• 1944-45, l'épopée du Bataillon Gernika


    La chaîne de télévision basque EiTB devrait diffuser vers la fin du mois un docu-fiction consacré au glorieux... et méconnu bataillon antifasciste basque Gernika, qui participa en 1944-45 aux combats de la Libération et notamment à la liquidation d'une des dernières poches de résistance nazie, celle de la Pointe de Grave dans le Médoc*, au nord de Bordeaux : http://www.sudouest.fr/2015/05/27/la-bataille-de-la-pointe-de-grave-reconstituee-a-labenne-40-1933063-5469.php (vidéo du trailer dans l'article). France 3 serait également intéressée par la diffusion.

    1944-45, l'épopée du Bataillon Gernika

    L'histoire de cette unité héroïque mérite en effet d'être connue du grand public, ce qu'elle n'est pas suffisamment de nos jours. Ce que peu de gens ignorent, c'est qu'à l'hiver 1938-39 quelques 450.000 combattants et civils républicains progressistes, socialistes, communistes ou anarchistes de tous les Peuples de l’État espagnol franchissent les Pyrénées pour échapper à la prison, à la torture et à une mort quasi-certaine (il y aura environ 200.000 exécutions entre 1939 et 1942-43) dans les griffes du fascisme franquiste.

    L'accueil que leur réservera la "Républiiiiiique" capitaliste-impérialiste du rad'-soc' Daladier sera les camps de concentration du Roussillon et des Pyrénées occitanes (Saint-Cyprien, Argelès, Gurs, Le Vernet etc.), où ils se trouveront en 1940 livrés en pâture à l’occupants nazi et à ses supplétifs de la "Révolution nationale" (dont la police était dirigée par le rad'-soc' René Bousquet) : un grand nombre terminera dans les camps d'Allemagne et d'Europe de l'Est où beaucoup mourront, les plus "chanceux" étant "bons" pour le Service du travail obligatoire (STO) - ils seront notamment affectés à la construction du Mur de l'Atlantique.

    Mais un nombre non-négligeable réussira aussi, à la faveur de la débâcle, à s'échapper et se regrouper en unités de partisans sous l'autorité du gouvernement républicain et des gouvernements autonomes (Generalitat catalane, République d'Euzkadi) en exil, en coordination avec la "France libre" de Londres et/ou les FTP-MOI (Main d'Œuvre Immigrée) du PCF, pour affronter les armes à la main ce fascisme qu'ils connaissaient si "bien" pour avoir livré contre lui la première véritable guerre en Europe.

    C'est ainsi que plusieurs centaines d'hommes formeront en 1944 le Bataillon Gernika, du nom de la ville martyre bombardée par la Légion Condor nazie en 1937 (orthographiée Guernica en castillan et en français), sous le commandement de Pedro/Kepa Ordoki - ancien ouvrier du bâtiment, militant de l'ANV et vétéran de la Guerre civile antifasciste en Euskadi, passé à la clandestinité en Occitanie dès la fin 1940 et ayant échappé plusieurs fois à l'arrestation et à la mort.

    Placé sous l'autorité du Gouvernement basque en exil du lehendakari Agirre, ce qui n'ira pas sans frictions avec l'Union nationale espagnole (UNE, 10.000 combattants antifascistes relevant quant à eux du gouvernement républicain "central"), il mènera des actions de guérilla dans les Pyrénées avant de participer à la Libération du "Sud-Ouest" (Gascogne) ; jusque (donc) au fameux combat de la Pointe de Grave (14-20 avril 1945) aux côtés du bataillon anarcho-syndicaliste Libertad, qui "débloquera" l'accès à l'estuaire de la Gironde et donc au port de Bordeaux où ses troupes défileront fièrement sous les couleurs de l'ikurriña - le drapeau basque qui sera... décoré de la Croix de Guerre (Ordoki refusant la décoration pour lui-même, il la fit accrocher à l'étendard du bataillon).

