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    http://pmcdn.priceminister.com/photo/Soucy-Robert-Fascisme-Francais-1933-1939-Mouvements-Antidemocratiques-Livre-894528574_ML.jpgRobert Soucy se démarque des vues de nombreux chercheurs français selon lesquelles les organisations fascistes de la France de la fin des années 1930 furent « marginales », que le « vrai fascisme » ne peut être défini que comme la synthèse du nationalisme et du socialisme (« ni droite, ni gauche »), et que l'une des raisons pour lesquelles les Croix de Feu/Parti social français (CF/PSF) du colonel François de La Rocque ne peuvent être considérés comme fascistes est qu'elles étaient socialement trop conservatrices. Soucy reconnait que certains mouvements fascistes français, tels que le Front commun de Gaston Bergery et les néo-socialistes de Marcel Déat ont été – ne fût-ce que pour de courtes périodes – plus de gauche que de droite, mais il soutient que les plus grands mouvements fascistes français (le Faisceau de Georges Valois, les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, Solidarité française de François Coty, le Parti populaire français de Jacques Doriot et les CF/PSF du colonel de La Rocque) ont été d'ardents défenseurs du conservatisme social et des intérêts économiques de la grande bourgeoisie. Soucy soutient que les hommes de gauche qui ont rejoint ces mouvements ont rapidement abandonné leurs convictions de gauche, que les objectifs de ces fascismes (y compris ceux du mouvement de Doriot après 1937) allaient du conservatisme social à la réaction, que leurs principaux bailleurs de fonds étaient issus du monde de l'entreprise (La Rocque et Doriot touchaient tous deux des fonds du Comité des forges), et que, exception faite du PPF de Doriot avant 1937, aucun de ces mouvements ne jouissait de soutien significatif de la classe ouvrière1. Soucy fait valoir que trop d'historiens ont pris pour argent comptant la rhétorique « socialiste », ou le double langage de certains de ces mouvements, en oubliant la façon dont celle-ci a pu être contredite à maintes reprises par leurs positions touchant aux questions sociale, économique et politique. Comme l'un de leurs précurseurs, le cercle Proudhon, qui honorait moins le premier Proudhon de « la propriété, c'est le vol » que le second, beaucoup plus conservateur, ces organisations étaient beaucoup plus nationalistes que socialistes.

    Robert Soucy souligne que tous les conservateurs français des années 1920 et 1930, en particulier les membres de l'Alliance démocratique et du Parti démocratique populaire des années 1930, n'ont pas subi l'attrait du fascisme, mais il considère les fascismes français les plus aboutis de l'époque, ceux comptant le plus grand nombre d'adhérents, comme des « variantes » ou des « extensions » du conservatisme social en crise, comme autant de mouvements à avoir bénéficié de la réaction de la droite à la victoire du cartel des Gauches en 1924 et du Front populaire en 1936. Il soutient notamment que les Croix de Feu/Parti social français, le plus grand mouvement de la droite française en 1937, avec un nombre d'adhérents supérieur à celui des partis communiste et socialiste réunis, ont constitué l'une de ces variantes fascistes. Soucy décrit plusieurs caractéristiques partagées par les CF/PSF avec les autres fascismes européens de l'époque et il élabore une définition également à multiples facettes du fascisme lui-même.

    Là où Robert Paxton et Philippe Burrin ont décrit certains conservateurs des classes supérieures à avoir soutenu le fascisme comme « alliés » ou « complices » du fascisme, mais non comme fascistes eux-mêmes, Soucy fait valoir que cet « essentialisme sélectif » évite aux membres des élites traditionnelles, mais non à ceux au-dessous eux, d'être considérés comme fascistes. Pour Soucy, les différences entre conservateurs autoritaires non-fascistes et conservateurs autoritaires fascistes étaient souvent plus une question de gradation et de tactiques que d'essences fixes ou irréconciliables. Par comparaison avec les conservateurs autoritaires non-fascistes, les fascistes affichaient une haine plus virulente de la « décadence », un désir plus nettement marqué d'engendrer un grand nombre d'« hommes nouveaux », un plus grand recours à la jeunesse – la « virilité » étant érigée en idéal –, et le caractère plus farouche de leur nationalisme. La démonologie pratiquée par les fascistes, qui accusaient plus durement les communistes, les socialistes, les francs-maçons, les internationalistes, ainsi que – mais pas toujours – les Juifs, de la plupart des maux de la nation, était également plus virulente que celle de nombre de conservateurs. Le goût pour la répression de ces éléments « antipatriotiques » était beaucoup plus marqué chez les fascistes, qui étaient également plus disposés à s'engager dans des activités paramilitaires et qui voulaient appliquer les valeurs militaires de discipline, d'obéissance, d'anti-hédonisme, etc. à l'ensemble de la société. Alors que les conservateurs traditionnels se méfiaient du populisme, fût-il d'extrême-droite, les fascistes ambitionnaient de mobiliser « les masses ». Ce faisant, les fascistes faisaient écho à un idéal également encouragé par d'autres conservateurs, à savoir l'insignifiance des différences matérielles entre classes sociales par rapport aux valeurs « spirituelles » et à l'unité de la nation. Les fascistes français exhortaient leurs adhérents à revitaliser « l'esprit des tranchées » de la Première Guerre mondiale, lorsque travailleurs et bourgeois, paysans et aristocrates avaient combattu côte à côte les ennemis de la nation. Soucy soutient que le mouvement de La Rocque présentait, à divers moments, toutes ces caractéristiques.

    Soucy estime que, dans les années 1930, plus les conservateurs autoritaires non-fascistes français (et même conservateurs précédemment démocratiques) s'estimaient menacés par la gauche, plus ils étaient sensibles aux sirènes du fascisme. Aucune attaque sérieuse contre les élites traditionnelles ou de leurs intérêts économiques n'était (du moins en temps de paix) exigée des conservateurs sociaux qui optaient pour l'alternative fasciste. Un thème récurrent dans les écrits des fascistes français de Valois, Taittinger et Coty à La Rocque, Bucard et Doriot (ainsi que de Mussolini à Hitler), était que la conciliation – sur une base conservatrice – entre les classes devait se substituer aux luttes de classe (en particulier les grèves ouvrières). Dans un certain nombre de cas durant la Grande Dépression, les intérêts communs entre fascistes et conservateurs non-fascistes ont effacé des divergences pour les remplacer par une « fusion » accompagnée d'une interpénétration idéologique dans les deux sens.

    Pour Soucy, la rhétorique « anti-bourgeoise » d'intellectuels fascistes, comme Robert Brasillach ou Pierre Drieu La Rochelle, faisait référence aux bourgeois « décadents », c'est-à-dire les bourgeois libéraux, démocratiques, hédonistes, complaisants envers le marxisme, non les bourgeois « virils »2. En réponse au Front populaire, de nombreux anciens fascistes et d'autres qui étaient contre-révolutionnaires, catholiques, traditionalistes et réactionnaires, rejoignirent le PSF de La Rocque. Un grand nombre de conservateurs précédemment démocrates, qui avaient regardé La Rocque avec répugnance avant 1936, furent dès lors prêts à passer sur ses nombreuses déclarations antidémocratiques et ses menaces paramilitaires de renverser le gouvernement par la force des deux années précédentes. Lorsque le nouveau gouvernement du Front populaire interdit les CF à l'été 1936, La Rocque les remplaça par le PSF, affirmant qu'il était maintenant un politicien démocrate ; cette conversion supposée fut vite oubliée en 1941 lorsque La Rocque devient un fervent partisan du régime de Vichy. Soucy fait remarquer aux historiens qui affirment que les discours « démocratiques » de La Rocque dans les années 1936 à 1940 prouvent qu'il n'était pas fasciste (et que ceux qui l'ont soutenu, y compris d'anciens membres des CF, l'ont également cru), que La Rocque n'a pas été le seul fasciste de l'époque à avoir tenté de parvenir au pouvoir par la voie démocratique, dès lors que les chances de succès d'un coup d'État paramilitaire s'avéraient irréalistes : tel était le choix qu'avait effectué par Hitler, après l'échec du putsch de Munich en 1923, il a accédé légalement au pouvoir une décennie plus tard.

    Soucy affirme que la « fluidité » de l'idéologie et des tactiques fascistes constitue un défi pour les historiens qui insistent pour imposer des taxonomies statiques à une idéologie fasciste en mouvement. Le fascisme italien donne un exemple majeur de cette fluidité lorsque Mussolini, d'abord socialiste, effectua un virage à droite brutal, après l'énorme défaite subie par son mouvement du Fascio national « syndicaliste » aux élections de 1919. Soucy critique également les définitions du fascisme qui exigent que les fascistes, pour être considérés comme tels, se soient comportés, avant leur arrivée au pouvoir, exactement de la même façon « totalitaire » qu'après leur arrivée au pouvoir. Soucy considère que trop d'historiens ont eu tendance à exonérer les CF/PSF en définissant le fascisme de façon ahistorique et en prenant pour argent comptant la rhétorique « démocratique » de La Rocque après l'interdiction des CF en 1936.

    Soucy est également en désaccord avec les historiens qui dépeignent La Rocque comme trop « modéré » pour être fasciste, et comme quelqu'un qui croyait en la « légalité républicaine », qui désapprouvait la violence politique, qui était un vrai démocrate, et qui était, de surcroît, opposé à l'antisémitisme. Soucy cite diverses déclarations de La Rocque qui contredisent ces interprétations, parmi lesquelles : en 1935, La Rocque condamnait « les modérés » devenus, selon lui la proie du « compromis et de l'hésitation3 », appelant les Français à se dresser contre la menace de la révolution communiste et de « son alliée sordide la révolution »3. En 1941, il rappela à ses lecteurs « combien de fois, jadis, n’avons-nous pas condamné les « modérés » 4? » « Ce sont gens de mignardise. Ce sont gens de mollesse5. » Parvenu, au cours de l'hiver 1935-36, à la conclusion que les circonstances n'étaient pas favorables à un coup paramilitaire, La Rocque choisit de briguer l'accès au pouvoir par les voies électorales, bien qu'il ait, à cette époque, déclaré à ses troupes que « La seule idée de briguer un mandat me donne des nausées : c’est une question de tempérament6. » « L’hitlérisme, a-t-il rappelé, est devenu une force politique prépondérante seulement le jour où, en 1930, il a fait entrer cent sept des siens au Reichstag7. »

    Soucy indique également que La Roque félicita, en 1933, les membres des CF qui se livrèrent, de 1931 à 1933, à de « nombreux » assauts contre les réunions pacifistes. Il en dirigea d'ailleurs une lui-même en 1933. En 1934, il commandait, à partir de son « poste de commande » à quelques rues de la Chambre des députés, la participation (de façon « disciplinée ») de ses troupes aux émeutes « fascistes » du 6 février 1934 qui se soldèrent par la démission de Daladier et la chute de son gouvernement du Cartel des gauches le lendemain. En octobre 1936, trois mois après la création du PSF « démocratique », quelque 15 000 à 20 000 militants du PSF affrontèrent violemment des militants communistes lors d'un meeting du PCF au Parc des Princes. Trente policiers furent blessés dans les affrontements. Un mois plus tard, La Roque décrivait la violence de ses partisans au Parc des Princes comme une « levée en masse » spontanée, qui avait contenu « l'arrivée au pouvoir d'un complot communiste8. »

    Bien que La Rocque se soit, comme Mussolini au cours de sa première décennie au pouvoir, opposé à l'antisémitisme biologique et qu'il ait défendu les juifs assimilés, en particulier ceux de droite, dont Kaplan, le rabbin de Paris et les anciens combattants de 14-18, La Roque s'est, après 1936, laissé aller de plus en plus à un antisémitisme culturel et politique ciblant les immigrants juifs, en particulier, ceux du Front populaire. En 1940, il dénonce la « purulence juive9 » soutenue par les « complots9 » francs-maçons et, en 1941, il accuse les immigrants juifs d'avoir sapé la « moralité9 » et la « santé9 » de la nation et – de nouveau avec les francs-maçons – d'avoir contribué aux « vices mortels9 » de la France. En 1941, il exhorta Vichy à entreprendre, avec « une résolution impitoyable9 », l'« extirpation intégrale des éléments contaminés9 » de la société française.

