• Après Staline (voir aussi ici) et le "génocide cambodgien" des Khmers Rouges, sujets que nous avons déjà abordés, la Corée du Nord ("République populaire démocratique de Corée") de la dynastie Kim arrive sans aucun doute en troisième position des "arguments" se voulant "massue" que peuvent nous opposer les anticommunistes - y compris d'"extrême-gauche".

    Pour clore ce "débat", alors que le régime fête en ce moment son 70e anniversaire (il est né de la défaite du Japon et de l'occupation par les Soviétiques du nord de la péninsule en août-septembre 1945), nous nous contenterons de partager ci-après ce bon petit article des camarades du PCR Canada qui résume assez correctement notre position (la position maoïste) sur ce régime (que d'aucuns qualifieront, comme les Khmers Rouges et comme tout régime "rouge" en Asie, de... maoïste).

    Le texte commence, pour être précis, par une petite présentation du contexte géopolitique et historique de la péninsule coréenne ; car rien ne sert de disserter (ou plutôt de déblatérer) si l'on n'a pas préalablement situé les choses dans leur contexte. Il se penche (seulement) ensuite sur une analyse marxiste du régime nord-coréen et de son idéologie.


    http://www.pcr-rcp.ca/fr/4049


    Le dirigeant actuel Kim Jong-un. L'histoire nous dira s'il accèdera lui aussi au rang d'"éternel".


    Petite histoire de l’impérialisme américain en Corée

    La presse bourgeoise, cette meneuse de claque toujours prête à nous faire jouer les majorettes pour encourager les meurtres en séries de la prochaine intervention impérialiste, nous ramène à intervalles réguliers une nouvelle campagne d’agitation guerrière contre la Corée du Nord. On nous la dessine avec forces images et en boucle comme un pays dont le peuple (qu’il faudrait libérer) est asservi et affamé par un dirigeant imprévisible et paranoïaque (qu’il faudrait enchaîner) prêt à déclencher la première guerre atomique mondiale. Cela justifierait que l’on aille mourir et tuer à l’autre bout de la terre.

    Après l’Irak ou l’Afghanistan ce sera, selon l’humeur du moment, la Syrie, la Corée du Nord ou l’Iran. On prend bien soin, toutefois, de taire les interventions militaires antérieures de l’impérialisme US, qui sont pourtant pour beaucoup dans l’hostilité manifestée par le régime nord-coréen et la population de ce pays envers lui. Voyons si menace il y a et d’où elle provient véritablement à travers un court historique de l’impérialisme américain en Corée.

    Occupation japonaise et résistance (1910-1945)

    À la fin du XIXe siècle, la Corée est, comme beaucoup d’autres régions du monde à la même époque, la proie des impérialismes japonais, allemand, américain, français et britannique, qui la dépècent chacun à leur tour. Le Japon aura finalement le dessus sur ses rivaux et en 1910 la Corée sera annexée à l’Empire nippon.

    Sous l’occupation, la paysannerie expropriée en grand nombre et les travailleuses et travailleurs subissent une exploitation redoublée alors qu’elles et ils voient leur portion alimentaire de riz diminuer presque de moitié. La population subit les exactions continuelles des colons japonais qui sévissent dans une impunité presque complète instituée par le droit d’extraterritorialité1. La situation ira en s’aggravant jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale quand des millions de Coréens et Coréennes seront réduites en esclavage et que plusieurs mourront exilées dans les mines du Japon ou séquestrées dans des maisons closes réservées à l’usage des soldats japonais.

    C’est dans ce contexte qu’ira en se développant un puissant mouvement de résistance à l’occupation, lequel connaîtra un de ses points culminants dans le mouvement du 1er Mars 1919 qui réunira plus de 2 000 000 de personnes sur trois mois, dans 1 500 manifestations. Sept mille manifestantes et manifestants trouveront la mort aux mains des policiers, dont plusieurs sous la torture. Cinquante mille seront mis sous les verrous en vertu des lois de préservation de la paix2 et des milliers d’autres fuiront la répression vers la Mandchourie voisine, elle-même pourtant bientôt occupée par l’armée japonaise.

    L’exploitation sans frein des masses paysannes et travailleuses conduit ainsi le mouvement nationaliste, d’abord limité à l’ancienne noblesse déchue, à s’étendre et se radicaliser, reprenant chaque jour davantage les analyses communistes et son programme, propagés par la victoire d’Octobre et nourris par les luttes révolutionnaires de la Chine voisine.

    L’occupation américaine de la Corée du Sud

    • La « Libération »

    En août 1945, suite à la reddition du Japon aux forces alliées, les Soviétiques, à la demande des Américains, cessent leurs avancées dans les zones d’occupation japonaise. Le 8 septembre, les forces américaines débarquent sur la péninsule coréenne et mettent en place un gouvernement militaire au sud des positions soviétiques cantonnées au nord du 38e parallèle. Mais les Américains, bien qu’étant un des principaux artisans de la défaite de l’Allemagne et du Japon, reconnaissent en eux les alliés naturels d’une politique de containment de la progression communiste.

    Ainsi, le 9 septembre 1945, John Hodge, chef du gouvernement militaire américain en Corée, annonce le rétablissement des anciennes autorités coloniales. Ce n’est que face à l’indignation généralisée provoquée par cette décision qu’Hodge doit rapidement se rétracter, mais ce n’est que pour nommer des conseillers japonais qui assisteront les Américains aux postes de direction. L’ancienne police coloniale est ensuite remise sur pied recrutant une part importante de ses nouveaux effectifs parmi les ligues de jeunesse fascistes encore actives. Et enfin, en décembre 1948 sont rétablies les lois sur la préservation de la paix, rebaptisées pour l’occasion « Loi sur la sécurité nationale ». Véritablement, la libération prenait des airs de nouvelle occupation.

