• stalineLa question de Staline, plus de 55 ans après sa mort, reste malgré tout d'actualité. Tout simplement parce que Staline est au cœur de la propagande capitaliste pour la criminalisation du communisme, l'assimilation au fascisme et au nazisme etc.

    Il est facile d'encenser (même si c'est de plus en plus rare) des figures comme Lénine ou le Che, disparues prématurément, qui n'ont pas eu réellement à se frotter à la construction du socialisme, c'est à dire d'une autre société. Staline a été le symbole (car il n'était pas l'unique dirigeant) de la construction du socialisme, donc d'une société non-capitaliste en URSS. Pour la bourgeoisie, il faut à tout prix diaboliser cette expérience pour pouvoir dire aux travailleurs : "la démocratie (capitaliste) est le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres" !

    Bien entendu, Mao vient directement après lui dans cette entreprise de diabolisation.

    Le maoïsme ne consiste pas (contrairement aux "pro-albanais") à chanter les louanges de Staline. Malgré les nécessités de la lutte contre la restauration capitaliste en URSS, laquelle s'appuyait sur une dénonciation impitoyable de Staline, Mao et le PC chinois ont tenté d'avoir une analyse critique du bilan de l'URSS pour la période où Staline était à la tête du PC.

    Voici deux analyses d'organisations maoïstes actuelles. Le PCR du Canada résume et reprend dans les grandes lignes l'analyse de Mao et du PC chinois, nous ne pouvons donc qu'y souscrire totalement.

    L'analyse de Voie Prolétarienne va plus loin que l'analyse chinoise. Pour eux, la restauration du capitalisme en URSS aurait commencé sous Staline, dans les années 1930.

    Nous ne partageons pas cette analyse. L'on peut considérer que le socialisme soviétique, sous la direction de Staline, était très, très loin d'être parfait, et ne constitue certainement pas un modèle pour ce que nous voulons construire aujourd'hui. Ne serait-ce que parce que nous ne sommes pas dans le même contexte, ni dans le même pays, ni à la même époque...

    Mais de là à dire que l'entreprise de Staline était contre-révolutionnaire, que l'URSS était engagée dans une dynamique de restauration capitaliste, il y a un pas que nous ne franchirons pas et qu'aucun argument factuel ne vient étayer, contrairement à ce qui s'est produit à partir du milieu des années 1950.

    Cela rejoint, au fond, l'"analyse" (si l'on peut l'appeler ainsi...) de Trotsky selon laquelle Staline était un "Napoléon" russe, un contre-révolutionnaire.

    Peut-être, mais cela implique que Napoléon ait été un contre-révolutionnaire. Or, du point de vue de la révolution bourgeoise de 1789, ce n'était absolument pas le cas !!! Napoléon était un révolutionnaire, qui brisait les entraves féodales pour libérer les forces productives du capitalisme (définition d'une révolution bourgeoise).

    Mais un révolutionnaire qui a commis des erreurs et des fautes, qui n'a pas assez rompu avec l'ancien, avec les pratiques d'Ancien Régime, ce qui a finalement conduit à la Restauration. Il n'empêche que personne en Europe, au 19e siècle, ne considérait que Napoléon avait été un contre-révolutionnaire...

    Le même raisonnement, d'un point de vue prolétarien, peut être appliqué à Staline. Le principal reproche adressé par les communistes chinois, d'ailleurs, est d'avoir proclamé au milieu des années 1930 que la lutte des classes était terminée en URSS, que la restauration du capitalisme y était impossible. Ce qui rejoint le fameux "La Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie" de Napoléon...

    Voici les deux documents :

    (PCR du Canada)

    Pour une appréciation juste de la question de Staline


    Le chapitre du programme du PCR(co) qui présente notre ligne idéologique (i.e. le marxisme-léninisme-maoïsme) se propose de situer le développement de la science révolutionnaire du prolétariat à travers les différentes étapes que le mouvement communiste international a franchies tout au long de son histoire. Après avoir rappelé le rôle absolument crucial joué par Marx, Engels et Lénine, à la fois aux niveaux théorique et pratique, notre programme présente une évaluation assez sommaire de la place occupée par celui qui a pris la relève de Lénine à la tête du premier pays socialiste et dirigé le mouvement communiste international pendant près d'une trentaine d'années - à savoir, ce personnage tant décrié que fut Joseph Staline :

    « Après la mort de Lénine, les bolcheviks et Staline ont poursuivi l'expérience socialiste en Union soviétique et ont tenté de faire avancer la révolution mondiale. Staline a lutté fermement contre l'ancienne bourgeoisie et contre certaines déviations opportunistes comme le trotskisme, et dirigé la mobilisation du prolétariat et des peuples contre la montée du fascisme dans les années 1930 et 1940, y compris pendant la Seconde Guerre mondiale lors de laquelle le prolétariat soviétique a fait d'énormes sacrifices. Globalement toutefois, Staline a été incapable de comprendre les contradictions de la société socialiste; les conceptions erronées et les faiblesses d'alors du Parti bolchevik l'ont empêché de voir le développement d'une nouvelle bourgeoisie qui a éventuellement réussi à renverser les acquis de la révolution d'Octobre. À l'échelle internationale, Staline et le Parti bolchevik ont fait preuve d'une tendance à l'hégémonie qui a eu en plus pour effet d'étendre certaines de ces conceptions erronées à l'ensemble du mouvement communiste international.

    « Avec le temps, ajoutons-nous, la direction du Parti communiste de l'URSS s'est engagée dans la voie du capitalisme d'État : une nouvelle bourgeoisie est apparue autour de l'appareil d'État, qui a soumis de nouveau le prolétariat à des rapports d'exploitation. » Au cours des prochains mois, les militantes et militants du PCR(co) comptent étudier et débattre de cette période importante à tous points de vue - celle de la construction du socialisme en URSS - afin d'en arriver à une compréhension plus achevée des grands enjeux liés à la transition du capitalisme vers une société sans classes. C'est dans ce cadre général que nous souhaitons mener plus spécifiquement la discussion sur la « question de Staline », si controversée.

    Alors, Staline fut-il le plus grand génie, éducateur et chef de l'humanité, comme certains l'ont louangé à sa mort ? Ou plutôt un vulgaire assassin, bandit, despote et idiot, comme les mêmes gens l'ont affirmé trois ans plus tard, ouvrant la porte à ce qu'on a appelé la « déstalinisation » en URSS ?

    Dans un important article publié en 1963 qui visait à répondre à la campagne de dénigrement alors menée par le Comité central du PC de l'Union soviétique (PCUS) à l'encontre de Staline, la direction du Parti communiste chinois (PCC) écrivait : « La question de Staline est une grande question, une question d'importance mondiale qui a eu des répercussions au sein de toutes les classes du monde et qui, jusqu'à présent encore, est largement controversée. Les classes et les partis politiques ou factions politiques qui représentent les différentes classes ont des opinions divergentes sur cette question. Et il est à prévoir qu'une conclusion définitive ne puisse lui être donnée en ce siècle. » [1]

    Maintenant que ce siècle est terminé, quelle conclusion définitive lui donnerons-nous ? En d'autres termes, quels acquis et quelles leçons peut-on et doit-on tirer de l'expérience soviétique pour aller de l'avant dans la lutte pour le socialisme et le communisme ? Telles sont les grandes questions auxquelles le mouvement communiste de notre époque doit répondre.

    Les principaux détracteurs de Staline - qu'ils soient impérialistes, trotskistes ou anarchistes - ne peuvent concevoir qu'on puisse reconnaître ne serait-ce que quelques qualités à ce « monstre fini ». Pour eux, le personnage même de Staline - son « caractère » - impose qu'on le rejette parmi les figures les plus honnies de l'histoire.

    Cette critique unilatérale de Staline reflète la conception du monde bourgeoise selon laquelle ce sont les individus, et non la lutte des classes, qui font l'histoire et qui en constituent le moteur. Ainsi, pour les idéologues bourgeois, l'URSS fut d'abord et avant tout la création des grands personnages qui l'ont « imaginée », puis dirigée : au tout premier chef Lénine, et ensuite son successeur. À ce titre, Staline incarne pour eux non pas la « tyrannie » dans l'absolu, mais la tyrannie exercée contre leur propre classe. En effet, pendant des dizaines d'années, le dirigeant soviétique a personnifié le spectre de la fin des valeurs et des privilèges de la minorité bourgeoise et le « cauchemar » d'une société où il ne lui serait plus possible de se livrer aux pillages et à l'exploitation du plus grand nombre. Lorsqu'ils critiquent Staline, les bourgeois - qui n'ont habituellement aucune difficulté à fermer les yeux sur la terreur et le despotisme - dévoilent en fait leur haine du projet communiste lui-même et de ce qu'il représente.

    Fondamentalement, c'est la même conception bourgeoise et idéaliste qu'on retrouve derrière les critiques trotskistes (qui imputent à l'individu Staline la responsabilité principale des échecs et des difficultés rencontrées en URSS) et anarchistes (pour qui l'existence même d'une direction politique - incarnée, ou pas, par un dirigeant en particulier - constitue une entrave à l'avènement d'une société sans classes).

    Il ne s'agit aucunement ici de nier le rôle, positif ou négatif, qu'a pu jouer tel ou tel individu à tel ou tel moment de l'histoire. Seulement, pour l'apprécier correctement, il faut pouvoir le situer dans le cadre de la lutte des classes réelle et des conditions objectives et subjectives qui prévalaient à une époque et un endroit donnés. C'est ainsi, et seulement ainsi, que la critique de Staline nous permettra d'en arriver à une compréhension juste et plus avancée des exigences de la lutte pour le socialisme et le communisme. Bref, comme le disaient les camarades chinois dans l'article précité, « il ne s'agit pas seulement de porter un jugement sur sa personne, mais, ce qui est plus important, de faire le bilan de l'expérience historique de la dictature du prolétariat et du mouvement communiste international ». 

    La répudiation du « stalinisme » par Khrouchtchev et le PCUS

    Au sein du mouvement communiste, la question de Staline fut soulevée pour l'essentiel à partir de la présentation du fameux « rapport secret » par celui qui était devenu le premier secrétaire du Comité central du PCUS après son décès, Nikita Khrouchtchev. Ce dernier profita de la tenue du 20e congrès du Parti en 1956 pour lâcher cette « bombe » en présence des déléguéEs de la plupart des « partis frères » du PCUS, parmi lesquels le Parti communiste chinois. Selon Khrouchtchev, loin d'être « le grand maréchal toujours victorieux », voire même son « propre père » (comme Khrouchtchev l'avait lui-même affirmé à la fin des années 1930!), Staline n'était en fait qu'un imbécile, « un despote du type d'Ivan le Terrible » ainsi que « le plus grand dictateur de l'histoire russe ».

    Tout en admettant la pertinence d'une partie des critiques portées par Khrouchtchev, Mao a alors tout de suite vu que ce n'était pas tant les erreurs de Staline, en soi, qui étaient visées par les nouveaux dirigeants du PCUS, mais la légitimité même du marxisme-léninisme et de la construction du socialisme.

    Tandis que les révisionnistes Liu Shaoqi et Deng Xiaoping se rangeaient du côté de Khrouchtchev dans le rapport final qu'ils ont présenté au 8e congrès du PC chinois ayant eu lieu en septembre de la même année, Mao pressentait que la répudiation de Staline faite par le PCUS visait à ouvrir la porte à la restauration du capitalisme en URSS et à la consolidation du pouvoir de la nouvelle bourgeoisie qui s'y développait. C'est pourquoi il a tenu à ce que le PC chinois s'en distancie, par la publication de deux articles, « De l'expérience historique de la dictature du prolétariat » (1956) et « Encore une fois à propos de l'expérience historique de la dictature du prolétariat » (1957).

    En accord sur ce point avec le Parti communiste chinois, le Parti du travail d'Albanie (PTA), alors dirigé par Enver Hodja, se porta lui aussi à la défense de Staline. Un an après la tenue du 20e congrès du PCUS, le Plénum du PTA affirmait : « Nous ne sommes pas d'accord avec ceux qui liquident toute l'activité révolutionnaire de Staline... » [2]

    Suivant la tenue de deux grandes rencontres des Partis communistes et ouvriers ayant eu lieu à Moscou en 1957 et 1960, il est apparu de plus en plus clairement qu'une ligne révisionniste consolidée se cristallisait autour de Khrouchtchev et de la direction du PCUS. C'est ainsi que ce qu'on a qualifié de grand débat sur la ligne générale du mouvement communiste international est apparu au grand jour au début des années 1960. C'est dans ce cadre que les forces révolutionnaires au sein du mouvement, qui ont donné naissance au nouveau mouvement marxiste-léniniste, ont abordé la question de Staline.

    L'article publié par le Parti communiste chinois en 1963, auquel nous avons fait référence plus haut, s'inscrivait précisément dans le cadre de cette polémique. C'est dans ce contexte que Mao a livré sa fameuse évaluation à l'effet que les mérites de Staline prédominaient sur les erreurs qu'il a commises, dans une proportion qui fut évaluée à « 70/30 » (i.e. 70% d'aspects positifs vs 30% d'aspects négatifs).

    Cette évaluation fut rejetée par une partie du mouvement marxiste-léniniste naissant, en particulier par le Parti du travail d'Albanie, pour qui le fait même de reconnaître que Staline ait pu commettre des erreurs constituait une concession inacceptable à l'impérialisme et la réaction. Ce point de vue est encore défendu de nos jours par une organisation comme le Parti du travail de Belgique (le PTB), dont le principal dirigeant Ludo Martens a écrit plusieurs textes en défense de Staline. [3]

    À l'opposé, d'autres organisations, issues du mouvement maoïste, en sont venues à renverser l'équation faite par Mao : c'est le cas notamment de l'organisation Voie prolétarienne, en France, qui a remis en question « l'approche positive » de Staline. Pour ces organisations, ses aspects négatifs dépassent en effet les 30% évalués par Mao et se situent plutôt dans une fourchette s'étendant entre 30% et... 100%.

    Mais au-delà de l'aspect purement quantitatif de la chose, quel est donc le contenu idéologique et politique réel de la critique maoïste de Staline et surtout, quelle fut son utilité dans l'évolution de la ligne générale du mouvement communiste international ?

    La réplique de Mao et du Parti communiste chinois

    Dans l'article signé par la rédaction du Renmin Ribao et celle du Hongqi, précité, on peut lire :

    « Le PCC a toujours estimé qu'il faut faire une analyse complète, objective et scientifique des mérites et des erreurs de Staline, en recourant à la méthode du matérialisme historique et en représentant l'histoire telle qu'elle est, et non pas répudier Staline de façon totale, subjective et grossière, en recourant à la méthode de l'idéalisme historique, en déformant et en altérant à plaisir l'histoire.

    « Le PCC a toujours considéré que Staline a commis un certain nombre d'erreurs qui ont une source ou idéologique ou sociale et historique. La critique des erreurs de Staline, celles qui effectivement furent commises par lui et non pas celles qu'on lui attribue sans aucun fondement, est chose nécessaire lorsqu'elle est faite à partir d'une position et par des méthodes correctes. Mais nous avons toujours été contre la critique de Staline lorsqu'elle est faite d'une façon incorrecte, c'est-à-dire à partir d'une position et par des méthodes erronées. »

    Après avoir présenté de manière exhaustive la longue liste des apports positifs de Staline (lutte contre le tsarisme et pour la diffusion du marxisme en Russie, participation au Parti bolchevik et à la révolution d'Octobre, défense des conquêtes de la révolution prolétarienne, lutte contre les opportunistes et les ennemis du léninisme, lutte antifasciste, soutien à la lutte révolutionnaire des peuples du monde, etc.), le PCC conclut que « la vie de Staline fut celle d'un grand marxiste-léniniste, d'un grand révolutionnaire prolétarien », puis ajoute :

    « Il est vrai que tout en accomplissant des exploits méritoires en faveur du peuple soviétique et du mouvement communiste international, le grand marxiste-léniniste et révolutionnaire prolétarien que fut Staline commit aussi des erreurs. Des erreurs de Staline, certaines sont des erreurs de principe, d'autres furent commises dans le travail pratique; certaines auraient pu être évitées tandis que d'autres étaient difficilement évitables en l'absence de tout précédent dans la dictature du prolétariat auquel on pût se référer.

    « Dans certains problèmes, la méthode de pensée de Staline s'écarta du matérialisme dialectique pour tomber dans la métaphysique et le subjectivisme, et, de ce fait, il lui arriva parfois de s'écarter de la réalité et de se détacher des masses. Dans les luttes menées au sein du Parti comme en dehors, il confondit, à certains moments et dans certains problèmes, les deux catégories de contradictions de nature différente - contradictions entre l'ennemi et nous, et contradictions au sein du peuple - de même que les méthodes différentes pour la solution de ces deux catégories de contradictions. Le travail de liquidation de la contre-révolution, entrepris sous sa direction, permit de châtier à juste titre nombre d'éléments contre-révolutionnaires qui devaient l'être; cependant, des gens honnêtes furent aussi injustement condamnés, et ainsi il commit l'erreur d'élargir le cadre de la répression en 1937 et 1938. Dans les organisations du Parti et les organismes de l'État, Staline ne fit pas une application pleine et entière du centralisme démocratique du prolétariat ou y contrevint partiellement. Dans les rapports entre partis frères et entre pays frères, il commit aussi des erreurs. Par ailleurs, il formula, au sein du mouvement communiste international, certains conseils erronés. Toutes ces erreurs ont causé des dommages à l'Union soviétique et au mouvement communiste international. »

    Ceci dit, « en prenant la défense de Staline, le PCC défend ce qu'il eut de juste, il défend la glorieuse histoire de la lutte du premier État de la dictature du prolétariat instauré dans le monde par la révolution d'Octobre, il défend la glorieuse histoire de la lutte du PCUS, il défend le renom du mouvement communiste international auprès des peuples laborieux du monde entier ».

    Les communistes chinois étaient bien placés pour comprendre l'importance des erreurs que Staline a commises, puisque eux-mêmes les ont parfois payées chèrement. Comme le rappelle l'article, « dès la fin des années 1920, puis durant les années 1930, enfin au début et au milieu des années 1940 [bref, à toutes les étapes de la révolution chinoise, jusqu'à la prise du pouvoir...], les marxistes-léninistes chinois [se sont attachés] à enrayer l'influence de certaines erreurs de Staline, puis, après être progressivement venus à bout des lignes erronées, celles des opportunismes "de gauche" et de droite, ils ont fini par mener la révolution chinoise à la victoire ». Ces erreurs dont parle ici le PCC, ce sont notamment les directives en provenance de l'Internationale communiste, qui favorisaient la stratégie insurrectionnelle en Chine et sous-estimaient le rôle de la paysannerie, et qui se sont avérées particulièrement néfastes pour la révolution chinoise. Mao et les révolutionnaires au sein du Parti communiste chinois se sont battus contre ces conceptions erronées et ont fini par imposer leur propre stratégie - la révolution de démocratie nouvelle dans le cadre d'une guerre populaire prolongée - qui a conduit aux victoires que l'on sait.

    On voit donc que la critique maoïste de Staline est loin d'être complaisante. Mais elle n'a jamais ouvert et n'ouvre aucunement la porte à la déferlante anticommuniste de la bourgeoisie et des opportunistes, qui rejettent Staline non pas parce qu'il aurait failli à conduire l'Union soviétique au communisme mais au contraire, parce qu'il est allé trop loin dans cette direction. C'est une critique matérialiste, qui fut complétée en outre par d'autres études et d'autres textes, dont certains ont été regroupés dans un recueil qui fut publié en français au début des années 1970. [4]

    Certains de ces textes furent écrits par Mao en réaction à un article publié par Staline en 1952 [5] et au Manuel d'économie politique du PCUS. Mao y relevait le fait que le PCUS, sous la direction de Staline, avait négligé de mobiliser les masses dans la réalisation des transformations nécessaires à la consolidation du socialisme, et éventuellement à l'atteinte d'une société sans classes. En outre, Staline considérait que la collectivisation de l'agriculture, l'industrialisation et le développement rapide des forces productives, grâce à la planification économique centralisée, étaient le facteur clé et suffisant en soi, pour garantir le triomphe du socialisme. Ce faisant, il en était venu à sous-estimer gravement la nécessité de révolutionnariser les rapports de production afin de résoudre les contradictions qui continuent à exister, celles qui naissent et se développent dans le cadre même du socialisme. De fait, dès les années 1930, la direction du PCUS en était venue à considérer que les contradictions de classe s'atténuaient en Union soviétique et que la menace principale qui pesait sur l'existence du socialisme provenait de l'extérieur, et non de l'intérieur du pays.

    Pour Mao, on l'a vu, certaines erreurs commises par Staline auraient pu être évitées, tandis d'autres étaient inévitables, étant donné qu'il s'agissait de la première véritable expérience de construction du socialisme dans la jeune histoire du mouvement communiste. L'important, pour lui, c'était d'apprendre de ces erreurs et de cette expérience, afin d'aller plus loin dans la compréhension de ce qu'est le socialisme et de ce qu'il faut faire pour le consolider et le faire progresser. 

    Pour une approche juste de la question de Staline

    La critique maoïste de Staline et de l'expérience soviétique, liée à la pratique et à l'expérience même de la révolution chinoise, a permis à Mao et aux révolutionnaires au sein du Parti communiste chinois de développer grandement la théorie révolutionnaire, sur toute la question de la transformation de la société vers le communisme. C'est cette critique, ainsi que la systématisation à laquelle elle a contribué, qui ont éventuellement permis le déclenchement de la Révolution culturelle.

    Par l'étude de l'expérience historique de la dictature du prolétariat en URSS, des limites et erreurs qui ont été commises, les maoïstes chinois ont compris un certain nombre de choses et théorisé un certain nombre de concepts qui font désormais partie de la ligne générale du mouvement communiste international : 

    • le fait que la lutte des classes se poursuit pendant la période du socialisme;
    • qu'à cette étape, la contradiction principale oppose toujours le prolétariat à la bourgeoisie;
    • qu'une nouvelle bourgeoisie se développe sur la base des conditions matérielles sur lesquelles s'édifie la nouvelle société;
    • que cette nouvelle bourgeoisie se concentre au sein du Parti et de l'appareil d'État;
    • que le Parti est traversé par une lutte de lignes constante, qu'il faut mener consciemment pour faire avancer la ligne prolétarienne;
    • qu'il faut distinguer les contradictions au sein du peuple des contradictions « entre nous et l'ennemi »;
    • qu'il faut restreindre et viser à éliminer le droit bourgeois;
    • qu'il faut combattre les anciennes divisions (entre travail intellectuel et manuel, entre hommes et femmes, entre villes et campagnes, etc.) qui peuvent faire naître de nouveaux rapports d'exploitation;
    • qu'il faut transformer les rapports de production, ainsi que les rapports sociaux qui en font partie, de façon à assurer la direction du prolétariat;
    • qu'il faut oser aller à contre-courant;
    • qu'il faut assurer la direction prolétarienne au sein du Parti, et la direction du Parti sur l'ensemble de la société;
    • qu'il faut mener une ou plusieurs révolutions culturelles pour liquider le quartier général de la bourgeoisie et surtout pour réaliser les transformations nécessaires dans la superstructure, en mettant notamment en place des mécanismes qui permettront de consolider la dictature du prolétariat;
    • bref, qu'on a raison de se révolter, pas seulement sous les conditions de la dictature de la bourgeoisie, mais plus encore dans le cadre du socialisme.


    Ce corpus théorique, qui justifie à lui seul qu'on considère le maoïsme comme une étape supérieure dans le développement de la science révolutionnaire du prolétariat (et qu'on pourrait résumer sous le vocable de théorie et pratique de la Révolution culturelle, qu'on appelle parfois aussi le concept de la continuation de la révolution sous la dictature du prolétariat), il est bon de le comparer avec ce qu'a produit la critique idéaliste de Staline (en excluant ici la critique purement bourgeoise, qui n'a jamais prétendu, de toutes manières, viser au communisme, ainsi que la critique révisionniste, du type Khrouchtchev, qui a conduit l'URSS là où l'on sait) : 1) les trotskistes, qui ont sans doute été historiquement les plus virulents critiques « de gauche » du stalinisme, n'ont jamais avancé plus loin que la queue du mouvement spontané des masses et sont restés parfaitement incrustés dans la légalité bourgeoise; 2) les anarchistes, de leur côté, n'ont jamais réussi à développer une conception générale valable de la transition vers une société sans classes, qui permettrait de résoudre les difficultés objectives réelles auxquelles quelque mouvement révolutionnaire que ce soit sera toujours confronté (il ne suffit pas de crier « à bas l'État et tous les tyrans » pour empêcher qu'une nouvelle classe dominante se forme sur la base même des rapports de production, et qu'elle les transforme en de nouveaux rapports d'exploitation); 3) enfin, ceux que le mouvement maoïste a fort justement qualifié de « dogmato-révisionnistes », comme le Parti du travail d'Albanie, ont vu leur « socialisme » s'effondrer comme un château de cartes, sans même qu'il y ait eu quelque bataille de livrée, et leurs descendants se sont englués eux aussi dans la légalité bourgeoise, comme de vulgaires trotskistes.

    Il en est, au sein du mouvement marxiste-léniniste, qui, sans nécessairement adopter le discours du PTA (qui prétendait que Staline était le plus grand marxiste-léniniste que le monde ait jamais enfanté alors que Mao n'a été qu'un révolutionnaire démocrate petit-bourgeois), ont néanmoins choisi d'opposer Staline à Mao : c'est le cas, notamment, du Parti du travail de Belgique. Le PTB dit reconnaître, sur papier, les apports théoriques et politiques de Mao, tout en rejetant la critique maoïste de Staline. [6]

    Officiellement, le PTB reconnaît la pertinence de la lutte menée par le Parti communiste chinois contre le révisionnisme de Khrouchtchev (bien qu'il juge que le PCC a fait preuve d'un « scissionnisme de gauche » néfaste en rompant avec le PCUS). Il dit même accepter la théorie de la continuation de la révolution sous la dictature du prolétariat. Mais pour lui, la Révolution culturelle, qu'il dit avoir été nécessaire, visait d'abord et avant tout à « combattre le bureaucratisme et le révisionnisme », et à débusquer les « bureaucrates, technocrates, arrivistes et révolutionnaires démocrates bourgeois »

    Mais la Révolution culturelle, ce n'était pas seulement ça - en fait, ce n'était pas ça du tout. En effet, il ne s'agissait pas tant de dégommer la poignée de responsables du Parti engagés dans la voie capitaliste (bien qu'il ait été certainement juste et nécessaire de le faire) : en rester là, c'eût été s'arrêter seulement à la surface des choses. L'objectif de la Révolution culturelle, c'était d'abord et avant tout, comme Mao l'a si bien dit, « de résoudre le problème de la conception du monde » et « d'éradiquer les racines du révisionnisme ». Et bon, par « racines du révisionnisme », Mao ne référait évidemment pas aux deux pieds de Liu Shaoqi et de Deng Xiaoping (bien qu'on n'aurait certainement pas pleuré si les pieds de ce salaud avaient été éradiqués). Mao, qui était un grand marxiste, n'a jamais cru que le révisionnisme naissait de la « mauvaise volonté » ou des mauvaises intentions de tel ou tel individu - fut-il aussi sombre et maléfique que Deng Xiaoping. Dans une société socialiste comme la Chine, les racines du révisionnisme, on les retrouve dans les bases matérielles mêmes du régime qui engendrent, « à chaque jour et à chaque heure » comme le disait Lénine, une nouvelle bourgeoisie.

    Du fait même qu'il soutient que la Chine est encore de nos jours un pays socialiste (parce que formellement, y domine encore la propriété étatique des principaux moyens de production), on voit bien que le PTB n'a rien compris à la critique de la « théorie des forces productives », qui est au cœur du maoïsme (et de la critique maoïste de Staline). Pour le PTB, la propriété juridique formelle des moyens de production détermine si on a affaire, ou pas, au socialisme : le contenu réel des rapports de production reste secondaire. Sans doute à son corps défendant, le PTB rejoint ainsi le point de vue trotskiste, qui considérait que l'URSS, sous Khrouchtchev, Brejnev et même Gorbatchev, restait toujours un « État ouvrier » - « dégénéré », certes, mais néanmoins prolétarien du seul fait que la propriété des principaux moyens de production restait publique.

    Alors, s'agit-il d'opposer Staline à Mao ? À notre avis - et Mao s'est lui-même clairement exprimé en ce sens - il y a bel et bien une continuité entre les deux, ancrée dans l'histoire du mouvement fondé par Marx et Engels. Ayant bénéficié de l'expérience soviétique et de celle de la révolution chinoise, et parce qu'il avait brillamment assimilé le marxisme-léninisme, Mao a été en mesure d'amener la théorie révolutionnaire à une étape supérieure.

    Pour les révolutionnaires d'aujourd'hui, qui consacrent tous leurs efforts à relancer le combat communiste dans les conditions du début du 21e siècle, il pourrait s'avérer tentant de remettre en question l'évaluation de Staline faite par Mao. Il est vrai qu'on pourrait facilement aligner quelques aspects négatifs de plus (remise en question des acquis des femmes en matière d'accès au divorce ou du droit à l'avortement ; propagation d'une tendance conservatrice en matière de culture ; etc.) pour ramener la balance à « 50/50 », ou même à « 30/70 ».

    Cela nous éviterait de subir les foudres de la bourgeoisie (qui nous demanderait toutefois sûrement d'aller jusqu'au bout et de remettre aussi en question Lénine, pour ensuite remonter jusqu'à Marx), ainsi que les sarcasmes de nos amiEs anarchistes, qui n'en ratent pas une pour nous tirer la pipe - mais qui refusent, pour plusieurs, de débattre avec nous politiquement. Mais cela nous mettrait-il dans une meilleure position pour contribuer utilement à faire progresser cette grande lutte amorcée il y a 150 ans dans le but d'abolir toute forme d'exploitation ?

    Il nous sera certainement plus utile de nous concentrer sur le « 30% », déjà relevé par Mao, afin de bien saisir la grande profondeur et toute la portée des conceptions que les communistes chinois ont su développer et appliquer, particulièrement dans le cadre de la Révolution culturelle.

    Telle est la voie qu'ont suivie les partis et organisations maoïstes qui ont rejeté à la fois le révisionnisme des Khrouchtchev et Deng Xiaoping, de même que le dogmato-révisionnisme du PTA et la vision métaphysique et subjectiviste de tous les Ludo Martens de ce monde et qui ont fondé, en 1984, le Mouvement révolutionnaire internationaliste (MRI).

    Comme le souligne la déclaration publiée par le Comité du MRI à l'occasion du 1er mai, « l'idéologie communiste progresse à travers des zones de turbulence. Les nouvelles conceptions nous permettent de dépasser l'inertie dans laquelle certaines anciennes façons de voir les choses ont pu nous mener; on doit démêler les points de vue justes et ceux qui ne le sont pas. Les idées qui surgissent des différents domaines de l'expérience humaine seront développées et testées au fur et à mesure que le monde se transformera. [...]

    « Le communisme demeure le seul espoir de l'humanité. Mais cet espoir ambitieux ne pourra se réaliser qu'à travers une lutte, une dure lutte dans tous les domaines de la vie. Le mouvement communiste international a mis au monde des légions de héros et d'héroïnes qui ont bravé l'emprisonnement, la torture et la mort face à l'ennemi. Ce mouvement doit faire preuve du même courage en s'auto-examinant sans pitié et en affichant sa détermination à démontrer que son idéologie demeure vivante et qu'elle nous permet de comprendre, encore plus complètement, toute la complexité et la richesse de la société humaine et de la lutte des classes. Le mouvement communiste international doit démontrer qu'il est capable de rejoindre et d'unir des millions de personnes, d'apprendre d'elles et d'en gagner des millions d'autres, tout en combattant avec ténacité pour soutenir et mettre en pratique notre idéologie de libération. »

    Cette approche, réellement marxiste-léniniste-maoïste - et cette approche seule - nous permettra d'aller de l'avant et de remporter de nouvelles victoires, encore bien plus grandes que celles que notre classe a déjà réalisées.


    [1] Rédaction du Renmin Ribao et du Hongqi, «Sur la question de Staline – À propos de la lettre ouverte du Comité central du P.C.U.S. (II)» (13 septembre 1963), dans Débat sur la ligne générale du mouvement communiste international (1963-1964), Beijing, Éditions en langues étrangères, 1965, p. 123-148. Ce texte est réputé avoir été écrit par Mao lui-même, ou à tout le moins sous sa supervision.

    [2] Staline, grand marxiste-léniniste, recueil de textes albanais et chinois, Paris, Nouveau bureau d’édition, 1976, p. 12.

    [3] Ludo MARTENS, Un autre regard sur Staline, Antwerpen, Éditions EPO, 1994. Bien qu’il repose sur une défense absolue de Staline, ce livre n’en reste pas moins une référence utile pour réfuter les mensonges de la bourgeoisie à son sujet.

    [4] Hu CHI-HSI (dir.), Mao Tsé-toung et la construction du socialisme, Paris, Éditions du Seuil, 1975.

    [5] Joseph STALINE, Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S., Beijing, Éditions en langues étrangères, 1974.

    [6] Voir par exemple : Ludo MARTENS, Mao Zedong et Staline, texte publié le 5 novembre 1993.


    Lire aussi : http://www.pcr-rcp.ca/fr/2441

                      http://www.pcr-rcp.ca/fr/2342


    La position de l'OCML-VP  :

    Le détournement de la révolution bolchevique de ses objectifs initiaux n'a pas été le fruit d'un calcul ou d'un coup d’État, ni la conséquence inévitable des conditions objectives et historiques de la révolution. Il y a d'abord eu, au début, un certain nombre d'erreurs dans la conception de la transition. N'étant pas rectifiées, ces erreurs ont empêché de mobiliser et d'orienter durablement l'énergie des ouvriers pour la transformation de la société.

    Ce qui s'est imposé, dans les années 20, en URSS, c'est l'idée selon laquelle la transformation des rapports sociaux serait le résultat mécanique et spontané de la suppression de la propriété privée et du développement de la production. Ce développement créerait à lui seul les conditions nécessaires pour le passage au communisme : abondance, élévation du niveau des connaissances, développement des sciences et des techniques... L'accroissement de la force productive de la société devenait, dès lors, l'unique moteur de son évolution.

    Le premier devoir révolutionnaire fut, dans les années 30, d'augmenter la production par tous les moyens. Tout était subordonné à cet objectif. On ne voyait pas que les techniques, tout comme les rapports de production, étaient marquées par le capitalisme. Le pouvoir des cadres fut renforcé.

    Cette conception de la transition fut appelée plus tard "théorie des forces productives". Le socialisme devait prouver sa supériorité en montrant sa capacité à produire plus que le capitalisme. L'URSS forgea ainsi un modèle qui s'imposa à tout le mouvement ouvrier.

    La recherche de la performance économique déboucha sur l'accumulation des moyens de production, au détriment des conditions de vie des masses. Les besoins de celles-ci furent sacrifiés. La nouvelle bourgeoisie se lança dans des projets gigantesques, et manifesta des visées expansionnistes. Voulant rivaliser avec les autres puissances impérialistes dans la course aux armements, elle déséquilibra l'économie en créant un complexe militaro-industriel disproportionné. Elle put ainsi renforcer son pouvoir économique. Mais cela entraîna des désastres humains et écologiques.

    Ce mode de développement, après quelques décennies de succès, fut enrayé par une baisse importante de la productivité et une suraccumulation, qui entraînèrent la crise du capitalisme d'État et son effondrement.

    Sur le plan politique, la fusion de l'État et du Parti était totale. Le Parti concentrait toute la réalité du pouvoir. Cette fusion était d'autant plus dangereuse pour l'avenir de la révolution que l'État soviétique n'était, comme l'affirmait Lénine, que la survivance de l'État ancien, n'ayant pour ainsi dire pas subi de transformations radicales.

    Les instances politiques de masses issues de la révolution ont vite dépéri. Les tâches urgentes de la guerre civile ont imposé au Parti des mesures d'autorité. Ce fut le "communisme de guerre". Mais une fois cette guerre gagnée, les conceptions qui s'étaient affirmées au cours de cette période ne furent pas abandonnées.

    De ce processus, nous n'avons pas encore tiré toutes les leçons. Mais il est évident que les soviets ont été dépouillés petit à petit de tout pouvoir réel. Dans les années 30, le processus était achevé. L'étouffement du débat politique contradictoire, dans les masses comme au sein du Parti, était total. Tout contradicteur était vu comme un ennemi, agent de l'impérialisme infiltré dans les rangs du Parti et de la société, et donc éliminé.

    Une telle attitude a conforté le rôle des dirigeants en place. Elle a abouti à les ériger, tout d'abord, en "experts" et bureaucrates s'attribuant des privilèges, et ensuite à les transformer en une nouvelle classe bourgeoise. Celle-ci, née à l'intérieur de l'appareil soviétique, se soustrayait complètement au contrôle des ouvriers.

    Ce qui ne représentait pour l'essentiel, au cours des années 20, que des conceptions théoriques erronées, devint, après l'élimination de tout débat d'orientation, et avec la systématisation des conceptions évoquées plus haut, une ligne qui encouragea, puis consolida, une bourgeoisie d'État.

    C'est donc dans les années 30 qu'a eu lieu la restauration capitaliste, sous l'autorité du Parti, devenu le quartier général des nouveaux bourgeois.

    Après la mort de Staline, cette bourgeoisie était suffisamment forte pour se débarrasser des formes trop contraignantes de la dictature bureaucratique et pour s'engager plus ouvertement dans la voie capitaliste: tentatives pour réintroduire progressivement le marché et le critère du profit.

    Si Trotsky développa un certain nombre de critiques quant à l'orientation suivie par Staline, en particulier sur la question de la démocratie au sein du Parti, il ne se démarqua pas sur le fond de la conception générale de la transition. Après la guerre civile, il défendit une conception issue du "communisme de guerre" et rendue nécessaire pendant celui-ci, qui mettait l'accent sur la contrainte à l'égard des masses. Contre la NEP, il soutint l'industrialisation intensive qui fut mise en œuvre par Staline. Lorsque le pouvoir du Parti devint celui d'une nouvelle bourgeoisie, Trotsky, et les trotskystes à sa suite, refusèrent de caractériser l'URSS comme un État bourgeois, en se retranchant derrière le caractère étatisé de l'économie.

    Toujours de VP, sur cette question de l'expérience soviétique en particulier sous Staline, lire aussi ces brochures issues de la "Cause du Communisme" (là encore les réflexions sont intéressantes, bien que nous ne soyons pas à 100% sur cette ligne - mais bien plus sur celle des Canadiens) :

    La théorie des forces productives à la base du révisionnisme moderne (1980)

    Sur l’État de dictature du prolétariat (1982)

    Sur la transition du capitalisme au communisme (1984)


    Dans une veine (relativement) proche du PCR Canada, on trouve cette analyse des Cellules Communistes Combattantes de Belgique, mettant en cause les "méthodes" de la direction stalinienne "à partir de 1934" (en clair : l'émergence d'un appareil politico-répressif échappant au contrôle démocratique du prolétariat) [une première critique, sur l'application concrète du "socialisme dans un seul pays", apparaît à la fin du point 9] :

    En ce qui concerne Staline et son action à la tête de l’URSS, nous avouerons que le sujet fait encore l’objet de discussions contradictoires entre nous — et cela d’autant que sa bonne connaissance est difficile et complexe. Bien entendu nous condamnons sans hésitation la meute exécrable des publicistes (petits-)bourgeois et révisionnistes aboyant contre Staline du matin au soir. Nous aurions plutôt tendance à mettre en avant les apports positifs de Staline — et il faut constater que nous jugeons positif dans son œuvre justement ce pourquoi les roquets de la bourgeoisie et du révisionnisme l’abominent ! D’un autre côté, nous ne voulons pas nous laisser enfermer par notre rejet du révisionnisme (et particulièrement notre condamnation des cliques krouchtchévienne et gorbatchévienne) dans une défense en bloc, sans nuance, de Staline. Le sujet exige une analyse plus fine.

    Nous pouvons dire que nous approuvons les grands choix de Staline concernant la ligne politique du Parti. Il a eu raison de s’opposer en 1924 à l’irréalisable jusqu’au-boutisme de la « révolution permanente » de Trotsky et également de s’opposer au courant droitier boukharinien dès 1928 pour mettre fin l’année suivante à la NEP et entamer l’incontournable épreuve de force avec les koulaks. Nous approuvons donc la liquidation de la paysannerie riche en tant que classe puisqu’elle avait adopté une position concrètement hostile au processus socialiste et à son État (voir le non approvisionnement des villes qui a provoqué les famines de l’hiver 1927/1928) et, en conséquence, les mesures coercitives que cette liquidation exigeait.

    Nous pensons que Staline a eu raison contre ses détracteurs à propos de la nécessité et de la possibilité d’une industrialisation rapide du pays : les deux premiers plans quinquennaux (avec un taux d’accroissement annuel de la production industrielle d’environ 20 % ... contre 0,3 dans les pays capitalistes à la même époque) ont fait passer l’URSS d’un champ de ruines à la deuxième puissance industrielle mondiale. Cette réussite est aujourd’hui encore exemplaire, elle a démontré que la mobilisation des masses combinée à une juste direction du Parti communiste — c’est-à-dire à un authentique processus révolutionnaire socialiste — est incomparablement supérieure en efficacité économique, en rationalité et, naturellement, en justice sociale à tous les systèmes et régimes sociaux précédents.

    Nous ne jugeons pourtant pas le bilan de Staline comme entièrement positif. Si la ligne qu’il a défendu au sein du Parti était dans la plupart des cas correcte, les méthodes employées pour l’imposer ont été le plus souvent critiquables, particulièrement à partir de 1934. Certes des purges étaient nécessaires pour débarrasser le Parti de nombreux éléments étrangers à son but et ses principes, mais nous n’y trouvons pas la justification de la répression qui s’est abattue sur le Parti et la société soviétique à partir de l’assassinat de Kirov. La saine liquidation des saboteurs, la mise hors d’état de nuire des contre-révolutionnaires, etc., tout cela ne peut expliquer pourquoi des trente et un membres des instances supérieures du Parti lors du IXe Congrès (avril 1920) onze seulement étaient encore en vie en 1940, et parmi ceux-là rien que trois (Staline, Mouranov et Sergeev) qui appartenaient à la direction du Parti en 1917. Décomptons deux morts naturelles (Lénine et Dzerjinski) et un suicide (Tomski), on arrive à dix-sept cadres de toute première importance fusillés ou disparus dans les camps — à commencer par des militants aussi célèbres que Boukharine, Kamenev, Préobrajenski, Radek, Rykov, Zinoviev ... Et ce n’est qu’un exemple symbolique.

    Nous partageons avec les partisans les plus farouches de Staline une entière condamnation du putsch révisionniste de 1953 ainsi que des infamies anti-socialistes du XXe Congrès. Avec Krouchtchev et sa clique, le PCUS et l’URSS voyaient arriver à leur tête les premières d’une longue traînée de canailles et de parasites qui n’allaient avoir de cesse de démanteler le système socialiste pour lui substituer les mécanismes de l’économie de marché. Mais cette néo-bourgeoisie révisionniste qui s’accapare le pouvoir à la faveur de la mort de Staline ne tombe pas du ciel, ne s’est pas faite en un jour. C’est cela qui à notre avis rend incohérente toute position qui soutient en bloc l’œuvre de Staline. Staline est parvenu à briser et liquider les forces bourgeoises émanant de l’ancien régime, c’est un fait à son actif, mais les méthodes de direction qu’il a instaurées ont favorisé la constitution et l’agrégation progressive d’une nouvelle bourgeoisie propre au nouveau régime, qui l’a parasité et dénaturé en envahissant les rouages de l’État, du Parti, de l’économie et de l’armée. En 1939, le PCUS comptait 1.589.000 membres dont 8,3 % seulement l’étaient déjà avant 1920. Tant à la base qu’au sommet, le Parti sous Staline a connu un renouvellement complet, « post-révolutionnaire ». La liquidation de l’héritage socialiste de Staline fut le fait de forces sociales et politiques s’étant constituées à l’époque de sa direction. Le Præsidium du XXe Congrès était quasi identique par sa composition à ceux des Congrès qui avaient précédé la mort de Staline (sur les onze membres du Præsidium de 1956, dix avaient fait partie de celui de 1952  !).

    Nous pensons que Staline a maintenu un juste cap dans l’orientation générale de la révolution soviétique mais qu’il porte une grande responsabilité dans son naufrage car ses méthodes de direction ont privé le Parti de nombreux militants sincères et dévoués, n’ont pas permis que s’exerce la vigilance ni s’exprime la créativité des masses, ont favorisé l’apparition et l’infiltration d’arrivistes et de carriéristes qui se sont rapidement agrégés sous forme d’une néo-bourgeoisie phagocytant le socialisme. Cette grave erreur doit être étudiée, son mécanisme doit être sévèrement démonté, et les révolutionnaires d’aujourd’hui et de demain ont la responsabilité de ne pas la reproduire.


    [À lire aussi à ce sujet, passionnant, cet entretien-débat de 1977 entre Charles Bettelheim, l'ex-GP Robert Linhart et deux membres de la revue Communisme, dans lequel s'expriment leurs différents points de vue et analyses, autrement dit un peu tous les nécessaires "pour" et "contre" pour réfléchir à la question : http://ekladata.com/Sur-le-marxisme-et-le-leninisme.pdf]


    [À la rigueur, il serait peut-être possible de dire qu'il faut distinguer deux choses différentes :

    - SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE, il n'y a pas de dynamique de restauration du capitalisme avant Khrouchtchev (seconde moitié des années 1950) - et comme les répercussions positives de la période antérieure se font encore sentir pendant un certain temps, et que l'on y va par ailleurs "à pas feutrés" au début, cela explique que les années 1950 et 1960 restent encore aujourd'hui l'"âge d'or" dans la mémoire des anciens soviétiques (avant il y avait trop de privations, la guerre etc. etc., et après c'est la crise et la décomposition du système devient évidente). Avant cela, il est effectivement possible de parler de "capitalisme d’État" : la production est nationalisée mais il y a toujours des cadres et des exécutants, des dirigeants et des dirigés, bref des rapports de production semblables à ceux des entreprises capitalistes... Mais c'est absolument normal ! Un tel "capitalisme d’État" est incontournable dans les premières étapes de la transition socialiste vers le communisme, lorsque comme disait Lénine "la cuisinière n'est pas en mesure de diriger l’État" (ni une entreprise de production). La question est d'être dans une dynamique de sortir de cela vers le communisme, c'est-à-dire vers la pleine maîtrise du processus productif par les producteurs eux-mêmes. À la rigueur, il est possible de dire (comme VP) que sous Staline les choses "stagnent" à ce niveau, ne "bougent" pas assez vite, la priorité étant de développer la production (notamment dans la perspective de la guerre, chose qu'il faut garder à l'esprit). Mais c'est seulement à partir de Khrouchtchev que la "liberté" laissée aux entreprises tend de plus en plus vers celle des pays capitalistes, jusqu'au rétablissement total et ouvert de 1990-92.

    - SUR LE PLAN POLITIQUE en revanche, il est effectivement possible de dire que la direction de Staline se caractérise par un grand autoritarisme et une grande brutalité dans l'exercice de la dictature du prolétariat (la fameuse critique maoïste de "traiter les moindres contradictions au sein du peuple comme des contradictions antagoniques avec l'ennemi réactionnaire", d'avoir "liquidé beaucoup de contre-révolutionnaires, mais aussi beaucoup d'innocents et même de bons communistes" etc. etc.). Et il est effectivement possible de faire remonter les racines de cela au tout début du processus révolutionnaire et au "communisme de guerre" (ce qui invalide très largement les critiques de type "communisme de conseils" de Trotsky à ce sujet, une fois qu'il a perdu le pouvoir), et d'en voir l'origine dans les illusions des bolchéviks eux-mêmes (y compris Lénine) quant à la rapidité avec laquelle la vague révolutionnaire submergerait l'Europe de l'Ouest, les soulèvements nationaux ébranlant de leur côté les colonies etc. etc., bref la révolution triompherait mondialement ; et dans la rapidité (pour le coup) du constat que cela serait beaucoup plus compliqué et que l’État des soviets, bien qu'immense et plein de ressources (autorisant tout à fait le "socialisme dans un seul pays" une fois la paix revenue), allait devoir affronter une période indéterminée d'isolement face à un monde entièrement capitaliste, ce qui a conduit à un important durcissement des positions autoritaristes et répressives autour de la "clairvoyance du Parti" (très largement inspirées des mesures de "salut public" de la Convention montagnarde) et à leur prolongement imprévu dans le temps. Si le caractère prolongé, de longue haleine de la vague révolutionnaire mondiale qui venait de se lever des bords de la Neva avait été envisagé dès le départ, peut-être que les pratiques auraient été différentes comme elles ont pu l'être en Chine et dans d'autres pays encore (non face à l'ennemi "blanc", capitaliste et impérialiste bien sûr, mais face aux contradictions que la situation aiguisait forcément au sein des masses populaires). D'après tous ses écrits et tous les témoignages de l'époque, Lénine (mais pas Trotsky) était plutôt une force dans le sens de la mesure et de l'"esprit démocratique" à ce niveau-là (un peu comme Robespierre, contrairement à sa "légende noire", durant la Terreur) ; mais il n'était pas derrière chaque décision qui se prenait au niveau de chaque Commissariat du Peuple et encore moins localement. Quoi qu'il en soit, et quelles qu'aient été les nécessités bien réelles et concrètes conduisant à cette situation, c'est un fait peu contestable que les toutes premières années de la révolution ont donné à l’État soviétique et à son exercice de la dictature du prolétariat une forme "verticaliste", "partidiste" et "peu souple" dans la dialectique Parti-masses, ce qui a grandement favorisé la constitution et la prise de pouvoir d'une nouvelle bourgeoisie au sein du Parti (sans parler de la question de liquider la suprématie russe/slave au sein de l'ensemble désormais "fédératif" et "démocratique" des nationalités de l'ancien Empire).

    Bref, il est possible de dire que les formes (sans expérience historique antérieure de laquelle s'inspirer, ne l'oublions pas !) de la dictature du prolétariat (ou du "pouvoir ouvrier-paysan") exercée par l'avant-garde communiste en URSS étaient très imparfaites et à perfectionner, qu'elles ont été impuissantes à empêcher un ensemble d'individus de se comporter, constituer et consolider en nouvelle bourgeoisie, et qu'elles ne sont pas en tant que telles notre modèle aujourd'hui car nous avons beaucoup appris depuis ; mais pas que le capitalisme était "restauré" (voire qu'il n'aurait "jamais été aboli"...) à l'époque de Staline : il était dans un processus (imparfait et truffé d'erreurs peut-être) de liquidation, et seulement à partir des années 1950 dans un processus de restauration.]


    Sur Grover Furr :

    Grover Furr a ses côtés caricaturaux, un peu à la Annie Lacroix-Riz.

    Mais il est d'abord faux de dire que Furr est un "justifie-tout" de la période disons 1930-1953 en URSS (ce n'est clairement pas le cas si on le lit réellement) ; et ensuite, il engage son analyse sur un terrain tout à fait intéressant.

    Car ce qu'il décrit en gros de la seconde moitié des années 1930 est globalement un EMBALLEMENT de la Terreur révolutionnaire (il dit clairement que des millions de citoyens soviétiques et des centaines de milliers de membres du Parti ne pouvaient pas être des agents contre-révolutionnaires et des traîtres), DANS lequel (dans l'appareil répressif) grouillaient et conspiraient les MÊMES qui liquideront le marxisme-léninisme 20 ans plus tard.

    Liquideront le marxisme-léninisme, "guillotinant" en quelque sorte Staline comme "tyran" à titre posthume (s'il n'a pas carrément été assassiné, ou du moins "poussé dans la tombe", des thèses existent aussi en ce sens...), exécutant réellement Beria et (fait relativement peu connu, occulté par les "grandes répressions staliniennes") d'autres encore, ou du moins les écartant drastiquement du pouvoir, y compris des communistes étrangers (mort suspecte du polonais Bierut, exil en Sibérie du grec Zachariadis) ; PEUT-ÊTRE parce que dans les toutes dernières années 1950-53 des éléments de la haute direction, y compris Staline lui-même, auraient pu sembler amorcer une contre-offensive contre cette formation et consolidation d'une nouvelle bourgeoisie que nous avons longuement évoquée ; notamment dans l'essai (de Staline) Problèmes économiques du socialisme en URSS ou dans les débats du XIXe Congrès du Parti (tous deux en 1952) pb-eco-soc-urss.pdf19e-congres-urss.pdf : remise en cause de l'idée (exprimée au milieu des années 1930) que la lutte des classes et la révolution en URSS étaient "terminées" et que la marche vers le communisme ne devait plus être qu'un développement de la production et un progrès technico-scientifique ; lutte contre les rapports de production (et sociaux en général...) marqués par le capitalisme ; lutte (non sans lien) contre le "bureaucratisme" et les comportements de copinage, népotisme, caste privilégiée parmi les cadres du Parti ; voire (évoqué par Furr, lien ci-dessous vers "Le Grand Soir") carrément projet de... séparer le Parti de l’État, afin de redonner au premier son rôle de "moteur" et d'"agitateur" de la mobilisation de masse pour transformer la société vers le communisme, son rôle "subversif" si l'on veut ; envisageant peut-être même le multipartisme (pas forcément idiot : ainsi les droitiers et opportunistes de tout poil forment leurs propres partis, au lieu de parasiter celui du prolétariat dans lequel les purges ne font finalement office que de "sélection naturelle" des plus malins, retors, aptes à se placer dans l’œil du cyclone !) ; etc. etc., entre (peut-être) autres choses encore que Mikoyan qualifiera des années plus tard de "visions incroyablement gauchistes"...

