révolutionnaires et sauver ainsi une partie des possédants en en sacrifiant une autre, la plus ‘pourrie’) en gouvernement ‘fasciste’, dont le mouvement communiste international a fixé la définition une fois pour toutes en 1935 : « dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du Capital financier » - et, cela va de soi, de leurs représentants dans les pays semi-coloniaux non-impérialistes. En l’occurrence, les représentants des éléments les plus réactionnaires et impérialistes du Capital financier nord-américain et européen étaient les putschistes ratés d’avril 2002, les agitateurs cambas racistes de la Media Luna bolivienne (2007-2010), ou encore les putschistes couronnés de succès du Honduras en juin 2009. Le régime fasciste typique actuellement en Amérique latine, c’est celui mis en place en Colombie par Uribe et son ‘Parti de la U’, et poursuivi en version plus ‘libérale’ par son successeur Santos.

    Décidément, le ‘p’’c’’mlm’ et ses amis internationaux partagent beaucoup, beaucoup de ‘têtes de turcs’ (‘bolivariens’, ‘islamistes’ etc.) avec la pensée mainstream des monopoles impérialistes, et cela en devient préoccupant…

    Voir aussi la position du PC d’Équateur ‘Sol Rojo’, particulièrement alambiquée : réformisme bourgeois (comme le posaient en 2008 les maoïstes boliviens au sujet d’Evo Morales) ou fascisme ? On n’y comprend plus grand-chose… Ce n’est pourtant pas du tout la même chose, et pas du tout la même stratégie d’action pour les communistes : il faudrait choisir camarades ! Il y a également la position de l’’Organisation des Ouvriers d’Afghanistan MLM’, totalement calquée sur celle du ‘p’’c’’mlm’ : cette organisation paraît totalement ‘générée’ (comme les mystérieux ‘Arab maoists’) par le courant ultra-gauchiste dogmato-sectaire du maoïsme international, certainement à partir d’Afghans de l’exil, peut-être d’anciens éléments du courant ‘communiste-ouvrier’ historiquement fort dans ce pays, dont les positions sont proches… L’amitié de Chávez avec des régimes particulièrement réactionnaires du Proche et Moyen-Orient (Iran, mais aussi Syrie, Libye etc.) est en revanche dénoncée à juste titre – amitié parfaitement conforme aux intérêts de classe de la ‘boli-bourgeoisie’ qui s’est constituée depuis 1999, en ‘occupant les niches’ de la bourgeoisie bureaucratique puntofijiste balayée par Chávez.

    Bien que SLP ne partage pas les louanges du (n)PCI envers la ‘révolution bolivarienne’, il est intéressant de lire l’article suivant, reprenant… la position maoïste classique justement, sur l’attitude qui doit être celle des communistes vis-à-vis de formes de gouvernement réformistes de ce type, et des ‘forces sociales intermédiaires’ qui sont leur base sociale : Les communistes et la ‘gauche’ bourgeoise.

    Un fait historique incontournable est qu’un régime fasciste, même lorsqu’il dénie cette appellation (à peu près tous la dénient depuis 1945), est identifié comme tel par un bon 25% ou 30% des masses populaires, ce que l’on peut appeler le ‘peuple de gauche incompressible’ : tel était le cas en Italie mussolinienne (où socialistes, démocrates sociaux et communistes avaient récolté 34% des suffrages en 1921, et encore presque 15% aux élections frauduleuses de 1924), en Allemagne (SPD+KPD = 30,6% aux élections de mars 1933, donc déjà sous la botte hitlérienne), dans l’État espagnol (les gauches avaient réuni près de 50% en février 1936), au Portugal salazariste, au Chili sous Pinochet, etc. etc. De même, aux États-Unis sous la présidence Bush-Cheney, en Hexagone sous la présidence de Sarkozy et déjà lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, et même en Israël-Palestine sous les gouvernements du Likoud et de ses alliés d’extrême-droite, une part significative de la population s’accordait et s'accorde encore à reconnaître au gouvernement des ‘traits fascisants’, une ‘(mauvaise) pente de sinistre mémoire’, etc. Au Venezuela, il n’y avait pas 1% de la population (dont peut-être quelques centaines de ‘maoïstes’ sur la ligne internationale du ‘p’’c’’mlm’) pour qualifier Chávez de ‘fasciste’ : pour ses plus fervents supporters comme pour ses adversaires les plus acharnés, il était un ‘socialiste’ (un réformiste bourgeois ‘radical’), et ceci était précisément l’objet de la ferveur comme de la haine. Et ici ? Et bien, lorsque l’on entre ‘Chavez fasciste’ sur Google, l’on trouve, pour associer cet épithète au dirigeant ‘bolivarien’, les documents de ‘Voie Lactée’ (ou de leurs amis internationaux traduits par eux), et… des sites très-à-droite de type ‘néoconservateurs’ (‘droite radicale’ particulièrement pro-US, pro-Israël etc.), tels que ‘La Pensée néoconservatrice’ ou Dreuz.info (et encore, ces sites parlent-ils de ‘fascisme’… ‘rouge’ !). À méditer...

    Une autre caractéristique du fascisme au sens strict (Hitler, Mussolini, Franco, Pinochet etc., à distinguer du ‘pourrissement réactionnaire généralisé’ de la politique bourgeoise - 'fascisme moderne' - que nous connaissons actuellement en Occident), du choix du fascisme (et non du réformisme) par la classe dominante face à l’ingouvernabilité galopante, c’est le développement d’une intense activité squadriste  (paramilitaire anticommuniste, anti-progressiste) avant même la prise de pouvoir (laquelle est rarement le fruit d’un net résultat des urnes, mais plutôt d’un coup de force, fut-il ‘institutionnel’) : Chemises noires en Italie, SA en Allemagne, Phalange en ‘Espagne’, ‘ligues’ et ‘Cagoule’ en ‘France’, Rex en Belgique, 'Garde de Fer' en Roumanie, Patria y Libertad au Chili, Triple A en Argentine, AUC en Colombie, etc. Rien de tout cela au Venezuela de la fin des années 1990, pas plus qu’en Équateur ou en Bolivie dans la première moitié des années 2000…

    Ah ! Et puis un dernier fait intéressant, un de ces petits ‘buzz’ politiques révélateurs, ce sont les propos de l’ex-président régional de Gwadloup et oncle Tom des dernières colonies ministre de l’Outre-mer, Victorin Lurel, représentant la France aux obsèques du défunt, qui a comparé Chávez à De Gaulle (certes) et Léon Blum (le genre de point de vue très répandu dans la ‘gauche’ bourgeoise et le ‘peuple de gauche’ des Antilles) : ces propos ont été non seulement critiqués par les courants les plus ‘euro-atlantistes’ du PS (Cambadélis etc.), mais aussi vivement dénoncés comme ‘hallucinants’, ‘choquants’, ‘fadaises’ par Jean-François Copé lui-même et la droite copéiste, dont le sinistre Lionnel Luca, chef de file de la Garde de Fer de Sarkozy ‘Droite populaire’ (voir aussi la réaction de Luca ici), bref, la droite dans laquelle le ‘p’’c’’mlm’ voit jour après jour ‘renaître le RPR’ et fleurir le ‘néogaullisme’. Chez les fascistes, Marine Le Pen juge la polémique ‘stérile’ et estime que Chávez "a fait des choses positives, notamment faire profiter son peuple de la manne du pétrole, d'autres dirigeants en Afrique qui avaient des ressources très importantes n'ont pas fait cela" (elle ménage là le fort courant ‘NR’ de son parti, en faisant preuve au passage d’une hypocrisie totale sur les peuples africains pillés par la Françafrique), mais qu'il "avait un exercice un peu personnel du pouvoir et une manière d'envisager la liberté des médias qui n'était pas évidemment la nôtre" (la ‘liberté d’expression’ contre la ‘pensée unique’ - 'de gauche' évidemment - est devenue une rengaine récurrente de l’extrême-droite fasciste depuis une trentaine d’années, à rapprocher de l'UMPiste ex-FN Guillaume Peltier exigeant un 'quota de journalistes de droite', etc.) : bref, elle reste assez ‘neutre’ et ‘garde ses distances’. Son grand rival dans le parti d'extrême-droite, Bruno Gollnisch, en dresse un portrait plus élogieux – et largement fantasmé ; mais s’en sert surtout pour ‘aligner’ Mélenchon, avant de digresser sur les ‘chrétiens de Syrie’, sa grande marotte du moment. Le 'bras droit' de MLP, Florian Philippot (énarque venu du chevènementisme), a certes affirmé (sur Twitter) que Chávez "c'était d'abord une volonté, un courage"... mais il n'est lui-même plus vraiment en odeur de sainteté au sein du FN, qu'il est accusé de 'gauchiser', et encore moins à la droite de celui-ci (le spectre des 'années Soral' flotte encore sur la vieille garde frontiste). Novopress (Bloc identitaire) est en revanche extrêmement critique (critiques rejoignant, d’ailleurs, en partie celles des anti-chavistes d’extrême-gauche…) ; tandis que le site ‘occidentaliste’ et islamophobe Euro-reconquista n’a pas réagi au décès (ni aux propos du Lurel), mais a déjà eu l’occasion de critiquer très violemment le comandante ‘bolivarien’ (la ligne de ce site reflète, très largement, la pensée de l’immense majorité du ‘peuple d’extrême-droite’ hexagonal). Bernard Antony (Chrétienté-Solidarité, extrême-droite nationale-catholique) ironise sur la 'pratique marxiste des momifications' (Chávez devrait être embaumé...), ce qui ne laisse pas supposer (si Chávez est un 'révolutionnaire marxiste' selon lui) une grande sympathie. Ni l'Union de la Droite Nationale, ni ses composantes (NDP, MNR et Parti de la France, dissidences du FN nettement plus maurassiennes et 'occidentalistes') n'ont réagi à la nouvelle. Synthèse Nationale (proche de l'UDN) présente deux analyses, l'une 'NR' (évidemment) fana-chaviste, l'autre d'un membre de la NDP, beaucoup plus critique. Comme chacun-e peut le constater, Chávez était donc loin de faire l’unanimité dans la mouvance fasciste, la ‘droite radicale’ et autres ‘néogaullistes’ de tout poil (la quasi-totalité de la 'droite radicale' et de l’extrême-droite se réfère aujourd'hui plus ou moins à De Gaulle, même si certains lui reprochent encore la ‘trahison algérienne’)... contrairement à ce que prétendent le ‘p’c’mlm’ et ses satellites gauchistes internationaux. Voilà une autre contre-vérité factuelle absolue...

    Et voilà... ça ne devait pas être 'kilométrique'... et ça a fini encore une fois par l'être !

     


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    165192 144270088959492 100001295066667 207790 6371168 nNous sommes en 2013. Il y a 40 ans, de l'autre côté de l'Atlantique et de l'Équateur terrestre, le continent sud-américain était le théâtre d’événements aussi glorieux - héroïques luttes populaires révolutionnaires - que tragiques - leur extermination par les fascistes à la solde de l'impérialisme. Le 11 mars 1973, sous la pressions des mouvements populaires, la junte fasciste national-catholique de la (sans rire) "Révolution argentine" (1966-73) avait fini par opérer un 'repli stratégique' ou ouvrir la 'soupape de sécurité' en organisant des élections bourgeoises libres. Celles-ci virent la victoire d'un représentant de l'aile gauche du mouvement péroniste (Front justicialiste de Libération, FREJULI), Hector Cámpora. À peine élu, celui-ci libère les prisonniers politiques (près de 500), rétablit les relations diplomatiques et commerciales avec Cuba et autorise immédiatement le retour de l'ultra-populaire général Perón (point clé de sa campagne) et de son entourage, exilés en Espagne, dans une atmosphère de grand espoir et de liesse populaire : ce fut le printemps camporiste. Un "printemps en automne" (puisque l'Argentine est dans l'hémisphère sud) qui devait s'achever tragiquement sur un long hiver, dès le retour de Perón le 20 juin sur l'aéroport d'Ezeiza, lorsque les escadrons péronistes de droite de López Rega firent feu sur les jeunes 'péronistes de gauche' : l'hiver du 'second péronisme', ouvertement réactionnaire et antipopulaire, qui ouvrira un boulevard au nouveau coup d'État militaire national-catholique de 1976 et à l'une des plus terribles dictatures fascistes du continent [1976-83 ; 30 000 « disparus » (desaparecidos), 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques et 1,5 million d'exilés pour 30 millions d'habitants].

    Quelques mois plus tard encore, le 11 septembre, au Chili voisin, c'est le printemps austral qui devenait à son tour hiver, avec le coup d'État fasciste d'Augusto Pinochet et ses milliers d'assassiné-e-s et de disparu-e-s, tandis que dès le 27 juin, en Uruguay, les militaires plaçaient le gouvernement civil (de droite) sous la tutelle d'un 'Conseil d'État', pour un 'processus de reconstruction nationale' luttant contre la 'subversion' : il y aura des centaines de 'disparu-e-s' et un prisonnier politique pour 450 habitant-e-s... Depuis de nombreuses années déjà, le Brésil (1964), la Bolivie (1964 aussi, avec une parenthèse 'progressiste' en 1970-71) et le Paraguay (1954) vivaient sous de similaires régimes militaro-fascistes au service de l'impérialisme US ; au Venezuela et en Colombie, les ailes gauche et droite de la politicaille civile s'étaient partagées le pouvoir pour écraser pareillement les guérillas révolutionnaires et les mouvements sociaux ; tandis qu'au Pérou et en Équateur, des juntes militaires 'de gauche' trahissaient les luttes du peuple. Le héros sublime, le 'Christ rouge' continental Ernesto 'Che' Guevara, était lui même tombé au combat révolutionnaire, en Bolivie, le 9 octobre 1967. 

    2013 est donc l'occasion, pour Servir le Peuple, de publier ce document d'une inestimable valeur historique ; jamais traduit en français à ce jour : la déclaration "Aux peuples d'Amérique latine" (1er novembre 1974) de la Junte de Coordination Révolutionnaire, 'petite internationale' formée par les forces révolutionnaires avancées d'Argentine (PRT-ERP), du Chili (MIR), d'Uruguay (Tupamaros) et de Bolivie (ELN fondé par le Che lui-même) pour coordonner la lutte révolutionnaire anti-oligarchique et anti-impérialiste dans le 'cône Sud' du continent, au moment où les dictatures fascistes pro-impérialistes coordonnaient elles-mêmes leurs efforts dans le sinistre 'Plan Condor'.

    Une déclaration, bien sûr, et c'est AUSSI sa valeur historique, pétrie de toutes les limites de conception révolutionnaire du monde de la première vague mondiale des révolutions prolétariennes (1917-92) ; notamment - bien sûr - celles du guévarisme. Le PRT-ERP prônait même de dépasser ces limites par un 'plein retour au léninisme', à travers la fusion des apports théoriques de Mao Zedong et de... Trotsky, ainsi que du Che, d'Hô Chi Minh, de Mariátegui ou encore Gramsci, à la lumière de l'expérience 'des révolutions chinoise, vietnamienne et cubaine'. Il n'était, bien sûr, et n'est pas plus aujourd'hui question d'un 'plein retour au léninisme', puisque c'est bel et bien dans les limites de la science marxiste à 'l'étape Lénine' (1900-1950) que résident les causes des échecs subis par le mouvement communiste international au siècle dernier ; mais bien de porter le marxisme-léninisme, lui-même développement supérieur du marxisme, à un niveau ENCORE SUPÉRIEUR ; et ce développement supérieur du marxisme-léninisme, nous en disposons aujourd'hui : c'est le marxisme-léninisme-maoïsme (le PRT avait donc partiellement vu juste). Dans ces limites résident aussi, hélas, bel et bien les causes de la défaite et de l'extermination de ces révolutionnaires par les juntes fascistes.

    Mais tout cela, il va de soi, n'enlève rien à l'héroïsme de ces camarades tombé-e-s (pour la plupart) en combattant vaillamment les ennemis du peuple ; et, d'autre part, c'est aussi et seulement en nous APPROPRIANT LE PASSÉ, sans honte ni tiédeur révisio-réformiste, mais aussi sans sectarisme dogmato-gauchiste, que nous pouvons CONSTRUIRE L'AVENIR : défendre, renforcer, arborer, appliquer mais aussi développer (car il n'est pas, selon nous, 'parfait', 'fini') ce maoïsme qui est notre arme de destruction massive contre la dictature du Capital.

    Il faut bien comprendre que le grand reflux stratégique mondial du mouvement révolutionnaire (1975-92) a été aussi rapide que BRUTAL, que la chute a été de très haut. Car à l'inverse, entre 1950 et 1975, la première vague de la révolution mondiale, malgré que l'URSS et ses 'pays frères' d'Europe de l'Est aient déjà entamé leur dégénérescence révisionniste, était à son APOGÉE : 'le fond de l'air était rouge' ; c'est là le fameux 'totalitarisme intellectuel de gauche' contre lequel ferraille la bourgeoisie réactionnaire depuis plus de 30 ans. En revanche, après 1975, tant la gigantesque Guerre populaire du Pérou, guidée par le marxisme-léninisme-maoïsme, que les guérillas marxistes-léninistes ou 'socialistes révolutionnaires' d'Amérique centrale, tant les organisations communistes combattantes italiennes que les petit-e-s GRAPO de l'État espagnol ou les CCC de Belgique, tant les mouvements révolutionnaires de libération du Pays Basque ou d'Irlande que la résistance armée et l'Intifada palestinienne ou encore les luttes du peuple d'Azanie contre le régime fasciste d'apartheid, n'ont malheureusement fait que lutter désespérément contre le courant inexorable qui poussait l'humanité vers l'autoproclamée 'Fin de l'Histoire', vers le triomphe à la romaine du Grand Capital sur les forces qui, durant trois quarts de siècle, avaient ébranlé son ordre établi. Ce n'est que dans les dernières années du siècle, au Népal, aux Philippines, en Colombie (mais là, dans les profondes limites idéologiques du 'révisionnisme armé'), puis dans la décennie suivante en Inde, qu'a pu commencer à se lever l'étendard de la DEUXIÈME VAGUE révolutionnaire mondiale, qui, cette fois-ci, conduira les peuples de la Terre à leur émancipation définitive. Il est donc très important pour nous, communistes révolutionnaires du 21e siècle, maoïstes, sans nous emmurer dans le sectarisme et les a priori du 'chauvinisme d'idéologie', d'étudier, de nous approprier et d'APPRENDRE de ce 'pic' de la révolution mondiale passée, pour faire se lever la nouvelle vague à un niveau - de très loin - supérieur à la première, en espérant que, dans les années 2050 ou 2060, nous redeviendrons poussière avec le sentiment d'une formidable œuvre accomplie.

    Depuis les années 1980, la guerre contre-révolutionnaire déchaînée 30 ans plus tôt par l'impérialisme, avec ses Pinochet, ses Videla, ses Stroessner, ses Banzer, ses Rios Montt et ses D'Aubuisson, a réussi à ramener l'Amérique latine, sacrée au cœur des révolutionnaires du monde entier, à un état de semi-colonialisme effroyable et sans pitié, appelé là-bas 'néolibéralisme', que seuls contestent, dans toutes les limites du réformisme bourgeois, quelques gouvernements depuis la fin des années 1990-début des années 2000 (Brésil, Venezuela, Argentine, Équateur, Bolivie, Uruguay etc.). Si l'impérialisme US a été militairement le maître d’œuvre de cette guerre d'extermination, et le principal bénéficiaire du 'néolibéralisme' qui l'a suivie, TOUS les impérialismes de la planète profitent du pillage et s'engraissent tels des charognards sur le cadavre du continent, Y COMPRIS (très largement) les impérialismes de l'UE, qui profitent, même, des gouvernements 'contestataires' de l'hégémonie US, et Y COMPRIS notre impérialisme BBR. Il est donc de notre DEVOIR INTERNATIONALISTE ('cosmopolite' pour certain-e-s...) d'accorder une grande attention au mouvement révolutionnaire sur le continent latino-américain. Un rôle de l'impérialisme BBR encore aggravé, de sinistre manière, par le fait que la guerre d'extermination contre-révolutionnaire déchaînée contre les peuples et les révolutionnaires des Amériques, entre les années 1960 et 1980, s'est largement appuyée sur l'école française des méthodes 'antisubversives' développées, pendant la guerre de libération algérienne, par les bouchers de l'impérialisme Trinquier, Massu, Bigeard et autres Aussaresses...

    Voici donc la Déclaration de la Junte de Coordination Révolutionnaire du 'cône Sud', du 1er novembre 1974 :  

     

    AUX PEUPLES D'AMÉRIQUE LATINE

    Source

    "C'est la voie du Vietnam qui est la voie que doivent suivre les peuples ; c'est la voie que suivra l'Amérique, avec la caractéristique particulière que les groupes en armes pourront former quelque chose comme des Juntes de Coordination pour rendre plus difficile la tâche répressive de l'impérialisme yankee et faciliter leur propre cause."

    Che Guevara, "Message à la Tricontinentale"

    Le Mouvement de Libération Nationale (Tupamaros) d'Uruguay, le Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) du Chili, l'Armée de Libération Nationale (ELN) de Bolivie et l'Armée Révolutionnaire du Peuple (ERP) d'Argentine cosignent la présente déclaration pour faire connaître aux ouvriers, aux paysans pauvres, aux pauvres de villes, aux étudiants et aux intellectuels, aux peuples indigènes, aux millions de travailleurs exploités de notre souffrante patrie latino-américaine, leur décision de s'unir en un Junte de Coordination Révolutionnaire. Cet important pas en avant est le produit d'une nécessité ressentie ; la nécessité de donner une cohésion à nos peuples dans le domaine de l'organisation, d'unifier les forces révolutionnaires face à l'ennemi impérialiste, de livrer avec plus d'efficacité la lutte politique et idéologique contre le nationalisme bourgeois et le réformisme. Ce pas en avant important est la concrétisation de l'une des principales idées stratégiques du commandant Che Guevara, héros, symbole et précurseur de la Révolution socialiste continentale. C'est aussi un pas significatif qui tend à reprendre la tradition fraternelle de nos peuples, qui surent fraterniser et lutter comme un seul homme contre les oppresseurs du siècle passé, les colonisateurs espagnols.

    NOTRE LUTTE EST ANTI-IMPÉRIALISTE

    combattants-erpLes peuples du monde vivent sous la menace permanente de l'impérialisme le plus agressif, le plus rapace à avoir jamais existé dans l'histoire. Ils ont été témoins, et non avec indifférence, du génocide organisé et dirigé par l'impérialisme yankee contre l'héroïque peuple vietnamien. Dans cette guerre inégale, dont la clameur ne s'est pas encore éteinte, s'est montré sans masque le caractère militariste et sournois de l'impérialisme du Nord. Mais, dans cette guerre, encore une fois et en contrepartie, s'est démontrée la faiblesse de son système et de toute sa puissance militaire, face à un peuple disposé à lutter et décidé à être libre quel qu'en soit le prix. Les peuples latino-américains, depuis le siècle dernier jusqu'à nos jours, ont supporté lourdement le joug colonial ou néocolonial des impérialistes, ils ont subi l'une après l'autre interventions militaires et guerre injustes exécutées ou fomentées, tant par l'armée nord-américaine que par les monopoles supranationaux. Nous avons là la spoliation du Mexique, l'occupation de Puerto Rico, l'intervention de Saint-Domingue, et cette Baie des Cochons et beaucoup d'autres actes belliqueux que notre Amérique n'oubliera ni ne pardonnera jamais. Et nous avons là Shell, Esso ou la Standard Oil, la United Fruit, la ITT, les dollars de M. Rockefeller et de M. Ford. Nous avons là la CIA, qui avec Papy Shelton, Mitrione, Siracusa, a laissé des traces indélébiles de la politique dominatrice et arrogante des États-Unis contre le Mouvement populaire et Amérique latine.

    L'AMÉRIQUE LATINE EST EN MARCHE VERS LE SOCIALISME

    418390 1Le 1er janvier 1959, avec la victoire de la Révolution cubaine, commençait la marche finale des peuples latino-américains vers le socialisme, vers la véritable indépendance nationale, vers le bonheur collectif des peuples. La juste et ouverte rébellion des exploitées d'Amérique latine contre un système barbare, néocolonial, capitaliste, imposé depuis la fin du siècle dernier par les impérialismes yankee et européens, qui par la force, la tromperie et la corruption se sont appropriés notre continent. Les lâches bourgeoisies criollas (élites descendant des colons espagnols, NDLR) et leurs armées ne surent pas faire honneur au legs révolutionnaire libérationiste de la glorieuse lutte anticoloniale de nos peuples, qui, conduits par des héros comme Bolívar, San Martín, Artigas et tant d'autres, conquirent leur indépendance, l'égalité et la liberté. Les classes dominantes, défendant de mesquins intérêts de groupe,s 'unirent aux impérialistes, collaborant avec eux, facilitant leur pénétration économique, livrant progressivement le contrôle de notre économie à la voracité insatiable du capitalisme étranger. La domination économique a engendré le contrôle et la subordination politique et culturelle. Ainsi vit le jour le système capitaliste néocolonial qui exploite, opprime et acculture depuis un siècle les classes laborieuses de notre continent. Depuis le début du siècle, la classe ouvrière a commencé à se lever contre ce système, déployant la peu connue alors bannière du socialisme, unie indissociablement à la bannière de l'indépendance nationale, favorisant le réveil des paysans, des étudiants, de tout ce qu'il y a de sain et de révolutionnaire dans nos peuples.

    mir3L'anarchisme, le socialisme et le communisme, comme mouvements organisés de la classe ouvrière, prirent la tête avec énergie et héroïsme de larges mobilisations de masse, jalons ineffaçables de la lutte révolutionnaire. Le légendaire leader nicaraguayen Augusto César Sandino, ouvrier métallurgiste, dirigea dans son petit pays l'une des plus héroïques de ces batailles, quand son armée de guérilla mit en échec et défit les troupes interventionnistes nord-américaines en 1932. Ce fut dans cette décennie 1930 que nos peuples déclenchèrent dans tout le continent une formidable poussée de masse qui bouscula la domination néocoloniale homogénéisée par l'impérialisme yankee, ennemi n°1 de tous les peuples du monde. Mais cette formidable mobilisation révolutionnaire de masse ne fut pas couronnée de victoire. L'intervention active, politique et militaire, directe et indirecte de l'impérialisme yankee, ajoutée aux déficiences de l'anarchisme, des courants socialistes et des Partis communistes, furent les causes d'une défaite temporaire.

    José Carlos MariáteguiLa majorité des Partis communistes, les plus conscients, conséquents et organisés de cette époque, tombèrent dans le réformisme. Certains d'entre eux, comme l'héroïque et aguerri Parti communiste salvadorien, subirent de cruelles défaites avec des dizaines de milliers de martyrs. Pour cette raison, la poussée impétueuse des masses dévia de son chemin révolutionnaire et tomba sous l'influence et la direction du nationalisme bourgeois, voie de garage de la révolution, ressort intelligent et démagogique que trouvent les classes dominantes pour prolonger par la tromperie l'existence du système capitaliste néocolonial. À partir de la formidable victoire du peuple cubain, qui, sous la conduite habile et clairvoyante de Fidel Castro et d'un groupe de dirigeants marxistes-léninistes, parvint à défaire l'armée de Batista et à établir dans l'île de Cuba, sous le nez même de l'impérialisme, le premier État socialiste latino-américain, les peuples du continent se virent renforcés dans leur foi révolutionnaire, et débutèrent une nouvelle et profonde mobilisation collective. Avec réussites et erreurs, nos peuples et leurs avant-gardes se lancèrent avec décision dans la lutte anti-impérialiste pour le socialisme. Le décennie 1960 vit se succéder de manière ininterrompue de grandes luttes populaires, de violents combats guérilleros, de puissantes insurrections de masse. La Guerre d'Avril (1965), insurrection générale du peuple dominicain, obligea à l'intervention directe de l'impérialisme yankee qui dut envoyer 30.000 soldats pour écraser dans le sang ce magnifique soulèvement.

    aniv-che03La figure légendaire du commandant Ernesto Guevara personnifia, symbolisa toute cette époque de luttes et sa mort héroïque, comme sa vie exemplaire et sa claire conception stratégique marxiste-léniniste, ouvre et éclaire la voie de la nouvelle vague révolutionnaire de nos peuples, qui grandit jour après jour en puissance et en consistance, jaillissant des usines, des villages, des campagnes et des villes, et se déploie irrésistiblement sur tout le continent. C'est le réveil définitif de nos peuples qui fait se lever des millions de travailleurs et prend inexorablement le chemin de la seconde indépendance, de la libération nationale et sociale définitive, de la définitive élimination de l'injuste système capitaliste et de l'établissement du socialisme révolutionnaire.

    LA LUTTE POUR LA DIRECTION DU MOUVEMENT DE MASSE

    pueblo-bandera-mirMais la voie révolutionnaire n'est ni facile ni simple. Nous ne devons pas seulement affronter la force économique et militaire barbare de l'impérialisme. Des ennemis et des dangers plus subtils guettent à chaque instant les forces révolutionnaires, dans leurs efforts de livrer effectivement, victorieusement, la lutte anti-impérialiste. Aujourd'hui, étant donnée la situation particulière du processus révolutionnaire continental, nous devons nous référer spécifiquement à deux courants de pensée et d'action, qui conspirent puissamment contre les efforts révolutionnaires des peuples latino-américains. Ce sont : un ennemi, le nationalisme bourgeois ; et une conception erronée dans le camp du peuple, le réformisme. Chacun d'entre eux, parfois étroitement liés, tentent de chevaucher la poussée révolutionnaire de nos peuples, d'en prendre la direction et d'imposer leurs conceptions erronées et intéressées, qui indéfectiblement finiront par contenir et mutiler l'élan révolutionnaire. Pour cette raison, revêt une dimension stratégique la lutte idéologique et politique intransigeante que les révolutionnaires doivent livrer contre ces courants, pour s'imposer à eux, pour gagner ainsi la direction des plus larges masses, pour doter nos peuples d'une direction révolutionnaire conséquente qui nous conduise avec constance, intelligence et effectivité jusqu'à la victoire finale.

    peron12Le nationalisme bourgeois est un courant parrainé par l'impérialisme qui s'appuie sur lui comme diversion démagogique pour détourner et dévier la lutte des peuples, lorsque la violence révolutionnaire perd en efficacité. Son noyau social est constitué par la bourgeoisie pro-impérialiste ou un secteur de celle-ci, qui prétend s'enrichir sans aucune mesure, disputant à l'oligarchie et à la bourgeoisie traditionnelle les faveurs de l'impérialisme, grâce au 'truc' de se présenter comme les pompiers de l'incendie révolutionnaire, par leur influence populaire et leur capacité de négociation face à la mobilisation de masse. Dans sa politique de tromperie, elle endosse un anti-impérialisme verbal et tente de confondre les masses avec sa thèse nationaliste préférée : la troisième voie. Mais en réalité, ils ne sont nullement anti-impérialistes ; ils se soumettent au contraire à de nouvelles et plus subtiles formes de pénétration économique étrangère.

    allendeLe réformisme est, au contraire, un courant qui germe au sein même du peuple travailleur, reflétant la crainte de l'affrontement de la part de secteurs petits-bourgeois ou de l'aristocratie ouvrière. Il se caractérise par refuser fermement en pratique la juste et nécessaire violence révolutionnaire comme méthode fondamentale de lutte pour le pouvoir, abandonnant ainsi la conception marxiste de la lutte des classes. Le réformisme diffuse dans les masses de nocives idées pacifistes et libérales, enjolive la bourgeoisie nationale et les forces armées contre-révolutionnaires avec lesquelles il cherche constamment à s'allier, exagère l'importance de la légalité et du parlementarisme. L'un de ses argumentas favoris, celui de la nécessité d'éviter la violence et de s'allier avec la bourgeoisie et les militaires 'patriotes', en quête d'une voie pacifique qui épargne aux masses des effusions de sang sur le chemin vers le socialisme, est catégoriquement et douloureusement réfuté par les faits. Là où le réformisme a imposé sa politique conciliatrice et pacifiste, les classes ennemies du peuple et leurs forces armées ont exécuté les plus grands massacres contre le peuple. La récente expérience chilienne, avec plus de 20.000 hommes et femmes assassiné-e-s, nous dispense de plus de commentaires.

    santuchoFace au nationalisme bourgeois, au réformisme et à d'autres courants de moindre importance, en lutte idéologique et politique constante avec eux, se dresse le pôle armé, le pôle révolutionnaire qui jour après jour se consolide au sein des masses, accroissant son influence, améliorant sa capacité politique et militaire, devenant toujours plus une option concrète vers l'indépendance nationale et le socialisme. C'est précisément pour contribuer au renforcement de ce pôle révolution à l'échelle continentale, que les quatre organisations signataires de cette déclaration ont décidé de constituer la présente Junte de Coordination Révolutionnaire, autour de laquelle et de chacune de ses organisations nationales, nous appelons à s'organiser et à combattre unie tout l'avant-garde révolutionnaire, ouvrière et populaire, d'Amérique latine. Ceci signifie naturellement que les portes de cette Junte de Coordination Révolutionnaire sont ouvertes aux organisations révolutionnaires des différents pays latino-américains.

    L'EXPÉRIENCE DE NOS ORGANISATIONS

    ADELANTE-TUPAMAROS20120216Le MLN Tupamaros, le Mouvement de la Gauche révolutionnaire (MIR), l'Armée de libération nationale (ELN) et l'Armée révolutionnaire du Peuple (ERP), au cours de leur lutte patriotique et révolutionnaire, ont peu à peu compris la nécessité de s'unir, ont peu à peu affirmé par leur propre expérience leur conception internationaliste, comprenant que contre l'ennemi impérialiste uni et organisé nous devons opposer la plus solide et étroite unité de nos peuples. Liées par la similitude de nos luttes et de nos lignes, nos quatre organisations ont d'abord établi des liens fraternels, et à travers tout un processus nous sommes passés à un échange d'expériences, à une collaboration mutuelle chaque jour plus active, jusqu'à accomplir aujourd'hui ce pas décisif qui accélère la coordination et la collaboration qui sans le moindre doute fera bénéficier d'une meilleure effectivité pratique la lutte acharnée que livrent nos peuples contre le féroce ennemi commun.

    MIR-victor-toro-80-004Le développement de nos organisations, le renforcement de leur conception et pratique internationaliste, permettra de mieux mettre à profit les potentialités de nos peuples, jusqu'à ériger une puissante force révolutionnaire capable de vaincre définitivement la réaction impérialiste et capitaliste, d'annihiler les forces armées contre-révolutionnaires, d'expulser l'impérialisme yankee et européen du sol latino-américain, pays après pays, et d'initier la construction du socialisme dans chacun de nos pays, pour arriver un jour prochain à la plus complète unité latino-américaine. Atteindre cet objectif sacré ne sera pas facile, la cruauté et la force de l'impérialisme rendra nécessaire, comme l'entrevoyait le commandant Che Guevara, de mener une cruelle et prolongée guerre révolutionnaire qui fera du continent latino-américain le deuxième ou troisième Vietnam du monde. Mais, suivant le glorieux exemple de l'héroïque peuple vietnamien, les travailleurs latino-américains sauront combattre sans relâche, avec toujours plus d'efficacité, déployant dans toute leur intensité les invincibles énergies des masses, et écraser l'impérialisme yankee et ses agents, conquérant ainsi notre félicité et contribuant puissamment à la destruction définitive de l'ennemi principal de la classe ouvrière internationale, du socialisme, et de tous les peuples du monde.

    NOTRE PROGRAMME

    tupamarosNous sommes unis par la compréhension du fait qu'il n'y a pas d'autre stratégie viable en Amérique latine que la stratégie de la guerre révolutionnaire. Que cette guerre révolutionnaire est un processus complexe de lutte de masses, armé et non armé, pacifique et violent, où toutes les formes de lutte se développent harmonieusement en convergeant autour de l'axe directeur de la lutte armée. Que pour le développement victorieux de tout le processus de guerre révolutionnaire, il est nécessaire de mobiliser toutes les masses du peuple sous la direction du prolétariat révolutionnaire. Que la direction prolétarienne de la guerre s'exerce à travers un Parti de combat marxiste-léniniste, de caractère prolétarien, capable de centraliser et diriger, unissant en un seul et puissant faisceau tous les aspects de la lutte populaire, garantissant une direction stratégique juste. Que sous la direction du Parti prolétarien, il est nécessaire de structurer une puissante Armée populaire, cœur d'acier des forces révolutionnaires qui, en se développant du petit vers le grand, intimement unie aux masses et alimentée par elles, s'érige en un mur infranchissable où se briseront tous les assauts militaires réactionnaires, et soit en condition matérielle d'assurer l'annihilation totale des forces armées contre-révolutionnaires. Qu'il est nécessaire de construire pareillement un large Front ouvrier et populaire de masse, qui mobilise tout le peuple progressiste et révolutionnaire, les différents partis populaires, les MIR-Chilesyndicats et d'autres organisations similaires, en un mot, qui mobilise les plus larges masses dont la lutte se déroule actuellement en parallèle, convergeant à tout moment, stratégiquement, avec l'activité militaire de l'Armée populaire et l'activité populaire clandestine du Parti prolétarien.

    La réponse doit être claire, et nulle autre que la lutte armée comme principal facteur de polarisation, d'agitation et, en définitive, de défaite de l'ennemi, l'unique possibilité de victoire. Cela ne veut pas dire que ne sont pas utilisées toutes les formes d'organisation et de lutte possible : la légale et la clandestine, la pacifique et la violente, l'économique et la politique, convergeant toutes avec la meilleure efficacité dans la lutte armée, en accord avec les particularités de chaque région et pays. Le caractère continental de la lutte est déterminé, fondamentalement, par la présence d'un ennemi commun. L'impérialisme nord-américain mène une stratégie internationale pour contenir la Révolution socialiste en Amérique latine.

    graff de l'erpCe n'est pas fortuitement que sont imposés des régimes fascistes dans les pays où le mouvement de masse en expansion menace la stabilité du pouvoir oligarchique. À la stratégie internationale de l'impérialisme doit répondre la stratégie internationale des révolutionnaires. Le chemin à parcourir dans cette lutte n'est pas court. La bourgeoisie internationale est prête à empêcher, par tous les moyens, la Révolution, dès qu'elle sera à l'ordre du jour dans un seul pays. Elle détient tous les moyens officiels et officieux, militaires et de communication, pour les utiliser contre le peuple. Pour cela notre guerre révolutionnaire une guerre d'usure de l'ennemi dans ses premières phases, jusqu'à former une Armée populaire qui surpasse en force celle de l'ennemi. Ce processus est lent, mais il est, paradoxalement, le chemin le plus court et le moins coûteux pour atteindre les objectifs des classes opprimées.

    PEUPLES D'AMÉRIQUE LATINE : AUX ARMES !

    bolivia-elnNous vivons des moments décisifs de notre histoire. Conscients de cela, le MLN Tupamaros, le MIR, l'ELN et l'ERP appellent tous les travailleurs exploités latino-américains, la classe ouvrière, les paysans pauvres, les pauvres des villes, les étudiants et intellectuels, les chrétiens révolutionnaires et tous les éléments provenant des classes exploiteuses disposés à collaborer avec la juste cause populaire, à prendre les armes avec décision, à rejoindre activement la lutte révolutionnaire anti-impérialiste et pour le socialisme qui se livre actuellement sur notre continent, derrière la bannière et l'exemple du commandant Guevara.