    1944-45, l'épopée du Bataillon Gernika

    Voici en documentation quelques articles consacrés à l'unité, ses combattants et ses faits d'armes :

    http://www.memoire-immigration-aquitaine.org/includes/fichiers/doc/158/15. Bordeaux et sa région. Participation rep esp libération de Bordeaux.pdf

    http://www.sudouest.fr/2015/04/18/partis-loin-de-chez-eux-pour-defendre-la-democratie-1895940-3212.php

    http://www.lejpb.com/paperezkoa/20110514/266023/fr/Mort-Deunoro-Totorika-"heros-inconnu-2de-guerre-mondiale"

    http://ipehantifaxista.blogspot.fr/2014/08/liberation-de-paris-la-trahison-de-de.html

    http://cspb.unblog.fr/2008/02/16/no-pasaran/ [NDLR contrairement à ce qui est écrit dans cet article (et dans celui qui précède), il ne semble pas que le Bataillon Gernika ait pris part à la libération de Paris (24-25 août 1944). La première unité alliée à entrer dans la capitale hexagonale fut La Nueve (9e compagnie du régiment de marche du Tchad), effectivement composée de républicains "espagnols", et l'un de ses véhicules (jeep ou petit blindé) aurait apparemment été baptisé du nom de "Guernica" mais sans lien (a priori) avec les hommes d'Ordoki. La zone d'opération du bataillon semble bel et bien avoir été le "Sud-Ouest", comme pour la plupart des groupes de résistance "espagnols". C'est là que Kepa Ordoki, après avoir tout d'abord "séjourné" au camp d'internement de Gurs, est entré (tôt) dans la Résistance, a travaillé notamment dans les usines de Lannemezan (vivier "rouge" et antifasciste) et réchappé une première fois de l'arrestation alors qu'il distribuait le journal résistant Combat, une deuxième fois (à Bagnères-de-Luchon) du peloton d'exécution après trois mois de tortures et une troisième fois d'un déluge de balles allemandes sur sa "planque" dans un petit village pyrénéen (source "Ikurriña : Cien años", lien Google Books ci-dessous en castillan). Il semble même (en fait) que le Gernika n'ait été officiellement constitué sous ce nom qu'après la Libération de l'essentiel de l'Hexagone, à l'automne 1944, pour être affecté à la liquidation des dernières "poches" du littoral gascon - mais Ordoki et les hommes du bataillon avaient évidemment (et depuis longtemps) participé au maquis puis aux combats de la Libération.]

    En castillan :

    https://books.google.fr/books?id=HSFjPYpOPiAC&...

    http://kaixo.blogspot.fr/2005/04/60-aniversario-del-batallon-gernika.html

    1944-45, l'épopée du Bataillon GernikaBien sûr, dans l'esprit de tous ces hommes (les Basques comme les autres "Espagnols"), l'épopée révolutionnaire ne devait pas s'arrêter là. L'objectif de tout cela était bien sûr, après avoir vaincu le nazisme et le fascisme en Hexagone, de franchir à nouveau les Pyrénées pour aller libérer leurs Peuples ouvriers et paysans respectifs de celui que les avions d'Hitler et les chars de Mussolini avaient porté au pouvoir 6 ans plus tôt : le caudillo national-catholique Francisco Franco et ses hordes de tortionnaires. De Gaulle leur en avait fait la promesse (notamment en décorant le Gernika après la Pointe de Grave).

    Mais cette promesse sera bien vite jetée aux orties... Dans le nouveau contexte de Guerre froide qui se dessine, le régime sanguinaire devient vite une pièce maîtresse du dispositif du "monde libre" - ce nouveau nom de la "civilisation" ou de l'"Occident chrétien" - face au communisme. Les antifascistes ibériques qui ont joué un rôle décisif dans la Libération d'un quart du territoire hexagonal (et même de Paris pour certains) sont désarmés, démobilisés et renvoyés à ce qu'aux yeux du Capital ils savent le "mieux faire" : travailler à l'usine ou dans les champs.