    Soucy remet également en cause l'argument selon lequel le mouvement de La Rocque n'était pas fasciste parce qu'il était une forme de « catholicisme social patriotique », c'est-à-dire trop nationaliste et trop catholique pour être fasciste. Pour Soucy, on pourrait appliquer la même description à la faction dominante du Partito Nazionale Fascista (PNF) de Mussolini après la signature des accords du Latran réconciliant le régime fasciste et le Vatican en 1929. Non seulement le grand nombre de catholiques qui affluèrent au PNF après 1929 laissèrent leur marque sur l'idéologie fasciste en Italie, mais Pie XI remercia Mussolini d'avoir mis en œuvre le « catholicisme social » prôné par l’encyclique Rerum novarum. De même, tous les fascistes n'étaient pas non plus « modernistes » esthétiques. Les historiens qui supposent que le fascisme et le catholicisme (en particulier de droite) sont comme l'huile et l'eau ignorent que, pendant les années 1930, un bon nombre de « fusions » eurent lieu, y compris l'existence d'importantes mouvements fascistes catholiques en Espagne, au Portugal, en Pologne, en Autriche, en Hongrie, en Croatie, en Bolivie, en Argentine, au Chili et au Brésil. Soucy affirme que, même si de nombreux catholiques ont rejeté le fascisme au cours de l'entre-deux-guerres (il note, par exemple, que plus de protestants que de catholiques ont soutenu le nazisme en Allemagne dans les élections de juillet 1932, 38% contre 16%), des catholiques comme Valois, Taittinger, Coty, Bucard et de La Rocque ont bien été les porte-parole d'une forme française de fascisme, dont les origines intellectuelles en France remontent aux années 188010.

    Soucy récuse également l'hypothèse selon laquelle La Rocque n'était pas fasciste parce qu'il était très nationaliste et très opposé à une invasion de la France par l'Allemagne dans les années 1930. Il fait remarquer que La Rocque était loin d'être le seul fasciste européen de l'époque à être très nationaliste. La plupart d'entre eux, y compris Hitler et Mussolini, l'étaient et aucun ne voulait voir son pays conquis par une autre nation, fût-elle fasciste. Ceci n'a toutefois pas empêché de La Rocque d'écrire en 1934 que le Duce est un « génie11. » et que « l'admiration que mérite Mussolini est incontestable11 ». Tant dans les années 1930 qu'en 1941, La Rocque demandait à la France de s'engager dans une « solidarité continentale » (non un assujettissement) avec l'Italie fasciste. En 1941, il a également soutenu la « collaboration continentale » avec l'Allemagne nazie à la condition que la France soit traitée en partenaire égale. C'est quand il est parvenu à la conclusion, au début de 1942, que celle-ci n'allait pas se produire et que la guerre commençait à tourner au désavantage des Allemands, qu'il a formé son propre réseau de Résistance, avant d'être arrêté par la Gestapo et de passer le reste de la guerre dans les prisons allemandes. La Rocque est d'ailleurs loin d'avoir été le seul fasciste français à rejoindre la Résistance. Pour Soucy, cet engagement prouve que La Rocque était un fasciste français ultranationaliste.

     


    Robert Soucy, né le 25 juin 1933 à Topeka, est un historien américain.

    Il est surtout connu pour ses travaux sur le fascisme français qui portent, en particulier, sur les intellectuels et les écrivains appartenant à cette mouvance. 

    Ses thèses ne font pas l’unanimité auprès de certains fascistologues qui mettent en question le rapprochement qu’il fait entre Maurice Barrès et le fascisme. Ses travaux ont été remis en question notamment par les historiens Zeev Sternhell, Michel Winock et Serge Berstein. Soucy a répondu à ces critiques dans deux ouvrages. Dans ses deux derniers livres, Soucy se concentre beaucoup plus sur les mouvements fascistes que sur les intellectuels fascistes, en s’appuyant amplement sur les rapports de la police française de l’époque.

    Dans son livre Fascismes français ? 1933-1939 : mouvements antidémocratiques, il présente une version révisée et augmentée de l’édition américaine française French Fascism, the Second Wave, 1933-1938, avec un chapitre sur les intellectuels fascistes français Bertrand de Jouvenel, Pierre Drieu La Rochelle, Robert Brasillach et Louis-Ferdinand Céline.

     

    Une analyse dans laquelle peut se retrouver à 99% Servir le Peuple.

    Pour comparaison, voici la thèse de Zeev Sternhell, que SLP rejette globalement, comme thèse se posant en défense du libéralisme bourgeois contre lequel "les extrêmes se rejoignent" (puisqu'il est dit, explicitement, que c'est sa tradition "anti-libérale" qui fait de la France la "matrice" du fascisme) :

    L’historien Zeev Sternhell a renouvelé l’approche du fascisme français exposant que la France est le vrai berceau du fascisme, même si celui-ci n'est pas arrivé au pouvoir avant 1940. Zeev Sternhell expose que l’idéologie fasciste est née en France de la rencontre intervenue peu avant la Première Guerre mondiale d’un nationalisme anti-républicain (Action française) et du syndicalisme révolutionnaire (Georges Sorel), au sein notamment du Cercle Proudhon de Georges Valois. Pour Zeev Sternhell, la France est même une terre propice au fascisme compte tenu d’une forte tradition anti-libérale prônant une société organique (anti-individualisme, anti-parlementarisme). Cependant, le fascisme ne saurait se confondre avec l’ancienne idéologie contre-révolutionnaire. Le fascisme étant un mouvement propre à l’ère de masse du XXe siècle, il naît de la fusion du nationalisme, d’éléments d’extrême droite et d’éléments de gauche (Mussolini en Italie ; Georges Valois, Marcel Déat et Jacques Doriot en France ; Goebbels en Allemagne, etc.).

    Dans Ni droite, ni gauche, l’idéologie fasciste en France, Zeev Sternhell étend ainsi le terme fasciste aux néo-socialistes, planistes, technocrates, voire certains personnalistes des années 1930 (tous groupes que l’on peut regrouper sous l’appellation large de non-conformistes des années 1930, en reprenant le titre d'un ouvrage de Jean-Louis Loubet del Bayle.) Cette extension du terme « fasciste » est contestée par la majorité des historiens français, sur le fond et pour sa méthode, qui amalgame des textes détachés de leur contexte logique et chronologique, tout en donnant à ce qu'il appelle le « fascisme » des caractéristiques qui ne lui sont pas habituellement associées.

    En fait, les années 1920 et encore plus 1930 ont été marqués par un intense bouillonnement idéologique. Au sein de tous les partis, des hommes réfléchissent à des solutions nouvelles. À gauche (SFIO et même PCF) pour renouveler la vieille pratique guesdiste au profit d’un socialisme réformiste qui n’avait jamais auparavant été théorisé. À droite pour dépasser le libéralisme parlementaire alors que la Troisième République ne parvient pas à se réformer pour gagner en stabilité (voir la tentative avortée du président Gaston Doumergue pour renforcer les institutions en 1934).

    Des hommes de tous bords ont pu échanger des idées nouvelles au sein de multiples groupes de réflexions (X-Crise, etc.) et revues (Nouveaux cahiers, Plans, etc.). Ces hommes rentrent, pour Zeev Sternhell, dans le cadre large du fascisme pour les raisons suivantes :

    • Dans leur quête de nouveauté, ils envisagent de nouvelles solutions non libérales et antiparlementaires et regardent même parfois explicitement du côté des régimes fascistes qui paraissent alors jeunes et modernes. Plutôt que de « fascisme » au sens plein, on peut souvent parler pour ces hommes de « tentation fasciste » ou de « séduction fasciste », du moins tant que l’intérêt ne dure pas.
    • Au sein de ces groupes et revues, les futurs résistants travaillent avec les futurs vichystes ou collaborateurs, avec les mêmes mots et les mêmes idées. La distinction entre fascistes et non-fascistes n’est souvent possible qu’après 1940. C’est alors que se fait le choix décisif : profiter de la chute de la République pour imposer ses idées alors qu'il y a place pour des expériences nouvelles (ceux-là tomberont dans le régime de Vichy et la collaboration), ou donner priorité (par patriotisme ou par républicanisme) à la Libération du pays avant de le réformer (ceux-là seront résistants, puis mèneront les grandes réformes des Quatrième République et Cinquième République). L’attitude sous l’occupation reste le juge de paix entre fascistes et non fascistes qui ne doit pas faire oublier les convergences de projets avant-guerre.


    Le cas de Georges Valois est mis en exergue, mais c'est évacuer un peu vite qu'il fut UN cas au milieu de centaines de milliers de "SR" qui, eux, tout en ayant des théories erronées (anti-Parti), combattirent vaillamment la montée du fascisme, le régime de Vichy et l'occupation nazie jusqu'en 1945... De la même manière que, si Mussolini venait du socialisme italien, des dizaines de milliers de socialistes combattirent vaillamment contre sa montée au pouvoir (1919-22), et tout au long de son régime jusqu'en 1945.

    Et Doriot, lui, n'était-il pas issu du "PCF révolutionnaire des années 30-40" que célèbrent les partisans "maoïstes" de Sternhell ?

    En réalité, le "Faisceau" de Valois, financé par des grands capitalistes comme François Coty, semble avoir été une tentative "mécanique" de copier le modèle fasciste italien, jusque dans le leader venu du mouvement socialiste... Une "greffe" qui ne prit pas, et le mouvement s'effondra après 2 ans et demi d'existence. Valois (on omet souvent de le dire) tentera de revenir vers la social-démocratie (mais la SFIO, en raison de son passif, ne l'acceptera plus dans ses rangs).