     

    JCR - JUNTE DE COORDINATION RÉVOLUTIONNAIRE

    LA VICTOIRE OU LA MORT ! - ELN

    LA PATRIE OU LA MORT, NOUS VAINCRONS ! - MIR

    VAINCRE OU MOURIR POUR L'ARGENTINE ! - ERP

    LA LIBERTÉ OU LA MORT ! - TUPAMAROS


    Note SLP : à la lumière de ce document, et en particulier de son paragraphe 'La lutte pour la direction du mouvement de masse', que pouvons-nous et devons-nous penser des gouvernements dits 'bolivariens', au Venezuela ou (impulsés par celui-ci) en Bolivie, en Équateur, au Nicaragua etc. (si l'on laisse de côté les autres, en premier lieu le Brésil et l'Argentine, qui, si leurs capitaux 'émergents' sont un paramètre important sur le continent, sont plus classiquement réformistes 'modérés', sociaux-libéraux) ? Question que SLP a largement traité et sur laquelle il a (il faut le reconnaître) pas mal évolué... Alors, nationalisme bourgeois, réformisme ou processus révolutionnaire ? [Pour mémoire, lire : Les Etats "bolivariens" : notre position ; Retour sur la situation en Amérique latine ; Retour sur la situation en Amérique du Sud ; Discussion sur la "gauche" en Amérique latine et la bourgeoisie bureaucratique ; ou encore, sur des actualités ponctuelles : HAUTE TRAHISON : la bourgeoisie nationale réformiste de Chavez est passée à la Réaction ; Équateur : le lent mais sûr glissement réactionnaire de la "révolution citoyenne" ; À propos de la dite « Loi de révolution productive, communautaire et agricole » d'Evo Morales ; Bolivie : Marche indigène réprimée]

    chaveznodEt bien, la réalité, c'est que dans le contexte du 'néolibéralisme', oppression semi-coloniale d'une férocité sans précédent, d'où a surgi le mouvement bolivarien, devenu PSUV en 2008 (avec ses petits satellites PCV, courants trotskystes, 'marxistes' divers), il y a sans doute... LES TROIS (Chavez lui-même représentant une synthèse des trois, ce pourquoi il a été choisi comme "clé de voûte" de l'édifice) : des secteurs oligarchiques et grands-bourgeois qui veulent s''affirmer' face à l'impérialisme US et/ou se poser en 'pompiers' du mouvement social devenu incontrôlable (ce que les maoïstes du continent appellent la 'bourgeoisie bureaucratique', mais c'est schématique), des (sans doute la grande majorité) secteurs réformistes des classes populaires et de la petite et moyenne bourgeoisie (la bourgeoisie 'nationale'), et des forces (ou des personnes non-organisées) révolutionnaires, ou en tout cas pour un 'changement radical' (il faut bien prendre en compte que l''idée' révolutionnaire communiste, conscientisée comme telle, a beaucoup reculé par rapport aux années 1970), qui ont soutenu et parfois soutiennent encore 'avec des critiques', comme 'un premier pas', 'faute de mieux'... Et, depuis que l'offensive impérialiste US a été contrecarrée au milieu des années 2000, l'on voit effectivement les contradictions s'aiguiser chaque jour un peu plus entre ces trois composantes. Si Chavez venait à passer de vie à trépas, ces contradictions viendraient très certainement et très rapidement à exploser. Il en va de même pour les autres pays où Chavez a exporté son 'modèle' à partir du milieu des années 2000...


    Document historique : Déclaration "Aux Peuples d'Amérique latine" de la Junte de Coordination Révolutionnaire (Tupamaros-MIR-ELN-ERP) - 1er novembre 1974


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  • L'Amérique latine, depuis le Rio Grande jusqu'à la Terre de Feu en passant par la mer des Caraïbes, les Andes majestueuses et l'Amazonie verte émeraude, est d'une grande signification pour l'"imaginaire collectif" révolutionnaire mondial. Ses guérilleros barbus arpentant la sierra avec leur cigare, leurs munitions en sautoir et leurs sombreros qui leur donnent une dimension solaire, dégagent un puissant romantisme au sens progressiste du terme : un romantisme qui mobilise les masses de la planète vers leur émancipation. Figure solaire, messianique entre toutes, est bien sûr la célèbre image - devrait-on dire l'icône - du "Che" Guevara, devenue un symbole mondial de ralliement révolutionnaire et progressiste ; que l'on retrouve en Azanie comme en Palestine, au Sénégal comme en Indonésie, comme bien sûr en Occident - même si souvent détourné, par le capitalisme, en phénomène de mode bobo.

    Il faut dire que ce continent se trouve particulièrement AU CŒUR de toutes les contradictions du monde impérialiste : contradictions entre travailleurs exploités et capitalistes exploiteurs ; entre peuples gémissant dans la misère, condamnés à la fuite migratoire, et "maîtres du monde" des grandes puissances et des "multinationales" du "Nord" ; entre bourgeoisies nationales tentant de s'affirmer et ces mêmes "maîtres du monde" ; et aussi, de manière particulièrement forte, entre capitalisme pourrissant et écosystème planétaire.  

    Il faut se souvenir, aussi, que c'est essentiellement sur le dos des Amériques, les "Indes occidentales", que s'est accomplie entre la fin du 15e et le début du 19e siècle la GRANDE ACCUMULATION CAPITALISTE européenne, qui devait déboucher sur l'ère industrielle ; une accumulation dans les crimes effroyables de l'asservissement et du génocide des indigènes, de la déportation et de l'esclavage des Africain-e-s.

    Mais cette grande tragédie a aussi engendré, dans le mariage des cultures ibériques, indigènes et africaines, un ensemble de nations-sœurs qui, depuis maintenant plus de deux siècles, lèvent le drapeau de leur libération.

    Cette grande signification révolutionnaire n'a cependant pas été de tout temps : elle remonte, en réalité, à une cinquantaine d'années - en fait, à la Révolution cubaine. Longtemps, du temps du Komintern et de Staline, le continent latino-américain ne fut pas particulièrement au centre des préoccupations du mouvement communiste international, qui n'avait pas de véritable stratégie révolutionnaire le concernant. À la conférence de Bakou, en 1920, lorsque l'Internationale communiste de Zinoviev appelait au soulèvement des peuples d'Orient, d'Asie et d'Afrique, il n'était même pas évoqué. Au Congrès anti-impérialiste de Bruxelles (1927), seul Victor Raúl Haya de la Torre (fondateur et leader de l'APRA) le représentait, alors qu'il y avait déjà des Partis communistes dans beaucoup de pays, Mariátegui au Pérou etc. Marx et Engels, avant cela, avaient tendance à vouer le plus grand mépris à ce continent "paresseux" et à ses baroques caudillos (comme Bolívar), alors même que se jouaient pourtant des évènements essentiels pour l'avenir de l'humanité : le passage de l'hémisphère occidental, à peine débarrassé de la Couronne espagnole (et portugaise), sous la coupe de l'Empire britannique et d'une autre puissance montante, appelée à une "destinée manifeste" terrible pour les peuples de l'humanité : les États-Unis.

    Pourtant, comme le rappellent très justement les écrits de Mariátegui, la résistance des masses populaires n'a jamais cessé ; tant en elle-même (révoltes populaires, paysannes, indigènes) qu'en se liant à des mouvements bourgeois qui, pour une raison ou une autre, s'appuyaient sur les masses pour atteindre leurs buts (à commencer, bien sûr, par les mouvements d'indépendance de 1810-30, ou de 1868-98 à Cuba et Puerto Rico) ou encore en résistant à des invasions étrangères (Argentine et Uruguay par la Grande-Bretagne en 1806-1807, Mexique en 1846-47 ou encore Nicaragua 1909-1933, Saint-Domingue 1916-1924 et Haïti 1915-34 par les États-Unis, Paraguay par la "Triple Alliance" en 1865-70, Pérou et Bolivie par le Chili en 1879-83 etc. etc.) - ces agressions étant, sinon directes, du moins pilotées par une puissance impériale.

    Ce panorama historique, succinct, vise à permettre aux révolutionnaires francophones de s'approprier les données essentielles sur la question.

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    Nous ferons volontairement commencer ce panorama historique au début de ce que nous appellerons l’époque "contemporaine", en lien direct avec la situation de nos jours : la première moitié du 19e siècle, qui voit l’essentiel des pays s’affranchir des Couronnes espagnole et portugaise – ainsi que de la France, pour Haïti ; dans ce qui représente typiquement une révolution bourgeoise avortée, comme en Europe méditerranéenne.

    Lorsqu’à la fin du 15e siècle, les Européens abordèrent les côtes de l’Amérique, celle-ci était peuplée pour l’essentiel de personnes vivant en communauté primitive : société peu différenciée en classes stables, au mode de production essentiellement chasseur-cueilleur agrémenté d’un peu d’agriculture vivrière et, éventuellement, de la domestication de quelques espèces (comme le dindon). Seules deux régions, la Mésoamérique (sud du Mexique, Guatemala, Belize) et la cordillère des Andes, avaient accédé à un stade de développement supérieur : un mode de production dit ‘‘asiatique’’, comme en Égypte ou en Mésopotamie dans la Haute-Antiquité ; c'est-à-dire qu’une population dominante, avec une caste aristocratique (à la fois chefs politiques, militaires et religieux) s’était greffée sur les communautés primitives d’une large région géographique (qui continuaient à produire de manière relativement collectiviste) et prélevait un tribut annuel sur ces communautés. Ces sociétés avaient atteint un degré technique, scientifique, artistique et architectural etc. très avancé, surprenant les premiers arrivants européens ; toutefois, leur organisation sociale et leur technique militaire ne leur permirent pas de résister plus de quelques années à quelques centaines de conquérants espagnols. Des civilisations du même type – légèrement moins avancées – semblent avoir également existé en Amérique du Nord, dans la région des fleuves Mississipi et Ohio ainsi qu’en Arizona/Nouveau-Mexique (Anasazis), mais elles se sont éteintes au début du 14e siècle, donc avant l’arrivée des Européens dans ces régions.

    Malgré une résistance qui n’a jamais cessé (cf. Mariátegui), ces populations, entre le régime d’esclavage auquel elles furent soumises, la violence des conquérants et les maladies importées d’Europe – contre lesquelles elles n’étaient pas immunisées, furent décimées : elles disparurent totalement de l’arc caraïbe ; furent pratiquement exterminées (les survivants parqués dans des réserves sous contrôle militaire) en Amérique du Nord ; quelques communautés primitives survécurent dans des zones très reculées de l’Amazonie (où certaines ne furent ‘’découvertes’’ qu’au 20e siècle…) ; tandis qu’en Mésoamérique et dans les Andes, bien que la population fut divisée par 10 voire 20 en moins d’un siècle, elles résistèrent un peu mieux, et forment aujourd’hui le fond ‘’ethnique’’ des masses populaires – bien que l’essentiel soit évidemment métissé : il y a peu d’indigènes ‘’purs’’. Dans la plupart des pays, elles furent peu à peu remplacées par des esclaves importés d’Afrique subsaharienne, ‘’mieux adaptés’’ au dur labeur des exploitations coloniales. La part de la descendance (et de l'influence culturelle) de ces derniers dans la population est inversement proportionnelle à l’ampleur dans laquelle la population originelle fut éradiquée (en Amérique du Nord, les Anglais et les Français, quant à eux, ne cherchèrent jamais vraiment à faire travailler les indigènes, se contentant de les chasser de leurs terres, et ne mirent en œuvre que l’esclavage des Africains).

    L’Amérique dite ‘’latine’’, qui nous intéressera ici, au sud du Rio Grande et du détroit de Floride, a été dans l’ensemble colonisée par les royaumes d’Espagne et du Portugal (Brésil et dans une certaine mesure Uruguay), seul l’arc caraïbe (sauf Cuba, Saint-Domingue et Puerto Rico) et les Guyanes étant partagés entre l'Angleterre, la France et la Hollande (avec quelques îles suédoises – Saint-Barthélemy – et danoises – îles Vierges – jusqu’au 19e siècle). L’Amérique du Nord fut partagée entre les Anglo-saxons et les Français (Québec, Louisiane), mais les territoires français furent annexés par les Anglo-saxons (Grande-Bretagne et USA) entre 1763 et 1803.

    Cette différence s’avèrera essentielle, nous le verrons, pour la suite des évènements historiques jusqu’à nos jours : elle en forme la base matérielle. En effet, la colonisation espagnole et portugaise mit en place un régime seigneurial-esclavagiste extrêmement dur et fondé sur le pillage, l’exploitation forcenée des matières précieuses pour le luxe des aristocraties portugaise et espagnole, sans chercher à mettre en place une économie locale développée ; seule une mince bourgeoisie venant se positionner en intermédiaire entre les grands propriétaires criollos (coloniaux), producteurs de sucre, café, bois précieux, or et autres métaux etc., et la métropole. Les colons étaient, pour l’essentiel, des cadets de famille aristocratique (n’héritant pas d’une terre en Espagne ou au Portugal, ils allaient donc s’en "tailler" une outre-Atlantique). Au contraire, l’Amérique du Nord britannique fut colonisée par des bourgeois, de religion et idéologie protestante, capitaliste conquérante ; persécutés à l’origine en métropole – l’Angleterre eut des monarques 'catholicisants' de 1625 à 1649 et de 1660 à 1689 – ils réduisirent au maximum les liens avec celle-ci et mirent en valeur les territoires colonisés dans un esprit capitaliste, moderniste ; ce qui, au terme du processus historique, donnera naissance à deux grands États impérialistes : les États-Unis d’Amérique (USA) et le Canada. Les territoires colonisés par la France connurent une situation intermédiaire.

    Au début du 19e siècle, la monarchie espagnole étant affaiblie par les guerres napoléoniennes et le Portugal étant devenu, de fait, un appendice de la Grande-Bretagne, la mince couche bourgeoise dont nous avons parlé et l’aristocratie criolla ‘’éclairée’’ (imprégnée par l’idéologie des Lumières et l’exemple des Révolutions bourgeoises française et américaine)  vont se lancer dans la lutte pour l’émancipation de leurs pays, et la constitution d’États indépendants.


    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b4/BatallaCarabobo01.JPG/290px-BatallaCarabobo01.JPGDe 1810 à 1870 environ : c'est la période des indépendances (tous les États indépendants actuels sont constitués en 1840, sauf Cuba) et de leur CONFISCATION par l'impérialisme naissant. Il y a bien eu le "rêve continental" de Bolivar, des "rêves" sous-continentaux comme celui de l'Empire mexicain d'Iturbide (1821-24) ou de l'Empire du Brésil (1822-1889), et des gouvernements nationalistes comme celui de Rosas en Argentine (1829-1852), Rodriguez de Francia et ses successeurs (1811-1870) au Paraguay [1] [2], ou Santa Anna au Mexique (dominant la vie politique de 1823 à 1855) ; mais, systématiquement, la volonté politique sera en contradiction trop grande avec le niveau réel des forces productives léguées par l'Empire espagnol (qui surexploitait les territoires sans chercher leur réelle mise en valeur) ; et ainsi triompheront les féodalités locales (éclatement en une multitude d’États indépendants, eux-mêmes sans réel pouvoir central fort, avec des provinces quasi-indépendantes) et la bourgeoisie compradore (qui fonde son développement sur le rôle d'intermédiaire avec les puissances capitalistes étrangères).

    Il faut aussi bien avoir à l'esprit que lorsque l'on parle de ces féodalités, ou de cette semi-féodalité que le Parti communiste du Pérou, par exemple, plaçait au cœur de sa cible, il s'agit d'une féodalité COLONIALE ; c'est-à-dire de la grande propriété de colons d'origine européenne (essentiellement espagnole, ou portugaise au Brésil et un peu en Uruguay), appelés criollos ("créoles", c'est-à-dire nés dans la colonie) ou d'autres appellations comme mantuanos au Venezuela, q'ara en langue quechua dans les Andes etc., sur les terres du continent et des masses paysannes indigènes, métisses à dominante indigène ou descendantes d'esclaves africains déportés. De fait, même si indigènes et afro-descendants furent enrôlés et donc participèrent en masse aux guerres d'indépendance, même si l'esclavage et certaines formes de servitude indigène furent parfois abolis (pas toujours ni partout...), la "libération" de l'Amérique latine fut surtout en réalité une séparation des colons nés dans la colonie d'avec la métropole, au même titre que les États-Unis de George Washington au Nord... mais avec, outre des forces productives comme on l'a dit beaucoup plus faibles, un rapport de force numérique face aux masses colonisées qui favorisera sans doute aussi, grandement, le placement comprador rapide sous la tutelle d'une nouvelle "métropole" indirecte.

    Ces féodalités locales auront raison, par exemple, du "despotisme éclairé" de l'empereur Pierre II du Brésil, qui tentait de construire un État moderne et "affirmé" dans le "concert des nations". Entre son renversement (1889) et 1930, le pays n'aura ainsi aucun pouvoir central réel, les potentats locaux régnant sans partage au service de l'impérialisme (principalement britannique). Paradoxalement, les forces qualifiées de "conservatrices" étaient souvent plus nationalistes, favorables à un développement autocentré et endogène de leur pays, que les "libéraux" qui étaient libre-échangistes, ce qui revient en pratique à ouvrir grand les portes aux marchandises et aux capitaux étrangers.

    Contrairement à une idée reçue, fondée sur une "doctrine de Monroe" (1823) qui relève largement de la légende, l'emprise impérialiste sur le continent est alors principalement BRITANNIQUE (première puissance mondiale à l'époque), et plus secondairement française. Les États-Unis sont alors surtout tournés vers leur propre "Conquête de l'Ouest". Leurs ambitions ne s'affirmeront qu'à partir du milieu du siècle : annexion de la moitié du Mexique en 1848, puis assise de leur influence sur celui-ci avec le libéral Juarez (1858-72) ; tentative de mainmise sur le Nicaragua avec l'aventurier Walker (1855), qui échoue face à une coalition d’États centre-américains pilotée par la Grande-Bretagne ; puis, à la toute fin du siècle, annexion de Cuba et Puerto Rico (1898), suivie de la formation de l’État fantoche de Panama (1903), de l'occupation du Nicaragua (1909-1933), d'Haïti (1915-1934) et de la République dominicaine (1916-1924), etc. Ce n'est qu'entre 1918 et 1945 que l'impérialisme US s'affirmera totalement sur le continent, faisant de celui-ci son "arrière-cour". À travers les ports de San Francisco et la Nouvelle-Orléans, ses capitaux et marchandises "attaquent" plutôt le continent par les côtes pacifique et caraïbe, tandis que la façade atlantique reste tardivement sous influence européenne, principalement britannique.

    Durant toute cette période, donc, guerres civiles et entre États, dictatures de caudillos et "révolutions" ne sont pratiquement que l'expression de l'affrontement entre pénétration des capitaux étrangers (principalement britanniques) et rejet de ceux-ci par des éléments nationalistes de la classe dominante. Comme on l'a dit, les forces "libérales", qui luttent à l'intérieur contre l'influence de l’Église catholique, pour les libertés bourgeoises voire même un certain progrès social, ne sont pas systématiquement les plus opposées à la pénétration impérialiste...

    On a là, et ce sera valable pour toute la suite de ce panorama historique, l'expression d'une contradiction fondamentale et spécifique des pays qui, par la faiblesse de leur forces productives à un moment donné, passent sous la coupe de pays aux FP plus avancées (loi du développement inégal) : la contradiction entre le CARACTÈRE NATIONAL de la production et la (sur-)APPROPRIATION IMPÉRIALISTE ÉTRANGÈRE d'une partie importante de la plus-value ; le fait que ce soit du Capital étranger (impérialiste) qui se valorise à travers les forces productives nationales.

    On peut considérer comme un épilogue sanglant la guerre d'extermination (40% de la population, dont la quasi-totalité des hommes adultes...) menée contre le Paraguay, dernier pays à tenter un développement capitaliste endogène, par la triple alliance de l'Argentine, du Brésil et de l'Uruguay, pilotée par l'Empire britannique (1865-70). Guerre_de_la_Triple-Alliance

    220px-TupacAmaruIIS'il est un constat dans le sentiment populaire comme dans les forces révolutionnaires conscientes d'Amérique latine, c'est que les "héros nationaux" de cette époque jouent un rôle important dans la mobilisation de masse, dans un sens progressiste. Les forces progressistes et anti-impérialistes du Venezuela et de Colombie invoquent Bolivar (et Ezequiel Zamora au Venezuela) ; en Amérique centrale, Morazàn (bien qu'également des figures postérieures, comme Sandino ou Farabundo Marti - qui, lui, était communiste). Au Pérou et en Bolivie, on se réfèrera à des figures un peu antérieures : José Gabriel Condorcanqui dit "Tupac Amaru II" et son lieutenant Tupac Katari, qui menèrent une grande révolte contre la Couronne espagnole en 1780-81, avant de mourir écartelés... L'importance, dans ces pays, de l'organisation sociale indigène, communautaire et collectiviste (ayllu), mise en lumière par le communiste péruvien José Carlos Mariátegui, explique l'ampleur historique de la résistance paysanne indigène et le succès de masse du maoïsme (particulièrement au Pérou) face au cubano-guévarisme très fort partout ailleurs. La notion de jefatura, développée par le Parti communiste du Pérou avec Gonzalo (Abimael Guzmán), puise aussi, sans aucun doute, ses racines dans le lien "messianique" unissant les "restaurateurs" de l'Empire inca, comme Tupac Amaru II, aux masses indigènes dépossédées par les colons espagnols (dont les classes dominantes actuelles sont les descendantes). 

    729px-DeboisementArgentineAncienPort.jpgDe 1880 à 1930 : grand développement des forces productives. La plupart des pays, en tout cas au début, sont dirigés par des régimes oligarchiques conservateurs, ou des "libéraux" particulièrement droitiers, orléanistes. Mais (en lien avec ce développement des forces productives), la période voit aussi l'émergence de puissantes forces bourgeoises radicales, modernisatrices et généralement anticléricales (liées à la franc-maçonnerie), qui réussissent parfois à prendre le pouvoir : "révolution" libérale-radicale "authentique" en Équateur (Eloy Alfaro, 1895-1912), radicalisme argentin (1916-1930), "ère Batlle" en Uruguay (de 1903 à la crise de 1929), "révolution" de 1925 au Chili ou encore présidence de José Santos Zelaya au Nicaragua (1893-1909, qui s'achève avec l'invasion US), et bien sûr la "révolution" mexicaine (1910-1929). Dans les dernières colonies espagnoles (Cuba avec José Marti, Puerto Rico), ces forces mènent la lutte indépendantiste, qui s'achève malheureusement par la conquête yankee en 1898.

    Reflet des contradictions inter-impérialistes qui commencent à se faire jour à travers le monde, en 1879-83, le Chili poussé par l'Empire britannique agresse le Pérou (à qui il raflera la province de Tarapacá) et la Bolivie (qu'il privera jusqu'à ce jour d'accès maritime). Ces pays tendaient à devenir des "axes" de pénétration impérialiste US. Guerre_du_Pacifique

    Et de fait le Chili dans cette affaire ; comme ces autres pays très européens de peuplement et de mode de vie qu'étaient l'Argentine et l'Uruguay, ou du moins fermement aux mains d'une forte population européenne comme le Brésil, un peu plus tôt face au Paraguay ; tous ces pays ont aussi pu jouer quelque part un rôle de nouvelle Espagne conquistadoreau service de l'impérialisme principalement britannique, vis à vis de leurs voisins "plus indigènes" (sans parler de la "conquête" de leurs propres régions andines et australes par l'Argentine et le Chili) ; de fers de lance de la pénétration du Capital dans les territoires plus "arriérés" et encore à investir par le capitalisme moderne. C'est, en tout cas, un peu de cette manière que les Péruviens (les masses indigènes en particulier), occupés entre 1880 et 1883, ont eu tendance à le vivre et s'en souviennent aujourd'hui ; tandis que les Paraguayens ont gardé en mémoire la guerre de 1865-70 comme un nouvel écrasement des réductions jésuites par les troupes portugo-brésiliennes du marquis de Pombal (1755).

    Les contradictions inter-impérialistes pousseront également les USA à imposer un protectorat (1906) puis à occuper la République dominicaine (1916-24), en même temps que son voisin Haïti ; à accélérer la construction, sous leur contrôle, du canal de Panama - en appuyant la sécession de cette province colombienne ; et à s'impliquer fortement dans la "révolution mexicaine" (débarquement à Veracruz en avril 1914), les visées allemandes sur ce pays étant même - en grande partie - à l'origine de l'entrée des États-Unis dans la guerre mondiale. Au Venezuela, faisant barrage à une intervention militaire britannique au nom de la "doctrine Monroe", ils sauvent le pouvoir de Cipriano Castro, auquel ils font succéder en 1908 jusqu'en... 1935 la féroce dictature de Juan Vicente Gómez ; qui préside en 1914 à la "découverte" (comme par hasard...) des gigantesques réserves de pétrole que l'on connaît...

    La période voit globalement monter en puissance l'impérialisme yankee sur le continent, même si l'impérialisme britannique résiste (ainsi, encore en 1932-35, le Paraguay au service des monopoles pétroliers britanniques l'emporte sur la Bolivie pro-US, qui perd encore une grande partie de son territoire dans la guerre du Chaco). 

    Là encore, la période a fourni un certain nombre de figures et d'évènements emblématiques à la gauche radicale et révolutionnaire d'un certain nombre de pays : José Martí à Cuba bien sûr ; Pancho Villa et Zapata (réformistes agraires radicaux) au Mexique ; Augusto César Sandino au Nicaragua ; colonne révolutionnaire de Luís Carlos Prestes (qui rejoindra plus tard le Parti communiste) au Brésil ou révolte des bananeraies en Colombie (1928)... En Équateur, les réformistes appuyant le "processus" actuel se réclament souvent d'Alfaro.

    peron12.jpgLa crise de 1929 impacte durement l'économie continentale. Elle impacte, d'autre part, durement l'impérialisme britannique (qui, du coup, perd pied) ainsi que son "successeur désigné", l'impérialisme US, engendrant une période de "vacance", de "flottement". À partir de 1930 émergent des forces populistes qui cherchent la mobilisation de masse pour arracher leurs économies nationales à la domination impérialiste (européenne comme nord-américaine) : gétulisme (Getúlio Vargas) au Brésil (de la "révolution" de 1930 à 1945, puis à nouveau de 1951 à 1954), péronisme en Argentine (1943-1955), Lazaro Cardenas et ses successeurs au Mexique (de 1934 jusqu'à la fin des années 1940), Ibáñez au Chili (1927-31 puis 1952-58) ; et d'autres forces qui ne parviennent pas (dans un premier temps) au pouvoir : MNR en Bolivie (fondé en 1941, en gestation dès 1935, prendra le pouvoir en 1952), APRA au Pérou (fondée en 1924), PRD en République dominicaine (fondé en 1939), Parti révolutionnaire fébrériste au Paraguay (1936), des partis d'inspiration sociale-démocrate (Venezuela, Chili), etc. Bourgeoises, ces forces s'opposent autant à l'impérialisme US et européen qu'à l'URSS et au mouvement communiste ("Ni Washington, ni Moscou !" était le mot d'ordre de Victor Haya de la Torre, fondateur de l'APRA). Certaines auront des sympathies, jusqu'au milieu de la Seconde Guerre mondiale (1942-43, voire 1944), pour les régimes fascistes européens (après-guerre, toutefois, la plupart "s'orienteront vers la gauche" et mèneront généralement des politiques de réformes sociales "classiques") : c'est notamment le cas du péronisme, du gétulisme, d'Ibáñez ou du MNR bolivien. D'autres, cependant, seront au contraire d'un antifascisme impeccable, comme Cardenas au Mexique, qui sera (avec l'URSS et la Tchécoslovaquie) le seul véritable soutien de la République espagnole.

    Sur la base des forces productives accumulées depuis la fin du 19e siècle, ces dirigeants et mouvements social-réformistes ou populistes vont tenter, une seconde fois après les tentatives du 19e siècle, d'affirmer un capitalisme national indépendant et autocentré. Mais ces tentatives seront durement écrasées lors de la période suivante...

    Après la Seconde Guerre mondiale, l'impérialisme US a enfin acquis l'hégémonie totale sur le continent américain.

    Dès la fin des années 1940 commence alors une grande guerre d'extermination non-déclarée, poursuivant trois objectifs :

    - écraser les forces révolutionnaires anti-impérialistes authentiques, à une époque où la vague révolutionnaire mondiale, partie de Russie en 1917, est à son apogée ;

    - contrer les visées social-impérialistes soviétiques ;

    - écraser les tentatives d'émancipation capitaliste nationale, pour asseoir un ordre semi-colonial féroce, quasiment néo-colonial (bien qu'aucun de ces pays n'ait été une colonie directe des USA, sauf Cuba), qui débouchera dans le "néolibéralisme" des années 1980-2000 ("consensus de Washington").

    Cette guerre non-déclarée, mais bien réelle, entre guerres civiles et dictatures réactionnaires terroristes, fera sans doute plus d'un million et demi de victimes.

    Dès le début, cela commence "très fort". Les pays caraïbes et d'Amérique centrale, déjà sous contrôle US avant-guerre, ont leurs dictatures réactionnaires sanglantes et corrompues dès les années 1930 : Nicaragua (dynastie Somoza dès 1937, après plus de 20 ans d'occupation militaire américaine), Salvador (Hernandez Martinez dès 1931, règne inauguré par la répression du soulèvement paysan de janvier 1932 - dirigé entre autres par Farabundo Martí - et ses 30.000 victimes, puis succession de juntes du même tonneau), Cuba (Machado 1925-1933, puis Batista sera "l'homme fort" jusqu'à sa chute fin décembre 1958), République dominicaine avec l'abominable Trujillo (1930-61) responsable d'au bas mot 50.000 victimes ; tandis qu'en Argentine se succédaient les généraux de la "décennie infâme" (1930-43) au service de l'Empire britannique.

    img4.jpgEn Colombie, le libéral de gauche Jorge Eliécer Gaitán est assassiné en 1948. S'ensuivent des émeutes qui, sous les gouvernements conservateurs puis la dictature militaire de Rojas Pinilla (1953-57), dégénéreront en une guerre civile, "la Violencia", opposant libéraux de gauche, socialistes et communistes aux conservateurs et aux libéraux de droite. Entre 200.000 et 300.000 personnes perdront la vie dans les atrocités puis s'installera, jusqu'au début des années 1980, une "alternance concertée" (un mandat de 4 ans chacun) entre conservateurs et libéraux de droite. C'est dans ce contexte que se formeront, contre les exactions anti-populaires, des milices d'autodéfense ; par la suite, se tournant vers le PC prosoviétique (FARC), la révolution cubaine et le modèle guévariste (ELN) ou la révolution chinoise (EPL), elles deviendront les fameuses "guérillas marxistes". Cependant, aux mains du camp conservateur, d'autres milices ouvriront la sinistre tradition paramilitaire du pays - aux atrocités innombrables. Depuis les années 1960 jusqu'à ce jour, le "conflit armé colombien" aura fait encore (au moins) 300.000 autres victimes (250.000 entre 1985 et 2005).

    Le Venezuela, lui, après la dictature de Gómez (1908-35) déjà évoquée, est écrasé sous la botte implacable de Pérez Jiménez de 1948 à 1958. Lui succédera un autre "pacte", celui de Punto Fijo, entre les "deux jambes" de l'oligarchie : l'Action démocratique social-démocrate et le Copei démocrate-chrétien, écartant (évidemment...) le Parti communiste. Le "puntofijisme" sera affronté par une guérilla révolutionnaire (Forces armées de Libération nationale, FALN) conduite d'abord par le PCV puis par la scission plus radicale de Douglas Bravo, le Parti de la Révolution vénézuélienne, jusqu'au milieu des années 1970 - malheureusement sans succès.

    Le Guatemala, de 1944 à 1954, traverse un "Printemps de Dix Ans", ère de réformes démocratiques et sociales. Lorsque le président réformiste Jacobo Arbenz prétend s'attaquer aux intérêts de la United Fruit, monopole US implanté depuis le début du siècle et plus grand propriétaire terrien du pays, la CIA déclenche l'opération PBSUCCESS. Arbenz est renversé ; s'ensuit une guerre civile et une succession de régimes militaires qui feront jusqu'aux années 1990 entre 200.000 et 250.000 mort-e-s. L'intellectuel radical états-unien Noam Chomsky dira à ce sujet : "Nous nous sommes arrangés pour interrompre, en 1954, une expérience démocratique. Il s'agissait pourtant d'un régime réformiste, capitaliste et démocratique, de type new deal, que notre intervention a permis d'éliminer, laissant à sa place un véritable enfer sur terre, probablement le régime de la période contemporaine le plus proche de l'Allemagne nazie".

    Bref panorama historique révolutionnaire des Amériques

    Au Mexique, le "retour dans le giron" est obtenu par une "droitisation" progressive (si tant est qu'il ait un jour été de gauche, sauf sous Cardenas...) du grand parti bourgeois hégémonique, le PRI. En 1968, peu avant les Jeux olympiques qui doivent se tenir à Mexico, un mouvement étudiant est réprimé dans le sang (300 mort-e-s). À la même époque, des guérillas d'inspiration marxiste et guévariste émergent dans toutes les régions du pays : Grupo Popular Guerillero d’Arturo Gámiz García au Chihuahua (nord), Association civique nationale révolutionnaire - ANCR, Mouvement d'Action Révolutionnaire - MAR ou Ligue communiste du 23 Septembre (d'implantation nationale), Procup-PDLP au Guerrero (sud), etc. Elles feront parler d'elles jusqu'à la fin des années 1970 et seront impitoyablement réprimées avec les mêmes méthodes qu'ailleurs, tandis qu'à l'extérieur le régime PRI dénonçait avec véhémence les autres dictatures du continent ou encore le blocus impérialiste US contre Cuba...

    En République dominicaine, le sanglant Trujillo est assassiné en 1961 avec le feu vert de la CIA, qui avait tenté jusqu'au bout de lui faire accepter un départ "honorable". L'un des ses fidèles collaborateurs, Joaquín Balaguer, prend sa succession (flanqué de Trujillo junior à la tête des forces armées) mais fin 1962 un réformiste, Juan Bosch, est élu président. Comme Arbenz au Guatemala, sa politique se heurte aux intérêts oligarchiques et américains et il ne fait pas long feu : il est renversé 9 mois plus tard par le général Elias Wessin y Wessin, qui installe un triumvirat civil sous contrôle militaire. S'ensuit une période de guerre civile (une fraction constitutionnaliste des forces armées restant fidèle à Bosch, sous la conduite du colonel Caamaño) qui culmine dans l'intervention et l'occupation militaire US (avril 1965 - septembre 1966), la deuxième de l'histoire du pays (après 1916-24), pour éviter un "nouveau Cuba". La guerre civile et l'occupation feront au moins 5.000 victimes.

    Mais entre temps, à moins de 200 kilomètres des côtes de Floride, était survenue au premier jour de 1959 la RÉVOLUTION CUBAINE sur laquelle nous reviendrons plus avant. C'est là la seule "ombre" (pour l'impérialisme) et lumière (pour les peuples) au tableau.

    260px-Revolucion.jpg

    À ce stade, le sort de la zone "nord-andine" et de l'Amérique centrale et caraïbe semble scellé. Les opérations se déportent alors vers le "Cône Sud". Dernier pays à avoir résisté aux capitaux impérialistes jusqu'à la guerre d'extermination de 1865-70, le Paraguay est alors en proie à une grande agitation sociale depuis la "révolution" de février 1936. De 1954 à 1989, il connaîtra avec le général Stroessner la plus longue dictature réactionnaire du continent (une autre particularité méconnue de ce pays est que son Parti communiste a vu une partie plus que conséquente de ses effectifs s'opposer au khrouchtchévisme, derrière le dirigeant historique Oscar Creydt qui animera une "fraction maoïste" jusqu'au début des années 1980).

    En Bolivie, le MNR qui a pris le pouvoir à la faveur d'un soulèvement en 1952, puis largement trahi les espérances populaires placées en lui est renversé en 1964 par le coup d’État du général René Barrientos. Ce régime est tristement célèbre pour avoir "eu la peau" de Che Guevara, capturé et abattu dans le centre du pays le 9 octobre 1967, après avoir tenté d'y implanté un "foyer" (foco) de guérilla supposé entraîner derrière lui les larges masses. Après la mort de Barrientos (1969), une brève parenthèse militaire "progressiste" (Juan José Torres, 1970-71) est renversée à son tour par le général fasciste Banzer, qui règnera jusqu'en 1978. La "démocratie" néolibérale ne reviendra qu'en 1980 (ce qui n'empêchera pas Banzer, candidat de la droite dure, de redevenir président "démocratiquement" entre 1997 et 2001 !). L'ELN (Armée de Libération Nationale), formée par Guevara, sera rapidement réduite à néant. La même année 1964 survient le coup d’État militaire au Brésil, où deux "progressistes" (Kubitschek et Goulart) ont succédé à Vargas. Les militaires resteront en place jusqu'en 1985. Ce pays est celui d'une autre figure bien connu des marxistes un peu conséquents : Carlos Marighella, fondateur de l'Action Libératrice Nationale après son expulsion du PC et auteur du Manuel de Guérilla urbaine.

    Junta Militar Argentine 1976L’Argentine est le théâtre de l'affrontement le plus aigu et le plus sanglant entre tentative d'affirmation capitaliste nationale et volonté nord-américaine d'imposer un ordre semi-colonial de fer. Ce pays, il faut le rappeler, était alors un "émergent" de premier plan, de l'ordre de la 10e économie mondiale, devant l'Italie ou l'Espagne (qui lui fournissaient une abondante force de travail immigrée...) ; bien que ce produit intérieur brut fut largement aux mains de capitaux britanniques, US ou européens. Il avait donc une bourgeoisie développée (moins oligarchique qu'ailleurs) avec en son sein un fort courant "affirmationiste" ; ainsi qu'une aristocratie ouvrière, chose peu courante à l'époque sur le continent : cette frange formera la base de la bureaucratie syndicale (appuyée sur un prolétariat ouvrier - descamisados - récent et de faible niveau politique), pilier du péronisme, mais qui par anticommunisme collaborera fréquemment... avec les juntes militaires national-catholiques.

    Le naufrage économique et social des années 1980 et 1990, s'achevant dans le "crash" de 2001, est donc une illustration particulièrement radicale des résultats de la politique impérialiste US en Amérique latine pendant la "Guerre froide", de ses objectifs non seulement contre-révolutionnaires mais de re-semi-colonisation sans merci.

    Nous avons vu comment les deux camps bourgeois portant ces deux aspirations historiques (le clivage existait déjà au 19e siècle) avaient réussi à structurer totalement la vie politique du pays à partir des années 1940, depuis l'extrême-droite jusqu'à l'extrême-gauche. Par trois fois, tous les 10 ans, les tentatives péronistes (1946-55 et 1973-76) et la "parenthèse radicale" appuyée par les péronistes (1958-66) sont renversées par des coups d’États du "parti militaire" national-catholique fascisant à la solde de Washington qui impose une dictature chaque fois plus terroriste et meurtrière ["Révolution libératrice" - Dictature de la "Révolution argentine" - Dictature argentine 1976], particulièrement la dernière (1976-83) qui met en place un véritable régime génocidaire de type nazi[3], exterminant les forces révolutionnaires et progressistes du pays selon les méthodes de la bataille d'Alger (enseignées par des "experts" militaires français à l’École militaire des Amériques, et déjà mises en œuvre avant la dictature, sous Isabel Perón, entre 1974 et 1976). Il faut dire que, dès le milieu des années 1960, le pays est également en proie à une forte agitation sociale et à l'émergence de luttes révolutionnaires armées : des péronistes "de gauche" (prenant pour argent comptant le discours social et anti-impérialiste de Perón) comme les Montoneros, les Forces armées révolutionnaires etc., mais aussi les marxistes du PRT-ERP (se réclamant de Lénine et du Che ainsi que de Trotsky, partisan des révolutions chinoise, cubaine et vietnamienne, prônant la "fusion des apports du trotskysme et du maoïsme dans une unité supérieure qui signifiera un plein retour au léninisme"), tandis que les marxistes-léninistes du PCR et du futur PCML ainsi que de nombreux groupes trotskystes ou anarcho-syndicalistes agitent les masses ouvrières dans les usines. Pour le coup, l'aspect contre-révolutionnaire de la contre-offensive oligarchique deviendra principal, expliquant l'ampleur de la répression qui commence déjà sous la parenthèse péroniste (1973-76), et l'on verra les péronistes de droite (notamment la sinistre Triple A, Alliance Anticommuniste d'Argentine) rallier en 1976 les militaires dans la chasse aux "gauchistes".