    En septembre 1950 plusieurs centaines d'"Espagnols rouges" sont raflés (Opération "Boléro-Paprika") et envoyés en résidence surveillée en Corse ou en Algérie, le PCE est placé hors-la-loi, ses locaux fermés et ses publications interdites ; tout ceci en totale coordination avec les services franquistes (lire ici : http://www.humanite.fr/blogs/etre-fils-de-rouge-581472, ici http://ekladata.com/operation-bolero-paprika.pdf et encore ici http://ekladata.com/AjosdLNShVWMVwuVrsWXEcNH57Q.png). Et ce n'est là qu'un exemple de "chasse aux sorcières" parmi beaucoup d'autres (lire absolument cette étude : http://ccec.revues.org/3235)... Les relations diplomatiques avec Madrid sont officiellement rétablies en décembre 1951 - c'est alors encore une fois la "gauche" républicarde bourgeoise qui est au pouvoir, avec notamment un certain François Mitterrand comme ministre récurrent ("Outre-Mer", Intérieur, Justice etc.) ; la même "gauche" qui nous gouverne aujourd'hui par la matraque du renégat catalan Valls et avec laquelle certains pseudo-"maoïstes" voudraient "faire bloc" face à la montée du Front National ; tandis que tout un pan d'entre elle bascule (effectivement) dans le "souverainisme" social-chauvin et le fricotage avec la droite radicale comme "solution" à la crise (ce que les pseudo-"maoïstes" dénoncent à juste titre, mais leur "certaine idée de la France" est-elle foncièrement si différente ?).

    Du côté basque, il faudra attendre 1959 pour que les héroïques gudariak ("combattants" en euskara, gudari au singulier) relèvent la tête et relancent l'héroïque lutte révolutionnaire de libération que nous connaissons tou-te-s ; lutte qui a eu tendance à verser ces dernières années dans le réformisme et la conciliation (trois points de vue communistes à ce sujet iciici et ici) mais qui n'en reste pas moins soumise à la répression acharnée des États espagnol et français qui se partagent Euskal Herria.

    Kepa Ordoki et la plupart de ses compagnons d'armes, quant à eux, ne reverront pas leur pays natal avant la fin des années 1970...**

    1944-45, l'épopée du Bataillon Gernika

    Voilà quelque chose qui peut et doit servir d'enseignement encore aujourd'hui ; par exemple pour les Kurdes de Rojava : il faut toujours être très prudent et sans illusions lorsque l'on "joue" un ennemi de classe, réputé "moins pire", contre un autre objectivement plus immédiat et "mortel".

    Les camarades kurdes des YPG sont en lien étroit avec les quartiers-généraux de l'Alliance atlantique pour coordonner les frappes aériennes autour des secteurs qu'ils contrôlent ; des représentants à eux ont été reçus à l’Élysée ; et l'on peut difficilement leur reprocher de ne pas rejeter une aide aussi utile voire décisive face à des djihadistes réactionnaires barbares qui se sont promis de les égorger comme "mécréants", "apostats", "ennemis de l'islam" etc. etc. Ils sont à l'heure actuelle, ne nous voilons pas la face, partie prenante de la croisade de l'impérialisme occidental contre le monstre terrifiant que sa propre politique a engendré et déchaîné.