    • Des élections bidon

    Afin de garantir malgré tout une légitimité démocratique au régime, les Américains proposent à l’ONU en novembre 1947 de superviser la tenue d’élections en Corée. Pourtant dès leur arrivée, les membres de la commission onusienne manifestent leurs inquiétudes. Ainsi, les délégués australiens de mettre en garde que les élections « semblent être sous le contrôle d’un seul parti », le Parti démocratique de Corée.

    Sur la question de la Corée du Nord - un article du PCR CanadaMalgré l’opposition de la France, du Canada et de l’Australie à la tenue immédiate d’élections en Corée, les États-Unis parviennent à obtenir l’appui des autres délégués3. Des élections auront donc lieu en dépit des circonstances… Le gouvernement militaire américain avait en effet planifié cette transition « démocratique » dès 1945 alors qu’il supervisait la formation du Parti démocratique de Corée (le Han-guk Minjudang), lequel regroupait de grands industriels et propriétaires fonciers coréens, tous étroitement liés et favorables aux intérêts japonais sous l’occupation. Les Américains établissent ainsi en 1946 un gouvernement intérimaire à la tête duquel est placé le Han-guk Minjudang et c’est ce même parti qui, en 1947, est chargé d’encadrer les élections4.

    L’opposition au processus électoral est alors générale, au nord comme au sud, à droite comme à gauche, les principales formations politiques refusant d’y participer, à l’exception du Han-guk Minjudang et du NARRKI de Singman Rhee5. Le faible taux de participation risquant de retirer toute légitimité au futur gouvernement, la remise des coupons de rationnement, dont près de 50% de la population dépend alors pour sa survie6, s’effectue aux urnes. Le 10 mai 1948, Singman Rhee est élu président de la république avec un taux de participation de 95%. Il continuera avec l’appui des Américains les politiques de répression systématique de l’opposition déjà initiées par ces derniers.

    • L’opposition réprimée

    À la veille du débarquement américain en Corée, le 7 septembre 1945, le gouvernement de la République populaire de Corée était instauré à l’initiative d’une multitude d’organisations ayant pris part à la résistance. Anarchistes, sociaux-démocrates et communistes participent à la formation du gouvernement et mettent sur pied dans toute la Corée des comités populaires qui rapidement se dénombrent par centaines. Dans les usines, les campagnes, les villes et les villages, les travailleurs et travailleuses, paysans et paysannes décident collectivement dans ces comités de l’organisation de leurs milieux et de leur travail.

    Le gouvernement annonce dans son programme, entre autres choses, vouloir redistribuer la terre aux paysans pauvres, nationaliser les grandes industries, imposer un salaire minimum et la journée de huit heures, défendre et promouvoir l’égalité des hommes et des femmes et assurer la liberté de presse et d’expression. L’accusant d’être une marionnette de l’Union soviétique, les Américains le déclarent illégal. L’Inmin Gonghwaguk devra poursuivre ses activités dans la clandestinité, réorganisé dans le Parti du travail de Corée du Sud (Namrodang) qui compte alors plus de 360 000 membres. La répression, toutefois, ne s’arrêtera pas là.

    L’île Jeju peuplée d’environ 250 000 habitants et située à 100 km des côtes coréennes est à cette époque un véritable bastion du Namrodang. En avril 1948 s’y tiennent d’importantes manifestations s’opposant à la tenue des élections. Une série d’évènements, dont le refus de deux régiments de réprimer les manifestants et auxquels ils finiront par se joindre, vont voir une opération, d’abord strictement policière, se transformer en un véritable conflit armé qui durera près d’un an. Au terme du conflit à Jeju, environ une personne sur trois est considérée comme morte ou disparue et l’île n’est plus qu’un caillou enseveli sous les amas et les décombres de ce qui tenait lieu de maisons et villages. Le 19 mai 1949, l’ambassadeur américain en Corée avisera Washington : « Tous les rebelles de l’île Jeju ont été soit capturés, tués ou convertis. »

    En 1949, Syngman Rhee, alors président, met en place un programme de rééducation politique adressé aux « contrevenants de la pensée ». Communistes, socialistes ou simplement critiques du régime sont embrigadées de force dans ce programme. Appelée la ligue Bodo7, elle comprendra rapidement jusqu’à 300 000 membres, lesquels sont fichés, suivis et constamment surveillés par la police. En 1950, peu de temps après le déclenchement de la guerre de Corée, Syngman Rhee ordonne l’exécution des membres de la ligue. On estime qu’entre 100 000 et 200 000 personnes, parfois même des enfants, seront sommairement exécutées par l’armée et la police coréenne. Les Américains auront l’audace de filmer les charniers pour en faire un film de propagande dans lequel ils accusent les communistes des massacres8.

    • La guerre de Corée

    En 1950, Kim Il-sung, dirigeant de la Corée du Nord, entreprend de réunifier la Corée en comptant sur l’appui des masses populaires sud-coréennes. Au front, les soldats sud-coréens rejoindront en masse l’Armée populaire de Corée (Inmin Gun) et derrière les lignes ennemies, de très nombreuses grèves d’appui viendront paralyser l’économie sud-coréenne. C’est dans ces conditions qu’en juin 1950, l’Inmin Gun franchit la frontière du 38e parallèle et en un peu moins de trois mois, refoule les armées sud-coréenne et américaine jusqu’aux côtes de l’extrémité sud de la péninsule.