    À noter que le fait que Robert Soucy soit américain est évidemment d'une grande importance, face à toute une "école française" incarnée notamment par René Rémond, cherchant à nier qu'il y ait jamais eu un véritable fascisme en France, pour faire de Vichy et de ses crimes une simple conséquence accidentelle de l'invasion allemande... Le discours, en somme, de Vichy "nul et non avenu" tenu par les gaullistes en 1944, prétendant couper la "Révolution nationale" de tout le background de l'extrême-droite et de l'ultra-conservatisme BBR des années 1920-30... background dont beaucoup étaient eux-mêmes issus !


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    Voir aussi :

    Enjeux - La Rocque et le fascisme français

    Réponse à Michel Winock - par Robert Soucy

     


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  • Autant prévenir : l'article qui suit va être COMPLEXE. Lecteurs, lectrices, il va falloir faire l'effort de suivre. Nous allons en effet toucher là au CŒUR, aux tréfonds de la théorie marxiste ; le matérialisme dialectique.

    Pour certain-e-s, cela pourrait même sembler être de la "théologie sur la Lune"... MAIS, pourtant, cette réflexion théorique est d'une extrême importance : vous allez découvrir pourquoi dans ce qui suit. 

    Si l'on veut résumer à l'extrême : le matérialisme dialectique est la théorie scientifique qui sous-tend toute la pensée marxiste. Classiquement, de l’œuvre théorique de Marx et Engels, ressortent 3 lois essentielles du matérialisme dialectique. Ce sont :

    1- Première et principale (les autres ne font qu'en découler), la loi de la contradiction ; dite aussi "de l'unité relative des contraires". C'est le principe qui veut que toute chose, tout phénomène, soit déterminé par une contradiction principale. Avant que cette contradiction existe, le phénomène n'existait pas. Si la contradiction disparaît, le phénomène disparaît sous sa forme actuelle ; c'est à dire qu'il se transforme en quelque chose d'autre, qui sera déterminé par une nouvelle contradiction principale. La chose / phénomène a aussi des contradictions secondaires, qui ne sont pas "sans importance" (chacune est susceptible de devenir un jour principale !), mais sont subordonnées à la contradiction principale, déterminées par elle. Les deux principaux aspects en contradiction forment un tout, une unité (par exemple, une société), mais sont en LUTTE et cette lutte est ABSOLUE, déterminante, jusqu'à devenir antagonique et transformer la chose/phénomène en "autre chose". L'unité est seulement relative (on parle donc d'"unité relative des contraires").

    2- La loi de la transformation de la quantité en qualité et inversement. Pour faire simple : l'évolution des choses et des phénomènes procède par accumulation quantitative, qui entraîne à un moment donné un saut qualitatif vers "autre chose". Attention cependant : cela ne doit pas mener (et a trop souvent mené) à des raisonnements mécanistes. Ainsi, durant la construction socialiste en URSS, on avait tendance à considérer que "développer la production", "accroître les forces productives" etc., sous la dictature du prolétariat, suffirait à conduire (en quelques générations) au communisme. De la même façon, il était considéré par les social-démocrates de la IIe Internationale (Bernstein etc.) que la simple accumulation de conquêtes démocratiques et sociales suffirait, un jour, à produire le "saut" de l'humanité dans le socialisme, sans le processus révolutionnaire (luttes violentes, guerre civile, dictature du prolétariat) décrit par Marx...

    3- Enfin, la loi de la négation de la négation ; que nous allons étudier plus loin.

    Le fond du débat est que, pour bon nombre de maoïstes, Mao aurait rejeté la loi de la "négation de la négation" (et, également, la loi de la quantité/qualité : en fait, toute autre loi que la contradiction). Mais d'autres (comme nous allons le voir) contestent la réalité de cette prise de position. D'autres, encore, affirment que Mao a simplement subordonné la transformation quantité/qualité et la "négation de la négation" à l'"unité relative des contraires"... ce qui est certes vrai, et que cautionne totalement Servir le Peuple ; mais était déjà le cas chez Marx, Engels, Lénine et tous leurs contemporains marxistes ! [En réalité, les 3 lois décrivent des caractères différents du mouvement dialectique des choses : l'unité relative des contraires en est le moteur, la transformation de la quantité en qualité en est la "mécanique", et la "négation de la négation" en est l'aspect extérieur (pour un observateur externe) ; nous y reviendrons plus loin.]

    mao-zedong-1.jpgLa question de la "négation de la négation" n'a jamais fait l'objet d'un ouvrage spécifique de Mao. Mao a rédigé un ouvrage de référence sur le matérialisme dialectique : De la contradiction (1937), ainsi qu'un essai en 1938, Le Matérialisme dialectique.

    Il y fait, très clairement, de la contradiction la loi déterminante de la dialectique ; de fait, cette loi sous-tendra toute son œuvre théorique. Mais on n'y voit nul rejet, explicite, des autres lois posées par Marx et (surtout) Engels. Pas plus que dans un autre ouvrage... Les Notes de "De la contradiction" comportent même plusieurs références à l'Anti-Dühring d'Engels (cf. ci-dessous), chapitre 12 "Quantité et qualité", sans que nulle part dans cet ouvrage Mao ne conteste cette loi-là. Le Matérialisme dialectique contiendrait même [mais il est impossible de trouver la source sur internet, il n'est que très incomplet ici] une énumération des "lois fondamentales" du matérialisme, telles qu'exposées ci-dessus : loi de l'unité des contraires, loi de la transformation de la qualité en quantité et inversement, loi de la négation de la négation [Mao Zedong ji, Vol. 6, p. 300 ; Mao Zedong ji bujuan, Vol. 5, p. 237]. En 1938, donc...

    Le rejet explicite de la "négation de la négation" (et, en fait, de toute autre chose que la loi de la contradiction) aurait, d'après les sources qui l'évoquent, été formulé en 1964 "entre la poire et le fromage", au cours d'une discussion très informelle avec quelques responsables du Parti (Kang Sheng, Chen Boda, Lu Ping...). Cette conversation est notamment rapportée par un certain Stuart Schram, dans son ouvrage Mao Zedong Unrehearsed (qu'on pourrait traduire par "Mao Zedong apocryphe" ou "Mao Zedong 'off'")... Vous pouvez trouver cette citation en français ici, page 19 ; et en anglais dans le document en lien plus bas, page 3.

    La réalité et (plus encore) l'exactitude des propos tenus sont donc sujettes à caution, puisque ces propos n'apparaissent nulle part dans ses Œuvres choisies. Mais partons du principe de leur réalité et de leur exactitude, et voyons ce qui a/aurait précisément été dit.

    Ce qu'aurait en réalité dit Mao, c'est : "L'unité des contraires est la loi la plus fondamentale. La transformation de la quantité en qualité et inversement, n'est que l'unité des contraires "qualité" et "quantité". Il n'existe rien de tel que la "négation de la négation". Affirmation, négation, affirmation, négation... dans le développement de toute chose, chaque maillon de la chaîne des évènements est à la fois une affirmation et une négation. La société esclavagiste niait la société primitive mais, en revanche, vis-à-vis de la société féodale elle constituait une affirmation. La société féodale constituait une négation de la société esclavagiste mais était en revanche une affirmation vis-à-vis de la société capitaliste. Le capitalisme était la négation de la société féodale mais, en revanche, l'affirmation vis-à-vis de la société socialiste...".

    Ce que Mao semble vouloir dire par là, c'est que toute chose qui en nie une autre est en même temps une affirmation, affirmation (en fin de compte) d'elle-même face à ce qui vient (à son tour) la nier... Bref, rien de plus ni de moins que la pure et simple logique. Mais, si la féodalité est la négation de l'esclavagisme, lorsque le capitalisme vient à son tour nier la féodalité, il nie la négation de l'esclavagisme : c'est bien une négation de la négation. Ce que semble viser ici Mao, c'est plus le terme employé ("négation de la négation") qui semble selon lui porter à confusion - évoquant un "retour à la case départ" et non le passage à un stade supérieur de la matière - que la substance, le signifié du terme [en tant que Chinois, insister sur cette notion de (non) "retour à la case départ" était sans doute particulièrement important car c'est ce qui distingue la dialectique marxiste du taoïsme].

    Dans ce document en anglais sont énumérées un nombre considérable d'occasions, depuis les années 1930 jusqu'aux années 1960, dans lesquelles Mao met en avant soit explicitement (nommément) soit implicitement (comme, finalement, dans ce qui précède) la négation de la négation.

    En réalité, que nous dit la théorie de la négation de la négation ? Il faut bien comprendre, ici, que par "négation" on entend le fait de "faire disparaître", "supprimer", "abolir" ; ou "affronter jusqu'à détruire" (dans une contradiction antagonique) ; ou encore "rejeter dans les poubelles de l'histoire" (lorsqu'il est question d'un processus historique).

    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b5/Friedrich_Engels_HD.jpg/170px-Friedrich_Engels_HD.jpgL'image la plus connue est celle donnée par Engels dans l'Anti-Dühring : celle du grain de blé  qui donne une plante, disparaissant lui-même (nié), puis la plante, disparaissant (niée) à son tour, donne un épi, soit plusieurs dizaines de grains de blé. Ainsi, par un processus de négation de la négation (la plante nie le grain puis est niée elle-même), le grain de départ s'est multiplié par plusieurs dizaines. Ainsi, on est revenu au stade de la graine, mais "à un niveau supérieur" (des dizaines de graines).

    Bien sûr, toutes les plantes ne fonctionnent pas comme cela, et certaines vivent plusieurs années (voire des siècles) en donnant des graines ou des fruits tous les ans... Mais l'idée était de donner une image simple et claire. C'est la même chose (pour prendre un autre exemple) lorsque l'on marche : chaque jambe effectue un mouvement de flexion, puis d'extension, chaque extension nie la flexion qui précède et inversement, et chaque pas de la jambe droite nie le pas précédent de la jambe gauche. Pourtant, comme vous pouvez le constater tous les jours, on ne fait pas du surplace : on avance.

    Ce que veut exprimer Engels (qui en vient, ensuite, à l'exemple de l'esclavagisme, de la féodalité et du capitalisme), c'est que les sociétés humaines (comme toutes les choses et le phénomènes de la nature) avancent EN SPIRALE, par CYCLES, par des PROCESSUS qui débutent et s'achèvent (comme la plante de blé germe, grandit, fane et meurt) ; mais qui ne ramènent pas la communauté humaine au "point de départ" : ils l'amènent À UN NIVEAU SUPÉRIEUR (de forces productives, de conditions de vie, de culture, de civilisation)...