    Ce qui ressemble finalement beaucoup... à l'appareil de Terreur français de 1793-94. Les Thermidoriens qui liquideront Robespierre et Saint-Just n'étaient en effet pas des royalistes cachés jusque-là dans les bois, mais d'éminents membres de la Convention et des Comités de Salut Public et de Sûreté Générale, très en pointe dans une Terreur aveugle notamment en province... et commençant de fait à percevoir leur "fanatisme" de la "Vertu", de l'égalité et de l'exemplarité, voire peut-être la mise en application prochaine de la Constitution de l'An I une fois - comme promis - la "Patrie" sécurisée, comme une menace pour leurs positions sociales acquises et leurs petites fortunes accumulées dans l'"œil du cyclone", et leurs vies de "coquins" !

    [Lire à ce sujet : http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/annexe-a-l-etude-en-finir-avec-la-france-quelques-verites-sur-la-grande-revolution-bourgeoise]

    Le "Thermidor" soviétique, ainsi que Trotsky qualifie le "stalinisme", pourrait donc bien au contraire avoir été cela : la "déstalinisation" de Khrouchtchev après la mort du "tyran", avec le retour en force des idées sinon de Trotsky, du moins de Boukharine ; un "Thermidor" dont les "thermidoriens", par contre, auront effectivement fait leur nid dans l'"œil du cyclone" des répressions de l'époque stalinienne, qui seraient pour le coup (elles) non pas un "Thermidor" mais l'équivalent de la Terreur montagnarde.

    Au fond, pour poursuivre et en finir avec Trotsky, ces quelques phrases de lui pourraient presque, en remplaçant "jacobinisme" par "stalinisme", résumer toute notre position et celle du maoïsme sur le sujet :

    "Le terme de « jacobinisme » est actuellement une expression péjorative dans la bouche de tous les sages libéraux. La haine de la bourgeoisie contre la révolution, sa haine des masses, sa haine de la force et de la grandeur de l’histoire qui se fait dans la rue se concentre dans ce cri de peur et d’indignation  : « C’est du jacobinisme ! »

    Nous, l’armée mondiale du communisme, avons depuis longtemps réglé nos comptes historiques avec le jacobinisme. Tout le mouvement prolétarien international actuel a été formé et s’est renforcé dans la lutte contre les traditions du jacobinisme. Nous l’avons soumis à une critique théorique, nous avons dénoncé ses limites historiques, son caractère socialement contradictoire et utopique, sa phraséologie, nous avons rompu avec ses traditions qui, des décennies durant, ont été regardées comme l’héritage sacré de la Révolution.

    Mais nous défendons le jacobinisme contre les attaques, les calomnies, les injures stupides du libéralisme anémique."

    Furr dit ensuite que selon toute vraisemblance, ce qui était reproché aux accusés des Procès de Moscou (les plus haut placés des réprimés de cette époque) était bel et bien vrai, et dans un contexte géopolitique sous très haute tension, s'est vu considérer comme de la haute trahison méritant la peine de mort.

    Tout comme, selon toute vraisemblance, une très grande partie de ce qui était reproché à Danton et aux dantonistes, ou à Hébert et aux hébertistes était vrai ; et fut considéré comme un danger à éliminer absolument pour une révolution qui se vivait constamment sous menace d'anéantissement.

    Sauf que cela a conduit en réalité à une "sélection naturelle" favorisant non pas les plus authentiques révolutionnaires, mais les plus malins et aptes à passer entre les mailles du filet pour se constituer en nouvelle classe dominante exploiteuse ; notamment en se plaçant "au dessus de tout soupçon" ("dans l’œil du cyclone")... sur de hauts perchoirs de procureurs, ou dans des habits de "chasseur" impitoyable de contre-révolutionnaires.

    Ce qui est questionné ici si l'on va au bout de l'analyse (et c'est peut-être à ce bout-là que Furr ne va pas, en effet), c'est tout simplement la façon de mener la lutte de classe contre la voie restauratrice bourgeoise sous le socialisme. En évitant, peut-être, les méthodes de Terreur bureaucratique totalement "d'en haut", reprises telles quelles par l'URSS de la Convention montagnarde française ; et en mobilisant, au contraire, les masses populaires dans le refus et la lutte contre les pratiques qui posent les "bureaucrates" de l’État et du Parti en nouveaux bourgeois, comme nous l'a enseigné l'expérience maoïste de la Grande Révolution culturelle prolétarienne.

    https://www.legrandsoir.info/khrouchtchev-a-menti.html (thèses TRÈS intéressantes et parallèles, pour le coup, à l'élimination de Robespierre et de ses partisans en juillet 1794 - lire par exemple ici : Loi de prairial et préparatifs du 9 thermidor ou encore ce récapitulatif de notre analyse de la chose, ici : annexe-a-l-etude-en-finir-avec-la-france-quelques-verites-sur-la-grande-revolution-bourgeoise)

    https://www.initiative-communiste.fr/articles/culture-debats/histoire-de-lurss-lhistoriographie-echange-a-monville-editeur-de-g-furr-france/

    http://www.northstarcompass.org/french/nscfr62/furrint.htm

    http://www.alger-republicain.com/Khrouchtchev-la-supercherie-le.html

    Récap' complet ici :

    http://ekladata.com/c6ETYPTd9dVdyI4W9aEP4fRp2jY/Furr-Staline-Khrouchtchev.pdf

    Sur la question (plusieurs fois évoquée par Furr dans ses écrits) des projets de démocratisation du régime par Staline, et les dures luttes sur ce point avec les "caciques" du Parti s'y opposant :

    http://ekladata.com/ll5OlLWKgi1pNuZ4MOl80AQbw/Staline-et-la-lutte-pour-la-reforme-democratique.pdf


    Pour une analyse juste de l'URSS "stalinienne", il importe aussi de démonter les mensonges de la propagande bourgeoise sur la question. On ne peut pas dire que ce soit la politique de nos trotskystes et de certains "communistes" qui ne font que l'accepter en bloc, en se défendant que "le vrai socialisme ce n'est pas ça"... 

    Car depuis "Mein Kampf" et ses "30 millions de victimes du Juif sanguinaire et fanatique en URSS", la propagande de la bourgeoisie sur (à travers Staline) le socialisme soviétique n'a pas faibli, de Robert Conquest à Stéphane Courtois et sa Propagand Staffel du "Livre Noir" en passant par le tsariste-franquiste-fou-de-dieu Soljenytsine. Les chiffres les plus délirants ont été avancés, certains allant jusqu'à affirmer que la moitié ou plus de la population soviétique y serait passée ! 

    Avant toute donnée chiffrée, il faut tout d'abord replacer la politique de l'URSS sous Staline dans son contexte.

    Celui de la "Guerre européenne de 30 ans" (1914-1945) et de la montée du fascisme, corrélativement à la première vague de la révolution mondiale, celui d'un pays assiégé par des puissances impérialistes intégralement ennemies. 

    Le caractère militarisé de la Révolution soviétique doit se comprendre non seulement dans cette situation d'assiégés et d'état de guerre permanent, mais aussi dans l'Europe post-1918, qui est une société d'anciens combattants. 60 millions d'hommes ont été mobilisés (et en URSS, il y a eu ensuite la guerre civile et l'invasion par 14 armées étrangères) ; 10 millions sont morts, le double a été blessé (souvent affreusement) et, on l'oublie souvent, presque autant de civils ont également péri, pour la plupart dans l'Empire ottoman (avec le génocide des Arméniens et autres minorités) mais aussi dans l'Empire russe, au second rang avec 1,5 millions de victimes. On porte ses médailles, pour ainsi dire, pour aller acheter le pain. Toutes les organisation politiques, les fascistes certes mais aussi les communistes et les sociaux-démocrates, ont leurs organisations de type militaire, en uniforme. Le souvenir de la discipline militaire imprègne la société, et autant dire qu'on a la "fusillade facile"... Face au souvenir atroce des tranchées, la vie humaine a peu de prix. 

    Voyons donc ce que nous disent des études historiques sérieuses, absolument non idéologiques (surtout nord-américaines) et soigneusement ignorées par les propagandistes de l'anticommunisme. 

    Tout est ici : le goulag, la famine en Ukraine, la "Grande Terreur" de 1937-38. Le site est ultra-stalinien, mais les données reposent sur des études sérieuses... à commencer par les archives soviétiques elles-même !

    http://marxisme.fr/Joseph_Staline_et_les_mensonges_de_la_bourgeoisie.htm

    Où l'on découvre par exemple que le "goulag" (terme sinistre qui signifie tout simplement... "administration pénitentiaire") n'a jamais compté plus de 2 millions de détenus en temps de paix, 2,4 en 1941 (période de guerre), souvent pour des peines inférieures à 5 ans ; que la mortalité (sauf pendant la guerre, et en 1938) n'a fait que diminuer de 1934 (5,2%) à 1953 (0,3% !) avec les progrès de la médecine ; et qu'il y a aujourd'hui plus de détenus dans les prisons des États-Unis (2,3 millions en 2008) ! 

    Ce n'est certes pas le cas en France : 64.000 détenus en 2008, un Français sur 1.000 (mais une terrible surpopulation). 

    Mais il faut rappeler que jusqu'à leur fermeture totale en 1946 (!) il y avait dans les bagnes de Guyane une mortalité colossale, près de 30% au 19e siècle (d'où une fermeture temporaire entre 1867 et 1887) et encore 20% en 1942 (pendant la guerre, difficultés de ravitaillement) : link

    On parlait de "guillotine sèche"...

    Ceci ne concernait, certes, que peu de personnes : 1.000 à 1.500 déportés par an, 100.000 en un siècle, mais pour des peines très longues (souvent suivies d'une "relégation" à vie dans la colonie sud-américaine).

    Et c'est sans même parler des bagnes coloniaux (pour indigènes) comme les tristement célèbres Poulo Condor en Indochine ou Nosy Lava à Madagascar, ni du travail forcé (réquisitionné, sans le moindre délit pénal à "punir" !) comme sur le chantier du Congo-Océan, dont le nombre exact de victimes reste encore aujourd'hui impossible à connaître avec certitude (quel contraste avec la "précision" revendiquée sur le goulag !).

    L'on découvre aussi la grande mystification sur la "famine" en Ukraine, apparue en 1933 dans la propagande nazie de Goebbels (les nazis préparaient, déjà, la conquête de l'Ukraine pour leur Lebensraum, et cherchaient l'appui des nationalistes réactionnaires ukrainiens) et dans la presse US du groupe Hearst, ouvertement pro-nazie. Les chiffres sont effroyablement falsifiés. Il y a certes eu, pendant la collectivisation, une situation de quasi guerre civile avec les Koulaks (paysans riches, sortes de fermiers généraux), des sabotages, incendies de récoltes et destructions de troupeaux etc. entraînant une malnutrition et une surmortalité (surmortalité qui n'est pas un crime de masse, ou alors Chirac a "exterminé" 20.000 Français pendant la canicule de 2003...), des maladies...

    Mais surtout, on a utilisé la méthode du "déficit démographique" : il "aurait dû" y avoir XXX Ukrainiens en 1935 (au "rythme" de 1929 ou 1930), il en manque 5 millions, ils sont donc "morts"... La baisse de la natalité, l'émigration vers le reste de l'URSS, tout cela, on ne connaît pas !

    La même méthode a été employée pour le "Grand Bond en Avant" dans la Chine de Mao (qui échoua à cause des sabotages révisionnistes) : soi-disant "de 30 à 40 millions de morts"... Il suffit de regarder l'évolution démographique de la Chine, qui double sa population entre 1950 et 1980, pour comprendre l'absurdité de tels chiffres, l'impossibilité d'une telle saignée (5% de la population, voire presque 10% sachant qu'au total on attribue de 50 à 60 millions de mort au maoïsme)... Avec une perte humaine du même ordre (2 millions de morts, guerre + grippe espagnole) entre 1914 et 1919, la population de l'Hexagone a stagné pendant plus de 20 ans ! 

    [Lire ici une démystification : http://www.marx.be/chine-des-témoins-occidentaux-racontent-le-grand-bond-en-avant ; ou encore ici (en anglais) où il est tout simplement question de... problèmes de recensement, dans un contexte de grandes migration internes ; ou ici (en anglais aussi) https://monthlyreview.org/did-mao-really-kill-millions-in-the-great-leap-forward/.]

    Au demeurant, si l'on étudiait à la loupe les statistiques démographiques, il est probable que la période de la Grande Dépression aux États-Unis (années 1930, principalement la première moitié) révélerait une très forte surmortalité, peut-être de l'ordre de plusieurs millions de personnes entre sous-alimentation et maladies favorisées par celle-ci, froid (dans la rue ou faute de moyens de chauffage), suicides directs ou "à petit feu" (alcoolisme) etc. etc. Il y a d'ailleurs déjà de telles études qui avancent des chiffres de l'ordre de plusieurs millions, évidemment démenties par les sacro-saints et sempiternels "experts sérieux"... Mais que tendrait à corroborer la nette inflexion que l'on voit entre 1930 et 1939 sur la courbe de la population américaine, courbe par ailleurs parfaitement linéaire depuis 1870 (la précédente "cassure" étant les années 1860 soit... la Guerre de Sécession !) et reprenant tranquillement son ascension ensuite (la population gagnant ainsi presque 20 millions dans les années 1940 alors qu'il y a eu la guerre, 300.000 jeunes hommes tués, des millions de couples séparés etc.). Cela tombe d'ailleurs sous le sens vu que jusqu'au milieu de la décennie (première lois welfare en 1935) les victimes de la "main invisible" du marché de l'emploi ne bénéficiaient d'absolument aucune protection sociale, l'absence de travail signifiant l'absence totale de revenus (début 1933 il y a 15 millions de chômeurs soit 60 à 70 millions de sans-revenus par répercussion, seulement 10% d'emplois à plein temps donc de salaires "décents", 2 millions de sans-abri etc.)... À cela s'ajoute qu'évidemment, le "rêve américain" ne faisant plus rêver grand monde et le gouvernement ayant par ailleurs drastiquement "serré la vis" niveau immigration (1924), pour la première fois dans leur histoire il sort plus de personnes des USA (environ 90.000 de plus) au cours de la décennie 1930 qu'il n'en entre. Les "experts" susmentionnés répondront que non, pas du tout, les statistiques officielles indiquent que "seulement" 110 indigents sont par exemple morts de faim à New York en 1934, donc par extrapolation au maximum quelques milliers dans tous les États-Unis pendant la terrible décennie... C'est EXACTEMENT là la différence dont nous parlons entre des "morts de faim" au sens strict et une surmortalité (encore plus un déficit démographique) conséquence d'une situation économique difficile. Ce qui est quasi certain, c'est qu'avec les mêmes "méthodes" de calcul que pour l'URSS ou la Chine du Grand Bond, l'on pourrait affirmer sans problème qu'il y a eu des millions de morts aux États-Unis lors de la Grande Dépression. Des "travaux" de propagande russe (alors que comme chacun le sait, les tensions russo-occidentales au sujet de l'Ukraine font rage), gaiment repris (évidemment) sur tous les sites fascistes "révolutionnaires" et/ou conspis, le démontrent parfaitement.

    En résumé, et pour conclure, il faudrait commencer, presque 60 ans après sa mort, à avoir une approche historique - et non hystérique - de Staline. C'est plus que la distance historique qui sépare Napoléon de la Commune !

    Staline a commis des erreurs, et même des fautes meurtrières : cela, les maoïstes l'ont toujours affirmé (voir l'article chinois de 1963, cité par les camarades du Canada).

    L'article dit explicitement que Staline commit l'erreur d'élargir le cadre de la répression en 1937 et 1938, qu'il confondit, à certains moments et dans certains problèmes, les deux catégories de contradictions de nature différente - contradictions entre l'ennemi et nous, et contradictions au sein du peuple, que des gens honnêtes furent aussi injustement condamnés... Servir le Peuple rejoint totalement cette analyse.

    L'on pourrait encore ajouter d'autres exemples. Ainsi, bien que Staline soit à l'origine de la théorie bolchévique des nationalités, son traitement de la question fut parfois très éloigné de la conception communiste du monde : des populations entières (comme les Tchétchènes) furent déportées ; on confondit souvent progrès social et écrasement des cultures historiques, non-discrimination et assimilation. Le sort de Mirzayët Sultan-Galiev, marxiste tatar exécuté pour "nationalisme bourgeois" en 1940 (lire : sultan-galiev-nationalites-musulmanes-en-urss-article-de-periode et sur-la-question-de-sultan-galiev), ou des antifascistes juifs comme Solomon Mikhoels, accusés de "sionisme", sont à ce titre emblématiques...

    Il ne faut pas oublier que la contre-révolution n'est pas venue d'éléments réactionnaires qui auraient échappé aux mailles du filet, mais bien d'hommes du sérail : Khrouchtchev était le bras droit de Yejov, le maître d’œuvre des Grandes Purges !

    Pour autant, le bilan historique est-il totalement négatif ? La réponse est bien entendu NON : il est même globalement positif.

    Prenons un autre exemple : chacun aura pu voir que SLP est un soutien sans faille des Peuples en lutte, basque, breton, corse, occitan etc. La Révolution française, poursuivant l’œuvre de la monarchie absolue, a écrasé impitoyablement ces Peuples. Pour autant, va-t-on dire que le rôle historique de la Révolution française (et même de Napoléon) est négatif ? Bien sûr que non ! C'est un évènement historique d'une importance capitale, pour l'Europe et pour l'humanité. Le nier est la marque des fascistes.

    Il faudrait arriver, au seuil des années 2010, à avoir le même type d'approche sur l'URSS de Staline : reconnaître qu'il a dirigé la première expérience socialiste de l'Histoire avec détermination, qu'il a vaincu le fascisme et le nazisme, considérablement développé l'URSS arriérée. Mais cela n'implique pas que tout soit rose... Apprenons d'hier, des succès comme des erreurs, pour construire le socialisme de demain !

    [Possible mot de la fin ? :

    "Au-delà de la question d'être trotskiste ou boukharinien, Staline est indéfendable par ses crimes dont le résultat est une disqualification du socialisme (provisoire, heureusement)."

    Ce qui permet une re-qualification du marxisme aujourd'hui, c'est que les conditions ; DONT FAIT PARTIE le corpus théorique dont nous disposons, la conception communiste du monde qui a largement évolué et n'a plus les limites ; ne sont plus du tout les mêmes.

    L'erreur et toute la stérilité dans le débat autour de Staline, c'est de penser que le cadre concret, situation objective (de l'espace géographique concernée à l'époque) + matériel théorique à disposition des communistes, aurait pu être "brisé" pour que les choses puissent se passer TRÈS différemment ; ce qui n'est pas le cas.

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/petite-punchline-conception-du-monde-sur-l-eternelle-et-lancinante-que-a179836154]


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  • L'impérialisme, stade suprême du capitalisme


    La théorie marxiste de l'impérialisme prend principalement sa source dans L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme de V.I. Lénine (1916).

    À vrai dire, la théorie de l'impérialisme est au cœur même du marxisme-léninisme, second grand développement du marxisme après Marx et Engels eux-même [car le marxisme évolue, s'adapte à son époque, tire les leçons des expériences et des dérives passées, etc.].

    Cette théorie se prolongera, près d'un demi-siècle plus tard, dans le maoïsme, troisième et supérieure étape du marxisme, qui fait de la lutte des peuples opprimés - et de leurs soutiens occidentaux - contre l'impérialisme la lutte fondamentale de notre époque, celle du capitalisme en crise terminale.

    Le stade historique impérialiste selon Lénine, se caractérise d'abord par le capitalisme monopoliste : c'est à dire la fusion du capital financier (banques etc.) et du capital industriel (la production classique de biens et de services), et la concentration (aidée par les crises) de ce Grand Capital en monopoles qui peu à peu écrasent, absorbent ou asservissent la petite et moyenne production.

    Cette situation conduit à une suraccumulation absolue de capital.

    Celle-ci, associée à un besoin insatiable de forces productives, matières premières et force de travail, va amener les monopoles européens et nord-américains, et les États à leur service, à se tourner vers les terres "vierges" (non pas de population, mais de capitalisme et donc de concurrence, comme l'Afrique) ou les pays arriérés, encore féodaux et pré-capitalistes (comme la Chine, l'Amérique latine, l'Empire ottoman ou la Perse).

    Ceci afin d'y exporter leur surproduction de capital, d'y puiser les matières premières ou précieuses (dont ces pays regorgent), et d'en exploiter la main d’œuvre.

    Il ne s'agit plus seulement, comme au milieu du 19e siècle (Anglais en Inde, Français en Orient et en Afrique), d'écouler un surplus de marchandise.

    En réalité, tous les modes de production connaissent à moment donné un mécanisme expansionniste, lorsqu'ils atteignent leurs limites historiques, qu'ils ne peuvent plus développer suffisamment les forces productives - mais que, bien sûr, la classe dominante ne veut pas l'admettre ! L'expansion est alors le moyen de "chercher" des forces productives ailleurs, plutôt que de remettre en question le système.
    Le besoin permanent d'esclaves et de terres cultivables poussait ainsi les empires antiques à s'étendre indéfiniment. La soif de terres, de paysans et de villes à ponctionner poussait les domaines féodaux à se concentrer (par mariage, achat ou conquête) en grands États absolutistes, puis à s'affronter entre eux.

    Au stade du capitalisme, cette expansion se caractérise par l'exportation massive de Capital (ce qu'on appelle "les investissements") et le pillage des ressources (naturelles et humaines) dans ce qu'il est commun d'appeler "le Tiers-Monde".

    Mais lorsqu'il n'existe plus, ou presque, de territoires à investir (Lénine estime que c'est chose faite au début du 20e siècle), lorsque le partage du monde est terminé, il ne reste plus de solution que le repartage, au détriment des autres puissances : autrement dit la guerre.

    C'est sur ce constat que Lénine pose la définition classique (marxiste-léniniste) de l'impérialisme : "L'impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes."

    Et l'impérialisme, à terme, C'EST LA GUERRE.

    Lénine analyse également l'impérialisme, et c'est très important, comme le stade où les bénéfices retirés de cette exploitation des peuples permet d'en redistribuer une partie (petite pour celui qui la donne, mais importante pour celui qui la reçoit !) à une certaine couche qualifiée de la classe ouvrière, qui devient une sorte de "petite-bourgeoisie" salariée : l'aristocratie ouvrière [https://wikirouge.net/aristocratie_du_travail]. Et ce phénomène est, pour lui, indissociable du développement dans le mouvement ouvrier (politique et syndical) de l'opportunisme (renonciation à la révolution pour le réformisme, les "conquêtes sociales" économistes), et du chauvinisme (tendance à défendre son propre impérialisme, qui conduira les socialistes à voter la guerre en 1914) : "On conçoit que ce gigantesque surprofit (car il est obtenu en sus du profit que les capitalistes extorquent aux ouvriers de "leur" pays) permette de corrompre les chefs ouvriers et la couche supérieure de l'aristocratie ouvrière. Et les capitalistes des pays "avancés" la corrompent effectivement : ils la corrompent par mille moyens, directs et indirects, ouverts et camouflés. Cette couche d'ouvriers embourgeoisés ou de l'"aristocratie ouvrière", entièrement petits-bourgeois par leur mode de vie, par leurs salaires, par toute leur conception du monde, est le principal soutien de la IIe Internationale, et, de nos jours, le principal soutien social (pas militaire) de la bourgeoisie."

    Ainsi, pour Lénine, "Les gens les plus dangereux à cet égard sont ceux qui ne veulent pas comprendre que, si elle n'est pas indissolublement liée à la lutte contre l'opportunisme, la lutte contre l'impérialisme est une phrase creuse et mensongère".

    L'impérialisme aujourd'hui

    Depuis cette époque, et en particulier depuis 1945 et surtout les années 1970, la nature de l'impérialisme a encore évolué.

    D'une part (à partir de 1945), la colonisation directe ou le protectorat, qui étaient les modèles dominants, ont cédé la place à une "indépendance" toute formelle et à une "délégation" de la gestion des pays dominés à une élite locale : les bourgeois bureaucratiques et les compradores. Le terme couramment employé - mais non-marxiste - est celui de néo-colonialisme. Les marxistes parlent de pays semi-coloniaux, ou semi-coloniaux semi-féodaux, car la domination a souvent empêché, dans ces pays, de se développer une véritable révolution bourgeoise, si bien que des rapports sociaux féodaux, archaïques, se maintiennent, sur lesquels la domination impérialiste prend appui. La question agraire, la question du droit à la terre est ainsi une caractéristique de ces pays dans les campagnes. Cependant, le terme de néo-colonialisme peut être retenu lorsque, comme souvent en Afrique, des pays colonisés directement ont accédé à une "indépendance" tellement factice, et ont un lien si étroit avec l'ancienne métropole, qu'ils sont de fait des protectorats de celle-ci (ainsi, le franc CFA d'Afrique est totalement contrôlé par la Banque de France, l'économie est totalement aux mains des Français "expatriés", les régimes dépendent largement de l'armée française pour assurer leur sécurité, etc.).

    D'autre part, la nouvelle - et cette fois terminale - crise générale du capitalisme (depuis les années 1970) a rendu les coûts de production dans les pays impérialistes ("à cause" des conquêtes sociales) insupportables pour les besoins de l'accumulation capitaliste.

    Dès lors, de réservoirs essentiellement de matières premières et accessoirement de main d’œuvre et de produits de consommation (surtout agricoles), les pays dominés ont tendu à devenir (et sont devenus, aujourd'hui) les usines et les greniers de la planète.

    Nous avons là, en réalité, l'aboutissement de ce que notait déjà Lénine (et le social-libéral anglais Hobson, sur les travaux duquel il s'appuyait) dans son célèbre ouvrage, mais qu'il pensait possible de conjurer par les luttes révolutionnaires (la "résistance") du mouvement ouvrier et des peuples colonisés - sauf que celles-ci ont (pour le moment) échoué à atteindre leurs buts, et cela est donc advenu :

    L'impérialisme

    Ceci, d'autant plus que les pays impérialistes abritent désormais en leur sein une importante force de travail qui a été "importée" (principalement durant la phase d'accumulation capitaliste de 1945-75) des pays dominés, est au fondement même de la question du racisme structurel auquel nous attachons une grande importance - le racisme qui structure les représentations dominantes tant dans les rapports des pays occidentaux avec le "Tiers Monde" que dans ceux des populations "blanches" avec la force de travail sus-mentionnée. Lénine y annonçait même comment la construction d'"États-Unis d'Europe" (notre actuelle UE !) ne pourrait avoir d'autre signification que le regroupement tactique des puissances impérialistes européennes pour mieux asseoir leur domination sur le "vaste (et remuant) Sud"...

    C'est ainsi qu'aujourd'hui, l'immense majorité des masses exploitées mondiales se trouve dans les pays dominés par l'impérialisme.

    Or, le principe communiste est que ce sont les masses qui font l'Histoire.

    La lutte contre l'impérialisme est donc la lutte fondamentale de notre époque !

    L'impérialisme en débat

    Voici deux débats ouverts sur le FUC, abordant la question de l'impérialisme aujourd'hui : link (l'impérialisme aujourd'hui... c'est quoi ?) et link (la Chine et la guerre).

    Y est notamment abordée la question de savoir si la Chine et la Russie, aujourd'hui, peuvent être qualifiées d'impérialistes.

    Pour un intervenant, cela est chose impossible, car la liquidation de la propriété d’État en URSS est pour lui un point de départ, une "année zéro" à partir de laquelle tout est à reconstruire. Il faut donc constituer d'abord un capital industriel, puis un capital financier avant de passer à l'impérialisme.

    À notre sens, c'est une mauvaise compréhension de ce qu'est le révisionnisme.

    Le socialisme, c'est partir du capitalisme et avancer, étape par étape, vers le communisme (société sans classes). Le révisionnisme, c'est partir d'un certain "stade" du socialisme, pour régresser vers le capitalisme.

    Lorsque l'on passe de la propriété collective populaire des moyens de production, à la propriété collective d'une bourgeoisie d’État s'accaparant la plus-value du travail populaire, puis à la propriété privée individuelle d'"oligarques", il n'y a pas à constituer un capital industriel : il est là, clés en main, le socialisme s'en est chargé ! Quant au capital bancaire, il y a sous le "socialisme" révisionniste d'immenses banques d’État, qu'il n'y a plus qu'à privatiser.

    Lénine, dans L'impérialisme, qualifie le stade monopoliste de degré le plus élevé du caractère social de la production, préfigurant véritablement le socialisme - à condition de résoudre, par la révolution, la contradiction avec l'appropriation privée de la plus-value.

    Donc, si l'on part d'un certain "niveau" de socialisme pour retourner au capitalisme, on ne va logiquement pas retourner au capitalisme "primitif" du début de la révolution industrielle... On va retourner au stade monopoliste, par simple "partage", "mise à la découpe" de la "propriété d’État".

    En Russie, héritière de l'URSS, c'est ce qui s'est produit. Le "capitalisme d’État" de la période brejnévienne a été emporté dans la tourmente de la (seconde) crise générale du capitalisme, à partir des années 70, précipitant le passage du monopole d’État aux monopoles privés. Cela s'est fait dans des conditions difficiles, de débâcle économique, de déroute géopolitique (perte de la zone d'influence et d'une grande partie du territoire lui-même), et de surcroît avec un état d'esprit de gangsters, qui s'était développé dans les couloirs de "l'appareil".

    Ce qui a pu donner l'image d'une "transition" terriblement difficile (dans les années 90), s'apparentant à une "restructuration" à l'échelle d'un pays-continent... Cela dit, difficile pour qui ? Pour le peuple, assurément. Pour les apparatchiks reconvertis en oligarque... pas sûr.

    Mais aujourd'hui, la "restructuration" est terminée, les "recadrages" sont effectués et la Russie se "relève" comme une puissance de premier plan, à travers ses monopoles géants (Gazprom, Lukoil...).

    En Chine, la situation est sensiblement différente. D'une part, même si la période 1966-76 a été l'expérience socialiste la plus avancée du siècle dernier, la Chine partait de beaucoup plus loin (presque du Moyen-Âge pour la plus grande partie du territoire) que l'URSS. Donc, en 1976, elle était moins développée que l'URSS au milieu du siècle (d'autant que la Révolution culturelle consistait, précisément, à ne pas faire primer le développement "à tout prix" sur le travail politique de changement de société, mais à les faire s'accompagner mutuellement).

    D'autre part, en raison de ladite Révolution culturelle, la clique réactionnaire qui a pris le pouvoir (par un coup d’État en 1976-77) était relativement faible, face à un peuple "fortifié" idéologiquement. Elle avait donc besoin d'appuis, de se donner une base sociale.

    C'est pourquoi elle a, d'une part, laissé se développer tout de suite (dès 1978-79) un important secteur privé d'entreprises individuelles et de PME ; et, d'autre part, elle s'est tournée vers le capital étranger (les "investisseurs") avec lequel elle s'est associée en joint ventures, sociétés mixtes.

    Donc, la Chine "usine du monde" des années 1980 et (surtout) 1990 apparaît complètement dominée par le capital étranger, ce qui est a priori le contraire de la définition de l'impérialisme.

    Cependant, elle a gardé la main sur les "secteurs clés" : banques, énergies, matières premières, industries lourdes... Ce qui montre qu'elle n'a pas voulu se "brader", mais bien se donner les moyens d'une ambition : l'ambition d'être une grande puissance continentale et même, si possible, mondiale.

    Aujourd'hui, la Chine est encore majoritairement importatrice de capitaux, mais elle en exporte de plus en plus. Il suffit de voir en Afrique, en Asie où elle a même tendance à supplanter le Japon (de plus en plus mal en point).

    Donc, même si la Chine n'est pas impérialiste matériellement, au sens de Lénine, elle l'est idéologiquement, au sens d'"intention - et de moyens - de le devenir".

    N'était-ce pas la situation du Japon de 1910, ou même de 1920 ? On sait ce qu'il en est advenu quelques années plus tard...

    De même, la Russie est une ex-grande puissance (super-puissance même) tombée à terre après une défaite géostratégique et un terrible crise économique, et qui se relève. La situation n'est pas sans rappeler l'Allemagne (fraîchement) hitlérienne de 1933, 34, 35...

    Bien sûr, rien ne permet de qualifier la Chine et la Russie actuelles de menace n°1 pour les peuples du monde. Elles ne menacent, pour le moment, que leurs propres peuples, leurs minorité nationales (traitées en "colonies intérieures") et leur étranger proche (d'autant plus si on les provoque, comme la Russie en août 2008). Elles soutiennent ici et là quelques régimes oppressifs pour leur peuple (Soudan, Iran, Syrie, Birmanie, Asie centrale), en "froid" avec l'Occident.

    Rien à voir avec nos impérialismes européens (surtout français) et nord-américains, en déclin irréversible et qui sèment la terreur et la désolation d'un bout à l'autre de la planète...

    Mais, si l'on ne considère pas la Russie et la Chine comme des puissances impérialistes montantes ou "en devenir", il est impossible de comprendre la politique des puissances occidentales, qui resserrent spectaculairement les rangs depuis quelques années (avec "Sarko l'américain" en France et "Obama le multilatéraliste" aux États-Unis, la fin d'une guerre franco-US de 15 ans en Afrique etc.), après le "clash" entre les deux camps lors de la guerre d'Irak.

     

           Colo-frse-couverture-cahier-sco-1900.jpgTchad-Soldat-Eufor-13juin2008-1-2.jpg

                                                          "Temps béni" d'hier...    et d'aujourd'hui

     


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  • L'expulsion, ces derniers jours, vers leur pays d'origine de plusieurs réfugiés afghans raflés dans la "jungle" de Calais a particulièrement choqué jusque dans les rangs de la bourgeoisie (y compris de droite). 

    charters-honte.1247732341.jpgC'est que l'Afghanistan est un pays qui subit une terrible guerre impérialiste, où les bombes impérialistes font presque quotidiennement des dizaines de morts, où les seigneurs de guerre locaux à la solde des occupants font régner leur droit de vie ou de mort et où la résistance à l'occupant elle-même, pas franchement progressiste, ne fait pas dans la dentelle...

    Des attentats meurtriers ont lieu tous les jours, sans parler de la violence généralisée (fruit de la misère), de la drogue etc. 

    L'expulsion vers un tel pays (mais il y en a beaucoup d'autres, dont on ne parle pas) ressemble donc beaucoup à une condamnation à mort, en tout cas à une très grave mise en danger pour les personnes expulsées. 

    Même si l'on ne peut pas comparer, elle évoque d'autres convois, ferroviaires ceux-là, il y a une soixantaine d'années... 

    Pourtant, ces expulsions ne sont qu'une manifestation particulièrement choquante d'un phénomène beaucoup plus large.

    C'est important car, au risque de choquer certain-e-s, l'humanisme est précisément l'approche qui mène le combat pour les sans-papiers dans le mur : parce qu'il ne fait pas le poids par rapport à la propagande de la bourgeoisie, elle-même relayée et amplifiée par l'idéologie fasciste.

    L'anti-immigrationnisme : question de "racisme" et d'"humanité", ou de logique économique de notre époque ?

    Le racisme, la xénophobie, ont toujours existé dans l'histoire de l'humanité : Staline définissait ainsi l'antisémitisme comme un vestige du cannibalisme. À l'époque préhistorique, quand deux groupes humains se rencontraient, cela se passait rarement bien !

    Cependant, avec le développement du caractère social de la production, des relations économiques entre les peuples, la tendance historique générale est à sa disparition.

    Ainsi, aujourd'hui, la "haine de l'autre" est essentiellement un haine entre continents, entre "civilisations", alors qu'en 1900 on apprenait encore aux écoliers français à détester les Allemands, qu'au Moyen-Âge on se détestait entre régions, dans l'Antiquité entre "cités"...

    Historiquement, la tendance à la xénophobie appartient aux classes réactionnaires, celles qui n'ont pas intérêt à ce que "ça change" ; car le progrès de l'humanité s'est toujours traduit par un recul de la xénophobie, un élargissement du sentiment de "commune humanité". Elles voient donc, dans l'émergence de ces sentiments anti-racistes et dans l'amitié croissante entre les peuples, la marque de ce progrès qui signifie leur fin.

    Le racisme de notre époque, celle de l'impérialisme, vise en priorité les peuples des semi-colonies ou des ex-colonies devenues néo-colonies, dont la pensée dominante véhicule l'"infériorité" et la "barbarie".

    De même, depuis qu'existe une immigration de travail (depuis toujours, mais surtout depuis la "révolution" industrielle), la classe dominante utilise les sentiments xénophobes pour diviser les exploité-e-s, pour les empêcher de s'unir et de vaincre la domination.

    Souvent les immigrés sont relégués au plus bas de l'échelle sociale, et de cette façon les travailleurs nationaux ont un sentiment de supériorité, de "petit-bourgeois" vis à vis d'eux, et ne considèrent pas appartenir à la même classe.

    Par exemple, en Suisse, les choses sont claires : les 25% de la population les plus pauvres sont (hormis quelques milliardaires du show-biz) les 25% d'étrangers qui, même après des générations, n'ont pas la nationalité, donc pas le droit de vote. La bourgeoisie peut donc dormir tranquille et faire ce qu'elle veut...

    En cas de crise du capitalisme, la bourgeoisie doit d'abord préserver la main d’œuvre nationale pour assurer la paix sociale. Elle va donc, en premier lieu, restreindre la main d’œuvre étrangère. Mais il lui arrive aussi de s'en servir, en période de crise comme de croissance, pour contrer les revendications salariales : "vous demandez X de l'heure, j'ai des étrangers qui prennent moins...".

    Cependant, de tout temps, même pendant la crise des années 1930, la France a accueilli des immigrés. Les restrictions étaient souvent d'ordre politique : qu'ils ne "troublent pas l'ordre public", qu'ils ne soient pas des "rouges".

    La situation actuelle de lutte contre l'immigration apparaît donc comme sans précédent. Elle a pourtant une cause toute simple.

    Avec le développement de l'impérialisme sous sa forme néo-coloniale, les néo-colonies sont peu à peu devenues les vraies bases productives du monde (il suffit de regarder les "made in" au dos de chaque produit), avec un coût de main d’œuvre extrêmement bas. Et dans le même temps, le coût du transport s'est effondré.

    Les centres impérialistes (Europe de l'Ouest, Amérique du Nord, Japon) tendent à conserver seulement des activités de qualité (haute valeur ajoutée), de "finition" et de gestion de la production : des économies de distribution et de consommation ! [tendance qu'envisageait déjà Lénine en 1916, disant que ce serait certainement ce qui adviendrait "si les forces de l'impérialisme ne rencontraient pas de résistance" - or la résistance qu'elles ont rencontré au 20e siècle a pour le moment été tactiquement vaincue...] 

    En résumé :

    - en 1960 : coût prod. en France < coût prod. dans le "tiers-monde" + acheminement marchandise.

    - aujourd'hui : c'est l'inverse. La qualité et le savoir-faire sont en outre de moins en moins un problème, en Europe de l'Est comme dans le "tiers-monde".

    Donc, en 1960, on allait littéralement chercher la main d’œuvre : c'était l'époque où les "sergents-recruteurs" de Bouygues, Renault et compagnie sillonnaient la campagne portugaise, le djebel maghrébin ou la brousse africaine en quête de bras pour les usines et les chantiers d'Hexagone.

    Aujourd'hui, au contraire, il ne faut surtout pas que les étrangers viennent travailler en France, où la main d’œuvre nationale souffre déjà du chômage et où ils coûtent 10 fois plus cher aux capitalistes que dans leur pays (dans l'hypothèse où on leur trouverait un emploi).

    Donc, s'ils tentent de venir, on les renvoie. Il n'est pas étonnant que par exemple, la Chine étant "l'usine du monde", la traque se soit beaucoup axée ces dernières années sur les immigrants chinois.

    D'ailleurs, dans des pays comme la Chine ou la Russie, où la domination s'exerce souvent à l'intérieur même des frontières, la lutte contre "l'immigration" se mène contre leurs propres nationaux des régions "périphériques" !

    Cette politique, décidée par la majorité bourgeoise, se heurte parfois à des secteurs "non-délocalisables" comme le bâtiment et la restauration, qui en raison de leur technicité et/ou de leur pénibilité ne trouvent pas de main d’œuvre française. L'importation de main d’œuvre portugaise, roumaine ou bulgare, ressortissante de l'UE et qui "rentre" au pays une fois son contrat terminé, a apporté en grande partie une solution à ce problème.

    Elle entre également en contradiction avec la petite et moyenne bourgeoisie immigrée ou d'origine : arabe, turque, asiatique, africaine etc., qui aime embaucher des compatriotes et qui subit sur ce point une oppression nationale et non pas sociale (puisque ce sont des bourgeois opprimés par des bourgeois).

    Les pays du "tiers-monde" sont aujourd'hui les usines, les mines et les fermes du monde, aux conditions de travail quasi-esclavagistes (et aux gouvernements "gardes-chiourmes" généralement ultra-répressifs et corrompus).

    Donc, d'un point de vue d'humanité, renvoyer des personnes vers ces pays revient - en pratique - à les envoyer dans un bagne.

    Les associations "d'aide", qui "sentent" les choses sans arriver à les identifier, conseillent souvent aux immigrants de se tourner vers le droit d'asile, qui permet de "contourner" la problématique économique. Il est vrai que la plupart des régularisations passent par ce canal, la voie du "permis de travail" étant bouchée sauf pour une élite diplômée.

    Mais généralement, les premiers responsables de la situation de danger (pour la vie, la liberté ou l'intégrité physique) dans le pays du demandeur d'asile, ce sont les pays impérialistes, France et consorts eux-mêmes !

    Et bien sûr, la France ne peut soutenir un régime "capital" pour ses intérêts et reconnaître en même temps que ce régime assassine, torture etc...

    Si bien que l'on réclame souvent, aux demandeurs d'asile, de véritables "certificats de torture" signés par leurs tortionnaires !!! Dans ces cas là, il va de soi que la régularisation est quasi impossible et l'expulsion... une quasi condamnation à mort.

    Les travailleurs migrants ne quittent pas leurs pays pour le plaisir. Ils le quittent au prix de mille dangers pour fuir la misère, la faim et la maladie, la guerre et la terreur des gardes-chiourmes de l'impérialisme ; et venir tenter de récupérer ici un peu de ce que l'impérialisme leur a volé là-bas.

    De tout temps, la solidarité avec les travailleurs étrangers a été fondamentale pour les travailleurs révolutionnaires "nationaux" : pour vaincre la division de notre classe par la bourgeoisie.

    Mais aujourd'hui, elle revêt une importance plus grande encore : elle est une solidarité internationaliste fondamentale face à l'impérialisme !!!

    La solidarité avec les travailleurs immigrés, (encore) avec ou sans-papiers, est au cœur même de l'internationalisme prolétarien.

    Nul ne peut se prétendre internationaliste s'il ne soutient pas les travailleurs migrants !

     

    À lire aussi : Le mur meurtrier de la Méditerranée - L’assassinat institutionnel de masse de l’Union européenne de Saïd Bouamama ; ou l'excellent Émigration clandestine, une forme de résistance de Sadri Khiari.

     

    Un petit résumé schématique de ce que nous venons d'analyser et d'expliquer ici, si cela peut en faciliter la compréhension :

    Il a longtemps existé une immigration de conformité aux besoins du capital : les "Borains" belges du Germinal de Zola ; les Italiens du 19e siècle, début 20e, etc. (ou tout simplement, et en vérité dans des proportions 10 fois plus importantes... des petits gars venus des campagnes alentour, de cette paysannerie qui avait 6 enfants pour une seule terre à donner en héritage). Avec effectivement, là, une logique de pression sur les salaires et les revendications (encore que cette pression fut sans doute fort secondaire par rapport à celle des Chassepot de la troupe envoyée canarder les grévistes comme à Fourmies...) ; et souvent une xénophobie ouvrière en réaction à cela, forme de "socialisme des imbéciles".

    Et puis évidemment les Trente Glorieuses, avec les Algériens, les Portugais que le patronat allait CHERCHER, avec des bureaux de recrutement directement dans les pays. On était loin de la chasse à l'immigré actuelle dans les Alpes !

    Mais là par contre, déjà à cette époque, on ne pouvait plus vraiment parler de pression sur les droits et les salaires... Les ouvriers nationaux, "de souche" ou d'immigration européenne antérieure, avaient accru leur niveau de vie par les luttes et les conquêtes sociales, gagné en salaire sous toutes ses formes, et d'ailleurs CONTINUAIENT à le faire ; et dès lors, pour que cela soit possible il fallait une "niche" de surexploitation, une couche de travailleurs qui travaillent encore dans des conditions épouvantables et pour des salaires de misère, sans faire grève etc., et ceux-ci étaient donc censés être les immigrés, tenus en joue par la carte de séjour... Il n'y avait pas de "concurrence" avec les nationaux, puisque ceux-ci (déjà) ne VOULAIENT généralement PAS de tels boulots, de leurs salaires et de leurs conditions !

    Et puis ensuite, à partir des années 1980, nouvelle mutation : il est devenu d'une part possible (existence d'une main d’œuvre sachant faire), d'autre part MOINS CHER de produire dans le "Tiers Monde" et d'acheminer la marchandise (au "pire" avec besoin de quelques finitions, derniers montages, histoire de garder une industrie en Occident quand même !), que de produire sur place et de faire venir si besoin (pour pourvoir les postes de misère et d'esclavage) de la main d’œuvre immigrée. Accomplissement, en définitive, de la "prophétie" d'Hobson http://ekladata.com/y2kWxo.png que Lénine pensait voir conjurée par la révolution prolétarienne mondiale, mais celle-ci après de grands succès initiaux a fini par reculer et finalement (pour le moment) être vaincue.

    C'est l'ère des fameuses délocalisations. La courbe s'inverse complètement, on ne va plus chercher les gens mais on les EMPÊCHE au contraire rigoureusement de venir, car c'est CHEZ EUX que le Capital en a besoin pour y produire pareil... mais pour 10 fois moins cher.

    Cette nouvelle politique va effectivement générer quelques tensions au niveau de certains secteurs (tâches les plus ingrates de la restauration, nettoyage, bâtiment, ce qu'il reste de grandes exploitations agricoles etc.), dans lesquels on ne peut par définition pas produire le bien ou le service à l'étranger et l'acheminer, et dont les nationaux y compris issus de l'immigration antérieure ne veulent pas trop entendre parler (pas assez pour le nombre de postes en tout cas) ; mais cela reste à la marge, la politique GLOBALE des métropoles impérialistes est désormais le refoulement de l'immigration et le maintien de la main d’œuvre dans le "Tiers Monde".

    ET ÉVIDEMMENT... vouloir QUAND MÊME venir en Europe/Occident, pour s'y réapproprier un peu de ce que l'impérialisme a pillé dans son "Tiers Monde" d'origine (causant la misère - voire la guerre, le chaos réactionnaire, le massacre permanent - elle-même cause du départ), est PLUS QUE JAMAIS un ACTE DE RÉSISTANCE anti-impérialiste objective.

    Oui car une "petite place", même "très modeste", au "soleil trompeur" des métropoles de l'impérialisme est justement une ATTAQUE, un MISSILE contre sa logique économique et sa division internationale du travail ; qui lui fait en réalité bien plus de mal qu'un camion piégé en plein quartier des ministères... 

    Même si les intéressé-e-s n'en ont généralement pas conscience... C'est d'ailleurs pour cela que sont mobilisées contre les migrants des forces qui manquent cruellement de l'autre côté pour déjouer des attentats : tout simplement parce que les migrants font PLUS DE MAL à l'impérialisme que les attentats.

    Les flux migratoires ont ce double aspect de tragédie (celle qui fait partir et les souffrances, le danger, la mort en route) et d'acte OBJECTIF de résistance.

    De GUERRE, même... rappelons que le blocage des migrants a un nom d'opération militaire : Frontex. Une guerre qui fait des morts. Et dans laquelle les internationalistes doivent choisir leur camp sans l'ombre d'une d'hésitation !


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  • C'est le 24 décembre 1979 que les troupes de l'Union Soviétique pénètrent en Afghanistan, début d'une longue et sanglante occupation de 9 ans.

    Mais en réalité, le conflit prend source 3 mois plus tôt, le 14 septembre, avec le coup d'État du Premier Ministre Hafizullah Amin qui renverse et élimine le président Noor Mohamed Taraki, et inaugure un régime brutal et sanguinaire.

    Trois mois plus tard, l'Union Soviétique interviendra directement pour renverser Amin et le remplacer par un homme à elle, le pantin Babrak Karmal.

    C'était donc il y a 30 ans...

    Une série de révolutions de palais

    Le coup d'État d'Amin n'est en réalité que le dernier d'une longue série, derrière laquelle se profile toujours la main de l'URSS.

    Là où certains, pour ne montrer du doigt personne, ont vu et continuent à voir une "révolution" ou un "processus progressiste", n'a eu lieu en fait qu'une série de révolutions de palais sous la houlette soviétique.

    En 1973, le roi Zaher Shah est sur le trône depuis 40 ans. Pris entre l'Asie centrale soviétique et les alliés de l'impérialisme US (Pakistan et Iran), il joue une politique d'équilibre, de "non-alignement".

    Mais il penche encore "trop à l'Ouest" pour le Kremlin, d'autant plus qu'il s'est engagé dans un processus de modernisation comparable à la "révolution blanche" du shah d'Iran.

    En juillet 1973, il est donc renversé par un putsch de son cousin et ex-Premier ministre, Mohamed Daoud Khan, réputé pro-soviétique. La République est proclamée. Mais rapidement, au bout d'un an ou deux, il apparaît que la politique de Daoud ne diffère guère du "non-alignement" de son prédécesseur, et qu'il prend ses distances avec Moscou.

    Les relations se tendent et un premier coup d'État échoue en décembre 1976.

    C'est finalement par le biais des officiers de l'armée, dont beaucoup ont été formés en URSS, et d'un parti d'intellectuels "progressistes", le PDPA, également formés dans les universités soviétiques, que le Kremlin va avoir raison de Daoud.

    Un coup d'État militaire, qui fera près de 3000 morts, le renverse en mars 1978 et il est lui-même assassiné.

    Cette fois, le pouvoir est remis aux civils de PDPA, divisés en deux "courants", le Khalq ("parti du peuple") et le Parcham ("drapeau"). Noor Mohamed Taraki (du Khalq) devient président, et Hafizullah Amin premier ministre.

    Pendant les 18 mois qui vont suivre, les Soviétiques vont appuyer Taraki contre Amin, jugé trop "radical", "sectaire" et "nationaliste", bref trop indocile... Mais, profitant d'un voyage de Taraki à Moscou, Amin va finalement prendre le pouvoir et faire assassiner son rival à son retour.

    Trois mois plus tard, l'Armée "rouge" entrera en Afghanistan, pour déposer Amin et le remplacer par Karmal (du Parcham, encore plus inféodé au "grand frère" que le Khalq).

    Dans cette longue litanie digne des mérovingiens ou - plus près de nous - des coups d'État africains, jamais les masses, qui font l'Histoire, n'ont joué le moindre rôle. Tout s'est joué d'en haut et - surtout - du Nord : de Moscou.

    La modernisation du pays (réforme agraire, émancipation des femmes...) va être totalement imposée d'en haut, par des jeunes cadres citadins souvent formés en URSS. Elle va se heurter à une société ancestrale, immuable (le dernier "bouleversement" étant sans doute l'arrivée de l'Islam) et, tout compte fait, cohérente. Un tissu complexe de liens claniques et tribaux où les différences sociales (hormis la terrible inégalité homme-femme) se mesurent souvent à quelques têtes de bétail ou quelques arbres fruitiers, ou à la prééminence d'une famille sur le "clan".

    Dès 1978 les premières révoltes éclatent dans la province du Nouristan. La répression se déchaîne, et c'est notamment pendant cette période (fin 1978-début 1979) que seront arrêtés et généralement assassinés les dirigeants du mouvement maoïste (Organisation de la Jeunesse Progressiste - Shola Jawid), dont Akram Yari (de la très opprimée nationalité hazara, dans laquelle se recrutaient énormément de maoïstes). De fait, si la résistance 'islamiste', traditionnaliste religieuse afghane est mondialement connue ('vendue' par toutes les chaînes de télévision occidentales pendant 10 ans), il existait également une opposition progressiste, révolutionnaire et notamment maoïste au pseudo-'progressisme' (et vrai compradorisme pro-Kremlin) du PDPA ; et des forces révolutionnaires communistes se retrouveront dans la résistance à l'occupation soviétique, confrontées dans le même temps aux intimidations, aux violences et parfois aux meurtres de la "majorité" religieuse : des organisations telles que la SAMA (Organisation Populaire de Libération de l'Afghanistan) ou encore l'ALO (Organisation de Libération de l'Afghanistan) à laquelle se rattache RAWA, organisation féministe fréquemment mise en avant par l'OCML-VP, mais très (et de plus en plus) critiquée là-bas. Cependant, entre répression soviétique/PDPA (assassinat du leader de la SAMA, Abdul Majid Kalakani), agressions fondamentalistes/cléricales (assassinat du Dr. Faiz Ahmad, leader de l'ALO) et opportunisme, elles finiront pas dépérir et quasiment disparaître.

    "Les masses font l'Histoire" : voilà, donc, le premier et terrible oubli de la soi-disante "révolution" afghane du PDPA.

    L'autre facteur de la tragédie de ce peuple (qui se poursuit de nos jours) étant le rôle néfaste de l'URSS, qu'il faut bien qualifier de social-impérialisme (socialisme en parole, impérialisme dans les faits).

    Une guerre coloniale

    Les révisionnistes bien entendu (Georges Marchais en tête) mais aussi (tiens tiens...) les trotskystes de la LCR et de la LTF (considérant que l'URSS de 1979 "conserve un caractère ouvrier" (!) et joue un rôle "progressiste") vont apporter dès les premières semaines leur soutien à l'intervention.

    La principale justification de celle-ci (ou du refus de la condamner) étant le caractère "moyenâgeux" des insurgés, les "progrès" apportés par le "processus" du PDPA, la "condition des femmes"... Peu importe ce que le peuple afghan lui-même pouvait en penser !

    On fera remarquer que ces mêmes arguments peuvent justifier à peu près toutes les guerres coloniales "civilisatrices" du XIXe siècle, ou les interventions et occupations "humanitaires" d'aujourd'hui, au nom de la "démocratie" et des "droits de l'homme".

    On remarquera, aussi, que l'on était fort loin de la belle unanimité contre l'invasion de la Tchécoslovaquie en 1968. Ou comment le vieux fond chauvin et colonial de l'"extrême-gauche" hexagonale revient au galop, dès lors qu'il s'agit de populations musulmanes...

