• 1. Les récentes ‘considérations’ consacrées à la montée du fascisme, en établissant un parallèle comparatif entre la situation d’entre-deux-guerres et la situation actuelle, ont amené SLP à exposer une importante analyse de la ‘politique (bourgeoise) à la française’. Une ‘politique’ avec ses ‘traditions’, remontant pratiquement à la révolution bourgeoise de 1789 ; et, de même que celle-ci avait ‘récupéré’ l’appareil politico-militaire de l’État monarchique en le modernisant, le capitalisme devenu monopoliste (impérialiste) a récupéré ces ‘traditions’ politiques bourgeoises, en les modernisant également (ainsi, les forces hostiles à une forme républicaine de gouvernement sont aujourd’hui très minoritaires et marginales, et la question d’avoir un Bourbon, un Orléans ou un Bonaparte sur le trône ne passionne plus les dîners mondains comme cela pouvait être le cas il y a encore 150 ans…).

    Il faut bien avoir à l’esprit que la classe dominante actuelle, celle qui ‘fait la politique’ de notre État bourgeois ‘France’, la bourgeoisie monopoliste (cadres dirigeants et actionnaires ‘significatifs’ des grands groupes capitalistes, du ‘CAC 40’), ne représente qu’une part infime de la population, peut-être même moins que les ‘1%’ dénoncés par les mouvements contestataires de type Indigné-e-s ou Occupy. La ‘classe politique’, elle (les politiciens que l’on voit tous les jours à la télé), est plutôt issue (et l’expression politique) de la moyenne bourgeoisie, de la classe ‘moyenne-sup’’, subordonnée à la première ; et ses grands partis en représentent différentes fractions, sur lesquelles la bourgeoisie monopoliste va s’appuyer tour à tour en fonction de ses intérêts et de sa ‘tactique’ du moment.

    Si l’on observe brièvement de quelles fractions se compose cette moyenne bourgeoisie, il va s’en dégager globalement :

    298693 marine-le-pen-d-et-jean-francois-roubaud-g-president- la bourgeoisie des petits et moyens entrepreneurs, à laquelle on peut associer la petite bourgeoisie des ‘indépendants’ et micro-employeurs, et les ‘notables’ (propriétaires fonciers, agriculteurs aisés) ruraux. Celle-ci va constituer, dans l’immense majorité (97% pour Sarkozy au 2e tour de la présidentielle), un électorat de ‘droite dure’ : en gros, c’est soit Sarkozy ‘version’ Buisson-Guéant, l’UMP façon Droite populaire ; soit Le Pen (avec parfois, localement, d’autres ‘droites radicales’ comme De Villiers, CPNT, les organisations de l’UDN, les ‘notables’ d’extrême-droite à la Bompard ou Simonpieri, etc.). Dans les villages et les petites villes dont ils sont des ‘figures locales’, ou dans les entreprises qu’ils dirigent, ils vont entraîner une part importante de l’électorat populaire, et même ouvrier, vers cette orientation politique. C’est ainsi que des zones géographiques entières (comme la Moselle, par exemple) sont des bastions historiques d’une ‘droite ouvrière’ électorale, qui a fait la fortune de Sarkozy en 2007 et de Marine Le Pen en 2012 (et, globalement, du Front national depuis plus de 25 ans) ; et lorsque l’on parle de ces ‘35% d’ouvriers’ qui votent FN (en laissant de côté l’abstention, premier ‘parti’ ouvrier d’Hexagone) et de cette ‘nette majorité’ de salariés du privé qui votent à droite (au second tour), il faut savoir qu’il s’agit pour l’essentiel de salariés de PME (ou micro-entreprises artisanales, commerciales ou agricoles) des zones rurales ou semi-rurales.

    Seule une minorité de ces entrepreneurs, dans les secteurs de ‘nouvelle économie’ (des grandes métropoles), sera d’opinion libéral-démocrate, social-libérale voire ‘libérale-libertaire’.

    dba5ceee-f7f1-11df-a4d8-fa25b9579a36- les cadres du ‘secteur privé’ (grandes entreprises et groupes privés), auxquels on peut associer les professions libérales (médecins, avocats…) : c’est plutôt là le territoire électoral de l’orléanisme, du libéralisme politique et économique, allant du social-libéralisme à la Strauss-Kahn (voire Cohn-Bendit) au libéral-conservatisme Sarkozy-Copé, en passant par la libéral-démocratie de type Modem ou UDI. Ils aiment la ‘liberté dans l’ordre’ mais sont très majoritairement hésitants à ‘sauter le pas’ de la dictature terroriste ouverte, à laquelle ils ne se rallieront qu’à reculons et dans une situation d’extrême urgence, en l’espérant temporaire. Une minorité est d’extrême-droite, mais elle en constitue – évidemment – les cadres et les idéologues, avec son ‘capital intellectuel’ nettement supérieur à celui des patrons de PME. C’est la fraction qui a le plus de mal à influencer les couches ‘basses’ de ses subordonnés, qui, dans les grandes entreprises, tendront à suivre les syndicats réformistes et à voter pour la gauche bourgeoise. Elle peut éventuellement influencer l’encadrement intermédiaire, le salariat intellectuel ‘gravitant’ autour de la production, et diffuser une culture de ‘compétitivité’ économique qui développera chez les ouvriers et petits employés le nationalisme économique (‘produisons français’), et par répercussion le vote FN (ou les impasses social-populistes stériles comme le mélenchonisme).

    fonctionnaires-greve-fonction-publique 191-300x189- les cadres du ‘secteur public’ (fonction publique et entreprises étatiques) : c’est, de manière bien connue, un bastion de la ‘gauche’ bourgeoise ; et ils influencent largement dans ce sens leurs subordonnés. Une ‘gauche’ plutôt, majoritairement, de tendance ‘républicaine’, ‘jacobine’, faisant grand cas d’un État quasi divinisé, de la ‘citoyenneté’, des ‘valeurs’ du radical-socialisme IIIe République (très présentes dans le discours d’un Mélenchon). Un sondage de 2012 a cependant révélé qu’à la présidentielle, le salariat public aurait placé en tête François Hollande et Marine Le Pen, loin devant Sarkozy. ‘Glissement’ électoral aisément explicable par la culture petite et moyenne-bourgeoise ‘social-républicaine’ hégémonique, qui trouve de moins en moins à redire devant la ‘respectabilisation’ engagée par la fille de son père

    En somme (et en substance), si l'on voulait schématiser à l'extrême, l'on pourrait dire que "la gauche" est plutôt le parti de la "bourgeoisie d’État" (sauf les cadres de l'appareil policier/répressif et militaire, plutôt à droite pour ne pas dire plus, et nonobstant un nombre non négligeable d'"exceptions" - hauts fonctionnaires clairement à droite) tandis que "la droite" (ou alors un certain centre-centre-ceeeentre-gauche vraiment trèèèès libéral) est plutôt celui de la bourgeoisie d'entreprise, du "privé", là encore non sans un nombre notable d'exceptions ; le FN représentant finalement les plus "radicaux"/"extrémistes" (notamment les plus "incertains" dans leur position, comme les patrons de PME mais aussi les fonctionnaires qui voient l’État perdre des prérogatives "sous le diktat de Bruxelles") des uns comme des autres.

    Mais en réalité, à ces distinguos vont venir se superposer d’autres, à la manière d’un kaléidoscope. Ainsi, comme tout grand État bourgeois, la ‘France’ va présenter des contradictions au sein de sa bourgeoisie sur une base géographique. L’on va ainsi distinguer :

    - une bourgeoisie d’Île-de-France, du Bassin parisien, à laquelle on peut rattacher la bourgeoisie de grande industrie du Nord/Nord-Est. Celle-ci va tendre, de même que la bourgeoisie d’État en général (logique…), vers plus de ‘jacobinisme’ social-républicain ou de ‘gaullo-bonapartisme’, plus de centralisme étatique.

    - une bourgeoisie de ‘province’ qui va historiquement tendre à ‘râler’ contre la première, fraction historiquement dirigeante de la révolution bourgeoise de 1789 (et de ses ‘séquelles’ du 19e siècle), et parfois (en tant que bourgeoisie entrepreneuriale) être économiquement plus tournée vers les États bourgeois voisins que vers le centre parisien. Elle va être plutôt ‘décentraliste’ et européiste, ‘girondine’ (comme l’incarne, par exemple, le très important réseau d’élus locaux PS ‘2e gauche’), ‘orléaniste’ ou d’extrême-droite mettant en avant les ‘petites patries’ locales et/ou ‘l’Europe-civilisation’, peu encline aux tentations de ‘cavalier seul’ de certaines tendances du grand capitalisme BBR. Lyon, consacrée ‘capitale de la province’ (‘antenne-relais’ n°1 de Paris), est particulièrement un foyer de cette ‘droite radicale’ maurrasso-pétainiste, national-catholique, identitaire etc. tout en étant, au niveau de la démocratie bourgeoise, un bastion du centrisme et du social-libéralisme. C'est que de fait, on y trouve historiquement deux grands clans bourgeois : celui autour de la franc-maçonnerie longtemps incarné par le Parti radical (avec Édouard Herriot, maire de 1905 à sa mort en 1957), un radicalisme provincial typique que l'on retrouve aujourd'hui encore dans le radicalisme de droite (valoisien, le parti de Borloo qui reste puissant dans la ville) comme de gauche (dont on retrouve l'esprit autour du maire Gérard Collomb) ; et un ‘parti catholique’ qui s'est différencié avec le temps, allant aujourd'hui de la démocratie-chrétienne (Modem, bien implanté également) au conservatisme ‘dur’ (millonisme) et au national-catholicisme d'extrême-droite (Bruno Gollnisch, Œuvre française dont c'est le bastion etc.) - il n'y a donc pas ‘le’ centrisme lyonnais mais bien deux centrismes, celui de tradition radicale et celui de tradition démocrate-chrétienne.

    - la bourgeoisie des grands ports (comme Marseille, Nantes/Saint-Nazaire, Bordeaux ou Le Havre) était, historiquement, tournée vers l’Empire et donc un fervent soutien des politiques colonialistes et impérialistes, quelle que soit ‘l’étiquette’ politique qui les porte. En 1940-44, elle s’est logiquement très bien reconnue dans la fraction gaulliste réfugiée à Londres, fraction solidement appuyée sur l’Empire et ancrée ‘à l’Ouest’ (dans l’alliance anglo-saxonne), tout en étant jalouse des intérêts tricolores… Elle a pu conserver par la suite cette fidélité au gaullisme ; la bourgeoisie portuaire marseillaise pouvant toutefois, peut-être, regretter la ‘perte’ (toute relative) de l’Algérie en 1962 (antigaullisme également alimenté par la bourgeoisie coloniale rapatriée – massivement – dans cette ville). Aujourd’hui, avec la ‘perte de vitesse’ de l’impérialiste BBR, des fractions (notamment liées à la ‘Françafrique’) peuvent être farouchement ‘souverainistes’, d’autres, en fonctions de leurs intérêts commerciaux, plutôt ‘atlantistes’ ou ‘eurasistes’. À Bordeaux, par exemple, il y a une puissante tradition gaullo-radicale incarnée par Jacques Chaban-Delmas (maire de 1947 à 1995) puis Alain Juppé, car c’est un important terminal pétrolier (Ambès) tourné vers l’’Empire énergétique’ BBR, avec la ‘culture Elf Aquitaine’ etc. ; mais il y a aussi une tradition catholique conservatrice voire ultra-réactionnaire national-catholique fascisante (mise à jour par le reportage sur le groupe ‘Dies Irae’), car c’était surtout un grand port colonial d’Ancien Régime (traite négrière), pas tellement de l'époque impérialiste, et situé au cœur d’une région viticole de luxe, dont il assure l’exportation.

    Ce n’est pas là une liste exhaustive : pour ainsi dire, c’est pratiquement dans chaque département que la moyenne-bourgeoisie, en fonction d’une foule de facteurs, génère une ‘identité politique’ souvent très forte et solidement ancrée. 

    Enfin, il y a le clivage des ‘sensibilités’, de ‘gauche’ (plus libérale dans la dictature bourgeoise vis-à-vis des masses populaires, social-redistributive vis-à-vis des classes laborieuses), du ‘centre’ ou de ‘droite’ (plus ou moins ‘radicale’, répressive vis-à-vis des masses populaires et ‘dure’ dans la défense du Capital, même avec des accents ‘sociaux’ de type corporatistes). Cela, c’est tout simplement le fruit des mille parcours individuels de chacun de ces moyens-bourgeois, de leur appartenance mais aussi de leur origine de classe (qui peut ne pas être la même), de la ‘tradition politique’ familiale et du milieu social d’origine, qu’ils peuvent perpétuer ou au contraire rejeter, de l’appartenance à une minorité ‘ethnique’ ou de genre (homosexuel-le-s), et de mille et un évènements personnellement vécus (bien que toujours analysés à travers des ‘yeux de classe’) ; ceci amenant une conception du monde qui va ensuite se reconnaître, peu ou prou, dans l’une ou l’autre des ‘cases’ de ‘l’échiquier’ politique bourgeois. C’est cela qui fera qu’un moyen-bourgeois sera social-libéral ‘girondin’, libéral-démocrate à la Bayrou, libéral-conservateur à la Copé ou ultra-réactionnaire quelque part (idéologiquement) entre De Villiers, Bompard et le MNR, ou social-républicain ‘jacobin’, ‘gaulliste social’ à la Fillon, gaulliste réactionnaire à la Pasqua ou Droite populaire ou Front national. 

    manifeste-pour-une-droite-decomplexee-2875762-250-400La fascisation ou ‘montée du fascisme’ désigne le processus par lequel la bourgeoisie monopoliste, confrontée à la crise générale du capitalisme et à l’agitation subséquente des masses populaires (dirigée par un Parti révolutionnaire ou spontanée), va pousser en avant le ‘durcissement’ réactionnaire de la dictature bourgeoise et faire converger toutes ces tendances de la moyenne bourgeoisie vers la mise en place, ou au moins la neutralité/acceptation, d’une dictature réactionnaire terroriste ouverte du Capital, le FASCISME.

    Nous avons vu, dans l’étude comparative de la situation actuelle avec les années 1930, que parler de fascisme en France ne peut avoir de sens qu’entendu comme FORME DE GOUVERNEMENT (dictature réactionnaire terroriste ouverte, mobilisant une partie des masses populaires contre les ‘mauvais citoyens’ et un ou plusieurs 'ennemi(s) intérieur(s)'). Il est absurde et illusoire de vouloir le définir à travers une idéologie précise et cohérente, sinon à travers des caractéristiques très basiques (il est contre-révolutionnaire, et va donc rarement mettre en avant une conception progressiste du monde ; il défend les intérêts des monopoles BBR, et/ou du bloc impérialiste euro-continental, et va donc tenir un discours chauvin, dans lequel les classes et leur lutte n’ont pas voix au chapitre ; il vise la mobilisation de masse derrière les monopoles, et va donc tenir un discours ‘populaire’ mais là encore, en niant totalement les classes sociales et leurs contradictions) ; et a fortiori, de le rechercher à travers le ‘prisme’ du fascisme italien ou du nazisme allemand du siècle dernier, ‘modèles’ qui ne peuvent concerner en ‘France’ que des Q5groupes marginaux, ‘supplétifs’ et qui ne prendront jamais le pouvoir. Le fascisme ‘à la française’ consiste, face à une situation politique d’une gravité sans précédent (comme la défaite de 1940, aujourd’hui ce pourrait être un chaos économique et social comme en Grèce, peut-être ‘agrémenté’ d'une vague d’attentats ‘terroristes’ meurtriers, etc.), amène les ‘droites radicales’ à ‘converger’ vers la solution réactionnaire terroriste ouverte, appuyée sur les groupes ultras (‘fascistes proprement dits’ : groupes néonazis locaux – comme Lyon Dissident, ‘solidaristes’ d’Ayoub ou Parti solidaire français de Werlet, Jeunesses nationalistes de Gabriac ou Jeunesses identitaires de Vardon, national-catholiques paramilitaires type Renouveau français ou Dies Irae, etc.), et avec la lâche neutralité complice des libéraux, démocrates voire réformistes bourgeois (il suffit, pour comprendre cela, de jeter un regard sur la liste des parlementaires ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940).

                 3356-9croix de feu 
    Les 'Jeunesses patriotes' de Pierre Taittinger assuraient, entre 1925 et 1935, le service d'ordre paramilitaire de la Fédération républicaine, la 'droite décomplexée' de l'époque. L'autre grande formation de masse à la 'droite de la droite', apparaissant à la même époque, était les Croix-de-Feu, dont le côté 'césariste' rappelle l'actuel FN. Maniant un discours antisémite au sens anti-libéral et anti-progressiste, les Croix-de-Feu n'étaient pas spécialement hostiles aux Juifs conservateurs, 'patriotes' et anciens combattants ; tout comme aujourd'hui de nombreuses personnes juives, musulmanes ou noires - ou métisses - militent au Front national ou dans son orbite.


    poitiers 20121021 7322. Tout dernièrement, a fait grand bruit l’opération ‘coup de poing’ du Bloc identitaire à la mosquée (en construction) de Poitiers, quelques jours avant ‘l’anniversaire’ supposé de la bataille (25 octobre 732) livrée près de cette ville par le prince franc Charles Martel contre les troupes de l’émir de Cordoue Abd al-Rahmân – Poitiers, d’autre part, est depuis 1977 un fief municipal du PS, pour lequel sont réputés voter "90% des musulmans de France". Une action ‘symbolique’, donc, et, le ‘symbole’ répondant au ‘symbole’, la majorité PS au pouvoir s’est empressée de riposter ‘vigoureusement’ : quatre gardés à vue, finalement mis en examen (sous contrôle judiciaire), condamnations médiatiques vigoureuses, appels à la dissolution du Bloc etc. Cette réponse ‘vigoureuse’ s’inscrit dans la politique PS de ‘lutte sur tous les fronts’ : contre le ‘terrorisme islamiste’, contre le ‘banditisme’ à Marseille et maintenant en Corse (où la propagande le relie, sur la base de quelques connexions bien réelles, à la revendication démocratique nationale) et désormais contre la ‘droite radicale’ identitaire, activiste ultra-réactionnaire sur une ligne ‘euro-nationalo-régionaliste’, véritables ‘Camelots du Roi’ de notre époque. Une lutte typiquement ‘gauche bourgeoise’ en défense des ‘valeurs de la république’ parlementaire bourgeoise et de la ‘cohésion nationale’, contre la montée de la lutte des classes et les camps qui, logiquement, se forment et se consolident sur cette base.

    Mais cette action est aussi l’occasion de rebondir sur un article (en réaction à celle-ci) du site ‘Voie lactée’ du ‘p’’c’’mlm’ ; mouvance dont SLP avait souligné la prise de conscience tardive de l’importance du courant ‘identitaire’ au sein du ‘fascisme-mouvement’ (ils préféraient, alors, se concentrer sur les courants donnant la priorité à un discours ‘social’ et anti-américain/antisioniste, voire ‘tiers-mondiste’), et dont il est intéressant à présent de voir l’analyse du phénomène. Or celle-ci, en plus de leur donner l’occasion de nouvelles attaques hors-de-propos contre les antifascistes ‘non-affiliés’ à leur secte fantomatique (c'est-à-dire à peu près tous, à présent), en l’occurrence les libertaires de Poitiers, et contre les Indigènes de la République, systématiquement mis sur le même plan que les Identitaires (comme si l’on pouvait tirer un trait d’égalité entre une réaction d’opprimé-e-s, peut-être petite-bourgeoise et erronée, et l’une des expressions les plus virulentes du système d’oppression), présente une affirmation intéressante quant à leur conception du monde. Il y est affirmé non seulement qu’existe une ‘nation française’ sur (en tout cas) l’ensemble du territoire ‘métropolitain’ (peut-être hors Corse, qui sait…), mais en outre, que celle-ci se serait formée ‘800 ans voire 1000 ans’ après la bataille de Poitiers mise en avant par les Identitaires, soit entre le 16e et le 18e siècle.

    Nos lecteurs savent bien que telle n’est pas (du tout) l’analyse que fait SLP de la constitution des nations modernes (actuelles) en Europe et Méditerranée ; mais il ne s’agit pas seulement de SLP : une telle analyse est en effet contraire à celle des ‘piliers’ du marxisme-léninisme-maoïsme comme troisième, supérieur et à ce jour plus abouti développement du socialisme scientifique marxiste.

    Il faut, en effet, lire Ibrahim Kaypakkaya sur la question kurde en Turquie (ici en anglais, ici en français, ici traduit par nous) : les nations ne se forment pas à l’apogée du capitalisme (apogée ‘progressiste’ – mais non sans une kyrielle d’atrocités – qui se situerait, en Europe occidentale, entre le règne de Louis XIV et la crise générale capitaliste de 1873) mais à l’AUBE (at the dawn) de celui-ci ; SLP dirait même aux premières lueurs de l’aube, lorsque l’émergence de ce mode de production ‘rencontre’ les autres caractéristiques (langue, culture commune, stabilité sur un territoire etc.) d'une formation nationale. En Europe et en Méditerranée, cela signifie carte-france-capetiens-1030l’époque comprise entre Charlemagne (renaissance carolingienne) et la Renaissance médiévale incluse, jusqu’à la fin du 13e siècle (800-1300), époque des foires (de Champagne, du Languedoc) et des premières universités, où les marchands et les étudiants étaient classés (en fonction de leur langue d’expression) par ‘nations’, donnant naissance au terme ; et l’époque contemporaine des califats de Cordoue et de Bagdad dans l’espace musulman : autrement dit, l’apogée de la féodalité (comme mode de production supérieur à l’esclavagisme antique), au sein de laquelle poignaient les premières lueurs de l’aube capitaliste. Par la suite, à partir du 13e siècle, le mode de production féodal est entré en crise et dans un processus de concentration de la propriété éminente des princes, qui amènera à la constitution des grands États modernes (globalement, 1180-1480 pour la ‘France’) et débouchera (à partir du 16e siècle) sur les monarchies absolues, processus dans lequel fera son nid la bourgeoisie capitaliste, une fraction de celle-ci (souvent proche du pouvoir monarchique : bourgeoisie francilienne en ‘France’, londonienne en Grande-Bretagne, madrilène en Espagne ; ou située dans les régions géographiques historiquement plus avancées : plaine du Pô – dont le royaume du Piémont – en Italie, Rhénanie et Westphalie prussiennes en Allemagne) prenant la tête de la classe capitaliste au niveau de l’État, pour finalement prendre la direction de celui-ci et se ‘débarrasser’ (tel un serpent faisant sa mue) de la ‘vieille enveloppe’ des structures politiques monarchiques (ou réalisant, en s’appuyant sur sa monarchie ‘de tutelle’, l’unité politique d’un grand espace géographique, comme l’Italie ou l’Allemagne).

    En affirmant que la ‘Nation française’ naît au 17e ou 18e siècle (citant de manière purement intellectuelle un texte de 1674), à l’apogée de la monarchie absolue et à la veille de la Révolution bourgeoise, le ‘p’’c’’mlm’ confond en réalité la Nation avec l’État moderne, qui est un APPAREIL POLITICO-MILITAIRE développé par les grandes maisons monarchiques (‘stade suprême’ de la féodalité) et repris (en le modernisant) par la fraction ‘dirigeante’ de la bourgeoisie dans sa révolution anti-féodale. Ce faisant, ils se placent finalement dans la continuité du PCF de Thorez (dont ils présentent, actuellement, une longue étude historique, intéressante au demeurant), qui ne reconnaissait pas les nations constitutives de l’État ‘France’ (des ‘féodalités’ selon lui) et posait sa démarche ‘révolutionnaire’ dans le prolongement de la Révolution bourgeoise jacobine de 1793-94 ; ou encore dans celle du PCI de Togliatti, qui se posait dans le prolongement du mazzinisme et du garibaldisme alors que Gramsci, lui, avait très justement analysé l’Unité italienne comme une conquête du Sud par la bourgeoisie du Nord, ‘pliant’ l’organisation sociale du nouvel État à ses intérêts et passant des alliances littéralement coloniales avec l’aristocratie méridionale et l’Église catholique. 

    Le problème des Identitaires n’est pas de ‘rejeter’ la ‘France’ comme construction politico-militaire au service hier de la Cour capétienne et aujourd’hui de la bourgeoisie monopoliste (avec sa fraction dominante parisienne) ; ce qui est d’ailleurs l’exact opposé de ce qu’ils font. Au contraire, leur reprise (pour la tordre dans un sens ultra-réactionnaire) des aspirations démocratiques des nations constitutives (récup’ qui n’a rien de nouveau, déjà employée par l’aristocratie déchue, le clergé catholique et les notables monarchistes au 19e siècle, puis par l’extrême-droite maurassienne dans la première moitié du 20e, sans parler de l’impérialisme allemand nazi avec le nationalisme bourgeois breton et de l’impérialisme italien fasciste avec le nationalisme bourgeois corse)[1], est bien le signe que quelque chose ‘bouge’ de ce côté-là.

    Leur problème, c’est que :

    -         Leur ‘identité’ régionale (patrie charnelle), niant totalement le matérialisme historique, est ORGANIQUE, présentant cette ‘identité’ comme ‘immuable’ à l’appui de leur mobilisation réactionnaire de masse xénophobe : ils ne la font même pas remonter aux duchés mérovingiens et carolingiens, ce qui serait déjà erroné, mais carrément aux peuples gaulois d’avant la conquête de Jules César, ce qui est pour le coup totalement délirant : Engels a expliqué comment la crise générale de l’esclavagisme antique (ces grands bouleversements, invasions etc. qui vont globalement de l'an 200 de notre ère à la veille de l'An 1000) avait complètement fait disparaître ces ‘nations antiques’ [2] ; d’ailleurs ces ‘peuples gaulois’ étaient des réalités politiques et non nationales, tous étaient des Gaulois (branche des Celtes) divisés en plusieurs ‘cités’ tout comme les Grecs de l’époque classique, les Ibères, les Italiens avant l’unification par Rome, etc. C'est même d'autant plus grotesque, pour des gens souvent critiques envers la République, les Lumières, 1789 etc. (maurrassiens), que "nos ancêtres les Gaulois" sont justement un mythe... révolutionnaire bourgeois et républicain, pour justifier par une "souche commune" mythique l''unité' et l''indivisibilité' d'une "nation"... QUI N'EN EST PAS UNE (mais la PRISON, le résultat de l'ANNEXION d'une dizaine de peuples, sans compter l'outre-mer) !

    site gaulois bobigny1-         Ils incluent totalement ces ‘identités’ (loin de rejeter quoi que ce soit) dans la construction  politico-militaire ‘France’ (patrie historique), ne faisant là encore que reprendre la thématique maurasso-pétainiste des ‘petites patries’ dans la ‘grande’ ; ainsi que dans le cartel monopoliste post-1945 UE (patrie-civilisation), ce qui fait leur spécificité politique. Ils font remonter la première, dans la plus pure veine des historiens d’Ancien régime, à Clovis (comme si le processus historique réel n’avait pas été un tout petit peu plus complexe) ; et la seconde aux ‘grandes unifications civilisationnelles’ de l’Empire romain, de Charlemagne, ou de l’hégémonie européenne de la France sous Louis XIV ou Napoléon (des unifications éphémères que EUX, rien que ça, sauraient reprendre à leur compte et rendre perpétuelles). D’OÙ les contradictions très justement pointées par les antifascistes libertaires de Poitiers, lorsqu’ils pointent le fait que Charles Martel, le grand ‘défenseur de l’Occident chrétien’ face aux hordes musulmanes, prince franc originaire de l’actuelle Wallonie, a sans doute massacré – dans sa longue carrière – plus de Gaulois particulièrement romanisés d’Aquitaine et de Provence (ce qui allait devenir la Nation occitane, prétendue ‘patrie charnelle’ de nos z’ids aquitains et niçois) que de vils envahisseurs arabo-berbères mahométans... Et les grands ‘Croisés’ anti-islam que furent Philippe Auguste ou Louis IX (‘Saint Louis’) n’en firent pas autrement lors de la ‘conquête du Sud’ (de la Loire), véritable acte fondateur de la ‘France’ comme État/appareil politico-militaire moderne : tout le monde est au fait des ‘prouesses’ de la Croisade des Albigeois, qui vit l’annexion à la Couronne capétienne des territoires occitans situés entre Garonne et Rhône… CQFD. ‘Accepter d’en revenir au 8e siècle’ ne vise ici qu’à dévoiler toute l’absurdité du discours identitaire néo-maurassien.

    L’on se souvient que lors de l’annonce de la ‘capitulation’ d’ETA (reconnaissance par l’organisation de sa déroute politique et militaire), le ‘p’’c’’mlm’, qui utilise systématiquement l’actualité pour régler ses comptes avec les groupes ne reconnaissant pas sa prétendue ‘direction’ sur le mouvement révolutionnaire, en avait profité pour attaquer les ‘identitaires de gauche’ ; traduire : les mouvements progressistes d’affirmation des nations niées, et en particulier le mouvement progressiste de la Nation occitane, sur le ton de "l’Occitanie n’existe pas, la France est une nation, mettre en avant l’Occitanie aujourd’hui c’est vouloir faire tourner la roue de l’histoire à l’envers", c’est vouloir "nier la lutte de classe en France en niant la France" ; genre de propos qui, au demeurant, ne sont nullement l’apanage du seul ‘p’’c’’mlm’ mais également de toute une flopée d’organisations trotskystes (particulièrement le POI, mais LO ne fait pas défaut), ‘thorézo-brejnéviennes’ (PRCF, URCF, RCC etc.) ou ‘dogmato-révisionnistes’ (Avant-garde/l’Ouvrier communiste), anarchistes (CNT-AIT), ‘gauchistes’ (Gauche communiste internationale)[3], etc. etc. Il faut bien dire qu'autant qu’il est difficile – même au plus ‘pur’ cœur de la classe ouvrière – à l’homme de reconnaître sa situation privilégiée vis-à-vis de la femme ou au ‘blanc’ de reconnaître la sienne vis-à-vis des ‘minorités visibles’, il est difficile au communiste basé à Paris ou dans le Bassin parisien, voire dans le Nord-Pas-de-Calais (territoire pourtant largement ‘relégué’), ou encore au petit bourgeois intellectuel (universitaire ou fonctionnaire) d'esprit français où qu'il se trouve, d’admettre que l’organisation sociale ‘France’ fait de lui un privilégié vis-à-vis des classes populaires ‘méridionales’ (occitanes), bretonnes, basques ou corses (a fortiori lorsque ces classes populaires ne vivent pas dans une grande ville)…Il est vrai, aussi, que le ‘particularisme’ (mise en avant de la culture populaire nationale, ou régionale) a longtemps été une expression de classe plutôt paysanne (ou artisane/commerçante, ou ‘paysanne-ouvrière’), des zones rurales, et que la bourgeoisie monopoliste, entre la fin du 19e siècle et le milieu du 20e, a su développer chez les ouvriers urbains un ‘mépris de classe’ pour les ‘culs-terreux’, mépris qui a hélas imprégné le mouvement ouvrier organisé tout au long du 20e siècle et jusqu’à nos jours.

    Mais comment peut-on nier une réalité qui non seulement existait et existe toujours dans la conscience populaire de masse, même si elle a pu être ‘estompée’ par la propagande bourgeoise de l’époque impérialiste (et même si elle souffre parfois de… régionalismes : Provence, Béarn, Auvergne etc., même si beaucoup de personne tendent à la réduire aux seules régions Languedoc – sans le Roussillon catalan – et Midi-Pyrénées, etc. etc.), mais était reconnue par la monarchie capétienne elle-même, comme lorsqu’il était affirmé, au Consistoire de Poitiers en 1308, que "le roi de France règne sur DEUX NATIONS : l'une de lingua gallica [gallo-roman, ‘vieux français’] et l'autre de lingua occitana" ? À cette époque, où ‘l’aube’ du capitalisme était déjà bien affirmée (les bourgeoisies urbaines avaient déjà arraché un grand nombre de ‘chartes’ à la monarchie et aux grands féodaux), la nation occitane était donc reconnue noir sur blanc par un document ‘officiel’ (tout ce qui était écrit avait ‘force de loi’ à l’époque) de la monarchie. Et l’on voit mal quel évènement historique majeur aurait pu, entre cette date et aujourd’hui, abolir cette réalité ; sinon l'accession de la bourgeoisie au pouvoir politique suivie (moins d'un siècle plus tard) par le passage du capitalisme au stade monopoliste, qui ne l’a pas abolie mais simplement ‘étouffée’ dans sa volonté de modeler toute la société à son image, de mobiliser les masses populaires au service de la production et de la défense (militaire, politique) des intérêts des monopoles (dans les ‘grandes modernisations’ productives et sociales de la ‘Belle époque’ et des ‘Trente Glorieuses’, dans les guerres mondiales impérialistes et les guerres imagen5coloniales en tout genre, etc.)…

    Comme le disait très justement le grand dirigeant marxiste basque Argala : "Qu’est-ce que l’internationalisme prolétarien ? Être internationaliste exige-t-il des travailleurs d’une nation divisée et opprimée de renier leurs droits nationaux pour, ainsi, fraterniser avec ceux de la nation dominante ? À mon avis, non. L’internationalisme prolétarien signifie la solidarité de classe exprimée dans le soutien mutuel entre les travailleurs des différentes nationalités, unis dans un respect mutuel de leurs formes particulières d’identité nationale" ; ce à quoi SLP ajouterait même : "Aucun prolétaire n'a d'intérêt valable auquel soumettre les prolétaires d'autres nations, seul peut en avoir un aristocrate-ouvrier" (ou un petit-bourgeois intellectuel)…

    NON, la France n’est pas une Nation : elle est une superstructure politique, un appareil politico-militaire, expression du ‘stade suprême’ de la féodalité, qui a vu la concentration de la propriété (éminente) féodale sur la terre et ses habitants entre les mains de quelques dynasties, dont la dynastie capétienne en ‘France’ ; et REPRIS à son compte par la bourgeoisie (avec sa fraction dirigeante francilienne) lorsque celle-ci a pris le pouvoir en 1789. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire ‘tourner la roue de l’histoire à l’envers’, mais que l’histoire avance, comme elle le fait toujours, EN SPIRALE : les grands États modernes ont (entre le 13e et le 18e siècle) nié les Nations constituées au début du 2e millénaire de ome d oc affiche de 1968l’ère chrétienne, comme réalités politiques (sachant que ces nations étaient, alors, rarement unifiées politiquement), sans pour autant les faire disparaître (jusqu’à la tentative monopoliste, à l’œuvre depuis 120 ou 130 ans) comme réalités sociales, culturelles, populaires ; ce faisant, ils ont été la ‘matrice’ d’un mode de production, le capitalisme, qui a apporté à l’humanité de grands progrès scientifiques, techniques, culturels et même politiques (‘démocratie formelle’) ; mais à présent, il doivent à leur tour être niés par ces vieilles Nations, ‘de retour’ à un niveau supérieur (sous la direction du prolétariat), porteuses et expressions politiques des aspirations de masse à la ‘démocratie réelle’ (socialiste, prolétarienne), sur la base de la Commune populaire ; ceci étant le préalable obligatoire à la fusion de l’humanité, au niveau planétaire, dans la grande unité qui sera le COMMUNISME (cela, dans encore plusieurs siècles). 

    Quant au ‘métissage’ que rejetteraient non seulement le Bloc identitaire (ce qui est vrai) mais aussi leurs ‘équivalents’ Indigènes de la République et ‘identitaires de gauche’ occitans... il suffit, pour se rendre compte du ridicule de l’affirmation, de se figurer combien de militant-e-s du PIR sont eux/elles-mêmes de personnes métissées ; à quel point les terres occitanes comptent sans doute (après les régions ouvrières du Nord) les plus importants taux de métissage (notamment avec des personnes issues du Maghreb) de l’Hexagone, particulièrement dans les grandes villes comme Marseille, Toulouse ou Montpellier ; et que de nombreuses personnes d’origine maghrébine, africaine ou caraïbe, ou métisses de ces origines, y arborent fièrement la crotz (croix) d’Òc… L'Occitanie qui fut d’ailleurs, au 12e siècle, une ‘Andalousie du Nord’ brassant les cultures et portant la civilisation médiévale a un niveau inégalé [la philosophe ‘catho de gauche’ (d’origine juive) Simone Weil y voyait "une civilisation qui, une fois au cours de 22 siècles, aurait pu avec le temps constituer un second miracle (...) aussi élevé que celui de la oc-antifa1Grèce antique si on ne l’avait pas tué", l’Europe n’ayant "plus jamais retrouvé au même degré la liberté spirituelle perdue par l’effet de cette guerre", une véritable ‘antithèse absolue’ – en quelque sorte – de tout ce qui est advenu par la suite : vision idéaliste petite-bourgeoise certes, mais ‘tendant’ vers la Vérité révolutionnaire ; car effectivement l’’Andalousie’ occitane a été rayée de la carte (comme d’autres, comme al-Andalus elle-même d’ailleurs) par la formation des États modernes, appareils politico-militaires repris ensuite par la bourgeoisie pour établir sa direction politique, bourgeoisie devenant monopoliste-impérialiste à la fin du 19e siècle pour déboucher finalement sur les ‘grandes horreurs’ du 20e siècle – guerres mondiales, fascisme, Shoah etc.). On a donc là, dans les propos de Weil, une 'perception idéaliste' de la réalité du processus historique (matérialiste, scientifique) ayant eu lieu en Europe depuis le 13e siècle].