    Sur la question de la Corée du Nord - un article du PCR CanadaLes États-Unis feront alors appel à l’ONU, laquelle mobilisera une force de 230 000 hommes, dont 26 000 Canadiens, afin de défendre la « République de Corée ». Cette guerre qui pouvait jusqu’alors encore apparaître comme une guerre civile par puissances interposées (États-Unis/URSS) devient une véritable guerre d’agression, alors qu’une vingtaine de nations étrangères envahissent la Corée.

    Dès le mois d’octobre 1950, les forces onusiennes ont repris Séoul et parviennent rapidement à la frontière extrême nord de la Corée. La Chine s’engage alors dans le conflit avec 270 000 hommes afin de soutenir l’Inmin Gun et repousse l’offensive onusienne au sud du 38e parallèle. S’en suivra une longue guerre de tranchées jusqu’à l’armistice du 27 juillet 1953 qui fixera les frontières des deux Corées sur l’ancienne ligne de démarcation.

    L’hécatombe atomique aura été évitée à de multiples reprises alors qu’au dernier instant, les Américains écartaient son usage, mais l’offensive onusienne n’en fut pas moins un carnage, avec ses trois millions de morts civils, un largage de bombes plus important que contre le Japon durant la Deuxième Guerre et plus de napalm déversé sur la Corée que durant toute la guerre du Vietnam. Six cent mille soldats y perdront la vie, chinois et coréens pour la plupart. Des généraux américains rapporteront plus tard que plus une ville, un village, un bâtiment ne s’élevaient plus haut que le ras du sol au nord du 38e parallèle ; il est alors estimé qu’en Corée du Nord, suite à la contamination des sols par les bombardements, 75% des terres autrefois cultivables ne le sont plus désormais.

    • 40 ans de régimes militaires

    De 1948 à 1987, les États-Unis vont appuyer politiquement, économiquement et militairement les différents régimes autoritaires qui se succéderont en Corée du Sud, les Américains possédant notamment plus de 80 bases et installations militaires en Corée du Sud, y maintenant plus de 30 000 soldats en garnison tout en disposant depuis 1948 du commandement militaire de l’armée sud-coréenne. La Korean Central Intelligence Agency, véritable police politique créée en 1961, se livrera à l’extorsion, à la torture et à l’assassinat de milliers d’opposants politiques. Les manifestations sont durement et systématiquement réprimées.

    En mai 1980, suite à d’importantes manifestations à Gwanju, l’administration du président Carter enjoint le gouvernement sud-coréen de reprendre le contrôle de la situation, par la force si nécessaire ; c’est entre 1 000 et 2 000 manifestantes qui seront alors abattues. Ce n’est qu’à partir de 1988 que le régime connaîtra certaines ouvertures démocratiques, mais la Loi sur la sécurité nationale est toujours en place et un rapport d’Amnesty International pour la seule année 1998, rapporte près de 400 arrestations pour délits d’opinion, dont un étudiant condamné à huit mois de prison pour avoir publié un article du trotskiste Chris Harman sur le Web.

    En 2002, un Sud-coréen est condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir accusé le gouvernement américain d’avoir été le principal instigateur de la partition de la Corée. Dans la portion qu’il occupait de la Corée, les Américains ont pourtant fortement contribué, par leur répression du mouvement populaire et leur appui aux forces les plus réactionnaires du pays, à la constitution de deux régimes adverses au Nord et au Sud. L’état de guerre latent qui en a découlé a ensuite servi, de part et d’autre de la frontière, d’alibi à l’étouffement des luttes légitimes des classes populaires par des politiques sécuritaires féroces. Aujourd’hui encore, les Américains et leurs alliés constituent l’obstacle principal aux efforts de réunification de la Corée, largement désirée par les Coréens et Coréennes.

    Kim Tremblay

     

    • 1. Le droit d’extraterritorialité accorde aux citoyens d’un autre pays une immunité légale et juridique complète. Son adoption était le plus souvent imposée à un État par les puissances coloniales à l’avantage de leurs ressortissants. Bien que ces derniers demeuraient soumis aux lois et à la justice de leur propre pays, celle-ci se montrait souvent tolérante sinon clémente relativement aux crimes commis dans les colonies.
    • 2. Les lois de préservation de la paix de l’Empire japonais, en vigueur de 1894 à 1945, restreignent considérablement les libertés d’assemblée, de parole et de presse. Dès 1900, les syndicats ouvriers sont ciblés et tout comme les grèves, ils sont interdits. Puis à partir de 1928, c’est au tour des organisations de gauche d’être visées, alors que quiconque conteste le droit de propriété privée devient passible de la peine de mort.
    • 3. La Chine de Chiang Kaï-chek, le Salvador, l’Inde et les Philippines appuyèrent la résolution. La Syrie quant à elle s’abstint.
    • 4. Le Han-guk Minjudang occupera en effet 12 des 15 sièges du Comité national électoral.
    • 5. Anti-communiste fervent, Singmann Rhee est sans doute la seule figure du nationalisme coréen ayant obtenu l’appui des Américains. Son parti, la National Alliance for the Rapid Realization of Korean Independence, éclatera pourtant en deux formations, l’une appuyant le processus électoral, l’autre le boycottant.
    • 6. Durant l’occupation japonaise, la production de riz avait été entièrement centralisée. À leur arrivée, les Américains avait cru bon de remplacer ce mode de fonctionnement par le libre marché. Mais les structures de ce marché n’étant pas en place, une désorganisation complète de la production s’en suivi, le sud de la Corée pourtant considéré comme le bol de riz de la péninsule était au bord de la famine. Évitant de peu une crise humanitaire, les Américains remettent en place à toute vitesse un système centralisé de rationnement.
    • 7. Bodo signifie ici « accompagnement et orientation ».
    • 8. The Massachusetts School of Law. (2011, 26 nov.). The Korean War: A History Part 2 – Bruce Cumings [vidéo en ligne]. Repérée à http://mslawmedia.org/2011/12/cumings-korean-war-part-2/

    Un régime socialiste ?