    L'Uruguay voisin a longtemps été qualifié de "Suisse de l'Amérique latine", pour sa prospérité et sa stabilité politique (bien qu'il ait déjà connu, de 1933 à 1938, la dictature pronazie de Gabriel Terra). Cependant, dès les années 1950, se fait jour une crise économique qui voit la remise en cause de la politique grand-bourgeoise traditionnelle, avec ses deux partis blanco et colorado (respectivement, à l'origine, conservateur et libéral, mais ensuite le "spectre" s'est considérablement élargi, les blancos restant cependant globalement plus à droite - du centre-droit à l'extrême-droite, des éléments pouvant cependant rallier la gauche - tandis que les colorados vont du libéral-conservatisme "dur" au centre-gauche réformiste bourgeois). Un Frente amplio réformiste émerge, regroupant démocrates-chrétiens, socialistes et communistes ; en même temps qu'une organisation de gauche révolutionnaire armée, les Tupamaros. L'armée prend donc le contrôle du pays, de 1973 à 1985, avec toutefois des présidents civils (colorados de droite ou blancos), mais sous étroit contrôle d'un Conseil militaire de sécurité nationale. Il y aura un prisonnier politique pour 450 habitants... Dictature_militaire_de_l'Uruguay

    chile-venceremos-02Enfin, au Chili a lieu le coup d’État bien connu de Pinochet, le 11 septembre 1973. Une expérience d'autant plus traumatisante que le pays avait certes connu des gouvernements civils particulièrement réactionnaires, mais pratiquement jamais de dictature militaire. Cette dernière durera 17 ans... Entre 1938 et 1958 s'étaient succédés des gouvernements réformistes et populistes, mais ceux-ci étaient globalement restés "dans les clous".

    Les années 1958 à 1970 auront des majorités bourgeoises conservatrices, jusqu'à l'élection "surprise" du socialiste Allende, soutenu par le PC révisionniste, l'URSS et Cuba ainsi que le Mouvement de la gauche révolutionnaire (à la ligne assez proche du PRT-ERP argentin voisin), tandis que le leader du PS, Carlos Altamirano, était sur une ligne beaucoup plus radicale que le PC lui-même (partisan d'armer les masses, etc.). L'administration US organisera l'ingouvernabilité politique et économique du pays, entre chute organisée des cours du cuivre (principale ressource nationale), grèves des transporteurs routiers et activités squadristes de Patria y Libertad (extrême-droite). Allende et le PC, de leur côté, refuseront d'armer les masses ouvrières et paysannes (comme le réclamaient le MIR et Altamirano), et iront jusqu'à confier à Pinochet (franc-maçon comme Allende et originaire de la même région) le commandement général des armées... Moins d'un mois après cette nomination, le même Pinochet allait prendre le pouvoir pour le compte de la droite oligarchique et de Washington, transformant la capitale Santiago en champ de bataille et faisant bombarder le palais présidentiel d'Allende (qui se suicidera après avoir refusé de se rendre). On connaît la suite... Régime_militaire_d'Augusto_Pinochet

    En 1975, toutes les "opérations" de la région sont coordonnées dans le Plan Condor, qui réunit les juntes du Chili, d'Uruguay, du Paraguay, du Brésil, de Bolivie et les militaires argentins (pas encore au pouvoir, mais déjà dotés de pouvoirs extraordinaires par Isabel Perón). Face à cela tente de se mettre en place une "Junte de coordination révolutionnaire" entre le PRT-ERP, le MIR chilien, l'ELN bolivien et les Tupamaros uruguayens - entreprise hélas sans lendemain.

    À la fin de la décennie 1970, on peut considérer que le Cône Sud est "sous contrôle" des oligarchies et de l'impérialisme US. Le "front" principal se déplace à nouveau vers l'Amérique centrale. À partir du milieu des années 1970, les guérillas marxistes procubaines montent en puissance. "Pire" : au Nicaragua, après 18 ans de lutte et un an de combats acharnés (40.000 victimes), le Front sandiniste de libération nationale (FSLN, plus social-démocrate radical que réellement marxiste) s'empare du pouvoir en 1979 avec le soutien de Cuba, renversant le clan Somoza en place depuis plus de 40 ans. L'impérialisme US organisera alors les Contras (forces contre-révolutionnaires) et le conflit fera encore 50.000 autres mort-e-s ; puis les sandinistes, sans véritable ligne marxiste révolutionnaire, capituleront en 1990 et convoqueront des "élections libres" qui rendront le pouvoir à la droite. Au Salvador, après un (énième) coup d’État militaire, le fmlnsalvador.jpgFrente Farabundo Martí de Liberación Nacional (FMLN), unifiant 5 groupes de guérilla marxistes, passe à l'offensive en 1980 et affronte l'ARENA (Alliance républicaine nationale), organisation paramilitaire de type nazi ; conflit "arbitré" par le démocrate-chrétien José Napoleon Duarte, soutenu par Washington et - bien entendu - avant tout anticommuniste : 100.000 morts durant toute la décennie. Au Guatemala, les guérillas en présence [Forces armées rebelles (FAR) du Parti Guatémaltèque du Travail prosoviétique, Armée de Guérilla des Pauvres (EGP) plutôt guévariste, Organisation Révolutionnaire du Peuple en Armes (autodéfense paysanne indigène) et PGT-Noyau Directeur National (scission ML du PGT)] accentuent également leur offensive et convergent au début des années 1980 dans l'URNG (Union révolutionnaire nationale guatémaltèque). L'essentiel des 250.000 victimes de la guerre civile (qui s'étend d'environ 1960 jusqu'en 1996) trouvent la mort dans cette première moitié des années 1980, en particulier sous le sinistre général Efraín Ríos Montt (1982-83) , dans une véritable guerre d'extermination raciste visant particulièrement les indigènes mayas : bombardements, déplacements de populations, massacres de villages entiers par les forces spéciales "Kaibiles" (440 villages complètement rasés, massacre de Dos Erres), milliers d'indigènes jetés par hélicoptère dans l'océan Pacifique, etc. etc. La militante paysanne indigène Rigoberta Menchú donnera à ce conflit génocidaire une certaine notoriété internationale...

    Plus "calme", le Honduras fera office de base pour l'appui "technique" impérialiste US et de "profondeur stratégique" pour les forces réactionnaires... Toutes ces guerres civiles s'achèvent au début des années 1990 par des "accords de paix", qui consacrent les forces criminelles de droite à la tête des pays et absorbent les anciennes guérillas dans la mascarade parlementariste comme partis sociaux-démocrates.

    La liste, on le voit, à de quoi faire pâlir Stéphane Courtois et son "Livre noir du communisme" (et cela, sans grossir les chiffres, ni y inclure des nazi-fascistes justement châtiés, ni compter comme "morts" des déficits démographiques...).

    À la fin des années 1980, l'impérialisme occidental, principalement US, sort GLOBALEMENT VICTORIEUX de ces quatre décennies de guerre totale, contre les bourgeoisies (trop) réformistes, national-populistes ou "philo-soviétiques", mais surtout contre les peuples. Seule la guérilla maoïste du Parti communiste du Pérou (au contraire) menace encore gravement l’État oligarchique laquais péruvien et, du coup, fait face à une guerre sans merci (70.000 victimes), mais surtout à une campagne de diabolisation médiatique (peut-être) sans équivalent dans l'histoire récente pour un Parti non encore au pouvoir...

    Cette défaite est due à la puissance de l'offensive réactionnaire, dans laquelle la méthode française antisubversive de Roger Trinquier jouera un rôle fondamental ; mais aussi (cf. ci-dessous) et même surtout aux faiblesses idéologiques et stratégiques des forces révolutionnaires en présence (sans même parler des forces nationalistes bourgeoises, par nature incapables d'affronter efficacement l'impérialisme).

    menem_bush.jpgLa victoire impérialiste US apparaît alors totale : sont à la fois écrasées les forces révolutionnaires (sauf ça et là, mais rien de nature à menacer l'ordre établi, sauf au Pérou au début de la décennie 90) et démantelées les structures réformistes et national-populistes d'affirmation du caractère national de la production (entreprises étatisées, circuits redistributifs servant aux bourgeoisies pour s'appuyer sur les masses, etc.).

    Les juntes militaires rendent le pouvoir aux civils entre 1980 (Bolivie, Pérou) et 1990 (Paraguay, Chili), le temps de laisser les "Chicago Boys" (et Martínez de Hoz en Argentine et d'autres encore) exercer leurs prouesses ; puis c'est le triomphe du "néolibéralisme", synthétisé dans le "consensus de Washington" (1989) : un ordre semi-colonial sans merci, imposé par l'impérialisme principalement US à travers des régimes "démocratiques" (parlementaires oligarchiques) fantoches qui n'hésitent pas à massacrer la population lorsqu'ils sont contestés, comme au Venezuela en 1989 (Caracazo), au Chiapas (Mexique) en 1994-95 ou en Bolivie en 2000 et 2003.

    Mais parallèlement, ce "néolibéralisme" (et les régimes militaires qui l'ont précédé) a amené un (nouveau) grand développement des forces productives et encore une fois l'émergence de nouvelles couches bourgeoises. Les sociétés latino-américaines sont aujourd'hui très éloignées de ce qu'elles étaient dans les années 1950 ou 1960. L'organisation sociale telle que léguée par les dictatures militaires réactionnaires ne pouvait donc perdurer.

    chaveznod.jpgDepuis la toute fin du 20e siècle, avec Chavez au Venezuela en passant par le Brésil (2002), l'Argentine (après la situation insurrectionnelle de fin 2001-2002), la Bolivie, l’Équateur, l'Uruguay ou le Paraguay, on voit donc surgir ces fameuses "gauches" latino-américaines (plus ou moins modérées ou radicales), nouvelles coqueluches des bobos tendance Monde Diplomatique : les nouveaux nationalismes bourgeois ; d'orientation parfois sociale-démocrate, parfois nationale-radicale-populiste. Ces nouveaux nationalismes sont indissociables de l'"émergence" (forte croissance du PIB, tendance à exporter "régionalement" des capitaux tout en restant principalement importateurs, tendance à l'affirmation diplomatique sur une scène internationale verrouillée par le "G8", etc.) de pays comme le Brésil, l'Argentine, le Mexique ou le puissant Venezuela pétrolier ; de l'affirmation sur la scène internationale des nouveaux impérialismes russe et chinois et de la concurrence discrète mais sans concessions entre les blocs impérialistes déclinants US-Commonwealth et France-Allemagne (tendance à ne plus "respecter" le "pré carré" de l'autre, français/européen en Afrique et US dans les Amériques). L'on a ainsi pu voir surgir, dans les allées du pouvoir, ici d'anciens guérilleros urbains (Uruguay, Brésil), là un militaire ex-putschiste "progressiste" (Venezuela), ici un syndicaliste paysan opposant de longue date flanqué d'un ancien intellectuel partisan de la lutte armée (Bolivie) ou d'anciens persécutés politiques sous les dictatures (Argentine, Chili) et là un "prêtre rouge" (Paraguay), etc. etc., sans oublier le retour des sandinistes au Nicaragua.

    Les vieux nationalismes/"affirmationismes" (MNR et MIR boliviens, péronisme argentin - sauf le courant Kirchner, social-démocrates et travaillistes brésiliens - héritiers du gétulisme et du "progressisme" de Kubitschek, PRI mexicain, socialistes chiliens etc.) étant devenus quant à eux, depuis les années 1980, les champions du "néolibéralisme"...

    Cependant, depuis la fin des années 2000, les nouveaux nationalismes montrent eux aussi leurs limites de classe, après avoir été un temps (même les plus modérés) la marotte des "altermondialistes" de tout poil. En 2006, les maoïstes du Parti communiste révolutionnaire du Canada avaient réalisé une analyse complète et intéressante (vu d'un pays impérialiste occidental) de ce phénomène des nouvelles "gauches" nationalistes (et une critique efficace de leurs soutiens inconditionnels occidentaux).

    Dans d'autres pays, en revanche, ce sont des droites réactionnaires terroristes, oligarchiques et pro-impérialistes qui sont au pouvoir, dans une perspective d'affrontement avec les forces populaires et les nouvelles "gauches" affirmationistes : au Mexique où c'est une droite de ce type (le PAN) et non une "gauche" qui a détrôné le vieux PRI en 2000, au Pérou jusqu'à l'élection d'Humala (national-populiste qui n'a d'ailleurs pas changé grand chose...) en 2011, au Chili depuis 2010 et bien sûr en Colombie, "pivot" du dispositif impérialiste US sur le continent où le conservateur-populiste Uribe (2002-2010) a brisé le duopole libéral/conservateur avec son "Parti de la U" (Parti social d'unité nationale), amenant littéralement l'extrême-droite paramilitaire au pouvoir dans ce qui s'apparente le plus, ces 15 dernières années, à un régime fasciste (répression terroriste + mobilisation de masse) sur le continent. À présent que les guérillas et tout mouvement social organisé sont écrasés, et les voisins vénézuélien et équatorien tenus en respect, son successeur (et ancien ministre de la Défense) Santos se montre plus "libéral"...

    Jose_Carlos_Mariategui.jpgEt le mouvement communiste, dans tout cela ? Il émerge, comme dans le monde entier, entre 1920 et le début des années 1930. Pour autant, son niveau idéologique est alors très faible. Jusqu'à la Révolution cubaine (1959), on peut dire que son seul dirigeant et théoricien d'envergure est le péruvien  José Carlos Mariátegui. Celui-ci, comme doit le faire tout véritable communiste, mène une profonde analyse historique, culturelle et de classe de son pays, et adapte le marxisme à ce cadre géographique d'action. Il faut noter qu'il a, entre 1920 et 1922, vécu en Italie, et il n'est pas exclu qu'il ait gardé, par la suite, des contacts avec les militants de ce pays, notamment Gramsci, dont la démarche intellectuelle est assez proche. Hélas, il est de santé fragile (suite à une blessure de jeunesse à la jambe, dont il sera finalement amputé) et il meurt en 1930, deux ans seulement après avoir fondé le Parti socialiste, qui deviendra le premier PC du Pérou cette même année.

    Les autres Partis communistes sont, généralement, des cercles de bourgeois intellectuels, de pratique réformiste et à la traîne des mouvements populaires revendicatifs, parfois prêts aux pires compromissions (comme celle, infâme, du PC argentin avec l'ambassade US contre Perón en 1945, ou celle du premier P"c" cubain avec Batista). Ils sont notamment très influencés par l'ultra-révisionnisme d'Earl Browder, alors dirigeant du PC des USA. Celui-ci voyait dans l'impérialisme US, son propre impérialisme (!), un impérialisme "progressiste" pouvant être, main dans la main avec l'URSS, le garant d'une "nouvelle ère de paix et de démocratie" après la Seconde Guerre mondiale... CQFD.

    418390_1.jpgEn 1956-59, un groupe de jeunes bourgeois nationaux démocrates-radicaux, le Mouvement du 26 Juillet de Fidel et Raùl Castro, intègre des éléments marxistes (en premier lieu le "Che" Guevara) et renverse après 25 mois de guérilla le régime pro-américain sanguinaire de Fulgencio Batista. Il rassemble sous sa direction et fusionne avec le vieux Parti communiste (devenu "socialiste populaire"), le mouvement ouvrier et paysan organisé, les étudiants "radicaux" et anti-impérialistes (Directoire révolutionnaire du 13 Mars) etc. pour déboucher finalement, en 1965, sur un nouveau Parti communiste. Ces évènements, quoi que l'on pense de leur "pureté" marxiste-léniniste, apportent un "afflux de sang neuf" au mouvement révolutionnaire sur tout le continent. Répondant au mot d'ordre du Che ("créer deux, trois, plusieurs Vietnam"), des groupes se séparent des vieux PC (qui rejettent cette voie ou l'abandonnent rapidement, sauf en Colombie) et s'engagent dans la lutte armée. D'autres, par ailleurs (comme le PRT-ERP en Argentine), surgissent sans lien aucun avec le mouvement communiste antérieur, d'autres encore proviennent du populisme des années 1940 (organisations combattantes péronistes "de gauche") ou de l'aile gauche de la social-démocratie (MIR au Venezuela)... Cependant, comme le Che lui-même, ces organisations de lutte armée pêcheront par idéalisme, aventurisme et/ou militarisme. Généralement, sauf en Colombie et en Amérique centrale, la répression les écrasera militairement avant la fin des années 1970. Ernesto "Che" Guevara lui-même, on l'a vu, mourra en Bolivie en 1967, après une tentative infructueuse de "foyer" révolutionnaire guérillero.

    D'autres forces révolutionnaires, dès le milieu des années 1960, rompront avec le révisionnisme khrouchtchévien pour se tourner vers l'antirévisionnisme chinois et albanais : PCR et PCML d'Argentine, PCR du Chili, PCML d’Équateur, etc. Mais, sauf en Colombie (où le PCC-ml s'engagera dans la lutte armée avec l'EPL), elles resteront globalement engluées dans l'ouvriérisme et l'économisme "radical" (et, là encore, souffriront durement des dictatures militaires). Depuis, certaines sont restées fidèles à la "pensée Mao", d'autres se sont tournées vers le hoxhisme (marxisme-léninisme "albanais"), d'autres encore vers un éclectisme "marxiste" comme le PCML argentin, devenu Parti de la Libération, proche internationalement du Parti du Travail de Belgique. Globalement, leur pratique n'est pas d'un grand antagonisme avec les États de l'oligarchie, et elles trouvent généralement toujours une fraction "progressiste" ou "patriotique" de celle-ci à soutenir...

    En Amérique centrale, également d'orientation cubaniste, mais plus "ancrées" dans le mouvement populaire-révolutionnaire de masse et plus durables, des guérillas émergent dès les années 1960, au Nicaragua (FSLN, dès 1961), au Salvador (fusionnant en 1979 dans le FMLN) et au Guatemala (formant en 1982 l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque, URNG). Elles mèneront une lutte armée révolutionnaire héroïque, contre des régimes et des forces paramilitaires fascistes ultras, appuyés de toutes ses forces par l'impérialisme US (surtout à partir de 1981, avec Reagan) ; les sandinistes du FSLN prenant même le pouvoir en 1979, jusqu'en 1990. Toutefois, après la chute de l'URSS, au début des années 1990, elles capituleront dans la voie des "accords de paix" et de la "réconciliation nationale", et deviendront des partis sociaux-démocrates (le FSLN, par des élections "libres" bourgeoises, rendra le pouvoir à la droite en 1990).

    elncolombia.jpegEn Colombie, il y aura également des "accords de paix" en 1984, refusés par la seule ELN ; mais ces accords seront trahis par la droite réactionnaire, qui fera massacrer les militants des FARC et du PC reconvertis dans "l'Union patriotique" : 4.000 assassinats. Depuis lors, les FARC et une fraction dissidente de l'EPL ont repris le sentier de la guerre (que l'ELN n'avait jamais quitté), mais il est évident que cela n'a plus qu'un très lointain rapport avec la guérilla révolutionnaire des années 1960-70 (l'EPL/PCC-ml, en ce qui le concerne, est devenu "albanais" en 1980, et la très grande majorité a capitulé en 1991, seule une fraction minoritaire poursuivant la lutte). En 1999, les FARC avaient connu un certain regain de puissance, et obtenu de l’État la "zone démilitarisée" (autrement dit, sous leur contrôle exclusif) du Cagùan (42.000 km² quand même, plus que la Belgique !). Mais elles n'en profitèrent pas pour mettre en place un véritable Pouvoir populaire révolutionnaire dans cette zone, pour en faire une véritable base rouge, et celle-ci fut démantelée par Uribe à peine arrivé au pouvoir, en 2002. Aujourd'hui, l'on peut considérer l'essentiel de ces forces comme étant en situation de défaite militaire.

    revolucion_cubana2.jpgLa Révolution cubaine, de son côté, après un intense bouillonnement révolutionnaire et un engouement mondial immense, s'est définitivement rangée, à la fin des années 1960, sous le parapluie soviétique. L'élan révolutionnaire est brisé, l'économie orientée vers la monoculture sucrière (échangée contre des hydrocarbures et des matières premières soviétiques) et la politique internationale s'oriente vers le pragmatisme et l'opportunisme, le soutien à des "révolutions" par en haut, des "processus" réformistes finalement écrasés comme au Chili, ou des juntes militaires "progressistes" comme au Pérou (Velasco, 1968-75) et des gouvernements "nationalistes" comme en Argentine (second péronisme 1973-76), nonobstant que ceux-ci répriment les révolutionnaires... Après la chute de l'URSS, Cuba connut l'isolement et la terrible crise économique et sociale que l'on sait, dont elle ne commence à sortir que depuis une dizaine d'années, avec l'appui des nouveaux nationalismes (principalement du Venezuela), de la Russie, de la Chine et des "émergents". Il pouvait certes "tomber sous le sens", dans les années 1960, de se dire : "Compter sur ses propres forces ? Impossible, idéaliste, suicidaire... Les Chinois ? Ils sont loin, pris dans leur Révolution culturelle, ils ne nous conduiront qu'au naufrage gauchiste..." etc. etc. Mais voilà, à présent, la rançon du pragmatisme. Plus généralement, on a là la contradiction, non résolue par les marxistes-léninistes du 20e siècle, entre intérêts de l’État (révolutionnaire) et intérêts du Parti et de la Révolution mondiale. Ce qui est certain, c'est qu'à partir de 1970, Cuba ne joue clairement plus un rôle de base rouge pour la révolution dans les Amériques. Bien loin est la déclaration de l'OLAS (Organisation latino-américaine de solidarité) en 1967, selon laquelle "la lutte armée constitue la voie fondamentale de la révolution en Amérique latine". Là où la lutte armée reste soutenue (Amérique centrale, Colombie, Chili avec le "Front patriotique Manuel Rodriguez" dans les années 1980), c'est de manière très pragmatique, uniquement dans l'objectif d'arriver à des "accords" et à une "solution démocratique" (les organisations combattantes devant alors se lancer dans le "jeu" parlementaire)... Ce qui s'appelle du révisionnisme/réformisme armé. Clairement, une prise de pouvoir armée par les masses populaires était absolument exclue pour La Havane et, plus encore, pour le "grand frère" soviétique.

    EPR-members-II.jpgAujourd'hui, il ne reste que peu de mouvements assumant l'antagonisme armé avec les États oligarchiques au service de l'impérialisme. Il y a, on l'a dit, les guérillas colombiennes. La principale, les FARC, se réclame du "marxisme-léninisme" tendance brejnévienne-cubaniste et de l'héritage de Bolivar (ainsi que de Gaitán, le "libéral de gauche" assassiné en 1948). Elles ont entamé depuis peu un processus de négociation avec le gouvernement (le quatrième après celui des années 1980, celui de 1990-92 et celui de 1999-2002). Au Mexique, il y eut dans les années 1990 le célèbre EZLN, au réformisme assumé (refusant la prise du pouvoir), mais un autre groupe, le Parti démocratique populaire révolutionnaire - Armée populaire révolutionnaire (PDPR-EPR - héritier du Procup-PDLP), opérant dans l’État de Guerrero et la région de Oaxaca depuis 1996, assume quant à lui la lutte armée pour la prise de pouvoir révolutionnaire. Au Paraguay a émergé depuis quelques années une Armée du Peuple paraguayen (EPP). Les uns comme les autres se réclament du marxisme-léninisme et des expériences "radicales" du passé (Rodriguez de Francia au Paraguay, les années 1910 au Mexique).

    envencible guerra populara 3 montanas

    C'est finalement au Pérou, où le PC historique a totalement éclaté dans les années 1960, que le nouveau Parti communiste du Pérou d'Abimael Guzman "Gonzalo", connu dans les médias bourgeois sous le nom de "Sentier Lumineux" ("Par le sentier lumineux de José Carlos Mariátegui" était l'en-tête de sa publication étudiante, à la fin des années 1960), a mis en avant le marxisme-léninisme-maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme, et déclenché en 1980 une héroïque Guerre populaire. Celle-ci, si elle ne fut pas exempte de dérives, a surtout été dépeinte sous les traits les plus démoniaques par toute la réaction mondiale, le réformisme et le révisionnisme ; jusqu'à l'arrestation de Gonzalo en 1992 et l'écrasement militaire à peu près total du Parti au milieu de la décennie, après avoir étendu son action armée sur une partie impressionnante du territoire. Au-delà de cet aspect purement militaire, le PCP a joué un rôle fondamental dans l'affirmation internationale du maoïsme comme développement supérieur du marxisme, et a "tenu le flambeau" du maoïsme pendant une période "noire" pour le mouvement communiste international ; sans quoi, des expériences formidables comme la Guerre populaire au Népal (1996-2006), ou celles qui ont repris aux Philippines depuis la fin des années 1990 ou en Inde depuis le début des années 2000, n'auraient peut-être pas pu ou ne pourraient pas exister.

    1Par la suite, des organisations se réclamant du MLM et de Gonzalo se sont formées dans de nombreux pays du continent (Équateur, Colombie, Bolivie, Chili, Argentine), sans toutefois atteindre l'ampleur du PCP des années 1980-90, et présentant par ailleurs (parfois) des problèmes de sectarisme pour devenir de réels centres d'agrégation de toutes les luttes révolutionnaires (sans atteindre cependant le niveau auquel des groupuscules de faces de craie occidentaux défigurent, et parviendraient presque - en fait, parviennent bien souvent - à vous faire DÉTESTER le maoïsme "ligne Gonzalo"). Au Brésil en revanche, un vaste mouvement sur cette base (journal A Nova Democracia, Cebraspo, Ligue des Paysans Pauvres - LCP, etc., voir les liens ci-contre dans la colonne de droite) s'est développé à un niveau de masse sur ces bases idéologiques, tirant profit de la trahison des espoirs réformistes placés en Lula da Silva en 2002, et faisant luire l'espoir que cet immense pays (par ailleurs le plus inégalitaire et l'un des plus "génocidaires sociaux" de la planète) soit le théâtre de la prochaine Guerre populaire à se déclencher dans le monde.

    Au Pérou même, subsistent des groupes épars se réclamant du PCP, qui mènent pour certains des actions militaires contre les forces armées de l’État (d'autres se contentant de communiquer). Ils ne sont toutefois pas coordonnés entre eux par une direction centrale, et se qualifient régulièrement, mutuellement, de "révisionnistes" et "opportunistes" assorti de moult épithètes animaliers. L'un d'eux, le "groupe Artemio" du Huallaga, a récemment annoncé sa reddition.

    Nous voyons donc bien que, même si l'offensive réactionnaire/impérialiste fut déchaînée, sans pitié, la cause principale dans la défaite subie réside à l'intérieur des forces révolutionnaires elles-mêmes (primat des causes internes). Les forces trotskystes ou marxistes-léninistes prochinoises qui n'ont pas assumé la lutte armée révolutionnaire, n'ont pas assumé l'antagonisme minimal qui s'imposait dans les conditions concrètes (avant de sombrer pour la plupart dans les troubles eaux de la théorie des trois mondes ou du hoxhisme). Les forces guévaristes/foquistes, souvent petites-bourgeoises ultra-radicales, qui se sont lancées dans la lutte armée au milieu ou à la fin des années 1960, ont péri des tares du foquisme : militarisme, aventurisme, idéalisme, coupure d'avec les masses (encore que celle-ci soit à relativiser, notamment concernant le PRT-ERP : son assise de masse commençait, en 1974-75, à devenir non-négligeable ; mais la ligne était militariste dans tous les cas). Les guérillas de Colombie et d'Amérique centrale ont mené ce qui aurait pu être une Guerre populaire révolutionnaire, avec à la fois une lutte armée assumée et un enracinement certain dans les masses exploitées. Mais là, c'est l'idéologie prolétarienne qui faisait défaut : elles étaient inféodées aux intérêts du social-impérialisme soviétique (à travers Cuba), et ont sombré avec lui.

    L'importance, aussi, de la force d'attraction des réformistes radicaux ou des national-populistes, dans tous les pays, pour les aspirations révolutionnaires des masses, a joué un rôle d'obstacle puissant pour le mouvement communiste ; et celui-ci n'a pas su trouver les "clés" pour arracher les masses à cette influence. Ce fut le cas avec le péronisme en Argentine, en tout cas jusqu'en 1974-75, exemple le plus frappant ; et ça l'est encore aujourd'hui avec les "bolivarismes" de tout poil...

    000312891Le Parti communiste du Pérou, on l'a vu, a eu un rôle positif essentiel tant pour le continent que pour le mouvement communiste international : en survivant et en inquiétant l'impérialisme au-delà de toutes les autres guérillas révolutionnaires, en affirmant internationalement le maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme et l'universalité de la Guerre populaire, et en "passant le flambeau" de la lutte révolutionnaire à la succession (qui se trouve, aujourd'hui, plutôt en Asie). Certes, il ne doit pas être sacralisé : la rapidité de son effondrement en 1992-97, après son triomphe apparent en 1988-92, peut par exemple mériter d'être questionnée (les causes principales de l'échec des révolutions sont toujours internes) ; tout comme peut-être une centralisation excessive de la direction théorique du Parti (jefatura) facilitant sa décapitation ; du subjectivisme et de la métaphysique sans doute parfois, y compris en mettant en minorité Gonzalo lui-même (question du "passage à l'offensive stratégique" et de porter la guerre dans Lima en 1991), voire (localement) de la confusion entre contradictions au sein du peuple et contradictions avec l'ennemi, et donc un mauvais traitement de celles-ci, etc. etc. Mais en vérité, quelle révolution aussi colossale, contre un ordre social aussi brutal et vieux de 5 siècle, et des vents contraires internationaux complets (reflux généralisé de la révolution mondiale) ; quelle révolution allant au-delà d'une pure étape nationale-démocratique avant de voir son leader assassiné comme Sankara ou Lumumba et rejoindre le panthéon des héros révolutionnaires "romantiques", ou d'être avalée dans l'orbite soviétique comme Cuba après la mort (en "révolutionnaire romantique") du Che ; peut se targuer d'un parcours absolument pur et sans tâches ? Qui oserait aujourd'hui, à gauche, dénier leur légitimité aux guerres de libération de l'Algérie (pourtant non-communiste...) ou du Vietnam, qui furent aussi en leur temps dures et parfois sans pitié ? C'est pourtant ce qui est, dans les milieux d'extrême-gauche, très largement le cas de la Guerre populaire du Pérou ; dont la défaite a (surtout) été totalement concomitante de la "Fin de l'Histoire" et du triomphe de l'esprit ONG en mode charité néo-Las Casas auprès des "bons sauvages", ou au "mieux" de l'engouement pour les "guérillas sympas" du style Chiapas...

    [À ce sujet : http://ekladata.com/L-antagonisme-PCP-vs-ONG-et-Gauche-Unie-au-Perou.pdf]

    Enfin bref, tout cela est bien expliqué ici : sur-gonzalo-le-pcp-et-la-guerre-populaire-au-perou (oui, nous assumons contrairement aux imbéciles avoir changé d'avis depuis la rédaction de ce long article en 2012).

    Pour le moment, le Mouvement communiste sur le continent renaît peu à peu, beaucoup plus lentement que les aspirations spontanées des masses au "changement", aspirations qui se tournent, du coup, massivement vers les nouveaux nationalismes, réformistes bourgeois ou national-populistes.

    Ce qui s'impose, donc, comme cela a pu être fait en Italie à la fin des années 1980, ou peut commencer à l'être en Euskal Herria, c'est un bilan critique et une synthèse de l'expérience révolutionnaire accumulée au cours de cette "Guerre de Cinquante Ans" (appelons-la ainsi) 1945-1995 ; sans, serait-on tenté de dire, sacralisation de sa "chapelle" ni préjugés ou a priori sur les autres ; pour que de là jaillisse le nouveau : la renaissance d'un authentique Mouvement communiste révolutionnaire de masse entre le Rio Grande et la Terre de Feu.

    La situation sociale est OBJECTIVEMENT plus révolutionnaire que jamais (les mouvements populaires des 15-20 dernières années en sont la preuve ; simplement, ils se sont pour le moment tournés vers les nouveaux nationalismes des bourgeoisies "émergentes").

    Les structures fondamentales d'exploitation et de domination demeurent INCHANGÉES :

    - le bourgeoisie bureaucratique livre toujours à vil prix les matières premières et énergétiques essentielles aux monopoles impérialistes ; et encadre toujours les masses populaires misérables avec la même brutalité ;

    - la bourgeoisie compradore inonde toujours le marché national de productions des monopoles impérialistes, mais de manière plus massive, "démocratique" qu'auparavant ;

    - l'une et l'autre livrent toujours à vil prix la force de travail continentale aux monopoles impérialistes, pour que ceux-ci valorisent leur capital avec un retour sur investissement maximum ; le caractère social de la production est simplement plus développé qu'auparavant, car les monopoles, depuis 30-40 ans, ont délocalisé vers leurs semi-colonies de plus en plus d'étapes du processus productif ;

    - la question de la terre reste entière. La propriété terrienne (latifundiste) a évolué vers un agro-capitalisme de type junker prussien ou landlord anglais. Nous avions (encore vers 1960) des paysans pauvres, louant leur terre contre un part plus ou moins importante des bénéfices (métayage) ou carrément du produit en nature (colonat partiaire) ; ou encore, exploitant péniblement leur petit lopin pour survivre, et vendant (déjà) leur force de travail par périodes à la grande propriété voisine, pour faire un peu plus que survivre... Déjà en 1954, lors de l'opération PBSUCCESS au Guatemala, le principal propriétaire terrien du pays était le monopole agroalimentaire US United Fruit Company.  

    bananero.jpgNous avons désormais d'un côté des PAYSANS SANS TERRE (un problème fondamental et continental), ne pouvant accéder à la propriété faute de terres "disponibles" (alors que des milliers d'hectares sont accaparés par les grands propriétaires ou les "multinationales", ou carrément... laissés à l'abandon) ; et de l'autre des ESCLAVES (à peine) salariés, phénomène mis en lumière lors des campagnes internationales contre la "multinationale" Chiquita (ex - United Fruit), mais l'on trouve exactement la même chose sur les exploitations de propriétaires "nationaux". Et enfin, des micro-propriétaires résiduels qui tentent de survivre - mais les grandes exploitations ne peuvent plus, comme auparavant, absorber périodiquement leur force de travail pour leur permettre de gagner "un petit plus". Les masses qui s'entassent dans les barriadas ou les favelas, autour des grandes métropoles, survivant de l'économie informelle ou illégale, sont des paysans sans terre, chassés de la campagne par la misère, mais pas encore une classe ouvrière (ne pouvant, là encore, être tous et toutes absorbé-e-s par la production industrielle). Ainsi en est-il, par exemple, des récupérateurs/recycleurs de déchets en Colombie, auprès desquels travaille l'UOC-mlm.

    Le "junkérisme" agro-capitaliste, qu'il soit propriété privée autochtone, propriété monopoliste de "multinationales" étrangères (comme Chiquita) ou propriété d’État, reste du semi-féodalisme : il n'y a pas de "saut" vers un capitalisme agricole véritable, qui impliquerait a minima une répartition démocratique-bourgeoise de la terre, une combinaison de grandes exploitations extensives (d'agriculture ou d'élevage) comme dans le Bassin parisien, de petites et moyennes propriétés et de terres tout au plus en fermage (location à prix fixe). Et, surtout, l'économie non-agricole est incapable d’absorber la population rurale sans terre, et de suivre la croissance démographique. Car le problème (des sans-terre, des masses s'entassant dans les bidonvilles, de l'émigration massive vers l'Amérique du Nord ou l'Europe) est là : d'un côté, pas de "saut" vers une agriculture capitaliste rationnelle tout simplement... parce qu'impossible à l'époque de l'impérialisme !) ; de l'autre, la contradiction entre production nationale et appropriation monopoliste étrangère qui, ajoutée à la crise mondiale généralisée du capitalisme, empêche plus encore que dans les pays impérialistes (eux-mêmes confrontés au chômage de masse) de mettre en place une économie productive nationale susceptible d'absorber toute la main d’œuvre devenue surnuméraire à la campagne.

    Venezuela-Caracas-Bidonville-1-5Nous avons finalement là, à la différence près qu'on ne pend plus les "gueux" pour vagabondage, un phénomène assez similaire à celui des enclosures en Grande-Bretagne, à l'époque de la mutation (16e-18e siècle) de la féodalité britannique vers le grand capitalisme agraire landlord ; et d'une manière générale à la situation de l'Europe occidentale à cette époque : un développement capitaliste considérable, colossal, mais "pris" dans les entraves féodales (et bureaucratiques) de la superstructure politique et de l'organisation sociale, engendrant des souffrances indescriptibles pour les masses. À ceci près qu'à l'époque, parallèlement, un capitalisme industriel jeune, pratiquement seul au monde et en pleine expansion avait permis, à terme, d'absorber ces paysans chassés de leurs terres, sous la forme d'une classe ouvrière (le "surplus" étant évacué vers l'Amérique du Nord, l'Australie etc.). Puis, la Révolution anglaise de 1688-89 et les réformes de 1830-50, ainsi que les Révolutions bourgeoises françaises et ouest-européennes de 1789-1815, 1830 et 1848, avaient permis de briser définitivement ces entraves ; d'autre part, la question de la domination impérialiste (capitaliste étrangère plus avancée) était absente. Aujourd'hui, même avec des taux de croissance de l'ordre de 5% du PIB voire plus, rien de tel n'est évidemment possible en Amérique latine. Quant aux tâches autrefois dévolues à la révolution bourgeoise, elles appartiennent désormais à la révolution prolétarienne.

    Nous avons donc là un RENFORCEMENT brutal des structures de domination impérialistes, bureaucratiques, compradores et latifundistes, sous la forme d'un véritable génocide social, afin de "lutter" contre la chute exponentielle du taux de profit dans le monde impérialiste en crise ; et nullement un "dépassement" de l'ordre semi-féodal semi-colonial vers "autre chose".

    Tout cela implique une révolution agraire (expropriation des grands propriétaires et des monopoles agro-industriels impérialistes), une révolution anti-impérialiste (expropriation et réappropriation populaire des monopoles impérialistes en général) et une révolution anti-oligarchique (liquidation de la couche parasitaire, qui ne vit - dans un luxe insolent - que comme interface des monopoles), c'est à dire des tâches DÉMOCRATIQUES qui sont celles d'une Révolution de Démocratie Nouvelle[4] dirigée par le prolétariat et son Parti (même si l'étape démocratique peut être de - beaucoup - plus courte durée que dans des pays plus arriérés, comme le sous-continent indien, ou la Chine de 1949).

    La lutte armée reste la voie fondamentale de la révolution ; puisque cela est de toute manière valable UNIVERSELLEMENT, sans considération qu'un pays soit dominé ou impérialiste, arriéré ou avancé, très majoritairement rural ou très urbanisé, etc. N'est pas révolutionnaire celui ou celle qui n'envisage pas l'affrontement armé avec la classe dominante et son État ; même si ensuite, il existe un réformisme armé (lorsque le "blocage" au niveau de la classe dominante est tel que des avancées démocratiques et sociales, malheureusement, ne peuvent être obtenues que par les armes) ; mais il n'y a pas de révolutionnaires refusant la lutte révolutionnaire armée. Le pouvoir est au bout du fusil. Aucune "grève politique de masse" ne peut accomplir les tâches démocratiques énoncées ci-dessus (qui ne sont elles-mêmes qu'une première étape), et l'histoire récente du continent le prouve mieux que tout : les mouvements de masse, comme en Argentine ou en Bolivie, n'ont abouti qu'à la fuite précipitée des "néolibéraux" les plus emblématiques, et à l'élection la plus bourgeoise qui soit de réformistes à leur place... [L'on pourrait également avancer, en contre-exemple, les évènements arabes de 2011-2012 : les autocrates et leurs clans ont fui, mais il n'y a pas eu de révolution démocratique.]