    Parler de ‘métissage’ impliquerait tout d’abord d’admettre (tiens tiens… n’est-ce pas ce qui est précisément reproché aux ‘Indigènes’ ?) qu’il y ait des ‘races’ ; ou alors, si on l’entend comme un processus de brassage et de fusion des cultures, il a toujours existé, de tous temps, il n’est pas spécifique à l’époque de la révolution prolétarienne et les Identitaires planent littéralement à 10.000 en s’imaginant que leurs ‘patries charnelles’ remontent aux cités gauloises ou gallo-romaines d’il y a 2000 ans. Cette fusion est effectivement dans le ‘sens’ matérialiste de l’histoire, qui doit conduire l’humanité à la grande unification planétaire du communisme. Mais elle ne se DÉCRÈTE PAS ; pour cesser d’être ‘marginale’ (tant ‘biologiquement’ que – surtout – culturellement) elle exige des CONDITIONS, et l’une des premières d’entre elles est la disparition des États modernes devenus bourgeois puis impérialistes, comme appareils politico-militaires avec l’idéologie qui les sous-tend, idéologie faite notamment de ‘hiérarchie des cultures’, de suprématisme ‘civilisationnel’ etc. En réduisant à néant ces États modernes/appareils d’oppression, le prolétariat et les classes populaires des Nations niées par eux ont un rôle fondamental dans la gigantesque oeuvre de civilisation qu’est la Révolution prolétarienne mondiale.

    big provence flag


    3. Le dernier point qui sera abordé ici est celui de l’émergentisme’ comme nouveau nationalisme bourgeois (ou 'nouveau Bandung') de notre époque. Au jour d’aujourd’hui, la bourgeoisie nationale (et le nationalisme bourgeois porté par elle) dont parlait Lénine en son temps, signe de développement d’une économie capitaliste dans des pays étranglés par les structures féodales et bureaucratiques appuyées (ou carrément mises en place) par l’impérialisme, qu’il s’agisse de colonies directes, de protectorats ou de semi-colonies, semble avoir été remplacée par bricsle phénomène émergent, phénomène à la base sociale beaucoup plus large.

    Dans les pays du ‘Sud’, du ‘tiers-monde’, en lien à des degrés variables avec les monopoles impérialistes, s’est accumulée une masse plus ou moins importantes de CAPITAL entre des mains ‘nationales’ (très importante dans les pays producteurs d’hydrocarbures, colossale dans les monarchies pétrolières du Golfe arabo-persique) ; ce qui est une expression du caractère national de la production en contradiction avec l’appropriation impérialiste de la richesse. Et cette masse de capitaux va chercher à ‘s’affirmer’ au sein de l’économie-monde, dominée par les grands pays impérialistes de la ‘Triade’ Amérique du Nord/Europe de l’Ouest/Japon, la Russie et depuis peu, la Chine.

    Ces capitaux vont s’exprimer à travers des idéologies extrêmement variées, aussi bien social-réformistes ‘radicales’, ‘tribuniciennes’ appuyées sur la gauche ‘radicale’ petite-bourgeoise (Chavez, ALBA), que libéral-réformistes (Brésil, Argentine ou Uruguay, Inde ou Afrique du Sud etc.), libéral-conservatrices avec un volet ‘social’ religieux (comparable au social-christianisme) comme l’AKP turc et les Frères musulmans, ou violemment réactionnaires comme le salafisme porté par l’Arabie saoudite, ou le régime des mollahs en Iran ;  cela, en fonction notamment du caractère plus ou moins bourgeois ou Lula Erdogan Brasilia 2010féodal des ‘mains’ tenant ces capitaux, de leur assise et solidité en tant que classe (inversement proportionnelle à la nécessité de rechercher l’appui des masses populaires), etc.

    Ce qu’a expliqué – et toujours considéré – Servir le Peuple, c’est que ces régimes doivent être étudiés et analysés au cas par cas, en fonction de leur ‘conformation’ idéologique et – subséquemment – de leur attitude vis-à-vis du prolétariat et des masses au quotidien (le camp du peuple est notre camp), de leur attitude envers le mouvement communiste/progressiste (internationalisme), et aussi de leur action ponctuelle à tel ou tel moment, de la ‘diabolisation’ dont ils peuvent faire l’objet par la propagande impérialiste, etc. Telle était la position de Lénine, qui, tout en soutenant les communistes et les démocrates d’Asie centrale contre ‘leurs’ féodaux, pouvait affirmer que l’émir d’Afghanistan était ‘objectivement du côté de la révolution mondiale’ en tenant tête à l’Empire britannique (1919) ; ce qui n’est ni la position de rejet systématique du nationalisme bourgeois (plus largement, du ‘nationalisme des classes dominantes’) qui est traditionnellement celle des gauchistes, des trotskystes ‘orthodoxes’, de certains courants anarchistes etc., ni la position de soutien systématique (mais ne s’appliquant pas, aujourd’hui, à l’’émergentisme’ du Golfe ou d’Ankara et aux forces appuyées par lui, allez savoir pourquoi…) des révisionnistes brejnéviens (et autres ‘albanoïdes associés'). C’est ainsi que le Chavez résistant victorieusement à une tentative de coup d’État made in US en 2002 (et à 4 ou 5 ans de déstabilisation par la suite), ou la Syrie et l’Iran appuyant le Hezbollah qui infligeait une branlée à Israël en 2006, ce ne sont pas le régime syrien massacrant les masses populaires (bien qu’il soit aussi, entre temps, devenu la cible d’une coalition impérialiste euro-nord-américaine et d’un ‘axe émergent’ Arabie-Qatar-Turquie), l’Iran l’appuyant militairement et le Chavez 02 BR40.1applaudissant à cela, tout en livrant au passage des militants progressistes à la Colombie fasciste, de 2011-2012. Ce ne sont pas, non plus, la Syrie intervenant au Liban pour y écraser les forces progressistes et anti-impérialistes en 1976, et la théocratie iranienne exterminant les communistes/progressistes dans les années 1980. Le Kadhafi abritant, au début des années 80, des révolutionnaires du monde entier et défiant l’impérialisme francouille au Tchad (et US en Méditerranée), n’est pas le Kadhafi complotant avec les réseaux Foccart pour abattre Sankara (1987), et encore moins le despote grotesque, vendu à l’impérialisme, des années 2000 – finalement ‘licencié’ par ses maîtres, et liquidé avant qu’il ne révèle avoir financé la campagne électorale d’un certain Nicolas S. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu’il faut se joindre à la ‘diabolisation’ qui les frappe soudainement (en appui à l’intervention impérialiste), tout en épargnant soigneusement les sabre-peuples du Bahreïn (et leurs amis saoudiens), du Yémen, du Maroc, et hier d’Égypte et de Tunisie ; que l’on se comprenne bien…TOUT, on l'a dit et on le voit à travers ces exemples, doit être apprécié au cas par cas, dans chaque contexte, chaque rapport de forces.

    Il est d’ailleurs amusant de voir des ‘maoïstes’ faire exactement l’inverse : attaquer férocement ces régimes 'fascistes' lorsqu’ils sont la cible de (ou défient activement) l’impérialisme et son suppôt sioniste ; et les soutenir lorsque, bien que toujours la cible des impérialistes occidentaux, le mot ‘sabre-peuple’ semble trop faible pour les qualifier (et que, ‘étrangement’, des voix d’experts sionistes s’élèvent, pour mettre en garde contre la chute d’un ennemi ‘connu’ et ‘prévisible’).

    C’est dans ce contexte, également, que doit surtout – selon SLP – être comprise l’ISLAMOPHOBIE. On l’a dit, la masse la plus colossale – et donc menaçante – de capitaux accumulés entre des mains ‘autochtones’ (si l’on laisse de côté la Russie et la Chine, déjà impérialistes) est celle des monarchies pétrolières du Golfe arabo-persique (derrière se trouvant la théo-bureaucratie iranienne, puis les bourgeoisies d’Amérique du Sud, d’Inde ou d’Azanie, ou encore d’Asie du Sud-Est, etc.). Outre cette manne pétrolière, ces pays (Qatar, Koweït, Dubaï...) sont devenus le ‘siège social’ des affaires d’un nombre considérable de grands capitalistes arabes, qui ne peuvent s’épanouir dans leurs pays dominés par des bureaucraties clanico-mafieuses. Et tout ce capital accumulé va chercher, car telle est la logique du capitalisme, à se réinvestir pour se valoriser. Il y a, certes, les ‘investissements qataris’ en Hexagone, qui sont devenus le nouveau ‘cheval de bataille’ à la mode de l’extrême-droite islamophobe. Mais surtout, ce capital va chercher à se réinvestir en ‘terrain connu’, autrement dit dans les pays arabes et plus largement musulmans, où les structures féodalo-bureaucratiques au service de l’impérialisme (occidental ou russo-chinois) ‘étranglent’ le développement d’un véritable capitalisme : les pétromonarchies vont donc financer des forces visant à faire chuter ces régimes. Elles vont mettre en place, à l’échelle régionale, une ‘géopolitique’ entièrement vouée à ‘dégager’ des terrains d’investissements pour ces milliards de pétrodollars. En ce sens, comme exemple récent, la visite de l’émir du Qatar à Gaza (dont le gouvernement Hamas vient de rompre, manifestement sur consigne expresse de Doha, son alliance ‘historique’ avec l’axe Iran-Syrie), première visite d’un dirigeant arabe depuis l’annexion de 1967, et ce à la veille d’une opération militaire israélienne (dont les renseignements f5620 AFP 121023 pe4rp qatar-al-thani-gaza-haniyeh sn635du Hamas gazaoui étaient certainement informés...), est à comprendre comme une ‘petite déclaration de guerre’ à l’État sioniste (bien que celui-ci soit surtout, en ce moment, focalisé sur la menace iranienne) et à ses tuteurs impérialistes (principalement anglo-saxons) ; au même titre que les tentatives désormais annuelles de violation du blocus maritime de la Bande, sponsorisées par le gouvernement AKP d’Ankara.

    Les détenteurs de cette masse de capitaux du Golfe sont des éléments FÉODAUX (aristocratie tribale bédouine), associés, on l’a vu, à des éléments grand-capitalistes issus de tout le monde arabe. L’idéologie des Frères musulmans (plutôt appuyés par le Qatar) est portée par des notables (professions libérales, chefs d’entreprises, universitaires), tandis que le salafisme et le djihadisme combattant (plutôt appuyés par des éléments ‘radicaux’ de l’aristocratie saoudienne) sont portés par des petits entrepreneurs familiaux patriarcaux, d’esprit corporatiste et puritain. Les forces liées à l’Iran (en Irak – CSRII, Dawa, Armée du Mahdi ou au Liban – Hezbollah, Amal) sont portées par des éléments relativement similaires. Toutes ces idéologies vont donc rarement présenter des traits franchement progressistes : dans le ‘meilleur’ des cas, ce sera un libéralisme économique et un conservatisme politico-sociétal, ‘adouci’ par une ‘éthique sociale islamique’ sur le mode social-chrétien (AKP, Frères musulmans). Les salafistes, eux, présentent un programme politique, social et économique de petit capitalisme corporatiste, associé à un obscurantisme moral et culturel au côté duquel l’Espagne de Franco ferait figure de Las Vegas décadente...

    Cela pose les communistes face à la difficulté de combattre, d’un côté, la mobilisation réactionnaire de masse islamophobe qui sévit en Europe occidentale depuis des années (tout particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis), sans pour autant passer (de l'autre) pour les défenseurs de telles idéologies réactionnaires, et d’intérêts de classe aussi éloignés de ceux du prolétariat international. On ne peut, certes, que se retenir de rire devant le ridicule qu'il y a à décrire un Hexagone BBR ‘racheté’ par l’émirat du Qatar (pays de 1,9 millions d’habitants, dont 70% de larbins indo-pakistanais, indonésiens, iraniens ou issus d’autres pays arabes, au service des nantis), qui ‘corrompt les élites mondialistes’ tout en développant un micro-capitalisme lié à l’islam ‘radical’ dans les banlieues – ridicule qui ne tue pas, au demeurant, certains ‘maoïstes’ quand il s’agit encore une fois de se joindre à la meute...

    Bien évidemment, les communistes révolutionnaires n’ont aucune espèce de sympathie pour ces États (Qatar, Arabie, Iran) ultraréactionnaires, leurs idéologies et celles des forces qui sont leurs ‘bras armés’. Encore moins pour les actions militaires aveugles de certains groupes armés, que ce soit en Occident ou dans les pays musulmans directement (celles-là, personne n’en parle…), frappant des travailleurs innocents se rendant simplement à leur travail par les transports en commun, ou de simples croyants (juifs, chrétiens, chiites etc.) dans des lieux de cultes ou des écoles confessionnelles. Mais voilà : avec leur fichue conception scientifique du monde, les communistes vont chercher à analyser, expliquer, comprendre ces idéologies et leurs agissements. Ils vont chercher à en comprendre l’influence sur une part importante des masses populaires, pour combattre cette influence et faire triompher la conception communiste du monde – et non considérer que ‘la violence’ et ‘l’obscurantisme’ sont ‘intrinsèques’ à l’islam et aux musulmans. Ils ne considèrent pas ‘l’islamisme’ comme foncièrement plus ennemi du peuple que des idéologies bourgeoises qui se veulent ‘laïques’ et ‘modernistes’, comme le kémalisme ou le baathisme ; et surtout, ils n’en feront jamais l’ennemi principal – celui-ci restant l’impérialisme, quelles que soient ses prétentions ‘civilisatrices’.

    Cela suffit, aux yeux de tous les fascistes et les ultraréactionnaires délirant sur ‘l’islamisation de l’Europe’, à en faire les complices, les agents, les ‘dhimmis’, les ‘idiots utiles’, à liquider au même titre ; ce qu’un certain Anders Behring Breivik a déjà mis en pratique vis-à-vis d’une soixantaine de jeunes ‘marxistes culturels’ travaillistes norvégiens…Comme lorsque le fascisme d'entre-deux-guerres dénonçait les 'rouges' au service de la 'juiverie internationale', la rengaine de 'l'ennemi intérieur' musulman est aussi un moyen de viser, à travers lui, ses 'complices' : les 'gauchistes' (révolutionnaires et personnes progressistes) et les 'élites mondialisées' (les bourgeois libéraux, démocrates, réformistes).

    non-a-l-islamisme-affiche-front-national-09-03-2010Il est juste, cependant, de relever que l’islamophobie a des ressorts sensiblement différents de l’antisémitisme. Les deux ‘haines’ plongent certes aussi loin l’une que l’autre dans la ‘tradition’ réactionnaire européenne : dans la seconde moitié du Moyen-Âge (1000-1500). Les premières grandes persécutions antijuives furent largement concomitantes ou suivirent de peu les Croisades et la Reconquista espagnole, dans le contexte général de formation des États modernes. Cependant, pour l’ultra-réactionnaire (fasciste potentiel), le Juif est un ‘rat’ ou un ‘cafard’, une créature ‘vile’ et inférieure tapie dans l’ombre, qui ‘sape’ (par l’argent et l’usure, les idées libérales-libertaires et socialo-communistes) les ‘fondements spirituels’ de la civilisation occidentale et qu’il s’agit donc de ‘dératiser’ ou d’exterminer comme une vermine – le choix par les nazis d’un insecticide (Zyklon B) pour la ‘solution finale’ n’est à ce titre pas anodin. Le musulman, lui, est un 'barbare' raffiné, une ‘bête sauvage’ (réputée voir dans l’obscurité…) surgie d’outre-mer, déferlant surl’Occident chrétien pour le submerger comme le ‘Perse’ fantasmagorique de la BD fascistoïde 300 déferle sur la Grèce antique. Ce qu’il ‘faut’ alors ce sont de nouveaux Charles Martel, de nouveaux Cid, de nouveaux Richard Cœur de Lion, de nouveaux Lépante pour ‘bouter’ l’infidèle hors d’Europe : le ‘modèle’ est ici celui de la guerre et de la ‘purification’ ethnique ‘à la bosniaque’. Les caricatures antisémites insistent sur la (prétendue) laideur physique, les caricatures islamophobes sur le côté 'masqué', spectral, 'ennemi sans visage'. La haine antisémite est imprégnée de mépris, la haine anti-musulmane suinte la peur… Et l’islamophobie ne revêt pas, en effet, la dimension ‘anticapitaliste’ que peut revêtir l’antisémitisme, associant le Juif au ‘péché d’argent’ depuis l’époque médiévale ; encore que... les allusions à ‘l’argent du Qatar’ corrompant les ‘élites mondialisées’ se multiplient depuis quelques temps. Tandis qu'à l’époque du ‘judéo-bolchévisme’, lorsque les masses populaires juives étaient – dans une large proportion – tournées vers les idées progressistes ou communistes, ou au moins démocratiques humanistes-universalistes, l’antisémitisme rejoignait largement la rhétorique de ‘l’ennemi intérieur’ révolutionnaire...


    [1] Il faut dire que, depuis la Révolution bourgeoise de 1789 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les aspirations démocratiques des nations absorbées par la construction politico-militaire ‘France’ se sont très majoritairement exprimées de manière réactionnaire, tournée vers le passé et portée par la bourgeoisie, les ‘notables’ (propriétaires fonciers, etc.) et/ou le clergé local, mettant en avant le souvenir des privilèges (droit et coutumes locales) d’Ancien régime. Déjà sous les ‘Louis’ (17e-18e siècle), elles tendaient à prendre le parti des féodaux ‘nationaux’ (notamment les Parlements) contre le centralisme et le modernisme monarchique. Il n’en allait pas autrement dans le royaume d’Espagne, avec les revendications nationales de Catalogne et d’Euskal Herria (qui souvent appuyaient le carlisme, le parti monarchique traditionaliste et anti-libéral). Ce n’est qu’au cours du 20e siècle, avec la subsomption de tous les rapports sociaux par le mode de production capitaliste (explosion, notamment, du salariat), que cette situation s’est retournée en son contraire, donnant naissance à des forces autonomistes ou indépendantistes progressistes voire révolutionnaires. Les ‘notables’ réactionnaires nationaux, qui ‘râlent’ contre le centralisme parisien et sa ‘bureaucratie soviétique’, militent toujours pour une forte ‘décentralisation’ voire autonomie régionale, mais ne peuvent globalement se passer de l’appareil politico-militaire ‘France’ pour protéger leurs intérêts de classe.

    [2] Plus exactement, les nationalités comme les espèces vivantes ne "naissent" et ne "meurent" pas, elles se TRANSFORMENT à travers de longs processus de bouleversements historiques, dont les invasions extérieures... et les migrations sont un aspect important, mais le moteur premier reste la lutte des classes interne. Il y avait des nations antiques (Engels emploie explicitement le terme) qui étaient les Gaulois puis Gallo-romains, les Ibères, les Latins, les Étrusques, les Hellènes, les Germains etc., et il y a aujourd'hui des nations modernes qui sont les 'Français', les Occitans, les Basques, les Bretons, les Catalans, les Andalous, les Wallons etc. etc. Entre les deux, il n'y a pas de 'jour J' où l'on serait passé de l'un à l'autre (prétendre cela est ridicule), mais de longs processus de transformation historique. Pour autant, se réclamer aujourd'hui des tribus gauloises comme si un tel processus n'était pas intervenu est totalement anti-matérialiste et grotesque.

    [3] Représentants d’un nihilisme national caractéristique d’un certain ‘marxisme fondamentaliste’, pour lequel rien n’est à ajouter à l’œuvre de Marx et Engels après leur mort, et dont un bon représentant était par exemple l’Anglais William Morris. Ce nihilisme national finit toujours, objectivement, par converger avec la défense bourgeoise de l’État moderne, appareil politico-militaire et idéologique d’oppression des masses.

     


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  • La question de la caractérisation du fascisme est une question qui traverse le mouvement communiste (si l’on fait débuter celui-ci avec la Révolution russe de 1917, et que l’on parle de ‘mouvement socialiste’ antérieurement) pratiquement depuis ses origines.

    Ici même, sur Servir le Peuple, nous avons abordé récemment la question de la caractérisation comme ‘fascistes’, par certaines organisations maoïstes d’Amérique du Sud, des régimes de type Chavez, qui sont selon SLP des gouvernements réformistes bourgeois (résultant de la pression des ‘mouvements sociaux’ sur l’oligarchie, de l’ingouvernabilité générée – parfois – par ces mouvements sociaux, et éventuellement de l’émergence de ‘nouvelles couches’ et d’aspirations ‘émergentistes’ à tous les niveaux de la bourgeoisie – petite, moyenne, grande), démago-populistes, ‘endormeurs’ redistributifs des luttes ouvrières et populaires, social-traîtres, tout ce que l’on voudra, mais pas fascistes. Il ne s’agit pas là, pourtant, d’une élucubration groupusculaire, mais bien de la thèse d’Abimaël Guzmán ‘Gonzalo’, du Parti communiste du Pérou ‘Sentier Lumineux’ ; selon lequel ce qui caractérise principalement le fascisme, ce n’est pas la répression terroriste et systématique (policière, militaire et paramilitaire) de tout mouvement de masse organisé, révolutionnaire ou progressiste, associé à une certaine mobilisation de masse (par la propagande, l’appel à la délation, l’embrigadement dans des organisations de masse réactionnaires et/ou paramilitaires), mais AVANT TOUT la négation de la lutte des classes au profit d’une fraction de la bourgeoisie, à travers un discours (et un programme) ‘social’ en direction des classes populaires. En Amérique latine, ce ‘fascisme’ serait l’expression d’une branche spécifique de la grande bourgeoisie, la bourgeoisie bureaucratique qui prospère à travers l’appareil d’État, tandis que les dictatures militaires réactionnaires comme au Chili (Pinochet) ou en Argentine, les golpes réactionnaires comme au Honduras en 2009 ou la tentative de 2002 au Venezuela, seraient l’expression de la classe compradore.

    dimitrovIl s’agit là, c’est le moins que l’on puisse dire, d’une thèse en ‘rupture’ avec la définition ‘classique’ du fascisme, celle donnée par l’Internationale communiste de Dimitrov en 1934 : "le fascisme est la dictature ouverte, terroriste, des éléments les plus réactionnaires et les plus impérialistes du capital financier" (ou, fort logiquement, des agents de ces éléments dans les pays dominés comme ceux d'Amérique du Sud). Dimitrov mettait également en garde contre le ‘schématisme’ qui, selon lui, ‘’désoriente le prolétariat dans la lutte contre son pire ennemi’’ [N'est-ce pas une manifestation de cette attitude schématique que l'affirmation de certains communistes assurant que l' « ère nouvelle » de Roosevelt représente une forme encore plus nette, plus aiguë de l'évolution de la bourgeoisie vers le fascisme que, par exemple, le « gouvernement national » d'Angleterre ? Il faut être aveuglé par une dose considérable de schématisme pour ne pas voir que ce sont justement les cercles les plus réactionnaires du Capital financier américain en train d'attaquer Roosevelt, qui représentent, avant tout, la force qui stimule et organise le mouvement fasciste aux Etats-Unis. Ne pas voir le fascisme réel prendre naissance aux Etats-Unis sous les phrases hypocrites de ces cercles en faveur de la « défense des droits démocratiques des citoyens américains », c'est désorienter la classe ouvrière dans la lutte contre son pire ennemi’ - Pour l'unité de la classe ouvrière contre le fascisme ; août 1935]

    Pour SLP, la caractéristique principale du fascisme selon Gonzalo pourrait tout aussi bien s’appliquer à la social-démocratie, au réformisme bourgeois (certes considéré, un temps, comme ‘jumeau du fascisme’ par l’IC, avant de rejeter cette conception face aux évènements en Allemagne, et de prôner ‘l’unité à la base’ avec celui-ci à partir de 1934). Celui-ci, dans une société confrontée à une vaste agitation/contestation de masse, à un large ‘mouvement social’, ne consiste-t-il pas en effet à mettre en avant ‘l’intérêt général’, la ‘fraternité’ entre les ‘citoyens’, la ‘justice’ dans la ‘répartition des richesses’, un programme de ‘concessions’ démocratiques et sociales aux revendications populaires, une mobilisation dans de larges partis et syndicats réformistes – contre l’organisation révolutionnaire de classe ? Pourtant, s’il a souvent pu être dit (et bien souvent à raison) que la social-démocratie ‘pave la voie’ au fascisme, qu’elle ‘désarme le prolétariat et les masses populaires’ contre celui-ci, il ne viendrait pas à l’esprit d’un communiste sérieux de dire que la social-démocratie EST le fascisme…

    La différence, dans le ‘sens commun’ des masses populaires (qui toujours 'indique le chemin' de la vérité), réside bien entendu dans le caractère répressif terroriste, violemment réactionnaire du fascisme – comme forme de gouvernement – contre toute organisation autonome, révolutionnaire ou simplement progressiste, du prolétariat et des classes populaires ; dans la conception du monde (celle de la social-démocratie étant humaniste, universaliste, libérale-progressiste bourgeoise et petite-bourgeoise, alors que celle du fascisme est nationaliste voire raciste, obscurantiste, barbare, autoritariste, policière ultra-répressive, militariste, vouant une haine meurtrière à l’’ennemi’ politique, national ou ‘racial’, etc. etc.). Le fascisme, lorsqu’il a écrasé toute organisation autonome (fut-elle totalement réformiste) de la classe ouvrière, de la paysannerie pauvre, des quartiers populaires etc., va certes généralement les remplacer par des organisations de masse de type corporatiste, liant les classes laborieuses aux intérêts du Capital et totalement contrôlées par le régime. Mais cela n’a rien à voir avec la social-démocratie, la ‘gauche’ bourgeoise qui, dans une situation de mécontentement social fort, va tenter par le biais d’organisations de masse réformistes de ‘concilier’, d’’équilibrer’ les intérêts du Capital et de la force de Travail. On peut dire, dans un sens, que dans tout ‘mouvement social’ de revendication il y a des ‘jaunes’, des ‘briseurs de grève’, des travailleurs qui se mettent au service du patronat (ou de l’État-employeur) contre le mouvement et ses revendications ; et que le corporatisme fasciste c’est le ‘jaunisme organisé’, systématisé voire (para)militarisé... mais le ‘jaunisme’ au sens de trahison totale des intérêts ouvriers, pas de tentative de concilier ceux-ci avec l’économie capitaliste (par l’obtention de concessions). Le fascisme ce n’est pas, contrairement à la ‘gauche’ bourgeoise, l’expression d’une bourgeoisie ‘faible’, qui ‘recule’ face à la contestation et ‘lâche’ des concessions démocratiques et sociales pour préserver l’essentiel – le système capitaliste. Le fascisme, c’est l’expression d’une bourgeoisie ‘DURE’, jusqu’au-boutiste, qui écrase sans pitié la contestation du capitalisme (et ensuite seulement, éventuellement, -notamment- par le pillage d’autres pays ou l’extorsion et l’exploitation impitoyable de secteurs ‘désignés’ de la population, accorde quelques mesures de ‘bien-être social’).

    Certes, le débat a pu exister, parmi les intellectuels progressistes et démocrates bourgeois, mais aussi dans le mouvement communiste, sur la nature ‘fasciste’ de tel ou tel régime (Espagne franquiste, Portugal salazariste, Grèce des colonels, dictatures sud-américaines ou régimes autoritaires du ‘cordon sanitaire’ -anticommuniste- d’Europe de l’Est dans l’entre-deux-guerres), en raison de leur caractère ‘traditionaliste’ ou ‘ultra-conservateur’ et non ‘moderniste’, 'révolutionnaire', du caractère réduit de la mobilisation de masse, de l’absence de dirigisme étatique de l’économie, etc.

    grand messe nazieSi l’on associe systématiquement le fascisme à la démarche ultra-moderniste qui animait l’Allemagne nazie ou l’Italie mussolinienne, alors, malgré la répression contre-révolutionnaire et anti-progressiste terrible qui frappait les masses populaires (bien plus qu’en Italie fasciste !), que dire de l’Espagne de Franco, avec son traditionalisme catholique et sa volonté, pratiquement, en tout cas jusqu’au milieu des années 1960, de maintenir ‘dans le formol’ l’Espagne semi-féodale du début du 20e siècle (en réprimant même les éléments modernistes que pouvaient être les bourgeoisies industrielles basque et catalane) ? Que dire du corporatisme d’Ancien régime et du conservatisme social catholique mis en avant par Salazar au Portugal, Degrelle en Belgique, et dans une large mesure Pétain en France ? Si l’on associe le fascisme à un guardiacivilÉtat ‘fort’ économiquement dirigiste, alors dans une certaine mesure le franquisme, ou les militaires brésiliens (1964-85) firent preuve d’un tel dirigisme. Mais la plupart des dictatures sud-américaines (Chili, Argentine etc.), généralement caractérisées comme fascistes pour leur extermination systématique des forces révolutionnaires et progressistes, firent au contraire de leurs pays les laboratoires du ‘néolibéralisme’, de la remise au capital privé de toute l’activité productive et de la plupart des ‘services publics’, à l’exception bien sûr des fonctions ‘régaliennes’ (répressives). Ceci n’empêchant nullement une forte mobilisation de masse, puisqu’il apparaît qu’encore aujourd’hui 1/3 des Chiliens (pas forcément des gens aisés) ont une vision positive de l’ère Pinochet, et qu’une nette majorité de Péruviens et de Colombiens approuvaient la politique contre-révolutionnaire terroriste (et économiquement ‘néolibérale’) de Fujimori et d’Uribe. 

    Faisons rapidement le point :

    -         À l’origine, le fascisme, tel que défini par l’Internationale communiste de Dimitrov, paraît indissociable de l’impérialisme, du caractère impérialiste d’un pays donné. Ou, en tout cas, d’un très grand développement capitaliste et d’une très importante (sur)accumulation de capital et de la volonté d’’affirmer’  celui-ci sur la scène internationale (comme l’Italie ou le Japon). Il apparaît également indissociable d’un contexte de crise capitaliste profonde, d’agitation sociale forte avec des forces révolutionnaires en développement rapide, et (en raison de la crise) de course à la guerre pour le repartage impérialiste du monde.

    -         Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, l’économie monopoliste mondiale s’est ‘réorganisée’, selon une nouvelle ‘division internationale du travail’, et une part considérable de la production de biens s’est déplacée vers les pays soumis à l’impérialisme, où s’est renforcée également la production de matières premières et des ressources énergétiques essentielles, tandis que les pays impérialistes évoluaient vers des économies de services et de consommation. L’on peut alors envisager l’apparition d’une nouvelle forme de fascisme : non pas la dictature terroriste de la bourgeoisie monopoliste la plus réactionnaire (directement) sur les masses laborieuses du pays impérialiste, mais la dictature des agents Relatives-of-victims-of-General-Augusto-Pinochets-military-(locaux) de la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste ‘de tutelle’, sur les masses d’un pays semi-colonial. Les exemples furent légion au cours de la ‘Guerre froide’ (1945-90), et  beaucoup ne manquèrent pas d’une férocité de type nazi : Suharto en Indonésie, Mobutu au ‘Zaïre’, dictatures argentines des années 1960-80, dictatures guatémaltèques de 1978-86, régime d’apartheid sud-africain, dictatures militaires turques, sud-coréennes etc. etc. Et depuis 1990, malgré le proclamé ‘règne éternel de la démocratie’, les exemples n’ont pas manqué non plus : Fujimori et Uribe (chef de file des paramilitaires colombiens qui existaient déjà depuis des décennies) en Amérique latine, régime du ‘Hutu power’ au Rwanda, et une ribambelle de satrapes africains à la Idriss Déby, Sassou Nguesso, Charles Taylor, etc. etc. Avec la nouvelle division internationale du travail, et la mode rnisation subséquente des sociétés concernées, ces régimes ne se contentent plus de la dictature ‘traditionnelle’ des caudillos sud-américains d’antan ou des chefs traditionnels africains ‘relais’ de la colonisation directe, dictature faite d’encadrement des masses ignorantes (préoccupées essentiellement par la survie) par le clergé et les notables locaux, et de quelques fusillades à l’occasion : ils mobilisent en masse, sur des bases ethniques et/ou confessionnelles en Afrique et au Moyen-Orient (on peut inclure dans ce cas y compris les ‘blancs’ et plus largement les ‘non-noirs’ d’Afrique du Sud), ou en générant des ‘courants d’opinion’ contre le ‘terrorisme’ des forces révolutionnaires. L’on a vu le soutien populaire conséquent dont pouvaient bénéficier Pinochet au Chili, Fujimori au Pérou ou Uribe en Colombie ; on pourrait y ajouter les juntes guatémaltèques de 1978-86 avec leurs escadrons de la mort ‘Kaibiles’ et leurs milices ‘d’autodéfense’ contre-révolutionnaires, mobilisées sur une base traditionaliste et nationaliste (contre une ‘invasion russo-cubaine’) et auteurs des pires exactions, qui comptaient près de… 900.000 hommes pour un pays de 7 millions d’habitants ( !) ; sans parler du ‘Hutu power’ mobilisant des centaines de milliers de Hutus rwandais contre la population tutsie (réputée soutenir les visées de l'Ouganda voisin et de l’impérialisme US contre la Françafrique), de la mobilisation des croyants indonésiens (musulmans, chrétiens ou hindouistes) contre les communistes et les progressistes en 1965-66, etc. etc. Cependant, ces masses mobilisées, de manière paramilitaire ou au moins idéologiques, derrière la terreur contre-révolutionnaire, restent ‘coiffées’ par les ‘structures de domination traditionnelles’ : armée, clergé, appareil administratif bureaucratique et maillage local de ‘notables’ etc. Les organisations ultra-réactionnaires de masse restent ‘sous contrôle’ et ne se substituent pas, comme le NSDAP avec son appareil bureaucratique et militaire (Waffen SS) en Allemagne, à l’appareil d’État ‘traditionnel’.

    Déjà, dans l’entre-deux-guerres, les pays d’Europe (non-impérialistes) situés entre l’Allemagne et l’URSS connaissaient des régimes comparables, pilotés par l’impérialisme (allemand ou franco-anglais) : des dictatures conservatrices, répressives, avec (et appuyées sur) des éléments fascistes (mouvements de masse mobilisés sur une base nationaliste ‘populaire’ et anticommuniste/anti-progressiste), mais gardant ceux-ci ‘sous contrôle’[1]. Les dictatures réactionnaires sud-européennes subsistant après 1945 (Espagne, Portugal, Grèce des colonels) présentaient également ces caractéristiques, dans des pays qui n’étaient pas, alors (l’Espagne a pu le devenir depuis), impérialistes (ces régimes étaient soutenus par l’impérialisme occidental dans le contexte anticommuniste de la Guerre froide).

    -    TOUTEFOIS, parallèlement, cette nouvelle division internationale du travail a amené également un phénomène nouveau, quasi inexistant avant 1945. Dans certains pays, particulièrement d’Amérique latine et d’Afrique du Nord/Moyen-Orient, une classe dominante ‘forte’, conséquente, souvent préexistante à la domination impérialiste, a réussi à accumuler (voire à sur-accumuler) beaucoup de capital, pour lequel elle va chercher des débouchés d’investissement, et/ou qu’elle va utiliser pour ‘s’affirmer’ sur la scène internationale. Il va s’agir d’une bourgeoisie nationale (soumise à l’oligarchie liée à l’impérialiste, et ne supportant plus cette soumission), ou d’éléments de la bourgeoisie d’État (ayant ‘la main’ sur des ressources nationales lucratives), de grands propriétaires terriens ayant évolué vers l’agro-capitalisme, etc. En plus de la surproduction planétaire générale (absolue) de capital, à laquelle se heurtent les monopoles impérialistes eux-mêmes (d’où la ‘course à la guerre’), ce capital suraccumulé va se heurter aux capitaux étrangers (impérialistes) présents massivement dans son pays, et aux structures politiques, économiques et sociales (souvent archaïques) sur lesquelles s’appuie la domination impérialiste.

    En prenant le pouvoir dans cette volonté d’affirmation, elle va tenir un discours évidemment nationaliste (contre l’impérialisme), et souvent ‘social’, ‘populaire’ (pour mobiliser les masses derrière elle contre celui-ci). Elle va, assez souvent, mettre en œuvre des mesures sociales améliorant conséquemment la vie quotidienne des masses. Mais, de par sa nature de classe (bourgeoise, ‘possédante’), elle va également (alternativement) encadrer ou réprimer les expressions/organisations autonomes du prolétariat et des classes populaires. Ses relations avec le mouvement socialiste/communiste seront variables, allant de la tentative d’’apprivoisement’ (des éléments les plus opportunistes) à la répression ouverte et chaveznodsystématique, ou parfois ‘en dents de scie’ (selon les périodes).

    Les idéologies exprimant les visées de ce capital suraccumulé du ‘tiers-monde’ sont typiquement, en Amérique latine, le péronisme, l’APRisme ou le PRIsme mexicain (tous bien ‘rentrés dans le rang’ depuis), le ‘développementisme’ d’un certain nombre de juntes militaires ‘progressistes’ dans les années 1960-70, et aujourd’hui le chavisme et les ‘bolivarismes’ de tout poil ; dans les pays d’Orient, ce furent d’abord des idéologies 'laïcistes' telles que le baathisme ou le nassérisme arabes, le kémalisme turc antérieurement dans l’entre-deux-guerres (rentré dans le rang et totalement lié à l’impérialisme US après 1945), ou le mossadeghisme iranien, puis à partir de 1980 des idéologies national-islamistes, sur le modèle khomeyniste iranien chez les musulmans chiites ou pilotées par l’Arabie saoudite, le Qatar et plus généralement les oligarchies pétrolières du Golfe (et/ou des éléments de l'appareil d’État, à l'image des services pakistanais qui ont appuyé les talibans afghans) chez les sunnites (salafisme, Frères musulmans, djihadisme type Al-Qaïda, etc.). Certaines de ces idéologies ressembleront fortement à la social-démocratie ou au social-libéralisme de type européen, d'autres au social-christianisme (comme l'AKP turc ou les Frères musulmans) avec un beaucoup plus fort conservatisme 'sociétal' sur une base religieuse, d'autres (toujours sur une base religieuse) présenteront des traits violemment réactionnaires (khomeynisme, salafisme), d'autres enfin, autour d'un leader 'charismatique' (souvent issu des forces armées), auront un aspect 'césariste', tribunicien, plébiscitaire faisant penser au fascisme (ou au gaullisme), tout en menant souvent une réelle politique de progrès social (l'Amérique latine est 'abonnée' à ces régimes, avec Perón hier et Chavez aujourd'hui, mêlant caractéristiques populistes 'fascistes' et politique social-réformiste généreuse ; Perón était toutefois plus ouvertement social-conservateur - inspiré, à l'origine, par la 'doctrine sociale' catholique de l'encyclique Rerum novarum -, anticommuniste, assumant la défense des intérêts capitalistes par sa politique sociale, tandis que Chavez se veut plus 'révolutionnaire', 'socialiste' voire 'marxiste'). L''émergentisme', la volonté de 's'affirmer' (affirmer le caractère national de la production) face aux 'grands' impérialistes de ce monde, est leur unique dénominateur commun.