    Pour d'autres, les "refondateurs" sortis du PCF dans les années 1990, l'intervention pouvait être condamnable dans ses modalités mais, comme on ne saurait qualifier l'URSS d'alors d'"impérialiste" (voir la page théorique "Le révisionnisme"), elle reste de la "solidarité internationaliste", même "maladroite". Et de repartir sur le même argumentaire du régime "progressiste", à défendre contre "l'obscurantisme-soutenu-par-la-CIA"...

    Disons les choses clairement : il y a une définition léniniste de l'impérialisme, qui est de s'assurer le contrôle d'un pays en y exportant (ou pour y exporter) massivement des capitaux ("investissements"), en exploiter la main d'oeuvre et les ressources naturelles, afin de dégager des surprofits pour la métropole impérialiste.

    Mais le paysan afghan n'a pas lu Lénine et, d'ailleurs, il ne sait généralement pas lire.

    Quand une bombe tombe sur sa maison, quand son village est exterminé par les mitrailleuses des hélicoptères, quand ses enfants sautent sur les mines et les sous-munitions, il ne se demande pas si l'URSS exporte massivement des capitaux dans son pays. Il voit un ennemi de son peuple et il le combat, point à la ligne.

    D'abord, l'exportation massive de capitaux pour le pillage des ressources humaines et naturelles vient généralement après que l'on se soit assuré le contrôle du territoire. Or, pendant 15 ans, de 1973 à 1988, l'URSS s'efforcera surtout de contrôler l'Afghanistan, et pas grand chose d'autre.

    Ensuite, de l'aveu (après coup) de responsables soviétiques de l'époque, les visées stratégiques ont joué un rôle considérable.

    Le contrôle de l'Afghanistan s'inscrivait dans une politique de "fortification" de l'Asie centrale soviétique (elle même richissime en ressources énergétiques et agricoles), et dans la "course aux mers chaudes", à l'Océan Indien, héritage de l'époque tsariste.

    Il suffit, en effet, de regarder une carte pour voir que l'URSS, mis à part l'Océan Arctique (gelé 9 mois sur 12), n'avait accès qu'à des mers fermées (Mer Noire, Baltique, mer du Japon), facilement verrouillables par l'ennemi. Depuis plus d'un siècle, donc, la Russie poursuit l'objectif d'un débouché sur l'Océan Indien.

    Et dans la poursuite de ces objectifs économico-stratégiques, l'URSS s'est heurtée à une "chouannerie", une résistance nationale "traditionnaliste" rassemblant depuis les seigneurs féodaux jusqu'aux simples paysans, depuis la bourgeoisie commerçante du bazar jusqu'à la petite plèbe urbaine, en passant bien sûr par les notables religieux. La même qui s'oppose aujourd'hui aux "libérateurs" de l'OTAN...

    Le résultat n'en est que tristement connu : un terrible guerre coloniale, génocidaire, dans laquelle quelques 2,5 millions d'Afghan-e-s périront, à coup de massacres de villages entiers, bombardements, déportations, exécutions sommaires et tortures, enfants déchiquetés par des jouets piégés largués sur les villages ; tout cela pour déboucher sur un retrait piteux des forces soviétiques (en 1988-89), la chute trois ans plus tard du laquais Najibullah (qui sera sommairement pendu par les talibans en 1996), et une défaite stratégique considérable pour l'URSS, qui précipitera sa capitulation dans la "Guerre froide" et sa dissolution...

    Seuls, à l'époque, les marxiste-léninistes et les maoïstes ont adopté sur cette invasion une position conséquente, et courageuse vis à vis du discours dominant à "l'extrême-gauche".

    Mais ils l'ont fait, paradoxalement, sur la base d'une analyse fausse de la situation, du rapport de force international et de la nature de l'URSS.

    Le tombeau de l'URSS révisionniste

    Pour la plupart des ML de l'époque, déjà mis à mal par la contre-révolution en Chine et les attaques albanaises contre Mao, l'intervention soviétique (1ère depuis 1945 hors du Pacte de Varsovie) fut perçue comme la preuve que l'URSS révisionniste était devenue la menace n°1 pour la paix et les peuples dans le monde.

    D'autant que l'impérialisme US, après ses défaites stratégiques en Indochine, en Afrique, au Nicaragua et en Iran, semblait vraiment mal en point.

    Cette analyse s'est cependant avérée gravement erronée. Affirmer cela, tout d'abord, alors que les médias occidentaux (rivalité Est-Ouest oblige) focalisaient sur l'Afghanistan, c'était ignorer gravement ce qu'il se passait au même moment en Amérique centrale, en Afrique australe (Angola, Mozambique, Afrique du Sud et Namibie...), au Liban (ravagé par Israël et les phalanges fascistes), au Moyen-Orient où l'Irak soutenu par les Occidentaux s'apprêtait à attaquer l'Iran...

    En réalité, l'on s'aperçoit que l'URSS a engagé beaucoup moins d'hommes (jamais plus de 200.000 en même temps) et a eu beaucoup moins de pertes (13.300 morts) que les États-Unis au Vietnam.
    Pourtant, son système politique et économique n'y a pas survécu, alors que les USA se sont relevés de leur échec vietnamien et de leur recul stratégique mondial des années 1970...

    Preuve, s'il en est, que le révisionnisme soviétique était un système bâtard, en transition du socialisme vers le capitalisme, frappé de plein fouet par la crise économique mondiale, l'obligeant à une fuite en avant militariste (d'abord) comme en Afghanistan ou en Éthiopie, puis à un rétablissement à marche forcée du capitalisme pur et simple (perestroïka) ensuite.

    Et non pas un prétendu "impérialisme suprême", "le plus abouti" et "le plus puissant" - et "dangereux" - du monde, comme le pensaient nombre de marxistes-léninistes et de maoïstes à l'époque (certains s'y accrochant encore aujourd'hui...), justifiant le soutien à des causes réactionnaires comme l'UNITA angolaise ou Solidarnosc.

    Les peuples du monde, y compris dans les pays impérialistes occidentaux, ne s'y sont quant à eux pas trompés, faisant, après le Vietnam, de la lutte anti-apartheid ou (déjà) du Proche-Orient les nouveaux fronts emblématiques de la lutte anti-impérialiste, et de l'ANC, de la SWAPO, des volontaires cubains d'Angola ou du FPLP et des progressistes libanais les "nouveaux Viet-congs".

    Certes, les peuples du monde soutenaient aussi l'héroïque résistance du peuple afghan. L'URSS a trempé son drapeau rouge dans le sang d'un peuple innocent, achevant dans la dernière des barbaries, digne des guerres coloniales, sa trajectoire d'abandon du socialisme et de l'internationalisme pour le capitalisme et l'hégémonisme. La faillite du révisionnisme soviétique éclatait là dans toute sa "splendeur".

    Ceci aura des répercussions, jusqu'à aujourd'hui, dans la perception du marxisme et des idées communistes et progressistes par les peuples de culture musulmane...

    Mais en voyant le soutien de la bourgeoisie, des médias bourgeois, des services secrets impérialistes à la résistance afghane (comme à Solidarnosc et d'autres), les peuples du monde savaient bien que cette faillite (et la liquidation finale) ne seraient pas une victoire pour l'humanité, mais bien (après la contre-révolution en Chine) une terrible défaite...

    [Sujet sur le FML, riche en documentation d'époque : link]

    1007850-Retrait_des_troupes_sovietiques_dAfghanistan.jpg

    En complément, peut-être, de tout ce qui vient d'être dit, voici ci-après un point de vue "révisio" mais subtil, et regorgeant d'éléments de compréhension ultra-intéressants (Christian Parenti, fils du célèbre Michael, dans le Monde Diplo) :


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  • Nous avons dernièrement fait état des "bruits de bottes" entre la Colombie et la Venezuela. Cette affaire n'est qu'un énième épisode du bras de fer entre l'impérialisme américain et ses régimes laquais réactionnaires (Colombie, Pérou, Mexique) d'une part, et les régimes de gauche "radicale" (Venezuela, Bolivie, Équateur, Cuba) d'autre part, sous le regard désemparé de la gauche "modérée" (Brésil, Argentine, Chili, Uruguay...).

    C'est l'occasion pour nous de clarifier notre position, que certains voudraient qualifier d'"opportuniste", voire de "suppôt de l'impérialisme européen" (qui a profité du recul de l'impérialisme US dans ces pays), ou du "nouveau social-impérialisme" (vu les liens entre l'ALBA et la Russie, la Chine, l'Iran etc.).

    Les États "bolivariens" ne sont pas socialistes ; ils ne construisent pas le socialisme. Notre position là-dessus est absolument claire. Et aucune "transformation", "de l'intérieur", en "socialisme" n'est possible ni envisageable. En définitive, TOUTE LA QUESTION EST LÀ : bien des transitions socialistes (du capitalisme vers le communisme), ne serait-ce que... la russe ou encore la chinoise, ont commencé (comme avec la NEP en URSS) par des mélanges de capitalisme d’État, de petite production coopérative et de "petit" (pas si petit parfois, sous la NEP notamment !) capitalisme privé tout à fait similaires à ce que nous pouvons avoir au Venezuela en ce moment. Mais TOUTE LA DIFFÉRENCE tient au fait que l'objectif était alors d'ALLER VERS LE COMMUNISME : c'est cet objectif conscient et planifié d'aller vers le communisme qui caractérise le socialisme (qui n'est pas un mode de production en soi) et c'est lorsque cet objectif est plus ou moins ouvertement abandonné que l'on parle de contre-révolution révisionniste. L'objectif de la "révolution bolivarienne" au Venezuela n'est pas d'aller vers le communisme : elle parle d'"avancer dans le socialisme" et sa définition du socialisme ne correspond ni à ce que les marxistes appellent le communisme, ni à une quelconque véritable étape de la transition socialiste vers celui-ci. Cela tient tout simplement au fait que la "révolution bolivarienne" n'est absolument pas DIRIGÉE par un Parti communiste représentant le prolétariat (éventuellement allié avec d'autres classes), mais par une fraction de la bourgeoisie en "rébellion" contre le grand impérialisme de tutelle (l'impérialisme occidental principalement US) et "sensible" à la question sociale (qu'elle est obligée, nous le verrons plus loin, de "chevaucher").

    Une fraction de la bourgeoisie dont la démarche s'inscrit, en fait, dans l'une des trois grandes contradictions des pays semi-coloniaux que sont le Venezuela, la Bolivie ou l'Équateur : la contradiction entre le caractère national de la production et la SUR-APPROPRIATION IMPÉRIALISTE du produit [les deux autres étant, pour info, celle entre les aspects résiduels de féodalité (on parle de pays semi-féodaux) comme notamment (surtout) le problème de la propriété de la terre, et les masses laborieuses du Peuple ; et celle (bien sûr) entre Capital et Travail, production salariée et appropriation capitaliste de la plus-value, caractère social de la production et appropriation privée inégalitaire du produit, bref la contradiction centrale du capitalisme].

    Cette fraction bourgeoise "bolivarienne" cherche en fait à "rééquilibrer" en sa faveur l'appropriation du produit national, en réduisant la part de la sur-appropriation impérialiste. Ces États "bolivariens" ne sont donc pas sous la direction du prolétariat (ouvrier et agricole) et des masses populaires (paysannerie pauvre, petite bourgeoisie...). Or seule la direction du prolétariat, à la tête des masses populaires, peut permettre de transformer une révolution démocratique en révolution socialiste de manière ininterrompue.

    C'est là notre grande différence avec les trotskystes de La Riposte (les autres, NPA compris, restant plutôt fidèles à l'hostilité de principe envers les bourgeoisies nationales). Pour les amis d'Alan Woods (La Riposte est membre de la Tendance Marxiste Internationale), qui militent dans des partis sociaux-démocrates (La Riposte est au PCF), la "pression populaire", à condition qu'elle ne se relâche pas, peut suffire à elle seule à faire tranquilou du "bolivarisme" un "socialisme du XXIe siècle"...

    Un socialisme "démocratique" ("pas comme les 'caricatures' du XXe siècle"...), sans heurts, et surtout sans dictature du prolétariat. Car là est le fond idéologique de cette "Tendance" fondamentalement menchévique.

    Le "bolivarisme" est donc, tout simplement, un processus réformiste bourgeois. Processus qui atteindra tôt ou tard (sans doute plus tôt que tard vu l'actualité au Nicaragua ou en Équateur) ses limites, et cessera de jouer un rôle progressiste pour jouer un rôle réactionnaire.

    Mais ce processus ne tombe pas non plus du ciel, il n'est pas le fruit d'une simple "lutte" modernisatrice au sein de la grande bourgeoisie et de l'oligarchie terrienne. C'est là notre grande différence, cette fois, avec le Mouvement Populaire Pérou (et d'autres petites organisations MLM du continent) qui appliquent là mécaniquement les thèses de Gonzalo (Abimaël Guzman) et d'autres maoïstes latino-américains sur l'APRA du Pérou, le MNR bolivien, le péronisme en Argentine... Thèses selon lesquelles ces mouvements "nationalistes populistes de gauche" seraient en réalité "fascistes", pures "modernisations du capitalisme bureaucratique semi-colonial semi-féodal".

    Non, ce processus est aussi le fruit d'un rapport de force créé par les masses populaires : caracazo vénézuelien (1989) et ses suites, jusqu'à l'ingouvernabilité totale par le "bipartisme unique" AD-COPEI à la fin des années 90 ; "guerre de l'eau" (2000) et "guerre du gaz" (2003) en Bolivie ; mouvements populaires indigènes (2000-2005) en Équateur etc. Un rapport de force instauré par les masses au maximum de leurs possibilités du moment sur le continent, que la bourgeoisie voulant (comme on l'a vu supra) "rééquilibrer" sa position face à la surexploitation impérialiste est obligée de chevaucher pour espérer atteindre ses buts, et qui ouvre des perspectives en termes de conquêtes démocratiques et sociales, de conscience et d'optimisme révolutionnaire, d'organisation etc.

    Partant de là, si la réaction oligarchique-fasciste locale et impérialiste US s'attaque au processus, promettant l'exil ou la prison aux dirigeants et la mort, la misère et la répression au Peuple, est-ce qu'"on s'en fout", puisque de toute façon "ils se valent tous" ? BIEN SÛR QUE NON !

    La position des communistes, du camp du Peuple, est la défense de ce rapport de force instauré par les masses contre l'impérialisme et l'oligarchie "néolibérale" (ultra-compradore), de ce que nous pouvons appeler le fait populaire bolivarien, et du "processus" qui en est le fruit.

    [Un autre critère très "bête" pour ce qui est de critiquer/attaquer ce type de régimes ("bourgeois", "social-fascistes" ou tout ce que l'on voudra), pourrait aussi être tout simplement de le faire dans une perspective et avec une stratégie claire, en sachant où l'on va : si la ligne de démarcation ainsi tracée donne lieu à un saut qualitatif vers quelque chose de grandiose, comme le Parti communiste du Pérou qui s'est en grande partie forgé contre la junte militaire réformiste et pro-soviétique de Velasco Alvarado et le soutien de la gauche et de la plupart des autres "Partis communistes" à celle-ci (mais qui, on le notera aussi, n'a pas déclenché sa Guerre populaire à ce moment-là, mais au moment du retour au pouvoir de la droite oligarchique et néolibérale...), alors OUI ; mais si c'est pour faire de la merde parce qu'on a de toute façon une ligne politique pourrie, comme les hoxhistes vénézuéliens de "Bandera Roja" contre Chávez ou burkinabés ("voltaïques", pardon !) du PCRV contre Sankara, et ne servir au final que l'offensive impérialiste réactionnaire contre ces pays, alors non !]

    Cette position n'est pas nouvelle, elle n'est pas une invention de notre cerveau fertile. C'était la position de l'Internationale Communiste sur la République (bourgeoise) espagnole dans les années 1930.

    Déjà à l'époque, les trotskystes (POUM) et certains anarchistes (les "Amis de Durruti") prônaient la guerre sur deux fronts, à la fois contre les réactionnaires-fascistes de Franco et la République bourgeoise. On connaît le résultat !

    Il n'est pas surprenant de voir des groupuscules petits-bourgeois gauchistes, prétendument "MLM", adopter aujourd'hui cette position. Il est plus décevant de voir le PC du Pérou (en tout cas son "organisation générée" à l'étranger, le MPP) et d'autres MLM sincères tomber dans ce type d'analyse dogmatique et contre-productive.

    Oui, la bourgeoisie "bolivarienne", mélange de bourgeoisie nationale et de secteurs "dissidents" de la grande bourgeoisie liée à l'impérialisme, est inféodée à l'impérialisme russe, à la Chine, dans une certaine mesure aux impérialismes européens ainsi qu'aux expansionnismes "émergents" du continent - Brésil, Argentine etc. Exactement comme la bourgeoisie républicaine espagnole était soutenue* par l'impérialisme français dirigé par la bourgeoisie "de gauche" de Léon Blum, par l'impérialisme américain "de gauche" de Roosevelt voire (dans une moindre mesure) par l'impérialisme britannique, ou encore par le Mexique du PRI (régime "moderniste" national-révolutionnaire bourgeois, semblable au kémalisme turc), contre les visées impérialistes de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste (* un soutien "mou" certes, et favorisant toujours la "droite" du camp républicain).

    Mais pour les Peuples de ces pays, NOTRE CAMP, l'ennemi principal reste la réaction de droite et d'extrême-droite et ses "parrains" des secteurs ultra-réactionnaires de la bourgeoisie monopoliste US et européenne. L'impérialisme yanqui est et a toujours été défini comme l'ennemi principal des Peuples d'Amérique latine par le mouvement communiste de ce continent, à de rares exceptions près ("communistes" ultra-révisionnistes argentins anti-Perón) et Y COMPRIS Gonzalo lui-même, "pensée-guide" du Parti communiste du Pérou et référence absolue de nos ultra-gauchistes pourfendeurs du "bolivarisme" comme "fascisme", n'a jamais dit d'autre chose : "En ce XXème siècle un impérialisme nous domine, c'est principalement l'impérialisme nord-américain" (ici par exemple). Le Parti communiste (maoïste) du Pérou qui, dans un document de 1988, expliquait bien clairement que pour analyser correctement une situation et non parler dans le vent, il faut définir correctement qui est l'ennemi principal du Peuple à tel endroit et tel moment donné (sans pour autant tomber dans "l'ennemi de mon ennemi est mon ami") : "Nous, nous luttons contre l'impérialisme américain, contre la féodalité et contre le capitalisme bureaucratique, mais nous ne pouvons permettre que le social-impérialisme ou une autre puissance les remplacent. En Afghanistan, l'agression directe est le fait du social-impérialisme russe qui lutte pour l'hégémonie contre l'impérialisme yankee, d'autres puissances occidentales et contre la Chine. Là-bas, il faut lutter contre le social-impérialisme, l'ennemi principal et ne pas permettre que pénètre la domination impérialiste américaine, ni celle d'autres puissances". Partant de ce raisonnement, lorsque l'impérialisme US (et de forts courants impérialistes européens) téléguide une tentative de coup d’État (2002) puis enchaîne sur des années de déstabilisation par tous les moyens au Venezuela, allume les foyers de la guerre civile en Bolivie et finalement fait perpétrer un coup d’État au Honduras, quelles conclusions doit-on donc en tirer ?

    En définitive, nous avons là une vieille contradiction historique que l'on retrouve dans tous les nationalismes et/ou réformismes/"modernismes" "radicaux" tels que le péronisme argentin, l'Unité populaire chilienne, le nationalisme arabe et même dans une certaine mesure l'islam politique dans les pays musulmans : la contradiction entre ce qui est (réformisme/modernisation "radical(e)" et/ou nationalisme bourgeois) et ce que croient les masses. Faut-il en déduire que ce que croient les masses est incapable, en aucune circonstance, de devenir une FORCE MATÉRIELLE jouant un rôle positif (c'est-à-dire nuisible à l'ordre impérialiste mondial) ? Rien n'est moins certain et c'est la raison pour laquelle les réformistes/modernistes/nationalistes bourgeois (et leurs soutiens impérialistes/expansionnistes) cherchent à tout prix à contrôler ce "fait populaire bolivarien", et l'impérialisme US lésé à l'écraser.

    Oui, le "bolivarisme" est un réformisme bourgeois, qui tôt ou tard deviendra réactionnaire, et que le Peuple aura à combattre. Mais ce moment n'est pas encore arrivé*.

    Pour l'instant, en cas d'offensive réactionnaire oligarcho-fasciste, nous soutenons sans conditions le fait populaire bolivarien et le gouvernement bourgeois réformiste qui en est le fruit. En cas de contradictions entre le "bolivarisme" bourgeois et les masses populaires, bien entendu nous soutenons le Peuple, comme le montrent nos articles sur le mouvement en Équateur contre la privatisation pseudo-étatique des ressources naturelles.

    TELLE EST LA POSITION COMMUNISTE : LE CAMP DU PEUPLE !


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    [* Article rédigé fin 2009... Le moment est à présent arrivé,
    notamment avec la livraison par Chavez de militant-e-s révolutionnaires (basques ou colombien-ne-s) à leurs États réactionnaires respectifs, ou son rejet honteux des révoltes populaires arabes ; la rupture croissante entre les gouvernements Correa (Équateur) ou Morales (Bolivie) et les masses populaires, etc. Cependant, en cas d'offensive réactionnaire terroriste, notre position de soutien inconditionnel, non au gouvernement en tant que tel, mais aux MASSES contre le massacre promis, reste entière.]

    Voir aussi les articles : Discussion sur la "gauche" en Amérique latine et la bourgeoisie bureaucratique et Retour sur la situation en Amérique du Sud 

    Très intéressant et complet également : Derrière le « virage à gauche » et De l'anti-impérialisme à la révolution, sur le site du PCR du Canada.

    Pour une bonne compréhension actuelle (2013-2014) et historique (depuis 1998) du fait socio-politique "bolivarien", de sa nature, ses rapports de force et ses contradictions, lire les EXCELLENTES analyses (de l'intérieur !) du Mouvement Guévariste Révolutionnaire vénézuélien traduites pas nos soins : Le Venezuela a besoin d'une véritable révolution et sur la liquidation finale (2014) du "processus" et la nécessaire reprise du sentier de la lutte par les authentiques révolutionnaires : Nouveaux textes guévaristes sur la situation au Venezuela

    Ou encore, cet entretien avec un activiste révolutionnaire indigène (aymara) historique de Bolivie, extrêmement critique comme on peut l'imaginer : Felipe Quispe, le dernier Mallku

    Ajoutons aussi, à l'adresse des guignols qui nous parlent de "fascisme", que dans les États plurinationaux et à minorités opprimées (État espagnol, État turc) le fascisme se caractérise plutôt en principe par la négation de cette plurinationalité et de ces minorités et par la répression brutale de leurs expressions politiques ; car il vise l'unification forcée des masses autour de l'État-"nation" de la classe dominante et de ce qui est considéré comme le "corps légitime" de celui-ci. Or en Bolivie ou encore en Équateur, c'est exactement le contraire qui s'est produit : les Peuples et les langues indigènes ont vu leur reconnaissance inscrite dans la Constitution après cinq siècles de colonisation européenne ! Où est donc le "fascisme" là-dedans ??

    Et NOTONS BIEN ÉGALEMENT que si les positions "gauchistes réactionnaires" que nous avons dénoncées dans cet article sont classiquement qualifiées de "trotskystes" par les marxistes-léninistes et les maoïstes, Trotsky lui-même a pu tenir parfois des propos extrêmement proches... de notre position, et notamment au sujet d'un régime beaucoup plus clairement fasciste (l'Italie de Mussolini était sa référence explicite) que ceux de l'ALBA aujourd'hui : « Il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté serait la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serais du côté du Brésil "fasciste" contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte entre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs ! » (La lutte anti-impérialiste, entretien avec le syndicaliste argentin Fossa, 1938) [ceci sans toutefois perdre de vue, comme on peut le voir, son idée de primauté des grands centres capitalistes-impérialistes dans le "déploiement" de la vague révolutionnaire mondiale (il est bien clair que ce sont les possibilités révolutionnaires en Angleterre qui l'intéressent en premier lieu dans son exemple) ; conception qui fait partie de ce que nous récusons fermement dans le trotskysme].

     


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    http://1.bp.blogspot.com/_SvWgLib1n64/SqmNS4Di4SI/AAAAAAAAAPQ/9zvOX4W0nFA/s200/panneau_attention_4_200x0.jpg Article écrit en octobre 2009 : certains éléments ne sont plus valides ! L'article a donc subi des retoquages, ce qui n'est pas la pratique habituelle...

     

    Ce titre est une allusion volontaire au livre du philosophe ex-maoïste, reconverti en dandy social-démocrate "radical", Alain Badiou.

    Sarkoléon, Sarkolini, Sarkonazy, Sarko l'ami des fascistes sionistes et des néo-cons américains...

    Pendant toute la "résistible ascension" de l'actuel président de la République bourgeoise, de fin 2003 à avril 2007, toute une partie - pour ne pas dire la totalité - de la gauche plus ou moins radicale petite-bourgeoise (dont Badiou) a agité le spectre du fascisme.

    Il va de soi qu'une telle analyse est totalement anti-matérialiste, coupée des réalités de fond de la société de la part de personnes coupées, justement, de cette réalité, de la réalité quotidienne des classes populaires.

    Nous ne considérons pas Sarkozy comme le représentant du fascisme (qu'il soit un fasciste lui même est un autre débat). Libre à certains de caricaturer ainsi notre position, sous leur responsabilité bien sûr.

    Nous considérons Sarkozy, déjà comme ministre de l'Intérieur, comme le représentant d'un passage de la dictature bourgeoise sur un mode autoritaire répressif, glissement de fond depuis le début des années 90 après le mode "libéral" des années 80, qui s'inscrit dans une fascisation généralisée des sociétés capitalistes occidentales - face à la crise générale et terminale du capitalisme.

    Un pourrissement réactionnaire généralisé du régime "démocratique" bourgeois de contre-révolution préventive, construit depuis 1945 dans tous les pays impérialistes, sur la prospérité des "Trente glorieuses" (et le pillage des pays dominés !), et aujourd'hui (depuis les années 80, à part une légère "reprise" après la "conquête" des anciens pays révisionnistes),  rendu impossible (tout simplement... financièrement !) par la crise ; condamné à la liquidation du modèle "démocratique-social" keynésien et des concessions arrachées par les masses travailleuses, à la fuite en avant militaire pour le contrôle et le partage des ressources planétaires, etc. Une "fascisation rampante de déclin", typique des vieux pays impérialistes qui se savent entrés dans une longue et irréversible décadence...

    Un jour ou l'autre (si on ne lui barre pas la route), l'accumulation de politiques réactionnaires et fascisantes amènera le saut qualitatif : le fascisme ouvert, le fascisme tel qu'on le conçoit couramment. Comme le rappelle Dimitrov dans "Le Fascisme et la classe ouvrière", "avant l'instauration de la dictature fasciste, les gouvernements bourgeois passent ordinairement par une série d'étapes préparatoires et prennent une série de mesures réactionnaires contribuant à l'avènement direct du fascisme".

    Ainsi, si le "sarkozysme" n'est certes pas "le fascisme", il est évident qu'il le prépare, qu'il lui prépare le terrain.  

    En réalité, quand Badiou parle de "pétainisme transcendantal", il n'a pas tout à fait raison, ni tout à fait tort. Sarkozy lui-même est un homme de formation "libérale-démocrate de droite" à l'anglo-saxonne ; admirateur de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, des gouvernements "à poigne" brisant les acquis populaires des "Trente glorieuses", mais homme moderne, divorcé et remarié deux fois, peu baigné dans la naphtaline de la vieille fRance... EN REVANCHE, parmi les "éminences grises" de sa "résistible ascension", l'on trouve un Patrick Buisson, homme d'extrême-droite et maurrassien revendiqué, ancien directeur de Minute puis de Valeurs Actuelles, maître d’œuvre du positionnement "à droite toute" de Sarkozy en 2005-2007 (et à nouveau pendant la campagne 2012)  ; ou encore un Claude Guéant, un de ces "hommes d'ordre" à la Fouché, ancien haut-fonctionnaire à la "droite de la droite", ayant tout à fait le profil du "vichysto-résistant" qui peuplait les allées de l’État dans les années 1950-70, s'il était né en 1915 et non en 1945. Par ces "éminences grise", Sarkozy se rattache donc bien, en effet, à la tradition "légitimiste maurrasso-pétainiste" de la Réaction française ; s'opposant, en effet, à la tradition "bonaparto-gaulliste" comme le lui reproche tout un courant de la droite, de l'extrême-droite et même de la "gauche".

    Mais cette fascisation, en France en tout cas (on ne peut pas vraiment en dire autant en Italie par exemple), est encore pour l'instant beaucoup plus du domaine des idées que des actes - même si depuis 2002 les choses s'aggravent.

    Nous considérons Sarkozy comme le produit de la rencontre de deux facteurs :

    - D'abord, l'aggravation de la lutte de classe, sous une forme inorganisée, orpheline d'une théorie et d'une direction, mais bien présente, la montée de la haine de classe prolétaire, de la peur de classe bourgeoise et "moyenne", traduite par le matraquage médiatico-politique "sécuritaire" de 2000-2002, avec pour résultat la présence de Le Pen au second tour de la présidentielle, la victoire écrasante de la droite à celle-ci et aux législatives consécutives.

    Un cran dans le glissement autoritaire-répressif de la dictature bourgeoise a été franchi à cette époque, traduit par l'arrivée tonitruante de Sarkozy à l'Intérieur, ministère qui fut on le sait son ascenseur pour l'Elysée. C'est que, de 2002 à 2007 (en dehors d'une courte parenthèse aux Finances), Sarkozy aura incarné (finalement) un figure bien française : celle du "Fouché", du super-premier-flic-de-France ; figure incontournable de l'État bourgeois depuis l'époque napoléonienne (le véritable Fouché en question) en passant par Morny (Second Empire), le "tigre" Clémenceau au début du 20e siècle, Jules Moch dans les troubles de l'après-guerre, Mitterrand pendant la guerre d'Algérie, Raymond Marcellin de 1968 à 1974, Pasqua dans les années 1980 et 90, etc.

    Ce processus de durcissement de la dictature bourgeoise, de la contre-révolution préventive, va encore se préciser avec la révolte populaire de novembre 2005, l'aggravation croissante durant tout le quinquennat 2002-2007 de la lutte de classe non-organisée. C'est la première raison de l'ascension de Sarkozy et de son "clan" au pouvoir suprême.

    - Ensuite, un changement de la conjoncture internationale inter-impérialiste.

    Lorsque Chirac commence son 2e mandat, la France est aux prises depuis plus de 10 ans avec les monopoles américains, anglais, canadiens etc. en Afrique, pour le contrôle de ce continent poumon de matières premières de la planète. Des conflits atroces, qui feront plus de 7 millions de morts, dont un million de rwandais et 5 millions de congolais.
    De plus, Chirac représente les monopoles attachés à la "politique arabe" gaulliste, hostile aux visées US sur le Proche/Moyen-Orient. Ceci va conduire, début 2003, à l'opposition frontale sur la question irakienne.
    D'autant que quelques mois plus tôt, les Américains ont "retourné" le président social-démocrate ivoirien Gbagbo, orphelin de ses appuis socialistes à Paris. La France va réagir immédiatement en fomentant une rébellion militaire, via son laquais burkinabé Compaoré (déjà l'homme de Chirac pour assassiner Sankara en 1987).

    Bref, les relations transatlantiques sont au plus bas, et appuyée sur l'Allemagne et la Russie, la France va aller plus loin que jamais dans la confrontation avec les États-Unis.

    Mais dans la bourgeoisie impérialiste, qui n'est pas exempte de contradictions (comme toutes les classes), il y a un courant pro-US, atlantiste, pour un partenariat "loyal" avec les États-Unis, et qui n'a pas apprécié l'attitude de Chirac et Villepin, considérant qu'elle a mis en péril les intérêts de la France. D'autant que les Américains rencontrent, initialement, quelques succès : invasion courte et victorieuse, capture de Saddam Hussein...

    Connu pour être américanophile, et ultra-populaire dans le petite-bourgeoisie par sa politique répressive, Nicolas Sarkozy sera leur homme. La candidature est posée dans une émission de France 2 restée célèbre, en novembre 2003.

    Jusque là rien n'est joué, mais autour du milieu de la décennie la configuration internationale change sensiblement.
    Restructuré, le capitalisme russe flambant neuf se pose à nouveau comme une puissance mondiale de premier plan.
    Avec une croissance à deux chiffres ou presque, la Chine affirme également son rang, commence à prendre son autonomie du capital étranger et à exporter ses propres capitaux. Ses conditions généreuses sont particulièrement appréciées des potentats africains (pour les peuples par contre, l'exploitation est encore plus dure).
    Ces deux pays se rapprochent à partir de 2003, formant le "groupe de Shangaï".

    Parallèlement, un réveil nationaliste bourgeois en Amérique latine (alliance "bolivarienne") et en Orient (axe Iran-Syrie, + Hezbollah et Hamas) va venir s'agréger au bloc russo-chinois, dans un front "anti-occidental".

    Les médias bourgeois parlent de nouvelle guerre froide... Le rapprochement transatlantique devient inévitable. Les Américains mettent de l'eau dans leur vin unilatéraliste.

    Et en France, c'est la deuxième lame de fond en faveur de Sarkozy.

    Le NON au référendum de 2005, qui dynamite le PS et le chiraquisme (et dans lequel les Américains, comme dans tout ce qui "bloque" une éventuelle puissance impérialiste européenne, ont joué un rôle) ; l'affaire Clearstream et le CPE qui mettent hors-jeu Villepin, dauphin de Chirac, feront le reste... Mais on rentre là dans l'anecdotique de la politique bourgeoise.

    Ces "deux sarkozysmes" ne se recoupent pas parfaitement : il y a des "contre-révolutionnaires" pas forcément "atlantistes" forcenés, et inversement.
    Mais leur conjonction a conduit au 6 mai 2007.

    Bien sûr, une fois au pouvoir, Sarkozy ne s'est pas révélé le dictateur fasciste que redoutait la petite-bourgeoisie intellectuelle de gauche, incapable d'une analyse matérialiste du fascisme.
    Il ne s'est pas révélé non plus le "gouverneur US" de ses détracteurs aux relents chauvins : il reste le président de la bourgeoisie impérialiste française et quand celle-ci est menacée par les Américains, il s'oppose à eux.

    Cela montre bien, d'ailleurs, l'inanité de la thèse (minoritaire dans le mouvement MLM) qui fait de Sarkozy un représentant d'on-ne-sait-quelle "bourgeoisie industrielle" opposée à la bourgeoisie impérialiste... Dans quel pays impérialiste a-t-on vu un président, un gouvernement OPPOSÉ aux intérêts de la bourgeoisie impérialiste ?!!!!?

    Armés du matérialisme dialectique, de la science marxiste, les révolutionnaires communistes doivent donc éviter deux écueils, qui sont le naufrage garanti :

    - Nous ne devons pas considérer Sarkozy comme LE fascisme, consolidé, synthétisé, du 21e siècle ; et du coup considérer comme des "résistants" des personnes ou des groupes qui sont des fascistes.

    On pense à Alain Soral et ses "antisionistes", nébuleuse de nationalistes, d'islamistes et de négationnistes antisémites, plutôt islamophiles alors que l'extrême-droite est en principe islamophobe, et qui infiltrent la solidarité palestinienne et l'anti-impérialisme sur le thème des "sionistes" (comprendre "les juifs") qui dirigent le monde (et dont Sarkozy est bien sûr le "fondé de pouvoir" en France), thèse à l'absurdité facilement démontrable : Israël n'est bien entendu qu'une "place forte" US au Proche-Orient, et non la "véritable capitale" des États-Unis et de la planète...

    Que ces personnes soient en contradiction avec le gouvernement en place, plutôt (encore que relativement) pro-israélien, ne doit pas tromper et en faire des amis du peuple.

    Au contraire, même s'ils n'ont pas la main sur l'orientation de la politique bourgeoise, ils jouent quand même leur rôle d'agents de l'impérialisme, en bon fascistes : diviser, semer le trouble, discréditer le combat anti-impérialiste, combat central de notre époque, en donnant corps aux accusations d'antisémitisme, de nationalisme, d'islamisme.

    Il suffit d'aborder la question des banlieues (véritable marqueur des révolutionnaires de notre époque) ou des sans-papiers (marqueur de l'internationalisme de classe), pour les démasquer immédiatement. Les musulmans qui les soutiennent sont le "parti de l'Ordre" de novembre 2005, le parti de la fatwa anti-émeutiers. Et les sans-papiers sont pour eux des "envahisseurs" et des "casseurs du modèle social"...

    - Mais nous devons également éviter l'erreur de croire que le fascisme est "AILLEURS", dans les personnes citées plus haut par exemple, alors qu'il est AUTOUR du phénomène Sarkozy (même si en contradiction apparente avec lui), lequel s'inscrit pleinement dans la fascisation rampante des sociétés capitalistes occidentales.

    C'est l'erreur de beaucoup de réformistes, mais aussi de ML insuffisamment armés politiquement, qui croient que le "durcissement" des luttes économiques syndicales est le "long fleuve tranquille" de la révolution. Pour eux, "non, franchement, aujourd'hui ce n'est pas le fascisme, le fascisme ce n'est pas ça...". Non, en effet, ce n'est pas ENCORE ça. Mais rien ne tombe du ciel. Hindenburg et Von Papen avant Hitler, Dollfuss avant l'Anschluss, l'internement des "apatrides" antifascistes étrangers et des réfugiés espagnols "rouges" avant Vichy...

    Mais c'est aussi l'erreur de ceux qui voient dans Sarkozy on-ne-sait-quelle "bourgeoisie industrielle".
    On aurait presque l'impression que, face au bond quantitatif que représente Sarkozy dans la dictature bourgeoise et les politiques réactionnaires et répressives, certains se perdent en conjectures abracadabrantes pour refuser le combat, pour ne pas assumer la nouvelle nature (beaucoup plus dure) de la lutte de classe...
    Se contentant, au chaud derrière leur clavier, d'applaudir épisodiquement les exploits de ceux ("Contis", jeunes des quartiers, défenseurs des sans-papiers) qui affrontent concrètement sur le terrain la répression bourgeoise... Et qui, eux, ne se posent pas de question sur la nature de classe de Sarkozy !
    Pire, le fascisme est "ailleurs", non seulement chez Soral & co, mais chez ceux-là même qui combattent Sarkozy et sa dictature bourgeoise répressive, les crimes et les projets de l'impérialisme US et de son allié sioniste (auxquels sont associés les 3/4 du temps l'impérialisme français), etc. etc. !!!

    En résumé, contre la fascisation rampante au service de la contre-révolution préventive et de la guerre impérialiste, une seule ligne de démarcation : LE CAMP DU PEUPLE EST NOTRE CAMP !!!

    SERVIR LE PEUPLE !!!
     

    la-police-vous-parle

     

     

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  • En tant que révolutionnaires communistes, avant-garde du prolétariat, nous combattons la bourgeoisie capitaliste et son stade suprême l'impérialisme comme un tout.

    Cependant, il serait gravement faux de croire que la bourgeoisie, en particulier la bourgeoisie impérialiste, forme un bloc soudé et sans divergences internes. Cette grave erreur peut conduire - et a déjà conduit - de nombreux camarades à des dérives tragiques.

    Comme le peuple, comme les communistes, la bourgeoisie est traversée par ce qu'on appelle des luttes de lignes, des divergences qui peuvent s'exprimer y compris très violemment.

    Par exemple, la bourgeoisie est divisée entre différentes approches de sa dictature de classe : approche libérale voire sociale-libérale, approche conservatrice autoritaire, approche ultra-réactionnaire pouvant aller jusqu'au fascisme.

    De même, sur le plan international, la bourgeoisie impérialiste a différentes "orientations stratégiques", qu'il est important de bien saisir en tant qu'anti-impérialistes, combattant principalement l'impérialisme français.

    À quelques nuances près, l'analyse des différentes positions exprimées permet de dégager 4 grandes lignes :

    - la ligne atlantiste ou "occidentaliste" : sans faire abstraction des intérêts de l'impérialisme français, elle prône un ancrage "occidental" clair, un partenariat solide avec les impérialismes anglo-saxons, principalement américain.

    - la ligne "européiste" : pour une "Europe forte" face aux autres puissances (USA, Japon, Russie, Chine...), dans un monde "multipolaire". C'est peut-être la ligne la plus réaliste, mais elle implique de "limiter" les intérêts français face à ceux des autres partenaires européens.

    - la ligne "souverainiste" ou "nationaliste intégrale" : "la France d'abord", envers et contre tous. Mais cette ligne se heurte à un obstacle majeur : elle surestime les capacités réelles de l'impérialisme français, incapable de faire "cavalier seul" depuis 1945, voire 1918.

    - la ligne "eurasiste" : "de Brest à Vladivostok". Violemment hostile à l'impérialisme US (et à son "appendice" sioniste), elle prône l'alliance avec tous ses adversaires : Russie, Chine, Iran, pays arabes ou nationalistes sud-américains... Elle prend ainsi souvent des accents "tiers-mondistes", antisionistes et contre les interventions US dans le monde.

    La première et la dernière sont radicalement inconciliables, les deux autres balancent en fonction des circonstances. Il n'est pas systématique que les "souverainistes" aillent avec les "eurasistes" et les "européistes" avec les "occidentalistes/atlantistes" : il existe des souverainistes atlantistes un peu sur la ligne des conservateurs britanniques (typiquement les villiéristes) et des européistes ou "euro-russistes" voyant dans l'"union des Européens" une force principalement contre l'hégémonie mondiale US (tout en étant parfois des défenseurs d'Israël contre "l'islam", voir ci-dessous).

    Bien sûr, le fascisme étant intimement lié à l'impérialisme (il en représente la tendance la plus agressive), chaque ligne a "son" fascisme :

    - Les "atlantistes" ont les "néo-conservateurs" à la française, comme Alexandre Del Valle (formant avec Rachid Kaci la "Droite libre"). L'écrivain Maurice G. Dantec est également sur cette ligne, mais on le voit peu dans les médias hexagonaux - il se considère "réfugié politique" de "l'islamo-socialo-communisme" au Canada. On peut y ajouter la Nouvelle Droite Républicaine fondée  en septembre 2008 par l'ancien frontiste Jean-François Touzé (nostalgique du FN "libéral, républicain, atlantiste et pro-israélien" qu'il aurait rejoint en 1982), devenue l'Alliance pour les Libertés un an plus tard puis, en janvier 2011, les "Nouveaux républicains". Le mouvement ne semble cependant pas avoir connu un franc succès, et Touzé est régulièrement et violemment attaqué sur le web d'extrême-droite. Pour autant, son départ du FN en 2007 pour cause (selon lui) de "gauchisation" (en pleine "période Soral", "discours de la dalle d'Argenteuil" etc.) et son hostilité féroce, aujourd'hui, à Marine Le Pen et à son "programme économique digne de Mélenchon" ne sont peut-être pas si peu représentatifs que cela : il est clair que tant sous Jean-Marie Soral en 2007 que sous Marine Philippot aujourd'hui, le FN de ces dernières années ne s'est pas franchement rapproché de cet "électorat plus bourgeois, moins populaire, moins focalisé sur l'immigration, plus attaché aux libertés économiques" (plus "euratlantiste" et moins souverainiste aussi) que célébrait (et évaluait à "15% de la population") Henry de Lesquen du Club de l'Horloge en 1997 ; cette droite radicale CENTRALE, urbaine, aisée et éduquée, moderne et "connected to the world" (typiquement les lecteurs de Valeurs Actuelles quoi...) à laquelle on peut rattacher Jean-François Touzé ou encore Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, les fondateurs de la "Droite forte" (courant de l'UMP) en 2012 [en dernière analyse, le dénominateur commun de toutes ces scissions et éloignements individuels du FN à partir de 1999, en apparence très différents, et de l'anti-marinisme aujourd'hui, c'est sans doute l'anti-"plébéianisme" : une "droite radicale" plus bourgeoise, rejetant le "populisme vulgaire" du clan Le Pen et que l'on peut effectivement estimer autour de 15% du corps électoral]. En 2013 est apparu le blog "L'Atlantiste", ce qui a le "mérite" d'être clair, net et précis. L'on peut consulter ici une (modeste) tentative de "cartographie" de cette galaxie atlanto-néocon hexagonale (qui couvre globalement toute la tendance atlantiste de l'impérialisme tricolore, pas uniquement l'extrême-droite fasciste).

    - Les "européistes" ont les tenants de l'Europe "civilisationnelle", de "l'Occident chrétien" contre les musulmans, les "Asiates" (capitalismes d'Asie-Pacifique) et autres "émergents", et l'Amérique "multiculturaliste" et "décadente". Ils se retrouvent en particulier chez le Bloc Identitaire, mais aussi dans la Nouvelle Droite Populaire et plus largement l'Union de la Droite Nationale autour de celle-ci. L'idée n'est en réalité pas nouvelle, puisque dans les années 1960-70 (avec Occident, Jeune Europe qui évoluera vers l'eurasisme ou la FANE de Fredriksen) et même 1980-90 (PNFE) était très présente l'idée d'"unité des Européens" à la fois contre les "rouges", les rugissements anti-impérialistes du "Tiers-Monde" et la montée de l'Asie-Pacifique, et aussi pour sortir l'Europe de sa vassalité (héritée de 1945) envers les États-Unis. Mais c'était alors la Guerre froide, et l'idée européenne rejoignait celle de défense de l'Occident capitaliste "libre" ; d'autre part, il était question d'une alliance de "nations souveraines libres". Lorsque sous l'égide social-démocrate et démocrate-chrétienne (symbolisée par le couple Mitterrand-Kohl) se mettra en place une Europe plus politique et "bureaucratique" (Acte unique de 1986, Maastricht 1992, Amsterdam 1999), la fraction la plus agressive de la bourgeoisie impérialiste BBR se caractérisera plutôt par un refus "souverainiste" de cette construction. Depuis le milieu des années 2000 cependant, la tendance connaît un renouveau certain et même fulgurant.

    Dans cette mouvance se trouve celui qui est sans doute l'un des plus brillants "intellectuels organiques" de la droite radicale BBR (au point que même un courant assez éloigné de ses idées, la très atlantiste Alliance des Libertés évoquée ci-dessus, a tenté de se l'approprier contre son avis fin 2009) : Guillaume Faye. Considéré un temps comme le "maître à penser" des Identitaires sur la ligne anti-islam, mais ayant pris ses distances par la suite, il reste néanmoins la principale référence intellectuelle des "grands-européistes", clairement "eurorussiste" même, hostile à "l'Union anti-européenne" de Maastricht "soumise à la géostratégie US". En revanche, avec son ouvrage phare (et polémique) La Nouvelle question juive (2007), il s'est également fait le champion de l'alliance des "nationalistes et identitaires européens" avec Israël et le mouvement sioniste, "contre l'Islam" bien évidemment. Il est sans doute de ceux qui verraient d'un bon œil la Russie "prendre la relève" des  États-Unis dans le soutien du "monde blanc" au "rempart" israélien.

    Le site Euro-Reconquista (comme, finalement, à peu près tout ce qui relève de la mouvance identitaro-zemmourienne anti-islam), relativement "phare" sur le Web d'extrême-droite, est lui aussi très clairement à classer sur cette ligne ; comme le montre clairement cet article magnifiant le projet d'"Europe-puissance" des années 1950-60 (la "Petite Europe" des 6 du Traité de Rome), "ignoblement torpillée" par les Nord-Américains par l'introduction (dans l'ordre) des Anglais en 1973 (c'est une vieille rengaine), des drogues (cannabis, LSD etc.), de la haine de la Science, du Travail (avec majuscules) et de l'école (sans, allez savoir pourquoi), de l'antiracisme et de la "repentance" (of course), puis de l'écologisme anti-nucléaire pour enfin déboucher sur la prise de contrôle d'ALSTOM moitié par Siemens (allemand, "petit-européen" : où est donc le problème ?) et moitié par General Electrics (US)... CQFD.

    Récemment a émergé le PSUNE (Parti socialiste pour l'Unité de la Nation européenne) de Thomas Ferrier, qui tient depuis fin 2009 un blog ouvrant régulièrement ses colonnes à Guillaume Faye. Ce "parti" ne semble guère engager que son "secrétaire général" (et probablement unique membre), mais il est tout de même révélateur d'une tendance qui se (re)dessine fortement depuis le milieu des années 2000, celle d'une acceptation (et même d'une exaltation) de la construction européenne par la fraction la plus agressive du Grand Capital français, après des "années Maastricht" (1985-2005) plutôt marquées par le scepticisme voire l'hostilité.

    Il y a aussi la thèse, exposée il y a quelques années par Alexandre Del Valle (devenu plus atlantiste depuis), selon laquelle les USA (dirigés par une "élite mondialiste") et l'Islam sont des alliés stratégiques objectifs contre la "civilisation européenne". Cette thèse est aujourd'hui toujours avancée par certains, dans les milieux identitaires notamment, mettant en avant le soutien US à l'entrée de la Turquie en Europe, le soutien au Kosovo "islamo-mafieux", les liens avec l'Arabie saoudite et le Pakistan etc. etc.  

    Concernant la Russie, qu'ils admirent pour sa "résistance à l'islamisation" en Tchétchénie ou au sujet du Kosovo, leur discours est généralement de l'inclure dans l'"Europe-civilisation", mais dans une position "partenariale" voire subordonnée, en aucun cas dominante comme pour les NR et autres nazbols se rattachant à "l'Internationale Douguine". Il est possible dans ce cas de parler d'"euro-russisme", tendance qui a notablement le vent en poupe depuis quelques années, surtout depuis que les USA sont redevenus démocrates sous la présidence d'un "gauchiste noir musulman" et (supposément) une puissance "islamo-laxiste" voire "islamophile". Dans un sens, on peut parler aussi "d'arracher la Russie à l'Asie", contrairement aux NR qui veulent une "Eurasie intégrée". Au sujet des évènements de mars 2014 en Ukraine, Guillaume Faye s'exclame ainsi sur son blog : "Provoquer la Russie au lieu de respecter sa sphère d’influence, c’est la pousser dans les bras de la Chine"... On ne peut guère mieux résumer les choses. Outre la géopolitique, il y a aussi (sur le blog de Guillaume Faye toujours, par exemple) une claire fascination pour la politique intérieure russe (très autoritaire, "verticalité du pouvoir") de Poutine, souvent décrite (pour reprendre la tonalité viriliste des intellectuels fascistes) comme "le seul gouvernement européen à avoir une paire de c****". Le très droitier Christian Vanneste (ex-UMP "Droite populaire" exclu pour ses déclarations homophobes, désormais président du RPF - à ne pas confondre avec celui de Pasqua - et soutien de Ménard à Béziers) dit des choses assez similaires sur le site DTOM.fr, que l'on peut sans doute classer dans la même catégorie : "Le rattachement de la Crimée à la Russie après référendum serait au moins aussi légitime que l’indépendance du Kosovo. Il faut en finir avec les ingérences et les intégrités territoriales à géométrie variable, en finir avec les émotions autour des effervescences populaires peut-être manipulées, les printemps dont on ne mesure pas les suites. C’est seulement en respectant la Russie que l’Europe peut créer les conditions d’une évolution favorable pour l’Ukraine", "L’Ukraine doit faire le choix d’être un pont entre l’Europe et la Russie plutôt que  de se déchirer intérieurement. Il doit être clair qu’elle ne s’intégrera ni à l’OTAN ni à l’Union Européenne, qu’elle gardera des relations militaires et économiques privilégiées avec la Russie, mais qu’elle devra aussi sous l’autorité de gouvernants plus honnêtes et davantage reconnus au plan international prendre toute sa place de pays européen au potentiel considérable".

    Même la mouvance sioniste radicale (plutôt rattachée à l'atlantisme, en principe) envisage, parfois, qu'un jour l'impérialisme US "lâche" Israël ou ne soit plus un "parrain" fiable, et qu'il faille se chercher une autre puissance tutélaire : la Russie, malgré son long passé (et présent) de soutien aux nationalistes arabes ou encore à l'Iran, est alors la "candidate" qui revient le plus souvent (surtout qu'Israël abrite désormais plus d'un million de personnes d'origine russe, parlant la langue etc.). Cela a ainsi fait l'objet d'un article du très pro-israélien "L'Atlantiste", où il est certes plus question que ce soit la Russie qui "entende où est son véritable camp" contre "l'islam fanatique" ; ou encore d'un billet d'opinion signé Greg Sulin sur le site sioniste JSS News.

    [MàJ] Dans une interview accordée début avril 2015 à l'hebdomadaire d'extrême-droite Rivarol, Jean-Marie Le Pen lui-même apparaît clairement sur cette ligne "euro-russiste" mais pas "eurasiste", avec la Russie pour "sauver l'Europe boréale et le monde blanc" mais très hostile à l'Asie et en particulier à la nouvelle et montante puissance chinoise : "L'Europe boréale intègre les Slaves, mais aussi la Sibérie dont je crains que les Russes ne puissent la garder seuls", ce qui est une allusion claire aux visées de Pékin (avec déjà l'infiltration économique de milliers d'entrepreneurs) sur cet immense territoire très éloigné de Moscou. Il fait même preuve d'une hostilité à l'immigration chinoise en Hexagone ("Il y a un million de Chinois en France ; ce sont des gens intelligents, actifs, discrets mais néanmoins puissants et redoutables") peu classique dans son propre camp politique, qui tend plutôt (généralement) à présenter les Asiatiques comme des "modèles d'intégration" qui ne "posent pas de problèmes" (par opposition aux "musulmans", "Arabes", "Africains" etc.).

    - Les "souverainistes" ont diverses tendances : Pasqua, Le Pen et le FN, le Parti de la France (PdF) de Carl Lang, le MNR ou De Villiers. On peut encore citer l'Union populaire républicaine (UPR) de François Asselineau, où encore la mouvance souverainiste du très droitier Nicolas Dupont-Aignan, le très confusionnistes Comité Valmy avec lequel fricotent le PR'c'F, le "Front syndical de classe" ou encore les "orthodoxes" du P'c'F, etc.