    À partir de là, et seulement à partir de là, le prolétariat au pouvoir, en alliance avec la paysannerie (et tous les petits-bourgeois, intellectuels etc. patriotes et progressistes), pourra mettre en place, avant même la socialisation, une économie rationnelle au service du peuple, partageant le travail et protégeant les travailleurs, développant les forces productives, résolvant la contradiction entre les villes et les campagnes (dans les communes populaires), etc. etc. Toutes choses dont le capitalisme est absolument incapable en soi (puisque l'intérêt social ne compte pas, seul prime l'intérêt personnel du capitaliste), et encore plus sous sa forme impérialiste, de SUREXPLOITATION des ressources et de la force de travail d'un pays par les monopoles d'une lointaine puissance postindustrielle.

    Bref panorama historique révolutionnaire des Amériques

    Mais pour cela, comme on l'a dit plus haut, il faut un Mouvement communiste et révolutionnaire suffisamment important, large quantitativement et implanté qualitativement, agrégé autour de Partis communistes conséquents qui "envoient dans toutes les classes de la société, dans toutes les directions les détachements de leur armée" ; qui adaptent réellement leur praxis à la société dans laquelle ils opèrent (après l'avoir analysée en profondeur) et ne se contentent pas de plaquer dessus des schémas préétablis, etc. (toutes choses qui s'appliquent également - sinon plus - à nous communistes "occidentaux", que l'on se réclame de Russes du début du siècle dernier, d'un Chinois ou d'un Albanais des années 1940 etc.).

    Aujourd'hui, ces Partis n'existent pas encore en tant que tels : ils sont en gestation, dans des organisations arborant le marxisme révolutionnaire de notre époque - le marxisme-léninisme-maoïsme - mais qui doivent encore s'épurer des déviations gauchistes ou opportunistes ; mais aussi, dans les masses populaires encore emprisonnées au sein de forces cubano-guévaristes, réformistes, national-populistes ou "bolivaristes radicales", d'organisations "pensée Mao" ou même trotskystes, hoxhistes voire anarchistes. Comme dans la plupart des pays du monde, un processus de décantation, de fragmentation et recomposition est en cours. Le "catalyseur" de ce processus, on l'a dit, sera le bilan sincère et critique, la synthèse et l'élévation à un niveau supérieur de l'expérience des 50 ou 60 dernières années ; ceci s'inscrivant dans une démarche mondiale de bilan et de synthèse de l'expérience du Mouvement communiste international depuis la Révolution bolchévique de 1917.

    Les camarades communistes conséquent-e-s d'Amérique latine, engagé-e-s dans cette démarche, ont tout le soutien internationaliste des communistes conséquent-e-s engagés dans la même démarche en Europe, et partout dans le monde. Car il ne peut y avoir de Révolution prolétarienne mondiale, s'il manque un continent à la Zone de Tempêtes !

    che revolucion-continental

    À regarder absolument : L'Heure des Brasiers, très intéressant documentaire argentin de 1968 (sur une ligne "péroniste de gauche") retraçant tout cela (cliquer en bas des vidéos pour les sous-titres en français) :


    [1] Le Dr. José Gaspar Rodriguez de Francia dirigea la République du Paraguay de son indépendance en 1810 jusqu'à sa mort en 1840. D'esprit plutôt jacobin et anticlérical (contrairement, par exemple, à son "très catholique" voisin argentin Rosas), il mit en place un régime personnel et autoritaire mais POPULAIRE, profondément appuyé sur les masses (avec, par exemple, la mise en place des Estancias de la Patria, "exploitations agropastorales du Peuple" louées pour un montant symbolique aux communautés paysannes) et farouchement indépendantiste face à ses deux grands voisins, le Brésil et l'Argentine, pilotés par l'Empire britannique qui, peu à peu, s'efforçait de remplacer l'Espagne et le Portugal dans la mainmise sur le continent... Son modèle économique fut essentiellement agricole, mais sa prospérité et son indépendance permirent à ses successeurs de commencer à développer un capitalisme industriel souverain (radicalement fermé aux investissements extérieurs) jusqu'en 1865-70, lorsque le pays subit l'une des premières guerres d'extermination de l'époque impérialiste (300.000 mort-e-s pour à peine entre 500 et 800.000 habitant-e-s au début du conflit !) face à la "Triple Alliance" du Brésil, de l'Argentine et de l'Uruguay, pilotée par Londres.
    Il y a au Paraguay une Armée du Peuple Paraguayen (EPP) qui a choisi de prendre comme référence cette personnalité historique nationale. SLP, on le sait, a toujours (notamment) durement critiqué le PCF "historique" de Maurice Thorez pour avoir placé son projet politique dans le "prolongement" et le "parachèvement" de "93", de la République conventionnelle jacobine de 1793-94, ignorant la différence qualitative fondamentale entre une révolution bourgeoise "radicale" et une révolution prolétarienne. De la même manière, le PC d’Équateur - Comité de Reconstruction a pu critiquer, à juste titre, la mise en avant par les réformistes bourgeois, les révisionnistes mais aussi certaines Forces subjectives de la Révolution prolétarienne, de la figure libérale-radicale bourgeoise d'Eloy Alfaro. Pour autant, il en est ainsi et l'EPP, à qui Servir le Peuple adresse ses plus sincères salutations révolutionnaires, est à ce jour la force révolutionnaire la plus avancée dans l’État oligarchique-bourgeois dénommé Paraguay.

    [2] Avant le régime de Francia (unique sur le continent à l'époque pour sa stabilité, son indépendance et sa politique de développement au service de la population), le Sud du Paraguay, avec le Nord-Est de l'Argentine et quelques parties de l'Uruguay et du Sud du Brésil, avait déjà été le théâtre d'une expérience unique en son genre : entre le début du 17e et le milieu du 18e siècle, la Compagnie de Jésus (jésuites) avait mis en place un tissu de missions catholiques auprès des indigènes guaranis, qui formaient un ensemble de petites républiques extrêmement démocratiques, égalitaires et progressistes pour l'époque. Celles-ci gênaient (déjà) les grands propriétaires coloniaux et les milices de chasseurs d'esclaves (au service de ces derniers), si bien que vers 1750 l'Espagne et le Portugal, sous l'influence des "lumières" grandes-bourgeoises et aristocratiques "éclairées" (comme le marquis de Pombal), proscrivirent les Jésuites de leurs colonies et liquidèrent militairement les missions. Cet épisode historique est notamment retracé dans le célèbre film hollywoodien Mission de Roland Joffé. Jusqu'à la Constitution bolivienne de 2009, proclamant l’État "plurinational" de Bolivie, le Paraguay était le seul pays latino-américain, même sous les pires dictatures, à reconnaître une langue indigène (le guarani) comme langue officielle.

    [3] 30 000 « disparus » (desaparecidos), 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques, et 1,5 million d’exilés pour 30 millions d’habitants.

    [4] C'est là une question très importante pour la stratégie révolutionnaire et les alliances de classe à adopter. D'une manière générale, ce qui décide du caractère socialiste ou de nouvelle démocratie d'une révolution, c'est moins le caractère dominé de la nation (englobée dans un grand État bourgeois, colonisée, ancienne colonie devenue "indépendante" mais toujours sous tutelle étroite, "indépendante" mais dominée par le capital impérialiste, etc.), que l'importance de la semi-féodalité et l'arriération des forces productives et de l'organisation sociale. Ainsi, le Pays Basque est une nation sans État, englobée dans les États espagnol et français, qui doit être libérée et réunifiée, mais les tâches de la révolution y sont immédiatement socialistes : c'est une nation industrielle, avancée, très majoritairement ouvrière, avec une organisation sociale capitaliste avancée similaire à toute nation d'Europe occidentale, etc. Au contraire, un pays comme le Népal doit connaître une étape de nouvelle démocratie d'assez longue durée ; la Russie et les nations de l'URSS - même si l'on ne parlait pas de nouvelle démocratie - l'ont nécessité pour une dizaine d'années - dans les années 1920 - etc. Aujourd'hui, dans les pays particulièrement avancés comme le Brésil, l'Argentine, le Mexique ou le Chili, les forces bourgeoises "radicales" s'affirmant "révolutionnaires" ont pratiquement disparu : la gauche bourgeoise assume le réformisme et la social-démocratie. C'est un indice que l'étape démocratique de la révolution prolétarienne "tend vers zéro", que l'on tend vers une quasi-immédiateté des tâches socialistes. En revanche, la nature socialiste ou de nouvelle démocratie de la révolution à mener ne décide pas de la stratégie générale de Guerre populaire (qui est universelle) ou insurrectionnelle (accumulation de forces-grève générale-insurrection, qui est universellement erronée) à suivre.


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  • Si l'Amérique latine a connu de nombreuses dictatures, militaires voire parfois civiles (elle n'a, à vrai dire, jamais connu la démocratie bourgeoise au sens propre, sinon dans de courtes expériences comme Allende au Chili, et depuis autour de l'an 2000 dans quelques pays comme le Brésil, l'Argentine etc.) ; notamment dans la période 1945-85 (voire 1990 en Amérique centrale), dans la triple préoccupation d'écraser le mouvement révolutionnaire, de lutter contre l'influence social-impérialiste soviétique et d'asseoir la tutelle semi-coloniale US face à des bourgeoisies (beaucoup plus fortes qu'en Afrique, par exemple) tentées par l'émancipation et l'"émergence" ; les dictatures argentines de 1966-73 et (surtout) 1976-83 furent de loin les plus féroces, mettant en place une répression et une élimination systématique des forces populaires progressistes et révolutionnaires (en même temps que d'imposer le "néolibéralisme" des Chicago Boys avec le sinistre Martínez de Hoz), comparables à l'Espagne de Franco en plus méthodique et organisé, inspirées en particulier des méthodes élaborées lors de la guerre d'indépendance algérienne et diffusées sur le continent américain par Roger Trinquier ou Paul Aussaresses. Une histoire tragique dont Servir le Peuple est parmi les rares médias maoïstes à se faire l'écho, et qui fait profondément partie de son identité politique.

    Il faut bien dire qu'à l'époque, le pays était en proie à une effervescence révolutionnaire incontrôlable, expliquant, pour "calmer le jeu", l'intermède du retour du - très populaire - général Perón en 1973, auquel sa veuve Isabel succèdera de 1974 à 1976. Mais, justement, cette effervescence avait le malheur d'être prisonnière d'une particularité argentine : la question de Perón et du péronisme.

    Les débats sur le péronisme ont secoué le mouvement communiste argentin et international pendant toute la seconde moitié du 20e siècle et jusqu'à nos jours, alors que la réalité est pourtant très simple : pays très particulier d'Amérique latine, l'Argentine a la particularité d'avoir sa classe dominante (bourgeoisie et propriété terrienne) traversée par un clivage depuis les origines (l'indépendance en 1810-16), clivage donnant deux droites réactionnaires, dont le péronisme et l'anti-péronisme du siècle dernier ne furent que la réactivation. D'un côté, la région de Buenos Aires (et le Grand Sud colonisé par elle à la fin du 19e siècle), grand port ouvert sur le monde, mais paradoxalement siège d'une bourgeoisie aspirant à faire de l'Argentine une nation capitaliste moderne et indépendante, parlant d'égal à égal avec les puissances européennes et nord-américaines ; de l'autre, la bourgeoisie et (surtout) la grande propriété agraire des provinces intérieures du Nord (l'Amérique latine classique), assumant la soumission à l'impérialisme (principalement britannique jusqu'aux années 1930-40, puis principalement US) pour exporter sa production. Au 19e siècle (1829-53), cette contradiction s'incarna dans l'affrontement entre l'homme fort de Buenos Aires et premier conquérant du Sud, Juan Manuel de Rosas, et celui des provinces de l'intérieur, le gouverneur d'Entre Rios, Justo José de Urquiza.

    Et au 20e siècle, elle s'exprima dans l'affrontement entre le péronisme et son adversaire, tout autant sinon plus réactionnaire, partisan ouvert de la tutelle semi-coloniale US, incarné dans ce que l'on peut appeler le "parti militaire" qui mènera trois coups d’État suivis de dictatures réactionnaires sanglantes (1955-58, 1966-73 et 1976-83). La réactivation de cette "guerre des deux droites" fut, en réalité, causée par la crise mondiale de 1929, qui ruina l'économie agro-exportatrice de l'intérieur et vit se mettre en place, durant une première période de dictature militaire (la "décennie infâme" 1930-43), une politique volontariste et industrialiste de modernisation du pays (générant un vaste prolétariat ouvrier non conscientisé, qui sera le terreau électoral du péronisme).

    Cette "guerre des deux droites", des années 1940 aux années 1980 (et encore, dans une certaine mesure, jusqu'aujourd'hui), va totalement polariser la vie politique du pays, de l'extrême-droite jusqu'à... la gauche populaire progressiste et révolutionnaire, au moment même où les conditions objectives mondiales étaient les plus favorables à la révolution prolétarienne. Ainsi, le PCA et le PSA seront toujours farouchement anti-péronistes (avec toutefois des dissidences : Borlenghi du PS ou Puiggrós du PC, qui rallient Perón), quitte à soutenir (plus ou moins "avec critiques") les régimes militaires jusqu'à leur "aggiornamento" après la dernière dictature (il était temps...). Le mouvement trotskyste se divisera, lui aussi, entre adversaires résolus de Perón (rejoignant le PCA et le PSA dans le "Front démocratique") et partisans de sa politique développant, selon eux, la classe ouvrière et donc les "conditions objectives" de la révolution. La figure emblématique du trotskysme argentin, Nahuel Moreno, tentera de concilier ces deux tendances, avant de pencher nettement vers l'anti-péronisme puis d'osciller entre les deux camps. La principale scission anti-révisionniste et pro-chinoise du PCA, le PCR (1968), sera quant à elle très clairement pro-péroniste, y voyant un mouvement "bourgeois national", "tiers-mondiste" et "indépendant des deux superpuissances", dans une vision totalement "théorie des trois mondes" rappelant, par certains aspects, l'attitude du PCMLF envers le gaullisme ; alors même que ses militants étaient décimés par la Triple A (Alliance Anticommuniste d'Argentine, escadron de la mort péroniste de droite) au même titre que toutes les forces révolutionnaires. Il y aura de surcroît, dès les années 1950 et surtout 1960, toute une gauche radicale péroniste (Jeunesses péronistes et "organisations combattantes" comme les FAR ou les Montoneros) drainant des éléments qui, ailleurs, auraient été marxistes, montrant (douloureusement) l'influence néfaste du "mythe" Perón sur les masses populaires et la jeunesse. [Dans un souci de précision, on évoquera brièvement, dans le camp bourgeois, un troisième larron : l'Union civique radicale (UCR), née dans les années 1890 et dirigeant le pays de 1916 à 1930. Très proche du radicalisme BBR (encore aujourd'hui avec le PRG), peu intéressée par le débat entre nationalisme et compradorisme assumé, l'UCR était surtout tournée vers la société argentine elle-même, qu'elle voulait "moderniser" dans une vision positiviste et paternaliste franc-maçonne. Néanmoins, à la fin des années 1950, elle finira par éclater entre un courant pro-Perón (Frondizi élu en 1958 avec les voix péronistes et qui les laissera participer aux élections en 1962... se voyant immédiatement renversé par les militaires) et un courant anti-péroniste (Illia qui prend sa suite en 1963, mais finit lui aussi par légaliser le péronisme et se fait renverser en 1966). Depuis la grande crise économique et la situation insurrectionnelle de 2001-2002, elle se divise pareillement entre un courant qui soutient les époux Kirchner et un courant qui s'y oppose.]

    En définitive, DEUX organisations conséquentes (seulement) sauront se placer au-delà de ce débat pourri : le Parti communiste marxiste-léniniste (PCML), autre scission anti-révisionniste du PC (mais aujourd'hui son héritier, le Parti de la Libération (PL), soutient à fond le gouvernement Kirchner, que le PCR a au moins le mérite d'affronter sans concessions) ; et le PRT-ERP.

    Celui-ci est fréquemment, et de manière simpliste, présenté comme une organisation "trotskyste". La réalité est beaucoup plus complexe, comme le montre cette très intéressante étude que SLP vous invite à lire en digérant après le dîner (il serait difficile de résumer 98 pages en un article ici...) : http://jeremyrubenstein.files.wordpress.com/2011/10/une-histoire-du-prt.pdf

    erp.jpgEn réalité, le PRT est né en 1965 de la fusion de deux forces révolutionnaires dans le Nord-Ouest argentin (région de Tucumán, Salta, Santiago del Estero) : le Front révolutionnaire indoaméricaniste populaire (FRIP) des frères Santucho, d'où seront issus les principaux cadres, mouvement nationaliste progressiste à forte tendance indigéniste, recherchant un "socialisme adapté à la réalité latino-américaine" ("indo-américaine") et ayant évolué vers le marxisme dans la première moitié des années 1960, sous l'influence des écrits de Mariátegui et des révolutions chinoise, vietnamienne et surtout cubaine ; et Palabra Obrera, l'élément trotskyste, de Nahuel Moreno... mais celui-ci démissionnera dès 1968, refusant l'orientation vers la lutte armée (avec la formation de l'ERP, Armée révolutionnaire du Peuple), pour former le PRT "La Verdad" (emmenant donc, avec lui, l'élément trotskyste "pur et dur"). Un refus de la lutte armée bien typique du trotskysme, à une époque où même un social-démocrate comme Allende (sous la pression de la base, bien entendu) pouvait dire que "la lutte révolutionnaire armée constitue la voie fondamentale de la révolution en Amérique latine". [Une opinion à laquelle, bien entendu, souscrit totalement SLP, même encore aujourd'hui, car même si la population urbaine s'est considérablement accrue par rapport à la population rurale (phénomène déjà à l'oeuvre dans les années 1960-70) et même si l'économie latifundiaire a évolué vers la plantation/ferme agro-industrielle, la classe dominante et les structures fondamentales de domination n'ont pas changé (moderniser n'est pas changer) et de toute manière, la Guerre populaire est la stratégie révolutionnaire universelle et contient forcément un aspect de lutte armée.]

    À partir de là, et alors que de puissants mouvements populaires (Cordobazo, Rosariazo) secouent la dictature fasciste de la (sans rire...) "Révolution argentine" (1966-73), le PRT-ERP, dans la pratique comme dans l'idéologie, s'éloigne de plus en plus du trotskysme, jusqu'à rompre officiellement avec la IVe Internationale (Secrétariat Unifié), alors dominée par la figure de Pierre Frank, en août 1973 (document en castillan). Dès lors, les références assumées seront, outre les bolchéviks et la Révolution russe de 1917-22, Mao Zedong, Hô Chi Minh et la guerre populaire vietnamienne, Che Guevara et la révolution cubaine, Mariátegui etc. etc.

    C'est que, outre ses composantes originelles, le PRT-ERP comptera aussi un important et influent noyau MAOÏSTE, qui infléchira fortement sa ligne ; ainsi, dans le document du IVe Congrès "La seule voie vers le pouvoir ouvrier et le socialisme" (1968), on peut lire : "Aujourd'hui, la tâche principale des marxistes révolutionnaires est de fusionner les apports du trotskysme et du maoïsme dans une unité supérieure, qui signifiera un plein retour au léninisme", belle marque de cette influence, alors que nous sommes juste après le départ de Moreno et encore fort loin de la rupture officielle avec la "IV". Vers la même époque, tout en utilisant la "IV" comme "caisse de résonnance" internationale, le PRT défendait l'idée d'une nouvelle Internationale communiste qui serait basée sur les PC cubain, vietnamien, chinois et albanais... CQFD. Ce seront peut-être, quelque part, les communistes révolutionnaires les plus conséquents d'Argentine à cette époque - le PCR, on l'a dit, évoluant sur une ligne ouvriéro-économiste et pro-péroniste trois-mondiste déplorable, pour laquelle il n'a effectué à ce jour aucune autocritique...

    Sa rupture avec le trotskysme consommée, le PRT se lancera à fond dans la lutte armée révolutionnaire contre le régime "constitutionnel" réactionnaire de Perón lui-même puis de sa veuve Isabel, avec en arrière-plan "l'éminence grise" fasciste José López Rega, "patron" de la Triple A ; tout en se préparant à l'éventualité du "pire", c'est à dire d'une nouvelle dictature militaire exterminatrice (qui surviendra effectivement en mars 1976 : 30.000 "disparus" (desaparecidos), 15.000 fusillés, 9.000 prisonniers politiques et 1,5 million d'exilés pour 30 millions d'habitants). Après avoir publié l'une des critiques les plus conséquentes (à ce jour) du "justicialisme" et de son général-leader populiste (voir ici en castillan), il appellera les péronistes de gauche sincères à rompre avec leurs illusions d'un Perón "prisonnier" de l'ultra-droite et à se joindre au mouvement révolutionnaire authentique - non sans un certain succès puisqu'en mars 1974, un certain nombre de personnes sincèrement progressistes trompées par Perón (notamment dans les Jeunesses et les organisations combattantes péronistes) scissionneront pour former le "Parti péroniste authentique". En 1973-74 existera brièvement un Front anti-impérialiste pour le socialisme, regroupant autour du PRT diverses forces de la gauche révolutionnaire (PCML, MIR-Praxis de l'intellectuel marxiste Silvio Frondizi et d'autres organisations ML, trotskystes ou "socialistes révolutionnaires") ainsi que des secteurs péronistes de gauche "déçus" par le retour aux affaires de leur "héros" (Front révolutionnaire péroniste du 17 Octobre, Peronismo de Base). Sera également constituée une "Coordination révolutionnaire" avec d'autres organisations armées des pays voisins  : MIR chilien, ELN bolivienne et Tupamaros uruguayens.

    De solides bases d'appui seront établies dans le Nord-Ouest, d'où le Parti était issu et où il était profondément ancré dans la réalité populaire. Mais, faute d'une stratégie militaire suffisamment élaborée, elles seront écrasées par l'offensive contre-révolutionnaire déchaînée en 1975 par Isabel Perón et conduite par le sinistre général Bussi (opération Independencia), calquée sur les méthodes de quadrillage de la guerre d'Algérie... Le document PDF en lien ci-dessus donne un assez bon éclairage des erreurs ayant conduit à cette défaite (foquisme en pratique tout en le rejetant en paroles, militarisme, obsession de la guérilla rurale - Tucumán - au détriment de la lutte urbaine, etc.). C'est finalement l'Armée (ERP) qui a pris le dessus sur le Parti (PRT) et le Front ("anti-impérialiste pour le socialisme"), ce qui constitue une déviation militariste. Exactement la même chose qui s'est produite avec ETA (militaire) - vis à vis du parti HASI (jusqu'en 1992) et du Front (Alternative KAS, Herri Batasuna) - ou avec les GRAPO vis à vis du PCE(r) ; tandis que d'autres organisations communistes combattantes européennes (Brigades rouges, CCC) fusionnaient carrément le tout dans un seul et unique appareil... Seule une application correcte du marxisme-léninisme-maoïsme, avec le principe clair des "trois épées" Parti-Armée-Front sous la direction du Parti, permet d'éviter une telle déviation.

    L'année suivante, les militaires ayant destitué Isabel Perón n'auront plus qu'à "finir le travail", abattant notamment Mario Roberto Santucho (le secrétaire général) et 5 autres cadres dans une fusillade le 19 juillet 1976.

    che-y-santuchoPour en revenir à notre in memoriam, donc, la lutte armée déclenchée dès la fin des années 60 par le PRT-ERP et les péronistes de gauche avait conduit un grand nombre d'entre eux en prison. En août 1972, 25 d'entre eux s'évadèrent avec l'objectif de gagner le Chili de l'Unité populaire, et de là Cuba. Mais une poignée seulement (6), dont Santucho, y parvint ; les autres, repris, seront sauvagement assassinés à la mitrailleuse, montrant là le visage infâme de la réaction argentine et de la réaction mondiale en général. Dans la conscience populaire révolutionnaire d'Argentine, le 22 août 1972 reste donc gravé comme un jour de martyre et d'heroicidad, comparable au 19 juin 1986 dans l'histoire révolutionnaire du Pérou.

    Source

    Le 15 août 1972, durant le gouvernement dictatorial du géneral Alejandro Agustín Lanusse, 25 prisonniers politiques appartenant au PRT-ERP (Parti Révolutionnaire des Travailleurs - Armée Révolutionnaire du Peuple), aux FAR (Forces Armées Révolutionnaires) et aux Montoneros, s'échappèrent du pénitencier de Rawson dans la province de Chubut. Six d'entre eux parvinrent à gagner le Chili de Salvador Allende. Dix-neuf ne réussirent pas à parvenir à l'avion. Ils se livrèrent après qu'on leur eut accordé des garanties pour leur intégrité physique. Le 22 août, les 19 prisonniers furent lâchement fusillés par des rafales de mitrailleuse dans la base navale Almirante Zar. Trois d'entre eux survécurent pour raconter l'histoire que nous récupérons aujourd'hui, pour maintenir vive la mémoire, pour ne pas oublier, ni pardonner.

    asesinados trelewLes fusillés :

    Carlos Alberto Astudillo (FAR), Rubén Pedro Bonet (PRT-ERP), Eduardo Adolfo Capello (PRT-ERP), Mario Emilio Delfino (PRT-ERP), Alberto Carlos del Rey (PRT-ERP), Alfredo Elías Kohon (FAR), Clarisa Rosa Lea Place (PRT-ERP), Susana Graciela Lesgart de Yofre (MONTONEROS), José Ricardo Mena (PRT-ERP), Miguel Ángel Polti (PRT-ERP), Mariano Pujadas (MONTONEROS), María Angélica Sabelli (FAR), Ana María Villareal de Santucho (PRT-ERP), Humberto Segundo Suarez (PRT-ERP), Humberto Adrián Toschi (PRT-ERP), Jorge Alejandro Ulla (PRT-ERP),

    Les survivants :

    Maria Antonia Berger (MONTONEROS), Alberto Miguel Camps (FAR), Ricardo René Haidar (MONTONEROS)

    Six camarades réussirent à fuir le 15 août, gagnant le Chili puis Cuba :

    Roberto Quieto. (FAR), Marcos Osatinsky. (FAR), Domingo Mena, (PRT-ERP), Mario Roberto Santucho, (PRT-ERP), Enrique Gorriarán Merlo. (PRT-ERP), Fernando Vaca Narvaja. (MONTONEROS),

    Les prisonniers de Rawson n'étaient pas seuls. Nombre de voisins de la cité s'offrirent comme mandataires des prisonniers et formèrent l'Assemblée du Peuple. Ils furent eux aussi victimes de la répression d’État quelques mois après l'évasion : le gouvernement national ordonna de nombreuses violations de domiciles et de commerces et finit par arrêter 15 personnes qui furent transférées à la prison de Devoto.

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    Une affiche d'une modération exemplaire : c'est évidemment 12 balles dans la peau que méritent les assassins fascistes (encore vivants) des années noires de la "guerre sale". Quatre murs, c'est déjà trois de trop !

    Il y a 40 ans en Argentine : les martyrs de Trelew


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  • En parcourant, notamment, un Forum communiste de langue castillane, Servir le Peuple a fini par "mettre le doigt" sur le "problème" qui l'oppose à l'analyse des marxistes-léninistes-maoïstes latino-américains vis-à-vis des "gauches" réformistes bourgeoises qui ont fleuri sur le continent depuis 1998.

    En réalité, il semble que les camarades maoïstes des Amériques fassent une confusion entre :

    - les différentes branches de la classe dominante dans ces pays (compradore, bureaucratique et terrateniente),

    ET

    - les différences de conception du monde au sein même de la classe dominante en question, formant une "droite" ("modérée" ou "ultra", sans parler des fascistes) et une "gauche" (elle aussi "modérée" ou "radicale").

    "Droite" et "gauche" au sein de la classe dominante sont réduites à une simple opposition entre la bourgeoisie bureaucratique d'un côté, et la bourgeoisie compradore (plus les grands propriétaires terriens) de l'autre. Ceci est extrêmement réducteur et simpliste, et conduit les MLM latino-américains à des analyses erronées des situations ou à des "positions de principe" déconnectées du mouvement réel des masses.  Ils se privent, finalement, d'exploiter et de tirer profit des contradictions de la classe dominante.

    Il y a dans tout un courant du MLM une tendance à "l'économie politique déterministe", à rechercher une "froide" base matérielle, un "type" de capitalisme derrière chaque courant politique de la bourgeoisie. Ceci échoue généralement à "rendre" toute la complexité du réel. Ce courant de pensée s'exprime, par exemple, dans l'entité "France", par l'idée qu'il y aurait une "bourgeoisie industrielle" derrière les courants "atlantistes" de la politicaille bourgeoise, et une bourgeoisie "financière" derrière les courants plutôt "souverainistes", anti-américains de la même... Mais Lénine nous enseigne pourtant, dès 1916, que depuis la fin du 19e siècle (probablement les années 1860 du Second Empire en France) l'impérialisme, stade suprême du capitalisme, consiste justement en la fusion du capital industriel et du capital bancaire en un capital financier qui constitue les monopoles.

    Ne serait-il donc pas plus simple (et moins anti-léniniste) de considérer qu'il n'y a en France qu'un seul Grand Capital monopoliste, mais que :

    1°/ il y a des monopolistes dont la base d'accumulation est intimement liée à de bonnes et "loyales" relations avec l'impérialisme US, et qui sont "fondamentalement atlantistes" ; généralement dans le cadre d'un partenariat ouest-européen solide, mais parfois dans un grand euro-scepticisme (De Villiers) ;

    2°/ il y a des monopolistes dont la base d'accumulation est profondément en contradiction avec la superpuissance impérialiste US, et qui sont "fondamentalement atlantophobes" ; là encore, certains peuvent être pour une "Europe forte" face aux US (Chirac, Villepin), d'autres pour le "cavalier seul", "l'indépendance" et la "grandeur de la France" restaurées (Dupont-Aignan, et bien sûr le FN) ;

    3°/ ces courants sont eux-mêmes traversés par le clivage entre droite et "gauche" bourgeoise, c'est à dire (pour la faire courte) entre réactionnaires assumés (politique du bâton) et "modérés" voire "réformistes" (qui pensent qu'il faut user de la carotte vis-à-vis de la "vile multitude"). Ainsi divisé en quatre, l'"échiquier" politique bourgeois rejoint dans la superstructure, le "ciel des idées" si l'on peut dire, les "quatre traditions" issues de la révolution bourgeoise française : bonapartistes et orléanistes (droite) ; jacobins et girondins (gauche). Vous les aurez bien sûr reconnus : les "bonapartistes" sont les "gaullistes", partagés entre "Europe forte" et "cavalier seul", mais plutôt hostiles à l'hégémonie US ; les "orléanistes" sont les giscardo-balladuro-sarkozystes, plutôt atlantophiles et "reagano-thatchériens" ; les "jacobins" sont les "républicains" et "souverainistes" de gauche ; les girondins, les sociaux-libéraux européistes et non-hostiles à un Washington "bleu" (démocrate).

    4°/ MAIS, entre ces 4 "pôles", la grande majorité du Capital monopoliste n'est "fondamentalement" rien du tout, et "tend" majoritairement vers l'un ou l'autre "pôle" en fonction de la situation objective, nationale et mondiale du moment (besoin de carotte ou besoin de bâton ; besoin de contenir le géant US ou besoin de son alliance contre une autre menace...). Se décide, ainsi, de la majorité parlementaire, du gouvernement et de ses orientations...

    Le fascisme, lui, "mixe" un peu tout cela, pouvant dire tout et son contraire ; "jacobin" face aux aspirations libérationistes des peuples et "provincialiste" girondin devant la "France des mille terroirs" (contre la "gauche intello-mondialiste parisienne"), "gaulliste social" (bonapartiste) devant les travailleurs et "reagano-thatchérien" devant les patrons de PME : il n'est pas une idéologie cohérente, mais une forme de gouvernement (dictature terroriste ouverte en lieu et place de la "démocratie" libérale bourgeoise). Il survient quand la bourgeoisie estime majoritairement qu'elle n'a pas d'autre solution.

     

    Pour revenir à notre sujet, l'Amérique latine, quelle est la situation ? Comme dans tous les pays dominés, la situation est semi-coloniale semi-féodale - bien que toutefois, l'aspect semi-féodal ait beaucoup reculé ces 30 dernières années, au profit de l'agro-business.

     

    On peut dire que les pays dominés sont marqués par trois contradictions fondamentales : 

     

    -> la contradiction fondamentale du capitalisme : Capital/Travail, caractère social de la production contre appropriation privée (capitaliste) de la richesse produite (et propriété privée des moyens de production, à la base).

     

    -> la contradiction fondamentale de la féodalité, entre propriété utile du producteur sur ses moyens de production et sa production elle-même, et propriété éminente de l'autorité féodale : c'est l'oppression des grands propriétaires terriens sur les petits paysans (qui "louent", finalement, la terre) ; mais aussi la tendance des "caciques" et autres potentats locaux à "rançonner" les producteurs (paysans ou petits entrepreneurs), le clientélisme etc.

     

    -> enfin, il y a une contradiction spécifique : celle entre le caractère national de la production et la (sur-)appropriation impérialiste (étrangère) d'une grande partie de la richesse produite. 

     

    Il y a ainsi une classe dominante qu'on peut séparer en trois branches

     

    -> la bourgeoisie compradore, qui est l'intermédiaire privé des monopoles impérialistes,

     

    -> la bourgeoisie bureaucratique, c'est à dire les individus qui prospèrent au sein de l'appareil d'Etat, l'administration, l'Armée ; et sont dans un sens l'intermédiaire public de l'impérialisme,

     

    [En fait, histoire de dire à quel point - tout de même - la définition de cette notion de capitalisme/bourgeoisie bureaucratique est mouvante, nous pourrions citer expliquée ici la définition qu'en donnent les maoïstes d’Équateur (PCE - Comité de Reconstruction) : la bourgeoisie bureaucratique est en fait une sorte d'état social... transitoire par lequel (cités en exemple) "de hauts gradés militaires", "des hauts fonctionnaires" ou encore "des politiciens sociaux-démocrates" vont en quelque sorte "squatter" le "vieil État" pour, "une fois accumulé un capital considérable" de cette manière... devenir des bourgeois compradores, "comme déjà Lucio (Guttiérez, colonel chef de file de la destitution du président Mahuad en 2000, puis président à son tour de 2003 à 2005 et s'étant révélé à ce poste bien de droite et "néolibéral"...) avant eux". On voit donc bien qu'en dépit des références citées dans l’œuvre de Mao (sur la Chine du Kuomintang) ou du PCP des années 1970 (cf. ci-dessous), la définition reste relativement floue : on en dégage dans les grandes lignes l'idée d'une bourgeoisie liée ou partie prenante de l'appareil d’État qu'elle utilise pour s'enrichir, éventuellement en le modernisant lorsqu'il est trop archaïque et inadapté pour cela (ou trop au service... de la "vieille" oligarchie) ; comme l'on pourrait dire, et nous avons déjà eu l'occasion de le dire, que la "gauche" bourgeoise en Occident est souvent (bien que comptant des représentants de toutes les "sortes" de bourgeoisie) plutôt majoritairement liée à la bourgeoisie d’État ; là encore hauts fonctionnaires, énarques, cadres supérieurs et dirigeants d'entreprises publiques (semi-publiques aujourd'hui), etc. etc.

     

    La définition qu'en donne, quant à lui, le Parti communiste du Pérou dans sa Ligne Politique Générale définie à son 1er Congrès (1988), et qui devrait (en principe) faire autorité, est que : "1) C'est le capitalisme que l'impérialisme développe dans les pays arriérés et qui comprend les capitaux des grands propriétaires terriens, des grands banquiers et des magnats de la grande bourgeoisie. 2) Il exploite le prolétariat, la paysannerie et la petite bourgeoisie et limite la bourgeoisie moyenne. 3) Il passe par un processus qui fait que le capital bureaucratique se combine avec le pouvoir de l’État et devient capitalisme monopoliste étatique, compradore et féodal ; il en découle qu'en un premier moment il se développe comme grand capital monopoliste non étatique, et en un deuxième moment - quand il se combine avec le pouvoir d’État - il se développe comme capitalisme étatique" ; en d'autres termes, le capitalisme "moderne" et (en lien avec) la forme d’État bien spécifique qu'impulse l'impérialisme dans les pays dominés par lui, à un certain stade de "modernité" de cette domination (au 20e siècle).

     

    Un peu plus loin dans le même texte, il est cependant expliqué que : "Le Président Gonzalo analyse le processus du capitalisme bureaucratique au Pérou de 1895 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, premier moment de son développement au cours duquel, dans les années 1920, la bourgeoisie compradore assume le contrôle de l’État, déplace les propriétaires terriens tout en respectant leurs intérêts. Le deuxième moment, de la Seconde Guerre mondiale à 1980, est celui de l'élargissement du capitalisme bureaucratique au cours duquel une branche de la grande bourgeoisie devient bourgeoisie bureaucratique ; ceci se produit en 1939, lors du premier gouvernement de Prado quand l’État commence à participer au processus de l'économie. Cette participation, qui ira en augmentant, est due au fait que la grande bourgeoisie est incapable - par manque de capitaux - de développer le capitalisme bureaucratique. C'est ainsi que les deux factions de la grande bourgeoisie, la bourgeoisie bureaucratique et la compradore, entrent en lutte. En 1968, la bourgeoisie bureaucratique prendra la direction de l’État à travers les forces armées et par le coup d’État du général Velasco provoquant une forte croissance de l'économie d’État. Ainsi par exemple, les entreprises de l’État passèrent de 18 à 180." => là, on rejoint l'idée d'une fraction bourgeoise-oligarchique (au sein du dit capitalisme bureaucratique) qui serait "intégrée" ou se confondrait (pratiquement) avec l'appareil d’État ; et n'hésitant en effet sans doute pas, tout comme les fractions bourgeoises étatistes-dirigistes dans les pays impérialistes, à se présenter comme "la gauche" ("la vision que le Président Gonzalo a du capitalisme bureaucratique est aussi très importante (...) en s'appuyant sur la différenciation qu'il a établi entre les deux factions de la grande bourgeoisie, la bureaucratique et la compradore, afin de ne se mettre à la remorque d'aucune des deux, problème qui mena notre Parti à une tactique erronée durant 30 années", un peu comme ici une lutte idéologique primordiale est de ne pas se mettre à la remorque de "la gauche")...

     

    (De manière plus synthétique, Gonzalo dans une interview au journal El Diario en 1988 : "Sur une base semi-féodale et sous la domination de l'impérialisme se développe une forme de capitalisme tardif, un capitalisme qui naît amarré à la féodalité et soumis à la domination impérialiste (...) le capitalisme bureaucratique se développe lié aux grands capitaux monopolistes qui contrôlent l'économie du pays ; capitaux formés, nous dit Mao, par ceux des grands propriétaires terriens, des grands bourgeois compradores et des grands banquiers, ainsi se forme le capitalisme bureaucratique (...) Ce capitalisme, arrivé à un moment déterminé de son évolution, se combine avec le Pouvoir d'État et utilise les moyens économiques de l'État comme levier ; de cette manière se forme une nouvelle fraction de la grande bourgeoisie, la bourgeoisie bureaucratique".)