    La question de ces régimes et de ces idéologies a traversé (et souvent déchiré) le mouvement communiste tout au long de la seconde moitié du siècle dernier, et jusqu’à nos jours (à l’exception de l’islam politique sunnite, lié aux pétrodollars du Golfe, qui fait généralement l’unanimité contre lui - alors qu'il n'est pas forcément plus réactionnaire et sabre-peuple que certains régimes 'laïcs'). Pour certains, ils sont ‘anti-impérialistes’ et (au moins objectivement) ‘progressiste’ – les courants révisionnistes de type brejnéviens, tels que le PC syrien ou les PC du Venezuela, de Bolivie ou d’Équateur, allant jusqu’à se placer sous leur direction au nom de cela. Pour d’autres, leur caractère de mobilisation de masse derrière la bourgeoisie, sur une ligne nationaliste (ou religieuse) et ‘populiste’, en fait clairement des fascismes… Mais leur ‘rébellion’ vis-à-vis de l’impérialisme (même s’ils ne peuvent, comme régimes et idéologies bourgeoises, s’extraire sérieusement du système impérialiste mondial), le fait qu’ils ne soient pas l’émanation directe d’une fraction ‘dure’ d’une bourgeoisie impérialiste donnée, interroge cette définition ; même si d’un autre côté, dans certains cas (Iran, Syrie etc.) leur répression des forces communistes et authentiquement progressistes, et des aspirations démocratiques des masses populaires en général, peut au contraire pencher en ce sens. La vérité la plus probable est qu’ils sont, sur ‘’l’échiquier’’ de la révolution mondiale, des ‘’pions gris’’ qui peuvent, au gré des circonstances concrètes, être objectivement contre l’impérialisme et donc du côté de la révolution mondiale, ou (en écrasant les revendications populaires démocratiques) son farouche adversaire. La position de SLP serait finalement que chacun de ces régimes (et de ces forces lorsqu’elles ne sont pas au pouvoir) doit être analysé et jugé au cas par cas, en fonction de son attitude envers les masses populaires (le camp du peuple est notre camp) et le mouvement communiste/progressiste (internationalisme prolétarien).

    -         De leur côté, les pays impérialistes actuels se divisent en deux groupes : les ‘déclinants’ (la ‘triade’ Amérique du Nord - Europe de l’Ouest - Japon) et les ‘émergents’ que sont la Russie et la Chine. Dans les premiers, avec la nouvelle crise générale qui sévit depuis les années 1970, on observe un ‘glissement réactionnaire général’ affectant tout le spectre politique bourgeois, depuis la social-démocratie de plus en plus ‘gestionnaire’ jusqu’au libéral-conservatisme de plus en plus ‘décomplexé’, avec la liquidation progressive de toutes les conquêtes sociales obtenues par les masses entre les années 1930 et 1970 (favorisée par la faiblesse et la veulerie du mouvement syndical et des forces réformistes et révisionnistes), le recul des conquêtes démocratiques pour aller vers un encadrement policier croissant des masses populaires, et la montée en puissance de forces d’extrême-droite ‘populistes’ qui s’installent durablement dans le paysage politique. C’est le phénomène que les PC maoïstes de France et d’Italie définissent comme ‘fascisme moderne’. Chez les seconds, l’affirmation sur la scène mondiale se fait sous la direction de régimes autoritaires, ‘verticalistes’, mobilisant les masses sur un fort nationalisme antioccidental et une accession progressive à la ‘petite prospérité’ (pour reprendre le terme chinois), c’est-à-dire la constitution d’une ‘classe moyenne’, permise par une croissance économique (malgré la crise) forte (prévisionnel 2012 : Russie 5,7%, Chine 7,5 à 8%) ; mais pratiquant également une forte répression policière contre toute ‘dissidence’. Ils appuient des régimes aussi ‘sympathiques’ que la junte de Birmanie, la dynastie ‘communiste’ de Corée du Nord, l’Iran des mollahs, la Syrie d’Assad, la Libye de Kadhafi etc. Les autres ‘émergents’, qui ne sont pas des pays impérialistes (Inde, Brésil, Afrique du Sud), mettent largement en avant les formes de la démocratie bourgeoisie, ce qui ne les empêche pas, ‘sur le terrain’, de pratiquer une violente répression contre-révolutionnaire et antipopulaire (comme le montrent l’opération Green Hunt contre les maoïstes en Inde, la répression des paysans sans terre ou les opération militaires ‘anti-criminalité’ dans les favelas au Brésil, ou le récent massacre de mineurs sud-africains en grève).

    Ce qui ressort de ce ‘panorama’, c’est que dans la caractérisation du fascisme, les communistes, évitant l’écueil du schématisme dénoncé par Dimitrov, doivent en quelque sorte ‘doser’ correctement leur analyse de tel ou tel régime bourgeois : la mobilisation de masse, certes, dans des structures contrôlées par la bourgeoisie, mais sans aller jusqu’à oublier complètement l’aspect répressif terroriste et systématique, et confondre ainsi des social-démocrates ou des ‘tribuns’ réformistes bourgeois avec le fascisme ; et la violence répressive ouverte, la négation de toutes les formes ‘démocratiques’ libérales bourgeoises, mais sans oublier l’aspect mobilisateur de masse et ‘moderniste’ qui distingue le fascisme de la dictature réactionnaire ‘classique’. Il faut tenir compte du lien avec les monopoles d’une (ou d’un cartel de) puissance(s) impérialiste(s), sans réduire celles-ci aux seules puissances de la ‘triade’ occidentale (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et Japon, en ignorant la Russie et la Chine), et sans oublier non plus que des régimes ‘anti-impérialistes’ (‘émergentistes’) peuvent aussi être brutalement réactionnaires – comme suffit à le montrer l’exemple syrien… 

    Si l’on en revient au cadre politique dans lequel nous luttons, celui de la construction politico-militaire bourgeoise nommée ‘République française’, en quels termes se pose la question ?

    img 161211Si par ‘fascisme’ l’on entend exclusivement les courants mettant en avant un programme ‘social’, ‘populaire’ voire ‘révolutionnaire’ de restructuration en profondeur du capitalisme et de l’organisation sociale hexagonale, dans un esprit d’"insurrection du capitalisme contre sa propre crise" ; alors, il faut le dire, nous n’avons affaire qu’à des courants relativement marginaux : l’Œuvre française/Jeunesse nationaliste ouvertement nostalgique du régime de Vichy (finalement héritière du francisme, cf. plus bas) ; le Front populaire solidariste de Serge Ayoub ; le Parti solidaire français de Thomas Werlet (qui se revendique ouvertement de l'héritage du PPF, cf. plus bas idem) ou encore les ‘nationalistes révolutionnaires’ de Christian Bouchet, évoluant au sein du FN (mais là, attention : il y a l’aspect ‘lobby russe’, qui veut placer l’impérialisme BBR dans l'orbite d'une ‘Eurasie’ dominée par la Russie ; comme il y a des ‘néocons’ - Droite libre - ou une droite ‘ultra’ occidentaliste - des gens comme Guy Millières - qui militent pour un ‘ancrage atlantique’ inébranlable de l’impérialisme français). Sachant que mettre en avant tel ou tel alignement géopolitique n’est pas en soi synonyme d’une telle ‘révolution’/restructuration, pas plus que de prôner le ‘bon vieux’ protectionnisme comme le fait le FN (et quelques courants néo-gaullistes ‘souverainistes de droite’) – quant à la ‘relocalisation’ de la production prônée parfois, par les Identitaires notamment, elle devra très certainement être abandonnée une fois au pouvoir : même en passant littéralement au pilon le Code du Travail, on voit bloc identitaire Europeens et fiers de l etremal ce qui pousserait des capitalistes à exploiter la force de travail en Hexagone, plutôt que dans des pays où elle ne coûte que quelques euros par jour, pour des journées de 10 à 12 heures, corvéable et jetable à merci, etc.

    Pour le reste, y compris la grande majorité du FN et de ses ‘dissidences’ d’extrême-droite récemment regroupées dans l’Union de la Droite nationale, et même pour les Identitaires, il conviendrait plus de parler de ‘DROITE RADICALE’, assumant l’accentuation plus ou moins progressive et radicale de la répression et de l’exploitation bourgeoise sur les masses populaires. Une caractérisation dans laquelle il n’y aurait, alors, aucun problème à inclure l’aile droite de l’UMP (notamment la Droite populaire) et ses satellites (MPF, CPNT), les ‘souverainistes de droite’ divers (qu’ils soient issus du gaullisme ou anti-européens sur une ligne occidentalo-atlantiste), les 'électrons libres' comme Eric Zemmour, Richard Millet ou le 'conseiller du prince' Patrick Buisson, etc. Les divergences apparaissant, finalement, secondaires : le FN assume plus la répression des masses populaires et la limitation des ‘libertés publiques’ et moins la destruction des concessions sociales arrachées par les travailleurs au long du 20e siècle (ceci amenant un euroscepticisme de type gaulliste ‘social’) ; tandis que l’UMP (sans être ‘laxiste’ sur le plan répressif !), assume plutôt l’inverse ; alignement géopolitique plus ‘euro-atlantiste’ de l’UMP et plus ‘eurasiste’ du FN, etc. Ou alors, il faut être cohérent-e-s et inclure TOUT sous la dénomination de 'fascisme' ou, en tout cas, de composante de la montée du fascisme en cours.

    croix de feuEt il en allait exactement de même dans les années 1930. Pour René Rémond, historien ‘officiel’ des Trente Glorieuses, il n’a même jamais existé, à proprement parler, de fascisme français, seuls des courants marginaux se réclamant ouvertement du fascisme italien (et pratiquement aucun, ouvertement, du nazisme allemand), et le principal parti de masse à la ‘droite de la droite’, les Croix-de-Feu/Parti social français du colonel De La Rocque, étant selon lui ‘trop conservateur’ et ‘pas assez hostile au régime parlementaire’… Un ‘travail de commande’ qui s’explique aisément dans son contexte historique ; puisqu’après-guerre, le programme politique, économique et social des Croix-de-Feu fut essentiellement repris… par le GAULLISME, notamment dans le programme du RPF (1947-55) – dont Rémond admettra, du bout des lèvres, qu’il était ‘’le moins éloigné de ce que l’on avait pris en France l’habitude de désigner comme le fascisme’’... – et dans celui du ‘coup d’État’ de 1958 qui verra la mise en place de la Ve République (si l’on ne peut pas parler, pour la France gaullo-pompidolienne de 1958-74, de fascisme, c’est uniquement parce que le contexte de prospérité économique et de mouvement ouvrier ‘contrôlé’ par le révisionnisme PCF-CGT ne s’y prêtait pas).

    Il est clair que, si l’on entend le fascisme exclusivement comme programme ‘social’, ‘populaire’ voire ‘révolutionnaire’ de restructuration profonde du capitalisme contre sa propre crise, pratiquement personne dans les années 1930 ne se réclamait du nazisme allemand et seuls des courants très minoritaires se réclamaient du fascisme italien : le Faisceau (1925-28)[2], le PPF de Doriot (1936-44)[3] ou encore le Francisme (1933-44)[4]. De plus, dans cette acception du terme et contrairement à la thèse de Rémond, les Croix-de-Feu étaient beaucoup plus ‘fascistes’ que l’Action française (avant tout ultra-conservatrice, traditionaliste) ou les formations successives de Pierre Taittinger (Jeunesses patriotes 1924-35, Parti républicain national et social ensuite), pour lesquelles on peut également et avant tout parler de ‘droite radicale’.

    Et puis, étudier et comprendre le seul régime à caractéristiques fascistes qu’ait à ce jour connu l'Hexagone, la Révolution nationale de Pétain (dans des conditions très particulières d’occupation étrangère, d’indépendance limitée puis proche de zéro à partir de l’automne 1942), c’est ne pas pouvoir ignorer le rôle de la Fédération républicaine (équivalent de l’époque… de notre UMP) tout au long des deux décennies qui précèdent : parti/groupe parlementaire de la bourgeoisie républicaine conservatrice et des ‘ralliés’ (bonapartistes, orléanistes, catholiques) au ‘compromis républicain’, connaissant après la Première Guerre mondiale (face à l’émergence du mouvement communiste) une évolution de plus en plus ultra-réactionnaire, et dont seront issus des cadres de premier ordre de la ‘Révolution nationale’ et de la collaboration, tels que Xavier Vallat (maître d’œuvre de la politique antijuive entre 1940 et 1942, connu aussi – entre parenthèses – pour ses fameux ‘’Mes raisons d’être sioniste’’ et ‘’Vive Israël, mort aux youpins !’’ lors de la Guerre des Six-Jours en 1967), ou encore Philippe Henriot, figure de la Milice et ‘’Goebbels français’’ de la propagande collabo… Taittinger, autre ‘’chef d’orchestre’’ de l’extrême-droite http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/1e/Pierre_Taittinger.jpg/450px-Pierre_Taittinger.jpgdes années 30, siégeait également – en tant que député – dans le groupe de la FR, dont les Jeunesses patriotes assuraient le service d’ordre. Ce personnage avait d’ailleurs la caractéristique – expliquant, peut-être, son rôle ‘central’ dans la ‘fascisation’ de l’époque – d’être à la croisée des deux ‘traditions’ réactionnaires françaises : bonapartiste de conviction (président de l’Union de la Jeunesse bonapartiste de la Seine) mais également lié à la droite nationale-catholique des notables de ‘province’, parisien (né et mort à Paris) mais ‘provincial’ (mosellan) d’origine, élu député et conseiller municipal de Paris mais aussi maire d’une petite commune de Charente, fondateur à Reims de la marque de champagne portant son nom, ‘un pied’ dans la capitale et ‘un pied’ dans le ‘terroir’…

    En résumé, si l’on part de l’affirmation que ‘’nous sommes au seuil des années 1930’’, l’on peut constater – il est vrai – un certain nombre de parallèle et de ‘troublantes’ similitudes politiques :

    - http://medias.lepost.fr/ill/2011/09/05/h-4-2583035-1315235906.jpgl’UMP, avec ses tendances modérées, ‘humanistes et sociales’, ou ‘dures’, ‘reagano-thatchériennes’, conservatrices autoritaires, rappelle fortement la Fédération républicaine. Les Jeunesses patriotes de Taittinger assuraient, dans la seconde moitié des années 1920, le ‘service d’ordre’ de la FR ; l’UMP d’aujourd’hui peut compter dans les facs (contre les mouvements sociaux et les ‘gauchistes’) sur les gros bras de l’UNI et des diverses ‘corpos’ étudiantes (de Médecine et de Droit, surtout), électeurs du parti mais globalement beaucoup plus à droite que les ‘vieux’, et entretenant parfois des liens ouverts avec les groupes fascistes/fascisants (FNJ, Jeunesses identitaires, GUD etc.).

    - la droite modérée (Modem, Nouveau Centre, Alliance centriste, villepinistes, radicaux de Borloo) se retrouve globalement assez bien dans l’Alliance démocratique, ou la droite libérale hostile au fascisme d’un Georges Mandel [dernière minute : la plupart de ces courants, à l’exception du Modem de Bayrou et des villepinistes, viennent de s’unir dans l’Union des Démocrates indépendants (UDI), ce qui devrait logiquement accélérer la droitisation de l’UMP] ;

    - le PS, parti de la gauche bourgeoise (ultra) modérée, de pure gestion ‘sociale’ du capitalisme et ‘universaliste/droits-de-l’hommiste’ des intérêts de l’impérialisme BBR, rappelle fortement le Parti républicain radical et radical-socialiste de l’époque ;

    -  le Front de Gauche rappelle la SFIO (bien que beaucoup moins important que celle-ci en 1930, beaucoup plus proche de son importance avant 1914) ; la ‘gauche radicale’ NPA ou LO évoque les courants à la gauche de celle-ci (notamment les pivertistes du PSOP, les socialistes/syndicalistes révolutionnaires etc.) ;

    -  marinelepen alatribunele Front national/Rassemblement Bleu Marine trouve clairement son équivalent dans les Croix-de-Feu/PSF ; pour le coup, son importance est proche de celle de ces derniers juste avant la guerre (en tant que PSF, 1936-40) ;

    -  le reste de l’extrême-droite fasciste/fascisante, de la ‘droite radicale’ des années 1930 retrouve aussi son équivalent dans l’extrême-droite ‘extra-FN’ d’aujourd’hui, essentiellement l’Union de la Droite nationale regroupant divers scissionnistes (MNR de 1999, Parti de la France et Nouvelle Droite Populaire de 2008-2009), exclus (Œuvre française/Jeunesses nationalistes, Terre et Peuple) et ‘recalés’ ('solidaristes' de Serge Ayoub, Renouveau français) du Front national ; et la mouvance du Bloc identitaire (souvent rejeté par les autres pour sa quête de 'respectabilité', accusé de se 'vendre au système' et à l'UMP). On y retrouve aussi bien des courants catholiques traditionalistes (Renouveau français ou 'réseaux' de Bernard Antony - un temps proche du PdF, mais s'en est éloigné, hostile à l'alliance avec la NDP où milite le néo-païen Vial) et ‘mille terroirs’/'socialistes féodaux' (identitaires) qui font penser à l’Action française (le royalisme en moins), que des courants très proches de la définition ‘étroite’ du fascisme (Œuvre française/Jeunesses nationalistes) et des courants ‘populaires et sociaux’ rappelant le PPF de Doriot (Troisième Voie/Front populaire solidariste, qui entretient également des liens avec Égalité et Réconciliation d’Alain Soral, les nationalistes-révolutionnaires de Christian Bouchet, etc.). Ces courants sont unis dans une hostilité au FN/RBM de Marine Le Pen (jugé trop ‘complaisant’ et ‘respectable avec le système’), qui n’est pas sans rappeler celle de l’extrême-droite des années 1930, regroupée dans le ‘’Front de la Liberté’’, vis-à-vis des Croix-de-Feu (pour des raisons assez similaires). A l’époque, la Fédération républicaine appuyait ce Front pour affaiblir les Croix-de-Feu ; et c’est généralement l’accusation (d’être ‘pilotés par l’UMP’) que le FN adresse aux ‘dissidents’ (Identitaires ou UDN) d’extrême-droite actuels…

    -  une différence ESSENTIELLE, c’est qu’il existe aujourd’hui une ‘gauche révolutionnaire’, un mouvement communiste au sens large (personnes rejetant le capitalisme et souhaitant une société socialiste, ou directement communiste), mais totalement atomisée, prisonnière de mille petits sectarismes (de 'cour de récré') ou prise dans la force d’attraction de la social-démocratie ‘radicale’ électoraliste (Front de Gauche, NPA, LO) ; et il n’y a pas, comme ‘au seuil des années 30’, un grand PARTI COMMUNISTE pour diriger et être le centre d’agrégation de toutes les forces révolutionnaires, anticapitalistes et antifascistes. L’ensemble de ces forces anticapitalistes et antifascistes est même quantitativement très inférieur au seul PCF (sans compter le reste : anarchistes, marxistes dissidents et socialistes révolutionnaires de la frange extrême-gauche de la SFIO) de 1930 ou 1935. Cela, alors même que le FN et l’extrême-droite en général ont largement atteint, voire dépassé, le niveau de leurs prédécesseurs de 1936-40… 

    Dans cette configuration, la 'formule' de mise en place du 'fascisme à la française' semble être la suivante :
    - une 'radicalisation' réactionnaire, sous la pression de la crise générale capitaliste et de la montée de la contestation et des explosions populaires, de la 'droite de la droite' bourgeoise ; mouvement dans lequel sont également entraînés des éléments de la social-démocratie (comme aujourd'hui un Manuel Valls) voire des 'communistes' révisionnistes particulièrement social-républicains (comme André Gerin) ;
    - émergence d'un grand parti 'césariste' réactionnaire (avec un discours ‘populaire’ et 'social') de masse (Croix-de-Feu, aujourd'hui FN) ;
    - ‘à l'ombre’ de ceci, un pullulement et un développement de courants 'ultras', fascistes 'révolutionnaires' à la Ayoub ou puisant dans la tradition national-catholique hexagonale (comme l’essentiel de l’UDN), avec parfois un côté 'socialisme féodal' (comme les Identitaires avec leur ‘relocalisation’, leurs thèmes ‘décroissants’ et écologistes ‘paysagistes’) ;
    - impuissance et errements de la gauche réformiste bourgeoise, toujours face à la crise générale (échec des expériences de 1924-26, 1932-34 et même Front populaire de 1936, qui cède le pouvoir en 1938 à Daladier ; fiasco chaque fois plus grand des quinquennats PS depuis 1981).

    - faiblesse et emprise réformiste, économiste, sur le mouvement ouvrier organisé, erreurs et opportunisme du mouvement communiste.

    http://img.over-blog.com/600x434/1/35/08/38//affiche-r-vachert-revolution-nationale.jpgL’État français semble être une terre de fascisme s'installant 'à pas feutré', en préservant les 'formes', à coup de 'petites phrases', seuls des courants marginaux (et non-unifiés) faisant beaucoup de ‘bruit’ (comme les Identitaires, spécialistes du 'buzz' médiatique 'métapolitique', avec leur récente action à Poitiers, pour 'l'anniversaire' de la victoire de Charles Martel sur les 'Sarrasins')... Ceci, jusqu'à ce qu'une 'catastrophe nationale' amène tout-un-chacun à tomber les masques, et à choisir son camp (il peut alors y avoir des surprises : ainsi, un Pierre Laval n'était pas spécialement à la 'droite de la droite' avant-guerre ; il était un Président du Conseil de centre-droit, pour finir en 1942-44 chef de gouvernement de la collaboration ultra).

    La (grande) inconnue étant quel sera cet évènement ‘majeur’, ce ‘séisme politique’ qui sera le ‘catalyseur’ du saut qualitatif de la dictature bourgeoise vers la dictature réactionnaire terroriste ouverte. Une invasion et occupation étrangère, comme en 1940, paraissant aujourd’hui hautement improbable… Crise économique et sociale comme en Grèce, rendant le pays ingouvernable par les voies démocratiques bourgeoises ‘traditionnelles’, sans toutefois de véritable mouvement communiste fort et organisé présentant une alternative révolutionnaire ? Vague d’attentats ‘islamistes’ faisant des centaines voire des milliers de victimes ? On ne peut que se perdre en spéculations…

    En attendant, le ‘fascisme moderne’ dont parle le PCmF fait penser à l’ambiance militaro-chauvine, colonialiste (hier au nom de la ‘civilisation’ contre la ‘barbarie’, aujourd’hui au nom des ‘droits de l’homme’ et contre le ‘terrorisme’), policière, antipopulaire et contre-révolutionnaire qui régnait dans les premières décennies du 20e siècle (‘ambiance’ évidemment renforcée, après 1918, par l’émergence de l’URSS et de l’Internationale communiste, dont nous n’avons pas l’équivalent aujourd’hui). À la différence, peut-être… que c’était alors une époque de progrès et de concessions sociales, alors que notre époque est celle du ‘grapillage’ par la bourgeoisie de tout ce qu’elle a dû accorder depuis 1945. 

    Finalement, en conclusion, si l’on essayait d’établir les ‘lignées généalogiques’ de la ‘droite radicale’ BBR, qu’obtiendrait-on ?

    1°/ Une lignée bonapartisme (du 19e siècle) – boulangisme – Croix-de-Feu – gaullisme (RPF, UNR/SAC, puis RPR de Chirac à ses débuts) ; dont le FN tend depuis les années 1990 à se poser en continuateur (avec un certain nombre de ‘souverainistes de droite’ dont certains (Paul-Marie Coûteaux) sont pris dans son champ de gravitation) ; c’est finalement le ‘bonapartisme’ de René Rémond ;

    2°/ Une lignée Adolphe Thiers – Fédération républicaine – CNIP – ‘droite décomplexée’ actuelle (Sarkozy-Copé) en passant par le sinistre Parti républicain (1977-97), matrice du "thatchérisme à la française" ; qui est finalement l’orléanisme de Rémond (sachant qu’il existe une ‘aile gauche’ de cet orléanisme, des gens comme Mandel hier et aujourd’hui les ‘dissidents’ du sarkozysme à la Bayrou/Modem (plutôt démocrate-chrétien, à vrai dire) ou (surtout) Borloo/UDI ou Fillon et ses partisans, hostiles à la ‘dérive droitière’ des ‘décomplexés) ;

    3°/ En version ‘radicale’ de cette dernière, une lignée Maurras/Action française – ‘extrême-droite Taittinger’ des années 1920-30 – ‘Révolution nationale’ – ‘Algérie française’ et qui se retrouve aujourd’hui dans la mouvance du MPF (De Villiers) et de CPNT, du Bloc identitaire, de l’UDN, des ‘réseaux’ d’un Jacques Bompard ou d’un Daniel Simonpieri (‘notables’ provençaux d’extrême-droite) ; c’est peu ou prou le ‘légitimisme’ de Rémond (même si le terme est erroné : l'Action française était dynastiquement orléaniste, pour la restauration du comte de Paris) ;

    4°/ Enfin il y a le courant ‘national et social’, partant du ‘fricotage’ de Georges Valois avec l’Action française dans les années 1910 (‘Cercle Proudhon’) et passant par le PPF de Doriot et le nationalisme-révolutionnaire des années 1960-90 pour aboutir aujourd’hui dans le ‘solidarisme’ de Serge Ayoub, la ‘mouvance’ Dieudonné-Soral, le Parti solidaire de Werlet ou les ‘NR’ de Christian Bouchet (ayant parfois fusionné avec le "tiers-mondisme" - notamment très pro-arabe - d'un certain post-nazisme dès les années 1950, autour du banquier François Genoud et de quelques autres). Ceux-ci étaient les seuls ‘véritables’ fascistes selon la mouvance 'antifasciste' qui s’était constituée autour du ‘p’’c’’mlm’...

    On peut aussi souligner la persistance du vieux clivage entre "parti catholique" et "parti maçonnique/libre-penseur/laïc", qui s'est longtemps confondu avec le clivage droite/gauche au sein de la bourgeoisie mais cela n'est plus aussi évident aujourd'hui (et depuis au moins 70 ans) : les loges maçonniques classées à droite (GLF, GLNF) ont gagné en hégémonie et le Grand Orient lui-même n'est plus aussi facilement classable à gauche qu'autrefois (voir l'exemple de l'idéologue 'sécuritaire' Alain Bauer) ; on trouve aujourd'hui très certainement des francs-maçons au FN voire dans les 'droites nationales' à sa droite (UDN) tandis que se sont largement développés la démocratie-chrétienne et les 'cathos de gauche' dans la lignée de Lamennais et Victor Hugo jusqu'au sommet du PS, comptant rien de moins que l'actuel Premier ministre Jean-Marc Ayrault... Le clivage, néanmoins, garde encore parfois un aspect structurant : ainsi à Lyon, 'capitale de la province' et accessoirement capitale religieuse des 'Gaules', la bourgeoisie reste historiquement et structurellement partagée entre un 'clan catholique', allant de démocrates-chrétiens sociaux-libéraux au sein du PS (et d'une importante section du Modem) jusqu'aux ultra-conservateurs autour de Charles Millon ("Droite libérale chrétienne") et aux national-catholiques autour de Bruno Gollnisch, et un 'clan radical' franc-maçon qui a dirigé la ville de 1905 à 1957 avec Édouard Herriot et va là encore aujourd'hui de l'entourage du maire PS Gérard Collomb jusqu'à des membres (sans doute) du FN en passant par la droite 'républicaine', notamment la grosse section radicale 'valoisienne'. On le retrouve également au sein des forces armées du Capital : il est de notoriété publique que les officines catholiques (allant là encore de la démocratie chrétienne au national-catholicisme ultra façon Civitas/ICHTUS) sont très présentes dans l'institution militaire... tandis que tout cadre de la Police nationale qui se respecte a ses entrées dans une loge maçonnique. Il existe aussi historiquement une tendance 'entre-deux' (souvent liée aux loges maçonniques de droite), rejetant l'hégémonie intellectuelle totale de l'Église sur la société mais prête à l'utiliser (pragmatiquement) pour l'encadrement des masses et les 'bonnes valeurs', avec des personnages non moins importants qu'Adolphe Thiers ("Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui lui dit au contraire : jouis") ou Louis-Napoléon Bonaparte (se retrouvant donc dans leurs héritages politiques respectifs).

    La ‘gauche’ bourgeoise étant, elle, partagée entre ses deux traditions ‘historiques’ girondine (allant des sociaux-libéraux à la Strauss-Kahn aux libéraux-libertaires à la Cohn-Bendit) et jacobine (plus étatiste-dirigiste, ‘verticaliste’, ‘républicaine’, souvent eurosceptique : Montebourg, Emmanuelli etc.). L’une et l’autre étant toujours plus tirées vers la droite, soit sur la ligne de la ‘loi du marché’, de la ‘compétitivité’ dans une ‘économie mondialisée’ etc. (girondins), soit sur celle des ‘valeurs républicaines’, de la ‘laïcité’ et compagnie (jacobins)...

    Enfin, on l’a dit, le mouvement communiste et le mouvement révolutionnaire anticapitaliste au sens large en sont, pour ainsi dire, à leur niveau idéologique et de structuration d’avant 1914, alors que le fascisme au sens large (fascisme ‘révolutionnaire’ et ‘droite radicale’) est à son niveau des années 1930…


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    [1] Voici ce qu’en disait Dimitrov en 1935 : Nous en avons des exemples tels ceux de la Bulgarie, de la Yougoslavie, de la Finlande, où le fascisme, tout en manquant de base large, n'en est pas moins arrivé au pouvoir en s'appuyant sur les forces armées de l'Etat, et où il a cherché ensuite à élargir sa base en se servant de l'appareil d'Etat.

    [2] Il s’agissait d’un mouvement monté de toute pièce par le grand-bourgeois (parfumeur) François Coty, cherchant à ‘plaquer’ artificiellement le modèle fasciste italien sur la réalité français, jusque dans le leader ‘venu de la gauche’ : Coty ‘dégotta’ ainsi un représentant de l’aile droite du syndicalisme révolutionnaire, Georges Valois, qui avait dans les années 1910 ‘fricotté’ avec l’Action française pour un programme antiparlementaire ‘national et social’. Mais ce plaquage artificiel se révéla rapidement impossible, n’accrocha’ pas les couches populaires et se désintégra en à peine plus de deux ans, sous le poids de ses contradictions (entre la grande bourgeoisie anticommuniste et anti-réformiste de Coty et le social-réformisme ‘radical’ sincère de Valois, entre le programme ‘révolutionnaire’ initial du fascisme italien qu’admirait Valois et sa réalité réactionnaire - et économiquement très libérale - de 1926-27, etc.). Valois (avec la plupart des cadres issus du syndicalisme révolutionnaire) revint vers la gauche ; il ne fut jamais réintégré par la SFIO mais entra en résistance dès 1940 et mourut déporté à Bergen-Belsen. Dans la seconde moitié des années 1920, la principale formation paramilitaire ultra-réactionnaire/fascisante qu’affrontait le jeune Parti communiste était les Jeunesses patriotes de Taittinger.

    [3] Formé quant à lui avec le financement du banquier Gabriel Le Roy Ladurie et dirigé par l’ancien cadre communiste et maire de Saint-Denis Jacques Doriot, exclu en 1934. Doriot était un personnage dévoré d’ambitions personnelles - devenues insupportables au sein du Parti - et qui, après son exclusion, poursuivit alors une quête de revanche personnelle contre celui-ci, laquelle se concrétisa lors de sa rencontre avec Le Roy Ladurie. Le PPF se voulait à l’origine un parti ‘populaire’ et ‘de gauche’ concurrent du PC, mais évolua rapidement (dès 1937) vers des positions fascistes ultras et sera sous l’Occupation le mouvement le plus farouchement collaborationniste et pro-nazi.

    [4] Troisième plus important mouvement impliqué dans la collaboration en 1940-44. Le deuxième plus important (après le PPF) et ‘troisième larron’ fasciste ‘venu de la gauche’ était le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, ‘néo-socialiste’ (aile ultra-droite de la SFIO) dont le ‘profil politique’, au ‘seuil des années 30’, évoque celui d’un Éric Besson ou d’un Manuel Valls aujourd'hui (pour une gauche ‘moderne’, rompant avec le ‘marxisme archaïque’ etc. etc.)

     

     


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  • L'Amérique latine, depuis le Rio Grande jusqu'à la Terre de Feu en passant par la mer des Caraïbes, les Andes majestueuses et l'Amazonie verte émeraude, est d'une grande signification pour l'"imaginaire collectif" révolutionnaire mondial. Ses guérilleros barbus arpentant la sierra avec leur cigare, leurs munitions en sautoir et leurs sombreros qui leur donnent une dimension solaire, dégagent un puissant romantisme au sens progressiste du terme : un romantisme qui mobilise les masses de la planète vers leur émancipation. Figure solaire, messianique entre toutes, est bien sûr la célèbre image - devrait-on dire l'icône - du "Che" Guevara, devenue un symbole mondial de ralliement révolutionnaire et progressiste ; que l'on retrouve en Azanie comme en Palestine, au Sénégal comme en Indonésie, comme bien sûr en Occident - même si souvent détourné, par le capitalisme, en phénomène de mode bobo.

    Il faut dire que ce continent se trouve particulièrement AU CŒUR de toutes les contradictions du monde impérialiste : contradictions entre travailleurs exploités et capitalistes exploiteurs ; entre peuples gémissant dans la misère, condamnés à la fuite migratoire, et "maîtres du monde" des grandes puissances et des "multinationales" du "Nord" ; entre bourgeoisies nationales tentant de s'affirmer et ces mêmes "maîtres du monde" ; et aussi, de manière particulièrement forte, entre capitalisme pourrissant et écosystème planétaire.  

    Il faut se souvenir, aussi, que c'est essentiellement sur le dos des Amériques, les "Indes occidentales", que s'est accomplie entre la fin du 15e et le début du 19e siècle la GRANDE ACCUMULATION CAPITALISTE européenne, qui devait déboucher sur l'ère industrielle ; une accumulation dans les crimes effroyables de l'asservissement et du génocide des indigènes, de la déportation et de l'esclavage des Africain-e-s.

    Mais cette grande tragédie a aussi engendré, dans le mariage des cultures ibériques, indigènes et africaines, un ensemble de nations-sœurs qui, depuis maintenant plus de deux siècles, lèvent le drapeau de leur libération.

    Cette grande signification révolutionnaire n'a cependant pas été de tout temps : elle remonte, en réalité, à une cinquantaine d'années - en fait, à la Révolution cubaine. Longtemps, du temps du Komintern et de Staline, le continent latino-américain ne fut pas particulièrement au centre des préoccupations du mouvement communiste international, qui n'avait pas de véritable stratégie révolutionnaire le concernant. À la conférence de Bakou, en 1920, lorsque l'Internationale communiste de Zinoviev appelait au soulèvement des peuples d'Orient, d'Asie et d'Afrique, il n'était même pas évoqué. Au Congrès anti-impérialiste de Bruxelles (1927), seul Victor Raúl Haya de la Torre (fondateur et leader de l'APRA) le représentait, alors qu'il y avait déjà des Partis communistes dans beaucoup de pays, Mariátegui au Pérou etc. Marx et Engels, avant cela, avaient tendance à vouer le plus grand mépris à ce continent "paresseux" et à ses baroques caudillos (comme Bolívar), alors même que se jouaient pourtant des évènements essentiels pour l'avenir de l'humanité : le passage de l'hémisphère occidental, à peine débarrassé de la Couronne espagnole (et portugaise), sous la coupe de l'Empire britannique et d'une autre puissance montante, appelée à une "destinée manifeste" terrible pour les peuples de l'humanité : les États-Unis.

    Pourtant, comme le rappellent très justement les écrits de Mariátegui, la résistance des masses populaires n'a jamais cessé ; tant en elle-même (révoltes populaires, paysannes, indigènes) qu'en se liant à des mouvements bourgeois qui, pour une raison ou une autre, s'appuyaient sur les masses pour atteindre leurs buts (à commencer, bien sûr, par les mouvements d'indépendance de 1810-30, ou de 1868-98 à Cuba et Puerto Rico) ou encore en résistant à des invasions étrangères (Argentine et Uruguay par la Grande-Bretagne en 1806-1807, Mexique en 1846-47 ou encore Nicaragua 1909-1933, Saint-Domingue 1916-1924 et Haïti 1915-34 par les États-Unis, Paraguay par la "Triple Alliance" en 1865-70, Pérou et Bolivie par le Chili en 1879-83 etc. etc.) - ces agressions étant, sinon directes, du moins pilotées par une puissance impériale.

    Ce panorama historique, succinct, vise à permettre aux révolutionnaires francophones de s'approprier les données essentielles sur la question.

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    Nous ferons volontairement commencer ce panorama historique au début de ce que nous appellerons l’époque "contemporaine", en lien direct avec la situation de nos jours : la première moitié du 19e siècle, qui voit l’essentiel des pays s’affranchir des Couronnes espagnole et portugaise – ainsi que de la France, pour Haïti ; dans ce qui représente typiquement une révolution bourgeoise avortée, comme en Europe méditerranéenne.