    Mais une fois l'"État islamique" vaincu (car un projet politique aussi démentiel et barbare ne peut qu'être vaincu à terme, même si cela prend des années), est-on si sûr que l'Occident laissera leur idéal "confédéraliste démocratique" triompher au Kurdistan ? Que la "communauté internationale" impérialiste continuera à appuyer leurs revendications notamment face à un État turc qui représente numériquement la deuxième armée de l'OTAN derrière les États-Unis (et même la première en comptant les réservistes !), à un régime syrien "sauvé des eaux" pour s'être retrouvé confronté à un ennemi pire que lui (qu'il a largement contribué à se créer en libérant des milliers de prisonniers islamistes radicaux dans la nature...), à un régime de Bagdad qui malgré ses liens avec Téhéran reste un allié-clé (le Kurdistan autonome d'Irak est de toute façon 100% bourgeois comprador et pro-impérialiste, 0% dans l'intérêt du Peuple et par ailleurs cul et chemise avec Ankara - ayant dans la vie les amis que l'on mérite, il a dernièrement reçu la visite de BHL...), etc. etc. ? Pour l'heure, l'hypothèse la plus probable est que l'Armée turque vienne "sécuriser" les zones libérées de la terreur daeshiste... On imagine difficilement plus contraire aux objectifs de la Libération révolutionnaire du Peuple kurde !

    Une trahison annoncée sur laquelle les (rares) derniers survivants du Bataillon Gernika et de la résistance antifasciste "espagnole" auraient sans doute beaucoup à dire ; et qui nous renvoie au célèbre mot d'ordre de Mao Zedong : "Compter sur ses propres forces !" - lancé dans la résistance à l'occupation japonaise alors que Wang Ming, conformément aux directives... du Komintern de Staline et Dimitrov, prônait la dissolution pure et simple de l'Armée du Peuple dans l'Armée nationaliste du Kuomintang. Voilà qui mérite d'être médité...

    En attendant, l'heure est venue de rendre à ces héros antifascistes et abertzale l'hommage communiste qu'ils méritent : Gora Gernika Bataloia ! Aupa Ordoki !


    1944-45, l'épopée du Bataillon Gernika
    1944-45, l'épopée du Bataillon Gernika


    * Voir ici la carte de ces fameuses "poches de l’Atlantique"

    ** Le dernier vétéran du bataillon encore en vie, Francisco Pérez Luzarreta, a accordé dernièrement une interview au journal basque Berria. En voici quelques passages traduits par un camarade :

    "EAJ (PNV) contrôlait le bataillon. Toi étais-tu abertzale ?

    Les abertzale étaient majoritaires. Moi, en revanche, j'ai été un individu révolté contre la persécution, l'injustice et le fascisme. Le fascisme avait tellement détruit ma famille, je luttais contre lui de vive volonté. Le meilleur endroit pour cela me parut le bataillon Gernika. J'ai toujours été d'idéologie libertaire. Pour moi, la liberté est tout. À partir de là, je n'ai pas senti de besoin de militer dans aucun parti. (...)

    Reçois-tu une pension ou autre pour les services de la guerre ?

    La France me donne une somme ridicule, et personne n'est jamais venu du gouvernement basque me demander comment je m'en sors. J'ai une pension minimum, de 600 euros, et tu ne vas nulle part avec ça. Je me suis marié en 1959, et nous n'avons pas eu d'enfant. Je disais à ma femme que j'aurais eu un enfant avec joie, mais je ne voulais donner personne né de moi à cette racaille. Le fascisme a continué. C'est peut-être pire maintenant qu'à l'époque du dictateur.

    (...)

    C'est ça la plus grande douleur de ma vie : ne pas avoir vu ces criminels à genoux. Aujourd'hui non plus. En Espagne, en plus, beaucoup de criminels de l'Allemagne nazie s'étaient établis après la guerre. Ils avaient l'argent volé aux Juifs, et les franquistes pour amis. Une racaille prête à déchiqueter tout ce qui respirait apparemment dans toute l'Europe. Je ne suis pas optimiste. Je ne peux déjà pas imaginer ce que je désirerais. J'ai perdu progressivement la ferveur d'une époque dans tous les domaines."

    Après la guerre, Paco Pérez Luzarreta officiera comme passeur entre Pays Basque du Nord et du Sud. Arrêté en 1947, il sera exilé à Barcelone où il restera deux ans avant de revenir s'installer définitivement en Hegoalde.

     


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