    Des organisations nostalgiques de l’existence d’un « camp socialiste » sous la direction de l’URSS social-impérialiste se raccrochent à la Corée du Nord comme l’un des derniers « États socialistes » encore existants. Le fait qu’il s’agisse d’un pays socialiste expliquerait pourquoi l’Administration Bush l’a placé sur sa liste des pays formant « l’Axe du mal » à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Pourtant, ni l’Iran des islamistes ni l’Irak de Saddam Hussein ne possédaient cette caractéristique, et ils se sont retrouvés sur cette liste en même temps que la RPDC.

    Pour les maoïstes, le régime mis en place sur le territoire que l’on connaît actuellement comme la Corée du Nord n’a jamais été socialiste. Il est issu d’une lutte de libération nationale certes légitime qui, comme bien d’autres mouvements qui se sont déroulés à la même époque, a triomphé dans le contexte de la Guerre froide, alors qu’il existait de fait un camp socialiste qui faisait contrepoids aux vieilles puissances colonialistes et impérialistes.

    Fondé en 1945, le Parti du travail de Corée s’est ainsi affiché comme marxiste-léniniste. Après la mort de Staline et l’arrivée au pouvoir de Khrouchtchev en URSS, la Corée du Nord a fait partie de ces régimes, comme la Roumanie et le Vietnam du Nord, qui ont adopté une position mitoyenne à l’occasion du grand débat entre les partis soviétique et chinois, qui a fracturé le mouvement communiste international. Le Parti du travail de Corée s’est alors assuré de maintenir des rapports officiels et cordiaux avec tous les protagonistes.

    Le « juche » : une idéologie antimarxiste

    Sur la question de la Corée du Nord - un article du PCR CanadaCette volonté de maintenir son indépendance n’a cessé de caractériser l’idéologie promue par le régime nord-coréen. Le premier ministre, secrétaire du Parti et fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-sung, s’est attribué la paternité de l’idéologie dite du juche (un terme souvent traduit par « esprit d’indépendance » ou « autosuffisance »), devenue officiellement l’idéologie dominante dans la constitution du pays en 1972 en remplacement du marxisme-léninisme.

    En quelques mots, le juche se présente comme « une série d’idées philosophiques nouvelles qui mettent l’accent sur l’homme » et qui visent à « résoudre tous les problèmes par ses propres forces ».

    Au départ, le juche se voulait une « application créative du marxisme-léninisme », en continuité avec lui. Éventuellement toutefois (en 1998, plus précisément), toute référence au marxisme-léninisme a été retirée de la Constitution nord-coréenne ; en 2009, c’est la notion même de « communisme » qui en est disparue, remplacée trois ans plus tard par le kimilsunisme-kimjongilisme, en référence au père et à son fils qui ont régné successivement sur le pays jusqu’à la mort du deuxième en décembre 2011.

    Dans les mots de Kim Il-sung, le juche se résume à « organiser et mobiliser le peuple tout entier dans l’édification d’un État souverain et indépendant… sans se laisser influencer par les théories établies ou les expériences étrangères » 1. Quant à l’objectif du communisme – qui était encore officiellement à l’ordre du jour à son époque – on allait y arriver essentiellement en « développant les forces productives » et en « révolutionnarisant et modelant sur la classe ouvrière tous les membres de la société pour en faire des hommes de type communiste ».

    Tout comme le révisionnisme de Khrouchtchev en URSS, le juche prétend à la fin des contradictions antagoniques entre les classes, et donc à la fin de la lutte de classes comme moteur de l’histoire. Le « peuple tout entier » partagerait un seul et même intérêt, plus fondamental que tout le reste : celui de « la patrie ».

    Officiellement, le Parti du travail de Corée reconnaît l’existence de trois classes dans la société nord-coréenne, dont l’unité est d’ailleurs symbolisée par son logo : la classe ouvrière, la paysannerie et la samuwon – la classe des intellectuels et des professionnels. Dans ce schéma, il n’y a ni bourgeoisie ni classes antagoniques : l’ennemi ne peut être qu’extérieur à la Corée du Nord, sinon de connivence avec l’étranger.

    Le juche est aux antipodes de la conception marxiste-léniniste-maoïste des classes et de la lutte de classes sous le socialisme, consacrée à l’occasion de la révolution culturelle en Chine. Celle-ci visait à révolutionnariser la société et à aller de l’avant vers le communisme par la mobilisation collective des masses dans une pratique de lutte de classes.

    La « révolution idéologique » envisagée par le juche est tout autre : toujours selon Kim Il-sung, « apprendre aux membres du Parti et aux autres travailleurs à aimer le travail est un des objectifs importants » de cette révolution. On est bien loin, ici, de ce qui pourrait ressembler à la dictature du prolétariat et à l’exercice concret du pouvoir par les masses travailleuses, fondement du socialisme… et l’on se rapproche, sans que ce soit nécessairement conscient, des conceptions véhiculées par Enver Hodja et le Parti du travail d’Albanie dans les années 1970, alors qu’ils cherchaient à faire contrepoids à la révolution culturelle chinoise (voire à éviter une révolution culturelle en Albanie).

    D’un Kim à l’autre

    Après la mort de Kim Il-sung en 1994, c’est son fils, Kim Jong-il, qui lui a succédé. À partir de là, le régime nord-coréen a abandonné toute prétention à une continuité, ou à tout le moins un certain rattachement au marxisme-léninisme.