    Lorsqu’à la fin du 15e siècle, les Européens abordèrent les côtes de l’Amérique, celle-ci était peuplée pour l’essentiel de personnes vivant en communauté primitive : société peu différenciée en classes stables, au mode de production essentiellement chasseur-cueilleur agrémenté d’un peu d’agriculture vivrière et, éventuellement, de la domestication de quelques espèces (comme le dindon). Seules deux régions, la Mésoamérique (sud du Mexique, Guatemala, Belize) et la cordillère des Andes, avaient accédé à un stade de développement supérieur : un mode de production dit ‘‘asiatique’’, comme en Égypte ou en Mésopotamie dans la Haute-Antiquité ; c'est-à-dire qu’une population dominante, avec une caste aristocratique (à la fois chefs politiques, militaires et religieux) s’était greffée sur les communautés primitives d’une large région géographique (qui continuaient à produire de manière relativement collectiviste) et prélevait un tribut annuel sur ces communautés. Ces sociétés avaient atteint un degré technique, scientifique, artistique et architectural etc. très avancé, surprenant les premiers arrivants européens ; toutefois, leur organisation sociale et leur technique militaire ne leur permirent pas de résister plus de quelques années à quelques centaines de conquérants espagnols. Des civilisations du même type – légèrement moins avancées – semblent avoir également existé en Amérique du Nord, dans la région des fleuves Mississipi et Ohio ainsi qu’en Arizona/Nouveau-Mexique (Anasazis), mais elles se sont éteintes au début du 14e siècle, donc avant l’arrivée des Européens dans ces régions.

    Malgré une résistance qui n’a jamais cessé (cf. Mariátegui), ces populations, entre le régime d’esclavage auquel elles furent soumises, la violence des conquérants et les maladies importées d’Europe – contre lesquelles elles n’étaient pas immunisées, furent décimées : elles disparurent totalement de l’arc caraïbe ; furent pratiquement exterminées (les survivants parqués dans des réserves sous contrôle militaire) en Amérique du Nord ; quelques communautés primitives survécurent dans des zones très reculées de l’Amazonie (où certaines ne furent ‘’découvertes’’ qu’au 20e siècle…) ; tandis qu’en Mésoamérique et dans les Andes, bien que la population fut divisée par 10 voire 20 en moins d’un siècle, elles résistèrent un peu mieux, et forment aujourd’hui le fond ‘’ethnique’’ des masses populaires – bien que l’essentiel soit évidemment métissé : il y a peu d’indigènes ‘’purs’’. Dans la plupart des pays, elles furent peu à peu remplacées par des esclaves importés d’Afrique subsaharienne, ‘’mieux adaptés’’ au dur labeur des exploitations coloniales. La part de la descendance (et de l'influence culturelle) de ces derniers dans la population est inversement proportionnelle à l’ampleur dans laquelle la population originelle fut éradiquée (en Amérique du Nord, les Anglais et les Français, quant à eux, ne cherchèrent jamais vraiment à faire travailler les indigènes, se contentant de les chasser de leurs terres, et ne mirent en œuvre que l’esclavage des Africains).

    L’Amérique dite ‘’latine’’, qui nous intéressera ici, au sud du Rio Grande et du détroit de Floride, a été dans l’ensemble colonisée par les royaumes d’Espagne et du Portugal (Brésil et dans une certaine mesure Uruguay), seul l’arc caraïbe (sauf Cuba, Saint-Domingue et Puerto Rico) et les Guyanes étant partagés entre l'Angleterre, la France et la Hollande (avec quelques îles suédoises – Saint-Barthélemy – et danoises – îles Vierges – jusqu’au 19e siècle). L’Amérique du Nord fut partagée entre les Anglo-saxons et les Français (Québec, Louisiane), mais les territoires français furent annexés par les Anglo-saxons (Grande-Bretagne et USA) entre 1763 et 1803.

    Cette différence s’avèrera essentielle, nous le verrons, pour la suite des évènements historiques jusqu’à nos jours : elle en forme la base matérielle. En effet, la colonisation espagnole et portugaise mit en place un régime seigneurial-esclavagiste extrêmement dur et fondé sur le pillage, l’exploitation forcenée des matières précieuses pour le luxe des aristocraties portugaise et espagnole, sans chercher à mettre en place une économie locale développée ; seule une mince bourgeoisie venant se positionner en intermédiaire entre les grands propriétaires criollos (coloniaux), producteurs de sucre, café, bois précieux, or et autres métaux etc., et la métropole. Les colons étaient, pour l’essentiel, des cadets de famille aristocratique (n’héritant pas d’une terre en Espagne ou au Portugal, ils allaient donc s’en "tailler" une outre-Atlantique). Au contraire, l’Amérique du Nord britannique fut colonisée par des bourgeois, de religion et idéologie protestante, capitaliste conquérante ; persécutés à l’origine en métropole – l’Angleterre eut des monarques 'catholicisants' de 1625 à 1649 et de 1660 à 1689 – ils réduisirent au maximum les liens avec celle-ci et mirent en valeur les territoires colonisés dans un esprit capitaliste, moderniste ; ce qui, au terme du processus historique, donnera naissance à deux grands États impérialistes : les États-Unis d’Amérique (USA) et le Canada. Les territoires colonisés par la France connurent une situation intermédiaire.

    Au début du 19e siècle, la monarchie espagnole étant affaiblie par les guerres napoléoniennes et le Portugal étant devenu, de fait, un appendice de la Grande-Bretagne, la mince couche bourgeoise dont nous avons parlé et l’aristocratie criolla ‘’éclairée’’ (imprégnée par l’idéologie des Lumières et l’exemple des Révolutions bourgeoises française et américaine)  vont se lancer dans la lutte pour l’émancipation de leurs pays, et la constitution d’États indépendants.


    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b4/BatallaCarabobo01.JPG/290px-BatallaCarabobo01.JPGDe 1810 à 1870 environ : c'est la période des indépendances (tous les États indépendants actuels sont constitués en 1840, sauf Cuba) et de leur CONFISCATION par l'impérialisme naissant. Il y a bien eu le "rêve continental" de Bolivar, des "rêves" sous-continentaux comme celui de l'Empire mexicain d'Iturbide (1821-24) ou de l'Empire du Brésil (1822-1889), et des gouvernements nationalistes comme celui de Rosas en Argentine (1829-1852), Rodriguez de Francia et ses successeurs (1811-1870) au Paraguay [1] [2], ou Santa Anna au Mexique (dominant la vie politique de 1823 à 1855) ; mais, systématiquement, la volonté politique sera en contradiction trop grande avec le niveau réel des forces productives léguées par l'Empire espagnol (qui surexploitait les territoires sans chercher leur réelle mise en valeur) ; et ainsi triompheront les féodalités locales (éclatement en une multitude d’États indépendants, eux-mêmes sans réel pouvoir central fort, avec des provinces quasi-indépendantes) et la bourgeoisie compradore (qui fonde son développement sur le rôle d'intermédiaire avec les puissances capitalistes étrangères).

    Il faut aussi bien avoir à l'esprit que lorsque l'on parle de ces féodalités, ou de cette semi-féodalité que le Parti communiste du Pérou, par exemple, plaçait au cœur de sa cible, il s'agit d'une féodalité COLONIALE ; c'est-à-dire de la grande propriété de colons d'origine européenne (essentiellement espagnole, ou portugaise au Brésil et un peu en Uruguay), appelés criollos ("créoles", c'est-à-dire nés dans la colonie) ou d'autres appellations comme mantuanos au Venezuela, q'ara en langue quechua dans les Andes etc., sur les terres du continent et des masses paysannes indigènes, métisses à dominante indigène ou descendantes d'esclaves africains déportés. De fait, même si indigènes et afro-descendants furent enrôlés et donc participèrent en masse aux guerres d'indépendance, même si l'esclavage et certaines formes de servitude indigène furent parfois abolis (pas toujours ni partout...), la "libération" de l'Amérique latine fut surtout en réalité une séparation des colons nés dans la colonie d'avec la métropole, au même titre que les États-Unis de George Washington au Nord... mais avec, outre des forces productives comme on l'a dit beaucoup plus faibles, un rapport de force numérique face aux masses colonisées qui favorisera sans doute aussi, grandement, le placement comprador rapide sous la tutelle d'une nouvelle "métropole" indirecte.

    Ces féodalités locales auront raison, par exemple, du "despotisme éclairé" de l'empereur Pierre II du Brésil, qui tentait de construire un État moderne et "affirmé" dans le "concert des nations". Entre son renversement (1889) et 1930, le pays n'aura ainsi aucun pouvoir central réel, les potentats locaux régnant sans partage au service de l'impérialisme (principalement britannique). Paradoxalement, les forces qualifiées de "conservatrices" étaient souvent plus nationalistes, favorables à un développement autocentré et endogène de leur pays, que les "libéraux" qui étaient libre-échangistes, ce qui revient en pratique à ouvrir grand les portes aux marchandises et aux capitaux étrangers.

    Contrairement à une idée reçue, fondée sur une "doctrine de Monroe" (1823) qui relève largement de la légende, l'emprise impérialiste sur le continent est alors principalement BRITANNIQUE (première puissance mondiale à l'époque), et plus secondairement française. Les États-Unis sont alors surtout tournés vers leur propre "Conquête de l'Ouest". Leurs ambitions ne s'affirmeront qu'à partir du milieu du siècle : annexion de la moitié du Mexique en 1848, puis assise de leur influence sur celui-ci avec le libéral Juarez (1858-72) ; tentative de mainmise sur le Nicaragua avec l'aventurier Walker (1855), qui échoue face à une coalition d’États centre-américains pilotée par la Grande-Bretagne ; puis, à la toute fin du siècle, annexion de Cuba et Puerto Rico (1898), suivie de la formation de l’État fantoche de Panama (1903), de l'occupation du Nicaragua (1909-1933), d'Haïti (1915-1934) et de la République dominicaine (1916-1924), etc. Ce n'est qu'entre 1918 et 1945 que l'impérialisme US s'affirmera totalement sur le continent, faisant de celui-ci son "arrière-cour". À travers les ports de San Francisco et la Nouvelle-Orléans, ses capitaux et marchandises "attaquent" plutôt le continent par les côtes pacifique et caraïbe, tandis que la façade atlantique reste tardivement sous influence européenne, principalement britannique.

    Durant toute cette période, donc, guerres civiles et entre États, dictatures de caudillos et "révolutions" ne sont pratiquement que l'expression de l'affrontement entre pénétration des capitaux étrangers (principalement britanniques) et rejet de ceux-ci par des éléments nationalistes de la classe dominante. Comme on l'a dit, les forces "libérales", qui luttent à l'intérieur contre l'influence de l’Église catholique, pour les libertés bourgeoises voire même un certain progrès social, ne sont pas systématiquement les plus opposées à la pénétration impérialiste...

    On a là, et ce sera valable pour toute la suite de ce panorama historique, l'expression d'une contradiction fondamentale et spécifique des pays qui, par la faiblesse de leur forces productives à un moment donné, passent sous la coupe de pays aux FP plus avancées (loi du développement inégal) : la contradiction entre le CARACTÈRE NATIONAL de la production et la (sur-)APPROPRIATION IMPÉRIALISTE ÉTRANGÈRE d'une partie importante de la plus-value ; le fait que ce soit du Capital étranger (impérialiste) qui se valorise à travers les forces productives nationales.

    On peut considérer comme un épilogue sanglant la guerre d'extermination (40% de la population, dont la quasi-totalité des hommes adultes...) menée contre le Paraguay, dernier pays à tenter un développement capitaliste endogène, par la triple alliance de l'Argentine, du Brésil et de l'Uruguay, pilotée par l'Empire britannique (1865-70). Guerre_de_la_Triple-Alliance

    220px-TupacAmaruIIS'il est un constat dans le sentiment populaire comme dans les forces révolutionnaires conscientes d'Amérique latine, c'est que les "héros nationaux" de cette époque jouent un rôle important dans la mobilisation de masse, dans un sens progressiste. Les forces progressistes et anti-impérialistes du Venezuela et de Colombie invoquent Bolivar (et Ezequiel Zamora au Venezuela) ; en Amérique centrale, Morazàn (bien qu'également des figures postérieures, comme Sandino ou Farabundo Marti - qui, lui, était communiste). Au Pérou et en Bolivie, on se réfèrera à des figures un peu antérieures : José Gabriel Condorcanqui dit "Tupac Amaru II" et son lieutenant Tupac Katari, qui menèrent une grande révolte contre la Couronne espagnole en 1780-81, avant de mourir écartelés... L'importance, dans ces pays, de l'organisation sociale indigène, communautaire et collectiviste (ayllu), mise en lumière par le communiste péruvien José Carlos Mariátegui, explique l'ampleur historique de la résistance paysanne indigène et le succès de masse du maoïsme (particulièrement au Pérou) face au cubano-guévarisme très fort partout ailleurs. La notion de jefatura, développée par le Parti communiste du Pérou avec Gonzalo (Abimael Guzmán), puise aussi, sans aucun doute, ses racines dans le lien "messianique" unissant les "restaurateurs" de l'Empire inca, comme Tupac Amaru II, aux masses indigènes dépossédées par les colons espagnols (dont les classes dominantes actuelles sont les descendantes). 

    729px-DeboisementArgentineAncienPort.jpgDe 1880 à 1930 : grand développement des forces productives. La plupart des pays, en tout cas au début, sont dirigés par des régimes oligarchiques conservateurs, ou des "libéraux" particulièrement droitiers, orléanistes. Mais (en lien avec ce développement des forces productives), la période voit aussi l'émergence de puissantes forces bourgeoises radicales, modernisatrices et généralement anticléricales (liées à la franc-maçonnerie), qui réussissent parfois à prendre le pouvoir : "révolution" libérale-radicale "authentique" en Équateur (Eloy Alfaro, 1895-1912), radicalisme argentin (1916-1930), "ère Batlle" en Uruguay (de 1903 à la crise de 1929), "révolution" de 1925 au Chili ou encore présidence de José Santos Zelaya au Nicaragua (1893-1909, qui s'achève avec l'invasion US), et bien sûr la "révolution" mexicaine (1910-1929). Dans les dernières colonies espagnoles (Cuba avec José Marti, Puerto Rico), ces forces mènent la lutte indépendantiste, qui s'achève malheureusement par la conquête yankee en 1898.

    Reflet des contradictions inter-impérialistes qui commencent à se faire jour à travers le monde, en 1879-83, le Chili poussé par l'Empire britannique agresse le Pérou (à qui il raflera la province de Tarapacá) et la Bolivie (qu'il privera jusqu'à ce jour d'accès maritime). Ces pays tendaient à devenir des "axes" de pénétration impérialiste US. Guerre_du_Pacifique

    Et de fait le Chili dans cette affaire ; comme ces autres pays très européens de peuplement et de mode de vie qu'étaient l'Argentine et l'Uruguay, ou du moins fermement aux mains d'une forte population européenne comme le Brésil, un peu plus tôt face au Paraguay ; tous ces pays ont aussi pu jouer quelque part un rôle de nouvelle Espagne conquistadoreau service de l'impérialisme principalement britannique, vis à vis de leurs voisins "plus indigènes" (sans parler de la "conquête" de leurs propres régions andines et australes par l'Argentine et le Chili) ; de fers de lance de la pénétration du Capital dans les territoires plus "arriérés" et encore à investir par le capitalisme moderne. C'est, en tout cas, un peu de cette manière que les Péruviens (les masses indigènes en particulier), occupés entre 1880 et 1883, ont eu tendance à le vivre et s'en souviennent aujourd'hui ; tandis que les Paraguayens ont gardé en mémoire la guerre de 1865-70 comme un nouvel écrasement des réductions jésuites par les troupes portugo-brésiliennes du marquis de Pombal (1755).

    Les contradictions inter-impérialistes pousseront également les USA à imposer un protectorat (1906) puis à occuper la République dominicaine (1916-24), en même temps que son voisin Haïti ; à accélérer la construction, sous leur contrôle, du canal de Panama - en appuyant la sécession de cette province colombienne ; et à s'impliquer fortement dans la "révolution mexicaine" (débarquement à Veracruz en avril 1914), les visées allemandes sur ce pays étant même - en grande partie - à l'origine de l'entrée des États-Unis dans la guerre mondiale. Au Venezuela, faisant barrage à une intervention militaire britannique au nom de la "doctrine Monroe", ils sauvent le pouvoir de Cipriano Castro, auquel ils font succéder en 1908 jusqu'en... 1935 la féroce dictature de Juan Vicente Gómez ; qui préside en 1914 à la "découverte" (comme par hasard...) des gigantesques réserves de pétrole que l'on connaît...

    La période voit globalement monter en puissance l'impérialisme yankee sur le continent, même si l'impérialisme britannique résiste (ainsi, encore en 1932-35, le Paraguay au service des monopoles pétroliers britanniques l'emporte sur la Bolivie pro-US, qui perd encore une grande partie de son territoire dans la guerre du Chaco). 

    Là encore, la période a fourni un certain nombre de figures et d'évènements emblématiques à la gauche radicale et révolutionnaire d'un certain nombre de pays : José Martí à Cuba bien sûr ; Pancho Villa et Zapata (réformistes agraires radicaux) au Mexique ; Augusto César Sandino au Nicaragua ; colonne révolutionnaire de Luís Carlos Prestes (qui rejoindra plus tard le Parti communiste) au Brésil ou révolte des bananeraies en Colombie (1928)... En Équateur, les réformistes appuyant le "processus" actuel se réclament souvent d'Alfaro.

    peron12.jpgLa crise de 1929 impacte durement l'économie continentale. Elle impacte, d'autre part, durement l'impérialisme britannique (qui, du coup, perd pied) ainsi que son "successeur désigné", l'impérialisme US, engendrant une période de "vacance", de "flottement". À partir de 1930 émergent des forces populistes qui cherchent la mobilisation de masse pour arracher leurs économies nationales à la domination impérialiste (européenne comme nord-américaine) : gétulisme (Getúlio Vargas) au Brésil (de la "révolution" de 1930 à 1945, puis à nouveau de 1951 à 1954), péronisme en Argentine (1943-1955), Lazaro Cardenas et ses successeurs au Mexique (de 1934 jusqu'à la fin des années 1940), Ibáñez au Chili (1927-31 puis 1952-58) ; et d'autres forces qui ne parviennent pas (dans un premier temps) au pouvoir : MNR en Bolivie (fondé en 1941, en gestation dès 1935, prendra le pouvoir en 1952), APRA au Pérou (fondée en 1924), PRD en République dominicaine (fondé en 1939), Parti révolutionnaire fébrériste au Paraguay (1936), des partis d'inspiration sociale-démocrate (Venezuela, Chili), etc. Bourgeoises, ces forces s'opposent autant à l'impérialisme US et européen qu'à l'URSS et au mouvement communiste ("Ni Washington, ni Moscou !" était le mot d'ordre de Victor Haya de la Torre, fondateur de l'APRA). Certaines auront des sympathies, jusqu'au milieu de la Seconde Guerre mondiale (1942-43, voire 1944), pour les régimes fascistes européens (après-guerre, toutefois, la plupart "s'orienteront vers la gauche" et mèneront généralement des politiques de réformes sociales "classiques") : c'est notamment le cas du péronisme, du gétulisme, d'Ibáñez ou du MNR bolivien. D'autres, cependant, seront au contraire d'un antifascisme impeccable, comme Cardenas au Mexique, qui sera (avec l'URSS et la Tchécoslovaquie) le seul véritable soutien de la République espagnole.

    Sur la base des forces productives accumulées depuis la fin du 19e siècle, ces dirigeants et mouvements social-réformistes ou populistes vont tenter, une seconde fois après les tentatives du 19e siècle, d'affirmer un capitalisme national indépendant et autocentré. Mais ces tentatives seront durement écrasées lors de la période suivante...

    Après la Seconde Guerre mondiale, l'impérialisme US a enfin acquis l'hégémonie totale sur le continent américain.

    Dès la fin des années 1940 commence alors une grande guerre d'extermination non-déclarée, poursuivant trois objectifs :

    - écraser les forces révolutionnaires anti-impérialistes authentiques, à une époque où la vague révolutionnaire mondiale, partie de Russie en 1917, est à son apogée ;

    - contrer les visées social-impérialistes soviétiques ;

    - écraser les tentatives d'émancipation capitaliste nationale, pour asseoir un ordre semi-colonial féroce, quasiment néo-colonial (bien qu'aucun de ces pays n'ait été une colonie directe des USA, sauf Cuba), qui débouchera dans le "néolibéralisme" des années 1980-2000 ("consensus de Washington").

    Cette guerre non-déclarée, mais bien réelle, entre guerres civiles et dictatures réactionnaires terroristes, fera sans doute plus d'un million et demi de victimes.

    Dès le début, cela commence "très fort". Les pays caraïbes et d'Amérique centrale, déjà sous contrôle US avant-guerre, ont leurs dictatures réactionnaires sanglantes et corrompues dès les années 1930 : Nicaragua (dynastie Somoza dès 1937, après plus de 20 ans d'occupation militaire américaine), Salvador (Hernandez Martinez dès 1931, règne inauguré par la répression du soulèvement paysan de janvier 1932 - dirigé entre autres par Farabundo Martí - et ses 30.000 victimes, puis succession de juntes du même tonneau), Cuba (Machado 1925-1933, puis Batista sera "l'homme fort" jusqu'à sa chute fin décembre 1958), République dominicaine avec l'abominable Trujillo (1930-61) responsable d'au bas mot 50.000 victimes ; tandis qu'en Argentine se succédaient les généraux de la "décennie infâme" (1930-43) au service de l'Empire britannique.

    img4.jpgEn Colombie, le libéral de gauche Jorge Eliécer Gaitán est assassiné en 1948. S'ensuivent des émeutes qui, sous les gouvernements conservateurs puis la dictature militaire de Rojas Pinilla (1953-57), dégénéreront en une guerre civile, "la Violencia", opposant libéraux de gauche, socialistes et communistes aux conservateurs et aux libéraux de droite. Entre 200.000 et 300.000 personnes perdront la vie dans les atrocités puis s'installera, jusqu'au début des années 1980, une "alternance concertée" (un mandat de 4 ans chacun) entre conservateurs et libéraux de droite. C'est dans ce contexte que se formeront, contre les exactions anti-populaires, des milices d'autodéfense ; par la suite, se tournant vers le PC prosoviétique (FARC), la révolution cubaine et le modèle guévariste (ELN) ou la révolution chinoise (EPL), elles deviendront les fameuses "guérillas marxistes". Cependant, aux mains du camp conservateur, d'autres milices ouvriront la sinistre tradition paramilitaire du pays - aux atrocités innombrables. Depuis les années 1960 jusqu'à ce jour, le "conflit armé colombien" aura fait encore (au moins) 300.000 autres victimes (250.000 entre 1985 et 2005).

    Le Venezuela, lui, après la dictature de Gómez (1908-35) déjà évoquée, est écrasé sous la botte implacable de Pérez Jiménez de 1948 à 1958. Lui succédera un autre "pacte", celui de Punto Fijo, entre les "deux jambes" de l'oligarchie : l'Action démocratique social-démocrate et le Copei démocrate-chrétien, écartant (évidemment...) le Parti communiste. Le "puntofijisme" sera affronté par une guérilla révolutionnaire (Forces armées de Libération nationale, FALN) conduite d'abord par le PCV puis par la scission plus radicale de Douglas Bravo, le Parti de la Révolution vénézuélienne, jusqu'au milieu des années 1970 - malheureusement sans succès.

    Le Guatemala, de 1944 à 1954, traverse un "Printemps de Dix Ans", ère de réformes démocratiques et sociales. Lorsque le président réformiste Jacobo Arbenz prétend s'attaquer aux intérêts de la United Fruit, monopole US implanté depuis le début du siècle et plus grand propriétaire terrien du pays, la CIA déclenche l'opération PBSUCCESS. Arbenz est renversé ; s'ensuit une guerre civile et une succession de régimes militaires qui feront jusqu'aux années 1990 entre 200.000 et 250.000 mort-e-s. L'intellectuel radical états-unien Noam Chomsky dira à ce sujet : "Nous nous sommes arrangés pour interrompre, en 1954, une expérience démocratique. Il s'agissait pourtant d'un régime réformiste, capitaliste et démocratique, de type new deal, que notre intervention a permis d'éliminer, laissant à sa place un véritable enfer sur terre, probablement le régime de la période contemporaine le plus proche de l'Allemagne nazie".

    Bref panorama historique révolutionnaire des Amériques

    Au Mexique, le "retour dans le giron" est obtenu par une "droitisation" progressive (si tant est qu'il ait un jour été de gauche, sauf sous Cardenas...) du grand parti bourgeois hégémonique, le PRI. En 1968, peu avant les Jeux olympiques qui doivent se tenir à Mexico, un mouvement étudiant est réprimé dans le sang (300 mort-e-s). À la même époque, des guérillas d'inspiration marxiste et guévariste émergent dans toutes les régions du pays : Grupo Popular Guerillero d’Arturo Gámiz García au Chihuahua (nord), Association civique nationale révolutionnaire - ANCR, Mouvement d'Action Révolutionnaire - MAR ou Ligue communiste du 23 Septembre (d'implantation nationale), Procup-PDLP au Guerrero (sud), etc. Elles feront parler d'elles jusqu'à la fin des années 1970 et seront impitoyablement réprimées avec les mêmes méthodes qu'ailleurs, tandis qu'à l'extérieur le régime PRI dénonçait avec véhémence les autres dictatures du continent ou encore le blocus impérialiste US contre Cuba...

    En République dominicaine, le sanglant Trujillo est assassiné en 1961 avec le feu vert de la CIA, qui avait tenté jusqu'au bout de lui faire accepter un départ "honorable". L'un des ses fidèles collaborateurs, Joaquín Balaguer, prend sa succession (flanqué de Trujillo junior à la tête des forces armées) mais fin 1962 un réformiste, Juan Bosch, est élu président. Comme Arbenz au Guatemala, sa politique se heurte aux intérêts oligarchiques et américains et il ne fait pas long feu : il est renversé 9 mois plus tard par le général Elias Wessin y Wessin, qui installe un triumvirat civil sous contrôle militaire. S'ensuit une période de guerre civile (une fraction constitutionnaliste des forces armées restant fidèle à Bosch, sous la conduite du colonel Caamaño) qui culmine dans l'intervention et l'occupation militaire US (avril 1965 - septembre 1966), la deuxième de l'histoire du pays (après 1916-24), pour éviter un "nouveau Cuba". La guerre civile et l'occupation feront au moins 5.000 victimes.

    Mais entre temps, à moins de 200 kilomètres des côtes de Floride, était survenue au premier jour de 1959 la RÉVOLUTION CUBAINE sur laquelle nous reviendrons plus avant. C'est là la seule "ombre" (pour l'impérialisme) et lumière (pour les peuples) au tableau.

    260px-Revolucion.jpg

    À ce stade, le sort de la zone "nord-andine" et de l'Amérique centrale et caraïbe semble scellé. Les opérations se déportent alors vers le "Cône Sud". Dernier pays à avoir résisté aux capitaux impérialistes jusqu'à la guerre d'extermination de 1865-70, le Paraguay est alors en proie à une grande agitation sociale depuis la "révolution" de février 1936. De 1954 à 1989, il connaîtra avec le général Stroessner la plus longue dictature réactionnaire du continent (une autre particularité méconnue de ce pays est que son Parti communiste a vu une partie plus que conséquente de ses effectifs s'opposer au khrouchtchévisme, derrière le dirigeant historique Oscar Creydt qui animera une "fraction maoïste" jusqu'au début des années 1980).

    En Bolivie, le MNR qui a pris le pouvoir à la faveur d'un soulèvement en 1952, puis largement trahi les espérances populaires placées en lui est renversé en 1964 par le coup d’État du général René Barrientos. Ce régime est tristement célèbre pour avoir "eu la peau" de Che Guevara, capturé et abattu dans le centre du pays le 9 octobre 1967, après avoir tenté d'y implanté un "foyer" (foco) de guérilla supposé entraîner derrière lui les larges masses. Après la mort de Barrientos (1969), une brève parenthèse militaire "progressiste" (Juan José Torres, 1970-71) est renversée à son tour par le général fasciste Banzer, qui règnera jusqu'en 1978. La "démocratie" néolibérale ne reviendra qu'en 1980 (ce qui n'empêchera pas Banzer, candidat de la droite dure, de redevenir président "démocratiquement" entre 1997 et 2001 !). L'ELN (Armée de Libération Nationale), formée par Guevara, sera rapidement réduite à néant. La même année 1964 survient le coup d’État militaire au Brésil, où deux "progressistes" (Kubitschek et Goulart) ont succédé à Vargas. Les militaires resteront en place jusqu'en 1985. Ce pays est celui d'une autre figure bien connu des marxistes un peu conséquents : Carlos Marighella, fondateur de l'Action Libératrice Nationale après son expulsion du PC et auteur du Manuel de Guérilla urbaine.

    Junta Militar Argentine 1976L’Argentine est le théâtre de l'affrontement le plus aigu et le plus sanglant entre tentative d'affirmation capitaliste nationale et volonté nord-américaine d'imposer un ordre semi-colonial de fer. Ce pays, il faut le rappeler, était alors un "émergent" de premier plan, de l'ordre de la 10e économie mondiale, devant l'Italie ou l'Espagne (qui lui fournissaient une abondante force de travail immigrée...) ; bien que ce produit intérieur brut fut largement aux mains de capitaux britanniques, US ou européens. Il avait donc une bourgeoisie développée (moins oligarchique qu'ailleurs) avec en son sein un fort courant "affirmationiste" ; ainsi qu'une aristocratie ouvrière, chose peu courante à l'époque sur le continent : cette frange formera la base de la bureaucratie syndicale (appuyée sur un prolétariat ouvrier - descamisados - récent et de faible niveau politique), pilier du péronisme, mais qui par anticommunisme collaborera fréquemment... avec les juntes militaires national-catholiques.

    Le naufrage économique et social des années 1980 et 1990, s'achevant dans le "crash" de 2001, est donc une illustration particulièrement radicale des résultats de la politique impérialiste US en Amérique latine pendant la "Guerre froide", de ses objectifs non seulement contre-révolutionnaires mais de re-semi-colonisation sans merci.

    Nous avons vu comment les deux camps bourgeois portant ces deux aspirations historiques (le clivage existait déjà au 19e siècle) avaient réussi à structurer totalement la vie politique du pays à partir des années 1940, depuis l'extrême-droite jusqu'à l'extrême-gauche. Par trois fois, tous les 10 ans, les tentatives péronistes (1946-55 et 1973-76) et la "parenthèse radicale" appuyée par les péronistes (1958-66) sont renversées par des coups d’États du "parti militaire" national-catholique fascisant à la solde de Washington qui impose une dictature chaque fois plus terroriste et meurtrière ["Révolution libératrice" - Dictature de la "Révolution argentine" - Dictature argentine 1976], particulièrement la dernière (1976-83) qui met en place un véritable régime génocidaire de type nazi[3], exterminant les forces révolutionnaires et progressistes du pays selon les méthodes de la bataille d'Alger (enseignées par des "experts" militaires français à l’École militaire des Amériques, et déjà mises en œuvre avant la dictature, sous Isabel Perón, entre 1974 et 1976). Il faut dire que, dès le milieu des années 1960, le pays est également en proie à une forte agitation sociale et à l'émergence de luttes révolutionnaires armées : des péronistes "de gauche" (prenant pour argent comptant le discours social et anti-impérialiste de Perón) comme les Montoneros, les Forces armées révolutionnaires etc., mais aussi les marxistes du PRT-ERP (se réclamant de Lénine et du Che ainsi que de Trotsky, partisan des révolutions chinoise, cubaine et vietnamienne, prônant la "fusion des apports du trotskysme et du maoïsme dans une unité supérieure qui signifiera un plein retour au léninisme"), tandis que les marxistes-léninistes du PCR et du futur PCML ainsi que de nombreux groupes trotskystes ou anarcho-syndicalistes agitent les masses ouvrières dans les usines. Pour le coup, l'aspect contre-révolutionnaire de la contre-offensive oligarchique deviendra principal, expliquant l'ampleur de la répression qui commence déjà sous la parenthèse péroniste (1973-76), et l'on verra les péronistes de droite (notamment la sinistre Triple A, Alliance Anticommuniste d'Argentine) rallier en 1976 les militaires dans la chasse aux "gauchistes".

    L'Uruguay voisin a longtemps été qualifié de "Suisse de l'Amérique latine", pour sa prospérité et sa stabilité politique (bien qu'il ait déjà connu, de 1933 à 1938, la dictature pronazie de Gabriel Terra). Cependant, dès les années 1950, se fait jour une crise économique qui voit la remise en cause de la politique grand-bourgeoise traditionnelle, avec ses deux partis blanco et colorado (respectivement, à l'origine, conservateur et libéral, mais ensuite le "spectre" s'est considérablement élargi, les blancos restant cependant globalement plus à droite - du centre-droit à l'extrême-droite, des éléments pouvant cependant rallier la gauche - tandis que les colorados vont du libéral-conservatisme "dur" au centre-gauche réformiste bourgeois). Un Frente amplio réformiste émerge, regroupant démocrates-chrétiens, socialistes et communistes ; en même temps qu'une organisation de gauche révolutionnaire armée, les Tupamaros. L'armée prend donc le contrôle du pays, de 1973 à 1985, avec toutefois des présidents civils (colorados de droite ou blancos), mais sous étroit contrôle d'un Conseil militaire de sécurité nationale. Il y aura un prisonnier politique pour 450 habitants... Dictature_militaire_de_l'Uruguay

    chile-venceremos-02Enfin, au Chili a lieu le coup d’État bien connu de Pinochet, le 11 septembre 1973. Une expérience d'autant plus traumatisante que le pays avait certes connu des gouvernements civils particulièrement réactionnaires, mais pratiquement jamais de dictature militaire. Cette dernière durera 17 ans... Entre 1938 et 1958 s'étaient succédés des gouvernements réformistes et populistes, mais ceux-ci étaient globalement restés "dans les clous".

    Les années 1958 à 1970 auront des majorités bourgeoises conservatrices, jusqu'à l'élection "surprise" du socialiste Allende, soutenu par le PC révisionniste, l'URSS et Cuba ainsi que le Mouvement de la gauche révolutionnaire (à la ligne assez proche du PRT-ERP argentin voisin), tandis que le leader du PS, Carlos Altamirano, était sur une ligne beaucoup plus radicale que le PC lui-même (partisan d'armer les masses, etc.). L'administration US organisera l'ingouvernabilité politique et économique du pays, entre chute organisée des cours du cuivre (principale ressource nationale), grèves des transporteurs routiers et activités squadristes de Patria y Libertad (extrême-droite). Allende et le PC, de leur côté, refuseront d'armer les masses ouvrières et paysannes (comme le réclamaient le MIR et Altamirano), et iront jusqu'à confier à Pinochet (franc-maçon comme Allende et originaire de la même région) le commandement général des armées... Moins d'un mois après cette nomination, le même Pinochet allait prendre le pouvoir pour le compte de la droite oligarchique et de Washington, transformant la capitale Santiago en champ de bataille et faisant bombarder le palais présidentiel d'Allende (qui se suicidera après avoir refusé de se rendre). On connaît la suite... Régime_militaire_d'Augusto_Pinochet

    En 1975, toutes les "opérations" de la région sont coordonnées dans le Plan Condor, qui réunit les juntes du Chili, d'Uruguay, du Paraguay, du Brésil, de Bolivie et les militaires argentins (pas encore au pouvoir, mais déjà dotés de pouvoirs extraordinaires par Isabel Perón). Face à cela tente de se mettre en place une "Junte de coordination révolutionnaire" entre le PRT-ERP, le MIR chilien, l'ELN bolivien et les Tupamaros uruguayens - entreprise hélas sans lendemain.

    À la fin de la décennie 1970, on peut considérer que le Cône Sud est "sous contrôle" des oligarchies et de l'impérialisme US. Le "front" principal se déplace à nouveau vers l'Amérique centrale. À partir du milieu des années 1970, les guérillas marxistes procubaines montent en puissance. "Pire" : au Nicaragua, après 18 ans de lutte et un an de combats acharnés (40.000 victimes), le Front sandiniste de libération nationale (FSLN, plus social-démocrate radical que réellement marxiste) s'empare du pouvoir en 1979 avec le soutien de Cuba, renversant le clan Somoza en place depuis plus de 40 ans. L'impérialisme US organisera alors les Contras (forces contre-révolutionnaires) et le conflit fera encore 50.000 autres mort-e-s ; puis les sandinistes, sans véritable ligne marxiste révolutionnaire, capituleront en 1990 et convoqueront des "élections libres" qui rendront le pouvoir à la droite. Au Salvador, après un (énième) coup d’État militaire, le fmlnsalvador.jpgFrente Farabundo Martí de Liberación Nacional (FMLN), unifiant 5 groupes de guérilla marxistes, passe à l'offensive en 1980 et affronte l'ARENA (Alliance républicaine nationale), organisation paramilitaire de type nazi ; conflit "arbitré" par le démocrate-chrétien José Napoleon Duarte, soutenu par Washington et - bien entendu - avant tout anticommuniste : 100.000 morts durant toute la décennie. Au Guatemala, les guérillas en présence [Forces armées rebelles (FAR) du Parti Guatémaltèque du Travail prosoviétique, Armée de Guérilla des Pauvres (EGP) plutôt guévariste, Organisation Révolutionnaire du Peuple en Armes (autodéfense paysanne indigène) et PGT-Noyau Directeur National (scission ML du PGT)] accentuent également leur offensive et convergent au début des années 1980 dans l'URNG (Union révolutionnaire nationale guatémaltèque). L'essentiel des 250.000 victimes de la guerre civile (qui s'étend d'environ 1960 jusqu'en 1996) trouvent la mort dans cette première moitié des années 1980, en particulier sous le sinistre général Efraín Ríos Montt (1982-83) , dans une véritable guerre d'extermination raciste visant particulièrement les indigènes mayas : bombardements, déplacements de populations, massacres de villages entiers par les forces spéciales "Kaibiles" (440 villages complètement rasés, massacre de Dos Erres), milliers d'indigènes jetés par hélicoptère dans l'océan Pacifique, etc. etc. La militante paysanne indigène Rigoberta Menchú donnera à ce conflit génocidaire une certaine notoriété internationale...