     

    Ou alors, si l'on veut être beaucoup moins conventionnel, pour ne pas dire apocryphe, mais en même temps beaucoup plus compréhensible par rapport à ce que cela veut généralement dire :

    - Les compradores, ce sont les laquais de base, les purs commis de l'impérialisme dans un pays. Les Bongo au Gabon, voilà.

    - La bourgeoisie bureaucratique, ce sont plutôt des gens qui à la base sont des "révolutionnaires" nationalistes bourgeois ; mais dans un contexte où la domination impérialiste rend la révolution bourgeoise impossible. Typiquement, le Kuomintang en Chine : ça a été un parti révolutionnaire au départ. Ou encore, le kémalisme en Turquie. Mais cela peut aussi s'appliquer au Destour de Bourguiba en Tunisie, au FLN algérien, au MNR bolivien ou au PRI mexicain, au nassérisme ou au baathisme arabes, ou encore à des démarches modernisatrices comme celle des Pahlavi en Iran... comme à leurs successeurs de la "révolution islamique" ; bref, à une liste interminable de cas de figure.

    Sauf que comme, on l'a dit, une véritable révolution bourgeoise est impossible sous la domination de l'impérialisme, ces forces finissent tôt ou tard par retomber dans la dépendance et devenir eux aussi des intermédiaires de celui-ci ; sous cette forme, donc, "bureaucratique". En ce sens, il est effectivement possible de dire que quelque part le castrisme, à Cuba, est retombé dans la dépendance et devenu une bourgeoisie bureaucratique au service de l'URSS, etc.

    De fait, le caractère révolutionnaire bourgeois échoué (car impossible) de ces processus rejoint la nécessité impérialiste de modernisation de la production à son service (une certaine "arriération" étant, souvent, ce qui a provoqué le mécontentement...). Mais dans cette compréhension des choses, il faudrait donc alors établir une distinction entre lorsque ces régimes bureaucratiques sont "consolidés" comme nouveaux intermédiaires de l'impérialisme (fût-ce un impérialisme rival de celui dont ils se sont initialement libérés), et lorsqu'ils ne le sont pas encore ; en tout cas, lorsqu'ils sont encore dans la phase où ils jouent un rôle positif pour la condition des masses du pays, et assez souvent dans ces circonstances, peuvent être la cible de contre-attaques féroces de leur ancien maître et de ses alliés ; offensives impérialistes contre lesquelles ils doivent être fermement défendus.]

    -> enfin, la grande propriété terrienne : terratenientes, gamonales, latifundistes, hacenderos... Elle tend à évoluer vers l'agro-business ("salarisation" des paysan-ne-s exploité-e-s). 

     

    [Sur tous ces points, lire ici : http://etoilerouge.chez-alice.fr/perou/pcpdemocratique.html]

    Il est évident que ces trois branches ne vont pas sans frictions entre elles... Mais voilà : les MLM du continent sud-américain identifient complètement la "gauche", en tout cas le réformisme bourgeois, avec la bourgeoisie bureaucratique. La contradiction se résumerait à l'opposition de celle-ci aux compradores et aux propriétaires terriens.

    Il n'est bien sûr pas interdit, ni complètement idiot, de déceler des "colonnes vertébrales" de classe derrière les camps politiques bourgeois. Dans l’État "France", on sait bien que la "colonne vertébrale" idéologique et électorale de la "gauche" (PS et alliés) est la bourgeoisie d’État (les fameux "énarques" et autres hauts-fonctionnaires, les magistrats, ou encore les milieux universitaires, de la recherche etc.) entraînant derrière elle le salariat public (fonctionnaires et entreprises à capital étatique). C'est tout à fait normal : nonobstant un certain étatisme et dirigisme bonaparto-gaulliste, c'est historiquement la social-démocratie qui est favorable à un "État fort", "régulateur", représentant "l'intérêt général", dirigiste vis-à-vis de l'économie. Il est donc normal que la bourgeoisie d’État et le salariat public s'y retrouvent politiquement (ce qui ne les empêche pas d'avoir souvent des conceptions totalement réacs sur les autres questions !). En Amérique latine, il n'y a pas de raison qu'il en soit autrement, surtout que la culture jacobino-bonapartiste française y est très vive, en concurrence avec la culture politique anglo-saxonne. Si le réformisme bourgeois implique de nombreuses nationalisations "patriotiques", un État fort et dirigiste "contre la domination étrangère" ; si le leader, issu de l'Armée, entend bien sûr choyer celle-ci, il est logique que toutes ces forces bourgeoises bureaucratiques se retrouvent derrière ce réformisme.

    Mais les MLM sud-américains font complètement l'impasse sur ce qui fonde principalement le clivage droite/gauche dans une classe dominante. Ils font complètement l'impasse sur l'aspect purement politique, superstructurel des contradictions au sein de la bourgeoisie.

    Le clivage droite/gauche dans une classe dominante repose principalement sur deux choses :

    1°/ La bourgeoisie influence idéologiquement (ce n'est pas un scoop...) le prolétariat et les classes populaires (on peut même dire qu'elle les aliène totalement) ; mais l'inverse est également vrai. Pour Gramsci, la "muraille de classe" n'est pas infranchissable, par aucune idéologie. La bourgeoisie, la classe dominante, peut donc voir certains de ses éléments influencés par la pensée propre aux classes laborieuses, surtout si celle-ci est "arriérée", non-révolutionnaire (mais réformiste, ultra-démocratique). Évidemment, les gens de classe aisée adhérant totalement à l'idéologie révolutionnaire du prolétariat, et y consacrant leur vie (comme le Che), sont très rares. Mais, abstraction faite de l'avant-garde révolutionnaire (armée d'une théorie scientifique), les masses travailleuses sont spontanément réformistes. Cela, des bourgeois peuvent très bien l'accueillir et y adhérer.

    2°/ L'autre facteur, intimement lié au premier, c'est la question de comment la bourgeoisie essaye de préserver sa position. C'est la question de la carotte ou du bâton. Pour les partisans du bâton, quand se lève une contestation, il suffit de l'écraser, de la réprimer. Inconvénient : si l'on n'écrase pas la contestation "sur le coup", on décuple sa rage et sa force... D'autres sont donc partisans de "lâcher du lest" sur certaines revendications des exploité-e-s/opprimé-e-s, afin de faire taire la contestation tout en conservant confortablement leur position de classe. La base matérielle de ces deux camps ? C'est, tout simplement, la situation concrète (générale comme de chacun-e-s).  En réalité, les réformistes et les réactionnaires (ou carrément les fascistes, partisans de la dictature terroriste ouverte) "de conviction" sont, tous réunis, une minorité de la classe dominante (ceux qui "font de la politique", notamment). La grande masse des autres va se déterminer en fonction des circonstances : a-t-on (que ce soit individuellement ou en général) quelque chose (au moins !) à concéder, ou pas ? Là est notamment le distinguo entre période de "croissance" (d'accumulation) et période de crise. Et puis, lorsqu'il y a mouvement de masse, contestation, lutte de classe ouverte : quel est le rapport de force ? Peut-on écraser le mouvement "comme une mouche" ? Vaut-il mieux l'amadouer avec des réformes ? Ou alors, même les réformes ne serviraient à rien et il faut envisager la guerre civile ? [Le fascisme pourrait alors être qualifié de "guerre civile préventive", combinant savamment mobilisation populiste-réactionnaire, mesures sociales et répression féroce : il n'existe pas vraiment d'idéologie fasciste, le fascisme est avant tout une forme de gouvernement - définie par Dimitrov : dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier (ou de leurs "chiens de garde" dans les pays dominés)].

    En élargissant encore les choses, on peut dire que le capitalisme, même s'il devient toujours plus un frein au développement des forces productives, les développe quand même (exemple : pendant les "Trente glorieuses"). Ce développement des forces productives élève le niveau de la "conscience sociale", des conceptions et des aspirations des masses, de l'idée (en gros) qu'elles se font (spontanément) d'une "bonne" société. Pour maintenir sa position sociale et son mode de production, la bourgeoisie doit s'adapter. Elle doit mettre la superstructure (système juridique écrit et non-écrit des relations sociales, depuis la Constitution jusqu'aux "usages sociaux" non-écrits) en adéquation, au niveau de ces forces productives et de la conscience de masse engendrée.

    Dans un sens, donc, on peut dire aussi que la "gauche" bourgeoise, le réformisme ou "progressisme" bourgeois, ce sont les bourgeois "plus avancés" (pour une multitude de raisons matérielles individuelles) dans la compréhension de cette nécessité d'adapter l'organisation sociale. Les "réacs" sont ceux qui ne vont pas vouloir bousculer leurs habitudes et leur vision du monde ; ou alors, ceux qui pensent qu'en "donnant la main", on va "leur prendre le bras".

    Bien sûr, tout cela se déroule au milieu de grands mouvements de masse. Typiquement, comme l'a déjà expliqué SLP dans l'article "Sur le processus révolutionnaire", il y a deux sortes de "situation révolutionnaire" : 1°/ quand l'organisation sociale est archaïque par rapport au niveau des forces productives et à la "conscience collective" engendrée, ET 2°/ quand, après une période d'accumulation capitaliste et d'élévation constante du niveau de vie, la crise fait s'effondrer celui-ci. Parfois, évidemment, les deux facteurs se combinent (puisque l'accumulation capitaliste, précédant la crise, développe les forces productives et la conscience collective qui va avec). C'est ce qui s'est produit pour la "dernière vague" de "réformismes" en Amérique latine, durement touchée par la "crise asiatique" de 1997 (qui s'est propagée à tous les "pays émergents" comme le Brésil, l'Argentine, le Chili, le Mexique, et de là à tout le continent) : l'archaïsme de l'organisation sociale et l'effondrement du niveau de vie se sont combinés.

    À cela s'ajoute, dans les pays dominés, une "particularité" : c'est (on l'a dit) la contradiction entre caractère national de la production et caractère impérialiste de l'appropriation de la richesse produite ; et l'existence d’une bourgeoisie nationale. C'est à dire une bourgeoisie qui, tout en vivant de la force de travail du pays, ne sert pas d'intermédiaire à l'appropriation impérialiste de la richesse (ou le fait, mais avec dégoût, comme le prolétaire va offrir chaque jour sa force de travail au patron ; et souhaite mettre fin à cette situation). On y rattache les intellectuels à son service (et non au service des intermédiaires de l'impérialisme). Cette classe produit une idéologie que l'on pourrait qualifier de "révolutionnaire bourgeoise patriotique". Cette idéologie, pas plus qu'une autre, ne s'arrête aux "frontières" de classe : elle influence bien sûr (énormément) le prolétariat et la paysannerie pauvre, "semi-prolétaire" ; mais elle arrive aussi aux oreilles de la frange "moderniste" de l'oligarchie dominante. Celle-ci l'accueille d'autant mieux, que cette idéologie ne s'intéresse pas (ou peu) à la contradiction Capital/Travail, tout juste éventuellement à la question de la terre pour les paysans (si l'on prend la terre comme moyen de production, donc capital) ; et qu'elle-même a ses ‘petites’ frictions avec les impérialistes étrangers dont elle est l'intermédiaire. C'est, d'ailleurs, dans cette bourgeoisie nationale au sens large (intellectuels comme Correa ou Garcia Linera, paysans moyens comme Evo Morales, militaires de moyen rang comme Chavez) que le "gauche" dominante recrute les forces et les dirigeants politiques du "changement", chargés de mettre en œuvre les réformes modernisatrices. La "gauche" que nous observons en Amérique latine, depuis la toute fin du siècle dernier, est donc un "mariage" de ce "patriotisme progressiste" bourgeois-national, et des "modernistes" des trois branches de la classe dominante. Ceci n'est comparable à rien d'existant dans les pays impérialistes (ni la moyenne bourgeoisie, ni la petite, ni la "classe moyenne intellectuelle"), puisqu'il n'y existe pas de contradiction entre production nationale et appropriation impérialiste étrangère. 

    Tout ce qui précède éclaire, donc, ce qu'est la "gauche" en Amérique latine. 

    En réalité, plus que de bourgeoisie bureaucratique, ou "nationale" comme le proclameront des courants "maoïsants" tels que le PCR d'Argentine, l'émergence de ces "gauches" ou de ces "national-progressismes" est plutôt liée à l'émergence de nouvelles couches bourgeoises, qui peuvent être aussi bien bureaucratiques que nationales, compradores ou agraires, dans les différents cycles d'accumulation qu'a connu le continent. On peut distinguer 3 vagues :

    -> La vague des années 1930 à 50 [avant elle, il y a déjà eu des "révolutions libérales" en Équateur (1895-1912) et au Mexique (1910-29), la "révolution radicale" en Argentine (1890-1930) etc.]  est liée au grand développement capitaliste du continent dans la première moitié du 20e siècle, notamment en restant à l'écart des deux guerres mondiales (et en devenant le grenier et l'atelier de l'Europe durant celles-ci). Elle est incarnée par le justicialisme de Perón en Argentine (1946-1955), le gétulisme (Getulio Vargas) au Brésil qui domine toute la période de 1930 à 1955, le cardenisme au Mexique (1934-40) ou encore le MNR en Bolivie, qui s'appuiera sur un grand mouvement populaire pour arriver au pouvoir en 1952. On peut aussi citer l'APRA au Pérou (mais celle-ci n'arrivera jamais au pouvoir à cette époque). Toutes ces forces ont la caractéristique d'avoir des dirigeants plutôt grands bourgeois. Ce sont des idéologies populistes, nationalistes, souvent fascinées (au début en tout cas) par les régimes fascistes européens (souvent l'Italie, mais parfois aussi l'Allemagne nazie) - à l'exception notable du Mexique de Cardenas, résolument antifasciste et soutien de la République espagnole ; et absolument pétries de contradictions. Ces contradictions sont symbolisées de manière maximale par le suicide (en 1954) de Vargas, revenu au pouvoir en 1951 sur une ligne plus "social-démocrate". Dans les années 1930, son "État nouveau" était ouvertement inspiré du fascisme européen, avant de se retourner en 1942 et d'entrer en guerre aux côtés des Alliés. Perón, lui, sera renversé après 10 ans de pouvoir par la frange national-catholique conservatrice de l'oligarchie. Le MNR bolivien, après avoir trahi les aspirations populaires de la "Révolution" de 1952, sera renversé par un coup d'Etat  en 1964 (il reviendra aux affaires dans les années 1980-2003, mais comme emblème du "néo-libéralisme" ; c'est aujourd'hui le parti le plus détesté du pays).

    Dans un contexte de mouvement communiste fort (la révolution soviétique battant son plein), ces forces bourgeoises "modernistes" sont également profondément anticommunistes. Le contexte est également un contexte de mutation entre la traditionnelle (depuis le 19e siècle) domination britannique ("pénétrant" plutôt par la côte Atlantique : Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), et la nouvelle tutelle totale de l'impérialisme US ("pénétrant" plutôt par le Pacifique et la région Caraïbe). D'ailleurs, la seule véritable manifestation de la "guerre impérialiste mondiale de 30 ans" (1914-1945), sur le continent, fut la Guerre du Chaco entre Bolivie et Paraguay (1932-35), opposant en réalité monopoles pétroliers US (Bolivie) et britanniques (Paraguay). Les vétérans de cette guerre sont d'ailleurs à l'origine du MNR en Bolivie.

    Certes, on l'a dit, ces courants "populistes", "justicialistes" et autres "nationalistes révolutionnaires" affichaient des sympathies marquées pour l'Axe nazi-fasciste... Mais ces sympathies étaient aussi celles de tout un Capital monopoliste US, bien évidemment le plus anti-européen, le plus en concurrence avec les monopoles anglais et français (la droite isolationniste, anticommuniste et pro-nazie de Ford, Lindbergh, Hearst etc.). Bien sûr, une fois la mainmise américaine totalement installée, les "populistes" seront dégagés par des coups d’État militaires conservateurs. Dans cette situation complexe, les PC cèderont souvent au browderisme, c'est à dire à l'alliance avec l'impérialisme US "démocratique", "allié de l'URSS" et "vainqueur du nazi-fascisme", contre les "populistes". C'est la "grande catastrophe historique" du marxisme-léninisme latino-américain. La seule grande figure communiste de cette époque est Mariátegui (mais il est mort en 1930...).

    -> La deuxième vague est celle des caudillos militaires "de gauche" des années 1960-70 : les "figures de proue" sont ici essentiellement des hauts gradés de l'Armée. Ce sont les généraux Velasco Alvarado au Pérou (1968-75), contre lequel se construira le PCP maoïste de Gonzalo, Juan José Torres en Bolivie (1970-71, rapidement renversé par le fasciste Banzer), Omar Torrijos au Panama (1968-81) ou encore les "nassériens" d’Équateur sous la conduite de Guillermo Rodriguez Lara (1972-76). En "version civile", il y a évidemment Allende au Chili (1970-73) et le "retour" du couple Perón en Argentine (1973-76). Il y a bien sûr eu un certain développement capitaliste dans les années 1950-60 ; mais cette vague est surtout liée à la concurrence continentale entre l'impérialisme US et le social-impérialisme soviétique, appuyé sur Cuba. Elle est liée, soit à la volonté des Soviétiques d'imposer des dirigeants pro-Kremlin mais en même temps non-communistes et réformistes, antirévolutionnaires (afin que, sans mobilisation de masse, ceux-ci soient complètement à la botte de Moscou), soit, au contraire, à une volonté de "non-alignement", d'échapper à la "logique des blocs", chez une partie de la classe dominante locale (Argentine de Perón, Panama de Torrijos). Là encore, les PC alignés sur l'URSS sombrèrent complètement, soit dans l'appui aveugle au réformisme pour être ensuite laminés par la contre-offensive d'ultra-droite pro-US (Chili, Bolivie), soit dans l'opposition (à nouveau) au "populisme" allant jusqu'au soutien... au coup d’État (PC d'Argentine). De leur côté, les autres forces (pro-chinoises, trotskistes, "guévaristes" etc.) du mouvement révolutionnaire ne surent pas dépasser les limites de leur conception du monde, et subirent elles aussi durement les dictatures réactionnaires terroristes de la contre-offensive US (Plan Condor).

    -> Enfin, la troisième vague est directement issue du "néo-libéralisme", grande offensive mais aussi grande modernisation capitaliste, entraînant une profonde mutation des sociétés (très forte urbanisation de la population notamment, fort recul de la féodalité dans les campagnes - au profit de l'agro-capitalisme - etc.). A ce "néo-libéralisme" a succédé une grande crise économique à partir de 1997 ("crise asiatique"). C'est la vague des Chavez, Morales et Correa qu'on ne présente plus, ou, en version "modérée", "social-libérale", Lula au Brésil, les Kirchner en Argentine, le Frente Amplio en Uruguay, Fernando Lugo au Paraguay etc. "Bourgeois nationaux", ils arrivent au pouvoir après de grandes explosions sociales (Bolivie, Équateur, Argentine) ou des périodes de grande agitation (Brésil avec les Sans-terres, décennie suivant le Caracazo au Venezuela).

    À chaque fois (avec le bémol évoqué pour les années 70), l'analyse la plus probablement juste de la situation est l'émergence de couches nouvelles dans toutes les élites sociales (armée de métier, administration et secteur public, capitalisme comprador intermédiaire entre la richesse nationale et les monopoles impérialistes, capitalisme à base d'accumulation nationale, production agricole, milieux intellectuels) ; couches nouvelles aspirant à une "modernisation" ou un "changement", autrement dit à la mise à niveau de l'organisation sociale avec les forces productives. Mais bien sûr pas, en aucun cas, à une révolution (propriété des moyens de production par les travailleurs eux-mêmes, organisés sous la direction d'un Parti du prolétariat). Dans ce sens de mise à niveau de l'organisation sociale avec les forces productives, on peut parler de réformistes, si l'on s'enlève de l'esprit l'analogie entre un réformiste et un social-démocrate d'Europe du Nord...

    Il faut souligner, car c'est souvent oublié, que quand la droite réactionnaire mène sa contre-offensive (militaire ou "civile"), elle ne revient pas (ou peu) sur cette mise à niveau : elle "ramène l'ordre", écrase l'agitation "radicale" et/ou révolutionnaire, mais ne revient pas en arrière sur les "modernisations".

    Face à cela, on l'a dit, les forces communistes n'ont pas vraiment brillé par leur analyse concrète de la situation concrète, hormis le Parti communiste du Pérou (mais non sans erreurs gauchistes). La réalité, c'est que dans ces situations tout est une question de rapport de force, et surtout de force idéologique, c'est à dire de justesse de la conception du monde et de l'analyse concrète de la situation et de ses potentialités, base de l'hégémonie culturelle. D'un côté, il y a le prolétariat et ses (généralement multiples) organisations communistes. De l'autre, il y a la classe dominante, en l'occurrence divisée entre une droite conservatrice ou réactionnaire et une "gauche" modernisatrice. Au milieu, il y a toutes les forces intermédiaires (paysans, petits et moyens bourgeois nationaux, travailleurs intellectuels), potentiellement progressistes (celles qui ne sont pas aliénées politiquement par la classe dominante).

    À partir de là, SOIT les communistes (avec un Parti ayant une conception correcte du monde et de la situation) jouent des contradictions de la classe dominante (exprimées par l'existence de ces "réformistes-modernistes") et en profitent, pour se renforcer quantitativement et surtout qualitativement, et gagner les forces intermédiaires ; SOIT c'est la "gauche", les "modernistes-réformistes" de la classe dominante, qui gagnent les forces intermédiaires et jouent sur les contradictions des communistes, pour faire triompher parmi eux des conceptions gravement erronées qui les conduisent au fiasco. Cela n'a nul besoin d'un plan concerté et "pensé" de la classe dominante : c'est automatique si aucune organisation communiste n'analyse correctement la situation concrète. Alors, les unes se jetteront dans les bras des "modernistes", des "réformistes", et seront balayées par la contre-offensive réactionnaire (communistes chiliens en 1973) ou entraînées dans la dérive vers la droite des "réformistes" eux-mêmes (actuellement PC révisionnistes de Bolivie, Équateur etc.) ; les autres, faisant des "réformistes" l'ennemi principal, s'allieront de fait avec les forces réactionnaires "dures" (PC argentin contre Perón, MPD actuellement en Équateur ou "Bandera Roja" au Venezuela en 2002 - tous deux "albanais") ; ou encore s'isoleront dans le sectarisme et finalement l'inaction, sans aucune base de masse, etc. 

    Globalement, si l'on synthétise les attitudes vis-à-vis des régimes "de gauche" actuels :

    -> les "révisio-soviétiques" (liés à l'URSS jusqu'en 1991) soutiennent globalement les "processus de changement", "avec des critiques" mais bien maigres... Ils sont SUIVISTES vis-à-vis du mouvement de masse qui a engendré ces gouvernements (en poussant la classe dominante à mettre l'organisation sociale au niveau de la conscience de masse). Ils ne travaillent pas à le porter à un niveau supérieur, révolutionnaire (ni de nouvelle démocratie, ni "populaire anti-impérialiste" : rien du tout). Ils sont rejoints sur ce positionnement par les trotskistes de type "Alan Woods" (Tendance Marxiste Internationale) et "Secrétariat Unifié" (comme notre ex-LCR) ; les représentants brésiliens de ce dernier siégeaient même au gouvernement de Lula, au début.

    -> les "albanais" sont plutôt dans l'opposition frontale, quitte a faire quasi sciemment le jeu de la droite réactionnaire. Le cas le plus édifiant est "Bandera Roja" au Venezuela (exclue pour cela de l'Internationale "albanaise"), mais il y a eu aussi l'attitude du MPD/PCMLE lors du soulèvement policier (fomenté par la droite de Gutiérrez) contre Correa en Équateur. Ils sont plus ou moins rejoints sur cette position par les trotskistes de type moréniste (courant très fort sur le continent).

    -> les "vieux maos" (issus de l'anti-révisionnisme prochinois, scissions des PC révisionnistes à la fin des années 60) rejoignent, globalement, la position des "soviétiques"... Le PCR d'Argentine soutient "critiquement" Chavez et ses alliés de l'ALBA. En revanche, il est plutôt en pointe dans la dénonciation du "système K" (Kirchner). Tout un paradoxe que l'Argentine, car le Parti de la Libération, ex-PC-ML (sorte de "marxisme-léninisme-guévarisme", en lien avec le PTB etc.), soutient quant à lui le "système K" ; alors qu'il avait une position plutôt correcte sur le "retour de Perón" (1973-76), véritable "entracte" entre deux dictatures militaires sauvages ; tandis que le PCR avait lui une position complètement foireuse ! Certains vont en revanche beaucoup plus loin : le PC-mlm de Bolivie a des ministres au gouvernement du MAS, et maintient son soutien envers et contre toutes les mesures réactionnaires ; pire, il serait directement impliqué dans la récente arrestation/extradition de 4 militant-e-s maoïstes d'origine péruvienne. Si c'était avéré, on serait alors dans les tréfonds de la social-trahison...

    Les MLM du continent, globalement, n'ont jamais versé dans l'une ou l'autre de ces dérives extrêmes. Il faut le dire en toute honnêteté. On compte parmi eux l'UOCmlm, le PCE "Sol Rojo" (Équateur), le PC Populaire d'Argentine, et "dieu" sait combien SLP peut être en désaccord total avec ces organisations : sur le Népal (où le PCE-SR en vient à l'insulte et à la menace contre les "centristes" qui, au lieu d'enterrer le Parti maoïste, s'efforcent d'appuyer sa succession) ; sur les guérillas révisionnistes qui seraient "l'équivalent" de l’État fasciste en Colombie (comment une force mourante pourrait-elle, déjà pour commencer, être l'équivalent d'un fascisme d’État en pleine vigueur ?) ; etc. L'UOCmlm est même d'un atypisme théorique total : ils prônent pour la Colombie la révolution socialiste par la Grève Politique de Masse ! Néanmoins, leur pratique n'a jamais versé dans l'ignoble ou la naïveté totale, et il faut le souligner.

    Pour autant, ils ont adopté un "ni-ni" sectaire, dogmatique et finalement stérile qui les a conduit à s'isoler du mouvement réel. La caractérisation des "bolivarismes" comme "le fascisme latino-américain", qui serait opposé à une "droite compradore" (?), est complètement à côté de la plaque et impliquerait, logiquement, que ces régimes soient l'ennemi principal. En Bolivie, le FRP-MLM a au moins une caractérisation correcte : "réformisme du MAS" et "fascisme de la Media Luna" (région "basse" du pays, avec pour capitale Santa Cruz). C'est très important du point de vue (Dimitrov) de l'identification correcte du fascisme par les communistes et le prolétariat. Mais il lance un "ni-ni" à un moment (juillet 2008) où la guerre civile réactionnaire menaçait. Était-ce vraiment la meilleure position à adopter ? La meilleure ligne de masse ? N'aurait-il pas mieux valu, même si c'était "pour rien" (la guerre civile n'a finalement pas eu lieu), s'inspirer à ce moment-là de la ligne du PC d'Espagne en 1936 ? 

    Servir le Peuple a donné sa position sur la question : Retour sur la situation en Amérique du Sud
    Sans la prétention d'une analyse parfaite de la situation (la connaissant un peu, mais n'étant pas sur place), la ligne à suivre est posée de manière simple : être toujours DANS LE CAMP DU PEUPLE (le prolétariat, les paysans pauvres, les indigènes, tou-te-s les exploité-e-s et opprimé-e-s), toujours à ses côtés. Prêts à organiser des milices de résistance populaire contre un coup d’État réactionnaire à la Pinochet ; mais tout aussi prêt à riposter à la première mesure antipopulaire et social-traître des réformistes. De cette manière, élever qualitativement le "mouvement social" en mouvement populaire révolutionnaire autour du Parti et de son Front uni ; et être prêts à riposter aussi bien face à une contre-offensive réactionnaire (putschiste ou... par les urnes, ou encore une "révolution colorée") que face à un pourrissement et un dévoilement réactionnaire ouvert des réformistes. Ceci permettant peut-être, si le travail politique a été suffisant, de transformer cette riposte populaire en Guerre populaire, finissant par instaurer la Nouvelle démocratie.

    Il ne suffit pas de clamer "ni-ni, no votar !, Guerre populaire". La Guerre populaire doit d'abord être conçue, c'est à dire qu'il faut une idée très précise de son contenu, de sa stratégie guidant ses tactiques, dans les conditions concrètes du pays considéré. Ensuite, elle se construit par un lent et patient travail de masse, elle ne se proclame pas, ne s'incante pas, ne se "décrète" pas... 

    Pour conclure, il y a aussi des forces "inclassables" (dans une des précédentes catégories) : Parti communiste Sol Rojo de Bolivie (positions et analyses intéressantes, se réclamant du MLM et de Neptal Viris, un révolutionnaire des années 70) ; Jeunesse Marxiste Révolutionnaire de Cali (Colombie, maoïste) ; et récemment une "Fraccion Roja" (ML "maoïsante") qui s'est formée en Bolivie contre les "siamois du révisionnisme", le PC bolivien et le PC-"mlm", et contre le réformisme de plus en plus ouvertement social-traître du MAS...



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  • Cette année 2011 aura vu l'éclatement au grand jour de la dérive réactionnaire des régimes "bolivariens" en Amérique du Sud. La "chape de plomb" faite de crainte (envers une culture répressive d'État toujours présente), de révérence envers les avancées (bien réelles) pour les masses et d'espoir envers un "redressement de situation", ne parvient plus à contenir la réalité des faits. Au Venezuela, après la "déclaration d'amour" de Chavez envers non seulement Kadhafi et Assad, mais TOUS les gouvernements réactionnaires arabes, l'arrestation et l'extradition vers la Colombie fasciste du journaliste de gauche Joaquin Pérez Becerra, suivie de celle du "chanteur des FARC" Julian Conrado, a fait grand bruit ; mais en réalité, cela faisait plus de 2 ans que les extraditions se succédaient, de militants ELN (surtout) et FARC vers la Colombie, ou de militant-e-s basques vers l'État espagnol. La Bolivie de Morales, après l'explosion de colère sociale contre les prix du carburant au début de l'année, lui a maintenant emboîté le pas en livrant 4 militant-e-s révolutionnaires (William Antonio Minaya, Hugo Walter Minaya, José Antonio Cantoral Benavides et Blanca Riveros Alarcón) à "sa" Colombie à lui, le Pérou de l'ex-"liquidateur" anti-subversif Ollanta Humala. L’Équateur de Correa ne peut, quant à lui, plus faire mystère de sa collaboration active avec l'armée fasciste colombienne, dans la traque et l'extermination des guérilleros FARC et ELN. Parallèlement, tous piétinent allégrement leurs proclamations contre les "multinationales" et pour la "défense de la Terre-Mère" en bradant les ressources naturelles, notamment le poumon amazonien de l’humanité, aux intérêts capitalistes, éventuellement sous couvert d’entreprises "à majorité étatique" et "patriotiques" : ainsi le projet de "Loi sur l’Eau" et de concessions aux "multinationales" en Amazonie équatorienne, provoquant un soulèvement indigène (shuar) brutalement réprimé (le leader est toujours emprisonné) ; tandis qu’en Bolivie on peut citer l’affaire de l’exploitation du lithium dans le salar d’Uyuni (convoité notamment par Bolloré !) et, en ce moment même, le projet de construction d’une grande autoroute à travers un territoire amazonien préservé…

    Tout cela est absolument désolant, lorsque l'on sait la signification révolutionnaire de l'Amérique latine pour tou-te-s celles et ceux qui luttent contre le capitalisme et l'impérialisme à travers le monde.

    Les raisons, SLP les a déjà évoquées à plusieurs reprises : le "socialisme bolivarien" n'a jamais été autre chose qu'un réformisme bourgeois redistributif. Par rapport à la misère des masses là-bas, il a représenté un progrès réel. Mais ce réformisme redistributif n'a pas, ne POUVAIT pas résister à la crise mondiale du capitalisme, car pour qu'il y ait redistribution il faut des profits élevés et même, surtout, des surprofits ; or la crise du capitalisme c'est l'effondrement du taux de profit et donc des surprofits. Ceci entraîne alors un effritement de l'appui populaire, qui ne laisse alors pas d'autre solution que de perdre les élections (voire essuyer un coup d'État contre l'éventuel "désordre"), ou de se rallier et/ou rechercher l'appui de la droite au niveau national et continental, et de l’impérialisme au niveau international... Dans des conditions différentes (d'un pays impérialiste), c'est exactement ce qui se produirait, ici, si le PS et ses alliés de la gauche bourgeoise parvenaient au pouvoir ; ce que ne manquent pas de souligner les idéologues de la droite bourgeoise. La seule "redistribution" des richesses possible face à la chute tendancielle du taux de profit, c'est évidemment l'expropriation du Capital et l'abolition de l'appropriation capitaliste de la richesse produite par le Travail !  

    Il est cependant intéressant de revenir, "à froid" si l'on peut dire, sur la nature de ces régimes et leur dérive depuis 2-3 ans.

    Pour SLP, ce qui a toujours été dit, c'est que ces régimes ont été le produit d'une poussée révolutionnaire de masse et que c'est celle-ci qui doit retenir l'attention, et non les gouvernants, "progressistes" ou non, en eux-mêmes.

    Certes, on pourra rétorquer que dans les pays arabes, il y a eu aussi d'immenses mouvements de masse, et que rien n'a changé, que même si les tyrans honnis ont dû parfois démissionner et partir, il n'y a pas eu de "révolutions". C'est vrai ; mais il faut aussi souligner que, "situation géopolitique" oblige, les régimes réactionnaires arabes étaient beaucoup plus "verrouillés" que les régimes "néolibéraux" sud-américains dans les années 90-début 2000. À cette époque, les oligarchies locales comme l'impérialisme de tutelle (US) avaient "la confiance" et la marge de manœuvre des masses populaires organisées était beaucoup plus importante. La crise qui a frappé leur "modèle" économique made in FMI, à la fin des années 90 - début des années 2000, les a pris de court ; et si les mouvements de masse furent moins larges et intenses que ceux qui ont secoué les pays arabes, ils ont conduit à une bien plus importante désorganisation de l'État oligarchique comprador-bureaucratique-terrateniente [en tout cas au Venezuela, en Bolivie et en Équateur* : les autres "victoires" comme au Nicaragua, au Salvador ou au Honduras, sont plus un effet "d’onde de choc" sans nécessairement de mouvement de masse important].

    Maintenant, que dire de la qualification de « révolutions » pour ces régimes bolivariens ?

    Rappelons tout d’abord le processus que suit la révolution à notre époque, la révolution prolétarienne : révolution politique => révolution économique => révolution culturelle, révolution dans les rapports sociaux. Le capitalisme et la bourgeoisie ont pu se développer dans le cadre de l’absolutisme, stade suprême du féodalisme (ceci dit, la véritable révolution économique bourgeoise, la révolution industrielle, n’a été rendue possible que par la révolution politique – et a fortiori, la révolution culturelle bourgeoise, l’imposition de sa culture comme culture dominante). En revanche, instaurer le socialisme ou même, là où c’est à l’ordre du jour, liquider la "chape" féodale qui pèse sur la production toute entière, impose aujourd’hui au prolétariat de prendre d’assaut et détruire la superstructure-État de la classe dominante, et de la remplacer par une superstructure révolutionnaire. Sans pouvoir du prolétariat, il n’est pas possible d’instaurer le socialisme.

    Qu’en a-t-il été au Venezuela, en Bolivie ou en Équateur ? Et bien, c’est une réalité que la superstructure étatique qui prévalait depuis plusieurs décennies a fait plus que vaciller. On voit mal comment qualifier autrement un président qui s’enfuit en hélicoptère vers l’aéroport et de là vers les États-Unis (Bolivie), le dégageage de deux présidents en 5 ans (Équateur) ou l’incapacité, par les deux partis qui "verrouillaient" le pays depuis 40 ans, d’empêcher l’élection d’un militaire populiste "de gauche" condamné pour… mutinerie 5 ans auparavant (Venezuela) ! 

    Dans chacun des cas, le mouvement populaire de contestation, le "mouvement social" pour reprendre les mots de l’idéologue du "processus" bolivien, Alvaro Garcia Linera, a créé l’ingouvernabilité du pays par la "classe politique" traditionnelle. Au Venezuela, on dira qu’il y a eu un lent effritement pendant 10 ans, permettant le "passage en fraude" de Chavez puis, après la "reprise en main" ratée d’avril 2002, une pulvérisation totale.

    Les tenants du vieux système ont en quelque sorte "déserté" les lieux de pouvoir (ou un grand nombre…) et le "mouvement social" s’y est engouffré, dans le sillage d’outsiders politiques de longue date. Il ne faut pas se mentir : ce "mouvement social" a réellement créé un rapport de force qu’il serait vain et grotesque de vouloir comparer à quoi que ce soit en Europe depuis des décennies, voire depuis 1945 (où par contre, il était supérieur, car il y avait alors des Partis communistes de masse). Il est bon d’avoir cela à l’esprit, avant de se lancer dans toute critique salonarde des limites de ce mouvement.

    Quel a alors été le problème ? Et bien, en dernière analyse, c’est un problème de conception politique, de conception du monde. Et ce problème a très peu été abordé dans le mouvement international se réclamant du communisme.

    On s’est beaucoup échiné à définir et à dénoncer la nature de classe (militaires petit-bourgeois, paysans moyens, intellectuels bourgeois) et idéologique ("réformisme", "populisme", "social-fascisme") des chefs de file des "processus", mais le problème résidait fondamentalement DANS le "mouvement social" lui-même.

    Il n’y a pas eu dans ce "mouvement social" de véritable conception politique révolutionnaire, concentrée et systématisée par une (ou même plusieurs) organisation(s), permettant de conquérir TOTALEMENT le pouvoir politique et, de là (et seulement de là), pouvoir envisager la transformation socialiste de l’économie et des rapports sociaux.

    La plupart des organisations de masse ne reconnaissaient même pas le marxisme, voire le rejetaient ouvertement, comme "trop matérialiste" ou au contraire comme "idéaliste, utopique", ou encore comme "eurocentriste"… Plus petites, il y avait de nombreuses organisations et même des Partis (comme le PC du Venezuela) se réclamant du communisme, mais aux conceptions très limitées, qui n’ont finalement fait que du suivisme "critique" vis-à-vis des forces réformistes. D’autres forces, par ailleurs, dont malheureusement beaucoup se réclamant du maoïsme, ont adopté une posture sectaire, refusant de reconnaître quoi que ce soit de positif aux évènements et se coupant ainsi des masses et de leur mouvement réel. 

    Pour renverser le pouvoir des classes dominantes, il faut au moins (même s’il n’est pas interdit, bien au contraire, de penser avec sa tête…) avoir étudié le léninisme, puisque celui-ci, ayant présidé à la première révolution prolétarienne réussie de l'histoire, est la science de la conquête du pouvoir par les exploité-e-s.

    Les bourgeoisies nationales réformistes ont donc été  laissées en roue libre. Avec les limites de la conception communiste au 20e siècle, les nouvelles bourgeoisies émergeaient au sein des expériences socialistes (ou démocratiques-populaires) en l’espace de 20 ou 30 ans. Quant aux forces nationalistes bourgeoises "progressistes", qu'il s'agisse des différents "socialismes arabes", ou "socialismes africains" ou des forces latino-américaines de type APRA, MNR bolivien, PRI mexicain, justicialisme argentin etc., entre écrasement militaire par les forces ultra-réactionnaires pro-impérialistes et "droitisation" interne, l'évolution vers le stade de laquais assumés de l'impérialisme se faisait sur des séquences historiques à peu près du même ordre. Mais ici, les nouvelles oligarchies "endogènes" se sont formées au sein des "processus de changement" en à peine quelques années… rejoignant les anciennes, qui n’avaient jamais disparu !