    Certaines tendances ont des penchants "occidentalistes/atlantistes" (De Villiers notamment, mais aussi MNR) et/ou sont clairement ancrées à droite (les villiéristes clament même "les Jeunes populaires [de l'UMP] se disent révolutionnaires, pas nous !") ; d'autre sont de tendance plutôt "eurasiste" voire "tiers-mondiste", farouchement anti-américaine (comme Le Pen lui-même depuis les années 1990, après avoir été "reaganien" dans les années 80) et, assez souvent, se veulent "ni droite ni gauche" et (au contraire) ouverts aux "patriotes de gauche" et autres "résistants au Nouvel Ordre mondial" : "Debout la République" (Dupont-Aignan), UPR, Comité Valmy, mouvance Soral bien sûr, Cercle des Volontaires (issu de la ridicule caricature 'française' des Indignad@s ibériques), bref toute cette mouvance-là. Avec les "eurasistes" et/ou "tiers-mondistes" ci-dessous, cette dernière tendance est celle qui entretient le plus le confusionnisme dans nos rangs populaires-révolutionnaires ; celle qui exige de nous, sur toutes les grandes questions hexagonales et internationales faisant l'actualité, la plus grande clarté idéologique.

    La mouvance Œuvre française/Jeunesses nationalistes (Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac), qui fait partie de l'UDN avec le MNR, la NDP, le PdF, le Renouveau français (national-catholique) etc., est peut-être classable dans cette catégorie ; il faut dire qu'elle est globalement sur la ligne du "nationalisme intégral" de Maurras. Elle se veut autant "antimarxiste", "antisioniste" (antisémite, "contre le judaïsme politique"), anti-UE (bien sûr, mais tout en entretenant des relations avec d'autres groupes fascistes européens) et anti-américaine qu'anti-islam (ici devant un projet de mosquée à Beauvais, avec Thomas Joly du PdF). C'est en quelque sorte le "nationalisme pur et dur" : tout ce qui "vient de l'extérieur" est "l'anti-France", une agression (présente ou potentielle) contre la "Nation". On peut y voir une "bonne synthèse" des différentes tendances ; mais aussi un concept assez vieillot, dépassé et peu moderne : fondée en 1968, c'est en fait la plus vieille organisation d'extrême-droite encore en activité en Hexagone. Sa "matrice" idéologique est antérieure à la Nouvelle Droite, au Club de l'Horloge et autres think tanks qui ont renouvelé la pensée réactionnaire ultra. Elle se revendique ouvertement de Pétain et de la collaboration, donc d'une période peu glorieuse de l'histoire hexagonale, ce qui n'aide pas forcément à se développer largement dans les masses.

    - Enfin, les "eurasistes" ou "tiers-mondistes" sont représentés par des groupes "nationalistes révolutionnaires" plus ou moins liés au national-bolchévisme russe, dont la tête de file est Christian Bouchet, par les "nationalistes (pseudo)anti-impérialistes" de la mouvance Soral et les "conspirationnistes" de type Thierry Meyssan (agent propagandiste déclaré du régime poutinien et de ses alliés syriens, iraniens etc., défendant ces alliances contrairement aux russophiles "européistes" qui les déplorent). Ou encore le Parti solidaire français de Thomas Werlet, proche de Kemi Seba et de la "liste antisioniste". Ces groupes se rattachent, parfois, à la fondation  Eurasia du national-bolchévik russe Alexandre Douguine, éminence grise du Kremlin et représentant de la bourgeoisie monopoliste russe la plus agressive. D'autres (beaucoup) se revendiquent de l'avocat "militant" et "anti-impérialiste" Jacques Vergès (qui, plus qu'un anti-impérialiste révolutionnaire ou même qu'un fasciste "tiers-mondiste", était d'abord et avant tout un agent international de l'État algérien auquel il est lié depuis la guerre d'indépendance ; c'est ainsi qu'il a pu défendre pendant 30 ans - jusqu'à sa mort en 2013, très certainement sur la demande d'Alger, le communiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, arrêté en 1984 avec un passeport algérien ; et Klaus Barbie en 1987 à la demande de François Genoud, banquier suisse nazi reconverti dans le soutien aux nationalismes arabes et notamment au FLN).

    L'"eurasisme" est généralement (et farouchement) rejeté par les "euro-russistes" qui déplorent justement les alliances asiatiques et "islamistes" (chiites) de la Russie actuelle, l'exhortant à "retrouver son identité profondément européenne" et prophétisant sa (très possible au demeurant) rupture géopolitique avec la Chine (devant les ambitions chinoises en Extrême-Orient) et l'Islam (devant la "menace" que représenteraient les 20% des musulmans de la Fédération) : "si l'on gratte le Russe, on trouve un Varègue ou un Slave mais jamais un Tatar", clament-ils.

    Il est important de souligner quelque chose ici : ces eurasistes/"tiers-mondistes" et plus largement ces partisans d'un alignement impérialiste sur la Russie (et d'une défense systématique de ses positions internationales) sont effectivement des "révolutionnaires" au sens où ils prônent pour l'impérialisme français un sérieux virage géopolitique. Il est donc LOGIQUE QU'ILS FASSENT DU BRUIT... De fait, sur la Toile, la très grande majorité des sites qualifiables de fascistes sont sur une telle position, soit eurasiste/"anti-impérialiste" pure et dure soit "euro-russiste", souvent agrémentée de ce que les antifascistes ont pris l'habitude de qualifier de "conspirationnisme" (le "Nouvel Ordre Mondial", "les (américano ou pas)-sionistes qui contrôlent tout" et "les élites européennes mondialistes à leur botte", le 11 Septembre "coup monté" etc. etc.).

    POURTANT, nous connaissons tou-te-s dans notre entourage (au moins) une personne dont les idées sont sans ambigüité aucune qualifiable d'extrême-droite, de lepéniste... et nous savons tout-e-s (dès lors) que cela n'est JAMAIS SYNONYME AUTOMATIQUE d'adoration pour la Russie de Poutine et encore moins pour l'Iran, le Hezbollah ou Chavez. Ils/elles sont favorables, en politique intérieure, à une sérieuse "reprise en main" contre "toute cette racaille", "ces Arabes" (pour en rester au terme "poli"), "ces islamistes", "ces assisté-e-s", "ces syndicalistes" etc. etc. mais en politique étrangère ils/elles sont bel et bien sur de très classiques positions de "défense de l'Occident". Entre Israël et "ces Arabes", leur choix est très vite et définitivement fait. Il leur arrive, plus qu'à leur tour, d'être favorables à une intervention militaire tricolore voire même à une intervention US (contre un quelconque "dictateur tiers-mondiste") à laquelle la France ne participerait pas (comme en Irak) - et de ne pas bien comprendre lorsque le FN, comme cela a été presque systématiquement le cas ces 20 dernières années, s'y oppose (mais ce n'est pas grave : cela ne les empêchera pas de voter encore FN la prochaine fois). Quant à Dieudonné, il reste pour nombre d'entre eux/elles un "con de nègre". Il y a fort à parier, en réalité, qu'une très grande MAJORITÉ SILENCIEUSE du "peuple d'extrême-droite" pense ainsi... Mais elle ne passe pas sa vie à le publier quotidiennement sur Internet. À quoi bon d'ailleurs, lorsque l'on voit que le site "L'Atlantiste" (dont nous avons parlé plus haut) ne fait finalement que dire... ce que tous les grands médias disent et répètent déjà à longueur de journée (la "valeur ajoutée" se limitant alors à deux ou trois tirades racistes, islamophobes ou homophobes) ?

    Si l'on tire (donc) un bilan d'ensemble de ce qui précède, on s'aperçoit que la ligne "néocon atlantiste" a une audience plutôt confidentielle, hormis sur des thèmes comme le racisme "civilisationnel" anti-musulman. Elle implique en effet la soumission à une super-puissance (les USA), thème peu mobilisateur dans les masses.

    En revanche, un "cocktail" d'"euro-souverainisme" (Europe des nations) à tendance "occidentaliste" (anti-islam, anti-Chine etc) est envisageable et c'est ce qui est en train de se dessiner, avec le rapprochement villiéristes-identitaires par exemple.

    De même, le "nationalisme intégral" peut être mobilisateur, mais peu réalisable en pratique (d'où la division des souverainistes), tandis que l'eurasisme souffre du même handicap que l'atlantisme (soumission aux intérêts russes, en plus de son "tiers-mondisme" mal compris des "petits blancs" racistes). Mais un cocktail de nationalisme anti-américain et de causes "tiers-mondistes" mobilisatrices comme la cause palestinienne (ou le rejet de la guerre en Afghanistan) peut rencontrer un certain écho dans les classes populaires et moyennes.

    Dans tous les cas, la compréhension de ces différentes tendances est indispensable, tout simplement pour éviter de tomber dans les bras de l'une en combattant l'autre !

    Nombre de camarades (à peu près tous les communistes) se sont en effet jetés dans les bras des "nationalistes souverainistes" par anti-européisme (contre l'Europe capitaliste de Bruxelles), ou des "eurasistes/tiers-mondistes" par anti-américanisme... Et d'autres, par anti-nationalisme, tombent dans l'européisme voire le pro-américanisme (PCMLM) !

    La position communiste doit être claire : quelle que soit son "orientation stratégique", un seul ennemi : l'impérialisme capitaliste, UN SEUL CAMP : LE CAMP DU PEUPLE !!!

    En complément, intervention postée sur le FUC* :


    Eurasisme, nationalisme révolutionnaire : la lutte de ligne dans le fascisme reflet de la lutte de ligne dans l'impérialisme français.

    Lien très instructif sur le courant fasciste "eurasiste", qui s'inscrit dans la lignée du nationalisme-révolutionnaire du belge Thiriart : http://alexandrelatsa.blogspot.com/ 2009/09/ itv-christian-bouchet.html (copier-coller, pas de lien direct vers les sites fafs).

    Il s'agit d'une interview de Christian Bouchet, militant fasciste NR depuis 1969 et proche du Front National, sur un site lié à l'extrême-droite russe (Mouvement Eurasien d'Alexandre Douguine).

    Plusieurs passages sont instructifs à différents titres. D'abord celui-ci : "On peut donc se demander pourquoi j’ai persisté… C’est tout simplement parce que si je ne croyais pas à la réussite organisationnelle, j’étais en revanche convaincu – et je le suis toujours – par la justesse des idées et par leur influence possible." C'est extrêmement révélateur de la stratégie moderne du fascisme, particulièrement en France où diverses raisons historiques font obstacle à une coalition droite/extrême-droite, comme c'est le cas dans beaucoup de pays d'Europe (même un FN ultra-relooké et à 25% aurait du mal à surmonter cela, sinon à niveau très local) : les mouvements fascistes ne visent pas la prise du pouvoir, la "marche sur Rome", mais la CONTAMINATION de l'espace politique bourgeois, de la droite conservatrice (Raoult,  Delvalle...) à la gauche (Manuel Valls) et la gauche de la gauche (Gérin, profs trotskistes à l'origine de "l'affaire du voile" etc.). Ils ne se pensent pas comme des partis de gouvernement mais comme des think tanks, cherchant à faire reprendre leurs idées par les partis "traditionnels" (même si ils feignent ensuite de s'en plaindre, pour rester "anti-système"). Rares sont cependant ceux qui, comme Christian Bouchet, osent l'avouer.

    La suite est un développement des thèses "eurasistes" qu'il est important de bien cerner, surtout pour leur apparence "anti-impérialiste" qui peut berner de nombreux militants révolutionnaires/progressistes sincères.

    La base de tout, c'est de bien comprendre que l'impérialisme français est, depuis 1945, un impérialisme affaibli, ravalé à une puissance de second rang. Par conséquent, une lutte de lignes s'est développée au sein de la bourgeoisie impérialiste. L'une considère qu'il n'y a de salut que dans un partenariat "solide" et "loyal" avec les États-Unis, première puissance impérialiste mondiale, phare de la "démocratie" (bourgeoise) et de la "liberté" (d'exploiter).

    L'autre en revanche, rendue possible dès la fin des années 50 par l'abandon du socialisme en URSS, considère que c'est la vassalisation assurée et qu'il faut s'opposer par tous les moyens à l'hégémonie US, quitte à se tourner vers l'Est, la Russie, la Chine, les pays arabo-musulmans (en condamnant Israël) etc.

    La première a évidemment dominé jusqu'à la fin des années 50, l'URSS passant encore pour le "péril rouge". Puis sous De Gaulle et ses successeurs, dans les années 60-70, c'est la seconde qui a dominé. La première est revenue en force dans les années 80, dans l'union sacrée contre le social-impérialisme moribond, mais dès la super-puissance soviétique liquidée, le jeu des puissances a repris son cours et la France et les États-Unis se sont brutalements opposés, en Afrique (6 millions de morts, dont 1 million de rwandais) ou sur l'Irak (c'est la possibilité d'une levée des sanctions, au pétro-bénéfice de la France, l'Allemagne et la Russie, qui a probablement poussé les US à en "finir" avec Saddam... mais personne ne l'a vu à l'époque). Mais depuis 2005-2006, et surtout 2007 (avec Sarkozy, et Merkel en Allemagne) on observe à nouveau une inflexion atlantiste de la politique impérialiste hexagonale. C'est que le réveil de la Russie et l'émergence de la Chine, la formation d'un axe Iran-Syrie-Hezbollah-Hamas etc., ont conduit à un resserrement des liens transatlantiques.

    En tout cas, ce qui est sûr, c'est que chacune de ces lignes impérialistes a "son" fascisme, le fascisme  étant l'instrument de mobilisation de masse au service de l'impérialisme.

    Les atlantistes ont les "néo-cons" à la française, les disciples tricolores de Samuel Huntington, du choc des civilisations, de l'islamophobie maquillée en "laïcité", de la défense fanatique d'Israël "rempart de la civilisation occidentale" (Guy MillièreMichel Garroté de Dreuz.info etc.).

    Les partisans de l'opposition aux US, eux, ont les "eurasistes" comme Bouchet et les "anti-impérialistes" (impérialisme US exclusivement) et "anti-sionistes" (en fait nationalistes et antisémites) à la Soral et Meyssan.

    Bouchet attaque d'ailleurs très durement les Identitaires, accusés d'ultra-régionalisme et de soutenir les Serbes du Kosovo par pure islamophobie et non par "anti-impérialisme"... Normal, puisque le programme des Zids s'inscrit totalement dans celui de l'Europe "occidentale et chrétienne" des "identités régionales", et dans le discours dominant islamophobe quitte à être quasiment pro-sioniste. Inutile d'imaginer ce qu'il pense de De Villiers, dont la dernière - pitoyable - campagne a été financée par Libertas de l'irlando-américain Ganley, officine de l'impérialisme US pour dynamiter le projet impérialiste européen ; et qui a fini par rejoindre l'UMP.

    Les communistes, et tous les révolutionnaires et progressistes authentiques, doivent donc être extrêmement vigilants. Le seul salut contre les chausse-trappes réside dans l'analyse matérialiste, scientifique des situations, dans le combat contre TOUS les impérialismes et contre l'impérialisme français QUEL QUE SOIT son "penchant", atlantiste ou anti-US, du moment.

    Car on peut se demander, si la ligne dominante actuelle est à l'atlantisme, où est le danger de ces "NR"... Le danger, c'est qu'ils infiltrent le camp anti-impérialiste révolutionnaire authentique, et le contaminent, le déboussolent et servent ainsi objectivement le courant dominant. Et ensuite, si le courant qu'ils représentent redevient dominant, ils entraîneront des milliers de militants sincères dans le marécage du soutien à l'impérialisme français. Ce n'est pas à l'ordre du jour pour le moment, mais dans la première moitié de la décennie, on a vu des communistes et des anti-impérialistes applaudir le "résistant" Chirac, le "martyr" Saddam (bureaucrate-comprador boucher des communistes et de son Peuple) et le torchon complotiste antisémite de Meyssan.

    L'autre danger concerne l'antifascisme. Car bien sûr, le courant fasciste qui n'est pas dominant paraît plus agressif, plus nocif que le dominant, qui a pris les apparences de l'institutionnalité bourgeoise... C'est ainsi que les "antifascistes" du forum A"a", complètement focalisés sur les NR, Soral et les antisémites pseudo-antisionistes, en viennent à se faire la caisse de résonnance des arguments des néo-cons à la française, vont jusqu'à citer l'ultra-réactionnaire Taguieff, etc.

    Bref, face à ces pièges symptomatiques de notre époque, la clarté a toujours été et doit rester l'arme suprême des communistes.

    Il y a pourtant un moyen très simple de démasquer le fasciste : quelle que soit la "ligne internationale", il suffit... de parler de politique intérieure. Immigration, sans papiers, révoltes populaires des banlieues ou encore lutte de libération basque, corse etc. : à ces mots le fasciste tombe systématiquement le masque.

    [* à noter que l'auteur de ces lignes a été (en mai 2011) EXCLU (comme "ni-ni trotsko-maoïste") du FUC en question... JUSTEMENT pour avoir refusé de tomber dans un des pièges "NR" ci-dessus exposés, celui d'un soutien IDÉOLOGIQUE aux régimes clanico-mafieux, antipopulaires et criminels de Kadhafi et Assad. CQFD !] 


    Classification des fascismes


    Voici une ébauche de classification des phénomènes fascistes, publié il y a un an (fin 2008) sur le FUC (un peu retouchée...) :

    "Tout d'abord, rappelons la définition du fascisme donnée par Georgi Dimitrov, adoptée par l'IC :

    - idéologie de mobilisation de masse autour d'un projet impérialiste-monopoliste, de guerre et de contre-révolution préventive

    - dictature terroriste ouverte de la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste-monopoliste (ou compradore dans les pays dominés, Dimitrov n'ayant pas pu historiquement analyser ce cas de figure).

    Il est à distinguer absolument de la dictature réactionnaire classique, les critères étant le caractère de masse et le modernisme (ainsi les thèses de Milton Friedman ne furent mises en application en premier ni par Reagan, ni par Thatcher mais par Pinochet ; de même Franco a considérablement modernisé l'économie espagnole, à partir de 1957, avec les "technocrates" liés à l'Opus Dei).

    Il n'est pas non plus une expression de classe de la petite-bourgeoisie (qui ne peut développer durablement une idéologie autonome), ni un bonapartisme appuyé sur celle-ci (à la rigueur on peut voir le bonapartisme comme un ancêtre, surtout le Second Empire).

    Cela dit, ces appréciations erronées ne sont pas spécifiquement trotskistes : c'était la position majoritaire des communistes au début du fascisme, dans les années 1920 (Clara Zetkin, Gramsci etc.). Ce n'est que dans la décennie suivante qu'une appréciation juste sera élaborée (et rejetée par les trotskistes).

    Le fascisme est idéologiquement un bric-à-brac où l'on met en vitrine ce qui "marche", ainsi le racisme et l'antisémitisme ne sont pas systématiques. En revanche, il a pour constante l'anticommunisme (puisque la contre-révolution est l'un de ses principaux buts) et le nationalisme - comme négation des contradictions de classe.

    Partant de là, j'ai distingué 4 "grandes" catégories de fascisme.

    - le fascisme comprador : dans un pays dominé ("provinces d'Empire"), face à une menace révolutionnaire intérieure et/ou une menace impérialiste extérieure. Pas toujours évident à distinguer de la dictature réactionnaire classique (ex. de DRC : les Somoza au Nicaragua). De bons exemples aujourd'hui seraient la Turquie militariste, la Colombie d'Uribe, l'on peut également classer dans cette catégorie Israël (avant-poste US au Proche Orient). Dans le passé : Pinochet au Chili, Mobutu au Zaïre, Suharto en Indonésie.

    - le fascisme "modernisateur" : au service d'un capital monopoliste en gestation, contre les résistances de classe (neutralisées ou écrasées). Exemples types : Italie fasciste, Japon militariste des années 1920-30.

    D'autres expériences, pourtant épargnées par la guerre, furent de semi-échecs : Espagne ou encore Portugal n'ont pas suffisamment modernisé leur capitalisme (cela n'a même de toute façon jamais été le but au Portugal, où il s'agissait uniquement de "contenir" les poussées révolutionnaires et de "gérer" le capitalisme pour le compte du "parrain" anglais). Trop dépendants des capitaux étrangers ("pompe à capitaux" du tourisme industriel), trop complaisants avec les secteurs féodaux "freins" au monopolisme (grands propriétaires terriens, Église)... De fait le stade monopoliste ne sera vraiment atteint, dans l’État espagnol, qu'après la "transition démocratique" (années 1975-95) et grâce aux dynamiques capitalismes basque et catalan (dont il faut à tout prix empêcher les velléités indépendantistes... ce qui pourrait bien ramener un jour une forme de gouvernement autoritaire !). Le Portugal en revanche est resté un pays dominé/dépendant, passant simplement de son statut d'annexe/relais britannique à celui de "condominium" ouest-européen.

    D'autres enfin ont complétement échoué dans leur projet monopoliste (de "rendre" leur pays impérialiste) : kémalisme turc, péronisme argentin, gétulisme brésilien etc. - capitalismes trop faibles et dépendants, ces pays sont restés dominés par l'impérialisme.

    - le fascisme "régénérateur" : puissance impérialiste vaincue ou humiliée, souvent confrontée à une grave agitation intérieure, qui tente de relever la tête et de retrouver son "rang". Exemples : Allemagne nazie, Russie actuelle. Le facteur "humiliation" a également joué en Italie et en Turquie kémaliste mais ce n'étaient pas de grandes puissances impérialistes (pays arriérés, semi-féodaux).

    - enfin, le fascisme "de déclin" : impérialisme en crise terminale, menacé de l'extérieur (anti-impérialisme et impérialismes rivaux) et de l'intérieur (révolution). C'est le plus actuel et le plus dangereux pour nous, puisqu'il s'agit de la "fascisation rampante" de nos sociétés occidentales (et de la société japonaise).

    [Cas du pétainisme : en 1940 la bourgeoisie impérialiste vaincue veut "redresser la nation" en partenariat avec l'Allemagne, dans un "nouvel ordre européen". Mais à mesure que les intentions d'Hitler (vassaliser la France) et sa défaite se précisent, elle lâche Vichy et rallie la fraction gaulliste/"française libre", restée fidèle à l'alliance britannique et au vernis parlementaire/"républicain". Sur ce point, voici une phrase de Céline claire comme de l'eau de roche : « Si demain Hitler me faisait des approches avec ses petites moustaches, je râlerais comme aujourd'hui sous les juifs. Mais si Hitler me disait : "Ferdinand ! c'est le grand partage ! On partage tout !", il serait mon pote ! »]


    Quelques mots encore sur le fascisme, afin de résoudre les nombreuses interrogations sur le phénomène. Beaucoup s'interrogent, en effet, sur comment faut-il qualifier l'Espagne de Franco, la Hongrie de Horty etc., sur les différences entre le fascisme italien et le nazisme...

    La réponse est à chercher dans la théorie de l'ancien et du nouveau.

    C'est une théorie marxiste-léniniste-maoïste qui consiste simplement à considérer que tout est progressif, rien ne tombe du ciel et rien ne disparaît en claquant des doigts. Le nouveau est toujours en germe dans l'ancien, et il reste toujours de l'ancien dans le nouveau.

    Ainsi, on ne passe pas du capitalisme pré-monopoliste au capitalisme monopoliste du jour au lendemain, c'est un processus, inégalement avancé selon les pays.

    La dictature réactionnaire classique correspond au stade pré-monopoliste. Lorsque émerge un mouvement autonome du prolétariat, la bourgeoisie s'allie aux vieilles classes féodales déchues, clergé, noblesse terrienne et militaire, paysannerie riche, pour le contrer et assurer sa domination.

    Le fascisme, lui, appartient au stade monopoliste. Les classes moyennes prises entre les monopoles et le prolétariat "sécrètent" de l'idéologie "sociale-réactionnaire". La bourgeoisie monopoliste s'empare de cette idéologie pour son caractère mobilisateur de masse et farouchement anti-révolutionnaire, et la plie à ses intérêts (en liquidant les courants trop "socialisants").

    Mais l'un comme l'autre existent rarement à l'état pur. Selon le degré de développement du capitalisme dans le pays considéré, on trouve des éléments de dictature réactionnaire classique dans le fascisme : Italie (surtout dans le Sud arriéré), Japon ; ou au contraire des éléments de fascisme dans une dictature réactionnaire classique : Espagne franquiste, Hongrie hortyste, Pinochet, Salazar...

    L'ancien est dans le nouveau, le nouveau dans l'ancien.

    Dans les pays dominés/dépendants, le fascisme à l'état pur, qui correspond à un pays monopoliste, est incompatible avec le statut de dépendance. C'est pourquoi il échoue, comme par exemple le péronisme.

    Le fascisme comprador comporte toujours des éléments de dictature réactionnaire classique, notamment en défendant la grande propriété terrienne.

     


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  • La convention des Identitaires à Orange et - surtout ! car des conventions ils en font tous les ans... - le projet de listes communes avec le MPF de Jacques Bompard en PACA  (MPF lui-même "intégré" depuis peu à l'UMP !) marque sans doute possible l'entrée dans une nouvelle ère.

    Sur le modèle de ses homologues italiens, mais également d'autres mouvements en Europe, un courant de l'extrême-droite populiste et xénophobe (en un mot, FASCISTE) a décidé d'assumer la question du pouvoir. Rompant avec plus de 25 ans "au seuil" de la politique bourgeoise, 25 ans de lobbying (certes efficace puisque ses thématiques ont peu à peu envahi le débat politique bourgeois), d'activisme médiatique et de posture "contestataire" de l'extrême-droite, rassemblée dans le FN.

    Un séisme bien moins spectaculaire, mais bien plus important pour l'avenir (qui s'assombrit terriblement) que la présence de Le Pen au second tour en 2002 - le bon sens élémentaire suffisait alors à voir qu'il n'avait aucune chance de l'emporter, et que cette présence n'était que le résultat "accidentel" d'une campagne électorale entièrement basée sur l'insécurité et la peur de l'autre.

    La question du pouvoir, hormis à un niveau très local, n'avait jusqu'alors été assumée très vite fait qu'en 1998, avec le "soutien sans participation" à quelques présidents de région de droite, initiative de Bruno Mégret, dont l'échec devant le tollé "républicain" (bourgeois) avait finalement conduit à une scission du FN et à quelques années "noires".

    L'heure est donc grave. En Italie, c'est depuis le début des années 1990 qu'une extrême-droite néo-fasciste "respectabilisée" et "pragmatique" s'est infiltrée dans la recomposition politique bourgeoise, sur un modèle droite/gauche, après la fin de l'hégémonie démocrate-chrétienne. Longtemps elle est apparue comme l'instrument (parfois indocile) du pouvoir de Berlusconi.

    Mais aujourd'hui, la succession d'évènements de plus en plus sombres montre que la chose s'est transformée en son contraire, et que c'est Berlusconi et son parti qui sont devenus les jouets des nouveaux fascistes.

    Et c'est un processus similaire qui est maintenant enclenché dans notre pays.

    C'est l'occasion, pour nous, de rappeler nos conceptions sur la montée du fascisme à notre époque.

    Car il a été dit, sur ce sujet, tout et son contraire :

    - que le fascisme ne peut plus revenir, qu'il est un phénomène du "sombre 20e siècle" enterré à jamais : c'est la thèse libérale et sociale-libérale de la "démocratie indépassable", la thèse de la "Fin de l'Histoire". Mais elle déteint aussi sur de nombreux révolutionnaires et progressistes sincères, pour qui le fascisme, "meuh nooon ! on n'en est pas encore là..." ;

    - que le fascisme on s'en fout, que toutes les "dictatures bourgeoises" se valent : thèse anarchiste et trotskyste petite-bourgeoise (la petite-bourgeoisie, en effet, n'est pas aux "avant-postes" pour percevoir les changements de nature dans la dictature de classe). Aux moins ont-ils la cohérence de se l'appliquer à eux-même, "occidentaux". D'autres comprennent bien la différence fascisme/démocratie bourgeoise ici, mais pas dans les pays dominés où "toute les formes de domination se valent" selon eux - alors que ces peuples sont aux avant-postes des changement de nature de la domination impérialiste ;

    - la tendance - idéaliste - à voir le fascisme partout, à chaque loi scélérate, chaque nouveau ministre de l'Intérieur (y compris Chevènement)... Même s'il est exact que chaque nouvel occupant de la place Beauvau, chaque nouveau "paquet sécurité" concocté en Conseil des ministres est plus contre-révolutionnaire préventif que le précédent : cela s'inscrit dans la tendance générale à la fascisation ;

    - il y a enfin la ligne que l'on peut qualifier du "regarder ailleurs" : c'est la ligne développée dans le mouvement "antifa autonome", d'idéologie libertaire mais aussi marxiste (et notamment maoïste) inspiré du modèle d'outre-Rhin. Au nom de combattre le fascisme "culturellement", ce qui est effectivement une nécessité, on en vient à adopter une posture aristocratique vis à vis des masses, mais surtout à se concentrer sur des groupuscules, des "agitateurs médiatiques" comme Alain Soral (abonné de "Ce soir ou jamais") ou Dieudonné, dont le discours est incontestablement fasciste mais qui constituent des épiphénomènes de la tendance générale, ou des tendances marginales dont ni l'audience, ni le fond idéologique ne permettent d'assumer la question du pouvoir, ni même de "contaminer" le champ politique bourgeois comme a pu le faire le FN depuis plus de 20 ans.

    Cette ligne permet - commodément il faut le dire - de ne pas affronter l'aspect principal et le plus dangereux de la montée du fascisme : la fascisation rampante de l'État bourgeois.

    Cette ligne est celle du site "Contre-Informations" (taper ces mots clé sur Google, le site est en tête de liste) du PCMLM.

    Bien sûr, face à la contestation croissante de leurs analyses dans le mouvement ML/MLM, et surtout avec les développements de ces derniers jours, cette organisation peu nombreuse et présente uniquement (mais très présente) sur Internet se trouve obligée de réagir et de se justifier.

    Détenteurs autoproclamés de la "science MLM", ils ne détiennent guère, en tout cas, la science de l'autocritique ni de l'humilité de mise quand on est un groupuscule parmi d'autres.

    Cependant, leur analyse a la caractéristique d'assumer - de manière il faut le dire conséquente - une volonté scientifique. C'est pourquoi elle nous paraît intéressante pour exposer la nôtre.

    Dans un article intitulé : "Fascisme et appareil d'État, le psychodrame français du "nouveau fascisme", du totalitarisme larvé etc.", on peut lire : "En France, cette réalité est incomprise, et on s’imagine que le fascisme vient de l’intérieur de l’appareil d’État lui-même, tout comme Pétain et les collabos. Le fascisme s’imposerait sans trop de soucis dans la démocratie bourgeoise, « comme une lettre à la poste », il serait une « gangrène » contaminant sans contradictions l’État et la société, une sorte de penchant naturel de la démocratie bourgeoise, bref : une sorte de putsch tout en douceur."

    On a là l'alpha et l'oméga de la ligne du "regarder ailleurs". C'est une négation pure et simple de la dialectique : la transformation d'un chose en son contraire, sous la pression des circonstances (en ce qui nous concerne, la crise générale du capitalisme, la poussée des aspirations révolutionnaires dans les masses etc.), et sous l'effet d'une lutte, d'un affrontement intérieur (en politique, on parle de lutte de lignes).

    Non, le fascisme ne vient pas "du dehors", "d'ailleurs"... Il vient d'une mutation intérieure de la classe dominante, qui à notre époque et depuis plus d'un siècle est la bourgeoisie monopoliste - impérialiste.

    Le fascisme, défini par l'Internationale Communiste (Dimitrov) en 1934, c'est la dictature terroriste ouverte de la fraction la plus chauvine et la plus réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste. Cette dictature terroriste a pour objectifs principaux la contre-révolution préventive et la guerre impérialiste.

    Idéologiquement, le fascisme est l'idéologie visant à la mobilisation de masse la plus large possible derrière ces objectifs.

    Tout le reste, toutes les "manifestations" du fascisme, culturelles, médiatiques, idéologiques, politiques (dans la pratique gouvernementale) ou "métapolitiques" (par des groupuscules "activistes" comme les Identitaires, ou des "figures de proue" comme Zemmour ou Soral), découlent de cette mutation. Le Bloc Identitaire en découle, Alain Soral et son "marxisme" réac, viriliste et antisémite en découlent.

    Fondamentalement, le fascisme ne provient pas des classes populaires, il est le résultat de l'influence idéologique bourgeoise sur celles-ci.

    Dans le communisme, les masses produisent l'idéologie révolutionnaire et "font" les leaders comme Lénine, Mao etc.

    Dans le fascisme, l'idéologie provient essentiellement de la bourgeoisie impérialiste, qui s'empare parfois de "sécrétions" idéologiques petite-bourgeoises (populisme) façonnées selon ses intérêts, et c'est la bourgeoisie qui "fait" le leader (parfois en prenant un "tribun" de la petite-bourgeoisie comme Hitler ou Mussolini, mais il n'est pas encore dit que cette technique soit reprise aujourd'hui), et le leader "fait" le mouvement de masse...

    Les analyses de Kurt Gossweiler, sur le nazisme, montrent bien que c'est le Grand Capital allemand, les monopoles, qui ont "fait" Hitler à partir d'un "agitateur" petit-bourgeois, populiste et antisémite - et surtout, anticommuniste.

    Pour le PCMLM, le fascisme est vu "comme phénomène de masse et permanent, d’arrestations arbitraires et d’emprisonnement pendant des années, de lois d’exception, d’enlèvements et d’exécutions sommaires, de tortures et de massacres, etc.", donc aujourd'hui sous Sarkozy, hier sous Pasqua ministre de l'Intérieur, ce n'est pas le fascisme.

    Nous ne considérons pas que nous sommes sous le fascisme. Mais le fascisme ne se réduit pas à cela, désolés...

    En réalité, la définition du PCMLM ne s'appliquerait qu'à l'Allemagne nazie, ou à la rigueur à la "guerre sale" en Argentine (1976-83). Mais après les violences qui ont émaillé ses débuts, dans un climat de guerre civile, le fascisme italien n'a pas été cela, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale en tout cas, sauf pour les peuples des colonies (Libye 100.000 morts, Éthiopie 250.000...). Le fascisme portugais n'a jamais été cela, sauf encore pour les peuples colonisés. Le franquisme en Espagne, après "l'épuration" qui a logiquement suivi la guerre civile, n'a pas été cela.

    Le nazisme a été cela, mais le nazisme a été un état de guerre permanent, course à la guerre d'abord, puis guerre elle-même ensuite.

    Eh oui, sous le fascisme, "la vie continue" dans une très large mesure, ce n'est pas la "nuit noire", le "1984" fantasmé par la petite-bourgeoisie !

    Ce que nous voulons dire, c'est que le fascisme conduit à cela, puisqu'il s'inscrit dans la crise générale du capitalisme (hier la première, aujourd'hui la deuxième) qui conduit inéluctablement à la guerre, et à la poussée révolutionnaire donc à la contre-révolution, bref à "l'état d'urgence".

    Il est, face à la crise généralisée, l'idéologie qui mobilise les masses non dans le sens de la lutte de classe et de la révolution, mais dans le sens des intérêts des monopoles et de la réaction : contre-révolution et guerre impérialiste.

    Mais s'il faut attendre d'en être là pour combattre la fascisation de la dictature de classe bourgeoise, alors il est beaucoup trop tard !

    C'est précisément l'erreur qui a été commise au 20e siècle, et qui rejoint ce que nous disons plus haut : se concentrer sur l'aspect "activiste de rue", "propagande culturelle" du fascisme, et ne pas voir la tendance de fond dans laquelle il s'inscrit et à laquelle il se rattache : le changement de nature au sein même de la dictature bourgeoise.

    Le "psychodrame" que dénonce le PCMLM, c'est précisément éviter cette erreur, c'est chercher - et combattre - "le feu derrière la fumée".

    Ensuite, le PCMLM nous dit : "Ce qui n’empêche pas certains de se voiler la face, afin de pouvoir fantasmer et vivre la véritable passion française: le psychodrame. Voyant cela, ils disent qu’il ne peut justement plus y avoir le fascisme tel qu’il a existé (pourquoi? Mystère!) et que nous vivons donc dans un fascisme moderne, un nouveau fascisme, une démocratie bourgeoise de contre-révolution préventive, etc."

    Pourquoi (bien que ce soit une caricature, en tout cas concernant nos positions) ? Eh bien... Tout simplement parce que nous ne sommes plus au 20e siècle. Tout simplement à cause de quelques mots : Hitler, Shoah, Seconde Guerre Mondiale...

    Les fascistes ne sont pas stupides, ni bornés, en tout cas les fascistes sérieux. Ils vivent avec leur temps. De même que nous, communistes, apprenons de nos erreurs (en principe...), ils apprennent des leurs.

    Hitler a été le summum de la barbarie fasciste, mais il a surtout mené l'Allemagne au désastre. Mussolini, en le suivant, a fait de même avec l'Italie. Le communisme s'est emparé d'un tiers de la planète. La Shoah, dixit le vieil antisémite catholique Bernanos, a "déshonoré l'antisémitisme" : exit, donc, l'antisémitisme outrancier comme discours mobilisateur de masse. Le fascisme du 20e siècle, et le nazisme en particulier, n'est pas vraiment un modèle à suivre pour un fasciste d'aujourd'hui...

    Les fascistes de notre époque doivent tenir compte de cela, pour "faire mieux"... S'ils assument la question du pouvoir, ils doivent se démarquer d'une expérience unanimement présentée aux masses (car le fascisme vise cela, l'audience de masse) comme une catastrophe.

    Et puis, le fascisme du 20e siècle est né quelque peu "dans l'urgence" de la 1ère crise générale du capitalisme et de la première vague révolutionnaire mondiale, lorsque les vieux modèles bourgeois, conservatisme autoritaire ou parlementarisme libéral, se sont montrés inadaptés. Il n'a pas été une contre-révolution si "préventive" que cela : il a dû bien souvent "faire le ménage", liquider des forces révolutionnaires déjà conséquentes, avant d'instaurer un ordre stable.

    Aujourd'hui, les forces révolutionnaires de la "nouvelle vague" sont en reconstitution. La brutalité de la contre-révolution préventive va croître avec le niveau et la structuration de ces forces, comme un "bras de fer", il ne faut pas s'attendre à un déchaînement brutal à moins qu'il y ait du "retard" à rattraper.

    Enfin, nous sommes aujourd'hui, dans les pays impérialistes occidentaux, face à un type de fascisme inédit (nous présenterons prochainement une classification des fascismes) : le fascisme "de déclin", de crise terminale et irrémédiable. Le capitalisme impérialiste occidental se sait condamné, et tente de reculer l'échéance.

    Il n'y a pas eu de tel exemple au 20e siècle. Le nazisme était un fascisme de "redressement", de "régénération" : il serait comparable aujourd'hui au fascisme russe de Poutine. Le fascisme italien, le fascisme japonais étaient des fascismes de "projet monopoliste", de passage au monopolisme dans des pays qui ne l'étaient pas encore vraiment, associé aux nécessités de contre-révolution préventive. Ce qui correspondrait au comportement actuel de la Chine.

    La fascisation actuelle de nos sociétés ne peut pas - en réponse au PCMLM - être analysée à travers le seul prisme du fascisme au siècle dernier. Cela reviendrait à analyser celui-ci à travers le prisme du 19e siècle, du "bonapartisme", ce qui a d'ailleurs été fait et qui a eu des conséquences tragiques.

    Tout cela rejoint les analyses développées par le PCMLM suite à la "convention identitaire" du week-end dernier, qui les a obligé à réagir.

    Ils affirment haut et fort avoir "vu le danger" depuis 2 ans, alors que les masses et les révolutionnaires niçois, lyonnais, alsaciens, bretons le connaissent depuis bien plus longtemps (vive le parisianisme !), et alors qu'ils ont passé tout ce temps à focaliser sur Soral et Dieudonné, les infiltrations islamistes, nationalistes et négationnistes dans le mouvement pro-palestinien, les "dérives de l'extrême-gauche", les "ML - fachos de demain", etc.

    Et c'est pour ré-enchaîner aussitôt sur les "nationaliste-révolutionnaires" (les fascistes violemment anti-américains et anti-israéliens, quitte à adopter un posture "tiers-mondiste" pro-Iran, pro-Chavez, pro-Palestine et pro-Hezbollah, pro-russe et pro-chinoise, etc.), les "NR" qui resteraient, au fond,  le "principal danger".

    Les Identitaires, qui sont pour nous un phénomène parfaitement logique, dérangent leurs conceptions : antisionisme/antisémitisme au second voire au quinzième plan, anti-musulmans et anti-"basanés" (donc anti-Chavez, anti-Ahmadinejad...), européistes "civilisationnels" et "occidentalistes"... ils ne correspondent pas au "portrait robot".

    Ils sont en fait dans l'incapacité mentale de comprendre que, quand les fascistes se "responsabilisent", se "respectabilisent", mettent de l'eau dans leur vin notamment sur l'antisémitisme et l'expérience nazie, ils ne sont pas "moins dangereux"... Au contraire : c'est qu'ils assument la question du pouvoir !!!

    Soral et Dieudonné n'assument rien du tout : ils font du "buzz" médiatique et règlent leurs comptes avec l'extrême-gauche qui les a, selon eux, "rejetés", "pas soutenus" ou qui les "méprise". Ils règlent leurs comptes avec de prétendus "lobbies", avec les "bien-pensants". Ils se vengent en venant semer le trouble et discréditer le mouvement anti-impérialiste (dont la Palestine est la cause emblématique), en exploitant ses failles petite-bourgeoises idéalistes, son manque de lecture marxiste des problèmes.

    Ce faisant, bien sûr, ils servent complètement les intérêts de la bourgeoisie impérialiste. Mais ça s'arrête là : où est le potentiel de mobilisation, au delà d'une certaine petite-bourgeoisie d'origine arabe, turque ou africaine, et de quelques fils/filles à papa déclassé-e-s ?

    De même, le FN a largement démontré, face aux exemples venus de toute l'Europe, qu'il se complaisait dans une posture contestataire, activiste et lobbyiste.

    Les Identitaires ne sont pas "Sarko-compatibles", comme l'ont dénoncé certains éléments "NR" et proche du FN (Christian Bouchet) : c'est une lecture "personnalisée", petite-bourgeoise de l'histoire qui n'est pas celle des marxistes. Sarkozy, on s'en fout : ce n'est qu'un pion, qui peut éventuellement sauter s'il ne "suit pas le mouvement".

    Les Identitaires, et c'est là toute l'ampleur de la menace, sont surtout totalement dans la ligne de l'impérialisme français actuel : une "Europe forte" face aux USA mais aussi (surtout) face à la Chine et aux "émergents" non-européens (d'Amérique latine, du Golfe, de Turquie, d'Azanie etc.), guerre impérialiste pour le contrôle de "l'arc stratégique" qui va de la Méditerranée à l'Asie centrale (impliquant une contre-révolution préventive brutale contre les musulmans d'ici, qui vont s'opposer à ces plans), renvoi des immigrés dans leurs pays (où l'on peut les exploiter pour 1€ par jour, alors qu'ici...). Une ligne résumée dans le slogan "Européens et fiers de l'être", et des opérations comme récemment "Paris ne sera jamais qatari" (menée par les Identitaires de la capitale).

    Ils sont même prêts à "s'adapter", avec un grand pragmatisme, à tout éventuel "revirement" de la sratégie internationale de l'impérialisme BBR. Ainsi, ils refusent de se dire "occidentalistes" car, selon eux, cette conception "ferme la porte à la Russie" (dont ils espèrent le ralliement à la "Grande Europe-civilisation").

    Face à cela, bien sûr que les "NR" sont des fascistes ! Mais nous ne voyons pas, à court terme, ce qui pourrait faire d'eux la force motrice du changement de nature de la dictature bourgeoise. Ils ne sont pas un courant "traditionnel" de l'extrême-droite, mais existent seulement depuis les années 1960 (Thiriart), et n'ont réellement eu d'écho que lorsque l'impérialisme français était en contradiction profonde avec l'impérialisme US : dans les années 1960 avec De Gaulle, au moment des guerres africaines comme au Rwanda (époque de la fameuse manif "anti-américaine" du 9 mai 1994), ou encore lors de la guerre d'Irak.

    Quant aux "souverainistes", aux "nationalistes intégraux", ils ont une vision irréaliste des capacités de l'impérialisme français à faire "cavalier seul".

    Il est clair que la tendance au déclin des impérialismes occidentaux, face à une Russie et (surtout) une Chine qui montent, des capitalismes non-européens qui "émergent" (Amérique latine, pays du Golfe, Turquie, Iran, Afrique du Sud - Azanie), et qui s'emparent des "poussées" nationalistes dans les pays dominés, pousse plutôt les "déclinants" (Europe occidentale, USA, Japon) à resserrer les rangs qu'à s'entre-déchirer.

    Les choses peuvent bien sûr changer, mais nous ne voyons pas comment à court terme (sauf à imaginer que la Russie nous envahisse, les "NR" joueraient alors les collabos...).

    Il se peut, aussi, que la stratégie "d'intégration progressive" de l'extrême-droite dans la droite "de gouvernement" explose en vol, face aux contradictions de la bourgeoisie (opposition des "républicains", des "humanistes"), ouvrant la voie à une recomposition. Nous verrons en temps voulu...

    Nous ne sommes pas là pour faire de la politique-fiction, mais pour analyser concrètement le situation concrète !

     



    Antifascisme de notre époque (2) : le fascisme entre tradition et modernité


    Pour bien comprendre et combattre efficacement le fascisme, il faut cesser de le considérer comme une phénomène "à part", surgi d'ailleurs, un "OVNI" venu d'on-ne-sait où, ne se rattachant à aucune réalité antérieure et surgissant par magie dans une société démocratique bourgeoise, libérale-parlementaire "sans histoires"... 

    Et qui transforme en quelques jours cette démocratie bourgeoise solide et installée en une dictature sanguinaire, un régime de terreur noire. 

    Ceci est une erreur d'appréciation à notre avis grave (et répandue), qui empêche de lutter efficacement contre les premiers symptômes de fascisme et - surtout - ses racines dans la société, l'idéologie dominante et l'appareil politique, pour ne s'attaquer qu'à des épouvantails (comme Dieudonné, les négationnistes ou les petits groupes néo-nazis). 

    En 1933, l'Allemagne était une démocratie "libérale" bourgeoise depuis seulement 14 ans (fin de la 1ère Guerre mondiale) et encore, la présidence Hindenburg (vieux maréchal prussien) avait donné lieu dès 1925 à un sérieux "coup de barre" à droite, conservateur-autoritaire. 

    Le régime, la république de Weimar, était extrêmement incompétent (face à la crise économique), impopulaire et corrompu, et passait de surcroît pour complètement imposé et "à la botte" de l'étranger (les vainqueurs de 1918) : étranger à "l'âme allemande". 

    Le régime précédent, le IIe Reich (1871-1918), était un régime autoritaire et conservateur sous le masque d'une "monarchie parlementaire" et, de fait, une dictature de la vieille aristocratie militaire prussienne, les junkers (comme Hindenburg ou encore Ludendorff, qui montera le "putsch (raté) de la brasserie" en alliance avec Hitler avant de se distancier de lui). 

    Le nazisme n'est donc pas "tombé du ciel", amené par une bande d'extra-terrestres qui auraient pris le contrôle des esprits de tout un peuple.  Son idéologie, faite de nationalisme et de pangermanisme racial (tous les Allemands dans un seul Reich, "espace vital" à l'Est...), d'antisémitisme ("parti de l'étranger" à l'intérieur, "complot juif" pour la domination), d'antilibéralisme (idéologie autoritaire-conservatrice prussienne) et d'antisocialisme (comme toute dictature du Capital !) était déjà présente sous le IIe Reich, même si elle était moins "franche et ouverte" et même si elle ne contrôlait pas totalement les appareils de décision de l'État. Ainsi, "marqueur" par excellence du national-socialisme s'il en est, l'antisémitisme (contre une communauté juive qui avait connu une ascension sociale spectaculaire) était agité et diffusé dès la fin du 19e siècle par la droite ultra-conservatrice luthérienne ; tandis qu'à la même époque le mouvement socialiste d'August Bebel lui assénait la sentence définitive de "socialisme des imbéciles"...

    L'idéologie nazie s'inscrivait totalement dans la continuité idéologique des grands États modernes précurseurs de l'Empire allemand, comme la Bavière et (surtout) la Prusse : ce n'est pas un hasard si en 1936 (pour les 150 ans de sa mort) le IIIe  Reich rendait hommage à Frédéric II le Grand , "despote éclairé" ami de... Voltaire (ce qui pose en outre la question du caractère "anti-Lumières" supposé de cette idéologie), "père" de l'État prussien moderne et donc dans une large mesure de l'Allemagne. Le projet "maître" du nazisme, d'ailleurs, n'était pas tant l'extermination totale des Juifs (qui n'en était qu'un aspect) que le Generalplan Ost, autrement dit la soumission brutale de toute l'Europe orientale à l'impérialisme allemand (impliquant la destruction de l'URSS, d'où la complaisance du Grand Capital "démocratique" occidental envers Hitler) dans la continuité du vieux Drang nach Osten médiéval. Lequel avait donné lieu (13e-14e siècles) à la sanglante colonisation des actuels Pays baltes et du Nord-Est de la Pologne par l'Ordre teutonique ; colonisation à l'origine... du royaume de Prusse de Frédéric II lui-même (qui a en fait pris le nom de sa colonie, la région de Berlin s'appelant le Brandebourg !), et donc de l'Allemagne dont Hitler prendra la tête en 1933. On voit bien que les racines du projet nazi puisent profondément dans l'histoire et l'identité même de l'État allemand.

    C'est l'humiliation de la défaite de 1918 qui a rendu cette idéologie agressive et terroriste, dans la droite nationaliste au sein de laquelle devait bientôt émerger  le NSDAP.

    Et les troupes de choc de celui-ci, SS et SA, n'étaient autres que les héritières des "Corps-francs" (Freikorps) et des "Casques d'acier" (Stahlhelm), ces forces paramilitaires nationalistes et anticommunistes d'anciens combattants qui avaient écrasé dans le sang les tentatives révolutionnaires de 1919-1920. 

    D'ailleurs, dans des sociétés d'anciens combattants comme celles de l’Europe des années 1920, où la quasi-totalité des hommes adultes avaient été mobilisés en 1914-18 et où l’on mettait pour ainsi dire ses décorations pour aller acheter le pain (on exagère à peine, voire pas du tout), les images qui nous paraissent incompréhensibles, complètement délirantes du nazisme (défilés en uniforme, au pas de l'oie etc.) paraissaient tout à fait naturelle et ne choquaient personne : les communistes et même les sociaux-démocrates avaient leurs propres troupes de choc, organisations d'anciens combattants etc. qui défilaient en uniforme. 

    Ce que nous voulons dire par là, c'est qu'il n'est pas possible de détacher un phénomène politique (le fascisme, le nazisme...) de son "background", du contexte présent et passé-récent de la société dans laquelle il voit le jour.

    En 1922, l'Italie n'est pas un pays "démocratique" au sens où nous l'entendons, c'est une monarchie parlementaire censitaire (seuls les plus riches, payant un certain impôt peuvent voter). Les grands propriétaires font la loi dans les campagnes, quelques grandes familles industrielles sont les princes des villes. Il n'y a ni tradition, ni culture démocratique. 

    Le fascisme, nous dit-on, est une idéologie "venue de la gauche", du parti socialiste, des syndicats...

    En effet, le fascisme est une mutation réactionnaire et terroriste (déjà dans le "militantisme pour la guerre" de Mussolini en 1914-15) du nationalisme italien et en effet, celui-ci est à l'époque plutôt une valeur de gauche, se référant à la mystique de l'Unité, de Garibaldi, de Mazzini. Au début de la Première Guerre Mondiale, hormis l'extrême-gauche anti-militariste, le "parti" pacifiste est plutôt conservateur et catholique, pour la tranquillité du travail et des affaires ; tandis que le "parti de la guerre" mobilise plutôt à gauche (la gauche bourgeoise, s'entend) sur le thème de "l'ennemi héréditaire" autrichien, de "l'achèvement" de l'Unité par la récupération des terres encore autrichiennes etc. etc. (ceci dit l'inventeur d'un concept "phare" du fascisme italien, le concept de "nation prolétaire" - l'impérialisme "faible" italien qui doit s'"affirmer" face aux puissances "ploutocrates" française et britannique - est tout de même le nationaliste plutôt monarchiste et conservateur Enrico Corradini... avec lequel les Faisceaux de Mussolini s'associeront dans le très à droite "Bloc national" aux élections de mai 1921, siégeant par la suite à l'extrême-droite de l'hémicycle). 

    Mais après-guerre, il est clair que les atrocités vécues ont rendu une grande partie des masses anti-militaristes et hostiles au capitalisme, qu'elles savent bien être derrière la boucherie, et un mouvement révolutionnaire se développe à vitesse grand V.

    Ce nationalisme "venu de la gauche" va alors être utilisé habilement par le Grand Capital pour "noyer" la lutte des classes dans la "cause nationale" tout en se donnant une apparence progressiste et même "révolutionnaire", satisfaisant les revendications du peuple.

    Mais en réalité, malgré ces maigres apparences "progressistes", il n'y a rien de "gauche" dans le fascisme italien (même d'un point de vue très modéré !). Dès le départ, les concessions aux "commanditaires" grands-bourgeois et grands propriétaires terriens du fascisme ont été énormes, on est très loin (même !) d'un programme réformiste social-démocrate... 

    Ailleurs, que ce soit en France (avec les "Ligues"), en Belgique (avec le "rexisme"), en Espagne (avec la "Phalange") ou au Portugal (avec le salazarisme), le fascisme plonge encore plus clairement ses racines dans la tradition conservatrice autoritaire et nationaliste des différents pays. 