    Et, ce qu'explique le marxisme, c'est que le MOTEUR de ces processus, dans toute chose, c'est la CONTRADICTION, c'est "l'unité relative des contraires", c'est l'unité et la LUTTE des contraires ; l'unité étant relative et la lutte étant ABSOLUE. Dans les sociétés humaines, le moteur de tout processus d'évolution est la LUTTE DES CLASSES. La société est une unité formée de contraires : une CLASSE DOMINANTE, et des classes dominées, mais parmi lesquelles il y a UNE classe principale dans son affrontement avec la classe dominante. Cet affrontement, cette LUTTE entre les classes fait l'histoire de la société en question.

    http://s4.e-monsite.com/2011/05/30/01/resize_550_550//sans-culotte-copie-1.jpgDans la féodalité, la classe dominante est l'aristocratie (flanquée du clergé) et la classe principale qui l'affronte (et dirige les masses à l'affronter) est la bourgeoisie. À partir du moment où la bourgeoisie s'affirme en tant que classe (avec la Réforme et l'humanisme, puis les Lumières), on rentre dans le processus de négation de la féodalité et d'affirmation (d'abord contre la féodalité, ce qu'oublie de dire Mao !) du capitalisme. La Révolution bourgeoise (comme 1789 en France) marque le moment où l'unité des contraires s'inverse : le moment où la bourgeoisie DEVIENT la classe dominante et où l'aristocratie perd cette position (elle disparaît alors, en moins d’un siècle, pratiquement en tant que classe ; sa contradiction avec la bourgeoisie devient secondaire ; la contradiction bourgeoisie/prolétariat devient motrice de l’histoire). Au terme de ce processus (qui débouche sur la Révolution industrielle, toutes les avancées scientifiques et technologiques du 19e siècle et nous amène pratiquement au début du 20e), il va sans dire que l'humanité (dans son ensemble, jusqu'aux classes les plus opprimées !) a grandement progressé depuis l'époque de l'Inquisition et des Guerres de Religion ! En terme de productivité du travail, de connaissances scientifiques et technologiques, tout ceci se répercutant sur la vie quotidienne des masses, leur bien-être, leur accès aux activités spécifiquement humaines (culture etc.).

    Mais, à un moment donné, le capitalisme a fait son temps : ce qu'il apporte, ou a apporté à l'humanité, ne vaut plus le prix qu'il lui coûte... À partir du moment où le prolétariat s'affirme en tant que classe, avec le SOCIALISME SCIENTIFIQUE (marxisme), commence le processus de NÉGATION DU CAPITALISME.

    Le SOCIALISME n'est pas exactement, comme le dit Mao, la "négation du capitalisme". Penser cela est sans doute une grande limite de la conception marxiste-léniniste au 20e siècle. Il serait plus exact de dire que le socialisme est le processus de négation du capitalisme et d'affirmation du communisme, à partir du moment où le prolétariat a renversé la bourgeoisie et l'a remplacée comme classe dominante (la phase précédente du processus de négation/affirmation, lorsque le prolétariat n'a pas encore pris le pouvoir, est la GUERRE POPULAIRE).

    Prenons, puisqu'on en a beaucoup parlé ces derniers temps, l'exemple du Népal. Ce petit pays a, finalement, l'"avantage" d'avoir connu une évolution rapide (en moins de 3 siècles) qui donne un aperçu en "modèle réduit" d'une série d'affirmations-négations, qui dans d'autres pays ont pu s'étaler sur 1000 ans, 1500 ans ou plus.

    Au début du 18e siècle, le Népal n'était encore, pratiquement dans chaque vallée, qu'un ensemble de royaumes féodaux archaïques (avec, globalement, une caste dominante, une famille principale en son sein, et une masse paysanne servile) ; guerroyant entre eux. Au terme de ces guerres incessantes, le royaume de Gorkha finit par unifier le pays dans ses frontières actuelles, en 1768. À cette époque, toutefois, ce genre d'unification était généralement éphémère et, effectivement, le royaume commençait déjà à se désintégrer au début du 19e siècle ; lorsque sa destinée rencontra celle de l'EMPIRE BRITANNIQUE DES INDES. Celui-ci permit à l’État monarchique népalais de se consolider, et de se maintenir jusqu'à nos jours (après 1947, la tutelle britannique fut remplacée par celle de l'Inde "indépendante"). Ce processus, nous sommes tous d'accord, a donc consisté en une négation de la féodalité archaïque ; et en l'affirmation d'un État moderne, le Népal que nous connaissons actuellement. En termes de forces productives, de développement économique, de connaissance scientifique et technique, de diffusion de la connaissance, il a conduit le Népal à un niveau bien supérieur à celui du 18e siècle, époque des petits royaumes archaïques.

    Mais justement, dans ce processus, s'était formée une bourgeoisie, flanquée d'une classe intellectuelle (celle à qui s'était diffusée la connaissance, à son niveau mondial d'alors). Et celle-ci débuta, au milieu du 20e siècle, un processus de négation de l’État monarchique et de ses tuteurs impérialistes. Elle constitua des partis "libéraux", comme le Congrès népalais ; des éléments plus avancés, toutefois, s'emparant des idées marxistes qui étaient très fortes, dans le monde, entre les années 1950 et 1970 (ce gens constituent aujourd'hui, globalement, des partis comme l'UML).

    Le maoïsme nous enseigne que, dans les pays actuellement dominés par l'impérialisme, il n'y a plus d'étape bourgeoise, d'étape capitaliste "nationale indépendante" possible entre la situation actuelle (domination du Capital étranger à travers ses intermédiaires locaux, restes de féodalité, bourgeoisie bureaucratique de "gardes-chiourme", absence totale de démocratie bourgeoise telle que conçue en Occident) et la révolution prolétarienne : si une révolution se veut "bourgeoise", elle ne sera qu'une réforme du vieil État légué par l'impérialisme ; c'est la prise de pouvoir par le prolétariat qui permet l'accomplissement des tâches démocratiques bourgeoises, et qui "embraye" ensuite immédiatement sur les tâches socialistes, les tâches de transition vers le communisme.

    C'est un principe absolu, mais, justement, on imagine l'ampleur et la complexité d'un tel processus de luttes ! Il va donc de soi que celui-ci ne peut avancer que par cycles, "en spirale". Chaque "cycle" se refermant à un point plus avancé, pour les masses, sur le chemin de l'émancipation démocratique, du socialisme et du communisme. Et, à chaque cycle qui se referme, une grande partie de ce qui a fait (hier) partie du nouveau, de la lutte pour l'émancipation, se retrouve désormais dans le camp de l'ancien, de la réaction, de ce qui "empêche d'aller de l'avant". Ces éléments sont alors niés par les forces qui, elles, continuent d'aller de l'avant vers l'émancipation humaine.

    Entre 1950 et 1990, la lutte au Népal fut principalement dirigée contre le caractère absolutiste de la monarchie. Cette lutte s'acheva en 1990 par l'instauration d'un régime parlementaire. Fin d'un premier cycle. Les forces qui s'étaient limitées à cet objectif, comme le Congrès (rallié rapidement par l'UML et d'autres forces "marxistes"), cessèrent alors de faire partie du nouveau, pour se retrouver dans le camp de l'ordre établi, que d'autres continuaient à combattre. Après avoir nié l'absolutisme au profit de la monarchie parlementaire, elles furent alors niées à leur tour, comme composantes de celle-ci, par les forces souhaitant l'abolition pure et simple de la monarchie et l'instauration d'une république démocratique.

    La force dirigeante de ce combat, souhaitant même (en principe) une République démocratique populaire, vous l'aurez reconnue : c'était le PC maoïste de Prachanda. Mais celui-ci abandonna peu à peu ses objectifs initiaux, pour se replier sur les mots d'ordre d'"abolition de la monarchie et élection d'une Constituante". Ce qui fut fait (respectivement) en 2006 et 2008. Dès lors (après quelques valse-hésitations), on peut considérer que l'année dernière, en 2011, un deuxième cycle de la longue marche des masses népalaises vers l'émancipation (démocratique, socialiste puis communiste de manière ininterrompue) s'est refermé. Désormais, aux côtés de ceux qui s'étaient contentés d'une monarchie parlementaire (et ralliés à la République in extremis, contraints et forcés, pour sauver leur peau), il y a une grosse aile droite du Parti maoïste qui se contente (comme soi-disant "étape") de la République parlementaire bourgeoise actuelle, et une petite aile gauche qui doit (sans plus attendre) choisir son camp. Ceux qui composent aujourd'hui ce régime républicain bourgeois, et ceux qui feront le choix de le rallier demain, sont et seront dès à présent niés par les forces qui dirigeront le dernier cycle du processus : la nouvelle Guerre populaire qui ne peut plus, désormais, viser autre chose que la prise du pouvoir par le prolétariat et ses alliés paysans, indépendants pauvres, intellectuels progressistes, bref les masses populaires...

    Cette négation (de la négation qu'avait été, en 1994, la fondation du PCN(m) et le lancement deux ans plus tard de la Guerre populaire !) pourra prendre la forme d'une scission des éléments révolutionnaires de l'actuel PCNU, ou de la formation totalement externe d'un nouveau Parti... nous verrons bien.

    Quoi qu'il en soit, irait-on affirmer que le cycle qui se referme (par la capitulation d'une majorité du Parti de 1994, dont son leadership), se referme "à la case départ" ? Soyons sérieux ! La nepalconscience révolutionnaire, la combattivité, la culture d'organisation (pour se libérer des chaînes de l'exploitation) sont aujourd'hui à un niveau bien supérieur et bien plus vaste (dans tout le pays, et non les seules grandes villes) qu'au début des années 1990, il y a 20 ans !

    Ces "petits" cycles (à l'échelle historique... 40 ans et 20 ans tout de même !) sont en quelque sorte des "sous-cycles" d'un grand processus, commencé vers le milieu du siècle dernier, lorsque le Népal fut totalement entré dans le "monde moderne" : le processus de négation de l'état de fait de l'époque (qui perdure encore de nos jours...), l'état de fait semi-colonial semi-féodal. Le moteur de ce processus, dans son entier comme dans chacun de ses cycles, est toujours le même : c'est la contradiction, la LUTTE entre les masses exploitées, opprimées, affamées ; et leurs affameurs, qui sont la grande bourgeoisie oligarchique locale, le Capital impérialiste (directement ou par l'intermédiaire de l'Inde) et la féodalité rurale. Ce processus s'achèvera au COMMUNISME (car tel est, à notre époque, le seul destin commun à toute l'humanité) : la phase précédant la prise de pouvoir des masses populaires sous la direction du prolétariat est la GUERRE POPULAIRE ; la phase suivant cette prise de pouvoir (dans le cas du Népal) est la NOUVELLE DÉMOCRATIE et le SOCIALISME (sous lesquels il y aura encore de grandes luttes, de grandes conflagrations sociales contre les partisans d'un rétablissement du capitalisme à leur profit).