    Pour autant, fallait-il accepter la liquidation réactionnaire de ces "processus", entendus comme rapports de force établis par le "mouvement social" des masses populaires contre l'impérialisme et ses valets compradores ; comme FAIT POPULAIRE BOLIVARIEN ? Évidemment que non ! 

    Pour SLP, il a toujours été clair que la tranchée populaire conquise par les luttes de masse (sans déboucher hélas sur une véritable révolution) au Venezuela, en Bolivie et ailleurs allait devoir faire face à deux grandes menaces :

    - la contre-offensive réactionnaire de l'oligarchie (compradore-bureaucratique-terrateniente) et de l'impérialisme de tutelle (US) ;

    - la trahison des réformistes nationaux-bourgeois.

    Cela a toujours été une évidence. Mais encore fallait-il savoir prendre chaque chose en son temps, savoir à quel moment et contre quel ennemi principal lutter !

    En 2008-2009, la situation semblait se stabiliser au Venezuela, mais le coup d’État au Honduras, ou encore les menaces de guerre civile et le massacre d’une soixantaine de paysans pro-Morales en Bolivie, semblaient laisser entrevoir un NOUVEAU PLAN CONDOR continental. À ce moment-là, considérer qu’il fallait lutter à la fois contre l’"ultradroite" (comme on dit sur le continent) et contre les réformistes bourgeois, voire PLUS contre les seconds que contre les premiers (!), était absolument CRIMINEL. Aujourd’hui, en revanche, la situation se pose autrement. Car le nouveau Plan Condor, en réalité, ne faisait que se profiler : il est désormais bel et bien là, sous nos yeux. Simplement, à présent, Chavez, Morales et Correa en FONT PARTIE, ils ont intégré le dispositif !

    Et soyons sûrs qu’au Pérou, Ollanta Humala, à qui l’oligarchie vient finalement d’ouvrir les portes de la présidence, y aura toute sa place, poursuivant le « Plan Pérou », véritable « Plan Colombie II » de l’impérialisme contre les groupes de guérilla maoïstes. 

    La position de SLP n’a donc pas "changé", car elle n’a toujours fait que reposer sur un seul principe absolu : LE CAMP DU PEUPLE EST NOTRE CAMP. Quand le Nouveau Plan Condor continental visait également les gouvernements réformistes, défendre la tranchée populaire conquise par les luttes impliquait de défendre également ces gouvernements (sans s’aveugler pour autant sur leur nature). Que cela plaise ou non, c’était la seule ligne juste. Mais si, maintenant, ces gouvernements ont intégré le Nouveau Plan Condor contre les masses populaires et les forces révolutionnaires, alors bien sûr ils doivent être combattus au même titre que les gouvernements ouvertement d’ultradroite !

    Pour mieux faire comprendre cette ligne, SLP a fréquemment utilisé la comparaison avec la République bourgeoise espagnole (1931-39). Si, quand l’Allemagne nazie était devenue (après 1933) le "Centre" de la Réaction en Europe, défendre la vie et la liberté de millions de personnes impliquait de défendre le gouvernement bourgeois de gauche en Espagne (ou même en France : le Front populaire), alors il fallait le faire, point ; il en était ainsi et pas autrement. En revanche, il n’y avait aucune raison de soutenir un gouvernement aligné sur Berlin : il fallait au contraire le combattre. Or, aujourd’hui, la Colombie de Santos-Uribe est le Centre de la Réaction continentale, avec derrière elle les forces les plus noires de l’impérialisme US, et voilà que Chavez s’allie avec ! Il n’y a donc plus aucune raison de le soutenir en aucune manière.

    Puisque l’on est sur la République bourgeoise espagnole : il est très possible que si elle avait été victorieuse du franquisme, elle aurait pu suivre la même évolution réactionnaire que le Mexique PRIste, qui fut d’ailleurs son grand allié avec l’URSS ; rompant avec les révolutionnaires (communistes et anarcho-syndicalistes) sur un grand « merci de votre soutien camarades ! »… Exactement comme le PRI mexicain, après Cardenas, a évolué vers la droite, à l’ombre de l’impérialisme US (nouveau "Centre" de la Réaction mondiale), jusqu’au massacre des manifestant-e-s à Mexico en 1968. Eh bien, dans ce cas, il est évident que les communistes et tous les révolutionnaires, après l’avoir défendue contre les fascistes, auraient dû la combattre sans pitié ! Encore un exemple (de "politique-fiction", cette fois-ci) pour illustrer la ligne à suivre vis-à-vis de Chavez et consorts : victorieux des manœuvres réactionnaires de l’oligarchie, Chavez a ensuite évolué vers la droite jusqu’à rejoindre le camp des ennemis du peuple ; il fallait le défendre contre ces manœuvres, il faut désormais le combattre sans faiblir… 

    Pour conclure, voyons ce que disait Dimitrov au milieu des années 1930 : « Or, il subsiste encore maintenant des vestiges de l'attitude schématique à l'égard du fascisme. N'est-ce pas une manifestation de cette attitude schématique, que l'affirmation de certains communistes assurant que l' « ère nouvelle » de Roosevelt représente une forme encore plus nette, plus aiguë de l'évolution de la bourgeoisie vers le fascisme que, par exemple, le « gouvernement national » d'Angleterre ? Il faut être aveuglé par une dose considérable de schématisme pour ne pas voir que ce sont justement les cercles les plus réactionnaires du Capital financier américain en train d'attaquer Roosevelt, qui représentent, avant tout, la force qui stimule et organise le mouvement fasciste aux États-Unis. Ne pas voir le fascisme réel prendre naissance aux États-Unis sous les phrases hypocrites de ces cercles en faveur de la « défense des droits démocratiques des citoyens américains », c'est désorienter la classe ouvrière dans la lutte contre son pire ennemi. »

    Il parle ici, certes, d'un pays impérialiste, les États-Unis, ce qui est sensiblement différent, mais pas tellement pour le sujet qui nous intéresse : savoir bien identifier où se trouve le fascisme. Comme pour Roosevelt aux États-Unis dans les années 1930, c'était bien du côté de ceux qui s'attaquaient à Chavez ou Evo Morales au nom de la "société civile", de ceux qui ont renversé Manuel Zelaya au nom de la "constitutionnalité", que se trouvait la menace fasciste. Les masses populaires de ces pays n'ont jamais eu le moindre doute là-dessus !

    La seule chose qu'a toujours refusé Servir le Peuple, refus qui a pu lui être reproché d’une manière extrêmement violente et sectaire, c'est de qualifier ces régimes "bolivariens" de fascistes (ce qui impliquait, automatiquement, qu'ils soient l'ennemi principal à abattre, car entre le fascisme et le conservatisme bourgeois, il n'y a pas photo !). Tandis que de leur côté, bien sûr, tous les révisionnistes thorézo-brejnéviens, rabatteurs de Mélenchon et du PS, pourfendaient comme "trotsko-maoïste" toute critique marxiste scientifique de ces mêmes régimes...

    Non, il n'y a pas, derrière le béret rouge de Chavez, l'hydre du fascisme... Mais seulement le réformisme bourgeois qui, lorsqu'il ne perd pas la partie  avant  face à la droite, finit simplement par révéler petit à petit sa nature de classe réactionnaire, face à la soif de révolution grandissante des masses. Le terme de "social-fascisme" peut uniquement s'appliquer, à la rigueur, lorsque la social-démocratie a été "chargée" par la bourgeoisie de la liquidation d'une révolution (comme en Allemagne, après l'écrasement des spartakistes) ; ou lorsqu'une contre-révolution a eu lieu au sein même du socialisme (URSS, Chine) tout en conservant les apparences de celui-ci.

          Chavez_Santos.jpgbolivarencolombia.jpg

    [ * - Au Venezuela, la "nouvelle ère" post-1989 s'ouvre par la répression-massacre du Caracazo (soulèvement populaire contre l'augmentation du prix des transports), au moins aussi brutale que celle du "Printemps de Pékin" (entre 300 et plusieurs milliers de victimes), mais largement ignorée par les grands médias internationaux. S'ensuit une période de grande agitation sociale et d'ingouvernabilité politique par les deux partis (Action démocratique et Copei) qui se partageaient le pouvoir depuis 1958. Celle-ci voit notamment la tentative de coup d'État "patriotique" de Chavez en 1992, sa libération comme "concession" au mouvement populaire en 1994, puis son élection "surprise" fin 1998. Mais c'est l'échec de la tentative de renversement contre lui, en avril 2002, qui marque vraiment le rapport de force conquis par les masses contre les classes dominantes. 

    - En Bolivie : d'abord la "guerre de l'eau" de Cochabamba en 2000, contre la privatisation du service de l'eau (amenant à l'abandon du projet), puis un mouvement des policiers réprimés par l'armée (avec bien sûr des affrontements armés entre les deux forces) et enfin la "guerre du gaz" de septembre-octobre 2003, contre le pillage des ressources gazières par les monopoles impérialistes, qui fait plus de 80 mort-e-s et voit la démission et la fuite du président Sanchez de Lozada ("Goni el Gringo"), remplacé par son vice-président, ce qui ouvre la voie à l'élection du syndicaliste Evo Morales fin 2005. 

    - En Équateur, la colonne vertébrale du mouvement de masse a été les puissantes organisations populaires indigènes, comme la CONAIE. En janvier 2000, un mouvement contre la dollarisation (remplacement de la monnaie nationale par le dollar US) entraîna la chute du président Jamil Mahuad et, après un intérim vice-présidentiel, l’élection de Lucio Gutiérrez (2003), un militaire rallié à la révolte de 2000. Mais celui-ci fit à son tour allégeance à l’impérialisme, se proclamant « meilleur ami de Bush dans la région », et fut à son tour renversé en 2005 suite à de nouvelles mobilisations. Les élections de novembre 2006 voient finalement l’élection de Rafael Correa, un économiste "humaniste et chrétien de gauche" selon ses propres mots, qui annonce une "révolution citoyenne".]


    perez_becerra.jpg



    (Autre article, de février 2011 quant à lui)


    Les "antifas" ultra-gauchistes sont décidément incorrigibles ! Au beau milieu d'un article, globalement pas inintéressant, sur les passerelles entre une "certaine gauche" et l'extrême-droite fasciste, voilà qu'ils placent encore une fois une tirade sur les "social-fascismes sud-américains", une tirade digne... paradoxe suprême pour un article anti-soc'-dem' : digne d'un article de Libé ou d'une tribune de BHL... Ni plus ni moins. Voyez donc par vous-mêmes :

    Les leaders « populaires », de Lulà à Morales et Chavez, portés par le mouvement de classe, après avoir pacifié les organisations ouvrières principales, ont entériné la collaboration avec l’impérialisme européen et américain pour Lulà, avec des régimes islamistes fascistes pour Chavez et d’autres. Leur rôle actuel est le combat perpétuel contre le combat révolutionnaire des masses, répression meurtrière du mouvement des sans-terre, tentatives d’écrasement des grèves contre la montée du prix des matières premières par Moralès. Ces régimes évoluent tous vers une main mise durable et autoritaire qui tend à se substituer à la démocratie de façade mise en place au départ.

    L’ensemble de ces régimes présente de manière de plus en plus accentuée au fil du temps des caractéristiques fascistes classiques, notamment une dimension antisémite, mais aussi un patriotisme exacerbé, la défense de la famille patriarcale traditionnelle, la répression des mouvements des minorités (??? en Équateur peut-être ? ou la "minorité" camba de Bolivie ?), le recours à des références religieuses ou messianiques (ça s'appelle la théologie de la libération : et alors ?).

    Dans ce type de régime, la clique au pouvoir développe d’ailleurs toujours les mêmes traits

    1./  Culte du chef, exaltation du dépassement individuel ; (???)

    2./ Culte de la nation et non de la race.

    3./ Soumission à l'économie de marché (pour tout ou partie de la population) et renforcement du corporatisme ;

    4./ Fonctionnement en parti unique non démocratique qui de confond avec l'appareil d’État (État total) ;

    5./ Désignation des boucs-émissaires (États étrangers, grandes familles de la finance...) (ah d'accord, dans un pays dominé et surexploité on n'a plus le droit de dénoncer l'impérialisme et l'oligarchie compradore...)

    6./ Refus de l'intellectualisation et de la culture (dite bourgeoise, n’admet pas la contradiction)

    7./ Recherche de conquêtes territoriales ou d'hégémonie hors frontière. ??????????


    Bref, les t-shirts rouges des rassemblements pro-Chavez sont les chemises noires de notre époque...

    C'est là une incapacité totale à voir les choses de manière dialectique.

    Les gouvernements "populaires", "bolivariens", "socialistes du 21e siècle" et autres "révolutions citoyennes" ne sont CERTES PAS des POUVOIRS POPULAIRES, la dictature démocratique et anti-impérialiste des 4 CLASSES (ouvrière, paysanne, petite-bourgeoise et bourgeoise nationale progressiste) sous la direction du Parti du prolétariat. Mais ces gouvernements ne font pas des compromis : ils SONT des compromis en eux-mêmes. Des compromis entre la classe dominante et le Peuple exploité, non pas gentiment accordés par la première, mais arrachés à elle par les seconds, par les LUTTES. Et ensuite ? Ensuite, tout est question de rapport de force, en un mot de dialectique.

    Bien sûr, les classes exploiteuses peuvent reprendre le dessus, reprendre le contrôle des institutions et de la politique gouvernementale. C'est ce qui s'est passé, ces dernières années, en Équateur, mais il faut dire que le président Rafael Correa n'est pas issu du mouvement populaire qui a précédé son élection (comme le syndicaliste paysan Morales, ou le sous-officier putschiste "de gauche" Chavez), mais bien des mêmes sphères de pouvoir que ledit mouvement combattait...

    Pour autant, ce n'est pas toujours le cas. En Bolivie, par exemple, il n'y a pas de Parti révolutionnaire (laissons de côté les groupuscules autoproclamés), cependant la classe ouvrière (des usines, des mines et des champs) est assez fortement organisée, dans les syndicats et les comités populaires de quartier. Elle s'est fortement structurée, en particulier, dans la résistance à l'offensive impérialiste dite "néolibérale" entre les années 80 et 2000. Et ainsi, lorsque le gouvernement "de gauche", incapable de faire face à la crise capitaliste mondiale, s'est retrouvé à devoir augmenter les prix de tous les produits de première nécessité, il s'est heurté à la résistance des masses populaires, et cette résistance n'a pas (ceci est totalement faux !) été brutalement noyée dans le sang : le gouvernement a dû reculer, essaye de manœuvrer, montrant que s'il est impuissant face à la conjoncture économique mondiale, il craint encore plus des masses populaires qui n'ont pas baissé la garde, ne se sont pas démobilisées ni démoralisées.

    C'est CE RAPPORT DE FORCE, uniquement mais totalement, que défend et a toujours défendu Servir le Peuple. Rien d'autre, mais rien de moins. Car SANS CE RAPPORT, toute proclamation du "Parti" du haut d'une chaire (généralement universitaire) n'est que fumisterie intellectuelle.

    Sans l'effervescence sociale qui régnait dans les campagnes du Pérou, après les espoirs et l'échec d'une suite de gouvernements (militaires) "de gauche", JAMAIS le professeur d'université Abimael Guzmán, dit Gonzalo, n'aurait pu déclencher la moindre Guerre populaire que ce soit. Voilà, par avance, la réponse à l'inévitable réplique : "Mais pour le rapport de force, il faut conquérir le pouvoir, sans le pouvoir tout est illusion, et pour cela il faut le Parti !".

    Oui, pour la (vraie) révolution, pour la prise de pouvoir (demain) des exploité-e-s d'aujourd'hui, il faut le Parti guidé par le marxisme de notre époque, le marxisme-léninisme-maoïsme. Mais pour l'instant, il n'existe pas et l'autoproclamer 15 fois n'y changera rien : le Parti ne peut prendre la direction que de masses populaires à la conscience révolutionnaire suffisamment développée. Cette conscience ne s'attend pas, bien entendu, les doigts de pied en éventail : les révolutionnaires, l'avant-garde du prolétariat, peuvent et doivent travailler à son développement. Mais pour cela, il faut prendre les masses telles qu'elles sont, avec leurs illusions réformistes, et les guider dans leur(s) rupture(s) avec ces illusions ; et non les prendre de manière aristocratique à coups de grandes déclarations de principes. La Guerre populaire au Pérou, c'était le résultat de 10 ANS de travail préalable, par des jeunes étudiants et intellectuels d'Ayacucho qui ont su aller aux masses, se fondre avec elles et y mener le travail révolutionnaire !!!

    De même en Inde : les maoïstes n'ont pas déclenché leur Guerre populaire en 2004 "comme ça" ; il y a eu auparavant (dans une lutte commencée en 1967) également 10 ou 15 ans de travail politique auprès des masses, dans un contexte de résistance virulente (paysanne, communautaire-traditionnelle...) contre l'offensive impérialiste "néolibérale". 

    Peut-on considérer éternellement, quand on se dit communiste, que les masses ne comprennent rien ? Non, bien sûr, et si les masses sont attirées par ces mouvements "bolivariens", comme par les organisations de résistance islamique au Proche-Orient (également citées), il y a une raison ! La raison, c'est que ces mouvements ont à un moment donné rompu le front de la Fin de l'Histoire : ce monde merveilleux chanté par Fukuyama, de l'impérialisme-roi sans la moindre remise en cause populaire, avec sa "mort du communisme" (chute du Mur), sa "mort de la libération arabe" (Oslo), sa "mort" de la libération africaine (fin de l'apartheid, élection de Mandela) et autres "règlements pacifiques" 100% au bénéfice de l'impérialisme. Quant aux drapeaux vert du Hamas et jaune du Hezbollah, ils sont tout simplement les drapeaux dont s'est emparée, le drapeau rouge étant en berne, la résistance populaire au Machrek ! Bien sûr, tout cela devra être dépassé, et l'on peut dire aujourd'hui que l'heure a sonné. Mais celui qui ne comprend pas ça, ne peut que donner des leçons du haut de sa chaire aristocratique ! 

    En tout cas, avec ces gouvernements "socialistes bolivariens" qui sont EN EUX-MÊMES un compromis avec les masses travailleuses exploitées, on est BIEN LOIN du fascisme qui est TOUT sauf un tel compromis... À la décharge de nos "red antifas", c'est également l'analyse erronée de bon nombre des "partis" ou "pré-partis" gauchistes intellectuels latinos précédemment évoqués. Mais depuis longtemps, la position de cette mouvance "antifa" est claire : le fascisme est un phénomène de gauche, voire d'extrême-gauche (sauf eux bien sûr). Encore mieux que les sectes trotskystes : là où le trotskyste qui n'est pas d'accord avec les deux autres (3 trotskystes = une scission) les qualifiera de "staliniens", eux qualifieront toute l'extrême-gauche sauf eux de pré-fasciste... De là aux "rouges-bruns-verts" d'une certaine propagande...

    Certes, il est historiquement vrai que le fascisme d'origine (italien) a puisé dans la gauche radicale : Mussolini venait du Parti socialiste (de son aile gauche, même) et beaucoup de syndicalistes révolutionnaires, de socialistes voire d'anarcho-syndicalistes ont pu se reconnaître dans son premier programme de 1919, républicain, anti-Église, anti-bourgeois et pour le partage de la terre... Mais deux ans plus tard, le Parti fasciste était une milice patronale et la plupart des primo-adhérents, venus de la gauche, étaient sur les barricades des Arditi del Popolo contre les Chemises noires. Cela, il ne faudrait pas oublier de le dire... Le nazisme, quant à lui, n'a AUCUNE FILIATION avec la tradition de la gauche allemande ; il s'inscrit clairement dans l'héritage du pangermanisme, du militarisme prussien, de l'antisémitisme petit-bourgeois philistin impulsé dès la fin du 19e siècle par la droite ultra-conservatrice luthérienne (tandis qu'à la même époque le mouvement socialiste d'August Bebel lui assénait la sentence définitive de "socialisme des imbéciles"...), du nietzschéisme, du "socialisme" féodal bismarckien et des milices anticommunistes Freikorps et Stahlhelm. 

    ENFIN, BIEN SÛR que Mélenchon et compagnie soutiennent avec sympathie les "bolivarismes" latinos ou encore Cuba. De même qu'ils sont des rabatteurs de travailleurs pour la "gauche" de la bourgeoisie monopoliste, ils sont des rabatteurs de bourgeois nationaux rebelles vers l'impérialisme, le leur, l'impérialisme BBR, en jouant de la "tradition révolutionnaire de la France" ("être français, c'est être révolutionnaire" dixit Cantonna, devenu l'idole de cette "gauche" avec ces mots). Une Françafrique sauce Mélenchon ramènerait ainsi certainement un Gbagbo dans le giron, et plus largement toutes les cliques de garde-chiourmes attirées par la "Chinafrique" (Mélenchon représente d'ailleurs la bourgeoisie BBR qui pense qu'il faut s'entendre avec la Chine, et non aller à la confrontation). Il pourrait faire profiter l'impérialisme BBR de la perte de vitesse US en Amérique latine, etc. Cela s'est toujours fait ! De Gaulle (avec son aura de résistant "antifasciste") n'essayait-il pas, à une époque, de jouer la Chine contre (à la fois) les USA et l'URSS ? Fallait-il alors qualifier la Chine révolutionnaire de Mao de... "social-fasciste" ??? Et ici, ce n'est même pas la question, puisqu'il n'est nullement question de soutien aux gouvernements mais au rapport de force créé par les masses (dont les gouvernements ne sont qu'une résultante).

    Le problème, et là où il faut être vigilants (nous les révolutionnaires), c'est que ces "soutiens" renforcent toujours la droite dans le camp qu'ils appuient. Comme pendant la guerre antifasciste d'Espagne : il est, en effet, FAUX de dire que la "gauche" bourgeoise SFIO-radicale hexagonale n'a pas soutenu la République d'outre-Pyrénées ; mais ce qui est vrai c'est qu'elle a renforcé la droite dans le camp républicain, notamment en faveur d'une guerre conventionnelle (contre les troupes d'élite de Franco !), et elle a mené celui-ci à la défaite (les Brigades internationales communistes n'ont pas pu contrebalancer cette influence). Si demain, quel que soit le pourrissement droitier de la "gauche" au pouvoir, une agression impérialiste ou une guerre civile réactionnaire frappe le Venezuela ou même l’Équateur, les SEULS VRAIS communistes seront ceux qui appelleront à des Brigades internationales. Les autres pourront aller dans les poubelles de l'histoire ! 

    Quant à l'extrême-droite, elle peut parfois "admirer" ces gouvernements, sur l'air de "eux, ils osent être patriotes !". Mais le moins que l'on puisse dire, et il suffit d'aller sur Fdesouche pour s'en convaincre, c'est que ça crisse à la base... Dans le soutien à ces leaders tiers-mondistes "basanés", point trop n'en faut !


    http://s2.lemde.fr/image/2010/12/28/600x300/1458611_3_d07e_a-la-paz-en-bolivie-des-manifestations-contre.jpg
    Colère populaire en Bolivie, contre la hausse des prix. Les masses n'ont rien perdu de leur combattivité !

     

    Construire l'ingouvernabilité pour la bourgeoisie, même planquée derrière un gouvernement petit-bourgeois "socialiste" !

    Obliger la petite-bourgeoisie "de gauche" à choisir son camp !

    Construire les Organisations Populaires et le Parti qui les mènera à la Victoire !

    Les masses font l'Histoire !

    LE POUVOIR AU PEUPLE !

     


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  • Dictadura-Militar-Argentina.jpgIl y a 34 ans, le 24 mars 1976, les militaires argentins dirigés par le général Jorge Rafael Videla prenaient le pouvoir en renversant le gouvernement incompétent d'Isabel Perón. L'Argentine plongeait alors pour 7 ans dans la nuit du pire fascisme. 

    Les militaires lancèrent une véritable guerre d'extermination contre les militants révolutionnaires et progressistes : arrêtés, enfermés dans des casernes militaires, torturés puis souvent exécutés extra-judiciairement - parfois jetés à la mer par hélicoptère : au total, 30.000 "disparus" (desaparecidos), 15.000 fusillés, 9.000 prisonniers politiques et 1,5 million d'exilés pour 30 millions d'habitants. Les tortures et les assassinats se déroulaient parfois à deux pas du stade où se tenait la Coupe du Monde de football en 1978... 

    Une opération directement inspirée de la bataille d'Alger, dont les méthodes furent enseignées par des spécialistes français à l'École militaire des Amériques à Panama - école où étaient formés la plupart des officiers du continent.

    Elle fut coordonnée avec les autres dictatures militaires fascistes du continent, dans le sinistre Plan Condor. L'Argentine avait été en effet, de 1973 à 1976, le seul pays de la région à ne pas connaître réellement de dictature militaire, et des militants de tous les pays voisins y avaient trouvé refuge... 

    Il est important, non seulement de rappeler ces faits relativement connus, mais de regarder également la période qui a précédé - et littéralement conduit - au coup d'État.

    dictadura_militar_argentina.jpgLe Parti communiste révolutionnaire (PCR) d'Argentine a abordé le souvenir de ce coup d’État et de la période qui a précédé dans son hebdomadaire en ligne Hoy. Nous en ferons le résumé aux lecteurs qui le souhaitent. Nous ne l'avons pas traduit, car nous sommes en partie en désaccord avec la position qui y est développée.

    Pour les camarades du PCR, qui s'accrochent à ce qui fut leur ligne à l'époque, le péronisme était un régime "bourgeois national" et "tiers-mondiste", un "rempart" contre le coup d'État. 

    SLP considère, au contraire, qu'il n'a fait qu'y conduire inexorablement, comme une locomotive fonçant droit contre un mur.

    Autant l'Unité Populaire d'Allende au Chili a péri par les tares de tout réformisme bourgeois, c'est à dire le refus de la mobilisation révolutionnaire de masse, le refus d'armer politiquement et militairement le Peuple et les illusions, la naïveté envers les institutions de l'État oligarchique, en particulier l'Armée (on pourrait faire le parallèle avec ce qu'il s'est passé dernièrement au Honduras) ; autant les forces fascistes du golpe étaient à l’œuvre directement dans le régime "Perón II".

    Car l'analyse marxiste-léniniste-maoïste du péronisme, qui n'a pas été menée en Argentine mais qui peut s'appuyer sur les travaux de Gonzalo sur l'APRA (au Pérou) ou sur ceux de Kaypakkaya sur le kémalisme en Turquie, est que le péronisme s'analyse comme un fascisme de projet capitaliste national. Comme le kémalisme, mais aussi comme l'APRA, le MNR en Bolivie ou le gétulisme au Brésil.

    peron12Il ne s'agit pas du tout d'une révolution démocratique anti-impérialiste, même dirigée par une bourgeoisie nationale appuyée sur les masses populaires.

    Mais bien, en réalité, d'une frange moderniste de la grande bourgeoisie urbaine et de la propriété foncière des campagnes, appuyée sur la bourgeoisie nationale, la petite-bourgeoisie et notamment les fonctionnaires, l'aristocratie ouvrière lorsqu'elle est présente (elle était très importante en Argentine : la fameuse bureaucratie syndicale), la paysannerie moyenne... Dans le projet de réaliser un capitalisme national indépendant des puissances impérialistes. Une des caractéristiques de ces régimes, qui permet de les démasquer, c'est qu'ils ne s'attaquent pas du tout à la semi-féodalité des campagnes, qui est une caractéristique de ces pays, sinon par des "réformes agraires" purement cosmétiques (distribution des terres en friche aux paysans pauvres, etc.).

    Et non seulement ce projet n'est pas celui des masses populaires, qui veulent la libération nationale et la révolution démocratique, mais il est irréalisable dans les conditions de l'impérialisme. En général, ces "populismes nationalistes" reviennent bien vite à la raison, et deviennent de nouvelles bourgeoisies bureaucratiques-compradores, dans un système de domination impérialiste modernisé. Ou bien, ils se tournent vers un impérialisme "rival" : dans les années 1930-40, ces expériences avaient de la sympathie pour l'Allemagne nazie ; à partir des années 1960 certaines se tournèrent vers l'URSS révisionniste... Ou, enfin, ils sont renversés. 

    C'est ce qui s'est produit avec "Perón I", le régime de Juan Domingo Perón entre 1946 et 1955. Épargnée par les guerres mondiales impérialistes, fournissant des matières premières et alimentaires au monde entier, l'Argentine s'était colossalement enrichie. Perón tenta donc, avec des éléments de la bourgeoisie et de l'agriculture extensive, de mettre en place ce capitalisme "indépendant", en s'appuyant sur les "descamisados", les masses populaires (par des mesures redistributives) mais, surtout, sur la bureaucratie syndicale, l'aristocratie ouvrière.

    cordobazo1Finalement, il se heurta à l'hostilité des États-Unis qui, appuyés sur l'oligarchie et les propriétaires terriens les plus réactionnaires, le renversèrent par un coup d'État en 1955. Il partit en exil... en Espagne franquiste.

    Pour Perón II, c'est autre chose. En réalité, la dictature militaire de 1976-1983 n'a été que la réédition, en 10 fois plus terroriste, de la dictature pile poil 10 ans avant : 1966-73 (général Ongania). Sous le nom (sans rire !) de "Révolution argentine", celle-ci avait déjà mis en place un régime d'inspiration national-catholique extrêmement brutal, Perón restant maintenu en exil - cependant la droite péroniste syndicale ou étudiante (CNU) soutenait (et appuyait même activement), dans une large mesure, la politique anticommuniste de la junte.

    cordobazo201969À partir de 1968-69, dans un contexte d'offensive générale de la révolution mondiale (avec la Révolution culturelle en Chine, la révolution cubaine, l'héroïque guerre du peuple vietnamien, les évènements en Europe et aux USA), la situation se tend et devient révolutionnaire. Le Cordobazo, vaste soulèvement populaire de la ville de Cordoba, éclate en mai 1969.

    À ce moment là, différentes forces révolutionnaires se détachent : le PCR maoïste (scission anti-révisionniste du PCA en 1968, rejettant notamment l'attitude de ce dernier envers la guérilla du Che en Bolivie), mais aussi le PRT-ERP inspiré du trotskysme, du guévarisme et des révolutions cubaine, chinoise et vietnamienne (un peu comme la LCR en France, et d'ailleurs proche - au début - de celle-ci), et des péronistes de gauche, les Montoneros, les Jeunesses péronistes (JP) et autres Forces armées révolutionnaires (FAR) ou Forces armées péronistes (FAP), qui s'affirment partisans d'un "péronisme révolutionnaire, populaire et anti-impérialiste", mêlé d'idéalisme guévariste et de théologie de la libération.

    À partir de 1970, ils passent (ainsi que l'ERP) à la lutte armée (Perón les soutient "moralement"). Pour l'oligarchie dominante, le retour de Perón commence à apparaître comme une soupape de sécurité.

    combattants-erp
    Combattant-e-s de l'ERP

    Les Montoneros et autres "péronistes de gauche" ne retenaient du péronisme que l'aspect "populaire", "social". Cette représentation du péronisme dans l'esprit des Argentins, surtout à l'époque, était une réalité. Il ne s'agit pas de la nier.

    Face au développement incontrôlable de la mobilisation populaire, du mouvement révolutionnaire de la jeunesse et du prolétariat, et des luttes armées, la junte de la "révolution argentine" finit par "lâcher du lest", et organiser le retour de Perón. Celui-ci (le vieux leader étant toujours interdit de séjour) passe d'abord par l'élection "libre", en mars 1973, d'un Evita-Campora-Peronpéroniste (plutôt "de gauche"), Hector Cámpora, appuyé d'ailleurs par le Parti "communiste" révisionniste et les sociaux-démocrates (mettant fin à près de 30 ans d'anti-péronisme "de gauche"). Cámpora libère les prisonniers politiques (plusieurs centaines), rétablit les relations diplomatiques et commerciales avec Cuba, et autorise immédiatement le retour de Perón et de son entourage, dans une atmosphère de grand espoir et de liesse populaire... C'est ce que la mémoire collective retiendra comme le printemps camporiste (bien que ce fut l'automne, dans l'hémisphère Sud...).

    Mais ces illusions volèrent en éclat (ou en tout cas, auraient dû) dès le retour de Perón après la victoire électorale de ses partisans : le 20 juin 1973, sur l'aéroport d'Ezeiza, alors que 4 millions de personnes sont réunies pour accueillir le vieux général, les péronistes de droite aux ordres de José López Rega (conseiller "personnel" de Perón, qui deviendra ministre du "Bien-être social") et encadrés par la bureaucratie syndicale et le néofasciste italien Stefano Delle Chiaie tirent sur les péronistes de gauche (Montoneros, Forces Armées Révolutionnaires et Jeunesses péronistes), faisant des dizaines de morts et des centaines de blessés. 

    En fait de "Perón II" (d'abord Perón lui-même - à presque 80 ans - jusqu'à sa mort en juillet 1974, puis sa veuve Isabel, politiquement inapte), le pouvoir fut alors celui de López Rega, le "secrétaire personnel" et conseiller intime. López Rega était l'homme de l'oligarchie, pour s'assurer justement que tout resterait "sous contrôle", que le nouveau péronisme ne serait qu'un repli tactique.

    lopez-rega
    De gauche à droite, Juan Perón, Isabel Perón et José López Rega

    À la tête d'une organisation paramilitaire, la Triple A (Alliance anticommuniste argentine), López Rega lutte contre les péronistes de gauche, l'ERP et tous les progressistes et les révolutionnaires. Pendant cette période, avant donc le coup d'État, on compte déjà 1500 morts et disparus. Avec la Concentración Nacional Universitaria (extrême-droite étudiante péroniste) et d'autres forces liées à la bureaucratie syndicale, les terroristes réactionnaires de la Triple A se "recycleront" très largement au service de la junte après 1976.

    Le deuil des illusions est difficile. Un parti "péroniste authentique" est créé en mars 1974, c'est "le péronisme sans Perón". Les péronistes de gauche quittent le navire un par un : le maître d’œuvre de la politique sociale Gelbard en novembre 1974, Hector Cámpora, etc...

    L'Argentine de 1975 est déjà en pré-dictature. Même si López Rega est écarté et nommé ambassadeur à Madrid, la politique de terreur se poursuit. Une opération d'extermination directement inspirée de la bataille d'Alger est lancée contre l'ERP dans la région de Tucumán. 

    Finalement, devant l'incapacité du pouvoir "constitutionnel" péroniste à apaiser les luttes populaires, comme à les écraser, l'oligarchie compradore-bureaucratique-terrateniente "reprend les choses en main" le 24 mars 1976, par l'Armée (le "parti militaire" des coups d'État de 1955, 1962 et 1966).

    On a parfois dit que, lorsque les généraux ont pris le pouvoir, il ne restait en fait plus de révolutionnaires combattants. C'est peu probable, mais ceux-ci étaient certainement très affaiblis.

    En réalité, toute la tragédie est que le golpe n'a trouvé face à lui aucune force ayant une ligne révolutionnaire correcte. Les péronistes de gauche étaient prisonniers de leurs illusions quant à la nature ("nationaliste et sociale", "anti-impérialiste") du péronisme. L'ERP s'inspirait d'un léninisme (dont Mao et Trotsky auraient chacun repris une partie de l'héritage, qu'il s'agissait de réunifier dans "un plein retour au léninisme"...) aux accents guévarisants, avec toutes les limites que cela pouvait impliquer : idéalisme, foquisme, tendance de l'armée (ERP) à prendre l'ascendant sur le Parti (PRT) - militarisme, à l'encontre du principe "la politique commande au fusil", etc. etc. Bien que "meilleure" (si l'on peut raisonner ainsi) organisation communiste du pays à cette époque, tentant de mettre en place nationalement un "Front anti-impérialiste pour le socialisme" (avec diverses forces marxistes-léninistes, trotskystes, "socialistes révolutionnaires" et péronistes de gauche) et au niveau de tout le "Cône Sud" du continent une Junte de Coordination Révolutionnaire (véritable "contre-Plan Condor"), elle ne pourra pas conjurer la tragédie et sera rapidement décimée au cours de l'été 1976.

    santucho
    Mario Roberto Santucho, leader du PRT-ERP

    Le PCR, quant à lui, se trompait totalement sur la nature "bourgeoise nationale" et "anti-impérialiste" du péronisme. De plus, il persistait à voir dans les projets de coup d'État la prédominance d'éléments pro-soviétiques...

    400px-Partido-comunista-revolucionario mural argentinaComme beaucoup d'organisations pro-chinoises dans le monde à cette époque, mais ici jusqu'à la caricature, ils étaient prisonniers de la "théorie des trois monde" impulsée alors par la droite du PC Chinois (Deng Xiaoping), et qui faisait de l'URSS "l'ennemi principal".

    De fait, ni le régime d'Isabel Perón ni aucune des forces "combattantes de gauche" n'étaient pro-soviétiques, et même plutôt anti-soviétiques. L'URSS (et le PCA, ultra-révisionniste depuis les années 1930) a donc accueilli le coup d'État (et ses préparatifs) avec indifférence, considérant que ses intérêts n'en seraient pas affectés. De même que, face à une guérilla maoïste et anti-soviétique (la NPA), les Soviétiques n'étaient pas hostiles à la dictature de Marcos aux Philippines. Plus tard, l'Argentine sera même un partenaire commercial de premier plan pour l'URSS, en particulier au moment des "sanctions" suite à l'invasion de l'Afghanistan. Le PCA aura même une position ignoble sur la junte, opérant une distinction entre... "modérés" et "pinochétistes" !!!!

    Junta Militar Argentine 1976Mais en réalité, le règne de terreur de 1976-83 a bien été une réédition, en pire, de la "révolution argentine" de 1966-73, d'inspiration national-catholique et terroriste génocidaire, formée à l'École de Amériques : un fascisme comprador derrière lequel la main de la CIA ne fait aucun doute. La main de la CIA, et celle de "l'école française", celle de la "bataille d'Alger" transposée à l'École militaire des Amériques de Panama ! Les relations de la junte avec l'impérialisme français seront profondes : envoi d'experts en contre-insurrection, anciens d'Algérie ; ventes d'armes (Super Étendards, missiles Exocet, qui seront utilisés dans la guerre des Malouines) ; soutien diplomatique - par exemple lors des appels au boycott de la Coupe du Monde de foot (1978), etc.

    Tout en mettant en œuvre les théories néolibérales des Chicago Boys avec le sinistre Martínez de Hoz, les militaires fascistes ont décimé les forces populaires du pays et cette extermination s'est encore ressentie lors de la situation révolutionnaire de fin décembre 2001 - été 2002 : il n'y avait pas de force suffisamment nombreuse et organisée pour se mettre à la tête de la guerre de classe.

    madres_plaza_mayo.jpgPar la suite, pris dans la surenchère nationaliste, ils attaquèrent l'Angleterre aux Malouines (1982). Bien sûr, l'Angleterre était un allié plus important pour les États-Unis que l'Argentine : lâchée, la junte dut céder le pouvoir aux civils l'année suivante. Depuis, ceux-ci, d'abord Alfonsín et ensuite Menem, ont mis en œuvre les politiques néolibérales dictées par le FMI.

    Les assassins du Peuple n'ont, dans l'ensemble (à part des seconds couteaux), jamais été mis en cause, ou n'ont été jugés que pour être aussitôt amnistiés.

    Suite au coup de tonnerre de 2001-2002, le pays est dirigé par les époux Kirchner, péronistes "de gauche" : un régime de "centre-gauche", social-libéral qui, tout en dénonçant mollement l'hégémonie US, est lié aux intérêts impérialistes européens (comme le Brésil de Lula, le Chili de Bachelet...).

    La seule justice qu'il soit aujourd'hui possible de rendre aux milliers de morts et de "disparus", c'est la révolution !

    À bas l'impérialisme, à bas tous les fascisme compradores !