    Dans une entrevue publiée en 1996 2, Kim Jong-il insiste pour que l’on comprenne bien que « la philosophie du Juche est une doctrine originale développée et systématisée par ses propres principes… qui diffère fondamentalement de la philosophie précédente ». Fait intéressant, il s’en prend à certains chercheurs en sciences sociales qui tentaient encore – laborieusement, au demeurant – de présenter le juche comme un développement du matérialisme dialectique marxiste.

    Selon lui, la dialectique marxiste est limitée et imparfaite, car elle néglige les attributs essentiels de l’être humain – « l’être supérieur et le plus puissant au monde », qui est « maître de tout et décide de tout ». Par conséquent, il y aurait « une loi universelle propre au mouvement social », indépendante de « la loi universelle du développement du monde matériel ».

    Ainsi, « l’histoire du développement de la société équivaut à l’histoire du développement du sens de la liberté, de la créativité et de la conscience de l’homme ». Bref, c’est la conscience et les idées qui mènent le monde… et ces idées, si importantes, ne sont autres que celles du parti : « Il convient d’accepter les idées du Parti comme des vérités indiscutables, de les défendre jalousement et d’en faire sa foi révolutionnaire pour comprendre exactement la philosophie du Juche. » Encore là, on est assez loin de la révolution culturelle et des appels de Mao à « oser aller à contre-courant » et à faire « feu sur le quartier général » !

    Sur la question de la Corée du Nord - un article du PCR CanadaQuant au successeur de Kim Jong-il, Kim Jong-un (entré en poste après la mort de son père en décembre 2011), les premiers textes qui lui sont attribués vont dans le même sens, savoir la valorisation de l’unité nationale et patriotique, qui trouve son aboutissement dans la « fusion » entre le Peuple et le Parti.

    Dans un texte visant à appuyer la proposition de nommer son père au poste de « secrétaire général éternel » du Parti du travail de Corée 3, le jeune Kim présente le Parti comme une mère qui doit voir au bien-être de ses enfants : « Tout comme une mère n’abandonne pas son enfant même s’il est taré ou cause des ennuis, mais au contraire veille sur lui et s’en occupe particulièrement, les organisations du Parti doivent amener tout le monde à se sentir dans le giron du Parti », le but étant de « faire de notre société une grande famille harmonieuse et étroitement unie ».

    Dans le même sens, voici le rôle que Kim Jong-un attribue aux femmes nord-coréennes : « Nos femmes constituent une grande force qui fait avancer l’une des deux roues de la charrette de la révolution. Les organisations du Parti doivent diriger judicieusement celles de l’Union démocratique des femmes pour que celles-ci remplissent leur devoir aussi bien pour la richesse, la puissance et la prospérité de la patrie que pour la bonne entente et le bonheur de la société et de leur famille, et continuent à s’épanouir comme les fleurs de l’époque. »

    Nous pourrions continuer longtemps à citer le président éternel (Kim Il-sung), le secrétaire général éternel (Kim Jong-il) ou celui désormais destiné au titre posthume de « commandant suprême éternel » (Kim Jong-un), mais il nous apparaît assez clairement que le Parti du travail de Corée n’a rien à voir avec le communisme authentique et qu’il n’est qu’un reliquat du révisionnisme moderne et de ces partis sclérosés qui se sont avérés des caricatures d’un projet par ailleurs voué à l’émancipation des exploitées et opprimées.

    Socialisme ou capitalisme d’État ?

    Il n’est pas surprenant que des organisations nostalgiques de l’URSS des Brejnev, Andropov, Tchernenko et autres bureaucrates ayant disparu à tour de rôle après avoir été victimes d’un « refroidissement » embrassent la Corée du Nord comme le nouveau phare du socialisme. Après tout, ces organisations faisaient déjà l’apologie du capitalisme d’État qui régnait en URSS avant l’arrivée en poste de Mikhaïl Gorbatchev et le passage au capitalisme privé qui s’en est suivi.

    Pour les maoïstes, le socialisme ne saurait être autre chose que la dictature du prolétariat, c’est-à-dire l’exercice réel du pouvoir par le biais de conseils (soviets) et d’autres organes similaires contrôlés de bas en haut par les masses prolétariennes et travailleuses.

    Le socialisme, c’est d’abord et avant tout une société de transition – une période plus ou moins longue pendant laquelle le prolétariat doit mener une lutte consciente et collective pour détruire les vestiges du capitalisme et préparer les conditions du passage au communisme et à une société sans classes.

    Ceux et celles pour qui le socialisme se définit essentiellement par la nature juridique du mode de propriété dominant – par le passage de la propriété privée à la propriété collective (étatique) des moyens de production – peuvent certes voir la République populaire démocratique de Corée comme un pays « socialiste » (quoique les réformes économiques mises en place depuis une dizaine d’années ont sérieusement commencé à mettre à mal le modèle étatique). Cela ne rend toutefois pas service au prolétariat mondial, qui a besoin de la plus grande clarté sur ces questions, ni même à la lutte légitime du peuple coréen contre l’impérialisme US, qui n’a jamais abandonné son objectif de contrôler la péninsule coréenne.

    Il est possible et nécessaire de s’opposer aux provocations états-uniennes contre la Corée du Nord et d’appuyer le droit de la RPDC de se défendre par tous les moyens à sa disposition contre les manœuvres hostiles de telle ou telle puissance impérialiste, sans pour autant devoir mentir sur la réalité du régime qui y sévit. Rejeter les mensonges des médias bourgeois sur le régime nord-coréen n’exige pas que l’on mente sur son caractère « socialiste ».