    Si l'on prend maintenant (puisqu'il est, au départ, question de Mao) l'exemple de la Chine... Nous n'allons pas, bien sûr, revenir ici sur des millénaires de civilisation chinoise. Nous dirons simplement que, au travers de ces millénaires, la civilisation chinoise a connu des cycles entrecoupés de périodes de décadence, de décomposition, qui ne l'ont toutefois jamais ramenée "à la case départ", à un niveau de développement inférieur à celui du début du cycle. Tout le monde a entendu parler du très haut niveau technologique et scientifique de la Chine comparativement à l'Europe de l'an 1000, par exemple.

    Néanmoins, la dernière période de décadence, à partir du 17e siècle, se traduisit d'abord par la prise de pouvoir d'une dynastie "périphérique" (les Qing mandchous), puis par l'installation d'une DOMINATION OCCIDENTALE. Celle-ci se consolida, globalement, au milieu du 19e siècle, dans les années 1840-60. Après quelques guerres, la dynastie Qing se fit l'alliée des impérialistes. Le capitalisme occidental, ses marchandises, puis ses capitaux pénétrèrent ainsi dans le vieil Empire du Milieu : ce fut la négation de la Chine millénaire.

    Ensuite, qu'a-t-on eu ? Dans un premier temps, des révoltes populaires spontanées, sans forcément de projet politique bien établi, parfois d'inspiration mystique (comme les Tai'ping), et souvent appuyées par des éléments féodaux hostiles à l'intrusion occidentale. La dernière en date fut celle des Poings de Justice, vers 1900. C'est à cette même époque que commença à se constituer un nationalisme bourgeois, partisan d'une République bourgeoise qui abolirait la dynastie des Qing et, en même temps, libérerait le pays de la mainmise occidentale. Celui-ci se concrétisa dans le parti du KUOMINTANG.

    Ce fut la révolution Xinhai, la révolution bourgeoise de Sun Yat-sen, et l'instauration de la République de Chine en 1911-12. Mais la contre-révolution, appuyée par les impérialistes et les partisans de la monarchie défunte, veillait au grain : le général Yuan Shikai renversa et exila Sun Yat-sen, puis se proclama... empereur, mais mourut l'année suivante ; et la Chine se désagrégea en territoires de "seigneurs de la guerre" (chacun appuyé par une ou plusieurs puissances impérialistes).

    Le Kuomintang, avec son Armée Nationale Révolutionnaire, se lança alors à la reconquête du pays sur les "seigneurs de la guerre", dans les années 1920. Reconquête à laquelle participa le Parti communiste (fondé en 1921), aux côtés du Kuomintang... eh oui ! On connaît des "maoïstes" qui seraient bien incapables de comprendre pourquoi, dans la Chine de Mao (et encore aujourd'hui, mais c'est une autre histoire^^), on élevait des statues à Sun Yat-sen et on lui vouait une grande vénération, alors qu'il avait fondé le parti... renversé par Mao en 1949 !!!

    http://www.chine-informations.com/images/upload2/Communists_enter_Beijing_28194929.jpgC'est tout simplement que le GRAND processus de négation de l'ordre des choses "semi-féodal semi-colonial" qui régnait en Chine au début du 20e siècle (un Empire millénaire pourrissant, passé sous domination impérialiste étrangère) ; avec, pour contradiction motrice, la contradiction masses populaires / impérialisme + serviteurs locaux ; s'est lui-même composé de plusieurs cycles (*) : le cycle des "révoltes spontanées et mystiques" (des Tai'ping aux "Boxers") ;  le cycle 1911-27, durant lequel la bourgeoisie Kuomintang était objectivement du côté des masses ; et le cycle 1927-49 où, malgré l'intermède du "Front uni" contre les Japonais, le KMT était globalement (mis à part une petite fraction ralliée au PC) du côté de l'impérialisme et de ses agents locaux (tels de nouveaux Qing)... En rompant avec le KMT (par la force des choses, après les massacres de 1927...) et en engageant bientôt la Guerre populaire, le PC de Chine a nié la République de Chine du KMT, pour affirmer la République populaire. Et même après 1949, la lutte des classes se poursuivant sous la dictature du prolétariat, il y eut d'autres cycles : le "cycle de la démocratie nouvelle" s'achevant par la mise en retrait de Mao au début des années 60 (et un "premier triomphe révisionniste"), puis le "cycle de la Révolution culturelle" 1966-76, de loin la plus exaltante expérience révolutionnaire du 20e siècle...

    En fait, si l'on essaye de décrypter la pensée de Mao, ce qu'il semble avoir voulu dire, c'est que la "négation de la négation" ne signifie pas un "retour à la case départ" : c'est pourquoi il tient à souligner que toute négation est en même temps une affirmation. En somme : nier ne veut pas dire annuler. La négation de la négation ne signifie pas N + (-N) = 0.

    Si l'on reprend l'exemple des modes de production, la négation de la féodalité, "négation de la négation" de l'esclavagisme, signifie le capitalisme, pas le retour à l'esclavagisme ! Et, dans le processus de la Révolution chinoise, la négation du "cycle KMT" ne signifie pas le retour aux Qing, mais la Guerre populaire avec la Démocratie Nouvelle au bout !

    Voilà ce que feraient bien (et l'on revient ici à l'exemple du Népal) de méditer certains "maoïstes"... Mais non : ils préfèrent affirmer que "la négation de la négation n'existe pas", car c'est pour eux le moyen de renier toute notion de tactique, toute notion d'étape, de "cycle" dans un processus révolutionnaire prolongé.

    Mais, allez-vous nous dire, la révolution chinoise a finalement été vaincue ! Deng Xiaoping n'a-t-il pas rétabli le capitalisme ? La Chine n'est-elle pas aujourd'hui le pays le plus capitaliste au monde ? C'est vrai... Mais, sur tous les plans, entre la condition des masses chinoises aujourd'hui et en 1900 ou 1920, y a-t-il photo ? Soyons sérieux... Malgré les inégalités intolérables qui se sont réinstallées, la main du progrès est clairement passée par là. La Chine n'est plus un pays arriéré, féodal et dominé par l'impérialisme : c'est un pays hautement développé, sans doute impérialiste, ce qui signifie que la révolution doit désormais être SOCIALISTE (il n'y a plus de féodalité ni de domination étrangère à éliminer). Au niveau universel, la lutte du prolétariat a gagné un apport considérable à sa théorie scientifique : le maoïsme. Armé du maoïsme, le mouvement révolutionnaire est maintenant plus fort qu'il ne l'a jamais été.

    Bref... La défaite de la révolution chinoise s'inscrit dans un contexte mondial, celui du reflux de la première vague de révolutions prolétariennes. Le processus de la révolution prolétarienne, commencé au 19e siècle, a culminé (globalement) entre 1917 et 1976, mais, dans le dernier quart du 20e siècle, on peut dire qu'un cycle s'est refermé. POUR AUTANT, NI pour la Chine NI pour le monde dans son ensemble, les choses ne sont (et ne seront jamais) comme avant la révolution chinoise, et comme avant ce cycle de révolutions qui va des années 1910 aux années 1970. Sur la route du communisme, la Chine a reculé par rapport à 1970, mais n'est pas revenue en 1910, 1920, ni même 1945 ! Le Népal a reculé, sans aucun doute, par rapport à la veille de la chute de la monarchie, en 2005-2006, quand seule Katmandou échappait au Pouvoir rouge ; mais il n'est pas revenu au début des années 90 (encore moins à avant 1990)... La fin d'un cycle ramène au-dessous de son point culminant, mais jamais au point de départ.

    En définitive, toute la question de l'activité des communistes, de la justesse de la ligne suivie, est la question d'à quel point (de la "marche vers le communisme") va nous "déposer" le cycle de luttes de classe dont nous sommes partie prenante. On en revient à ce qui était expliqué ici, dans l'article "Sur le processus révolutionnaire" : soit on change de classe dominante, donc de mode de production, et c'est une révolution ; soit on reste dans le même mode de production, mais on a une mise à niveau de l'organisation sociale avec le niveau des forces productives (et de la "conscience collective engendrée"), et c'est une réforme. En France il n'y a pas eu, à ce jour, de révolution socialiste. Il y a eu, après la Libération, des réformes, une mise à niveau de l'organisation sociale (ainsi que, dans une moindre mesure, dans les années 70-80, suite à l'"effervescence" post-68). Il n'y a pas eu de révolution, de prise du pouvoir par la classe ouvrière, parce qu'aucune organisation révolutionnaire n'a suivi une ligne correcte, suffisante. Pour autant, celui qui irait dire que ces cycles de luttes du 20e siècle, que le PC révolutionnaire des années 20-30-40 ou encore le mouvement de Mai 68 n'ont "servi à rien" ; que nous sommes "plus éloignés du communisme qu'auparavant" ; serait volontiers invité à remonter le temps et à aller passer quelques jours dans un coron du Nord en 1910...

    Au Népal, le "cycle maoïste" des années 1990-2000 a amené à l'abolition de la monarchie et à une république parlementaire "démocratique" bourgeoise, sans remettre en cause la domination impérialiste et l’oligarchie locale, et très partiellement seulement la féodalité. Bien sûr, si le PCN(m) avait eu une meilleure compréhension du marxisme-léninisme-maoïsme, ce "cycle" aurait pu "déposer" directement le peuple népalais dans une République populaire, une république "démocratique bourgeoise de nouveau type", avec au pouvoir le prolétariat et ses alliés paysans, petits-bourgeois aux conditions de vie prolétariennes etc. Il y aurait eu une révolution et non une réforme. Mais les communistes ne sont pas là pour "refaire l'histoire" avec des "si"... Leur rôle serait plutôt de rechercher, en tirant les leçons de l'expérience, les moyens de lancer un nouveau cycle qui, cette fois-ci, amènera le prolétariat népalais au pouvoir.

    Aujourd'hui, nous sommes entrés dans la NOUVELLE VAGUE DE LA RÉVOLUTION MONDIALE. Dans les dernières décennies du siècle dernier, les limites de la compréhension du monde (entre autres, de la compréhension de tout ce qui précède...), par les communistes, ont conduit la totalité des États révolutionnaires, socialistes ou de démocratie populaire, qui s'étaient construits, à disparaître. Mais, à présent, la dynamique est à nouveau ascendante. Peut se poser, bien sûr, la question des souffrances que l'humanité aura à traverser (et c'est une question que les communistes doivent prendre en compte : une de leurs tâches est, justement, d'essayer de limiter autant que possible ces souffrances). Tel est le sens du mot d'ordre "socialisme ou barbarie". Mais, c'est une certitude, la fin de ce siècle verra une humanité bien plus proche du communisme qu'elle ne l'est aujourd'hui !

    EN RÉSUMÉ :

    - Le rejet, par Mao, de la "négation de la négation", semble être plus un rejet du TERME, que de la substance de celui-ci (ce que Marx et Engels entendaient par ce terme). Dans son histoire, le PC de Chine a très fréquemment fonctionné par "négation de la négation" : négation du "premier Front uni" (contre les seigneurs de guerre) en 1927, négation du Front antijaponais en 1946, négation de la "démocratie bourgeoise de nouveau type" par le Grand Bond en 1958 et la Révolution culturelle en 1966 (pour avancer dans le socialisme, vers le communisme). Mais il est vrai que le terme peut prêter à confusion : laisser entendre que, par la "négation de la négation", on revient "à la case départ". C'est bien entendu faux. Il vaut mieux parler de "cycles", de "processus" qui amènent la société humaine, l'organisation sociale, la reproduction des conditions d'existence, la civilisation, à un niveau supérieur.