    Plus "calme", le Honduras fera office de base pour l'appui "technique" impérialiste US et de "profondeur stratégique" pour les forces réactionnaires... Toutes ces guerres civiles s'achèvent au début des années 1990 par des "accords de paix", qui consacrent les forces criminelles de droite à la tête des pays et absorbent les anciennes guérillas dans la mascarade parlementariste comme partis sociaux-démocrates.

    La liste, on le voit, à de quoi faire pâlir Stéphane Courtois et son "Livre noir du communisme" (et cela, sans grossir les chiffres, ni y inclure des nazi-fascistes justement châtiés, ni compter comme "morts" des déficits démographiques...).

    À la fin des années 1980, l'impérialisme occidental, principalement US, sort GLOBALEMENT VICTORIEUX de ces quatre décennies de guerre totale, contre les bourgeoisies (trop) réformistes, national-populistes ou "philo-soviétiques", mais surtout contre les peuples. Seule la guérilla maoïste du Parti communiste du Pérou (au contraire) menace encore gravement l’État oligarchique laquais péruvien et, du coup, fait face à une guerre sans merci (70.000 victimes), mais surtout à une campagne de diabolisation médiatique (peut-être) sans équivalent dans l'histoire récente pour un Parti non encore au pouvoir...

    Cette défaite est due à la puissance de l'offensive réactionnaire, dans laquelle la méthode française antisubversive de Roger Trinquier jouera un rôle fondamental ; mais aussi (cf. ci-dessous) et même surtout aux faiblesses idéologiques et stratégiques des forces révolutionnaires en présence (sans même parler des forces nationalistes bourgeoises, par nature incapables d'affronter efficacement l'impérialisme).

    menem_bush.jpgLa victoire impérialiste US apparaît alors totale : sont à la fois écrasées les forces révolutionnaires (sauf ça et là, mais rien de nature à menacer l'ordre établi, sauf au Pérou au début de la décennie 90) et démantelées les structures réformistes et national-populistes d'affirmation du caractère national de la production (entreprises étatisées, circuits redistributifs servant aux bourgeoisies pour s'appuyer sur les masses, etc.).

    Les juntes militaires rendent le pouvoir aux civils entre 1980 (Bolivie, Pérou) et 1990 (Paraguay, Chili), le temps de laisser les "Chicago Boys" (et Martínez de Hoz en Argentine et d'autres encore) exercer leurs prouesses ; puis c'est le triomphe du "néolibéralisme", synthétisé dans le "consensus de Washington" (1989) : un ordre semi-colonial sans merci, imposé par l'impérialisme principalement US à travers des régimes "démocratiques" (parlementaires oligarchiques) fantoches qui n'hésitent pas à massacrer la population lorsqu'ils sont contestés, comme au Venezuela en 1989 (Caracazo), au Chiapas (Mexique) en 1994-95 ou en Bolivie en 2000 et 2003.

    Mais parallèlement, ce "néolibéralisme" (et les régimes militaires qui l'ont précédé) a amené un (nouveau) grand développement des forces productives et encore une fois l'émergence de nouvelles couches bourgeoises. Les sociétés latino-américaines sont aujourd'hui très éloignées de ce qu'elles étaient dans les années 1950 ou 1960. L'organisation sociale telle que léguée par les dictatures militaires réactionnaires ne pouvait donc perdurer.

    chaveznod.jpgDepuis la toute fin du 20e siècle, avec Chavez au Venezuela en passant par le Brésil (2002), l'Argentine (après la situation insurrectionnelle de fin 2001-2002), la Bolivie, l’Équateur, l'Uruguay ou le Paraguay, on voit donc surgir ces fameuses "gauches" latino-américaines (plus ou moins modérées ou radicales), nouvelles coqueluches des bobos tendance Monde Diplomatique : les nouveaux nationalismes bourgeois ; d'orientation parfois sociale-démocrate, parfois nationale-radicale-populiste. Ces nouveaux nationalismes sont indissociables de l'"émergence" (forte croissance du PIB, tendance à exporter "régionalement" des capitaux tout en restant principalement importateurs, tendance à l'affirmation diplomatique sur une scène internationale verrouillée par le "G8", etc.) de pays comme le Brésil, l'Argentine, le Mexique ou le puissant Venezuela pétrolier ; de l'affirmation sur la scène internationale des nouveaux impérialismes russe et chinois et de la concurrence discrète mais sans concessions entre les blocs impérialistes déclinants US-Commonwealth et France-Allemagne (tendance à ne plus "respecter" le "pré carré" de l'autre, français/européen en Afrique et US dans les Amériques). L'on a ainsi pu voir surgir, dans les allées du pouvoir, ici d'anciens guérilleros urbains (Uruguay, Brésil), là un militaire ex-putschiste "progressiste" (Venezuela), ici un syndicaliste paysan opposant de longue date flanqué d'un ancien intellectuel partisan de la lutte armée (Bolivie) ou d'anciens persécutés politiques sous les dictatures (Argentine, Chili) et là un "prêtre rouge" (Paraguay), etc. etc., sans oublier le retour des sandinistes au Nicaragua.

    Les vieux nationalismes/"affirmationismes" (MNR et MIR boliviens, péronisme argentin - sauf le courant Kirchner, social-démocrates et travaillistes brésiliens - héritiers du gétulisme et du "progressisme" de Kubitschek, PRI mexicain, socialistes chiliens etc.) étant devenus quant à eux, depuis les années 1980, les champions du "néolibéralisme"...

    Cependant, depuis la fin des années 2000, les nouveaux nationalismes montrent eux aussi leurs limites de classe, après avoir été un temps (même les plus modérés) la marotte des "altermondialistes" de tout poil. En 2006, les maoïstes du Parti communiste révolutionnaire du Canada avaient réalisé une analyse complète et intéressante (vu d'un pays impérialiste occidental) de ce phénomène des nouvelles "gauches" nationalistes (et une critique efficace de leurs soutiens inconditionnels occidentaux).

    Dans d'autres pays, en revanche, ce sont des droites réactionnaires terroristes, oligarchiques et pro-impérialistes qui sont au pouvoir, dans une perspective d'affrontement avec les forces populaires et les nouvelles "gauches" affirmationistes : au Mexique où c'est une droite de ce type (le PAN) et non une "gauche" qui a détrôné le vieux PRI en 2000, au Pérou jusqu'à l'élection d'Humala (national-populiste qui n'a d'ailleurs pas changé grand chose...) en 2011, au Chili depuis 2010 et bien sûr en Colombie, "pivot" du dispositif impérialiste US sur le continent où le conservateur-populiste Uribe (2002-2010) a brisé le duopole libéral/conservateur avec son "Parti de la U" (Parti social d'unité nationale), amenant littéralement l'extrême-droite paramilitaire au pouvoir dans ce qui s'apparente le plus, ces 15 dernières années, à un régime fasciste (répression terroriste + mobilisation de masse) sur le continent. À présent que les guérillas et tout mouvement social organisé sont écrasés, et les voisins vénézuélien et équatorien tenus en respect, son successeur (et ancien ministre de la Défense) Santos se montre plus "libéral"...

    Jose_Carlos_Mariategui.jpgEt le mouvement communiste, dans tout cela ? Il émerge, comme dans le monde entier, entre 1920 et le début des années 1930. Pour autant, son niveau idéologique est alors très faible. Jusqu'à la Révolution cubaine (1959), on peut dire que son seul dirigeant et théoricien d'envergure est le péruvien  José Carlos Mariátegui. Celui-ci, comme doit le faire tout véritable communiste, mène une profonde analyse historique, culturelle et de classe de son pays, et adapte le marxisme à ce cadre géographique d'action. Il faut noter qu'il a, entre 1920 et 1922, vécu en Italie, et il n'est pas exclu qu'il ait gardé, par la suite, des contacts avec les militants de ce pays, notamment Gramsci, dont la démarche intellectuelle est assez proche. Hélas, il est de santé fragile (suite à une blessure de jeunesse à la jambe, dont il sera finalement amputé) et il meurt en 1930, deux ans seulement après avoir fondé le Parti socialiste, qui deviendra le premier PC du Pérou cette même année.

    Les autres Partis communistes sont, généralement, des cercles de bourgeois intellectuels, de pratique réformiste et à la traîne des mouvements populaires revendicatifs, parfois prêts aux pires compromissions (comme celle, infâme, du PC argentin avec l'ambassade US contre Perón en 1945, ou celle du premier P"c" cubain avec Batista). Ils sont notamment très influencés par l'ultra-révisionnisme d'Earl Browder, alors dirigeant du PC des USA. Celui-ci voyait dans l'impérialisme US, son propre impérialisme (!), un impérialisme "progressiste" pouvant être, main dans la main avec l'URSS, le garant d'une "nouvelle ère de paix et de démocratie" après la Seconde Guerre mondiale... CQFD.

    418390_1.jpgEn 1956-59, un groupe de jeunes bourgeois nationaux démocrates-radicaux, le Mouvement du 26 Juillet de Fidel et Raùl Castro, intègre des éléments marxistes (en premier lieu le "Che" Guevara) et renverse après 25 mois de guérilla le régime pro-américain sanguinaire de Fulgencio Batista. Il rassemble sous sa direction et fusionne avec le vieux Parti communiste (devenu "socialiste populaire"), le mouvement ouvrier et paysan organisé, les étudiants "radicaux" et anti-impérialistes (Directoire révolutionnaire du 13 Mars) etc. pour déboucher finalement, en 1965, sur un nouveau Parti communiste. Ces évènements, quoi que l'on pense de leur "pureté" marxiste-léniniste, apportent un "afflux de sang neuf" au mouvement révolutionnaire sur tout le continent. Répondant au mot d'ordre du Che ("créer deux, trois, plusieurs Vietnam"), des groupes se séparent des vieux PC (qui rejettent cette voie ou l'abandonnent rapidement, sauf en Colombie) et s'engagent dans la lutte armée. D'autres, par ailleurs (comme le PRT-ERP en Argentine), surgissent sans lien aucun avec le mouvement communiste antérieur, d'autres encore proviennent du populisme des années 1940 (organisations combattantes péronistes "de gauche") ou de l'aile gauche de la social-démocratie (MIR au Venezuela)... Cependant, comme le Che lui-même, ces organisations de lutte armée pêcheront par idéalisme, aventurisme et/ou militarisme. Généralement, sauf en Colombie et en Amérique centrale, la répression les écrasera militairement avant la fin des années 1970. Ernesto "Che" Guevara lui-même, on l'a vu, mourra en Bolivie en 1967, après une tentative infructueuse de "foyer" révolutionnaire guérillero.

    D'autres forces révolutionnaires, dès le milieu des années 1960, rompront avec le révisionnisme khrouchtchévien pour se tourner vers l'antirévisionnisme chinois et albanais : PCR et PCML d'Argentine, PCR du Chili, PCML d’Équateur, etc. Mais, sauf en Colombie (où le PCC-ml s'engagera dans la lutte armée avec l'EPL), elles resteront globalement engluées dans l'ouvriérisme et l'économisme "radical" (et, là encore, souffriront durement des dictatures militaires). Depuis, certaines sont restées fidèles à la "pensée Mao", d'autres se sont tournées vers le hoxhisme (marxisme-léninisme "albanais"), d'autres encore vers un éclectisme "marxiste" comme le PCML argentin, devenu Parti de la Libération, proche internationalement du Parti du Travail de Belgique. Globalement, leur pratique n'est pas d'un grand antagonisme avec les États de l'oligarchie, et elles trouvent généralement toujours une fraction "progressiste" ou "patriotique" de celle-ci à soutenir...

    En Amérique centrale, également d'orientation cubaniste, mais plus "ancrées" dans le mouvement populaire-révolutionnaire de masse et plus durables, des guérillas émergent dès les années 1960, au Nicaragua (FSLN, dès 1961), au Salvador (fusionnant en 1979 dans le FMLN) et au Guatemala (formant en 1982 l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque, URNG). Elles mèneront une lutte armée révolutionnaire héroïque, contre des régimes et des forces paramilitaires fascistes ultras, appuyés de toutes ses forces par l'impérialisme US (surtout à partir de 1981, avec Reagan) ; les sandinistes du FSLN prenant même le pouvoir en 1979, jusqu'en 1990. Toutefois, après la chute de l'URSS, au début des années 1990, elles capituleront dans la voie des "accords de paix" et de la "réconciliation nationale", et deviendront des partis sociaux-démocrates (le FSLN, par des élections "libres" bourgeoises, rendra le pouvoir à la droite en 1990).

    elncolombia.jpegEn Colombie, il y aura également des "accords de paix" en 1984, refusés par la seule ELN ; mais ces accords seront trahis par la droite réactionnaire, qui fera massacrer les militants des FARC et du PC reconvertis dans "l'Union patriotique" : 4.000 assassinats. Depuis lors, les FARC et une fraction dissidente de l'EPL ont repris le sentier de la guerre (que l'ELN n'avait jamais quitté), mais il est évident que cela n'a plus qu'un très lointain rapport avec la guérilla révolutionnaire des années 1960-70 (l'EPL/PCC-ml, en ce qui le concerne, est devenu "albanais" en 1980, et la très grande majorité a capitulé en 1991, seule une fraction minoritaire poursuivant la lutte). En 1999, les FARC avaient connu un certain regain de puissance, et obtenu de l’État la "zone démilitarisée" (autrement dit, sous leur contrôle exclusif) du Cagùan (42.000 km² quand même, plus que la Belgique !). Mais elles n'en profitèrent pas pour mettre en place un véritable Pouvoir populaire révolutionnaire dans cette zone, pour en faire une véritable base rouge, et celle-ci fut démantelée par Uribe à peine arrivé au pouvoir, en 2002. Aujourd'hui, l'on peut considérer l'essentiel de ces forces comme étant en situation de défaite militaire.

    revolucion_cubana2.jpgLa Révolution cubaine, de son côté, après un intense bouillonnement révolutionnaire et un engouement mondial immense, s'est définitivement rangée, à la fin des années 1960, sous le parapluie soviétique. L'élan révolutionnaire est brisé, l'économie orientée vers la monoculture sucrière (échangée contre des hydrocarbures et des matières premières soviétiques) et la politique internationale s'oriente vers le pragmatisme et l'opportunisme, le soutien à des "révolutions" par en haut, des "processus" réformistes finalement écrasés comme au Chili, ou des juntes militaires "progressistes" comme au Pérou (Velasco, 1968-75) et des gouvernements "nationalistes" comme en Argentine (second péronisme 1973-76), nonobstant que ceux-ci répriment les révolutionnaires... Après la chute de l'URSS, Cuba connut l'isolement et la terrible crise économique et sociale que l'on sait, dont elle ne commence à sortir que depuis une dizaine d'années, avec l'appui des nouveaux nationalismes (principalement du Venezuela), de la Russie, de la Chine et des "émergents". Il pouvait certes "tomber sous le sens", dans les années 1960, de se dire : "Compter sur ses propres forces ? Impossible, idéaliste, suicidaire... Les Chinois ? Ils sont loin, pris dans leur Révolution culturelle, ils ne nous conduiront qu'au naufrage gauchiste..." etc. etc. Mais voilà, à présent, la rançon du pragmatisme. Plus généralement, on a là la contradiction, non résolue par les marxistes-léninistes du 20e siècle, entre intérêts de l’État (révolutionnaire) et intérêts du Parti et de la Révolution mondiale. Ce qui est certain, c'est qu'à partir de 1970, Cuba ne joue clairement plus un rôle de base rouge pour la révolution dans les Amériques. Bien loin est la déclaration de l'OLAS (Organisation latino-américaine de solidarité) en 1967, selon laquelle "la lutte armée constitue la voie fondamentale de la révolution en Amérique latine". Là où la lutte armée reste soutenue (Amérique centrale, Colombie, Chili avec le "Front patriotique Manuel Rodriguez" dans les années 1980), c'est de manière très pragmatique, uniquement dans l'objectif d'arriver à des "accords" et à une "solution démocratique" (les organisations combattantes devant alors se lancer dans le "jeu" parlementaire)... Ce qui s'appelle du révisionnisme/réformisme armé. Clairement, une prise de pouvoir armée par les masses populaires était absolument exclue pour La Havane et, plus encore, pour le "grand frère" soviétique.

    EPR-members-II.jpgAujourd'hui, il ne reste que peu de mouvements assumant l'antagonisme armé avec les États oligarchiques au service de l'impérialisme. Il y a, on l'a dit, les guérillas colombiennes. La principale, les FARC, se réclame du "marxisme-léninisme" tendance brejnévienne-cubaniste et de l'héritage de Bolivar (ainsi que de Gaitán, le "libéral de gauche" assassiné en 1948). Elles ont entamé depuis peu un processus de négociation avec le gouvernement (le quatrième après celui des années 1980, celui de 1990-92 et celui de 1999-2002). Au Mexique, il y eut dans les années 1990 le célèbre EZLN, au réformisme assumé (refusant la prise du pouvoir), mais un autre groupe, le Parti démocratique populaire révolutionnaire - Armée populaire révolutionnaire (PDPR-EPR - héritier du Procup-PDLP), opérant dans l’État de Guerrero et la région de Oaxaca depuis 1996, assume quant à lui la lutte armée pour la prise de pouvoir révolutionnaire. Au Paraguay a émergé depuis quelques années une Armée du Peuple paraguayen (EPP). Les uns comme les autres se réclament du marxisme-léninisme et des expériences "radicales" du passé (Rodriguez de Francia au Paraguay, les années 1910 au Mexique).

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    C'est finalement au Pérou, où le PC historique a totalement éclaté dans les années 1960, que le nouveau Parti communiste du Pérou d'Abimael Guzman "Gonzalo", connu dans les médias bourgeois sous le nom de "Sentier Lumineux" ("Par le sentier lumineux de José Carlos Mariátegui" était l'en-tête de sa publication étudiante, à la fin des années 1960), a mis en avant le marxisme-léninisme-maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme, et déclenché en 1980 une héroïque Guerre populaire. Celle-ci, si elle ne fut pas exempte de dérives, a surtout été dépeinte sous les traits les plus démoniaques par toute la réaction mondiale, le réformisme et le révisionnisme ; jusqu'à l'arrestation de Gonzalo en 1992 et l'écrasement militaire à peu près total du Parti au milieu de la décennie, après avoir étendu son action armée sur une partie impressionnante du territoire. Au-delà de cet aspect purement militaire, le PCP a joué un rôle fondamental dans l'affirmation internationale du maoïsme comme développement supérieur du marxisme, et a "tenu le flambeau" du maoïsme pendant une période "noire" pour le mouvement communiste international ; sans quoi, des expériences formidables comme la Guerre populaire au Népal (1996-2006), ou celles qui ont repris aux Philippines depuis la fin des années 1990 ou en Inde depuis le début des années 2000, n'auraient peut-être pas pu ou ne pourraient pas exister.

    1Par la suite, des organisations se réclamant du MLM et de Gonzalo se sont formées dans de nombreux pays du continent (Équateur, Colombie, Bolivie, Chili, Argentine), sans toutefois atteindre l'ampleur du PCP des années 1980-90, et présentant par ailleurs (parfois) des problèmes de sectarisme pour devenir de réels centres d'agrégation de toutes les luttes révolutionnaires (sans atteindre cependant le niveau auquel des groupuscules de faces de craie occidentaux défigurent, et parviendraient presque - en fait, parviennent bien souvent - à vous faire DÉTESTER le maoïsme "ligne Gonzalo"). Au Brésil en revanche, un vaste mouvement sur cette base (journal A Nova Democracia, Cebraspo, Ligue des Paysans Pauvres - LCP, etc., voir les liens ci-contre dans la colonne de droite) s'est développé à un niveau de masse sur ces bases idéologiques, tirant profit de la trahison des espoirs réformistes placés en Lula da Silva en 2002, et faisant luire l'espoir que cet immense pays (par ailleurs le plus inégalitaire et l'un des plus "génocidaires sociaux" de la planète) soit le théâtre de la prochaine Guerre populaire à se déclencher dans le monde.

    Au Pérou même, subsistent des groupes épars se réclamant du PCP, qui mènent pour certains des actions militaires contre les forces armées de l’État (d'autres se contentant de communiquer). Ils ne sont toutefois pas coordonnés entre eux par une direction centrale, et se qualifient régulièrement, mutuellement, de "révisionnistes" et "opportunistes" assorti de moult épithètes animaliers. L'un d'eux, le "groupe Artemio" du Huallaga, a récemment annoncé sa reddition.

    Nous voyons donc bien que, même si l'offensive réactionnaire/impérialiste fut déchaînée, sans pitié, la cause principale dans la défaite subie réside à l'intérieur des forces révolutionnaires elles-mêmes (primat des causes internes). Les forces trotskystes ou marxistes-léninistes prochinoises qui n'ont pas assumé la lutte armée révolutionnaire, n'ont pas assumé l'antagonisme minimal qui s'imposait dans les conditions concrètes (avant de sombrer pour la plupart dans les troubles eaux de la théorie des trois mondes ou du hoxhisme). Les forces guévaristes/foquistes, souvent petites-bourgeoises ultra-radicales, qui se sont lancées dans la lutte armée au milieu ou à la fin des années 1960, ont péri des tares du foquisme : militarisme, aventurisme, idéalisme, coupure d'avec les masses (encore que celle-ci soit à relativiser, notamment concernant le PRT-ERP : son assise de masse commençait, en 1974-75, à devenir non-négligeable ; mais la ligne était militariste dans tous les cas). Les guérillas de Colombie et d'Amérique centrale ont mené ce qui aurait pu être une Guerre populaire révolutionnaire, avec à la fois une lutte armée assumée et un enracinement certain dans les masses exploitées. Mais là, c'est l'idéologie prolétarienne qui faisait défaut : elles étaient inféodées aux intérêts du social-impérialisme soviétique (à travers Cuba), et ont sombré avec lui.

    L'importance, aussi, de la force d'attraction des réformistes radicaux ou des national-populistes, dans tous les pays, pour les aspirations révolutionnaires des masses, a joué un rôle d'obstacle puissant pour le mouvement communiste ; et celui-ci n'a pas su trouver les "clés" pour arracher les masses à cette influence. Ce fut le cas avec le péronisme en Argentine, en tout cas jusqu'en 1974-75, exemple le plus frappant ; et ça l'est encore aujourd'hui avec les "bolivarismes" de tout poil...

    000312891Le Parti communiste du Pérou, on l'a vu, a eu un rôle positif essentiel tant pour le continent que pour le mouvement communiste international : en survivant et en inquiétant l'impérialisme au-delà de toutes les autres guérillas révolutionnaires, en affirmant internationalement le maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme et l'universalité de la Guerre populaire, et en "passant le flambeau" de la lutte révolutionnaire à la succession (qui se trouve, aujourd'hui, plutôt en Asie). Certes, il ne doit pas être sacralisé : la rapidité de son effondrement en 1992-97, après son triomphe apparent en 1988-92, peut par exemple mériter d'être questionnée (les causes principales de l'échec des révolutions sont toujours internes) ; tout comme peut-être une centralisation excessive de la direction théorique du Parti (jefatura) facilitant sa décapitation ; du subjectivisme et de la métaphysique sans doute parfois, y compris en mettant en minorité Gonzalo lui-même (question du "passage à l'offensive stratégique" et de porter la guerre dans Lima en 1991), voire (localement) de la confusion entre contradictions au sein du peuple et contradictions avec l'ennemi, et donc un mauvais traitement de celles-ci, etc. etc. Mais en vérité, quelle révolution aussi colossale, contre un ordre social aussi brutal et vieux de 5 siècle, et des vents contraires internationaux complets (reflux généralisé de la révolution mondiale) ; quelle révolution allant au-delà d'une pure étape nationale-démocratique avant de voir son leader assassiné comme Sankara ou Lumumba et rejoindre le panthéon des héros révolutionnaires "romantiques", ou d'être avalée dans l'orbite soviétique comme Cuba après la mort (en "révolutionnaire romantique") du Che ; peut se targuer d'un parcours absolument pur et sans tâches ? Qui oserait aujourd'hui, à gauche, dénier leur légitimité aux guerres de libération de l'Algérie (pourtant non-communiste...) ou du Vietnam, qui furent aussi en leur temps dures et parfois sans pitié ? C'est pourtant ce qui est, dans les milieux d'extrême-gauche, très largement le cas de la Guerre populaire du Pérou ; dont la défaite a (surtout) été totalement concomitante de la "Fin de l'Histoire" et du triomphe de l'esprit ONG en mode charité néo-Las Casas auprès des "bons sauvages", ou au "mieux" de l'engouement pour les "guérillas sympas" du style Chiapas...

    [À ce sujet : http://ekladata.com/L-antagonisme-PCP-vs-ONG-et-Gauche-Unie-au-Perou.pdf]

    Enfin bref, tout cela est bien expliqué ici : sur-gonzalo-le-pcp-et-la-guerre-populaire-au-perou (oui, nous assumons contrairement aux imbéciles avoir changé d'avis depuis la rédaction de ce long article en 2012).

    Pour le moment, le Mouvement communiste sur le continent renaît peu à peu, beaucoup plus lentement que les aspirations spontanées des masses au "changement", aspirations qui se tournent, du coup, massivement vers les nouveaux nationalismes, réformistes bourgeois ou national-populistes.

    Ce qui s'impose, donc, comme cela a pu être fait en Italie à la fin des années 1980, ou peut commencer à l'être en Euskal Herria, c'est un bilan critique et une synthèse de l'expérience révolutionnaire accumulée au cours de cette "Guerre de Cinquante Ans" (appelons-la ainsi) 1945-1995 ; sans, serait-on tenté de dire, sacralisation de sa "chapelle" ni préjugés ou a priori sur les autres ; pour que de là jaillisse le nouveau : la renaissance d'un authentique Mouvement communiste révolutionnaire de masse entre le Rio Grande et la Terre de Feu.

    La situation sociale est OBJECTIVEMENT plus révolutionnaire que jamais (les mouvements populaires des 15-20 dernières années en sont la preuve ; simplement, ils se sont pour le moment tournés vers les nouveaux nationalismes des bourgeoisies "émergentes").

    Les structures fondamentales d'exploitation et de domination demeurent INCHANGÉES :

    - le bourgeoisie bureaucratique livre toujours à vil prix les matières premières et énergétiques essentielles aux monopoles impérialistes ; et encadre toujours les masses populaires misérables avec la même brutalité ;

    - la bourgeoisie compradore inonde toujours le marché national de productions des monopoles impérialistes, mais de manière plus massive, "démocratique" qu'auparavant ;

    - l'une et l'autre livrent toujours à vil prix la force de travail continentale aux monopoles impérialistes, pour que ceux-ci valorisent leur capital avec un retour sur investissement maximum ; le caractère social de la production est simplement plus développé qu'auparavant, car les monopoles, depuis 30-40 ans, ont délocalisé vers leurs semi-colonies de plus en plus d'étapes du processus productif ;

    - la question de la terre reste entière. La propriété terrienne (latifundiste) a évolué vers un agro-capitalisme de type junker prussien ou landlord anglais. Nous avions (encore vers 1960) des paysans pauvres, louant leur terre contre un part plus ou moins importante des bénéfices (métayage) ou carrément du produit en nature (colonat partiaire) ; ou encore, exploitant péniblement leur petit lopin pour survivre, et vendant (déjà) leur force de travail par périodes à la grande propriété voisine, pour faire un peu plus que survivre... Déjà en 1954, lors de l'opération PBSUCCESS au Guatemala, le principal propriétaire terrien du pays était le monopole agroalimentaire US United Fruit Company.  

    bananero.jpgNous avons désormais d'un côté des PAYSANS SANS TERRE (un problème fondamental et continental), ne pouvant accéder à la propriété faute de terres "disponibles" (alors que des milliers d'hectares sont accaparés par les grands propriétaires ou les "multinationales", ou carrément... laissés à l'abandon) ; et de l'autre des ESCLAVES (à peine) salariés, phénomène mis en lumière lors des campagnes internationales contre la "multinationale" Chiquita (ex - United Fruit), mais l'on trouve exactement la même chose sur les exploitations de propriétaires "nationaux". Et enfin, des micro-propriétaires résiduels qui tentent de survivre - mais les grandes exploitations ne peuvent plus, comme auparavant, absorber périodiquement leur force de travail pour leur permettre de gagner "un petit plus". Les masses qui s'entassent dans les barriadas ou les favelas, autour des grandes métropoles, survivant de l'économie informelle ou illégale, sont des paysans sans terre, chassés de la campagne par la misère, mais pas encore une classe ouvrière (ne pouvant, là encore, être tous et toutes absorbé-e-s par la production industrielle). Ainsi en est-il, par exemple, des récupérateurs/recycleurs de déchets en Colombie, auprès desquels travaille l'UOC-mlm.

    Le "junkérisme" agro-capitaliste, qu'il soit propriété privée autochtone, propriété monopoliste de "multinationales" étrangères (comme Chiquita) ou propriété d’État, reste du semi-féodalisme : il n'y a pas de "saut" vers un capitalisme agricole véritable, qui impliquerait a minima une répartition démocratique-bourgeoise de la terre, une combinaison de grandes exploitations extensives (d'agriculture ou d'élevage) comme dans le Bassin parisien, de petites et moyennes propriétés et de terres tout au plus en fermage (location à prix fixe). Et, surtout, l'économie non-agricole est incapable d’absorber la population rurale sans terre, et de suivre la croissance démographique. Car le problème (des sans-terre, des masses s'entassant dans les bidonvilles, de l'émigration massive vers l'Amérique du Nord ou l'Europe) est là : d'un côté, pas de "saut" vers une agriculture capitaliste rationnelle tout simplement... parce qu'impossible à l'époque de l'impérialisme !) ; de l'autre, la contradiction entre production nationale et appropriation monopoliste étrangère qui, ajoutée à la crise mondiale généralisée du capitalisme, empêche plus encore que dans les pays impérialistes (eux-mêmes confrontés au chômage de masse) de mettre en place une économie productive nationale susceptible d'absorber toute la main d’œuvre devenue surnuméraire à la campagne.

    Venezuela-Caracas-Bidonville-1-5Nous avons finalement là, à la différence près qu'on ne pend plus les "gueux" pour vagabondage, un phénomène assez similaire à celui des enclosures en Grande-Bretagne, à l'époque de la mutation (16e-18e siècle) de la féodalité britannique vers le grand capitalisme agraire landlord ; et d'une manière générale à la situation de l'Europe occidentale à cette époque : un développement capitaliste considérable, colossal, mais "pris" dans les entraves féodales (et bureaucratiques) de la superstructure politique et de l'organisation sociale, engendrant des souffrances indescriptibles pour les masses. À ceci près qu'à l'époque, parallèlement, un capitalisme industriel jeune, pratiquement seul au monde et en pleine expansion avait permis, à terme, d'absorber ces paysans chassés de leurs terres, sous la forme d'une classe ouvrière (le "surplus" étant évacué vers l'Amérique du Nord, l'Australie etc.). Puis, la Révolution anglaise de 1688-89 et les réformes de 1830-50, ainsi que les Révolutions bourgeoises françaises et ouest-européennes de 1789-1815, 1830 et 1848, avaient permis de briser définitivement ces entraves ; d'autre part, la question de la domination impérialiste (capitaliste étrangère plus avancée) était absente. Aujourd'hui, même avec des taux de croissance de l'ordre de 5% du PIB voire plus, rien de tel n'est évidemment possible en Amérique latine. Quant aux tâches autrefois dévolues à la révolution bourgeoise, elles appartiennent désormais à la révolution prolétarienne.

    Nous avons donc là un RENFORCEMENT brutal des structures de domination impérialistes, bureaucratiques, compradores et latifundistes, sous la forme d'un véritable génocide social, afin de "lutter" contre la chute exponentielle du taux de profit dans le monde impérialiste en crise ; et nullement un "dépassement" de l'ordre semi-féodal semi-colonial vers "autre chose".

    Tout cela implique une révolution agraire (expropriation des grands propriétaires et des monopoles agro-industriels impérialistes), une révolution anti-impérialiste (expropriation et réappropriation populaire des monopoles impérialistes en général) et une révolution anti-oligarchique (liquidation de la couche parasitaire, qui ne vit - dans un luxe insolent - que comme interface des monopoles), c'est à dire des tâches DÉMOCRATIQUES qui sont celles d'une Révolution de Démocratie Nouvelle[4] dirigée par le prolétariat et son Parti (même si l'étape démocratique peut être de - beaucoup - plus courte durée que dans des pays plus arriérés, comme le sous-continent indien, ou la Chine de 1949).

    La lutte armée reste la voie fondamentale de la révolution ; puisque cela est de toute manière valable UNIVERSELLEMENT, sans considération qu'un pays soit dominé ou impérialiste, arriéré ou avancé, très majoritairement rural ou très urbanisé, etc. N'est pas révolutionnaire celui ou celle qui n'envisage pas l'affrontement armé avec la classe dominante et son État ; même si ensuite, il existe un réformisme armé (lorsque le "blocage" au niveau de la classe dominante est tel que des avancées démocratiques et sociales, malheureusement, ne peuvent être obtenues que par les armes) ; mais il n'y a pas de révolutionnaires refusant la lutte révolutionnaire armée. Le pouvoir est au bout du fusil. Aucune "grève politique de masse" ne peut accomplir les tâches démocratiques énoncées ci-dessus (qui ne sont elles-mêmes qu'une première étape), et l'histoire récente du continent le prouve mieux que tout : les mouvements de masse, comme en Argentine ou en Bolivie, n'ont abouti qu'à la fuite précipitée des "néolibéraux" les plus emblématiques, et à l'élection la plus bourgeoise qui soit de réformistes à leur place... [L'on pourrait également avancer, en contre-exemple, les évènements arabes de 2011-2012 : les autocrates et leurs clans ont fui, mais il n'y a pas eu de révolution démocratique.]

    À partir de là, et seulement à partir de là, le prolétariat au pouvoir, en alliance avec la paysannerie (et tous les petits-bourgeois, intellectuels etc. patriotes et progressistes), pourra mettre en place, avant même la socialisation, une économie rationnelle au service du peuple, partageant le travail et protégeant les travailleurs, développant les forces productives, résolvant la contradiction entre les villes et les campagnes (dans les communes populaires), etc. etc. Toutes choses dont le capitalisme est absolument incapable en soi (puisque l'intérêt social ne compte pas, seul prime l'intérêt personnel du capitaliste), et encore plus sous sa forme impérialiste, de SUREXPLOITATION des ressources et de la force de travail d'un pays par les monopoles d'une lointaine puissance postindustrielle.

    Bref panorama historique révolutionnaire des Amériques

    Mais pour cela, comme on l'a dit plus haut, il faut un Mouvement communiste et révolutionnaire suffisamment important, large quantitativement et implanté qualitativement, agrégé autour de Partis communistes conséquents qui "envoient dans toutes les classes de la société, dans toutes les directions les détachements de leur armée" ; qui adaptent réellement leur praxis à la société dans laquelle ils opèrent (après l'avoir analysée en profondeur) et ne se contentent pas de plaquer dessus des schémas préétablis, etc. (toutes choses qui s'appliquent également - sinon plus - à nous communistes "occidentaux", que l'on se réclame de Russes du début du siècle dernier, d'un Chinois ou d'un Albanais des années 1940 etc.).

    Aujourd'hui, ces Partis n'existent pas encore en tant que tels : ils sont en gestation, dans des organisations arborant le marxisme révolutionnaire de notre époque - le marxisme-léninisme-maoïsme - mais qui doivent encore s'épurer des déviations gauchistes ou opportunistes ; mais aussi, dans les masses populaires encore emprisonnées au sein de forces cubano-guévaristes, réformistes, national-populistes ou "bolivaristes radicales", d'organisations "pensée Mao" ou même trotskystes, hoxhistes voire anarchistes. Comme dans la plupart des pays du monde, un processus de décantation, de fragmentation et recomposition est en cours. Le "catalyseur" de ce processus, on l'a dit, sera le bilan sincère et critique, la synthèse et l'élévation à un niveau supérieur de l'expérience des 50 ou 60 dernières années ; ceci s'inscrivant dans une démarche mondiale de bilan et de synthèse de l'expérience du Mouvement communiste international depuis la Révolution bolchévique de 1917.