    Ce qui ressort de tout cela, c'est premièrement que le fascisme s'inscrit clairement dans la tradition de la société où il émerge, tradition qu'il adapte au goût du jour, qu'il modernise pour en faire une idéologie populaire, de mobilisation de masse : bref, il "fait du neuf avec de l'ancien" puisque son objectif est de "révolutionner" en apparence, pour maintenir et renforcer l'ordre établi en réalité. 

    Et deuxièmement, qu'il s'inscrit profondément dans le contexte, le présent et la passé récent de la société en question, et qu'il est ridicule et dangereux d'attendre aujourd'hui que le fascisme se manifeste comme dans les années 1920-30 (sous les mêmes apparences) pour le combattre ! 

    D'autre part, si dans tous les pays à cette époque le fascisme a pu prendre la forme d'un mouvement "révolutionnaire", se heurtant plus ou moins violemment au pouvoir en place (les manifestations étaient souvent meurtrières, comme le 6 février 1934 à Paris), c'est parce qu’à l'époque, le "système", les institutions politiques (parlementarisme bourgeois ou conservatisme autoritaire) et la gouvernance économique étaient héritées de (et adaptées à) la période pré-monopoliste, du capitalisme "traditionnel" du 19e siècle. 

    Elles étaient dépassées face à l'époque nouvelle : la (première) crise générale du capitalisme, la guerre impérialiste "de 30 ans" (1914-1945), la 1ère vague de la révolution mondiale partie de Russie en 1917...

    Il a fallu pousser les "dinosaures", le vieil "establishment" qui s'accrochait un peu trop vers la sortie, pour mettre en place une dictature capitaliste adaptée aux nouveaux enjeux. 

    Aujourd'hui, toutes nos institutions (politiques, économiques, médiatico-culturelles) sont adaptées à l'époque de l'impérialisme, époque des crises générales et de la révolution mais aussi (depuis les années 50-60) époque de la "classe moyenne" et de la "consommation de masse". 

    Donc, nous pensons qu'il faut réévaluer l'idée du fascisme comme une "prise d'assaut" venue de l'extérieur (ou de la marge) de l’ordre social et politique.

    Le fascisme d'aujourd'hui peut venir pour une grande partie d'une évolution interne au système, d'une mutation plus ou moins rapide et prudente de la "démocratie sociale-libérale bourgeoise" vers une dictature de classe bourgeoise de plus en plus autoritaire, répressive et guerrière - en mobilisant les masses dans ce sens, par le populisme sécuritaire, anti-"gauchiste" et nationaliste xénophobe. Pour Servir Le Peuple, c'est même l'aspect principal de la montée du fascisme à notre époque ; comme on a pu par exemple l'observer aux États-Unis ces 30 dernières années.

    Les "troupes de choc", les mouvements fascistes militants et activistes de terrain, jouent plus à notre avis un rôle d'appui à la fascisation de la société (par le combat culturel plus que physique) et, à la rigueur, d'"aiguillon" face aux tendances trop libérales de la bourgeoisie ("vous mettez en œuvre notre programme... ou les gens voteront pour nous !"), éventuellement de gros bras (mais avec les forces de répression - y compris de sécurité privée - pléthoriques d'aujourd'hui, cela ne semble pas très utile), mais surtout de pépinières d'idées... et de cadres : nombre de leaders "activistes" se reconvertissent (en vieillissant) dans la politique "respectable", beaucoup de leaders de la droite actuelle sont d'anciens miliciens d'extrême-droite des années 60-70 ; et les Identitaires, le FNJ, le MNR et autres groupes regorgent sans aucun doute de cadres de la droite de demain !

    Une autre question qui se pose est celle de l'unicité, du caractère "à part", hors normes, (presque) insaisissable pour l'esprit humain, des crimes nazis-fascistes, en particulier lors de la 2de Guerre Mondiale, et en particulier le génocide des Juifs d'Europe. 

    Les tentatives de nier, ou de minimiser ou relativiser ces crimes, sont bien entendu des manœuvres fascistes abjectes, visant à réhabiliter le IIIe Reich. Elles sont heureusement marginales et - au niveau des masses populaires - peu prises au sérieux.

    Les chambres à gaz, les camps d'extermination, les massacres de masse - en particulier de Juifs, la "Shoah par balle" - sur le front de l'Est et dans toute l'Europe, ont bel et bien été une réalité indéniable qui donne la pleine mesure de la barbarie du fascisme et en particulier du nazisme.

    Ce que nous contestons, c'est la volonté d'en faire un phénomène "à part", anhistorique, incompréhensible au regard de l’Histoire, l'œuvre d'un "fou" ou de la "folie qui s'est emparée d'un peuple", etc. etc.

    Cette volonté répond à deux préoccupations, l'une secondaire, l'autre pas :

    - l'une, secondaire, est celle des sionistes : à un peuple "unique", "à part", "élu", il faut une tragédie "unique" et "à part", hors normes, inexplicable sinon précisément par l'unicité du "peuple juif", l'œuvre du Démon lui-même contre le peuple de Dieu.

    - l'autre, beaucoup plus importante, est celle des impérialistes, en particulier les "vainqueurs" (USA, Angleterre, France) mais aussi les "repentis" allemands, italiens ou autrichiens : le fascisme et (surtout) le nazisme doivent passer pour une anomalie, une "crise de folie meurtrière" collective, un phénomène incompréhensible et inexplicable... Un "cancer", en somme, sur un "corps sain" que serait le capitalisme impérialiste, et que l'on aurait réussi à extirper.

    Car le fascisme ne doit surtout pas être rattaché à la logique même de l'impérialisme et du Grand Capital monopoliste.

    Il faut cacher, à tout prix, la réalité : que le fascisme et même le nazisme (les fascistes essaient parfois d'opposer les deux) ne sont que l'expression particulièrement criminelle, extrême, de la logique impérialiste. C'est la logique de l'impérialisme poussée à ses ultimes conséquences.

    Le fascisme, y compris hitlérien, est une forme particulièrement terroriste de la dictature de classe du Grand Capital, mais simplement une forme particulièrement terroriste. Comme il n'est qu'une forme particulièrement sanguinaire de militarisme impérialiste.

    La différence, qui existe (nous ne sommes pas comme les anars, pour qui toutes les dictatures de classe se valent), est de degré, pas de nature. Si différence de nature il y a, c'est entre le capitalisme "traditionnel" du 19e siècle et le capitalisme monopoliste impérialiste du 20e, comme l'a expliqué Lénine en 1916.

    Les camps de concentrations (déjà exterminateurs dans une large mesure) et les guerres génocidaires sont une réalité dès la fin du 19e siècle, surtout dans le monde colonisé : en Afrique du Sud (par les Anglais) pendant les guerres contre les Zoulous (1879) et les Boers (1899-1902), à Cuba par les Espagnols (guerres d'indépendance 1868-78 et 1895-98), aux Philippines (Espagnols 1895-98 puis surtout Américains 1899-1913), en Namibie (Allemands, 1904-11), sans même parler du système concentrationnaire de travail forcé de l'"État indépendant du Congo" (roi des Belges Léopold II, 1885-1908), du Congo français (chemin de fer Congo-Océan, plantations de caoutchouc...) et, en vérité, de toutes les colonies...

    L'idée de suprématie "raciale" et/ou "civilisationnelle" est déjà au cœur du colonialisme européen entre le 16e et le 19e siècle, et plus encore de l'impérialisme capitaliste depuis le 19e siècle. L'idée que la vie d'un "inférieur" ne vaut rien ou pas grand-chose l’est également…

    Nous avons vu que l'idéologie de suprématie raciale "pangermaniste" était déjà bien présente sous le IIe Reich allemand.

    Les guerres de la fin du 19e siècle, déjà, et surtout la Première Guerre mondiale ont montré que la vie du combattant ennemi (et même de ses propres soldats !) n'était pas grand chose pour le Capital impérialiste.

    Quant à la vie des révolutionnaires, des "rouges", la répression de la Commune de Paris (1871) avait déjà montré depuis longtemps ce qu'elle valait...

    Nous voyons donc bien que le fascisme - et surtout le nazisme - n'ont fait qu'accumuler, systématiser et pousser à leurs dernières conséquences toutes ces choses qui existaient déjà avant (avec, aussi, les moyens des années 1940 qui n'étaient plus ceux du 19e siècle).

    Bien sûr, les crimes de masse du nazisme ont visé principalement les Juifs ; en tout cas, la volonté d'extermination totale (à partir de 1941) ne concernait qu'eux et les Rroms. 

    Mais en faire (comme le font les sionistes) une preuve de l'unicité et du caractère "à part" des Juifs est aussi absurde que de dire (comme certains) que l'esclavage et la colonisation sont un "complot millénaire" contre les "kémites", les Noirs. 

    Les Noirs d'Afrique ont été victimes de l'esclavage parce qu'ils étaient la seule population à la fois "adaptée" au climat des Amériques et, par leur niveau de développement social, faciles à capturer et à déporter de la sorte, à moindre coût, sans mener des guerres coûteuses etc. (les peuples victimes des razzias esclavagistes étaient surtout communistes-primitifs, tribaux, les peuples plus avancés étaient utilisés comme "chasseurs" d'esclaves). Et contrairement aux peuples originels des Amériques, ils résistaient (relativement, s'entend) aux maladies véhiculées par les Européens et supportaient (quelques années en tout cas...) les conditions de travail esclavagistes dans les plantations, alors que les indigènes étaient décimés. 

    Toute l'idéologie raciste de supériorité des Blancs sur les Noirs s'est constituée après ou en même temps : elle est la conséquence et non la cause de l'esclavage. 

    De la même façon, l'antisémitisme n'est pas "éternel" mais prend ses racines (en Europe) au Moyen-Âge, lorsque les Juifs (communauté facile à attaquer puisque non-chrétienne) se voyaient (déjà très largement sous la menace) emprunter de l'argent par les princes, seigneurs féodaux et autres grands bourgeois, qui les accusaient ensuite d'"usure" et autres abominations (sacrifices humains etc.) pour exciter des pogroms populaires contre eux avant de leur ordonner (sous peine de mort) de vider les lieux... évitant ainsi de les rembourser (vis-à-vis de chrétiens qui étaient eux aussi nombreux à pratiquer le prêt d'argent, comme les "Lombards"/Italiens, de telles pratiques auraient pu valoir à leurs auteurs l'intervention voire des sanctions de l'Église). 

    L'antisémitisme européen (pléonasme... il n'est d'idéologie antisémite qu'européenne !) prend, en fait, concrètement racine dans cette forme particulière d'accumulation primitive du capital par l'extorsion, le racket d'une communauté ethno-religieuse sans grandes défenses ; parallèlement à la construction (accompagnant cette accumulation primitive) des États modernes qui les excluront (juridiquement jusqu'à la fin du 18e ou au 19e siècle, dans les faits jusqu'au 20e) de la communauté "nationale" "légitime".

    Mais ces persécutions n'avaient rien à voir avec le génocide nazi du 20e siècle : les Juifs avaient par exemple la possibilité de se convertir (c'était souvent le choix qui leur était laissé : se convertir, partir ou la mort).

    Cet antisémitisme féodal a laissé des traces jusqu'à nos jours (des préjugés comme "les Juifs et l'argent") et a pu être utilisé dans l'argumentaire nazi et antisémite fasciste en général. Mais il ne peut pas expliquer le génocide, l'Holocauste, il ne peut expliquer que des actes antisémites individuels - et non institutionnels. 

    Non, si les Juifs ont été les principales victimes du plus grand crime de masse du 20e siècle, c'est pour une autre raison : parce que depuis le 17e siècle, ils étaient associés aux idées progressistes. D’abord, de Spinoza à la Haskala, ils ont été à la pointe des idées révolutionnaires bourgeoises, libérales, humanistes et universalistes. Ce qui s’explique par leur position discriminée, de citoyens de seconde zone, dans les pays où ils vivaient. Pour cela, ils récoltèrent la haine de tous les nostalgiques de l’Ancien Régime, de la société d’Ordres et de corporations, qu’ils soient légitimistes cléricaux ou "socialistes" féodaux corporatistes à la Proudhon.

    Par la suite, surtout en Europe de l'Est (où leur statut inégalitaire persistait, tandis qu'il n’avait disparu en Allemagne qu’au milieu de 19e siècle), une grande partie des masses juives a été attirée vers les idées socialistes et communistes (marxistes ou libertaires) : tout le monde sait que Marx était d’une famille juive, qu’ils étaient nombreux dans la direction bolchévique et que les idées socialistes ont même profondément imprégné le sionisme originel. Ce qui en a fait, dès lors (fin du 19e siècle), la cible de toute la Réaction des exploiteurs et des possédants.

    À la fin du 19e siècle, le capitalisme devenu impérialiste cessa de jouer tout rôle progressiste pour devenir la Réaction sur toute la ligne (Lénine). Nostalgiques de l’Ancien Régime et bourgeoisie impérialiste (ne voulant plus entendre parler de progressisme) fusionnèrent en une seule et même Réaction. À mesure que la menace révolutionnaire grandissait, le nouvel antisémitisme grandissait avec, fusionnant le "libéral-progressisme décadent" et le "socialisme" dans la figure du Juif (et de son "allié" franc-maçon). Cet antisémitisme s'est alors systématisé en idéologie (avec l'Action Française par exemple, ou l'antisémitisme tsariste en Russie) et élargi en idée d'un "complot contre la civilisation" par une population "étrangère", "non-européenne" ("asiatique"), "manœuvrant dans l'ombre" pour "s'emparer du pouvoir" et "asservir la civilisation européenne". Avec la Révolution russe d'Octobre 1917, dont de nombreux dirigeants étaient juifs, cette théorie atteint son aboutissement : le "judéo-bolchévisme" (toute ressemblance avec un certain "islamo-gauchisme" aujourd'hui serait purement fortuite...). 

    À cela s'est ajouté, dans le nazisme allemand, l'idée d'un impérialisme tourné vers l'Est ("l'espace vital" de la "race allemande") pour lequel il fallait faire "place nette" ; les Juifs, très nombreux dans cette partie de l'Europe, faisant figure de population "asiatique", "racialement ennemie", inassimilable, à réduire en esclavage voire, idée qui prédominera à partir de 1941, à exterminer. 

    Il faut bien comprendre que la Shoah s'inscrivait dans un plan plus vaste : ainsi, pour les Slaves, certains idéologues du nazisme préconisaient 1/3 d'exterminés (directement ou par le travail forcé), 1/3 de réduits en esclavage et 1/3 de "récupérables", "aryanisés". Pour les Rroms, l'extermination était également prévue. Ce plan, c'était le Drang nach Osten ("poussée vers l'Est"), un fondamental du nationalisme pangermaniste allemand, conçu comme une guerre "sacrée", "civilisationnelle" contre "l'Asie" qui, pour les pangermanistes allemands, commence sur l'Oder. Juifs, Rroms, Slaves et communisme étaient des "expressions" et des "détachements" de l'armada asiatique contre la "civilisation européenne"... La Shoah n'est pas détachable de ce background, qui trouve par exemple son expression dans l'implication, très forte, du IIe Reich de Guillaume II contre la révolte chinoise de 1899-1901.

    Là encore, donc, l'antisémitisme institutionnel, élevé en idéologie exterminatrice, des nazis (et des nationalistes allemands en général) est en réalité plus une conséquence des visées impérialistes sur l'Est (anti-asiatisme), de l'anticommunisme/anti-progressisme, ainsi que du ressentiment de la défaite de 1918 ; que le résultat ou l’aboutissement d'un complot "millénaire" contre le Peuple juif (bien que l'antisémitisme, dans toute l'Europe, existe depuis le Moyen-Âge). 

     On voit par exemple que le fascisme italien n'était pas (du tout, même) antisémite : il n'adoptera des lois raciales anti-juives qu'en 1938 (sous l'influence de l’Allemagne nazie à laquelle il vient de s'allier indéfectiblement) et ne mènera jamais de véritable persécution jusqu'en 1943 (lorsque les Allemands prennent le contrôle du pays) ; raison pour laquelle il sera facilement pris pour modèle par la droite de la droite sioniste (Birionim, Lehi voire Betar) alors que le nazisme, évidemment, c'était plus compliqué... C'est que les visées impérialistes de l'Italie ne concernaient pas des territoires peuplés de Juifs et que, pour diverses raisons, l'association des Juifs aux idées progressistes et révolutionnaires était beaucoup moins répandue qu'ailleurs (en France par exemple). À l'arrivée, c'est seulement durant la période d'occupation allemande (septembre 1943-avril 1945) que 9.000 Juifs (sur 35 à 50.000 présents dans le pays) seront raflés et déportés - environ 7.750 périront.

    Mais les Libyens, les Éthiopiens, les Albanais ou les Grecs ont une "petite" idée de la nature de l'impérialisme fasciste italien ! 

    Il n'y a pas de "peuple élu", pas de complot antisémite "éternel" : cela, c'est ce que veulent occulter les partisans du sionisme (qui se veut une "réponse" à cet "antisémitisme éternel"). 

    Mais surtout il n'y a pas de caractère "à part", "anormal", "accidentel", hors des normes et de la compréhension de l'esprit humain, et surtout hors de toute logique historique du nazisme !

     Le nazisme c'est la conséquence ultime, dans la barbarie, de l'impérialisme allemand (qui n'est pas "d'essence" différente des autres non plus !) et de l'impérialisme en général ! C'est une différence de degré, pas de nature. 

    Et cela, c'est ce que les impérialistes de tous les pays veulent dissimuler à tout prix !!!

    Il y a aussi, bien sûr, la technique qui vise à assimiler le fascisme et le nazisme avec "l'ennemi juré" : le communisme. C'est la théorie du "totalitarisme" : Mussolini et Hitler se seraient en fait inspirés de la la Révolution bolchévique russe, de ses "méthodes", de sa "violence", de son "embrigadement de masse" etc. Le "totalitarisme" serait une "tare" du 20e siècle (dû peut-être à la Première Guerre mondiale...), une idéologie "nationaliste" et "populiste", de haine raciale ou de classe, qu'heureusement la "démocratie" a finalement vaincu. 

    En dehors de cette abomination, tout va bien messieurs-dames : les crimes (colonialistes et néo-colonialistes en particulier) de la "démocratie" sont soigneusement occultés, ou justifiés, au nom de la "démocratie" justement ! 

    Alors même que le fascisme était l'ennemi juré du communisme, qu'il avait juré de l'anéantir, et qu’il avait le soutien pour cela, jusqu'à la veille de la 2de Guerre, des "démocraties" impérialistes ! 

    Cette théorie du "totalitarisme" est une théorie bourgeoise conservatrice (le problème serait le "populisme") reprise par une grande partie de la "gauche" bourgeoise et petite-bourgeoise.

    C'est une théorie, bien sûr, complètement idéaliste et anti-dialectique, qui nie la lutte de classe, la nature de classe des différents régimes en question, et la violence comme nécessité historique - puisque ces personnes ont intérêt à ce que rien ne change. Elles condamnent la "violence", le caractère "militarisé" du "totalitarisme"... alors que la violence fasciste n'a fait qu'être à la hauteur de la menace révolutionnaire qui pesait sur les bourgeoisies de ces pays, et que la violence bolchévique n'a fait qu'être à la hauteur de la menace contre-révolutionnaire et des tâches de la révolution à accomplir ! 

    Ce qu'il faut retenir, c'est que le fascisme ne tombe pas du ciel, n'est pas une "anomalie", un "bug" dans une société "démocratique" bourgeoise - voire une "copie du totalitarisme marxiste". 

    Il s'inscrit parfaitement dans la tradition bourgeoise de domination de classe, dans les valeurs de la bourgeoisie devenue impérialiste. Il manipule d’ailleurs avec brio le traditionalisme, exaltant la "nation éternelle", les "valeurs" à "retrouver"...

    Mais il s'inscrit aussi parfaitement dans la nouvelle époque du capitalisme apparue à la fin du 19e siècle, et surtout au début du 20e : l'époque de l'impérialisme, de la guerre impérialiste globale, des crises générales et de la révolution anti-capitaliste et anti-impérialiste à l'ordre du jour, qu'il faut à tout prix (pour la bourgeoisie) contrer.

    Là est sa modernité : adapter la dictature de classe de la bourgeoisie à l'époque nouvelle (s'en prenant, du même coup, aux "vieux" libéraux et conservateurs bourgeois qui n'ont pas compris cette nouvelle époque) et à la hauteur de la menace et des enjeux.

    Si le fascisme du 20e siècle a dans l'ensemble échoué, face à la révolution socialiste et face à l'autre "contre-révolution préventive" qu'était le modèle keynésien ("classe-moyennisation" des travailleurs et "société de consommation de masse" financée par l'exploitation impérialiste de la planète, "cohésion sociale" - c’est-à-dire collaboration de classe - à travers les syndicats et les partis "socialistes" traîtres), c'est sans doute qu'il n'était pas "au point", qu'il a commis des erreurs (la "fuite en avant" hitlérienne), c'est peut-être qu'il n'était pas... assez moderne !

    Soyons sûrs que la bourgeoisie impérialiste de notre époque saura en tenir compte, à l'heure où la crise générale et terminale du capitalisme a définitivement enterré les solutions keynésiennes ! 

     


    Sur la question du fascisme/nazisme comme "rejet des Lumières", lire ici notre démontage en règle des thèses fumeuses de Zeev Sternhell (qui n'est rien d'autre qu'un maître à penser de plus de l'opposition fascisme/capitalisme) : Sur Zeev Sternhell et sa théorie du fascisme "anti-Lumière"

    De fait, si le fascisme semble se rattacher historiquement à quelque chose, c'est bien plus à l'aile droite du mouvement des Lumières (que Sternhell qualifie à tort, mais non moins allégrement, d'"anti-Lumières"), aux "Lumières d'ordre" incarnées par l'Ancien Régime final et/ou Voltaire et Napoléon (en France), Frédéric II de Prusse (en Allemagne), Catherine la Grande (en Russie) ou Edmund Burke (chez les Anglo-Saxons) qu'à un véritable mouvement d'opposition aux Lumières et à toute modernité, mouvement d'ailleurs difficile à identifier historiquement (les Jésuites, à la rigueur ?)...

     


    EN DERNIÈRE ANALYSE, après plus de 2 ans de travail et d'analyse antifasciste, il ressort que :

    => Il est erroné et même, à terme, suicidaire d'attendre le fascisme dans les même habits (idéologiques, pas la couleur des chemises...) qu'au siècle dernier. L'aspect moderne du fascisme fait que, justement, il ne revient jamais sous la même forme que dans le passé (l'aspect traditionnel, lui, faisant qu'il prend autant de formes que d’États bourgeois ou de régions du monde différentes). On oublie souvent, à vrai dire, que le mot fascisme désigne à l'origine un phénomène purement italien (et le nazisme, un phénomène purement allemand) : c'est le mouvement communiste qui a donné au mot une signification universelle ; mais le fascisme italien et le nazisme allemand étaient très différents entre eux et très différents du franquisme, du salazarisme, des idéologies françaises maurrassienne et Croix-de-Feu, du national-catholicisme présidant aux dictatures sud-américaines etc. Depuis 1945, ont également vu le jour des fascismes "non-blancs" : l'"authenticité" de Mobutu au Congo, l'idéologie du Golkar en Indonésie, le fascisme hindou, le "confucianisme ultra-autoritaire" des dictatures de Corée du Sud et de Taïwan (repris aujourd'hui par la Chine "populaire") etc. ; sans oublier les diverses variantes de réaction religieuse islamique ; ou au contraire de "modernisme" laïc à la Ben Ali, Moubarak ou Assad.

    Il ne faut donc pas essayer d'identifier le fascisme par des caractéristiques stéréotypées, de type "antisémitisme comme anticapitalisme romantique", puisque tant le fascisme italien (jusqu'à la fin des années 30) qu'Anders Behring Breivik récemment (ou encore l'English Defence League, ou Geert Wilders) montrent que l'on peut être fasciste sans être nullement antisémite. Idem pour l'idée de "fascisme né à gauche", puisqu'en Europe ces dernières années, c'est souvent la mutation de vieux partis conservateurs (UDC suisse, Parti du Progrès norvégien) voire "libéraux" (FPÖ autrichien) ou de "leaders" issus de ceux-ci (Wilders aux Pays-Bas) qui engendrent des "formes politiques" inquiétantes. En France, Le Pen a toujours été un militant "à la droite de la droite", jamais proche de la gauche d'aucune manière. L'on découvre également qu'il existe des courants fascistes dans les minorités, et non pas au service du pays où ils opèrent, mais de pays étrangers : l'extrême-droite sioniste dans la minorité juive au service de l’État israélien (même si celui-ci est largement lié à l'impérialisme français et aux impérialismes occidentaux en général) ; ou le salafisme réactionnaire au service des "plans" du capital suraccumulé du Golfe arabo-persique. Bref, dans tous les cas IL FAUT POURFENDRE LE SCHÉMATISME, qui "désarme le prolétariat contre son plus mortel ennemi" comme le disait déjà Dimitrov dans les années 1930.

    => Le fascisme doit donc être caractérisé dans les grandes lignes, de la manière LA PLUS SYNTHÉTIQUE possible. Il faut éviter toute caractéristique "superflue" qui conduirait à voir du fascisme là où il n'y en a pas, ou (plus grave) inversement, ne pas voir le fascisme là où IL Y A fascisme. Quelles grandes caractéristiques générales peut-on dégager ?

    => SUR LES BUTS :

    1°/ Réorganiser EN PROFONDEUR le système capitaliste du pays donné pour CONTRER LA CHUTE DU TAUX DU PROFIT (ou, carrément, la diminution de la masse de profit à capital croissant : ce que l'on appelle la surproduction de capital). Ou bien, RETROUVER un "rang" perdu au niveau mondial, continental ou régional (Allemagne avec le nazisme, Serbie des années 1990, Russie avec Poutine). Une autre version consisterait, au contraire, à "émerger" en tant que puissance mondiale, continentale ou régionale : comme l'Italie ou le Japon des années 20-30, la Chine ou l'Iran aujourd'hui.

    2°/ Barrer la route à une situation révolutionnaire en développement (qui se développe parallèlement à la crise capitaliste évoquée ci-dessus). C'est un aspect essentiel du fascisme "ouvert", terroriste brutal que l'on a connu un peu partout dans le monde au siècle dernier. En son absence, on aurait plutôt ce que le PCmF appelle "fascisme moderne". C'était l'aspect principal en Espagne franquiste, au Portugal salazariste ou dans les régimes fascistes latino-américains ou asiatiques, dans certains pays d'Afrique (comme le "Zaïre" de Mobutu), en Grèce (colonels) ou en Turquie, en Iran sous le Shah etc. pendant la "Guerre froide". Ou encore en Colombie aujourd'hui.

    3°/ Préparer "les cœurs et les esprits" à la guerre de repartage impérialiste du monde ; par une grande mobilisation de masse réactionnaire, militariste, chauvine etc. En temps de crise générale du capitalisme, c'est une caractéristique constante : que l'on ait une grande puissance voulant enrayer son déclin, une puissance "déchue" voulant "retrouver son rang", une puissance "émergente" (mondiale, continentale ou régionale) voulant se tailler un "pré carré" etc.

    => SUR LA FORME (idéologie, méthodes etc.) :

    1°/ C'est dans tous les cas une mobilisation de masse ; une mobilisation RÉACTIONNAIRE tournée vers les trois buts (ou au moins un ou deux des trois) ci-dessus ;

    2°/ Les entraves posées à la réalisation de ces objectifs par le libéralisme bourgeois, les courants de pensée humanistes et universalistes de la bourgeoisie, sont levés en mobilisant "l'opinion" dans ce sens ;

    3°/ L'idéologie s'inscrit dans le PROLONGEMENT DE LA TRADITION RÉACTIONNAIRE NATIONALE ; elle ne tombe jamais du ciel. Le nazisme était l'héritier total des courants idéologiques réactionnaires du IIe Reich : pangermanisme, visées impérialistes anti-slaves vers l'Est, national-conservatisme aux forts accents "sociaux", le tout baigné dans un profond antisémitisme (qui, à la toute fin du 19e siècle, quitte le terrain de l'anti-judaïsme chrétien pour devenir "biologique"). Ce n'est pas un hasard si en 1936 le régime nazi rendait hommage à Frédéric II de Prusse (mort 150 ans plus tôt), "despote éclairé" ami de... Voltaire (ce qui pose en outre la question du caractère "anti-Lumières" du national-socialisme) et précurseur dans son royaume de Prusse de l'État moderne allemand. Parfois il y a PLUSIEURS traditions réactionnaires nationales, comme en Autriche (tradition pangermaniste/nazie et tradition national-catholique/austro-fasciste) ou en Argentine (tradition national-populiste péroniste et tradition plus "national-catholique" ultra-réactionnaire des juntes militaires). En France aussi, l’on peut dire qu'il y a deux "traditions". L'une "légitimiste" (le terme est réducteur), plutôt héritière de la contre-révolution anti-démocratique (déjà) de 1789-1815, du "Parti de l'Ordre" de 1848 et 1871 jusqu'à Pétain en passant par Maurras ; capable de faire "entorse" au patriotisme de rigueur pour préserver la classe dominante d'une situation révolutionnaire (Émigrés de 1789-1815 avec les puissances coalisées, Réaction de 1871 avec l'occupant prussien, Pétain bien sûr avec l'occupant nazi) : c'est le "pétainisme transcendental" de Sarkozy selon Badiou ; bien que Sarkozy soit assez "atypique" par rapport à cette tradition (citadin, parisien, homme moderne, divorcé et remarié etc., mais il faut plutôt regarder vers ses "éminences grises" tels Hortefeux, Guéant et surtout Buisson) et que la situation n'ait bien sûr rien à voir (pas de situation révolutionnaire en fort développement, pas de "catastrophe nationale" comme la défaite de 1940, 1870 ou déjà 1814). Un Philippe de Villiers s'inscrit également dans cette tradition, ainsi que CPNT ou encore les Identitaires pour le côté "défense des mille terroirs". L'autre est la tradition "césariste", plus "social-populiste" (légitimité populaire et non "transcendante", "France éternelle" etc.) et "moderniste", plus intransigeante sur le nationalisme (cherchant le "rassemblement national" plutôt que l'alliance étrangère), plus "étatiste" et "centraliste" aussi ; tradition qui va du bonapartisme (Napoléon Ier et Napoléon III) à De Gaulle en passant par Boulanger et La Rocque et qui se cherche à présent un héritier - ou une héritière, que Marine Le Pen prétend être.

    4°/ Voulant réorganiser en profondeur la société capitaliste pour sortir de la crise, et mobiliser les masses pour réaliser ses objectifs, le fascisme doit se présenter sous les habits de la MODERNITÉ, il doit "vivre avec son temps". Il doit même se présenter comme, finalement, "révolutionnaire", une "droite révolutionnaire". "Je suis révolutionnaire et réactionnaire selon les circonstances", disait Mussolini au temps où le fascisme cherchait encore ses mots. Aujourd'hui, un Éric Zemmour dirait que "être révolutionnaire de nos jours, c'est être réac", car la "vraie dictature" est celle de la "bien-pensance" et des "intellectuels de gauche" (autrement dit : des restes de pensée démocratique-humaniste-universaliste bourgeoise et des 150 ans d'influence du mouvement révolutionnaire sur la société). Même Pétain, issu de l'ultra-conservatisme, du "légitimisme" façon 19e siècle, parlait ainsi de "Révolution nationale" et accueillit dans son gouvernement et ses institutions un grand nombre de "modernistes", "planistes", "technocrates", "néo-socialistes" etc. (sans quoi il n'aurait pas eu l'élément de modernité qui manque au "classique" conservatisme monarchiste national-catholique pour constituer un fascisme). De même, le vieil ultra-conservateur catholique Franco s'appuya sur la Phalange (d'abord) puis sur les "technocrates" liés à l'Opus Dei, qui mirent en œuvre le "miracle économique espagnol" des années 1960-70 ; tandis que son homologue chilien Pinochet s'appuya sur les "Chicago boys" néo-libéraux. Sarkozy, avec son idéologie "néo-libérale", "reagano-thatchérienne", est peut-être finalement la "touche" de modernité qu'il fallait à cette vieille réaction passée du pétainisme passif au MRP ou aux "indépendants-paysans" (CNIP), puis des "républicains indépendants" au giscardisme et enfin au balladurisme en passant par le Parti républicain (1977-97), matrice du "thatchérisme à la française". N'oublions pas, aussi, qu'il a fondé sa carrière politique sur une autre vieille tradition réactionnaire bien française : celle du "Fouché", du tout-puissant "premier flic" Ministre de l'Intérieur, comme avant lui Clemenceau, Jules Moch ou Mitterrand, Marcellin ou Pasqua, etc. Lorsque la classe dominante tangue et, donc, se durcit face aux masses populaires, il lui faut un "Fouché" à l'Intérieur : qui sera le Ministre de l'Intérieur de Marine Le Pen est une carte qu'elle devra abattre tôt ou tard si elle assume réellement la conquête du pouvoir.

    Voilà les caractéristiques générales et universelles que l'on peut dégager, en dernière analyse, de l'étude du fascisme dans l’État "France" comme ailleurs. 


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    Les Identitaires niçois commémorant la bataille navale de Lépante contre les Ottomans en 1571.
    On notera, sur le côté gauche, le drapeau européen dont l'usage est caractéristique de cette organisation.

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    "Paris ne sera jamais qatari" ; expression radicale de la nervosité impérialiste BBR face aux "forces émergentes" dans l'arène capitaliste mondiale...

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    Nouvelle organisation née en région lyonnaise (issue du vieux cercle maurasso-pétainiste "l'Œuvre française"), les Jeunesses nationalistes commencent à damer le pion aux Identitaires sur une ligne encore plus radicale (mais, peut-être, d'un nationalisme trop "étroit" pour vraiment correspondre aux besoins des monopoles)

     


    En lien avec ce qui précède, voici en ANNEXE un article fort intéressant qui se penche sur (et essaye de trancher) la plus-que-sexagénaire question de la causalité du génocide nazi des Juifs d'Europe : 


    SHOAH : et s’il y avait PLUSIEURS explications ?


    En réalité, le grand problème vient peut-être tout simplement du fait que l'on s'obstine à ne voir derrière la Shoah QU'UNE SEULE explication ; alors que voir derrière un crime d'une telle ampleur la CONVERGENCE de plusieurs facteurs serait pourtant bien plus plausible...
    Suivant ce raisonnement, TOUTES les explications données jusqu'à ce jour au génocide des Juifs d'Europe pourraient bien être (chacune) une partie de la "décision finale" incubée dans les années 1930 et finalement "accouchée" en janvier 1942 à Wannsee.

    1/ La thèse marxiste "classique" : assimilation des Juifs aux mouvements socialiste et communiste, à un "virus" de ceux-ci, par leur surreprésentation dans ces mouvements politiques (et par la surreprésentation de la bourgeoisie juive dans les courants "libéraux-démocrates" de la bourgeoisie, les courants "laxistes envers le marxisme"). La Shoah rejoint ici la politique "générale" d'extermination politique du nazisme, les Juifs étant considérés (des nouveau-nés jusqu'aux vieillards) comme un "corps politique organique" antagoniste au projet politique nazi. On retrouverait cela dans ce qui serait, dit-on, le premier ordre "informel" d'Hitler à Himmler dans le sens de l'extermination : « Question juive ? À exterminer comme des partisans. » (décembre 1939, après l'invasion et l'occupation de la Pologne, donc). Dans une veine légèrement différente, celle du délire "chevaliers teutoniques" des nazis, les Juifs pouvaient également être considérés comme des "khazars" et donc comme une "incarnation de l'Asie", au même titre que le communisme, "Asie" que le IIIe Reich s'était donné pour mission de "rejeter dans les steppes" ;

    2/ La thèse de l'"anticapitalisme romantique" ou du "socialisme féodal" : un rejet petit et moyen-bourgeois de la "froide machine du Grand Capital" d'après la révolution bourgeoise ; mais un rejet tourné vers le passé, passé idéalisé d'avant cette révolution, lorsque le capitalisme existait, bien sûr (depuis le Moyen Âge), mais était "encadré" par la monarchie, les ordres, les corporations, les Églises et la "morale chrétienne", etc. Ce "socialisme féodal" est bien sûr foncièrement antisémite, puisque l'un des aspects les plus marquants et "emblématiques" de la révolution bourgeoise est l'émancipation des Juifs, la "sortie du ghetto" et leur inclusion (comme "nouveaux concurrents") dans la communauté économique nationale (laquelle se trouvait, dans le même temps, "dérégulée" par la fin des corporations) ;

    3/ La thèse de la Shoah comme "machine à détruire de la valeur", qui part finalement de ce qui précède et rejoint ce qui va suivre (l'"insurrection" contre la surproduction absolue de capital) ; mais qui comme seule explication n'expliquerait que l'extermination de Juifs aisés et cultivés, pouvant être supposés "avoir du pouvoir" et "incarner la valeur" (image que l'Occident il est vrai, et sans doute Postone lui-même, a du Juif victime de la Shoah depuis la série Holocauste) et non des Juifs misérables, "pouilleux" et généralement socialistes ou communistes des shtetl de l'Est ;

    4/ La thèse "fonctionnaliste" des historiens bourgeois, selon laquelle seule l'impossibilité d'expulser les Juifs (vers les Amériques, la Palestine, Madagascar ou autres) aurait décidé de leur extermination. Il est vrai que dans ses écrits des années 1920 et 1930, jusqu'à sa prise de pouvoir, Hitler a surtout parlé de ségrégation et d'expulsion. Il évoque certes dans Mein Kampf "l'extermination de douze mille coquins" (par gaz, déjà) mais ce n'est (donc) pas une extermination générale (puisqu'il y avait alors 500.000 Juifs en Allemagne et plus de 10 millions en Europe). C'est en janvier 1939 qu'il déclare qu'une nouvelle guerre mondiale conduirait à "l'anéantissement de la race juive en Europe". Néanmoins, l'extermination ne suit pas un schéma planifié jusqu'au début 1942. Ian Kershaw évoque (avant Wannsee) l'importance des initiatives locales des gauleiters, en Pologne et en Ukraine, dans une rivalité sordide pour tenir en premier la promesse faite à Hitler de "germaniser leur territoire en 10 ans" (ceci serait, donc, derrière la "Shoah par balle" et les conditions de vie exterminatrices des ghettos de l'Est). En réalité, il est fort possible que la "Solution finale" n'ait été décidée que faute de pouvoir déporter massivement les Juifs hors de l'Europe conquise ; cependant la rapidité avec laquelle elle s'est mise en place laisse à penser qu'elle a toujours été envisagée comme "plan B" (rejoignant ainsi la thèse "intentionnaliste").

    5/ La thèse bordiguiste elle-même ("Auschwitz ou le grand alibi", titre inutilement provocateur) n'est pas à rejeter catégoriquement, si elle est considérée comme une partie de l'explication et non comme sa totalité : c'est la thèse considérant que, face à la pression du Grand Capital et à la crise du capitalisme, la petite/moyenne bourgeoisie a choisi de "sacrifier" une partie d'elle-même (les Juifs) pour se sauver en tant que classe... Le fait que les bordiguistes fassent, à tort, de tous les Juifs des petits bourgeois ne disqualifie pas totalement la thèse puisque le même raisonnement pourrait s'appliquer au salariat (laminé par la crise) vis-à-vis du salariat juif ; ce que l'on retrouverait aujourd'hui chez les travailleurs (salariés) en butte au chômage et mettant en cause "les immigrés" perçus comme des "concurrents", et non la crise du capitalisme et le capitalisme lui-même. Cette thèse a pour limites les limites du bordiguisme en général : elle est "économiste mécanique", elle fait (comme chez les trotskystes) de la petite/moyenne bourgeoisie l'élément moteur du phénomène fasciste et elle nie que les communistes ne doivent pas lutter de la même manière contre un régime "libéral", ou même "conservateur", et contre un régime fasciste : les tactiques, les alliances etc. ne sont pas les mêmes (le fascisme se distingue du "conservatisme autoritaire" par la mobilisation de masse, ce qui implique donc une analyse et une pratique particulière sous peine de débordement et d'écrasement des communistes par la mobilisation fasciste). Elle a néanmoins le mérite de bien placer la Shoah, quelle que soit l'horreur que celle-ci inspire, dans le prolongement de la logique impérialiste ; contre l'historiographie bourgeoise qui cherche à faire du nazisme un "accident de l'histoire", une "anomalie", une "folie collective" afin d'absoudre le capitalisme de ce qui n'est que ses ultimes conséquences, son ultime pourrissement barbare. Elle n'est en revanche valide que pour l'Allemagne (berceau de l'antisémitisme nazi) où les Juifs, progressivement émancipés au 19e siècle, avaient connu une ascension sociale fulgurante (misérables au 18e siècle, ils appartiennent en quasi-totalité aux classes moyennes à la fin du 19e, contre seulement 25% au début) ; elle n'est plus valide dès que l'on sort des frontières de ce pays (Juifs très pauvres et ghettoïsés de l'Est, nombreux dans la classe ouvrière au début du 20e siècle, ou encore Juifs néerlandais majoritairement ouvriers). Et elle fait (classiquement pour le bordiguisme comme pour le trotskysme) de la petite et moyenne bourgeoisie allemande (avec son antisémitisme) le moteur du phénomène nazi, alors que Dimitrov nous enseigne que ce sont au contraire les monopoles, la très grande bourgeoisie qui poussent en avant le fascisme (mais le sentiment décrit par l'article a pu, en revanche, aider le Grand Capital via le NSDAP à mobiliser la petite bourgeoisie, ça oui)...

    Ce sont donc en réalité toutes ces logiques qui ont vraisemblablement convergé, dans l'esprit des décideurs nazis, pour aboutir à la Solution finale. Car toutes ces logiques ont, finalement, un dénominateur commun : le nazisme comme le fascisme en général est une forme particulièrement virulente de MOBILISATION RÉACTIONNAIRE DE MASSE par les capitalistes, mobilisation dans une INSURRECTION DU CAPITALISME CONTRE SA PROPRE CRISE qui est une crise générale par SURPRODUCTION ABSOLUE DE CAPITAL. Une crise qui ne peut se résoudre que PAR LA GUERRE TOTALE entendue comme DESTRUCTION DE FORCES PRODUCTIVES ; cependant cette résolution ne suit pas un "plan" préétabli par un quelconque "comité" caché on-ne-sait-où, elle se déroule de manière empirique, d'où les formes très multiples de mobilisation réactionnaire qui voient le jour : ce peut être une mobilisation chauvine et militariste contre des nations voisines par exemple, mais aussi (et/ou) une mobilisation xénophobe contre "l'étranger intérieur", avec la forme particulière qu'est l'antisémitisme... Cette mobilisation est le fait de la classe capitaliste dans son ensemble (petits, moyens et grands) mais l'élément moteur, à l'époque impérialiste, ne peut être que le GRAND capital (contrairement aux thèses bordiguistes et trotskystes). 

    Dans le prolongement de l'antisémitisme comme "anticapitalisme féodal" se trouve notamment l'identité partielle entre antisémitisme et dénonciation de la "finance", du "capital errant", de la "spéculation"... Or cette dénonciation est TYPIQUEMENT l'expression de l’insurrection du capitalisme contre sa propre crise, puisque la "financiarisation" et la "spéculation" sont des manifestations particulièrement visibles de la surproduction absolue de capital : puisque PRODUIRE dégagerait non seulement un taux de profit mais même une MASSE de profit inférieure à celle dégagée avec un capital moindre, on cherche alors à "faire de l'argent avec de l'argent", ce qui va impacter férocement l'économie réelle (déjà mal en point) puisque l'on est bien obligé d'"asseoir" cet argent (valeur "symbolisée") sur de la valeur réelle (matières premières, produits de première nécessité, produit intérieur d'un pays entier en spéculant sur sa monnaie ou sa dette, etc.). Pris de folie face à sa propre crise, le capitalisme ne pourra pas en pointer la cause, puisque cette cause est lui-même (son propre mécanisme de fonctionnement, comme mode de production) ; il va donc en pointer le symptôme qu'est la spéculation. Il va vouloir la "détruire", mais il ne peut pas, vu que les flux financiers sont immatériels et que l'on ne peut détruire que des choses matérielles. Il est donc possible (thèse n°3) que les Juifs européens victimes de la Shoah aient été une "matérialisation" (terrible et barbare) de cette "spéculation" à détruire, par l'assimilation (médiévale) des Juifs au prêt à intérêt, à "l'usure"... Ce serait là une partie de l'explication (globalement les thèses 2 et 3). 

    D'autre part, les couches intermédiaires de la société (petite et moyenne bourgeoisie, paysans propriétaires, salariés "favorisés") sont "prises à la gorge" par la crise mais dans l'incapacité culturelle (nature de classe) de remettre en cause le capitalisme lui-même. Elles vont donc trouver des "boucs émissaires" à leur situation, qui est vécue comme le résultat d'une "concurrence déloyale" (soit entre "boutiquiers", soit sur le marché du travail). On rejoint là en partie la thèse n°2, ainsi que la thèse bordiguiste (n°5). Aujourd'hui, chez les salariés, cette réaction spontanée à la crise qu'ils subissent est largement tournée vers la "concurrence immigrée" et "les payés-à-rien-foutre" qui "plomberaient l'économie". Chez les "boutiquiers", elle est détournée vers "les assistés" qui sont la cause des "charges" ainsi que vers "l'insécurité galopante". Donc, globalement, vers "l'immigration" (la force de travail d'origine extra-européenne, et ses descendants). C'est la rhétorique "visionnaire" que (notamment) François Duprat avait "soufflée" à Jean-Marie Le Pen dans les années 1970, donnant au FN son thème de prédilection (et la base de son succès) depuis lors…

    Enfin, il existe une AUTRE "porte de sortie" à la crise générale du capitalisme... mais qui est la TERREUR des bourgeois : c'est bien sûr la révolution prolétarienne. "L'idée communiste" subvertit tellement leur vision du monde qu'elle ne peut pas être le produit d'une société "saine" : elle doit donc résulter d'une "contamination" de la société nationale par un "corps étranger", qu'il faut "extirper". On retrouve là la thèse n°1 et, d'une manière générale, une cause importante de la haine contre toutes les minorités (qui sont, spontanément, surreprésentées dans les mouvements progressistes et révolutionnaires).

    Le grand "casse-tête" des historiens marxistes "mécanistes" depuis plus de 60 ans est le fait que la Shoah n'ait strictement avancé à rien l'impérialisme allemand, sinon peut-être à précipiter sa défaite en mobilisant des forces considérables dans une entreprise à la valeur ajoutée très faible, pour ne pas dire nulle (on faisait certes travailler gratuitement les hommes valides mais leur productivité était très faible et leur espérance de vie rarement supérieure à un an ; les valeurs spoliées aux exterminé-e-s pouvaient faire la fortune d'individus mais étaient marginales pour le Reich lui-même, etc.).

    Mais voilà ! Peut-on dire, en vérité, qu'une seule des solutions apportées par le capitalisme à sa propre crise soit rationnelle ??? Entre 1900 et 1950, les deux guerres mondiales plus une multiplicité des conflits localisés, plus les régimes tournés vers cet objectif de guerre (sans oublier, bien sûr, l'objectif de contre-révolution) ont englouti peut-être 70 ou 80 millions de vies humaines. Et qu'en est-il sorti ? Moins de 30 ans de réelle reprise de la valorisation du capital... Tout ça pour ça ! Et même entre 1945 et les années 1980 les guerres (de la "décolonisation", de la "Guerre froide") n'ont jamais cessé, dans une optique semi-contre-révolutionnaire semi-inter-impérialiste, tuant peut-être encore 15 ou 20 millions de personnes. Puis, dès "l'Empire du Mal" soviétique abattu, alors que l'on annonçait une "ère de paix et de démocratie" éternelle, elles ont immédiatement repris pour le repartage du monde, avec à nouveau l'ombre du génocide planant sur l'Afrique, le Caucase, les Balkans... RIEN ne peut, en réalité, sortir véritablement le capitalisme de la crise généralisée dans laquelle il se débat depuis les années 1870 ! AUCUNE solution émanant de la classe capitaliste n'est rationnelle. À partir de là, où fixer les limites de "l'irrationnel" ? Au début des années 1930, l'impérialisme allemand avait un projet d'Empire et d'"espace vital" européen de l'Atlantique à la Caspienne, projet matérialisé politiquement dans le nazisme. Ce projet comprenait, au sein du "package", l'élimination (expulsion ou à défaut extermination) de la population juive du continent, pour l'ensemble des raisons exposées plus haut : "virus du marxisme", "corps organiquement étranger" et hostile au projet, "incarnation de la finance" (= de la surproduction de capital), "concurrente" des capitalistes allemands (petits, moyens et grands), etc. etc. Ce projet s'est heurté à tellement de concurrents impérialistes, sans oublier l'URSS (dont il impliquait l'anéantissement), qu'il a finalement mené l'Allemagne à la plus grande ruine de son histoire, "l'année zéro" 1945 ; avant qu’elle ne "ressuscite" (grâce au plan Marshall) comme "vitrine de l'Occident" face au "bloc" soviétique. Pas plus qu'elle ne pouvait avancer à quoi que ce soit, la Shoah n'a pas à elle seule "fait perdre" l'impérialisme allemand : c'est l'ensemble du projet qui était suicidaire et d'ailleurs, à partir de 1943, des éléments tenteront de se débarrasser de la haute direction nazie pour "recentrer" les ambitions contre la seule URSS (ces tentatives échoueront). Dès lors, à partir de quelle "ligne jaune" le nazisme "bascule"-t-il dans l'irrationnel ? L'impérialisme allemand d'après 1918 était un fauve blessé et en furie : RIEN dans son comportement n'était rationnel ; pas plus la Shoah que le reste.

    La seule "rationalité" à saisir c'est que le capitalisme en crise générale n'a PAS de réelle porte de sortie à long terme, qui ne peut être que la révolution prolétarienne. Il ne peut sortir la tête de l'eau, au maximum, que pour une génération. Comme la révolution prolétarienne implique la disparition de la bourgeoisie en tant que classe (entrepreneurs capitalistes et "cadres" divers du système), celle-ci ne peut accepter cette solution, qui est pourtant la seule. Elle va donc tenter TOUT ce qui lui passe par la tête, tout ce qui peut lui sembler être une solution pour sortir de la situation ; sans que cela ne soit jamais (en tant que tel) LA solution : c'est seulement lorsque l'ensemble (mondial) des "brillantes" solutions de la classe capitaliste (généralement, résumé à l'extrême : "il suffit de casser la gueule" à tels ou telles) aura amené une destruction suffisante de capital sur-accumulé (essentiellement sous forme de forces productives) que l'accumulation pourra reprendre pour quelques décennies.

    Dès lors, si un ensemble de "raisonnements" réactionnaires convergent dans ce sens... on peut en arriver, le plus "naturellement" du monde, à un investissement faramineux et à perte pour exterminer industriellement 6 millions de personnes. Tout simplement !

    Il ne s'agira pas de "mettre sur le même plan" la Shoah avec quoi que ce soit (on peut se faire accuser de "négationnisme" pour moins que cela...), mais simplement de prendre un exemple plus récent : prenons la guerre en Irak. Humainement, le bilan serait de 162.000 mort-e-s (dont 5.000 envahisseurs impérialistes) dans la violence proprement dite et une surmortalité "globale" de l'ordre d'un million de personnes (par rapport au nombre de personnes qui auraient "normalement" dû mourir depuis le printemps 2003). Idéologiquement, elle baigne dans le marigot devenu le nouvel étendard des extrême-droites occidentales : la "guerre des civilisations", la guerre contre le "terrorisme", irrémédiablement associé à la religion musulmane. Elle a été portée par l'idéologie "néo-conservatrice" qui prétend, au nom de la "démocratie" bourgeoise, mettre la planète entière sous l'hégémonie unique ("unipolaire") des État-Unis et de leurs proches alliés. Et FINANCIÈREMENT, combien a-t-elle coûté ? À l’État fédéral US, on l'estime à 3.000 MILLIARDS de dollars ; au-delà, il est difficile d'évaluer le coût pour les économies de la coalition toute entière. Et qu'aura-t-elle rapporté aux pays coalisés ? Financièrement, prenons les paris qu'elle en aura rapporté de l'ordre de 10 fois moins ; et politiquement c'est le désastre que l'on connaît : le Sud arabe chiite du pays est devenu de facto un protectorat de l'Iran (autre ennemi juré) et le Nord arabe sunnite est aux mains de groupes djihadistes plus ou moins liés à Al-Qaïda (que les guerres de Bush et Cheney prétendaient éradiquer) ou encore pires, qui ont souvent (d'ailleurs) "recyclés" bon nombres de partisans et de combattants de l'ancien régime de Saddam Hussein [MÀJ : en 2014 l'un de ces groupes, l'"État islamique" ou Daesh, a tout simplement pris le contrôle de la région où il a proclamé un "califat", obligeant les Occidentaux à intervenir de nouveau]. Seul le Kurdistan autonome (tout au Nord-Est) peut être relativement considéré comme "dans l'orbite" des pays impérialistes de l'ancienne coalition (encore que l'Iran et la Turquie, qui n'en faisaient pas partie, y exercent une influence non-négligeable). Comme pour la Shoah avec l'impérialisme allemand, on pourrait donc légitimement se demander ce que cette "exécution militaire" d'un pays de 25 millions d'habitant-e-s a concrètement rapporté à l'impérialisme US et à ses alliés...

    La réalité est qu'il n'y aucune logique comptable "rationnelle" à rechercher derrière tout cela. Le capitalisme est pris dans une "spirale de l'impossible" pour tenter de se sauver en tant que mode de production historiquement condamné. Il ne peut que commettre les uns après les autres TOUS LES CRIMES, sous les prétextes les plus fallacieux ou délirants (les "armes de destruction massive" en Irak n'existaient pas ; et n'invoquait-on pas, dans les Balkans, le souvenir de batailles du 14e siècle ?), jusqu'à ce qu'"empiriquement" le taux de profit remonte...


    [Au sujet de tout cela, lire ici : http://quefaire.lautre.net/Marxisme-et-holocauste - article "férocement trotskyste" mais non moins intéressant]

     


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  • Nous relayons régulièrement, sur ce blog, les nouvelles de la Guerre populaire révolutionnaire aux Philippines, menée par les héroïques camarades de la Nouvelle Armée du Peuple (NPA).