    - Mao affirme que la "négation de la négation" est, dans tous les cas, subordonnée à la loi de la contradiction. C'est exact : on peut dire, plus clairement, que la "négation de la négation" est l'apparence vue de l'extérieur, le rythme que prend l'évolution de la société humaine (et le mouvement dialectique de toute chose en général) ; tandis que la loi de la contradiction, l'"unité relative des contraires" (unité et lutte, principalement lutte) en est la FORCE MOTRICE (dans la société humaine, c'est la lutte des classes).

    - Sous ce point de vue, il y a de GRANDS cycles, qui font passer l'humanité d'une classe dominante, d'un mode de production et d'un type de société à un autre (par exemple : de la féodalité au capitalisme, ou bien sûr du capitalisme au communisme) ; et des petits cycles qui sont les subdivisions du grand. Chacun amenant l'humanité plus près de son but (négation de la féodalité par le capitalisme, négation du capitalisme par le communisme), l'évènement déterminant étant bien sûr le changement de classe dominante aux commandes de l’État. Les petits cycles qui échouent à accomplir ce changement, débouchent sur une réforme de l'organisation sociale (dans le cadre du même mode de production). Le rôle des communistes, dans les luttes présentes qu'ils vivent, est bien sûr de faire en sorte qu'il n'en soit pas ainsi, mais qu'il y ait bien prise de pouvoir par le prolétariat. Si cela échoue, ils doivent faire en sorte que cet objectif soit beaucoup plus proche qu'il ne l'était au début du cycle (c'est le cas au Népal : l'objectif est beaucoup plus proche qu'il ne l'était en 1990 ; toutefois, il aurait pu y avoir prise du pouvoir par le prolétariat, et c'est ce qui est douloureux à supporter pour beaucoup de communistes à travers le monde).

    - Cette distinction entre "grands" et "petits" cycles recoupe, finalement, la distinction stratégie/tactique. La stratégie des communistes, c'est la négation du capitalisme par le communisme, essentiellement en deux phases : la GUERRE POPULAIRE jusqu'à la prise du pouvoir par le prolétariat (dans un pays donné) ; le SOCIALISME (ou la démocratie nouvelle puis le socialisme) ensuite. Au sein de ce grand processus prolongé (très long), chaque période historique immédiate a ses grands affrontements de classe, ses grandes luttes contre la classe dominante (puis, sous le socialisme, contre la restauration capitaliste, les anciens et néo-bourgeois), avec leurs flux et reflux. Dans chacune de ces périodes historiques, les communistes déterminent leurs TACTIQUES, avec pour objectif, à l'issue de chaque cycle, de rapprocher au maximum le prolétariat, et les masses populaires derrière lui, de leur objectif (conquête du pouvoir, puis communisme)**.

    Il est donc parfaitement logique que les prétendus "maoïstes" (ultragauchistes petits-bourgeois) qui veulent nier toute idée d'étape, de flux et de reflux, de tactique, afin de satisfaire leurs fantasmes "puristes" d'intellectuels, affirment que Mao a rejeté la théorie de la "négation de la négation". Pour eux, le Parti est une "Lumière" qui descend du ciel sur les masses, produit de leur "Génie éclairé" ; et non l'avant-garde (la plus consciente et organisée) des exploité-e-s, qui se forge dans le mouvement réel de la lutte de classe, avec ses avancées et ses reculs, avec ses cycles... Si "tout n'est pas parfait" dès le départ, alors "tout est foutu" : il va sans dire que l'histoire du PC de Chine suffit, à elle seule, à démentir une telle conception.

    - Une "question-piège" pourrait alors être posée : comment se fait-il, comment s'est-il fait (au siècle dernier), qu'il ait pu y avoir restauration capitaliste (en URSS et Europe de l'Est, en Chine, au Vietnam, à Cuba : partout) ; autrement dit, négation du socialisme par le capitalisme ? Comment le socialisme peut-il être nié par le capitalisme ? Ne doit-il pas l'être (logiquement) par le communisme ?

    Eh bien, c'est tout simplement (et c'est peut-être là une grande limite de la compréhension communiste au 20e siècle) que la négation du capitalisme n'est pas le socialisme, mais le COMMUNISME : le socialisme est le processus de cette négation, après la conquête du pouvoir par le prolétariat (avant, c'est la Guerre populaire). Un processus qui, lui aussi, avance par cycles ; chaque cycle amenant la société plus près du communisme qu'à son commencement. Mais, à ses débuts, le Pouvoir prolétarien est fragile, surtout si nous sommes dans la première vague de révolutions prolétariennes de l'histoire humaine (pas ou peu d'expérience antérieure, donc) et surtout si (justement) il y a une mauvaise compréhension de ce qu'est le socialisme. Il peut donc être défait, non seulement par la Réaction extérieure et les vieilles classes déchues, mais (grand acquis du maoïsme) par la néo-bourgeoisie se formant au sein même du Parti et de l’État révolutionnaire. En URSS, le "cycle révolutionnaire bolchévik" a amené le prolétariat au pouvoir et culminé avec le lancement de la collectivisation (vers 1930), mais le Pouvoir prolétarien a commencé à se déliter, processus achevé à la fin des années 50. En Chine, la Révolution maoïste a mis les ouvriers et les paysans pauvres au pouvoir, a culminé dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, mais s'est aussi délitée et la contre-révolution a triomphé à la fin des années 70.

    Ces processus ont amené (comme toujours) les masses populaires plus près du communisme qu'au départ, mais les ont ramenées dans le capitalisme, après que le prolétariat ait été au pouvoir pendant une certaine période. Au final (de ce qui reste aujourd'hui, ce qui n'a pas été détruit), seules auront été accomplies les tâches révolutionnaires bourgeoises, dans des pays encore arriérés et féodaux : cela aura été la révolution industrielle de la Russie et de la Chine, en définitive. Pour autant, les masses populaires chinoises, les masses populaires russes (et ukrainiennes, etc.) sont objectivement plus près du communisme qu'elles ne l'étaient sous Tchang Kaï-chek et Nicolas II. Si l'on prend l'exemple de la révolution bourgeoise en France : la Restauration de 1815 a-t-elle ramené la société au Moyen-Âge, ou même sous Louis XIV ou Louis XV ? Bien sûr que non... Elle n'aura été qu'un recul (temporaire) dans le processus bourgeois de négation de la féodalité et d'affirmation du capitalisme (et du système politique parlementaire-libéral). Quelques "ultras" monarchistes auront simplement tenté de ramener le capitalisme au 18e siècle : un capitalisme "encadré" par une bureaucratie féodale (noblesse d'office), vivant sur son dos en parasite... Mais sans succès (la révolution bourgeoise reprendra le dessus en 1830 et 1848).

    De la même manière, le rétablissement du capitalisme, dans tous les pays engagés sur la voie socialiste au 20e siècle, n'est qu'un recul temporaire (dû aux limites de la compréhension du monde, des mécanismes de la transition vers le communisme etc.). En prenant appui sur l'expérience passée, la nouvelle vague de la révolution mondiale saura éviter le rétablissement du capitalisme, la prise de pouvoir par une néo-bourgeoisie, dans les pays où le prolétariat aura conquis le pouvoir : elle saura dans ces pays (et, à terme, dans le monde entier !) poursuivre la négation socialiste du capitalisme jusqu'au communisme !

     


    [(*) Ainsi que l'expose Mao, justement, dans De la contradiction, chapitre 3 "Le caractère spécifique de la contradiction" : "Bien que la nature de la contradiction fondamentale du processus pris dans son ensemble, c'est-à-dire le caractère de révolution démocratique anti-impérialiste et antiféodale du processus (l'autre aspect de la contradiction étant le caractère semi-colonial et semi-féodal du pays), n'eût subi aucun changement, on vit se produire au cours de cette longue période des événements aussi importants que la défaite de la Révolution de 1911 et l'établissement du pouvoir des seigneurs de guerre du Peiyang, la création du premier front uni national et la révolution de 1924-1927, la rupture du front uni et le passage de la bourgeoisie dans le camp de la contre-révolution, les conflits entre les nouveaux seigneurs de guerre, la Guerre révolutionnaire agraire (19), la création du second front uni national et la Guerre de Résistance contre le Japon - autant d'étapes de développement en l'espace de vingt et quelques années."]

    [(**) Le "destin" communiste de l'humanité est inéluctable. La valeur d'un Parti communiste se mesure à combien, dans le mouvement réel auquel il participe (n'est pas un Parti communiste un Parti qui n'y participe pas...), il réussit à avancer les masses de son pays vers cet objectif. Combien chaque cycle se referme loin, ou au contraire ridiculement près, de son point de départ : élever (beaucoup ou peu) la conscience et l'organisation révolutionnaire dans les masses (dans l'objectif de la conquête du pouvoir), conquérir ou non le pouvoir, réussir (lorsqu'il est conquis) à le conserver ou au contraire laisser le capitalisme se rétablir dans les rapports sociaux, puis à la tête de l’État, etc. Une grande question, qui traverse le mouvement communiste depuis longtemps, étant : l'humanité peut-elle avoir un autre avenir que le communisme ? On pense notamment à une régression vers la barbarie... Servir le Peuple ne le croit pas, il ne croit pas à ces scénarios post-apocalyptique de cinéma, à la "Mad Max". Le slogan "socialisme ou barbarie", parfois mis en avant par SLP, fait simplement référence au niveau de souffrances que l'humanité devra traverser d'ici à la chute du capitalisme, niveau que les communistes doivent se donner pour objectif, même si cela semble "impossible", de rendre minimal. "Socialisme ou barbarie" signifie que le plus vite, et le plus largement nous ferons triompher le socialisme sur la Terre, le plus nous pourrons éviter à l'humanité, ou limiter dans l'espace et dans la durée, les souffrances des crises (comme en Grèce), des guerres exterminatrices (comme en Afrique centrale ou en Irak), du fascisme et autres dictatures terroristes réactionnaires (comme celles qui écrasent les peuples arabes, de nombreux peuples d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine etc.). Mais l'humanité s'ouvrira, quoi qu'il arrive, la voie vers le communisme. La seule "variable" consiste en les souffrances qu'il faudra endurer pour y parvenir. L'humanité actuelle ne peut régresser à un niveau pré-capitaliste, encore moins archaïque ou primitif. Ainsi, les "invasions barbares" et les "âges obscurs" (du 5e-6e siècles de notre ère) sont très largement un mythe de la bourgeoisie (qui célébrait l'Antiquité gréco-romaine, et voyait dans les féodaux les descendants des "barbares") : c'est l'Empire romain qui était décadent, et cette décadence s'est simplement poursuivie avant que ne se "stabilise" la féodalité (vers le règne de Charlemagne) ; en aucun cas la civilisation n'a régressé au niveau (par exemple) de la Gaule pré-romaine ; et la Méditerranée (avec les Byzantins, l'Espagne wisigothique, puis les Arabes) a même gardé un très haut niveau de civilisation (au 8e siècle, de l'Espagne à l'Irak, la civilisation arabe dépassait déjà largement la civilisation romaine antique). Ce processus de "négation" de l'Antiquité par la féodalité court globalement du 3e au 8e siècle de notre ère. Tout au plus, la brutalité et les dévastations des "invasions" (mais aussi, déjà, des guerres civiles du Bas-Empire romain décadent) sont les équivalentes des grandes dévastations guerrières que le capitalisme inflige à l'humanité depuis plus d'un siècle ; mais l'humanité euro-méditerranéenne s'est néanmoins frayée un chemin vers un niveau de civilisation supérieur, celui du califat de Bagdad et d'Al-Andalus, de l'Occitanie, de l'Italie et de la Flandre des 12e-15e siècle, etc. Il en sera de même pour la négation du capitalisme par le communisme !] 