    Guerre populaire pour la révolution démocratique, anti-impérialiste, ininterrompue jusqu'au communisme !

    maoist painting 


    Un document réformiste-pacifiste, mais intéressant : Source


    Le processus de « Réorganisation Nationale »


    Dès le 24 mars 1976, la junte militaire dissout le parlement, remplace la Cour suprême et entame un processus de « Réorganisation Nationale ». Ayant ainsi écarté toute institution démocratique, la junte gouverne seule, au moyen de décrets. Le 24 mars, elle ordonne la suspension de toute activité politique et décide d’interdire cinq partis (le Parti Communiste Révolutionnaire, le Parti Socialiste des Travailleurs [de Nahuel Moreno, NDLR], le Parti Politique des Travailleurs [NDLR : vraisemblablement Política Obrera, ancêtre du Parti ouvrier, trotskyste], le Parti Trotskyste des Travailleurs [NDLR : vraisemblablement le PRT-ERP, plus du tout trotskyste à cette époque mais bon...] et le Parti Communiste Marxiste-Léniniste) ainsi que les « 62 Organisations », coalition composée notamment de divers syndicats. Le même jour, elle rétablit la peine de mort pour certaines activités qualifiées de « subversives » et aggrave les peines sanctionnant différentes actions politiques. Des « Principes et Procédures » sont établis pour limiter l’activité journalistique et censurer la presse. En outre, le 29 mars, la junte suspend le droit d’option . La junte entreprend, en partie grâce à ces nouvelles lois, une véritable « guerre contre-révolutionnaire ». Les plus hauts responsables de la junte, dont le Président et Commandant en Chef Videla lui-même, n’hésitent pas à annoncer qu’ils procèderont à « l’annihilation » de la subversion, dans une optique de « guerre totale ».

    Une répression chaque fois plus drastique et généralisée

    Parallèlement, la répression s’intensifie, principalement envers les activistes politiques ou syndicaux, des avocats, et des personnes impliquées dans des organisations religieuses. Des milliers de personnes sont enlevées, emprisonnées sans procès, torturées et maintenues dans des camps de concentration. La grande majorité de ces personnes disparaissent sans laisser de trace, leurs corps n’étant que rarement retrouvés. Au début de la dictature, il est de ce fait difficile de se rendre compte de l’ampleur de la répression, et l’on conçoit mal ce qui arrive aux disparus, même si de nombreux enlèvements se font en plein jour et si les ‘Ford Falcon’ vertes, du même modèle que les voitures militaires et les voitures de police, se déplacent en convoi à travers le pays pour des kidnappings en masse. De nombreux enfants sont également enlevés avec leurs parents et seront parfois adoptés par la suite, crimes donnant naissance aux Grands-Mères de la place de Mai qui s’efforceront, jusqu’à aujourd’hui encore, de retrouver leurs petits-enfants disparus avec leurs parents. On compte entre dix et trente mille disparus, ainsi que dix mille prisonniers politiques dès 1976. La situation reste assez méconnue en Argentine même et à l’étranger jusqu’en 1978 du fait de la stratégie de discrétion adoptée par la junte.

    Quelle position de la France ?

    Les réactions de la communauté internationale face à la dictature argentine sont, de ce fait, moins vives qu’elles ne l’ont été pour le Chili. La France, qui lors du coup d’état chilien avait ouvert les portes de son ambassade à Santiago pour accueillir des réfugiés, ne démontre pas ce genre d’engagement au début de la dictature argentine. La position de la France demeure quelques temps ambiguë. Selon certains, comme Marie-Monique Robin, auteur d’un film et d’un livre intitulés tous deux Escadrons de la mort : l’école française, l’armée française a participé au début des années 1960 à la formation des cadres militaires argentins dont certains sont devenus des tortionnaires, et des contacts se seraient maintenus. La mission de coopération militaire française, qui comprend des officiers anciens de la guerre d’Algérie, installée à Buenos-Aires en 1959 y est demeurée jusqu’en 1981. Selon ce film, « l’ordre de bataille de mars 1976 est une copie de la bataille d’Algérie » : le quadrillage du territoire argentin (un général contrôlant chaque zone) et les tortures rappellent les méthodes de certains militaires français en Indochine et en Algérie. Dans les années 1950, les méthodes utilisées pendant la Bataille d’Alger avaient été enseignées à des officiers argentins au sein de l’Ecole supérieure de la guerre de Paris. En 1959, l’Etat-major argentin a financé la venue d’experts français pour que ceux-ci forment des militaires argentins dans le cadre de la « guerre anti-subversive ».

    Il y a débat sur le contenu et le niveau de la coopération entre militaires et forces de police françaises et argentines entre 1976 et 1981. Le député Roland Blum, auteur en décembre 2003 d’un rapport sur « le rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires d’Amérique latine entre 1973 et 1984 » affirme ainsi que « l’attitude de la France à l’égard de cette période sombre a été, et reste, dépourvue de toute ambiguïté, comme l’avait montré par exemple la décision prise de relever immédiatement de ses fonctions l’attaché militaire français en Argentine qui avait déclaré publiquement sa compréhension à l’égard de la Junte. Certes il n’est pas inenvisageable que des personnes de nationalité française aient pu participer à des activités de répression, mais si cela a été le cas, ce fut à titre individuel : de tels comportements ne relevant alors pas d’une commission d’enquête, mais de la justice. […] Les allégations reposent en effet largement sur des raccourcis discutables liés à la prétendue invention par l’armée française du concept de ‘guerre subversive’ ».

    L’attitude du personnel de l’ambassade évolue à partir de 1978 : elle soustrait aux militaires M. Dousdebes, qui, emprisonné de 1976 à 1978 pour activités subversives, risquait de se faire enlever et de disparaître. Il demeure caché dans les locaux de l’ambassade durant un an, le temps que l’ambassade parvienne à organiser son départ vers la France, où il obtiendra le statut de réfugié en 1979. L’aide du consul général, qui a œuvré au transfert de M. Dousdebes vers l’ambassade, puis de l’ambassadeur, de ses conseillers mais aussi d’agents de recrutement local (lui apportant à manger) éclaire d’un jour intéressant le rôle complexe joué par l’ambassade durant la dictature. De même Mme Morel-Caputo, vice-consul à Buenos-Aires au début des années 1980, témoigne quant à elle que « sous la dictature [elle] a vécu, aux côtés de [son] mari, M. Dante Caputo, la lutte politique clandestine d’un groupe de jeunes intellectuels, sociologues et avocats, regroupés autour de CISEA, Centre de Recherche sur l’Etat et l’Administration, ayant fait souvent des études doctorales en France. »

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     Article de Rue 89 (social-démocrate) :

    Argentine : l'Esma, centre de torture devenu lieu de mémoire


    Alors que la justice argentine prépare pour octobre le « méga-procès » des tortionnaires qui sévirent pendant la dictature militaire (1976-1983) à l’École supérieure de mécanique de la marine (Esma), les locaux de cette « usine de mort », désormais administrés par des défenseurs des droits de l'homme, se transforment en un lieu de mémoire et d'hommage aux victimes. Récit d'une visite bouleversante.

    Une affiche contre la torture en Argentine réalisée par le COBA en 1978 (DR).Début 1978, nous étions des dizaines de milliers, en France, à nous mobiliser contre le « Mundial » de football qui devait se dérouler en Argentine, derrière le slogan : « On ne joue pas au football à côté des centres de torture. » Nous écrivions alors :

    « L'équipe de France de football jouera-t-elle à 800 mètres du pire centre de torture du pays ? C'est en effet la distance qui sépare le stade de River Plate (…) de l'Escuela de Mecánica de la Armada (École de mécanique de la Marine), siège du sinistre “grupo de tareas 3.3”, véritable Gestapo argentine composée de 314 officiers et soldats de la Marine. Depuis deux ans que ce groupement sévit, des centaines d'hommes et de femmes y ont été atrocement suppliciés, brûlés au chalumeau, coupés vifs à la scie électrique, écorchés vivants, etc… »

    Notre campagne n'empêcha pas l'équipe de France de participer au « Mundial », mais son écho fut important. Aussi, on imagine mon émotion quand, trente et un ans après, par une belle journée d'avril à Buenos Aires, j'ai pu visiter cette « usine de mort » de l'Esma, devenue aujourd'hui l'Espace pour la mémoire et pour la promotion et la défense des droits de l'homme.

    La transformation d'un lieu de torture en lieu de mémoire

    L'endroit surprend : longeant la très fréquentée avenue Libertador, c'est un immense parc arboré de 17 hectares, abritant 34 bâtiments dont certains furent longtemps des écoles de formation pour les élèves officiers de la Marine.

    L'Esma à Buenos Aires, un centre de torture devenu «musée de la mémoire» (Espacio para la memoria).Eduardo Jozami m'a permis cette visite -le site n'est pas encore complètement ouvert au public. Lui-même, à l'époque militant de l'organisation péroniste des Montoneros, a passé toutes les années de la dictature en prison. Sa femme, qui fut torturée comme il l'a été, est l'une des rares survivantes de l'Esma. Il dirige aujourd'hui le Centre culturel Haroldo Conti (du nom du célèbre écrivain argentin, « disparu » en 1976), qui occupe l'un des bâtiments de l'Esma.

    Le 24 mars 2004 : le président Nestor Kirchner, répondant enfin à l'extraordinaire mobilisation, depuis 1977, des mères et grands-mères de « disparus » (puis des enfants), a annoncé que ce lieu serait désormais un « musée de la mémoire ». La cérémonie sur les lieux fut bouleversante, comme en témoigne le documentaire « Esma, museo de la memoria », du réalisateur Román Lejtman. Mais il a fallu attendre plus de trois ans pour que la Marine argentine accepte enfin de quitter l'Esma.

    Les organisations des droits de l'homme ont depuis réalisé un formidable travail, que j'ai découvert en ce jour d'avril avec la visite guidée de « Luz », jeune femme passionnée et compétente. Elle guide notre petit groupe vers l'immeuble du « Casino de oficiales », bâtisse banale qui abritait un « salon doré » (où se réunissaient les officiers) et deux étages de chambres pour les élèves officiers. Mais aussi, pendant plus de sept ans, les lieux de torture et de détention des « disparus ».

    Enlevés clandestinement par les agents des « grupos de tareas » 3.3.1 et 3.3.2, ils étaient d'abord emmenés dans la cave (le « sótano ») située sous le salon doré (lieu de planification des enlèvements) : une salle de 120 mètres carrés environ, mal éclairée par de petits vasistas et subdivisée en cellules, équipée pour les séances de torture (gégène, sonorisation musicale pour étouffer les cris…) et comprenant une infirmerie.

    En 1977, y furent également installés une imprimerie et un labo photo -où des détenus ont dû travailler-, destinés à produire de faux documents et du matériel d'« action psychologique » élaborés par le service de renseignements de la Marine pour des actions de propagande.

    En bref, le sótano était un extraordinaire concentré de ce qu'a produit de pire la fameuse « doctrine de la guerre révolutionnaire » élaborée dans les années 1950 par des officiers français en Indochine et mise en œuvre lors de la guerre d'Algérie : une doctrine reprise et appliquée par les militaires argentins lors de la « sale guerre » des années 1976-1983, comme l'a révélé en 2004 la journaliste Marie-Monique Robin dans son film puis dans son livre « Escadrons de la mort, l'école française ».

    5 000 « disparus » dans cette usine de mort

    Les « disparus », entre les séances de torture, étaient détenus dans des cellules (toujours éclairées) situées sous les combles, au troisième étage, un sinistre grenier appelé « capucha » : ils avaient en permanence les yeux bandés, une cagoule sur la tête, les jambes entravées. A côté, d'autres locaux, dont une « maternité », où les détenues enceintes accouchaient : elles étaient ensuite assassinées, des familles de militaires ou de policiers tortionnaires s'appropriant leurs bébés -vingt ou trente ans plus tard, nombre de ces enfants découvriront la vérité sur leur origine, avec les traumatismes que l'on imagine.

    De mars 1976 à novembre 1983, quelque 5 000 « disparus » (sur les 30 000 imputés à la dictature) ont transité dans ces lieux de mort. Deux cents à peine ont survécu, dont certains de ceux qui faisaient l'objet d'un « programme de récupération » visant à les retourner. Certains sont morts sous la torture -leur corps étant brûlé dans le stade militaire attenant à l'Esma. 

    http://asset.rue89.com/files/imagecache/asset_wizard_vignette/files/PascalRich/2009_05_18_elvuelvo.pngLa plupart ont fait l'objet d'un « transfert », comme c'était la règle dans les 340 centres de détention clandestins de l'armée, dont l'Esma était le plus important : chaque mercredi, des détenu(e)s étaient « prélevé(e)s » au Casino de oficiales, emmené(e)s à l'infirmerie où une piqûre d'anesthésique les endormait, avant d'être transféré(e)s dans un avion, d'où ils/elles étaient jeté(e)s dans les eaux du Rio de la Plata, lors des « vols de la mort » -dont le journaliste Horacio Verbitsky a fait le récit dans son fameux livre El Vuelo.

    Une expérience unique et exemplaire de « justice transitionnelle »

    On ne sort pas indemne de cette visite. Les lieux, vides, ne sont plus exactement ceux d'hier. Mais partout, sans le moindre voyeurisme, de discrets panneaux donnent au visiteur des explications précises et des extraits de témoignages de survivants. Un admirable travail de mémoire : les âmes volées de ces milliers de jeunes femmes et de jeunes hommes « disparus » sont là, avec vous.

    Et vous ne pouvez oublier que, durant toutes ces années-là, ils ont fugacement « cohabité » dans le même immeuble -à deux pas de l'une des avenues les plus passantes de la capitale argentine- avec leurs tortionnaires et leurs assassins, mais aussi avec les simples élèves officiers qui croisaient dans les escaliers les loques humaines remontées du « sótano » à « Capucha »…

    L'« Espace pour la mémoire » est une expérience unique. Dans nombre d'autres pays dont les populations ont également souffert des « sales guerres » de la seconde moitié du XXe siècle (Afrique du Sud, Maroc, Guatemala, Colombie, Algérie…), les processus de « justice transitionnelle » sont plus ou moins téléguidés par des régimes complaisants face aux crimes du passé : ils sont au mieux préoccupés par l'établissement de la vérité et en tout cas beaucoup moins par la justice, visant à sanctionner, sinon tous les criminels et leurs complices passifs, du moins les principaux organisateurs de la barbarie.

    C'est précisément ce qu'a commencé à faire la justice argentine depuis 2007, en enchaînant de vrais procès des généraux organisateurs des disparitions et de la torture, après que les habituelles lois d'amnistie ont été abrogées.

    Et cela, on ne le dira jamais assez, grâce à la lutte obstinée, si longtemps restée inaudible, des familles des victimes. D'où l'importance de saluer le travail que font aujourd'hui, dans une indifférence du reste du monde qui me révolte autant qu'hier celle des spectateurs béats du Mundial de 1978, les militants de l'espoir occupés à transformer l'Esma en lieu de mémoire.

    Photos : une affiche contre la torture en Argentine réalisée par
    le COBA en 1978
    (DR). La façade de l'Esma (Espacio para la memoria). La jaquette du livre « El Vuelo » d'Horacio Verbitsky (DR).


    Le documentaire français "Escadrons de la mort : l'école française" peut être visionné ici :


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  • Nous avons dernièrement fait état des "bruits de bottes" entre la Colombie et la Venezuela. Cette affaire n'est qu'un énième épisode du bras de fer entre l'impérialisme américain et ses régimes laquais réactionnaires (Colombie, Pérou, Mexique) d'une part, et les régimes de gauche "radicale" (Venezuela, Bolivie, Équateur, Cuba) d'autre part, sous le regard désemparé de la gauche "modérée" (Brésil, Argentine, Chili, Uruguay...).

    C'est l'occasion pour nous de clarifier notre position, que certains voudraient qualifier d'"opportuniste", voire de "suppôt de l'impérialisme européen" (qui a profité du recul de l'impérialisme US dans ces pays), ou du "nouveau social-impérialisme" (vu les liens entre l'ALBA et la Russie, la Chine, l'Iran etc.).

    Les États "bolivariens" ne sont pas socialistes ; ils ne construisent pas le socialisme. Notre position là-dessus est absolument claire. Et aucune "transformation", "de l'intérieur", en "socialisme" n'est possible ni envisageable. En définitive, TOUTE LA QUESTION EST LÀ : bien des transitions socialistes (du capitalisme vers le communisme), ne serait-ce que... la russe ou encore la chinoise, ont commencé (comme avec la NEP en URSS) par des mélanges de capitalisme d’État, de petite production coopérative et de "petit" (pas si petit parfois, sous la NEP notamment !) capitalisme privé tout à fait similaires à ce que nous pouvons avoir au Venezuela en ce moment. Mais TOUTE LA DIFFÉRENCE tient au fait que l'objectif était alors d'ALLER VERS LE COMMUNISME : c'est cet objectif conscient et planifié d'aller vers le communisme qui caractérise le socialisme (qui n'est pas un mode de production en soi) et c'est lorsque cet objectif est plus ou moins ouvertement abandonné que l'on parle de contre-révolution révisionniste. L'objectif de la "révolution bolivarienne" au Venezuela n'est pas d'aller vers le communisme : elle parle d'"avancer dans le socialisme" et sa définition du socialisme ne correspond ni à ce que les marxistes appellent le communisme, ni à une quelconque véritable étape de la transition socialiste vers celui-ci. Cela tient tout simplement au fait que la "révolution bolivarienne" n'est absolument pas DIRIGÉE par un Parti communiste représentant le prolétariat (éventuellement allié avec d'autres classes), mais par une fraction de la bourgeoisie en "rébellion" contre le grand impérialisme de tutelle (l'impérialisme occidental principalement US) et "sensible" à la question sociale (qu'elle est obligée, nous le verrons plus loin, de "chevaucher").

    Une fraction de la bourgeoisie dont la démarche s'inscrit, en fait, dans l'une des trois grandes contradictions des pays semi-coloniaux que sont le Venezuela, la Bolivie ou l'Équateur : la contradiction entre le caractère national de la production et la SUR-APPROPRIATION IMPÉRIALISTE du produit [les deux autres étant, pour info, celle entre les aspects résiduels de féodalité (on parle de pays semi-féodaux) comme notamment (surtout) le problème de la propriété de la terre, et les masses laborieuses du Peuple ; et celle (bien sûr) entre Capital et Travail, production salariée et appropriation capitaliste de la plus-value, caractère social de la production et appropriation privée inégalitaire du produit, bref la contradiction centrale du capitalisme].

    Cette fraction bourgeoise "bolivarienne" cherche en fait à "rééquilibrer" en sa faveur l'appropriation du produit national, en réduisant la part de la sur-appropriation impérialiste. Ces États "bolivariens" ne sont donc pas sous la direction du prolétariat (ouvrier et agricole) et des masses populaires (paysannerie pauvre, petite bourgeoisie...). Or seule la direction du prolétariat, à la tête des masses populaires, peut permettre de transformer une révolution démocratique en révolution socialiste de manière ininterrompue.

    C'est là notre grande différence avec les trotskystes de La Riposte (les autres, NPA compris, restant plutôt fidèles à l'hostilité de principe envers les bourgeoisies nationales). Pour les amis d'Alan Woods (La Riposte est membre de la Tendance Marxiste Internationale), qui militent dans des partis sociaux-démocrates (La Riposte est au PCF), la "pression populaire", à condition qu'elle ne se relâche pas, peut suffire à elle seule à faire tranquilou du "bolivarisme" un "socialisme du XXIe siècle"...

    Un socialisme "démocratique" ("pas comme les 'caricatures' du XXe siècle"...), sans heurts, et surtout sans dictature du prolétariat. Car là est le fond idéologique de cette "Tendance" fondamentalement menchévique.

    Le "bolivarisme" est donc, tout simplement, un processus réformiste bourgeois. Processus qui atteindra tôt ou tard (sans doute plus tôt que tard vu l'actualité au Nicaragua ou en Équateur) ses limites, et cessera de jouer un rôle progressiste pour jouer un rôle réactionnaire.

    Mais ce processus ne tombe pas non plus du ciel, il n'est pas le fruit d'une simple "lutte" modernisatrice au sein de la grande bourgeoisie et de l'oligarchie terrienne. C'est là notre grande différence, cette fois, avec le Mouvement Populaire Pérou (et d'autres petites organisations MLM du continent) qui appliquent là mécaniquement les thèses de Gonzalo (Abimaël Guzman) et d'autres maoïstes latino-américains sur l'APRA du Pérou, le MNR bolivien, le péronisme en Argentine... Thèses selon lesquelles ces mouvements "nationalistes populistes de gauche" seraient en réalité "fascistes", pures "modernisations du capitalisme bureaucratique semi-colonial semi-féodal".

    Non, ce processus est aussi le fruit d'un rapport de force créé par les masses populaires : caracazo vénézuelien (1989) et ses suites, jusqu'à l'ingouvernabilité totale par le "bipartisme unique" AD-COPEI à la fin des années 90 ; "guerre de l'eau" (2000) et "guerre du gaz" (2003) en Bolivie ; mouvements populaires indigènes (2000-2005) en Équateur etc. Un rapport de force instauré par les masses au maximum de leurs possibilités du moment sur le continent, que la bourgeoisie voulant (comme on l'a vu supra) "rééquilibrer" sa position face à la surexploitation impérialiste est obligée de chevaucher pour espérer atteindre ses buts, et qui ouvre des perspectives en termes de conquêtes démocratiques et sociales, de conscience et d'optimisme révolutionnaire, d'organisation etc.

    Partant de là, si la réaction oligarchique-fasciste locale et impérialiste US s'attaque au processus, promettant l'exil ou la prison aux dirigeants et la mort, la misère et la répression au Peuple, est-ce qu'"on s'en fout", puisque de toute façon "ils se valent tous" ? BIEN SÛR QUE NON !

    La position des communistes, du camp du Peuple, est la défense de ce rapport de force instauré par les masses contre l'impérialisme et l'oligarchie "néolibérale" (ultra-compradore), de ce que nous pouvons appeler le fait populaire bolivarien, et du "processus" qui en est le fruit.

    [Un autre critère très "bête" pour ce qui est de critiquer/attaquer ce type de régimes ("bourgeois", "social-fascistes" ou tout ce que l'on voudra), pourrait aussi être tout simplement de le faire dans une perspective et avec une stratégie claire, en sachant où l'on va : si la ligne de démarcation ainsi tracée donne lieu à un saut qualitatif vers quelque chose de grandiose, comme le Parti communiste du Pérou qui s'est en grande partie forgé contre la junte militaire réformiste et pro-soviétique de Velasco Alvarado et le soutien de la gauche et de la plupart des autres "Partis communistes" à celle-ci (mais qui, on le notera aussi, n'a pas déclenché sa Guerre populaire à ce moment-là, mais au moment du retour au pouvoir de la droite oligarchique et néolibérale...), alors OUI ; mais si c'est pour faire de la merde parce qu'on a de toute façon une ligne politique pourrie, comme les hoxhistes vénézuéliens de "Bandera Roja" contre Chávez ou burkinabés ("voltaïques", pardon !) du PCRV contre Sankara, et ne servir au final que l'offensive impérialiste réactionnaire contre ces pays, alors non !]

    Cette position n'est pas nouvelle, elle n'est pas une invention de notre cerveau fertile. C'était la position de l'Internationale Communiste sur la République (bourgeoise) espagnole dans les années 1930.

    Déjà à l'époque, les trotskystes (POUM) et certains anarchistes (les "Amis de Durruti") prônaient la guerre sur deux fronts, à la fois contre les réactionnaires-fascistes de Franco et la République bourgeoise. On connaît le résultat !

    Il n'est pas surprenant de voir des groupuscules petits-bourgeois gauchistes, prétendument "MLM", adopter aujourd'hui cette position. Il est plus décevant de voir le PC du Pérou (en tout cas son "organisation générée" à l'étranger, le MPP) et d'autres MLM sincères tomber dans ce type d'analyse dogmatique et contre-productive.

    Oui, la bourgeoisie "bolivarienne", mélange de bourgeoisie nationale et de secteurs "dissidents" de la grande bourgeoisie liée à l'impérialisme, est inféodée à l'impérialisme russe, à la Chine, dans une certaine mesure aux impérialismes européens ainsi qu'aux expansionnismes "émergents" du continent - Brésil, Argentine etc. Exactement comme la bourgeoisie républicaine espagnole était soutenue* par l'impérialisme français dirigé par la bourgeoisie "de gauche" de Léon Blum, par l'impérialisme américain "de gauche" de Roosevelt voire (dans une moindre mesure) par l'impérialisme britannique, ou encore par le Mexique du PRI (régime "moderniste" national-révolutionnaire bourgeois, semblable au kémalisme turc), contre les visées impérialistes de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste (* un soutien "mou" certes, et favorisant toujours la "droite" du camp républicain).

    Mais pour les Peuples de ces pays, NOTRE CAMP, l'ennemi principal reste la réaction de droite et d'extrême-droite et ses "parrains" des secteurs ultra-réactionnaires de la bourgeoisie monopoliste US et européenne. L'impérialisme yanqui est et a toujours été défini comme l'ennemi principal des Peuples d'Amérique latine par le mouvement communiste de ce continent, à de rares exceptions près ("communistes" ultra-révisionnistes argentins anti-Perón) et Y COMPRIS Gonzalo lui-même, "pensée-guide" du Parti communiste du Pérou et référence absolue de nos ultra-gauchistes pourfendeurs du "bolivarisme" comme "fascisme", n'a jamais dit d'autre chose : "En ce XXème siècle un impérialisme nous domine, c'est principalement l'impérialisme nord-américain" (ici par exemple). Le Parti communiste (maoïste) du Pérou qui, dans un document de 1988, expliquait bien clairement que pour analyser correctement une situation et non parler dans le vent, il faut définir correctement qui est l'ennemi principal du Peuple à tel endroit et tel moment donné (sans pour autant tomber dans "l'ennemi de mon ennemi est mon ami") : "Nous, nous luttons contre l'impérialisme américain, contre la féodalité et contre le capitalisme bureaucratique, mais nous ne pouvons permettre que le social-impérialisme ou une autre puissance les remplacent. En Afghanistan, l'agression directe est le fait du social-impérialisme russe qui lutte pour l'hégémonie contre l'impérialisme yankee, d'autres puissances occidentales et contre la Chine. Là-bas, il faut lutter contre le social-impérialisme, l'ennemi principal et ne pas permettre que pénètre la domination impérialiste américaine, ni celle d'autres puissances". Partant de ce raisonnement, lorsque l'impérialisme US (et de forts courants impérialistes européens) téléguide une tentative de coup d’État (2002) puis enchaîne sur des années de déstabilisation par tous les moyens au Venezuela, allume les foyers de la guerre civile en Bolivie et finalement fait perpétrer un coup d’État au Honduras, quelles conclusions doit-on donc en tirer ?

    En définitive, nous avons là une vieille contradiction historique que l'on retrouve dans tous les nationalismes et/ou réformismes/"modernismes" "radicaux" tels que le péronisme argentin, l'Unité populaire chilienne, le nationalisme arabe et même dans une certaine mesure l'islam politique dans les pays musulmans : la contradiction entre ce qui est (réformisme/modernisation "radical(e)" et/ou nationalisme bourgeois) et ce que croient les masses. Faut-il en déduire que ce que croient les masses est incapable, en aucune circonstance, de devenir une FORCE MATÉRIELLE jouant un rôle positif (c'est-à-dire nuisible à l'ordre impérialiste mondial) ? Rien n'est moins certain et c'est la raison pour laquelle les réformistes/modernistes/nationalistes bourgeois (et leurs soutiens impérialistes/expansionnistes) cherchent à tout prix à contrôler ce "fait populaire bolivarien", et l'impérialisme US lésé à l'écraser.

    Oui, le "bolivarisme" est un réformisme bourgeois, qui tôt ou tard deviendra réactionnaire, et que le Peuple aura à combattre. Mais ce moment n'est pas encore arrivé*.

    Pour l'instant, en cas d'offensive réactionnaire oligarcho-fasciste, nous soutenons sans conditions le fait populaire bolivarien et le gouvernement bourgeois réformiste qui en est le fruit. En cas de contradictions entre le "bolivarisme" bourgeois et les masses populaires, bien entendu nous soutenons le Peuple, comme le montrent nos articles sur le mouvement en Équateur contre la privatisation pseudo-étatique des ressources naturelles.

    TELLE EST LA POSITION COMMUNISTE : LE CAMP DU PEUPLE !


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    [* Article rédigé fin 2009... Le moment est à présent arrivé,
    notamment avec la livraison par Chavez de militant-e-s révolutionnaires (basques ou colombien-ne-s) à leurs États réactionnaires respectifs, ou son rejet honteux des révoltes populaires arabes ; la rupture croissante entre les gouvernements Correa (Équateur) ou Morales (Bolivie) et les masses populaires, etc. Cependant, en cas d'offensive réactionnaire terroriste, notre position de soutien inconditionnel, non au gouvernement en tant que tel, mais aux MASSES contre le massacre promis, reste entière.]

    Voir aussi les articles : Discussion sur la "gauche" en Amérique latine et la bourgeoisie bureaucratique et Retour sur la situation en Amérique du Sud 

    Très intéressant et complet également : Derrière le « virage à gauche » et De l'anti-impérialisme à la révolution, sur le site du PCR du Canada.

    Pour une bonne compréhension actuelle (2013-2014) et historique (depuis 1998) du fait socio-politique "bolivarien", de sa nature, ses rapports de force et ses contradictions, lire les EXCELLENTES analyses (de l'intérieur !) du Mouvement Guévariste Révolutionnaire vénézuélien traduites pas nos soins : Le Venezuela a besoin d'une véritable révolution et sur la liquidation finale (2014) du "processus" et la nécessaire reprise du sentier de la lutte par les authentiques révolutionnaires : Nouveaux textes guévaristes sur la situation au Venezuela

    Ou encore, cet entretien avec un activiste révolutionnaire indigène (aymara) historique de Bolivie, extrêmement critique comme on peut l'imaginer : Felipe Quispe, le dernier Mallku

    Ajoutons aussi, à l'adresse des guignols qui nous parlent de "fascisme", que dans les États plurinationaux et à minorités opprimées (État espagnol, État turc) le fascisme se caractérise plutôt en principe par la négation de cette plurinationalité et de ces minorités et par la répression brutale de leurs expressions politiques ; car il vise l'unification forcée des masses autour de l'État-"nation" de la classe dominante et de ce qui est considéré comme le "corps légitime" de celui-ci. Or en Bolivie ou encore en Équateur, c'est exactement le contraire qui s'est produit : les Peuples et les langues indigènes ont vu leur reconnaissance inscrite dans la Constitution après cinq siècles de colonisation européenne ! Où est donc le "fascisme" là-dedans ??

    Et NOTONS BIEN ÉGALEMENT que si les positions "gauchistes réactionnaires" que nous avons dénoncées dans cet article sont classiquement qualifiées de "trotskystes" par les marxistes-léninistes et les maoïstes, Trotsky lui-même a pu tenir parfois des propos extrêmement proches... de notre position, et notamment au sujet d'un régime beaucoup plus clairement fasciste (l'Italie de Mussolini était sa référence explicite) que ceux de l'ALBA aujourd'hui : « Il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté serait la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serais du côté du Brésil "fasciste" contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte entre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs ! » (La lutte anti-impérialiste, entretien avec le syndicaliste argentin Fossa, 1938) [ceci sans toutefois perdre de vue, comme on peut le voir, son idée de primauté des grands centres capitalistes-impérialistes dans le "déploiement" de la vague révolutionnaire mondiale (il est bien clair que ce sont les possibilités révolutionnaires en Angleterre qui l'intéressent en premier lieu dans son exemple) ; conception qui fait partie de ce que nous récusons fermement dans le trotskysme].

     


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  • "Les aigles peuvent parfois voler plus bas que les poules, mais les poules ne s'élèveront jamais à la hauteur des aigles" (V.I. Lénine, au sujet de Rosa Luxembourg)
     
    che cigareTombé il y a tout juste 42 ans, le 9 octobre 1967 en Bolivie, Ernesto "Che" Guevara de la Serna était assurément un aigle de la révolution.

    Lorsque de soit-disant "maoïstes" osent affirmer que "les maoïstes ont toujours rejeté le Che", il y a vraiment de quoi rigoler* (ici - en castillan, ici sur un site de l'Etat espagnol)...

    Ces individus ont bien plus à voir avec l'anarchisme sectaire et borné, le gauchisme dogmatique façon "Gauche communiste" ou certains groupuscules hitléro-trotskistes qu'avec quoi que ce soit de maoïste ou même de marxiste-léniniste.

    Ce qui est vrai, c'est que le Che a commis des erreurs, erreurs aux conséquences tragiques y compris pour lui-même (de fait elles lui ont... coûté la vie !), et dont les communistes d'aujourd'hui doivent savoir tirer les leçons.

    La principale de ces erreurs est la fameuse théorie du foco, du "foyer de guérilla" : un petit groupe de guérilleros, "parachutés" dans une région particulièrement déshéritée, suffirait à "allumer l'étincelle" et entraîner les masses opprimées derrière lui vers la révolution...

    Conception subjectiviste, idéaliste, militariste, qui néglige le travail politique de fond dans les masses, la préparation idéologique, l'enquête de terrain, tous préalables indispensables au déclenchement d'une lutte armée. Il s'agissait en fait d'une systématisation erronée de ce qui avait réussi à Cuba, dans des conditions bien particulières où les révolutionnaires avaient, si l'on peut dire, "eu de la chance" - mais beaucoup et bien travaillé aussi, comprenons-nous bien, et le pays en 1956 était loin d'être "calme" : l'agitation des masses était latente, entretenue par les syndicats et des groupes comme le Directoire révolutionnaire étudiant qui, plusieurs mois avant le débarquement du Granma, avait abattu le chef de la police politique de Batista...

    Mais en Bolivie, après un premier échec au Congo, les paysans n'ont pas suivi le petit groupe de guérilleros "tombés du ciel", ignorants de leurs préoccupations concrètes, de leurs us et coutumes voire même de leur langue (beaucoup de ces paysans indigènes ne parlaient même pas, ou très mal, le castillan à cette époque) !

    Ajoutée à la politique d'obstruction du P"c" bolivien (refus d'apporter toute aide à la guérilla), cette conception erronée le conduisit ainsi que ses compagnons vers son destin tragique...

    Après la mort du Che, la théorie du foco fut rapidement abandonnée par toutes les guérillas révolutionnaires du continent au profit d'une guerre révolutionnaire prolongée et d'un travail politique en profondeur dans les masses. Les seuls à s'en réclamer par la suite furent de petits groupes en réalité "réformistes armés", c'est à dire pour qui l'action armée ne vise qu'à ouvrir des négociations avec le pouvoir en place pour obtenir des "avancées" et non à le renverser ; comme le MRTA du Pérou (anéanti en 1997 après une prise d'otage à l'ambassade japonaise) en est l'exemple typique.

    Le P"c" bolivien, puisqu'il en est question, permet d'enchaîner sur la deuxième grande erreur : le Che a certes vu et critiqué à de multiples occasions (notamment dans ses "Notes critiques" sur le Manuel d'économie politique soviétique, rédigées en 1965-66), mais a grandement sous-estimé le révisionnisme soviétique, le processus d'abandon du socialisme et de rétablissement du capitalisme en URSS.

    Mao et Che GuevaraDès 1962-63, sa critique de la "coexistence pacifique" de Khrouchtchev, de l'embourgeoisement de la direction soviétique (lors d'un dîner en URSS, devant la vaisselle en porcelaine de luxe, il lance : "Est-ce ainsi que vit le prolétariat en Russie ?"), de la mollesse du soutien aux luttes de libération du "tiers-monde" et de l'hégémonisme de l'URSS sur celles-ci et les peuples nouvellement libérés semblait l'amener progressivement sur les positions chinoises. En février 1965 il prononce son célèbre "Discours d'Alger", très virulent vis-à-vis de l'URSS - pratiquement qualifiée de puissance chauvine, impérialiste etc. - et du "bloc" est-européen. Il y déclare notamment : "il ne doit plus être question de développer un commerce pour le bénéfice mutuel sur la base de prix truqués aux dépens des pays sous-développés par la loi de la valeur et les rapports internationaux d'échange inégal qu’entraîne cette loi. (...) Comment peut-on appeler "bénéfice mutuel" la vente à des prix de marché mondial de produits bruts qui coûtent aux pays sous-développés des efforts et des souffrances sans limites et l'achat à des prix de marché mondial de machines produites dans les grandes usines automatisées qui existent aujourd'hui ? Si nous établissons ce type de rapports entre les deux groupes de nations, nous devons convenir que les pays socialistes sont, dans une certaine mesure, complices de l'exploitation impérialiste. (...) Les pays socialistes ont le devoir moral de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l‘Ouest"... ce qui constitue une véritable déclaration de guerre contre le social-impérialisme et la ligne de "coexistence pacifique" suivie à l'époque par Moscou, qui le qualifiera alors de... "maoïste" - et c'est à son retour à Cuba, après un entretien de plus de 40 heures (!) avec les frères Castro, qu'il "décidera" finalement d'abandonner toutes ses responsabilité politiques pour aller "allumer le foyer de la révolution" d'abord en Afrique centrale, puis en Bolivie.

    Dans le même temps (1965) son concept de "l'homme nouveau", développé notamment dans Le Socialisme et l'Homme à Cuba, tend fortement (bien que toujours de manière idéaliste) vers les conceptions de la future Révolution culturelle en Chine (fondement de l'identité maoïste) : sans "révolutionner" les rapports sociaux, il n'est pas possible de mener la transition socialiste vers le communisme ("Pour construire le communisme, il faut changer l'homme en même temps que la base économique") ; des rapports sociaux restant marqués par le capitalisme conduiront forcément à sa restauration ; ainsi dans la société révolutionnaire la recherche de la solidarité et du bien commun doit primer sur celle de la récompense matérielle ("Nous ne nions pas la nécessité objective du stimulant matériel" mais "nous luttons contre sa prédominance quand il s'agit de l'utiliser comme levier essentiel car il finit par imposer sa propre force aux rapports entre les hommes")...  CEPENDANT il n'ira jamais jusqu'au bout de ce raisonnement ; ce qui l'aurait inévitablement conduit dans le camp de la Chine et du maoïsme.

    Pour lui (comme pour les frères Castro par ailleurs), la controverse entre la Chine populaire et l'URSS était un facteur de division et d'affaiblissement du mouvement communiste  international, qu'il fallait essayer de limiter voire de réparer à tout prix. Il pensait que l'URSS pouvait encore être ramenée "dans le droit chemin".

    En fait, c'était un marxiste-léniniste "orthodoxe" ("stalinien" diraient certains...) pour qui la lutte de lignes et, le cas échéant, la rupture affaiblissent le camp de la révolution - alors qu'en réalité elles le renforcent.

    Cependant, rien ne permet d'affirmer quelles auraient été ses évolutions ultérieures, si la mort ne l'avait fauché à 39 ans dans la sierra bolivienne. Peut-être que la trahison des pro-soviétiques boliviens (clairement sur consigne du Kremlin) aurait encore radicalisé ses positions sur l'URSS, et l'aurait rapproché du maoïsme dont la Révolution culturelle était en passe de changer la face de la Chine - et du mouvement communiste international. Pure politique-fiction...

    Donc oui, le Che a commis de lourdes erreurs, et il les a payée le plus cher possible : de sa vie. Mais s'il a  pu parfois voler à la hauteur des poules (ce qui semble exagéré comme image), les poules ne voleront jamais à sa hauteur d'aigle, même 42 ans après sa mort.

    Il restera un modèle d'intégrité et de détermination révolutionnaire, et un symbole pour les masses à travers le monde (qui elles, ne s'y trompent pas...), même très loin de l'Amérique latine.