    Les camarades communistes conséquent-e-s d'Amérique latine, engagé-e-s dans cette démarche, ont tout le soutien internationaliste des communistes conséquent-e-s engagés dans la même démarche en Europe, et partout dans le monde. Car il ne peut y avoir de Révolution prolétarienne mondiale, s'il manque un continent à la Zone de Tempêtes !

    che revolucion-continental

    À regarder absolument : L'Heure des Brasiers, très intéressant documentaire argentin de 1968 (sur une ligne "péroniste de gauche") retraçant tout cela (cliquer en bas des vidéos pour les sous-titres en français) :


    [1] Le Dr. José Gaspar Rodriguez de Francia dirigea la République du Paraguay de son indépendance en 1810 jusqu'à sa mort en 1840. D'esprit plutôt jacobin et anticlérical (contrairement, par exemple, à son "très catholique" voisin argentin Rosas), il mit en place un régime personnel et autoritaire mais POPULAIRE, profondément appuyé sur les masses (avec, par exemple, la mise en place des Estancias de la Patria, "exploitations agropastorales du Peuple" louées pour un montant symbolique aux communautés paysannes) et farouchement indépendantiste face à ses deux grands voisins, le Brésil et l'Argentine, pilotés par l'Empire britannique qui, peu à peu, s'efforçait de remplacer l'Espagne et le Portugal dans la mainmise sur le continent... Son modèle économique fut essentiellement agricole, mais sa prospérité et son indépendance permirent à ses successeurs de commencer à développer un capitalisme industriel souverain (radicalement fermé aux investissements extérieurs) jusqu'en 1865-70, lorsque le pays subit l'une des premières guerres d'extermination de l'époque impérialiste (300.000 mort-e-s pour à peine entre 500 et 800.000 habitant-e-s au début du conflit !) face à la "Triple Alliance" du Brésil, de l'Argentine et de l'Uruguay, pilotée par Londres.
    Il y a au Paraguay une Armée du Peuple Paraguayen (EPP) qui a choisi de prendre comme référence cette personnalité historique nationale. SLP, on le sait, a toujours (notamment) durement critiqué le PCF "historique" de Maurice Thorez pour avoir placé son projet politique dans le "prolongement" et le "parachèvement" de "93", de la République conventionnelle jacobine de 1793-94, ignorant la différence qualitative fondamentale entre une révolution bourgeoise "radicale" et une révolution prolétarienne. De la même manière, le PC d’Équateur - Comité de Reconstruction a pu critiquer, à juste titre, la mise en avant par les réformistes bourgeois, les révisionnistes mais aussi certaines Forces subjectives de la Révolution prolétarienne, de la figure libérale-radicale bourgeoise d'Eloy Alfaro. Pour autant, il en est ainsi et l'EPP, à qui Servir le Peuple adresse ses plus sincères salutations révolutionnaires, est à ce jour la force révolutionnaire la plus avancée dans l’État oligarchique-bourgeois dénommé Paraguay.

    [2] Avant le régime de Francia (unique sur le continent à l'époque pour sa stabilité, son indépendance et sa politique de développement au service de la population), le Sud du Paraguay, avec le Nord-Est de l'Argentine et quelques parties de l'Uruguay et du Sud du Brésil, avait déjà été le théâtre d'une expérience unique en son genre : entre le début du 17e et le milieu du 18e siècle, la Compagnie de Jésus (jésuites) avait mis en place un tissu de missions catholiques auprès des indigènes guaranis, qui formaient un ensemble de petites républiques extrêmement démocratiques, égalitaires et progressistes pour l'époque. Celles-ci gênaient (déjà) les grands propriétaires coloniaux et les milices de chasseurs d'esclaves (au service de ces derniers), si bien que vers 1750 l'Espagne et le Portugal, sous l'influence des "lumières" grandes-bourgeoises et aristocratiques "éclairées" (comme le marquis de Pombal), proscrivirent les Jésuites de leurs colonies et liquidèrent militairement les missions. Cet épisode historique est notamment retracé dans le célèbre film hollywoodien Mission de Roland Joffé. Jusqu'à la Constitution bolivienne de 2009, proclamant l’État "plurinational" de Bolivie, le Paraguay était le seul pays latino-américain, même sous les pires dictatures, à reconnaître une langue indigène (le guarani) comme langue officielle.

    [3] 30 000 « disparus » (desaparecidos), 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques, et 1,5 million d’exilés pour 30 millions d’habitants.

    [4] C'est là une question très importante pour la stratégie révolutionnaire et les alliances de classe à adopter. D'une manière générale, ce qui décide du caractère socialiste ou de nouvelle démocratie d'une révolution, c'est moins le caractère dominé de la nation (englobée dans un grand État bourgeois, colonisée, ancienne colonie devenue "indépendante" mais toujours sous tutelle étroite, "indépendante" mais dominée par le capital impérialiste, etc.), que l'importance de la semi-féodalité et l'arriération des forces productives et de l'organisation sociale. Ainsi, le Pays Basque est une nation sans État, englobée dans les États espagnol et français, qui doit être libérée et réunifiée, mais les tâches de la révolution y sont immédiatement socialistes : c'est une nation industrielle, avancée, très majoritairement ouvrière, avec une organisation sociale capitaliste avancée similaire à toute nation d'Europe occidentale, etc. Au contraire, un pays comme le Népal doit connaître une étape de nouvelle démocratie d'assez longue durée ; la Russie et les nations de l'URSS - même si l'on ne parlait pas de nouvelle démocratie - l'ont nécessité pour une dizaine d'années - dans les années 1920 - etc. Aujourd'hui, dans les pays particulièrement avancés comme le Brésil, l'Argentine, le Mexique ou le Chili, les forces bourgeoises "radicales" s'affirmant "révolutionnaires" ont pratiquement disparu : la gauche bourgeoise assume le réformisme et la social-démocratie. C'est un indice que l'étape démocratique de la révolution prolétarienne "tend vers zéro", que l'on tend vers une quasi-immédiateté des tâches socialistes. En revanche, la nature socialiste ou de nouvelle démocratie de la révolution à mener ne décide pas de la stratégie générale de Guerre populaire (qui est universelle) ou insurrectionnelle (accumulation de forces-grève générale-insurrection, qui est universellement erronée) à suivre.


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  • sanka-01

    Source : Blog des peuples en lutte

    Thomas Isidore Noël Sankara, considéré par certains comme le Che Guevara africain est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute Volta et mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso. C'était un militaire et un homme politique panafricaniste et tiers-mondiste burkinabé. 

    Il incarna et dirigea la révolution burkinabé du 4 août 1983 jusqu'à son assassinat lors d'un coup d'État qui amena au pouvoir Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987. Il a notamment fait changer le nom de la Haute-Volta, issu de la colonisation, en un nom issu de la tradition africaine le Burkina Faso, le pays des hommes intègres et a conduit une politique d'affranchissement du peuple burkinabé jusqu'à son assassinat. Son gouvernement entreprit des réformes majeures pour combattre la corruption et améliorer l'éducation, l'agriculture et le statut des femmes. Son programme révolutionnaire se heurta à une forte opposition du pouvoir traditionnel qu'il marginalisait ainsi que d'une classe moyenne peu nombreuse mais relativement puissante. 

    L'héritage politique et « identitaire » de Thomas Sankara — tout comme ceux de Patrice Lumumba, Amílcar Cabral ou Kwame Nkrumah — est considérable en Afrique et en particulier dans la jeunesse africaine dont une bonne partie le voit comme un modèle. 

    Biographie 

    Thomas Sankara était un « Peul-Mossi » issu d'une famille catholique. Son père était un ancien combattant et prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Il a fait ses études secondaires au Lycée Ouézin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays. Il a suivi une formation d'officier à Madagascar et devint en 1976 commandant du centre de commando de Pô. La même année, il fait la connaissance de Blaise Compaoré avec lequel il forme le Regroupement des officiers communistes (ROC) dont les autres membres les plus connus sont Henri Zongo, Boukary Kabore et Jean-Baptiste Lingani. 

    En septembre 1981, il devient secrétaire d'État à l'information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo. Il démissionne le 21 avril 1982, déclarant « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! » 

    Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d'État portait au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo. Sankara devint Premier ministre en janvier 1983, mais fut limogé et mis aux arrêts le 17 mai, après une visite de Guy Penne, conseiller de François Mitterrand. Le lien entre la visite de Guy Penne et l'arrestation de Sankara reste sujet à controverse, même si les soupçons d'une intervention française restent forts. 

    Un nouveau coup d'État, le 4 août 1983 place Thomas Sankara à la présidence. Il définit son programme comme anti-impérialiste, en particulier dans son « Discours d'orientation politique », écrit par Valère Somé. Son gouvernement retira aux chefs traditionnels les pouvoirs féodaux qu'ils continuaient d'exercer. Il créa les CDR (Comités de défense de la révolution), qui eurent toutefois tendance à se comporter en milice révolutionnaire faisant parfois régner une terreur peu conforme aux objectifs de lutte contre la corruption. 

    Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara fut assassiné lors d'un coup d'État organisé par celui qui était considéré comme son frère, Blaise Compaoré. Plusieurs jours plus tard, il fut déclaré « décédé de mort naturelle » par un médecin militaire. L'absence de tout procès ou de toute enquête de la part du gouvernement burkinabé a été condamnée en 2006 par le Comité des droits de l’homme des Nations unies .Par ailleurs, le gouvernement français de l'époque (cohabitation entre Jacques Chirac qui gouverne et François Mitterrand qui préside) est soupçonné d'avoir joué un rôle dans cet assassinat, ainsi que plusieurs autres gouvernements africains gouvernés par des amis de la France. Kadhafi pourrait être impliqué et avoir utilisé ce meurtre pour redevenir un ami de la France. C'est notamment la famille Sankara, réfugiée en France, qui soutient ces hypothèses. Cette hypothèse est aussi soutenue par la plupart des historiens africains. Si la décision de condamner l'absence d'enquête constitue une première mondiale dans la lutte contre l'impunité, elle est insuffisante, puisqu'elle n'a conduit à aucune condamnation. Thomas Sankara a été proclamé modèle par la jeunesse africaine au forum social africain de Bamako 2006 et au forum social mondial de Nairobi en 2007. 

    Depuis le 28 décembre 2005, une avenue de Ouagadougou porte son nom, dans le cadre plus général d'un processus de réhabilitation décrété en 2000 mais bloqué depuis lors. Diverses initiatives visent à rassembler les sankaristes et leurs sympathisants, notamment par le biais d'un comité national d'organisation du vingtième anniversaire de son décès, de célébrer sa mémoire, notamment par des manifestations culturelles, tant au Burkina Faso qu'en divers pays d'implantation de l'immigration burkinabé. En 2007, pour la première fois depuis 19 ans, la veuve de Thomas Sankara, Mariam Serme Sankara a pu aller se recueillir sur sa tombe présumée lors des 20es commémorations à Ouagadougou. 

    Actions politiques 

    Thomas Sankara était en premier lieu un des chefs du Mouvement des non-alignés, les pays qui durant la Guerre Froide ont refusé de prendre parti pour l'un ou l'autre des deux blocs. Il a beaucoup côtoyé des militants d'extrême gauche dans les années 1970 et s'est lié d'amitié avec certains d'entre eux. Il a mis en place un groupe d'officiers clandestin d'influence marxiste : le Regroupement des officiers communistes (ROC). Dans ses discours, il dénonce le colonialisme et le néo-colonialisme, notamment de la France, en Afrique (notamment les régimes clients de Côte d'Ivoire et du Mali, lequel lance plusieurs fois, soutenu par la France, des actions militaires contre le Burkina Faso). Devant l'ONU, il défend le droit des peuples à pouvoir manger à leur faim, boire à leur soif, être éduqués. Pour redonner le pouvoir au peuple, dans une logique de démocratie participative, il créa les CDR (Comités de défense de la révolution) auxquels tout le monde pouvait participer, et qui assuraient la gestion des questions locales et organisaient les grandes actions. Les CDR étaient coordonnés dans le CNR (Conseil national de la révolution). Les résultats de cette politique sont sans appel : réduction de la malnutrition, de la soif (construction massive par les CDR de puits et retenues d'eau), des maladies (grâce aux politiques de « vaccinations commandos », notamment des enfants, burkinabe ou non) et de l'analphabétisme (l'analphabétisme passe pour les hommes de 95% à 80%, et pour les femmes de 99% à 98%, grâce aux "opérations alpha"). Sankara est aussi connu pour avoir rompu avec la société traditionnelle inégalitaire burkinabe, par l'affaiblissement brutal du pouvoir des chefs de tribus, et par la réintégration des femmes dans la société à l'égal des hommes. Il a aussi institué la coutume de planter un arbre à chaque grande occasion pour lutter contre la désertification. Il est le seul président d'Afrique (et sans doute du monde) à avoir vendu les luxueuses voitures de fonctions de l'État pour les remplacer par de basiques Renault 5. Il faisait tous ses voyages en classe touriste et ses collaborateurs étaient tenus de faire de même. Il est célèbre aussi pour son habitude de toujours visiter Harlem (et d'y faire un discours) avant l'ONU. 

    À lire :

    Thomas Sankara

    Portrait d'un homme intègre 

    Notes sur la révolution et le développement national et populaire dans le projet de Sankara

    Le "Che" africain. Il y a 20 ans : Thomas Sankara était renversé

    Qui était Thomas SANKARA ? (AGEN)

    Thomas Sankara, précurseur des luttes d’aujourd’hui (du même auteur, MàJ octobre 2014)

    Thomas sankara, leader d'un authentique processus révolutionnaire (Bruno Jaffré, le Monde Diplomatique, 2007) ici au complet :

    Thomas Sankara, leader d’un authentique processus révolutionnaire

    Bruno Jaffré

    Cet article est la première version de l’article écrit pour publication dans le Monde Diplomatique d’octobre 1987, avant les coupures dues aux contraintes de la presse qui font que la longueur est imposée et peut changer au fur et à mesure que s’élabore le journal notamment. On trouvera l’article effectivement publié sous le titre ’Thomas Sankara et la dignité de l’Afrique" sur le site du Monde Diplomatique à l’adresse http://www.monde-diplomatique.fr/2007/10/JAFFRE/15202

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    Le 15 octobre 2007, sera commémoré le 20ème anniversaire de la mort de Sankara dans de nombreux pays. Si Sankara reste largement méconnu hors de l’Afrique, il reste sur le continent dans bien des mémoires, comme celui qui disait la vérité, celui qui vivait proche de son peuple, celui qui luttait contre la corruption, celui qui donnait espoir que l’Afrique renoue avec la confiance, qu’elle retrouve sa dignité bafouée. Mais il était bien plus que cela : un stratège politique ayant dirigé jusqu’à la victoire un processus révolutionnaire, un président créatif, porteur de révolte, d’énergie, qui s’est engagé jusqu’au sacrifice suprême et enfin une voie qui porta haut et fort les revendications du tiers monde.

    Une longue préparation

    Sankara est né le 21 décembre 1949. Son père est revenu infirmier gendarme de la deuxième guerre mondiale dont il lui a rapporté l’horreur. Sa mère lui raconte les injustices dont se rendent responsables les Naabas, les chefs que les révolutionnaires appelleront les "féodaux". Aîné des garçons dans une lignée de douze frères et soeurs, il acquiert vite des responsabilités. A l’école où il côtoie les fils de colons et découvre l’injustice. Il sert la messe mais refuse in extremis de faire le séminaire et opte pour le collège puis entre au Prytanée militaire du Kadiogo en seconde.

    C’est paradoxalement dans cette école militaire que Sankara va s’ouvrir à la politique. Adama Touré militant du PAI, parti africain de l’indépendance, marxiste convaincu y enseigne l’histoire avant d’être le directeur des études. Il poursuit sur sa formation à l’école militaire inter-africaine d’Anstirabé à Madagascar. En plus des cours de stratégies militaires et tout ce qui a trait à la formation d’officiers, l’enseignement y est pluridisciplinaire : sociologie, sciences politiques, économie politique, français, connaissance de la culture malgache, "sciences agricoles". Militaires les civils ensemble entreprennent  dans ce pays des changements radicaux et notamment la rupture avec la France. Il effectue une année supplémentaire de service civique et effectue de nombreux séjours en zone rurale au milieu de la population et y découvre une nouvelle fonction de l’armée au service des populations.

    En 1974, lors de la première guerre avec le Mali, son nom commence à circuler après un exploit militaire. A sein de l’armée il entreprend de regrouper les jeunes officiers de sa génération, d’abord pour défendre leur conditions de vie, leur dignité d’officier alors que tout leur manque pour effectuer leur commandement dans de bonnes conditions, parfois jusqu’à l’eau potable. Puis la politique prend le dessus et ils créent avec ses amis une organisation clandestine au sein de l’armée. Dès 1977, il demande au PAI d’organiser une session de formation politique d’une semaine, tout en entretenant des relations étroites avec des militants d’autres organisations. Il lit beaucoup, de tout, questionne, approfondit, prend goût au débat politique. Son charisme joue le rôle de rassembleur. Son réseau s’étend au sein de l’armée plus souvent par la sympathie que dégage le personnage que par conviction politique.

    Sankara, à force de persévérance, obtient la création et le commandement d’une unité de commandos d’élite à Po.

    Un pays en crise

    Après l’indépendance, se succèdent des périodes d’exception et de démocratie parlementaire. Ainsi, la Haute Volta est le seul pays de la région à élire un président, le général Lamizana, au deuxième tour en 1978. Il procède d’une gestion paternaliste et bon enfant de l’armée comme du pays mais doit affronter plusieurs fois une classe politique composée pour l’essentiel de partis issus du RDA  A gauche, seul le parti de l’historien Ki Zerbo participe aux élections, parfois aussi au pouvoir, tout en étant implantés dans les syndicats.

    C’est durant cette période que vont être créées les conditions des évènements qui aboutiront à la révolution : une exacerbation de contradictions, un puissant mouvement populaire et la montée en puissance d’un militaire révolutionnaire charismatique.

    Plusieurs phénomènes vont en effet évoluer en parallèle pour produire une situation explosive.

    Les politiciens se complaisent dans les joutes parlementaires, délaissant les débats sur les moyens de sortir de la pauvreté et se coupent petit à petit des forces vives du pays constituées alors de la petite bourgeoisie urbaine, tandis les campagnes restent sous la coupe des différentes chefferies. L’armée se divise coupée en deux entre une jeune génération montante ambitieuse et des officiers plus âgés moins éduqués. Les officiers supérieurs qui dans un premier temps rétablissent les finances publiques après 1966 et imposent une rigueur dans la gestion, vont finir d’une part par prendre goût au pouvoir se déconsidérer dans les scandales financiers.

    Une crise des finances publiques se développe à la fin des années 70, d’une part du fait de scandales financiers, d’une gabegie de dépense lors de campagne électorale, mais aussi à la suite de mouvement sociaux puissants qui veillent ce que les promesses d’augmentation de salaires soient tenues.

    Cette période est celle aussi d’une intense activité politique extra parlementaire. Le PAI reste clandestin. Mais il profite des périodes de liberté d’expression pour mettre en place en 1973 une organisation autorisée, la LIPAD, Ligue Patriotique pour le développement, qui développe une activité publique : conférences, diffusion d’un organe de presse, animation en direction de la jeunesse dans les quartiers ou durant les vacances scolaires. Par ailleurs de nombreux étudiants ayant été formés dans les débats politiques passionnés de la puissante FEANF, ou s’affrontent les différentes obédiences se réclamant du marxisme léninisme rentrent au pays. Des scissions successives issues du PAI vont créer d’autres mouvements clandestins, notamment l’ULC, l’Union des Luttes Communistes et le PCRV (Parti Communiste révolutionnaire). Les syndicats, traversés par les luttes de tendance, prennent la tête de puissants mouvements revendicatifs ou politiques, comme par exemple pour lutte contre une constitution jugée trop liberticide.

    Un premier coup d’Etat militaire intervient en novembre 1980, avec le soutien d’une majeure partie de l’armée après une succession de grèves. Il reçoit le soutien de l’opposition politique légale en particulier du parti du Ki Zerbo. Mais le nouveau pouvoir, bénéficiant pourtant d’une certaine popularité va rapidement découvrir un visage répressif obligeant des dirigeants syndicaux à entrer dans la clandestinité. Des officiers vont être mêlés à des scandales. Sankara qui a été nommé secrétaire d’Etat à l’Information démissionne en direct à la télévision prononçant cette phrase devenu célèbre : "malheur à ceux qui bâillonnent le peuple".

    Une situation révolutionnaire

    Lorsqu’intervient le coup d’Etat du CSP (Conseil du Salut du Peuple) en 1982, c’est une nouvelle fraction de l’armée qui se trouve déconsidérée mais aussi le parti de Ki Zerbo. Le clivage va rapidement se faire sentir entre ceux qui souhaitent le retour à des anciens politiciens en avançant comme objectif une vie constitutionnelle normale et les officiers révolutionnaires regroupés autour de Sankara qui fustigent l’impérialisme et les ennemis du peuples. Ces deux groupes d’affrontent d’abord politiquement au sein de l’armée et la nomination de Sankara comme premier ministre est une première victoire. Il en profite pour exacerber les contradictions au cours de meetings publics où il exalte la foule et dénonce "les ennemis du peuple" et "l’impérialisme".

    Il est arrêté le 17 mai 1983, alors que Guy Penne conseiller Afrique de Mitterrand atterrit à Ouagadougou. Blaise Compaoré arrive à rejoindre les commandos à Po dont il a pris le commandement en remplacement de Sankara. Les civils entrent en scène, en particulier le PAI qui organisent des manifestations demandant la libération de Sankara et redoublent d’activité, et dans une moindre mesure l’ULC de Valère Somé en voie de reconstitution. Sankara a su se faire respecter non sans mal par des organisations civiles qui se méfient des militaires mais aussi par les militaires qui reconnaissent en lui l’un des leurs, un militaire fier de l’être, et ce bien au-delà de ses proches qui se sont organisés autour de lui depuis plusieurs années. Sankara libéré, toutes ces forces bien organisées restent en contact permanent et préparent la prise du pouvoir.

    Après plusieurs reports, les commandos de Po, dirigé par Blaise Compaoré, montent sur la capitale le 4 août 1983. Les employés des télécommunications coupent les lignes, des civils attendent les soldats pour les guider dans la ville et participent à différentes missions. 

    Un programme simple et ambitieux

    Sankara a longuement préparé son accession au pouvoir. Il s’y est longuement préparé sans jamais oublié son objectif principal : "Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir. Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance. Tel est notre programme politique.[1]"

    Et la tâche est immense, la Haute Volta est alors parmi les pays les plus pauvres du monde[2] : " Le diagnostic à l’évidence, était sombre. La source du mal était politique. Le traitement ne pouvait qu’être politique.", après avoir donné quelques chiffres : "un taux de mortalité infantile estimé à 180 pour mille, une espérance de vie se limitant à 40 ans, un taux d’analphabétisme allant jusqu’à 98 pour cent, si nous concevons l’alphabétisé comme celui qui sait lire, écrire et parler une langue, un médecin pour 50000 habitants, un taux de scolarisation de 16 pour cent, et enfin un produit intérieur brut par tête d’habitant de 53356 francs CFA soit à peine plus de 100 dollars.[3]"

    La théorie et la pratique

    Sankara cache à peine ses influences marxistes mais il va vite comprendre que ceux qui se pressent autour de lui et se réclament du marxisme sont souvent bien loin de partager ses préoccupations de placer comme priorité l’amélioration des conditions de vie de la population.

    Il regroupe autour de lui à la présidence près de 150 collaborateurs qu’il a minutieusement choisis, quelques idéologues mais surtout les meilleurs cadres du pays les plus motivés. Les projets ne vont cesser de fuser tandis qu’il impose en permanence des délais d’étude de faisabilité jugés souvent irréalisables. Sans doute faut-il voir là, l’origine du "pouvoir personnel" dont on l’accuse alors que d’autres reconnaissent la difficulté à argumenter contre lui. C’est qu’il était par ailleurs un bourreau de travail et qu’il préparait avec minutie ses dossiers avec ses collaborateurs.

    Au-delà de ses influences idéologiques qui vont surtout le guider dans l’analyse du mouvement de la société et des rapports de domination au niveau international, la révolution s’entendait pour lui comme l’amélioration des conditions de vie de la population. Au plus fort de la crise politique il déclare à l’encontre de ceux qui prennent prétexte de divergences idéologiques pour comploter contre : "Notre révolution est et doit être en permanence l’action collective des révolutionnaires pour transformer la réalité et améliorer la situation concrète des masses de notre pays. Notre révolution n’aura de valeur que si, en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant nous, nous pouvons dire que les Burkinabè sont, grâce à la révolution, un peu plus heureux, parce qu’ils ont de l’eau saine à boire, parce qu’ils ont une alimentation abondante, suffisante, parce qu’ils ont une santé resplendissante, parce qu’ils ont l’éducation, parce qu’ils ont des logements décents, parce qu’ils sont mieux vêtus, parce qu’ils ont droit aux loisirs ; parce qu’ils ont l’occasion de jouir de plus de liberté, de plus de démocratie, de plus de dignité. Notre révolution n’aura de raison d’être que si elle peut répondre concrètement à ces questions…  La révolution, c’est le bonheur. Sans le bonheur nous ne pouvons pas parler de succès. Notre révolution doit répondre concrètement à toutes ces questions"[4].

    Une rupture profonde, une authentique révolution

    La Révolution s’analyse avec le recul comme une véritable rupture dans tous les domaines : transformation de l’administration, redistribution des richesses, lutte sans merci contre la corruption, action concrète tout autant que symbolique pour la libération de la femme, responsabilisation de la jeunesse, mis à l’écart de la chefferie quand elle n’est pas combattue en tant que responsable de l’arriération des campagnes et de soutien des anciens partis politiques, tentative presque désespérée de faire des paysans un classe sociale soutenant activement la révolution, transformation de l’armée pour la mettre au service du peuple en lui assignant aussi des taches de production, car un "militaire sans formation politique est un assassin en puissance", décentralisation et recherche d’une démocratie directe à travers les CDR, contrôle budgétaire et mise sous contrôle des ministres et la liste n’est pas exhaustive tant l’action engagé a été multiple et diverse.

    Développement auto centré

    Dès le début de la révolution, le CNR lance le Plan Populaire de Développement. Les provinces déterminent leurs objectifs et doivent trouver les moyens nécessaires pour les atteindre, une méthode que Sankara décrit ainsi : "Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il faut s’asseoir et écrire son développement ; il faut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur."[5]

    Au point de vue économique, le CNR va pratiquer l’auto ajustement, les dépenses de fonctionnement diminuent au profit de l’investissement mais aussi la rationalisation des moyens. Mais le prix à payer va être lourd. L’effort Populaire d’Investissement se traduit par des ponctions sur les salaires de 5 à12%, une mesure tempérée cependant par la gratuité des loyers décrétée pendant un an. Une zone industrielle en friche a ainsi par exemple pu être réhabilitée à Ouagadougou.

    Il s’agit de promouvoir le développement autocentré, ne pas dépendre l’aide extérieure : "ces aides alimentaires qui nous bloquent, qui inspirent, qui installent dans nos esprits cette habitude, ces réflexes de mendiant, d’assisté, nous devons les mettre de côté par notre grande production ! Il faut réussir à produire plus, produire plus parce qu’il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés"[6].  

    Les mots d’ordre "produisons, consommons burkinabé" constituent une des traductions majeures de cette politique.

    Ainsi les fonctionnaires sont incités à porter le Faso Dan Fani, l’habit traditionnel, fabriqué à l’aide de bandes de coton tissées de façon artisanale. Une mesure qui a joué un véritable effet d’entraînement, puisque la production du coton a augmenté, mais surtout de très nombreuses femmes se sont mises à tisser dans les cours, leur permettant ainsi d’acquérir un revenu propre les rendant moins dépendantes de leur mari. Les importations de fruits et légumes ont été interdites dans la dernière période pour inciter les commerçants à faire plus d’efforts pour aller chercher la production dans le sud-ouest du Burkina, difficilement accessible plutôt que d’emprunter la route goudronnée allant en Côte d’Ivoire. Des circuits de distribution ont été mis en place grâce à une chaîne nationale de magasins nationale, mais aussi pour atteindre via les CDR les salariés jusque dans leur services.

    Précurseur

    La défense de l’environnement fait aujourd’hui la une de l’actualité. Déjà à cette époque, Sankara avait pointé les responsabilités humaines de l’avancée du désert dans le Sahel. Le CNR lance dès avril 1985, les trois luttes : lutte contre la coupe abusive du bois, accompagnée de campagnes de sensibilisation pour le développement de l’utilisation du gaz pour la cuisine, lutte contre les feux de brousse et lutte contra la divagation des animaux, reprises non sans parfois quelques mesures coercitives par les CDR

    Par ailleurs, partout dans le pays, les paysans se sont mis à construire des retenues d’eau souvent à mains nues pendant que le gouvernement relançait des projets de barrages qui dormaient dans les tiroirs. Sankara interpellait tous les diplomates ou hommes d’Etat leur soumettant inlassablement se projets, pointant les insuffisances de l’aide de La France en la matière alors que les entreprises françaises étaient les principales bénéficiaires des marchés des gros travaux. Il faudrait encore citer les campagnes de popularisation des foyers améliorés économisant la consommation du bois, tandis que le commerce en était régulé, les campagnes de reboisement dans les villages qui devaient prendre en charge l’entretien d’un bosquet sans oublier les plantations d’arbre comme un acte obligé à chaque évènement social ou politique.

    La mondialisation, le système financier international, l’omniprésence du FMI et de la Banque Mondiale, la question de la dette des pays du tiers monde sont aujourd’hui des thèmes de combat au niveau international depuis le développement du mouvement dit altermondialiste. Dans un discours sur la dette[7], Sankara développe une analyse largement reprise aujourd’hui : la dette trouve son origine dans les « propositions alléchantes » des « assassins techniques ». Elle est devenue le moyen de « reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers ». Et il appelle ses pairs à ne pas la rembourser rappelant au passage la dette de sang due après l’envoi des milliers d’africains envoyés combattre l’armée nazie lors de la seconde guerre mondiale. Si le Burkina Faso est effectivement entré en discussion avec le FMI pour obtenir des prêts, la décision a finalement été prise au cours d’une conférence nationale de ne pas signer avec le FMI qui souhaitait imposer ses conditionnalités. Le Burkina s’est alors lancé seul dans la "bataille du rail", la population étant invitée à tour de rôle à venir poser des rails avec les moyens dont disposait le pays. 

    Construire la démocratie

    Lorsqu’on demande à Sankara ce qu’est la démocratie il répond : "La démocratie est le peuple avec toutes ses potentialités et sa force. Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. Au contraire, là où le peuple peut dire chaque jour ce qu’il pense, il existe une véritable démocratie car il faut alors que chaque jour l’on mérite sa confiance. On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel".

    Les CDR créées très rapidement après le 4 août 1983 sont chargés d’exercer le pouvoir du peuple. S’ils ont été à l’origine de nombreuses exactions, et servi de faire de lance contre les syndicats, il n’en reste pas moins qu’ils ont assumé de nombreuses responsabilités bien au-delà de la seule sécurité publique : formation politique, assainissement des quartiers, gestion des problèmes locaux, développement de la production et de la consommation des produits locaux, participation au contrôle budgétaire dans les ministères. Et la liste n’est pas exhaustive. Ils ont même rejeté après débats, plusieurs projets comme celui de "l’école nouvelle" jugée trop radical  Quant à leurs insuffisances, souvent dues aux querelles que se livraient les différentes organisations soutenant la révolution, Sankara était souvent le premier à les dénoncer[8]. 

    Le complot

    Ce président d’un type nouveau dont tout le monde veut bien louer aujourd’hui le patriotisme et l’intégrité, l’engagement personnel et le désintéressement était à l’époque devant gênant. Son exemple menaçait le pouvoir des présidents de la région et plus généralement la place de la présence française en Afrique. Le complot va s’organiser inéluctablement. Le numéro deux du régime, le président actuel du Burkina Faso, Blaise Compaoré[9] va s’en charger avec le soutien probable de la France, de la Côté d’Ivoire et de la Lybie. Ainsi selon François Xavier Verschave : Kadhafi et la Françafrique multipliaient les causes communes. Cimentées par l’antiaméricanisme. Agrémentées d’intérêts bien compris. L’élimination du président burkinabé Thomas Sankara est sans doute le sacrifice fondateur. Foccart et l’entourage de Kadhafi convinrent en 1987 de remplacer un leader trop intègre et indépendant au point d’en être agaçant, par un Blaise Compaoré infiniment mieux disposé à partager leurs desseins. L’Ivoirien Houphouët fut associé au complot"[10]. On connaît la suite, l’alliance qui se fait jour via les réseaux françafricains mêlant des personnalités politiques, des militaires ou des affairistes de Côte d’Ivoire, de France, de Libye et du Burkina Faso, pour soutenir Charles Taylor responsable des effroyables guerres civiles qui se dérouleront au Libéria puis en Sierra Leone. Blaise Compaoré participera encore à des trafics de diamants et d’armes pour contourner l’embargo contre l’UNITA de Jonas Savimbi. Aujourd’hui, après avoir abrité les militaires qui créeront les "forces nouvelles", Blaise Compaoré est présenté comme l’homme de la paix dans la région. Entre temps il est vrai c’est créé une Association Française d’Amitié Franco-Burkinabé, présidée par Guy Penne, dans laquelle on retrouve Michel Roussin, ancien des services secrets, condamnés pour des affaires de la mairie de Paris où il officiait aux côtés de Jacques Chirac et le numéro de Bolloré en Afrique, mais aussi Jacques Godfrain, présenté par Verschave comme un proche de Foccart[11]. Avec Pierre André Wiltzer, lui aussi ancien ministre de la coopération, mais membre de l’UDF, et Charles Josselin, lui aussi ancien ministre de la coopération mais socialiste, et nous avons là la françafrique reconstitué.

    Tout a été fait pourtant pour effacer Thomas Sankara de la mémoire dans son pays. Rien n’y fait. Inéluctablement, Sankara revient, par le son, les images, les écrits. Internet ne fait qu’amplifier le phénomène. Une nouvelle génération est née qui cherche l’information, questionne, apprend, se mobilise très régulièrement aussi depuis l’assassinat de Norbert Zongo toujours impuni. Et qui commence à demander des comptes à ceux qui ont suivi sans état d’âme Blaise Compaoré jusqu’à aujourd’hui, devenu entre temps un fidèle exécutant des thèses libérales et le successeur d’Houphouët Boigny comme le meilleur allié de la France dans la région.

    Cette génération, quelque peu désemparée devant le manque d’alternatives politiques internes, les partis d’opposition n’en finissant pas de se déchirer, souvent d’ailleurs grâce à quelques millions savamment distribués, conserve intact les traditions de lutte de son pays. Et puis une expérience nouvelle se renforce en Amérique Latine. Le Vénézuela multiplie les initiatives en direction de l’Afrique et reprend certains thèmes de la révolution burkinabé mais avec les moyens de son pétrole en plus. L’espoir doit revenir mais il convient auparavant de bien s’imprégner des réalités et des difficultés auxquelles a été confrontée la révolution burkinabé.

    Bruno Jaffré

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    Du même auteur, en octobre 2014 :

    Thomas Sankara, précurseur des luttes d’aujourd’hui

    Sanka_2306.jpgDe l’Islande à l'Amérique latine des Chavez et Maduro (Venezuela), Evo Morales (Bolivie) et José Mujica (Uruguay), en passant par les pays arabes, les révolutions sont à l’ordre du jour, prenant des formes différentes, des contenus différents, évoluant vers des victoires ou des échecs, sans que rien ne soit jamais acquis. Dans d’autres pays, à travers tous les continents, les peuples se mettent en mouvement, s’organisent, résistent et luttent pied à pied. Ce que nous proposons ici, c’est de prendre un peu de recul sur cette actualité et de nous plonger dans les paroles de Thomas Sankara, le leader de la révolution africaine qui a marqué la fin du 20ème siècle, la Révolution démocratique et populaire. Car ce sont les mêmes ennemis qu’affrontait le peuple du Burkina Faso : les multinationales, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et leurs complices locaux.

    La révolution du Burkina est, en réalité, mal connue, si ce n’est à travers la personnalité de Thomas Sankara, très prisée sur le continent africain. Les T-shirts à son effigie ont fait leur apparition, les artistes de toute discipline s’en inspirent, la jeunesse s’en réclame de plus en plus. Internet a bien sûr favorisé ce phénomène, tout en le confinant dans une imagerie superficielle. Il importe de transformer cette popularité, dont on ne saurait se plaindre, en une appropriation progressive plus approfondie de sa pensée et des leçons de son action, de ses échecs et de ses réussites.

    Car, en réalité, Thomas Sankara était un précurseur des luttes d’aujourd’hui. Sur deux thèmes centraux, on peut même dire vitaux de notre époque, la préservation de la planète et la lutte contre la dette illégitime, que l’on veut faire supporter par les peuples.

    Ainsi, le Conseil national de la révolution (CNR) lance, dès avril 1985, trois luttes : lutte contre la coupe abusive du bois, accompagnée de campagnes de sensibilisation pour le développement de l’utilisation du gaz pour la cuisine, lutte contre les feux de brousse et lutte contre la divagation des animaux. Les Comités de défense de la révolution (CDR) se chargent de traduire ses mots d’ordre dans la réalité, non sans parfois quelques mesures coercitives.

    Par ailleurs, partout dans le pays, les paysans se sont mis à construire des retenues d’eau, souvent à mains nues, pendant que le gouvernement relançait des projets de barrages qui dormaient dans les tiroirs. Sankara interpellait tous les diplomates ou hommes d’État, leur soumettant inlassablement ses projets, pointant les insuffisances de l’aide de la France, alors que les entreprises françaises étaient les principales bénéficiaires du marché des gros travaux. Parmi les autres trains de mesures, signalons les campagnes de popularisation des foyers améliorés, économisant la consommation du bois, ou les campagnes de reboisement dans les villages, qui doivent prendre en charge l’entretien d’un bosquet. Par ailleurs, chaque évènement social ou politique devait être accompagné de plantations d’arbres[1].

    La mondialisation, le système financier international, l’omniprésence et les diktats du FMI et de la Banque mondiale, la question de la dette des pays du Tiers Monde sont aujourd’hui aussi au centre des problèmes internationaux et des mobilisations citoyennes, atteignant maintenant les pays européens.