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  • 1. Ces derniers jours, la résistance populaire en Grèce a encore atteint des sommets, encore franchi un cran dans l'affrontement avec le Capital et son État. Un État désormais incarné par un gouvernement "technique" ouvertement fantoche, marionnette de l'UE et sa BCE, créature de l'axe impérialiste franco-allemand.

    La Grèce est en effet, et cela apparaît ici clairement, un pays capitaliste dépendant, "avancé mais dominé", comme peuvent l'être l'Argentine ou la Corée du Sud : le mode de production capitaliste y est très clairement dominant (bien que des forces féodales y soient encore importantes, comme l’Église orthodoxe, plus grand propriétaire foncier du pays et jusqu'à récemment exemptée de taxes et d'impôts...), mais les capitaux étrangers (principalement des "grands" pays d'Europe : France, Allemagne, Italie...) y sont archi-dominants dans ladite production. Jusqu’aux années 1970, la Grèce était un pays ultra-arriéré, sous protectorat US de fait (anglais jusqu'en 1940), pour le contrôle géostratégique de la Méditerranée orientale ; ce qui se traduisit notamment par la terrible dictature des Colonels (1967-74). Mais après la chute de celle-ci (suite à des contradictions nationalistes avec l’État turc, autre allié régional de premier plan de l'impérialisme US), une "démocratie" bourgeoise aux mains de quelques "dynasties" politiques (les Papandréou, Karamanlis...) fut instaurée et la Grèce fut progressivement intégrée à l'UE (1981), comme "champ d'investissement" et débouché commercial pour les impérialistes français, allemands, anglais, italiens, d'Europe du Nord etc. (les nord-américains gardant de solides positions). Comme le furent à la même époque l’Espagne et le Portugal, et quelques années plus tard, les pays d'Europe de l'Est "libérés" du "socialisme réel" révisionniste.

    La bourgeoisie locale revêt un caractère oligarchique (voire bureaucratique-féodal, comme on l'a vu avec l’Église) caractéristique d'un pays non-impérialiste. Néanmoins, celle-ci, "les yeux plus gros que le ventre", a voulu "singer" les "grands frères" ouest-européens et "moyenniser" les masses populaires (par l'emploi public, l'aide sociale), pour en faire un grand marché intérieur (ce sur quoi ne crachaient pas non plus, sur le moment, les monopoles étrangers). Mais cela était complètement artificiel, et ne pouvait PAS tenir au regard de la base d'accumulation et des ressources de la bourgeoisie grecque. L’État se révéla finalement, à la fin des années 2000, surendetté à quelques 120% du PIB national ; et voilà l'effondrement où nous sommes, avec des masses populaires ravalées (bientôt) au niveau de vie du Proche-Orient ou de l'Afrique du Nord, voire pire. Un crash économique et social qui rappelle, furieusement, celui de l'Argentine en 2001-2002 (ou encore, à la fin des années 90, celui des "dragons" est-asiatiques).

    Une anecdote terrible : des paysans, venus en solidarité distribuer (à prix coûtant voire gratuitement) leurs produits aux masses des villes en lutte, ont vu se ruer sur leurs stands des milliers de personnes qui commencent à ne plus manger à leur faim !

    Les services vitaux (eau, électricité) sont coupés à des millions de personnes, des millions encore sont en impayés de loyers et menacées d'expulsion, ou se privent de soins médicaux. Des travailleurs jetés à la rue, des petits entrepreneurs ruinés se suicident par le feu, comme dans les pays arabes. La prostitution, dans une société très patriarcale où les femmes dépendent souvent des hommes économiquement, est en explosion.

    Comment s'étonner, alors, du déchaînement de rage prolétaire et populaire qui a explosé à travers tout le pays le week-end dernier ? Malheureusement, comme bien des fois auparavant, l'explosion risque de retomber comme un soufflé. Car il n'y a pas, dans ce pays, d'avant-garde organisée du mouvement qui soit susceptible de structurer, orienter et surtout MAINTENIR la lutte de masse dans la durée, de manière prolongée, jusqu'au renversement de la classe dominante. On remerciera, au passage, une certaine misérable petite "avant-garde autoproclamée" de nous faire remarquer cette absence, dont les communistes conséquents sont bien conscients depuis le début de la "crise grecque" ; et, surtout, de ne rien proposer comme perspective (comme d'habitude : toujours que critiquer).

    Il faut être bien clairs sur une chose : les masses populaires grecques, dans leurs souffrances comme dans leur insurrection et leur refus de la fatalité, sont HÉROÏQUES et ne méritent que notre respect, et rien d'autre. Ce n'est pas du côté de Servir le Peuple que l'on déversera sur elles des tombereaux de mépris et d'aigres vomissures, comme le font (fidèles à eux-mêmes) les "jefaturas" aussi éclairées qu'autoproclamées de Voie Lactée : "aucune culture communiste" (dans le pays de la plus héroïque guerre antifasciste d'Europe, 1940-49 !), "chauvinisme" (alors que la Grèce, on l'a dit, est un pays dépendant : il est donc normal que des sentiments nationaux se greffent sur la question sociale ; et ces sentiments peuvent même être utilisés tactiquement, maintenant qu'il y a un gouvernement ouvertement fantoche de Paris et Berlin !), etc. etc. La meilleure, c'est quand même lorsqu'ils disent que "dans un émeute du 1er Mai à Berlin, on arrive au même résultat (que dans la nuit d'émeute de dimanche dernier), avec seulement quelques milliers de personnes" ; autrement dit, les mobilisé-e-s de Grèce seraient des "couilles molles" : voilà une analyse qui sent bon le "concours de bites" et guère l'"anti-virilisme" pourtant sans cesse proclamé. Et, de surcroît, c'est complètement faux : il n'y pas "quelques milliers" de manifestant-e-s à Berlin le 1er Mai, mais des centaines de milliers (des partis, syndicats etc.) ; ce qu'il y a, ce sont quelques milliers de black et red blocks ; et c'était exactement la même chose en Grèce le week-end dernier : des centaines de milliers de manifestant-e-s, mais seulement quelques milliers allant "au fight" à Athènes et quelques centaines dans les autres villes, l'immense majorité restant dominée par le légalisme de type KKE ou SYRIZA - et c'est bien là TOUT LE PROBLÈME. Mais, pour nos avant-gardes autoproclamées, le problème serait que... les manifestant-e-s ne se sont pas fait-e-s tirer dessus comme des lapins (ce qui démontrerait que "l’État maîtrise le processus") ! Fidèles à eux-mêmes, on vous dit...

    2. Le problème en Grèce, donc, est là. Ce n'est pas, comme diraient les trotskystes, un simple "problème de directions" bureaucratiques et réformistes, qu'il suffirait de mettre face à des revendications "débordant automatiquement le cadre du capitalisme" (ce que les trotskystes s'échinent à faire depuis 70 ans). Les directions traîtres, bureaucratiques, néo-bourgeoises (la bureaucratie syndicale est effectivement un gros problème en Grèce, peut-être l’équivalent de l'Argentine...) s'appuient évidemment sur une culture politique qu'elles ont injecté dans les masses, et qui leur donne une base populaire.

    Quelles sont, en Grèce, les organisations se réclamant du communisme ?

    - Il y a d'abord le "célèbre" KKE, avec sa jeunesse (KNE) et son syndicat "de lutte", le PAME. Le bloc KKE/KNE/PAME est réellement massif, il compte plusieurs centaines de milliers de militant-e-s (et pèse entre 8 et 10% aux élections). Par rapport à beaucoup de P"c" européens issus du défunt Komintern (sans même parler de ceux devenus explicitement soc'dem', comme l'ancien PCI), son discours apparaît à beaucoup d'égards "radical". Certes, la banderole "Peoples of Europe, rise up !" hissée sur le Parthénon est devenue célèbre... Mais c'est un Parti qui joue le rôle, pour faire court, du couple PCF/CGT de l'époque Marchais, au temps de "Raymond (Marcellin) la Matraque" : c'est un défenseur des institutions et de l’État bourgeois, sous un discours "souverainiste" (social-chauvin) selon lequel tous les problèmes viennent de Bruxelles. Depuis 1973 (déjà, à l'époque des Colonels !), lors de la célèbre insurrection de l’École polytechnique d'Athènes, il est connu pour son rôle de défenseur politique, et parfois PHYSIQUE du Pouvoir : tout antagonisme de classe assumé est pour lui de la "provocation fasciste" ! Ses jeunesses KNE sont surnommées "KNAT" par les anarchistes, par contraction-jeu-de-mot avec les MAT qui sont les unités de police anti-émeute ; et son mot d'ordre actuel est que la révolution grecque se fera "sans casser une seule vitrine" : autant dire que ça va aller loin... Malheureusement, la grande majorité de la classe ouvrière et du petit emploi public sont sous sa coupe.

    - Il y a la coalition dite "SYRIZA" (Coalition de la Gauche radicale), constituée autour des soc-dem's de Synapsismos (SYN), issus de l'eurocommunisme des années 1980. Ses résultats électoraux tournent autour de 5%. On y trouve divers groupes "alternatifs", "écologistes de gauche", trotskystes "modérés", mais aussi, dans une participation "critique", une organisation se réclamant de Mao Zedong : le KOE. C'est une organisation assez importante, qui compterait un gros millier de militant-e-s (soit, rapporté à la population grecque, l'équivalent de Lutte Ouvrière ici). Malheureusement, dans sa pratique, elle est un peu l'équivalent de la LCR des années 1990-2000... Sa position vis-à-vis du mouvement "indigné" de Syntagma (assez radical, par rapport à la moyenne "indignée" en Europe) était suiviste, droitière : ne surtout pas venir "perturber" le mouvement avec des mots d'ordre marxistes révolutionnaires, "dogmatiques" selon eux, etc. Au final les déclarations de l'"Assemblée de Syntagma" étaient plus radicales, plus révolutionnaires que les positions de l'organisation elle-même !