    Issue de la lutte de ligne anti-révisionniste dans les années 1960, suivant les enseignements de Mao Zedong, la New People's Army du nouveau Parti Communiste des Philippines mène la plus ancienne guerre populaire révolutionnaire en cours à l'heure actuelle. Une des rares véritables Guerres populaires maoïstes, également, avec celle des camarades maoïstes indiens, celle renaissante au Pérou (mais toujours marquée par la terrible défaite et la désorientation des années 1990), et peut-être celle qui va renaître au Népal, si le gouvernement bourgeois (laquais du pouvoir indien) déchaîne sa répression contre le mouvement populaire. [L'Armée populaire révolutionnaire du Mexique (EPR) se réclame également du marxisme-léninisme et en partie de Mao Zedong, et mène quelques actions de guérilla, tandis que les FARC de Colombie sont sur la défensive, payant leurs erreurs idéologiques et tactiques - cette organisation ne s'est jamais revendiquée du maoïsme, refusant la Guerre populaire et la ligne de masse.]

    Il nous a semblé important de rattacher cette Guerre populaire héroïque à l'histoire de l'archipel philippin. Une histoire toute entière tournée vers la conquête de l'indépendance réelle et totale, confisquée depuis 110 ans par l'impérialisme US et, aujourd'hui, première et indispensable étape de la révolution nationale-démocratique et de la révolution socialiste.
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    Situé entre le Pacifique et la mer de Chine, l'archipel des Philippines compte plus de 7.000 îles. Les deux plus grandes sont Luçon, au Nord, et Mindanao au Sud. Entre les deux s'étend l'archipel des Visayas (Cebu, Leyte), auxquelles s'ajoutent au sud de Mindanao les îles Sulu, et à l'ouest Palawan. Le pays compte environ 100 millions d'habitants.

    Découvert au 16e siècle par Magellan, l'archipel fait d'abord partie de l'empire colonial espagnol. Présentant peu de richesses économiques (hormis les épices), il était administré depuis la lointaine Nouvelle-Espagne (Mexique).

    Cet éloignement a favorisé le pouvoir de l'Eglise catholique, des missionnaires, ce qui fait encore aujourd'hui des Philippines un pays ultra-majoritairement catholique, le seul en Asie.

    L'administration espagnole réduite au strict nécessaire, le pays était divisé en grands domaines féodaux aux mains des ordres religieux.

    Dans les années 1890, en même temps qu'à Cuba et 3/4 de siècle après l'Amérique latine, va émerger un mouvement pour l'indépendance contre la Couronne d'Espagne.

    Comme à Cuba, et plus nettement encore qu'en Amérique latine sept décennies plus tôt, ce mouvement est un mouvement bourgeois, dirigé par la frange la plus libérale voire démocratique (liée à la franc-maçonnerie*) de la bourgeoisie créole (blancs nés sur place) et métisse, qui dénonce la tyrannie de l'administration coloniale (de type militaire) et la toute-puissance de l'Église. Elle va s'appuyer, pour son combat, sur les masses du peuple réduites à l'état de serfs.

    La guerre d'indépendance ou "révolution philippine" va commencer en 1895, en même temps que la deuxième guerre d'indépendance de Cuba. Elle est menée par le mouvement Katipunan d'Andrès Bonifacio et Emilio Aguinaldo.

    Mais, pour son plus grand malheur, le mouvement de libération philippin va rencontrer les intérêts d'un jeune impérialisme naissant : l'impérialisme US.

    Prenant prétexte, déjà, de la "libération des peuples" et de la "démocratie" (grosse campagne de presse sur les atrocités espagnoles), et de l'explosion d'un navire américain à La Havanne, va éclater la guerre hispano-américaine.

    En quelques semaines, la flotte et l'armée coloniale de la vieille Espagne arriérée vont être balayées par les forces des États-Unis, qui ont achevé leur conquête de l'Ouest et, avec leurs 75 millions d'habitants, se posent déjà en puissance mondiale, derrière l'Angleterre, la France et l'Allemagne.

    L'Espagne cède aux États-Unis les Philippines (pour 20 millions de dollars), Cuba, Porto Rico et quelques îles du Pacifique comme Guam.

    Si Cuba, après quelques années d'occupation, se voit accorder en 1902 une indépendance de pure forme (amendement Platt), Porto Rico et les Philippines passent sous administration directe des États-Unis.

    C'est en réalité une nouvelle domination qui commence, pire encore que la précédente : la domination impérialiste moderne US, succédant au vieux colonialisme espagnol.

    Forcée d'abandonner ses domaines, l'Eglise les vend à une poignée des riches propriétaires créoles et métis : les ilustrados. Avec la frange la plus conservatrice de la bourgeoisie créole, jalouse de ses privilèges, ils vont former la classe compradore, socle de la domination US. Ils le sont, pour la plupart, toujours aujourd'hui.

    800px-Battle of PaceoLa bourgeoisie nationaliste libérale, s'estimant trahie, ne va pas l'entendre de cette oreille. Dès le début 1899, Aguinaldo proclame la Première République philippine qui va  déclarer la guerre aux États-Unis. Les masses populaires, qui ont lutté pour leur libération de l'Espagne, forment là encore le gros des troupes et commencent une guerre de guérilla.

    La "pacification" américaine sera terrible : 10.000 à 20.000 combattants et au moins 200.000 civils philippins seront tués (certaines estimations vont jusqu'à 1 million, avec la faim et les épidémies). Avec la "pacification" allemande de la Namibie, la guerre des Philippines constitue sans aucun doute l'un des tous premiers crimes de masse du sombre 20e siècle.

    Les atrocités US sont innombrables. En novembre 1901, le correspondant à Manille du Philadelphia Ledger rapporte : "la présente guerre n'est pas sans effusion de sang, un engagement d'opéra bouffe ; nos hommes ont été implacables, ils ont tué pour exterminer des hommes, des femmes, des enfants, des prisonniers et des captifs, des insurgés actifs et des gens soupçonné y compris des enfants de dix ans, l'idée prévalant que les Philippins comme tels n'étaient guère meilleurs qu'un chien....".

    Massacres de prisonniers et de civils, tortures, incendies de villages, et même les premiers camps de concentrations qui voient le jour sur l'île de Marinduque : le siècle de l'impérialisme commençait à l'image qui sera la sienne.

    D'ailleurs, c'est à cette occasion que le terme d'impérialisme lui-même fait son apparition : autour d'intellectuels démocratiques comme Mark Twain, se crée la Ligue Anti-impérialiste pour dénoncer la politique d'annexion américaine. Mais c'est encore, à ce stade, une notion idéaliste : il faudra attendre Lénine pour lui donner un contenu scientifique.
     
    PhillipinesLa population philippine était de 9 millions en 1898, dix ans plus tard elle était tombée à 8 millions.

    Défaite après défaite, les chefs de l'insurrection (dont Aguinaldo) se rendent les uns après les autres à partir de 1901. La guerre américano-philippine prend officiellement fin avec l'Acte Organique de juillet 1902.

    Il est à noter que, parallèlement, éclate une rébellion des populations musulmanes du Sud ("Moros"), l'ancien sultanat de Sulu, qui se poursuivra jusqu'en 1913. C'est important, car depuis 1972 ces populations sont à nouveau en lutte contre le pouvoir central, avec le Front de Libération Nationale Moro puis, après sa trahison, avec le Front Islamique de Libération et Abu Sayyaf.

    Vis-à-vis de ce mouvement, la guérilla maoïste a su faire preuve de marxisme-léninisme élémentaire, en soutenant le droit à la lutte et à l'autodétermination des Moros, qui formaient une nation avant même que l'arrivée des Espagnols n'en crée une dans le reste des Philippines... Les deux guérillas entretiennent de bonnes relations, et se rendent parfois des services.

    Les décennies s'écoulent, donc, sous l'administration américaine et la loi des grands propriétaires. Des institutions (parlement, gouvernement) s'organisent et en 1935 est accordée une autonomie sous forme de commonwealth (président Quezon), qui doit conduire à l'indépendance en 10 ans.

    Entre temps, en 1930, a vu le jour le premier Parti Communiste des Philippines, appelé aujourd'hui PKP-1930 ou simplement PKP (Partido Komunista ng Pilipinas) pour le distinguer de l'actuel (CPP).

    En décembre 1941, au lendemain de Pearl Harbor, les Japonais lancent l'invasion de l'archipel. Celle-ci s'achève en mai 1942, les troupes commandées par Wainwright et MacArthur évacuent ou sont faites prisonnières.

    Avec des nationalistes bourgeois comme José P. Laurel, les Japonais mettent en place un gouvernement collaborationniste intégré à leur "sphère de co-prospérité" impérialiste.

    Indépendamment de la guérilla orchestrée par des militaires américains restés dans les îles, le Parti communiste mène sa propre guérilla de résistance à l'occupant : les Hukbalahap ou "Huks" (Hukbo ng Bayan Laban sa Hapon, Armée populaire antijaponaise).

    Comme lors de l'annexion américaine, les Japonais et leurs collaborateurs multiplient les atrocités contre la population et les prisonniers (américains et philippins).

    Finalement, fidèle à la parole de MacArthur ("I'll be back"), l'impérialisme américain reprend le contrôle des Philippines entre octobre 1944 et mars 1945. Avant de quitter Manille, l'armée japonaise massacre 100.000 civils [NDLR - selon d'autres sources, ce bilan serait en réalité surtout le fait de l'offensive américaine (bombardements-massacres du même type que sur l'Allemagne ou le Japon) et le nombre de victimes pourrait être bien plus élevé encore, de l'ordre de 200.000 ou plus : http://www.rappler.com/newsbreak/iq/82850-americans-destroyed-manila-1945]. 


    Victimes du massacre japonais de Manille

    L'"indépendance" est finalement accordée à l'archipel en 1946 sous la présidence de Manuel Roxas. Mais les Huks ne baissent pas les armes et, devenus Armée populaire de libération (Hukbo ng Magapalaya ng Bayan), poursuivent le combat contre le nouveau pouvoir fantoche et ses maîtres impérialistes US.

    La "guerre des Huks", sous la conduite du Parti communiste dirigé par José Lava, se poursuit jusqu'en 1954 dans le centre de l'île de Luzon. Elle revêt une importance capitale pour les Américains, après que les communistes aient pris le pouvoir en Chine, en Corée du Nord et bientôt au Vietnam. Les Philippines deviennent leur place forte en Extrême-Orient, d'où ils lanceront leurs opérations de Corée (1950-53) et du Vietnam (1961-75).

    Malgré une lutte héroïque appuyée sur les masses paysannes misérables, le soutien militaire américain aux gouvernements de Roxas, puis Quirino et Magsaysay permet de réduire et d'isoler la guérilla Huk. Le bilan n'est pas connu précisément, mais se chiffre sans doute en dizaines de milliers de combattants et de civils.

    Les raisons de la défaite des Huks sont multiples. La direction du PC actuel parle d'erreurs militaristes, d'isolement de la guérilla dans des zones reculées et peu peuplées, donc de coupure avec les masses (un peu l'erreur des FARC aujourd'hui en Colombie). Peut-être n'ont-ils pas assez "compté sur leurs propres forces" comme l'enseigne Mao, comptant sur un "salut" venu d'ailleurs, d'une "rupture du front" en Corée ou en Indochine, d'un soulèvement urbain...

    En tout cas, après cette défaite, le PC sombre dans le révisionnisme, qui depuis Moscou triomphe partout dans le monde, choisissant la lutte légale et parlementaire.

    Combattants "Huks"

    À partir de la rupture sino-soviétique, la lutte de lignes va se développer dans le Parti contre les tenants du révisionnisme. Elle va aboutir finalement, fin 1968, à la création d'un nouveau Parti Communiste des Philippines sur les bases théoriques de Mao Zedong et de l'expérience révolutionnaire chinoise : le marxisme-léninisme-maoïsme.
     
    Avec la Nouvelle Armée du Peuple (NPA) formée en mars 1969, et au sein du Front National Démocratique (NDF), il va relancer la guerre révolutionnaire du peuple pour la révolution national-démocratique, ininterrompue vers le socialisme, avec comme première étape l'indépendance totale de l'archipel, confisquée en 1898.


    La Guerre populaire du PC des Philippines et de la NPA est donc le produit direct de la Grande Révolution Culturelle chinoise, ainsi que de l'héroïque guerre du peuple vietnamien, et de toute l'expérience synthétisée de la première vague révolutionnaire mondiale. Elle est également l'héritière des luttes qui l'ont précédée, avec leurs échecs qui sont autant de victoires relatives, par leurs enseignements. Elle applique la ligne de masse, "servir le peuple", "être dans le peuple comme un poisson dans l'eau", et la stratégie de la guerre révolutionnaire prolongée : la victoire est au bout du fusil.

    Elle affrontera la dictature fasciste compradore de Ferdinand Marcos, véritable proconsul US (1965-1986). Un soulèvement populaire le renverse en 1986, mais ses successeurs (Cory Aquino et Fidel Ramos) vaudront à peine mieux. Avec Joseph Estrada et l'actuelle présidente Gloria Macapagal-Arroyo, la terreur réactionnaire et la corruption règnent à nouveau en maîtres.

    La NPA aura le soutien de la Chine populaire à ses débuts, mais dès 1975 la diplomatie chinoise tombée aux mains de Deng Xiaoping entame un rapprochement avec le régime, qui se confirmera dans les années suivantes. Quant à l'URSS, elle ne l'a évidemment jamais soutenue, affirmant encore en 1986 "se satisfaire d'une réélection de Marcos".

    Dans les années 1960, avec la mainmise économique et la présence militaire (riche source de devises) américaines, les Philippines étaient le pays le plus avancé d'Asie après le Japon (avec les pires inégalités bien sûr). Mais aujourd'hui, leur caractère féodal et leurs gouvernements corrompus en ont fait le plus sous-développé d'Extrême-Orient.

    Comme la plupart des pays des Trois Continents (Afrique, Asie, Amérique latine), les Philippines ont tendance à devenir une usine et une ferme industrielle du monde, avec une main d'oeuvre au coût dérisoire, de l'ordre de quelques dollars par jour...


    Bidonville à Manille


    La lutte se poursuit et progresse, conjointement à celle des musulmans du Sud pour l'autodétermination, qui a repris en 1972, pour la libération totale des Philippines. Déterminée et inébranlable comme depuis 110 ans.

    Depuis 2001, prétextant des liens entre ces mouvements et Al-Qaida, l'impérialisme US a renforcé sa présence militaire aux Philippines au nom de la "guerre contre le terrorisme". Il est avéré que des troupes US participent activement à la guerre contre-révolutionnaire et aux exactions fascistes contre la population.
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    Bien entendu, la NPA est classée sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis et l'Union Européenne, les plus grands terroristes internationaux des 60 dernières années.

    Depuis leur création, le PC des Philippines et le Front National Démocratique sont dirigés par le Pr. José Maria Sison. Après avoir passé 9 ans dans les prisons fascistes de Marcos, il a été libéré à la chute de celui-ci et s'est exilé aux Pays-Bas, où il a demandé l'asile politique. La procédure, on peut s'en douter, traîne en longueur.

    jose maria sisonEn 2002, il est placé par le gouvernement néerlandais sur la liste des individus liés au terrorisme, ses comptes bancaires bloqués, privé de tous revenus et aide sociale, et il manque d'être expulsé en 2004. Mais c'est impossible d'après la législation européenne, les Philippines appliquant la peine de mort.

    En 2007, il est arrêté et incarcéré aux Pays-Bas, accusé d'avoir commandité trois assassinats politiques. Face à la mobilisation internationale en sa faveur, il est libéré le mois suivant. Les poursuites restent maintenues.

    Néanmoins, le 30 septembre dernier, le Tribunal de Première Instance de l'Union Européenne a ordonné son retrait de la liste des terroristes, le déblocage de ses comptes et le rétablissement de tous ses droits.


    LONGUE VIE A LA GUERRE DU PEUPLE PHILIPPIN !

    POUR LA LIBÉRATION TOTALE ET LA RÉVOLUTION DÉMOCRATIQUE, ININTERROMPUE VERS LE SOCIALISME !!!

     

     

    [* D’où le triangle caractéristique sur le drapeau des Philippines, comme sur celui de Cuba ou de Puerto Rico, qui luttèrent pour leur indépendance (également confisquée par l’impérialisme US) à la même époque. Celui-ci est d’ailleurs repris sur le drapeau du Front national démocratique (NDF) dirigé par le CPP.]
     


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  • (rédigé en novembre 2009)

    Depuis mars 2007, les accords de paix de Ouagadougou (Burkina) ont ramené le calme en Côte d'ivoire, sous un gouvernement d'union nationale.

    La "crise" (pour ne pas parler de guerre civile) a commencé le 19 septembre 2002, par une rébellion militaire dans le Nord du pays (venue du Burkina voisin) ainsi qu'à Abidjan, la capitale économique (où elle échouera), contre le président "mal élu" Laurent Gbagbo.

    Il est curieusement impossible, sur Internet, de trouver un bilan réel des affrontements et des exactions commises de part et d'autre. Mais le bilan se chiffre probablement en dizaines de milliers de morts.

    Nous sommes parfois accusés, pas spécifiquement SLP, mais les "anti-impérialistes" en général, de ne voir que l'impérialisme américain, et de servir au fond les autres impérialismes et en particulier l'impérialisme français.

    Il est donc important de souligner que, bien avant l'existence de ce blog, nous avons été parmi les rares à l'époque (2002-2005) à ne pas céder à la sympathie (naturelle, il est vrai) pour les "rebelles", "musulmans" de surcroît (les choses ne sont en réalité pas si simple, nous y reviendrons), et à dénoncer là une nouvelle guerre françafricaine.


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    Rappelons brièvement les faits : Laurent Gbagbo a été élu président de Côte d'Ivoire en octobre 2000, dans des circonstances troublées.

    En réalité, c'est toute la situation du pays qui était troublée depuis le coup d'État de Noël 1999, et même depuis la fin des années 1980, quand la chute des cours du cacao a plongé la "perle de l'Afrique" dans la crise économique, suivie d'une "libéralisation" du régime au début des années 1990, sur ordre de Mitterrand.

    Le 25 décembre 1999, donc, un putsch militaire mené par le général Gueï renverse le président, corrompu et haï, Henri Konan Bédié, successeur du "père de l'indépendance" (laquais néo-colonial en chef) Houphouët Boigny.

    Rarement depuis l'"indépendance", en 1960, on aura vu de fin d'année plus festive, et un vrai "vent de changement" souffle alors sur le pays.

    Une fois n'est pas coutume, la promesse de tenir rapidement des élections est tenue. Mais bien sûr, le général Gueï va s'y présenter, et en refuser le résultat. Trois hommes sont principalement en lice : le général, et deux opposants de longue date au pouvoir précédent, Laurent Gbagbo ("socialiste") et Alassane Ouattara (libéral). Mais ce dernier va être exclu de la compétition électorale, au nom du concept de l'"ivoirité", développé sous Konan Bédié pour - déjà - lui barrer la route.

    Le pays compte en effet 25% d'étrangers des pays voisins, qui se sont mêlés à la population et en particulier aux populations du Nord, elles-mêmes musulmanes. Il s'est donc développé, dans les années 90, un concept xénophobe exigeant que l'on puisse prouver son ascendance ivoirienne ("pays" qui n'existe, en tant que tel, que depuis 1960 !) pour pouvoir jouir de la citoyenneté... et notamment se présenter aux élections. Ouattara est dans ce cas. Ces conditions de nationalité sont reprises dans la nouvelle constitution adoptée en juillet 2000. 

    En réalité, le coup d'État de Noël 1999, totalement avalisé par Paris (d'un commun accord Elysée (droite) / Matignon (PS)), contre un Bédié devenu un boulet, était un coup d'État Gueï-OUATTARA... Ce dernier rentre en Côte d'Ivoire (il vivait à Paris), parle de "révolution des œillets" et son parti, le RDR (appellation quasi calquée sur le RPR français...) occupe la majorité des fauteuils du "gouvernement provisoire" de Gueï, au point que le FPI (Front populaire ivoirien) de Laurent Gbagbo refuse initialement d'y participer. Mais, au fil des mois, les ambitions personnelles de Gueï le poussent à réactiver l'"ivoirité" et à marginaliser Ouattara et le RDR. Il a peut-être été poussé, dans ce sens, par des réseaux françafricains gaullistes particulièrement "franco-français", Ouattara passant pour l'homme du "mondialisme", du FMI, des Anglo-saxons etc. Gueï fut notamment, en 1989, le coordonnateur de l'invasion, depuis la Côte d'Ivoire, du Libéria par les troupes sanguinaires de Charles Taylor ; invasion 100% françafricaine contre un régime (Samuel Doe) originellement lié aux USA.

    Bien sûr, Konan Bédié est également exclu des élections : on ne l'a pas retiré du pouvoir à Noël pour l'y remettre en octobre...

    Mais voilà : les masses ivoiriennes se divisent, globalement, en 2 grands blocs ; un Nord paysan arriéré (avec ses migrants au Sud) plutôt pro-Ouattara et un Sud ouvrier (urbains et agricoles) plutôt pro-Gbagbo, l'opposant "mythique" au régime de Houphouët.

    Ouattara exclu, tout comme l'ex-président Konan Bédié, ne restent que Gueï et Gbagbo. Il fallait alors s'attendre à une abstention massive, dans le Nord "dioula" favorable à Ouattara comme dans le Centre baoulé pro-Bédié ; ouvrant la voie à Gbagbo, fort de ses bases populaires dans la région d'Abidjan, le Sud-Ouest krou (il est lui-même Bété, une ethnie krou) et le Sud-Est akan de son épouse Simone, ainsi que de puissants relais dans la "gauche" bourgeoise alors à Matignon. Gueï, lui, n'ayant de réel appui que dans sa région de l'Ouest.

    C'est effectivement ce qui va se passer : Gbagbo va remporter l'élection avec 59% des voix, contre 32% à Gueï, mais seulement 37% de participation... Le "coup d'État" de Gbagbo, il est là : c'est tout simplement une conséquence du coup de force de Gueï, qui s'est tiré une balle dans le pied.

    Gueï refuse alors de reconnaître les résultats et se proclame vainqueur. Mais un vaste mouvement populaire, des partisans de Gbagbo comme de Ouattara, le fait reculer et il doit se retirer.

    Ce mouvement de masse dégénère, ensuite, en affrontements entre partisans de Gbagbo et de Ouattara. Le 26 octobre, 56 corps (probablement des partisans de Ouattara) sont retrouvés dans un terrain vague. Ont-ils été tués par des partisans de Gbagbo, ou de Gueï ? On ne le saura probablement jamais.

    Gbagbo a-t-il repris à son compte le sinistre concept d'ivoirité, qu'il a pourtant combattu comme opposant à Konan Bédié ? Ce qui est sûr, c'est que ce concept l'a grandement servi.

    Gbagbo est le leader du Front Populaire Ivoirien, "social-démocrate" (cette notion ne peut avoir aucun sens dans une néo-colonie). Il est, donc, naturellement lié aux réseaux françafricains du PS (en France, les réseaux françafricains sont étroitement liés aux partis, ou aux "clans" politiques). À l'inverse de Ouattara, qui fut Premier Ministre de Houphouët, zélé applicateur des mesures du FMI et dont le parti, le RDR, est réputé proche de la droite française et de Jacques Chirac. 

    En 2001, Gbagbo rend visite à ses amis du gouvernement PS à Paris : tout le monde pense alors que Lionel Jospin sera le prochain président de la République bleu-blanc-rouge... Dans la foulée, il organise avec les principales forces politiques ivoiriennes (FPI, RDR de Ouattara, PDCI de Bédié, UDCI de Gueï) un "Forum de réconciliation nationale" où toutes les parties font leur mea culpa pour leurs coups tordus, et promettent qu'on ne les y reprendra plus. Une des principales décisions du forum est de rendre son éligibilité à Alassane Ouattara, considérant que "la fracture politique et sociale dont souffre aujourd’hui la Côte d’Ivoire trouve fondamentalement sa cause dans les controverses sur la nationalité d’Alassane Ouattara [et] que la persistance de cette fracture est de nature à compromettre l’unité nationale, le développement économique et social, et l’avenir de la nation".

    Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes...

    Mais, un certain 21 avril 2002, les "réseaux" de Gbagbo à Paris vont subitement s'envoler... Le PS perd le pouvoir. Et Chirac est proche du désormais opposant juré, Ouattara !

    C'est là que tout va se jouer. Il n'y a pas d'éléments précis, mais il semble que Gbagbo, confronté à un adversaire politique à Paris et souhaitant réaliser des réformes (couverture maladie etc.), va se tourner vers les rivaux impérialistes de la France : les USA, à qui la France dispute pied à pied le continent depuis le début des années 90, et la Chine, qui commence à prendre pied en Afrique.

    Il rompt, pour les marchés publics, avec la tradition de "gré à gré", en faveur des grandes entreprises françaises, et commence à lancer des appels d'offres internationaux. Une affaire de retrait, au géant français Bolloré, de la concession du port d'Abidjan aurait été le déclencheur. On parle aussi d'une mise en concurrence de Bouygues avec des compagnies américaines et chinoises pour divers grands travaux, comme le 3e pont d'Abidjan ou l'aéroport. Les monopoles français perdent pied dans leur tête de pont africaine...

    C'est alors qu'éclate une rébellion militaire, le 19 septembre 2002, écrasée à Abidjan mais contrôlant rapidement la moitié Nord du pays, tandis que des groupes plus ou moins mercenaires venus du Libéria s'emparent de l'Ouest. Gueï, dont on ignore le rôle exact dans cette affaire (mais ce pourrait être un rôle... assez central, du côté de la tentative de coup de force bien sûr), est retrouvé mort à Abidjan ; tandis que les "rebelles" du Nord proclament leur attachement à Alassane Ouattara. Rapidement, 60% du pays est sous contrôle de la "rébellion".

    Immédiatement, la machine de propagande se met en place : les rebelles ne sont pas de doux agneaux, certes, mais Gbagbo l'aurait bien cherché, il s'est emparé du concept néfaste d'ivoirité, ses partisans sont des génocidaires rwandais en puissance, la rébellion représente et défend les populations musulmanes du Nord menacées d'un massacre...

    Seulement voilà... Wikipédia est normalement une arme de désinformation massive, un espace où chacun peut "librement" recracher toute la propagande médiatique dûment ingurgitée. Cependant, l'article consacré à la "crise politico-militaire" est (volontairement ou involontairement ?) édifiant sur certains passages :

    "Durant les jours qui suivent et jusqu'au mois de novembre, de nombreux syndicalistes, étudiants, opposants politiques du RDR ou des partis proches du RDR, soupçonnés d'être à l'origine de la rébellion, ou militants d'organisations communistes sont exécutés par les forces de l'ordre ou par des miliciens. Trois cent personnes au total ont ainsi été assassinées à l'automne 2002 (par l'armée et les partisans de Gbagbo NDLR). Des centaines d'étrangers ou de personnes suspectes sont également massacrées par les FANCI ou les mercenaires libériens. Des massacres similaires ont lieu dans la zone rebelle, entraînant la fuite vers le Sud d'un million d'Ivoiriens alors appelés déplacés."

    Donc, les "gentils" rebelles, censés défendre les populations musulmanes ultra-majoritaires dans la moitié nord qu'ils contrôlent, on provoqué l'exode de plus d'un million de ces personnes ! Rappelons que la Côte d'Ivoire comptait alors 17 ou 18 millions d'habitants, donc maximum 8 ou 9 millions en territoire rebelle....

    Mieux : "Selon le rapport Leliel :

    • le pouvoir ivoirien et la rébellion se sont rendus coupables des pires atteintes aux droits de l’homme » ;
    • le gouvernement de Laurent Gbagbo s’illustre par des assassinats ciblés de personnes enlevées le plus souvent à leurs domiciles à Abidjan, par les "escadrons de la mort" et des milices "à sa solde" ;
    • la rébellion en revanche s’illustre par des tueries en masse ."


    Ou encore : "L'Ouest de la Côte d'Ivoire est envahi début décembre 2002 à partir du Libéria par deux nouveaux mouvements rebelles qui exterminent plusieurs milliers d'Ivoiriens. Ces nouveaux rebelles sont constitués principalement de troupes libériennes commandées par le rebelle sierraléonais Sam Bockarie (il est notoire que les rebelles sierra-léonais étaient soutenus par la France via la Libye NDLR) mais également par des éléments de la rébellion du MPCI (Kass, Adam's) et des militaires partisans de Gueï."

    Il semble donc que les "Rwandais" soient plutôt à chercher du côté des "gentils" rebelles, sans chercher aucunement à défendre le concept ignoble d'ivoirité, les "escadrons de la mort" xénophobes ni même le bourgeois compradore "de gauche" Laurent Gbagbo....

    La France est liée à la Côte d'Ivoire par un accord de défense. Pourtant, alors que ce genre d'accord joue à plein, aujourd'hui même, au Tchad ou dans d'autres pays, elle va cette fois-ci invoquer une "affaire intérieure", se contenter d'abord de sécuriser ses (très nombreux) ressortissants, puis seulement au bout de plusieurs semaines stopper l'avance rebelle qui contrôle déjà près de 60% du pays, et établir une ligne de cessez-le-feu.

    Les rebelles, qui n'ont jamais été plus de 10.000, auraient pu être balayés en quelques heures par un simple bataillon d'infanterie de marine et quelques Mirages ! Comme cela a été le cas, il y a peu, au Tchad ou en Centrafrique.

    De même, les troupes françaises stationnées à Abidjan n'ont pas bougé lors du soulèvement militaire dans la ville.

    C'est absolument transparent : la France de Chirac n'a jamais eu l'intention d'arrêter la rébellion... puisqu'elle l'a elle-même fomentée !!!

    La rébellion a été organisée, principalement, par des militaires partisans de Ouattara, exilés au Burkina Faso après des putschs manqués contre le général Gueï, rejoints après octobre 2000 par des partisans... de Gueï, et des dissidents du FPI de Gbagbo.

    Et elle s'est organisée au Burkina sous l'égide de l'inénarrable Compaoré, président du pays et assassin (commandité par la France du PM Chirac, dont il est un grand ami) de Thomas Sankara en 1987 !!! 

    Dès les premiers affrontements, Ouattara, quant à lui, se disant "menacé" (Gueï a été tué, rappelons-le), a trouvé refuge... à l'ambassade de France, d'où il gagne Paris.

    Quand aux mouvements armés qui surgissent dans l'Ouest (les plus meurtriers de tous), ils sont composés comme on l'a dit de mercenaires libériens et sierra-léonais appartenant aux "réseaux Charles Taylor", le despote libérien lié (via la Libye) à la Françafrique pour s'emparer de ces pays anglophones d'Afrique de l'Ouest. Taylor est, en outre, réputé comme un proche ami de Robert Gueï, qui aurait "supervisé" son invasion du Libéria, en 1989, depuis le territoire ivoirien.

    [On parle parfois de "consortium de Ouaga" pour la triade criminelle Compaoré-Kadhafi-Taylor, liée aux réseaux françafricains gaullistes (Foccart-Chirac), scellée dans le sang du capitaine Sankara en 1987 et responsable des guerres meurtrières du Libéria et de Sierra Leone - 200.000 morts].

    Voyons cette photo de l'article Wikipédia :

    Le général Bakayoko, Chef d'État-Major des Force nouvelles de Côte d'Ivoire (rebelles), passe en revue ses troupes à Odienné. On constate l'organisation, et l'équipement flambant neuf des "forces nouvelles" rebelles, qui tranche avec les habituels soudards dépenaillés des guerres africaines (comme au Libéria ou en Sierra Leone). Il y a forcément de gros sous derrière, et ce n'est pas le petit et misérable Burkina qui pourrait assurer une telle chose. Et comment pourrait-on croire une seconde que Blaise Compaoré, le "sous-préfet" néo-colonial de Ouagadougou, aurait pu organiser une rébellion dans un pays voisin sans l'aval de Paris ?

    Quant à la question "ethnique", elle ne tient pas non plus franchement la route : le chef des forces rebelles, Guillaume Soro, est chrétien ; le Premier Ministre de Gbagbo, Mamadou Koulibaly, est musulman.

    Après avoir stoppé, pour la pure forme, l'avancée des rebelles sur Abidjan, l'objectif de la France va être d'amener les "parties" autour d'une table et de forcer Gbagbo à partager le pouvoir avec ses adversaires : autrement dit, d'abdiquer ses pouvoirs (et tout ses projets déplaisants pour Paris), pour devenir une "reine d'Angleterre".

    Nous l'avons dit, ce scénario rappelle furieusement celui du putsch au Honduras, dans un autre "pré carré" - américain celui-là.

    Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu.

    Gbagbo sait qu'il jouit d'une solide base populaire, hostile aux rebelles et à Ouattara (qui appliqua de très dures mesures d'austérité, comme Premier Ministre, pendant la crise du cacao), et surtout du soutien de la communauté internationale qui le considère comme le dirigeant légitime, en particulier les États-Unis. Les relations de Washington avec Paris sont exécrables suite à l'affaire irakienne : la ligne US est de "pardonner la Russie, ignorer l'Allemagne et punir la France".

    Il dénonce aussitôt les "accords" qui lui ont été imposés à Marcoussis, le 26 janvier 2003. Des manifestations anti-françaises éclatent à Abidjan en février, et en quelques mois le gouvernement de "réconciliation nationale" se délite, quitté par le PDCI de Konan Bédié, puis par les rebelles de Guillaume Soro, tandis que manifestations et affrontements secouent la capitale.

    Dans la limite de ce qui peut être permis à un chef d'État néo-colonial, Gbagbo fait de la résistance, contre ce qu'il estime (à juste titre) être une amputation de sa victoire électorale, acquise après 20 ans d'opposition, de séjours dans les prisons d'Houphouët etc. La France cherche à internationaliser l'affaire, l'ONU et la CEDEAO (Communauté des États d'Afrique de l'Ouest) sont chargés du dossier mais les négociations à Accra (Ghana) traînent en longueur.

    Fin 2004, la tension remonte et le gouvernement Gbagbo lance une offensive "finale" contre la rébellion... et les forces françaises (force Licorne). Le bombardement, le 6 novembre, par la (petite) aviation ivoirienne, du QG français à Bouaké (zone tampon entre les rebelles et la zone gouvernementale), avec 9 militaires tués, est le plus grave revers  militaire subi par l'armée impérialiste bleu-blanc-rouge depuis l'attentat du Drakkar à Beyrouth (en 1983, 58 morts) et avant l'embuscade d'Uzbin en Afghanistan en 2008.

    Bien sûr, la riposte va être sévère : le jour même, l'aviation française réduit à néant l'aviation ivoirienne. Des affrontements opposent, à l'aéroport d'Abidjan, les troupes françaises et les soldats ivoiriens.

    Surtout, une foule de nationalistes, emmenés par les Jeunes Patriotes partisans de Gbagbo, assaillent le "Bima", le QG de l'infanterie de marine à Abidjan, ainsi que l'Hôtel Ivoire où sont stationnées des troupes françaises arrivées d'urgence du centre du pays. L'armée française riposte à tirs tendus : on relève 67 morts et plus de 2000 blessés, au cours de ces journées noires du 6 au 9 novembre.

    Côte d'Ivoire : une guerre françafricaine Les intérêts français (l'économie ivoirienne est littéralement tenue par des entrepreneurs expatriés français, ainsi que des Libanais et des Marocains) sont également pris d'assaut, des centaines de Français se réfugient sur les toits des immeubles et sont évacués par les hélicoptères de la force Licorne.

    Les jours suivants, ce sont 8000 "expats" qui quittent définitivement la Côte d'Ivoire. Les mesures prises pour les rapatriés d'Algérie, en 1962, sont remises en vigueur.

    Pour autant, la France ne peut pas se débarrasser militairement de Gbagbo, comme elle l'a fait de Bokassa (opération Barracuda en 1979). Il a beaucoup trop de soutiens populaires et internationaux, à commencer par les États-Unis. Non seulement les "patriotes" ivoiriens, mais les peuples et même (à mots couverts) certains dirigeants d'États du continent le voient comme un héros qui a défié la puissance impérialiste bleu-blanc-rouge.

    Elle ne peut pas non plus le laisser tomber comme le tchadien Hissène Habré ou le centrafricain Patassé, se retirer en ouvrant la route de la capitale aux rebelles : la bataille d'Abidjan serait un terrible carnage, le "nouveau Rwanda" tant redouté. Et les médias mondiaux ont le regard braqué sur le petit pays.

    Alors, elle va jouer le pourrissement. Le départ des entrepreneurs français et libanais a de graves conséquences économiques. Et à partir de 2005, s'amorce un rapprochement franco-américain, sur des dossiers comme l'Iran ou le Soudan, derrière lesquels se profile un nouveau bloc Russie-Chine, une "nouvelle guerre froide".

    L'Union Africaine entre en lice avec le président sud-africain Mbeki, véritable Monsieur Bons Offices de tous les conflits du continent depuis 1999. Gbagbo autorise la modification constitutionnelle sur l'ivoirité (il faut désormais être ivoirien de père OU de mère, et plus des deux).

    En 2005, un mouvement nationaliste (le MILOCI - Mouvement ivoirien de libération de l'Ouest de la Côte d'Ivoire - du "pasteur Gammi") surgit dans l'Ouest du pays, attaquant les Forces Nouvelles rebelles et promettant "un nouveau Dien Bien Phu aux Français". La France envoie des renforts et (bien sûr) le Dien Bien Phu promis fait long feu.

    C'est dans ce contexte qu'a lieu l'affaire Mahé. Cet ivoirien, soi-disant "coupeur de route" (bandit de grand chemin) a été exécuté par les militaires français. En réalité, il aurait été éliminé en raison de son engagement nationaliste et contre la rébellion. Dans un souci d'apaisement, des militaires français, dont un général, seront inculpés pour homicide volontaire.

    Les pourparlers reprennent en 2006, et aboutissent en mars 2007 aux accords de Ouagadougou, les émissaires ivoiriens ayant refusé les "représentants de la France" (comme si Compaoré n'en était pas un !).

    Le chef rebelle Guillaume Soro est nommé à la tête d'un gouvernement "de transition", en attendant des élections (qui doivent toujours se tenir).
    La force Licorne se retire progressivement.

    La "fronde" de Gbagbo et des "Patriotes" a vite rencontré ses inévitables limites. L'exode des expatriés français a mis l'économie à genoux et l'a forcé à négocier, faute d'avoir un semblant d'embryon de projet révolutionnaire, national-démocratique, appuyé sur les masses.

    Cet accord s'inscrit dans une politique globale, franco-américaine, de règlement des conflits africains dans lesquels les deux puissances impérialistes sont impliquées depuis le début des années 90.
    Fin 2008, après le baroud d'honneur de Laurent Nkunda en République Démocratique du Congo (arrêté en janvier 2009), un accord congolais-rwandais (la France et les USA en arrière plan) met fin à 12 ans de guerre dans la région des Grands Lacs (5 millions de morts).

    Telle est, selon nous, l'analyse correcte de la situation concrète, dans ces 4 ans et demi de conflit qui ont ravagé l'ancien "modèle de stabilité" de l'Afrique de l'Ouest.

    D'analyse communiste "de l'intérieur", nous n'avons trouvé que celle du PCR de Côte d'Ivoire. Bien que n'étant pas nous-mêmes en Côte d'Ivoire, elle nous semble erronée.

    Le problème n'est pas que les attaques se concentrent contre le FPI "social-chauvin" de Gbagbo et les "patriotes" xénophobes, pour lesquels nous n'avons évidemment aucune sympathie et que nous ne soutenons pas. Il est évident que, basés pour l'essentiel autour d'Abidjan, les communistes ivoiriens ont été principalement victimes des exactions "patriotes", puisque les rebelles ne contrôlaient pas cette région. Le problème vient de leur analyse de la situation, produit de leur idéologie. Le PCRCI est marxiste-léniniste "pro-albanais" : les ML qui ont rejeté les théories de Mao.

    Pour eux, tous les pays du monde sont capitalistes et la contradiction principale y est, au fond, entre les masses et la bourgeoisie. Une phrase est révélatrice : "De ce fait, le pouvoir FPI, social chauvin ne lutte pas en réalité contre l'impérialisme. Il tente, grâce à cette mobilisation des masses, d'obtenir un soutien français plus ferme dans son combat contre les autres fractions bourgeoises"... ce qui est tout simplement ahurissant ! Comme si un chef d'État africain pouvait "faire pression", pour obtenir "plus de soutien", sur une puissance impérialiste mondiale en bombardant ses soldats !!!!

    La question principale serait l'affrontement entre "fractions bourgeoises", dans lequel l'impérialisme n'aurait qu'une "influence", ne serait qu'une "tierce partie"...

    Au contraire, ce que nous enseigne Mao Zedong, c'est que les pays des Trois Continents, d'Afrique par exemple, sont semi-coloniaux (et semi-féodaux). Les "indépendances" sont factices, les gouvernements sont des hommes de paille, des sous-préfets des Empires néo-coloniaux ! Il n'y aucune différence entre la Nouvelle-Calédonie (juridiquement française) et la Côte d'Ivoire (juridiquement indépendante).

    Les "fractions bourgeoise" n'ont aucune autonomie vis à vis des impérialismes, bien loin de faire "pression" sur ceux-ci. Et les "rébellions", sauf à assumer un programme révolutionnaire national-démocratique (il n'y en a actuellement pas, à notre connaissance, en Afrique), ne sont que des agents d'un impérialisme contre un autre ! Car aujourd'hui, les puissances mondiales, nucléaires, ne s'affrontent plus directement : les pays semi-coloniaux sont leurs nouveaux champs de bataille, les nouvelles tranchées de la guerre impérialiste.

    En l'occurence, Gbagbo, privé de ses "amis" (marionettistes) socialistes à Paris, a "tourné casaque" et pris bouche avec les Américains. La rébellion n'était que la force mercenaire de la France pour reconquérir sa néo-colonie ! Gbagbo = USA (+ peut-être Chine), Forces Nouvelles = France. Ni plus ni moins.

    De la même façon, les "pro-albanais" ont (moins que les anars ou les trotskystes, mais quand même...) un problème avec la question de la libération nationale. Ils ont un problème avec la contradiction principale et la contradiction secondaire. Pour eux, l'aspect capitaliste des néo-colonies est l'aspect principal, toujours, et ne s'affrontent que des fractions bourgeoises. L'impérialisme, le caractère dominé et dépendant de ces pays est au fond toujours secondaire...

    Voilà pourquoi l'homologue du PCRCI au Burkina (le PCR Voltaïque) a eu beaucoup de mal à soutenir le "processus révolutionnaire" sankariste. Ils ont du mal à comprendre qu'à un moment donné, une contradiction (masses travailleuses/bourgeoisie) peut passer au second plan, derrière la contradiction nation dominée/impérialisme dominant.

    En l'occurence, Gbagbo est clairement un ennemi du peuple, personne ne peut croire une seconde à sa "social-démocratie" africaine. Il s'agit tout simplement d'une modernisation de l'État instrument de l'impérialisme, au "mieux" en changeant d'impérialisme de tutelle. Ses soutiens "patriotes", qui rejettent un quart de la population comme "étrangère", ne portent clairement aucune perspective panafricaniste révolutionnaire.

    Mais à un moment donné, la contradiction avec ces bourgeois-là, et leurs soutiens US, peut passer au second plan : quand l'impérialisme français, qui écrase l'Afrique de l'Ouest depuis plus de 100 ans, soutient manifestement une "rébellion" meurtrière au service de ses intérêts, qu'il attaque les forces armées ivoiriennes, se comporte en force d'occupation et massacre le peuple !

    Le PCRCI finit par le dire, mais c'est laborieux ! En tout cas, pour nous communistes français, la défaite de notre impérialisme dans son "pré carré" est bien sûr la priorité. Mais il va de soi que sitôt cet objectif atteint, la contradiction avec les agents de l'impérialisme adverse redevient principale...

    Quelles perspectives pour les masses exploitées d'Afrique ? Nous connaissons la faiblesse des forces révolutionnaires sur ce continent. Mais il n'en existe qu'une seule : la Guerre du Peuple, la guerre révolutionnaire sur un programme anti-impérialiste et démocratique-populaire !


    Vidéo : les massacres de l'armée française devant l'hôtel Ivoire :



    Images ici : attention certaines sont insoutenables !!!

     
    Cet article étant très lu, voici un LIEN vers un dossier d'analyse, qui permet d'y voir relativement plus clair sur le rôle et les connexions des uns et des autres.
     

    licorne_hotel_ivoire.jpg

    Ou encore cet entretien avec l'excellent Grégory Protche (source incontournable sur le sujet, sachant de quoi il parle etc.), autour de son ouvrage "On a gagné les élections mais on a perdu la guerre" (sur la crise finale de 2010-2011) : gagne-elections-mais-perdu-guerre-raisons-marcher-victoire-alassane-ouattara ; des propos qui confirment peu ou prou tout ce que nous avons dit dans cet article.

    "Novembre 2010. Au terme du second tour des élections présidentielles qui opposait Laurent Gabgbo à Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire plonge dans le chaos. Avec l’aide de la France et des Nations unies, c’est finalement l’opposant au président sortant qui prend les rennes du pays. Faut-il toutefois parler d’élections ou de coup d’État ? La paix est-elle revenue en Côte d’Ivoire maintenant que le pays n’est plus dans l’œil du cyclone médiatique ? Gbagbo pourrait-il être jugé devant la CPI ? Quel rapport entre la crise ivoirienne, la guerre en Libye et la partition du Mali ? Nous avons posé ces questions à Grégory Protche, spécialiste de la Côte d’Ivoire et auteur d’un livre salutaire : « On a gagné les élections mais on a perdu la guerre ». Dans son célèbre discours à Cotonou, Sarkozy avait promis de bâtir une relation nouvelle avec l’Afrique et de ne pas collaborer avec les gouvernements corrompus. Paris tenu ?

    D’après la version officielle, Gbagbo, en bon dictateur et en mauvais perdant, a refusé de reconnaitre sa défaite aux élections. Finalement, grâce à un petit coup de pouce de la France, la démocratie a pu triompher en Côte d’Ivoire et Ouattara est devenu président. Mais vous contestez la légitimité de ces élections. Pourquoi ?

    Tout d’abord, parce que l’élection de Ouattara ne s’est pas imposée au terme d’un processus démocratique mais par la force. En Côte d’Ivoire, la crise électorale n’a pas pu être résolue par un procédé très courant et employé il y a peu en Haïti et en 2000 aux USA : le recompte des voix. Ce recompte, Laurent Gbagbo l’avait proposé à plusieurs reprises dès décembre 2010. Mais le camp Ouattara s’y est opposé à chaque fois. Et le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a eu une réaction étonnante en déclarant que recompter les voix serait une injustice. Cette rigidité de l’ONU, inqualifiable et inexplicable, est responsable en grande partie de milliers de morts.

    Vous dites aussi que ce scrutin a été forcé. Pourquoi Laurent Gbagbo ne voulait-il pas organiser les élections alors que son mandat avait officiellement pris fin en 2005 ?

    Depuis 2002, Laurent Gbagbo et l’État ivoirien ne contrôlaient plus que 40% du territoire national. Le reste du pays était aux mains d’une rébellion sponsorisée par la France et le Burkina Faso, le petit État africain servant en quelque sorte de courroie de transmission. Petit État africain qu'on retrouve, étonnamment présent, aux premières loges de la crise malienne aujourd'hui...

    Or, pour organiser les élections, il fallait que les rebelles soient désarmés. Cette condition avait été fixée dans les accords d’Accra et de Ouagadougou entre les rebelles et Laurent Gbagbo. Les soldats rebelles devaient réintégrer l’armée régulière ivoirienne ou la société civile. Ça n’a jamais été fait, en dépit des engagements pris par la France et la Nations unies.

    Cette situation a perturbé la bonne tenue des élections en 2010 ?

    En effet. Sur 60% du territoire au moins, le scrutin ne s’est pas déroulé dans des conditions normales et transparentes. On a ainsi pu voir des observateurs de l’Union européenne quitter en catastrophe des bureaux de vote dans le nord. Ils ont fui dans des avions privés alors qu’ils étaient poursuivis. La télé ivoirienne a également diffusé les images d’une femme violée dans un bureau de vote. Enfin, on a constaté d’énormes aberrations parmi les premiers répertoires électoraux qui sont sortis. A Bouaké par exemple, dans le Centre-nord du pays, on a recensé 250.000 votants alors qu’il n’y avait que 159.000 inscrits !

    Bref, il y a eu toute une série de problèmes rendus possibles par le fait que l’État ivoirien n’a jamais pu restaurer son autorité sur tout le pays. C’est la raison pour laquelle Laurent Gbagbo, dont le mandat était arrivé à terme en 2005, avait reporté l’organisation des élections depuis. Mais il était mis sous pressions par la France et une certaine communauté internationale.

    Les élections seraient-elles un objectif à atteindre, quelque soit le contexte ?

    C’est l’idée. En 1990, François Mitterrand prononçait le célèbre discours de la Baule lors de la 16ème conférence des chefs d’État d’Afrique et de France. Depuis ce discours, l’aide au développement est conditionnée à la bonne gouvernance en Afrique. Il faut donc absolument organiser des élections, même si elles doivent se résumer à un jeu de dupes. En Côte d’Ivoire particulièrement, le contexte ne se prêtait pas à une expression démocratique normale.

    Voilà pour les conditions de déroulement du scrutin. Vous contestez aussi la probabilité du résultat qui a donné Ouattara vainqueur à 54 %. Pourquoi ?

    Il y a tout d’abord un problème avec le taux de participation. Lors du premier tour, ce taux était de 83%. Le dimanche 28 novembre 2010, au soir du second tour, c’était la déception : le taux n’était plus que de 70%. Le lendemain, ce taux en baisse a été confirmé par la presse ivoirienne, toutes tendances confondues. Mais aussi par Young-jin Choi, le représentant du Secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, ainsi que par Gérard Latortue, chef de la mission d’observation de la Francophonie.

    Or, il faut comprendre que ce taux de participation en baisse ne pouvait affecter mécaniquement qu’Alassane Ouattara. En effet, le FPI de Laurent Gbagbo est un parti très organisé, qui milite depuis de nombreuses années et qui peut compter sur un électorat fidèle. Il n’y a pas eu de problèmes de reports de voix observés entre les deux tours pour le FPI. Il n’y a pas eu d’électeurs qui auraient voté Gbagbo au premier tour avant de brusquement virer pro-Ouattara lors du second.

    Quels électeurs ont manqué à l’appel du second tour alors ?

    Ce sont principalement ceux du PDCI d’Henri Konan Bédié. Bédié est arrivé troisième au premier tour. Après sa défaite, il s’est rallié à Ouattara. Mais tous ses électeurs n’ont pas suivi, ce qui explique la chute importante du taux de participation entre les deux tours.

    Or, toutes les projections allaient dans le même sens : pour gagner, Ouattara devaient bénéficier d’un report de 80% des voix du PDCI de Bédié. Si le taux de participation tombe à 70% pour le second tour, il est impossible d’atteindre ces 80% de voix reportées. C’est mathématique, la victoire de Ouattara ne colle pas.

    C’est pourtant lui le président de la Côte d’Ivoire aujourd’hui…

    Il y a eu un tour de passe-passe. Alors que tout le monde reconnaissait un taux de participation de 70% le 29 novembre 2010, on a soudainement annoncé un taux de 83% le 03 décembre ! Il y avait une différence de 439.000 voix qui permettaient de donner Ouattara vainqueur à 54%.

    D’où sortaient ces 439.000 voix ?

    Il faut comprendre qu’il y a un véritable business autour la logistique électorale en Côte d’Ivoire. Ce pays compte une population immigrée très importante. Cette particularité a donné lieu à toutes sortes de trafics sur les identités et les cartes d’électeurs durant toute la dernière décennie. Et c’est malheureusement inquantifiable. Pour les élections de 2010, on s’était entendu sur un fichier de 6 millions d’électeurs, ce qui est très peu au regard de la vingtaine de millions d’habitants.

    Il faut ensuite comprendre toutes les controverses qui ont entouré les actions de la Commission électorale indépendante (CEI) d’une part et du Conseil constitutionnel (CC) d’autre part.

    Ces deux organes avaient chacun proclamé un résultat différent, si bien que le pays s’est trouvé avec deux présidents !

    Oui. Suite aux accords d’Accra et de Ouagadougou entre le président Gbagbo et les rebelles, la CEI a été créée pour contrebalancer le pouvoir supposé du CC. En effet, le président du CC est nommé par le président de la république. On a donc considéré que le CC était pro-Gbagbo alors que vous avez la même institution avec la même configuration en France !

    Soi-disant pour rééquilibrer les rapports de force, on a donc créé la CEI composée à 80% de ouattaristes. Ce rééquilibrage a été opéré sous la houlette de la France. Il fallait impérativement procéder à l’union nationale entre Gbagbo et les rebelles. En cas de crise politique, l’union nationale est toujours prônée comme la solution politique ultime. En réalité, même si ça semble agréable à l'œil démocratique occidental, je pense que l’union nationale est un mythe. La démocratie est sanctionnée par la victoire d’un camp sur l’autre. Pourquoi faudrait-il rééquilibrer les rapports de force en faveur du perdant ? Concrètement, l’union nationale entraîne une paralysie politique absolue et marque les premiers pas d’un pays vers sa mise sous tutelle par les puissances internationales. C’est ce qui arrive en Afrique et ailleurs chaque fois que l’union nationale est prônée.

    Et c’est ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire donc ? On a vu les élections bloquées à cause des contradictions entre la CEI et le CC. Et la communauté internationale s’est octroyé la compétence de valider les résultats des élections.

    Tout à fait. Officiellement, la CEI valide le bon déroulement du scrutin tandis que le CC proclame les résultats définitifs. En outre, la CEI doit certifier le processus électoral sur base du consensus entre ses membres. Ce qui était difficilement imaginable puisque Gbagbo dénonçait des irrégularités dans sept régions au moins et que la CEI comptait quelques membres du camp Gbagbo dans ses rangs.