    En précurseur, Sankara développe, dans un discours sur la dette publié plus loin, une analyse largement reprise aujourd’hui. Et il appelle ses pairs à ne pas la rembourser, rappelant au passage la dette de sang due après l’envoi, par dizaines de milliers, d’Africains pour combattre l’armée nazie lors de la Seconde Guerre mondiale. Si le Burkina Faso avait entamé des discussions avec le FMI, il déclinera la conclusion d’un accord. Le Fonds refusa de financer la construction du chemin de fer vers le nord. Le pays s’est alors lancé seul dans la « bataille du rail », avec l’aide de Cuba et les moyens dont disposait le pays, la population étant invitée à tour de rôle à venir poser des rails.

    Thomas Sankara rappelait à qui voulait l’entendre que les premiers objectifs étaient de donner à la population de l’eau potable, une alimentation saine, la santé, l’éducation, des loisirs, des logements décents, etc. Des objectifs pragmatiques, alors que la direction de la révolution se déchire en 1987 sur des querelles idéologiques. On réalisera plus tard, lorsque fut retrouvée l’intervention que devait prononcer Thomas Sankara le jour où il a été assassiné, qu’il s’agissait pour certains de ces idéologues dogmatiques de pouvoir surtout bénéficier de leurs positions aux plus hautes sphères de l’État, pour s’enrichir.

    Au début des années 1980, le Haute-Volta, ancienne colonie française, traverse une grave crise des finances publiques, doublée d’une crise politique. Différents régimes se sont succédé depuis l’indépendance sans remettre en cause le système néocolonial. L’écrasante majorité de la population, en ville comme à la campagne, survit dans la pauvreté. La tâche est immense, la Haute-Volta figure parmi les pays les plus pauvres du monde.

    Sur quelles forces s’appuyer ? Thomas Sankara regroupe par son charisme personnel et sa clairvoyance politique une nouvelle génération de jeunes officiers, aspirant à un changement radical, tout en développant des relations avec des cercles de jeunes intellectuels marxistes. Ceux-ci, anciens étudiants ayant souvent milité au sein de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), contribuent à la création d’organisations clandestines. Les salariés des villes se mobilisent dans les syndicats, où s’aguerrissent les militants de ces organisations susmentionnées, qui en prennent, ici ou là, la direction. Pour le reste, pays rural à 90%, souvent sous l’influence de la chefferie, la population était jusqu’ici spectatrice et plutôt fataliste, après avoir constaté combien les différents pouvoirs qui s’étaient succédé ne s’intéressaient guère à leurs difficultés.

    Sans la participation active de la population, rien n’était donc possible, car le budget de l’État ne permettait que peu d’investissements, et le pouvoir était décidé à ne pas céder aux diktats du FMI et de la Banque mondiale.

    Pour Thomas Sankara, gagner la confiance de son peuple était une des tâches primordiales du début de la révolution, un gage de son succès.

    Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il faut s’asseoir et écrire son développement ; il faut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur[2].

    Cette citation, extraite d’un film, révèle en quelque sorte la pédagogie de Thomas Sankara, une qualité peu soulignée. Or il exprime ici une démarche qui l’a guidé dès la prise du pouvoir. Il l’avait déjà exprimée, en des termes voisins, quelques jours avant qu’il ne prenne le pouvoir[3].

    Et, sur cet aspect comme sur beaucoup d’autres, il fait ce qu’il dit ou en tout cas tente de le faire. Dès les pouvoirs provinciaux mis en place, après une réforme administrative de décentralisation rondement menée, la population est amenée à se réunir et à se fixer des objectifs réalistes en recherchant d’abord ce qu’elle peut elle-même réaliser, en grande partie par ses propres moyens.

    C’est ainsi qu’est conçu l'ambitieux Programme populaire de développement (PPD), dès octobre 1984, dont la réalisation est programmée jusqu'en décembre 1985. L'objectif affiché est d'améliorer les conditions de vie de la population et d'augmenter les infrastructures du pays : barrages, retenues d'eau, magasins populaires, dispensaires, écoles, routes, cinémas, stades de sport, etc.

    Une fois bouclé le PPD, le gouvernement travaille sans attendre à la conception du premier plan quinquennal en s’appuyant sur les enseignements tirés de ce premier plan expérimental. Réalisé entre 70 et 80%, son principal mérite, en dehors de ses nombreuses réalisations, aura été d’inventorier les besoins, de mieux évaluer les coûts, mais aussi la capacité d’autofinancement.

    Les succès de la révolution sont certes dus en partie à la créativité, au charisme, à la vision politique, aux qualités de dirigeant de Sankara, mais aussi à cette démarche, osons le mot, « participative », en réalité les prémices d’une véritable démocratie. Il s’en est suivi de multiples réalisations, en termes de production, de construction d’infrastructures de toute sorte, barrages et retenues d’eau, écoles, dispensaires, etc. Au-delà des preuves qui n’ont pas tardé à être avancées quant à la volonté du pouvoir révolutionnaire de stopper la corruption, à travers notamment les tribunaux populaires, le pouvoir a convaincu par cette démarche et ses premiers succès de son engagement à vouloir améliorer les conditions de vie de la population. On pourrait citer aussi les dégagements de fonctionnaires corrompus ou champions de l’absentéisme, mais ceux-ci ont aussi donné lieu à quelques excès, notamment au plus fort des luttes politiques entre les différentes organisations engagées dans la révolution, ou contre certains opposants.

    Le pays a pu ainsi résolument s’engager dans son auto-développement ou développement autocentré. Les dépenses de fonctionnement diminuent au profit de l’investissement, en même temps qu’une rigueur implacable s’attache à rationnaliser les maigres ressources. L’économie ne doit pas s’appuyer sur les exportations – rajoutons pour payer la dette –, ce que cherche à imposer le FMI et la Banque mondiale et que refuseront les révolutionnaires burkinabè, mais sur l’exploitation des ressources internes. La production agricole va considérablement augmenter, alors que le gouvernement lance des tentatives de réindustrialisation. Il s’agit de produire la valeur ajoutée dans le pays, créer des filières, s’appuyer sur la transformation des matières premières au lieu de les exporter brutes, ce qui passe par la sollicitation, souvent volontariste, du marché intérieur. Tel est le sens du mot d’ordre « produisons, consommons burkinabè ». Les importations de fruits et légumes sont interdites dans la dernière période pour obliger les commerçants à prendre les pistes de villages burkinabè dans le sud-ouest du Burkina, difficilement accessibles, plutôt que d’emprunter la route goudronnée allant en Côte d’Ivoire. Des circuits de distribution ont été mis en place grâce à une chaîne nationale de magasins sur tout le territoire, mais aussi pour atteindre, via les CDR, les salariés jusque dans leurs services.

    L’Effort populaire d’investissement se traduit par des ponctions sur les salaires de 5 à 12%, une mesure tempérée cependant par la gratuité des loyers décrétée pendant un an. Il s’agit de ne pas dépendre de l’aide extérieure car « il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés[4]. » 

    Ce qui ne va pas manquer de créer des contradictions, puisque ce sont les salariés qui sont sollicités en premier. Les fonctionnaires sont incités à porter le faso dan fani, l’habit traditionnel, fabriqué à l’aide de bandes de coton tissées de façon artisanale. Une mesure qui a joué un véritable effet d’entraînement, puisque la production du coton a augmenté. Mais surtout de très nombreuses femmes se mettent à tisser chez elles, accédant ainsi à l’indépendance économique.

    Aux critiques concernant ces retenues sur salaires et autres cotisations, Thomas Sankara répond qu’il est injuste que ceux-ci reçoivent régulièrement un salaire, contrairement aux agriculteurs. Là encore, dans la redistribution des richesses, la révolution est rapidement passée de la parole aux actes. En plus des salariés, les commerçants et quelques entrepreneurs seront dans l’obligation de contribuer au développement du pays.

    Au-delà des questions économiques, la révolution va se traduire comme une véritable rupture dans tous les domaines. Citons, en plus de ce qui a déjà été relevé : transformation de l’administration, lutte sans merci contre la corruption, action concrète tout autant que symbolique pour la libération de la femme, responsabilisation de la jeunesse, ce qui libérera toute son énergie, mise à l’écart de la chefferie, quand elle n’est pas combattue en tant que responsable de l’arriération des campagnes et soutien des anciens partis politiques, tentative presque désespérée de faire des paysans une classe sociale soutenant activement la révolution, transformation de l’armée pour la mettre au service du peuple en lui assignant aussi des tâches de production, car un « militaire sans formation politique est un assassin en puissance », décentralisation et recherche d’une démocratie directe à travers les CDR, contrôle budgétaire et mise sous contrôle des ministres. Et la liste n’est pas exhaustive, tant l’action engagée a été multiple et diversifiée.

    Lorsqu’on demande à Sankara ce qu’est la démocratie il répond :

    La démocratie est le peuple avec toutes ses potentialités et sa force. Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. Au contraire, là où le peuple peut dire chaque jour ce qu’il pense, il existe une véritable démocratie, car il faut alors que chaque jour l’on mérite sa confiance. On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel[5].

    Les CDR sont chargés d’exercer le pouvoir du peuple. S’ils ont été à l’origine d’exactions et servi de fer de lance contre les syndicats, il n’en reste pas moins qu’ils ont assumé de nombreuses tâches, bien au-delà de la seule sécurité publique : formation politique, assainissement des quartiers, gestion des problèmes de voisinage, développement de la production et de la consommation des produits locaux, participation au contrôle budgétaire dans les ministères, etc. Ils ont même rejeté, après débats, plusieurs projets comme celui de « l’école nouvelle » jugée trop radical. Quant à leurs insuffisances, souvent dues aux querelles que se livraient les différentes factions soutenant la révolution, Sankara était souvent le premier à les dénoncer.

    Dernier élément et non des moindres, Thomas Sankara portait haut la voix des opprimés dans les instances internationales, redonnant fierté à son peuple, rappelant sans cesse l’oppression que subissaient les Noirs d’Afrique du Sud et les Palestiniens, avec la complicité des puissances occidentales, dénonçant sans répit l’impérialisme, comme le montre son discours à l’ONU publié en partie ci-après. Il fit campagne pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, un affront que les dirigeants français ne lui pardonneront pas.

    Ce président d’un type nouveau était à l’époque devenu gênant pour les puissances occidentales. Son exemple menaçait les pouvoirs des présidents de la région et plus généralement la présence française en Afrique.

    Le complot va s’organiser inéluctablement. Le numéro deux du régime, le Président actuel du Burkina Faso, Blaise Compaoré, va s’en charger avec le soutien de la France, de la Côte d’Ivoire et de la Libye. On connaît la suite : l’alliance qui se fait jour via les réseaux françafricains mêlant des personnalités politiques, des militaires ou des affairistes de Côte d’Ivoire, de France, de Libye et du Burkina Faso, pour soutenir Charles Taylor, responsable des effroyables guerres civiles qui vont éclater au Libéria puis en Sierra Leone.

    Tout a été tenté pour effacer Thomas Sankara de la mémoire dans son pays. Rien n’y fait. Inéluctablement, Sankara revient, par le son, les images, les écrits. Internet ne fait qu’amplifier le phénomène. Aujourd'hui son rayonnement, de par sa vision de précurseur, notamment sur les questions de l’environnement, le système financier international et la dette, atteint désormais les militants écologistes et anticapitalistes des pays occidentaux.

    Puisse ce modeste recueil d’extraits de discours, douloureusement choisis, permettre de leur donner un rayonnement à la mesure de leur importance.

    Bruno Jaffré, auteur d’ouvrages sur la révolution burkinabè, est un des animateurs du site thomassankara.net et de la campagne « Justice pour Sankara. Justice pour l’Afrique ».


    [1] Nombre de ces mesures semblent issues du rapport « La République Populaire et Démocratique de Haute-Volta n’est pas ‘en voie de développement’ mais ‘en voie de destruction’ », rapport de René Dumont et Charlotte Paquet, PNUD, janvier avril 1984. René Dumont est le précurseur de l’écologie politique et était « persona non grata » en Afrique tropicale francophone, pour ses livres très critiques sur le développement en Afrique.

    [2] Extrait d'une interview dans le film Fratricide au Burkina, Sankara et la Françafrique de Thuy-Tiên Ho et Didier Mauro, production ICTV Solférino, France, 2007.

    [3] Voir l’annexe de Biographie de Thomas Sankara, la patrie ou la mort de Bruno Jaffré, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 333.

    [4] Discours prononcé devant 1ère conférence nationale des CDR le 4 avril 1986.

    [5] Idem.

    Graf Sankara



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  • Dans la grande controverse qui traverse à notre époque, au niveau international, les organisations révolutionnaires basées sur le marxisme-léninisme-maoïsme, les chefs de file de la ligne ultra-gauchiste dogmato-sectaire, à savoir le PCMLM/Voie-Lactée, se sont encore fendus d’un ‘pamphlet’, sous la forme d’un éditorial de leur site, à l’encontre des ‘nouveaux révisionnistes’ que sont selon eux les signataires maoïstes de cette Déclaration du 1er Mai 2012, parmi lesquels Servir le Peuple.

    Cela devient fastidieux, pour ne pas dire fatiguant, mais il faut pourtant 's’y coller', il faut répondre : car cette controverse traverse, on l’a dit, le MOUVEMENT INTERNATIONAL MAOÏSTE, autrement dit, le NOYAU DUR autour duquel peut et doit s’agréger et se reconstituer un vaste mouvement révolutionnaire mondial, pour la révolution prolétarienne. Cela n’a donc rien à voir avec une 'obsession' mais, au contraire, tout à voir avec un débat idéologique, de conception du monde, CAPITAL pour la nouvelle vague de la Révolution prolétarienne mondiale qui se lève partout dans le monde.

    Et puis, ne nous en cachons pas… c’est tout de même amusant  (quand autant d’auto-assurance rime avec autant d’affirmations erronées, approximatives, ou en tout cas, portant sur des questions toujours en débat dans le MCI et nullement tranchées).

    Passons rapidement sur les éternels et répétitifs épithètes de 'populistes' ou de 'syndicalistes révolutionnaires' : ils signifient tout simplement, dans leur novlangue pseudo-léniniste, le lien avec les masses, le lien avec le mouvement réel de la lutte de classe, dont ce groupuscule internétique est totalement dépourvu.

    Selon nos pseudos ‘’intellectuels organiques’’ autoproclamés ‘’Parti de la science MLM’’ (en réalité, banals intellectuels petits-bourgeois, rejetons du plus pur pédantisme universitaire francouille), les organisations de la ‘’ligne rouge’’ ‘’maintiendraient le cap’’ selon lequel "le marxisme-léninisme-maoïsme est une science, toute puissante, produite par l'époque de la Nouvelle Grande Vague de la Révolution Mondiale" ; tandis que les ‘’nouveaux révisionnistes’’ rejetteraient cela. Pour ces derniers, le MLM serait "des méthodes décisives, une approche plus efficace", non pas "des principes mais une source d'inspiration, la plus créative qui soit". Il faudrait alors nous expliquer , quand, comment a-t-il été affirmé une telle chose par les ‘’nouveaux révisionnistes’’ que nous sommes. En tout cas, pas sur Servir le Peuple. SLP a toujours affirmé clairement que "le marxisme révolutionnaire est la SCIENCE qui permet de conduire la lutte du prolétariat organisé à la victoire", et que "le marxisme-léninisme-maoïsme est le marxisme révolutionnaire de notre époque", l’époque postérieure à la première vague de la Révolution prolétarienne mondiale (de 1905 à 1980 environ), époque de bilan et de synthèse de cette première vague.

    Ce qui a, par contre, également et toujours été dit, c’est que le marxisme révolutionnaire est une science JEUNE, n’émergeant qu’au milieu du 19e siècle, il y a un peu plus de 160 ans, ce qui est très peu à l’échelle de l’humanité ; et qu’elle ne peut encore prétendre saisir, ni comprendre, ni encore moins résoudre, à la seule lumière de ces 160 petites années d’expérience et sans esprit créatif, toutes les situations et toutes les problématiques rencontrées par le développement historique des sociétés humaines, en tout lieu de la planète, et encore moins tout le fonctionnement général de la nature et de l’univers. Le maoïsme (qui n’est pas, lui-même, l’œuvre de Mao seul, son nom servant simplement de repère historique) en est l’étape actuelle, ‘’l’encyclopédie’’ la plus complète à ce jour. Si l’on rejette les apports théoriques de Mao, et des maoïstes de son époque et postérieurs, l’on se heurte très vite, dans la pratique militante comme – éventuellement – dans l’exercice de la direction d’un processus révolutionnaire, à des LIMITES de conception du monde, qui conduisent immanquablement à Engelsl’échec. Mais le maoïsme n’est sans doute pas, lui-même, l’étape la plus aboutie, finale et définitive de la science marxiste ; il n’a pas ‘’réponse à tout’’ et il est sans doute appelé, un jour, à être à son tour dépassé. Il est probable, à vrai dire, que la science marxiste ne sera à peu près complète… qu’au seuil du communisme, lorsque s’achèvera, selon les mots de Marx, la ‘’préhistoire de l’humanité’’ : son développement aura accompagné dialectiquement le processus historique vers cette nouvelle ère de la civilisation humaine, et elle deviendra alors obsolète, inutile dès lors que celle-ci sera atteinte. Ainsi que le disait Engels, dans l’Anti-Dühring en 1878 (c'est-à-dire hier, à l’échelle de l’humanité), ‘’nous sommes encore plutôt au début de l'histoire de l'humanité et les générations qui nous corrigeront doivent être bien plus nombreuses que celles dont nous sommes en cas de corriger la connaissance, - assez souvent avec bien du mépris’’. La première qualité d’un communiste, ‘’armé’’ de sa science marxiste, c’est donc l’humilité, la modestie ; et la première marque de cette modestie, pour qui se prétend ‘’avant-garde’’, ‘’cadre’’ de la révolution à venir, c’est le lien permanent, dialectique, avec les masses populaires et leur mouvement réel de lutte de classe, de résistance à l’oppression imposée par le capitalisme. Rien n’empêche alors d’être ‘’créatif’’, dans les méthodes de travail révolutionnaire, dans les tactiques employées, dans l’approche des diverses problématiques rencontrées (analyse concrète de la situation concrète), et même dans la pensée (l’analyse marxiste de la réalité sociale qui nous entoure, dans – et bien souvent CONTRE – laquelle nous luttons) ; du moment que la PRATIQUE est seule juge de cette ‘’créativité’’, et que son jugement est sans appel. Ainsi, au Népal, on peut effectivement considérer qu’à partir du moment où Prachanda s’est retrouvé propulsé à la tête de l’exécutif (2008-2009), puis éjecté de celle-ci et ‘’incapable’’ de lancer le soulèvement général promis, il n’y avait plus débat et que sa ‘’créative Voie Prachanda’’ vers la ‘’démocratie du 21e siècle’’ était totalement et définitivement condamnée par la réalité des faits (et, de fait, démasquée comme néo-bourgeoise).

    nepalL’assertion selon laquelle le "nouveau révisionnisme" "ne connaît pas le matérialisme dialectique et n'en maîtrise pas les concepts" a, de même, de quoi faire éclater de rire : nos ‘philosophes-astronautes’, semi-intellectuels de Monoprix, voudraient nous faire croire que des gens qui militent dans le mouvement communiste depuis des dizaines d’années (qu’il s’agisse des camarades du PCmF, du PCmI, de l’OCML-VP, du PCR-Canada etc.) ne maîtrisent pas les bases élémentaires du marxisme… Alors qu’eux-mêmes ignorent superbement la dialectique, concernant par exemple le Népal où ‘’tout serait fini’’, comme si la fin d’un cycle, un ‘creux de la vague’ de la lutte révolutionnaire de classe dans un pays donné, n’appelait pas (sans l’ombre d’un doute) à ce qu’une nouvelle vague se lève (comme dans le mouvement communiste en général, après le ‘creux de la vague’ des années 1980-90), à ce que dans le Parti – devenu révisionniste – de Prachanda et Bhattarai, des éléments révolutionnaires, une ‘gauche’, se mobilise, s’organise et finalement rompe avec la social-trahison (ce qui est désormais chose faite) ; selon le principe élémentaire que ‘’un se divise en deux’’, et notamment les organisations politiques du prolétariat, dans lesquelles il y a toujours une gauche (révolutionnaire, pour avancer vers le communisme), une droite (pour ‘en rester là’, se contenter de réformes de l’organisation sociale) et un centre (pour tergiverser, hésiter, vouloir ‘mettre tout le monde d’accord’, et qu’il s’agit de rallier à la gauche ou au moins, de neutraliser). Et à ce qu'une telle lutte de lignes apparaisse et se développe immédiatement dans le nouveau Parti, où tout n'est pas réglé, comme par exemple la question de reprendre les armes, la question du rapport (purement tactique ou opportuniste et faisant litière des principes) à l'impérialisme chinois contre l'Inde, etc. En ce qui le concerne, SLP a abordé la question du matérialisme dialectique notamment ici et ici.

    Poursuivant sur les organisations de la soi-disant ‘’ligne rouge’’, nos donneurs de leçons affirment qu’"elles considèrent que l'époque produit des pensées dans des situations concrètes, la synthèse du MLM dans un pays donné". Qu’est-ce qu’une pensée ? Cela, le PCMLM l’explique assez bien dans de nombreux documents (comme celui-ci) : une pensée consiste en l’analyse et la synthèse, à la lumière de la science marxiste, de la société dans un État bourgeois donné, des classes et des mécanismes de domination en présence, de l’organisation sociale – qu’il  s’agit de renverser – et de l’idéologie, de la culture qui la soutient ; ceci débouchant sur "une synthèse révolutionnaire qui consiste dans le programme révolutionnaire et les méthodes pour le réaliser’’, "résultat de l'application de la vérité universelle de l'idéologie du prolétariat international aux conditions concrètes de chaque révolution’’ (dans chaque État bourgeois comme cadre gramscigéographique d’action). Et cela est parfaitement juste. Mais s’agit-il, pour autant, d’un ‘’talisman’’, d’une ‘’formule magique’’ ? En Italie, le (n)PCI a produit une telle pensée, analysant et synthétisant l’histoire et les problématiques structurelles du pays, en s’appuyant lui-même sur les travaux de Gramsci, des brigadistes rouges et autres révolutionnaires communistes des années 1970, etc. : il s’agit du Chapitre II de leur Manifeste Programme, un document d’une grande valeur pour qui veut comprendre ce grand pays voisin du nôtre. Mais cela n’empêche pas que, sur le programme révolutionnaire de cette organisation et les ‘’méthodes pour le réaliser’’, SLP ait de nombreuses et sérieuses réserves et, logiquement, le PCMLM devrait en avoir encore plus ; puisque le (n)PCI prône la participation aux élections, un forte implication dans le mouvement syndicaliste ‘’radical’’, etc. L’ancien PCI, et le mouvement communiste italien en général, basés sur la pensée de Gramsci, ont eux-mêmes connus de nombreux revers et échecs ; le PCI a fini sa trajectoire dans le pire révisionnisme et de nombreux autres groupes, ayant émergé contre ce révisionnisme dans les années 1960-70, ont fini de même par la suite. La ‘’pensée’’, entendue comme l’analyse marxiste et la synthèse de l’histoire, de l’organisation sociale, de l’idéologie et de la culture d’un cadre géographique donné (État bourgeois, continent ou région d’un continent, nation sans État etc.), est donc un préalable absolument nécessaire à l’établissement d’un programme révolutionnaire et des méthodes, du plan général du travail au service de celui-ci… mais absolument non-suffisant pour garantir la justesse de ce programme et de ce PGT ! Encore une fois, la modestie - et l'épreuve des faits - s’impose.

    occitania rojaEt ici, en Hexagone, qui a produit un début d’analyse concrète et systématique de la manière dont s’est construite la ‘’France’’ (terme qui désignait, il y a 1000 ans, la seule Seine-Saint-Denis actuelle...), comme appareil politico-militaire et idéologique au service d’abord de la monarchie capétienne (‘’stade suprême’’ de la féodalité, 13e-18e siècles), puis de la bourgeoisie qui a ‘’fait son nid’’ au sein de celle-ci, avant de la renverser en 1789 ? Le PCMLM ? Non : SERVIR LE PEUPLE, dans des articles tels que ‘’La Question nationale au 21e siècle’’ (voir notamment l’annexe à la fin) ou ‘’Considérations diverses : Un gros pavé sur la question nationale’’ (voir en particulier le point 3). Le PCMLM, lui, ne produit que des cours magistraux d’histoire artistico-culturelle des classes dominantes, depuis l’âge roman (des 10e-12e siècles), au sein duquel il oublie complètement l’Occitanie, ‘’Andalousie du Nord’’ de l’époque, jusqu’aux romantiques (fils et filles de grands bourgeois et d’aristocrates déchus) du 19e siècle. Il célèbre ‘’l’humanisme’’ bourgeois des 16e-17e-18e siècles pour son caractère progressiste à l’époque, en ignorant complètement tout l’aspect antipopulaire du cadre politique (la monarchie absolue, la "première vague" de colonisation outre-mer etc.) dans lequel celui-ci prospérait, et du capitalisme en accumulation primitive qui le sous-tendait…

    Toutes ces question et ces problématiques ‘’fondent’’ pourtant la société ‘’française’’ d’aujourd’hui, dans laquelle vivent et luttent les communistes. 

    Quant à l’éclectisme, nous assumons totalement cette attaque, et ce depuis bien longtemps. ‘’L’éclectisme’’, cela signifie tout simplement que OUI, nous sommes au tout début d’une nouvelle vague de la Révolution prolétarienne mondiale (on peut considérer que la Guerre populaire au Pérou aura été la ‘’porte’’ en la première vague et la nouvelle), dont nous sommes convaincus qu’avant la fin de ce siècle elle balaiera l’ordre capitaliste et impérialiste mondial ; et que OUI, nous en sommes à l’heure du BILAN et de la SYNTHÈSE de l’expérience de TOUT le mouvement communiste international au cours du siècle dernier ; et, non seulement nous en sommes à cette étape, mais celle-ci est INDISPENSABLE pour assurer les victoires de demain. Et ce bilan-synthèse doit passer au crible tout, absolument TOUT ce qui, au 20e siècle, s’est réclamé du mouvement révolutionnaire du prolétariat pour le communisme.

    S’il n’y a, aujourd’hui dans le monde, AUCUN pays engagé sur la voie du socialisme et du communisme (pas même Cuba, et encore moins la Corée du Nord, le Vietnam, la Chine ou le Laos, sur lesquels nous laisserons se pignoler les révisionnistes de tout poil), c’est bien que RIEN, dans le sillage de Lénine, Staline et Mao (tous les Partis communistes ayant pris le pouvoir, au siècle dernier, étaient dans ce sillage-là ; sans oublier les grandes expériences comme la Guerre populaire au Pérou, en Turquie, aux Philippines, en Inde et au Bangladesh dès 1967, les luttes armées en Amérique latine et en Afrique, etc.), n’était à 100% parfait et exempt de critiques. Et, a contrario, l’on peut dire que RIEN de ce qui n’a pas été léniniste, staliniste et/ou maoïste n’a été à 100% mauvais, contre-révolutionnaire, ennemi du peuple, à rejeter ou à brûler sans autre forme de procès… Servir le stalinePeuple a toujours défendu la position que Staline n’était pas le démon, le ‘’fossoyeur de la Révolution russe’’, le ‘’fasciste rouge’’ que dépeignent (de concert avec la bourgeoisie) les trotskystes, les anarchistes, les ‘’marxistes libertaires’’ et autres ‘’socialistes révolutionnaires’’ anti-léninistes ou tout au moins anti-staliniens ; que le personnage, ses partisans et leur bilan à la tête de l’URSS et du mouvement communiste international étaient beaucoup plus complexes que cela, et ne se résumaient pas à un long ‘’Livre noir’’. Que l’époque (entre-deux-guerres et Seconde Guerre mondiale) n’était pas à la franche rigolade, et qu’il faut savoir replacer les choses dans leur contexte. Que si critique de Staline (et de la direction ‘’stalinienne’’ du PCbUS et du MCI entre 1925 et 1953) il doit y avoir, elle se doit au moins d’être matérialiste et scientifique. Mais, d’un autre côté, Trotsky, les personnalités et les groupes dans son sillage (avec lesquels celui-ci, on le sait, entretenait des relations en dents de scie...), et globalement tou-te-s ceux et celles qui se sont opposé-e-s ou ont critiqué la direction ‘’stalinienne’’ de l’URSS et du Komintern dans les années 1920-50, et dont beaucoup auront été liquidé-e-s, notamment dans la seconde moitié des années 1930 (en URSS, en Espagne, etc.) et encore après-guerre (en URSS et en Europe de l’Est), ne peuvent se résumer à des hérétiques à brûler sur le bûcher, ou à des ‘’hyènes’’ contre-révolutionnaires, serviteurs de l’impérialisme et du fascisme, à abattre d’une balle dans la nuque.

    Si, à partir des années 1950, tous les communistes conséquents sont plus ou moins d’accord sur le caractère (à tout le moins) non-révolutionnaire de l’URSS et des forces affiliées (ce qui ne veut pas dire, selon SLP, qu’il n’ait pu y avoir ponctuellement des choses positives) ; les personnes et les groupes (trotskystes ou ‘’trotskysants’’, libertaires, ‘’conseillistes’’ ou bordiguistes, ‘’marxistes’’ ou ‘’socialistes révolutionnaires’’ de type POUM, PSOP, rosméristes-monattistes, etc.) qui, avant cette époque, ont pu ‘’interroger’’ ou critiquer, parfois durement, la praxis de la direction soviétique et kominternienne, ne méritent pas qu’un haussement d’épaule ou des crachats au visage. Ils ont très bien pu mettre le doigt sur des problématiques, des limites bien réelles de la conception marxiste-léniniste du monde, du Parti, de l'État révolutionnaire, de la Révolution mondiale défendue par Staline et ses partisans (quand bien même leurs réponses à ces problématiques et à ces limites ont été, ensuite, globalement erronées et finalement liquidatrices). Car le révisionnisme n’est pas tombé du ciel le 5 mars 1953, jour de la mort du GenSek. Il s’est certes révélé très rapidement au grand jour après cette date, surgissant du cœur même de l’appareil d'État et du Parti (on peut même penser que, si Beria l’avait emporté au lieu d’être renversé et exécuté par Khrouchtchev, la liquidation aurait été encore plus rapide) ; mais il avait forcément ses racines dans le système antérieur, dans ses limites et ses dysfonctionnements.

    Mao lui-même, en plein feu de la lutte (ultra-prioritaire) contre le khrouchtchévisme, s’est permis en 1963 de faire un bilan critique raisonné, mais sans concession de la direction de Staline à la tête de l’URSS et du MCI. Lorsque nos ‘’érudits’’ assènent que ‘’en Europe et en Amérique du Nord, le nouveau révisionnisme rejette Staline’’, ils montrent bien où se situe leur ligne de démarcation : Staline, et non Mao. Ils ignorent totalement le dépassement qualitatif, ‘’par la gauche’’, que représente le maoïsme par rapport au marxisme-léninisme appliqué par Staline, la direction du PCbUS et du Komintern entre les années 1920 et 1950. Ils ignorent la critique maoïste de Staline, critique qui a même pu être reprise par des groupes marxistes-léninistes conséquents qui n’étaient pas à proprement parler maoïstes, comme les Cellules Communistes Combattantes (CCC) de Belgique (La Flèche et la Cible - p. 101). Il n’y a pas, du coup, beaucoup à s’étonner de les voir rejoindre les positions des pires révisionnistes thorézo-brejnéviens ou hoxhistes sur, par exemple, les mouvements populaires arabes en cours. Dire que, si ces mouvements échappent à toute direction marxiste-léniniste ou maoïste, et même ‘’communiste’’ au sens large, c’est qu’ils sont ‘’totalement pilotés par l’impérialisme’’, est bien un exemple typique de lecture ‘’stalinienne’’ du mouvement réel de l’histoire.

    De plus, cette fascination acharnée et totalement acritique pour le Secrétaire général Staline éveille de sérieux soupçons de visées néo-bourgeoises chez nos super-ultra-révolutionnaires-prolétariens-de-la-galaxie. Font-ils réellement la révolution pour servir le peuple, émanciper le prolétariat et les classes populaires des chaînes du capitalisme et les mener vers le communisme ? Ou alors, leur insistance obsessionnelle à se poser en ‘’cadres’’ de la révolution, en ‘’Parti’’ qui ‘’dirige les masses’’ et sans lequel ‘’il n’y a rien’’, cache-t-elle une aspiration à rester, lorsque la situation révolutionnaire, l’explosion populaire générale surviendra, sur le haut du panier ?

    autonomia operaiaDe la même manière, l’assertion comme quoi "le nouveau révisionnisme nie complètement l'expérience de la lutte armée des années 1960-1990 à laquelle il ne connaît strictement rien" est tout simplement grotesque, lorsque l’on sait que parmi les esprits sensés qui ont quitté le navire ‘’pcmlm’’ à temps, il y a par exemple Libération Irlande (ceux qui, dixit, ‘’fantasment sur l’Irlande du Nord’’), qui a une excellente connaissance de la lutte de libération irlandaise et notamment de ses éléments révolutionnaires marxistes, ou encore l’Action antifasciste de Bordeaux qui avait publié cet excellent document de Lotta Continua (pas une organisation armée à proprement parler, mais de lutte prolétarienne ‘’musclée’’ et dont beaucoup d’éléments ont rejoint ensuite - après sa dissolution en 1976 - les Brigades rouges ou - surtout - Prima Linea) ; qu’il y a autour de Servir le Peuple des personnes connaissant parfaitement la lutte de libération nationale basque (notamment son ‘’apogée’’ de 1975-85), la lutte armée révolutionnaire italienne des années 1970, l’expérience des Cellules Communistes Combattantes de Belgique ou la résistance populaire révolutionnaire libanaise des années 1975-83 ; au PCmF d’anciens membres de la Gauche prolétarienne qui pratiquait également un militantisme ‘’musclé’’, dans le ‘’Kasama Project’’ (autres ‘’nouveaux révisionnistes’’ caractérisés) d’anciens Black Panthers ou Brown Berets, etc. Et où, quand a-t-on vu le 'p''c''mlm' dans les initiatives de solidarité avec Georges Ibrahim Abdallah, combattant communiste révolutionnaire de la résistance arabe et plus ancien prisonnier politique d'Hexagone, enfermé depuis 1984 ? Jamais, nulle part, pas même sur leur site. Cette cause ne les intéresse tout simplement pas... La seule lutte armée dont le ‘p’’c’’mlm’ puisse revendiquer une connaissance pointue, c’est la lutte armée allemande des années 1970-80, qui n’était pas un ‘’sommet’’ en matière idéologique et stratégique (il s’agissait essentiellement de ‘’solidarité internationaliste armée’’, considérant que le prolétariat de RFA n’était pas ‘’mûr’’ pour la révolution). 

    Nous passerons brièvement sur deux dernières énormités :

    - "Le nouveau révisionnisme, en Amérique latine, n'hésite pas à trouver quelque chose de positif dans les contradictions propres aux régimes fascistes, niant que seule la Guerre Populaire est le chemin valable" : nous aimerions bien savoir qui, où et quand aurait "nié" que la Guerre populaire est la seule voie de la révolution prolétarienne, non seulement en Amérique latine, mais universellement. Le PCMLM ferait-il allusion à ses amis de l'UOC-mlm de Colombie, qui prônent quant à eux la "révolution socialiste" (dans un pays archi-dominé et pétri d'oligarchisme et de semi-féodalité) par la "Grève Chavez Santospolitique de masse" ? Possible, mais néanmoins peu probable ; on imagine mal nos super-révolutionnaires-prolétariens signer des déclarations de 1er Mai avec des "nouveaux révisionnistes"... Trêve de plaisanterie, PERSONNE (parmi les incriminés, c'est-à-dire globalement les signataires du 1er Mai ici) n'a jamais affirmé une chose pareille. MAIS la Guerre populaire, guidée par son Parti révolutionnaire du prolétariat, sa "pensée" et son plan général de travail, se déroule au sein d'une RÉALITÉ et doit tenir compte de celle-ci. En Amérique latine, les "régimes fascistes", c'est-à-dire (traduction) les gouvernements RÉFORMISTES de type Chavez, Morales (radicaux, nationalistes et social-populistes) ou époux Kirchner, Lula/Roussef, Mujica (plus modérés, sociaux-démocrates/sociaux-libéraux), "concessions" et "replis tactiques" de l'oligarchie face aux mouvements sociaux de masse (qui ont conduit certains pays à l'ingouvernabilité : Bolivie, Équateur, Argentine) ; et leur emprise sur les masses populaires exploitées, de par la faiblesse du mouvement communiste suite à la guerre d'extermination menée contre lui, depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux années 1990 (Pérou) ; font partie de cette réalité. Les contradictions qui traversent ces régimes (dont Servir le Peuple n'a JAMAIS manqué de dénoncer les social-trahisons), les opposent aux masses ou opposent la base aux dirigeants, comme le montre par exemple cette déclaration sur la "milice bolivarienne" du Courant révolutionnaire Bolivar et Zamora, datant d'un petit moment déjà, ou encore la levée de bouclier face à l'arrestation et l'extradition, par la police de Chavez, de militants colombiens (des FARC, de l'ELN ou de la solidarité avec ces guérillas), ou les différends qui opposent, en Équateur, les puissantes organisations indigènes au gouvernement Correa, en font également partie. Si les maoïstes latino-américains ne veulent pas, pour arracher au réformisme bourgeois (et au révisionnisme qui le soutient) de nombreux secteurs avancés des masses populaires ouvrières et paysannes, reconnaître et mettre à profit ces contradictions, c'est - selon SLP - une grave erreur. De même, la caractérisation de ces gouvernements réformistes bourgeois comme "fascistes" relève, dimitrovselon nous, de ce que Dimitrov dénonce comme du "schématisme" dans la caractérisation du fascisme, un schématisme qui "désoriente la classe ouvrière dans la lutte contre son pire ennemi" (qui en Amérique latine, on le sait, est le régime militaire de type Pinochet ou dictatures argentines, semi-militaire semi-civil comme en Uruguay dans les années 1970-80 ou actuellement au Honduras, ou civil ultra-réactionnaire à la Fujimori au Pérou ou Uribe en Colombie ; régimes avec leurs cortèges de paramilitaires fascistes et d'"escadrons de la mort", de centres de tortures secrets et d'opposants enterrés on-ne-sait-où ou jetés à la mer, etc.).