    - Une dernière coalition a vu le jour en 2009 : ANT.AR.SY.A, acronyme de "Front de la Gauche anticapitaliste", en grec "Coordination de la Gauche anticapitaliste pour le Renversement" (le mot grec "antarsya" signifie "soulèvement", "révolte", "mutinerie"). Elle est en grande partie issue de l'ancien "Front de la Gauche radicale" (MERA). Là aussi, la coalition regroupe essentiellement des formations trotskystes (OKDE-Spartakos, SEK "frère" de SWP), de "gauche anticapitaliste", des Jeunesses issues du KKE (sorties lorsque celui-ci, à la fin des années 1980, alla jusqu'à faire alliance avec la droite réactionnaire de Karamanlis !) ; mais aussi une organisation "pensée Mao Zedong", l'EKKE (Mouvement Communiste Révolutionnaire de Grèce). Nous n'avons pas plus d'informations sur celle-ci, hormis cette courte présentation en anglais. La coalition a fait une (petite) percée aux élections locales de 2010, avec 1,8%.

    Globalement, l'idée qui sous-tend les deux "coalitions" ci-dessus, avec des alliances qui peuvent paraître, ici, tellement contre-nature (des "maos" avec des trotskystes et des "anticapitalistes" divers), c'est l'idée qu'avant d'envisager tout processus révolutionnaire, il faut reconstituer en Grèce une "vraie gauche", "populaire, radicale, anticapitaliste", "en rupture" avec le système politique dominé par deux partis-familles (PASOK-Papandréou et ND-Karamanlis) et le KKE dénoncé comme leur "caution de gauche". Ceci reflète bien l'ampleur du traumatisme des communistes grecs, le vide béant laissé par la trahison du KKE dans les années 1950 (la direction révolutionnaire, réfugiée en URSS, fut liquidée sur ordre de Moscou), trahison qui laissa les masses désarmées face aux sanglants Colonels, et à la république oligarchique qui leur succéda...

    Mais c'est prendre les choses totalement à l'envers : c'est en construisant, en développant, en perfectionnant le Parti que l'on agrège, développe et renforce autour de lui le Front populaire anticapitaliste ; et non l'inverse (le renforcement du Front qui développe le Parti).

    En dehors de ces coalitions se trouve également un KKE(ml), issu de la rupture antirévisionniste "historique" (années 60), qui se réclame lui aussi de Mao Zedong. Il fait cavalier seul depuis le début des années 2000. Il se présente également aux élections, avec des résultats extrêmement faibles (de l'ordre de quelques milliers de voix). Il est peu probable, quoi qu'il en soit, qu'il ait réussi à surmonter les limites qui ont conduit le marxisme-léninisme, en Grèce comme ailleurs, à la faillite révisionniste (la première des années 1950-60 (khrouchtchévisme) ; comme la deuxième, de la plupart des "antirévisionnistes" des années 1960, à partir des années 1980).

    Il y a encore cette découverte "marrante" (et récente) : l'OAKKE. Fondée au milieu des années 1980, issue d'un certain "atlanto-trois-mondisme" de ces années-là, elle est tout simplement l'équivalent (en peut-être plus "franc du collier") de ce qu'était ici le 'p''c''mlm' en 2008-2010 : l'ennemi principal pour l'humanité d'aujourd'hui est l'impérialisme russe (!), héritier du social-impérialisme soviétique, équivalent au 21e siècle du IIIe Reich nazi ; et ceux qui dénoncent et combattent les impérialistes ouest-européens, nord-américains ou encore les crimes colonialistes du sionisme sont ses alliés objectifs (voir un florilège de leurs délires ici). CQFD...

    Et puis, enfin, il y a le "BLOC" ANARCHISTE. Si l'on peut parler d'un "bloc"... Car, si le mouvement anarcho-communiste et libertaire est d'une ampleur inégalée en Europe, il est divisé, groupusculo-sectaire, les groupes n'ayant aucune coordination (autre que très formelle), voire étant parfois rivaux entre eux. Ceci se surajoute à la limite historique (et éternelle) de l'anarchisme : penser que l'on peut "nier", "dissoudre" l’État, refuser son renversement et son remplacement par un État révolutionnaire du prolétariat, bref, le non-dépassement total des limites de la Commune de Paris, du mouvement révolutionnaire du 19e siècle... l'incompréhension que "HORMIS LE POUVOIR, TOUT EST ILLUSION" !

    Les "black-blocks" hellènes sont une véritable armée qui pourrait, sur une lutte prolongée de plusieurs années, balayer le vieil État pourri et ses maîtres impérialistes de Paris, Berlin et Bruxelles... Mais ils ne prendront jamais le pouvoir (pour instaurer le communisme dont ils se réclament), puisqu'ils... ne le veulent pas !

    Parallèlement, existent quelques groupes menant la lutte armée, correspondant à la définition (et à toutes les limites) des "minorités agissantes" et de la "théorie de la suppléance" : Lutte Révolutionnaire est actuellement le plus connu ; l'historique "17-Novembre" a été démantelé en 2002.

    3. On voit donc toute l'ampleur du problème en Grèce... Le pays s'enfonce inexorablement dans une "re-tiers-mondisation" ; tandis qu'au vu du panorama ci-dessus, la décantation permettant l'émergence d'un Parti révolutionnaire du prolétariat (et, de là, d'un Front anticapitaliste autour de lui) pourrait prendre des années, voire une décennie... Car il ne suffit pas de "balayer les directions pourries" comme le pensent les trotskystes : il faut d'abord qu'une avant-garde émerge, se fasse reconnaître par la frange avancée du prolétariat, puis, seulement, commence à arracher les larges masses à l'emprise néfaste des réformistes, des révisionnistes, des partis bourgeois (pour lesquels il y a bien des millions de gens qui votent !) sans parler des fascistes, qui commencent à monter en puissance. Et les conceptions d'aucune organisation marxiste-léniniste, "pensée Mao" ou maoïste ne semblent pour le moment à la hauteur...

    Il faut dire aussi, sans doute, que le mouvement révolutionnaire en Grèce souffre d'une terrible tare : si le pays, en effet, fut avant-guerre surtout un protectorat britannique (et US ensuite), l'influence intellectuelle y est largement FRANÇAISE : autrement dit, amour du dogme et de la phrase intellectuelle, certitude de "détenir LA Vérité" et tendance au génie autoproclamé, faible propension à l'autocritique etc. etc. Ceci côtoyant une forte culture syndicalo-réformiste et légaliste (ce qui tombe bien : comme la bourgeoisie argentine, la bourgeoisie grecque a besoin d'un fort encadrement bureaucratique-syndical des masses laborieuses), à laquelle "réagit" un anarchisme décomposé ; tandis que le trotskysme (mécaniste cartésien) pense qu'il suffit de mettre les "directions" face à des revendications "débordant automatiquement le cadre du capitalisme" pour les "démasquer" et lancer les masses "à l'assaut du Palais d'Hiver", "comme en 17" !

    POUR AUTANT, non seulement CE SONT LES MASSES QUI FONT L'HISTOIRE et elles méritent notre respect (et non notre "regret" qu'elles ne se soient pas faites trouer la peau, parce qu'une "vraie révolution", vous comprenez, "faut que ça saigne" !) ; mais c'est de leur MOUVEMENT RÉEL, celui de la lutte de classe, que naît et émerge l'avant-garde la plus consciente et organisée, le PARTI. Et pas "d'en haut", des sphères "éclairées" de quelques petits-bourgeois intellectuels déclassés, cherchant dans la révolution l'importance existentielle que leur (très haute) estime d'eux-mêmes, bien au-dessus de la réalité, ne rencontre pas dans la société actuelle ; puants d'arrogance et de prétention ; "Parti" autoproclamé de la "Science" et de "l'Intelligence"... qui croit que Michel Aflaq, chrétien syrien et fondateur du Baas laïc, est (tenez-vous bien) un fondamentaliste musulman !

    Les communistes, non seulement se tiennent fermement et indéfectiblement aux côtés des masses dans leurs souffrances et leurs luttes, où que ce soit sur la Terre (cosmopolitisme pour nos "lumières éclairées") ; mais ont une FOI ABSOLUE dans celles-ci et dans leur capacité à trouver la voie et les instruments (dont l'avant-garde) de leur émancipation. "Les masses sont la lumière même du monde... elles sont la fibre, la palpitation inépuisable de l'histoire ; quand elles parlent tout tremble, l'ordre chancelle, les cimes les plus hautes s'abaissent, les étoiles prennent une autre direction, parce que les masses font et peuvent tout", disait le grand dirigeant communiste Gonzalo, dont ces imposteurs aiment à vernir leur mascarade de "MLM". Avant de préciser "le Parti les dirige" ; et c'est tout ce que nos "génies" entendent et qui les intéresse : "diriger" les masses et la révolution parce qu'ils n'ont pas réussi (eh oui, la vie est dure !) à trouver leur place "brillante" dans le capitalisme... Mais voilà, le Parti est l'émanation des masses et de leurs luttes réelles ; les masses le reconnaissent et lui donnent en quelque sorte "mandat" de les organiser et de les diriger ; alors que, gageons que tout ce qu'elles donneront à nos "avant-gardes autoproclamées" (ceux-là comme d'autres de leur acabit), c'est une bonne volée de caillasse ou pourquoi pas de plomb !

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    Sur le site de La Cause du Peuple, une chronologie des évènements de dimanche dernier : Grèce : Résumé chronologique des événements du 12 février

     


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    Face à moultes prises de position de l'année écoulée, sur les révoltes populaires dans les pays arabes, les indignad@s et autres occupyers, les luttes de libération nationale etc. :

    "Supposer qu'une révolution sociale est pensable sans une révolte des petites nationalités dans les colonies et en Europe, sans des explosions révolutionnaires de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans le mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes inconscientes contre l'oppression de la noblesse, des églises, des monarchies et des nations étrangères - supposer cela serait ABJURER la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira “Nous sommes pour le socialisme”, et qu’une autre, en un autre lieu, dira “Nous sommes pour l’impérialisme”, et que ce sera alors la révolution sociale ! C’est seulement en procédant de ce point de vue pédantesque et ridicule qu’on pouvait qualifier injurieusement de “putsch” l’insurrection irlandaise.

    Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (...)

    La révolution socialiste en Europe ne peut être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement – sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible – et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, laquelle ne “s’épurera” pas d’emblée, tant s’en faut, des scories petites-bourgeoises."

    Lénine, Bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, chap.10 "L'insurrection irlandaise de 1916", Œuvres vol. 22

    Voir aussi : Lénine : La révolution socialiste en Europe... ("Democracia Real Ya" & Cie)

    À méditer...


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