    La bourgeoisie bureaucratique formée autour de l’armée et de l’appareil d’État constitue la classe dominante en Corée du Nord. Elle opprime et tire profit collectivement de l’exploitation des masses prolétariennes et paysannes, qu’elle maintient sous une chape de plomb, sans même leur accorder quelque possibilité d’organisation autonome. Seule la lutte révolutionnaire du prolétariat de toute la péninsule permettra la mise en place d’une Corée libre et débarrassée de quelque forme de domination impérialiste que ce soit – qu’elle soit états-unienne, russe ou chinoise.

    Serge Gélinas

     

    • 1. Les citations de Kim Il-sung proviennent d’un rapport présenté le 9 octobre 1975 à l’occasion du 30e anniversaire de la fondation du Parti du travail de Corée. En ligne : http://juche.v.wol.ne.jp/pdf/fkimilsung200803.pdf
    • 2. « La philosophie du Juche est une philosophie révolutionnaire originale », interview accordée le 26 juillet 1996 à Kunroja, revue théorique du comité central du Parti du travail de Corée. En ligne : http://juche.v.wol.ne.jp/pdf/fkimjongil0501.pdf
    • 3. Kim Jong-un, « Menons à un brillant achèvement l’œuvre révolutionnaire Juche en honorant le grand camarade Kim Jong-il comme secrétaire général éternel de notre parti », entretien avec les responsables du comité central du Parti du travail de Corée, le 6 avril 2012. En ligne : http://myreader.toile-libre.org/uploads/My_5173b0ca92880.pdf. Kim Jong-un y explique notamment que « l’expression “honorer à jamais le Général Kim Jong-il comme Secrétaire général du Parti du travail de Corée” n’est nullement symbolique » et qu’il s’agit réellement « de le maintenir pour toujours au poste de Secrétaire général du Parti ».


    Sur la question de la Corée du Nord - un article du PCR Canada


    1 commentaire

  • "L'heure de la Libération palestinienne est venue, comme est venue celle de notre propre libération aux États-Unis d'Amérique."

    Tel est en résumé le propos d'une initiative lancée par plus de 1.000 activistes new afrikans (afro-américains) après que les expressions de solidarité mutuelles et même les voyages dans un sens comme dans l'autre se soient multipliés depuis un an, dans un contexte où la violence criminelle sioniste s'abat toujours plus fort sur le Peuple palestinien (2.200 mort-e-s à Gaza l'été dernier, famille palestinienne brûlée vive par des colons fin juillet en Cisjordanie) et où la résistance des Noirs grandit au cœur de l’État impérialiste US face à la multiplication des crimes policiers - en particulier avec le cas de la ville de Ferguson (Missouri), mais depuis lors ce sont plus de 1.000 personnes qui auraient été tuées à leur tour (selon un Figaro peu suspect de "gauchisme" et d'"anti-américanisme primaire").

    On compte parmi les signataires des personnalités éminentes de la Libération new afrikan telles qu'Angela Davis ou Cornell West, Dream Hampton ou Emory Douglas (ancien ministre de la culture des Black Panthers, célèbre pour ses œuvres graphiques), les prisonniers politiques Mumia Abu-Jamal, Sundiata Acoli et Kevin "Rashid" Johnson, les rappeurs Talib Kweli, Boots Riley et Jasiri X, la co-fondatrice de Black Lives Matters Patrisse Cullors, mais aussi quelques 38 organisations comme The Dream Defenders, Hands Up United, Institute of the Black World 21st Century, Malcolm X Grassroots Movement ou encore l'Organization for Black Struggle. La déclaration établit ainsi un pont entre la génération actuelle des militants de la cause noire et ceux qui ont participé aux mouvements des années 1960-70.

    Mettant en exergue la solidarité des Palestiniens avec Ferguson, ils soulignent les échanges de délégations (Palestiniens qui se sont rendus dans le Michigan en novembre dernier et représentants de groupes tels que Dream Defenders, Black Lives Matter - Ferguson etc. qui sont allés en Palestine) et réaffirment leur "indignation, dégoût et solidarité face aux massacres de Gaza, au blocus, à la persécution de tous les Palestiniens par Israël sur l’ensemble des territoires occupés, et à leur exil forcé en Jordanie, Liban et Syrie".

    Ils soulignent également "les similitudes, même si les situations sont différentes, entre la politique d’emprisonnement massif des Noirs américains et celle des Palestiniens par l’État d’apartheid israélien" : pour le coorganisateur Khoury Petersen-Smith, "la fondation de l’État d’Israël s’est faite par le nettoyage ethnique de la Palestine et depuis, chaque jour a été porteur d’oppression et de violence envers la population palestinienne aussi bien à l’intérieur des frontières reconnues d’Israël qu’à l’extérieur" (...) "quoiqu’il y ait des différences entre Israël et les USA, nous voyons un parallèle avec un pays qui s’est fondé sur l’esclavage des Noirs et où le racisme contre les Noirs reste au cœur de la société US des siècles plus tard".

    "Les uns comme les autres, nous sommes traités de terroristes et subissons le racisme et la violence", ajoutent-ils en concluant que "l’oppression du Peuple palestinien ne serait pas possible sans le soutien constant et inconditionnel des gouvernements états-uniens, qui financent la violence d'Israël à coup de quelques 3 milliards de dollars chaque année".