    Cette impossibilité d’obtenir le consensus a offert une scène qui a fait le tour du monde. On a pu voir un membre pro-Gbagbo de la CEI arracher des feuilles des mains du vice-président de la commission qui tentait d’annoncer les résultats.

    On a donné à ces images le sens qu’on voulait leur donner : le camp Gbagbo ne reconnait pas sa défaite et refuse que la démocratie s’exprime en Côte d’Ivoire. Comme toujours, il y a la séquence d'avant et la séquence d'après qui manquent ! En réalité, si Damana Pickass a arraché les feuilles des mains de Bamba Yacouba, c’est justement parce que le processus démocratique n’était pas respecté. Le même Bamba Yacouba, la veille, avait tenté exactement le même passage en force, en avait été empêché et s'en était même excusé devant ses collègues ! Cette CEI voulait certifier la validité du processus démocratique et annoncer ses résultats alors que le consensus n’était pas atteint et que le camp Gbagbo dénonçait des irrégularités.

    Mais ce n’est pas la seule scène surréaliste que la CEI nous a offerte. Cette commission avait jusqu’au 2 décembre pour annoncer les résultats partiels. Mais le mercredi 1er décembre, à 23h45, son président Youssouf Bakayoko était incapable de donner ces résultats en conférence de presse. « Votre mandat se termine dans quinze minutes, vous serez hors-délais » lui lançaient les journalistes ivoiriens. « Il n’est pas encore minuit » répétait inlassablement Bakayoko. Finalement, la CEI a effectivement rendu ses résultats en retard. Le lendemain, Youssouf Bakayoko a été emmené par les ambassadeurs de France et des États-Unis pour prononcer les résultats depuis le siège de l’ONUCI. Voulant sans doute préserver son image de pseudo-neutralité, le représentant Choi les a remballés. On a donc emmené Bakayoko à l’hôtel du Golfe, le quartier-général de campagne d’Alassane Ouattara. Je ne sais pas si vous imaginez : la Commission électorale « indépendante » a proclamé les résultats depuis le QG d’un des deux candidats ! En l'absence des médias nationaux et en présence de ceux de l'Audiovisuel extérieur français (France 24) ! Et, bien évidemment, ces résultats n’ont pas eu l’aval nécessaire du Conseil constitutionnel. Quelques jours plus tard, Bakayoko déclarera sur RFI qu’il ignorait que l’hôtel du Golfe était le QG de Ouattara !

    Il faut ajouter que début 2010, cette CEI a été confondue suite à une enquête pour tricherie : elle essayait de faire entrer de force 450.000 noms dans le fichier électoral. Son président avait alors été remplacé. A-t-on jamais entendu un journaliste français rappeler ce fait, parmi combien d'autres ?

    Donc la CEI a un passé trouble. Elle n’a pas obtenu le consensus comme c’était prévu. Elle n’a pas respecté les délais. Elle n’est pas habilitée à donner les résultats définitifs des élections. Et c’est pourtant sur son travail que la France et les Nations unies se sont appuyées pour déclarer Ouattara vainqueur !

    Sur le média interne des Nations unies, le représentant Choi a reconnu qu’il y avait eu des irrégularités mais qu’elles ne remettaient pas en cause les résultats. Ce qui, moralement, pose un problème politique réel : un candidat convaincu de tricheries peut-il gagner une élection ?

    De son côté, le Conseil constitutionnel, l’unique institution habilitée à le faire, a proclamé Laurent Gbagbo vainqueur des élections. Voilà comment nous avons débouché sur une crise où le pays s’est trouvé avec deux présidents. Sur base de tous les éléments que je viens de mentionner, je peux difficilement concevoir que Ouattara a gagné les élections.

    En tout cas, il a gagné la guerre ! Ce conflit est le point d’orgue d’une crise plus profonde que vous faites débuter en 1990 dans votre livre. Pouvez-vous replacer les événements dans ce contexte historique pour nous aider à mieux comprendre ?

    En 1990, Félix Houphouët-Boigny qui régnait sur la Cote d’Ivoire depuis l’indépendance, accepte d’organiser des élections. Suite au discours de la Baule de Mitterrand et parce qu'une opposition, incarnée par le FPI et Laurent Gbagbo, n'a de cesse de réclamer le multipartisme. C’est l’occasion pour Laurent Gbagbo de revenir de son exil français. Après avoir été emprisonné par Houphouët-Boigny dans les années 70, Gbagbo avait dû fuir la répression politique.

    Houphouët-Boigny gagne ces élections avec un score de 84%. Laurent Gbagbo et son FPI se font tout de même remarquer mais ils refusent d'entrer au gouvernement malgré l’offre proposée. Gbagbo rompt ainsi avec cette pratique habituelle qui consiste à intégrer les opposants et à les salarier.

    Ouattara par contre devient Premier ministre à cette époque.

    Il le devient après un passage généralement peu évoqué. Ouattara est passé en Haïti auparavant. Il travaillait pour le compte du FMI mais n’est pas resté longtemps car la famille Duvalier, qui dirigeait l’île des Caraïbes, lui reprochait de trop s’immiscer dans les affaires du pays.

    Toujours pour le compte du FMI, Ouattara retourne donc en Afrique où il prépare, entre autres, la dévaluation du franc CFA de 1994 et les ajustements structurels qui le porteront à la primature ivoirienne. En tant que Premier ministre, Ouattara procède à une libéralisation outrancière de l’économie : il applique les recettes du FMI faisant la part belle à la monoculture, il vend les actifs nationaux à des multinationales étrangères, souvent pour une bouchée de pain, il multiplie les contrats nationaux sans appel d’offres… Du véritable gangstérisme d’État ! Les rapports parlementaires de l'opposition de l'époque, il faut les relire, sont accablants.

    Ces recettes du FMI ont été appliquées partout en Afrique avec les résultats désastreux que l’on connait. Maintenant, c’est au tour de la Grèce : elle pourra sans doute bientôt intégrer l’Union africaine !

    En 1991, peu de temps après l’élection d’Houphouët-Boigny, des mouvements sociaux éclatent. Comment expliquez-vous cette crise ?

    C’est d’abord une crise des ressources. Durant les années précédentes, on a beaucoup parlé du "miracle ivoirien". Le pays suivait les recettes du FMI et ses indicateurs économiques rendaient les experts néolibéraux enthousiastes. C’était en réalité un miracle artificiel qui reposait sur la monoculture cacao-café. Mais au début des années 90, le cours de ces matières premières a commencé à baisser, provoquant une crise que la Côte d’Ivoire, "structurellement ajustée", ne pouvait affronter. Encore aujourd’hui, le pays pourrait difficilement sortir de cette crise car il n’y a toujours pas eu d’industrialisation ni une grande diversification des cultures. Rendez-vous compte : la Côte d’Ivoire est le premier producteur de cacao mais vous n’y trouverez pas une seule chocolaterie !

    En 1991 donc, les gens descendent dans la rue pour manifester leur mécontentement. Le FPI est très actif à ce moment-là et la répression est très forte. Gbagbo et d’autres fondateurs du FPI, dont Simone Gbagbo, sont jetés en prison. Les manifestations sont pourtant pacifiques, le FPI étant réputé pour combattre à mains nues.

    Deux ans plus tard, Houphouët-Boigny s’éteint. Il y a alors une lutte pour la succession…

    Ouattara cherche à prendre le pouvoir en force mais bute sur le dauphin de l’ancien président : Henri Konan Bédié. Comme Houphouët-Boigny, Bédié était originaire de l’ethnie Baoulé. La grille ethnique ne suffit pas à comprendre la situation en Côte d’Ivoire mais elle a une certaine importance à l’époque. En effet, pour écarter Ouattara, Bédié va pervertir un concept qui était d’abord culturel : l’ivoirité. Le dauphin va en faire un argument racial contre son concurrent. Il va prétendre que Ouattara n’est pas ivoirien et ne peut donc pas se présenter aux élections.

    On a souvent accusé Gbagbo de xénophobie à l’encontre de Ouattara mais il semble que c’est Bédié le champion dans ce domaine !

    Tout à fait. Non seulement Gbagbo va boycotter les élections par solidarité, mais c’est aussi lui qui va rendre son éligibilité à Ouattara en 2005.

    En 1995 donc, Bédié a la voie libre pour devenir président.

    Il le devient mais son bilan est nul. C’est un personnage assez vide, très obéissant, qui n’a pas réalisé grand-chose. Quatre ans plus tard, un coup d’État le renverse. Il est organisé par des rebelles et des soldats qu’on retrouvera ensuite parfois aux côté de Ouattara. Bédié est donc déposé et fuit par un petit tunnel qui relie la résidence présidentielle à l’ambassade de France.

    Comment réagit la France à ce coup d’État ?

    Elle n’intervient pas pour soutenir Bédié qui est pourtant un grand ami de Chirac. Il faut se rappeler qu’à l’époque, c’est la cohabitation en France : Chirac est à l’Élysée tandis que Jospin occupe Matignon. Peut-être que Jospin était moins interventionniste et qu’il a pu neutraliser Chirac.

    En tout cas, la France laisse faire les événements et ne s’oppose pas non plus à l’élection de Gbagbo. En effet, lorsque Bédié est renversé en 1999, les putschistes mettent au pouvoir le général Guéï. Et celui accepte assez rapidement d’organiser des élections que Gbagbo remporte. Mais Guéï ne reconnait pas sa défaite. Le FPI met alors la foule dans la rue. Des centaines de milliers de personnes descendent pour protester. Très vite, les soldats ivoiriens refusent de s’opposer aux manifestants. Et même les médias français reconnaissent la victoire populaire de Gbagbo. Ils vont pourtant s’acharner, durant les dix années suivantes, à prouver que le président n’est pas populaire.

    Comment se passe l’arrivée au pouvoir de Gbagbo ?

    Il n’est pas pleinement satisfait de sa victoire car il juge que les conditions sont calamiteuses. Ouattara n’a pas pu se présenter, Guéï n’a pas reconnu sa défaite et des combats ont éclaté à Abidjan. Ces combats sont d’ailleurs le point de départ de la mauvaise réputation internationale de Laurent Gbagbo puisque les Ouattaristes ont fabriqué une histoire de charnier à Yopougon. Cette histoire circule encore aujourd’hui. Pourtant, le président Gbagbo a laissé la Fédération Internationale des droits de l’homme (FIDH) et Reporters sans Frontières (RSF) enquêter librement sur le soi-disant charnier de Yopougon. Ces deux organisations, qu’on peut difficilement soupçonner de « gbagbisme aïgu », ont conclu qu’il était impossible d’établir qu’il y avait effectivement eu un charnier à Yopougon : il y avait moins de corps que ce qu’on avait dit, les morts n’étaient pas tous de la même ethnie, ils n’avaient pas été tués de la même manière et pas au même moment. Certains cadavres avaient même été déplacés d’une dizaine de kilomètres !

    Cette histoire - et quelques autres, sur-interprétées, comme le meurtre de Jean Helène de RFI en 2003, ou la disparition de Guy-André Kieffer (qui avait en réalité mis à jour la participation du clan Ouattara aux spéculations sur le cacao) - a médiatiquement terni les premières années du mandat de Gbagbo. Son équipe n’a pas été capable de fournir un tir de barrage médiatique, elle a trop négligé la communication sur le plan international.

    De son côté, Ouattara est écarté du jeu politique depuis 1995. Que fait-il pendant tout ce temps ?

    Il passe beaucoup de temps à Paris. Dans son livre sur le coup d’État de 2010, le journaliste Charles Onana rapporte un document de l’ambassadeur français qui a rencontré Ouattara à cette époque. Le diplomate est stupéfait par la « neurasthénie du personnage » et son « peu d’appétence pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens ». Il ajoute que Ouattara semble être plus porté sur le whisky que sur l’islam, ce qui ne manque pas de piquant. En effet, suite aux attaques de Bédié sur le concept d’ivoirité, Ouattara va se poser comme l’ardent défenseur des Dioulas et des musulmans qui seraient persécutés en Côte d’Ivoire. Mais ça tient plus de la manœuvre tactique que de la réelle vocation : Ouattara est musulman quand ça l’arrange, surtout quand des caméras bienveillantes trainent dans les parages. En réalité, sa religion est plus celle du FMI.

    Quand le général Guéï tombe en 2000, Ouattara retourne à Abidjan même s’il n’est toujours pas éligible. On sait qu’il est alors lié avec les jeunes rebelles du nord, c’est un fait établi. Il y a notamment ce commandant de zone, Koné Zaccharia, qui a déclaré en 2004 que c’est Ouattara qui les nourrit, qui leur donne de l’argent et qui les chapeaute. De retour en Côte d’Ivoire, Ouattara commence donc à mettre en place des réseaux dans le nord du pays et au Burkina Faso qui servira de base-arrière pour les rebelles.

    Qui sont ces rebelles ? Comment sont-ils apparus ?

    Ils viennent du nord du pays mais présentent une certaine diversité sur les plans ethnique et religieux. Au départ, ils ont des revendications qui peuvent sembler légitimes : ils s’estiment lésés socialement et économiquement par le pouvoir politique. En conséquence de quoi ils ont participé au coup d’État contre Bédié en 1999. Si leurs revendications sont audibles, la prise des armes est plus problématique. Dès 2000, il va y avoir des assassinats politiques. Les tentatives de coup d’État se multiplient et elles sont accompagnées d’actions très violentes. Surtout en 2002, lorsque les rebelles tentent de prendre le pouvoir alors que Laurent Gbagbo est en voyage diplomatique en Italie. Notez que Chirac vient d’être réélu avec un score de dictateur africain et qu’il n’y a plus de Jospin à Matignon. Je pense que ce contexte était favorable aux rebelles qui avaient ainsi les mains libres.

    Ces rebelles tentent donc de renverser le pouvoir. Beaucoup de dirigeants politiques sont abattus dont Émile Boga Doudou, le ministre de l’Intérieur proche de Gbagbo. Ce dernier rentre précipitamment et, toute proportion gardée, il se passe alors quelque chose de semblable à ce qui s’était produit quelques mois plus tôt au Venezuela : c’est la foule qui descend dans la rue pour soutenir son président et empêcher le coup d’État. Finalement, les rebelles sont repoussés d’Abidjan et leur état-major s’installe à Bouaké. Guillaume Soro prend alors la tête du commandement de la rébellion.

    Quelle est l’attitude de la France durant cette crise ?

    Elle joue un drôle de jeu. En vertu des accords de coopération qui date du pacte colonial de 1961, le gouvernement ivoirien sollicite l’aide de la France pour stopper les putschistes. Mais le gouvernement français refuse d’intervenir, il est redevenu « neutre ».

    Les rebelles prennent donc leur position dans le nord, une zone tampon est instaurée dans le centre du pays et la Côte d’Ivoire se retrouve de fait coupée en deux. A partir de là, une grande partie de l’État ivoirien plonge dans la terreur. Pour subvenir à leurs besoins, les rebelles imposent une fiscalité parallèle, rackettent, commettent des délits et des actions violentes, terrorisent les populations, s'emparent et revendent à leur profit une partie de la production de cacao…

    De plus, si la France était une mauvaise camarade de Gbagbo en 2002, elle en devient une franche adversaire en 2004. Cette année-là, le gouvernement ivoirien procède à l’opération Dignité. Il pense avoir soutiré des informations importantes aux renseignements français : des rebelles se trouveraient dans un camp français de Bouaké pour y tenir une réunion secrète et le gouvernement ivoirien aurait carte blanche pour les bombarder.

    Le problème, c’est qu’il n’y avait pas de rebelles dans ce camp mais des soldats français !

    Je pense que les renseignements français ont enfumé les Ivoiriens et que les neuf soldats tués n’avaient rien à faire là. Les Ivoiriens pensaient bombarder une réunion de rebelles se déroulant dans un local, un foyer, du campement de l'armée française de Bouaké. Pas des soldats français. Je signale que l'avocat des familles des soldats français tués à Bouaké est à peu près convaincu de l'innocence de Laurent Gbagbo dans cette tragique affaire.

    Pour les Ivoiriens, c'est presque religieux : on ne tire pas sur les Français.

    (C'est d'ailleurs aussi pour cette raison qu'en 2011, l'Afrique du Sud n'a pas "plus" soutenu militairement la Côte d'Ivoire : Zuma savait que Gbagbo empêcherait, comme il l'a toujours fait, l'armée ivoirienne de tirer sur les Français, de s'en prendre aux Français. Non pas que Zuma ait particulièrement souhaité se battre avec les Français, mais comment imaginer gagner une guerre qu'on ne veut militairement pas faire ?).

    J'ai souvent entendu dire et lu qu'au fond, Chirac n'était pas nécessairement au courant des détails techniques de l'opération barbouzarde d'intoxication des Ivoiriens pour les pousser à la faute. Qu'il vaudrait sûrement mieux enquêter du côté de Villepin… un Villepin qui prétend quasiment ne plus se souvenir de rien ! Un Villepin que l'écrivain Claude Ribbe a publiquement et plusieurs fois accusé d'avoir œuvré, avec la complicité de Régis Debray, son BHL, à l'arrestation et à la déportation du président d'Haïti Aristide à la même époque.

    Vous expliquez aussi que le gouvernement français n’était pas très fier de ce qui est arrivé à ses soldats.

    Les soldats français tués à Bouaké ont été enterrés sans autopsie et sans le minimum d’égard pour leur dépouille. En effet, la mère d’un des défunts a obtenu de faire exhumer le corps de son fils. On s’est alors rendu compte que ce n’était pas le bon ! Les neufs corps ont bien été enterrés là mais n’importe comment : on s’est mélangé dans les tombes, les cadavres portent encore leur treillis déchiré, ils n’ont pas reçu de soins, ils sont encore tachés de sang… Personne ne semble très fier de cette histoire.

    De plus, les deux pilotes qui ont bombardé le camp français de Bouaké ne sont pas poursuivis alors qu’on en a les moyens. Ce sont deux Biélorusses qui travaillaient pour l’armée ivoirienne. Après l’opération, ils sont retournés à la base. Les soldats français les ont filmés, retenus quelques heures puis relâchés sans même, semble-t-il, les interroger. Les deux pilotes ont alors rejoint le Togo où ils ont tranquillement séjourné pendant trois semaines. C’est inédit dans l’histoire de l’armée française : on savait où étaient ces personnes qui avaient tué des soldats français, mais on ne les a pas appréhendés. Un ministre togolais s’est même ému auprès du gouvernement français de la présence de ces gens dans son pays. Mais Paris n’a pas bougé. Finalement, les deux Biélorusses ont disparu dans la nature. On m’a dit qu’ils étaient morts mais personne n’a pu me confirmer.

    En représailles à l’opération Dignité, les troupes françaises détruisent l’aviation militaire ivoirienne. Des affrontements éclatent à Abidjan entre les supporters de Gbagbo et les soldats français qui, finalement, se retirent.

    Sous ses faux airs de neutralité, il apparaît que la France avait clairement choisi son camp dans la crise ivoirienne. Une position qui se confirmera avec les élections de 2010. Quel intérêt avait Paris à remplacer Gbagbo ?

    Objectivement, aucun. Et c’est le plus troublant dans cette affaire. Gbagbo est un vieux briscard. Je ne le dis pas au sens péjoratif du terme, c’est un malin, un roublard. Ces adversaires rebelles les plus violents disent eux-mêmes qu’il vaut mieux ne pas s’asseoir à côté de Gbagbo au risque de se mettre à discuter et de perdre inévitablement.

    Le boulanger !

    Oui, c’est le surnom qu’on lui a donné pour ses aptitudes à rouler ses adversaires dans farine. Gbagbo est donc une bête politique, mais ce n’est pas un révolutionnaire enragé, un utopiste radical ou même un indépendantiste frénétique. Si bien que lorsque son mandat a officiellement pris fin en 2005, il a veillé à ménager certains intérêts français en Côte d’Ivoire. Il a soigné Bolloré et il n’a pas remis en question les affaires de Bouygues ou d’Orange. Il aurait sans doute progressivement cherché à commercer davantage avec d’autres puissances internationales. Mais il n’était pas assez fou pour faire table rase du passé et éjecter les Français de Côte d’Ivoire.

    Pourquoi Sarkozy a-t-il donc été si violent avec un président qui, d’une certaine façon, défendait les intérêts de la France en Côte d’Ivoire ?

    On a dit que Sarkozy était un très bon ami de Ouattara. C’est vrai mais c’est un peu court pour expliquer ce qui s’est passé. En réalité, il faut voir le problème d’un point de vue régional. Après le coup d’État en Côte d’Ivoire, il y a eu la guerre en Libye. Et maintenant la partition du Mali. Ouattara, qui dirige à présent la Communauté Économique Des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), est l’homme de la situation. C’est un pion parfaitement à sa place pour servir les intérêts occidentaux. En quand je dis les intérêts occidentaux, ce sont plus ceux des États-Unis que ceux de la France. La position de Sarkozy sur la crise électorale en Côte d’Ivoire a été critiquée jusque dans les rangs de l’UMP par quelques vieux briscards gaullistes.

    Il semble en effet que Washington manifeste un intérêt croissant pour l’Afrique en général et l’Afrique occidentale en particulier.

    Dans le cas de la Côte d’Ivoire, il y a une raison très prosaïque mais néanmoins importante : le cacao. La multinationale anglo-saxonne Armajaro a la mainmise sur cette ressource. Le beau-fils de Ouattara travaille d’ailleurs pour la filiale ivoirienne. En 2002 et 2010, Armajaro a spéculé à hauteur de 400.000 tonnes de cacao qui ont été achetées avant les crises politiques. Elle les a ensuite revendues lorsque les cours du cacao ont explosé suite aux événements.

    N'oublions pas que qui contrôle la Côte d'Ivoire contrôle quasiment le Golfe de Guinée, réputé pétrolifère...

    Par ailleurs, on constate de manière générale un émiettement du pré carré français dont les États-Unis semblent être les marionnettistes. L’objectif peut être de contrer les Chinois ou, au minimum, de s’accaparer les ressources. La Côte d’Ivoire est très riche et destinée à l’être plus encore grâce à sa capacité de développement.

    Enfin, les crises ivoirienne, libyenne et malienne étant liées, elles vont à nouveau poser la question de l’Africom : ce centre de commandement militaire US pour l’Afrique qu’aucun pays du continent n’a accepté d’accueillir est actuellement basé à Stuttgart. Maintenant qu’il y a l’AQMI, menace réelle ou supposée, la crise malienne va devenir une question étasunienne. Et avec Ouattara à la tête de la CEDEAO, l’installation d’Africom dans la zone du Mali ne devrait pas poser problème.

    Que se passe-t-il maintenant en Côte d’Ivoire ? On imagine que tout va bien puisque les médias n’en parlent plus…

    Pas vraiment, non. Sur l’éducation, le bilan est cinglant : des universités ont été fermées deux années de suite : les étudiants sont globalement perçus comme potentiellement pro-Gbagbo. Par ailleurs, on a rouvert quelques écoles dans le nord.

    Dans les divers gouvernements qui se sont succédé sous la présidence de Ouattara, on constate un phénomène que le chef d’État qualifie lui-même de rattrapage ethnique. On ne choisit donc plus le personnel politique en fonction de ses compétences mais en fonction de ses origines. C’est justement ce qu’on reprochait à Gbagbo. Ça donne des scènes cocasses. L’actuelle ministre de l’Éducation, la nordiste Candia Kamara, n’est sans doute pas la plus qualifiée pour cette fonction. Elle invente régulièrement des néologismes comme « capturation » ou « recrutation » !

    Et les violences ont-elles cessé ?

    Pas du tout. La ville d’Abidjan a été divisée entre tous les commandants des zones rebelles qui étaient fidèles à Ouattara depuis 2002. Ces commandants mènent la belle vie car ils bénéficient des largesses du régime. Mais pour les petits soldats, c’est le racket, les exactions, etc.

    Sur l’ensemble du pays aussi il y a encore beaucoup de violence. On recense chaque semaine des meurtres ethniques ou politiques. Si bien que plusieurs centaines de milliers de réfugiés ivoiriens ont quitté le pays pour rejoindre le Ghana, le Bénin ou le Togo. D’autres ont bougé à l’intérieur-même du pays. On constate que beaucoup d’habitants de l’ouest, là où on cultive le cacao, ont été dépossédés de leurs terres au profit de paysans burkinabés. Ça permet d’assurer un meilleur contrôle sur l’exploitation du cacao.

    Tous ces réfugiés posent aussi le problème de l’élite de la nation. On a coutume d’évoquer la fuite des cerveaux en Afrique. En Côte d’Ivoire, cette fuite est manifestement orchestrée. Parmi les réfugiés que j’ai rencontrés au Ghana, il y avait beaucoup de cadres, d’ingénieurs, de responsables politiques, d’enseignants, etc.

    Tout cela, les médias français n’en disent pas un mot. La presse ivoirienne couvre-t-elle mieux les événements ?

    La liberté de la presse est bafouée quotidiennement. Chaque semaine ou presque, un ou deux titres sont suspendus. De nombreux journalistes ont été jetés en prison. Herman Aboa y est resté plus de trois mois.

    Vous avez sans doute vu la photo du couple Gbagbo malmené par des rebelles dans une chambre d’hôtel. En Côte d’Ivoire, les journaux n’ont pas le droit de publier cette photo.

    Autre exemple : le Nouveau Courrier a reçu un blâme pour avoir rapporté les propos du politologue français Michel Galy qui, à propos des élections de 2010, parlait de « coup d’État franco-onusien ».

    Justement, la victime de ce coup d’État a été arrêtée et doit passer devant la Cour Pénale Internationale (CPI). Pensez-vous que Laurent Gbagbo pourrait être jugé pour les crimes qu’on lui reproche ?

    Luis Moreno Ocampo, le procureur de la CPI, est quand-même un des personnages les plus troubles de notre époque. Dans le dossier qu’il a monté contre Gbagbo, il y a des charges assez grotesques. Par exemple, dans un discours de campagne, Gbagbo avait déclaré : « On gagne ou on gagne ». Il avait ainsi repris, certes un peu de façon démagogique, les paroles d’une chanson populaire ivoirienne. Mais pour Ocampo, cela constitue une preuve que Gbagbo est un dictateur ! On trouve des éléments aussi ridicules que celui-là dans le dossier du procureur.

    Si on s’en tient aux charges crédibles, le problème est qu’une seule peut suffire à fonder le procès. Sans manquer de respect aux nombreuses personnes qui sont mortes, on peut espérer que le niveau de l’instruction va s’élever pour poser les vraies questions.

    Quelles sont ces vraies questions ?

    Il y a deux façons de présenter l’enjeu de ce procès. La première, celle que semble avoir choisi l’avocat de Laurent Gbagbo, dénonce l’incompétence de la CPI à juger le président ivoirien. En effet, depuis 2003, cette juridiction est autorisée à enquêter en Côte d’Ivoire. C’est Laurent Gbagbo lui-même qui l’avait autorisé pour mettre un terme aux fausses accusations sur les charniers. Cependant, si la CPI a le droit d’enquêter, sa juridiction n’est pas reconnue par la Côte d’Ivoire.

    La deuxième façon d’aborder l’enjeu du procès est plus politique mais se défend juridiquement. Du 28 novembre 2010 au 11 avril 2011, on peut considérer que Laurent Gbagbo n’a jamais cessé d’être président de la Côte d’Ivoire. Il avait en effet été nommé par le président du Conseil constitutionnel, Paul Yao N’Dré. C’est ce même président du CC qui a ensuite nommé Ouattara en mai 2011. Si on reconnait à Paul Yao N’Dré la légitimité de nommer Ouattara président en mai 2011, c’est qu’il avait aussi la légitimité de nommer Gbagbo en novembre 2010.

    De plus, au moment des faits, le président Gabgbo était suivi par l’ensemble de son administration. Toutes les entités, corps constitués et administrations sur lesquelles il avait autorité le reconnaissaient comme président. Par conséquent, si Gbagbo était bien le président de la Côte d’Ivoire au moment des faits qui lui sont reprochés, toutes les accusations de la CPI tombent d’elles-mêmes. Voilà les deux questions importantes à trancher : la CPI est-elle compétente et Gbagbo était-il président ?

    On vient d’apprendre ce 12 juin que l’audience de confirmation des charges prévue le 18 juin était reportée au 13 août.

    La Présidente de la cour a désavoué Ocampo qui prétendait s'opposer à cette demande de report. Ocampo avait, délibérément, remis très tardivement un dossier énorme, accumulation de "preuves" que la défense de Gbagbo ne pouvait techniquement pas étudier dans le délai imparti. Pour la première fois depuis le début de la crise post-électorale, on a écouté Laurent Gbagbo. Ce qui m'inspire une question : la CPI aurait-elle été aussi diligente si Nicolas Sarkozy était encore aux affaires à Paris ? En outre, en marge du report la défense de Laurent Gbagbo a formulé une demande de mise en liberté provisoire.

    Finalement, cette crise électorale ne montre-t-elle pas que l’Occident n’est pas prêt à laisser le jeu démocratique s’exprimer librement et sans ingérence en Afrique ? Le temps des colonies ne semble pas fini…

    À l'ingérence humanitaire ont succédé l'ingérence politique, l'ingérence économique, l'ingérence judiciaire, l'ingérence militaire… La communauté internationale a pris pour argent comptant les résultats de la Commission électorale indépendante tout en écartant ceux du Conseil constitutionnel. Alors que c’est la deuxième institution qui est habilitée à nommer le président. Ça témoigne d’un certain mépris pour les institutions ivoiriennes.

    De plus, j’ai eu l’occasion de discuter avec des personnalités politiques en France, dont Alain Bauer, proche conseiller de Sarkozy. Pour ces personnes, le fait que Gbagbo ait porté plainte pour tricheries au second tour et que Ouattara ne l’ait pas fait n’est pas important : « Vous savez, la justice là-bas… », « L'État, là-bas... », etc.

    On voit donc que tout ce qui touche à la démocratie, à la Constitution, aux institutions républicaines, bref, tout ce qui est sacré ici, ne l’est pas dans leur esprit là-bas. C’est sans doute un bel héritage de la mentalité coloniale.

    Source : Investig'Action"


    Sur la crise finale de décembre 2010 - avril 2011 :

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/nouvelle-crise-deux-presidents-en-cote-d-ivoire

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/cote-d-ivoire-la-guerre-imperialiste-approche

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/l-hallali-est-sonne-en-cote-d-ivoire

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/l-intervention-bbr-en-cote-d-ivoire-et-la-chute-de-gbagbo-avril-2011


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  • Karl Marx et Friederich Engels ont, au 19e siècle, défini le capitalisme comme un mode de production comprenant différentes classes, mais où deux jouent un rôle principal, deux dont la contradiction est fondamentale : la bourgeoisie et le prolétariat. Le prolétariat est, selon eux, la classe de la révolution à venir, la révolution socialiste, la seule classe révolutionnaire jusqu'au bout.

    Mais qu'est-ce que le prolétariat ?

    Est-ce "les pauvres" ? Est-ce "les opprimés" ? Est-ce "les ouvriers" ?

    Il importe, dans une démarche scientifique, de revenir à la définition scientifique, posée par Marx et Engels.

    Le prolétariat, ce sont :

    --> les travailleurs non propriétaires des moyens de production. C'est le caractère fondamental. Les moyens de production sont la propriété du bourgeois capitaliste, c'est la définition de la bourgeoisie. Le prolétaire n'est propriétaire que de sa force de travail.
    Le prolétariat ce n'est donc pas simplement "les pauvres" : un petit entrepreneur individuel, artisan ou commerçant, ou un petit paysan sans salarié peuvent gagner (entre leur chiffre d'affaire et leurs charges, impôts etc.) moins qu'un SMIC par heure de travail. C'est même très fréquemment le cas. Ce ne sont pas pour autant des prolétaires.
    Cela ne veut pas dire que, de par leur position au bas de l'échelle sociale, ils ne peuvent pas jouer un rôle révolutionnaire.
    Cependant, ils ne peuvent pas être "la classe révolutionnaire jusqu'au bout" s'ils ne sont pas sous la direction du prolétariat. Pourquoi ? Parce que de par leur mode de fonctionnement, ils sont habitués à un raisonnement individualiste.
    De plus, ils ont toujours "l'espoir" de réussir à "s'en sortir" dans le cadre du capitalisme.

    --> extorqués de la plus-value de leur travail : si le prolétaire crée, par son travail, une valeur ajoutée de 10 €, l'employeur lui en verse 3, 4, 5... en salaire (ça dépend des pays), le reste va dans la poche de l'employeur (peu importe les impôts, charges etc. qu'il paiera ensuite, ce n'est pas le problème du travailleur).
    Donc, ce n'est pas "les opprimés". Au stade où nous sommes, le stade de l'impérialisme, le Capital s'est tellement concentré en monopoles que les petits capitalistes vus plus haut (artisans, commerçants) subissent une oppression du Grand Capital.
    Et les monopoles veulent façonner toute la société à leur image, selon leurs intérêts : n'importe qui, petit-bourgeois voire bourgeois, fils/fille de bourgeois "rebelle", peut subir l'oppression, la répression... Cela n'en fait pas un prolétaire. Ce qui n'empêche pas, là encore, qu'il/elle puisse jouer un rôle révolutionnaire.
    De plus, il faut produire. Les chômeurs sont considérés (s'ils sont prolétaires avant de perdre leur emploi) comme des prolétaires, privés involontairement de travail : c'est l'armée de réserve. Mais tout un ensemble d'individus, "marginaux", "bohèmes", vivent à la marge de la production, alternant petits boulots, mendicité, aide sociale... Ils peuvent jouer (et joueront très sûrement) un rôle révolutionnaire, mais ce ne sont pas des prolétaires.

    --> enfin, car jusque là ce pourrait être n'importe quel salarié, échangeant leur force de travail (seul moyen de production dont ils disposent) contre juste de quoi la reproduire.
    C'est là que se pose, dans les pays impérialistes, la question de la moyennisation, du niveau de vie sociologiquement "petit-bourgeois" d'un grand nombre de salariés. Il est clair que dans un pays "riche" comme la France, toute personne travaillant (à l'exclusion donc des sans-emploi, et des marginaux) gagne plus que "juste de quoi vivre". Mais il y a des situations approchantes. En France, selon les définitions et les seuils de pauvreté retenus, on estime qu'il y a de 2 à 7 millions de travailleurs pauvres. L'on pourrait, à la rigueur, affiner la notion en parlant de "dignité d'existence minimale socialement admise" (selon les critères culturels de la société dans laquelle on vit).
    En tout cas, il est certain qu'un salarié gagnant 2.000 ou 3.000 € par mois n'est pas un prolétaire. Même si la dégradation du niveau de vie, du pouvoir d'achat, peuvent le "radicaliser" et à terme le rendre révolutionnaire.

    Se pose également la question de la notion de classe ouvrière. En terminologie marxiste, elle est devenu un quasi synonyme de prolétariat : on emploie sans distinction l'un ou l'autre.

    Il s'agit en fait d'une traduction française. En allemand (leur langue maternelle) Marx et Engels parlent d'Arbeitersklasse, en anglais (ils résident en Angleterre) de working class : classe "travailleuse" ou "laborieuse".

    On l'a vu, cette appelation pose problème : des travailleurs salariés bien payés ne sont pas des prolétaires, les "indépendants" (artisans, commerçants, paysans) travaillent, les cadres travaillent... sans être pour autant des prolétaires. Chez les réformistes (P"C"F, NPA, LO...) parler de "travailleurs" permet justement d'"oublier" la lutte des classes.

    Mais il faut replacer les choses dans leur contexte : au 19e siècle, en Angleterre (où vivaient Marx et Engels), 90% des travailleurs étaient des prolétaires ouvriers ! L'aristocratie ouvrière, les travailleurs "embourgeoisés" n'existaient pas encore, Engels remarquera le phénomène naissant peu avant sa mort.

    [Lire : wikirouge.net/Aristocratie_du_travail].

    De même, en France, lorsque Marx a été traduit par Lafargue, le "prolétariat" renvoyait aux ouvriers d'usine, aux mineurs etc. La France était un pays de paysans propriétaires, d'artisans et de commerçants assez conservateurs ; il ne fallait pas les confondre avec le prolétariat sous le terme de "travailleurs".

    Le terme peut paraître restrictif : il évoque l'usine, la chaîne, les bleus de travail etc. Il est fréquemment détourné par des anti-marxistes (sociaux-démocrates surtout) pour dire qu'il "n'y a plus de classe ouvrière", que Marx s'est trompé, que le 21e siècle est celui des "classes moyennes" (oubliant les 80% de l'humanité, où la classe moyenne est quasi inexistante !). En réponse, des "néo-" ou "post-"marxistes recherchent de "nouveaux sujets révolutionnaires" : le marginal, le "sans-droits", "l'exclu"...

    Mais c'est surtout la compréhension qui est restrictive, pas la notion elle-même.

    La notion de "classe ouvrière" a le mérite de poser une limite claire. L'ouvrier est celui qui crée de la valeur ajoutée, concrètement, au sens de VALEUR D'USAGE.
    De l'extraction de la matière première (au stade naturel où elle ne vaut rien) jusqu'à l'emballage final, prêt à consommer.

    Cela exclut ceux et celles qui gèrent la production : les employé-e-s de bureau, les agents commerciaux, les "métiers supports"... Ceux-là ne créent pas de valeur ajoutée, l'employeur ne va répercuter, en principe, que le coût de leur travail sur le client. Même très mal payés, ce ne sont pas des ouvrier-e-s, même si encore une fois ils/elles peuvent tout à fait être révolutionnaires. D'ailleurs, pendant longtemps, avant que la loi n'impose un "fixe", les commerciaux étaient rémunérés uniquement au pourcentage sur leurs ventes ("royalties") : ils étaient des quasi-indépendants.


    Mais ce sont des prolétaires, dès lors qu'ils remplissent les 3 critères vus plus haut. De même pour les multiples "services" : accueil, propreté...

    La classe ouvrière est, en réalité, le "noyau dur", l'élément le plus déterminé du prolétariat qui ne s'y réduit pas.

    Des réflexions peuvent toutefois s'engager. Par exemple, les manutentionnaires (chargement-déchargement, transport d'un point à un autre de l'usine, préparation de commande), les transporteurs (salariés bien sûr)... Ils travaillent au contact permanent des producteurs de valeur ajoutée, et eux même, n'en produisent-ils aucune ? Amener un produit au consommateur lui donne une valeur ajoutée, de même que le conditionner : lorsqu'il sort de la chaîne de production, le produit ne vaut virtuellement rien... [en réalité, la valeur ajoutée est d'abord emprisonnée dans le produit comme "capital-marchandise" qu'il s'agit de réaliser (acheminer au consommateur et vendre, "transformer en argent" qui ira sur le compte bancaire de l'entreprise), de transformer en véritable plus-value financière ce qui est le rôle de toutes ces "petites mains" qui "entourent" la production proprement dite ; cf. plus bas]

    De même, dans nos sociétés qui sont des sociétés de consommateurs (ce qui n'était pas le cas au temps de Marx), on peut engager une réflexion sur la distribution : caissier-e-s, mise en rayon... La distribution de masse, les "techniques marketing", le service après-vente ne confèrent-ils pas en tant que tels une valeur ajoutée au produit fini ? D'où proviennent les bénéfices colossaux de la grande distribution, qui lui permettent d'avoir des milliers de salariés ? (Sachant que jusqu'au milieu du siècle dernier, le "détaillant" était souvent un entrepreneur individuel ou "familial"). [ibidem]

    Dans les pays d'Afrique-Asie-Amérique latine, largement agricoles, la grande propriété terrienne s'est transformé en agriculture industrielle, et les paysans, souvent sans terres, en ouvriers agricoles. Donc dans ces pays où vit 90% du prolétariat mondial, le prolétariat ne se réduit certainement pas à "l'usine" ou à "la mine".

    En France, par contre, de nombreux agriculteurs ne sont pas propriétaire de leur terre, principal moyen de production. Ce sont des fermiers, sous le régime des baux ruraux, qui exploitent librement leur terre et en retirent les bénéfices, mais payent un fermage (loyer) au propriétaire.
    Mais ce ne sont pas des prolétaires. Leur situation ressemble à un reste de féodalité, quand les paysans payaient des "redevances" au seigneur. La contradiction centrale de la féodalité était entre la propriété utile du producteur (paysan, bourgeois) sur sa terre ou son métier, et la propriété éminente du seigneur féodal (lui donnant droit à percevoir une redevance sur la production).

    Dans le capitalisme, la contradiction centrale est entre le caractère social, collectif, de la production et l'appropriation privée, capitaliste, de la plus-value.

    Le fermier n'est pas dans cette situation, il produit seul (comme un indépendant propriétaire) et n'est pas privé de sa plus-value : il paye juste un loyer. De même beaucoup d'artisans et commerçants ne sont pas propriétaire de leur local, de leur fond de commerce : ils le louent, ou sont "franchisés" (comme les épiceries Casino).

    L'importance du caractère social de la production est peut-être le dernier critère déterminant du prolétariat : il préfigure, dans les collectifs de travail, le socialisme sous le système capitaliste. C'est le nouveau dans l'ancien.

    Documentation :

    Fils de discussion sur le FUC : Les classes, Prolétariat = classe ouvrière, petits bourgeois et La petite-bourgeoisie. 

    PC maoïste de France : ébauche d'analyse de classe de la société française.  

    (nouveau) Parti communiste italien : http://www.nuovopci.it/arcspip/articlea33b.html#3.2. 


    Ici, une analyse de classe intéressante du PCR Canada sur la société canadienne (très voisine de la société française) :


    Les classes - Le prolétariat
    Les classes - Le prolétariat
    Les classes - Le prolétariat
    Les classes - Le prolétariat
    Les classes - Le prolétariat
    Les classes - Le prolétariat
    Les classes - Le prolétariat
    Les classes - Le prolétariat


    Autre source intéressante :  http://ouvalacgt.over-blog .com/article-1607624.html

     

    Servir le Peuple n'est pas une organisation, et n'est donc pas habilité à établir une analyse de classe. Ce qui suit doit donc être considéré comme une simple piste de réflexion :

    - Classe ouvrière au sens strict : ce sont ceux/celles qui produisent, qui transforment la matière pour lui donner une valeur d'usage (surtout) et marchande ajoutée (ce peut-être de la matière première : mineurs/euses, ouvrier-e-s agricoles). Jusqu'à 18.000 € nets par an, primes comprises (souvent moins, entre 12.000 et 15.000 € à temps plein), ils forment le prolétariat ouvrier ; au delà, ils forment l'aristocratie ouvrière (1).

    - Prolétariat au sens large : en plus de la classe ouvrière au sens strict, ce sont ceux/celles qui "entourent" la production et contribuent ainsi à la réalisation de la valeur marchande (2), à la transformation du capital-marchandise en véritable plus-value : en conditionnant le produit, en le transportant, en assurant sa distribution au consommateur (salarié-e-s de la grande distribution), en assurant la pérennité de sa valeur d'usage et marchande par le "service après-vente". Leur revenu net est inférieur à 18.000 euros par an (très majoritairement bien moins, souvent tout juste le SMIC, soit environ 12.000 € nets par an à temps plein). Ils/elles représentent environ 40% du salariat (qui constitue, lui-même, plus de 90% des actif-ve-s).

    - Autres classes populaires, non-prolétariennes :

    * la petite-bourgeoisie : entrepreneurs/euses (artisan-e-s, commerçant-e-s) ou professions libérales n'ayant pas ou très peu de salarié-e-s (disons moins de 10), impliqué-e-s personnellement dans la production, la prestation de service ou l'activité commerciale de leur entreprise, tirant un revenu inférieur à 25.000 € nets par an uniquement ou très majoritairement de leur travail et non de celui d'autrui

    * les agriculteurs/trices répondant aux mêmes critères

    De plus en plus, avec l'immersion totale des rapports sociaux dans le capitalisme, le petit commerce et le petit artisanat sont "happés" vers le salariat, avec l'apparition de statuts bâtards comme la franchise. Du côté de la petite paysannerie, les producteurs/trices sont de plus en plus soumis aux tarifs imposés par les centrales d'achat de la grande distribution, alors que la logique capitaliste, au contraire, voudrait que le producteur fixe ses tarifs par rapport à l'offre et à la demande, mais aussi par rapport aux coûts de production et à la force de travail contenue dans le produit. Quand l'acheteur fixe arbitrairement ses tarifs, le petit producteur indépendant se retrouve finalement dans la position des canuts, au 19e siècle.

    * l'aristocratie ouvrière (définie plus haut)

    * les salarié-e-s contribuant à la réalisation de la valeur marchande, touchant entre 18.000 et 25.000 € nets par an

    * les employé-e-s, petit-e-s fonctionnaires, autres travailleurs intellectuels et des services (hôpitaux/cliniques etc.) à moins de 25.000 € nets par an. Doivent être considéré-e-s "à part" ceux/celles dont le travail consiste à l'oppression du prolétariat et des autres classes populaires (flics, agents de sécurité, auxiliaires de justice, services de l'emploi ou de l'aide sociale, profs contribuant à l'exclusion scolaire des jeunes prolétaires, etc.), encore plus à part ceux/celles qui mènent cette mission en toute bonne conscience. Cela dit, d'un point de vue marxiste, il ne faut pas être essentialiste et considérer la conscience humaine comme figée : une situation révolutionnaire peut amener une prise de conscience d'un certain nombre de ces travailleurs/euses oppresseurs/euses.

    L'ensemble des trois dernières catégories représente 30% du salariat. On les qualifie souvent, sociologiquement, de "classes moyennes inférieures".

    Au total, les CLASSES POPULAIRES (l'ensemble de ce qui précède) constituent plus de 70% de la population.

    AU DESSUS :        

    - Moyenne bourgeoisie : entrepreneurs ou professions libérales au revenu personnel supérieur à 25.000 € nets par an, ils/elles ont généralement plusieurs salarié-e-s (souvent plus de 10, entrant dans la catégorie des PME). La paysannerie aisée est constituée des exploitant-e-s agricoles dans le même cas (une petite minorité).

    - Couches moyennes (ou "moyennes-supérieures") du salariat : salarié-e-s ou agent-e-s public-que-s gagnant plus de 25.000 € nets par an (24% du salariat entre 25.000 et 50.000 €/an). Ils/elles ont généralement d'assez importantes responsabilités, des fonctions d'encadrement dans la production capitaliste ("industrielle et commerciale") ou l'administration bourgeoise. Quelques ouvriers très hautement qualifiés peuvent entrer dans cette catégorie.

    - Au delà de 50.000 €/an : couches supérieures, "catégories aisées", "hauts revenus" (6% du salariat). Dans beaucoup de cas, ils/elles sont des courroies de transmission des propriétaires (capitalistes) des moyens de production (cadres RH, directeurs/trices de site etc.) ou de l’État bourgeois (haut-e-s fonctionnaires, universitaires). Leurs revenus élevés signifient qu'ils ne vivent pas uniquement et exclusivement de la valeur (ou d'une partie de la valeur) produite par leur travail, mais qu'ils bénéficient aussi d'une redistribution de valeur produite par le travail d'autrui.

    - BOURGEOISIE MONOPOLISTE : les propriétaires du Capital et des moyens de production, leurs courroies de transmission immédiates (cadres dirigeant-e-s qui tirent l'essentiel de leurs revenus de la valorisation du Capital, donc du travail d'autrui et non du leur), leurs agents politiques (député-e-s et élu-e-s, sauf d'un authentique Parti révolutionnaire, ministres etc.).

    CATÉGORIES SPÉCIFIQUES :        

    - Parasites : rentier-e-s tirant un revenu non-populaire (> 25.000€/an) d'un patrimoine quelconque, sans travailler ou presque. Ce patrimoine peut-être immobilier, mobilier (actions ou biens de valeur), un statut "VIP" (jet-set) etc.

    Encore à part, sont les individu-e-s que l'on peut qualifier de "leur propre Capital" : ils/elles tirent des revenus très importants (de l'ordre de ceux des propriétaires de grandes entreprises) d'une prestation propre à eux, jugée "exceptionnelle" par la société (artistes, sportifs, écrivain-e-s, intellectuel-le-s médiatiques...).

    BIEN ENTENDU, se rattachent culturellement à chacune des catégories sus-visées l'ENSEMBLE des chômeurs/euses et des retraité-e-s qui en sont issu-e-s ("calculé-e-s" sur cette base).

    Les seuils de revenus (à temps plein bien sûr, après se pose la question du temps partiel choisi (rare) ou pas) sont discutables et non posés comme valeurs absolues. Ils donnent simplement un ordre d'idée du TAUX D'EXPLOITATION du travailleur ou de la travailleuse salarié-e (différence entre la plus-value produite par le travail et la part rétribuée au/à la salarié-e). En aucun cas, même avec des revenus inférieurs à 15.000 nets par an (pour 40 heures de travail ou plus par semaine), on ne peut être prolétaire si l'on est pas salarié-e.

    Evidemment, le noyau dur le plus révolutionnaire du prolétariat (ouvrier et en général) sont les personnes dont le taux d'exploitation est le plus élevé. De même, si TOUTES les classes non-prolétariennes peuvent avoir des transfuges rejoignant la cause du prolétariat, la probabilité diminue exponentiellement à mesure que grandit l'intérêt au maintien du système capitaliste. Dans les deux cas, le revenu annuel net est un bon indicateur, mais rien de plus.

    Sur ce critère de revenu, voir par exemple cet article d'avril 2011 (sachant que 95% des "Français" dont il est question sont des salariés, donc les "pauvres" entrent quasi-automatiquement dans la catégorie du prolétariat ; article intéressant aussi car montrant que plus les revenus sont élevés, plus une part importante de ceux-ci proviennent du patrimoine - placements divers, capitaux dans des entreprises, location de biens immobiliers etc. - ce qui place indiscutablement dans la catégorie "bourgeoisie") : http://www.20minutes.fr/economie/714769-20110428-economie-le-riche-pauvre-median-portraits-portefeuille-trois-francais


    (1)
    Evoquée pour la première fois par F. Engels en 1892, dans sa préface à La situation de la classe laborieuse en Angleterre, l’aristocratie ouvrière est ainsi décrite (ainsi que sa base matérielle) par V.I. Lénine : « (…) le capitalisme a assuré une situation privilégiée à une poignée (moins d'un dixième de la population du globe ou, en comptant de la façon la plus "large" et la plus exagérée, moins d'un cinquième) d'Etats particulièrement riches et puissants, qui pillent le monde entier par une simple "tonte des coupons". L'exportation des capitaux procure un revenu annuel de 8 à 10 milliards de francs, d'après les prix et les statistiques bourgeoises d'avant-guerre. Aujourd'hui beaucoup plus, évidemment. On conçoit que ce gigantesque surprofit (car il est obtenu en sus du profit que les capitalistes extorquent aux ouvriers de "leur" pays) permette de corrompre les chefs ouvriers et la couche supérieure de l'aristocratie ouvrière. Et les capitalistes des pays "avancés" la corrompent effectivement : ils la corrompent par mille moyens, directs et indirects, ouverts et camouflés. Cette couche d'ouvriers embourgeoisés ou de l'"aristocratie ouvrière", entièrement petits-bourgeois par leur mode de vie, par leurs salaires, par toute leur conception du monde, est le principal soutien de la IIe Internationale, et, de nos jours, le principal soutien social (pas militaire) de la bourgeoisie. Car ce sont de véritables agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier, des commis ouvriers de la classe des capitalistes (labour lieutenants of the capitalist class), de véritables propagateurs du réformisme et du chauvinisme. » (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (Préface aux éditions françaises et allemandes), 1916, Œuvres complètes vol. 22)

    (2) Finalement, on est ici sur une question de valeur d'usage et valeur marchande. L'ouvrier proprement dit donne à la chose sa valeur d'usage (ou la lui redonne : réparateur). Mais, tout autour, il y a des gens qui ne gagnent pas plus (voire moins) et lui donnent sa valeur marchande : tant que le produit reste dans l'usine, il ne vaut virtuellement rien. Il faut l'acheminer au client, autre entrepreneur de la chaîne productive ou consommateur final : donc l'emballer, le charger sur un camion, conduire le camion, décharger celui-ci, stocker la marchandise dans le magasin, la mettre en rayon, tenir la caisse, etc. etc.

    panneau-attention Toutes ces valeurs sont valables pour 2009-2010, il est évident qu'elles seront totalement dépassées en 2014 ou 2015, entre (maigre) augmentation des revenus et baisse du pouvoir d'achat.

     

    EN SOMME, après étude approfondie de la question, il est possible de dire que :

    - le prolétaire est le travailleur ne disposant d'aucun moyen de production (excluant l''indépendant', le paysan même pauvre etc.) sinon sa force de travail, et vendant celle-ci à un employeur capitaliste (c'est donc nécessairement un salarié) contre, disait Marx, "le strict nécessaire pour en assurer la reproduction" (survivre suffisamment en "bonne forme" pour fournir la même prestation de travail le lendemain). Marx n'avait pas prévu la "société de consommation" des pays impérialistes et capitalistes avancés de notre époque ; il aurait peut-être dû dire, plutôt, vendre sa force de travail contre "de quoi s'assurer la dignité d'existence minimale socialement admise" (ce qui serait la situation des "SMICards" de nos pays aujourd'hui). On peut aussi retenir la définition donnée par le (n)PCI dans son Manifeste Programme (note de fin n°115) : "Les prolétaires typiques sont les travailleurs qui, d’une manière générale, ne peuvent vivre qu’en vendant leur force de travail et qui exercent une activité qui peut être exercée par une grande partie des personnes adultes, après une période relativement brève de formation. Ils vendent par conséquent leur force de travail en concurrence avec un grand nombre de travailleurs" ;

    - la classe ouvrière est constituée des travailleurs/euses MANUEL-LE-S (s'aidant évidemment d'outils, de machines etc.) et SALARIÉ-E-S (non-propriétaires des moyens de production, sinon non) qui TRANSFORMENT PHYSIQUEMENT la matière pour lui donner une VALEUR AJOUTÉE. Ce peuvent être des ouvriers agricoles, qui ramassent des fruits par exemple (valeur virtuelle nulle du fruit sur l'arbre-> valeur du kilo sur le marché), ou un mineur (valeur nulle du minerai sous terre-> valeur du marché), un sidérurgiste qui transforme le minerai en acier (valeur du minerai-> valeur de l'acier trempé), un métallo qui tranforme l'acier en pièces (valeur acier-> valeur pièce finie), un maçon qui transforme du ciment et des briques en maisons, un cuisinier (salarié bien sûr) qui transforme des ingrédients en repas, etc. etc. Ce sont éventuellement aussi les travailleurs/euses qui "rétablissent" une valeur d'usage (réparateurs). Cela exclut les salarié-e-s, même très subalternes, qui entourent la production de valeur, en participant notamment à sa commercialisation (cf. plus bas). Ceux et celles qui échangent leur travail contre "juste de quoi s'assurer la dignité d'existence minimale socialement admise" forment le prolétariat ouvrier ; ceux qui gagnent plus (au-delà, disons, de 1.500 € par mois) forment l'aristocratie ouvrière. Le prolétariat ouvrier est le NOYAU DUR du prolétariat, mais pas sa totalité. Les deux notions se confondent souvent chez les auteurs 'classiques', principalement parce qu'à l'époque où ils écrivaient l'économie n'était pas encore tertiarisée comme aujourd'hui.