    Après la révolution cubaine, il dirigea l'épuration implacable - et méritée ! - contre les assassins et les tortionnaires fascistes du régime de Batista. Puis, pendant plus de 5 ans, il présida comme directeur de la réforme agraire, président de la banque nationale puis ministre de l'industrie, à la construction (certes inachevée) d'une économie socialiste à Cuba.

    Un modèle donc, à défendre fermement contre toutes les attaques et les récupérations. Les récupérations comme icône de mode par le grand capital, ou même par les fascistes, ont leur source dans la récupération par la petite-bourgeoisie réformiste "radicale", dès 1968 avec la LCR.

    Quels qu'aient étés les errements idéalistes du Che, il est difficile de comprendre ce qui a pu amener ces gens à projeter leurs fantasmes de "socialisme démocratique" sans dictature du prolétariat sur un homme qui a été pendant plus de 10 ans un dirigeant communiste implacable, qui citait Staline dans ses discours et pourfendait les trotskistes. Mais le fait est que...

    La dernière tentative de récupération de ce genre fut le bouquin de Besancenot et Löwy en 2007 (pour les 40 ans de sa mort).

    Cependant, celui-ci s'est trouvé en rude concurrence dès sa sortie avec un ouvrage de "démolition du mythe" (façon Propagandstaffel - "Livre noir") signé Jacobo Machover. Preuve parmi d'autres du recul de la social-démocratie (que la bourgeoisie ne charge plus de "récupérer" le besoin de révolution des masses) et du renforcement de l'offensive idéologique généralisée de la Réaction (autrement dit la poussée du fascisme).

    Si les 30 ans de sa mort avaient coïncidé avec la sortie du "Livre noir du communisme" de la clique Courtois (où il avait droit à sa part de calomnies), il avait surtout eu droit à son hymne ("Hasta siempre") entonné par des top-models séduisantes... Mais c'est vrai, c'était la "Fin de l'Histoire" !

    Preuve s'il en est que les temps ont changé, que l'offensive contre la révolution qui vient passe par l'offensive contre les figures de la révolution passée [Jeunes villiéristes - site fasciste suisse - article sur le film de Soderbergh sur Novopress (identitaires)] et que l'heure n'est pas - quelles qu'aient été ses erreurs ! - à se joindre à ces attaques contre l'un des plus grands révolutionnaires communistes de son époque, aux côtés de Mao ou d'Hô Chi Minh !

    HASTA SIEMPRE COMANDANTE !!!


             Bogside (30), August 2009Che guevara dans une manifestation a Khenifra
                                      En Irlande occupée...                                                                                 Au Maroc...

    Palestinians wearing Che Guevara tshirts

    En Palestine...

    Intéressant aussi :


     SUR LA QUESTION DE CUBA


    Les maoïstes, c'est un fait, n'aiment pas beaucoup Cuba.


    "Cuba", disent-ils, "n'est pas socialiste", c'est un capitalisme d'État sur le modèle de l'URSS révisionniste, d'ailleurs totalement inféodé à celle-ci jusqu'en 1991, avec une bourgeoisie d'appareil etc. "Castro n'est pas communiste", et il est vrai qu'il n'est venu au communisme que sur le tard, que son mouvement de guérilla était hétéroclite, que son programme de 1953 (attaque de la caserne Moncada) était démocrate-bourgeois radical et qu'il le mettra encore en avant au début de la révolution, devant les Occidentaux ; que les déclarations ouvertement marxistes-léninistes ne commenceront qu'en 1960, voire 1961. Certains vont même jusqu'à parler de social-fascisme ... voire de fascisme tout court - mais là, il est permis de parler de délire total.

    Nous souhaitons relativiser un peu ce point de vue, qui a conduit selon nous à de graves erreurs d'analyse de certaines situations.

    Fidel Castro est "devenu" communiste (mais qui peut prétendre être né communiste ???) entre le Mexique et le maquis de la Sierra Maestra, comme son frère Raul, au contact de Che Guevara. Né en 1926, il est donc devenu marxiste-léniniste vers l'âge de 30 ans, ce qui n'est pas beaucoup plus tard que Mao, ou Ho Chi Minh !

    Et les révolutionnaires communistes, le Che en tête, ont joué un rôle déterminant sur l'orientation de la révolution dans les premières années.

    La révolution cubaine a acquis à cette époque (les années 1960) et conservé depuis (par sa résistance à la superpuissance US, qui lui impose en retour un terrible état de siège) une très haute valeur symbolique dans toute l'Amérique latine.

    D'ailleurs, les maoïstes "historiques" du continent (les mouvements constitués à la fin des années 1960) ont généralement une vision plus positive de la révolution cubaine (PCR d'Argentine - en castillan). Beaucoup ont d'ailleurs rompu avec leurs PC d'origine par rapport à l'attitude de ceux-ci envers les guérillas cubanistes et leur trahison du Che en Bolivie.

    Seul le PC du Pérou de Gonzalo (Abimaël Guzman) adoptera une position plutôt hostile, car il s'est construit contre la dictature militaire "de gauche" du général Velasco (1969-1975), que Cuba soutenait positivement. Par la suite, avec la Guerre populaire héroïque menée par ce Parti (à partir de 1980) et l'enfermement de Cuba dans l'alignement révisionniste soviétique, beaucoup d'organisations maoïstes (anciennes ou nouvellement créées) se rallieront à cette position, en Amérique latine et dans le monde. Il faut cependant souligner que tout en étant extrêmement critique, JAMAIS Gonzalo n'a tenu sur l'île et son régime les propos outranciers ("fascisme" etc.) que peuvent tenir certains "gonzalistes" aujourd'hui - voir par exemple cette interview de lui en 1988, dans laquelle le sujet est abordé.

    Il n'empêche que Cuba continuera à jouer un rôle symbolique important, en Amérique latine bien sûr, mais aussi en Afrique.

    Une révolution victime du révisionnisme soviétique

    Alors, Cuba, socialiste ou pas ? 

    La révolution cubaine est l'aboutissement d'un long combat, commencé en fait dès les années 1930 (sous le dictateur Machado), voire dès la confiscation en 1898, par les USA, de l'indépendance acquise après une longue et sanglante lutte de 30 ans (depuis 1868) contre l'Empire espagnol. Mais, surtout, d'une guérilla révolutionnaire de 2 ans (déc. 1956 - déc. 1958) contre le régime comprador, sanguinaire et corrompu de Fulgencio Batista, qui fera dans les rangs du peuple, des progressistes et des révolutionnaires des milliers de morts - certains ont avancé le chiffre de 20.000... Cette guérilla fut conduite par le Mouvement du 26 Juillet, fondé en 1956 au Mexique à travers la rencontre des frères Castro et du "Che" Ernesto Guevara de la Serna. Le groupe et son programme pouvaient alors être qualifiés de "bourgeois national progressiste, démocrate-radical sous influence marxiste", une influence essentiellement portée par le Che (qui gagne peu à peu à lui Raul, puis Fidel). Le régime antipopulaire de Batista, corrompu jusqu'à la moëlle et lâché petit à petit par son tuteur US (qu'il irrite), s'effondre assez rapidement et, le 1er janvier 1959, les guérilleros font leur entrée triomphale dans La Havane.

    Dès 1959 commence la Réforme agraire (Cuba est alors un pays essentiellement agricole) et la formation de coopératives. Au milieu des années 1960, 90% de la production est étatisée ainsi que 70% de l'agriculture (cette proportion augmentera encore jusqu'aux années 1980), et le contrôle populaire (par les Comités de défense de la révolution (CDR), les Assemblées populaires et les Comités d'entreprises) est important [le socialisme consistant en la propriété publique des moyens de productions plus le pouvoir populaire, la dictature démocratique du prolétariat (en l'occurrence, dans les pays du "tiers-monde", la dictature des "quatre classes" : prolétariat, paysannerie pauvre, petite-bourgeoisie et bourgeoisie nationale progressiste et patriotique ; sous la direction du prolétariat - ce qui est justement le problème à Cuba, où la direction est bourgeoise nationale)].

    Un PC est reconstitué en 1965, succédant au Parti Unifié de la Révolution Socialiste (1961), sur la base des forces révolutionnaires les plus avancées de 1958-59, alors que le PC cubain des années 1950 avait sombré dans le révisionnisme le plus total, abandonnant jusqu'à l'appellation de communiste (pour se renommer Parti Socialiste Populaire). Donc, à Cuba, il est possible de dire que le mouvement communiste (maigre et qualitativement très faible) et le mouvement ouvrier et paysan organisé se sont placés sous la direction d'un mouvement bourgeois national "radical-révolutionnaire". Cependant, ce mouvement bourgeois-national progressiste a assimilé (dans une certaine mesure) la théorie marxiste (dans ses limites de l'époque), et fusionné avec le mouvement communiste et ouvrier-paysan, jusqu'à reprendre l'appelation de Parti communiste... C'est une différence notable avec moultes autres situations dans le monde (où le mouvement nationaliste bourgeois était beaucoup plus puissant et structuré, notamment au sein de l'armée, et dans un rapport de force beaucoup plus favorable).

    Et puis, comme nous l'avons dit et le répèterons encore, la dynamique, l'intentionnalité, comptent autant sinon plus que l'état de fait à un instant t (sans quoi la Russie de la NEP, ou la Chine de "démocratie nouvelle" des années 1950 n'étaient pas socialistes). Or, la direction cubaine adopte une position révolutionnaire et internationaliste offensive, qui contraste à l'époque avec la "coexistence pacifique", le "passage au socialisme par les voies légales" (dans les pays encore capitalistes) et la "libéralisation" économique (dans les pays socialistes) prônés par l'URSS. Les relations avec Moscou demeureront tendues jusqu'à la fin de la décennie...

    Donc, Cuba, socialiste : à cette époque assurément oui, engagée dans la voie du socialisme... Un socialisme du niveau de l'URSS des années 1920, de la Chine maoïste des années 1950. Un socialisme à l'étape de la démocratie populaire (selon la théorie de Dimitrov), de la révolution démocratique contre l'impérialisme.

    Mais un socialisme limité par le blocus imposé par l'impérialisme US, et qui va devenir peu à peu prisonnier de l'URSS.

    L'URSS va imposer à Cuba un accord pétrole contre sucre, au premier abord très avantageux (sucre acheté au dessus des cours mondiaux, pétrole vendu au dessous) mais qui va enfermer Cuba dans une monoculture sucrière, contre laquelle s'était élevé le Che, et dans la dépendance économique, avec une "efficacité" de l'économie entièrement au service du "grand frère" soviétique. Et les conséquences que l'on connaît, lorsque celui-ci s'écroulera.

    Sur le plan international, Cuba va adopter une politique offensive de soutien à la libération des peuples opprimés (symbolisée par la Tricontinentale, conférence tenue à La Havane en janvier 1966), tout comme la Chine (qui participera à la conférence), en rupture avec la "coexistence pacifique". Cette politique durera jusqu'autour de 1970, puis se poursuivra sur des causes plus "localisées" (Amérique centrale, Afrique australe).

    Et surtout, une politique d'extension de sa révolution sur le continent américain. Mais l'URSS, par l'intermédiaire de ses affidés des P"c" traîtres, va saboter cette extension, tout simplement parce qu'elle aurait mis fin à la dépendance de l'île ou alors, insuffisante (un ou deux pays), aurait eu un coût trop important pour l'économie soviétique (de l'aveu d'anciens dirigeants soviétiques de l'époque : "l'économie soviétique ne pourrait pas supporter un deuxième Cuba"). Cuba restera donc isolée, assiégée et totalement reliée au "cordon ombilical" soviétique. C'est d'ailleurs avec l'échec des guérillas qu'elle commencera à soutenir les "révolutions par en haut", les juntes militaires "progressistes" comme au Pérou ou en Équateur ou des gouvernements réformistes bourgeois au Chili (Allende), qui auront toutes un dénouement tragique.

    Ce n'est qu'en 1979 qu'une révolution sur le modèle cubain aura lieu au Nicaragua. Mais les révolutionnaires, les sandinistes, rejetteront la dictature du prolétariat (les trotskistes LCR en feront leur coqueluche à l'époque) et finiront par perdre le pouvoir 10 ans plus tard. [Revenus au pouvoir en 2007, ils sont désormais alliés à des éléments d'extrême-droite et à l'Église catholique, mènent une politique social-libérale, ont interdit l'avortement même en cas de danger pour la mère, et répriment brutalement les organisations populaires et bien sûr de femmes].

    Cuba aura également, dès l'expédition du Che au Congo-Kinshasa (1965), une politique africaine active.

    Mais, là encore, cette politique sera rapidement inféodée aux intérêts soviétiques, et c'est là qu'interviendront les analyses gravement erronées de beaucoup de maoïstes, qui parleront de "mercenaires du social-impérialisme".

    La réalité est que Cuba a certes, tout d'abord, "livré" son économie (sous forme de monoculture sucrière) au social-impérialisme soviétique contrairement aux préconisations du Che et même aux positions de Fidel himself au milieu des années 1960 (voir son discours d'ouverture de la Tricontinentale), et qu'elle a joué politiquement aux côtés de l'URSS un rôle néfaste en soutenant ses interventions en Tchécoslovaquie (1968, date que l'on retient généralement comme "l'allégeance complète de Castro au social-impérialisme") et en Afghanistan (1979), ainsi qu'en assurant (militairement) un "service minimum" à ses côtés en Afrique de l'Est notamment : engagée en Éthiopie aux côtés des forces soviétiques et des "pays frères" (RDA etc.), elle y a combattu à partir de 1976-77 (après l'avoir soutenue jusque là, comme l'URSS !!!) la résistance du Peuple érythréen, de la minorité somalie (appuyée par le régime marxiste somalien de Siyaad Barre, dès lors "lâché", combattu et condamné à se tourner vers la Chine et l'Occident) et des authentiques révolutionnaires/progressistes éthiopiens (PRPE) ; résistance contre une junte fasciste peinte en 'rouge' (le Derg du colonel Mengistu) à la solde du Kremlin, qui avait liquidé la révolution (et les révolutionnaires !) démocratique(s) de 1974 contre la monarchie féodale d'Haïlé Selassié...

    C'est là une tache sombre sur le drapeau de la révolution cubaine, le drapeau de José Marti. Et, on l'a dit, lorsque Cuba entretenait des relations 'cordiales' avec des régimes bourgeois considérés comme 'progressistes' tels que la junte de Velasco Alavarado au Pérou (1968-75) ou de Rodríguez Lara en Équateur (1972-76), le "second péronisme" (1973-76) en Argentine ou encore l'Algérie de Boumediene (1965-79), elle envoyait 'gentiment' 'sur les roses' les forces authentiquement révolutionnaires de ces pays, comme les marxistes argentins du PRT-ERP, venus lui demander son aide en 1973.

    Mais l'île rebelle a aussi joué à la même époque en Afrique australe, principalement en Angola, un rôle objectivement progressiste, en combattant l'armée sud-africaine et ses mercenaires et en précipitant la chute du régime d'appartheid par ses succès militaires tactiques (ce qui n'a certes pas, dans le rapport de force du début des années 1990, débouché sur une révolution démocratique...). D'ailleurs cette intervention a largement été (notamment au début en 1975-76, mais même par la suite et a fortiori sous la perestroïka de Gobatchev) une pomme de discorde avec la diplomatie du Kremlin, qui cherchait à "freiner" l'initiative cubaine au nom de la "détente" avec l'Ouest : nous voyons bien que qualifier simplement Cuba de "bras armé du social-impérialisme" est une analyse schématique qui, même après 1970, ne tient pas la route.

    Ce rôle positif a été nié par de nombreux marxistes-léninistes et maoïstes, qui ont été jusqu'à soutenir politiquement les mercenaires fascistes angolais de l'UNITA (pro-Afrique du Sud) voire (comme le PCMLF)... l'intervention franco-belge de Kolwezi (Zaïre), en soutien à Mobutu contre les rebelles pro-cubains venus d'Angola ! 

    À l'époque où l'Afrique du Sud avait succédé au Vietnam comme cause emblématique de l'anti-impérialisme mondial, c'était une erreur gravissime coupant les maoïstes des préoccupations des masses, en Afrique comme dans le reste du monde. On peut également considérer comme assez positif le rôle d'appui aux guérillas d'Amérique centrale contre des régimes fascistes sanguinaires (Guatemala, Salvador) ou aux sandinistes du Nicaragua contre les forces réactionnaires (contras) armées par Washington ; bien que l'on puisse aussi, dans cette région du monde, reprocher à Cuba d'avoir poussé à la négociation en Colombie (1984, ce que l'ELN, la guérilla pro-cubaine historique, refusera !) puis systématiquement en Amérique centrale à partir de 1988 (en "échange" d'un réglement favorable en Afrique australe) avec la défaite... électorale des sandinistes en 1990, les "accords de paix" au Salvador (1992) et au Guatemala (1996) et la transformation des guérillas en partis réformistes, etc. etc.

    Aujourd'hui, après la chute de l'URSS et la "période spéciale", le "socialisme" de Cuba est très largement un capitalisme d'État, plus ou moins lié à de "généreux" investisseurs étrangers (principalement canadiens et européens, mais aussi chinois, russes, brésiliens, mexicains etc.), avec un important (autour de 25% de l'économie productive) secteur privé, aux mains de petits entrepreneurs nationaux ou, dans le secteur touristique, de multinationales étrangères (comme Accor). Il est clair que la politique menée dans les années 1970-80 a eu des conséquence catastrophiques.

    Mais Cuba avait-elle le choix ? Aurait-elle "dû" suivre la voie chinoise ? Rappellons que, dans les années 1960, la Chine était surtout aux prises avec sa lutte anti-révisionniste interne, et que d'ailleurs les révisionnistes dominaient en 1962-66. Or, Cuba avait besoin d'aide d'urgence.

    Et que serait-il advenu avec la victoire de la contre-révolution en Chine, après la mort de Mao, en 1976 ? L'Albanie, qui avait suivi la voie chinoise depuis la fin des années 1950, s'en est-elle mieux sortie après la liquidation de son "modèle" ? Bien au contraire...

    À la fin des années 1980, et dans les terribles circonstances des années 1990, la direction cubaine s'est refusée à la liquidation pure et simple, que ce soit sur le modèle "perestroïka soviétique" ou en conservant un (soi-disant) P"c" au pouvoir, comme en Chine ou au Vietnam. Liquidation qui l'aurait ravalée au rang de néo-colonie européenne ou US, comme on l'a vu en Europe de l'Est ou au Vietnam.

    Si l'on ajoute que la Corée du Nord a basculé dans une monarchie héréditaire et un despotisme oriental où une petite caste d'appareil (liée à la Chine et à la Russie) opprime et affame le peuple, Cuba est assurément, sinon socialiste, du moins le pays le plus progressiste du monde ; ou, pourrait-on encore dire, la moins ratée des expériences révolutionnaires où les communistes (ceux de 1956, très faibles théoriquement et peu nombreux, plus les éléments dans la Sierra Maestra, à commencer par le Che) et le mouvement ouvrier et paysan organisé se sont placés sous la direction de la bourgeoisie nationale progressiste (qu'incarnait le Mouvement du 26 Juillet) ; les exemples négatifs étant légion (Algérie, Syrie, Congo-Brazzaville ou Zimbabwe, amenant le règne de cliques anti-populaires ; Indonésie amenant au massacre de 1965-66, Chili de l'Unité populaire, etc.).

    Un pays qui joue un rôle progressiste essentiel sur le continent américain, tant pour les processus réformistes bourgeois "bolivariens" en cours que pour ceux qui, déjà (en Équateur, au Nicaragua) ou à l'avenir, sont ou seront amenés à affronter leurs propres limites de classe.

    Bien sûr, il y a toujours des tâches sombres, comme le soutien de Cuba au fascisme grand-serbe de Milosevic (que l'on peut mettre sur le compte d'un anti-américanisme simpliste mais compréhensible), ou le récent éloge de Fidel à la Chine contre-révolutionnaire, à l'occasion des 60 ans de la République "populaire" (qui mérite ses guillemets depuis 30 ans) [Ou encore - MÀJ 2012 - le soutien aux cliques sanguinaires des Kadhafi ou des Assad, bien que dans ses "réflexions" Fidel ait pu se montrer critique, et que, bien évidemment, aucun internationaliste conséquent ne soutienne l'option d'une intervention impérialiste, même "souhaitée" par les masses en lutte - comme ont pu l'argumenter certains éléments "post-trotskystes"].

    Mais nous apporterons toujours un soutien sans faille à Cuba, contre toutes les tentatives d'agression et de déstabilisation de l'impérialisme en vue d'en faire une néo-colonie, de même que nous soutiendrons sans faille les processus réformistes bourgeois contre la Réaction intérieure et internationale (mais jamais contre le peuple, c'est pourquoi nous avons parlé ici-même de la lutte des indigènes d'Équateur, et de l'opposition populaire, notamment féminine, au Nicaragua).

    Si des contradictions éclatent entre le peuple cubain et la direction, nous les analyserons et prendrons position, mais pour le moment, tou-te-s ceux et celles qui sont allé-e-s à Cuba (autrement que dans les bronze-culs à touriste) confirment que malgré les terribles difficultés et les privations, le soutien à la révolution reste fort, que peu de Cubain-e-s souhaitent une "libéralisation" comme on a pu la voir en Europe de l'Est, et que même ceux et celles qui veulent émigrer pour pouvoir envoyer de l'argent à leur famille ne sont pas (ou plus) forcément "anti-castristes".

    CONTRE L'IMPÉRIALISME, SOUTIEN INTERNATIONALISTE AU PEUPLE CUBAIN ET À SA RÉSISTANCE !

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    Voici un exemple de ligne maoïste CORRECTE concernant Cuba face aux menées impérialistes (par le PCR-USA, quelles que soient les critiques que l'on peut adresser à ce Parti, et repris par le PCR Canada sur son site ; représentatif de la ligne maoïste authentique loin des délires gauchistes).

    Pour voir plus loin : une position de 1993 du PCR Canada (à l'époque Action socialiste). 

    Sur le Che : position (assez critique, mais respectueuse) de l'Action socialiste, pour le 30e anniversaire de sa mort en 1997, reprise sur le site de VP. 


    [* En fait, concernant les soi-disant "maoïstes" en question, il y a encore plus délirant... Voici le site du "Comité Guevara", qui existait au début des années 2000. Ce site mettait en avant la figure du Che, associée à celle de Mao ou encore de Hô-Chi-Minh, ainsi que les Guerres populaires du Népal, du Pérou et de Turquie, au même titre que les FARC-EP et la résistance progressiste palestinienne, etc. Mais regardez bien l'adresse mail de contact... ce n'est autre que celle du site "Étoile rouge", ancêtre de "Contre-informations" puis de "Voie-lactée.fr", le site du 'p''c''mlm' ! Il est probable que ce site ait été monté comme "attrape-tout", connaissant l'attrait de la jeunesse populaire pour la figure du Che. Alors, pour les leçons de "cohérence" et de "pureté" idéologique, contre le "populisme", le "spontanéisme" et autre "syndicalisme révolutionnaire", on repassera !] 


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  • En d'autres temps, les choses se seraient passées autrement. Le président "gêneur" ("réformiste" ou "populiste" comme on voudra) aurait été "suicidé" d'une balle dans la tête, puis une junte militaire aurait installé un régime de réaction et de terreur pendant 5, 10 ou 15 ans, comme au Chili.

    Aujourd'hui, "les temps ont changé" comprenez-vous, on s'est "civilisé"... Il faut tenir compte de la "communauté internationale", de "l'opinion" - la petite-bourgeoisie planétaire.

    Le trouble-fête Manuel Zelaya a été "écarté", exilé à l'étranger et interdit de retour sous peine de poursuites judiciaires "100% légales" pour "violation de la Constitution". Un gouvernement civil "provisoire" a été mis en place - toujours selon les procédures légales et constitutionnelles - et les élections se sont tenues selon le calendrier prévu, avec au final l'élection du candidat de la droite "dure" de l'oligarchie - à l'origine du coup d'État. Telles sont les offensives réactionnaires de l'impérialisme à notre époque, au 21e siècle.

    Mais sur le terrain, pour les masses populaires, la réalité de la violence réactionnaire est toujours la même.

    En 5 mois, la répression militaro-policière réactionnaire au Honduras a fait, en proportion (pour un pays 10 fois moins peuplé), 5 fois plus de morts et de "disparus" que la répression en Iran - qui a fait la "une" des médias occidentaux durant tout l'été.Honduras : le visage nu de l'impérialisme réactionnaire

    Il ne s'agit pas là d'une "abomination", d'une "barbarie" particulière à l'oligarchie réactionnaire hondurienne ou (pour ceux qui verraient un peu plus loin) à l'impérialisme US. C'est, tout simplement, le visage nu de l'impérialisme en général.

    C'est le visage que montre l'impérialisme lorsqu'il est confronté, soit à la concurrence d'impérialismes rivaux, soit à la poussée anti-impérialiste des masses et/ou de la bourgeoisie nationale, soit les deux à la fois - les choses étant souvent imbriquées de façon complexe.

    Et lorsque, pour préserver ses intérêts, ses profits colossaux, sa "pompe à fric", il est prêt à tout et ne recule devant aucun crime. Se moquant du "droit international", de la "légalité", de "l'opinion" ; voire de son propre théâtre de marionnettes gouvernemental : les intérêts US qui ont frappé au Honduras ont agi dans le dos d'Obama, tout comme les réseaux "françafricains" se sont souvent passés du feu vert de l'Elysée ou du gouvernement.

    L'Afrique, sous la botte de l'impérialisme français, est coutumière de ce genre d'opérations : interventions militaires directes (Cameroun dans les années 1960, plus près de nous Côte d'Ivoire, Tchad, Centrafrique...), régimes de répression terroriste (partout), "rébellions" surgies de nulle part (Côte d'Ivoire, Libéria, Sierra Leone), mascarades électorales (récemment Gabon, Togo) sans parler bien sûr du Rwanda - où la France était confrontée à une "rébellion" sponsorisée par l'impérialisme US.

    Aujourd'hui, alors que le capitalisme s'enfonce sans retour dans la crise terminale, à la fois la poussée révolutionnaire des masses grandit et la concurrence entre les impérialistes s'aiguise. Les évènements comme ceux du Honduras sont appelés à se multiplier, et à augmenter en violence.

    Dans tous les cas, c'est le peuple qui en fait les frais. Car le peuple n'intéresse pas les impérialistes.

    Suite au résultat des élections, les impérialistes européens ont exprimé leur mécontentement, mais rien de bien méchant... Zelaya, libéral de centre-gauche, plus proche d'un Lula que d'un "agité" comme Chavez, remettant en cause "l'hégémonie" américaine sur le pays, avait leur sympathie. Il pouvait donner un petit "coup de barre" en leur faveur ; alors que le nouvel élu (Lobo) marque un retour en force du grand capital US le plus agressif.

    Mais enfin, ils ne vont pas partir en guerre (même "diplomatique") pour un petit pays comme cela, et surtout pas pour le Peuple hondurien. L'important est maintenant la "normalisation", et que les affaires reprennent - business as usual. Zelaya, c'est une opportunité qui s'envole, voilà tout.

    Honduras resiste 30junio08De la résistance du Peuple hondurien, disons-le : elle a été héroïque. Et elle en a payé le prix : on l'a dit, 5 fois plus de victimes (en proportion) qu'en Iran.

    Mais elle n'a pas réussi, en 5 mois, à déjouer les plans des putschistes, qui viennent d'aboutir dans le résultat de l'élection.

    C'est que Zelaya est un grand bourgeois, propriétaire de ranch, membre de l'oligarchie. Élu à la base sur un programme de centre-droite, il a ensuite évolué vers des positions réformistes de centre-gauche. Réformiste, humaniste peut-être, mais grand bourgeois, cherchant par des réformes à éviter l'explosion sociale.

    Son "virage" est peut-être le fruit d'un contexte continental de "virages à gauche" réformistes. Mais ce n'est pas le fruit d'un rapport de force établi par les masses : c'est une évolution purement "par en haut", au sein de la direction du Parti libéral. Contrairement à l'élection de Chavez au Venezuela, de Morales en Bolivie, de Correa en Équateur, fruits d'une réelle ingouvernabilité de ces pays provoquée par les mouvements de masse.

    Le résultat, c'est que les masses populaires ont assisté assez "passivement" au virage "à gauche" ; et, face au coup d'État, elles ont dû se mobiliser et s'organiser dans l'urgence, et avec beaucoup d'illusions "légalistes" et "constitutionnelles". Elles n'ont pas pu opposer à celui-ci une résistance suffisamment armée en nombre, en organisation et surtout politiquement ; alors qu'en avril 2002, le Peuple vénézuélien puissant, conscient et organisé a déjoué en 2 jours le coup d'État contre Chavez, soutenu ouvertement par Washington : le premier golpe à être ainsi déjoué, depuis au moins un siècle, sur le continent américain ! Les impérialistes réactionnaires US et leurs alliés oligarchiques vénézuéliens avaient pu mesurer, à leurs dépens, le rapport de force établi par les masses populaires vénézuéliennes, à la fois cause et conséquence de l'élection de Chavez en 1998.

    À présent, avec ces élections, mais déjà avec les "accords" du mois d'octobre où Zelaya avait renoncé à la plupart de ses pouvoirs et de ses projets (surtout l'Assemblée Constituante), accords que les putschistes n'ont même pas voulu faire semblant de respecter, les illusions légalistes sur le "retour à l'ordre constitutionnel" se sont définitivement envolées.

    Les éléments avancés, les plus conscients, du Peuple hondurien doivent en tirer les conclusions ; et comprendre que la seule voie praticable est désormais la GUERRE DU PEUPLE, la Guerre de Résistance Populaire contre les fascistes compradores !

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    Bien entendu, le coup d'État au Honduras a bénéficié d'une intense campagne de propagande des milieux médiatiques réactionnaires US et des bourgeoisies réactionnaires pro-US à travers le monde, agitant le spectre du "castro-chavisme". Et de l'"impartialité", de l'"objectivité" complice de la plus grande partie des médias bourgeois "libéraux" (particulièrement en Europe), ne serait-ce que par sa mise "en arrière plan" au profit des évènements d'Iran - tout en condamnant "sur le principe" le coup de force illégal.

    Mais il a aussi bénéficié de la complicité, en apparence "surprenante", d'une certaine "extrême-gauche" petite-bourgeoise gauchiste, qui montre là que le camp du peuple n'est pas son camp.

    Une organisation prétendument "maoïste" (en réalité un groupuscule petit-bourgeois gauchiste, mais qui "monopolise" la parole maoïste sur internet) s'est dernièrement fendue d'un article sans équivoque.

    Appelons les choses par leur nom : DE LA MERDE EN BARRE !!! Minable de bout en bout, une ligne "ultra-rouge" de petits-bourgeois gauchistes complètement pourrie.

    Un mépris total pour la résistance héroïque du Peuple hondurien, les blessés, les morts et les disparus. Plus que du mépris : le peuple est en fait, mystérieusement.... complètement absent de leur "brillante" analyse !

    Et un mépris haineux, aussi, pour tou-te-s ceux et celles qui depuis 5 mois lui ont exprimé leur solidarité, qualifiés de "sociaux-impérialistes", "fascistes", "antisémites", "au service de l'impérialisme français" (ou européen), on en passe et des meilleures...

    Au mois de septembre (c'est leur argument "choc") a éclaté une polémique, suite aux propos gravement antisémites (avérés) d'un animateur de radio partisan de Zelaya, David Romero.

    L'affaire a bien sûr été montée en épingle par la presse bourgeoise US (où nos "maoïstes" prennent leurs informations...). C'est la technique (de propagande réactionnaire) bien connue de "l'antisémitisme par ricochet" : les dérapages antisémites d'un individu isolé "rejaillissent" sur tout le camp politique qu'il est censé représenter. Car par un formidable (et honteux) retournement de situation, l'antisémitisme, qui a été l'instrument n°1 de mobilisation réactionnaire de masse dans la première moitié du 20e siècle, est aujourd'hui l'accusation suprême, le disqualifiant absolu de la propagande réactionnaire bourgeoise contre les mouvements anticapitalistes, anti-impérialistes etc. Ce serait cocasse, si ce n'était pas à vomir...

    En l'occurrence, les propos antisémites sont avérés, et graves ("Hitler aurait dû finir le travail") ; l'intéressé (sans doute un nationaliste petit-bourgeois chauvinard) les a reconnu et s'est excusé - ce qui ne veut pas dire que ses excuses sont acceptées par les victimes et descendant-e-s de victimes du nazisme ! Mais, parfois, ils sont inventés de toute pièce, par déformation, sortie du contexte, ou par "recherche de l'intention" ou de la "connotation". Comme pour les propos de Chavez, en 2006, dont il a été prouvé 1000 fois qu'ils n'étaient pas antisémites - en fait, il n'était même pas du tout question des Juifs (dans la théologie catholique de la libération, dont se revendique Chavez, Jésus n'a pas été crucifié par "les Juifs" mais par "les riches", les "puissants").

    Certains se sont faits une spécialité de cette "recherche d'intention" ou de "connotation" antisémite. Ces personnes n'ont bien sûr rien à faire dans le camp du peuple, de la révolution et du communisme.

    Sont ensuite évoqués les "fantasmes" ("antisémites", cela va de soi) de Zelaya et de Chavez, quant à la présence de mercenaires israéliens auprès des militaires putschistes.

    Comme s'il n'était pas connu, pour tou-te-s ceux et celles qui s'intéressent un tant soit peu à l'Amérique latine, que l'impérialisme US "sous-traite" à son chien de garde israélien les basses besognes trop "sales" pour lui : formation de paramilitaires et d'escadrons de la mort ; à la torture et à la guerre psychologique ; livraison d'armes interdites par les conventions internationales etc.

    Le Mouvement Populaire Pérou en parle très clairement dans sa récente déclaration du mois de novembre : ils doivent être, sans doute, en plein délire antisémite !

    La solidarité envers le peuple du Honduras - si ce n'est pas sa lutte elle-même ! - est qualifiée d'"anti-américanisme de type nazi", "indissociable de l'antisémitisme"... Comme si la domination terroriste des États-Unis n'était pas une réalité pour l'immense majorité des peuples du monde, et particulièrement d'Amérique latine !

    Le Peuple hondurien, héroïque depuis 5 mois, n'est pour eux qu'un "agent des puissances rivales des USA". Mais essayez donc un peu, pour voir, de leur dire que leurs "chers" militants "verts" iraniens ne sont que de la chair à canon docile des intérêts euro-US contre les intérêts russo-chinois (ce qui est bien sûr caricatural, les choses sont bien plus compliquées même si le mouvement "vert" reste à dominante petite-bourgeoise)... Vous serez immédiatement taxé de "nationaliste-révolutionnaire" (fasciste), de "soutien d'Ahmadinejad", de "social-impérialiste" et bien sûr d'antisémite (si vous voyez une main US, européenne et/ou israélienne derrière le mouvement "vert", c'est forcément que vous "voyez des Juifs partout" !!!!).

    Bref, c'est la fête au grand n'importe quoi, avec en cerise sur le gâteau... le parallèle avec "Dieudonné en visite chez Ahmadinejad" (le rapport SVP ?). C'est sûr que sans ces deux-là, le tableau n'aurait pas été complet (on remarquera aussi que le coup d'État est qualifié de "soulèvement", terme plutôt neutre voire... positif !).

    Nous avons toujours été très clairs : Zelaya est un grand bourgeois réformiste, plus proche d'ailleurs d'un Lula (Brésil) que d'un Chavez - d'ailleurs, le bloc des pays de "centre-gauche" (Brésil, Argentine, Chili, Uruguay) est pratiquement plus monté au créneau pour lui que l'ALBA ; et il avait le soutien des bourgeoisies européennes et des "gauches modérées" sud-américaines liées à l'Europe (l'ALBA, elle, étant plutôt liée à la Russie et à la Chine), dans leur tentative d'établir des "têtes de pont" dans le pré carré US. Un grand bourgeois "de gauche", mais un grand bourgeois, dont les classes populaires travailleuses n'a pas grand chose à attendre de plus que quelques "réformes"...

    Mais à vrai dire, Zelaya, on s'en fout complètement ! Comme de Chavez d'ailleurs... Et comme de ses "soutiens" européens, brésiliens, argentins ou de l'ALBA.

    Ce qui nous intéresse, c'est le Peuple hondurien, ce sont les masses populaires des Amériques. Masses populaires qui sont toujours les premières victimes des offensives réactionnaires. LE CAMP DU PEUPLE EST NOTRE CAMP.
                                             enfrentamientos honduras113952-decret-interdisait-manifestations-comme-celle
    Des millions de personnes dans le monde, dont nous sommes, sont solidaires du Peuple hondurien en ce moment ; non pas parce que c'est un peuple sympathique (ce qu'il est !), pas non plus par "anti-américanisme de type nazi" (!), mais parce que ce genre de coup de force réactionnaire peut se produire n'importe où dans n'importe quel pays du monde, par la main de n'importe quel impérialisme (l'Afrique, pré carré de l'impérialisme français, sait fort bien de quoi nous parlons !), voire d'une simple "multinationale" monopoliste agissant seule (dans un petit pays).

    Il ne s'agit même pas que le dirigeant visé soit un "anti-impérialiste" ou un réformiste "audacieux", mais simplement gênant, indocile, ingrat ou mauvais payeur... Gênant pour une exploitation totale et sans limites des ressources et de la main d’œuvre...

    Mais les Peuples sont toujours les premières victimes. La tragédie du Honduras, c'est la tragédie de tous les Peuples sur la planète !
                                  article hondurasmedia l 2132927
    Bien sûr, "l'on" pourra dire que le Honduras n'est pas la préoccupation première des classes populaires de France... C'est vrai, mais est-ce de notre faute ? Ou bien plutôt, outre que celles-ci ont des préoccupations plus immédiates, de celle de la sous-médiatisation délibérée des évènements ?

    C'est pourquoi nous essayons, de tout notre possible, de relier la situation au Honduras à des situations plus "parlantes" pour les masses prolétaires d'ici. L'Afrique en est un excellent exemple...

    Ce n'est pas par hasard que nous avons publié notre article sur la Côte d'Ivoire en pleine actualité hondurienne. Le parallèle entre les deux situations est saisissant, avec la France dans le rôle de la puissance tutélaire, le président "trouble-fête" (Gbagbo vs Zelaya), les puissances rivales aux aguets (USA et/ou Chine vs UE, Russie et Chine via l'ALBA), l'épouvantail du "despote africain" ("à la Amin Dada") et du "génocide ethnique" vs le spectre du "castro-chavisme", un "soulèvement" (sic) militaire surgi de nulle part, un pays "coupé en deux", et la puissance tutélaire qui intervient en "faiseuse de paix", en "normalisatrice" pour entériner le statu quo - et/ou transformer le gêneur en "reine d'Angleterre", privé de tout pouvoir.

    Simplement, la Côte d'Ivoire, c'était il y a déjà 4 ou 5 ans. On fait avec l'actualité que l'on a, pour montrer le visage hideux de l'impérialisme !

    Mais le peuple, les "maoïstes" mentionnés plus haut s'en foutent comme de l'an 40 : ils n'en parlent même pas. Ils ne sont pas dans le camp du peuple : ce ne sont pas des maoïstes ! Leur camp, c'est plutôt celui de la petite-bourgeoisie gauchiste imbue de sa "science mlm", et de la "bourgeoisie industrielle" (incarnée par Sarkozy) qu'ils ne cessent de caresser dans le sens du poil : la tendance "atlantiste", "occidentaliste" de l'impérialisme français ! Et, finalement, du fascisme qui correspond à cette tendance : l'aile "dure" de l'UMP, les "néo-cons", les milices sionistes, De Villiers voire les Identitaires...


    AFP 090813honduras-manifestation 8                          micheletti fascista pintresistenciahonduras


       


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