    Ils appellent à participer massivement à la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) lancée par la société palestinienne, centrant notamment leur dénonciation sur l'entreprise de sécurité britannique G4S qui "nuit à des milliers de prisonniers politiques palestiniens détenus illégalement en Israël et à des centaines de jeunes noirs et latinos dans les prisons privatisées pour mineurs aux États-Unis", et insistent sur le "caractère central de la la lutte de libération du Peuple palestinien pour le reste du monde et de la société".

    http://indigenes-republique.fr/1-000-militants-de-la-cause-noire-universitaires-et-artistes-signent-une-declaration-de-soutien-a-la-liberte-et-a-legalite-pour-les-palestiniens/

    On peut lire le texte intégral en anglais ici : https://electronicintifada.net/content/palestinian-liberation-key-matter-our-time-say-black-leaders/14783 ou encore ici http://www.ebony.com/news-views/1000-black-activists-artists-and-scholars-demand-justice-for-palestine-403#axzz3jGQUbDph ; traduit en francais ici http://www.aurdip.org/declaration-de-solidarite-des-1485.html

    Lire aussi (en anglais) : http://www.salon.com/2015/08/18/black_activists_send_clear_message_to_palestinians_now_is_the_time

    Voilà qui change de nos "socialistes" (le terme désigne plutôt là-bas des révolutionnaires "bien rouges"...) qui organisent des "Tel Aviv sur Seine" à Paris... Cela dit les liberals US (véritables équivalents de nos socialos), y compris afro-descendants, sont largement dans la même veine !

    De Ferguson à Gaza : contre le racisme et l'apartheid, 1.000 militant-e-s de la Libération noire aux côtés du Peuple palestinien martyr
    De Ferguson à Gaza : contre le racisme et l'apartheid, 1.000 militant-e-s de la Libération noire aux côtés du Peuple palestinien martyr


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  • Il y a 70 ans, Hiroshima et Nagasaki - le plus grand crime contre l'humanité "à la seconde" de tous les tempsIl y a 70 ans, Hiroshima et Nagasaki - le plus grand crime contre l'humanité "à la seconde" de tous les temps[Les différences dans les bilans humains viennent du fait que l'on peut compter seulement les victimes "instantanées" des deux bombardements mais aussi celles des retombées radioactives pendant des années après.]


    Eh oui, il ne faut jamais cesser de le rappeler : en ce tragique début d'août 1945, le "monde libre" qui succédait au "monde civilisé" d'avant-guerre (et qui ne cesse depuis de donner des leçons et de pourfendre le "terrorisme" et le "totalitarisme" à travers le monde) voyait le jour en tuant plus d'êtres humains en une poignée de secondes qu'aucun acte "terroriste" (même le 11 Septembre 2001) et même aucune chambre à gaz ni aucun Einsatzgruppe nazi (sans même parler des "affreux totalitarismes communistes" présentés comme les "jumeaux du nazisme"...) ne l'avait jamais fait jusqu'alors et ne l'a jamais fait depuis. Ceci afin de (prétendument) obtenir la capitulation sans conditions d'un ennemi déjà à terre ; mais aussi et surtout de montrer qui était le "patron" du nouveau monde qui naissait face à une URSS indiscutablement grand vainqueur de la guerre contre les régimes fascistes (au prix de la vie de 20 millions de ses héroïques citoyens).

    L'on peut aussi légitimement se demander, même si l'Allemagne et l'Europe occupée par elle (dont l’État français) avaient aussi subi de terribles bombardements, si une telle chose aurait pu être envisagée contre des Blancs... Hitler, s'il avait eu la bombe à temps, n'aurait peut-être pas hésité (soit contre Londres soit contre Moscou soit contre les deux). Mais c'était Hitler... et c'est précisément pour cela qu'il est entré dans l'Histoire comme la "Figure absolue du Mal" : pour avoir osé importer et appliquer indistinctement en Europe même les méthodes criminelles jusque-là réservées aux "sauvages" des colonies et "moralement prohibées" sur le Vieux Continent (à moins qu'il ne s'agisse vraiment de la pire "populace partageuse" comme lors de la Commune de Paris, ou d'un peu d'"Afrique en Europe" comme lors de l'annexion du Royaume de Naples par la nouvelle Italie unifiée).

    En carbonisant un ramassis de "chiens jaunes" (c'était le terme commun de la propagande de guerre... tandis que les nippo-américains étaient parqués dans des camps d'internement) qui, au-delà de toutes les atrocités impérialistes qu'ils avaient pu commettre (et que les communistes d'Asie - à commencer par ceux de Chine - avaient combattues valeureusement), avaient surtout commis aux yeux de l'Occident le "crime" impardonnable de se dresser contre lui, la "nouvelle Rome" US (succédant à Londres et Paris déconfits) remettait en quelque sorte le monde impérialiste occidentalo-centré "à l'endroit"...

    À lire, un article HYPER-INTÉRESSANT par rapport au mythe qui relativise ces deux crimes innommables en affirmant qu'ils auraient mis un "point final" à la Seconde Guerre mondiale :

    Ce n'est pas la bombe atomique qui a poussé le Japon à capituler

    Il y a 70 ans, Hiroshima et Nagasaki - le plus grand crime contre l'humanité "à la seconde" de tous les temps


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  • Le 2 août 1980, une charge de 23 kg d'explosifs détruisait la salle d'attente des secondes classes de la gare ferroviaire de Bologne (Romagne, État italien), tuant 85 personnes.

    Un massacre rappelant - mais en bien pire encore ! - celui perpétré 11 ans plus tôt (déjà par des éléments d'extrême-droite) sur la Piazza Fontana de Milan en décembre 1969 (16 mort-e-s), ouvrant la décennie et demi de guerre civile de basse intensité retenue par l'histoire bourgeoise sous le nom d'"années de plomb".

    Bologne était alors un bastion historique du PCI révisionniste (de fait complètement institutionnalisé et social-démocratisé avec Enrico Berlinguer), et il est probable que l'idée des auteurs et de leurs commanditaires était de faire croire à une attaque du communisme combattant ou du mouvement autonome contre celui-ci afin de "neutraliser" la gauche institutionnelle (PCI, PSI) tandis que s'instaurerait un régime autoritaire d'exception contre le "terrorisme".