    - les autres prolétaires sont les salarié-e-s qui, échangeant leur force de travail contre la "dignité d'existence minimale socialement admise" (soit 1.500 €/mois maximum, grosso modo), contribuent quant à eux/elles, plus ou moins directement, à la réalisation de la valeur marchande (prix du produit sur le marché), donc de la PLUS-VALUE ; laquelle, tant que le bien n'est pas vendu, reste "emprisonnée" dans le "capital-marchandise". En effet, toute valeur produite est d'abord produite comme capital-marchandise, et ne peut se réaliser que si elle trouve des acheteurs, qu'il s'agisse de capitalistes (pour des moyens de production) ou de particuliers, pour des biens de consommation (La crise actuelle : une crise par surproduction absolue de Capital, Rapporti sociali n°0, automne 1985). On a là les "préparateurs/trices de commande", les transporteurs, les vendeurs/euses et les caissiers/ères des commerces de distribution, les secrétaires d'entreprise qui prennent les commandes, etc. ;

    - il existe une certaine masse de travail non-productif de plus-value, mais nécessaire à l'organisation sociale telle qu'elle est conçue : petits fonctionnaires ("catégories C"), petit emploi public ou associatif en général, etc. On peut l'assimiler au prolétariat non-ouvrier, en tout cas, il est un allié naturel du prolétariat ;

    - au delà de la "dignité minimale d'existence socialement admise", ces contributeurs/trices à la réalisation de la plus-value forment les couches moyennes-inférieures du salariat ; l'on peut y ajouter les fonctionnaires ("catégories B") et employé-e-s public-que-s du même standard de vie ;

    TOUT CE QUI PRÉCÈDE (avec les agriculteurs, "indépendants" ou micro-employeurs du même standard de vie) FORME LES CLASSES/MASSES POPULAIRES

    - les couches moyennes-supérieures (entre, disons, 2.000 et 3.500 €/mois) et supérieures (au delà) ont plus clairement une fonction de courroie de transmission, plus ou moins directe, du Capital ; voire de "représentants physiques directs" (cadres supérieurs/dirigeants, directeurs de sites de production, gérants d'entreprises etc.) ;

    - il en va de même pour les cadres administratifs et autres hauts fonctionnaires, courroies de transmission de l'État bourgeois, y compris dans la "défense du capitalisme contre lui-même" (ministères "sociaux") ;

    - les non-salariés : paysans (exploitants agricoles), "indépendants" (auto-entrepreneurs), petits et moyens employeurs (éventuellement "franchisé-e-s"), professions libérales etc., peuvent être réparti-e-s selon leurs revenus en pauvres, moyen-pauvres, moyen-riches et riches ; ils ne sont pour autant JAMAIS des prolétaires ;

    - les fonctions visant à protéger le fonctionnement capitaliste de la société contre les masses populaires (police, justice, "assermentés" en tout genre) forment une catégorie à part, même en ayant un standard de vie "populaire" (de l'ordre de 1.500 € nets/mois ou un peu plus) ;

    Enfin, il y a les "représentants physiques" de la bourgeoisie monopoliste, dont les revenus sont de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d'euros par mois. Qu'ils s'intitulent "administrateurs", "gérants", ou "cadres dirigeants" officiellement "salariés", ou "simples actionnaires", ils forment (hors exceptions individuelles que l'on peut toujours imaginer) l'ennemi absolu du prolétariat et des classes populaires. Les "professionnels de la politique" ont également souvent, avec leurs indemnités, des revenus très élevés (de plus, ils sont souvent, à l'origine, hauts fonctionnaires ou professions libérales, voire entrepreneurs, avec un "joli" patrimoine). Les artistes, sportifs etc. sont "leur propre capital" et peuvent avoir des revenus extrêmement élevés (plusieurs millions d'euros par an) ; cependant, issus des classes populaires, certain-e-s peuvent conserver des idées assez progressistes.

    En dernière analyse, il est également possible de dire qu'un prolétaire, c'est un-e travailleur/euse salarié-e qui ne touche PAS 100% (voire souvent beaucoup moins) de la valeur créée par son travail (son travail créée une valeur de 10 €, il/elle en touche 6 par exemple). Quelqu'un qui touche autour de 100% est un petit-bourgeois : indépendant, 'libéral' ou cadre moyen-bien-sup'-quand-même ; encore que ce ne soit jamais aussi simple : ainsi sur les 'indépendants' et les paysans pèse une 'nouvelle féodalité' faite de toute sorte de charges, taxes etc., quand ce n'est pas déjà (tout simplement pour commencer) la LOCATION du fonds de commerce ou de la terre lorsque l'on est pas propriétaire, ou encore l'achat 'forcé' à des conditions désavantageuses par les centrales de la grande distribution, toutes choses venant ponctionner une part non négligeable de la valeur/produit du travail ; dans tous les cas, cela ne veut pas du tout dire systématiquement avoir de gros revenus (loin de là). Quelqu'un qui par contre, juridiquement 'chef d'entreprise' ou juridiquement 'salarié' (cadre supérieur/dirigeant, haut fonctionnaire), touche PLUS DE 100% de la valeur qu'il crée réellement, autrement dit PERÇOIT DE LA VALEUR CRÉÉE PAR LE TRAVAIL D'AUTRUI (par qui d'autre, si ce n'est pas par lui ?), appartient à la BOURGEOISIE proprement dite. Évidemment, selon les métiers, ce peut être assez difficile à évaluer : le niveau de salaire est alors un indice important (c'est pourquoi nous insistons beaucoup là-dessus, contre beaucoup de marxistes 'orthodoxes').



    Sur "l'économie de services" : de plus en plus, on entend des spécialistes bourgeois parler "d'économie de services" pour les sociétés capitalistes avancées (d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord, ou d’Asie-Pacifique). Et, il est vrai, c'est l'impression  que l'on peut avoir au premier abord ; puisque, dans ces pays, l'économie productive, c'est à dire (en définitive) les personnes salariées comme "ouvriers", ne représentent plus que (généralement) le quart de la population active. Pour autant, pour SLP, "l'économie de services", cela ne veut rien dire, cela n'existe pas.

    Concrètement, les "services", ça consiste en quoi ?
    - le commerce ? Distribution de la production.
    - le transport ? Distribution ou organisation de la production.
    etc. etc.

    Globalement, les "services" se décomposent en :

    - accessoires de la production pour la réalisation de la plus-value, dans le cadre de la détection de la demande, de l'acheminement de la production à celle-ci etc. : transport, conditionnement, manutention, travail "en bureaux" dans les entreprises productives, et bien sûr commerce de distribution.

    - gestion de la production (travail "en bureaux", comptabilité etc.).  

    Tout cela, en dehors des personnes ayant des fonctions de direction, d'encadrement ou "à responsabilités" quelconques, constitue le prolétariat non-ouvrier, qui contribue à la création de valeur ou à la réalisation (marchande) de celle-ci, sans la créer directement par son travail.

    - services contribuant à l'organisation de la vie productive et de la vie sociale en général. Certains sont ce que l'on appelle généralement les "services publics" (postes et télécommunications, énergie et eau, transport ferroviaire et aérien de marchandises, transport de personnes en général, éducation et formation initiale et continue de la force de travail, administration de la collectivité, protection sociale), bien que (globalement) jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, et de plus en plus depuis les années 1980, ils soient aux mains de capitaux privés, et non de l’État capitaliste. D'autres ont toujours été privés (propreté des établissements de production et de formation, des administrations etc., transport routier et maritime de marchandises, professions juridiques etc.).

    - services contribuant au maintien physique de la force de travail : ce sont les services de santé, les activités (publiques ou libérales) de médecine.

    - il existe, effectivement, des services totalement liés à la vie sociale non-productive : services liés à l'apparence des personnes (coiffure, esthétique), ou à leur divertissement, leurs loisirs. Ils répondent à une capitalisation des "normes sociales communément admises". Cependant, beaucoup de personnes se les administrent gratuitement par elles-mêmes, ou grâce à leurs proches, amis etc. (on peut se faire couper les cheveux par quelqu'un, se "faire une beauté" soi-même, s'amuser avec ses potes sans aller ni au bar, ni au cinéma ni à un concert...).

    - enfin, il y a des services que l'on peut qualifier de "domestiques", achetés à titre particulier par les personnes qui en ont les moyens : entretien du domicile (ménage etc.), jardinage, cuisine, garde des enfants, enseignement particulier à domicile, auxiliaires de vie (pour les personnes âgées ou handicapées) etc. Ce sont, finalement, des survivances de la "domesticité" d'Ancien régime. Cela reste quand même marginal.

    Dans ces 4 types de services qui précèdent, nous avons du prolétariat non-ouvrier, du salariat non-productif assimilable par le niveau de vie (dans l'administration et les "services publics", l'éducation/formation, la santé et les services domestiques), des indépendants (dans la "beauté" et les loisirs) mais aussi des salariés de ceux-ci, des professions libérales (dans la santé ou le juridique) avec également des salariés, et des couches "moyennes-inférieures" (encore populaires) du salariat ; ou moyennes-supérieures dès lors qu'il y a "responsabilités".

     

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  • mao-zedong-1.jpg
    Qu'est ce que le maoïsme ?

    Nous sommes marxistes, léninistes et maoïstes. Dans le langage courant, on ne retient souvent que le dernier (c'est plus court à dire !) et on parle de maoïstes.

    En quoi cela consiste-t-il exactement ? C'est ce que nous allons tâcher d'expliquer ici. Les "initiés" trouveront peut-être notre exposé insuffisant, ce qu'il est sans doute. Mais notre démarche se veut avant tout pédagogique. Destinée à ceux pour qui toutes ces choses théoriques, sans mauvaise plaisanterie, "c'est du chinois"...

    Nous sommes donc marxistes-léninistes-maoïstes, car nous considérons que les apports de Mao Zedong à la théorie révolutionnaire communiste sont extrêmement importants, et en font la troisième et supérieure étape du marxisme, après Marx lui-même, avec Engels, au 19e siècle, et Lénine au début du 20e. Ils sont un saut qualitatif de la théorie, et non un simple apport, développement...

    Cela contrairement aux marxistes-léninistes "tout court", pour qui Mao est un "grand communiste" parmi d'autres, comme le Che ou Ho Chi Minh, mais pas au niveau de Lénine ; ou qui le rejettent complètement comme un "déviationniste de gauche" (les "hoxhaïstes", partisans de l'Albanie d'Enver Hoxha).

    L'apport politique de Mao Zedong (ou la plus grande partie) est synthétisé en pratique dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) et les années qui ont suivi (1966-76). Faisant de la Chine, à cette époque, la plus haute expérience révolutionnaire du 20e siècle.

    Nous reviendrons un jour sur les aspects pratiques de cette expérience, bien trop importante pour être développée ici.

    Ce qu'il faut retenir, c'est que Mao a compris qu'il ne suffisait pas de mettre un Parti communiste au pouvoir et de nationaliser l'économie pour que le tour soit joué.

    Il faut révolutionner la société. Car celle-ci est marquée par l'empreinte de l'ordre ancien, ses rapports sociaux, ses conceptions, ses "réflexes" (la Chine sortait du Moyen-Âge en 1949 !)... Et cette empreinte de l'ordre ancien est la porte ouverte par laquelle s'engouffre la restauration du capitalisme, le révisionnisme. Ce qui s'est produit en URSS, en Chine, au Vietnam...

    Il faut donc lutter politiquement, idéologiquement, par l'éducation politique de masse (et l'éducation des cadres par les masses), contre ces conceptions, habitudes et rapports sociaux qui "chaque jour", préparent le terrain à la contre-révolution.

    On retrouve un peu cette conception dans "l'Homme Nouveau révolutionnaire" du Che, mais cela restait une conception intellectuelle, idéaliste, et elle n'a pas été appliquée après son départ de Cuba. La révolution cubaine a amélioré le niveau de vie des masses, établi des formes de Pouvoir Populaire (les Assemblées populaires, les CDR), mais n'a pas "révolutionné" la société.

    Bien sûr, au regard de la Chine d'aujourd'hui, on peut se dire que la GRCP n'a pas été un succès. Peut-être, mais il y a tout de même une grande différence avec ce qu'il s'est passé en URSS. Les restaurateurs du capitalisme en Chine ont dû réprimer brutalement (et continuent à réprimer) les masses populaires. La restauration s'est faite contre les masses. Ils ont été obligés de s'affirmer comme partisans du capitalisme ("économie sociale de marché").

    Alors qu'en URSS, les restaurateurs ont pu avancer sous le masque du socialisme, lors des "perestroïkas" de Khrouchtchev (1955-64) et de Gorbatchev (1985-91), jusqu'à ce que ce ne soit plus (économiquement) possible (1990). Ils ont pu s'appuyer sur les masses populaires, sous le masque de la "libéralisation" du socialisme. Cela n'a pas été possible en Chine.

    Voyons maintenant quels sont ces grands apports théoriques et politiques de Mao Zedong.

    La ligne de masse

    "Servir le Peuple", "les masses font l'Histoire", "le camp du peuple est notre camp".

    La ligne de masse, c'est affirmer que les masses populaires font l'histoire. C'est en permanence être relié aux masses, être dans les masses "comme un poisson dans l'eau". Le révolutionnaire ne se pose pas en "Guide éclairé" des masses, avec sa "pensée géniale". Il doit les servir.

    Baser toute sa réflexion et toutes ses actions sur un principe de base : servir le peuple, le camp du peuple est notre camp. "Ce que je pense, ce que je fais, est-il au service du peuple ?"

    Il faut toujours partir des masses, de leurs expériences, de leurs aspirations, de leurs préoccupations.
    Il faut ensuite synthétiser tout cela, et l'élever au niveau de la théorie scientifique, commencer à ébaucher des réponses, des solutions stratégiques concrètes également. C'est la "valeur ajoutée" du révolutionnaire (par rapport au simple "travailleur social", "caritatif"...).

    Ensuite, il faut revenir aux masses : la théorie, la stratégie élaborée, ne se vérifient que dans la pratique.

    Pratique-théorie-pratique : telle est la base de l'activité révolutionnaire maoïste.

    Il faut rejeter absolument les pratiques petites-bourgeoises élitistes, aristocratiques, "j'ai tout compris", "je détiens la Vérité", les gens sont des bœufs (ou des beaufs) qui n'ont rien compris, à "éduquer politiquement"...

    Il faut rejeter l'activité élitiste purement théorique : "j'ai tout compris" parce que je suis capable de citer Marx, Lénine ou Mao (et d'autres encore) par cœur : rejeter la culture du livre.

    Les aspirations des masses populaires ne sont pas toujours (même rarement) claires. Elles s'expriment parfois (même souvent) de manière erronée : réformiste, voire réactionnaire, religieuse etc.

    Elles sont marquées par la domination culturelle de la bourgeoisie, en l'absence, faute de travail des révolutionnaires, de conscience politique de classe du travailleur lambda.

    Mais elles contiennent toujours une part de vérité, elles posent toujours de VRAIES questions, des problématiques réelles qu'il faut savoir identifier.

    Il faut dégager ces "impuretés", pour extraire les problématiques justes, et les éléments de réponse justes apportées par les masses.

    Le Peuple n'a pas la "vérité absolue", qui "sort de sa bouche" (un tel raisonnement conduit au populisme), car il est victime de la culture (ou de l'inculture !) que lui impose la domination bourgeoise. Mais il voit toujours juste au fond - il suffit de creuser !

    UN individu peut être "perdu", irrécupérable, rongé par la culture réactionnaire dominante, mais jamais 10.000 individus en même temps... Si l'on "creuse" avec le plus grand nombre possible, les idées justes finissent toujours par sortir !

    En résumé, considérer que "le peuple a toujours raison" (vox populi vox dei) alors qu'il subit la domination culturelle et des valeurs de la bourgeoisie, la "tradition" réactionnaire, conduit au populisme ; mépriser le peuple, considérer qu'il ne comprend rien et qu'il faut lui apporter la "lumière", conduit à l'élitisme.

    L'un comme l'autre conduit à la réaction, voire au fascisme.

    Le camp réactionnaire est rempli de gens partis "à la conquête" des larges masses avec l'une ou l'autre de ces conceptions. Bien sûr, il est difficile de combattre l'une sans tomber dans l'autre : c'est justement ce qui fait les grands révolutionnaires que d'y parvenir !

    En explosant dans les années 1970, face aux difficultés du réel, le mouvement maoïste (très petit-bourgeois) est tombé soit dans l'un soit dans l'autre, presque sans exception...

    La ligne de masse s'exprime et s'applique dans deux autres grandes théories du maoïsme : la lutte de lignes au sein du Parti, et la continuation de la lutte des classes sous le socialisme.

    La lutte de lignes : Mao ne considère pas le Parti comme un "bloc" monolithique, sans contradictions internes, où le seul problème serait des "traîtres", des "agents infiltrés" de l'ennemi... Considérer cela, pour Mao, c'est aller droit à l'échec, à la défaite de la ligne révolutionnaire, à la transformation du Parti révolutionnaire en son contraire : un parti réactionnaire.

    Selon la théorie maoïste, l'influence des différentes classes de la société s'exprime à l'intérieur du Parti (indépendamment de l'origine de classe d'un tel ou un tel !) avant la révolution, et même après la révolution, lorsque les classes exploiteuses ont été déchues de leur Pouvoir, lorsque la petite-bourgeoisie et la paysannerie ont en grande partie rejoint le prolétariat : en effet, leur empreinte de classe, l'empreinte idéologique de leurs conceptions et de leurs valeurs persiste dans la société et pénètre le Parti (qui n'est pas "en dehors" de la société).

    Ce n'est pas un problème de "traîtres" et "d'agents infiltrés" : c'est absolument naturel, dialectique, matérialiste ! (Ce n'est pas, non plus, un "droit de tendance" trotskiste... On ne considère pas que les lignes "ont le droit" d'exister, mais qu'elles existent de fait, et que la ligne révolutionnaire doit combattre les autres lignes.)

    Indépendamment, on l'a dit, de l'origine de classe individuelle (Mao était d'origine plutôt petite-bourgeoise, Lénine aussi, alors que Khrouchtchev et Brejnev étaient de milieu ouvrier !), chaque ligne qui s'exprime dans le Parti révèle une influence de classe.

    La ligne de droite (opportuniste, réformiste, conciliatrice) représente clairement l'empreinte de la culture et des conceptions bourgeoises.

    Le "centre" représente l'empreinte de classe de la petite-bourgeoisie, ou des professions intellectuelles.

    Les "gauchistes" représentent les conceptions (et souvent, aussi, les individus) de la petite-bourgeoisie déclassée, souvent intellectuelle, précarisée et radicalisée politiquement, mais qui garde les traits de la pensée petite-bourgeoise : élitisme, idéalisme "puriste", intellectualisme (culture du livre), individualisme, irresponsabilité (tendance à l'aventurisme). Un grand "radicalisme", une volonté brûlante d'en "découdre", mais au fond une aspiration petite-bourgeoise à "retrouver son importance" au dessus des masses, voire à les "guider", "être un leader", un "grand révolutionnaire". Le gauchisme est connu pour produire les plus spectaculaires retournement réactionnaires...

    Enfin, il y a la ligne de "gauche" : la ligne rouge, révolutionnaire, prolétarienne. La seule qui soit l'expression des conceptions du prolétariat.

    Car c'est bien en terme de conceptions de classe qu'il faut raisonner, pas en terme de "droite" ou de "gauche". Les gauchistes ne sont pas "trop à gauche", "pas assez raisonnables"... Ils sont l'expression de conceptions non prolétariennes, petites-bourgeoises : ils sont à droite !

    Pour assurer la victoire de la révolution, non seulement avant mais après (pendant des décennies !), il faut lutter dans le Parti (et dans la société !) pour imposer la ligne révolutionnaire prolétarienne.

    Cette lutte consiste, en permanence, à renforcer la gauche, gagner le centre, et isoler la droite (et les gauchistes).

    De la même façon, Mao considère (mais déjà Staline avant lui, Lénine est quant à lui mort trop tôt) que la lutte des classes ne se termine pas avec la prise de Pouvoir révolutionnaire, ni avec l'écrasement militaire des forces réactionnaires, ni avec l'expropriation socialiste des classes exploiteuses...

    D'une part, les anciennes classe exploiteuses, même privées de leur pouvoir politique et économique, subsistent en tant qu'individus avec leurs conceptions (par exemple, même privées de leurs droits féodaux, l'aristocratie et l'Église ont joué un grand rôle réactionnaire en France, jusqu'au début du 20e siècle...). Et dans les conditions d'encerclement capitaliste de la révolution, elles ont l'appui de la réaction extérieure.

    D'autre part, leur empreinte, leurs conceptions, leurs valeurs, les traces de leur domination culturelle persistent dans la société, bien après la liquidation de leur Pouvoir.

    Tous les ex-bourgeois et petits-bourgeois ne sont pas des contre-révolutionnaires actifs certes... Mais aussi, tous les contre-révolutionnaires ne sont pas d'ex-bourgeois et petits-bourgeois !

    Il faut donc poursuivre longtemps la lutte, physiquement si nécessaire (justice révolutionnaire) mais surtout idéologiquement et culturellement : écraser les conceptions idéologiques et culturelles bourgeoises et petites-bourgeoises, qui sont autant de failles, de portes ouvertes à la restauration capitaliste (la répression toute seule ne sert à rien).

    La lutte de lignes au sein du Parti et la continuation de la lutte des classes sous le socialisme, convergent dans la Révolution Culturelle.

    Staline a vu la nécessité, mais n'a pas lutté correctement contre les résidus et surtout les résidus de conceptions bourgeoises et petites-bourgeoises.

    Il a nié l'existence de lignes dans le Parti (au profit des "traîtres", des "agents trotskistes" et "étrangers") et même, en 1935, l'existence de classes en URSS (ne voyant que l'aspect économique : il n'y avait plus de propriétaires privés de moyens de productions, mais pas l'aspect idéologique et culturel, et son influence au sein même du Parti).

    La révolution ininterrompue

    Une autre manipulation anti-maoïste, consiste à faire de Mao un "trotskiste", en confondant volontairement la théorie de la révolution ininterrompue et la "révolution permanente" de Trotsky (ainsi que la lutte de lignes dans le Parti et le "droit de tendance").


    Pourtant, elle est tout le contraire ! La théorie de la révolution ininterrompue est, en fait, le développement de la théorie de Lénine, théorie combattue précisément par Trotsky.

    Lénine a construit le marxisme-léninisme en affirmant, contre les réformistes (mencheviks) russes, que la révolution prolétarienne, et la construction du socialisme, étaient possibles en Russie.

    Pour les mencheviks, ça n'était pas possible, la Russie était un pays arriéré et il fallait d'abord soutenir une révolution bourgeoise, démocratique, avant d'envisager une révolution socialiste, possible seulement dans un pays capitaliste développé, industrialisé.

    Pour Lénine, au contraire, dans les pays arriérés et encore marqués par la féodalité, le Parti communiste du prolétariat peut prendre le pouvoir, assurer les tâches de la révolution démocratique bourgeois (détruire la féodalité, l'oligarchie, démocratiser la société) avant de passer, sans interruption, à la construction du socialisme.

    La "révolution permanente" de Trotsky, c'est justement l'opposé de cette thèse : c'est une thèse menchevique, selon laquelle la révolution dans un pays arriéré et isolé ne peut que dégénérer (en "bureaucratie") si elle ne s'étend pas très vite à d'autres pays, surtout aux pays industrialisés. La possibilité de la construction du socialisme dans un seul pays est également niée.

    Pour assurer les tâches de la révolution, la classe ouvrière doit selon Lénine s'allier à la paysannerie pauvre (voire à une certaine petite-bourgeoisie pauvre), aux conditions de vie proches. Trotsky rejette catégoriquement cette alliance : il nie ou, en tout cas, minimise totalement la force révolutionnaire de la paysannerie (et ne veut pas entendre parler, pour les pays dominés, de petite et moyenne-bourgeoisie nationale anti-impérialiste). Ces thèses fondamentales se retrouvent dans le trotskisme "orthodoxe" d'aujourd'hui (elles se sont atténuées dans le trotskisme plus "léniniste" qui fut celui de la LCR).

    Ainsi, comme l'a parfaitement expliqué Joseph Staline dans ses Principes du léninisme, la lutte contre la théorie de la "révolution permanente" ne remet nullement en question le fait que la révolution ne soit pas "un acte unique, mais une époque de commotions politiques et économiques orageuses, de luttes de classe très aiguës, de guerre civile, de révolution et de contre-révolution" (Lénine, Du mot d'ordre des États-Unis d'Europe) ; et qu'elle soit, dans le cadre d'un pays arriéré et encore féodalisé, un processus ininterrompu de la révolution démocratique "de nouveau type" vers le socialisme. Ce qui est combattu, c'est 1°/ la "révolution permanente" comme négation (ou sous-estimation) du rôle de la paysannerie et 2°/ la négation de la possible victoire du socialisme dans un seul pays, surtout arriéré, même s'il est immense comme l'URSS ou la Chine. Deux thèses, on le voit bien, à l'opposé complet du maoïsme...

    Simplement, pour Lénine, cette théorie ne s'appliquait qu'aux pays arriérés (comme la Russie, ou l'Espagne) marqués par la féodalité, mais pas aux pays colonisés et semi-colonisés ("protectorats", "pays sous influence"). Dans ces pays là, il avait tendance à penser que les communistes devaient soutenir la révolution bourgeoise contre la domination impérialiste, en défendant au sein de celle-ci les intérêts spécifiques du prolétariat...

    Le grand apport de Mao, c'est d'avoir démontré que la théorie de Lénine était applicable aux pays colonisés et semi-coloniaux (après que les forces de la "révolution bourgeoise" en question, le Kuomintang, se soient ralliées à l'impérialisme en écrasant les communistes).

    Démontrer qu'il était possible pour le Parti du prolétariat, allié aux masses paysannes, de prendre le pouvoir et d'assurer les tâches de la libération nationale et de la révolution bourgeoise anti-féodale, puis d'avancer de manière ininterrompue vers la construction du socialisme - après avoir suffisamment développé les forces productives.

    Facile, certainement pas, mais possible !

    C'est ce que l'on appelle la révolution de Nouvelle Démocratie (on parle parfois de révolution national-démocratique - comme le PC des Philippines par exemple).

    Il va de soi que les trotskistes s'opposent farouchement à cette théorie (alliance avec les masses paysannes, la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie nationale patriotique-progressiste) et, en bons anti-léninistes, refusent également tout soutien au mouvement national bourgeois... (nous verrons plus loin que celui-ci a ses défauts...)

    L'apport de la révolution ininterrompue, de la possibilité de la révolution prolétarienne dans les pays dominés, Mao va également le développer dans sa stratégie de la révolution mondiale.

    Lénine avait en effet, dès le milieu des années 1910, distingué trois grandes contradictions à l'échelle mondiale :

    - la contradiction bourgeoisie/prolétariat, Capital/Travail, bien sûr : la contradiction centrale du capitalisme,

    - la contradiction, dans le cadre de l'impérialisme, entre impérialisme et nations opprimées,

    - les contradictions inter-impérialistes : comme l'a bien montré Lénine, le partage du monde étant terminé, la lutte pour le repartage des marchés, des ressources (matières premières, main d’œuvre etc.) entre les monopoles et les groupes de monopoles, et les États qui les représentent (bras armé) est la constante de notre époque. [Ceci est récapitulé par Staline dans Principes du léninisme]

    Ces 3 contradictions sont en général mêlées, et il faut les démêler pour essayer de déterminer laquelle est la principale.

    Mais Mao a tendance à considérer, qu'à notre époque la contradiction impérialisme/pays dominés est devenue la principale. Dans les pays impérialistes, les bénéfices de l'exploitation des 3/4 de l'humanité permettent "d'atténuer" la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat ("démocratie sociale", "niveau de vie", "consommation") et les forces révolutionnaires piétinent.

    Dans les pays dominés, la domination impérialiste a tendance à gommer la contradiction masses populaires / bourgeoisie nationale, qui ont dans l'immédiat un même objectif : chasser l'impérialisme.

    Quelque part, on peut dire que cette analyse est une première tendance à l'universalisation de la Guerre Populaire chez Mao, dans la mesure ou cette analyse revient à une théorie d'encerclement du centre (les pays impérialistes, développés) par la périphérie (les nations opprimées).

    La théorie de la révolution ininterrompue, a aussi permis de mettre à jour la nature réelle de la bourgeoisie nationale, qu'on avait déjà pu voir avec le Kuomintang - ou avec le kémalisme (Mustafa Kemal Atatürk) en Turquie.

    La bourgeoisie nationale est, en effet, une classe instable, un peu l'équivalent de la petite-bourgeoisie dans nos pays impérialistes. Elle lutte contre la domination impérialiste (comme la petite-bourgeoisie combat les monopoles), mais dans les conditions de l'impérialisme, son projet de "capitalisme national" ne peut pas aboutir (comme dans les conditions du monopolisme, la république démocratique "idéale" des petits-bourgeois ne peut pas aboutir).

    Donc, elle peut se rallier à la cause du Peuple mais aussi, souvent, finir par se tourner à nouveau vers l'impérialisme (par exemple, un impérialisme rival de celui qu'elle a combattu - ou le même, à de "nouvelles conditions"...). Si on lui laisse la direction de la libération nationale anti-impérialiste, c'est ce qui a 9 chances sur 10 d'arriver.

    C'est ce qu'on a vu, ces 60 dernières années, un peu partout : "nationalistes" arabes, révolution (islamique national-bourgeoise) iranienne, innombrables "progressismes" latino-américains (MNR de Bolivie, péronisme etc.), le grand "anti-impérialiste" Kadhafi, etc. etc...

    Sans rapport de force suffisant établi par les masses populaires, c'est quasi systématique. Mais en cas de rapport de force trop important (ou d'existence d'un camp socialiste !), la bourgeoisie nationale peut aussi prendre peur, rejeter la révolution démocratique et se tourner vers la réaction impérialiste (comme le Kuomintang).

    C'est une stratégie extrêmement complexe. La révolution de Nouvelle Démocratie, conduite par "l'alliance des 4 classes" (prolétariat, paysannerie, petite-bourgeoisie et bourgeoisie nationale patriotique-progressiste) sous la direction du prolétariat, est au contraire simple, comporte beaucoup moins de risques... Mais il faut que le rapport de force la rende possible.

    Lorsque les forces populaires, révolutionnaires, sont trop faibles, il faut être léninistes : soutenir tactiquement le mouvement national bourgeois, comme jouant un rôle progressiste en affaiblissant l'impérialisme (et parfois, lorsque cette bourgeoisie est progressiste, en ouvrant des perspectives aux masses populaires). Mais il faut savoir retirer ce soutien, dès que le mouvement national bourgeois cesse de faire partie de la solution, pour devenir une partie du problème.

    Mais partout où les forces populaires révolutionnaires sont suffisantes (en nombre et en conscience), il faut soutenir la révolution de Nouvelle Démocratie sous la direction des masses et du prolétariat, soutenir la GUERRE POPULAIRE.

    La Guerre Populaire prolongée (GPP)

    "On a raison de se révolter", "la révolution n'est pas un dîner de gala",  "la victoire est au bout du fusil".

    C'est réellement le grand apport théorique de Mao, à la stratégie de la lutte de classe et de prise révolutionnaire du pouvoir.

    La GPP n'est pas la caricature qu'en font les anti-maoïstes : prendre un fusil et partir faire la guérilla dans les bois, encercler les villes par les campagnes josé-bovistes ...

    Cette conception de la Guerre Populaire, est évidemment la conception adaptée aux pays arriérés, semi-féodaux et coloniaux / semi-coloniaux (ou néo-coloniaux), où la société rurale est largement dominante. Comme la Chine des années 1930-40, l'Inde, les Philippines, la plus grande partie de l'Amérique latine aujourd'hui...

    Il faut le dire : Mao lui-même, au départ, a développé cette conception de la lutte révolutionnaire comme adaptée à la Chine de l'époque. Il n'a jamais affirmé son universalité. Mais, par la suite, de nombreux révolutionnaires ont développé la théorie de la GPP comme universelle : les maoïstes turcs avec Ibrahim Kaypakkaya, Gonzalo au Pérou, les militants révolutionnaires allemands ou italiens des années 1970-80, des révolutionnaires basques (comme Argala) ou irlandais (comme Jim Lynagh), et aujourd'hui le (n)PCI avec leur théorie de la Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée (GPRLD).

    En réalité, la valeur universelle de la Guerre Populaire prolongée est de considérer la lutte de classe du prolétariat (et de ses alliés des classes populaires), pour la Révolution, comme une guerre de tranchées, un long bras de fer avec la classe dominante - en l'occurrence, la bourgeoisie.

    Et non pas comme une "guerre éclair" : le prolétariat ne peut pas vaincre le Pouvoir bourgeois réactionnaire (gouvernemental, administratif, répressif et patronal) sur ce terrain-là, car celui-ci, même en grande difficulté, reste solide, tient les leviers de la répression mais aussi de la propagande et de "l'apprivoisement" : les "balles enrobées de sucre" des "concessions" et de la démagogie.

    Ce "bras de fer", schématiquement, se décompose en 3 étapes :

    -> la défensive stratégique : c'est la phase où la domination bourgeoise (politique, économique et culturelle) s'exerce puissamment sur les classes populaires, dans tous les domaines, où les forces révolutionnaires, armées de la théorie scientifique marxiste, sont peu nombreuses et isolées.

    C'est la phase ou le mot d'ordre est "on a raison de se révolter", "là où il y a oppression, il y a résistance" : la résistance, la révolte, la lutte forge la conscience révolutionnaire de classe.

    Le travail des révolutionnaires communistes, est de participer activement à cette élévation de la conscience politique, de l'organiser et de l'armer avec une ligne politique et stratégique correcte - qui se définit elle-même, on l'a vu, en grande partie dans la lutte... mais nous avons aussi la chance de pouvoir nous appuyer sur 150 ans d'expérience révolutionnaire du prolétariat !

    -> l'équilibre stratégique est obtenu par l'effet conjoint de la révolte du peuple (armée de la théorie révolutionnaire et organisée par l'avant-garde la plus consciente, le Parti) et de la crise du Pouvoir bourgeois - qui porte en lui-même la crise et sa propre faillite.

    À ce stade, les forces révolutionnaires et les forces réactionnaires sont à égalité. Des zones géographiques entières, des pans entiers de la société, les Bases rouges, échappent au Pouvoir bourgeois de plus en plus paralysé. Dans ces bases, le Pouvoir populaire se met en place : on est en situation de double pouvoir.

    C'est la situation de la Russie juste avant la Révolution d'Octobre, de la Chine en 1946-49, mais aussi de la France et de l'Italie (en tout cas le Nord) à la Libération (1944-45).

    Les révolutionnaires disposent à ce stade d'une Force armée puissante, capable de défendre les Bases rouges mais surtout de passer très vite à :

    -> l'offensive stratégique : c'est la lutte finale, l'assaut massif qui mène à la prise du Pouvoir, puis de là à l'écrasement des forces réactionnaires. Lorsque l'on est à l'équilibre stratégique, il est important de passer très rapidement à l'offensive.

    C'est ce que n'ont pas fait le PCF et le PC italien à la Libération, préférant déposer les armes et se lancer dans la politique parlementaire bourgeoise : ils ont alors été renvoyés à la défense stratégique - puis à l'institutionnalisation, à la social-démocratisation etc. (On invoque parfois la "trahison" de Staline à Yalta, mais l'URSS était saignée à blanc par la guerre et il était normal qu'elle fasse des concessions aux Alliés... Et qu'elle compte sur les communistes français et italiens ! Les Grecs ont répondu à l'appel, mais ont été victimes de la trahison de Tito.)

    C'est ce que n'ont pas fait les FARC de Colombie, au milieu des années 1980, préférant fonder un parti électoraliste (l'Union Patriotique) qui sera exterminé par la Réaction (3.000 assassinés). Et encore aux début des années 2000, lorsqu'elles contrôlaient la "zone démilitarisée" de Cagùan (grande comme 7 départements français !) : elles ont préféré "négocier" une "résolution politique du conflit"... Ouvrant la voie à l'offensive réactionnaire d'Uribe.

    Lorsqu'un mouvement, armé, vise uniquement l'équilibre stratégique, pour "imposer" des "réformes" au Pouvoir bourgeois, pour "négocier une solution politique" ou se lancer dans la politique bourgeoise, parlementaire ou "protestataire", on parle de réformisme armé.  C'est le cas du MRTA au Pérou, qui n'a jamais dépassé le stade de la défense stratégique (voire de la minorité agissante...) et a été écrasé à la fin des années 1990. Ou de l'EZLN (zapatistes) au Mexique. Et c'est un gros problème des FARC...

    Il est important de souligner, à ce sujet, contre une autre caricature anti-maoïste, que la Guerre Populaire ce n'est pas la violence pour la violence, la clandestinité pour la clandestinité et autres fantasmes de petit-bourgeois "warrior".

    La violence et l'illégalité ne tiennent pas lieu de ligne politique correcte, ni de travail révolutionnaire de masse (militarisme gauchiste). La politique commande au fusil : sans ligne politique correcte, sans travail révolutionnaire dans les masses, relié à leurs aspirations et à leurs problèmes, la violence finit toujours dans l'impasse, la "propagande par le fait", les "minorités agissantes" (groupes communistes "combattants" d'Europe dans les années 1970-80... et encore, ils méritent au moins un certain respect pour avoir pris des risques : beaucoup de "warriors" le restent purement en paroles...).

    La valeur universelle de la GPP, c'est surtout de s'opposer à la "théorie insurrectionnelle" ("guerre éclair", "Grand Soir", accumulation de forces - insurrection), d'en dénoncer les failles et les échecs programmés.

    La stratégie insurrectionnelle, c'est celle qui cite la Révolution russe d'Octobre 1917 en exemple. Mais il s'agissait là d'une situation assez exceptionnelle : un pouvoir anachronique (une monarchie absolue comme au 18e siècle !) qui, face à la première guerre totale de l'ère impérialiste, s'est retrouvé complètement dépassé, inadapté, et profondément impopulaire.

    Les choses sont donc allées relativement vite. Mais relativement seulement. Les révolutionnaires ont d'abord dû lutter 8 mois, après le renversement du Tsar en Février, contre un "gouvernement de sauvetage" réformiste qui tentait, en fait, de mener une révolution bourgeoise, ou une simple "modernisation" de l'ordre existant... Cette lutte fut plus dure et plus sanglante que le renversement du Tsar lui même.

    Et après la Révolution d'Octobre, les forces contre-révolutionnaires (dont 14 armées étrangères !) n'ont été écrasées qu'en 1921. Jusqu'en 1919 au moins, voire 1920, le Pouvoir Rouge a failli à chaque instant finir comme la Commune de Paris. Il n'a triomphé qu'au terme d'une longue et terrible lutte menée par l'Armée Rouge du Peuple.

    Cela devrait suffire à balayer toutes les théories du Grand Soir, de la Révolution comme "guerre éclair", pour ne pas dire "dîner de gala"...

    Les "insurrectionnels" considèrent, au fond, que la Révolution est un dîner de gala. Que pour la faire, il faut que "les conditions soient mûres", c'est à dire, pratiquement, que le "système" s'effondre de lui-même, que le Pouvoir ne soit "pas à prendre, mais à ramasser".

    Cela n'est bien sûr jamais le cas et, comme on l'a vu, même si cela arrive exceptionnellement, la classe dominante se ressaisit très vite et mène une guerre contre-révolutionnaire sans pitié (comme en Russie).

    C'est donc ce que nous rabâchent en permanence nos anarcho-syndicalistes et syndicalistes révolutionnaires trotskystes : "les conditions objectives ne sont pas prêtes", "il est trop tôt"... Et en attendant, on fait quoi ? On accumule des forces, monsieur !

    Et on s'enferme dans une pratique réformiste, syndicaliste, "militant-tant-tante", contestataire et pétitionnaire, qui finit par devenir un but en soi. [Parfois aussi, la stratégie insurrectionnelle conduit à des aventures suicidaires, des soulèvements improvisés réprimés dans le sang, mais c'est de plus en plus rare. L'expérience historique a rendu nos théoriciens du "Grand Soir" plutôt du genre prudent...]

    Jamais il ne leur vient à l'esprit que ces conditions "mûres", les révolutionnaires peuvent contribuer à les créer, même si parfois, bien sûr, la "bonne santé" de l'économie capitaliste est plus forte, comme dans les années 1960-70.

    Les créer par l'éducation politique de masse, en élevant la conscience révolutionnaire du Peuple exploité, en démasquant au quotidien les impostures de la "démocratie" et du "confort" capitaliste (rien qu'en rappelant que ceux-ci reposent sur l'exploitation sauvage des 3/4 de l'humanité, et que même ici il y a toujours des "exclus" du rêve capitaliste !).

    Or, en se posant dans une pratique "syndicaliste" (pour les droits sociaux, les salaires, les conditions de travail) ou "pétitionnaire" (pour les droits démocratiques), on se place dans une position de mendiant vis à vis du Pouvoir bourgeois. Et on le renforce, car on le "crédibilise" aux yeux des masses : "on ne mord pas la main qui nous nourrit"...

    Même lorsque la Révolution n'est objectivement pas possible, et qu'il faut se contenter de "conquêtes" démocratiques et sociales, il faut toujours pousser le rapport de force au maximum, arracher plus que ce que le Pouvoir bourgeois est prêt à accorder par simple bonté d'âme.

    Bien sûr, c'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire. Il faut pour cela un gros travail d'organisation des masses en lutte, mais pas seulement. Une "armée", même la mieux organisée qui soit, n'est rien sans le "moral des troupes".

    Et le "moral des troupes", dans la guerre de classe, c'est la conscience politique révolutionnaire du Peuple, sans laquelle aux premières "concessions" de la bourgeoisie (ou face à la répression, ou au "pourrissement" joué par la classe dominante) les troupes se démobilisent, s'éparpillent, rentrent dans leurs chaumières. Comme à chaque "mouvement" social (grèves), étudiant (comme le CPE) ou "citoyen" (comme contre la "Constitution" européenne) de ces dernières années.

    Il faut, en travaillant dans chaque lutte à éveiller et à élever la conscience politique de classe, assurer la mobilisation la plus solide, la plus durable et combattive possible, pour pousser la bourgeoisie dans ses retranchements - et un jour, la renverser ! Il faut mettre la politique au poste de commandement.

    C'est précisément ce que ne font pas nos syndicats et nos militants "d'extrême-gauche", "anti-libéraux", trotskystes et anarchistes d'aujourd'hui, avec leurs mots d'ordres "minimums" qui se veulent "rassembleurs".

    Leur pratique est, de fait, réformiste, "mendiante", et c'est le résultat de la théorie insurrectionnelle du "Grand Soir".

    La théorie de la Guerre Populaire, c'est déjà, simplement, rappeler l'importance du travail politique révolutionnaire de masse, de la création des conditions révolutionnaires subjectives (dans la tête des gens !), l'importance du rapport de force, de la lutte - bras de fer avec ses avancées et ses reculs, qui forgent la conscience révolutionnaire de classe.

    Contre les appels au "Grand Soir" en parole, et en pratique, les mots d'ordre platement économiques (des sous !), syndicalistes, "d'agitation" contestataire - syndicale ou associative.

    C'est rappeler que la conscience révolutionnaire et la combattivité du Peuple se forgent dans la lutte, la résistance et la révolte au quotidien contre l'oppression, l'exploitation, l'injustice. La ligne politique juste naît de l'expérience des résistances et des luttes, de leurs réussites et de leurs échecs.

    Pour enfin, un jour, poser en masse la QUESTION DU POUVOIR (qui doit gouverner ? le Peuple !) - et non plus les éternels "mots d'ordre" revendicatifs.


     **********************************************************************************************************

    Synthétisés à l'extrême, les apports du maoïsme à la théorie communiste sont ainsi exposés dans l'article de Nicola P., La huitième ligne de démarcation (2002), dans La Voce du (n)PCI n°10.

    Dans cet article, Nicola P. indique quels sont les cinq principaux apports de Mao à la pensée communiste :

    - la Guerre populaire révolutionnaire de longue durée comme forme universelle de la révolution prolétarienne,

    - la Révolution de Nouvelle Démocratie dans les pays semi-féodaux,

    - la lutte de classe dans la société socialiste et la nature de la bourgeoisie dans les pays socialistes,

    - la ligne de masse comme méthode principale de travail et de direction du Parti communiste,

    - la lutte entre deux lignes dans le Parti, comme méthode principale de défense du Parti communiste contre l'influence de la bourgeoisie, et de développement du Parti.

    DE FAIT (et il faut à ce titre lire ici... tant pis pour la source pourrave : pcp-marxisme-leninisme-maoisme-1988), le "saut" qualitatif vers un nouveau et supérieur stade du marxisme signifie des développement d'importance considérable, dans L'ENSEMBLE (et non seulement un ou deux) des TROIS CHAMPS que sont la philosophie marxiste, l'économie politique et le socialisme scientifique.

    Ainsi, si nous voulons récapituler tout ce que nous venons de voir sous forme d'un "classement" :

    - PHILOSOPHIE : développement/approfondissement de la compréhension des lois du matérialisme dialectique, en particulier la loi de la contradiction conçue comme archi-principale et motrice (même si l'on peut discuter le fait que Mao ait purement et simplement "rejeté" les autres, transformation de la quantité en qualité et surtout négation de la négation : la-negation-de-la-negation-et-le-maoisme). Il a également, nous dit le PCP dans son document de 1988 en lien ci-dessus, "mis la philosophie à la portée des masses, accomplissant ainsi la tâche que Marx nous avait léguée". On peut considérer que découle de cela la ligne de masse (expliquée supra) comme méthode d'accès à la connaissance (mais cette conception, de fait, traverse aussi tous les autres champs d'apports du maoïsme).

    - ÉCONOMIE POLITIQUE : critique de la construction du socialisme en URSS, en particulier de la "théorie des forces productives" selon laquelle une fois tout collectivisé/étatisé, "la révolution a atteint ses buts, elle est terminée" et la seule contradiction serait entre cette "forme politique supérieure" et un niveau des forces productives "en retard" qu'il suffirait de "développer"... alors même que tous les rapports sociaux de production restent profondément marqués par le capitalisme (voir les liens à ce sujet plus bas, très intéressants et explicatifs). L'économie de la transition socialiste ne doit pas être "l'expertise" technique, mais toujours la POLITIQUE au poste de commandement, pour aller en socialisant toujours plus les rapports de production et tous les rapports sociaux, sous peine de formation d'une nouvelle bourgeoisie, et de contre-révolution. Car de fait, et contrairement à ce qu'argueront les "vieux ML", la superstructure politique peut rétroagir sur l'infrastructure économique, et les (pour faire court) "méthodes bourgeoises de direction", et de manière générale tous les rapports sociaux et les vieilles conceptions héritées de l'ordre ancien et toujours vivantes peuvent totalement transformer une économie en apparence socialisée en son contraire, et restaurer plus ou moins progressivement le capitalisme si on ne les combat pas.

    Dans les pays dominés par l'impérialisme, mais pseudo-"indépendants" (semi-coloniaux semi-féodaux), thèse fondamentale du capitalisme bureaucratique, "capitalisme qui se développe dans les nations opprimées par l'impérialisme et qui présentent différents degrés d'une féodalité sous-jacente" ; fondamentale notamment pour éviter le soutien aveugle à toute sorte de régimes "progressistes", "bourgeois nationaux", "anti-impérialistes" qui caractérisera le révisionnisme soviétique et pro-soviétique à partir des années 1950 (mais aussi, dans une certaine mesure et en contradiction - donc - avec les enseignements mêmes de Mao, l'"anti-révisionnisme pro-chinois" des années 1970...). Cette question a pu être assez longuement développée par SLP ici : sur-le-capitalisme-bureaucratique-des-pays-domines ; Mao a essentiellement utilisé le concept pour caractériser le Kuomintang post-1927, notamment ici : Mao-Tsetoung-La-democratie-nouvelle.pdf ; et une œuvre extrêmement intéressante à ce sujet est celle d'Ibrahim Kaypakkaya sur le kémalisme en Turquie : Kaypakkaya-kemalisme.pdf.

    - SOCIALISME SCIENTIFIQUE : Guerre populaire (en tout cas, lutte révolutionnaire violente) prolongée, telle que nous l'avons décrite plus haut, comme méthode universelle de prise de pouvoir par le prolétariat (même si Mao, bien évidemment, a toujours explicitement exclu la longue guérilla rurale qu'il avait lui-même menée en Chine comme méthode applicable aux pays industrialisés !). Meilleure compréhension de la continuation de la lutte des classes sous le socialisme, par la mobilisation des masses, dont la traduction pratique la plus grandiose aura été la Révolution culturelle.


    PS - Tout ceci étant dit, nous partageons aussi TOTALEMENT le point de vue de cet excellent article maoïste canadien que nous avons traduit : le marxisme, le léninisme et le maoïsme donnent les noms de personnalités particulièrement marquantes (Marx, Lénine et Mao) à des ÉTAPES, des JALONS du développement de la science révolutionnaire du prolétariat (socialisme scientifique) ; mais cela ne signifie en aucun cas que la pensée et la pratique concrète de ces personnalités ait été exempte de toute erreur, totalement infaillible et qu'elle soit insusceptible de critique (surtout avec le recul historique). LE MAOÏSME DOIT ÊTRE UN REJET CATÉGORIQUE DU DOGMATISME.


    Et puis être maoïste c'est aussi RECONNAÎTRE, COMPRENDRE et CRITIQUER les erreurs de "Staline" (au sens de "direction soviétique entre les années 1920 et 1950"), qui ne sont pas des petites "bourdes" occasionnelles de-ci de-là mais de véritables problèmes de compréhension erronée de la dialectique, des lois de la transition socialiste, bref de CONCEPTION DU MONDE, et qui pouvaient peut-être permettre des réussites (comme l'industrialisation du pays, ou la victoire contre le nazisme) mais pas LA réussite de l'expérience. Il est tout simplement INCOMPATIBLE de se dire "maoïste" et d'être un admirateur béat et un défenseur envers et contre tout de "Staline" (au sens précisé ci-dessus) ; à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'une espèce de fascination malsaine pour l'aspect militariste, autoritaire-policier et répressif de l'URSS de l'époque (en somme, pour la caricature bourgeoise du "stalinisme" plus que pour sa réalité).

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/la-critique-maoiste-de-staline-a114101498

    Sur l'ensemble de ces apports théoriques du maoïsme qui concrétisent non seulement sa rupture avec le révisionnisme et l'opportunisme de la quasi-totalité des Partis "historiques"/"ex-kominterniens" des années 1960, MAIS AUSSI son caractère supérieur vis-à-vis du marxisme-léninisme "classique" du même Komintern, il peut être intéressant de lire ces brochures de l'OCML-VP du début des années 1980 (qui combattaient notamment les positions "albanaises" contre le maoïsme etc.) :

    La théorie des forces productives à la base du révisionnisme moderne (1980)

    Sur l’État de dictature du prolétariat (1982)

    Sur la transition du capitalisme au communisme (1984)

    Sur les bases de l'opportunisme dans la classe ouvrière (1980)


    Sur la question spécifique de la Guerre populaire et de son universalité, lire :

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/maosoleum-ncp-lc-qu-est-ce-que-la-guerre-populaire-pcr-canada-sur-la-g-a118962384

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/gramsci-et-la-theorie-de-la-guerre-populaire-en-pays-capitaliste-tres--a114072346 et http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/gramsci-et-la-theorie-de-la-guerre-populaire-en-pays-capitaliste-tres--a114072464

    Sur les controverses entre "visions" du MLM qui traversent le mouvement mondial actuel :

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/pour-en-finir-avec-les-histoires-de-controverse-amerique-du-sud-vs-phi-a137994392

    http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/encore-une-fois-sur-le-mouvement-maoiste-international-a147053866

    **********************

    En dernière analyse, on peut dire que le MLM c'est la somme de 3 grands ensembles de lois UNIVERSELLES :

    - les lois du matérialisme dialectique (Marx et Engels) ; peut-être un peu longues à dégager des scories de la pensée "universaliste" européenne du 19e siècle, mais pas plus "strictement européennes" et "importées" voire "coloniales" ailleurs que le fait que la Terre tourne sur elle-même en 24 heures et autour du Soleil en 365 jours ;

    - les lois de comment faire la révolution (Lénine, avec l'importance de Gramsci encore-une-fois-sur-la-question-de-gramsci pour les pays d'Occident "où le capitalisme - pour citer Mao - a une histoire vieille de 250 voire 300 ans" et où "l'influence pernicieuse de la bourgeoisie est très profonde et infiltrée partout") ;

    - les lois de comment parvenir au communisme à travers le socialisme (Mao, en plus d'avoir apporté la théorie de la Guerre populaire, d'une lutte prolongée aux lois de "comment faire la révolution").

    Point barre. En dehors de cela, aucune vision ni "gonzaliste" ni "sisonienne" ni rien ne peut avoir de prétention universelle ; toutes émergent de PAYS aux conditions CONCRÈTES bien précises et deviennent erronées à mesure que les conditions s'éloignent de celles de ces pays.


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