    [PS : le dernier communiqué du PC d'Équateur - Comité de reconstruction, sur les dernières élections vénézuéliennes, est un exemple-type de cette caractérisation erronée et, de surcroît, d'une confusion totale : on n’y comprend absolument plus rien ! Chavez est-il un fasciste, que le PCE-CR va jusqu'à comparer à Hitler et Mussolini ; ou est-il un réformiste comme le laisse entendre "il convient de rappeler les sages paroles de Lénine: 'Le réformisme est un moyen que la bourgeoisie a de tromper les ouvriers'", "faire face au révisionnisme qui tente d'attirer les masses à vivre l'illusion du réformisme", ou encore "s'applique une façade « révolutionnaire » dans le discours et la propagande, accompagnée de quelques réformes, précisément pour freiner un véritable déclenchement révolutionnaire des masses pauvres" et "Les réformes et les miettes que le gouvernement Chavez donne aux masses ne sont qu'un mirage momentané et passager : l'histoire des régimes similaires (..) démontre comment ces gouvernements Relatives-of-victims-of-General-Augusto-Pinochets-military-servent exclusivement à contenir les masses" [souligné par SLP], ce qui est la définition marxiste du réformisme ; et non du fascisme, qui est "la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier" (Dimitrov), ou des éléments liés à eux dans les pays semi-colonisés : autrement dit, l’écrasement pur et simple, policier, militaire et paramilitaire de toute force ouvrière et paysanne organisée, révolutionnaire ou même simplement réformiste/progressiste ‘sincère’ ; et non le simple fait de vouloir ‘canaliser’ les ‘énergies’ populaires, par des concessions de ‘miettes’ et des organisations de masse réformistes, comme hier, en France, l’Union de la Gauche PS-PC-CGT-FO, ou le SPD et les syndicats géants en Allemagne, le Labour et les trade-unions en Grande-Bretagne, etc. D’autre part, concernant l’affirmation selon laquelle ‘’Il n'y a pas l'ombre d'un pouvoir populaire au Venezuela’’ et ‘’tout le monde peut s'organiser, mais sous les ordres de Chavez’’, c’est certes le ‘job’ des Chavez et autres Morales, Correa, Kirchner ou Ortega, vis-à-vis de l’oligarchie, que de ‘canaliser’ les résistances et les revendications populaires autour de leurs personnes ‘charismatiques’, mais le ‘mouvement social’ préexistait à leur émergence sur la scène politique et les FAITS (trop nombreux pour les énumérer ici) suffisent à démontrer que la situation est beaucoup plus complexe.]

    - "En Asie, cela s'exprime par la tendance au réformisme armé, qui date des années 1960 déjà"... nous y sommes, la messe est dite, l'allusion est on-ne-peut plus claire : la Guerre populaire en Inde (qui "s'acharne", voyez-vous, à reconnaître les "nouveaux révisionnistes" comme ses camarades internationalistes à l'étranger) est du "réformisme armé". Servir le Peuple appelle toute les organisations maoïstes à travers le monde, qui liraient ces lignes, à se prononcer sur une telle affirmation. Quelles que soient les critiques (franches, entre camarades) que l'on puisse adresser à la conduite de la Guerre populaire en Inde par le PC maoïste, les auteurs d'une telle attaque destructive devront l'assumer devant l'histoire.


    maoist naxal 20091026-e


    Pour conclure, nous ne disserterons pas sur le texte du Mouvement Populaire Pérou lui-même. C'est là une organisation d'une autre importance, avec une autre histoire que les trois guignols du "p""c""mlm". Il affirme que le PCP possède toujours un Comité central, donc une direction centralisée, ce que nous sommes ravis d'apprendre. Il est toutefois permis de regarder la situation du mouvement maoïstes péruvien avec une certaine circonspection, nonobstant le respect dû à ceux qui se battent les armes à la main contre un État oligarchique toujours aussi féroce et impitoyable ; et de trouver que le "détour" évoqué par le président Gonzalo dans son dernier discours, après son arrestation et son exposition dans une cage, a tendance à se prolonger sans que l'on en voie l'issue, en l'absence d'un maoist paintingsérieux bilan et synthèse de l'expérience de la Guerre populaire entre 1980 et 1993. Et de regretter, également, le positionnement sectaire d'attaque destructive dans lequel s'enferme, depuis de nombreuses années déjà, le MPP ; en affirmant par exemple qu'il n'y a pas de Guerre populaire en Inde (mais une simple "lutte armée") car il n'y aurait pas de "pensée", comme si Mazumdar, et après lui des théoriciens tels que Azad ou Kishenji, cela n'existait pas (même si leurs travaux n'ont, sans doute, jamais été définis comme "pensée"... mais pas plus que ceux de Gramsci, de Siraj Sikder au Bangladesh, d'Alfred Klahr en Autriche ou d'Ulrike Meinhof en Allemagne, que met pourtant en avant le PCMLM ; ni même ceux de Lénine - on n'a jamais parlé de "pensée Lénine", etc.). Un sectarisme et une attitude pédante et destructive qui en revanche, cela va de soi, a tout pour ravir les "érudits" du "p""c""mlm"... 

    Erratum de notre part : de fait, il est apparu clairement au détour de 2011-2012 que le MPP était bien le représentant d'une ligne ultra-gauchiste réactionnaire, dont il reste à présent à évaluer l'impact exact sur le mouvement MLM international, y compris parmi les organisations qui l'ont en apparence désormais rejetée...

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/histoires-avec-le-mouvement-populaire-perou-et-tout-ca-que-s-est-il-re-a158454834


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    1. C’en est donc fait : dans sa campagne interne contre François Fillon (le représentant de la droite post-gaulliste ‘’humaniste et sociale’’, ‘’modérée’’, bref la droite ‘’Chirac’’ des années 1990-2000), Jean-François Copé a rendu public son Manifeste pour une droite décomplexée. Il y aborde notamment la thématique du "racisme anti-blancs", sur laquelle nous nous étions déjà exprimés voici bientôt deux ans. SLP avait déjà pressenti, depuis un bon moment, que Copé serait le nouveau Sarkozy, celui qui prendrait le relais du ‘’à droite toute’’, de la crispation réactionnaire de la bourgeoisie imposée par la crise générale économique, politique, sociale et culturelle dans laquelle nous vivons depuis maintenant 40 ans : pousser la réaction ultra, le semi-fascisme au maximum en évitant le fascisme pur et simple – c'est-à-dire, l’arrivée au pouvoir du Front national. ‘’Éviter’’ étant un bien grand mot ; repousser l’échéance étant plus approprié. Car ce faisant, "l'accumulation quantitative de réaction" par la droite "décomplexée", tout en étant toujours en retard d'une longueur sur les nécessités de restructuration et de "reprise en main" que la crise générale pose devant la bourgeoisie, ne fait que creuser le lit de la déferlante fasciste qui gronde derrière elle (plus fort que jamais depuis les dernières élections).

    CopéSarkozy et Copé partagent un profil fortement similaire : milieu aisé de la banlieue ouest de Paris, proches des milieux d’affaire (comme avocats, Copé ayant un parcours plus complexe, passant notamment par l’ENA), esprit de ‘’gagnants’’, reagano-thatchériens à la française… Des réactionnaires ultras, ‘’décomplexés’’, mais refusant d’assumer le fascisme comme forme de gouvernement et d’organisation sociale.

    Pour Jean-François Copé, le ‘’frein’’ à cela est évident : son grand-père, Marcu Hirs Copelovici, était juif et a quitté la Roumanie en 1926 devant les persécutions antisémites de ce pays ; en 1943, la famille échappa de justesse à la rafle d’Aubusson… Il ne peut donc assumer le programme ‘’pur et simple’’ de l’extrême-droite, même celle qui dans ses préoccupations relèguerait le ‘’mondialo-sionisme’’ loin derrière la résistance à ‘’l’invasion islamique’’ ; et encore moins ses références. La même barrière se posait, sans doute, devant Nicolas Sarkozy. 

    11666 bigMais, depuis l’élection présidentielle et la défaite de l’UMP à celle-ci, Copé est tombé dans les griffes du même homme qui a tenté de faire de Sarkozy un semi-fasciste : le ‘’conseiller de l’ombre’’ des campagnes 2007 et 2012, le très maurassien Patrick Buisson, partisan de la ‘’convergence de toutes les droites’’ (y compris le FN), et d’une droite réactionnaire bourgeoise au discours ‘’clivant’’ face à la gauche (ou au ‘’centrisme mou’’ de la tradition rad’soc’ à la française)…

    Le ‘’cerveau’’ de la ‘’droite décomplexée’’ qui a conduit Sarkozy à l’Élysée en 2007, c’est lui : ne pas établir un ‘’cordon sanitaire’’ idéologique autour du Front national, mais au contraire chasser sur ses terres, en faisant valoir que son programme est juste mais que le FN n’est simplement pas le mieux habilité à le mettre en œuvre. 

    Il n’y a là nulle ‘’contradiction’’ entre deux bourgeoisies (‘’traditionnelle’’ et ‘’financière’’ ou ‘’impérialiste’’), mais simplement entre deux branches de la tradition réactionnaire hexagonale (et de la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie), ‘’remises au goût du jour’’ et susceptibles, si ce n’est déjà fait dans l’intention (le programme politique), de muter en fascisme, qui est moins une idéologie en tant que telle qu’une forme de gouvernement : l’abandon des ‘’formes’’ humanistes-libérales de la domination bourgeoise pour assumer des formes répressives terroristes, militaristes génocidaires etc., dans la mobilisation des masses populaires au service de ces plans de la frange la plus agressive de la bourgeoisie monopoliste.

    Si l’on laisse de côté les courants marginaux ultra-atlantistes, ‘’néo-conservateurs bleu-blanc-rouge’’ à la Del Valle, ou ‘’eurasistes’’ à la Bouchet, qui veulent arrimer la France et l’Europe à une grande puissance impérialiste (USA ou Russie) en niant les contradictions d’intérêts qui existent obligatoirement entre elles ; ces deux principaux courants sont :

    - le courant maurasso-pétainiste, dont une frange ultra tend à s’unifier dans l’Union de la Droite nationale (dans laquelle la ‘’Troisième voie’’ de Serge Ayoub cherche, certainement, à jouer le rôle ‘’populaire et social’’ du PPF de Doriot), tandis qu’une frange plus "modérée" (De Villiers) gravite autour de l’UMP, des électrons libres comme Buisson se font ‘’conseillers du prince’’, d’autres éléments évoluent dans la mouvance identitaire, ou national-catholique autour du Renouveaumillet 130 français etc. ; c’est, schématiquement et de manière non-absolue, la ‘’droite radicale’’ des ‘’notables de province’’ (et de la ‘’vieille France’’ hantant les hôtels particuliers de l’ouest parisien). On peut aussi rattacher à ce courant l’éditeur-polémiste Richard Millet, national-catholique occidentaliste et anticommuniste viscéral, ‘’ancien combattant’’ aux côtés des Phalanges libanaises, très ‘’terroir’’ (corrézien en l’occurrence) et ‘’défense de la langue française’’ ; qui a récemment fait le ‘’buzz’’ avec son Eloge littéraire d’Anders Breivik.

    - le courant ‘’césariste’’, tradition courant du bonapartisme au gaullisme, avec ses ‘’hommes providentiels’’ ayant ‘’une certaine idée de la France’’, en ‘’lien direct’’ plébiscitaire avec le peuple des petits propriétaires (de moyens de production ou de patrimoine personnel) ; c’est plutôt la ‘’droite radicale’’ de la bourgeoisie des grandes métropoles, des classes urbaines aisées mais aussi des paysans propriétaires (dans la tradition bonapartiste). Si l’on laisse de côté les gaullistes ‘’humanistes et sociaux’’ à la Fillon – totalement dans le champ de la démocratie bourgeoise – on les trouve à l’UMP, principalement dans le courant ‘’Droite populaire’’, dans le camp ‘’souverainiste’’ autour de Dupont-Aignan ou Asselineau, et bien sûr dans le lepénisme (Jean-Marie et Marine Le Pen) dirigeant le Front national (même si beaucoup de maurasso-pétainistes s’y retrouvent aussi, de même – en version plus ‘’modérée’’ ou simplement pragmatique – qu’à l’UMP). Mais dans la dimension de masse, c’est aujourd’hui clairement le Rassemblement Bleu Marine, autour du FN de Marine Le Pen, avec des souverainistes gaullistes (Paul-Marie Coûteaux) voire ex-chevènementistes (Florian Philippot), qui assume cette posture ‘’tribunicienne’’ et ‘’populaire’’ auréolée de références au gaullisme, à la ‘’grandeur’’ des années 1960, avant que ‘’tout foute le camp’’ avec le libéral-européisme giscardien puis le ‘’socialo-communisme’’ mitterrandien. Un paradoxe, tout de même, pour un mouvement formé à sa naissance pour moitié de vétérans de ‘’l’Algérie française’’ et pour l’autre de nostalgiques du régime de Vichy. Mais c’est toute la modernité du fascisme que de savoir remiser ces références dépassées ; et aujourd’hui, les éléments pétainistes/OAS irréductibles ont globalement quitté le FN, pour se retrouver plutôt du côté de l’UDN.

    Entre ces courants, nulle frontière imperméable bien sûr, les deux partageant la défense des mêmes intérêts (ceux de l’impérialisme et du capitalisme français) sur une ligne ‘’dure’’, la même haine de la révolution et même du réformisme bourgeois, et la même détermination à écraser les masses populaires si nécessaire.

    Mais il y a bien deux courants, avec des conceptions de la (construction bourgeoise) France, du monde et des stratégies sensiblement différentes, et qui tendent à s’affronter.

    L’un est plutôt pragmatique, cherchant à infiltrer et influencer la droite de gouvernement (comme Buisson) ou à développer ‘’l’implantation locale’’ d’élus ou de ‘’groupes d’influence’’, l’autre cherche le lien ‘’tribunicien’’ avec ‘’le peuple’’ sur un discours ‘’social’’. L’un est plutôt républicain centraliste, l’autre plutôt attaché aux ‘’mille terroirs’’ et aux ‘’petites patries’’ dans la ‘’grande’’. L’un assume mieux les ‘’partenariats’’ avec les puissances du moment (hier l’Allemagne nazie, aujourd’hui le bloc anglo-saxon ou le ‘’partenariat’’ européen avec l’Allemagne etc.), l’autre est très ombrageux de la ‘’grandeur de la France’’, qui ne doit pas forcément toujours faire "cavalier seul", mais toujours être guidée par ses seuls intérêts. Globalement, le maurasso-pétainisme penche plutôt vers l’occidentalisme (sans être totalement ‘’atlantiste’’, aligné sur les Anglo-saxons, ce qui n’est pas la même chose) et le ‘’césarisme’’ plutôt vers la vieille antienne gaulliste ‘’de l’Atlantique à l’Oural’’.

    Ceci est ‘’l’abscisse’’, l’’’ordonnée’’ étant le degré de terrorisme réactionnaire assumé contre les masses populaires (ou la frange de celles-ci qu’ils n’auront pas réussi à rallier à leur cause). Sur ce point l’UMP et ses satellites (CPNT, MPF) sont simplement plus ‘’modérés’’ et le FN (tout en assumant un discours plus ‘’social’’, en apparence plus sensible aux ‘’petites gens’’) plus radical. Et c’est là, aussi, que le bât blesse pour la bourgeoisie la plus réactionnaire, au regard des exigences que la crise met à l’ordre du jour, en termes de trouble croissant à l’ordre social ; et bientôt peut-être, de reprise en main autoritaire de l’économie et de l’organisation sociale toute entière, et d’affrontement aigu avec les autres puissances impérialistes (et les ‘’émergents’’ etc.).

     Il va désormais de soi que, dans la crise TERMINALE du capitalisme où nous sommes plongés depuis 2008 (et qui n’a pas encore, en France, donné toute sa ‘’puissance’’), JAMAIS PLUS la droite réactionnaire ‘’classique’’ ne sera en position de force face à l’extrême-droite fasciste – FN et ses épigones. Soit elle devient l’applicatrice ‘’autorisée’’ de son programme (c’est-à-dire, dans les faits, fasciste elle-même) ; soit elle disparaît.

     

    2. Quelle est la différence entre cette droite bourgeoise ultra-réactionnaire, ‘’décomplexée’’, que prétend incarner Copé, et le fascisme ?

    La droite ‘’décomplexée’’ représente la frange de la grande bourgeoisie qui veut faire payer au prolétariat et aux masses populaires le prix de la crise générale du capitalisme, de la chute vertigineuse de son taux de profit – raison d’être de tout bourgeois capitaliste ayant investi un capital dans une activité productive.

    Pour faire simple, quitte à être trivial, elle veut ‘’tirer sur la corde’’… en espérant qu’elle ne casse pas. Elle est aidée, en cela, par le ‘’dialogue social’’ avec les bureaucraties syndicales jaunes, éventuellement par un tissu politicien local ‘’de gauche’’, qui puisera dans les fonds de tiroirs pour ‘’faire du social’’, essayer d’atténuer un peu les effets les plus durs des ‘’mesures’’ décomplexées pour les masses… Elle se moque de cette ‘’gauche’’ bourgeoise (la bourgeoisie qui craint pour sa peau et évite de trop provoquer la colère populaire), qui n’a ‘’pas le courage’’ de ‘’prendre les mesures urgentes qui s’imposent’’ ; mais dans le fond, elle peut s’estimer heureuse de la soupape de sécurité que celle-ci représente, pour enfermer les masses dans le réformisme et les détourner de la révolution, jusqu’à accéder pour ‘’un petit tour’’ aux affaires, comme Blum en 1936, Mitterrand en 1981 et Hollande cette année. Dans la ‘’démocratie’’ qui n’est que répartition harmonieuse des rôles dans la dictature du Capital, la social-démocratie joue toujours un rôle essentiel, celui de faire ‘’passer la pilule’’.

    Cette droite ‘’décomplexée’’ au pouvoir, en alternance occasionnelle avec une social-démocratie ultra-‘’molle’’ (purement gestionnaire, sans la moindre ‘’audace’’ réformiste), correspond à ce que le PC maoïste de France appelle le ‘’fascisme moderne’’ : ce que nous avons en France depuis la première cohabitation de 1986-88, voire depuis la présidence Giscard ; en Italie depuis l’avènement de la ‘’2e République’’ au début des années 1990 ; en Grande-Bretagne depuis Thatcher (1979), aux États-Unis depuis l’ère Reagan des années 1980, en Allemagne depuis l’ère Kohl (1982-96), etc. (on notera que dans ces pays impérialistes plus ‘’compétitifs’’, la ‘’gauche’’ bourgeoise gestionnaire, beaucoup plus molle encore que notre PS, peut revenir au pouvoir pour d’assez longues périodes).

    Le fascisme, lui… intervient lorsque ‘’la corde a cassé’’. Les effets de la crise et des ‘’mesures’’ prises pour redresser le taux de profit ont rendu les masses populaires quasi ingouvernables. Une situation révolutionnaire est à l’ordre du jour – éventuellement, la ‘’gauche’’ réformiste de la bourgeoisie a tenu les rênes du gouvernement pendant un certain temps : République espagnole, Front populaire en France, Allende au Chili, radicaux (1958-62) ou ‘’printemps camporiste’’ (Hector Campora, 1973) en Argentine, etc. La classe bourgeoise va alors se ranger aux conceptions de sa frange la plus ‘’ultra’’ (grossie, par la situation, d’éléments ‘’radicalisés’’), qui va mobiliser les masses dans une insurrection du capitalisme contre sa propre crise : une politique volontariste, ‘’révolutionnaire’’, contre les symptômes de la crise générale en phase terminale : le ‘’désordre’’ (situation révolutionnaire en développement, agitation révolutionnaire par des organisations prolétariennes ou même simplement explosions populaires spontanées), la ‘’spéculation’’ et la ‘’finance’’ (qui sont des symptômes de la surproduction absolue de capital), la misère galopante par des ‘’mesures sociales’’ qu’il va falloir (rapidement) financer (nous verrons comment…) et les tensions internationales, les contradictions entre puissances impérialistes ou avec d’autres ‘’forces’’ agissant dans l’arène mondiale, qui s’aiguisent comme des lames de rasoir ; et cela veut dire la mobilisation chauvine dans une perspective de guerre impérialiste. Actuellement, ceci apparaît très nettement dans le cas de la Grèce, pays que la crise générale a rendu ingouvernable par sa "classe" politique traditionnelle soumise à la "Troïka" Commission européenne-BCE-FMI et confrontée à une résistance populaire sans précédent dans l'histoire récente du pays (hélas, privée d'une direction révolutionnaire à la hauteur des enjeux) ; avec l'émergence de l'Aube Dorée, parti assumant ouvertement la référence au nazisme et aux régimes fascistes du siècle dernier, disposant de relais solides dans l'appareil d'État (police, armée, "justice", clergé orthodoxe religion d'État etc.) et prenant de plus en plus en charge la sécurité publique, l'assistance aux plus pauvres etc. tout en se livrant aux pogroms d'immigrants et bien sûr... à l'action paramilitaire ultra-violente contre les "gauchistes".

    img 161211Le fascisme va tendre à synthétiser (quitte à ce que le résultat soit un peu ‘’bric-à-brac’’) les grandes traditions réactionnaires du pays, tout en se plaçant résolument ‘’dans l’air du temps’’ de la société actuelle et à la hauteur des défis (pour le capitalisme national) du moment et de l’avenir : entre tradition et modernité, les ‘’pieds’’ solidement ancrés dans la tradition et le regard tourné vers l’avenir. Au sens strict, le fascisme n’est pas une idéologie bien définie, et s’embarrassant encore moins de cohérence ; c’est une FORME DE GOUVERNEMENT de la société capitaliste : 1°/ dictature terroriste réactionnaire OUVERTE (contre les révolutionnaires, toutes les forces progressistes et même la bourgeoisie ‘’antifasciste’’ – libérale, démocrate-bourgeoise, réformiste modérée façon PS, ‘’centriste’’ à la Bayrou, ‘’humaniste et sociale’’ comme un Borloo voire un Fillon) ; 2°/ MOBILISATION DE MASSE au service des plans de leurs exploiteurs : contre-révolution, restructuration de l’organisation productive et sociale capitaliste (contre la crise générale économique, politique, sociale et culturelle que traverse le mode de production), et guerre impérialiste tous azimuts comme sortie de crise obligée (pillage, destruction de forces productives chez les puissances rivales, et restructuration mondiale du système). La droite réactionnaire ‘’classique’’, même ULTRA-réactionnaire dans les valeurs qu’elle assume, n’assume pas (ou faiblement) cet aspect mobilisateur de masse ; ce qui la distingue du fascisme (alors qu’elle peut assumer une ‘’pression’’ répressive très forte sur les masses populaires, comme dans la France de la "tourmente algérienne" 1956-62 ou de Raymond Marcellin 1968-74, l'Italie de la fin des années 1970 etc. - pour citer des exemples "au bord du fascisme").

    L’’’énergie’’ dégagée par les contradictions, qui s’aiguisent dans la société, va être mobilisée et utilisée au service des intérêts et des plans du Grand Capital – en tout cas, de sa fraction la plus agressive et réactionnaire.

    Pour résumer, là encore de manière triviale, ‘’la corde a cassé’’, la colère des masses devient incontrôlable et le fascisme va la canaliser en lui proposant un exutoire : ‘’il faut aller casser la gueule’’ à quelqu’un…

     

    3. Déjà dans les années 1970, au tout début de la crise que nous traversons actuellement (et qui n’a fait, depuis 2008, que franchir un nouveau cap), avec les ‘’chocs pétroliers’’ de 1973 et 1979, le dessinateur petit-bourgeois Reiser résumait on ne peut mieux cela : il croquait des ‘’français moyens’’ pour lesquels ‘’il suffit d’aller casser la gueule aux Arabes’’. Comment ne pas voir – abstraction faite de l’auteur, petit-bourgeois ‘’libertaire’’ et anticommuniste farouche – le caractère annonciateur de cette caricature ?

    Il y a des personnes, dans la ‘’gauche radicale’’ petite-bourgeoise (PG, LO) mais aussi chez les ‘’révolutionnaires’’, même prétendument ‘’maoïstes’’, pour nier l’islamophobie (et d’autres, malheureusement, pour y répondre en essentialisant l’islam : l’islam serait attaqué parce que islam, et non pour des raisons d’économie politique bien plus concrètes). Celle-ci est pourtant, sans être la seule, une mobilisation réactionnaire de masse essentielle de notre époque : simplement, un ‘’glissement sémantique’’ s’est opéré entre les ‘’Arabes’’ des années 1970 et ‘’l’islam’’ (généralement associé au ‘’terrorisme’’) d'aujourd’hui. Tout simplement parce qu’entre la confiscation de la révolution iranienne par les mollahs en 1979, et le 11 septembre 2001, la résistance nationale arabe et des pays de la ‘’région intermédiaire‘’ (qui recèle la grande majorité des ressources énergétiques de la planète ; on pourrait y ajouter la région Indonésie-Malaisie, également très riche en énergies fossiles et très majoritairement musulmane) a globalement abaissé le drapeau du nationalisme ‘’laïc’’ à la Nasser ou Mossadegh, pour hisser celui d’un nationalisme religieux, mettant en avant la religion islamique, avec Khomeiny ou Ben Laden et Zawahiri (et les talibans afghans, des éléments de la bourgeoisie pakistanaise, Omar el-Béchir et Hassan al-Tourabi au Soudan, etc. etc.).

    La crise générale du capitalisme, que nous traversons depuis les années 1970 (avec même des prémisses dès la fin des années 1960), a pour origine une SURPRODUCTION ABSOLUE DE CAPITAL. Mais cela, les bourgeois ne peuvent l’admettre, puisque cela prend sa source dans l’accumulation capitaliste elle-même et oblige, par conséquent, à remettre en cause le mode de production – et leur position en tant que classe. Ils vont donc s’attacher à des symptômes, particulièrement marquants, qui jalonnent la plongée du monde capitaliste dans la crise. Les ‘’chocs pétroliers’’ des années 1970 ont été parmi les tous premiers de la crise actuelle. Aujourd’hui encore, ils sont décrits par tous les ouvrages bourgeois d’histoire, d’économie etc. comme le point de départ de celle-ci. En réalité, ils reposaient sur une logique toute simple : la crise, déjà commencée (avec des conséquences comme notamment la mise en flottement du dollar, détaché de toute référence-or), aiguisait les contradictions entre les bourgeoisies impérialistes (d’Occident, du Japon, d’URSS) et les classes dominantes des pays producteurs de pétrole. Celles-ci ont tout simplement voulu… valoriser leur capital (leurs réserves d’or guerre du golfnoir) en augmentant les tarifs de la marchandise pétrole (pour cela, il suffit de faire jouer la rareté : extraire moins de pétrole, ou le garder en stock et ne pas le mettre sur le marché). Tout le reste (guerre du Kippour, etc.) n’a été qu’un prétexte.

    Cela, évidemment, a impacté durement les économies occidentales en augmentant les coûts de production, et de réalisation de la valeur (transport, acheminement de la marchandise). D'où, déjà, une certaine animosité et une volonté de ramener ces effrontés à la docilité, en leur "cassant la gueule" si nécessaire (par exemple, en lançant l'Irak contre l'Iran aux velléités nationalistes et expansionnistes de Khomeyni, permettant au passage d'affaiblir le premier, d'acheter sa docilité par l'indispensable soutien impérialiste à son effort de guerre, et d'engraisser le complexe militaro-industriel - français notamment - par de juteux contrats d'armement... puis, l'Irak se montrant à son tour indocile en envahissant le Koweït, il fut écrasé par une intervention impérialiste qui fit 100.000 morts et soumis à un embargo aux 500.000 victimes).

    Mais, d’autre part, cela a amené (par la vente de pétrole plus cher) une masse financière considérable dans les gros pays producteur (pays du Golfe, Iran etc.), un (nouveau) CAPITAL qu’il s’agit alors pour eux de valoriser, de faire fructifier – les classes dominantes ayant maintenant beaucoup plus de pétrodollars qu’il ne leur en faut pour simplement s’assurer une vie de luxe. D’où la tendance de ces pays à ‘’s’affirmer’’ sur la scène internationale, à mener une politique plus ‘’indépendante’’ voire, pour des États en tant que tels comme l’Iran, l’Irak de Saddam Hussein ou la Libye de Kadhafi dans les années 1980, ou encore pour des fractions de classes dominantes comme celles du Golfe (et/ou des éléments de l'appareil d’État, à l'image des services pakistanais qui ont appuyé les talibans afghans) qui financent le djihadisme, une politique agressive vis-à-vis des pays impérialistes et de leurs alliés : ils cherchent tout simplement des débouchés pour leurs capitaux, suraccumulés à travers la vente du pétrole (ou du gaz).

    Choses qu’évidemment, les puissances impérialistes (déjà en crise) ne peuvent tolérer. ‘’Casser la gueule aux Arabes’’ (leur faire la guerre, pour mettre fin à leurs tentations émancipatrices et contrôler leur pétrole aux meilleures conditions) n’est alors plus un propos de comptoir, mais une option très sérieuse des pays impérialistes pour se sortir (à court terme) de leur crise. Les propos de comptoir signifient simplement qu’une mobilisation réactionnaire de masse s’est opérée, dans le sens de cette option.

    caricature-islamophobe-eurabiaSi des actions militaires (‘’terroristes’’) frappent le sol des pays impérialistes, depuis les attentats de Paris en 1986 à ceux de Londres en 2006, en passant par une litanie sans fin (premier World Trade Center en 1993, Paris en 1995, Madrid en 2004) et bien sûr les actions spectaculaires du 11 septembre 2001 ; c’est évidemment encore pire (la sécurité intérieure est menacée).

    Si des pays impérialistes abritent d’importantes populations originaires de pays musulmans ; que celles-ci, ayant conscience de leur situation particulière d’opprimés au sein des classes populaires en général, refusent de ‘’s’assimiler’’, c'est-à-dire de se soumettre aux valeurs de la nation impérialiste ; qu’elles gardent un rapport de solidarité avec leurs pays d’origine, opprimés par l’impérialisme, et avec le ‘’monde musulman’’ en général (notamment les pays directement occupés : Palestine, Iraq, Afghanistan) ; alors nous voilà partis sur le thème de l’ennemi intérieur, bien au-delà de la réalité des quelques individus qui pourraient, au nom d’’’Al-Qaïda’’ et du salafisme (expression militaire de la frange ‘’radicale’’ des capitaux du Golfe) ou de l’Iran, ou par émulation solitaire (Mohamed Merah), commettre des attentats… En France, de plus, le thème de l’ennemi intérieur arabo-musulman a des racines culturelles plus anciennes encore (les opérations du FLN en métropole, pendant la guerre de libération algérienne). 

    Ainsi naît l’islamophobie, que seuls des aveugles pourraient nier aujourd’hui. Celle-ci n’est qu’un approfondissement, un élargissement (l’islam, c’est plus large et plus adéquat à la ‘’région intermédiaire’’ que ‘’les arabes’’) et un glissement sémantique (d’Arabes à ‘’musulmans’’, ou ‘’muzz’’ en jargon d’extrême-droite), du ‘’casser la gueule aux Arabes’’ de Reiser.

    Ceci dit, dans le bloc impérialiste ‘’européen’’ (autour de l’axe franco-allemand), et ceci dès les années 1960, des éléments fascistes minoritaires vont prendre le contre-pied de ce point de vue : le contrôle (impérialiste) de la ‘’région intermédiaire’’ passe selon eux par de bonnes relations avec la Russie (hier l’URSS), certes, mais aussi avec les nationalistes de la région, fussent-ils religieux (bien que les ‘’laïcs’’ à la Saddam Hussein, Assad, Kadhafi etc. aient longtemps eu leur préférence, mais ce nationalisme-là est largement révolu et il faut s’adapter…). Leur ennemi principal et absolu est le bloc impérialiste USA-Commonwealth-Israël. Ils tendront, à l’intérieur de leurs pays, à rechercher l’alliance avec des éléments réactionnaires arabo-musulmans ; et la ‘’cinquième colonne’’, à combattre, sera essentiellement pour eux les ‘’américano-sionistes’’… auxquels ils identifieront la quasi intégralité de la communauté juive. Ce courant sera aussi, évidemment, très fort en Russie impérialiste, bien que celle-ci subisse également (dans le Caucase et en Asie centrale, hier dans les Balkans) l'offensive du Capital suraccumulé du Golfe (l’Iran, lui, étant un pays allié). Mais là, "pas de problème" : pour les "eurasistes", les djihadistes s'en prenant à la Sainte Russie (ou à la Libye de Kadhafi, à la Syrie d'Assad et autres régimes réactionnaires qu'ils encensent) deviendront sans problèmes des "agents de la CIA et du Mossad", en vertu des liens entre les oligarchies pétrolières de Riyad et Doha et l'impérialisme "USraélien", comme si ces forces capitalistiques ne pouvaient avoir leur propre agenda autonome...

    IWMPC8359L’antisémitisme développé en France, à la ‘’Belle époque’’, par les nationalistes tels que l’Action française, visait les Juifs comme 1°/ incarnations de la ‘’finance’’ (surproduction de capital, qui avait déjà frappé : crise de 1873), 2°/ porteurs d’idées ‘’libérales’’, ‘’démocratiques’’ et même ‘’socialistes’’ (Marx en chef de file), faisant refleurir le spectre de la Commune, 3°/ liés (par la ‘’finance’’ et le libéralisme) aux puissances anglo-saxonnes rivales, 4°/ enfin, les Juifs de l’époque, essentiellement ashkénazes, portaient surtout des noms à consonnance germanique… suivez mon regard (ils comptaient quelques 500.000 ‘’coreligionnaires’’ dans l’Empire allemand).

    Pour l’antisémitisme allemand ayant conduit au nazisme, les Juifs incarnaient la ‘’finance’’/surproduction de capital, ainsi que la ‘’subversion’’ libérale et révolutionnaire de l’Allemagne chrétienne, conservatrice, attachée aux valeurs prussiennes etc. ; et se divisaient en deux catégories : une bourgeoisie libérale-démocrate et des classes populaires très ouvertes aux idées socialistes et communistes. Autrement dit, d’un côté les puissances ‘’libérales’’, les vainqueurs de 1918, et de l’autre l’URSS : l’étau qui broyait l’impérialisme allemand vaincu.

    Bref : il ne s’agit pas de faire là un cours de géopolitique, matière qui n’intéresse pas le prolétariat révolutionnaire, mais de bien montrer comment les mobilisations réactionnaires (fascistes) de masse, dirigées contre telle ou telle ‘’communauté’’ (généralement plus définie par les fascistes que réellement par elle-même…), sont le reflet et la conséquence de la mobilisation ‘’des cœurs et des esprits’’ contre telle ou telle partie du monde, elle-même conséquence de la nécessité pour l’impérialisme de sortir (par la guerre) de sa propre crise. Une porte de sortie qui est, en définitive, la seule qu’il peut envisager (la seule autre étant la révolution prolétarienne).

    Q5Voilà des choses qu’il est important de rappeler, à l’heure ou des ultra-gauchistes pseudo-‘’maoïstes’’, dans une nouvelle bouffée délirante, nient (encore et toujours) l’islamophobie comme mobilisation réactionnaire de masse, sous prétexte que l’islam recouvre des réalités très diverses (comme si ce n’était pas le cas du judaïsme, ou de la ‘’judéité’’ à l’époque de Maurras et Hitler ; et comme si ce qui comptait, dans une mobilisation réactionnaire fasciste, était la réalité et non ce que pensent les idéologues fascistes !), et en viennent à agiter… le ‘’péril qatari’’, à la manière des Identitaires parisiens, et à dénoncer les ‘’islamo-gauchistes’’ (en l’occurrence les ‘’anarchistes petit-bourgeois tiers-mondistes’’) qui en seraient les ‘’agents’’ (alors que pas une fois le texte dénoncé ne mentionne cet émirat du Golfe arabo-persique) !!! Certes l’émergence géopolitique du Qatar comme ‘’acteur’’ sur la scène internationale est une donnée importante à prendre en compte, pour comprendre le monde qui nous entoure ; mais pas un prétexte pour se joindre à une mobilisation réactionnaire chauvine (« ils sont en train de racheter la Fraaaaance !!! ») promue par l’extrême-droite – de plus, les salafistes sont surtout appuyés par la pétroligarchie saoudienne, le Qatar soutenant plutôt les organisations rattachées aux Frères musulmans (UOIF en Hexagone).

    Le Qatar, l’Arabie saoudite ou encore l’Iran (au Bahreïn notamment) ne font de toute façon que récupérer des mouvements populaires de contestation, ou des résistances nationales, qui existent déjà en tant que tel-le-s, de par les contradictions existant dans chaque pays, et existeraient de même sans leur intervention ; ils n’en sont nullement les initiateurs.

    La question pour les communistes n’est pas de savoir quel ‘’jeu’’ jouent l’Arabie, le Qatar ou encore l’Iran ; mais pourquoi, dans les contradictions qui secouent les pays arabes et majoritairement musulmans en général, CE NE SONT PAS LES COMMUNISTES, mais les forces politiques liées à ces trois pays qui prennent la tête des masses populaires en lutte – pour les conduire dans l’impasse que l’on sait. Comprendre… pour en tirer les conclusions et le plan général de travail qui s’impose ! 

     

    Servir le Peuple, pseudo-maoïste petit-bourgeois tiers-mondiste à la solde du Qatar.

     


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