    "Malheureusement" des juges "rouges" (sociaux-démocrates, révisionnistes voire de l'aile gauche de la démocratie-chrétienne... ou tout simplement intègres) mirent la main sur l'affaire et la culpabilité néofasciste ("Noyaux armés révolutionnaires" - NAR - ainsi que Terza Posizione) dans le crime fut rapidement révélée, conduisant à l'arrestation des deux auteurs matériels (Giuseppe Valerio Fioravanti et Francesca Mambro, arrêté-e-s respectivement en février 1981 et mars 1982 et condamné-e-s définitivement à la perpétuité en 1995 - ils clament au demeurant toujours leur innocence) et à la délivrance d'une vingtaine de mandats d'arrêt (mais la plupart des Chemises noires visées se carapateront, comme Gabriele Adinolfi aujourd'hui dirigeant tutélaire de CasaPound, revenant à la faveur de la prescription 15 ou 20 ans plus tard ; tandis que les arrêté-e-s seront tou-te-s acquité-e-s après quelques années de préventive).

    Il est permis de penser que pour le coup, les "stratèges" de ce "brillant" plan (ou du moins ses exécutants) aient eu la "main trop lourde" ce qui a conduit, devant l'immense émotion soulevée en Italie et dans le monde entier, à une implication sans précédent des juges débouchant (non sans des années d'investigations, de procédures... et d'obstructions de toutes parts) sur des révélations essentielles et même sur la "chute" de personnages jusque-là extrêmement puissants. De toute manière à l'époque, après la décimation du mouvement révolutionnaire par quelques... 25.000 arrestations suivies de procès-spectacles avec accusés comparaissant dans des cages, l'option d'un mode de gouvernement ouvertement antidémocratique n'était plus vraiment à l'ordre du jour pour la grande bourgeoisie transalpine. L'"air du temps" dans les pays "méditerranéens", comme déjà au Portugal et bientôt en "France", en Grèce et en "Espagne", était plutôt à la gestion "tranquille" par la... "gauche" bourgeoise de la transition vers l'ère post-soviétique de la "Fin de l'Histoire" et du "néolibéralisme"...

    Ce qui restera (et reste encore à ce jour) peu clair en revanche, malgré les éléments très importants révélés au grand jour, seront toutes les implications et les ramifications de ce crime barbare derrière les auteurs fascistes directs et jusqu'au cœur de l'"État profond" vert-blanc-rouge : seront mis en cause (du moins pour leurs manœuvres troubles de "dépistage" des enquêteurs) la Loge P2 de Licio Gelli, loge maçonnique mais également très liée à l’Église catholique, violemment anticommuniste et ne répugnant pas à travailler avec l'extrême-droite ou encore à soutenir les juntes militaires meurtrières en Amérique latine (et dans laquelle fit notamment ses premières armes un certain Silvio Berlusconi) ; ou encore des éléments des services de renseignement (notamment le SISMI, le renseignement militaire) liés à cette dernière ou au réseau "Gladio"* (réseau initialement mis en place par la CIA pour mener la "résistance" en cas d'invasion soviétique et/ou de prise de pouvoir par le PC pro-Moscou, devenu ensuite spécialiste des "coups tordus" "contre-subversifs" ; le SAC jouait un peu le même rôle dans l’État français mais avec un côté plus nationaliste/anti-américain du fait de sa ligne gaulliste)... Mais derrière, qui d'autre encore ? On ne le sait toujours pas avec exactitude.

    L'importance de ces éléments (surtout dans les années 1980) et de leur "stratégie de la tension" est peut-être parfois exagérée, certains - liés historiquement au révisionnisme pro-soviétique brejnévoïde - allant jusqu'à leur attribuer la "paternité" et la "manipulation" de l'immense mouvement communiste révolutionnaire de l'époque, mais leur noyautage de l'appareil étatique et des cercles d'influence était néanmoins certain et suffisant pour justifier que l'enquête ne "creuse" pas plus avant. Le Président du Conseil de l'époque, le démocrate-chrétien Francesco Cossiga, fera notamment tout son possible pour entraver son déroulement normal, commençant par nier le fait même d'un attentat (la fameuse "explosion de chaudière" invoquée et relayée par la presse dans les premières heures) et revenant même à la charge 15 ans après, dans les années 2000, avec la ridicule thèse d'une action du... FPLP ("piste palestinienne" qui sera alors alimentée et montée en épingle par Berlusconi, historiquement membre de P2 et proche de Gelli comme on l'a dit). Parallèlement, les tentatives de "gonfler" le rôle de Terza Posizione (quitte à fabriquer des "preuves") pour protéger les vrais instigateurs finiront par être mises en lumière et conduiront à l'acquittement "au bénéfice du doute" des inculpés de cette organisation...

    Mais enfin, quoi qu'il en soit et quelles que soient les contradictions internes à la bourgeoisie que ce genre d'acte peut révéler, le massacre de Bologne montre le vrai visage et de quoi est capable notre ennemi et nous enseigne que la guerre révolutionnaire implacable est la seule voie de la libération du Peuple.

    Les camarades de Quartiers Libres ont consacré à l'anniversaire de ce sinistre évènement leur dernière "séance du dimanche" (avec un récent film en italien, la Linea Gialla, "franchement moyen mais ayant le mérite d'exister et de poser les bonnes questions") :


    Séance du dimanche. 2 août 1980, attentat de la la gare de Bologne


    Au sujet de ce terrorisme d'extrême-droite et de ses liens avec les réseaux "stay behind" du "monde libre" dans le contexte de la Guerre froide, voici trois  documentaires : 



    Le scandale des armées secrètes de l’OTAN. (docu.) par stranglerman



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